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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 20 mai 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 923) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Reynaert, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les bourgmestres de diverses communes du Hainaut demandent une loi ou des dispositions réglementaires sur la sonnerie des cloches. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Libotte réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le remboursement de contributions qu'il a payées à la décharge du département des travaux publics. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Zele, exploitant des prairies situées du côté opposé de la rive de l'Escaut à Termonde, se plaignent qu'on soumette à une rétribution les bacs et bateaux qui servent à transporter leurs foins vers le rivage de Zele et de Grembergen. »

- Même renvoi.

M. Vermeireµ. - Messieurs, je demande que la commission soit invitée à faire un prompt rapport sur cette pétition ; l'objet en est très urgent, attendu qu'on va être à la veille de faire les foins et il est indispensable que le rapport soit présenté avant cette époque.

- La proposition de M. Vermeire est adoptée.


« M. Beke, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi autorisant le rachat des embranchements du canal de Charleroi

Rapport de la section centrale

M. Jouretµ dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant rachat par le gouvernement des embranchements du canal de Charleroi.

Projet de loi relatif aux indemnités en matière de réquisition militaire

Rapport de la section centrale

M. Thonissenµ dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif aux indemnités pour les voitures de transport requises par les troupes en marche et autres prestations militaires.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder le chemin de fer de plateaux de Herve

Rapport de la section centrale

M. Vander Maesenµ dépose le rapport sur la concession du chemin de fer des Plateaux de Herve.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur la milice

Discussion générale

M. Vermeireµ. - J'avais demandé la parole, dans la séance d'hier, lorsque j'y avais entendu M. le ministre de l'intérieur, avec cette ardeur qui le caractérise, taxer de socialistes les idées que j'avais émises sur les moyens de recruter l'armée, en dehors du tirage au sort.

Je dois l'avouer, ce reproche, de la part d'un homme aussi sensé que l'est l'honorable ministre, m'avait profondément touché.

Aussi, j'ai eu le regret de ne pouvoir immédiatement réfuter son appréciation, erronée à tous égards.

Si ce reproche qui m'a été adressé par l'honorable ministre n'avait été aussi grave, j'aurais pu le passer sous silence ; mais en présence d'allégations dans lesquelles sa perspicacité a été mise en défaut, le silence ne m'est plus permis.

Pour mieux faire ressortir la différence qui existe entre le socialisme de 1848, auquel j'ai fait allusion, et le socialisme qui résulterait de mon observation sur le recrutement de l'armée, examinons brièvement la signification de l'un et de l'autre.

Le socialisme de 1848 avait pour objet la proclamation du Dieu-Etat : tout devait se faire par l'Etat et sous son initiative.

L'Etat avait reçu pour mission d'organiser le travail en vue d'élever les travailleurs de la condition de salariés qu'ils étaient à celle d'associés.

En d'autres termes, le travail individuel avait été supprimé ; et on y avait substitué le travail collectif, profitant directement aux intéressés, non dans la proportion de leur production, mais selon qu'ils auraient pu y prendre part d'après leurs goûts et leurs aptitudes.

Voilà le socialisme que j'avais combattu. Il avait été mis un moment en pratique. Il a laissé de trop douloureux souvenirs, pour qu'on y revienne de sitôt.

Mais au même instant où j'avais énoncé ces prémisses, j'aurais dû, selon l'honorable ministre de l'intérieur, me rendre coupable du même fait.

Or, qu'avais-je demandé, sinon que l'on revînt à l'application des saines doctrines qui avaient inspiré le législateur de 1817.

C'est-à-dire que, du recrutement volontaire l'on fît la base du contingent annuel et que l'on n'eût recours au tirage au sort que pour en compléter le manquant ou l'insuffisance. Si, donc, l'exécution de la loi de 1817, laquelle, selon l'expression de la section centrale, est encore la loi fondamentale régissant la matière, est peu ou point exécutée, parce que, dans l'idée du gouvernement, elle serait entachée de socialisme, le devoir du gouvernement était, non de la modifier plus de quinze fois dans ses parties accessoires, mais de la changer complètement dans sa base.

Mais, non seulement, le gouvernement ne l'a point fait, ni ne proposera de le faire ; il continuera à l'appliquer, en substituant l'exception à la règle et réciproquement.

L'Angleterre, elle, à qui l'on doit reconnaître une application juste et droite de la science économique, est bien heureuse de ne point se trouver aux prises avec notre ministre de l'intérieur. Elle serait taxée par lui entre la pire espèce des socialistes, puisqu'elle parvient à recruter son armée parmi les volontaires et à suspendre, depuis plusieurs années, le tirage au sort.

II est vrai que l'honorable ministre de la guerre n'estime pas l'armée anglaise à une haute valeur ; mais je pense cependant qu'elle répond parfaitement à sa destination.

MgRµ. - Je n'ai pas dit cela.

M. Vermeireµ. - Vous avez dit que l'armée anglaise n'avait pas fait suffisamment ses preuves dans certaines circonstances.

MgRµ. - J'ai parlé des milices anglaises, mais non de l'armée. Cela est tout à fait contraire à mon sentiment.

M. Vermeireµ. - Nous examinerons cela. Du reste si vous ne l'avez pas dit, vous devez reconnaître que l'armée anglaise, qui est recrutée parmi les volontaires, est aussi bonne que l'armée qui est formée par la conscription.

Messieurs, je ne veux pas revenir sur les observations pratiques que j'ai énoncées dans mon premier discours ; je crois qu'elles peuvent être appliquées sans blesser, en quoi que ce soit, les principes de justice et d'équité. Je persiste donc dans ma première résolution de voter contre la loi.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je désire porter à cette tribune deux mots d'explication après les paroles de M. le ministre de la guerre, deux mots de protestation après les paroles de M. le ministre de l'intérieur.

Dans la séance d'hier, M. le ministre de la guerre m'a reproché (et c'est à ce moment que j'ai demandé la parole) d'avoir, tout en acceptant pour base des calculs que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, les chiffres actuels du contingent, commis une erreur considérable d'addition, parce que le volontaire servant même pendant un temps double, n'apporte au contingent qu'un homme comme le milicien.

C'est là une doctrine que je n'ai pu admettre et qui ne me paraît pas admissible.

Voici, en effet, un texte bien formel que j'emprunte à l'exposé des motifs de la dernière loi militaire en France, celle du 3 février 1868 :

« La force numérique d'une armée dépend de la force des contingents multipliés par la durée du service, »

(page 924) Il y a donc là deux termes corrélatifs, et dans son augmentation c'est le second que M. le ministre de la guerre a négligé.

M. le général Renard m'a reproché également, alors que j'ai combattu aussi énergiquement que je l'ai pu le remplacement, d'avoir oublié que dans mon système les volontaires étaient eux-mêmes guidés par une opération mercantile.

C'est l'expression dont s'est servi M. le ministre de la guerre. Je regrette vivement qu'il n'ait pas fait de distinction entre l'homme qui traite avec l'homme et le citoyen que le gouvernement rémunère pour son service. Je regrette encore plus qu'il ait passé complètement sous silence un argument sur lequel j'ai cru devoir insister, à savoir que lorsque l'Etat, après le service rempli, rémunérera le volontaire en lui assurant une existence et une autre carrière, par cela même le service volontaire sera plus honorable et plus honoré.

Enfin, M. le ministre de la guerre qui, récemment, m'avait fait un grief d'avoir introduit ici un mémorable aveu de Napoléon Ier sans en faire connaître la source, m'a accusé de nouveau, dans la séance d'hier, d'avoir invoqué fort inexactement, fort légèrement, l'opinion du général Trochu, quand j'ai parlé d'une manière générale de cette question véritablement sociale des classes agricoles entrant en grand nombre dans l'armée et trop disposées plus tard à déserter le sol.

Je cite les expressions dont s'est servi M. le ministre.

« Il est impossible de trouver dans les opinions émises par le général Trochu la moindre trace d'une appréciation défavorable quant à l'influence du séjour des campagnards dans les villes. »

Et cependant, messieurs, nous savons que tout le livre du général Trochu est composé sous l'influence de cette idée qu'il y a un devoir pour le législateur, c'est-à-dire un grand intérêt social à ne pas rompre, à ne pas affaiblir le lien qui unit l'armée à la population. Cela est si bien dans la pensée de M. le général Trochu qu'il écrit dès le commencement de son livre :

« Le recrutement puise chaque année dans le personnel de la fabrique agricole, mère de toutes les industries nationales, dans le personnel des professions manuelles, avec une certaine mesure dans le personne des carrières libérales une part considérable et la plus vigoureuse des éléments constitutifs de la population. »

Et lorsque M. le général Trochu a développé le système auquel il rattache la moralisation de l'armée, lorsqu'il a vivement insisté sur les heureuses conséquences que, dans son opinion, ce système doit produire, il n'hésite pas à déclarer qu'on se trouve, d'autre part, devant ce grand danger que j'ai déjà signalé.

« L'armée, dit-il, deviendrait avec le temps un redoutable instrument de déclassement. »

Et pour mieux préciser sa pensée, il ajoute dans une note sur laquelle, messieurs, j'appelle toute votre attention :

« C'est par là spécialement que s'opérerait l'abandon de plus en plus généralisé des travaux des champs par les populations agricoles qu'attire déjà dans les grands centres l'appât des salaires élevés. »

Cela me paraît clair ; cela me paraît précis.

Mais en Belgique, messieurs, ce danger social n'existe-t-il pas ? N'a-t-il pas été signalé ? J'ai ici un rapport présenté à la société centrale d'agriculture à la suite de l'exposition de Paris, au moment où l'on s'occupait des nouveaux projets d'organisation militaire, et voici ce que je lis dans ce rapport :

« L'agriculture en Belgique est à la veille de supporter un fléau dont on ne peut prévoir tous les désastres. Déjà les campagnes manquent de bras, déjà on a recours aux machines pour remplacer imparfaitement la main-d'œuvre, et une aggravation d'impôt, un nombre plus grand de jeunes et vaillants travailleurs va être enlevé aux campagnes par suite de la réorganisation militaire proposée par le gouvernement belge. »

Je persiste à croire, messieurs, que nous avons à tenir un compte sérieux de l'élément agricole, qui est le plus patriotique, le plus stable, qui forme le gage le plus solide de l'ordre et de la moralisation dans le pays.

Mais est-ce à dire que je sois l'ennemi de l'industrie ? Et parce que je désire que l'élément agricole ne s'affaiblisse pas, est-il vrai, comme me l'a reproché M. le ministre de l'intérieur, que je forme des vœux pour que l'élément industriel recule et souffre ? Mais, messieurs, ce reproche ne peut sans doute s'adresser à aucun membre de cette Chambre. Tous nous faisons des vœux pour l'industrie, pour son développement, pour sa prospérité, et peut-être plus que M. le ministre de l'intérieur, fais-je des vœux aussi pour sa moralisation.

Ai-je à me défendre d'une autre accusation ? Suis-je tenu à déclarer que je ne suis ni un aristocrate, ni un socialiste ? Aristocrate ! parce que j'ai pensé qu'il y aurait toujours au moins dans une classe de milice 20 p. c. de jeunes gens qui ne pourraient pas payer le prix de l'exonération, alors qu'aujourd'hui il y en a 06 p. c. et qu'après le vote de la loi qu'on vous propose il y en aura peut-être 75 ou 80 p. c. Socialiste ! parce que j'ai soutenu que, dans la loi de milice comme dans le budget de la guerre, il est juste que chacun contribue dans la proportion des intérêts qu'il s'agit de protéger et de défendre !

Je crois, messieurs, n'avoir apporté dans cette discussion que des arguments sérieux ; j'ai cherché à concilier deux grands intérêts qui se trouvent en présence, et je n'ai pas oublié un instant que tout est grave dans la question qui nous occupe ; car si elle prévoit les crises exceptionnelles, les crises extérieures ou intérieures auxquelles se trouvent liées la défense et la tranquillité du pays, elle touche tous les jours, dans les circonstances ordinaires, aux préoccupations les plus vives des familles, aux bases les plus fécondes du travail.

MgRµ. - Je dois quelques mois d'explications relativement aux passages que l'honorable M. Kervyn vient de citer et qu'il a extraits des ouvrages du général Trochu.

Vous aurez sans doute remarqué, messieurs, que ces passages paraissent être en contradiction avec ceux que j'ai cités hier. Il n'en est rien cependant.

Lorsque l'honorable général Trochu dit que l'absence prolongée des soldats peut devenir avec le temps un redoutable instrument de déclassement, il entend parler de ces vieux soldats dont il fait une si pittoresque description et que le gouvernement tenait éloignés de leurs chaumières, de leurs métiers, pendant sept et huit années consécutives. Le général Trochu préconise un autre système, et c'est précisément celui auquel on est arrivé en Prusse et en Belgique.

Il désire que les miliciens ne restent sous les armes que le temps nécessaire pour acquérir ce qu'il appelle l’esprit régimentaire et (erratum, page 944) l’esprit militaire ; cette limite, il la fixe à trois années.

Telle est la nuance qui, je crois, a échappé à l'honorable M. Kervyn, lorsqu'il vient opposer aux citations que j'ai produites hier les passages qu'il nous a lus aujourd'hui.

M. Thibautµ. - L'honorable général Renard s'est occupé hier, au commencement de son discours, du système de milice que j'ai développé dans une séance précédente. A ce système, M. le ministre fait trois objections : il entraîne une augmentation considérable au budget de la guerre ; il donne un nombre d'hommes hors de proportion avec le nombre des instructeurs ; il ne fournit qu'une armée sans solidité.

J'ai répondu d'avance à la première objection, en ce qui concerne la solde et la nourriture. J'ai montré que le nombre des journées de service ne dépasserait celui qui est prévu au budget, que dans le cas où les volontaires seraient beaucoup plus nombreux qu'aujourd'hui.

Quant à la dette que les miliciens laisseraient à leur masse, l'honorable général en a exagéré beaucoup l'importance. D'abord, les miliciens resteraient, en général, pendant douze mois sous les armes ; M. le ministre de la guerre ne tient compte que de six mois. Ensuite, il ne serait pas difficile de régler la dépense d'habillement de telle sorte qu'après un an de service, elle serait totalement ou presque totalement couverte par la retenue sur la solde. En outre, les substituants et beaucoup de remplaçants pourraient reprendre leur habillement de milicien.

On voit donc que, de ce chef, ni les familles, ni le budget ne risquent d'être fortement grevés.

Seconde objection : les instructeurs feraient défaut, puisque, dans ce moment, on a grand-peine d'en trouver pour 10,000 à 12,000 hommes.

Cela prouve tout simplement, messieurs, qu'il y a un vice radical dans l'organisation de l'armée. Il n'y a pas d'instructeurs, dites-vous ; je comprends alors pourquoi vous voulez tenir, pendant plusieurs années, les miliciens sous les armes. Si dans nos collèges, par exemple, il n'y avait pour un cours complet d'humanités que deux ou trois professeurs et de nombreux élèves, ces élèves devraient probablement consacrer une douzaine d'années à leurs études et il est douteux qu'ils se trouvassent, après ce temps, en état de passer leurs examens.

C'est une situation analogue qui se présente dans l'armée, si on ne lui donne pas un nombre suffisant d'instructeurs. Que faut-il donc faire ? Mais multipliez le nombre des instructeurs, dussiez-vous, pour en former, établir une école spéciale. Alors on n'éprouvera plus aucune difficulté à diminuer la durée du service.

Troisième objection : l'armée manquera de solidité.

Mais l'honorable général ne tient compte ni des volontaires, ni des substituants ni des remplaçants qui auront les qui auront les qualités des meilleurs soldats.

(page 925) Quant aux 30.000 miliciens exercés pendant douze mois et aux 25,000 exercés pendant six mois, ils seront plus ou moins bons, selon qu'ils auront beaucoup ou peu travaillé, selon qu'ils auront été bien ou mal dirigés.

En regard de ces objections, placez, messieurs, les avantages qui résultent du système dont j'ai entretenu la Chambre : l'égalité rétablie entre tous les miliciens ; la liberté individuelle limitée uniquement par un devoir social, le même pour tous ; la charge de la milice considérablement allégée pour chacune des familles qu'elle atteint ; l'instruction militaire étendue ; des éléments de résistance contre une agression extérieure, multipliés ; la santé, la moralité des soldats préservées par un travail continu contre les vices et les désordres qu'entraîne l'oisiveté ; enfin les vœux des populations satisfaits.

Pesez ces avantages, messieurs ; pesez les objections de M. le ministre de la guerre, puis vous jugerez.

De la part de M. le ministre de l'intérieur, aucune objection ne s'est produite. J'ai peut-être quelque droit de conclure de son silence qu'il n'est pas éloigné d'approuver les idées que j'ai développées.

En résumé, M. le ministre de la guerre estime qu'avec l'organisation actuelle, on parvient à former de bons soldats.

Il est essentiel de savoir quel est, dans cette organisation, pendant la durée du service des miliciens, le temps consacré utilement à leur éducation militaire. Or, nous ne pouvons l'apprendre que par une enquête ou par un rapport détaillé et complet de M. le ministre de la guerre. J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambre soit d'ordonner cette enquête, soit de demander ce rapport.

M. le président. - Y a-t-il une proposition formelle de la part de l'orateur ?

M. Thibautµ. - Oui, M. le président, la voici.

M. le président. - La proposition de M. Thibaut est ainsi conçue :

« J'ai l'honneur de proposer à la Chambre, soit d'ordonner une enquête parlementaire, soit de demander à M. le ministre de la guerre un rapport complet et détaillé sur le point de savoir quel est pendant la durée du service des miliciens, le temps consacré utilement à leur éducation militaire. »

MgRµ. - Messieurs, je ne reviendrai pas sur le projet d'organisation militaire de M. Thibaut.

Vous avez entendu les développements de l'honorable membre, ainsi que mes observations ; j'abandonne le tout à votre appréciation. Je me contenterai de réfuter l'objection relative aux instructeurs.

L'honorable membre dit que s'il n'y a pas assez d'instructeurs, nous devons en former un plus grand nombre. Dans l'état actuel des choses, nous instruisons 12,000 hommes par année.

L'éducation militaire se donne par compagnie ; 4 sergents et quelques caporaux doivent suffire à cette tâche et assurer, en outre, tous les détails du service.

Je ne crains pas de dire, messieurs, qu'il en résulte pour eux une fatigue énorme, et qu'au bout de plusieurs années l'instructeur qui a payé de sa personne se trouve pour ainsi dire épuisé. Ce n'est certes pas peu de chose que d'apprendre aux soldats les exercices, les marches, les règlements et les devoirs multiples qu'ils doivent remplir.

Si donc, au lieu de 12,000 hommes, nous devions en instruire 35,000 la première et 35,000 la seconde année, d'après le système de l'honorable M. Thibaut, j'ai le droit de dire qu'il nous serait impossible de trouver assez de sous-officiers pour accomplir un aussi rude labeur. En effet, le milicien n'est pas complètement instruit en une année. Il faut lui rappeler plusieurs fois les mêmes choses, le remettre à différentes reprises aux mêmes écoles, et ce n'est qu'en répétant pour ainsi dire à satiété les exercices, qu'on parvient à les rendre familiers aux jeunes soldats.

Mais si la chose est déjà pénible pour nos instructeurs alors qu'il s'agit d'une levée de 10,000 hommes, quelle serait leur tâche, si on leur imposait l'obligation d'instruire un contingent de 70,000 hommes subdivisé en deux séries ?

L'honorable M. Thibaut demande une enquête sur l'emploi du temps des miliciens.

Je puis lui dire, dès à présent, qu'il faut trois mois pour l'école du soldat, puis trois mois pour l'école de peloton.

Au bout de six mois seulement, les recrues passent à l'école de bataillon.

Lorsque le milicien connaît ces trois écoles, il est dégrossi, rien de plus, et ce n'est que par des exercices continus qu'on peut le perfectionner dans son métier.

il en est de même d'un jeune homme à qui l'on apprend une règle de grammaire et qui l'oublie bientôt si on ne lui fait pas faire incessamment de thèmes pour l'appliquer.

Messieurs, lorsque les volontaires constituent la plus grande partie des corps, on admet que les miliciens doivent avoir au moins une année de service pour figurer convenablement dans les rangs.

Nous ne possédons malheureusement pas assez de soldats volontaires.

En effet, c'est parmi les volontaires que nous recrutons nos sergents, nos caporaux, nos tambours, nos cornets ; le reste des compagnies ne se compose guère que de miliciens. En présence d'une telle situation, on se trouve obligé de garder ces derniers au moins deux ans sous les armes, afin que les anciens soldats puissent servir d'exemples, de conseils et de guides aux nouveaux arrivés.

C'est surtout par l'imitation que l'éducation et l'instruction militaires s'infiltrent dans l'esprit et les manières des jeunes soldats. Il faut très peu connaître l'organisation d'une armée, pour penser qu'en six mois on puisse former un soldat.

Que l'enquête demandée se fasse par la Chambre ou qu'elle se fasse par des militaires, elle constatera que le temps actuel de service, loin d'être trop long, est peut-être beaucoup trop court.

Lisez nos règlements et vous pourrez vous faire une juste idée de tout ce que doit posséder le milicien. Vous arriverez alors à cette conclusion que six mois d'apprentissage la première année et six mois de répétition la seconde année, sont tout à fait insuffisants et que deux ans de service continu forment un minimum au-dessous duquel il est impossible de descendre.

M. Lambertµ. - Messieurs, en prenant la parole, je sollicite l'attention de la Chambre pour quelques minutes seulement. Du reste, je n'ai pas l'habitude d'être long lorsque je parle devant vous.

Depuis trois ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, j'ai entendu reproduire trois fois toute la discussion que nous venons d'avoir à l'occasion de la loi sur la milice, et je dois dire que je suis resté convaincu que le système procédant de la loi de 1817, tout en étant susceptible d'être amélioré, était encore le meilleur.

Messieurs, tous les systèmes que vous avez entendus se produire de nouveau dans les séances dernières, établissent une chose : c'est que beaucoup de nos collègues sont animés d'un très grand désir du bien et voudraient faire disparaître les vices qui sont inhérents à l'institution de l'armée.

Messieurs, nous sommes tous d'accord sur ce point. Nous concevons qu'il y a des améliorations à apporter au système actuel ; mais malheureusement nous sommes quelque peu des ouvriers malhabiles, et quand nous voulons créer, nous ne le savons pas.

Depuis bien des années on cherche à améliorer la loi sur la milice, et les résultats que l'on a obtenus ne répondent pas complètement aux efforts qui ont été faits.

Cependant il faut tenir compte des améliorations qui se trouvent dans la loi et ces améliorations me décident bien franchement à adopter la loi qui nous est soumise par le gouvernement et à rejeter les systèmes qui se sont produits comme œuvres personnelles.

Messieurs, le projet en discussion contient-il des améliorations ? Cette question ne peut pas être résolue négativement, me semble-t-il.

Pour ceux qui ont vu pratiquer la loi sur la milice, il existait des vices excessivement graves qui conduisaient à des injustices également graves, et il faut bien le reconnaître, plusieurs de ces vices disparaissent.

Un des vices le plus grand, celui qui avait frappé tous les esprits, était, sans contredit, cette injustice qui résultait du mode de tirage par commune. Les petites communes étaient sans cesse sacrifiées, et tous les jeunes gens sont, par avance, dévoués au service par le fait même qu'ils appartiennent à des communes peu populeuses.

Aujourd'hui, cet inconvénient disparaît ; on tirera par canton, et un niveau plus juste s'étendra sur toutes les communes d'un canton. N'est-ce pas là un avantage considérable, et devons-nous le différer ? Assurément non.

Il y avait encore un vice bien grand : c'était la responsabilité que l'on faisait peser sur ceux qui fournissaient des remplaçants. Aujourd'hui, par la loi que l'on nous soumet, cette injustice disparaît encore. Celui qui aura un remplaçant ne sera plus assujetti à en répondre pendant un long terme, à en fournir un second en certains cas, tels que ceux de désertion, déchéance du rang militaire et peut-être à finir par être enrégimenté.

Les exemptions présentaient encore de nombreux abus. Ainsi le fils aîné qui doit pourvoir aux besoins de son père impotent, de sa mère, de toute sa famille, était obligé de partir s'il tirait un mauvais numéro, (page 926) tandis qu'aujourd'hui il pourra en être dispensé. N'est-ce pas la encore un avantage considérable ?

Eh bien, je dis que lorsqu'une loi présente de semblables améliorations, il y a lieu de la voter et de ne pas courir les hasards de l'inconnu.

Il y a, messieurs, dans les systèmes qui se sont produits, quelque chose de très attrayant, et, pour ma part, je serais très disposé à m'y laisser aller ; c'est ainsi que le système de l'indemnité offre quelque chose qui sourit, quelque chose qui entraîne et cependant quand on y réfléchit de très près, il y a bien un peu à y redire. J'ai entendu parler beaucoup des désavantages de la conscription ; on a parlé en termes extrêmement éloquents de cette position du travailleur, obligé d'abandonner sa charrue ou son métier, de voir son apprentissage compromis, pour donner à l'armée le temps qu'il devrait consacrer à sa famille, aux soins de son propre avenir. C'est là le passif, mais il y a l'actif.

Ainsi, n'est-il pas évident que le conscrit retire des avantages de son séjour dans l'armée ? Il n'a pas seulement à remplir des devoirs, il acquiert aussi des droits et des avantages. N'est-il pas vrai que beaucoup de conscrits arrivent à l'épaulette ? N'est-il pas vrai que les anciens militaires obtiennent de préférence des places dans les douanes ou dans l'administration des chemins de fer, et dans bien d'autres services publics ? Vous voyez bien, messieurs, qu'en regard du passif, il y a un actif qui n'est pas a dédaigner.

Ce n'est pas que je repousse complètement le principe de l'indemnité, mais je crois qu'il faut l'appliquer avec beaucoup de discrétion et envisager la charge pécuniaire qu'elle pourra entraîner.

Messieurs, je vous ai promis d'être court, je tiendrai parole.

Je termine :

J'ai lu quelques pages de Macaulay, se rapportant à ce qui se passait à la chambre des communes d'Angleterre à l'époque de la paix de Ryswick. D'après certains membres de la chambre des communes, l'armée devait disparaître ; c'était une armée permanente et ceux qui voulaient la rejeter complètement faisaient appel à d'anciens souvenirs ; ils disaient : Mais nos milices vous ont suffi pour remporter la victoire de Poitiers, de Crécy, d'Azincourt. A quoi le grand historien répondait : Il est parfaitement vrai que, de milice à milice, les milices anglaises ont vaincu ; mais cela prouve-t-il qu'en cas de guerre contre une armée permanente et parfaitement organisée elles triompheraient ? Il répond négativement.

C'est pourquoi je répudie les systèmes qui convoqueraient une armée, au XIXème siècle, comme on convoquait les milices aux XIIIème et XIVème siècles. Je voterai la loi proposée par le gouvernement, en réservant mon appréciation sur les amendements des articles et les améliorations qui en seront la conséquence.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur nous a donné hier de la liberté personnelle une définition qui me paraît ressembler beaucoup à celle qu'il nous a donnée, lors de la discussion de son budget, du gouvernement parlementaire.

Il nous disait alors que le gouvernement parlementaire, composé tout naturellement d'un ministère et de Chambres, n'était possible que pour autant que les Chambres approuvassent toujours ce que proposait le gouvernement, qu'il n'y aurait pas de gouvernement possible si les Chambres le contrôlaient de trop près, lui résistaient, ne lui obéissaient pas toujours.

MiPµ. - J'ai dit cela, moi ?

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - La définition de la liberté est celle-ci.

La liberté consiste à la donner aux gens bien sages, assez sages pour ne pas s'en servir, qui la mettent dans leur armoire pour la conserver très précieusement.

On peut être libre, très libre, mais n'usez jamais de la liberté, parce que vous pourriez la perdre, et je vais vous le prouver par un exemple.

Je suppose, M. le ministre, que vous vous trouviez dans ce cas-ci : le tirage au sort a lieu ; parmi les tireurs au sort, se trouve un quaker. (Interruption.)

Les quakers ne se sont jamais soumis, en Angleterre ni ailleurs, au service militaire, leur foi leur interdisant de la façon la plus positive l'emploi des armes. C'est à tel point que lorsque la presse des matelots avait lieu en Angleterre et qu'un capitaine de navire mettait la main sur un quaker, il se hâtait de le renvoyer parce qu'il savait fort bien que c'était une non-valeur.

Eh bien, si le milicien use de sa liberté et refuse positivement de prendre le fusil, que ferez-vous ? Vous le mettrez en prison apparemment : première application de la liberté personnelle d'après la définition de M. le ministre de l'intérieur.

Mais comme il n'a commis aucun délit, comme il n'a commis d'autre crime que celui de maintenir son droit d'homme libre, il faudra, au bout d'un certain temps, le mettre en liberté et lui représenter le fusil qu'il n'acceptera pas. Que ferez-vous alors ? Je demande à l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir bien concilier son système avec les droits et la liberté non seulement civile mais encore religieuse des quakers. (Interruption.)

Je viens de vous citer le cas d'un quaker. Mais il peut se trouver, comme c'est le cas en Angleterre, un grand nombre de quakers. En Amérique, lors de la dernière guerre, pas un seul quaker n'a voulu servir.

Mais, direz-vous, ils peuvent payer des remplaçants. Comment ! ils exposeraient la vie de leurs frères ? Ils n'y consentiraient jamais, ils préféreraient subir eux-mêmes toutes les conséquences de leur liberté.

Eh bien, dans ce cas, je demande à M. le ministre de l'intérieur comment il résoudrait la difficulté.

M. de Brouckere. - C'est très embarrassant.

M. Le Hardy de Bcaulieuµ. - L'honorable ministre de l'intérieur et l'honorable ministre de la guerre n'admettent pas le système des volontaires.

Il ne l'admet que très subsidiairement ; les bons soldats sont les soldats forcés et M. le ministre de l'intérieur nous a fait hier, sur le tirage au sort, une théorie que je demande à la Chambre la permission d'analyser devant elle.

Rien de plus juste, d'après l'honorable ministre, que le tirage au sort : c'est la Justice aveugle, avec un bandeau sur les yeux, comme elle est généralement représentée en peinture et en sculpture. (Interruption.)

Eh bien, voyons fonctionner le tirage au sort.

Supposons une barque surchargée, ayant un équipage trop nombreux.

Il est indispensable de jeter un homme à la mer pour alléger la barque.

Que faire ? C'est bien simple, nous dira M. le ministre, il faut avoir recours au tirage au sort ; le sort seul peut équitablement trancher la question. On tire au sort, et le sort aveugle, mais juste, désigne l'homme le plus léger, tandis qu'à côté de lui se trouve un homme très gros, très lourd et qui ne s'était embarqué qu'avec l'intention de se noyer. (Longue interruption.)

M. de Moorµ. - Il pouvait se noyer avant de s'embarquer.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Voilà, messieurs, le sort de la justice.

Eh bien, il en est de même du service militaire.

N'est-il pas vrai qu'il est des hommes qui sont nés pour être militaires et qu'arrive-t-il bien souvent ? C'est que ce sont précisément ceux-là que le sort épargne pour aller frapper des gens qui n'ont aucune vocation pour la vie militaire.

Mon système, messieurs, consiste précisément à appeler chacun à servir son pays d'après ses aptitudes, d'après ses instincts, d'après son éducation, d'après le genre de services qu'il peut rendre à la patrie.

Selon M. le ministre de la guerre, il semblerait que le service militaire est tout ce qu'on peut rêver de plus précieux pour la société.

Mais, messieurs, il y a des services bien autrement importants à rendre à la société. Il y a à la faire vivre ; il y a à la vêtir ; il y a à la préserver des intempéries de l'air ; il y a à l'avancer dans la civilisation.

Tous ces services sont infiniment plus importants que celui de l'armée.

En définitive, si, pour conserver la liberté, il fallait commencer par la sacrifier, je demande à quoi servirait la société. La liberté, n'est-ce pas tout ce que nous avons de plus précieux ; et à quoi servirait un état social qui, pour être conservé, exigerait d'abord le sacrifice de ce qu'il y a de plus précieux. Cet état social serait intolérable et ne pourrait pas durer longtemps ? C'est précisément pour cette raison que je convie la Chambre à examiner très sérieusement un système qui laisse à chacun sa liberté, qui laisse à ceux qui ont la vocation de l'état militaire l'occasion et l'occasion la plus favorable possible de suivre leur vocation.

Mais il reste aussi à ceux qui n'ont pas cette vocation à suivre celle qu'ils ont. De cette façon, en faisant ce qui est nécessaire pour satisfaire chacun, c'est-à-dire en rémunérant convenablement le service du soldat, comme j'entends que soient rémunérés le service du mineur, le service du médecin, celui de l'avocat, celui du cultivateur, on laissera chacun suivre sa vocation ; si un citoyen trouve dans le service militaire une satisfaction plus grande, eh bien, fournissez-lui-en l'occasion ; mais n'exigez pas que le sort aveugle, que j'ai caractérisé, tantôt soit le moyen d'alimenter celle carrière.

M. Couvreurµ. - La discussion a fait un grand pas. Le gouvernement, par l'organe de M. le ministre de l'intérieur, n'en conteste plus (page 927) l'utilité, et il se défend d'avoir essayé de justifier une iniquité légale par la nécessité de l'imposer aux populations.

Laissant de côté l'arme de la raillerie, qu'il manie trop bien pour lui et pour nous, parlant sérieusement de choses sérieuses, M. le ministre de l'intérieur proclame avec nous que la fin ne justifie pas les moyens, et que le législateur doit faire prévaloir, dans ses décisions, l'équité et la justice. Il m'eût été facile, si j'en avais eu le temps et le goût, de prouver que mes réserves et mes protestations, à cet égard, n'étaient pas sans motifs sérieux ; il m'eût été facile d'établir, par des citations de discours prononcés même au banc ministériel, que l dure, l'implacable nécessité avait été mainte fois invoquée pour pallier l'immoralité de la loi ; il m'eût été. facile de démontrer qu'en dehors de cette hypothèse, l'invocation de ce prétendu principe de la nécessité n'avait pas de raison d'être, tout le monde étant d'avis que le pays doit pouvoir se défendre contre les agressions extérieures ou intérieures par une organisation quelconque. Mais à quoi bon ? Ce ne serait là qu'une pauvre satisfaction d'amour-propre. L'essentiel est que nous soyons tous unanimes pour écarter ce principe de la nécessité, si tant est que ce soit là un principe et non un expédient, et d'y substituer uniquement et exclusivement la justice, la morale, les droits imprescriptibles de la liberté et de la propriété.

Nous sommes donc d'accord : il faut que la loi sur la milice soit juste, équitable envers tous les citoyens ; il faut que ses charges soient supportées par tous les éléments de la population, proportionnellement aux avantages qu'ils en retirent.

L'honorable ministre de l'intérieur a tenté de faire la démonstration que la loi en discussion a bien ce caractère ; mais franchement, je crois qu'il est resté, en dessous de sa tâche. Il nous a bien exposé les principes du système actuel : un peu d'impôts par-ci, un peu de prestations personnelles par-là ; il nous a parlé d'obligations indivisibles et du tirage au sort comme du moyen le plus juste de diviser ces obligations ; il n'a pas manqué de mettre ses contradicteurs aux prises entre eux ou en contradiction avec eux-mêmes ; mais il a esquivé les difficultés plus qu'il ne les a abordées, et, somme, toute, il n'a ni renversé ni même ébranlé aucune des démonstrations établissant que la loi sur la milice constitue une atteinte à la propriété, et à la liberté des citoyens.

Pour ne parler que de ce qui me concerne, les orateurs qui m'ont précédé ayant répondu pour eux-mêmes, il me sera permis de faire observer qu'eussé-je même, dans le système que j'ai indiqué, maintenu le servage militaire, ce que je nie, eussé-je même été illogique et inconséquent avec mes prémisses, cela prouverait que j'ai l'intelligence faible, mais cela ne prouverait pas que mes prémisses sont fausses. Or, c'est ce qu'il fallait démontré !

Je maintiens, dites-vous, le servage militaire. Donc vous avez raison de le maintenir. C'est là une singulière logique ! Faut-il condamner le servage militaire ? Oui. Eh bien, cherchons de notre mieux à l'abolir et ne nous amusons pas à des arguties.

Mais je soutiens que je le supprime et que vous le conservez. En effet, j'ai posé comme premier principe, que même dans le système de transition que je vous ai indiqué, vous ne pouvez pas considérer le service militaire en temps de paix, comme un service personnel, comme une prestation due à l'Etat. Les prestations telles que le service du jury et de la garde civique sont temporaires de leur nature. Vous n'y avez droit pour la défense du pays qu'en temps de crise. Alors, le citoyen se doit à sa patrie, et j'ajoute que même alors, après la crise, la patrie, la société doivent, autant que possible, tenir le citoyen indemne de ce qu'il a souffert pour elle. Mais en temps de paix, l'Etat n'a qu'un seul droit : celui de s'assurer qu'à l'heure du péril le citoyen saura remplir ses obligations.

Si, maintenant, l'Etat juge à propos, dans l'intérêt public, de garder sous la main une force organisée, d'astreindre le citoyen à lui donner son temps, ses forces, son intelligence pendant plusieurs années de sa vie, si vous croyez cela nécessaire, alors commence l'obligation : 1° de lui payer ses services, c'est-à-dire d'enrôler des engagés volontaires, et 2° si les enrôlements ne suffisent pas, d'exproprier les citoyens de leur travail au prix d'une juste et préalable indemnité.

Ce qui constitue l'iniquité de la loi, ce qui fait qu'elle est, comme je l'ai dit, un débris de l'antique servitude, c'est que vous payez les services en dessous de leur valeur lorsque vous les payez, et que, par la force de la loi, vous obligez le citoyen à vous les donner sans lui rendre la contre-valeur.

Mais, dit l'honorable ministre de l'intérieur, cette contre-valeur existe. Nous logeons, nous habillons, nous nourrissons le soldat. Nous lui payons un salaire équivalent à celui qu'il toucherait dans la vie civile. D'ailleurs, de quoi peut-il se plaindre ? Est-ce que de 20 à 22 ans il ne dissipe pas ce qu'il gagne ? Le prix du remplacement n'est que 1a compensation de l'ennui qu'il éprouve de quitter sa famille, son clocher.

Faut-il, messieurs, réfuter ces assertions ? Mais le propriétaire d'esclaves tient absolument le même langage. Lui aussi habille et nourrit ses nègres. Est-ce que, sans lui, ils travailleraient ? Est-ce qu'ils ne quitteraient pas les champs pour aller vivre dans la débauche et la fainéantise ?

Lorsque, il y a deux ans, le vice roi d'Egypte supprima la corvée des fellahs qu'il fournissait au percement de l'isthme de Suez, en payement de sa souscription, j'ai lu, contre cette mesure, des articles de journaux qui donnaient identiquement les mêmes arguments que ceux de M. le ministre de l'intérieur. Le fellah ne gagne rien. Ce qu'il gagne, il l'absorbe par ses vêtements et son alimentation. Le surplus il ne le dissipe pas, il l'enterre. Donc, il n'en jouit pas, donc si on l'en prive, il n'y perd rien. Les entrepreneurs du percement le nourrissent, l'habillent, ils le renvoient chez lui avec un pécule.

Il se porte bien, il est admirablement traité dans les hôpitaux, la mortalité est moindre dans les chantiers de l'isthme que dans les villages de l'intérieur de l'Egypte. Ils se civilisent au contact de la civilisation. Venez visiter le camp de Beverloo, pardon ; venez visiter l'isthme de Suez ; vous verrez combien nos corvéables sont bons, gais, heureux, contents ! Il n'y a que des philosophes, des théoriciens qui puissent plaindre leur sort.

Ainsi parlaient les partisans de la corvée appliquée au percement de l'isthme de Suez. Cela n'a pas empêché la corvée d'être abolie. Quel en a été le résultat ? C'est que le travail libre, le travail à la tâche, les machines perfectionnées ont été substituées à la corvée et que l'isthme a été percé plus rapidement et à moins de frais.

Je n'ai pas à m'inquiéter de l'usage que fait l'ouvrier de son salaire. S'il le dissipe, il a tort, il nuit aux intérêts de la société, mais cela déteint pas les obligations de la société lorsqu'elle confisque son travail. De même, s'il veut se nourrir, se loger, se vêtir moins bien que dans les casernes, cela le regarde. Sans compter que l'Etat ne le nourrit pas déjà si bien et que, quant à ses habillements, on les lui fait payer chèrement. Je ne veux pas entrer, en ce moment, dans la question de la masse. J'espère que d'autres orateurs traiteront ce sujet si riche en injustice.

Vous devez au milicien le prix de ses journées, le prix de son éloignèrent du foyer domestique, le prix des entraves que vous mettez à son apprentissage, le prix de la difficulté qu'il éprouve à rentrer dans la vie civile, le prix de ses aptitudes perdues, de ses convenances contrariées, le prix de la contrainte que vous lui imposez en lui interdisant le mariage. Tout cela se chiffre, tout cela se réduit en argent, tout cela se retrouve strictement dans le prix du remplacement. Je vous défie, économiquement, de me prouver le contraire.

Mais, me dit l'honorable ministre de l'intérieur, nous ne renonçons pas au principe de l'indemnité. Nous l'ajournons seulement. Le plaisant argument ! et Molière l'avait trouvé avant vous. « M. Dimanche, je suis votre débiteur. M. Dimanche, j'aime mieux garder ma dette toute ma vie plutôt que de la nier. » Est-ce là le langage d'un créancier honnête, le langage que l'Etat a le droit de tenir aux citoyens ? Que l'honorable bourgmestre de Bruxelles essaye de parler de la sorte aux expropriés de la Senne : « Monsieur, je vous prends votre maison, je la démolis. Nous compterons après. L'utilité publique le veut ainsi. Ma caisse est vide, je combine un petit expédient pour la remplir, et j'ai besoin de me rendre compte de l'effet de mes nouveaux travaux ! » Le beau tapage que cela ferait ! et comme j'engage l'honorable M. Anspach à ne pas imiter M. Pirmez !

Et vous croyez que vous allez éteindre le droit en disant : Je le reconnais, mais je ne paye pas, je payerai plus tard, à ma convenance, Dieu sait quand. Vous ne nous donnez même pas une raison sérieuse à l'appui de l'ajournement.

Non, non. Vous allez payer tout de suite. Et vous ferez ainsi rentrer la justice dans la loi. Ce ne sera plus alors la corvée, ce sera l'expropriation pour cause d'utilité publique, avec une juste et préalable indemnité.

Ceci, je crois l'avoir très bien indiqué dans mon discours, et cela me justifie pleinement de l'assertion d'après laquelle mon système et le vôtre seraient identiques. Je paye et vous ne payez pas : voilà la différence. Et je ne veux rien avoir de commun avec votre système.

Une seconde iniquité de la loi, c'est le tirage au sort. Celui-là aussi M. le ministre de l'intérieur a essayé de le justifier. Ce sont, dit-il, des obligations indivisibles qui doivent peser sur ceux qui ont le plus grand (page 928) intérêt à la conservation de l’ordre et de la paix, donc sur les classes laborieuses.

Je ne conteste pas que les classes aisées puissent plus longtemps résister aux effets d'une crise, mais conclure de là qu'elles sont d'autant moins intéressées à l'ordre social qu'elles sont plus riches, plus civilisées, cela me semble un sophisme assez bien conditionné ! Il y a, dans le patrimoine commun d'une nation, des biens moraux et matériels qu'il faut assurer.

Croyez-vous que les classes laborieuses, privées de droits politiques et qui, d'après le gouvernement, ne doivent jamais en jouir, croyez-vous que ces classes y attachent un bien grand prix et, en bonne justice, pouvez-vous les obliger à défendre ces droits ? et quant aux biens matériels, oubliez-vous que rien ne s'exporte plus facilement que le travail ? Lorsque dans le Mecklembourg, nous voyons des districts entiers en friche, qui faut-il plaindre le plus, du noble vivant de privations sur ses domaines parce qu'il a voulu rejeter sur ses paysans les charges de la vie sociale pour n'en garder que les bénéfices, ou du paysan qui s'en va joyeusement s'embarquer à Brème et à Hambourg pour fonder, au delà de l'Atlantique, un foyer prospère et heureux ?

Voilà l'avenir que vous préparez à nos populations. Mais ne faisons pas trop sonner cette note. Ne divisons pas les intérêts. Cela nous mènerait loin. Bornons-nous à proclamer les principes justes déposés dans toutes nos lois, la solidarité de toutes les classes et leur participation aux charges publiques à raison des avantages permanents qu'elles en retirent.

Le tirage au sort est légitime parce que vous n'avez pas d'autre moyen de désigner le contribuable. Et s'ensuit-il que les autres contribuables sont par cela même dégagés de toute autre obligation, en acceptant même votre thèse de prestation personnelle ? Aucune compensation n'est due à celui que le sort a frappé ; c'est un malheur pour le milicien qui a tiré un mauvais numéro. Et voilà tout. Pourquoi est-il maladroit ? Les honorables membres qui ont parlé avant moi ont déjà fait justice de ce genre d'arguments. Je me bornerai à une simple observation en reprenant la comparaison établie tantôt par mon honorable voisin, M. Le Hardy de Beaulieu.

Nous sommes des naufragés, nous n'avons plus de vivres et nous débarquons dans une île habitée par un peuple qui a sur ses véritables intérêts et sur la justice des idées analogues à celles de l'honorable ministre de l'intérieur. On consent à nous vendre des vivres à la condition qu'un des nôtres restera en captivité, pour acquitter la dette de tous par son travail. Au lieu de prendre le plus robuste, celui qui pourrait le mieux et le plus vite se libérer, on nous impose le tirage au sort. L'un reste, les autres regagnent leur pays.

Direz-vous que nous avons le droit de laisser notre compagnon dans sa captivité ; que nous ne devons pas le racheter et lui donner une compensation pour les épreuves qu'il a subies ? Et s'il est soutien de famille, pourrons-nous laisser les siens mourir de faim ? Non évidemment. On n'oserait pas le soutenir.

Il en est de même du tirage au sort. Le milicien qui tire un mauvais numéro paye la dette de tous, il faut que tous lui remboursent leur part du service dont il les exempte.

Un mol encore à propos du paupérisme. L'honorable ministre me reproche d'en avoir fait remonter la responsabilité à nos lois de milice. Et il m'oppose l'Angleterre et les Etats-Unis qui connaissent, eux aussi, cette plaie sociale, quoiqu'ils n'aient pas de conscription. Ce que c'est que de raisonner à côté des arguments de l'adversaire ! Je n'ai pas dit que les lois sur la milice fussent l'unique cause du paupérisme ; j'en ai indiqué bien d'autres : les vices, les passions, l'imprévoyance des hommes, l'antagonisme de leurs intérêts, les mauvaises lois économiques.

En Angleterre, j'en eusse pu faire remonter la responsabilité, en partie du moins, à l'organisation féodale de la propriété ; en Amérique, à l'esclavage dans certains Etats, aux lois restrictives du commerce, à l'encombrement de l'immigration dans certains ports ; mais je maintiens et j'affirme, et je prouverai au besoin que la loi sur la milice épuise nos populations, les retarde dans leur développement intellectuel et moral, favorise la paresse, l'imprévoyance, la fraude, les mauvaises mœurs ! Vous riez, libre à vous. Tout mauvais cas est niable. Voulez-vous avoir un moyen de me confondre, acceptez ce que je vous ai proposé il y a trois ans ; ne vous contentez pas pour cette législation de reprendre l'ancien édifice et de le replâtrer en bouchant les trous et en posant des étais ; faites ce que ferait l'Angleterre en une aussi grave matière ; laissez faire une enquête parlementaire, laissez-nous produire les témoins qui ont souffert dans leurs intérêts ou leurs affections, écoulez les plaintes des pères, les lamentations des mères ; faites comparaître à votre barre les filles séduites et les enfants sans pères, alors, mais seulement alors, vous pourrez confondre non pas mon assertion, mais l'assertion de tous les penseurs qui se sont occupés de ces douloureux problèmes.

Deux mots maintenant, messieurs, pour repousser quelques appréciations erronées, sur le moyen que j'ai indiqué pour corriger les abus du tirage au sort, en attendant un avenir meilleur, et le mouvement qu'entraîne, tant au point de vue militaire qu'économique, le mode de recrutement actuellement en vigueur. Ici ma tâche devient vraiment trop facile. L'honorable ministre de la guerre vent bien reconnaître que, pour un philosophe, j'ai quelques idées pratiques qui lui sourient ; et, quant à M. le ministre de l'intérieur, je dois croire qu'il ne m'a pas fait l'honneur, je ne dis pas de me lire aux Annales, mais d'écouter mm discours. M. le ministre de la guerre veut bien me dire que mes idées seraient acceptables pour la constitution d'une réserve nationale, mais que pour l'armée proprement dite, il faut réunir d'autres conditions. Il faut la cohésion, la discipline et le frottement, disons le mot, l'obéissance passive.

J'aurais beaucoup à répondre à cela ; mais je ne veux pas compliquer le débat d'une question d'organisation militaire. J'ai commencé par déclarer que je n'entendais pas toucher, pour le moment, à l'armée permanente. Je suis et je reste, en principe, son adversaire, mais je reconnais qu'il faut tenir compte des époques de transition.

Evidemment, je crois que mon système, par la suite, aura pour effet de rendre l'armée permanente inutile ou de la réduire au petit noyau d'une force de police. Pour le moment, nous n'avons pas à discuter ce point. Je vous concède vos cent mille hommes, partie engagés volontaires, partie miliciens, mais indemnisés, cela va sans dire. De plus, je vous prépare une réserve de premier ordre. J'améliore ce qui existe aujourd'hui, sans rien enlever à l'armée. Le département militaire est donc hors de cause.

Restent les observations de M. le ministre de l'intérieur. Le système, dit-il, ne frappe que le pauvre, surtout en ce qui concerne les armes spéciales. Quel moyen auront les indigents, les campagnards, d'apprendre l'équitation pour le service de la cavalerie et le maniement du canon pour entrer dans l'artillerie ?

Le système ne donnera à l'armée que les éléments les plus ignorants, les plus lourds, les plus gauches de la population.

Enfin, lorsque toute la population sera initiée au maniement des armes, on ne saura plus qui choisir, et force sera d'en revenir an tirage au sort.

Voilà bien les objections principales.

Je dois dire que, de tous les reproches qu'on pouvait m'adresser, aucun ne pouvait m'être plus sensible que celui de présenter une combinaison constituant une véritable réaction aristocratique, de vouloir même écraser les campagnes au profit des villes. (Interruption.)

Vous n'avez pas incriminé mes intentions ; c'est vrai, je vous en remercie ; vous avez constaté un résultat ; mais votre observation ne m'en a pas été moins sensible, parce qu'il en résultait au moins une très grande légèreté dans le choix du moyen proposé. Mais ce reproche, je ne le crois pas fondé, et je vais essayer de le démontrer.

J'ai dit, et M. le ministre de l'intérieur a passé ce point sous silence, que, dans ma pensée, les engagements volontaires étant maintenus et développés, il faudrait les réserver pour les cadres de l'armée et pour les armes spéciales.

Ceci est une simple affaire d'administration militaire. Aujourd'hui, vous recevez des engagements volontaires pour l'infanterie ; en accordant certains avantages aux engagés, vous obtiendrez un déplacement. Avec une paye supplémentaire, vous auriez des cavaliers, des canonniers et des pionniers en nombre suffisant.

Quant aux miliciens, ils seraient spécialement appelés à servir dans l'infanterie.

Pourquoi les pauvres, habitant les villes ou la campagne, ne pourraient-ils pas être exemptés absolument comme les classes aisées ? Est-ce que les pauvres ne peuvent pas prétendre à l'instruction comme les riches ? Est-ce que l'instruction est un privilège ? N'est-elle pas accessible à tous ? Est-ce que les indigents ne peuvent pas s'instruire comme les riches ? Est-ce qu'à défaut de ressources pour payer l'écolage, la commune et les bureaux de bienfaisance ne doivent pas intervenir ?

A la campagne, le petit paysan, riche ou pauvre, au lieu d'aller, le dimanche, dénicher des oiseaux auxquels M. le ministre de l'intérieur prend un si grand et si légitime intérêt, au lieu de faire l'école buissonnière, le petit paysan, dis-je, fera, pendant une heure ou deux, des exercices gymnastiques, des marches, des manœuvres militaires.

Dans les villes, qui se présentera à ces exercices ? Ce seront les élèves des écoles primaires, les élèves des écoles d'adultes, des écoles dominicales.

(page 929) Il y a quelques semaines, vous n'avez pas voulu d'une législation protectrice du travail des enfants ; vous arrivez ici, sans contrainte, au même résultat par le seul appât de la libération du service militaire. Le père de famille sachant qu'on ne viendra plus lui enlever son enfant, si cet enfant connaît les éléments du métier militaire, aura plus d'intérêt à le laisser à l'école se développer intellectuellement et physiquement.

Au point de vue de la santé, quel immense service ne rendraient pas ces examens et les exemptions qu'ils entraîneraient aux générations de nos villes manufacturières !

Vous compenserez tous les effets de l'absence d'une législation protectrice des enfants. Vous ne voulez ni d'une loi sur l'instruction obligatoire, ni d'une loi sur le travail des enfants dans les manufactures. Voici un moyen qui peut vous donner tous les bons résultats que l'on attend de ces deux lois, sans contrainte, rien que par l'appât offert, au père de famille, c'est-à-dire l'exemption de son fils à l'âge de 18 à 20 ans, à l'âge où il peut être appelé au service militaire.

Et l'on me reproche de nuire à l'intérêt de l'indigent, parce que je le ramène à l'école, parce que je veux qu'il y vienne quelques heures de plus, qu'il reste jusqu'à l'âge de la conscription livré à l'action de ses maîtres. Et que faites-vous, quand vous enlevez l'indigent à son métier, alors qu'il commence à gagner sa vie, à soulager ses vieux parents ? Est-ce. donc une chose si difficile à apprendre que ces éléments de l'art militaire ? Est-ce que quelques heures du dimanche, quelques demi-heures par soirée en été ou en hiver ne suffiraient pas pour apprendre à cette pauvre, jeune, population des campagnes ou des villes de quoi se racheter, soit en totalité, soit en partie, du séjour dans les casernes ?

Pour moi, je suis convaincu que même les plus pauvres seraient heureux de s'instruire et de se fortifier pour n'avoir pas à devenir soldats. Je suis convaincu que. toute la population riche et pauvre pèserait sur les administrations communales et charitables pour obtenir d'elles les moyens d'acquérir les connaissances élémentaires de la science militaire ; des sociétés se formeraient dans le même but. L'on pourrait même pousser ce système plus loin, le gouvernement pourrait venir en aide aux efforts de la population, en mettant des fusils à la disposition de ceux qui, dans les campagnes ou dans les villes, voudraient s'exercer au tir à la cible.

Mais admettons que la population n'aille pas si loin, les bons effets de la mesure ne s'en feront pas moins sentir. Que. le gouvernement se borne à écrire sur la porte de ses casernes : Quiconque sait l'école du soldat ne restera qu'un an sous les armes ; quiconque sait l'école de peloton ne sera appelé que pour un terme de six mois ; quiconque connaît les trois écoles ne sera appelé qu'une fois par an dans les camps pendant un temps déterminé ; je suis persuadé, que cette seule promesse suffirait pour obtenir, dans l'intérêt même de l'armée, des résultats merveilleux.

Mais, dit le gouvernement, lorsque tout le monde sera savant, force sera bien de revenir à cette iniquité du tirage au sort. Ceci, messieurs, est un autre système ; c'est un raisonnement in abstracto ; il se passera cinquante ans avant ce temps-là, et quand il sera arrivé, Dieu sait où seront vos armées permanentes ! Mais tranquillisez-vous, M. le ministre, tout le monde ne sera pas toujours également savant, pas plus que ceux qui passent aujourd'hui les examens de docteur en médecine ou de docteur en droit ne reçoivent le même diplôme.

Il y aura toujours des imprévoyants, des paresseux, des indifférents, des gens qui voudront tâter de la caserne ; vous classerez les candidats par ordre de capacité ; il y aura des degrés dans la science militaire absolument comme dans les autres sciences Est-ce que d'ailleurs il n'en est pas de même dans la garde civique ; est-ce que le système que j'indique n'y est pas en application ? Est-ce que le garde civique qui connaît son exercice n'est pas renvoyé chez lui, avec dispense de reparaître si ce n'est aux revues et aux inspections ?

Direz-vous que les gardes civiques connaissent tous également bien leur exercice ? Que, si l'on voulait être un peu sévères, on ne pourrait pas établir des classifications parmi ceux qui sont libérés ? Ce qui est fait aujourd'hui pour la garde civique, peut très bien se faire demain pour nos jeunes miliciens.

Au pis aller, en admettant que tous les miliciens soient également savants, vous en serez quittes pour élever quelque peu la difficulté des examens. Mais cela ne sera pas nécessaire d'ici à longtemps et en attendant vous aurez rendu un immense service au pays. Vous l'aurez préparé à pourvoir lui-même à sa défense, tout en allégeant les charges de la conscription.

Enfin le système sera comme un tamis, il laissera passer toute la farine, il ne gardera que le son. Ce serait un mal, si la farine était perdue ; mais elle retourne à la population, elle profite à la défense du pays, elle se retrouve dans la réserve et dans la garde civique Mais, dites-vous, l'armée n'aura que le son ; viendrez-vous me dire qu'aujourd'hui vous avez mieux que du son ? (Interruption.) Je parle, bien entendu, des soldats et non des officiers.

MgRµ. - Nous avons des miliciens extrêmement intelligents.

M. Couvreurµ. - Je ne dis pas non. Mais est-ce que tout ce qui est intelligent, tout ce qui est laborieux, tout ce qui est prévoyant ne cherche pas à échapper au service militaire ? Ce qui vous reste, et dans le nombre il peut y avoir des gens intelligents, ce sont ceux qui n'ont pas de ressources, ceux qui n'ont pas de prévoyance, ou ceux qui ont à un degré quelconque le goût de la vie militaire. Mais vous avez aussi les remplaçants, et ils exercent, de votre aveu, sur l'armée une influence désastreuse.

Or je vous débarrasse de ces éléments, je vous débarrasse aussi des indisciplinés d'une autre espèce, de ceux qui ont la nostalgie de la vie civile.

Ce ne sont pas là de bons soldats, parce que vous ne ferez jamais de bons soldats de gens qui servent malgré eux. Non seulement je vous débarrasse des remplaçants, mais je vous promets des engagés volontaires en plus grand nombre ; en effet, les exercices gymnastiques et militaires, mis en honneur dans tout le pays, développeraient les goûts militaires ; le service lui même s'améliorera, enfin, les engagés volontaires, bien payés, deviendront après leur libération les instructeurs de la jeunesse des villes et des campagnes.

L'état militaire deviendrait une très bonne carrière, même pour celui qui n'arriverait pas à gagner des épaulettes, et, par la force des choses, vous verriez disparaître les difficultés que nous éprouvons aujourd'hui à recruter des gens qui veulent courir les risques de cette carrière.

Quant à vos miliciens, ils seront d'autant plus ardents à bien remplir leurs devoirs qu'ils auront en mains la possibilité de se libérer du service dès qu'ils auront acquis les connaissances militaires voulues.

Enfin, avec une nation virile, habile au maniement des armes, non seulement vous n'avez plus aucun danger d'invasion à craindre, mais l'inconvénient politique que j'avais moi-même signalé, en parlant d'une armée composée, exclusivement de volontaires, disparaît complètement.

En résumé, messieurs, je crois que ce que je propose améliore, ce qui existe, sans rien compromettre. Cela vaut bien, je pense, la peine qu'on l'examine sans prévention, et comme, depuis que j'ai prononcé mon premier discours, j'ai reçu quelques encouragement1, je formulerai mes propositions dans le cours de la discussion des articles.

Mais avant de terminer, et pour me guider dans la rédaction de mes amendements, je demanderai à M. le ministre de la guerre si j'ai bien compris un passage de son discours d'hier.

Il m'a semblé qu'il était disposé à tenir compte des connaissances militaires que pourraient posséder les recrues. De plus, il a dit tantôt, en réponse à l'honorable M. Thibaut, qu'il fallait trois mois pour apprendre l'école du soldat.

Je voudrais savoir s'il entre dans les intentions du gouvernement, lorsque nous serons arrivés à l'article 73 de la loi, lequel fixe à deux années la présence du milicien sous les drapeaux, s'il entre, dis-je, dans les intentions du gouvernement d'accorder une remise, ne fût-ce que de trois mois, au milicien qui, au moment de son arrivée au corps, pourrait établir qu'il connaît l'école du soldat.

Il m'a paru résulter du discours que l'honorable ministre de la guerre a prononcé hier que j'avais au moins gagné ce point-là. N'eussé-je obtenu que cet avantage, je me féliciterais et très vivement de mon intervention dans le débat.

MiPµ. - Messieurs, je croîs devoir répondre quelques mots, surtout à la première partie du discours de l’honorable M. Couvreur.

L'honorable membre m'a reproché d'employer exactement les arguments que l'on a employés aux Etats-Unis pour maintenir l'esclavage et en Egypte pour maintenir le travail forcé des fellahs au percement de l'isthme de Suez.

L'honorable M. Couvreur, en reproduisant les arguments que l'on faisait valoir dans ces deux pays et en me les appliquant, a transporté les termes de la question.

Il a fait un chassé-croisé d'arguments.

Deux questions sont au débat.

La première est celle de savoir si l'on peut contraindre au service militaire ; la seconde, c'est celle de la rémunération.

(page 930) Ce sont là deux questions complètement distinctes, qu'il faut traiter séparément.

Sur la question de la contrainte, malgré les protestations de l'honorable membre, je dois dire que nous sommes encore d'accord à l'heure qu'il est, car, dans le discours qu'il vient de prononcer, il a, sous une autre forme d'appel du contingent, maintenu le droit de l'Etat de contraindre au service militaire. Cela n'est pas niable.

Il veut qu'il y ait un service forcé. Seulement, comme recrutement, il emploie le concours, tandis que nous employons le tirage au sort.

M. Couvreurµ. - J'y joins la rémunération.

MiPµ. - Je n'admets pas le mélange des deux questions.

Constatons donc que nous sommes d'accord sur la contrainte.

Mais si nous sommes d'accord, vous faites exactement la même chose que moi et je dis que les arguments que vous m'opposez vous sont également applicables.

Vous voulez la contrainte comme moi, si donc nous sommes dans une position identique à celle des Etats-Unis du Sud et de l'Egypte, si nous avons des esclaves et des fellahs, vous êtes aussi coupable que moi.

Mais, je me hâte de le dire, nous sommes innocents de ces reproches. Aux Etats-Unis et en Egypte, il s'agissait d'employer des individus à faire un travail commercial, ce qui n'a aucune espèce de rapport avec la tâche civique de la défense de l'Etat.

Voilà pourquoi le travail forcé des esclaves et des fellahs est odieux, je. le proscris comme vous.

Mais, nous sommes d'accord pour reconnaître que chaque citoyen a, vis-à-vis de l'Etat, un devoir de service personnel, qui n'est pas un esclavage, mais une charge inhérente à tous, la conservation de tous les Etats.

Ne cherchez donc pas à établir, sons ce rapport, des distinctions entre nous, et puisque nous cherchons tous deux, de bonne foi, à résoudre ces questions, reconnaissons que nous sommes d'accord lorsque nous le sommes réellement.

J'arrive maintenant à la question de la rémunération. L'honorable M. Couvreur me dit : Vous ressemblez à don Juan disant à M. Dimanche : Attendez, nous réglerons notre compte plus tard ; je suis votre débiteur, et je préfère vous devoir toujours que de nier jamais ma dette.

Ce n'est pas le langage que j'ai tenu hier. J'ai dit que le service militaire était une charge personnelle.

Cette charge est due ; elle est due par le citoyen sans rémunération, et j'ai démontré que, quand une perte réelle est subie, la réparation existe. En d'autres termes, j'ai démontré qu'en général, et à part des cas particuliers la situation du milicien qui avait fait son terme de service était exactement le même que celle de celui qui est resté chez lui, et qu'à l'âge de vingt-deux ans milicien et non milicien se trouvent dans la même situation.

Aussi M. Couvreur ne nie-t-il pas ce que j'ai dit, il ne prétend pas que l'on n'indemnise pas de la perte matérielle, mais il nous reproche d'oublier les désagréments moraux du service dont nous avons parlé. Comment ! s'écrie-t-il, vous privez un homme du droit de suivre la voie qui lui convient, de faire le travail qu'il préfère, vous lui faites quitter son village, sa famille, ses affections et vous ne lui devriez pas une indemnité ! Vous faites pour les citoyens ce que vous n'oseriez faire pour une terre ou une maison expropriée !

Mais M. Couvreur ne s'est pas rappelé les principes de l'expropriation matérielle même à laquelle il faisait allusion ; il a oublié qu'en matière d'expropriation on ne tient pas compte de la valeur d'agrément ou d'attachement personnels !

Comment payerait-on un propriétaire de l'affection qu'il a pour sa maison, la maison où il est né, où il a vécu, où il a élevé sa famille !

M. Couvreur est trop matérialiste ; il croit que tout peut se traduire en écus. Mais il n'en est pas ainsi : il est une multitude de choses qui sont inestimables est qu'on ne peut apprécier en argent.

Le milicien a droit à l'indemnité pour la privation du bénéfice ou la perte qu'il subit ; quant aux affections, on ne peut pas en tenir compte. (Interruption.)

Je voudrais savoir comment M. Couvreur estimerait l'indemnité à donner à un milicien pour l’éloignement de sa famille, l'interruption de ses relations d'amitié. Proportionnera-t-on l'indemnité à l'ardeur ou au succès de ses amours ?

Ne confondons pas, messieurs, l'indemnité et la rémunération. Je désire, sans lui reconnaître le caractère d'une dette absolue, que l'Etat accorde cette rémunération à ceux qui subissent le désagrément d'être appelés dans l'armée. Elle n'est pas un droit strict, mais c'est une équitable compensation que l'Etat fera bien d'accorder et que je serais heureux de voir la législature sanctionner.

J'arrive maintenant à la question de savoir comment il faut former les contingents.

J'ai vu avec plaisir MM. Le Hardy et Couvreur reconnaître le principe du tirage au sort comme un principe juste, comme un mode de désignation inévitable lorsqu'il s'agit de satisfaire par plusieurs à une obligation indivisible ; ils ont confirmé aujourd'hui le système que j'ai présenté hier et j'ai été heureux d'obtenir ces deux conversions.

En effet les deux honorables membres ont posé la pratique hypothèse d'une barque dans l'Océan sur laquelle sont dix hommes, qui ne peuvent être sauvés que si l'on sacrifie l'un d'eux.

Quel est le système qu'ils ont indiqué ? Le tirage au sort.

M. Couvreurµ. - Pour le critiquer.

MiPµ. - Pas du tout ; je vais vous le démontrer. M. Le Hardy nous a dit :

On se trouve à dix ; le navire est trop chargé ; il faut que l'un d'eux, périsse. Mais voyez donc ce qui va arriver si le sort désigne précisément le seul individu qui puisse diriger la barque ; tout le monde périra. Mais, messieurs, il est vraisemblable que, dans un pareil cas, ces dix marins auront bien soin de commencer par exclure du tirage celui qui, seul, peut les sauver. Il n'y aura pas d'hésitation sur ce point ; on sera parfaitement d'accord. Mais une fois le capitaine exclu, l'honorable M. Le Hardy ne trouve pas d'autre moyen que le tirage au sort pour désigner celui des neuf autres qui doit être sacrifié.

L'honorable M. Couvreur, reprenant l'hypothèse de l'honorable M. Le Hardy, suppose que l'on doit abandonner un des dix navigateurs dans une île qui, probablement, contient une population d'anthropophages, qui cependant ne font pas eux-mêmes leur choix, ce qui est assez difficile à admettre. L'honorable M. Couvreur reconnaît qu'il faut le tirage au sort pour désigner celui qui devra être abandonné.

Mais laissons ces malheureux au milieu de l'Océan. Nous avons des choses plus pratiques à examiner que de savoir ce qu'il y aurait à faire en pareille hypothèse.

J'arrive au système de l'honorable M. Couvreur qu'il a appelé lui-même un système de transition. Seulement je lui ferai remarquer que, pour arriver à sa transition, nous aurions bien besoin d'une transition préalable ; car si l'on mettait le concours en pratique l'année prochaine, il faut convenir que nous assisterions à un bien singulier spectacle.

L'honorable M. Couvreur a déjà un peu battu en retraite, il commence par exclure du concours les armes spéciales. (Interruption.)

- Un membre. - Il les a exclues dans son premier discours.

MiPµ. - Je ne l'avais pas remarqué. Je ferai remarquer à l'honorable membre que c'est précisément pour ces armes spéciales qu'on devrait le plus exciter les miliciens futurs à apprendre l'exercice ; c'est pour ces corps que le service est le plus long et l'on en fait même un grief contre la loi. Si donc ce système est bon pour l'infanterie, à plus forte raison le serait-il pour la cavalerie et l'artillerie, puisque nous développerions dans le pays les connaissances nécessaires pour faire partie de ces corps spéciaux.

J'arrive à l'infanterie. L'honorable M. Couvreur ne m'a pas du tout de montré que son système ne frapperait pas surtout les classes pauvres, puisqu'elles ont moins de temps à distraire de leurs travaux quotidiens. N'est-il pas évident, en effet, que les classes élevées qui ont le plus d'intelligence, le plus de temps, le plus de facilité pour apprendre l'exercice, seront les plus aptes à subir leur examen ? En sorte que les pauvres connussent-ils l'école du soldat, ils seront toujours primés par les riches qui auront eu tout le loisir d'apprendre les trois écoles.

Les jeunes gens des classes élevées feront des sacrifices de temps et d'argent pour ne pas marcher ; ils pourront se réunir, se grouper de manière à pouvoir organiser des manœuvres. Mais comment voulez-vous que les deux ou trois miliciens d'une petite commune perdue dans le Luxembourg puissent jamais apprendre l'école de bataillon ? Il leur faudrait un bataillon.

Je maintiens donc que, contre ses intentions, bien certainement, l'honorable M. Couvreur propose une réforme réellement aristocratique.

Puisqu'il a parlé de la rémunération, je rappellerai qu'il a oublié de répondre à un point important de mon discours. De son aveu, la rémunération existe pour un tiers des miliciens. Or, l'honorable membre supprime cela et il anéantit cet avantage en dégrevant les classes élevées d'un impôt qu'elles payent aujourd'hui.

Mais l'honorable membre nous parle des enfants, qui pourraient faire (page 931) l’exercice le dimanche au lieu d'aller vagabonderez d'aller détruire les nids des petits oiseaux.

L'honorable membre, qui sans doute comprendrait cela dans l’enseignement obligatoire, va donc imposer des exercices militaires, les imposer directement par une prescription formelle, ou indirectement par la menace de l'incorporation. Mais d'après le système de M. Couvreur, si tout le monde a droit à une indemnité pour toute contrariété de ses goûts, il faudra donner une indemnité aux enfants à qui il fera faire ces exercices et que vous empêchez d'aller, conformément à leurs goûts, chercher des nids.

L'honorable M. Couvreur pense que la nostalgie qu'éprouvent aujourd'hui nos miliciens n'existera plus.

Sans doute, le milicien que le sort a désigné pour le service militaire éprouve, pendant les premiers mois qu'il est sous les drapeaux, le regret d'avoir quitté la famille.

L'honorable M. Couvreur croit-il que les gens qu'il aura armés dans son système n'éprouveront pas le même regret ? Ce sera exactement la même chose.

Je ne vois pas pourquoi les gens très peu intelligents qu'il aura armés n'auront pas la nostalgie que les miliciens éprouvent aujourd'hui. Il n'y a pas de rapport d'exclusion entre l'imbécillité et la nostalgie. (Interruption.)

Messieurs, je suis heureux d'arriver à la partie réellement bonne du système de l'honorable membre ; je crois que c'est une excellente chose de préparer les jeunes gens aux manœuvres militaires par des exercices, à domicile.

Mais la condition que j'ai indiquée hier à ce système, je la lui impose encore aujourd'hui : je ne veux pas qu'on diminue le temps de service de ceux qui sont suffisamment instruits, en imposant une charge à d'autres miliciens. Sans doute, si un milicien connaît parfaitement l'exercice, je demande qu'on ne le retienne pas sans nécessité à l'armée ; mais ce à quoi je m'oppose de toutes mes forces, c'est que l'éloignement de ce milicien force un autre à prendre sa place.

Donc, le système est bon, en ce qu'il tend à faire apprendre aux enfants a l'école primaire ces exercices gymnastiques qui préparent aux manœuvres militaires et à diminuer ainsi le temps de service des miliciens qui seraient suffisamment instruits ; mais le système n'est pas admissible, lorsqu'il fait de ces études préalables une charge nouvelle pour ceux qui n'auront pas eu le loisir de s'y livrer.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole dans la discussion générale, je vais mettre la clôture de cette discussion aux voix.

M. Coomans. - Je demande à pouvoir utiliser le peu d'instants qui nous séparent de la fin de la séance.

M. le président. - Vous avez la parole.

M. Coomans. - Ayant déjà pris la parole deux fois, je reconnais que je la tiens aujourd'hui de la bienveillance de la Chambre, ce qui me dispensera de la demander à l'occasion de l'article premier pour présenter les observations que m'inspire le discours de l'honorable préopinant.

Messieurs, je ne complais pas prendre la parole ; mais le langage hardi, plus hardi que celui de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, tenu par M. le ministre de l'intérieur, me force à protester. C'est mon devoir, je le remplis à l'improviste.

Je ne sais si l'honorable M. Pirmez a plus d'esprit aujourd'hui qu'il y a deux ans ; mais j'affirme qu'il est beaucoup plus ministériel. (Interruption.) L'honorable M. Pirmez défend aujourd'hui avec une chaleur excessive des thèses qu'il aurait très modérément soutenues, assis à son ancien banc. Je ne veux plus examiner les raisons de ce zèle exagéré.

Deux choses m'ont particulièrement choqué dans son discours d'hier et dans son discours d'aujourd'hui. D'abord, il a affirmé que la loterie militaire est juste ; ensuite, il a prétendu qu'une, rémunération n'était pas due au milicien.

Je crois que c'est la première fois que ces affirmations se produisent dans cette Chambre.

Je rends cette justice à l'honorable général Renard et à tous les généraux qui l'ont précédé au banc ministériel, de reconnaître que jamais aucun d'eux n'a affirmé la justice, l'équité de la loterie militaire. Ils se sont contentés de cet argument qui n'en est pas un, mais qui est au moins un hommage rendu à la justice ; que c'était la nécessité qui les obligeait de recourir à l'iniquité.

L'honorable ministre ose aller plus loin ; il prétend justifier sa thèse par des affirmations complètement inexactes. Il prétend que le service réclamé par la loterie militaire est un service personnel imposé à tous les Belges qui réunissent les conditions physiques et intellectuelles désirées.

Cela n'est pas, ce service n'est pas demandé à tous les Belges aptes à le rendre ; il n'est demandé qu'au quart des inscrits et tout au plus au tiers des hommes qui peuvent marcher.

L'impôt n'est donc pas personnel, puisque vous en exemptez beaucoup de monde, et il n'est pas personnel par une autre raison encore, c'est que vous en exemptez un certain nombre de membres d'une même famille. L'impôt n'est donc pas personnel ; c'est un impôt demandé à la famille. Si l'impôt était personnel, pourquoi exempteriez-vous le second fils, quand le premier a marché ? pourquoi exempteriez-vous le quatrième, quand le troisième a marché ? Ce n'est donc pas un impôt personnel ; ce n'est pas un impôt civique ; c'est une charge financière imposée arbitrairement, sous le masque de l'individualité égalitaire.

Mais, dit l'honorable ministre, c'est un impôt personnel, car il s'agit d'une prestation de services personnels. Je regrette que l'honorable ministre ne m'ait pas fait l'honneur de m'écouter l'autre jour, ou tout au moins de me lire et de me répondre. Je crois avoir démontré à suffisance de logique que ce n'est pas un impôt personnel qui est réparti par la loterie, que c'est un impôt-argent et seulement argent. Messieurs, n'est-il pas évident que vous avez transformé l'impôt personnel en une prestation financière, le jour où vous avez permis de se libérer de l'impôt personnel moyennant une somme d'argent ?

M. Janssensµ. - Cela n'est pas discutable.

M. Coomans. - Vous dites le mot : Cela n'est pas discutable.

MiPµ. - Cela n'est pas permis.

M. Coomans. - Je crois que l'honorable ministre me dit que cela n'est pas permis. Ne jouons pas trop sur les mots, M. le ministre. Je sais bien qu'il n'est pas dit dans la loi qu'on ne devra pas marcher lorsqu'on possède 1,200 ou 1,500 fr.

Mais n'est-il pas dit dans la loi que vous pouvez remplacer votre personne par une autre personne, et ne savons-nous pas tous que cela veut dire 1,000 fr., 1,500 fr., 1,600 fr. ? C'est donc un impôt financier, impôt égal pour les pauvres et les riches, impôt inégal par conséquent et excessif ? Et de la naît l'iniquité de la conscription. (Interruption.)

Oui, l'iniquité de la conscription, puisque vous demandez la même somme d'argent à tous les Belges pauvres ou riches.

L'honorable ministre est allé beaucoup plus loin encore, si c'est possible ; il a dit et répété que l'impôt est égal pour les 43,000 Belges qui y sont annuellement soumis. Mais cela est-il soutenable ?

Hélas ! triste souvenir, naguère encore je me trouvais dans un de nos cantons le jour du tirage au sort et j'y ai vu un grand trouble moral, j'y ai vu couler bien des larmes, j'y ai vu aussi quelques infamies, j'ai vu des victimes se déshonorer elles-mêmes en dissipant, dans les fumées de l'ivresse, leur douleur ou leur fureur !

Eh bien, le même jour il y avait, chez un grand riche, assis à la même table que moi, un jeune homme de vingt ans, parfait gentleman du reste, mais qui ne savait pas qu'il y avait tirage au sort. J'eus soin de l'en avertir et il me dit : « Tirage au sort ! Je n'en savais rien ; ma famille, a dû arranger la chose ; tirage au sort pour servir, pour être soldat, n'est-ce pas ? - Oui, pour défendre la patrie ! - Eh ! cela ne me regarde pas. »

Voilà un Belge de vingt ans qui ne sait pas qu'il y a tirage au sort, qui ne s'en soucie point ou guère, tandis que 12,000 Belges sont dans le malheur, non pas seulement les 6,500 qui marchent forcément, mais encore la plupart des 3,500 qui se font remplacer et qui se sont imposé pour cela d'énormes sacrifices. (Interruption.)

Messieurs, je vous remercie de l'émotion que je vous cause.

Quoi ! l'impôt est égal pour tous les Belges ! Mais pour les uns, c'est la vie non seulement du jeune homme, mais de la famille entière, que vous tirez au sort, c'est son sort que vous mettez dans l'urne ; et pour les autres, c'est l'économie d'un dîner ; ce dîner-là avait couté le prix d'un homme ! Eh bien, demandez à une famille pauvre, honnête, laborieuse si elle veut jeûner trois jours pour s'affranchir de la milice, elle jeûnera trois jours au moins, elle sacrifiera peut-être un mois de son revenu ; le riche ne donne qu'un seul dîner, gras ou maigre, pour s'affranchir, et vous appelez cela un régime égalitaire ! Est-ce sérieux, est-ce honnête ?

Messieurs, c'est l'honneur de l'humanité et j'espère que ce sera l'honneur de cette Chambre de mettre la vérité et l'équité au-dessus des sophismes.

La rémunération n'est pas due, dit M. le ministre de l'intérieur. Messieurs, voilà encore un aphorisme étrange ; je ne sais quel effet les sophismes de MM. les ministres ont produit sur vos consciences, mais, pour moi, ils me révoltent. La rémunération n'est pas due pour 8 à 9 mille victimes ! L'indemnité n'est pas due devant une Constitution qui garantit la (page 932) liberté et la fortune, qui les garantit minutieusement ! Elle promet à tous le payement des services rendus, des sacrifices imposés, et la rémunération ne serait pas due à ces malheureux qui n’ont que le tort d'être ignorants et faibles !

Ah ! mais, dit l'honorable ministre, quelle différence entre l'esclavage et la milice forcée !

L’esclavage n'existe qu'au profit des particuliers et alors il est mauvais, mais quand l'esclavage est pratiqué par le gouvernement dans un intérêt public, c'est autre chose. Alors il est légitime, presque sacré.

Oh ! l'esclavage dans les Etals du Sud était mauvais, l'esclavage en Egypte est mauvais ; ce sont des particuliers qui en profitent ou en profitaient.

L'honorable ministre n'a pas vu qu'il se réfutait lui-même. Les fellahs travaillent aussi pour le gouvernement.

MiPµ. - Ils ne remplissaient pas un service public.

M. Coomans. - Je ne parle pas des Pyramides. M. le ministre, mais le pacha d'Egypte ne s'est-il pas libéré envers la compagnie de Suez en lui donnant des hommes au lieu de millions ?

M. Couvreurµ. - Certainement.

M. Coomans. - Cet esclavage est approuvé par vous, M. le ministre de l'intérieur, et au nom de la justice. J'espère bien que vous ne deviendrez pas ministre de la justice. (Interruption.) Je suis certain que M. Bara ne répétera pas ce que vous avez dit.

Ainsi l'esclavage est légitime, pratiqué par l'Etat ; il ne l'est pas, exploité par des individus.

Eh bien, plus libéral que vous, je dis qu'il est toujours illégitime et que les esclaves de tous les pays et de tous les temps ont le droit de s'y soustraire.

Quand il sera démontré que votre esclavage militaire ressemble trop aux autres, il disparaîtra, on le combattra à coups de fusil, et je serai volontiers du combat.

L'honorable M. Pirmez a voulu trop prouver et je crois qu'il n'a rien prouvé, rien qu'une, inexcusable indifférence envers nos miliciens forcés.

Il a adressé à mes honorable amis MM. Vermeire et Kervyn de Lettenhove un reproche étrange, le reproche de faire du socialisme parce qu'ils voulaient que l'Etat payât au moins en partie les volontaires remplaçant les miliciens exonérés.

Comment, dit l'honorable ministre, vous voulez faire payer les volontaires, les remplaçants des miliciens, par l'Etat ? Mais c’est du socialisme !

MiPµ. - Je n'ai pas dit cela.

M. Coomans. - J'ai cru entendre que vous reprochiez à mes honorables amis de vouloir faire payer par l'ensemble des contribuables les remplaçants ou les volontaires qui, à vos yeux, ne forment qu'une seule catégorie de personnes.

- Des membres. - Oui, oui.

M. Coomans. - J'ai bien entendu. Encore une erreur grave, selon moi, que de confondre le remplaçant avec le volontaire. Le remplaçant qui se vend a un individu et le remplaçant qui s'engage envers l'Etat ne peuvent être placés sur la même ligne.

Si la théorie de l'honorable ministre sur l'esclavage est vraie, il devrait reconnaître qu'il a eu tort d'assimiler le remplaçant au volontaire.

Moi qui ne partage pas votre mépris exagéré pour les remplaçants, moi qui ne dis pas, comme M. le ministre de la guerre et comme d'autres, que les remplaçants sont la lèpre de l'armée, je ne veux pourtant pas qu'on les confonde avec les volontaires.

Le volontaire qui s'engage envers l'Etat peul être mû par d'excellents mobiles. Il n'en est que rarement ainsi pour le remplaçant.

J'ai une autre raison, messieurs, de vous engager à ne pas trop flétrir les remplaçants. D'abord vous en avez besoin, vous ne pouvez vous en passer.

Mais ensuite, ne vous êtes-vous jamais demandé qui des deux était le meilleur citoyen, an point de vue militaire, ou le jeune homme qui paye quelque chose pour ne pas servir l'Etat, ou l'homme courageux et laborieux qui se vend pour servir l'Etat ?

Je dis, que dans beaucoup de cas, le remplaçant est plus honorable que le remplacé.

Ainsi donc, l'honorable ministre ne veut pas de l'impôt proportionnel, que je loue M. Kervyn d'avoir proposé ; il ne veut pas demander un impôt proportionnel aux familles pour obtenir des remplaçants.

Mais, messieurs, il faut cependant que le remplacement soit accessible à toutes les familles, sinon il est injustifiable.

Or, pour le rendre accessible à toutes les familles, il faut une charge proportionnelle. Que cet impôt s'appelle du nom d'exonération ou de tout autre, peu m'importe ; mais je veux qu'il soit facultatif à toutes les familles el c'est aussi au fond la pensée de M. Couvreur, qu'il soit facultatif à toutes les familles de se libérer de l'impôt milice. Donc l'impôt proportionnel est nécessaire.

Est-ce là un impôt socialiste, comme l'a dit l'honorable ministre de l'intérieur ? D'abord on a fort abusé de l'accusation de socialisme et nous devrions nous épargner ces boules de neige. Mais si le raisonnement de M. le ministre de l'intérieur est juste, toute notre constitution sociale n'est que du socialisme.

Tons nos impôts sont proportionnels et selon moi, ils doivent l'être, et quand ils ne le sont pas, ils sont censés l'être ; y a-t-il un impôt en Belgique qui ne soit pas proportionnel ? Est ce que le riche ne paye pas plus pour le budget de la guerre que le pauvre. Certes, et il doit le faire parce que je prétends que les plus gros actionnaires dans l'association politique et civile doivent payer une plus forte prime d'assurance.

Je trouve très équitable que les riches payent des impôts plus élevés, et c'est aussi votre thèse financière. C'est sur cette base qu'est organisé tout notre système d'impôt. Vous ne faites qu'une seule exception à ce principe sacré, c'est pour la milice, c'est-à-dire pour le plus dur des impôts.

Vous voulez que l'impôt suit le même pour le pauvre et pour le riche, et vous voulez qu'il soit le même précisément parce que vous savez que le pauvre ne saura pas s'y soustraire.

En effet, quel est l'argument (au point de vue militaire, il est bon) que l'on a toujours fait valoir contre un système d'exonération un peu populaire ? C'est qu'une fois mis en pratique, il n'y aura plus de soldats parce que tout le monde s'exemptera. Or, vous ne voulez pas que le pauvre s'exempte, parce que vous n'auriez plus alors de soldats forcés et que vous savez bien que vous n'aurez jamais le chiffre de 100,000 volontaires que vous voulez avoir.

Et cette iniquité est préméditée ; vous ne consentirez jamais à abaisser le prix de la libération parce qu'il vous faut des soldats. Or, je le répète, cela est inique : l'impôt doit être proportionnel.

J'aime mieux que le budget de la guerre supporte toute la charge de l'armée ; là serait la justice, et que M. le ministre des finances trouve avec nous d'autres moyens de combler le déficit. Mais, si vous admettez le remplacement au moyen d'argent, il faut le rendre accessible à tous, ou bien vous maintenez la plus criante iniquité sociale.

Messieurs, j'ai peur d'abuser de votre bienveillante, attention... (Interruption) mais il est un point sur lequel je me crois, en conscience, forcé de demander une explication à l'honorable. M. Pirmez.

J'ai pris la liberté grande, trop grande peut-être, mais dans de bonnes intentions, de vous entretenir sommairement des résultats de quelques entrevues que j'avais eues avec S. M. Léopold Ier. Il m'a paru que l'honorable M. Pirmez a cherché à révoquer en doute l'exactitude de mes souvenirs. S'il a présenté ses observations dans ce but-là, je le prie de me le dire et je me justifierais. Si ses observations n'avaient pas ce but, s'il admet ma parfaite loyauté, c'est tout ce que je lui demande ; je n'en dirai pas davantage.

Quel était le but de ses observations ? Vous m'avez dit qu'il était étrange que le Roi m'eût fait l'honneur de me parler de notre armée. ; n'est-ce pas faire douter de mon langage ? Si vous gardez le silence, je l'interpréterai comme un assentiment et je m'expliquerai de nouveau.

M. le président. - M. le ministre désire-t-il répondre immédiatement ?

M. Coomans. - J'y consens très volontiers,

MiPµ. - Je le ferai tout à l'heure.

M. le président. - Veuillez donc continuer, M. Coomans.

M. Coomans. - J'ai formule l'opinion du feu Roi sur trois points : sur le remplacement, sur l'exemption du fils aîné et sur l'établissement d'une loterie financière à côté de la loterie militaire. M. le ministre pourrait-il au moins me dire sur lequel de ces trois points l'opinion que j'ai fait connaître lui paraît inadmissible. (Interruption.) Vous dites : Je n'en sais rien. Vous savez si peu de chose que vous ne m'en voudrez pas de vous en apprendre quelques-unes.

Messieurs, je puis vous donner l'assurance que ma mémoire ne m'a nullement fait défaut sur ce que m'a dit le feu Roi.

J'affirme que Sa Majesté m'a dit qu'il était très fâcheux que le système actuel de remplacement dût être maintenu en Belgique ; mais qu'il était très difficile, impossible peut-être de le supprimer dans un pays à suffrage restreint, attendu que la plupart des électeurs tenaient beaucoup à jouir du bénéfice du remplacement.

Messieurs, c'est là une vérité tellement évidente que je ne pense pas avoir besoin de la développer.

(page 933) J'affirme, en second lieu, que le Roi m'a dit qu'il était juste et utile d'exempter toujours, dans tous les cas, le fils aîné, comme soutien réel ou présumé de la famille.

Sur le troisième point, j'ai encore à prendre acte du langage de M. le ministre de l'intérieur. Il m'a reproché d'avoir parlé d'un mort illustre comme pour faire entendre que je ne m'exposais pas ainsi à un démenti. Il m'a dit formellement que j'aurais dû faire ces confidences à la Chambre du vivant de Sa Majesté Léopold Ier.

J'avais cru, messieurs, qu'il était plus convenable de ne publier de pareils souvenirs qu'après la mort du Roi, surtout quand sa mémoire vénérée ne pouvait jamais en souffrir.

Mais je suis maintenant le conseil que m'a donné M. le ministre de l'intérieur, conseiller de la couronne, et j'affirme que, sur les deux derniers points, l'exemption du fils aîné et la loterie, j'ai fidèlement reproduit la pensée du Roi régnant. Sa Majesté m'a dit un jour...

M. le président. - Je dois vous arrêter, M. Coomans ; il n'est, pas permis de produire les opinions du Roi dans les débats parlementaires.

M. Coomans. - Ainsi, M. le président, vous donnez tort à M. le. ministre de l'intérieur ?

M. le président. - Je ne donne pas tort à M. le ministre, de l'inférieur ; je dirige les débats, et je ne puis permettre que vous continuiez à mêler le nom du Roi à la discussion.

M. Coomans. - J'avais donc, moi, raison dans mes scrupules, et M. le ministre de l'intérieur avait tour de m'exciter à parler du roi régnant ; a deux reprises, il m'a été dit par cet auguste personnage, que la loterie financière était l'objet de préjugés exagérés, et que des loteries convenablement établies pourraient fournir les moyens de créer d'utiles ressources.

Je crois avoir justifié quelques-unes de mes remarques, et j'ajournerai mes autres observations a la discussion des articles.

MiPµ. - Messieurs, je n'ai pas eu l'intention d'attaquer la loyauté de l'honorable M. Coomans ; mais je crois que les hommes à idées fixes comme lui sont très sujets à se tromper, surtout dans la matière qui fait l'objet de la fixité de leurs idées.

- Un membre. - Mieux valent les idées fixes que les idées non fixes.

MiPµ. - L'honorable M. Coomans a avancé que j'ai modifié mon opinion à l'égard de la loi sur la milice. Je l'engage à dire ce qui justifie cette accusation. Depuis dix ans que je suis a la Chambre, j'ai voté, chaque année, la loi du contingent.

Messieurs, sans rien affirmer de faits que je ne connais pas personnellement, j'ai trouvé et je trouve fort étonnant que le Roi ait pris pour confident de ses opinions, en matière militaire, l'adversaire le plus déterminé du budget de la guerre et de tout ce qui a rapport à l'armée ; cela est d'autant plus étonnant que des hommes qui ont vu fréquemment le feu Roi, qui ont eu à conférer très souvent avec lui pour affaires militaires, n'ont jamais entendu émettre d'idées se rapprochant de celles que l'honorable M. Coomans nous a fait connaître.

J'ai dû d'autant plus douter de l'exactitude de ses souvenirs qu'au moment même où l'honorable membre apportait ces affirmations, il commettait une flagrante erreur ; il vous disait :

« Lorsque je fus souvent rapporteur des fortifications d'Anvers et du budget de la guerre, j'eus l'honneur d'avoir des entretiens avec le feu Roi ». L'honorable M. Coomans, avec la meilleure foi du monde, s'imagine donc avoir été plusieurs fois rapporteur de la question des fortifications d'Anvers et rapporteur du budget de la guerre. (Interruption.)

Eh bien, l'honorable membre n'a jamais été rapporteur d'un budget de la guerre ; il n'a pas même été rapporteur d'une section ou membre de la section centrale d'un budget de la guerre. Il se fait donc des illusions, il pense avoir été rapporteur sans l'avoir jamais été.

Cela se comprend. L'honorable membre pense, pendant une grande partie de la journée, à la question de la milice ; il aspire à la réalisation de ses idées : il rêve qu'elles se réalisent, et le lendemain matin, il ne distingue pas le réel de ce qu'il a rêvé.

Ainsi, l'honorable membre, toujours sous l'influence de ses préoccupations, croit avoir été rapporteur du budget ; il peut croire avoir en des entretiens avec le feu Roi ; il peut bien plus facilement supposer que, dans des entretiens réels, le Roi ait tenu un langage qui ne se trouvait que dans sa propre pensée.

Maintenant, j'ai un mot à dire sur un fait que l'honorable M. Coomans a produit dans cette Chambre, fait de nature à faire impression : c'est celui d'un dîner auquel il a assisté, et où il a trouvé un homme de l'aristocratie ne connaissant pas même le tirage au sort auquel il prenait part, tandis qu'au moment même où l'on dépensait dans ce dîner le prix d'un remplaçant, le prix du service militaire, tant de gens étaient plongés dans la désolation par le résultat de cette opération.

Il y a là un rapprochement à effet ; mais je tiens à dire que cette situation qui montre la grande inégalité qui existe entre les classes de notre société, ne vient pas de la loi que nous faisons ; elle vient des inégalités sociales, et l'honorable, M. Coomans pourrait citer mille faits exactement semblables à celui qu'il vous a dit.

Il aurait pu nous dire, par exemple, qu'au moment où il participait à ce splendide festin, il y avait des gens mourant de faim.

M. Coomans. - Ce n'est pas la faute de la loi.

MiPµ. - Il eût pu aller dans un grenier et y voir peut-être une pauvre femme occupée à donner à manger à ses enfants un morceau de pain noir, que certains chiens dédaigneraient.

Il aurait, pu vous dire que certaine dentelle coûte un travail dur et pénible de plusieurs années à de malheureuses jeunes filles.

Il eût pu vous dire que le jeune homme, dont il vous a parlé dépense parfois, en un seul jour, ce que gagne en plusieurs années un des miliciens appelés par le tirage au sort.

Voilà où est l'inégalité. Elle est immense sans doute, mais elle ne vient pas de la loi.

L'inégalité existe entre le jeune millionnaire et le pauvre jeune homme que vous mettez en scène, indépendamment de la milice. Supprimez la conscription, l'égalité régnera-t-elle ? Ne sera-t-il pas vrai que l'un pourra, pour une fantaisie, dépenser le coût de la subsistance de l'autre pendant des années ?

N'est-il pas contre toute logique d'imputer à la milice une inégalité restant aussi flagrante que si elle n'existait pas ? La charge personnelle est égale ; l'un s'en affranchit grâce à sa fortune, comme il s'affranchit des inquiétudes de la subsistance ; l'autre la subit, comme il subit son travail, et en obtient ce qu'il tire de son travail : la subsistance.

On peut déplorer cette profonde inégalité des classes ; mais quand on étudie les faits sociaux, quand on analyse les phénomènes de la vie économique des nations, on acquiert bien vite la conviction que ces inégalités, en faisant le bonheur des uns, ne font pas le malheur des autres, et que si l'égalité des positions sociales existait dans un pays, on aurait, comme je l'ai dit, l'égalité dans la misère.

L'inégalité dans les fortunes est la plus forte réserve que puisse avoir une nation contre les secousses soudaines, contre les époques où les récoltes de la terre ne réussissant pas, l'alimentation publique est compromise.

L'expérience démontre que l'intensité des famines est en raison de l'égalité des fortunes.

Je crois donc, que l'honorable M. Coomans ne doit pas jeter dans le débat des comparaisons qui s'attaquent bien moins à la loi de milice qu'elles ne s'attaquent à la constitution de la société tout entière.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close.

- Des membres. - A demain !

M. le président. - Je crois devoir vous faire remarquer que je devrai d'abord vous interroger sur la question de principe posée par M. Kervyn et sur la demande d'enquête formée par M. Thibaut.

Je compte aussi vous demander de consacrer demain la dernière heure de la séance à des rapports de pétitions.

Projet de loi accordant un crédit au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Vleminckxµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit supplémentaire de 5,987 fr. au département de la guerre pour le payement d'une créance arriérée.

- Ce rapport sera imprimé et distribué et son objet mis à la suite de l'ordre du jour.

La séance est levée à cinq heures.