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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 4 juin 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1037) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Dethuin, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Heyst prient la Chambre d'adopter le projet de loi relatif à la suppression des jeux de Spa, proposé par la section centrale. »

- Dépôt sur le. bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Soumillon prie, la Chambre d'adopter le système d'exonération présenté par M. Kervyn de Lettenhove. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la milice.

Annonce de la naissance du prince Baudouin

M. le président. - J'ai eu l'honneur de recevoir la communication suivante :

« Monsieur le président,

« D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur d'annoncer à la Chambre l'heureuse délivrance de S. A. R. M. la Comtesse de Flandre, qui a donné le jour à un Prince hier, 3 juin, à 6 h. 20 m. du soir.

« Le Prince a reçu les noms de Baudoin-Léopold-Philippe-Marie-Charles-Antoine-Joseph-Louis.

« Veuillez agréer, monsieur le président, l'assurance de ma haute considération.

« Le ministre de la justice, « Jules Bara. »

Je suis sur d'être l'interprète de vos sentiments unanimes en déclarant que la Chambre et le pays entier, habitués à s'associer avec une solidarité complète à toutes les joies comme à toutes les douleurs de la Famille royale, reçoit avec un profond sentiment de bonheur la notification qui vient de nous être faite.

J'ai l'honneur de proposer à la Chambre de décider qu'une députation de onze membres se rendra auprès de S. M. pour lui porter les félicitations de la Chambre. (Adhésion.)

La Chambre entend-elle que cette députation soit nommée par elle ou par le bureau, ou désignée par le sort.

- Voix nombreuses. - Tirée au sort.

M. le président. - La députation va donc être désignée par le sort.

- Le sort désigne MM. Moncheur, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Beeckman, Wouters, Watteeu, E. de Kerckhove, Coremans, Magherman, Carlier et Bieswal.

M. le président. - La députation sera présidée par le président de la Chambre et le bureau prendra les ordres du Roi pour connaître le jour et l'heure où S. M. recevra la députation qui vient d'être désignée.

Projet de loi allouant des crédits supplémentaires au budget du ministère des affaires étrangères

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi qui alloue des crédits supplémentaires à concurrence de 172,076 francs au département des affaires étrangères.

- Impression et distribution.

Projet de loi sur la contrainte par corps

Discussion générale

M. Teschµ. - Messieurs, la Chambre a déjà eu à s'occuper de la question qui fait en ce moment l'objet de ses délibérations ; elle a déjà émis un vote à ce sujet, et si je prends la parole, ce n'est pas dans l'intention de modifier la manière de voir de l'un ou de l'autre de mes honorables collègues.

Mais, messieurs, j'ai fait partie de la section centrale qui a examiné le projet de loi l'année dernière, j'ai fait partie de la commission à laquelle il a été soumis après le renvoi par le Sénat et à ce double titre, je crois devoir dire à la Chambre les raisons qui ont déterminé mon vote et qui le détermineront encore.

Messieurs, la matière de la contrainte par corps est régie en ce moment principalement par la loi de 1859 et par le code pénal.

La loi de 1859, qui a déjà été une réforme de la législation antérieure, maintenait la contrainte par corps en matière de commerce, en matière civile, en matière de. deniers et d'effets publics contre les étrangers et en matière répressive.

Cette loi, messieurs, je crois devoir le rappeler, a été votée en 1859, par la Chambre et par le Sénat à l'unanimité.

Depuis lors vous avez eu encore à vous occuper de la contrainte par corps, et à plusieurs reprises un article qui en consacrait le principe a été soumis aux délibérations de cette Chambre ; c'est l'article qui est entré, dans le code pénal, qui maintient la contrainte par corps pour les dommages-intérêts prononcés pour les crimes et délits et les contraventions. Le code pénal, sous ce rapport, est très récent ; il date de 1867 ; je parle du vote sur l'ensemble du Code.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Sous réserve.

M. Teschµ. - Je sais parfaitement qu'au Sénat, à la suite d'une interpellation ou plutôt d'une observation de M. Forgeur en 1866, M. le ministre de. la justice a déclaré qu'ultérieurement on examinerait la question de la contrainte par corps ; mais je ferai remarquer en même temps que, postérieurement à cette déclaration et postérieurement même à la présentation du projet de M. le ministre de la justice (car si j'ai bonne mémoire ce projet date de I866), la contrainte par corps a été maintenue en 1867 par le code pénal, sans qu'aucune réclamation ait été soulevée à ce sujet. La peine de mort a soulevé des scrupules ; des abstentions, des votes contraires même se sont produits ; mais quant au principe de la contrainte par corps, aucune opposition, aucune objection, aucun scrupule ne s'est manifesté dans cette Chambre.

Voilà un fait qui est incontestable et que je tenais à constater.

Maintenant, cette législation de 1859 a-t-elle donné lieu dans le pays à beaucoup de réclamations ? Eh bien, je n'hésite pas à dire non. L'ensemble de cette législation, cette loi, dans ses dispositions multiples, a donné lieu à très peu de réclamations. Et sur quel point ont porté celles qui se sont produites ? Exclusivement sur la contrainte par corps appliquée aux matières commerciales et aux étrangers. Ces réclamations, je les tiens, à un certain degré, comme fondées, comme légitimes en tant que la contrainte par corps frappe le débiteur malheureux, le débiteur qui, par imprévoyance, a contracté des engagements qu'il ne peut remplir ou que des circonstances fortuites l'ont empêché de tenir.

Les réclamations portaient sur un autre point encore : elles étaient basées sur cet autre motif que la contrainte par corps offrait très souvent le moyen de rançonner la famille parce qu'elle était exercée contre quelque fils prodigue auquel on avait fait souscrire des titres sous la forme commerciale. La contrainte par corps dans ce cas devenait en quelque sorte un auxiliaire de l'usure et tournait, en fin de compte, au détriment des parents.

Voilà les deux points au sujet desquels on réclamait notamment. Mais quant à la contrainte par corps en matière de dommages-intérêts du chef d'actes illicites, ou en matière répressive, je déclare que je n'ai pas souvenir d'avoir jamais entendu aucune réclamation se produire contre elle.

Je comprends très bien les réclamations contre la contrainte par corps en tant qu'elles portent sur les points que je viens d'indiquer, c'est-à-dire en tant qu'elle s'applique aux matières commerciales, aux débiteurs malheureux. J'admets aussi qu'on supprime la contrainte par corps en tant qu'elle s'applique au fils de famille qui a souscrit des engagements ayant la forme commerciale.

Mais M. le ministre de la justice va plus loin ; il supprime la contrainte par corps en toute matière, sans réserve et sans exception. Là commence notre dissentiment ; nous voulons maintenir la contrainte par corps pour les dommages-intérêts prononcés, du chef de crimes, délits et contraventions, parce que ces dommages intérêts ont un caractère tout particulier qui mérite la protection spéciale de la législature.

Nous voulons la maintenir ensuite pour les actes illicites commis méchamment ou de mauvaise foi. Et quelle est la raison qui nous détermine ? La voici :

Tous les actes de mauvaise foi ou de méchanceté ne sont pas prévus (page 1038) par le code pénal ; il en est qui, au point de vue théorique, revêtent le caractère d'un délit que le code pénal ne prévoit pas ; aujourd’hui ces actes sont contenus par la contrainte par corps. Or, supprimer la contrainte par corps pour ces faits-là, c'est ouvrir la porte au dol, à la fraude, à la méchanceté et à la mauvaise foi.

Aussi longtemps que vous n'aurez pas érigé ces faits en délits, il y a nécessité d'avoir un autre moyen, quelque nom que vous lui donniez, d'atteindre tous ces actes qui revêtent le double caractère d'un délit de dol et de dommage, et qui seraient sans aucune espèce de répression si le système de M. le ministre de la justice était adopté.

M. le ministre de la justice dit que le système que nous défendons est une réaction ; il trouve, au contraire, dans les propositions qu'il fait, un très grand progrès ; je suis d'un avis diamétralement opposé !

Il est évident que par ces propositions vous laissez à la mauvaise foi, à la méchanceté, au dol et à la fraude une latitude qu'ils n'ont pas aujourd'hui.

La fraude, la méchanceté et le dol sont bien mieux réprimés aujourd'hui qu'ils ne le seront sous l'empire des dispositions proposées par M. le ministre de la justice. Loin de voir en cela un progrès, j'y vois un recul. Le progrès dans la société, c'est de réprimer le dol et la fraude.

Que nous objecte M. le ministre de la justice ? Il nous dit : « Mettez cela dans la loi. » M. le ministre de la justice intervertit les rôles ; il change complètement les situations. Quelle est la situation actuelle ? Nous nous trouvons en présence du code pénal voté récemment et de la loi de 1859 : M. le ministre de la justice supprime d'un trait de plume, en un article, et la loi de 1859 et la disposition qui se trouve dans le code pénal.

Ce n'est pas notre système ; jusqu'à ce qu'on nous ait présenté et fait voter une garantie égale à celle que nous trouvons dans la législation actuelle contre le dol, la fraude et la méchanceté, qu'il nous soit permis de maintenir ce que nous avons...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - La section centrale m'avait fait la même objection ; dans une lettre que je. lui ai écrite, j'ai déclaré que le code pénal me paraissait suffisant.

M. Teschµ. - Pour nous, il ne l'est pas.

Vous me dites : Citez des cas ! Mais, messieurs, il y en a par centaines.

Vous avez parlé hier d'un homme auquel on prend 100,000 francs et qui n'a aucun recours. Vous voyez déjà par là qu'il y a possibilité de prendre 100,000 francs à quelqu'un sans tomber sous le coup de la loi.

Je ne puis pas, messieurs, vous faire dès maintenant la nomenclature de tous les actes de fraude.

Si j'avais pu penser que c'était sur ce terrain que la question serait portée, il ne m'aurait pas été difficile de trouver et très nombreux des actes de dol, de fraude et de méchanceté qui ne tombent pas aujourd'hui sous l'application du code pénal.

Il y a des atteintes à la réputation d'un homme qui ne tombent pas sous l'application de la loi. Il en est de même de beaucoup de tromperies, de beaucoup d'infidélités.

Ils sont très nombreux ; il y en a par centaines et je ne demanderais pas deux fois vingt-quatre heures pour vous les citer.

Je dis donc que jusqu'à ce qu'on n'ait pas réprimé tous ces actes par la loi pénale, nous devons conserver la législation actuelle.

Vous ne contesterez pas qu'il y ait des faits et des actes malhonnêtes pour lesquels il n'y a aucune espèce de répression. Je vous citerais le stellionat qui se trouve inséré en tête des actes que la loi de 1859 réprime par la contrainte par corps.

Oh ! je sais ce qu'on me répondra sous ce rapport ; on me dira : Vous avez aujourd'hui le nouveau régime hypothécaire, c'est à vous de vous garder. Si vous prenez toutes les précautions imaginables, vous pourrez échapper au stellionat.

Mais, messieurs, il n'est pas moins vrai que celui qui ne peut pas prendre toutes les précautions ou qu'une trop grande confiance empêche de prendre ces précautions peut devenir victime d'un acte doleux et pour lequel il ne sera pas de réparation possible pour lui si vous supprimez la contrainte par corps.

Le système qu'on nous propose, pour mon compte, je n'en veux pas.

Ce système mène à ceci : c'est que partout où la loi pénale n'a pas prévu les faits, l'insolvabilité équivaudra à l'impunité.

Eh bien, messieurs, je ne puis admettre que dans la société il y ait une situation où l'insolvabilité équivale à l'impunité ; je ne puis admettre que des faits qui revêtent un caractère de fraude ou de dol puissent se commettre, faire des victimes, et être à l'abri de toute répression.

Je maintiens donc la contrainte par corps dans tous les cas, jusqu'à ce qu'on l'ait remplacée par quelque chose d'aussi efficace.

Messieurs, la commission vous a proposé un système, M. le ministre l'a combattu hier. Examinons quelles sont les objections qu'il a faites.

M. le ministre nous a d'abord parlé de législations étrangères. Il nous a dit que parce que dans certaines législations on maintenait la contrainte par corps dans certains cas, nous voulions, nous, la maintenir dans d'autres cas.

Il nous a parlé des quasi-délits pour lesquels nous voulons maintenir la contrainte par corps.

Je ne sais pas trop si nous sommes bien d'accord, M. le ministre et moi, sur ce qu'il faut entendre par quasi-délits.

Si je comprends bien ce que c'est qu'un quasi-délit, si je me rappelle bien la définition que les juristes en donnent, le quasi-délit est précisément l'acte qui est commis sans méchanceté, c'est l'acte qui cause des dommages mais qui a été posé sans intention de nuire.

Cela est incontestable. Nous ne maintenons donc pas, comme le disait l'honorable ministre de la justice, la contrainte par corps pour les quasi-délits.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous êtes dans la plus grande erreur.

M. Teschµ. - Je ne suis pas du tout dans l'erreur. C'est M. le ministre qui est dans l'erreur. Je dis que le quasi-délit est l'acte commis sans méchanceté, sans intention de nuire.

Voilà ce que c'est et lorsque l'intention de nuire existe, lorsqu'il y a mauvaise foi et en même temps dommage, ce ne sont plus des quasi-délits, ce sont des délits. Ce ne sont peut-être pas toujours des délits au point de vue de la législation positive...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai parlé au point de vue positif.

M. Teschµ. - Je déclare que, dans le langage juridique, le quasi-délit n'est pas ce que vous indiquez.

M. Delcourµ. - C'est évident.

M. Teschµ. - Dans le langage juridique, lorsqu'il y a violation d'un devoir et préjudice pour la société ou pour les individus, c'est théoriquement un délit ; et le quasi-délit c'est l'acte commis sans méchanceté, sans malignité. C'est la définition qui en est donnée par tous les ailleurs.

Voyez ce que dit Pothier :

« On appelle délit le fait par lequel une personne, par dol ou malignité cause du dommage ou quelque tort à une autre.

« Le quasi-délit est le fait par lequel une personne sans malignité, mais par une imprudence qui n'est pas excusable, cause quelque tort à une autre. »

Cette même définition est donné, par Merlin, par Duranlon, par Touiller, par tous les juristes en un mot.

Quand donc M. le ministre de la justice nous accuse de maintenir la contrainte par corps en matière de quasi-délit, il se place à côté de la réalité.

M. le ministre nous cite les législations étrangères.

Messieurs, il est extraordinairement difficile d'apprécier les réformes de la législation des pays étrangers. Il est impossible, sans être complètement au courant de l'ensemble d'une législation étrangère, de voir si une réforme introduite dans ces pays, vous pouvez l'introduire aussi chez vous.

Ainsi, pour la contrainte par corps, est-ce que les faits qui sont prévus par le code pénal des pays voisins, les définitions que contiennent les lois pénales de ces pays, est-ce que les juridictions de ces pays sont les mêmes que dans le nôtre ? C'est cependant ce qu'il faudrait pour que les arguments que vous avez tirés de ce qui s'est fait en France, de ce qui s'est fait en Suisse, soient des arguments concluants.

Eh bien, je vais vous prouver par des textes que l'on peut aller beaucoup plus loin en matière de contrainte par corps, en Prusse, par exemple, que dans notre pays, et je vous montrerai par des dispositions de la loi pénale prussienne, qu'il est bien des faits qu'il faudrait introduire dans notre code pénal, si l'on voulait admettre votre système.

Je n'ai pas étudié à fond le code pénal prussien ; mais je l'ai parcouru et je me bornerai à vous citer deux articles qui, évidemment, n'ont pas d'équivalent dans notre législation et qui prévoient toute une série de faits qu'il serait indispensable de prévoir, si l'on entrait dans la voie où vous voulez nous entraîner.

Ainsi, je prends le titre XXXI intitulé : tromperies. Vous verrez quelle grande élasticité a cet article, combien les termes en sont généraux, combien de faits peuvent tomber sous son application,

« Celui qui, en vue d'obtenir un avantage, fait naître une erreur préjudiciable à la fortune d'autrui, soit en alléguant des faits faux, soit en altérant ou en supprimant des faits vrais, se rend coupable de tromperie (Belrug).

« La tromperie, ainsi que la tentative de tromperie, seront punies d'un (page 1039) emprisonnement d'un mois au moins, d'une amende de cinquante thalers à mille thalers et de l'interdiction à temps de l'exercice des droits civiques honorifiques. »

Ainsi, voilà pour ainsi dire le simple mensonge atteint. Regardez la définition de l'escroquerie dans nos lois et examinez en même temps la disposition que je viens de lire, et vous verrez si c'est la même chose.

Voici un second article :

Je prends le titre XXII, Des infidélités :

« Seront punis, pour infidélité de trois mois d'emprisonnement au moins et de l'interdiction à temps de l'exercice des droits civiques honorifiques :

« 2° Les courtiers, expéditeurs, commissionnaires et autres personnes exerçant une industrie pour laquelle l'autorité les oblige spécialement, si, dans les affaires qui leur sont confiées, ils portent volontairement préjudice à ceux dont ils gèrent les affaires. »

Ainsi, le simple préjudice porté tombe sous l'application pénale, alors même que ce n'est pas dans une idée de lucre.

L'article ajoute :

« Si l'infidélité a été commise en vue d'obtenir un avantage, le coupable sera condamné, indépendamment de l'emprisonnement, à une amende de 50 thalers à 1,000 thalers.

« Si le fait est de nature à entraîner une peine plus grave, cette peine sera prononcée conformément au paragraphe 5. »

Voila deux articles que je vous cite et il en est probablement bien d'autres qui portent sur des faits non prévus par notre code pénal et qu'il serait indispensable d'y introduire si on voulait aller aussi loin que le projet de loi de M. le ministre.

Ainsi, messieurs, il faudrait connaître à fond la législation de tous les pays pour tirer un argument sérieux de ce qui a été fait dans ces pays et pour pouvoir l'appliquer chez nous.

M. le. ministre a demandé dans l'intérêt de qui la contrainte par corps a été maintenue ; il a demandé si c'est dans l'intérêt du créancier ou si c'est dans l'intérêt social ; mais je dis que c'est dans l'un et l'autre intérêt ; c'est dans l'intérêt du créancier, c'est dans l'intérêt social.

Au créancier elle donne un moyen plus efficace de se faire payer ; quant à l'intérêt social, elle assure davantage l'exécution des conventions et, d'un autre côté elle empêche bien des faits, elle est un moyen de répression. A ce double point de vue, la contrainte par corps agit.

Mais, dit M. le ministre de la justice, si c'est une bonne mesure pour récupérer les créances, il faut l'employer à l'égard de toutes les créances. Cet argument prouve trop pour prouver quelque chose.

La contrainte par corps existe depuis bien longtemps dans tous les pays, est-ce qu'elle a été appliquée à toutes les créances ? Est-ce que, dans n'importe quel pays, vous la voyez appliquer indistinctement ? Est-ce qu'il n'y a pas toujours dans tous les pays certaines créances auxquelles le législateur attachait ce moyen spécial d'exécution ?

Les créances commerciales n'ont pas joui, jusqu'à présent, de cette faveur, à l'exclusion des créances civiles proprement dites.

N’en est-il pas de même des créances qui naissent d'un délit ?

Mais pouvez-vous bien assimiler toutes les créances les unes aux autres ? La créance qui naît d'un contrat librement consenti est toute différente de celle qui naît d'un fait auquel vous êtes complètement étranger. Quand vous êtes libre de traiter, quand vous avez tous les moyens de vous assurer de la solvabilité et de la loyauté de la personne avec laquelle vois traitez, il est évident que le législateur ne doit pas entourer cette créance d'autant de sollicitude que la créance qui naît d'un crime, d'un délit ou d'un autre fait de cette nature.

Il y a là une très grande différence dont vous ne tenez pas compte.

Mais, dit M. le ministre, le moyen que vous proposez, la contrainte par corps n'agit pas également, vous êtes très illogique ; et il me cite deux exemples.

Il me dit : Voilà un homme qui, par des moyens frauduleux, doleux, aura fait perdre à un individu 100,000 fr. Vous n'aurez pas contre lui la contrainte par corps. Voilà, d'autre part, un pauvre cocher qui, par imprudence, renverse quelqu'un. Il sera condamné à 400 ou 500 francs de dommages-intérêts. Celui-là est passible de la contrainte par corps. Quelle iniquité !

Messieurs, je crois que c'est une très mauvaise argumentation que celle qui se base sur des cas exceptionnels, et les exemples cités par M. le ministre peuvent se retourner avec bien plus de force contre lui. Je vais le lui prouver.

Comment ! vous supposez qu'un homme peut, sans s'exposer à aucune espèce de répression, faire perdre à un homme 100,000 francs par dol ou par fraude, alors qu’un pauvre diable mourant de faim, pour prendre une phrase à effet, qui aura pris un pain par besoin sera condamné à deux, à trois ans de prison !

Cela est-il plus logique, M. le ministre ?

Il me semble que la conclusion à tirer de ces faits est celle-ci : Il faut faire tomber sous l'application du code pénal ou placer sous le coup de la contrainte par corps celui qui fait perdre à un autre 100,000 francs par dol ou par fraude.

Voilà ce qu'il faut faire, et en agissant ainsi, vous aurez fait un progrès, mais ce n'est pas là ce que vous demandez. Votre système, au contraire, est un progrès en arrière.

Poursuivons la comparaison avec le pauvre cocher contre lequel existe la contrainte par corps.

Ce cocher sera poursuivi devant le tribunal de simple police.

Voilà cet homme doublement puni, et celui qui aura causé un dommage de 100,000 fr. sera couvert de l'impunité ; supprimez donc le tribunal de simple police pour ce cocher.

Vous êtes donc bien plus illogique que nous, et quand vous raisonnez de la sorte, la contradiction est bien plus grande de votre côté que du nôtre.

L'honorable ministre a soutenu hier que la contrainte par corps est une peine.

Au Sénat il a pris le thème contraire ; il y a démontré que ce n'est pas une peine. Aujourd'hui qu'il suppose que la contrainte par corps n'est pas prononcée contre la femme, contre le failli, contre les septuagénaires, il trouve bon de soutenir que c'est une peine.

L'exception dont a parlé hier. M. le ministre se trouve dans la loi de 1859, elle ne se trouve pas dans la loi actuelle.

M. le ministre nous dira : Vous exagérez la loi de 1859, vous renchérissez sur cette loi. Celle-là accordait une immunité dans certains cas.

Si, au contraire, il suppose que les mêmes exceptions continuent d'exister, il nous dit : Vous êtes illogique.

Mais il me semble qu'il y aurait un moyen assez simple de remédier à cet état de choses.

Si l'honorable ministre trouve qu'il y a des lacunes, des choses illogiques, qu'il propose de combler les unes et de faire disparaître les autres.

Tout le système de M. le ministre c'est, se plaçant tantôt à un point de vue, tantôt à un autre, de faire la critique des dispositions proposées. Mais, comme je l'ai démontré, son système est beaucoup plus illogique, puisqu'il laisse la société sans garantie contre des faits extrêmement graves et qu'il en punit d'autres qui méritent une répression beaucoup moindre.

L'honorable ministre a introduit hier dans le débat la loi sur les sociétés. Je n'ai pas bien compris l'argument et je ne sais quelle a été l'intention de M. le ministre.

Si je me rappelle bien, quand cette loi a été présentée on lui a reproché une chose, c'est d'être trop draconienne, d'être trop sévère. Si cette loi présente des lacunes, M. le ministre de la justice me trouvera tout prêt à l'aider à les combler ; mais je ne sais quant à présent quels sont les faits auxquels il ferait allusion et au moyen desquels il serait possible de porter préjudice, de voter sans tomber sous l'application de la loi pénale.

Je n'ai pas eu la prétention de soumettre à la Chambre un projet parfait, pas plus que M. le ministre de l'intérieur actuel, qui était le rapporteur de ce projet ; il est possible que ce projet contienne encore des imperfections ; eh bien, qu'on les signale, et si elles existent réellement, il sera facile à la législature de les faire disparaître.

C'est donc sans bonne raison, sans motif sérieux que l'honorable ministre de la justice vient vous parler de cette loi.

Après cela, l'honorable ministre de la justice nous a entretenus de la presse ; il nous a dit que tout ce que nous voulions, c'était avoir raison des écarts de la presse. Mais je pourrais peut-être dire avec plus de raison que ce que veut l'honorable ministre de la justice, c'est de faire exclusivement de cette affaire une affaire de presse, de concentrer tout le débat de cette question de presse, et de se faire ainsi le beau rôle.

Selon lui, ce que nous proposons est une réaction contre la presse et nous voguons en pleine inconstitutionnalité.

Messieurs, le discours de l'honorable ministre est bien plutôt une réaction contre une jurisprudence constante et parfaitement établie en Belgique depuis trente ans, c'est bien plutôt une critique des arrêts de la magistrature que ce que nous proposons n'est une réaction contre la presse et ici je (page 1040) répondrai doux mois à M. Hymans, qui nous disait : Pourquoi aggravez-vous la loi ; d'où vous vient celle terreur subite de la presse ?

Mais en quoi donc modifions-nous le régime de la presse ? Que faisons-nous qui n'existe pas aujourd'hui ?

Où est la réaction ? Est-ce que nous ajoutons quelque chose à la loi, est-ce que nous la modifions ? Par où donc se manifeste notre terreur ?

Je ne sache pas que maintenir ce qui existe puisse s'appeler réaction ; le mot, en tous cas, ne serait pas exact.

Mais puisque l'honorable ministre parle de réaction et d'inconstitutionnalité, parlons un instant de la presse, parlons-en en hommes qui ne recherchent pas plus les éloges de la presse, qu'ils ne craignent ses critiques ; parlons-en en homme politique et en juriste.

Je ne puis pas admettre que le système que nous défendons, que ce système qui existe depuis très longtemps soit un système réactionnaire, un système inconstitutionnel.

De quoi le Congrès s'est-il surtout préoccupé ? Le Congrès s'est avant tout préoccupé, et on pourrait dire, même exclusivement préoccupé, de. la presse politique, de la presse telle qu'elle existait à cette époque, au sortir de la grande lutte qui a précédé la révolution. Voilà en présence de quelle presse se trouvait le Congrès. A cette presse le Congrès a donné des garanties dont les événements qui venaient de se passer indiquaient la nécessité.

Maintenant, en dehors de la presse politique, y a-t-il des raisons de donner à la presse des immunités, des privilèges ; car, il faut bien le dire, la presse jouit chez nous de véritables privilèges ! Y a-t-il des raisons d'établir un régime tout à fait exceptionnel pour la presse en ce qui concerne les dommages-intérêts ? Evidemment non. Pourquoi, en définitive, donnez-vous certains privilèges, certaines garanties à la presse ? Parce que la presse à la mission de discuter les questions politiques, les questions philosophiques ; de contrôler les actes du gouvernement, de censurer, de critiquer le pouvoir.

Les garanties données à la presse pour remplir cette mission sont parfaitement légitimes, et toutes les fois qu'il s'agira de la presse politique, je ne serais certainement pas le dernier à adhérer à tout ce qu'on viendrait proposer dans le but d'assurer sa complète indépendance si la chose était nécessaire ; mais disons-le, jamais en Belgique le pouvoir ne s'est montré bien féroce à l'égard de la presse. Je crois qu'on ne pourrait pas compter jusqu'à deux les procès politiques intentés à la presse dans notre pays.

Mais devez-vous établir un régime particulier pour la presse, lorsque la presse, s'en prend à des intérêts privés ?

Ainsi, par exemple, l'honorable. M. Hymans nous disait hier qu'il sera beaucoup plus dangereux, pour la presse, de s'en prendre, à un épicier qu'au gouvernement, qu'au Roi et même au bon Dieu. Oui, messieurs, il en est ainsi et je crois que cela doit être comme cela. Quand la presse s'en prend je ne dirai pas au bon Dieu ou au Roi, qu'il convient de laisser hors de nos débats, mais au gouvernement, la presse remplit véritablement sa mission et là elle a besoin de garanties contre le pouvoir. Mais quand elle s'en prend à un épicier, c'est-à-dire à un intérêt privé, pourquoi faut-il lui accorder des prérogatives, des privilèges ?...

M. Hymans. - Elle doit avoir le droit de prouver.

M. le président. - N'interrompez pas, M. Hymans.

M. Teschµ. - Mais alors modifiez les articles du code pénal qui défendent la preuve.

Je ne prétends certes pas que notre code pénal soit parfait ; il est possible qu'il soit utile de donner, dans certains cas, à la presse le droit de faire, la preuve des faits qu'elle dénonce. Mais c'est là une tout autre question, et une très grave question. En ce moment, je discute les privilèges de la presse et je demande s'il faut pour les dommages-intérêts un régime nouveau.

Eh bien, je dis que cela n'est pas admissible. Quand le journalisme est aux prises avec des intérêts privés, particuliers, il doit être soumis à la loi commune.

Quand on vient dire que nous sommes des réactionnaires, que nous violons la Constitution, je réponds que cela n'est pas soutenable.

Le Congrès, quand il a fait la Constitution, savait bien qu'à côté de l'action publique, en ce qui concerne la presse, il existait une action privée en faveur des particuliers. Si le Congrès avait voulu bouleverser toute la législation et établir sous ce rapport un régime particulier, le Congrès l'aurait déclaré.

Mais le Congrès a dit à la presse : Quand vous resterez dans le domaine politique, vous aurez toutes les garanties nécessaires. Mais quand vous serez aux prises avec des intérêts particuliers, quand vos attaques léseront des intérêts privés, vous les réparerez dans les conditions ordinaires.

Et en cela le Congrès a fait un grand acte de sagesse.

Quand la presse remplit sa véritable mission, elle n'a guère les procès à craindre et encore beaucoup moins la contrainte par corps.

Ce n'est que lorsque la presse, je le dis pour la troisième fois, entre dans le domaine des intérêts privés, et alors il est juste et nécessaire qu'elle soit placée sur la ligne commune.

M. le ministre de la justice nous a dit qu'il avait fait faire le relevé des jugements rendus en matière de presse ; que ce relevé moulait à 66 pour tout le pays... (interruption), pour Bruxelles, soit.

Vous dites que pendant 39 ans il n'y a eu à Bruxelles que 66 jugements en matière de presse, 66 attaques dommageables contre les particuliers, alors que la contrainte par corps existait ; vous en concluez qu'il faut supprimer la contrainte par corps.

Je ne puis admettre cette conséquence. Remarquons d'abord que le petit nombre de procès faits prouve l'extrême modération du public, l'extrême indulgence du public vis-à-vis de la presse, car personne ne contestera que le nombre d'imputations injurieuses, calomnieuses, dommageables par la voie de la presse n'ait été beaucoup plus grand. On n'a donc pas à se plaindre d'un abus qui aurait été fait des procès civils et de la contrainte par corps.

D'un autre côté, il est évident que si la contrainte par corps, qui est un frein, vient à disparaître, si vous n'avez plus aucun moyen d'action, ce ne serait plus 66 procès que vous auriez en 59 ans ; mais vous en aurez 66 par an, si toutefois l'on recourait encore au procès et voilà le résultat auquel vous aboutirez ; d'une part, vous favoriserez le chantage, de l'autre, vous pousserez aux voies de fait. Ce sont là les conséquences inévitables du système qu'on vous propose.

M. le ministre de la justice, à propos de la presse, nous a encore reproché de frapper inégalement.

Voilà, a-t-il dit, d'un côté, un rédacteur qui a 10,000 francs à sa disposition ; il vous attaque, et dès que vous l'assignez en dommages-intérêts, il vous donne ses 10,000 fr. ; il en est quitte ainsi ; il n'ira pas même devant les tribunaux ; il échappera à toute condamnation. D'un autre côté, il y a un rédacteur qui n'a pas 10,000 francs, et celui-là sera soumis à la contrainte par corps.

Messieurs, comme, le disait hier l'honorable M. Hymans, restons dans la réalité des faits. Eh bien, a-t-on jamais vu un écrivain qui d'une main écrit un article calomnieux, et qui dans l'antre tient déjà les 10,000 francs pour les porter à l'homme qu'il attaque.

Cela ne s'est jamais vu et celui auquel vous offririez ainsi une somme de 10,000 francs n'est pas tenu de l'accepter. Il a droit, outre cette somme de 10,000 francs, de faire déclarer par les tribunaux que vous l'avez calomnié et de faire insérer le jugement dans les journaux.

Voilà le droit qu'il a et sous ce rapport vous n'échapperez pas.

Du reste, tout cela sont des hypothèses ; cela n'est de la réalité ni de près ni de loin, et il n'y a personne qui admettra cette hypothèse comme une chose sérieuse.

Vous dites qu'on n'aura jamais à poursuivre que des gens ne présentant aucune responsabilité efficace. Mais, messieurs, sons ce rapport les faits sont là pour répondre à cet argument. Au moyen de la contrainte, des dommages ont été réparés, et beaucoup ont été empêchés.

Assurément on tente de faire accepter la responsabilité par des insolvables, mais en face de la contrainte par corps, cette responsabilité a des dangers qu'on doit payer et payer cher. Supprimez la contrainte, le danger disparait et en même temps la dépense auquel ce danger vous expose.

Messieurs, je crois avoir rencontré tous les arguments produits hier par M. le ministre de la justice. Il ne me reste plus qu'un mot à répondre à M. Hymans qui hier nous disait que la bonne foi ne sauverait pas la presse de la contrainte par corps.

C'est une erreur très grave, très complète de l'honorable membre. C'est une confusion d'idées. Non, la bonne foi n'empêchera pas les journaux d'être condamnés à des dommages-intérêts, mais l'absence de mauvaise foi, de méchanceté empêchera que vous ne soyez soumis à la contrainte par corps.

C'est là la grande différence. Vous ne pouvez pas lorsque, même par imprudence, vous causez un dommage, vous ne pouvez pas échapper à la nécessité de le réparer.

Mais quand vous aurez causé un dommage méchamment, dans ce cas, la réparation pourra en être poursuivie non seulement par la voie ordinaire, mais aussi par la voie de la contrainte par corps. C'est là la distinction que M. Hymans n'a pas faite.

Je borne là, messieurs, mes observations.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai que quelques mois à ré» pondre à l'honorable M. Tesch.

(page 1041) L'honorable membre a commencé par dire que le code pénal avait été voté, il y a deux ans à peine, et qu'il contenait la contrainte par corps ; il en a déduit un argument en faveur du maintien du projet de loi qui a été voté par le Sénat et qui est représenté par la section centrale.

Messieurs, quand j'ai eu l'honneur de discuter au Sénat le code pénal, dans lequel se trouvait la contrainte par corps, il a été convenu de la manière la plus expresse que la question de la contrainte était réservée, et les membres, partisans de l'abolition, ont subordonné à cette réserve leur adhésion au code pénal.

Le gouvernement eût été inconséquent avec lui-même si, après avoir présenté un projet abolissant la contrainte par corps, il eût laissé adopter, sans s'en expliquer, un code dans lequel la contrainte par corps était maintenue.

Le projet de loi que nous avons déposé en 1866 a eu beaucoup de peine à sortir des délibérations de la Chambre. Mais fallait-il pour cela empêcher la promulgation du code pénal ? Evidemment, non. On ne peut donc tirer de ces faits aucune espèce d'argument.

L'honorable membre me demande pourquoi nous modifions la loi de 1859. Je pourrais poser la même question à mon honorable contradicteur. Pourquoi, lui dirais-je, avez-vous changé la législation antérieure à 1859 ?

M. Teschµ. - Je ne vous ai pas demandé pourquoi vous aviez changé la loi de 1859.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pardon, vous m'avez demandé si, depuis 1859, il y avait des réclamations ? Permettez-moi de vous demander, à mon tour, s'il y en avait en 1859 ?

M. Teschµ. - Il y avait des réclamations.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est-à dire qu'il y avait, comme, aujourd'hui, des publicistes qui réclamaient la réforme d'une législation surannée, qu'il y avait des écrivains qui, au nom de la science, protestaient contre le maintien d'une voie d'exécution barbare et inutile. Il existait pour la contrainte par corps un mouvement social en faveur de sa suppression comme il en existe un en faveur de l'abolition de la peine de mort. Est-ce que les condamnés à mort ont réclamé, et de ce qu'ils n'ont pas réclamé, peut-on en tirer un argument en faveur de la peine de mort ? (Interruption.)

Au surplus, l'honorable membre se trompe s'il croit que depuis la loi de 1859, il n'y a pas eu de plaintes.

Il y a quelques mois à peine, un étranger venait en Belgique, y contractait une dette d'hôtel s'élevant à 2,500 francs, je pense. Le créancier le fait mettre en prison. L'étranger était malade, bientôt il est à la dernière extrémité. Les parents accourent de France : ils offrent au créancier la moitié de la dette ; ils ne pouvaient faire plus. Le créancier impitoyable s'obstine, et l'étranger meurt en prison. Croyez-vous que des faits de ce genre ne soulèvent pas de plaintes ?

L'honorable membre nous dit qu'il y a un genre de créance qui mérite une protection spéciale de la part du législateur ; que beaucoup d'actes illicites ont un caractère de délit et que tant qu'on ne les aura pas prévus dans le code pénal, il faudra maintenir la contrainte par corps pour les réprimer.

L'honorable membre se retourne alors vers le gouvernement et le met en demeure d'indiquer les actes illicites pour lesquels le code pénal ne porte pas de peine. C'est vraiment un singulier débat que celui auquel nous assistons.

Comment ! je présente la loi sur la contrainte par corps en 1866. La section centrale trouve mon système impossible, elle le repousse au nom de la morale ; elle proclame que les malfaiteurs vont désormais pouvoir donner libre cours à leurs instincts, mais elle ajoute : Je veux bien de votre projet à condition que vous m'énumériez tous les délits nouveaux qui vont désormais rester impunis.

Je réponds à la section centrale : Vous êtes dans l'erreur. Votre objection tirée de l'impunité de certains délits ne me paraît pas fondée ; je ne pense pas qu'il y ait des faits essentiellement répréhensibles, qui, d'après notre législation, ne soient pas punis, et si je me trompe, je prie la section centrale de me dire quels sont les délits que les lois n'ont pas prévus. La section centrale n'a pas insisté et n'a rien proposé, et aujourd'hui l'on veut que je formule les réponses que la section centrale s'est vue dans l'impuissance de rédiger.

Vous prétendez qu'il y a des actes mauvais, des actes de fraude et de dol, des actes répréhensibles qui ne sont pas prévus. Eh bien, indiquez-les. L'honorable M. Tesch se fait fort de les énumérer en vingt-quatre heures. Il trouve que la définition de la tromperie donnée par le code pénal prussien permet d'atteindre des faits qui chez nous échappent à toute poursuite, Il promet de découvrir d'autres lacunes Que n'a-t-il fait ce travail plus tôt ? La section centrale, dont il faisait partie, eût pu en tirer profit.

M. Teschµ. - J'ai dit que je citerais des faits.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si vous pensez que le code pénal prussien punit des faits que nous devrions également punir, pourquoi ne les avez-vous pas fait entrer dans le code pénal ? Vous avez contribué à l'élaboration du code pénal ; il vous était facile d'y introduire la définition des délits que la législation prussienne réprime, si toutefois cette législation vaut mieux que la nôtre, ce que je n'ai pas examiné.

On s'égare dans cette matière, parce qu'on confond toujours, et comme à plaisir, deux ordres de choses tout à fait différents.

Il y a des fails, dites-vous, qui désormais vont rester impunis, parce que le Code pénal renferme des lacunes.

Mais on ne constitue pas des délits comme on le veut bien.

Selon l'honorable M. Tesch, le progrès dans les lois consiste à réprimer le plus possible le dol et la fraude. Très bien, pourvu que ce soit par des moyens que la morale et la civilisation approuvent. Il ne nous est pas permis d'ériger en délits toute espèce de faits. Le pouvoir social, dit Rossi, ne peut regarder comme un délit que la violation d'un devoir envers la société et les individus, exigible, en soi et utile au maintien de l'ordre public.

M. Teschµ. - Rossi ne dit pas cela.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Comment ! mais c'est textuel. D'ailleurs, si Rossi ne le disait pas, le bon sens le dirait pour lui.

Les devoirs de l'homme. Mais il en est de plusieurs espèces : l'homme a des devoirs envers Dieu ; et s'il les viole, s'il blasphème, par exemple, il commet un acte hautement répréhensible ; j'en appelle à mes honorables collègues de la droite. Eh bien, punirez-vous le blasphème dans le code pénal ? Evidemment non.

L'enfant doit honorer ses parents ; il doit les entretenir s'ils sont dans le besoin. Le fils qui manque de respect à son père, qui refuse du pain à sa vieillesse, n'est-il pas infiniment plus coupable, aux yeux de la morale que le citoyen qui commet une simple contravention ?

Eh bien, avez-vous inscrit dans la loi une peine contre le fils qui méconnaît les lois de la nature ? Non, vous ne l'avez pas fait, parce que la science du droit ne vous le permettrait pas.

Il y a deux espèces de dol, le dol criminel et le dol civil ; le dol criminel, tout le inonde peut le reconnaître, mais le dol civil a des caractères si variés, il a des nuances si délicates qu'il n'est pas toujours facile de le déterminer.

L'honorable membre nous reproche d'être illogiques. Vous frappez, nous dit-il, de peines sévères celui qui vote un pain et vous ne punissez pas l'individu qui fait perdre à un autre une somme de 100,000 fr. Mais, entre ces deux faits, il y a une différence profonde. Si l'individu qui me fait perdre 100,000 fr. s'y prend de la même manière que celui qui me vote un pain, il sera puni ; mais si les conditions constitutives du vol manquent, comment voulez-vous punir comme vol ce qui n'est pas un vol ? Oseriez-vous mettre dans le code pénal que celui qui fera perdre à un autre 100,000 fr. sera puni comme voleur ?

M. Teschµ. - Certainement, et d'accord avec tous les juristes.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est même pas d'accord avec vous, car lorsque vous présentiez la loi sur la contrainte par corps, vous disiez :

« En matière civile, il n'existe aucun motif d'intérêt général assez grave pour contrebalancer le sacrifice de la liberté du débiteur. Ce n'est que dans un petit nombre de. cas que la loi autorise la contrainte par corps en matière civile, soit parce que des motifs d'ordre public exigent l'emploi de| ce moyen extrême, soit parce que la mauvaise foi du débiteur justifie la présomption qu'il cache son avoir pour le mettre hors de l'atteinte des moyens d'exécution ordinaire. »

Ce n'est donc pas comme peine que vous admettiez la contrainte c'est comme épreuve de solvabilité.

C'est, au surplus, tellement vrai, que vous avez défini l'escroquerie avec un soin extrême et que le recours en cassation est ouvert contre le jugement ou l'arrêt qui aurait qualifié d'escroquerie les faits qui n'en ont pas le caractère.

Dans votre système, vous allez abandonner au juge le droit d'apprécier si un fait illicite a été commis avec ou sans méchanceté ; mais la méchanceté, c'est l'élasticité même et lorsque vous aurez dit qu'un individu doit être puni parce qu'il a posé un acte méchant, vous n'aurez rien précisé, rien défini. Vous aurez proclamé un principe qui laissera le champ libre à l'arbitraire.

L'honorable membre me dit que j'ai mal défini les quasi-délits. Je ne le (page 1042) pense pas. L'honorable membre se place d'ailleurs au point de vue théorique ; je prends, moi, les quasi-délits tels qu'ils sont déduis aux articles 1832 et suivants du Code civil.

Quand vous poursuivez un journaliste devant le tribunal civil, vous ne vous dites pas victime d'un délit ; vous vous prétendez seulement lésé dans votre honneur ou dans vos intérêts, et vous demandez qu'on décide qu'il y a calomnie. Le délit n'est pas criminellement constaté, mais on accorde les dommages-intérêts sous prétexte qu'il y a quasi-délit. On n'en admet pas moins l'intention méchante.

Il faut, nous dit-on, assurer par des moyens rigoureux le recouvrement de certaines créances. Mais on ne répond pas à mon argument. Je demande toujours si c'est l'intérêt du créancier que l'on invoque, pourquoi la dette de 500 francs résultant d'un quasi-délit commis méchamment mérite plus de sollicitude que celle de 100,000 francs produite par le dol ou la fraude ?

Mais, dit l'honorable membre, celui qui a perdu 100,000 francs s'est librement engagé par contrat. Est-ce que sa créance est moins respectable pour cela ? N'est-ce pas plutôt le contraire ? Il a cru avoir à faire à un honnête homme et il traitait avec un fripon.

L'honorable membre m'a demandé pourquoi j'avais introduit dans le débat la loi sur les sociétés. Je ne l'ai pas invoquée pour parler de la loi elle-même. Je l'ai introduite pro subjecta materia. J'ai dit que l'administrateur qui fera perdre par dol ou par fraude, à un actionnaire ou à un obligataire, des sommes considérables, ne sera astreint qu'au payement des actions ou obligations et ne sera pas soumis à la contrainte par corps.

J'ai dit alors : S'il y a des garanties à prendre, si la presse est si terrible, et s'il faut pouvoir la frapper, prenez aussi des garanties contre les administrateurs des sociétés.

L'honorable membre a dit ensuite que j'avais fait la critique de la jurisprudence en matière de presse.

C'est très vrai ; mais l'honorable membre n'ayant pas assisté à la première discussion, n'aura probablement pas pris connaissance de ce que j'ai dit.

Je suis obligé d'admettre la jurisprudence, bien qu'elle ne soit pas conforme à mon opinion. Je pense que, d'après l'esprit de la Constitution, les poursuites en matière de presse auraient dû être déférées au jury, mais ma critique ne va pas au delà.

J'ai dit ensuite que vous aggraviez cette jurisprudence, parce que désormais l'écrivain que la contrainte frappera sera déclaré un fripon ou un malhonnête homme.

La contrainte n'est plus, comme sous la législation actuelle, une épreuve de solvabilité. Quant vous présentiez la loi de 1859, vous déclariez que la contrainte en matière de dommages s'exercerait pour empêcher le débiteur de cacher ses biens.

Il en résultait que dès l'instant où l'insolvabilité du débiteur était constatée, son emprisonnement n'avait plus de raison d'être, et après un an vous le rendiez à la liberté. C'était donc surtout contre l'homme solvable que vous agissiez ; vous vouliez établir une épreuve de solvabilité et non prononcer une peine.

Eh bien, je dis que supprimer la contrainte par corps pour tout le monde, et ne la maintenir réellement que pour les écrivains, c'est évidemment aggraver la situation actuelle.

L'honorable membre me dit : La presse est libre, mais le Congrès n'avait en vue que la presse politique ; il n'aurait pas voulu la liberté d'une autre presse.

Le Congrès, messieurs, n'a pas distingué ; je ne connais pas deux espèces de presse ; la presse c'est la manifestation de la pensée. Est-ce que le Congrès avait la prétention de dire que la pensée devait s'appliquer à tel objet et non à tel autre ? Rien n'autorise à le croire.

L'honorable M. Tesch peut-il d'ailleurs toujours distinguer entre les attaques dirigées contre la personne privée et celles dirigées contre la personne politique ? L'honneur d'un homme est indivisible.

Je suppose qu'on accuse un ministre (le cas s'est présenté en France) d'avoir reçu un pot-de-vin.

Cette accusation touche évidemment à son honneur privé, mais elle a aussi un caractère politique. Comment saurez-vous faire une distinction ? Quand un homme politique se conduit mal au point de vue privé, il ne mérite pas le suffrage de ses concitoyens ; la presse doit pouvoir le détruire, parce qu'il y a grande présomption que s'il est malhonnête homme privé, il sera malhonnête homme politique.

Vous voulez empêcher que la presse s'occupe des affaires privées. Je crois aussi qu'elle doit rarement s'aventurer sur ce terrain. Mais s'il y a calomnie, vous avez le jury, vous avez les lois pénales. Et s'il y a des faits d'un ordre secondaire, la société est-elle désarmée ? Nullement ; chacun pourra demander la déclaration que tel ou tel article, par exemple, relate des faits faux ; cette déclaration doit entièrement suffire, ce n'est pas un sac d'agent qui répare l'honneur. Les tribunaux civils subsistent, le projet de loi ne les fait pas disparaître et ne modifie pas la jurisprudence, seulement, ils ne prononceront plus la peine de la contrainte par corps et l'on se plaindra moins des droits que la jurisprudence leur a donnés depuis 1859.

Je crois donc qu'il n'y a aucune espèce de raison de revenir au système que l'honorable membre a défendu, et qu'il convient d'adopter le projet proposé par le gouvernement.

M. Teschµ. - Je n'ai que deux mots à répondre à l'honorable ministre de la justice.

Il m'a dit qu'il ne comprenait pas que moi, l'auteur du code pénal, je n'y aie pas introduit tous les faits dont j'ai parlé aujourd'hui.

D'abord, je ne suis pas l'auteur du code pénal ; le code pénal a été préparé par une commission.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous l'avez discuté.

M. Teschµ. - Certainement et M. Bara en a discuté une partie aussi. Et précisément quand nous le discutions, nous étions en présence d. la législation sur la contrainte par corps ; et il n'y a pas un juriste, il n'y a pas un auteur criminel qui ne vous dise qu'il y a beaucoup de faits qui sont de véritables délits, qui réunissent les caractères de délit ou de fraude et qui cependant ne sont pas inscrits dans le code pénal, parce qu'ils ont été considérés comme ne portant pas une atteinte suffisante à la société et comme étant suffisamment réprimées par la loi civile et par la contrainte par corps.

Vous m'avez dit qu'il fallait faire une grande distinction entre le dol civil et le dol criminel ; et vous m'avez cité Rossi. Mais vous avez oublié, sans doute, ce qu'a dit Rossi. Vous m'avez demandé si je mettrais dans une loi une peine contre l'homme qui ferait perdre méchamment, doleusement 100,000 francs à autrui. Mais certainement, je proposerais une disposition de ce genre et nous verrions alors ce que vous pourriez dire pour la combattre.

Voulez-vous entendre ce que dit Rossi ? D'abord sa définition théorique du délit, la voici : C'est la violation d'un devoir au préjudice de la société ou d'un individu. Or, si vous m'avez fait perdre cent mille francs méchamment, vous avez violé un devoir à mon préjudice.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Continuez : « Exigible et utile au maintien de l'ordre public. »

M. Teschµ. - Je lirai tout le passage si vous le désirez. Voulez-vous savoir comment Rossi entend l'application de ses principes, je vais vous le dire :

« Le payement de ses dettes, dit-il, est sans doute du nombre de ses devoirs, et le non-paiement, s'il est l'effet d'une résolution coupable, est un délit. »

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Certainement.

M. Teschµ. - Mais alors que signifie votre question ? Si j'ai des ressources et si je ne veux pas payer, je commets le défit ; il y a dolus et damnum.

Voilà comment Rossi l'entend ; voilà ses principes : c'est, que, quand doleusement, méchamment, vous violez un de vos devoirs qui est de payer vos dettes ou quand vous me faites perdre de l'argent méchamment, doleusement, il y a dol et dommage, c'est-à-dire un véritable délit ; et s'il y a un véritable délit, pourquoi ne serait-il pas inscrit dans le code pénal ?

Maintenant, M. le ministre prétend que nous ne laissons subsister la contrainte par corps que contre les journalistes. Mais c'est là une grave erreur. M. le ministre ne veut pas admettre qu'il y ait dans la société d'autres faits répréhensibles que ceux qui sont prévus par le code pénal et qui cependant devraient être réparés.

Je sais que je ne le convaincrai pas : M. le ministre ne veut qu'une chose, l'abolition absolue de la contrainte par corps. Dès lors toute discussion devient impossible ou tout au moins inutile.

Quand, une première fois, on a discuté ici la contrainte par corps, le projet de la section centrale allait plus loin que le projet actuel, et M. le ministre lui reprochait sa trop grande rigueur. Maintenant nous proposons des dispositions plus modérées et M. le ministre trouve que cela est illogique. Il ne veut de la contrainte par corps pour personne, et il trouverait exorbitant que les femmes et les septuagénaires en fussent exemptés.

Si ce ne sont que des défauts de logique que vous critiquez dans le projet, en ce que le cocher dont vous parlez sera atteint par la contrainte par corps, tandis que celui qui aura soustrait les 100,000 francs (page 1043) ne le sera pas, pourquoi ne pas faire disparaître de la loi les actes commis par imprudence ?

On a dit hier que la contrainte par corps allait être aggravée, en ce sens que pour le dol et la fraude, elle était facultative d’après la loi de 1859 et qu’elle sera obligatoire, d’après les propositions que nous défendons ; on peut modifier ce point, et reprendre la disposition de la loi de 1859.

N'y a-t-il pas lieu d'atteindre un individu qui a des ressources pour payer ses dettes et qui ne remplit pas ses engagements ? Il y a dans la législation de la Bavière un article en vertu duquel tout débiteur qui a des biens et qui les soustrait à l'action de ses créanciers, sera appréhendable par corps. Je prétends qu'une pareille disposition est parfaitement légitime.

Je ne comprends pas qu'on puisse contester que lorsqu'un débiteur ne remplit pas ses engagements envers son créancier, alors qu'il a le moyen de les remplir, il n'y ait lieu d'exercer contre lui la contrainte par corps. Imposons au créancier l'obligation de faire toutes les preuves possibles, je le veux bien. Mais, exonérer de la contrainte le débiteur de mauvaise foi, qui est convaincu, par justice, de posséder les ressources nécessaires pour se libérer, cela n'est plus un progrès, cela est une calamité.

M. Delcour, rapporteurµ. - Messieurs, après les explications si lucides données par l'honorable M. Tesch sur le projet de loi soumis à votre examen, il me restera peu de chose à dire ; l'honorable membre a rencontré les principales objections qui ont été faites par M. le ministre de la justice. Il a répondu à l'honorable M. Hymans.

Cependant il reste quelques points qui n'ont pas été traités, et sur lesquels la Chambre me permettra de lui présenter quelques observations générales.

D'abord, messieurs, je croirais manquer à mon rôle de rapporteur si je ne relevais une parole peu parlementaire qui a été prononcée hier par M. le ministre de la justice.

En parlant de l'amendement du Sénat, amendement que la majorité a appuyé au sein de la section centrale, M. le ministre de la justice, vous l'a représenté comme un gâchis.

Cette parole, sortie de la bouche d'un membre de la Chambre, n'aurait été tolérée par personne ; dans la bouche d'un ministre, c'est un acte de haute inconvenance envers un des premiers corps de l'Etal.

Mais là ne se sont point arrêtées les aménités de M. le ministre de la justice.

A peine sommes-nous capables de comprendre le projet de loi qui nous est soumis ; nous n'en avons point saisi le ressort juridique ; nous ne nous sommes pas rendu compte de sa base rationnelle ; nous l'avons emprunté à la loi française, où plutôt il n'est qu'une phrase décapitée de l'exposé des motifs de cette loi.

Cette appréciation est bien dure ; mais je n'hésite pas à la considérer comme injuste.

L'opinion du Sénat est consciencieuse ; il l'a émise, dans la plénitude de son droit, dans la plénitude de ses prérogatives constitutionnelles. Sans doute, M. le ministre de la justice peut la combattre, c'est son droit et son devoir même, s'il est convaincu que la proposition est contraire aux intérêts du pays ; mais les convenances parlementaires ne peuvent autoriser le langage que vous avez entendu.

Et comment s'est formée la majorité qui, au Sénat, a repoussé le projet du gouvernement ? C'est une majorité mixte, dans laquelle le gouvernement rencontre à peu près autant d’amis que d’adversaires politiques.

C'était une raison pour M. le ministre d'user de ménagement.

Maintenant, messieurs, je reviens au projet de loi ; je ne ferai que quelques courtes observations, car l'honorable M. Tesch a parfaitement répondu aux critiques de M. le ministre.

On dit que je m'anime. (Interruption.) Je ne veux cependant manquer à personne.

Mais vous comprendrez, messieurs, qu'il est difficile de se contenir quand il s'agit de la dignité de la législature, de nos prérogatives parlementaires. Ce n'est pas dans cette enceinte qu'un ministre du Roi, homme de la conciliation avant tout, aurait dû se permettre le mot que vous avez entendu. (Interruption.)

MfFOµ. - Cela n'a rien de blessant ; cela se dit tous les jours.

M. le président. - Vous vous exagérez évidemment ce qui a été dit, M. Delcour.

M. Delcourµ. - Le mot a été prononcé, M. le président.

MfFOµ. - Et on avait le droit de le dire. (Interruption.)

M. Delcourµ. - Vous n'avez pas le droit d'insulter une institution constitutionnelle.

M. le président. - Il y a évidemment là une exagération regrettable, M. Delcour.

M. Delcourµ. - C'est possible, M. le président ; mais je ne puis pas tolérer qu'on traite avec si peu de ménagement les propositions consciencieuses que nous avons faites à la Chambre.

L'incident vidé, je passe à l’examen des griefs invoqués par M. le ministre de la justice.

Est-il vrai, comme le soutient M. le ministre, que la proposition du Sénat rencontre une vive opposition dans le pays ?

Je cherche, en vain, cette opposition, je me demande où elle s'est produite : je ne la trouve,nulle part.

Quels sont les corps chargés de la défense des intérêts publics, commerciaux ou privés, qui se sont adressés aux Chambres ?

Si la question agitait l'opinion publique, la Chambre et le Sénat auraient reçu de nombreuses pétitions.

Or, messieurs, à l'époque où nous avons discuté, la première fois, le projet du gouvernement, six pétitions avaient été adressées à la Chambre. Le dernier rapport de votre commission constate que, depuis le vote du Sénat, la Chambre a reçu seulement trois pétitions nouvelles.

L'une d'elles invite la Chambre à maintenir son premier vote, les deux autres la supplient d'adhérer au projet du Sénat.

Voila, messieurs, à quoi se réduit le grand mouvement de l'opinion publique.

A mes yeux, l'opinion publique sérieuse, véritable est représentée, pour les intérêts du commerce, par les chambres et les tribunaux de commerce, pour les intérêts publics, par les cours et les tribunaux.

Eh bien, la plupart de ces corps ne veulent pas de l'abolition complète et totale de la contrainte par corps.

Messieurs, l'honorable M. Tesch vous l'a dit ; je pensais l'avoir établi déjà dans les discussions précédentes. La section centrale n'a jamais songé à conserver la contrainte par corps d'une manière absolue ; elle l'avait écartée dans tous les cas où elle peut donner lieu à des critiques fondées.

La Chambre est allée plus loin ; elle a considéré le projet de la section centrale comme insuffisant.

Un autre système s'est produit dans cette enceinte, c'est celui de l'honorable M. Watteeu. Il y a rencontré une grande sympathie, car 43 membres l'ont voté.

Qu'il y ait des restrictions à apporter à l'abolition de la contrainte par corps, c'est pour nous une vérité démontrée ; c'est pourquoi la majorité de la commission n'a pas hésité à se rallier à l'amendement du Sénat. Tel est également le sentiment des grands peuples de l'Europe qui, dans ces dernières années, ont voté des lois pour restreindre l'application de la contrainte par corps.

Il est inutile de vous rappeler ces lois, elles sont indiquées dans le rapport de la section centrale.

Je vous engage à les parcourir, car je suis convaincu qu'après les avoir étudiées, vous reconnaîtrez avec nous que partout on a jugé nécessaire de maintenir la contrainte dans certains cas où l'intérêt social l'exige ; partout, messieurs, on a cédé à un même sentiment de conservation.

Je ne connais qu'un seul pays qui soit doré d'une législature conforme à celle qui a été proposée par le gouvernement ; c'est le canton de Genève. Déjà j'ai eu occasion d'analyser devant vous la loi de 1849 qui a aboli, à Genève, la contrainte par corps.

Je vous ai dit comment cette loi avait été votée par le grand conseil et les craintes que la suppression totale de cette voie d'exécution avait soulevées au sein même de la législature. On avait proposé d'ajouter à la loi, sous forme de disposition transitoire, l'article suivant :

« Le conseil d'Etat devra présenter, pour la prochaine session ordinaire du grand conseil, un projet de loi destiné à établir une pénalité pour les cas de dol ou de fraude et autres, contre lesquels les lois civiles prononçaient la contrainte par corps ; notamment pour les cas prévus par les articles 685 et suivants de la loi sur la procédure civile et les articles 2039 et suivants du code civil. »

M. James Fazy répondit en ces termes :

« Ce point a été déjà discuté au conseil d'Etat il y a quelques mois, et peut-être un projet sera-t-il déjà présenté à la session prochaine ; aussi je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'introduire expressément un article transitoire pour réserver ces quelques cas particuliers ; je puis dire positivement que le conseil d'Etat s'en occupe et présentera prochainement un projet de loi à ce sujet, et je prie l'honorable membre de retirer son amendement en présence de cette assurance que je lui donne. »

(page 1044) Aussitôt après M. Fazy, M. Camperio prononça les paroles suivantes :

« Il va sans dire qu'il y aura un changement à faire à la loi pénale pour remplacer la contrainte par corps dans le cas de fraude. »

Il n'a pas été donné suite à cette déclaration ; les événements politiques ne l'ont pas permis.

Cependant, messieurs, les craintes des partisans de la contrainte par corps étaient fondées.

Permettez-moi de vous rendre compte d'un incident nouveau qui vient de se produire au sein du grand conseil de Genève.

Dans la séance du 23 mai dernier, M. Lechet, substitut du procureur général, a développé une proposition déjà annoncée dans la précédente séance, et tendante à modifier l'article 400 du code pénal.

« Le but de la modification, a dit l'honorable auteur de la proposition, est d'empêcher le détournement des biens meubles et immeubles placés sous la main de la justice, et qui trop souvent sont détruits ou soustraits par le débiteur aux dépens du créancier. Cet abus, qui a pris des proportions considérables, n'est point considéré comme un délit, et la loi ne possède actuellement aucun moyen de l'atteindre. On a vu des fermiers devant plusieurs années d'arrérages à leurs propriétaires, et dont le mobilier avait été saisi, sortir avec armes et bagages, c'est-à-dire avec tout leur bétail et leurs instruments aratoires, et se retirer sur le territoire étranger. On en a vu d'autres, plus ingénieux encore, vendre à leurs voisins toute la terre végétale d'une partie saisie. Et, dans ces cas qui constituent de véritables soustractions au préjudice du créancier, la loi est entièrement désarmée. »

M. Alex. Martin, qui avait voté l'abolition de la contrainte par corps en 1849, s'est levé pour appuyer la proposition de M. Lechet.

« Les abus dont on se plaint, a-t-il dit, datent de plusieurs années déjà, et il faut en chercher l'origine dans la loi qui a aboli la contrainte par corps. Cette abolition a été une mesure excellente, seulement on n'a pas tenu compte d'un fait très essentiel, c'est que la contrainte par corps se présentait sous deux formes distinctes : d'abord comme moyen d'exécution, et ensuite comme pénalité dans les cas où il y avait mauvaise foi.

« En abolissant purement et simplement la contrainte par corps sans tenir compte de cette distinction, on a enlevé toute sanction pénale à la loi civile. Il faut donc, tout en maintenant l'abolition de la contrainte par corps comme moyen d'exécution, établir une pénalité pour le cas où il y a suppression ou détournement du gage du créancier. »

M. Lechet, invité à désigner les membres de la commission à laquelle sa proposition sera renvoyée, a choisi, pour en faire partie avec lui, MM. Clout-Biron et Alex. Martin. M. le président a complété la commission par les noms de MM. Aubert et Bellamy.

L'honorable M. Tesch avait bien raison d'appeler l'attention de la Chambre sur la lacune considérable que le projet du gouvernement laisserait dans notre législation. Les paroles que M. Martin a prononcées au grand conseil de Genève devraient être pour vous un avertissement. Après une expérience de vingt années, la législature du canton de Genève est saisie d'un projet de loi qui constate l'insuffisance de la législation à cet égard ; «'est un partisan de l'abolition de celle voie d'exécution qui en fait l'aveu.

Tel est aussi le terrain sur lequel s'était placée la majorité de la section centrale.

Nous consentions à abolir la contrainte par corps, mais nous disions au gouvernement : Commencez par donner à la société les moyens de sécurité qui lui sont nécessaires, et alors, nous voterons des deux mains la suppression complète et absolue de la contrainte par corps.

Ne vous faites pas illusion, messieurs. Dès que vous aurez aboli la contraint, il faudra, pour réprimer la mauvaise foi, des dispositions pénales nouvelles.

L'honorable M. Tesch a insisté sur ce point avec beaucoup de raison. La même observation avait été faite dans les sections de la Chambre, qui, toutes, même celles qui avaient voté le projet de loi, avaient chargé leur rapporteur d'appeler l'attention de la section centrale sur ce point.

Nous avons répondu à ce vœu des sections. La section centrale a engagé le gouvernement à pourvoir à la lacune par des dispositions nouvelles. M. le ministre de la justice a répondu que le code pénal est suffisant, et a engagé la section centrale à lui signaler les lacunes qu'il peut présenter.

Nous avons recherché le moyen de compléter le code pénal, nous avons cherché une formule générale pour atteindre le dol et la fraude ; nous n'y sommes pas parvenus.

La section centrale a fait preuve d'un esprit de conciliation ; la question n'avait à ses yeux aucun caractère politique ; elle eut été heureuse de trouver une solution qui eût répondu aux aspirations de M. le ministre de la justice et aux graves intérêts sociaux engagés dans le débat. Encore une fois, nous n'avons pu nous entendre, car, pour nous, le code pénal est insuffisant.

Ce point a été examiné à toutes les époques. Il est capital dans ce débat.

L'honorable M. Tesch vient de le répéter, et ne l'oubliez pas, c'est sous le ministère de l'honorable membre qu'ont eu lieu les principales discussions du code pénal ; les jurisconsultes les plus distingués du Sénat sont du même avis, avis que la majorité de la section centrale a partagé à son tour.

Je reprends un autre point du débat.

On a beaucoup discuté sur la question de savoir s'il convient de considérer la contrainte par corps comme une peine. Laissons de côté cette discussion théorique. Certainement la contrainte n'est point une peine proprement dite ; on n'y rencontre pas tous les caractères de la peine. Mais une chose incontestable, c'est qu'il est impossible de renfermer dans nos lois pénales tous les faits doleux et méchants qui exigent une répression ; sous ce rapport, la contrainte se présente comme une voie d'exécution utile pour les créanciers et nécessaire pour l'ordre social.

En effet, il y a des faits dommageables de diverses espèces.

C'est là une vérité certaine qu'aucun jurisconsulte n'oserait contester.

Il y a des faits dommageables posés méchamment ; il y en a d'autres, où l'on ne retrouve pas la volonté de nuire ; ces définitions sont au fond du droit : appelez-les délits civils ou quasi-délits, peu m'importe, mais elles sont tellement inhérentes à la nature des choses que vous ne les détruirez pas ; car elles sont fondées sur la morale et sur la justice.

L'amendement du Sénat, celui qu'avait proposé l'honorable M. Watteeu, reposent sur ces principes. Lorsqu'un fait dommageable a été commis méchamment et qu'il a causé un préjudice, que ce fait soit un fait de presse ou tout autre, il faut donner à la victime un moyen énergique et sûr d'obtenir le payement du dommage qu'elle a souffert.

Les amendements du Sénat n'ont pas d'autre objet ; ils sont si légitimes, qu'en vérité je ne puis comprendre la persistance que le gouvernement met à les écarter.

Par le premier de ces amendements, le Sénat maintient la contrainte par corps en matière criminelle, correctionnelle et de police.

Quelle est ici la cause du dommage souffert par la victime ? C'est le crime, c'est le délit ; c'est donc, un acte méchamment posé et avec toutes les conditions requises par les lois pénales.

Le fait a été constaté par le juge de répression ; son caractère délictueux est prouvé ; la méchanceté de l'agent est constatée ; la peine a été prononcée en même temps que. la réparation civile. Eh bien, n'est-il pas équitable que la victime puisse, au moyen de la contrainte par corps, obtenir la réparation du préjudice ?

Prenons un exemple.

J'ai un caissier infidèle ; il m'a voté des sommes considérables. C'est bien là un crime. Cet homme est astreint à deux espèces de responsabilités : il est responsable d'abord vis à-vis de la société, car il a manqué à un de ses devoirs sociaux ; il est responsable vis-à-vis de moi, car il est tenu de me restituer la somme votée. Mais cet adroit filou a caché l'argent ; il l'a mis en lieu de sûreté où je ne puis l'atteindre. A peine sorti de prison, il me brave ; il me regarde en face, et se joue de mes menaces. (Interruption.) Je dis que l'ordre social est exposé, lorsque la loi est appliquée de la sorte...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il resterait un an de plus en prison.

M. Delcourµ. - 'entends une singulière interruption.

Croyez-vous que cet individu qui possède mes fonds ne fera pas, s'il est certain d'être incarcéré pendant un an de plus, les plus grands sacrifices pour récupérer sa liberté ?

Il les fera, c'est un fait démontré par l'expérience de chaque jour.

Restons, je vous en prie, dans la réalité de la vie sociale, prenons garde de nous laisser entraîner par les illusions d'une dangereuse théorie. Consultez la magistrature ; consultez nos procureurs généraux, qui connaissent mieux que M. le ministre de la justice les habitudes des malfaiteurs, et vous les trouverez unanimes pour demander le maintien de la contrainte par corps en matière répressive.

L'honorable ministre s'élève ici contre cet amendement, quoiqu'il ait fait entendre au Sénat qu'il serait assez disposé à l'adopter comme moyen de conciliation.

Et nous, messieurs, nous sommes des réactionnaires, des ennemis du progrès, parce que nous vous proposons le maintien d'une disposition que le gouvernement aurait pu accepter par voie de transaction.

La vérité est que M. le ministre ne veut pas faire de concession ; il lui faut son projet tout entier, malgré la répugnance qu'il inspire au Sénat et à un grand nombre de membres de cette Chambre.

(page 1045) Il me reste à vous dire un mot de la presse.

La question de la presse a déjà été traitée par l'honorable M. Tesch ; je n'en parlerai que pour insister sur deux considérations fondamentales.

On a représenté le Sénat et la majorité de la commission comme des adversaires de la presse.

Mais en quoi vous proposons-nous d'aggraver sa situation ? Sous quels rapports la changeons-nous ? De quelle garantie la privons-nous ?

La vérité est que la presse n'a rien a redouter de l'amendement ; elle sera demain ce qu'elle est aujourd'hui.

Le projet n'est donc pas réactionnaire ; cette accusation ne repose sur aucun fondement.

J'affirme que l'opinion publique est avec nous sur cette question.

On nous a accusés, en second lieu, de placer la presse hors du droit commun. Or, cette accusation n'est pas plus fondée que la première. Nous conservons à la presse ses prérogatives et ses droits constitutionnels. Nous ne voulons pas de privilège pour elle. Mais nous ne voulons pas non plus de rigueurs inutiles.

Cette remarque m'amène à répondre à une autre observation de M. le ministre de la justice.

M. le ministre a jugé bien sévèrement la jurisprudence admise par nos tribunaux en matière de presse ; est-il bien exact de prétendre que cette jurisprudence est contraire à la Constitution, ou tout au moins a son esprit ?

Jamais je ne l'ai pensé, et je suis heureux de pouvoir m'expliquer sans réticence sur ce grave sujet.

J'étais à peine entré dans cette Chambre, en 1863, que je consentis à signer avec d'honorables collègues un projet de loi ayant pour objet de ne plus poursuivre devant les tribunaux civils les individus qui s'étaient rendus coupables d'un délit de presse. Ma pensée était celle-ci : renvoi devant le jury et pas de poursuite devant la juridiction civile pour les délits de la presse.

Le projet de loi ne touchait pas a l'action civile résultant d'un quasi-délit.

La Chambre ayant été dissoute en 1864, le projet de loi fut représenté par mes honorables amis et subit un changement radical à mes yeux, tellement grave que je me crus obligé, en conscience, mais à regret, de refuser ma signature.

L'article 2 de ce projet porte que, en matière de presse, toute condamnation à des dommages-intérêts ou autres réparations civiles devra être précédée d'une réponse affirmative du jury. Je n'ai pas suivi mes honorables amis jusque-là, convaincu, comme je le suis encore, que leur projet est en opposition avec les principes de la Constitution.

Je prie la Chambre de me continuer un moment encore sa bienveillante attention.

La Constitution établit le jury en matière criminelle pour délits politiques et pour les délits de la presse.

Ces derniers mots, messieurs, ont un sens clairement défini par les discussions qui ont eu lieu au sein du Congrès national. M. Lebeau fit la proposition suivante :

« Dans tout procès pour délit de presse, la déclaration de culpabilité appartient au jury. »

Cette rédaction ne fut pas complètement admise. Le Congrès, après avoir établi le jury en matière criminelle, réunit dans le même article les délits politiques et les délits de la presse. Il est donc certain que le Congrès n'a établi le jury que pour les délits de la presse. ; aller au delà, ce serait sortir du texte de la Constitution.

Je voulais, avec mes honorables amis, que l'action civile, qui résulte d'un délit de la presse, fût poursuivie devant le jury en même temps que l'action publique ; je me séparais d'eux en ce sens que les tribunaux civils restaient seuls compétents lorsque le dommage moral ou matériel avait été causé par un quasi-délit.

Je suis donc parfaitement à l'aise pour apprécier la jurisprudence des tribunaux.

Le Congrès a connu cette distinction. S'il n'a établi le jury que pour les délits de la presse, il en résulte que les quasi-délits restent sous l'empire du droit commun.

Le droit constitutionnel belge est bien différent du droit de l'Angleterre. Si des propositions nous sont faites, je les étudierai avec la plus grande bienveillance.

C'est à regret que j'ai entendu l'honorable ministre de la justice s'élever contre la jurisprudence des tribunaux qui repose sur un texte formel de la Constitution. Il semblerait que les tribunaux se soient mis en dehors de la Constitution et de son esprit.

Ce jugement est sévère pour la magistrature.

J'ai toujours parlé avec respect des tribunaux de mon pays ; je les ai défendus dans des circonstances où j'aurais eu peut-être, comme membre de l'opposition, certaines raisons pour garder le silence.

Loin d'affaiblir leur prestige et leur autorité morale, j'aurais désiré, de la part de M. le ministre, un peu plus de bienveillance.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je n'ai pas à répondre longuement au discours de l'honorable membre, il n'a fait que reproduire les arguments qui avaient déjà été présentés dans la discussion ; je n'ai que quelques mots à dire en réponse à la première partie de son discours.

L'honorable membre croit avoir produit un grand effet en relevant très vivement un mot que j'ai prononcé dans mon discours d'hier. J'ai dit en effet, en adressant à l'honorable membre des questions auxquelles il a oublié de répondre, que la loi, telle qu'elle nous était proposée, amènerait dans l'application un véritable gâchis.

L'honorable membre prend ce mot dans son acception la plus mauvaise ; et il en veut déduire la conséquence que, dans mon opinion, le Sénat et la section centrale sont incapables de rédiger un projet de loi.

Mais, messieurs, en tout temps et dans toutes les Chambres, on a fait des lois où il y avait des inconséquences, des impossibilités, des choses obscures, incompréhensibles ; et si je voulais prendre les discussions du Sénat, et montrer de quelle façon les textes adoptés par la Chambre ont été corrigés, augmentés, et non toujours améliorés, j'aurais beau jeu ; je pourrais même prendre à témoin mon honorable ami, M. Pirmez, qui s'en est plaint dans son rapport sur le code pénal ; je pourrais également invoquer un rapport de l'honorable M. Dewandre ; mais je ne crois pas qu'il soit utile ou opportun d'exciter des animosités entre la Chambre et le Sénat quand il n'y a pas de raisons politiques et sérieuses.

Messieurs, j'ai dit que l'œuvre que la section centrale a adoptée n'était pas suffisamment mûrie, coordonnée.

Il est bien facile de comprendre pourquoi elle ne l'est pas. L'honorable M. Barbanson, au nom de la commission de la justice, avait proposé un projet de loi que le Sénat avait adopté au premier vote et qui contenait entre autres dispositions l'article suivant :

« Les jugements et arrêts portant condamnation à des restitutions ou dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par des méfaits ou actes illicites, sont exécutoires par la voie de la contrainte par corps pour les sommes excédant 300 fr. »

Ainsi on maintenait la contrainte par corps dès qu'il y avait un acte illicite.

Le lendemain, l'honorable M. d'Anethan arrive avec un autre projet. Il propose de rédiger autrement l'article, de supprimer le minimum de la somme pour laquelle la contrainte peut être prononcée, et d'ajouter que le dommage doit avoir été causé méchamment ou de mauvaise foi. Une partie de ces propositions est adoptée, et cela se fait si vite qu'il est impossible de saisir les modifications acceptées et celles qui ne sont pas admises. Pendant dix jours, les journaux sont dans l'incertitude ; les Annales parlementaires apportent un texte incomplet, et pour savoir au juste ce que le Sénat a voté, il faut recourir aux procès-verbaux de ses séances.

Le texte même consigné au procès-verbal se ressent de la précipitation avec laquelle on l'a rédigé ; l'honorable M. Delcour n'a pas été sans s'en apercevoir.

Pourquoi a-t-il supprimé le mol « méfait » de l'article 3 ?

Est-ce, comme il le dit dans son rapport, uniquement parce que ce mot est inutile ?

L'amendement du Sénat prononçait la contrainte par corps pour la réparation du préjudice causé méchamment ou de mauvaise foi, par des méfaits ou des actes illicites.

Croyez-vous que si cet amendement avait seulement été relu, il se fût trouvé un législateur, et il y en a de très savants au Sénat, qui eût laissé passer ces expressions de « méfaits commis méchamment » ? Comment voulez-vous qu'on commette un méfait autrement que méchamment ? (Interruption.)

Vous devez donc avouer vous-même que quand je fais le procès a la rédaction adoptée par le Sénat, quand je dis qu'elle a été improvisée, quand je me sers du mot « gâchis », qui, après tout, peut très bien s'appliquer à une loi, cela n'a rien de déshonorant pour n'importe qui.

Je suis donc bien loin de mériter les reproches et les indignations de l'honorable membre.

Mais, messieurs, j'aurais aussi pu me fâcher. Le gouvernement a également, ce me semble, sa dignité.

L'honorable membre, qui veut le maintien du prestige et de la dignité (page 1046) des pouvoirs, aurait bien pu faire quelque chose pour le gouvernement et la majorité de la Chambre.

Et il n'a rien fait dans son rapport. Comment le gouvernement et la majorité de la Chambre ont-ils été attaqués par les honorables membres qui les ont combattus ?

Voilà ce qu'il est intéressant de faire connaître et l'on verra que le mot « gâchis » n'est rien auprès des expressions dont on s'est servi,

Je fais cela pour que les journaux catholiques n'aillent pas me représenter comme un homme plein de mépris pour les institutions du pays, comme un homme qui cherche à jeter la déconsidération sur le Sénat.

Ecoutez, messieurs. Le rapport de la commission du Sénat dit certes qu'il ne s'adresse pas directement ni à la majorité de la Chambre ni au gouvernement, mais il n'est pas difficile de voir qui l'on veut atteindre.

« Supposons que, dans un projet improvisé, irréfléchi, une franchise indiscrète et brutale vienne dire ouvertement à ces victimes réclamant justice et réparation : « La contrainte par corps vous protégeait ; elle était pour vos droits un gage de sécurité. Ne comptez plus sur elle ; je la retire et la supprime. Cherchez ailleurs d'autres garanties : je n'ai plus que le code pénal à vous offrir. »

« Supposons que le même cynisme dise, avec un farouche abandon, aux fauteurs de méfaits et de crimes, aux artisans de malveillance et de calomnie :

« En acquit de vos fautes, vous devez des indemnités ; qu'elles ne vous effrayent plus. La contrainte par corps vous était importune ; la sollicitude du législateur vous en affranchit. Soyez ou paraissez insolvables, et vous pourrez désormais braver impunément vos victimes, la justice civile et ses condamnations.

« Un pareil langage serait odieux, révoltant pour toutes les consciences : Nul ne voudrait le tenir, ni attacher son nom à ces sinistres déclarations. Elles ne sont pas, il est vrai, dans le projet que nous apprécions ; son laconisme se borne à supprimer. Mais, en réalité, il faut bien le reconnaître, les résultats signalés seront, comme si le cynisme de la menace se trouvait dans le texte même, l'inévitable conséquence de la suppression proposée, si elle venait à s'accomplir. »

M. Thonissenµ. - C'est bien plus fort que du gâchis !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oh oui ! Et cela se trouve dans le rapport du Sénat.

M. Delcourµ. - N'incriminez donc pas le rapporteur de la Chambre que cela ne regarde pas.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai parlé du projet de la section centrale et je ne crois pas que M. Delcour puisse prétendre à la paternité de ce projet. Si je vous lisais les discours prononcés au Sénat, ce serait bien autre chose, et vous verriez à quel degré la violence a été poussée.

Vous prétendez que je méprise toutes les institutions, que le Sénat est l'objet, de ma part, d'attaques assez vives. Voyez quelle comparaison dans la manière de faire, et si vous êtes partisan du prestige de tous les pouvoirs, veuillez faire aussi quelque chose pour la dignité de la Chambre et du gouvernement.

Mais non ; c'est tout simplement une manœuvre politique, et je regrette que l'honorable M. Delcour soit tombé dans les exagérations dont le Journal de Bruxelles lui fournissait hier le thème. L'honorable M. Delcour a trop de savoir pour n'avoir pas besoin de recourir à de si petits moyens de discussion.

M. Coomans. - Messieurs, en matière de contrainte par corps, j'ai une conviction bien arrêtée et je l'ai depuis longtemps : c'est qu'elle est complètement, je ne dirai pas injuste, mais inefficace et à peu près absurde en matière de presse.

Aux arguments qui ont été déjà fournis à l'appui de cette thèse, je pourrais en ajouter beaucoup d'autres. Je pourrais démontrer que dans les circonstances où la contrainte par corps n'est pas éludée en matière de presse, on arrive à l'iniquité ou tout au moins à l'absurdité. Elle est inefficace, souvent injuste ; par conséquent je n'en veux pas.

En vain dit-on et répète-t-on qu'il ne faut pas accorder de privilège à la presse. Je crois le contraire. La presse ne vit que du privilège constitutionnel. Elle n'a guère d'autre moyen de vivre libre. Je pourrais en citer beaucoup de preuves ; en voici une : c'est que les journalistes ont ce privilège énorme de ne pouvoir pas être recherchés même en matière criminelle. On ne peut pas rechercher le véritable auteur d'un article considéré comme criminel. La justice a beau être certaine que celui qui se déclare l'auteur de l'article ne l'est pas ; la justice ne peut rechercher les véritables auteurs. N'est-ce pas là un privilège ? N'est-ce pas là ce que vous êtes tenté d'appeler le bouleversement de tous les principes ?

Messieurs, je me borne à cette affirmation, qui pourrait être appuyée de beaucoup d'autres, pour démontrer que la presse peut jouir de privilèges d'après notre loi constitutionnelle.

MiPµ. - Pas du tout.

M. Coomans. - Si ce n'est pas un privilège que d'être mis à l'abri de la recherche de la paternité d'un article, je ne sais plus ce que vous appelez privilège. En toute autre matière, vous pouvez rechercher les véritables auteurs des faits incriminés ; vous ne le pouvez pas en matière de presse. Vous ne pouvez rechercher l'auteur véritable ni ses complices, l'éditeur, par exemple, qui est le premier complice.

M. Orts. - L'honorable M. Verhaegen a été envoyé devant la cour d'assises par M. d'Anethan.

M. Coomans. - Je soutiens que la situation de la presse est privilégiée et qu'il y a encore d'autres situations privilégiées en Belgique.

Je crois que vous ferez une œuvre raisonnable en supprimant la contrainte par corps en matière de presse, et c'est le but de l'amendement que je propose à l'article 3 et qui est ainsi conçu :

« Les jugements et arrêts, autres qu'en matière de presse, portant, etc. (Comme à l'article.)

Deux mots, messieurs, sur la contrainte par corps en général.

Si l'abolition de la contrainte par corps est une nécessité sociale et politique aussi évidente qu'on le prétend, je m'étonne d'une chose, c'est qu'il ait fallu que l'honorable M. Bara vînt pour qu'on s'en aperçût. Pendant trente-neuf ans, comme l'a dit l'honorable M. Tesch et comme l'ont dit d'autres honorables membres, presque personne en Belgique ne s'est aperçu de l'inconstitutionnalité, de l'iniquité de la contrainte par corps.

Je vous avoue qu'en ce qui me concerne je ne m'en suis jamais occupé qu'en matière de presse, et je crois que la masse du public est dans le même cas.

La contrainte par corps est considérée, selon moi, très abusivement comme une cruauté inutile exercée contre des débiteurs malheureux. Je suis très porté à croire que la contrainte par corps existe, au contraire, dans l'intérêt des petits et des faibles. Permettez-moi d'exprimer cette conviction profonde, que lorsque vous aurez supprimé cette garantie du prêteur, vous aurez élevé ses exigences et rendu beaucoup plus difficiles les prêts sollicités par le commerce.

J'ai, au sujet de la contrainte par corps, la même idée qu'au sujet du déguerpissement. On a longtemps considéré les facilités du déguerpissement comme très défavorables aux petits locataires ; je crois, au contraire, que plus vous aurez rendu le déguerpissement facile, plus aussi vous aurez amélioré la position des petits, des faibles, que vous voulez sauvegarder. (Interruption.)

Mais, messieurs, il est de notoriété publique que les garanties exigées des petits locataires sont en raison inverse des facilités offertes au propriétaire.

Si vous pouviez (c'est une pure hypothèse), si vous pouviez assurer au propriétaire le déguerpissement en quelques heures, vous feriez la chose la plus avantageuse possible aux malheureux sans abri.

J'ai peur que vous n'alliez trop loin dans le sens généreux que vous avez en vue, et peu m'importe qu'on agisse de même à l'étranger ; je suis persuadé que bien des choses faites seront défaites plus tard, de même que beaucoup de choses que nous nous abstenons encore de faire seront faites un jour.

Un point m'a frappé, à propos de la contrainte par corps, c'est que la très grande majorité du commerce en demande le maintien. Je sais que d'autres commerçants sont d'un avis contraire, mais c'est leur affaire. (Interruption.)

Je ne voudrais supprimer la contrainte par corps que pour les cas où il est démontré que le débiteur est insolvable ; alors je la considère comme une sorte de peine trop cruelle et presque illégitime, parce qu'elle est sans effet sérieux pour l'individu et pour la société.

Ceci soit dit pour sauvegarder mes convictions, devant l'expression desquelles je n'ai jamais reçu lé.

Quant à la thèse du Sénat et de notre section centrale, qui consiste à supprimer la contrainte par corps pour les cas où il n'y a ni dol ni fraude, cette thèse me paraît très modérée et j'y adhère. Si nous sommes généralement d'accord, comme je l'espère, pour supprimer la contrainte par corps en matière de presse, j'adopterai la proposition de la section centrale en regrettant qu'elle ait été beaucoup trop loin dans le sens de la suppression.

- Plusieurs membres. - Aux voix.

(page 1047) M. le président. - M. Coomans propose un amendement ainsi conçu :

« Les jugements et arrêts autres qu'en matière de presse, etc., (le reste comme au projet.) »

M. Dumortier. - Messieurs, je ne serai pas long, mais permettez-moi de vous dire quelques mots sur une question dans laquelle je suis tout à fait séparé d'opinion avec l'honorable M. Coomans.

Je regrette, pour mon compte, la suppression des dispositions portées jusqu'ici contre la presse, je regrette la mesure proposée par l'honorable M. Bara comme étant tout ce qu'il y a de plus fondé contre la presse et c'est au nom de la presse que je viens combattre ce système.

Messieurs, c'est vous dire assez que je n'entends pas entrer dans le reste du débat. Tout ce qu'ont dit les honorables MM. Tesch et Delcour est resté complètement sans réplique et certes je ne veux pas commencer par répéter ce qu'ils ont dit, mais je veux exclusivement m'occuper de la presse.

L'honorable membre a fait remarquer d'abord que dans la première discussion l'honorable M. Bara lui-même, avait reconnu que très probablement la loi telle qu'il l'avait proposée avait été modifiée en ce qui concerne la presse.

Je suis, pour ma part, convaincu qu'elle serait modifiée si elle passait, parce que vous arriveriez à un double résultat que je vais indiquer.

Quelle est la législation en matière de presse en Belgique ? Aucun cautionnement ne peut être établi ; l'éditeur n'est pas responsable.

En France, pays qu'on prend pour modèle, tout éditeur doit signer ses articles.

Il existe un cautionnement pour le payement des amendes ou dommages-Intérêts qui peuvent être prononcés.

L'éditeur est responsable et son matériel est le second gage du payement des dommages-intérêts qui seraient alloués à une partie plaignante.

En Belgique, tout cela n'existe pas.

Pas de signature, pas de cautionnement, pas d'éditeur responsable.

Par suite d'un usage intervenu chez nous, un homme de paille se déclare responsable des faits pour lesquels l'action en calomnie est intentée.

Maintenant vous allez supprimer la seule garantie qui existe, la contrainte par corps. Quelle en sera la conséquence ? J'ai entendu l'honorable M. Bara dire : Vous aurez la condamnation du calomniateur et ce sera là votre réparation.

Ce que M. le ministre n'a pas vu, c'est qu'avec ce projet celui qui gagnera son procès sera celui qui l'aura perdu.

En effet un arrêt aura développé dans de longs considérants les motifs qui rétablissent votre honorabilité ou celle de votre famille. Vous voulez que cet arrêt sorte des murs de la cour où il a été prononcé. Vous avez le droit de le faire insérer dans six journaux. Mais l'homme de paille ne payera pas l'insertion et vous en aurez pour 1,500 fr., pour 2,000 fi\, pour 3,000 fr. Oui, c'est vous, partie, gagnante, qui serez en réalité le condamné !

M. Hymans. - Et aujourd'hui ?

M. Dumortier. - Aujourd'hui, vous avez la contrainte par corps.

M. Hymans. - Est-ce que cela paye les frais du jugement ?

M. Dumortier. - Aujourd'hui l'homme de paille qui sera mis en prison viendra déclarer qu'il n'est pas l'auteur de la calomnie et quel en est l'auteur.

Dans le procès qu'a soutenu M. Rogier, au moment où l'on a signifié à l'homme de paille qu'il allait être procédé à son arrestation, celui-ci a fait connaître quel était l'auteur.

Donc, avec le système de M. le ministre de la justice, on arrivera à cette étrange conséquence que celui qui obtiendrait le bénéfice du jugement serait en réalité le condamné.

Evidemment, une telle législation doit amener un mécontentement général dans le pays ; elle engendrera une véritable persécution de la presse. (Interruptions.) En la consacrant vous légitimez les recherches, les visites domiciliaires, les emprisonnements de journalistes. (Interruption.)

Pour moi, messieurs, le système de l'honorable membre est la chose la plus fatale à la liberté de la presse.

Je préfère de beaucoup le système actuel ; il y a en Belgique une presse politique excessivement honorable, une presse qui se respecte et qui mérite tous nos égards quelle que soit sa nuance. Mais nous sommes dans un pays de liberté et à coté de cette presse honnête nous pouvons avoir à déplorer des écarts regrettables. N’avons-nous pas vu dernièrement un article odieux imprimé contre une souveraine voisine ? Eh bien, vous seriez sans moyen de le poursuivre.

Qu'arrivera-t-il alors ? Que l'indignation publique obligera à agir et qu'au lieu de ce qui est légitime et juste, vous arriverez a ce qui est illégitime et injuste.

- Des membres. - Aux voix !

M. Rogierµ. - Messieurs, mon intention n'est pas d'entrer dans la discussion générale. J'ai pris une part assez modeste à la première discussion et je ne sais par quelle fortune il m'est arrivé d'avoir été mis en scène dans la seconde d'une manière particulière.

M. Hymans. - C'est le rapport de la section centrale.

M. Rogierµ. - C'est le rapport de la section centrale, c'est l'honorable ministre de la justice, et c'est l'honorable M. Hymans.

Mais ce n'est pas précisément pour cela que je prends la parole.

Les discours remarquables prononcés en faveur du projet primitif du gouvernement et contre la proposition de la section centrale n'ont pas, je l'avoue, modifié mes premières appréciations.

Je persiste à croire qu'il n'est pas bon, qu'il n'est pas juste d'assurer l'impunité à un individu quelconque, journaliste ou non journaliste, qui a volontairement et de mauvaise foi infligé un dommage à un citoyen belge. Voilà la thèse que j'ai soutenue dans la première discussion et j'avoue qu'il m'est impossible de revenir sur cette opinion.

On a rappelé les opinions que j'ai émises ou formulées en actes officiels. Ces opinions sont restées absolument les mêmes ; je n'ai rien à en retrancher, rien à y ajouter.

M. le ministre de la justice a bien voulu rappeler, ce que j'avais déjà fait moi-même dans la première discussion, l'opinion que j'ai exprimée relativement à des poursuites civiles intentées à la presse par des fonctionnaires publics. J'ai regretté cette manière de procéder ; je l'ai fait en termes catégoriques en 1847. Je pensais alors et je pense encore que le fonctionnaire public attaqué à raison de l'exercice de ses fonctions ne. doit point s'adresser au tribunal civil ; que c'est à la juridiction du jury qu'il doit avoir recours.

Je crois que c'est là l'esprit de la Constitution, et si M. le ministre de la justice, qui partage cette opinion, venait à la formuler en loi, je lui promets d'avance mon faible appui.

Je considérerais cela comme un véritable progrès et comme une garantie qui manque à la presse.

Mais, messieurs, je trouve que M. le ministre de la justice va trop loin t lorsqu'il suppose que l'opposition que rencontre son projet est exclusivement dirigée contre la presse.

Je ne dirai pas, messieurs, que M. le ministre de la justice qui défend chaudement la presse, se place dans une position bien favorable. Je suis bien persuadé qu'il n'entre aucun calcul dans la position qu'il a prise, que l'opinion qu'il exprime est le résultat d'études et d'une conviction profondes, et que ce n'est pas M. Bara qui cédera jamais au désir d'obtenir au prix de ses convictions la popularité éphémère de la presse.

Mais il doit reconnaître qu'une conviction contraire à la sienne peut être également consciencieuse. Sous ce rapport, je dois le dire, je n'ai pas entendu avec plaisir la qualification un peu dure qu'il a adressée au rapport de la commission dont faisaient partie MM. Delcour et Tesch. Cette expression aurait pu être un peu plus aimable.

Je n'ai pas entendu non plus avec plaisir la manière dont on a qualifié l'opinion que je soutiens avec plusieurs de mes honorables amis. C'est une opinion rétrograde, réactionnaire, ultra-conservatrice.

Eh bien, il ne nous plaît pas d'entendre de pareilles qualifications, soit de la bouche de l'honorable ministre de la justice, soit de celle de l'honorable M. Hymans. On n'est pas réactionnaire quand on soutient cette opinion ; on est, au contraire, partisan de la liberté de la presse.

On invoque, les souvenirs de 1830, on invoque la Constitution. Mais en 1830 on se faisait du rôle et de la mission de la presse une idée beaucoup plus haute que celle qu'on semble en avoir aujourd'hui. A côté de la liberté illimitée, on plaçait un autre principe tout aussi respectable : la responsabilité. Ce n'est qu'au prix de la responsabilité que la liberté peut être efficacement, honorablement exercée.

Relisez les deux arrêtés du gouvernement provisoire du 18 octobre 1830 ; ils proclament en très bons termes et dans un très beau langage les grands principes : liberté illimitée de la parole, de la presse et de l’enseignement, liberté illimitée d'association, mais avec la réserve qu'il n'y aura pas de privilèges, que les actes coupables, commis par les membres des associations ou par les associations elles-mêmes, seront punissables.

Voilà comment le gouvernement provisoire et le Congrès ensuite, en proclamant les libertés, ont entendu mettre à côté d'elles la responsabilité.

Pour la presse, est-ce que la Constitution ne dit pas que la liberté de la presse existe, mais avec la répression des délits commis à l'occasion de (page 1048) l'exercice de cette liberté, comme la liberté de l'enseignement, comme la liberté de la parole ?

On renferme aujourd'hui le débat dans la liberté de la presse.

Mais, messieurs, il y a une autre liberté que la liberté de la presse ; cette liberté-là tend à se propager de jour en jour ; c'est la liberté de la parole, c'est la liberté de parler dans le premier meeting venu ; c'est la liberté des conférences. Là, on aura la liberté illimitée de vous insulter, de vous outrager, de vous attaquer dans votre honneur, et cela tous les jours, à toute heure, dans tous les lieux. En effet, pour peu que ces parleurs, ces orateurs se retranchent derrière une insolvabilité réelle ou feinte, le citoyen reste impunément attaqué dans sa fortune ou dans son honneur.

Une pareille injustice me révolte ; elle me révolte d'autant plus qu'elle peut être commise au profit d'un misérable. (Interruption.)

« Le code pénal est là, » me dit-on. Mais on vous a démontré que le code pénal est impuissant pour atteindre ces délits ; qu'il y a moyen de ruiner un homme sans le calomnier, même sans l'injurier.

Quand le code pénal prononce une amende récupérable par la contrainte par corps, qu'arrive-t-il ? Le malheureux qui ne peut payer l'amende, on le punit par l'emprisonnement, tandis que le riche, qui peut la payer, ne va pas en prison.

Ainsi l'insolvable, s'il ne paye pas l'amende à laquelle il a été condamné, on le met en prison ; mais pour les dommages-intérêts, on n'y fait pas entrer celui qui a ruiné une famille ; celui-là se retranche derrière son insolvabilité vraie ou prétendue et il échappe à la prison, Voilà ce qui me paraît souverainement injuste ; voilà ce que je combats. Le gouvernement provisoire, le Congrès, toute cette génération politique de 1830, étaient animés de deux grands sentiments, du sentiment de la liberté d'abord et du sentiment de la justice ensuite.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous sommes d'accord.

M. Rogierµ. - Messieurs, l'honorable M. Hymans a fait de la presse un tableau peu ressemblant.

Il est venu nous dire qu'il était passé en usage dans la presse d'avoir des prête-noms. Il n'a pas trouvé beaucoup à dire à cela.

Je commence par déclarer, en ce qui le concerne personnellement, que je lui crois trop d'honneur et trop de courage civil pour se servir de ces moyens.

Mais je ne comprends pas qu'on puisse faire ici l'apologie d'une chose aussi peu honnête. (Interruption.)

M. Hymans. - Je demande la parole.

M. Rogierµ. - Si je disais quelque chose de pénible à M. Hymans, on pourrait m'interrompre.

M. Hymans. - Je ne puis pas admettre qu'on m'accuse de faire l'apologie d'une chose malhonnête.

M. Rogierµ. - Vous avez cité des faits existants et vous les avez signalés comme devant se propager.

M. Hymans. - Ces faits sont exacts. Voilà tout.

M. Rogierµ. - Je dis maintenant qu'il ne faut pas encourager cet usage ; que tous les efforts devraient plutôt tendre à le détruire et qu'aussi longtemps qu'il existe, il faut au moins que les citoyens qui ont droit à la protection si les autres ont droit à la liberté, aient dans les mains une arme contre un genre de soi-disant représentants de la presse.

Que M. le ministre de la justice me permette de le lui dire : il s'est, selon moi, montré trop absolu dans cette affaire. J'aurais voulu le voir tendre la main à une transaction, transaction quelconque, qui, sans entamer profondément le principe de la loi, eût été une satisfaction et pour les membres de la Chambre qui n'ont pas accepté la loi dans toute son étendue et aussi, messieurs, pour une autre branche du pouvoir législatif, pour le Sénat.

Messieurs, dans la Chambre, chacun de nous jouit de la même indépendance ; il faut bien admettre que, dans des questions qui n'ont pas de caractère politique marqué, il existe des divergences d'opinions entre le ministère et ceux qui le soutiennent d'habitude. Eh bien, je trouve qu'on n'a pas fait assez pour donner satisfaction aux scrupules de quelques-uns des amis du ministère.

Pour moi, j'en prends mon parti et je n'adresse pas de reproche à l'honorable ministre de la justice. Mais vis-à-vis du Sénat, là aussi il y a des hommes qui appuient ordinairement le ministère et qui n'ont pas cru pouvoir s'associer à son système d'une manière complète. Est-ce que, à ceux-là au moins, on ne pouvait pas faire une concession ? Est-ce que, dans l'état actuel des choses, il ne serait pas pratique, il ne serait pas sage de tâcher d'éviter un conflit au moyen d'une transaction quelconque ? Je voudrais voir M. le ministre de la justice et ses collègues disposés à entrer dans cette voie.

Je demande d'abord si M. le ministre de la justice et ses collègues font de cette affaire une question de cabinet vis-à-vis la Chambre ? En second lieu, je demande, si la Chambre et le Sénat maintiennent leurs votes, et s'il en résulte un conflit, quelle sera la conséquence de ce conflit ?

Messieurs, j'avoue qu'il me paraît difficile de supposer que le Sénat revienne sur son vote, si on lui présente la loi absolument dans les mêmes termes où elle lui a été présentée la première fois. Je demande à M. le ministre de la justice s'il a pensé aux suites que peut avoir la présentation nouvelle au Sénat d'une loi que le Sénat amenderait de nouveau ? Je n'entends pas porter la moindre atteinte à la dignité du ministre ; mais ne vaudrait-il pas mieux de proposer ou d'adopter un amendement que j'appellerai de conciliation ?

Je suis d'autant plus encouragé à exprimer ce vœu que je me rappelle que dans la première discussion, beaucoup de mes honorables collègues avaient cru remarquer chez M. le ministre de la justice le désir d'accepter un amendement qu'il ne repoussait pas d'une manière absolue.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'avais pas le désir d'adopter cet amendement, puisque je l'ai formellement combattu.

M. Rogierµ. - Il a été un moment où vous avez été sur le point de fléchir, vous ne pouvez le nier (Interruption.) Messieurs, ce n'est pas un crime de se laisser aller aux raisons de ses amis, alors surtout que cela ne blesse aucun principe. Eh bien, il est fâcheux que. M. le ministre de lav justice ne se soit pas laissé aller à ce mouvement qui était, je crois, le bon.

Il n'est pas trop tard. Qu'y aurait-il à redouter ? Peut-être la presse dira : Le ministre de la justice a cédé. Eh bien, tous ceux qui connaissent M. le ministre de la justice, tous ceux qui savent l'apprécier, qui savent apprécier la droiture de son caractère, tous ceux-là, au contraire, applaudiront à l'acte de conciliation auquel il aura bien voulu s'associer.

Voila, messieurs, ce que j'avais besoin de dire, avant le vote. Nécessairement, si M. le ministre me dit que cette question est une question de cabinet, ou une question de portefeuille, ou une question personnelle, malgré notre divergence d'opinion, je voterai pour la loi, mais je voudrais bien une solution qui mît tout le monde un peu plus à l’aise. Je voudrais éviter un conflit qu'il ne faut affronter que dans les circonstances importantes, et il n'y a pas ici de question politique.

J'espère qu'il surgira un amendement dans le sens des idées que je viens d'exprimer.

MfFOµ. - L'honorable M. Rogier vient de demander si le gouvernement fait une question de cabinet du projet de loi qui est actuellement soumis à la Chambre. Si l'honorable membre avait bien voulu se rappeler ce qui s'est passé, je crois qu'il n'aurait pas formulé une pareille demande. Quelle est la situation ? La Chambre s'est prononcée une première fois quant à la contrainte par corps. Elle a émis un vote favorable au projet du gouvernement, et nous ne supposons pas qu'elle soit disposée à changer d'opinion. Nous demandons, quant à nous, la confirmation du vote émis par la Chambre.

L'honorable membre nous demande ensuite s'il s'agit seulement d'une question de portefeuille ? C'est la deuxième question qu'il pose.

L'honorable M. Bara a suffisamment indiqué comment il appréciait la conduite qu'il croyait avoir à tenir dans les conjonctures qui se sont produites. Après le vote du Sénat, comme la Chambre en a été informée, il a offert sa démission, dans la pensée que c'était là un moyen de résoudre la difficulté qui s'était élevée. Eh bien, ses collègues du ministère, comme ses amis de la Chambre, n'ont pas pensé que sa démission pût être une solution. Ils ont été d'avis qu'il y avait lieu d'appeler la Chambre à se prononcer sur les amendements introduits dans le projet par le Sénat. Nous croyons que la Chambre persévérera dans l'opinion qu'elle a exprimée sur ce projet par un vote antérieur. S'il en est ainsi, nous représenterons le projet au Sénat, et il est probable que nous trouverons alors un moyen d'aplanir les difficultés existantes.

C'est pour ces motifs que je convie la Chambre à ratifier son premier vote.

- La discussion est close.

Discussion des articles

Article premier (du projet de la section centrale)

M. le président. - Voici l'article premier du projet présenté par la section centrale :

« La contrainte par corps est supprimée, sauf les exceptions qui suivent. »

M. le ministre de la justice vient de me faire parvenir un amendement qui consiste à reproduire l'article premier voté par la Chambre. La différence consiste dans la suppression des mots « sauf les exceptions qui suivent. »

(page 1049) M. Mullerµ. - On veut faire voter à la Chambre quoique chose de vague.

M. le président. - Il s'agit des excluions que le Sénat a introduites dans le projet adopté par la Chambre au premier vote. Je mets donc aux voix la proposition de M. le ministre de la justice.

- Il est procédé à l'appel nominal.

91 membres y prennent part.

54 répondent oui.

33 répondent non.

4 s'abstiennent.

En conséquence la proposition est adoptée.

Ont répondu oui :

MM. Nothomb, Orban, Preud'homme, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Delaet, De Lexhy, d'Elhoungne, de Maere, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrière, de Vrints, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Lippens, Moreau et Dolez.

Ont répondu non :

MM. Mulle de Terschueren, Nélis, Notelteirs, Reynaert, Schollaert, Tack, Tesch, Thibaut, Vander Donckt, Van Wambeke, Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans, de Clercq, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delcour, de Muelenaere, de Naeyer, de Terbecq, de Theux, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Jonet, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lebeau, Lefebvre, Liénart, Magherman et Moncheur.

Se sont abstenus :

MM. Muller, Orts, Pirmez et Watteeu.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Mullerµ. - Dans la première discussion du projet de loi au sein de la Chambre, j'avais voté l'amendement présenté par notre honorable collègue, M. Watteeu, qui supprimait d'une manière absolue la contrainte par corps en matière de conventions, en la réservant pour des délits et quasi-délits commis avec méchanceté, causant préjudice et dans l'intention de nuire.

Cet amendement n'ayant pas été adopté, j'ai voté la suppression absolue de la contrainte par corps, pour ne pas contribuer à laisser en prison des débiteurs détenus durement, selon moi, pour dettes résultant de conventions.

Tantôt, je me suis abstenu sur la fin de l'article premier, parce que je ne voulais pas, s'il se présentait ultérieurement, écarter d'avance un amendement qui aurait une portée analogue à celle de la proposition qu'avait faite M. Watteeu, et que, d'autre part, mon intention n'est pas de faire dépendre de cette éventualité mon vote favorable à la loi.

Quant aux dispositions du Sénat, je ne puis les admettre, parce qu'elles constituent une aggravation partielle du projet primitif de la section centrale, que j'ai rejeté comme étant déjà trop rigoureux, et qu'elles s'éloignent complètement de l'amendement de M. Watteeu.

M. Orts. - Si j'avais assisté au premier vote, j'aurais voté l'amendement de M. Watteeu. C'est assez vous dire que je ne suis pas partisan de la contrainte par corps sans exception.

Mais d'un autre côté, je ne puis accepter toutes les exceptions proposées. C'est pour ce motif que je me suis abstenu.

MiPµ. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs.

M. Watteeuµ. - Je me suis abstenu parce que les amendements proposés par le Sénat, de même que les propositions de la section centrale, 'maintiennent une rigueur qui dépasse de beaucoup ce que je crois nécessaire pour agir contre les débiteurs. Je n'ai pas non plus vite contre, parce que je ne voulais pas qu'indirectement il en résultat le maintien de la loi votée par la Chambre.

D'un autre côté, je n'ai pas voulu reproduire mon amendement parce que, dans les circonstances tout à fait spéciales que le projet a créées, je n'ai pas voulu intempestivement augmenter les difficultés qui pouvaient en résulter.

M. le président. - Le vote qui vient d'avoir lieu a pour conséquence de faire tomber toutes les propositions tant du Sénat que de la section centrale.

Il y a donc lieu de mettre aux voix maintenant les articles complémentaires du projet du gouvernement.

Article 2

« Art. 2. Les jugements déjà rendus ne pourront être exécutés en ce qui concerne la contrainte par corps.

« Seront immédiatement mis en liberté tous les individus incarcérés en vertu de jugements qui autorisaient l'exécution par corps. »

M. Delcourµ. - Il y a un article qui a été voté au premier vote et qui concerne les témoins défaillants. Je ne pense pas qu'il entre dans les intentions de M. le ministre de retirer cet article ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non.

M. le président. - C'est l'article suivant.

- L'article 2 est adopté.

Articles 3 et 4

« Art. 3. Sont maintenues les dispositions relatives à la contrainte par corps contre les témoins défaillants. »

- Adopté.


« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Second vote des articles et vote sur l’ensemble

M. le président. - Le projet ayant été amendé, il y a lieu à un second vote ; la Chambre entend-elle y procéder immédiatement ?

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

- Les articles amendés sont successivement mis aux voix et adoptés.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble.

85 membres y prennent part.

56 répondent oui.

29 répondent non.

3 s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté pour :

MM. Muller, Nothomb, Orban, Preud'homme, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Delaet, De Lexhy, d'Elhoungne, de Maere, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrière, de Vrints, Dewandre, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Lippens, Magherman, Moreau et Dolez.

Ont voté contre :

MM. Mulle de Terschueren, Nélis, Notelteirs, Reynaert, Schollaert, Tack, Tesch, Thibaut, Vander Donckt, Van Wambeke, Wasseige, Wouters, Beeckman, Coomans, de Clerck, de Haerne, Delcour, de Muelenaere, de Terbecq, de Theux, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Jonet, Julliot, Landeloos, Lebeau, Lefebvre, Liénart et Moncheur.

Se sont abstenus :

MM. Orts, Pirmez et Watteeu.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.

M. Orts, M. Pirmezµ et M. Watteeuµ déclarent s'être abstenus pour les motifs qu'ils ont fait valoir lors du vote précédent.

- La séance est levée à cinq heures et demie.