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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 24 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 537) M. de Vrintsµ procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le conseil communal de Soignies demande l'exécution de la loi du 1er juillet 1868 relative à la concession chemin de fer de Houdeng-Goegnies à Soignies et à Jurbise. »

M. Ansiauµ. - Je demande que la Chambre veuille bien ordonner le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport. Elle intéresse au plus haut degré la ville de Soignies et l'arrondissement que je représente.

- Adopté.


« Les membres du conseil communal d'Oisy prient la Chambre d'autoriser M. le ministre des travaux publics à accorder au sieur Brassine la concession d'un chemin de fer d'Athus dans la direction de Givet en traversant le canton de Gedinne. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les conseillers communaux de Monceau-sur-Sambre réclament l'intervention de la Chambre pour qu'il soit pourvu à la place vacante dans cette commune. »

- Même renvoi.


« Les conseils communaux d'Angre et d'Angreau prient la Chambre d'adopter, pour le chemin de fer à construire de Mons à Quiévrain, un tracé établissant la station de Dour au milieu de cette commune. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi autorisant la concession d'un chemin de fer de Dour à Quiévrain.


« Des bourgmestres dans la Flandre orientale proposent des modifications à la loi sur le domicile de secours. »

« Même pétition des administrations communales de Saint-Amand, Syngecm, des membres du conseil communal et d'habitants de Cruyshautem. »

M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi portant révision de la loi sur le domicile de secours. La réclamation mérite de faire l'objet d'un examen spécial de la section.

- Adopté.


« Le sieur Martin Roos, demeurant à Calmphout, né Veere (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Bosch prie la Chambre d'appuyer l'interpellation annoncée par M. Guillery, sans distinction de personne. »

- Dépôt sur le bureau pendant l'interpellation de M. Guillery.


« MM. Wouters et Deneubourg font hommage à la Chambre de 125 exemplaires d'une brochure qu'ils viennent de publier sous le titre: Réflexions sur le travail des femmes dans les mines. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


« M. Sainctelette, retenu à Mons par des devoirs de famille, et M. Dethuin, obligé de s'absenter, demandent un congé d'un jour. »

- Accordé.


« M. le ministre des finances transmet à la Chambre, conformément à une demande formulée par notre honorable collègue M. Van Overloop, dans sa séance du 4 décembre 1868, un tableau renseignant les propriétés immobilières possédées par les sociétés anonymes. »

- Impression aux Annales parlementaires

Projet de loi allouant des crédits au ministère de l’intérieur

Rapport de la section centrale

M. Davidµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale, qui a examiné des demandes de crédits extraordinaires et des transferts au département de l'intérieur, pour les exercices 1869 et 1870.

Projet de loi portant le budget des dotations de l’exercice 1871

Rapport de la section centrale

M. Vander Doncktµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de votre section centrale qui a examiné le budget des dotations.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur la responsabilité ministérielle

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, d'après les ordres dit Roi, j'ai l’honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi sur la responsabilité ministérielle.

M. le président. - Je vous propose, messieurs, de renvoyer ce projet de loi aux sections.

M. Lelievreµ. - Il s'agit d'une question qui doit faire l'objet de l'examen sérieux d'hommes spéciaux. Je demande le renvoi du projet une commission à nommer par le bureau.

- Plusieurs membres. - Non, aux sections !

M. le président. - II y a deux propositions présence : l’une consiste dans le renvoi à une commission spéciale ; l'autre consiste dans le renvoi aux sections.

Je consulte la Chambre sur le renvoi aux sections.

- Il est procédé au vote par assis et levé.

Le renvoi aux sections est ordonné.

Interpellation

M. Guillery. - J’ai dit, dans une précédente séance, que toute atteinte à la liberté de la presse est de nature à inquiéter l'opinion publique et que je croyais devoir appeler l'attention de la Chambre sur des faits qui paraissent avoir ce caractère. Je faisais allusion des condamnations qui, se répétant à de courts intervalles, peuvent paraître constituer une sorte de persécution indirecte contre des journaux.

L'honorable ministre de la justice a bien voulu promettre de prendre des renseignements et je lui demanderai de vouloir bien nous dire s'il a atteint son but.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, j'ai demandé au parquet des renseignements sur les faits qui avaient donné lieu à l'interpellation de l'honorable membre.

Je dois d'abord déclarer à la Chambre, ce que d'ailleurs elle sait, que le gouvernement n'a aucune espèce d'action sur les juges d'instruction.

Ce sont des magistrats inamovibles et le gouvernement ne peut rien à leur égard. il les nomme et les révoque, mais il reste étranger à leurs actes.

Le juge d'instruction rend des ordonnances, prononce des condamnations, et le gouvernement ne peut intervenir pour redresser ou empêcher ses décisions.

Cela dit, voici les faits tels qu'ils se sont passés.

Différents journaux ont publié des renseignements sur des événements qui ont eu lieu dans l'arrondissement de Bruxelles.

Les magistrats instructeurs ont cité comme témoins plusieurs journalistes et leur ont demandé si les renseignements qu'ils avaient publiés dans leurs journaux émanaient d'eux. ou s'ils leur avaient été communiqués par des tiers. Les journalistes ont répondu que, parmi ces renseignements les uns provenaient directement d'eux-mêmes, que d'autres leur avaient été (page 538) communiqués par des tiers, que d'autres enfin n'avaient pas d'origine bien déterminée. Les magistrats ont demandé alors aux témoins de leur faire connaître les tiers qui leur avaient fourni des renseignements ; ils s'y sont refusés. Le juge d’instruction a saisi le parquet de l'incident et le ministère public a, conformément au code d'instruction criminelle, requis contre les journalistes une condamnation à l'amende du chef de refus de répondre aux questions de la justice.

L'Etoile belge s'est plaint des condamnations qui ont été prononcées contre son rédacteur ; elle a écrit que le juge d'instruction n'avait eu d'autre but que de remonter à la source d'indiscrétions qui auraient été commises soit par des employés du greffe, soit par des officiers de police. c'est-à-dire que si l'on comprend bien l'article de l'Etoile, ce n'était pas aux faits mêmes dont la justice était saisie que l'interrogatoire du rédacteur de l'Etoile se rapportait, mais à de prétendues indiscrétions dont le juge d'instruction voulait connaître l'origine. Le rédacteur de l'Etoile aurait subi une condamnation pour ne point s'être prêté aux recherches toutes disciplinaires que le magistrat instructeur voulait effectuer.

Les renseignements qui me parviennent ne sont pas conformes à cette version.

Il est évident que si un juge d'instruction faisait appeler dans son cabinet un rédacteur de journal et lui disait : Je ne vous fais pas venir pour avoir de vous des renseignements sur tel crime ou tel délit, mais pour pouvoir, le cas échéant, frapper d'une peine disciplinaire celui qui s'est mis en rapport avec vous ; si, dis-je, un juge d'instruction agissait de la sorte, il outrepasserait son droit, parce que le citoyen n'est pas tenu de donner son témoignage pour faciliter la discipline intérieure du greffe ou de la police ; le citoyen n'est tenu de déposer que lorsqu'il est interrogé sur des faits prévus par le code pénal et on ne peut le condamner que s'il se refuse à aider la justice dans la recherche des infractions punies par le législateur.

Le rédacteur condamné croit qu'il n'a pas été cité pour donner des renseignements sur les faits mêmes au sujets desquels la justice informe. En cela il se trompe, d'après le rapport qui m'a été fait.

Il est très vrai qu'au cours de l'interrogatoire il a été question d'indiscrétions commises soit par des employés du greffe, soit par des agents de la police, mais le magistrat déclare n'avoir eu nullement en vue de rechercher l'origine de ces indiscrétions. Il portait ses investigations sur les faits dont il était saisi et c'est dans le but de parvenir à les éclaircir, d'obtenir la déposition de témoins pouvant parler de science certaine, qu'il a posé ses questions.

Voici, du reste, l'interrogatoire même du témoin, l'interrogatoire qu'il a signé :

Comme il n'y a aucun Inconvénient à le faire connaître, vais en donner lecture à la Chambre :

« L'an 1870, le 18 février,

« Le témoin a répondu se nommer, etc.

« Et après avoir déclaré et a déposé sur nos interpellations comme suit :

« Je dois, à mon regret, vous refuser de faire connaître la source à laquelle j'ai puisé les renseignements relatifs au vol chez Philips, et publiés dans le n°48 de l'Etoile belge du courant ; j'ai pris l'engagement d'honneur de ne pas faire connaître la personne de laquelle je tiens ces renseignements tout confidentiels.

« Nous, juge, faisons connaître au témoin qu'en présence de son refus, nous communiquons le dossier à M. le procureur du roi à telle fin que de droit.

« Lecture faite, a persisté et signé.

« (Signé) Le témoin. »

Voilà le texte même de la déposition ; l'interrogatoire porte sur le vol commis chez le changeur Philips et pas sur autre chose. L'interrogatoire ne constate pas que le magistrat avait pour but de rechercher l'officier de police ou l'employé du greffe qui aurait fourni au journaliste des indications, et ce dernier n'a pas requis cette mention dans le procès-verbal. Il ne l'a pas fait et le juge d'instruction prétend de la manière la plus formelle qu'il n'a eu en vue que la découverte de l’auteur du vol commis chez le changeur Philips.

Les deux autres juges d'instruction qui ont été amenés à prononcer des condamnations n'ont absolument parlé que des faits qui pouvaient constituer des crimes ou des délits selon la loi.

Voilà les renseignements qui m'ont été fournis par le parquet et j'attendrai les observations qui pourraient m'être faites pour entrer plus avant dans la discussion.

M. Guillery. - Je remercie M. le ministre de la justice des renseignements qu'il vient de nous donner, et je le félicite en même temps des doctrines qu'il vient d'émettre ; il a reconnu très loyalement que le fait de citer des éditeurs, des représentants de la presse devant un juge d'instruction, uniquement dans le but de leur faire dire de qui ils tiennent des renseignements et de connaître des auteurs d'articles. constitue un abus.

Je tiens d'autant plus à cette déclaration et j’en félicite d'autant plus sincèrement l'honorable ministre, que le ministre de la justice a une très grande action en pareille matière.

Sans doute, les juges d'instruction prononcent suivant leur conscience, mais ils ne prononcent que sur des réquisitoires.

Ils ne font venir, en général, dans des affaires semblables à celle qui nous occupe aujourd'hui, les éditeurs de journaux devant la justice, et ne leur font des questions semblables à celles qui ont été faites que sur des réquisitions du ministère public, et celui-ci n'agit que sur l'ordre du chef du parquet.

C’est là le système que nous avons à examiner et je désire en entretenir la Chambre.

Il y a dans des jugements de cette espèce deux choses : le côté juridique que j'abandonne complètement à la magistrature, et le côté politique qui doit spécialement nous préoccuper, comme il doit spécialement préoccuper l'honorable ministre de la justice.

En matière de presse, il n'y a pas de petites questions ; beaucoup de personnes pensent ou disent que la presse est dans le droit commun, qu'un journaliste est un homme comme un autre (et on leur fait même beaucoup d'honneur, dans la pensée de beaucoup de personnes, en les acceptant comme tels).

Je ne crois pas, quant à moi, que l'on doive laisser se répandre de pareilles erreurs.

La presse n'est pas soumise au droit commun, elle n'est pas soumise au régime du droit commun.

Une déposition d'un représentant de la presse, dans certaines conditions, lorsque les questions que l'on pose, la manière dont on les pose, lorsque le nombre des questions qui sont posées, lorsque les personnes auxquelles elles s'adressent semblent révéler une atteinte, quelque faible qu'elle soit, à la liberté de la presse, cette déposition sera un acte de la plus haute importance au point de vue politique.

Je dis que, pour la presse, je ne reconnais pas le droit commun et la Constitution l'avait dit avant moi.

La presse est placée dans une position exceptionnelle. On a fait exception pour elle aux principes ordinaires en matière de complicité en déclarant que l'imprimeur, l'éditeur ou le distributeur serait mis hors de cause lorsque l'auteur serait connu. On a dérogé au droit commun pour la presse, lorsqu'on a dit que le jury serait seul compétent pour de simples délits. On a fait exception pour la presse, lorsqu'on a dit qu'il n'y aurait pas de détention préventive en matière de délits de presse ; et dans l'application de ce grand principe constitutionnel nous ne nous sommes pas bornés à respecter la lettre de la loi. Nous avons compris que pour que la liberté de la presse ne fût pas un vain mot, il fallait donner aux journaux les moyens de se répandre dans toutes les parties du pays.

Nous avons compris que le timbre et un droit de poste même modéré étaient des entraves la liberté de la presse ; nous avons supprimé le timbre et nous avons réduit le droit de poste à un centime.

Ce droit d'un centime peut paraître bien peu de chose, mais il touche réellement à la liberté de la presse. Et, de même que, si demain, nous rétablissions le timbre et un droit de poste exorbitant, nous porterions une atteinte réelle à cette liberté, tout en respectant cependant la lettre de la Constitution ; de même lorsque le parquet croit devoir faire citer des représentants de la presse devant le juge d'instruction pour leur faire certaines questions. d'une certaine manière, manière sur laquelle j'aurai à m'expliquer, il porte indirectement atteinte au principe.

Sur ce point, messieurs, les explications envoyées à M. le ministre de la justice n'expliquent rien du tout, et je suis étonné notamment de voir que l'interrogatoire rédigé par le juge d'instruction ne se rapporte pas tout ce qui se trouve dans le jugement rendu à la suite de cet interrogatoire.

J'ai ici deux jugements signifiés dans la cause et je trouve que le juge d'instruction qui a posé la question au sujet du vol commis chez un changeur de la rue de la Madeleine, insère ceci dans son jugement :

« Attendu que le témoin.... assigné en notre cabinet pour nous déclarer quelles sont les personnes desquelles il tient les renseignements relatifs au vol commis chez Philips, changeur, rue de la Madeleine, et notamment à l'arrestation d'un individu, Français d'origine, habitant Schaerbeek, a refusé de nous faire connaître la personne de laquelle il tient ce renseignement... »

C'est ici que finit la ressemblance avec le procès-verbal.

Mais voici une phrase qui ne s'y pas trouve pas :

« ... Nous affirmant que cette personne n'était pas attachée à la police, mais qu'il s'était engagé sur l'honneur vis-à-vis d'elle à ne pas révéler son nom. »

Cette phrase nous montre que le récit du rédacteur de l'Etoile est sincère. Puisqu'on insérait même dans le jugement cette déclaration, c'est qu'on y attachait la plus grande importance. Et si le témoin a été amené à déclarer que la personne dont il s'agit n'appartenait pas la police, c'est qu'évidemment on le lui avait demandé.

Le but de l'assignation était donc, en réalité, de savoir si la personne qui avait donné les renseignements appartenait à la police. Cela est tellement vrai que le témoin ne pouvait donner aucun renseignement nouveau sur le vol ; qu'il a commencé par déclarer qu'il n'en savait pas plus que ce qu'il avait dit dans son journal ; il ajouté ensuite : Vous me demandez qui m'a donné les renseignements que j'ai fait connaître, mais je me suis engagé sur l'honneur à ne pas le dire.

Quel intérêt y avait-il pour l'instruction de connaître le nom de la personne qui avait révélé des faits qu'on reconnaissait parfaitement exacts, parfaitement conformes à la vérité et qui étaient déjà la connaissance du juge d'instruction ? Aucun.

Il s'agissait donc uniquement, comme l'a dit le journal dont il est question, de savoir quelle était la personne qui avait fourni des renseignements.

Dans le second jugement, messieurs, on n'entre pas dans les mêmes détails ; on se borne à dire que le témoin a refusé de déposer. Eh bien, messieurs, d'après les renseignements qui m'ont été donnés personnellement, il paraît que cette condamnation de l'autre jugement n'est venue qu'après une première citation dans laquelle le journaliste interrogé avait déclaré ne pas pouvoir dire, parce qu'il y avait engagement d'honneur de sa part, le nom de la personne qui lui avait donné les renseignements publiés sur le fait accompli rue de Brabant.

Le juge d'instruction n'insista pas ; mais sur une nouvelle réquisition du parquet, mis en demeure par le parquet, le juge d'instruction fait de nouveau la même question. Refus par un motif très honorable à coup sûr de la part d'un témoin, qu'il y a engagement d'honneur de se taire, et ce qu'il y a de singulier, condamnation encore cette fois au maximum de la peine, absolument comme on condamnerait celui qui, par mauvaise volonté, par ses refus d'accomplir un devoir de citoyen, aurait entravé la marche de la justice, Evidemment s'il y a un minimum et un maximum de peine, c'est pour appliquer le minimum à ceux qui se taisent par un sentiment d'honneur et pour appliquer le maximum à ceux qui seraient en rébellion contre la justice.

Eh bien, chose singulière, les réquisitions du parquet demandent le maximum de l'amende, le juge croit devoir prononcer ce maximum, dans une circonstance où certainement la position du témoin était digne d'intérêt. Quand on s'est engagé sur l'honneur à tenir le secret, quand on a la conscience que la déposition ne pourrait en rien mettre la justice sur la trace des coupables, il est évident qu'on ne va pas de gaieté de cœur manquer à son devoir, se déshonorer pour éviter une amende de 100 fr. ; par le même motif on ne doit pas s'attendre à ce que la personne qui accomplit un devoir d'honneur soit condamnée au maximum de la peine.

Je suis, quant à moi, très étonné de ces condamnations. Elles ont évoqué dans mon esprit un certain souvenir. Je me suis reporté à d'autres tentatives de recherches des auteurs d'articles, et comme je ne vois, dans le fait d'aujourd'hui, aucun autre intérêt que celui-là ; je vois bien qu'il y a un prétexte, mais je vois que ce n'est qu'un prétexte, puisque la question qu'on adressait au témoin et les réponses que le témoin pouvait faire ne pouvaient en rien mettre sur la trace du délit.

Je regrette, dans ce cas, de voir le parquet qui a tant à faire, qui a de si nombreuses occupations, s'ingénier à citer devant lui des témoins qui ne peuvent rien lui apprendre, alors qu'il ne fait pas assigner les témoins qui pourraient le mettre sur la trace de crimes et de délits ; et je me demande si ce n'est pas cette fausse direction donnée au parquet, cette mauvaise direction donnée aux instructions judiciaires, qui est cause du peu de succès de ces instructions.

En remontant dans mes souvenirs, je me suis rappelé que l'Avenir d'Anvers, ayant publié en 1855 une correspondance dans laquelle il était dit qu'il y avait beaucoup d'agitation à Bruxelles, qu'on craignait des troubles, que le gouvernement était bien coupable de ne pas s'occuper davantage de l'état d'agitation dans lequel se trouvait la classe ouvrière ; l'honorable chef du parquet de Bruxelles adressa au procureur du roi d'Anvers l'ordre de requérir, de la part du juge d'instruction, une instruction sur ce point, et, comme il est admis que si le parquet a le droit d'instruire sur les crimes et délits, il n'a pas le droit de faire des questions à propos et hors de propos aux journalistes et autres personnes qui peuvent savoir des choses intéressantes, on avait soin. dans la lettre adressée au procureur du roi, de dire : Il ne s'agit pas de délit de presse, il ne s'agit pas de poursuivre l'auteur de l'article ; l'article n'est pas coupable. Mais il s'agit uniquement de savoir quel est le nom du correspondant qui a donné ces renseignements, afin que nous puissions citer le correspondant au parquet pour lui demander les renseignements nécessaires et qui nous mettent sur la voie des agitateurs et des meneurs qui peuvent compromettre la paix publique à Bruxelles.

Vous voyez que le prétexte est extrêmement adroit, mais je crois qu'il ne trompera personne. Un chef de parquet habile, qui veut savoir la vérité ne met pas tant d'appareil dans la façon de s'informer du fait : un peu d'adresse, un peu de bons procédés, la garantie de la discrétion, auraient fait savoir officieusement, en vingt-quatre heures, ce qu'il pouvait y avoir d'exact dans la relation de faits qui sans doute avaient été exagérés ; ce qui arrive souvent en Belgique comme partout ; et ce n'est pas seulement dans les correspondances qu'on met de l'exagération ; on en met parfois aussi dans des discours qui comportent plus de calme et d'austérité.

Le juge d'instruction dit : Mais il n'y a ni crime ni délit ; donc, pas d'instruction ; opposition de la part du procureur général. La cour d'appel ne partagea pas cet avis et décida que le rédacteur en chef de l'Avenir devait répondre à la question. Cité de nouveau devant le juge d'instruction de Malines, le rédacteur en chef de l'Avenir refusa de répondre. Pourvoi en cassation, et notre honorable collègue, Orts, dont le talent et la science juridique ont été si souvent au service de la presse, a encore défendu sa cause en cette circonstance.

La cour de cassation fut de l'avis de la cour d'appel de Bruxelles, mais par des motifs juridiques dont je n'ai pas à m'occuper, car je ne m'occupe ici que du coté politique de la question.

Le chef du parquet trouvant bonne la voie qui lui était ouverte, s'avisa de perfectionner le code d'instruction criminelle et de donner à l'article 80 de ce code un développement jusqu'alors inconnu.

Pour forcer le directeur de journal à révéler le nom de l'auteur et afin d'arriver à un moyen infaillible de mettre sous chaque article le nom de son auteur, le chef du parquet imagina l'ingénieux procédé que voici: c'était de faire venir itérativement le directeur du journal devant le juge d'instruction ; et il le fit condamner à cent francs d'amende une deuxième fois.

Cela aurait pu se continuer pour chaque refus de répondre à la même question. (Interruption.) Ce qui, en ne comptant que 300 jours utiles par an, aurait fait au directeur du journal une rente passive de 30,000 francs au bas prix, et encore 30,000 francs par correspondant, car comme un journal en a plusieurs, on aurait pu appliquer le même régime pour chacun d'eux.

Je n'ai pas besoin de dire que s'il s'est trouvé un juge d'instruction pour admettre ce système et pour le développer dans une longue ordonnance, la cour de cassation ne l'a pas admis, elle, et notre honorable collègue triompha dans sa défense.

Eh bien, ce moyen, qui n'a pas réussi directement à cette époque, on le met aujourd'hui en pratique indirectement, et si je suis remonté un peu haut dans le passé, c'est pour vous démontrer ce qu'est ce système pratiqué de très bonne foi, j'en suis convaincu, par le chef du parquet, dont je respecte la bonne foi, la loyauté, le caractère, la science, qui a parcouru une des carrières les plus honorables de la magistrature, mais dont je ne partage pas l'avis, et cela est permis surtout en matière politique. J'admire beaucoup la science juridique, mais je trouve que ce n'est point se pénétrer de l'esprit de la Constitution que de faire à la presse la position qui résulte de la condamnation dont nous nous occupons aujourd'hui. On peut donc être dans le droit strict et cependant ne pas être dans l'esprit de la loi. Les juges d'instruction comme le parquet ont un pouvoir extrêmement étendu ; il est certain qu'ils peuvent en faire un usage exagéré.

Si, par exemple, on cite, tous les jours, un citoyen pour lui faire même question ou pour l'interroger sur tous les crimes et délits qui se commettent, il est certain qu'il deviendra nécessairement fou au bout d'un certain temps. De même, on peut porter atteinte à la liberté de la presse si, chaque fois qu'un journal aura reproché à la justice de ne pas avoir eu le bonheur de découvrir des coupables, on lui donne, en échange de ce procédé, une, deux ou plusieurs citations devant le juge d'instruction.

Je disais, messieurs. que la presse n'est pas dans le droit commun. Si la presse était dans le droit commun, une condamnation 200 ou 300 francs d'amende ne serait pas de nature à nous émouvoir, mais la presse ne peut exister qu'à certaines conditions, et selon moi, bien que cette assertion puisse paraître paradoxale, la presse ne peut exister qu'à la condition da l'anonymat le plus complet.

(page 540) Le Congrès, comme le disait M. Devaux, ne vous a demandé qu'une victime une seule, l’imprimeur, l'éditeur ou l’auteur.

Lorsqu’un journaliste se déclare responsable d'un article, on n'a pas le droit de lui demander le nom de l'auteur. S'il en était autrement. rien n'empêcherait le parquet de citer tous les éditeurs de journaux pour leur demander les noms de leurs correspondants et de venir ainsi au secours de certaines curiosités.

Je ne veux pas, messieurs, faire l'éloge du manque de franchise, je n'aime pas qu'on puisse se cacher sous le voile de l'anonyme, quand il s'agit de principes et de convictions ; mais le journal est l'organe d'un parti ; l'écrivain ne parle pas en son nom personnel, il est un mandataire, et. s'il venait signer son article, il méconnaîtrait son caractère ; l'article est l'opinion d'un parti, dont celui qui l'écrit n'est que le mandataire. L'opinion du journal est sanctionnée par ses abonnés, c'est d'après le nombre de ses abonnés qu'on apprécie son importance.

Il faut que l'éditeur d'un journal, pour accomplir sa mission, puisse recevoir, dans son cabinet, les confidences et même quelquefois les indiscrétions, pour en faire ensuite, sous sa responsabilité, l'usage qu'il jugera convenable.

Voilà la liberté de la presse ! Si vous admettez un autre régime, il n'y a pas de liberté possible. Il y a là, sans doute. contre l'intention de ceux qui sont intervenus, il y a là, en réalité, il y a dans le fait de demander avec persévérance, de demander trois fois de suite au même témoin sur des faits différents, quelles sont les personnes qui lui ont donné tels ou tels renseignements, alors qu'il déclare que la personne qui lui a donné ces renseignements ne peut pas en donner d'autres et, malgré cela, condamner le témoin à l'amende uniquement parce qu'on veut savoir le nom de celui qui a fait ou inspiré l'article, une violation indirecte de la Constitution.

J'ai cru devoir attirer l'attention de la Chambre et du gouvernement sur ce point. Je suis heureux de voir, d'après les déclarations de M. le ministre de la justice, qu'il est d'accord avec nous, en principe, sur la sollicitude que mérite la liberté de la presse et sur le respect que méritent les secrets de l'éditeur. Je suis convaincu que si des erreurs semblables se propageaient ou venaient à prendre un caractère inquiétant à ses yeux, il saurait user de son autorité pour y mettre fin.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne voudrais pas que par suite d'une équivoque, la position que j'ai à prendre dans ce débat ne soit pas bien comprise. Je tiens à être très franc et très clair.

Il y a deux points dans le discours de l'honorable membre : un point de fait et un point de droit.

Quant au point de fait, l'honorable membre trouve qu'il résulte des documents et des explications que j'ai fait connaître à la Chambre qu'il y aurait une sorte de campagne organisée par le parquet contre la presse.

Je ne puis, messieurs, croire à une pareille intention, et les renseignements que je possède ne me permettent pas d'accepter comme vraie l'intention que l'on prête au parquet.

Qu'il s'agisse d'un particulier ou d'un journaliste, si un juge d'instruction abusait des moyens que la loi met à sa disposition, pour le persécuter, je n'hésiterais pas à faire entendre des paroles de blâme.

Il est évident que les témoins, journalistes ou autres, ne peuvent être interrogés que sur les circonstances relatives à des infractions prévues par la loi pénale. J'ajoute que l'on doit être sobre de ces interrogatoires, que l'on ne peut à tout bout de champ assigner les journalistes et qu'on ne doit pas le faire lorsque l'on n'a pas besoin de leurs témoignages ou lorsque l'on sait qu’ils n'ont fait que rapporter des rumeurs en circulation. Ce sont là des questions d'appréciation que la sagesse du parquet et des juges d'instruction doit trancher d’une manière large, en évitant tout ce qui pourrait paraître vexatoire.

Le parquet est, en principe, d'accord avec moi sur le point important dans ce débat ; car le procureur général, en répondant à ma demande .de renseignements, s'exprime en ces termes :

« Si le juge d’instruction avait appelé le témoin ... non pas dans l'intérêt de l’instruction dont il était chargé, mais pour connaître l'auteur des indiscrétions dont il croyait avoir à se plaindre, je serais le premier à lui donner tort, parce que je ne pense pas que nous ayons ce droit. »

Nous sommes donc d'accord.

Le journaliste a pu croire de bonne foi que l'on voulait uniquement connaître la personne qui avait commis une indiscrétion, mais le juge d'instruction affirme que ses recherches se rapportaient directement au vol commis chez le changeur Philips.

M. Van Humbeeck. - Le Jugement dit le contraire.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C’est une erreur. Je vais relire l'ordonnance :

« Attendu que le témoin..., assigné en notre cabinet pour nous déclarer quelles sont les personnes desquelles il tient les renseignements relatifs au vol chez Philips, changeur, rue de la Madeleine. (Je fais remarquer, en passant, que les renseignements donnés par l'Etoile ne sont pas tout à fait exacts ; le juge d'instruction le déclare dans une lettre que j'ai sous les yeux. C'est précisément pour contrôler ces renseignements qu'il voulait se mettre en rapport avec celui qui les avait fournis au témoin.) Je continue ; « et notamment à l'arrestation d'un individu, Français d'origine, habitant Schaerbeek, a refusé de nous faire connaître la personne de laquelle il tient ce renseignement, nous affirmant que cette personne n'était pas attachée à la police, mais qu'il s'était engagé sur l'honneur vis-à-vis d'elle ne pas révéler son nom ;

« Attendu que le refus de répondre équivaut pour le témoin à la non- comparution. Vu... etc. »

Voilà tout, il en résulte que le juge d'instruction a désiré connaître la personne qui avait donné au journaliste des renseignements qui n'étaient pas rigoureusement exacts et que le témoin interpellé a déclaré que cette personne n'appartenait pas à la police, mais qu'il ne la ferait pas connaître parce qu'il s'était engagé à se taire.

Dans les autres affaires, il n'y a pas l'ombre d'un doute ; les renseignements étaient loin d'être exacts, et le magistrat a voulu, pour s'éclairer, connaître le nom de la personne qui les avait donnés.

Tel est le point de fait.

Quant au point de droit, la question est beaucoup plus grave que ne le pense l'honorable membre.

Ici, je n'ai pas à me prononcer ; comme ministre de la justice, je ne puis que vouloir l'exécution de la loi. Or, aux termes de l'article 80 du code d'instruction criminelle et en vertu d'une jurisprudence constante confirmée par la cour de cassation, toute personne, à moins qu'elle se trouve dans un des cas d'exception prévus par la loi, doit son témoignage à la justice. Les journalistes ne sont pas compris dans les exceptions dont parle l'article 458 du code pénal ; c'est ce que la cour de cassation a décidé. Nous ne pouvons pas demander au parquet ou aux juges d'instruction de ne pas appliquer la loi. Nous ne pouvons pas nous plaindre de ce que le parquet et les juges d'instruction s'y conforment.

L'article 80 du code d'instruction criminelle est ainsi conçu :

« Toute personne, citée pour être entendue en témoignage, sera tenue de comparaitre et de satisfaire à la citation ; sinon elle pourra y être contrainte par le juge d'instruction qui, à cet effet, sur les conclusions du procureur du roi, sans autre formalité ni délai et sans appel, prononcera une amende qui n'excédera pas cent francs et pourra ordonner que la personne citée sera contrainte par corps à venir donner son témoignage. »

L'article 458 du nouveau code pénal (correspondant à l'article 378 de l'ancien code) est ainsi conçu :

« Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé ainsi que les pharmaciens, les sage-femmes, et toutes autres personnes dépositaires par état ou profession des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas ou la loi les oblige à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d'un emprisonnement, etc. »

Voilà le terrain du débat, il est bien simple. Au nom des nécessités sociales et dans l'intérêt de la justice, toute personne doit faire connaître à la justice qui l'interpelle ce qu'il sait au sujet des infractions commises et il n'y a d'exception que pour les personnes mentionnées à l'article 438 du Code pénal.

Maintenant, quelle est la thèse de M. Guillery ? Cette thèse tendrait à faire réformer l'article 458 du code pénal et à étendre aux journalistes le privilège dont jouissent les médecins, les chirurgiens, les officiers de santé, les sage-femmes, contrairement à la jurisprudence qui existe actuellement.

Messieurs, je dois d'abord faire remarquer que nous venons de discuter le nouveau code pénal. L'affaire Outendirk, dans laquelle ces principes ont été consacrés par la cour de cassation, date de 1855 ; l'attention était donc éveillée sur la question et cependant personne, lors de la discussion du code pénal, ni l'honorable M. Orts ni aucun autre membre n'ont demandé une modification de la législation existante en cette matière. L'affaire Outendirk est certainement la plus grave qui se soit présentée (page 541) dans l'ordre de faits dont nous nous occupons. On a fait citer un journaliste qui avait parlé d'un complot sur lequel on n'avait aucun indice, et on a exigé de lui qu'il fît connaître son correspondant.

Après des débats solennels devant la cour de cassation et un remarquable réquisitoire de M. l'avocat général Failler, la cour a décidé, de la manière la plus formelle, que le droit de rechercher l'auteur en pareil cas existait, et que le juge d'instruction pouvait forcer le journaliste, sous peine d’amende, à donner son témoignage.

Eh bien, lors de la discussion du code pénal, personne n'a réclamé.

L'honorable membre va-t-il proposer un projet de loi pour réformer l'article 458 ? Car toute la question est là.

M. Guillery. - Je le veux bien, surtout si vous voulez m'aider.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Eh bien, je crois que vous auriez tort. La presse ne peut se plaindre de ce qu'un malentendu pourrait avoir existé entre elle et le juge d'instruction, cela peut arriver tous les jours ; mais des journalistes prétendent qu'ils ont le droit de publier dans leur journal tout ce qu'ils veulent concernant les crimes ou les délits, et qu'ils peuvent se retrancher derrière une prétendue immunité, que la législation actuelle ne leur reconnaît pas, pour se refuser à faire connaître la source de leurs renseignements.

Il ne s'agit évidemment pas du cas où un article publié constituerait un crime ou un délit parce que, dans ce cas, la justice trouve sa garantie dans la responsabilité de l'éditeur et ce dernier, qui est prévenu, peut se refuser à désigner l'auteur.

Il s'agit du cas où dans un journal l'on donne des renseignements sur un crime ou un délit et le journaliste se refuse à faire connaître au juge d'instruction de qui il tient ces renseignements. Le journaliste ici est exactement dans la même position que tout autre citoyen et il n'existe aucune immunité dont il puisse se prévaloir.

Maintenant si l'honorable membre dépose un projet de loi, dans quel sens le rédigera-t-il ? Sera-ce dans le sens de l'immunité de la presse ? Je ne le pense pas. Je suis persuadé que l'honorable membre rendrait par là le plus détestable service à la presse ; et si une chose m'étonne, c'est que la presse, du moins quelques-uns de ses organes dans cette occasion, n'ai pas mieux compris ses intérêts.

L'honorable membre nous dit que la Constitution n'a pas placé la presse sous le régime du droit commun. Cela est vrai, mais en certains points. La Constitution a assuré en matière de délits la responsabilité de l'éditeur au cas où l'auteur ne serait pas connus. D'où résulte, pour l'éditeur, le droit de ne pas faire connaître l'auteur des écrits incriminés.

La Constitution a ensuite déféré les délits de presse au jury. C’est une disposition qui s'explique par le caractère politique que revêtent généralement les délits de presse ; mais en dehors de ces exceptions, les journalistes sont des citoyens comme les autres et je vals montrer à l'honorable membre, en très peu de mots, les conséquences auxquelles son système peut aboutir.

Je suppose, messieurs, que vous fassiez une loi par laquelle les journalistes ne devront plus déposer des faits qui sont à leur connaissance, Et qu'ils pourront se retrancher derrière le secret qu'ils ont promis, lorsque ces faits n'auront pas été connus par eux-mêmes.

Que va-t-il arriver ? C'est que vous devrez étendre ce privilège.

Je suppose un professeur qui, usant de la liberté d'enseignement, réunit un nombreux auditoire et donne sur la criminalité une conférence. Dans cette conférence, il révèle des détails circonstanciés sur un crime qui vient de se commettre.

Le lendemain, le parquet le fait citer et le professeur répond : La liberté de la parole existe, la liberté de réunion existe et je ne veux pas faire connaître d'où je tiens mes renseignements ; j'ai promis le secret et je le tiendrai. Pourquoi ce conférencier n'aurait-il pas le même droit que le journaliste de garder le secret qu’il a promis ?

La Constitution proclame l'inviolabilité du domicile. Un individu raconte chez lui les détails d'un crime ; la justice l'apprend, elle le fait appeler. Le citoyen répond : Je tiens ces renseignements d'une personne dont je ne puis dire le nom ; l'inviolabilité du foyer domestique existe : je refuse de parler, car j'ai promis de me taire.

L'honorable M. Guillery croit-il que ces raisons soient acceptables ?

Le professeur aura beau se retrancher derrière la liberté de l'enseignement, et le citoyen derrière l'inviolabilité du domicile, le juge lui répondra : La loi fait un devoir social à tous les citoyens d’éclairer la justice, vous devez parler, et si vous ne le faites pas, vous serez condamné.

Le système de l’honorable membre, au contraire, tend à déclarer qua toute personne, car tout le monde peut se dire journaliste, et l'être en réalité au moment où il sera appelé en justice, le système de l'honorable membre, dis-je, tend à déclarer que toute personne est autorisée à refuser son concours à la justice, dès l’instant où elle a promis le silence.

Vous perdez de vue ensuite un autre côté de la question. Vous voulez accorder des immunités aux journalistes ; vous voulez les protéger d'une manière privilégiée. Faites attention. Si vous créez des immunités en faveur des journalistes, si vous leur accordez le droit d'écrire sans être astreints, comme tous les autres citoyens, à donner leur témoignage à la justice, apparemment vous devez les traiter de la même manière que les personnes qui peuvent invoquer une immunité professionnelle.

Le confesseur ou le médecin qui aura révélé un secret est puni ; vous punirez aussi le journaliste, lorsqu'il publiera le nom de la personne qui lui a fait ses confidences. Voyez d'ailleurs combien la position du journaliste diffère de celle des personnes auxquelles on veut l'assimiler. Si ces personnes parlent, elles sont punies ; le journaliste, au contraire, demande à pouvoir parler, à pouvoir profiter des confidences qui lui sont faites, mais on veut qu'après avoir mis le public dans la confidence, il se taise sur l'origine de ces secrets.

Il y a plus encore.

Je suppose qu'un journaliste public des renseignements erronés, égare la justice et fasse rester ainsi en prison un innocent pendant longtemps.

Mais si le journaliste a un privilège, il faut le punir si par ses publications, par ses fausses indications, il égare la justice et motive ou prolonge la détention d'un innocent. Le journaliste a publié des renseignements, il est appelé chez le juge d'instruction qui l'interroge ; il se retranche derrière le secret de sa profession. Soit, mais le juge d'instruction, dont le devoir est de vérifier si les faits sont exacts, emploie tous les moyens dont il dispose, fait tous ses efforts pour arriver à la découverte de la vérité. Pendant ce temps, la détention préventive se prolonge, l'individu reste en prison toujours sous le coup de l'action de la justice. Un beau jour. on constate qu'il n'y a absolument rien de vrai dans ce qu'a dit le journaliste ; mais il n'y a pas là délit de calomnie et le journaliste est assuré de l'impunité.

Il n'en peut évidemment pas être ainsi.

Si la profession de journaliste est une fonction, il faut que cette fonction soit bien remplie, et dans le cas où elle mal remplie, il faut une peine.

Vous irez donc organiser contre la presse tout un système de pénalités, car si vous prétendez que la presse exerce un sacerdoce, qu'elle exerce une fonction publique, vous devez nécessairement sévir quand cette fonction sera mal remplie, quand ce sacerdoce sera exercé au détriment de l'intérêt public ou de l'intérêt privé.

Mais ce n'est pas là, messieurs, la position qui doit être faite la presse.

La presse est un moyen de manifester ses opinions, et rien que cela.

La liberté de la presse n'existe pas uniquement pour le journaliste : chacun peut dire ce qu'il pense dans les journaux. Seulement, tant qu'on reste dans des limites déterminées, on jouit de certains avantages indiqués par la Constitution.

L'avantage, messieurs, c'est de ne pas être obligé de faire connaître l'auteur des articles et d'être justiciable du jury. Mais en dehors de cela, messieurs, gardez-vous de demander des privilèges pour la presse, gardez-vous de demander de sortir du droit commun, gardez-vous de faire en sorte que les journalistes ne soient pas traités comme les autres citoyens ; car quand ils cessent d'être des citoyens ordinaires, ils sont bien près d'être sous le coup d'un régime restrictif de leur liberté.

Le régime de faveur que vous proposeriez de leur offrir pourrait présenter de grands inconvénients ; les arguments que vous invoqueriez pour leur faire accorder des privilèges pourraient être mis en avant pour faire restreindre les avantages dont ils jouissent aujourd'hui en vertu de la législation existante.

Dans un pays comme le nôtre, où la presse est libre, ou chacun peut écrire dans les journaux, où il ne faut pas de cautionnements pour publier un journal, où le premier venu peut livrer sa pensée à tous les vents de la publicité, le journalisme n'est pas une fonction ; le journaliste, c'est le citoyen qui manifeste son opinion dans un journal ; et il n'y a pas plus de droits pour lui que pour celui qui manifeste son opinion par la parole, soit dans les conférences, soit dans l’enseignement. Si vous exigez antre chose, vous plaidez contre les intérêts de la presse ; vous en faites une sorte de fonction publique, de ministère spécial et vous appelez des (page 542) mesures de répression exceptionnelles contre la presse qui s'acquitte mal de son devoir.

Je ne saurais, pour ma part, me rallier à un système qui donnerait des immunités aux journalistes. Je veux pour eux le droit commun, parce que, en cette matière, il n'y a rien que je déteste plus que le privilège.

Tous les citoyens, selon moi, doivent être soumis à la même loi.

Le journaliste qui annonce un fait ne doit pas jouir de plus de faveur que le citoyen qui annoncerait le même fait dans une réunion publique, et si un citoyen quelconque peut être condamné à l'amende pour refus de déposer, il doit en être de même pour le journaliste.

Vous pouvez discuter l'article 80 du code d'instruction criminelle, mais si vous le changiez, il ne devrait pas être fait de distinction entre le journaliste et le citoyen qui auraient tous deux promis le secret.

Je pense donc que la thèse de l'honorable membre conduirait à des inconvénients beaucoup plus grands qu'il ne le pense, et que le prétendu privilège qu'on voudrait accorder à la presse lui coûterait cher, il lui coûterait bientôt la liberté.

M. Guillery. - Il est bien heureux, messieurs, qu'au Congrès national, il y a maintenant quarante ans, on n'ait pas été d'avis que les privilèges accordés à la presse étaient un présent funeste, et que ces privilèges auraient nécessairement pour conséquence des restrictions qui feraient à la presse une position insoutenable. Si cette doctrine avait prévalu, nous n'aurions pas la Constitution belge, nous n'aurions pas surtout, pour la presse, le régime sous lequel elle a vécu, pendant quarante ans, sous lequel elle a vécu avec honneur, pouvant servir de modèle à tous les pays de l'Europe. Car si, sous certains rapports, nous avons à regretter d'être un peu en arrière sur nos voisins, sur celui-ci nous pouvons les défier tous.

Il n'y a pas un pays qui, pendant quarante ans, ait pratiqué la liberté de la presse avec plus de modération, avec plus de dignité et avec plus de patriotisme, avec plus de modération dans les luttes politiques ; et, dans tout ce qui concernait les intérêts privés, avec plus de respect pour les intérêts des familles.

Ce qu'on n'a pu obtenir ailleurs par des mesures restrictives et des lois préventives, on l'a obtenu ici par la liberté, par la loyauté, par le sentiment de l’opinion publique qui se fait jour constamment dans un pays où il n'y a pas de loi restrictive.

Mais, messieurs, s'il est dangereux pour la presse d'exagérer ses prétentions, il est dangereux aussi de lui en prêter qu'elle n'a jamais eues. J'ai lu avec attention la plupart des journaux qui ont traité des faits qui nous occupent en ce moment, et cela n'a pas été bien difficile, puisque la plupart d'entre eux ont reproduit l'opinion de leurs confrères ; je n'ai vu nulle part défendre la doctrine que combat M. le ministre de la justice. J'ai vu que le Journal de Liége, l'Etoile, le Précurseur d'Anvers, l'Indépendance, etc., disaient, au contraire, que la presse reconnaissait qu'elle devait la vérité à la justice, lorsque le témoignage pouvait être utile à la découverte de la vérité, mais qu'elle protestait contre une inquisition sur les noms des auteurs ou sur les noms de ceux qui donnaient des renseignements aux rédacteurs de journaux, contre une législation ou une pratique qui obligerait à manquer à la parole d'honneur.

Voilà la thèse que la presse a soutenue.

Si donc j'avais à présenter un projet, je tâcherais d'abord de le déposer d'accord avec M. le ministre de la justice, avec qui je me suis trouvé d'accord en beaucoup de circonstances, et je tâcherais que ce projet fût l'expression de ce que je viens de résumer dans ces quelques observations.

La presse, messieurs, accepte cette doctrine, et j'ai bien un peu le droit de parler en son nom, car je me fais honneur d'avoir vécu longtemps dans ces rangs. La presse n'est pas dans le droit commun, et c'est une erreur de dire que la pensée manifestée par la parole ou par la presse est placée sous le même régime ; que l'homme qui use de la liberté de la parole, qui use de la liberté de l'enseignement ou qui use de la liberté de la presse sont traités de même. Non ; il n'y a pas de privilège pour celui qui use de la liberté de l'enseignement ou qui use de la liberté de la parole. Il n'a pas les trois privilèges dont je parlais tout à l'heure et qui sont inscrits dans la Constitution en faveur de la presse.

L'arrestation préventive est permise pour celui qui use de la liberté de l'enseignement ou de la liberté de la parole. S'il commet un délit, il sera jugé par le tribunal correctionnel et non par le jury, à moins qu'il ne s'agisse d'un délit politique. Les règles de la complicité seront celles du droit commun.

Par conséquent, la position n'est pas la même. Il y a pour la presse une position exceptionnelle, et c’est là le côté politique de la question. C'est là ce qui m'excusera peut-être de prendre la parole une troisième fois. C’est pour cela que je ne crois pas qu'il soit indigne de la Chambre de s'occuper quelque temps de cette question ; à coté de la question juridique il y a le coté politique, et le coté politique est celui-ci : Vous avez un article 80 du code d'instruction criminelle qui dit que l'on doit déposer quand on en est requis ; c'est évident. Vous avez un autre article qui dit quelles sont les personnes qui sont dispensées de déposer. Mais vous avez aussi l'article 458 du code pénal, qui punit certaines personnes lorsqu'elles révèlent un secret, et cet article a eu, évidemment, pour conséquence de dispenser ces personnes de déposer lorsqu'elles ont un secret professionnel el, cependant, il y a toujours une question de fait à résoudre, et il se présente de nombreuses controverses devant les tribunaux.

Lorsque le juge reconnaît chez le témoin un devoir d'honneur qui lui défend de répondre, c'est parce qu'il reconnaît qu'il y a une loi au-dessus des lois, une loi qui ne permet pas de violer un secret ; et alors il doit examiner si le témoin est réellement dépositaire d'un secret.

Si c'est un prêtre et qu'il s'agisse d'un secret de confession, le juge respectera ce secret et cependant la loi ne le lui ordonne pas ; mais, je le répète, il y a la loi des lois. Si c'est un avocat, si c'est un médecin, si c'est un notaire, la solution sera la même en cas de secret professionnel.

Il y a toujours les questions de fait, la question d'honnêteté, et alors même que la loi ne dispense pas, un juge sage et prudent trouve souvent qu'il n'y pas lieu d’insister.

Et maintenant si je remonte du code d'instruction criminelle à la Constitution, je vois la liberté de la presse garantie par la Constitution et je demande quelles sont les conditions essentielles de l'exercice de cette liberté ; n'ai-je pas le droit de dire que le témoin cité devant le tribunal pour être interrogé sur le nom de l'auteur, que ce témoin pourra faire observer au tribunal que l'une des conditions essentielles de la liberté de la presse serait méconnue s'il devait répondre à cette question.

Il y a, messieurs, différentes manières de méconnaître la liberté de la presse ; on peut la méconnaître directement ou indirectement.

Je vois que l'honorable chef du parquet reconnaît, dans sa lettre à M. le ministre de la justice, qu'il n'a pas le droit de citer un éditeur pour lui demander le nom de l'auteur d'un article. Il le reconnaît. C'est cependant ce qu'il fait. Il feint de ne pas le faire, mais il le fait. Dans l'affaire Outendirk, le prétexte était de savoir quels étaient les agitateurs qui cherchaient à amener des troubles à Bruxelles et il fallait aller demander à Anvers le nom du correspondant d'un journal pour savoir ce qui se passait à Bruxelles, quels étaient les instigateurs de troubles qui n'existaient pas, dont la crainte n'inquiétait personne ! ...

Il n'y avait rien de troublé que le parquet de Bruxelles.

Et quand, après s'être servi de ce prétexte au mois de septembre 1855, on continue cette singulière procédure dont j'ai parlé, nous arrivons à l'arrêt de la cour de cassation du 21 janvier 1856 ; c'était encore la même question qu'au mois de septembre. Ne voulait-on pas savoir le nom du correspondant de l'Avenir parce qu'on soupçonnait que c'était un fonctionnaire public ? N'était-ce pas pour le rendre responsable ? S'il en avait été autrement, on n'aurait pas poursuivi la procédure aussi loin. C'est le 22 novembre 1855 qu'a été rendue la deuxième ordonnance du juge d'instruction de Malines, qui condamnait de nouveau Outendirk, cité le 10 septembre. Ainsi, les vingt derniers jours de septembre, tout le mois d'octobre et la plus grande partie du mois de novembre s'étaient écoulés, quand on faisait encore condamner Outendirk pour savoir ce qui se passait à Bruxelles. Et pendant ces trois mois, il n'y avait pas eu moyen de découvrir quoi que ce fût au sujet des troubles ! Il faut avouer que le parquet n'était pas plus heureux alors qu'aujourd'hui dans la manière de découvrir les crimes et délits.

C'est le 1er décembre que le procureur général, dans une lettre adressée au ministre de la justice, développe cette théorie, en vertu de laquelle on peut condamner tous les jours un témoin qui refuse de déposer.

Quant au fond du débat, je ne veux pas, messieurs, dire en faveur des journaux plus qu'ils ne disent eux-mêmes. Je ne dis pas qu'ils ont le droit de refuser de répondre à toutes les questions ; mais ils sont les premiers à dire qu'ils s'empresseront de déclarer à la justice tout ce qu'ils pourront faire connaître.

N'oublions pas que c'est à la presse que l'on a souvent dû la découverte des plus grands crimes.

C'est elle qui, dans des cas où la police avait été impuissante, a, en (page 543) attirant l'attention, soit de fonctionnaires publics, soit de particuliers, sur certains faits, amené la découverte de crimes importants.

Sans prétendre que, chaque fois que l'on est dépositaire d'un secret, on puisse se dispenser de répondre, je dis que lorsque les conséquences de la question seraient de nature à faire connaître l'auteur de l'article et n'auraient pas d'autre but ni d'autre résultat, Il n'y a pas lieu de répondre. On trouve l'application de ce principe dans l'ancienne jurisprudence comme à notre époque.

Ce n'est, messieurs, qu'en pratiquant la liberté de la presse comme elle a toujours été pratiquée, ce n'est qu'en respectant les droits de chacun que nous arriverons à faire produire à nos lois tous les fruits que nous devons en attendre.

Permettez-moi, messieurs, de terminer par un exemple qui vous montrera que cette non-révélation des auteurs est si bien une des conditions essentielles de la liberté, qu'elle a été reconnue dans un pays où elle n'est pas en honneur comme dans le nôtre.

A côté de la vérité juridique, à côté de l'application de la loi par la magistrature, il y a le côté social et politique dont le parlement doit s'occuper ayant tout.

Voici ce que je lis dans le Moniteur du 12 août 1862 :

« Prusse. Berlin, 7 août 1862.

« La chambre a discuté longuement hier une pétition du rédacteur de la Gazette de Mandebourg, qui se plaignait d'avoir été obligé illégalement de dénoncer l'auteur d'une correspondance sur les affaires d'Anhalt-Bernbourg. Le ministre de la justice a cherché à justifier les procédés des tribunaux dans cette circonstance et dans plusieurs autres semblables.

« La chambre a adopté enfin les conclusions de sa commission, qui proposait le vote d'un projet de loi ainsi conçu :

« Les imprimeurs. éditeurs, libraires, commissionnaires et rédacteurs, ne pourront être obligés par des voies de contrainte de rendre témoignage sur les rédacteurs ou éditeurs d'imprimés, articles et insertions, ni sur l'origine de communications de ce genre. »

Cet article, messieurs, exprime parfaitement ma pensée. Il montre que l'éditeur ou l'imprimeur ne doit pas faire connaître l'auteur, lorsqu'on leur demande cette révélation non pour obtenir des renseignements sur les faits rapportés dans l'article, mais uniquement pour connaître la personne de l’auteur.

Que l'on exige de celui qui comparait comme témoin de dire tout ce qu'il sait pour mettre la justice sur la voie des auteurs d'un crime, mais qu'on ne lui demande pas ce que son honneur lui défend de faire.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable membre vient de nous citer une disposition qui existerait en Prusse.

Je doute qu'elle ait l'étendue que lui donne l'honorable membre. Il serait défendu, d'après l'article qu'il vient de nous lire, de faire déposer les éditeurs sur les noms des rédacteurs.

Mais cela s'applique-t-il au cas où des éditeurs sont interpellés sur des crimes ou délits qui ne les concernent pas ? Là est toute la question.

S'il s'agit uniquement d'un article incriminé, la même disposition existe dans notre législation ; l'imprimeur étant responsable, il n'est de mettre en cause ni l'éditeur ni l'auteur.

Mais il reste une dernière difficulté entre l'honorable M. Guillery et moi et il importe de nous entendre.

M. Guillery nous dit : Je ne demande pas de privilège pour la presse, les journalistes sont tenus de venir déposer devant le juge d'instruction lorsqu'ils en sont requis, et ils ne refusent pas de le faire. Ici nous sommes contraires en fait.

Il y a des journaux qui se sont associés à l'appel de l'Etoile exclusivement à cause de cette circonstance que l'on voulait obtenir de l'Etoile la révélation d'une prétendue indiscrétion. Beaucoup de journaux se sont prononcés en ce sens et ont déclaré qu'ils ne trouvaient pas cela légal.

Nous partageons cet avis, mais d'autres journaux ont affirmé le droit de ne pas faire connaître la source d'où ils tenaient les renseignements qu'ils auraient publiés sur des crimes ou des délits, et c'est de ce point-là seulement qu’il s'agit.

L'honorable M. Guillery dit : Les journalistes veulent bien déposer. Oui, mais comment le font-ils ? Un article est publié, donnant les circonstances les plus détaillées sur un fait et tendant à établir la culpabilité d'une personne déterminée.

On interroge le journaliste qui répond, comme cela s'est passé dans un des cas qui nous occupent :

« Personnellement, je ne sais pas si, oui ou non, la clef du cabinet avait été enlevée de l'extérieur ; Je ne sais pas non plus personnellement si le prévenu avait fait la rencontre de la jeune fille dans la journée ; Je ne sais pas non plus, personnellement. s'il s'était rendu au théâtre.

« Il en est de même quant à l'allégation contenue dans l'article du 14 ; je n'étais pas là, je n'ai rien vu de ces faits, je ne puis donc personnellement savoir s'ils sont exacts oui ou non. Tous ces faits m'ont été affirmés par diverses personnes honorables. »

Le juge demande alors au témoin qu'il veuille bien indiquer le nom de ces personnes afin qu'il puisse les assigner comme témoins. Et le témoin de répondre : « Je ne puis vous faire connaître les noms de ces personnes. Je persiste à cet égard dans la déclaration que j'ai faite devant vous avant-hier. »

Eh bien, je dis que ce n'est pas là renseigner la justice.

Le juge d’instruction se trouve devant l'allégation d'un journaliste, allégation qui doit avoir son importance, le journaliste étant un honnête homme, et qui tend à établir la culpabilité du prévenu.

Le journaliste dit qu'il tient ses renseignements de personnes honorables. Que fait le juge d'instruction ? Il dit au journaliste : Faites-moi connaître le nom de ces personnes honorables. Si vous vous y refusez, vous ne m'avez rien appris.

Il faut bien considérer que les articles de journaux sont importants au point de vue de la prévention, dans le cas qui nous occupe ; sans ces articles, l'instruction aurait pris peut-être une autre tournure, et l'innocence du prévenu aurait pu être reconnue plus tôt. Eh bien, messieurs, je le demande, si vous accordiez une immunité au journaliste, permettriez-vous qu'il se retranchât derrière le respect de la parole donnée, du secret pour nuire à un particulier ? Evidemment non, le privilège aurait pour conséquence la création d'un nouveau délit contre les journalistes qui, par de fausses nouvelles, auraient nui à des particuliers. Vous le voyez donc, messieurs, faire aux journalistes une position spéciale, c'est aller contre leur propre intérêt.

L'honorable membre dit que l'éditeur ne doit pas révéler l'auteur ; nous l'admettons, mais c'est lorsqu’il s'agit d'un délit de presse.

Nous n'avons pas dit que la Constitution n'avait pas donné des avantages à la presse. Mais en a-t-elle donné en matière de déposition en justice ? Non, tous les citoyens sont tenus de faire connaître à la justice ce qu'ils connaissent. Et cela est important.

Un des plus grands dangers de la société, c'est la difficulté d'atteindra le crime. Les crimes sont commis aujourd'hui avec une telle habileté, qu'un grand nombre échappent à la perspicacité de la justice. Pouvez- vous, dans une matière aussi importante, désarmer la justice du droit d’interroger les citoyens ?

L'honorable membre nous dit : Il y a des cas où le secret est admis ; pourquoi ne les étendez-vous pas aux journalistes ? Quelle comparaison ! La jurisprudence a parfaitement bien fait la différence entre les secrets : il y a des secrets nécessaires. et des secrets volontaires.

Je comprends parfaitement qu'un médecin qui, en traitant un malade, découvre un fait honteux, ne soit pas obligé de le révéler à la justice, attendu qu'il est indispensable que le malade reçoive ses soins.

Je comprends qu'un ministre du culte ayant reçu en confession la révélation d'un semblable fait, reste dépositaire de son secret, parce que l'individu en danger de mort a le droit, en vertu de la liberté de conscience, de réclamer le concours d’un ministre du culte et que celui-ci ne peut pas le refuser.

Il en est de même de l'avocat, qui doit défendre son client ; de même encore du notaire, dépositaire de secrets par profession.

Mais le journaliste ! Le journaliste, c'est vous, c'est moi. Etes-vous obligé de publier un article ? Nullement ; si une personne vient vous offrir des renseignements déclarant qu'elle ne veut pas se faire connaître, qu'est-ce qui peut vous obliger à les publier ? Si vous le faites, c'est que vous le voulez bien et alors pourquoi vous refuser à faire connaître la source de vos renseignements ?

Je ne trouve donc pas de véritable raison pour donner à la presse une position spéciale, pour lui donner des privilèges qui pourraient un jour tourner contre elle.

Dans tous les pays, messieurs, ce qu'on demande pour la presse, c'est le droit commun et, dans ces conditions, elle n'a rien à redouter. Mais si vous lui donnez des privilèges, si vous la placez dans une position spéciale, soyez convaincus que ces avantages-là auront leur lendemain et que la liberté de la presse ne sera bientôt plus qu'un mot. Je crois que le meilleur moyen pour la presse de conserver sa liberté, c'est de ne jamais (page 544) revendiquer pour elle que les droits primordiaux, les droits naturels qui appartiennent tous les citoyens.

Hors de là, il n'y a plus pour elle qu'une situation factice, parce que là où il y a privilège, vous êtes exposé à voir, le lendemain, surgir une restriction. Quant à moi, messieurs, je ne veux pas de cette position pour la presse, parce que je considère sa liberté comme indispensable, que je veux la garantir contre toute réaction et la maintenir dans la voie où elle est depuis quarante ans et dans laquelle elle n'a cessé de prospérer.

- L'incident est clos.

Ordre des travaux de la chambre

M. Bouvierµ. - Notre ordre du jour étant pour ainsi dire épuisé, je demande à la Chambre de s'ajourner au mardi 8 mars prochain. Pendant cette période, nous pourrons nous livrer à l'étude de divers projets de loi très importants et des articles du code pénal militaire qui se trouve inscrit en tête de notre ordre du jour pour notre rentrée.

- Cette proposition est adoptée.

En conséquence la Chambre s'ajourne au mardi 8 mars prochain.

La séance est levée à 5 heures.