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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 6 mars 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal

(page 557) M. Dethuin, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Il fait lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

« M. Vleminckx fait connaître, qu'il est retenu chez lui par une indisposition. »

« M. Vermeire demande, un congé et exprime ses regrets de ne pouvoir prendre part au vote pour l'abolition de la contrainte par corps. »

« M. Mouton, empêché d'assister à la séance, demande, un congé. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi sur la milice

Rapport de la section centrale

M. Mullerµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de le sur la milice.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi sur la contrainte par corps

Discussion générale

M. Lebeau. - Messieurs, en ma qualité de membre de la section centrale, je crois devoir répondre quelques mots à la réplique que l'honorable ministre de la justice a faite hier au discours de l'honorable M. Delcour.

Je serai très bref, messieurs, et n'abuserai pas des moments de la Chambre.

L'honorable ministre nous a reproché d'avoir, dans notre projet de loi, plutôt aggravé qu'adouci la contrainte par corps, telle qu'elle avait été décrétée par la loi de 1859.

D'après cette loi, le débiteur insolvable de bonne foi pouvait, après une année de détention, réclamer son élargissement en justifiant de son insolvabilité.

Dans notre projet, au contraire, nous avons abrégé la durée de la contrainte par corps. Nous l'avons réduite de 5 à 2 ans, mais nous n'avons plus admis la faculté, pour le débiteur de mauvaise foi incarcéré, de demander sa mise en liberté en justifiant de son insolvabilité.

J'expliquerai tout à l'heure les motifs qui nous ont guidés et je crois devoir faire connaître à M. le ministre de la justice que cette question a été mûrement discutée et sérieusement examinée par la section centrale et que nous nous sommes prononcés contre la disposition de l'article 35 de la loi de 1859 par des considérations puissantes que je développerai tout a l'heure.

Messieurs, nous pourrions demander, à notre tour, à M. le ministre s'il a bien réfléchi en proposant l'abolition complète de la contrainte par corps en toute matière. A-t-il bien réfléchi aux conséquences de cette mesure, qui dans beaucoup de cas peut être désastreuse pour les créanciers ?

Il faut bien le reconnaître, messieurs, la contrainte par corps une fois abolie, un homme insolvable, méchant et de mauvaise foi, pourra se permettre impunément de nuire à autrui sans qu'il puisse être, en aucune façon, inquiété, si ce n'est en cas de crime, de délit et de contravention, puisque, hors ces cas, tout lui sera permis, eût-il agi avec la plus grande méchanceté.

Car voilà les conséquences de l'abolition complète de la contrainte par corps.

Messieurs, je me demande si cette abolition est réclamée par l’opinion publique ? Je ne le crois pas, et je crois même me rappeler que le projet que nous discutons n'avait pas obtenu, lors de sa présentation, les sympathies de la Chambre. Dans les sections, il a été repoussé à une assez grande majorité.

A la demande de la section centrale, le gouvernement a consulté l'opinion publique dans la personne des corps constitués ; il a consulté les chambres de commerce et l'industrie, il a consulté aussi les autorités judiciaires chargées d'appliquer la loi.

Qu'ont répondu ces autorités ? Les unes ont dit qu'il fallait maintenir la contrainte par corps avec des adoucissements, d'abord en en abrégeant la durée, ensuite en ne la maintenant que pour les cas de mauvaise foi, de dol, de fraude et de violence. Les autres ont émis l'opinion qu'on pouvait abolir la contrainte par corps, mais à une condition : c'est de la remplacer par des dispositions pénales.

Nous avons demandé au gouvernement s'il pouvait remplacer la contrainte par corps, que tout le monde reconnaît nécessaire, par une loi pénale.

Il nous a répondu négativement. (Interruption.) Vous avez dit que vous ne pouviez pas, pour le moment, formuler un projet de loi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Lisez la lettre.

M. Lebeau. - Je ne l'ai pas sous la main ; mais si vous n'avez pas dit cela, vous avez dit quelque chose d'équivalent, car enfin si vous pouviez présenter un projet de loi qui remplaçât la contrainte par corps, je vous demanderais de le présenter pour qu'il fût discuté en même temps que celui qui abolirait la contrainte par corps.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Voulez-vous me permettre une explication ?

M. Lebeau. - Volontiers.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai répondu à la section centrale que j'étais convaincu que le code pénal nouvellement révisé suffisait pour réprimer tous les cas de dol ; j'ai ajouté que si la section centrale estimait que le code ne suffisait pas, je lui saurais gré de vouloir bien m'indiquer les lacunes qu'il y aurait lieu de combler.

J'ai vainement attendu les observations de la section centrale.

M. Lebeau. - Ce n'est pas à nous à faire la besogne de l'honorable ministre de la justice.

Si vous prétendez que les cas de dol, de fraude et de mauvaise foi sont punis, indiquez-nous les dispositions pénales qui les punissent, et alors seulement, vous rendrez la contrainte par corps inutile, puisque nous ne voulons la maintenir que pour atteindre ces faits de dol, fraude, de violence ou mauvaise foi.

Nous disons, messieurs, qu'avant d'abolir la contrainte par corps, il faut la remplacer par autre chose ; comme l'a dit M. Watteeu, avant de démolir, il faut édifier. Nous pourrions, du reste, citer une infinité de cas de quasi-délits qui peuvent aussi bien nuire aux personnes et aux propriétés qu'un véritable délit, et qui cependant ne sont frappés par aucune loi.

Le gouvernement a invoqué, à l'appui de son système, les législations des pays voisins.

Il vous a dit que, dans trois pays voisins, on avait aboli la contrainte par corps. Messieurs, je crois qu'en fait de lois libérales et progressives, nous n'avons rien à envier ni à emprunter aux pays voisins, et je ne crois pas que nous dussions les suivre dans un entraînement irréfléchi s'ils avaient voté des lois qui ne seraient pas en rapport avec l'état de nos mœurs et de nos institutions. Je. ne crois pas que nous dussions les suivre, dans cette voie, par un esprit de popularité mal compris et qui serait éminemment dangereux, car une fois que vous auriez aboli cette mesure protectrice, il vous serait assez difficile de la rétablir.

On a invoqué l'exemple de la France, l'autorité de la législation française. En France, la contrainte par corps a été abolie deux fois avant 1867 ; elle a été d'abord abolie, en 1793 et rétablie en l'an V de la république ; elle a été suspendue ensuite au mois de mars 1848 et rétablie au mois de décembre suivant. Ainsi l'abolition a été soumise en France à deux épreuves qui n'ont pas répondu à l'attente de ses auteurs.

M. Bouvierµ. - On était dans des moments difficiles.

M. Lebeau. - Pas du tout ; il y avait, au contraire, beaucoup de relations alors. Eh bien, on a trouvé qu'il était nécessaire de rétablir la contrainte par corps après l'avoir deux fois abolie.

Et remarquez, messieurs, que, depuis 1849, personne, en France, n'avait plus demandé la suppression de la contrainte par corps. C'est le gouvernement français qui en a pris l'initiative. Le gouvernement français agissant, comme vous l'avez fait vous-même, a consulté aussi les autorités ; eh bien, en France comme en Belgique, les autorités consultés ont été d'avis qu'il ne fallait pas abolir la contrainte par corps. Voilà un fait incontestable.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - En matière d'usure aussi ?

M. Lebeau. - Peu m'importe ce qu'on a décidé en matière d'usure ; mais je dis qu'en matière de contrainte par corps tout le monde en France était d'avis qu'il ne fallait pas l'abolir.

Et de quelle manière, messieurs, l'abolition a-t-elle été décrétée en France ? Malgré l'influence qu'exerce le gouvernement sur le corps législatif, (page 558) le projet, combattu par un rapport remarquable, n'a passé qu'à 22 voix de majorité. Douze voix déplacées et le projet de loi était rejeté par ce corps législatif, d'ordinaire si bienveillant pour le pouvoir exécutif. Au sénat, le projet de loi n'a passé qu'à trois voix de majorité, y compris la voix des ministres sénateurs.

Voilà, messieurs, dans quelles conditions l'abolition de la contrainte par corps, moins complète encore qu'on ne nous le propose puisqu'elle a été maintenue en matière de dommages-intérêts résultant de crimes et de délits, voilà dans quelles conditions cette abolition a été prononcée en France.

Et, messieurs, je comprends encore qu'on abolisse la contrainte par corps en France, en Allemagne, en Autriche ; car il s'en faut de beaucoup que ces pays jouissent des mêmes libertés que la Belgique. Il y a, dans ces pays, des lois restrictives, des lois pénales bien plus sévères que chez nous et qui, jusqu'à un certain point, remplacent la contrainte par corps. Je comprends donc, je le répète, que dans ces pays, on puisse, sans inconvénient grave, supprimer la contrainte par corps. Mais dans un pays où la liberté est si grande, si illimitée, dirai-je, que chez nous, il faut nécessairement un frein contre l'abus, sinon il se produirait bientôt une réaction contre des libertés que nous chérissons tous.

Maintenant, messieurs, on reproche à la section centrale de vouloir aggraver la position du débiteur qui est emprisonné pour dettes. Cela est-il facile ?

Comme je le disais tout à l'heure, la contrainte par corps, d'après la loi de 1859, avait été fixée à 5 ans ; nous l'avons réduite de 5 à 2 ans. Nous avons, d'un autre côté, augmenté le chiffre de la condamnation en dessous duquel on ne pourra plus la prononcer.

Enfin nous avons admis que la contrainte ne pouvait être prononcée que contre les hommes de mauvaise foi qui, en matière de commerce, par dol, fraude ou violence, se font remettre tout ou partie de la fortune d'autrui ; qui, en matière civile, commettent des faits dommageables, des abus graves qui nuisent à la propriété de tiers ; qui, en matière criminelle, ont à réparer le préjudice causé à leurs victimes, et enfin qui, en matière de quasi-délits, qui ne sont définis par aucune loi, ont commis un préjudice à autrui de mauvaise foi.

J'appuie sur ces mots, parce que chaque fois qu'un débiteur sera de bonne foi, il ne pourra plus être atteint. Voilà pourquoi nous n'avons pas admis l'exception de l'article 35 de la loi de 1859. En effet, nous avons voulu apporter de grands adoucissements à cette loi ; nous n'atteignons plus, comme le fait cette loi, le débiteur de bonne foi qui est insolvable ; nous n'atteignons que le débiteur solvable, s'il ne veut pas payer ; ensuite nous ne frappons que le débiteur de mauvaise foi, s'il est insolvable, et dans ce dernier cas la contrainte est un moyen préventif, comme je l'expliquerai tout à l'heure.

Pour bien comprendre l'esprit du projet de la section centrale, on doit mettre en présence deux catégories de débiteurs. Le débiteur solvable qui détourne ses biens pour ne pas payer ses créanciers ; voilà la première catégorie.

La seconde catégorie comprend les débiteurs de mauvaise foi, qu'ils soient ou ne soient pas insolvables.

Voyons d'abord les débiteurs solvables.

Le débiteur solvable, qui est condamné par un jugement emportant contrainte par corps, qui ne se libère pas envers son créancier, se rend coupable de mauvaise foi et n'a droit à aucun ménagement.

Mais, dira-t-on, faites exécuter le jugement par la saisie de ses biens !

Mais s'il a vendu ses biens, s'il a réalisé sa fortune, s'il a converti le prix de vente de ses propriétés en valeurs au porteur, quel moyen donnez-vous à ce créancier pour agir contre ce débiteur de mauvaise foi ?

Ici, messieurs, l'obligation, le contrat est valable à l'origine ; il existe légalement ; mais le débiteur devient de mauvaise fois dans l'exécution.

Quand quelqu'un contracte une dette, il est censé donner tous ses biens en gage à ses créanciers.

Car les biens du débiteur, dit le code civil, sont le gage commun des créanciers.

Ainsi si je traite avec quelqu'un dont je connais la fortune et si je me fais remettre des valeurs en garantie déposées chez moi ou chez un tiers, mon débiteur qui m'a ainsi donné ses biens en garantie légalement ou par convention, peut-il impunément les soustraire à mon action légitime comme créancier ? Mais, messieurs, si un débiteur volait la chose de son créancier, il serait poursuivi pour vol. Mais si, au lieu de soustraire la chose de son créancier, il soustrait la chose donnée en gage, que fait-il ? Il enlève le droit réel du créancier sur le gage ; il n'y a guère de différence entre ce cas et le vol, qui est la soustraction frauduleuse de la chose d'autrui.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - On peut le déclarer en faillite.

M. Lebeau. - Et s'il n'est pas négociant, que ferez-vous ? Vous n'avez pas d'action sur lui. C'est donc là, messieurs, une lacune qu'il faudra combler.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il faut aller jusque-là.

M. Lebeau. - Oui, je vais jusque-là ; je veux frapper le fripon au profit de l'honnête homme. Sans cela, il n'y a pas de loi morale.

Mais, nous dit-on, lorsqu'un créancier aura été victime d'un débiteur de mauvaise fois, insolvable, il restera victime jusqu'à la fin. S'il fait incarcérer son débiteur qui ne peut pas payer, le débiteur restera pendant deux ans en prison et, dans ce cas, doit-on s'apitoyer sur son sort ?

Mais, messieurs, le malheureux créancier qui est ruiné, lui et toute sa famille, vous ne vous apitoyez pas sur son sort. Vous ne faites rien pour lui.

Vous voyez de suite maintenant à quelles conséquences nous conduirait l'abolition complète de la contrainte par corps.

Mais, nous dira-t-on, il y a un moyen de parer à ces conséquences ; c'est de prendre des précautions. En prenant des précautions, les créanciers pourront toujours trouver les moyens de se faire payer.

Mais, messieurs, les précautions ne sont pas nécessaires pour les hommes capables, pour les hommes prudents et sages ; la loi sur la contrainte par corps n'est pas aussi nécessaire pour eux ; mais elle l'est pour protéger les gens faibles, sans expérience, qui sont facilement dupes des fripons et des adroits.

Messieurs, l'honorable ministre de la justice vous a dit hier que la contrainte par corps est inutile, et même qu'elle est nuisible.

Messieurs, je ne comprends pas trop comment la contrainte par corps serait nuisible pour le créancier qui veut poursuivre par cette voie son débiteur, car enfin il lui est libre, en assignant son débiteur, de demander la condamnation avec contrainte par corps ou non. S'il l'obtient, il lui est encore libre de l'exercer ou de ne pas l'exercer. Je demande donc comment la contrainte par corps pourrait nuire à quelqu'un qui peut en user ou ne pas en user ?

Mais voici, dit-on, voici comment elle peut être nuisible.

C'est lorsqu'on traite avec quelqu'un, comptant sur la contrainte par corps, on se défie moins. Lorsque l'on saura qu'il n'y a plus de contrainte par corps, on prendra une foule de précautions, on sera très prudent, on ne traitera plus qu'à bonnes enseignes.

Messieurs, ce sont des conseils qu'on peut donner très facilement, mais qu'il est difficile de suivre. Les affaires de commerce qui se traitent journellement, au jour le jour, se font si vite qu'il est impossible de prendre toutes les précautions que conseille l'honorable ministre de la justice. Ainsi, dans une maison de banque, quand on vient avec un bordereau, quand on vient escompter des effets, s'il fallait prendre ces précautions, les opérations ne pourraient pas se faire le jour même ; on devrait les remettre à deux et trois jours. Voyez quels seraient les inconvénients qui résulteraient de ces précautions..

Messieurs, ne nous le dissimulons pas, si la contrainte par corps n'est pas maintenue, soyez persuadés d'une chose ; ainsi que l'ont dit plusieurs autorités tant en Belgique qu'en France, cela nuira considérablement à la classe des petits négociants.

Voici ce que disait le président du tribunal de commerce de la Seine, consulté par le gouvernement français sur le projet de 1867. Evidemment, par sa position, c'est une autorité pratique qui peut parler de la question en connaissance de cause.

« La contrainte par corps, disait ce magistrat consulaire, il faut la maintenir, dans l'intérêt du petit commerce, c'est un intérêt démocratique, qu'il faut défendre ; car le petit commerce ne peut aller à la Banque de France escompter son papier, il lui faudrait trois signatures, et il ne les a pas ; il ne peut aller au comptoir d'escompte, il lui faudrait deux signatures, et il ne les a pas. Que fait-il alors ? Il va chez un banquier de son quartier, et celui-ci accepte son papier ; mais à qui prête-t-il ? C'est à l'honorabilité du petit commerçant ; ce n'est pas sur un gage ; ce n'est pas sur une marchandise, sur un immeuble, c'est sur l'honorabilité du petit commerçant ; et cette honorabilité, lorsqu'elle est examinée, lorsqu'elle est considérée, lorsqu'elle est appréciée par le banquier, croyez-vous que l'idée de la contrainte par corps n'intervient pas dans la formation du contrat qui se fait ?

« Je puis vous dire que, si le projet de loi passe, un grand nombre de banquiers vont à l'instant fermer leur porte à beaucoup de petits commerçants. »

Voilà, messieurs, ce que dit une autorité considérable. Vous aller me (page 559) répondre : Cela ne se réalise pas. Je vous demanderai de me dire comment vous savez que cela ne s'est pas réalisé ? Avez-vous fait une enquête ? Avez-vous pris des renseignements ? Est-ce que la loi française qui est à l’exécution depuis un an, a déjà subi l'épreuve nécessaire ? Je ne le crois pas. Car en 1793, on avait aussi aboli la contrainte par corps. Quelques années après on l'a rétablie. Qui vous dit que dans un an on ne la rétablira pas ? Je sais qu'en France il y a bien des négociants, bien des industriels qui ont déploré et qui déplorent encore chaque jour l'abolition de la contrainte par corps. Des renseignements personnels me permettent de vous assurer qu'il en est ainsi.

Vous parlez des usuriers. Mais avec votre projet de loi, ils n'auront plus rien à faire puisque la contrainte par corps n'a lieu contre leurs débiteurs qu'autant qu'ils sont de mauvaise foi.

Vous avez parlé des fils de famille, au secours desquels viendraient les parents ; mais d'après notre projet, ils ne seront plus atteints par la contrainte par corps. Les fils de famille qui souscrivent des obligations ne seront plus contraignables par corps, à moins qu'ils n'aient agi par dol, fraude ou violence. Or, dans les derniers cas, voudriez-vous les innocenter ? Et quant à la famille, n'est-elle pas un peu coupable ? Ne doit-elle pas intervenir aussi bien à cause de cette culpabilité que dans l'intérêt de son honneur et de sa considération ?

Est-ce pour cela que vous voulez abolir la contrainte par corps ? Je crois, moi, que c'est une raison de plus de la maintenir.

Je le répète donc : Dès l'instant qu'un fils de famille n'a fait que souscrire une obligation sans fraude, sans dol, sans violence, la contrainte par corps n'est plus applicable. Car on perd toujours de vue que la contrainte par corps ne pourra plus être appliquée que dans les cas de crime, de délits ou de quasi-délits.

On vient dire que la contrainte par corps est inutile parce que, dit-on, si vous ne pouvez pas saisir les biens, si le débiteur dérobe ses biens, s'il les détourne, vous le ferez déclarer en faillite et il sera poursuivi du chef de banqueroute frauduleuse.

Messieurs, je ne crois pas que ce soit sérieusement qu'on présente une semblable argumentation. Que l'on consulte tous les négociants, quand un débiteur cesse ses payements et qu'on assemble ses créanciers, les véritables intéressés sont toujours très disposés à faire un arrangement pour éviter la déclaration de faillite, parce qu'ils savent bien que la faillite est un véritable désastre pour tout le monde, pour les créanciers comme pour le débiteur ; c'est un désastre pour les créanciers parce que les lenteurs de la faillite, la manière dont tout cela s'administre, pour la réalisation des biens, occasionnent un préjudice considérable et font éprouver des pertes tellement grandes que presque toujours les créanciers ne retirent presque rien dans les faillites.

Tous les jours vous entendez des récriminations sur ce point. Mais à qui donc persuadera-t-on que la faillite est avantageuse aux créanciers ? A personne. Tout le monde est d'avis, je le répète, que c'est un désastre pour la masse créancière. Aussi quand la faillite est déclarée d'office, que font les créanciers ? Presque toujours ils acceptent un concordat et quelquefois il arrive que le tribunal refuse d'homologuer le concordat parce que le débiteur ne se trouve pas dans les conditions voulues pour pouvoir l'obtenir.

La déclaration de faillite, est aussi désastreuse pour le débiteur, car c'est dorénavant un homme qui sera rayé du tableau des commerçants ; il est impossible qu'il continue à faire des affaires ; il est complètement discrédité lui et sa famille, lui et ses enfants.

Et voilà ce qu'on propose comme remède, pour prouver que la contrainte par corps n'est pas utile, n'est pas nécessaire.

Eh bien, messieurs, je pense que le moyen proposé par l'honorable ministre de la justice est un remède qui est pire que le mal.

Messieurs, on s'est demandé combien de jugements avec contrainte par corps avaient produit de bons résultats.

Je crois pouvoir dire que le nombre des jugements qui ont produit de bons résultats est considérable. Je vais le prouver par un document statistique qui m’a été remis.

On a parlé du tribunal civil de Charleroi qui fait fonctions de tribunal de commerce.

Eh bien, je trouve dans le rapport du président de ce tribunal que, dans le cours des cinq dernières années, il y a eu au tribunal de Charleroi 2,474 jugements rendus avec contrainte par corps.

Savez-vous, messieurs, combien on a dû en exécuter par la voie de la contrainte par corps ? 50 seulement.

Tous les autres, c'est-à-dire 2,404, ont été exécutés volontairement.

Et les 7/10 des 50 exécutés par la voie de la contrainte par corps ont été exécutés après l'emprisonnement.

Et vous venez dire que la loi sur la contrainte par corps est inutile, qu'elle ne produit pas de bons résultats !

Voilà, messieurs, une statistique des jugements avec contrainte par corps qui prouve le contraire. Mais la statistique des jugements qui s'exécutent volontairement par les débiteurs, par crainte de l'emprisonnement, vous ne l'avez pas. Or, je soutiens que la menace de la contrainte par corps qui se trouve dans le jugement, est un moyen de coercition auquel résistent peu de débiteurs à même de payer.

Voilà donc, messieurs, le système du projet de la section centrale, en ce qui concerne les débiteurs-solvables qui refusent de remplir leurs engagements. C'est la première catégorie de débiteurs. Voyons la seconde, c'est-à-dire, celle des débiteurs de mauvaise foi, qu'ils soient solvables ou non.

Ces derniers doivent-ils être à l'abri de la contrainte par corps ?

Nous avons pensé, messieurs, qu'on ne pouvait donner ce privilège à l'immoralité et nous avons été d'avis qu'il fallait, dans ce cas, maintenir contre cette catégorie de débiteurs la contrainte par corps, d'abord comme moyen préventif, ensuite comme peine civile.

En matière de commerce, un négociant traite avec un autre, et se fait remettre soit des marchandises, soit des valeurs, mais il emploie pour cela des moyens doleux, frauduleux. Dira-t-on, dans ce cas, qu'il y a contrat ? Oui, mais il n'y aura pas de contrat valable, car celui qui se fait remettre par dol, fraude ou violence, des marchandises, des valeurs quelconques ne peut pas invoquer l'existence d'un contrat.

En effet, pour qu'un contrat existe, que faut-il ? Il faut le consentement libre des deux parties. Si ce consentement est vicié par des faits de dol, de fraude ou de violence, il n'existe pas ; à défaut de consentement libre, pas de contrat.

Que reste-t-il ? Il reste les moyens de dol, de fraude ou de violence à l'aide desquels on s'est emparé de la fortune d'autrui.

Voilà les faits que nous atteignons par la contrainte par corps en matière commerciale.

En matière civile, c'est absolument dans le même ordre d'idées que la contrainte par corps est maintenue et pour des faits analogues.

Nous maintenons la contrainte par corps en matière civile, mais pour les cas de dol, de mauvaise foi ; nous la maintenons telle que la loi de 1859 l'avait décrétée.

Nous la maintenons d'abord dans le stellionat. On vous a dit : Mais celui qui est victime d'un stellionat ne doit s'en prendre qu'à lui ; il n'avait qu'à prendre des précautions.

Mais vous pouvez dire la même chose de ceux qui sont victimes de vol, d'escroquerie.

Il est plus facile de commettre un stellionat qu'il n'est facile de commettre un vol ou une escroquerie. (Interruption.) Mais voyons un peu ce qui se passe quand on commet un stellionat : je vends une propriété et une heure après j'emprunte sur cette même propriété. Voilà deux actes posés presque instantanément. Quel sera celui qui primera l'autre ? Cela dépendra de la célérité qu'on aura mise à prendre inscription. (Interruption.) Vous dites que ce sera le vendeur.

L'acheteur doit supposer qu'il a affaire à un fripon, à un homme de mauvaise foi qui après avoir vendu sa propriété va immédiatement la grever d'une hypothèque.

Ah ! sans doute si on avait toujours en perspective la peur d'être dupe, d'être victime de la fraude, je comprendrais qu'on prît des précautions ; mais malgré toutes ces précautions ordinaires, on pourra encore être dupe.

Je pourrais donc aussi dire à ceux qui redoutent les voleurs : Fermez vos portes, car si vous êtes votés, ce sera de votre faute.

Mais, messieurs, la loi n'est pas faite pour les gens prudents, pour les gens habiles, pour les gens éclairés ; elle est faite pour protéger les faibles, les gens crédules qui sont facilement dupes des malins et des adroits. Voilà ceux que vous devez protéger.

Oui, ceux qui doivent être protégés ce sont les faibles, les ignorants, les gens peu éclairés, peu instruits...

M. de Brouckere. - Et les imprudents.

M. Lebeau. - Et les imprudents. Ce sont ceux-là précisément que nous voulons protéger ; c'est pour eux que nous demandons le maintien de la contrainte par corps.

Nous la maintenons encore, messieurs (cela est dit du reste dans la loi de 1859), dans le cas de dénégation d'écritures faite par l'auteur de l'écrit, s'il a fait cette dénégation de mauvaise foi. Et j'insiste sur ces derniers mots, car, si l'auteur de l'écrit s'est trompé lui-même, s'il n'a pas reconnu (page 560) son écriture et sa signature, on comprend que, dans ce cas, il n'est pas juste de le condamner par la voie de la contrainte par corps.

Mais s'il a agi de mauvaise foi, quel est le caractère de son action ? C'est un espèce de faux par dénégation. De la même manière qu'on commet un faux en falsifiant la vérité dans un acte, de même on commet une espèce de faux en déniant son écriture, sa signature. Et j'avoue franchement que si une disposition pénale nous était proposée pour punir ce cas-là, je la voterais, et en la votant, je croirais être fidèle aux véritables principes du droit pénal.

Messieurs, nous maintenons encore la contrainte par corps pour différents autres faits posés de mauvaise foi, par dol ou par fraude, en matière civile. Il en est ainsi notamment dans le cas de violation de dépôt, dans le cas où le tuteur dilapide. la fortune de son pupille.

Dans ces différents cas-là, messieurs, on devient créancier bon gré malgré soi, à son insu, parce qu'on n'a pas pu se prémunir contre l'action du débiteur de mauvaise foi. Ainsi, messieurs, si un tuteur a dilapidé la fortune de son pupille, celui-ci, si le conseil de famille n'a pas pris de précautions en faveur, risque fort de voir sa fortune évanouie quand il arrive à sa majorité. Et au profit de qui ? Au profit d'un administrateur infidèle, qui a spéculé avec la fortune de l'enfant mineur.

M. Bouvierµ. - Il a hypothèque.

M. Lebeau. - Mais on ne peut pas toujours prendre hypothèque. Si vous pouviez nous dire que tout tuteur est à même de garantir sa gestion, vous auriez raison. Mais vous savez parfaitement qu'il n'en est pas ainsi.

Or, je veux, moi, protéger l'enfant mineur contre la dilapidation du tuteur qui n'a pas donné garantie suffisante pour répondre de sa gestion.

Voilà pourquoi il faut encore, pour ce cas, maintenir la contrainte par corps.

Mais, dit-on, si ce débiteur de mauvaise foi est insolvable, pourquoi voulez-vous l'atteindre par la contrainte par corps ? Messieurs, je veux l'atteindre par la voie de la contrainte, par corps parce qu'il a commis un acte malhonnête, un acte de friponnerie ; et, dans ce cas-là, la contrainte par corps n'est pas un moyen de coercition, mais un moyen préventif, un moyen qui prévient ces gens de mauvaise foi qu'ils seront atteints par la contrainte par corps s'ils commettent ces actes malhonnêtes. Oui, c'est un moyen préventif qui devient une peine civile, si l'acte se consomme.

Et, messieurs, où est le mal d'avoir dans nos lois une disposition qui prémunisse contre ces actes malhonnêtes, qui prévienne ces actes-là, qui menace d'un emprisonnement ceux qui voudraient les poser ? Où est le mal ? Je n'en vois pas. Si vous pouvez atteindre ces faits-là par une loi pénale, vous aurez parfaitement raison ; car, à mon point de vue, ils sont aussi coupables que beaucoup de ceux qui sont punis comme contraventions et délits.

Vous voyez, messieurs, ce que c'est que la contrainte par corps, dans l'esprit de la section centrale. Elle agit de trois manières ; elle agit d'abord comme moyen coercitif pour forcer un débiteur solvable à payer ses créanciers au moyen de son avoir. En second lieu, la contrainte par corps agit contre les hommes de mauvaise foi pour les empêcher de commettre des méfaits au préjudice d'autrui. En troisième lieu, elle agit comme peine civile si les faits se réalisent.

Voilà, messieurs, l'esprit du projet de loi, tel qu'il a été élaboré par la section centrale. Nous avons voulu protéger par là les hommes honnêtes, crédules, simples, contre l'avidité des gens de mauvaise foi.

On s'apitoie sur le sort des emprisonnés pour dettes.

Ces sentiments de commisération n'auront plus de raison d'être, en adoptant notre projet de loi, car la peine n'atteindra plus que des gens malhonnêtes et pour des faits de déloyauté et de mauvaise foi. Ah ! quand la contrainte par corps existait, telle qu'elle avait été décrétée en 1859, je concevais ces doléances pour les débiteurs, car la loi pouvait atteindre des personnes de bonne foi ; elle pouvait frapper d'innocentes victimes ; mais le projet de la section centrale rend l'emprisonnement de ces personnes-là désormais impossible, puisque le projet n'atteint plus que les gens de mauvaise foi.

Celui à qui un fripon a escroqué toute sa fortune par dol, fraude ou violence, vous ne vous apitoyez ni sur le sort de celui-là, ni sur le sort de sa famille ; eh bien, la section centrale veut assurer à cette famille ainsi spoliée l'emploi de la contrainte par corps contre ce malfaiteur.

L'honorable M. Watteeu a traité admirablement la question des dommages-intérêts en matière de crimes, de délits et de contraventions ; je ne dirai donc que quelques mots à ce sujet.

A mon avis, il faut maintenir la contrainte par corps, surtout pour la réparation du préjudice dans les différents cas.

En effet, supposons que quelqu'un s'empare d'une somme de 10,000 fr. soit au moyen d'un vol ou d'une escroquerie ; il est traduit en police correctionnelle, et il est condamné ; mais il garde l'argent volé ou il le restitue. Si la contrainte par corps n'existe pas pour l'obliger à restituer, il y a dix à parier contre un qu'il gardera l'argent ; eh bien, je dis que dans ce cas-là la contrainte par corps est encore nécessaire.

Sans cela, vous mettriez sur la même ligne celui qui revient à de meilleurs sentiments après avoir été condamné et qui restitue la chose qu'il a volée au préjudice d'autrui, avec celui qui la garde.

Or, une semblable loi ne serait pas morale, elle ne serait pas juste, elle ne serait pas équitable.

Maintenant, messieurs, en matière de dommages intérêts résultant de quasi-délits, l'honorable ministre de la justice doit reconnaître lui-même qu'il laisse la victime complètement désarmée si l'auteur est insolvable. Là vous ne pouvez pas dire que vous allez traduire le coupable devant le tribunal correctionnel ; on ne peut le traduire que devant le tribunal civil. Et s'il est insolvable, il vaut mieux ne pas le poursuivre, puisque la poursuite ne peut aboutir.

C'est donc un privilège que vous accordez à l'insolvabilité d'un homme de mauvaise foi. L'homme de mauvaise foi pourra tout se permettre, sauf les crimes, les délits et les contraventions ; mais quant aux quasi-délits, il pourra les commettre tout à son aise, et il arrivera très facilement à son but, une fois la contrainte abolie.

On a dit aussi, messieurs, que notre projet de loi portait atteinte à la liberté de la presse. Messieurs, je suis aussi partisan que personne de la liberté de la presse.

La presse, qui reste dans de sages limites n'a rien à redouter de la loi, au contraire le projet de loi que nous présentons adoucit singulièrement la rigueur de la loi ancienne.

Mais, messieurs, il faut bien prendre garde, dans l'intérêt même de la presse, qu'avec l'abolition de la contrainte par corps, il n'y ait des abus graves et tels qu'il se produise une réaction qui serait fatale à la presse elle-même. Voilà ce qui pourrait arriver. La presse sérieuse, la presse honnête, pourra toujours discuter tout ce qui est du domaine de la discussion publique.

Mais, messieurs, il n'y a pas seulement que la presse qui peut commettre des faits dommageables, il y a encore les réunions publiques.

Ainsi, dans une réunion de 500 ou 300 personnes, si un particulier se permet de dire qu'une maison de commerce, qu'un industriel est sur le point de liquider et que, poussé par une concurrence jalouse et odieuse, un orateur ajoute que cet industriel est très maladroit, très imprudent, très négligent, qu'il compromet sa fortune et qu'il est sur le point de tomber, cela sera-t il permis ?

Non, cela ne sera pas permis, direz-vous. Mais vous ne pourrez que traduire l'agresseur devant le tribunal civil. Mais, messieurs, si la contrainte par corps est abolie, l'individu condamné ne payera pas les dommages-intérêts s'il est insolvable, et le lendemain il recommencera de plus belle, il fera même afficher qu'il maintient les faits qu'il a avancés.

Telles seraient, messieurs, les conséquences désastreuses de l'abolition complète de la contrainte par corps. On l'a abolie en France, dit-on. Oui, messieurs, mais là tous ces faits-là ne se passeraient pas sans poursuites correctionnelles devant les tribunaux, parce que là on ne jouit pas des libertés dont nous jouissons en Belgique, parce qu'il y a une masse de faits qui ne sont pas punis par notre loi pénale, et qui le sont en France.

On ne peut pas se permettre de réunions publiques, on ne peut pas publier des journaux politiques sans cautionnement.

Je comprends, messieurs, que dans les pays où on ne jouit pas de la liberté dont nous jouissons en Belgique, je comprends, dis-je, qu'on abolisse jusqu'à un certain point la contrainte par corps.

Mais je crois qu'il serait imprudent de décréter, dans ce moment, cette abolition complète, car nous ne devons pas procéder d'une manière aussi irréfléchie dans une matière aussi grave, et j'engage la Chambre, tant en mon nom qu'en celui de la section centrale, à adopter notre projet de loi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, un seul mot pour bien faire voir comment les membres de la section centrale sont d'accord. L'honorable M. Lebeau vient de défendre un système qui n'est nullement en question devant la Chambre. C'est un système tout nouveau que celui de l'honorable membre ; je n'aurai pas de peine à le démontrer.

L'honorable M. Lebeau considère la contrainte par corps comme un élément de crédit. Sans la contrainte par corps, dit-il, le petit commerçant n'obtiendra plus de crédit. Il cite, à l'appui de son assertion, le rapport du président du tribunal de commerce de la Seine, M. Denières, je pense, qui était contraire à la suppression de la contrainte par corps.

(page 561) Que dit M. Denières ? Sans la contrainte par corps, les petits commerçants n'obtiendront plus de crédit chez les banquiers de leur quartier. Si cela est vrai, il faut maintenir la contrainte par corps purement et simplement.

M. Denières ne demandait pas la suppression de la contrainte par corps, sauf à la conserver pour les cas de dol, de fraude ou de violence. Il demandait le maintien de la contrainte par corps en toute hypothèse, qu'il y eût fraude ou non. Le banquier qui traite avec un négociant sait bien qu'il n'a pas affaire à un homme de mauvaise foi ; car, s'il croyait qu'il traite avec un fripon, il ne lui donnerait pas un sou.

Mais il compte sur la contrainte par corps, et c'est parce qu'il sait qu'il pourra mettre son débiteur en prison qu'il lui prête de l'argent. Voilà le principe. Donc, si vous considérez la contrainte par corps comme un élément de crédit, le projet de la section centrale est insuffisant ; il faut conserver la contrainte par corps en toute matière, en matière civile comme en matière commerciale. Il faut aller plus loin que la loi de 1859.

L'honorable membre se place ensuite à un point de vue tout différent. Il dit que la contrainte par corps est une peine. C'est un moyen préventif qui a pour effet d'empêcher le débiteur de manquer à ses engagements, et s'il n'exécute par ses obligations, la contrainte devient une peine. Et l'honorable M. Lebeau nous fait un tableau lamentable des malheureux créanciers qui sont ruinés par la faute de leurs débiteurs. Quelle consolation leur donnons-nous ? Voilà un fripon qui met un honnête homme sur la paille. Que faisons-nous pour lui ?

Mais vous, M. Lebeau, vous ne faites pas plus que nous. Vous ne lui apportez aucune consolation. Vous ne lui laissez que la faculté d'augmenter un peu le chiffre de sa créance. Je suppose qu'en matière civile, vous ayez affaire à un homme de mauvaise foi, et que vous perdiez 100,000 fr. Quelle sera votre position ?

M. Lebeau. - En matière civile, les précautions se prennent plus facilement. Dans les affaires de commerce, elles sont impossibles.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Voyez-vous bien, messieurs ? Tantôt l'honorable M. Lebeau s'est apitoyé sur le sort des malheureux qui se laissent tromper, et maintenant il est obligé de reconnaître qu'en matière civile on n'a qu'à prendre des précautions.

Mais je pose en fait que les négociants sont beaucoup plus aptes à veiller à leurs intérêts que les non-commerçants, et cela par une raison bien simple, c'est qu'ils ont l'habitude des affaires.

En matière de stellionat, l'honorable membre, nous disait : Il faut garantir les gens contre leurs imprudences. Eh bien, je réponds à l'honorable M. Lebeau que s'il peut m'indiquer un cas pour lequel il croit qu'il faille porter une peine, qu'il me le fasse connaître, et je suis prêt à proposer une modification au code pénal. Mais jamais on n'a considéré la contrainte par corps comme une. peine. L'exposé des motifs de la loi de 1859 dit le contraire et le système de l'honorable. M. Lebeau est un système complètement nouveau.

Je dis avec vous : Oui, je suis contre les hommes malfaisants, contre les débiteurs qui usent de dol et de fraude. Mais si les faits doleux ou frauduleux ont un ici caractère de gravité qu'il faille les réprimer, qu'on les définisse et qu'on les punisse.

M. de Brouckere. - Faites une loi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Avant de faire une loi, je désirerais d'abord que l'on m'indiquât les cas de dol et de fraude qui ne sont pas punis par les lois existantes. S'agit-il des matières commerciales ? Mais je soutiens que les faits de fraude et de dol sont punis par la loi des banqueroutes de peines sévères.

Mais il ne suffit pas qu'on dise qu'il y a des cas qui ne sont pas punis ; il faut les déterminer.

Je crois, messieurs, que la législation est suffisante.

Restent quelques objections de détail présentées par l'honorable M. Lebeau. Il a invoqué les avis des autorités consultées sur le projet, il a soutenu qu'elles étaient contraires à son adoption ; c'est une erreur, la majorité est pour nous et les autorités dont l'avis doit avoir le plus d'influence, les chambres de commerce de Bruxelles et d'Anvers notamment, sont en faveur du projet de loi.

Maintenant, messieurs, est-ce que les honorables MM. Lebeau et Delcour n'ont pas voté la loi consacrant la liberté du prêt à intérêt ? Eh bien, toutes les autorités étaient contraires à l'adoption de cette loi. Cette fois, au contraire, nous avons l'avantage d'avoir les autorités pour nous.

Enfin, l'honorable M. Lebeau a parlé de 2,450 jugements prononcés par le tribunal de Charleroi. Ces 2,450 jugements ont été exécutés par la menace de la contrainte par corps et 50 autres jugements ont été exécutés par l'application de cette mesure de rigueur.

Je ferai remarquer à l'honorable membre, que chaque fois qu'on se présente devant le tribunal de commerce, on demande et on obtient la contrainte par corps, mais en faut-il déduire que les jugements ont été exécutes par la menace de la contrainte par corps ?

Il n'en sait rien. Il y aurait même une certaine naïveté à attribuer cet effet, exclusivement à la crainte de l'emprisonnement.

L'honorable M. Lebeau dit que des négociants français se plaignent de la suppression de la contrainte. Nous n'avons jamais prétendu que cette mesure fût exempte de toute espèce d'inconvénient ; il n'y a pas de mesure humaine qui soit dans ce cas ; mais la question est de savoir si les inconvénients l'emportent sur les avantages ; or, le contraire me paraît évident. L'abolition de la contrainte par corps empêchera qu'on prête à des gens qui ne méritent pas de crédit ; ensuite, elle fera déclarer la faillite et elle empêchera ainsi le créancier le plus habile de se faire payer au détriment des autres.

M. Lebeau. - Il y a 2,450 jugements qui ont été exécutés.

M. Watteeuµ. - Messieurs, je n'ai pas l'intention de rentrer dans le fond de la discussion ; je me bornerai à répondre quelques mots à certaines observations qui ont été présentées hier par l'honorable ministre de la justice.

L'honorable ministre a dit que si mon amendement était adopté, nous resterions en arrière de toutes les législations des pays qui nous entourent. Je ne pense pas, messieurs, que cet argument soit de nature à devoir vous toucher, car pour pouvoir apprécier ce qui se passe dans les pays étrangers dans une matière toute spéciale comme celle-ci, il faudrait examiner l'ensemble des législations et voir quelles sont les garanties qu'elles présentent aux citoyens.

C'est donc un argument auquel il serait fort imprudent de céder sans envisager et comparer le système général de protection dans les différents pays.

Mais, dit M. le ministre, vous voulez mettre en état d'incarcération un individu qui est insolvable, car on ne demande pas la contrainte par corps comme une épreuve de solvabilité ; on ne peut davantage la demander comme une peine.

C'est donc une peine que vous voulez infliger indirectement au débiteur condamné pour un fait malveillant.

Je pense, messieurs, avoir démontré que l'amendement renfermait parfaitement cette pensée. Elle n'est pas dissimulée le moins du monde, et M. le ministre de la justice aurait pu se dispenser de poser cette question.

Indubitablement, l'amendement a pour effet de ne pas conférer un privilège aux insolvables. Pourquoi ? Afin de ne pas leur permettre de se mettre à la solde des malveillants.

Qu'il me soit permis, messieurs, de citer un exemple ; je m'expliquerai tout à l'heure quant à la presse.

Un de nos plus illustres collègues de la Chambre, un homme que nous sommes habitués depuis longtemps à entourer de la plus haute et de la plus complète estime, s'est trouvé dans la cruelle nécessité de recourir aux tribunaux pour avoir satisfaction d'une offense indigne qui non seulement l'atteignait dans sa personne, mais encore dans sa famille, dans ses ascendants.

Le tribunal condamna, à 100,000 fr. de dommages-intérêts celui qu'on avait présenté comme auteur de l'article ; c'était un concierge, un homme d'emprunt, un homme de paille. On comptait sur son insolvabilité et, par conséquent, sur l'impunité.

Le jugement a été exécuté et le prétendu auteur, l'homme de paille, la machine, l'instrument servile fut arrêté. Le lendemain, le véritable coupable vint payer les 10,000 fr.

Mais, messieurs, que fait-on en matière pénale ? Nous avons dans le code pénal une foule de faits qui donnent lieu, non pas à une peine corporelle, mais à l'application d'une simple amende.

Que dites-vous dans votre code pénal ? Vous dites que celui qui n'acquittera pas l'amende aura à subir un certain emprisonnement.

Vous voyez donc bien que vous avez été obligés, en matière pénale, de substituer la peine corporelle à la peine pécuniaire, sous peine de donner l'impunité à certaines catégories de faits.

Je dis que si cela est possible en matière pénale, cela n'est pas possible en matière civile, sauf, comme je l'ai fait remarquer pour tous les quasi-délits, pour des faits qui ne tiennent qu'à des nuances et qui, avec un degré de gravité de plus, auraient été frappés d'une manière sévère par le code pénal.

Entre les actes de la vie civile et les actes passibles de la loi pénale, il y a une série d'actes assez odieux, assez indignes pour mériter dans l'exécution du jugement une certaine rigueur.

(page 562) L'honorable ministre de la justice, dans l'exposé des motifs de la loi et dans les développements qu'il y a donnés dans les séances précédentes, a voulu justifier la proposition radicale d'abolir la contrainte par corps par son inutilité. Il dit que le commerce ne réclame pas la contrainte par corps, qu'il est prouvé par l'expérience qu'elle est complètement inutile et que, par conséquent, il y a de la cruauté à la maintenir.

Je lui concède qu'elle est complètement inutile et je n'ai pas hésité à le suivre dans cette voie et à me rallier au projet de loi.

Mais voici une contradiction.

M. le ministre de la justice disait avant-hier : La société ne doit pas intervenir pour garantir l'exécution des contrais ; puis immédiatement après il cite l'exemple du stellionat et vous dit ensuite : On peut se garantir contre le stellionat, car d'après le nouveau régime hypothécaire le stellionat est devenu en quelque sorte impossible. Dans tous les cas, ajoutait-il, la personne qui achète ou qui prête sur immeuble, peut se garantir, en raison de la responsabilité qui pèse sur le conservateur des hypothèques, et en ne payant le prix de son acquisition qu'après la transcription de son acte.

Mais si je vous démontre qu'en certaines matières le remède n'existe pas, vous devrez bien renoncer à invoquer cet argument et reconnaître que dans ce cas la contrainte par corps est nécessaire et utile.

Si, comme vous l'avez dit, je puis me garantir du stellionat, donnez-moi les moyens de me garantir contre tous les faits qui viennent se poser devant moi indépendamment de ma volonté.

J'avais cité, quelques exemples à l'honorable ministre de la justice, et s'il est un reproche auquel je ne devais pas m'attendre, c'est celui de manquer de franchise, et de vouloir attaquer la presse par des voies indirectes.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est pas dans le mauvais sens que vous devez entendre ces mots.

M. Watteeuµ. - Je crois n'avoir pas manqué de franchise ; je pense avoir dit tout haut ce que beaucoup d'autres pensent tout bas.

Mais mon amendement n'a pas seulement la presse en vue ; ce n'est pas la presse qui est le point de mire de ce que je désire obtenir dans l'intérêt social, ce sont tous les actes dommageables. Je n'en excepte pas la presse, je veux qu'elle soit atteinte comme les autres, pas plus que les autres, mais autant. Je ne connais pas de privilège qui mette un écrivain au-dessus de la loi commune ; je mets tout le monde sur la même ligne.

A l'exemple que j'avais cité du discrédit jeté sur une maison financière, M. le ministre de la justice me répond : Mais ces choses-là passent : ainsi si l'on s'avisait de dire de M. de Rothschild qu'il est à la veille de déposer son bilan, qui donc le croirait ?

Mais qui prouve trop ne prouve rien ; c'est une vieille maxime que M. le ministre de la justice n'a pas encore dû oublier.

Eh bien, je veux bien admettre que celui qui serait assez mal avisé pour répandre le bruit de la chute de la maison Rothschild s'exposerait à la risée de tout le monde. Mais il n'y a pas que des Rothschild ; ils sont au contraire de très rares exceptions. Il fallait d'abord et surtout se préoccuper des gens dont le crédit n'est pas assez considérable pour ne pas être ébranlé par de méchantes insinuations.

Autre exemple donné par l'honorable ministre de la justice.

J'avais parlé de la concurrence déloyale, et il signale comme un acte de concurrence déloyale le fait d'un voisin qui s'emparerait d'une enseigne qui aurait été adoptée par un autre. Pour un semblable cas, la contrainte par corps ne sera pas nécessaire, parce que le voisin qui usurpe l'enseigne possède quelque chose, un établissement, et qu'il sera facile de faire exécuter la condamnation.

Mais je demanderai à M. le ministre de la justice ce qui adviendra dans un cas bien digne d'intérêt qui ne concerne pas la presse et qui va vous prouver que je n'entends pas restreindre l'application de mon amendement aux seuls faits concernant la presse.

Que dit l'article 358 du code d'instruction criminelle ? Cet article prévoit un cas excessivement grave : il suppose une personne traduite en cour d'assises. Eh bien, à mon tour, je vais faire une supposition : un honnête homme, un père de famille, se trouve victime d'une odieuse accusation.

Grâce aux machinations dont il a été entouré, il se trouve accusé d'un crime et traduit en cour d'assises après avoir subi pendant 4, 5 ou 6 mois toutes les angoisses d'un emprisonnement préventif. Arrive enfin le grand jour de la justice pour lui et il est acquitté. Il est manifestement établi par les débats de l'audience que cet homme a été victime d'une véritable vengeance, que son dénonciateur a eu recours à mille moyens pour tromper la justice, pour la dépister dans la découverte de la vérité ; et l'innocence de l'accusé est solennellement proclamée par le verdict du jury.

II peut, aux termes de l'article 358, demander des dommages-intérêts contre son dénonciateur. « L'accusé acquitté, dit cet article, pourra aussi obtenir des dommages-intérêts contre ses dénonciateurs pour fait de calomnie. Néanmoins les membres des autorités constituées ne peuvent être poursuivis à raison des avis qu'ils sont tenus de donner concernant les délits dont ils ont acquis la connaissance, etc. »

Voilà donc cet homme à qui une juste réparation est due, que tout le monde entoure de la plus vive sympathie, qui, après cinq, six mois de détention (et s'il était à la tète d'un établissement commercial ou industriel, il serait indubitablement ruiné), vient réclamer des dommages-intérêts à charge de son accusateur.

La malveillance de celui-ci sera notoire, sa mauvaise foi sera manifeste ; il sera condamné à des dommages-intérêts, mais que lui importera cette condamnation si elle n'a pas comme sanction la contrainte par corps ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a un délit, dans ce cas.

M. Watteeuµ. - Il y a un délit, dites-vous ; mais la cour d'assises est-elle instituée pour juger les délits ? Or, la personne injustement accusée a le plus grand intérêt à obtenir les dommages-intérêts des juges mêmes qui ont apprécié les faits à l'audience.

Quelle garantie lui restera-t-il, lorsque, plus tard, il ira s'adresser à d'autres juges qui n'auront point été impressionnés par la physionomie du débat eu cour d'assises, et qui, jugeant dans un autre milieu, ne lui accorderont peut-être pas une réparation aussi éclatante que celle à laquelle il pouvait prétendre ?

Il faut donc admettre, et l'observation même de M. le ministre de la justice prouve que l'argument est sans réplique, qu'avec votre projet, dans cette circonstance, si grave que je signale, toute réparation efficace échappe à l'accusé, en ce sens, du moins, que vous lui enlevez le moyen le plus sûr d'obtenir la réparation qui lui est due.

On a également fait allusion à l'honorable bourgmestre de Bruxelles ; M. le ministre de la justice vous a dit que M. le bourgmestre de Bruxelles n'avait pas exécuté la contrainte par corps ; mais l'honorable ministre n'a pas tout dit. M. le bourgmestre de Bruxelles a obtenu une satisfaction bien plus complète qu'il ne le supposait ; non seulement la personne condamnée a payé les frais de l'instance, mais elle a reconnu ses torts, dans des termes non équivoques et qui devaient donner toute satisfaction. Je comprends qu'en pareil cas l'honorable député de Bruxelles n'ait pas voulu pousser les choses plus loin. Mais si vous enlevez le frein qui existe aujourd'hui, vous aurez immédiatement un débordement, non pas un débordement au point de vue de la presse, mais un débordement dans tous les actes malveillants que j'ai signalés et qui peuvent avoir pour auteurs des hommes complètement étrangers à la presse.

Messieurs, je ne veux pas prolonger la discussion. J'exprime cependant le vœu que M. le ministre de la justice ne dédaigne pas les dernières paroles que j'ai prononcées dans une séance précédente. Puisqu'il obéit, et je l'en loue très sincèrement, puisqu'il obéit à une véritable tendance vers des réformes utiles et généreuses, j'espère qu'il ne perdra pas de vue le sort des prévenus et des accusés reconnus innocents.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne perds pas de vue l'observation par laquelle l'honorable M. Watteeu vient de terminer son discours. Mais je dois rencontrer une objection que l'honorable membre n'a présentée dans son premier discours ; il a dit : « Vous allez priver le trésor d'une recette de 200,000 francs, du chef de la suppression de la contrainte par corps, pour le recouvrement des frais de justice. »

L'honorable M. Watteeu se trompe s'il pense que l'Etat rentre par la contrainte par corps dans les sommes qu'il dépense pour frais de justice. L'Etat n'exécute pas les individus qui sont notoirement insolvables.

Si l'on exerçait contre eux la contrainte par corps, non seulement on n'aurait pas les 200,000 francs ; mais on devrait dépenser 200,000 francs de plus pour l'entretien, dans les prisons, des individus que l'on incarcérerait pour le payement des frais.

Ainsi, au lieu d'avoir 200,000 francs pour indemniser les personnes déclarées non coupables après avoir été détenues préventivement, l'Etat éprouverait une perte de 200,000 francs si le gouvernement entrait dans les vues de l'honorable M. Watteeu.

M. Rogierµ. - Messieurs, mon opinion inclinant, je l'avoue, du coté des amendements de la section centrale et de l'honorable M. Watteeu, je tiens à donner quelques explications.

Le projet de loi, défendu par mon honorable et ancien collègue du département de la justice, a été présenté à la Chambre a, l'époque où je faisais encore partie du cabinet ; je dois donc assumer ma part de responsabilité dans la présentation de ce projet. J'accepte donc ma solidarité posthume dans l'œuvre du cabinet dont je faisais partie ; mais l'honorable (page 563) ministre de la justice se rappellera sans doute que quand il a saisi le cabinet du projet de loi abolissant la contrainte par corps d'une manière générale, j'ai fait des objections, relativement aux effets de cette abolition en ce qui concerne le recouvrement des dommages et intérêts.

Quoi qu'il en soit, messieurs, la discussion n'a fait que m'éclairer, et les raisons données par la section centrale et par l'honorable M. Watteeu n'ont fait que me confirmer dans mes premières appréciations.

Si, cependant, mon honorable ami M. Bara devait envisager le vote que je me propose d'émettre sur les amendements comme un acte d'opposition soit à lui-même, soit au cabinet, je crois que je m'abstiendrais ; mais à mon sens, le sort de la loi ne dépend pas des amendements, et si les amendements sont rejetés, je voterai quand même le projet de loi.

Messieurs, mon honorable ami M. Bara, à la fin de son discours d'hier, a tenu un langage qui m'a engagé à prendre aussi la parole.

Il a représenté l'amendement de M. Watteeu comme directement, comme spécialement dirigé contre la presse.

La presse, de son côté, n'a pas manqué de qualifier cet amendement de proposition réactionnaire, hostile à la presse. Je ne suis pas ici pour flatter la presse, pour faire acte de complaisance ou de déférence vis-à-vis d'elle ; je tiens aussi, cependant, à ne pas être rangé parmi les réactionnaires, parmi les ennemis de la presse, parce que j'aurai soutenu l'amendement de M. Watteeu.

Messieurs, la presse a des droits à exercer comme des devoirs à remplir, et lorsqu'elle s'acquitte de sa mission loyalement, avec une complète indépendance de toute espèce d'influence, je la respecte et je la défends, et elle peut être tranquille, jamais dans ces conditions, elle ne sera menacée dans un parlement belge.

Il y a, messieurs, pour la presse en Belgique, on peut le proclamer, une liberté illimitée.

Les hommes publics en général, ont montré à toutes les époques et vis-à-vis des attaques les plus violentes des divers journaux, la plus grande tolérance, la plus grande abnégation.

Je ne me rappelle pas qu'il y ait jamais eu un procès de presse intenté par un homme public pour un article politique d'un journal quelconque.

Certes, si les occasions se sont offertes, et se présentent encore tous les jours de faire des procès de presse, ce serait surtout à mon honorable ami M. Bara que l'envie pourrait légitimement venir ; il faut lui reconnaître à cet égard une grande tolérance. Je ne sache pas qu'à aucune époque, aucun ministre ait provoqué dans la presse des attaques aussi nombreuses, aussi injurieuses, aussi outrageantes, et en cela l'honorable M. Bara a fait acte de magnanimité en prenant parti pour la presse.

Je suis d'ailleurs d'accord avec lui et je pense que les hommes politiques doivent se montrer peu susceptibles vis-à-vis de la presse et lui laisser toute liberté.

Je vais plus loin ; je dis qu'il ne faut pas que les hommes publics, je ne parle pas seulement des hommes politiques, je parle de tous ceux qui occupent une position publique, je dis que ceux-là doivent, jusqu'à un certain point, permettre à la presse de pénétrer dans leur vie privée ; je ne suis pas de ceux qui veulent murer la vie privée de l'homme public.

Voilà mes principes !

Mais il peut arriver que sans vous attaquer dans vos actes publics, sans vous attaquer dans votre vie privée, tout en vous rendant hommage, comme homme privé, tout en vous déclarant honnête homme, etc., etc., la presse par un mauvais esprit, par de mauvais conseils, par de perfides influences, vienne jeter dans la famille d'un homme public la déconsidération, le désespoir, par l'une ou l'autre invention malfaisante. Au point de vue juridique, il n'y aura pas de délit. Il sera impossible à l'homme public ainsi attaqué dans son honneur personnel ou dans celui de sa famille, de rester sous le poids de ces accusations sous peine de mort ou au moins de déchéance morale. Quel est le moyen de réparation auquel on pourra recourir ? Car enfin la presse, toute presse qu'elle est, n'a pas la prétention d'être inviolable, de ne pas être responsable, de ne pas être soumise à la loi commune à tous les citoyens belges.

Quel sera le mode de réparation à employer ?

Il y a d'abord ce qu'on appelle le silence du mépris. Je crois, messieurs, que c'est là un moyen trop commode à l'usage de ceux qui se sentent coupables et ce n'est pas peut-être une bonne pratique que d'opposer le silence du mépris à certaines attaques. A l'abri de cette pratique des hommes honorables, qu'arrive-t-il ? C'est que les fripons, les hommes qui sont accusés, avec raison, de déloyauté ou de félonie, affectent aussi le silence du mépris, se mettent à couvert derrière le silence du mépris que les honnêtes gens croient devoir opposer aux diatribes de la presse. Je ne suis pas pour le silence du mépris. Je suis pour ceux qui, étant injustement et odieusement attaqués- se défendent et tachent d'obtenir des réparations. Il y a pour cela divers moyens.

Si l'on ne peut pas recourir aux tribunaux et qu'on préfère une réparation qui vous est imposée par des nécessités puissantes, la personne attaquée pourra se charger elle-même de la réparation, elle pourra se rendre chez le journaliste et lui dire : Vous allez me rendre compte et réparation personnelle de tel article. Or, il arrive que le journaliste a des principes qui s'opposent à ce qu'il rende cette satisfaction. Il pourra invoquer non seulement la loi religieuse, mais encore la loi civile qui lui défend de donner ce genre de réparation.

Il pourra, il est vrai, en appeler à un homme moins scrupuleux, chargé par métier de donner ce genre de réparation. Mais celui qui vient demander une réparation est un galant homme qui ne voudra pas se commettre avec un malotru.

La réparation que j'ai indiquée n'étant pas obtenue, il lui en reste une autre que l'on a autrefois conseillée aux Etats-Unis, mais qui expose singulièrement celui qui en fait usage : c'est, à proprement parler, le bâton. Mais il faut être doué de forces musculaires spéciales pour ce genre d'exercice, sinon, outre le dommage que vous avez reçu dans votre honneur, dans votre vie morale, vous pourriez bien recueillir un autre dommage matériel et nullement réparateur.

Aussi ce moyen présente des inconvénients et, d'ailleurs, je le blâme en toute hypothèse.

Restent alors les tribunaux et le jury.

Le jury, messieurs, en matière de délits de presse, est une institution constitutionnelle, je le reconnais sans peine, et ce n'est pas la première fois que j'exprime cette opinion ; les délits commis par la voie de la presse sont de la compétence du jury, la Constitution le proclame ; mais s'il n'y a pas de délit, si l'imputation que j'ai caractérisée tout à l'heure ne présente pas les éléments d'un délit juridique, qu'est-ce que le plaignant aurait à déférer au jury ? Il n'y a pas de délit et il n'obtiendrait pas gain de cause. Qu'arrive-t-il alors ? C'est que le fonctionnaire public ou autre personne offensée a recours au tribunal civil et réclame des dommages-intérêts du chef de quasi-délit.

Messieurs, ce point est très important, si la contrainte par corps est effacée d'une manière absolue de nos Codes. Dorénavant, messieurs, dans un certain nombre de journaux, on trouvera le moyen d'attaquer les gens et de les compromettre, sinon on les perdra dans l'opinion publique, dans leur industrie, dans leur commerce, sans commettre de délits juridiques. On aura recours à des tours de phrase, habilement ménagés ; on pourra même combler la victime de compliments, la couronner de fleurs.

Dans ces grands combats de la concurrence entre toutes les industries, tous les genres de commerce et de spéculations, c'est aux plus faibles qu'il faut venir en aide. Eh quoi ! il dépendrait d'un concurrent riche ou déloyal, de perdre la réputation et le crédit du plus honnête homme, non seulement par la voie de la presse, mais aussi par la voie des meetings ? Qu'est-ce que fera la victime des attaques ? La voilà devant le tribunal civil, elle obtient une condamnation à des dommages-intérêts ; elle se présente pour les recevoir, et c'est ici qu'apparaît ce personnage qu'on appelle l’insolvable, personnage destiné vraisemblablement à former une souche et une série d'honnêtes travailleurs, d'honorables fonctionnaires qui se mettent au service de toutes les rancunes, de toutes les rivalités, de toutes les concurrences, de toutes les vengeances, pour un salaire plus ou moins honnête.

Remarquez que le prix du salaire inclinera à la baisse. On n'aura pas en effet la crainte, on ne courra plus le danger d'être emprisonné et dès lors le nombre de ces agents ira probablement en augmentant dans une proportion considérable. Le métier, en effet, ne manquera pas d'attrait. Être à la fois insolvable et inviolable !

Comparez à cette situation privilégiée celle du malheureux qui, ayant été gravement mais habilement atteint dans son honneur et dans ses biens, se trouvera privé de tout moyen de réparation.

Cet inviolable, cet insaisissable se moquera de lui, de sa femme, de ses filles et, le lendemain du jugement qui l'aura condamné, il recommencera de plus belle ses attaques.

Que risque-t-il ? Il sera de nouveau condamné à payer des dommages-intérêts : que lui importe !

Que voulez-vous ? dira-t-il. Je n'ai rien ; vous n'allez pas donner le triste spectacle de tenir en prison un malheureux qui ne possède rien. Vous feriez verser des larmes à tous les cœurs compatissants. Ayez pitié d'un pauvre misérable, insolvable, qui a déjà tant de peine à gagner sa pauvre vie !

(page 564) Voila les choses comme elles sont, dénuées de toute poésie, et voilà aussi ce qui me fait considérer comme regrettable que la contrainte par corps ne soit pas conservée au moins pour de pareils individus, auxquels, sérieusement, je ne puis pas m'intéresser.

Ce n'est pas tant pour les fonctionnaires publics que je parle, que pour les particuliers. Je suis d'avis que les fonctionnaires et les hommes publics supportent avec résignation les conséquences de notre régime constitutionnel et qu'il faut, sous ce rapport, laisser à la presse la plus grande latitude.

Je ne suis pas, en principe, pour que les fonctionnaires aillent demander des réparations aux tribunaux civils, à moins qu'il ne s'agisse de faits absolument étrangers à leurs fonctions ou de faits qui ne constituent pas des délits susceptibles d'être déférés au jury.

II y a plus, messieurs, et je prie les amis de la presse, je suis de ses amis et c'est pour cela que je parle comme je le fais, de prendre note de ma déclaration.

Si l'on voulait rigoureusement et largement à la fois interpréter et appliquer la Constitution en ce qui concerne la presse, il faudrait déférer au jury tous les délits ou quasi-délits de la presse. Qu'on en vienne là, je ne demande pas mieux.

Mais, j'en avertis la presse, ce serait une erreur de croire que les jurés se montreront toujours aussi indulgents qu'on le pense, qu'ils seront toujours disposés à innocenter des gens qui auront porté la douleur dans le cœur des familles ou le trouble dans leurs intérêts.

Je ne pense pas que la presse ferait un bénéfice réel à voir ce genre de procès transférés des tribunaux civils au jury.

Je crois que dans beaucoup de circonstances le jury serait plus sévère que le juge civil.

Je n'en dirai pas davantage, messieurs ; je finis en demandant à mon honorable collègue, M. le ministre de la justice, s'il serait bien contrarié de me voir voter pour ces amendements ? Je pense que mon honorable collègue ne voudrait exercer contre moi aucune espèce de contrainte. Il connaît mes sentiments pour lui et, j'aime à le lui dire, la position que cherche à lui faire la presse de l'opposition, les injustes attaques dont il est l'objet chaque jour, augmentent, si possible, pour lui mes sympathies et ma confiante estime.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je commencerai par remercier l'honorable M. Rogier des marques de sympathie qu'il a bien voulu me donner ; elles sont précieuses pour moi.

Le projet de loi que nous examinons a été l'objet de plusieurs discussions au sein du cabinet et effectivement M. Rogier a présenté des objections au point de vue des dommages-intérêts en matière de presse.

M. Rogierµ. - En toutes matières.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, mais spécialement en matière de presse. Mais je ferai remarquer à l'honorable M. Rogier qu'il a défendu des principes absolument contraires à ceux de la section centrale. (Interruption.)

Le projet de loi de la section centrale est la contradiction complète de la loi de 1859, que l'honorable M. Rogier a votée. Ce projet fait de la contrainte par corps une peine tandis que, d'après la loi de 1859, la contrainte est une simple épreuve de solvabilité.

L'honorable M. Rogier me demande si je serais fort contrarié qu'il volât pour les amendements de M. Watteeu. Assurément je préfère que le projet du gouvernement soit adopté ; je crois que ce projet est bon, qu'il ne peut entraîner d'inconvénients sérieux ; mais l'honorable membre n'est lié par rien et sa conviction doit être son seul guide. Pour moi, je ne puis que maintenir le projet du gouvernement ; la logique m'en fait un devoir.

M. Rogier a parlé de personnes atteintes dans leur honneur.

Mais, messieurs, pour ce cas il y a l'article 443 du code pénal qui porte :

« Celui qui, dans les cas ci-après déterminés, a méchamment imputé à une personne un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l'honneur de cette personne ou à l'exposer au mépris public, et dont la preuve légale n'est pas rapportée, est coupable de calomnie, lorsque la loi admet la preuve du fait imputé, et de diffamation, lorsque la loi n'admet pas cette preuve. »

Ainsi l'allégation de faits qui portent atteinte à l'honneur tombe sous l'application du code pénal ; et s'il n'y a pas d'atteinte à l'honneur, pourquoi vouloir la contrainte par corps ?

- Des membres. - La clôture !

M. de Brouckere (sur la clôture). - Si la Chambre désire voter les articles aujourd'hui, il me sera impossible de parler, mais si c'est simplement la clôture de la discussion générale que l'on demande...

- Des voix. - Non, non.

M. de Brouckere. - Je me soumets à ce que vous voudrez, mais laissez-moi parler.

Je conçois qu'on veuille fermer la discussion générale, mais je crois qu'on pourrait remettre le vote des articles à la semaine prochaine. Nous nous trouvons en présence du projet du gouvernement, d'un amendement de la section centrale et d'un amendement de M. Watteeu et il me semble qu'avant de mettre les amendements aux voix, il faudrait que l'amendement de M. Watteeu fut refondu avec celui de la section centrale.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne comprends pas du tout comment il serait possible de fondre les propositions de la section centrale et celles de M. Watteeu.

Je dois dire au surplus qu'il est désirable que la Chambre se prononce aujourd'hui, attendu que je devrai nécessairement me trouver au Sénat lundi prochain et peut-être les jours suivants.

- Plusieurs membres. - La clôture !

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Discussion des articles

M. le président. - L'article premier du gouvernement est complètement amendé par le projet de la section centrale. Je crois donc devoir mettre aux voix d'abord la proposition de la section centrale. Je vous propose ensuite de mettre aux voix le principe de l'article premier, sous réserve des exceptions proposées et puis successivement les différents amendements qui s'écartent le plus du projet du gouvernement. C'est, je pense, la seule manière de permettre à chacun de voter librement sur les diverses questions à résoudre.

M. Lelièvreµ. - La disposition de mon amendement étant comprise dans la proposition faite par M. Watteeu, je déclare me rallier aux articles 2 et 3 de l'amendement de notre honorable collègue, sans préjudice de mon vote sur l'amendement de la section centrale.

M. le président. - L'amendement de M. Lelièvre est donc retiré. Sommes-nous d'accord maintenant sur la manière de procéder aux différents votes ?

M. Dumortier. - Je crois, messieurs, qu'il faut voter d'abord sur les amendements de la section centrale ; mais je ne comprendrais pas que la Chambre fût appelée à voter sur le principe du projet de loi après avoir statué sur l'article premier du projet de la section centrale. J'invoque, du reste, le règlement qui dit formellement que les amendements doivent être mis aux voix avant la question principale.

Or, la question principale se trouve formulée exactement dans les mêmes termes dans l'article premier du projet de l'honorable M. Watteeu et dans celui du gouvernement ; mais dans le projet de M. Watteeu le principe de l'abolition est tempéré par des exceptions que ne comporte pas le projet du gouvernement. Comment donc voulez-vous que nous émettions un vote libre et raisonné dans de pareilles conditions ?

Et voyez, messieurs, quelle serait la conséquence de cette façon de procéder ? C'est que, après avoir voté ce principe, la Chambre pourrait écarter les autres dispositions auxquelles beaucoup de membres auraient eu l'intention de subordonner leur vote favorable au principe de l'abolition. Or, je puis très bien voter l'article 2 du projet de M. Watteeu et ensuite ajouter encore un article 3 quand on y arrivera, tandis que, dans le système qu'on nous indique, vous enlevez toute espèce de prérogative aux députés.

Encore une fois, messieurs, je demande que l'on suive la marche tracée par le règlement, c'est-à-dire que l'on mette d'abord aux voix la proposition qui s'écarte le plus du projet du gouvernement.

M. le président. - Je me permets de faire une observation à l'honorable M. Dumortier. A l'exception de la proposition de la section centrale, tous les amendements supposent l'adoption du principe de l'article premier du projet du gouvernement ; ces amendements ne constituent que des exceptions au principe de l'article premier.

II y a donc lieu, pour respecter les droits de chacun, de mettre aux voix d'abord la proposition de la section centrale, puis le principe consacré par l'article premier du projet du gouvernement, sous réserve des exceptions proposées et sur lesquelles il serait statué ultérieurement

M. de Theuxµ. - Les amendements de la section centrale supposent aussi la suppression de la contrainte par corps en principe. Ce ne sont que des exceptions proposées au principe. Aujourd'hui, la contrainte existe d'une manière générale. Or, que fait la section centrale ? Elle en admet la suppression, sauf certaines exceptions énumérées dans son projet. Cela est parfaitement clair.

M. le ministre de la justice (M. Bara) (sur la position de la question). - Messieurs, je demande l'exécution du règlement, qui veut qu'on procède par articles ; or, la proposition que fait M. le président n'est que l'exécution pure et simple du règlement.

Je demande donc que la Chambre procède au vote, dans l'ordre indiqué par M. le président.

M. de Brouckere (sur la position de la question). - Messieurs, il (page 565) faut, selon moi, qu'on mette aux voix, avant le principe absolu de la suppression de la contrainte par corps, les amendements qui restreignent ce principe.

Nous ne pouvons pas dire : « La contrainte par corps est supprimée », et puis voter sur les exceptions à cette suppression. Je sais très bien que le projet de l'honorable M. Watteeu porte : « Art. 1er. La contrainte par corps est supprimée », et qu'à l'article 2, il est dit qu'elle est conservée pour tels ou tels cas... Mais la rédaction de l'honorable M. Watteeu est vicieuse ; il fallait mettre : « La contrainte par corps est supprimée, sauf les dispositions qui suivent. »

Evidemment les exceptions doivent être mises aux voix avant que nous tranchions le principe absolu d'une manière générale.

Article premier (du projet de la section centrale

M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, je vais mettre d'abord aux voix la proposition de la section centrale. (Assentiment.)

Cette proposition est ainsi conçue :

« Art. 1er. Dans tous les cas où la contrainte par corps est autorisée par la loi du 21 mars 1859, en matière de commerce, en matière civile, contre les étrangers, ou en matière de deniers et d'effets publics, les juges ne la prononceront qu'en cas de dol, de fraude ou de violence, ou lorsqu'il sera constaté que le débiteur n'est pas insolvable. »

- Des membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération.

99 membres y prennent part.

28 répondent oui.

71 répondent non.

En conséquence, la Chambre n'adopte pas.

Ont répondu oui :

MM. Lelièvre, Liénart, Magherman, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Nélis, Reynaert, Rogier, Tack, Thibaut, Vander Donckt, Wouters, Ansiau, de Borchgrave, de Clercq, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Moor, de Muelenaere, de Terbecq, de Theux, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Jonet, Landeloos et Lebeau.

Ont répondu non :

MM. Lippens, Moreau, Muller, Nothomb, Orban, Pirmez, Preud'homme, Royer de Behr, Sabatier, Schmitz, Thonissen, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Merris, Verwilghen, Vilain XIIII, Visart, Warocqué, Watteeu, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Cartier, Coremans, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de. Coninck, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Delaet, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de. Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, de Vrière, de Vrints, Dewandre, d'Hane-Steenhuyse, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Lange, Le Hardy de Beaulieu et Dolez.

Ordre des votes des articles

M. le président. - Je consulte la Chambre sur... (Interruption.)

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le président. - Je l'ai d'abord pour poser la question ; le règlement me donne le droit de le faire.

Je demande donc à la Chambre si elle entend d'abord voter sur le principe commun à l'amendement de M. Watteeu et au projet du gouvernement, sauf à ne voter ce principe que sous réserve des modifications qui peuvent y être introduites ou bien si la Chambre veut voter d'abord sur les exceptions.

Je consulte donc la Chambre.

M. le président. - Je demande la parole.

M. le président. - Vous l'avez sur la position de la question.

M. Dumortier. - Je ferai remarquer à la Chambre qu'il nous est impossible d'entrer dans la voie que M. le président nous propose de suivre. Elle est contraire au règlement. Le règlement exige que les amendements soient mis aux voix avant la question principale.

Je déclare que, si la proposition de M. le président était admise, je ne sais pas comment nous pourrions voter.

M. de Brouckere. - Messieurs, j'avais demandé la parole tout à l'heure afin d'obtenir de la Chambre que l'amendement de M. Watteeu fût mis aux voix avant le principe général ; mais je dois déclarer qu'après les explications que vient de nous donner l'honorable président et en interprétant comme il l'a fait le vote que nous allons émettre sur le principe général, je ne vois aucun inconvénient à adopter sa proposition.

M. de Theuxµ. - La marche qu'on nous propose de suivre est, selon moi, irrégulière. En effet il faut que chacun puisse voter librement.

Il y a des membres qui voudraient l'abolition de la contrainte par corps, mais qui ne la voudraient qu'après l'inscription de certaines garanties telles que celles proposées par M. Watteeu.

Or que résultera-t-il si, après avoir voté la suppression, en règle générale, les amendements sont rejetés ?

C'est que la contrainte par corps aura peut-être été votée contre la volonté de quelques membres.

M. le président. - Je ferai remarquer a l'honorable orateur qu'il est dans l'erreur.

Il restera le vote sur l'ensemble du projet et les membres de la Chambre pourront se prononcer en toute liberté.

Je vous engage donc à suivre la marche que je vous ai indiquée.

M. Dumortier. - Mais, M. le président, c'est précisément la voie que vous proposez qui prête à de grands inconvénients.

Ainsi je suppose que des membres soient partisans du projet du gouvernement amendé comme le propose M. Watteeu, et qu'ils n'en veuillent pas en dehors de ces conditions.

MfFOµ. - Ils voteront contre le projet lors du vote sur l'ensemble.

M. Dumortier. - Ah ! ils voteront contre le projet du vote sur l'ensemble !

Ils auront voté le principe au premier vote et ils devront le rejeter au moment du vote sur l'ensemble ! Mais vous allez rendre vos collègues ridicules. (Interruption.)

Tandis qu'en suivant le règlement, chacun pourrait voter librement.

M. le président. - Il est entendu que le principe de l'article premier n'est mis aux voix que sous réserve des amendements sur lesquels la Chambre sera appelée à voter, et tous les droits sont parfaitement respectés. Il n'y a plus d'objection à cette proposition ?

Article premier (du projet du gouvernement)

Je mets donc aux voix le principe contenu dans l'article premier du projet du gouvernement ; il est ainsi conçu :

« La contrainte par corps est supprimée. »

- Cet article premier, mis aux voix, est adopté.

Article 2 (amendement de M. Watteeu)

M. le président. - Vient l'amendement de M. Watteeu. L'article 2 qu'il propose est ainsi conçu :

« Art. 2. Toutefois, elle peut être décrétée : 1° contre les témoins défaillants ; 2° pour assurer le recouvrement des condamnations prononcées à titre de réparation du préjudice matériel ou moral procédant d'un fait indépendant de toute convention. »

Je dois lire aussi l'article 3, parce que, quoique formant un numéro séparé, il ne forme avec l'article 2 qu'un principe :

« Art. 3. Le juge ne prononcera la contrainte par corps que lorsque l'auteur du fait sera convaincu d'avoir agi de mauvaise foi ou dans le but de nuire. »

- L'appel nominal est demandé.

Il est procédé, au vote par appel nominal sur ces deux articles.

99 membres prennent part au vote.

43 votent l'adoption.

56 votent le rejet.

En conséquence l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption :

MM. Lelièvre, Liénart, Magherman, Mascart, Moncheur, Muller, Mulle de Terschueren, Nélis, Orban, Pirmez, Reynaert, Rogier, Tack, Thibaut, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Iseghem, Verwilghen, Watteeu, Wouters, Ansiau, de Baillet-Latour, de Borchgrave, de Brouckere, de Clercq, de Haerne, Delcour, De Lexhy, de Liedekerke, de Macar, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, de Vrière, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Jouet, Landeloos et Lebeau.

Ont voté le rejet :

MM. Lippens, Moreau, Nothomb, Preud'homme, Royer de Behr, Sabatier, Schmitz, Thonissen, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Merris, Vilain XIIII, Visart, Warocqué, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Carlier, Coremans, Couvreur, Crombez, David, de Coninck, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Delaet, d'Elhoungne, de Maere, de Rongé, de Rossius, de Vrints, Dewandre, d'Hane-Steenhuyse, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Lange, Le Hardy de Beaulieu et Dolez.

M. le président. - Nous avons maintenant l'amendement de M. Bouvier.

M. Bouvierµ. - Je le retire.

Articles 2 à 4 (du projet du gouvernement)

M. le président. - Nous reprenons le projet du gouvernement.

(page 566)

« Art. 2. Les jugements déjà rendus ne pourront être exécutés en ce qui concerne la contrainte par corps.

« Seront immédiatement mis en liberté tous les individus incarcérés en vertu de jugements qui autorisaient l'exécution par corps. »

- Adopté.


« Art. 3. Sont maintenues les dispositions relatives à la contrainte par corps contre les témoins défaillants. »

- Adopté.


« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

97 membres sont présents.

71 adoptent.

14 rejettent.

12 s'abstiennent.

En conséquence, le projet de loi est adopté.

On voté l'adoption :

MM. Lippens, Moreau, Muller, Nothomb, Orban, Preud'homme, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Schmitz, Thonissen, T'Serstevens, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Morris, Verwilghen, Vilain XIIII, Visart, Warocqué, Watteeu, Allard, Anspach, Bara, Beke, Bieswal, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Carlier, Coremans, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Delaet, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Naeyer, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrints, Dewandre, d'Hane-Steenhuyse, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Lange, Le Hardy de Beaulieu et Dolez.

Ont voté le rejet :

MM. Magherman, Mascart, Moncheur, Mulle de Terschueren, Nélis, Reynaert, Vander Donckt, de Clercq, Delcour, de Moor, de Muelenaere, Dumortier, Jouet et Lebeau.

Se sont abstenus :

MM. Lelièvre, Liénart, Pirmez, Tack, Thibaut, Wouters, Ansiau, de Borchgrave, de Haerne, de Theux, de Zerezo de Tejada et Landeloos.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Lelièvreµ. - Je me suis abstenu à cause du rejet des amendements, sans l'adoption desquels je n'ai pu voter la suppression de la contrainte par corps.

M. Liénartµ. - Je n'ai pas voté pour le projet, parce que je ne veux pas de l'abolition pure et simple de la contrainte par corps ; je n'ai pas voté contre le projet parce que la loi de 1859 ne me satisfait pas.

MiPµ. - Messieurs, lors de mon entrée au ministère, la loi était présentée ; j'ai dit alors que je n'aurais pas voté la suppression pure et simple et immédiate de la contrainte par corps. Je crois qu'elle doit disparaître presque en toute matière, je crois même qu'elle devra disparaître un jour pour les matières dont il s'agit dans l'amendement de M. Watteeu, que j'ai voté, mais je ne crois pas qu'on puisse aujourd'hui, avant d'avoir introduit un autre système de répression, supprimer le seul système de répression qui existe à présent.

M. Tack. - Je n'ai pas voulu voter pour le projet de loi parce qu'il me paraît trop radical et que j'aurais désiré voir consacrer quelques exceptions qui me paraissent, pour le moment, indispensables.

Je n'ai pu me décider à voter contre le projet de loi, parce que la législation actuellement en vigueur entraîne à des inconvénients aussi graves que l'abolition de la contrainte par corps pure et simple.

M. Thibautµ. - Je crois, messieurs, qu'il y a d'excellents motifs pour diminuer le nombre de cas où la contrainte par corps peut être appliquée. Mais, d'un autre côté, je pense que la suppression complète et absolue de la contrainte par corps est dangereuse ou tout au moins prématurée.

M. Woutersµ. - Je n'ai pas voté pour, parce que je ne suis pas rassuré sur les conséquences que peut entraîner l'abolition immédiate de. la contrainte par corps, dans certains cas particuliers.

Je n'ai pas voté contre, parce que le rejet du projet nous remettrait sous l'empire de la loi de 1859, à laquelle je voulais voir apporter certains adoucissements.

M. Ansiauµ. - Je me suis abstenu pour les motifs qui ont été développés par l'honorable M. Lelièvre.

M. de Borchgraveµ. - Tout en désirant que la contrainte par corps fût supprimée en thèse générale, j'aurais voulu la maintenir pour quelques cas particuliers. J'ai dû en conséquence m'abstenir.

M. de Haerneµ. - Je me suis abstenu pour les motifs indiqués par les honorables MM. Liénart et Tack.

M. de Theuxµ. - Je n'ai pas voulu maintenir la contrainte par corps dans la généralité des dispositions de la loi actuelle ; mais je n'ai pas voulu priver la société des garanties que contenaient les amendements de la section centrale et de l'honorable M. Watteeu.

M. de Zerezo de Tejadaµ. - Je n'ai pas voulu voter en faveur de la loi, parce que la Chambre a rejeté les amendements que je considérais comme constituant des garanties nécessaires. Je n'ai pas voulu voter contre la loi, parce que, en thèse générale, je suis partisan de l'abolition de la contrainte par corps.

M. Landeloosµ. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Thibaut.

- La séance est levée à 4 heures.