Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 18 février 1870

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1869-1870)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 502) M. de Vrintsµ fait l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuinµ donne lecture du procès-verbal le la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Vrints présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Bruxelles demandent que le gouvernement soit interpellé sur la question de savoir si la nomination d'un administrateur de la compagnie des chemins de fer de l'Est français aux fonctions de directeur de la société du chemin de fer du Luxembourg n'est pas une violation de la loi votée l'an dernier ou si elle est une manœuvre de bourse. »

« D'autres habitants de Bruxelles appellent l'attention de la Chambre sur le même fait. »

M. De Fréµ. - J’ai l'honneur de demander à la Chambre un prompt rapport sur ces pétitions.

Les pétitionnaires insinuent que, malgré la loi qui a été votée l’année dernière, la fusion est faite entre l'Est français le Grand-Luxembourg. Ils demandent que le gouvernement proteste contre une pareille fusion. Moi-même je viens me joindre aux pétitionnaires en demandant un prompt rapport, afin que le gouvernement puisse, dans le plus bref délai, protester contre un fait qui me semble impossible, parce que ce fait serait la violation d'une loi que nous avons votée l'année dernière, et que le gouvernement n'aurait pas laissé commettre.

MfFOµ. - On peut répondre à la question que posent l'honorable membre et les pétitionnaires, sans attendre un rapport de la commission.

Ils demandent que le gouvernement proteste contre l'insinuation ou l'assertion qu'il y aurait fusion entre la compagnie du Grand-Luxembourg cl celle de l'Est. Cette protestation peut se faire immédiatement.

Il y a eu un changement de personnes. Un Anglais, qui était administrateur délégué d'une des compagnies, a été remplacé par un Français, qui est en même temps directeur du Guillaume-Luxembourg, chemin de fer exploité par la compagnie de l'Est.

Voilà la situation.

Or, il est évident qu'il faut autre chose pour opérer une fusion, et les compagnies sont les premières à déclarer que leur indépendance et leur autonomie complète continuent à subsister.

Il est incontestable que si l'on tentait d'opérer une fusion malgré les intentions si clairement manifestées par le gouvernement et par les Chambres, nous avons des moyens efficaces de nous opposer à ce que cette fusion pût s'accomplir.

M. le président. M. De Fré, persistez-vous dans la demande de prompt rapport ?

M. de Fréµ. - J'accepte avec une vive satisfaction la déclaration du gouvernement. Il était impossible, en effet, qu'après avoir été armé comme il l'a été l'année dernière, il permît une pareille violation de la loi, sans se servir des moyens que la loi a mis à sa disposition.

Quant à la demande de prompt rapport, elle devient sans objet, en présence des explications fournies par M. le ministre des finances.

- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions.


« M. le ministre de la justice adresse à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire des sieurs B.-C. Jacobs et F..G. Jacobs. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Beke, appelé à Ypres pour des affaires administratives, MM. Nothomb et Royer de Behr, retenus par indisposition, demandent un congé de quelques jours. »

- Ces congés sont accordés.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bouillon, le 15 décembre 1869, des habitants de Bouillon demandent une large extension du droit de suffrage pour la commune, basée sur le cens et sur l'adjonction des capacités.

Pour éviter une double discussion, votre commission, messieurs, a conclu au dépôt sur le bureau pendant l'examen du projet de loi relatif à la composition du cens provincial et du cens communal.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition sans date, des armateurs et patrons de navires de pêche à Heyst réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir la construction de deux nouvelles jetées en fascinage.

Messieurs, cette pétition semble assez importante au point de vue des armateurs et des patrons des navires de pêche à Heyst, qui courent chaque jour des dangers en s'approchant de la côte. Voici comme ils s'expriment :

« Le seul moyen d'obvier à cette situation pleine de périls, le seul remède à un mal toujours croissant, de nature à renforcer au point désigné la dune de mer, en même temps qu'à concilier les intérêts de l'industrie des bains et de la pêche, c'est la construction de deux épis ou brise-lames en fascinage.

(page 503) L'administration communale s’étant, à différentes reprises, vainement adressée au gouvernement pour obtenir l'exécution d’un travail de si minime importance au point de vue financier, mais cependant si essentiel et appelé à rendre tant de services à une industrie périlleuse et rudement éprouvée, les soussignés armateurs et pêcheurs d'Heyst croient pouvoir faire appel à votre bienveillante sollicitude et même à votre humanité, messieurs, pour obtenir le travail réclamé. »

La commission a conclu au renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Dottignies, en décembre 1869, le sieur Messien prie la Chambre de lui faire obtenir de l'administration des hospices de Bruxelles l'autorisation de traiter des malades dans une des salles de l'hôpital.

Messieurs, vous comprenez que la Chambre n'est pas compétente pour autoriser le sieur Messien à faire des expériences dans les hospices de la ville. Il s'est déjà adressé aux administrations des hospices, qui lui ont répondu qu'ils avaient leurs docteurs en médecine et chirurgie préposés aux hôpitaux. D'ailleurs, si le sieur Messien a un remède particulier, qui soit bon à faire valoir, il n'a pas besoin d'essayer ce remède dans les hospices de Bruxelles ; il peut, en traitant les malades chez lui, obtenir des succès tout aussi grands que ceux qu'il obtiendrait dans les hospices.

Votre commission, messieurs, conclut au dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition en date d'octobre 1869, des habitants de Boitsfort, de Watermael et d'Auderghem demandent l'abolition de la barrière concédée sur la route d'Auderghem à Boitsfort.

Messieurs. les barrières ont été abolies en général, les barrières communales, les barrières provinciales et les barrières de l'Etat, mais les barrières concédées dépendent naturellement des compagnies concessionnaires.

Votre commission, messieurs, ne croit pas que la Chambre ait le moyen de donner raison aux pétitionnaires.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le dépôt au bureau des renseignements.

- Adopté.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition sans date. des propriétaires et fermiers de terres et prairies situées au polder Saint-Onolphe sous Termonde, demandent le droit de passage sur l'Escaut avec bacs et bateaux, pour le transport de leurs ouvriers, récoltes et denrées alimentaires.

Il paraît, messieurs, d'après les pétitionnaires qu'autrefois ce droit existait et que, depuis quelque temps, on leur interdit de faire usage du droit de passer leurs récoltes et leurs ouvriers dans leurs bacs et bateaux.

Votre commission a cru qu'il est juste de continuer à ces propriétaires riverains le droit qu'ils ont toujours eu.

C'est dans ce sens que votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre des finances.

M. Vermeireµ. - Messieurs, j'appuie les conclusions du rapport qui vient d'être fait par l'honorable M. Vander Donckt.

L'année dernière, une pétition semblable a été adressée à la Chambre.

Les propriétaires de Saint-Onolphe ont toujours eu le droit d'aller chercher leurs récoltes au moyen de bacs de l'autre côté de l'Escaut sans payer aucun droit.

Le fermier actuel du passage leur conteste ce droit. Comme la navigation est déclarée libre sur l'Escaut, je crois que l'on ne peut empêcher les particuliers de le traverser et de transporter leurs récoltes. Seulement il est interdit de faire la concurrence ceux qui ont l'entreprise du transport des passagers.

J'espère du reste qu'il ne sera plus nécessaire de pétitionner longtemps. Les barrières sont déjà abolies sur les routes de l'Etat ; elles le seront bientôt, je l'espère, sur les routes provinciales et communales. A plus forte raison, les péages pour les passages d'eau devront également disparaître.

J'appuie donc le renvoi de la pétition à M. le ministre des finances.

- Les conclusions du rapport sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition sans date, des habitants de Cherscamp demandent une enquête sur la gestion financière de la commune et du bureau de bienfaisance.

Cette affaire, messieurs, est d'une haute importance. Les pétitionnaires signalent plusieurs griefs très graves, s'ils sont fondés. Ou bien il y a malversation de la part de l'administration communale de Cherscamp, ou bien il y a de la part des pétitionnaires.

Evidemment, MM. les ministres de l'intérieur et de la justice ne pourront se dispenser de faire une enquête sur les faits allégués.

Les pétitionnaires s’expriment dans les termes suivants :

« 1° Il y a plusieurs années, une somme de 3,000 francs appartenant à la commune a été placée chez un notaire des environs à 4 p. c., et les intérêts produits jusqu'au remboursement n'ont pas été versés à la caisse communale et ne figurent dans aucun compte. Ils s’élèvent ) 321 fr. 36 c. ;

« 2° Un certain Pierre Broukaert a payé un fermage de 17 francs revenant à la commune. Cette somme n'a pas été versée dans la caisse communale ;

« 3° En février 1865, M. le bourgmestre de la commune de Cherscamp a, sans autorisation soit du conseil, soit de la députation permanente, vendu des arbres appartenant à la commune. Le produit s'en est élevé à 105 francs et n'a pas été versé à la caisse communale ;

« 4° En 1864 ou 1865, une petite parcelle de terrain communal a été vendue par le même à un nommé Joseph Van Durme, propriétaire du terrain limitrophe. D'après les bruits qui circulent, le prix aurait été de 35 à 40 francs et n'a pas été versé à la caisse communale ;

« 5° Il a été constaté, par un jugement du tribunal correctionnel de Termonde du 12 février 1869, que M. le bourgmestre de Cherscamp avait émis des mandats que ce jugement a qualifiés de faux, ce, durant les années 1862, 1863, 1864, 1865, 1866 et s'il a été établi à l'audience que partie de ces mandats ont servi à couvrir des dépenses non autorisées, on n'a pu jusqu'à présent justifier l'emploi du restant.

« En ce qui concerne le bureau de bienfaisance :

« 1° L'adjudication totale du fermage des biens, opérée le 10 août 1864, s'élève à.' 1,091 fr. 25 c., et cependant les comptes annuels de ce bureau prouvent qu'il est reçu annuellement 15 francs de moins. Cette diminution provient de remises arbitraires et illégales, savoir : de 6 francs sur le fermage dû par le garde champêtre, de 4 francs sur le fermage dû par le sieur Godefroid Dacus, et de 5 francs sur le fermage dû par le sieur Van Leuven ;

« 2° Des arbres appartenant au bureau ont été vendus de la main à la main au sieur Godefroid Dacus pour le prix de 80 francs ; le bureau n'avait pas autorisé cette vente, ni le conseil communal, ni la députation permanente ; la valeur marchande de ces arbres était de loin supérieure à ce prix de 80 francs.

« Si les sommes dont il s'agit sont petites, elles ont une grande importance pour une commune dont les ressources sont faibles ; mais ce qui est plus important, c'est la manière dont les lois et les principes d’administration ont été violés. A tous ces titres les soussignés vous prient, messieurs, d'interposer vos bons offices pour faire redresser ces justes griefs, et en empêcher le retour.

Ainsi, messieurs, de deux choses l'une : ou il y a malversation de la part des administrateurs de la cde Cherscamp, ou il y a calomnie de la part des pétitionnaires qui dénoncent l'autorité communale. On ne peut sortir de ce dilemme. Il faut donc ou que les administrateurs soient punis du chef de malversation ou que les pétitionnaires soient punis du chef de calomnie.

Dans ce sens, votre commission a conclu au renvoi de la pétition à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice.

M. Vermeireµ. - Je viens appuyer les conclusions formulées par. l'honorable rapporteur et prier MM. les ministres de l'intérieur et de la justice de vouloir bien ordonner une enquête sur les faits dénoncés. Si les faits sont réels, les administrateurs communaux doivent être punis ; s'ils ne le sont pas, il y a calomnie. Il convient que le jour se fasse sur des faits aussi graves.

- Les conclusions tendantes au renvoi de la pétition à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi révisant le code de commerce (titre III, livre premier : Des sociétés)

Discussion des articles

Section IV. Des sociétés anonymes

Paragraphe 5. Des assemblées générales
Article 53

« Art. 53. Les statuts déterminent le mode de délibération de l'assemblée générale et les formalités à remplir pour y être admis.

« Les propriétaires d'actions ont, nonobstant toute clause contraire, le droit de voter par eux-mêmes ou par mandataire ; nul ne peut prendre part au vote pour un nombre d'actions dépassant la cinquième partie du nombre d'actions émises, ou les deux cinquièmes des actions représentées.

« Les décisions sont prises à la majorité des actionnaires présents. »

M. le président. - M. Bruneau propose de remplacer les mots . « la cinquième partie » par ceux-ci : « la moitié », et les mots : « les deux cinquième des actions », par : « la moitié des actions ».

M. Dewandreµ. - Messieurs, j'ai cherché à comprendre par le texte (page 504) de l'article 53 si les statuts pourraient indiquer, comme le proposait le projet du gouvernement, le nombre des actions qu'il est nécessaire de posséder soit à titre de propriétaire, soit à titre de mandataire pour être admis voter à l'assemblée générale.

Cette partie du texte du projet du gouvernement a disparu du projet de commission et elle est remplacée par la disposition suivante : « Les propriétaires d'actions ont, nonobstant toute clause contraire, le droit de voter par eux-mêmes ou par procuration. »

Il m'a semblé, à la lecture de ce texte, que la commission avait voulu dire que les statuts ne pourraient pas empêcher le porteur d'une seule action de venir voter pour cette action à l'assemblée générale.

Cependant le texte n'étant pas bien clair, j'ai eu recours au rapport et j'y ai trouvé l'explication que voici :

« C'est aux statuts à déterminer le mode de procéder des assemblées générales. Le texte se borne ici, par une double disposition, à ne prohiber l'élimination d'aucun actionnaire de l'assemblée générale et empêcher l'absorption de la délibération par quelques forts actionnaires, qui pourraient ne pas toujours avoir le même intérêt que la masse de leurs cointéressés.

Messieurs, il me paraît évident qu'il y a dans le rapport une faute d'impression, et qu'au lieu du mot « prohiber » qui s'y trouve, il faut lire « permettre » ou « autoriser », car dire que le texte se borne par une courte disposition à ne prohiber l'élimination d'aucun actionnaire, cela me semblerait vouloir dire qu'on permet l'élimination de tous les actionnaires.

Cela n'est pas invraisemblable. Donc le projet de la commission doit être entendu en ce sens que les statuts ne pourront pas stipuler qu'il faudra être propriétaire d'un certain nombre d'actions pour pouvoir voter à l'assemblée générale.

D'après la proposition faite primitivement par le gouvernement, et qui était conforme à tous les usages, il en était autrement : la loi laissait aux fondateurs des sociétés, aux personnes qui voulaient s'y intéresser par des souscriptions d'actions, le soin de régler ce point par les statuts.

Je vois pas pourquoi nous ne maintiendrions pas cette disposition.

Il peut, en effet, se rencontrer des cas, par exemple celui où chaque action est d'une très petite valeur, où il peut-être utile de convenir d'avance que pour voter il faudra être propriétaire de plusieurs actions.

Je propose donc à la Chambre de revenir à la disposition du projet du gouvernement, qui est ainsi conçue ;

« Les statuts déterminent le mode de délibération, le nombre d'actions qu'il est nécessaire de posséder, soit à titre de propriétaire, soit à titre de mandataire, pour être admis dans l'assemblée, et le nombre de voix appartenant à chaque actionnaire, eu égard au nombre d'actions dont il est porteur. »

Cela formerait le commencement de l'article 53.

Viendrait alors le paragraphe final de l'article 53 du projet du gouvernement, avec ou sans l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Bruneau.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vois pas d'inconvénient à ce que l'on revienne au paragraphe 3 de l’article 53 du projet du gouvernement.

Mais alors il faut aussi voter sur la partie suivante du paragraphe 3 : « Nul ne peut prendre part au vote pour un nombre d'actions dépassant la cinquième partie du nombre d'actions émises, ou les deux cinquièmes des actions représentées. »

Mais le législateur doit poser une limite.

M. le président. - Le paragraphe serait donc ainsi conçu :

« Nul ne peut prendre part au vote pour un nombre d'actions dépassant la cinquième partie du nombre émises et les deux cinquièmes des actions représentées »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il faut ajouter le mot : « toutefois ».

M. de Rossiusµ. - M. le ministre de la justice croit-il possible d'assurer l'exécution de la disposition de l'article 53 qui limite le droit de vote des gros actionnaires ?

Je n'admets pas que le législateur puisse introduire dans la loi une disposition qu'il sait devoir être éludée.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a une disposition pénale.

M. de Rossiusµ. - Oui. Je connais cette disposition pénale ; mais elle donne lieu à cette question : Comment se fera la preuve que l'actionnaire inscrit sur les registres ou porteur des titres n'est pas le véritable propriétaire des actions qu'il a représentées ?

Aujourd'hui. sous l'empire du code de 1808, qui oblige à réclamer l'autorisation gouvernementale, nulle société ne peut se constituer si ce n'est avec une disposition qui limite le droit de vote des gros actionnaires et, qui de plus, ne donne l'accès de l'assemblée générale qu'à celui qui possède un certain nombre de titres.

Le gouvernement a imposé aux sociétés existantes des restrictions en bas et des restrictions en haut.

Une voix est attachée à la possession de dix titres, si je ne me trompe, lorsque le titre est de 500 francs ; lorsqu’il est de 1,000 francs, une voix est accordée à la possession de cinq pièces.

C'est la restriction en bas.

Le gouvernement a dit également aux fondateurs des sociétés : Nous voulons une restriction en haut ; quel que soit votre nombre d'actions, vous ne pourrez paraître efficacement à une assemblée générale et y voter que comme porteur de cent titres, en eussiez-vous cinq cents.

C'est la restriction en haut.

Mais il est arrivé ceci : la restriction du gouvernement a été constamment éludée, parce qu'il est impossible de faire admettre par un actionnaire qui possède les deux tiers ou la moitié d'une affaire, qu'il ne doit pas exercer une influence très considérable proportionnée à l'importance de son intérêt.

On a donc violé la loi en s'adressant à des personnes complaisantes qui ont consenti à paraître à l'assemblée générale comme porteurs de titres.

Aujourd'hui le gouvernement, l'article 53, abandonne dans une certaine mesure la restriction qu'il a imposée.

Il fait un pas dans la voie de la liberté des conventions. Il nous dit : On pourra dorénavant voter pour un nombre d'actions égal au cinquième du nombre des actions émises et égal aux deux cinquièmes du nombre des actions représentées.

Messieurs, je crois qu'ayant l'expérience du passé, nous devons nous garder de décréter la limitation proposée. Je pense que ce qui s'est fait sous l'empire de l'autorisation du gouvernement se fera sous l'empire de la nouvelle loi, que se reproduire cette pratique de la répartition des titres des gros actionnaires entre les mains de tiers qui se présenteront à nos assemblées générales et voteront comme s'ils étaient des détenteurs sérieux.

Je comprendrais l'article 55 s'il était possible d'en assurer l'exécution.

Le gouvernement espère que sa disposition sera observée, parce qu'il a introduit dans le projet une pénalité contre ceux qui prennent part au vote dans une assemblée générale d'actionnaires sans être propriétaires des titres :

« Seront punis d'une amende de 50 francs à 10,000 francs :

« Ceux qui, en se présentant comme propriétaires d'actions ou de coupures d'actions qui ne leur appartiennent pas, ont pris part au vote une assemblée générale d'actionnaires ;

« Ceux qui ont remis les actions pour en faire l'usage ci-dessus prévu. »

Très bien, mais pour que cette disposition pénale soit sérieuse et qu'elle assure l'exécution de l'article 53, il faut qu'on puisse faire la preuve que le détenteur d'un titre n'en est pas le véritable propriétaire. Aujourd'hui, d'après les dispositions de l'ancien code de commerce et d'après celles que nous venons de voter, comment se constate et se constatera la propriété des actions ?

Si elles sont nominatives, la propriété se constate par l'inscription sur les registres de la société. L'inscription fait preuve complète. Du moment que vous êtes inscrit, vous êtes propriétaire. S'il s'agit d'une action au porteur, on fait la preuve de sa propriété par la possession du titre. Je demande si, pour assurer l'exécution de l'article 84, il sera possible d'intenter un procès à celui qui aura comparu dans une assemblée générale porteur de ses titres. (Interruption.) On pourra le faire ! Quels seront vos moyens de preuve ? (Interruption.)

Il s'agit de savoir si vous pouvez établir pratiquement que le porteur des titres n'en est pas propriétaire ? (Interruption.) Ah ! vous pouvez déférer le serment.

Voyons. de deux choses l'une, ou les intéressés intenteront une action devant les tribunaux civils, ou bien ils porteront plainte, et des poursuites correctionnelles auront lieu ; dans le dernier cas, vous pouvez pas déférer le serment au prévenu, et il vous dira : J'étais porteur des titres ; je n'ai pas d'autre preuve à fournir.

Dans le second cas. celui d'une action civile en dommages-intérêts, pourra-t-on déférer le serment au défendeur qui était porteur ou inscrit sur les registres de la société comme titulaire d'actions nominatives ? Pourra-t-on l'interroger sur faits et articles ?

Je ne le crois pas, par cela même que la possession et l'inscription sur les livres font preuve entière de la propriété du titre au porteur et du titre nominatif.

Si vous maintenez toute la force des dispositions des articles 35 et 57, votre article 84 est inefficace.

(page 505) C »est en vain que vous introduisez dans la loi une pénalité contre l'abus que vous redoutez, l'abus subsistera. La condamnation du propriétaire apparent ne pourra être prononcée, et l'article 53. qui ne permet pas à un actionnaire de représenter au delà des deux cinquièmes des actions déposées, restera une lettre morte.

Je demande donc positivement à M. le ministre de la justice si l'intention du gouvernement est d'infirmer par l'article 84 la force, la valeur des dispositions qui régissent le transfert des actions dans les sociétés anonymes.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable membre n'a prouvé qu'une chose : c’est qu'il sera peut-être difficile de faire la preuve ; mais ce n'est pas là une raison pour empêcher de créer le délit.

Il est à ma connaissance que l'on a annulé, il y a quelque temps, en France, des décisions prises dans des assemblées générales qui avaient été tenues avec le concours de tiers qui étaient porteurs d'actions dont ils n'étaient pas propriétaires. l'ai en ma possession des pièces qui prouvent qu'à des assemblées générales des personnes ont voté avec des titres qui ne leur appartenaient pas. Mais, messieurs, il y a une foule de gens qui n'aiment pas à manquer à leur conscience et qui ne se parjureraient pas pour cacher une fraude semblable.

Voilà un individu qui n'est pas solvable, qui n'avait pas d'actions. On le voit figurer dans une assemblée générale. La justice est saisie. Elle pourra très bien avoir la preuve que des tiers sans droit ont pris part au vote. Autre cas, Il y a un procès civil engagé. De ce procès peut résulter la preuve du délit.

Nous n'avons nullement dérogé aux principes dit droit criminel qui empêche que des individus soient interrogés sous serment lorsqu’ils sont prévenus, mais nous aurons recours à tous les moyens de preuve pour établir que l'individu n'était pas propriétaire réel. Si les faits ne sont pas prouvés, il sera acquitté.

M. de Rossiusµ. - Alors l'article 53 ne sera pas exécuté.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il sera exécuté dans la plupart des cas, et ce n'est pas cette crainte qui doit faire repousser la disposition.

M. de Macarµ. - Je n'ai qu'un mot à ajouter à ce qu'a dit l'honorable M. de Rossius ; c'est au point de vue de l'influence à donner à la majorité réelle sur la minorité.

D'après le projet du gouvernement, il est évident que la grande majorité pourra être débordée par la minorité dans l'assemblée générale.

Je vais le prouver par un exemple.

Je suppose une société de 100 actions, 50 sont possédées par une grande société financière et 50 par divers particuliers.

Si l'on ne peut voter que pour le cinquième des actions émises, la société ne pourra avoir que 20 voix, tandis qu'en supposant même que 10 p. c. des actions ne soit pas représentés, il y aura 40 voix de petits actionnaires pour constituer la majorité, c'est-à-dire un nombre de voix double de celui que possédera le propriétaire de la moitié de l'avoir social. Si vous prenez la deuxième hypothèse, le droit de vote à concurrence de 2/5 des actions représentées, 2/5 de 90 = 36, il restera encore 40 voix aux petits actionnaires.

C'est évidemment donner une prime trop forte à la minorité contre la majorité, et par là même c'est enrayer, dans une masse de cas, la liberté d'association, c'est empêcher les sociétés de crédit de faire de ces affaires industrielles importantes qui ont coopéré si puissamment à la prospérité du pays.

Si l'on veut limiter le nombre d'actions nécessaire pour avoir le droit de voter, il faut, tout au moins, le faire de manière que les grands actionnaires ne puissent pas se trouver en minorité.

Je crois que l'amendement de M. Bruneau répond à ce but, et qu'il y aurait lieu de fixer à la moitié du nombre des actions émises la limite dans laquelle un actionnaire pourra user de son droit de vote.

M. Guillery. - Cet article est d'une grande importance et il me semble qu'il devrait faire l'objet d'une discussion approfondie.

En général, la loi française ne me paraît pas un modèle à suivre ; elle n'est pas d'une inspiration bien heureuse. Je vois dans cette loi un système de réglementation, un système essentiellement français, essentiellement administratif, essentiellement préventif et surtout essentiellement opposé à notre système de législation et à nos mœurs.

On proposait d'abord d'exiger que chaque actionnaire eût au moins une voix sans se préoccuper de la question de savoir si sa part d'intérêt ne serait pas tellement peu importante que la chose serait injuste ; sans se préoccuper de la question de savoir si l'intérêt de la société n'exigerait pas qu'on agît autrement.

Et maintenant, je vois que nous sommes sur le point de voter un article qui vient limiter rigoureusement la liberté des contractants.

Je ne dis pas que, dans beaucoup de sociétés, il ne sera pas bon de stipuler ce qui se trouve dans l'article ; mais pouvons-nous dire dans la loi que, dans toute société, jamais une même personne ne pourra avoir plus du cinquième des voix ?

Je suppose que je sois maître de forge ; Je mets mon établissement en société, mais j'y conserve les quatre cinquièmes de l'intérêt ; et il faut nécessairement que je stipule dans les statuts que je n'aurai que le cinquième de voix ! Il n'y aura jamais un homme de bon sens qui fera cela.

Pourquoi ne pas laisser aux contractants la liberté de décider ce qui n'est pas contraire à l'essence du contrat ni à la morale ?

Il peut se présenter telle opération où il ne serait pas de l'intérêt de la société de faire cette stipulation, laissez-lui la liberté. Remarquez qua personne n'est obligé d'entrer dans une société financière dont les statuts ne lui conviennent pas.

J'applaudis au but que se sont proposé les. auteurs de la loi ! Ils ont avec raison cherché à garantir la publicité et la sincérité.

Il est bon d'obliger les créateurs de société à dire nettement ce qu'ils veulent, ce qui est et à faire connaître nettement l'essence et la nature de l'opération.

Je prends l'hypothèse où je me plaçais tout à l'heure. Ne puis-je pas me trouver paralysé dans l'exécution d'une bonne mesure par quelques actionnaires qui me sont hostiles et qui ont intérêt à me nuire ? Des actionnaires qui individuellement ne sont intéressés que pour quelques milliers de francs chacun dans l'opération et qui sont intéressés pour de plus fortes sommes dans une société rivale, ne pourront-ils pas venir voter contre moi dans l'assemblée générale ? Je pourrais donc être dominé par une minorité qui a des intérêts opposés à ceux de la société elle-même. (Interruption.)

C'est une combinaison qui peut se produire.

Il y a encore des arguments d'un autre ordre développés par M. de Rossius et auxquels je me rallie : c'est la difficulté de constater le mal. Mais, en réalité, où est le mal ? Dans de grandes sociétés financières dirigées par les hommes les plus honorables, j'ai vu maintes fois, lorsqu'il s'agissait de nommer un commissaire ou un administrateur, des personnes qui présentaient des actions à leurs amis en leur demandant de voter pour tel ou tel.

Cela s'cst fait au su et au vu de tout le monde. Cela s'est fait sans opposition aucune. Oti est le mal ? Le mal ne pouvait provenir que de l'interdiction formulée dans les statuts. Mais quand les statuts le permettent ?

Dans cette opération, personne donc n'a trouvé jusqu'à présent qu'il y eût quelque chose de répréhensible.

Néanmoins il y avait, je l'avoue, des statuts qui défendaient les opérations de cette nature ; cela était assez puéril ; car d'un côté, les statuts énonçaient cette interdiction ; de l'autre, cela avait lieu et fait. La jurisprudence a même décidé qu'on n'avait pas besoin de rechercher si le porteur était réellement propriétaire de l'action. Aujourd'hui, on propose de changer cela. Je ne dis pas que l'état actuel des choses ne puisse donner lieu à certaines fraudes ; je suis loin de contester que la mesure qui nous est proposée n'ait un bon côté, je rends hommage aux excellentes intentions de ceux qui nous ont fait cette proposition, comme à l'intention-mère du projet de loi.

Mais la mesure aura des résultats étranges ; je vais voter dans une assemblée générale, mais on me dira : « Vous ne me faites pas l'effet d'être un propriétaire d'actions. » J'insisterai pour voter, on insistera pour me dire que je ne parais pas être un propriétaire d'actions. Et voilà que je vais être l'objet d'une véritable inquisition ; je devrai prouver que je suis le propriétaire de l'action, dire comment je l'ai acquise.

Cela ne convient pas à tout le monde ; et quand je parle de tout le monde, j'entends faire allusion aux personnes les plus honorables prenant part aux affaires les plus honnêtes.

La mesure que je combats peut avoir un bon côté ; mais elle a, à coup sûr, un mauvais côté, en ce qu'elle va créer, à l'égard de tous les porteurs qui se présenteront, une véritable inquisition.

Je crois donc que cet article doit être l'objet d'un examen très sérieux.

Pour conclure, je dirai que puisque nous avons rétabli la liberté dans le premier paragraphe de l'article, il y a lieu de la maintenir dans le second.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous sommes en présence de deux propositions : la première, si l'on maintiendra la partie de l'article qui porte le cinquième et les deux cinquièmes, la seconde, si l'on admettra l'amendement de M. Bruneau, qui substitue à ces chiffres la moitié.

L'honorable M. Guillery vient de formuler une thèse qui est, qu’il me (page 506) permette de le lui dire, tout à fait contraire à la nature des sociétés anonymes. Quelques mots pour l’établir.

Qu'est-ce que la société anonyme ? C'est évidemment une création de la loi avec privilège. Ce n'est pas un instrument qui se trouve dans la nature. ce n'est pas un moyen que tous les citoyens peuvent employer pour gérer leurs intérêts et leur fortune.

Effectivement, dans la société anonyme, on n'est responsable que jusqu'à concurrence de sa mise. On gère toute une affaire et on n'est pas responsable. Qu'a-t-on voulu comme contre-poids à de tels avantages ? Le contrôle d'une assemblée générale. La société anonyme, c'est une réunion de capitaux, de beaucoup de capitaux divers. La société anonyme est faite pour faire un appel à un grand nombre de petits capitaux et non pour utiliser la fortune d'un particulier déterminé. Il faut que beaucoup de petites sommes viennent se mettre dans l'affaire.

Voilà le véritable but pour lequel la société anonyme a été créée.

Aussi, on a voulu l'assemblée générale et il faut que cette assemblée soit quelque chose de sérieux, sinon vous sortez de la société anonyme.

Eh bien, vous allez voir à quelles conséquences on arrive avec la liberté dont parle l'honorable M. Guillery.

Je suppose une société anonyme qui a cent actions. Une personne riche possède 75 actions. Vous stipulez qu'on aura autant de voix que d'actions. Il reste 25 actionnaires à côté de lui. L'assemblée générale est supprimée. C'est ce gros actionnaire qui est à lui seul l'assemblée générale. Et voilà un citoyen qui va échapper à la responsabilité de la commandite et de la société en nom collectif, et qui va profiter de tous les avantages de la société anonyme. Je dis que c'est de la fraude. Vous êtes sorti complètement des règles de l'anonyme. Vous allez, pour éviter la responsabilité de la société en commandite et de la société en nom collectif, former une société anonyme qui n'est que frauduleuse.

Et c'est précisément pour cela que nous avons voulu une assemblée générale sérieuse, et que nous avons dit : Vous ne pourrez prendre part au vote que pour un nombre d'actions ne dépassant pas la cinquième partie du nombre d'actions émises ou les deux cinquièmes des actions représentées.

Ce chiffre est-il trop peu élevé, on peut le modifier ; mais je dis que permettre de déclarer dans des statuts qu'on aura autant de voix que d’actions, alors même qu'on posséderait presque toutes lesS actions, c'est mettre l'anonymat à la disposition de tout citoyen pour gérer sa fortune. C’est le citoyen qui gère sa fortune avec un emprunt et pas autre chose.

Vous direz que, dans le cas que je pose, ce sont les statuts qui auront réglé cela. Mais quand nous organisons une chose fictive, un privilège, nous ne pouvons permettre l'insertion dans les statuts d'une condition contraire à ce que nous voulons. C'est pourquoi je crois que nous devons maintenir une limite. Si nous ne la maintenons pas, nous sortons des règles de l'anonymat.

M. Guillery. - M. le ministre de la justice signale les inconvénients de l'absence d'une limitation dans la loi. Mais la société pourra prévoir ces inconvénients et se prémunir contre eux dans les statuts. Je propose donc de eau projet du gouvernement, article 49, paragraphe 3.

M. Dolezµ. - Je veux faire une simple remarque.

Je comprends à merveille que le gouvernement demande aujourd'hui d'établir dans la loi la restriction que l'on discute en ce moment. La raison en est simple. Auparavant il fallait l'autorisation du gouvernement, et cette autorisation n'était obtenue qu'en introduisant dans les statuts certaines conditions protectrices des intérêts des actionnaires.

Aujourd'hui que cette autorisation cesse d'être nécessaire, il faut que jusqu'à un certain degré la loi elle-même trace des règles protectrices des mêmes intérêts.

Or, la disposition qu'on discute en ce moment n'est pas autre chose. J'incline à croire qu'elle va trop loin, que la restriction apportée aux droits des actionnaires est trop rigoureuse et qu'il faudrait entrer ou à peu près dans l'ordre des idées émises par l'honorable M. Bruneau dans la séance d'hier ; mais, permettre aux fondateurs d'une société anonyme d'arriver au résultat que signalait tout à l'heure M. le ministre de la justice me paraîtrait prêter à de graves abus.

Nous sommes d'ailleurs, messieurs, en présence d'une pratique qui est conforme au projet du gouvernement. Voyez tous les statuts des sociétés autorisées, vous trouverez dans chacun d'eux une disposition conforme au projet en discussion. Les honorables membres disent qu'on parvient à éluder ces dispositions protectrices de droits des actionnaires. Je sais que la fraude est habile et que souvent elle se pratique dans la composition des assemblées générales des sociétés anonymes, mais il n'en est pas moins vrai, comme le disait tout à l’heure l'honorable M. de Rossius, que l'on peut, sans porter atteinte au droit commun. trouver le moyen de constater le dol et la fraude, par cela seul que le dol et la fraude sont en dehors du droit commun.

Quand donc on voudra prétendre que pour éluder droit de certains actionnaires on a introduit des actionnaires fictifs dans l’assemblée générale, on sera admis à faire ses preuves par tous les moyens de droit qui servent établir le dol et la fraude.

Je ne vois donc rien d'anomal dans la disposition que nous discutons, sauf la rigueur. (Interruption.)

L'honorable M. Bruneau propose la moitié. La moitié. messieurs, c'est bien près de la majorité : il ne faut qu'une seule personne pour la compléter. Je crois donc que la proposition de M. Bruneau est trop large, tandis que celle du projet est trop rigoureuse.

Je voterai donc, messieurs, pour le principe de la proposition, mais je demande que les chiffres soient modifiés.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que le quart est très bien. Sur cent actions, on pourra avoir 25 voix.

M. le président. - M. Guillery a proposé de revenir à l'article 49, au projet primitif du gouvernement.

M. Dewandre propose la rédaction suivante :

« Les statuts déterminent le mode de délibération, le nombre d'actions qu'il est nécessaire de posséder, soit à titre de propriétaire, soit à titre de mandataire pour être admis dans l'assemblée et le nombre de voix appartenant à chaque actionnaire eu égard au nombre d'actions dont il est porteur. »

- Adopté.

« Paragraphe 2. Toutefois, nul ne peut prendre part au voté pour un nombre d'actions dépassant soit le tiers. soit la moitié, soit le cinquième ou deux cinquièmes des actions représentées. »

Je vais mettre aux voix l'amendement qui consiste à remplacer dans la première partie de l'article les mots : « la cinquième partie des actions émises » par les mots : « 10 tiers des actions émises. »

- L'amendement est adopté.

M. le président. - Je mets maintenant aux voix l'amendement de M. Bruneau qui a pour but de remplacer les mots : « les deux cinquièmes des actions représentées », par les mots : « la moitié des actions représentées. »

- Cet amendement n'est pas adopté.

M. le président. - Le paragraphe 2 serait donc ainsi conçu : « : Toutefois nul ne peut prendre part au vote pour un nombre d'actions dépassant le tiers du nombre d'actions émises ou les deux cinquièmes des actions représentées. »

L'article 53, ainsi modifié est adopté.

Paragraphe 6. Des inventaires et des bilans
Article 54

« Art. 54. Chaque année. l'administration doit dresser un inventaire contenant l’indication des valeurs mobilières et immobilières de toutes les dettes actives et passives de la société, y compris tous les engagements de la société. en cours d'exécution. tels qu'endossements sur traites négociées, contrats, cautionnements. et autres engagements quelconques.

« L'administration forme le bilan et le compte des profits et pertes dans lesquels les amortissements nécessaires doivent être faits.

« Il est fait annuellement sur les bénéfices nets un prélèvement d'un vingtième au moins, affecté à la formation d'un fonds de réserve ; ce prélèvement cesse d'être obligatoire lorsque le fonds de réserve a atteint le dixième du capital social.

« L'administration remet les pièces avec un rapport sur les opérations de la société un mois au moins avant l'assemblée générale ordinaire aux commissaires, qui doivent faire un rapport contenant leurs propositions. »

M. le président. - Il y a un amendement de M. Sainctelette, ainsi conçu :

Supprimer les mots : « y compris tous les engagements de la société en cours d'exécution, tels qu'endossements sur traites négociées, contrats. cautionnements, et autres engagements quelconques. »

M. Saincteletteµ. -- Il faut bien peser les termes de cet article pour en comprendre la portée pratique.

Le mot « inventaire » est évidemment pris dans le texte avec son acception juridique, avec toute la portée que. lui attribue l'article 9 du code de commerce.

Il doit donc être l'expression correcte mais fidèle des écritures. Il ne peut renfermer aucune énonciation aux écritures.

Or, messieurs, je ne crois pas que dans la pratique il soit possible de satisfaire aux exigences de l'article 54, en ce qui concerne les endossements de traites négociées.

(page 507) Qu'un négociant consigne dans ses écritures l'import de acceptations, rien de plus naturel. Cet import figure dans son bilan sous titre : Effets payer, dettes à échoir, ou sous toute autre rubrique analogue. Qu'il inscrive de même dans ses livres les traites créées par lui et qu'il les énonce dans son bilan sous le titre de portefeuille ou de valeurs à recevoir, rien de plus simple. Mais je ne sache pas que les maisons de commerce ou d'industrie aient l'habitude de tenir copie littérale de tous les effets qui leur ont passé par les mains, sur lesquels elles ont apposé leur signature comme endosseurs, ni surtout qu'elles passent écriture de leurs engagements éventuels, conditionnels.

Imposer aux sociétés l'obligation de comprendre parmi leurs engagements les traites négociées par endossement, c'est nécessairement leur imposer l'obligation de créer des comptes de risques, de débiter, comme pouvant devenir leurs débiteurs éventuels en cas de non-paiement à l'échéance, leurs cédants, les personnes dont elles tiennent ces traites, et de créditer, à titre de créanciers éventuels, leurs cessionnaires. c'est-à-dire les personnes à qui elles ont remis ces traites.

Evidemment, messieurs, dans la pratique, une semblable exigence sera considérée comme excessive.

Voyez-vous le premier établissement financier du pays, celui dont la circulation, au 31 décembre, est la plus considérable, forcé de tenir écritures de cette façon et de créer toute une comptabilité éventuelle, dans le seul but de pouvoir satisfaire à une exigence de la loi ?

Je fais appel, messieurs, à l'appréciation de toutes les personnes qui prennent quelque part aux affaires commerciales, qui savent ce que c'est que la comptabilité commerciale. Elles reconnaîtront, j'en suis sûr, qu'en pratique. cette disposition est inexécutable.

Je propose donc la suppression des mots ; « y compris tous les engagements de la société en cours d'exécution tels qu'endossements sur traites négociées. »

Et maintenant, s'il faut comprendre dans les inventaires tous les engagements de société en cours d'exécution tels que les contrats, on aura donc à y mentionner les marchés à livrer. Cela aura d'abord l'inconvénient de permettre aux concurrents de venir, au 31 décembre, sous le masque d'un actionnaire de quelques jours, prendre communication de tous les marchés à livrer qui peuvent avoir été conclus,

Mais il y un inconvénient bien plus grave au point de vue de la responsabilité des administrateurs de société.

On ne peut introduire dans le passif de l'inventaire les engagements à exécuter par une société, par exemple des marchés à livrer, sans passer au crédit un article correspondant.

Il faudra donc que dans l'inventaire on mentionne les conditions auxquelles on espère pouvoir exécuter le marché à livrer.

Or, messieurs, de la meilleure roi du monde on peut se tromper dans une évaluation de ce genre.

Cette appréciation du prix de revient probable est chose excessivement délicate ; des erreurs peuvent aisément. s'y glisser sans qu'il y ait la moindre fraude.

Encore une fois, pourquoi donc veut-on placer les sociétés anonymes sous un régime tout à fait différent de celui qui est imposé aux négociants ordinaires ?

L'article 9 du code de commerce dit que le commerçant doit, tous les ans, faire un inventaire de ses effets mobiliers et immobiliers, de ses dettes actives et passives, etc., mais je ne vois nulle part dans le code de commerce une disposition qui oblige les commerçants à passer écritures des éventualités, à tenir compte de dettes ou de créances conditionnelles, c'est-à-dire d'opérations non commencées et à établir un bilan de risques et de recours.

J'admets que l'on soumette l'anonymat, la personnification civile à certaines conditions. Mais du moment que ces conditions générales de publicité, de sincérité et de responsabilité sont définies et organisées, du moment que la société anonyme, constituée dans ces conditions, est appelée à faire du commerce, laissez-le-lui faire comme le font les commerçants et ne lui faites pas payer trop cher le bénéfice de la personnification civile, ne faites pas la rançon trop élevée ; autrement personne, encore une fois, ne se présentera pour en jouir.

Je conclus donc en persistant dans l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il ne s'agit pas de communiquer aux tiers les renseignements dont il est parlé à l'article 54.

Je comprends parfaitement l'inconvénient qu'il peut y avoir à communiquer ces pièces, comme on l'exige à l’article 55, mais nous ne sommes pas encore à cet article. J'admettrais à l'article 55 que les pièces dont il est parlé à la fin du premier paragraphe de l’article 51 ne soient pas communiquées aux tiers.

Mais pour le point qui nous occupe, Je crois que l'honorable M. Sainctelette se trompe sur la portée de l’article.

Evidemment les commissaires ont droit de tout dans la société ; c'est la règle, c’est incontestable.

Eh bien, pour faciliter la besogne des commissaires et pour qu'ils n'aient pas à faire eux-mêmes le travail de la situation active et passive de la société, on demande aux administrateurs d'indiquer quelle est véritablement cette situation.

M. Saincteletteµ. - D'accord.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Eh bien, vous n'indiquerez pas la véritable situation de la société, si vous ne faites pas connaître les contrats, cautionnements et autres engagements quelconques.

Ainsi, prenons une maison de banque. Je suppose que, pour gagner des commissions, elle mette sa signature sur une foule de valeurs véreuses. (Interruption.)

Mais il faut évidemment que je prévoie ce cas. Des valeurs, très bonnes actuellement à cause de la solvabilité des personnes qui les émettent, peuvent devenir véreuses par suite de non-paiement et d'autres événements. Cela est incontestable.

La maison de banque émet donc sa signature ; elle est engagée éventuellement et même très sérieusement engagée. Si l'on ne paye pas, cette banque va être débitrice de tout l'import des traites sur lesquelles elle a mis sa signature. Eh bien, si l'on ne tient pas compte de cela, on ne fait pas connaître la situation véritable de la société. Je ne puis savoir s'il est permis à cette société de faire d'autres opérations, parce qu'elle a des engagements qui peuvent éventuellement diminuer son capital. Je ne puis user de mon droit de faire des propositions pour restreindre ses affaires, puisque je crois qu'elle possède toujours son capital, tandis qu'en réalité, par suite de certaines éventualités tout son capital peut être absorbé.

Je crois donc qu'il est parfaitement utile de faire dans cet inventaire l'énonciation de toutes les affaires de la société, afin que les commissaires puissent, en consultant les pièces, se faire une idée exacte de sa situation. Nous devons donc, ce me semble, obliger les administrateurs à donner tous ces renseignements.

M. Saincteletteµ. - Je crois qu'entre l'honorable ministre de la justice et moi la difficulté provient d'une fausse interprétation donnée par M. le ministre de la justice à l'observation que j'ai eu l'honneur de présenter.

Que la société doive à ses commissaires les communications les plus complètes sur toutes ses opérations ; que les commissaires doivent recevoir communication de la nature du portefeuille, des valeurs qui le composent et même, autant que possible, des valeurs sorties du portefeuille et en circulation, cela est très admissible, quoique en pratique cela soit d'une difficulté considérable à raison même de la masse de détails qu’il faudrait consigner.

Mais l'article ne se borne pas à exiger les communications ; l'article prescrit la nécessité de faire un inventaire et un bilan d'après ces données, la loi impose aux administrateurs et aux commissaires l'obligation de faire sur ces bases un inventaire et un bilan ; si le bilan ne comprend pas les indications prescrites par l'article 44, si, en un mot, il n'y a pas, après la détermination de l'actif et passif actuel, un bilan futur, conditionnel, les administrateurs seront en faute et on ne pourra pas leur donner décharge.

C'est seulement contre ce bilan éventuel, contre une création tout à fait nouvelle en matière commerciale que je m'élève ; je suis le premier à reconnaître qu'on doit donner aux commissaires tous les éclaircissements possibles, et on peut les leur donner à l'aide des livres auxiliaires, des notes qu'on tient dans toute bonne administration ; mais je proteste contre les exigences de faire passer les écritures conformément aux prescriptions de l'article. Je me tromperais fort si les industriels et les commerçants n'étaient pas, à cet égard, de mon avis.

M. Dumortier. - Messieurs, M. le ministre de la justice ne tient pas compte d'un fait qui domine l'article : c'est que les commissaires, précisément parce qu'ils sont commissaires, ont le droit d'obtenir tous les renseignements qu'ils demandent et dont ils ont besoin pour faire leur rapport à l'assemblée générale. Maintenant, de ce que les commissaires ont ce droit, ce pouvoir, en résulte-t-il qu'il faille adopter, pour les sociétés anonymes, la rigide mesure qui se trouve dans l'article et que l'honorable M. Sainctelette a discutée avec tant de logique ? Evidemment non ; au contraire, l'existence de ce seul droit, de ce pouvoir des commissaires, indique que cette mesure n'est pas nécessaire.

(page 508) « Mais, dit M. le ministre de la justice, supposons qu’une maison de banque ait des matières véreuses, comment pourra-t-on s’en assurer ? »

Eh bien, je m'empare de l'exemple cité par M. le ministre de la Justice, Je suppose une maison de banque qui a des comptes ouverts avec un millier d’individus. Vous voulez non seulement qu'on fasse le compte de ces mille individus, pour présenter l'inventaire, mais encore qu'on indique la solvabilité plus ou moins grande de ces diverses maisons, les risques qu'on peut avoir à courir ? Ce n'est plus un inventaire que vous demandez, c'est un travail tout à fait différent qui ne ressemble à rien moins qu'à un inventaire.

Qu’est-ce qu'un inventaire en matière commerciale ? C'est un compte par « doit et avoir » pour tous les faits accomplis et non point pour les faits à accomplir. C'est un véritable budget. Ce que vous demandez est quelque chose d'entièrement nouveau. Mais en vérité, quiconque a la moindre idée de ce que c'est qu'une affaire commerciale ne peut pas comprendre un travail fait comme on l'exige. Je ne crois pas qu'une seule maison de banque puisse se prêter à une pareille exigence. La loi ne sera pas exécutée, parce qu'elle n'est pas exécutable.

Voilà où vous arrivez. Je le répète, c'est inexécutable dans la pratique.

Restons donc dans le droit réel. Les commissaires, en vertu de leur mandat, ont le droit de tout voir ; rien ne peut leur être caché. Si les administrateurs réclament la communication de tel ou tel dossier, s'ils demandent tels ou tels renseignements, c'est le devoir de l'administrateur de les leur donner, comme c'est le devoir des commissaires de les réclamer. Mais ce qui n'est du devoir de personne, c'est d'établir une série infinitésimale de mémoires et de compliquer l'inventaire de telle manière qu'il faudra deux ou trois ans pour le faire. Je défie une maison de banque étendue dans ses affaires de faire un inventaire tel que celui que vous voulez exiger.

Il y a autre chose. L'honorable M. Sainctelette vous a fait remarquer avec beaucoup de raison que vous avez, dans les maisons autres que les maisons de banque, l'article des marchés à livrer. Comment établira-t-on cela dans le bilan ? Vous devrez entrer dans des détails infinis ; on remettra en question ce qui a été décidé par l'administration. C'est impossible. L'inventaire, je le répète, ne doit être que le tableau exact de ce qui existe au moment de la clôture des comptes.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'article est évidemment mal interprété. Si j'en crois les honorables membres, on devrait, par exemple, pour une maison de banque, mentionner tous les débiteurs éventuels que l'on pourrait avoir, et porter au passif toutes les dettes éventuelles. Il n'en est rien.

Que doit être l'inventaire ? Il doit être la situation véritable de la société. Eh bien, si vous y mettez l'actif et le passif, c'est-à-dire ce que vous possédez réellement et ce que vous devez à l'heure où vous dressez votre inventaire, eh bien, vous n'avez pas la situation réelle ; il y a quelque chose d'omis. Ce sont vos engagements éventuels.

M. Saincteletteµ. - Comment voulez-vous que je les précise ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Attendez un instant. L'honorable M. Sainctelette est trop pressé. Eh bien, nous vous disons ici : Vous ferez un poste dans lequel vous indiquerez d'une manière globale vos engagements.

Aussi que dit la loi ? Elle dit : non pas chaque engagement, mais les engagements de la société en cours d'exécution ; c'est-à-dire que l'on veut que vous indiquiez, par un poste de votre inventaire, quelle partie de votre capital est engagée éventuellement. Vous mettrez la même somme à l'actif. Ainsi si vous êtes engagé pour 100,000 francs par des traites lancées dans le public, vous mettrez : Engagements éventuels'100,000 francs, et à l'actif : Recettes éventuelles, 100,000 francs,

M. Saincteletteµ. - A quoi bon ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On saura ainsi que vous êtes éventuellement engagé pour un capital de 100,000 francs.

Le système contraire ne serait pas juste ; ainsi quand un banquier fait son inventaire, il portera certainement à l'actif les commissions touchées pour négociation de traites, mais il ne portera pas au passif les risques qu'il court, au cas des traites ne seraient pas payées Je dis qu'il manque quelque chose à un inventaire ainsi dressé, et que ce quelque chose, vous êtes obligé de le dire.

Lors donc que nous demandons que vous donniez un poste dans lequel vous indiquerez les sommes dues éventuellement, nous n'exigeons rien de trop. Vous êtes de bons administrateurs ; vous devez constamment savoir jusqu'à quel point la société est engagée éventuellement. Celui qui ne ferait pas cela ne serait pas un administrateur sérieux.

Il ne suffit pas de voir son actif et son passif, il faut savoir si vos engagements ne peuvent pas vous exposer à un désastre dans l'avenir ; il faut savoir si vous pouvez tenter de nouvelles entreprises.

Je crois donc que nous n'exigeons rien de trop lorsque nous demandons un poste spécial, indiquant les engagements éventuels de la société.

M. Watteeuµ. - J'avais demandé la parole pour prier M. le ministre de la Justice de vouloir bien expliquer le sens qu'il attachait aux mots : « Valeurs mobilières et immobilières ». D'après les explications qu'il vient de donner, il ne s'agit pas du détail des valeurs...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est impossible.

M. Watteuµ. - C'cst précisément parce que c'est impossible que votre inventaire ne sera pas autre chose que votre bilan. L'un fera double emploi avec l'autre, car votre bilan, que doit-il faire ? Il doit présenter à l'actif toutes les valeurs mobilières et immobilières et au passif toutes les dettes.

Dans la pratique on entend par inventaire l'état de tout ce dont on ne peut pas se rendre compte par la seule inspection des livres. Ainsi, dans un établissement industriel, l'inventaire constate l'existence des machines ct ustensiles, des matières premières, des marchandises fabriquées, etc. Voilà l'utilité de l'inventaire, mais le résultat de cet inventaire est porté en un seul article au bilan sous le titre de « valeurs mobilières » ou de « valeurs immobilières ».

Mais alors il n'est pas nécessaire de faire l'inventaire des valeurs en portefeuille, par exemple, ce qui constituerait un double emploi. Votre inventaire est donc une véritable superfétation, dès l'instant où il faut l'entendre comme vient de l'expliquer M. le ministre de la justice.

Je crois que la seule chose qu'il faille exiger d'un conseil d'administration, c'est un bilan fait consciencieusement.

Maintenant, pour apprécier la sincérité des appréciations de ce bilan, à quoi faut-il recourir ? C'est aux livres auxiliaires, qui indiquent le détail des valeurs en portefeuille, des effets en circulation qui portent l'endos des administrateurs.

Je voudrais donc que l'article fût modifié pour qu'il ne donnât lieu à aucune équivoque. Cela est d'autant plus nécessaire qu'on a imposé des devoirs très sérieux aux conseils d'administration et qu'on fait peser sur eux une responsabilité à laquelle tous les honnêtes gens ne feront qu'applaudir.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne partage pas l'avis de l'honorable membre que l'inventaire est inutile. Sans doute, il peut contenir certains points du bilan.

Mais je vais prendre des cas où le bilan sera tout à fait différent de l'inventaire.

Je suppose une grande maison qui a beaucoup de produits. Elle portera dans l'inventaire : autant de laine, autant de coton, tandis qu'au bilan elle inscrira : autant en magasin.

Ce sera donc un résumé de l'inventaire.

Il est évident que vous aurez dans le bilan des articles semblables à ceux de l'inventaire, mais le bilan, en beaucoup de points, résumera l'inventaire. C'est un moyen facile que l'on donne aux sociétés de porter à la connaissance des actionnaires et du public leur situation exacte.

Par le bilan, tout le monde peut apprécier immédiatement l'actif et le passif.

M. Moncheurµ. - Messieurs, je pense qu'il est absolument impossible d'adopter l'article 54 tel qu'il a été proposé par la commission.

Vous avez tous dû être frappés de la vérité des observations faites par l'honorable M. Sainctelette. L'honorable ministre de la justice en a été, je crois, frappé lui-même, car il a donné une explication qui certainement atténuerait la portée de l'article 54, mais qui résiste aux termes de cet article.

En effet, M. le ministre de la justice dit : Ce que nous demandons, c'est que l’on donne la somme totale des engagements pris, mais non l'état ou la liste de ces engagements : tandis, messieurs, que si l'article 54 restait rédigé comme il l'est, c'est bien cet état, c'est bien cette liste qu'il faudrait insérer dans l'inventaire.

Relisons cet article :

« Chaque année, l'administration doit dresser un inventaire contenant l'indication des valeurs mobilières et immobilières et de toutes les dettes actives et passives de la société, y compris tous les engagements de la société en cours d'exécution. tels qu'endossements sur traites négociées, contrats, cautionnements, et autres engagements quelconques. «

Il est évident que dans la pensée de celui qui a rédigé cet article, il s'agissait là de chaque engagement en particulier et non de la somme globale de tous les engagements.

(page 509) Il n’y a pas un seul payement à faire, pas une seule livraison à opérer qui tombe sous l’application de termes absolus.

Tout engagement résultant d'un endossement devrait également être indiqué dans l’inventaire.

L'explication donnée par M. le ministre de la justice résiste donc aux termes même de l'article. Si la dernière partie de l'article 54 n'exige qu'une indication globale et sommaire des sommes qui pourraient être dues par suite d'engagements pris, qu'on le dise formellement, mais encore je ferai observer que ce serait alors un bilan plutôt qu'un inventaire. Ce qu'il y aurait de mieux faire, ce serait d'adopter la proposition de l'honorable M. Sainctelette, c'est-à-dire la suppression de la dernière partie de l'article 54 ; mais si l'on n’'adoptait pas cet amendement, il serait alors tout à fait nécessaire de faire subir à tout l'article 54 une modification profonde.

M. Saincteletteµ. - Messieurs, il est bien entendu, je pense, entre M. le ministre de la justice et la Chambre que le mot « inventaire » est pris dans l'acception juridique que lui attribue l'article 9 du code de commerce, qu'il ne s'agit pas de l'inventaire tel qu'il peut être dressé dans certaines maisons de commerce, mais de l'inventaire défini par le code de commerce.

Cet inventaire-là doit être essentiellement conforme aux écritures, aux articles passés dans les registres dont le code de commerce prescrit la tenue et entre autres au grand-livre.

Or, an grand-livre que fait-on ? On ouvre un compte spécial à chaque individu ou à chaque opération déterminée et quand l'opération est terminée, on solde les comptes par un débit ou par un crédit. L'inventaire n'est autre chose que la nomenclature successive de tous ces comptes et de leurs résultats.

Je comprends parfaitement qu'on puisse suivre cette marche pour toutes les opérations terminées en cours d'exécution, mais je ne comprends pas qu'on puisse l'appliquer à des opérations éventuelles qui ne sont pas même commencées et dont rien ne fait prévoir le commencement.

Dans le système du projet de loi, après avoir consigné dans les écritures l'opération réelle que l'on vient de faire, par exemple, une négociation d'effets, on devrait ouvrir un compte fictif, éventuel, en sens inverse pour la possibilité d'une opération qui ne se présentera pas une fois sur cent.

Mais ce n'est pas en matière de banque que se présenteront les plus grandes difficultés. Comment, dans le système, du projet, passera-t-on écriture d'un marché à livrer ? Une houillère a vendu 500,000 hectolitres de charbon à livrer en 1870 ; elle n'a pas encore extrait ces 500,000 hectolitres ; elle ne sait pas, elle ne peut même pas savoir ce que lui coûtera l'extraction de cette quantité de charbon.

Le prix de la main-d’œuvre peut varier, il peut se produire des incidents d'exploitation. Comment passera-t-elle écriture de cette opération ? Comment un maître de forges qui a vendu une grande quantité de rails, mais, qui ne les possède pas, qui n'a pas la fonte avec laquelle il doit les faire, comment ce négociant passera-t-il, dans son inventaire, écriture de cette opération ?

Que tous ces renseignements soient donnés pour l'édification des commissaires en sus de l'inventaire, je n'y vois aucun inconvénient, je trouve même que cela est très désirable.

Je ne m'élève que contre la prétention d'exiger l’inscription de ces faits dans l'inventaire, dans une pièce qui doit astreindre ceux qui la font et qui la signent à une lourde responsabilité.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je maintiens de la manière la plus complète que l'article ne prescrit pas des écritures détaillées, et M. Moncheur n'a rien dit pour prouver le contraire. On ne force pas le négociant à indiquer le détail des objets, il en sera de même du banquier. Ses engagements de lettres de change forment un ensemble ; il les mentionnera par espèce. (Interruption.)

Vous mettrez : lettres de change, engagements par endos, etc. ; vous indiquerez par espèce.

L'honorable M. Sainctelette a, en dernier lieu, présenté des observations qui ne sont pas exactes. Il a parlé du bilan. Mais, messieurs, il ne s'agit pas ici du bilan. ce n'est pas le bilan qui doit indiquer les engagements éventuels : c'est l'inventaire.

En effet, l'article dit formellement :

« Chaque année, l'administration doit dresser un inventaire contenant l'indication des valeurs mobilières et immobilières et de toutes les dettes actives et passives de la société, y compris tous les engagements de la société en cours d'exécution, tels qu’endossements sur traites négociées, contrats, cautionnements et autres engagements quelconques.

D'ailleurs, messieurs, si vous voulez exiger que la société fasse connaître complètement sa situation réelle, il faut l'obliger à indiquer également sa situation pour l'avenir. Quand bien même nous ne voterions cette disposition que pour prémunir les administrateurs contre les entraînements, ce serait encore une mesure très utile que d'obliger les administrateurs de dire quelles sont les dettes possibles.

Voulez-vous que ce ne soit pas dans l'inventaire ? On l'indiquera dans une autre pièce.

M. de Macarµ. - J'avais réclamé la parole précisément pour demander les explications qui viennent de nous être données par M. le ministre de la justice.

Il y avait une équivoque sur le mot « inventaire ». Dans la pensée de M. le ministre de la justice, il ne s'agissait pas de l'inventaire commercial, il s'agissait tout simplement de donner aux commissaires la possibilité de connaître exactement quelles étaient réellement les affaires sociales.

Or, sur point, il ne peut y avoir la moindre difficulté ; nous sommes tous d'accord. D'après la rédaction de M. le ministre de la justice, je crois que les craintes que nous avons tous pu éprouver doivent se dissiper et qu'on peut parfaitement voter l'article.

M. Dumortier. - Je ne suis point d'accord avec l'honorable ministre de la justice.

Il faut que, chaque année, on présente un inventaire, c’est-à-dire un résumé des livres, et cet inventaire dressé par les administrateurs doit être soumis à l'examen des commissaires.

C'est bien cela, je pense ?

MfFOµ. - Et cet inventaire devra être suivi d'une annexe indiquant les engagements pris.

M. Dumortier. - Il n'y a de différence entre les deux systèmes qu'un point mis à la place d'une virgule. C'est la même chose, identiquement la même chose.

M. Bouvierµ. - C'est que cette virgule est nécessaire.

M. Dumortier. - Les pièces qu'on demande ne peuvent évidemment pas se trouver dans l'inventaire, qui est un compte « du doit et de l'avoir » clos et liquidé au 31 décembre.

On demande ensuite l'indication des marchés qui se font ; les comptes qui ouverts à certaines personnes.

Mais, messieurs, encore une fois, Où irez-vous avec ce système ? (Interruption).

Il n'y a donc ici, je répète, qu'un changement de rédaction ; un point à la place d'une virgule.

J'ai déjà eu l'honneur de faire remarquer à la Chambre qu'en prenant l'exemple cité par M. le ministre de la justice, il était impossible à une maison de banque d'exécuter une pareille disposition ; car cela est entièrement inexécutable. Jamais la Banque Nationale, jamais la Société Générale ne pourra rendre ses comptes avec un pareil système ; aucune société quelconque, un peu sérieuse, un peu étendue, ne pourra les rendre. Voulez-vous rendre les comptes impossibles ?

Pour ma part, je pense que l'article 54 devrait être réduit aux mots suivants :

« Chaque année, l'administration doit dresser un inventaire contenant l'indication des valeurs mobilières et immobilières et de toutes les dettes actives et passives de la société. »

Le restant de l'article devrait supprimé. J'en fais formellement la proposition.

Ce que le gouvernement demande repose sur un fait : c'est qu'on ne sait pas ce que c'est qu'un inventaire ; si vous aviez manipulé quelquefois des affaires commerciales, vous sauriez ce que c'est qu'un inventaire. L'inventaire n'est pas autre chose qu’un compte de « doit et avoir » ; c'est le résumé des livres.

Je termine en répétant que si vous maintenez dans l'article la disposition dont je demande, moi, la suppression, vous rendrez la loi inexécutable.

M. Vermeireµ. - Je crois qu'on ne se rend pas bien compte de ce que c'est qu'un inventaire. L'inventaire comprend deux choses bien distinctes : d'abord, le résumé de toutes les marchandises, les prix qu’elles avaient le jour où l'inventaire a été fait ; en second lieu, les noms et le relevé de tous les débiteurs.

Maintenant qu'est-ce qu'un bilan ? C'est l'actif et le passif de la société. au 31 décembre d'une année. Eh bien, dans le bilan, vous ne devez donner que le résumé des articles principaux de l'actif et du passif. Ainsi, prenons pour exemple le bilan de la Banque Nationale.

Vous avez dix ou douze lignes tout ce qui constitue l'actif et le passif (page 510) et vous aurez la balance exacte lorsque vous aurez porté au « doit » l'excédant de l’ « avoir ».

Maintenant l'inventaire ne doit pas être connu de tous. Il ne doit être connu que des commissaires qui doivent le contrôler et certifier que ce qui a été présenté par le conseil d'administration, est exact et conforme aux livres de la société. Je crois qu'exiger davantage, c’est exiger l’impossible.

C'est ainsi que cela se pratique actuellement dans toutes les associations commerciales.

Je prends pour exemple une houillère. Tous les ans, au 31 décembre, on dresse l'inventaire de tout ce qui se trouve en magasin et de la valeur de toutes les propriétés mobilières et immobilières.

- La discussion est close.

M. le président. - Je mettrai le premier paragraphe de l'article aux voix par division.

« Art. 54. Chaque année, l’administration doit dresser un inventaire contenant l'indication des valeurs mobilières et immobilières et de toutes les dettes actives passives de la société. »

- Adopté.

M. le président. - Vient la partie du paragraphe dont on a demandé la suppression :

« Avec une annexe contenant tous les engagements de la société en cours d’exécution, tels qu'endossements sur traites négociées, contrats, cautionnements et antres engagements quelconques. »

M. Saincteletteµ. - S’il est bien entendu que l'annexe n'a pas la même portée que l'inventaire, que c'est un simple renseignement, je me rallie à la rédaction du gouvernement et je retire mon amendement.

- Cette partie du paragraphe est mise aux voix et adoptée.

Les autres paragraphes de l'article 54 sont adoptés.

L'ensemble de l'article est adopté.

Article 55

- Des membres. - A demain !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'y a plus que trois articles pour terminer le paragraphe 6.

M. le président. - Il y a deux amendements l'article suivant.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me rallie l’amendement da M. Jacquemyns.

M. Dewandreµ. - Je m'y rallie également.

« Art. 55. Quinze jours avant l'assemblée générale, les pièces indiquées à l'article précédent sont au siège social à la disposition des actionnaires.

« Le bilan et le compte des profits et pertes et le rapport des commissaires, s'il ne conclut pas à l'approbation complète du bilan, seront adressés aux actionnaires en nom, en même temps que la convocation. »

M. le président. - Deux amendements ont été présentés à cet article.

M. Dewandre propose de dire :

« Quinze jours avant l'assemblée générale, les inventaires et les bilans sont à la disposition des actionnaires, au siège social... etc. (comme au projet). »

M. Jacquemyns propose la rédaction suivante ;

« Quinze jours avant l'assemblée générale, le bilan et le compte de profits et pertes sont, au siège social, à l'inspection des actionnaires. Ils sont adressés aux actionnaires en nom, en même temps que la convocation, de même que le rapport des commissaires, s'il ne conclut pas l'adoption complète bilan. »

M. Dewandreµ. - Comme j’ai eu l’honneur de le dire, je me rallie à l'amendement de Jacquemyns.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me suis également rallié à l'amendement de M. Jacquemyns.

- L'amendement de M. Jacquemyns est mis aux voix et adopté.

- Plusieurs membres. - A mardi !

- D’autres membres. - A demain !

- La Chambre, consultée, renvoie la séance à demain.

La séance est levée à quatre heures trois quarts.