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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 23 février 1869

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 466) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante, des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Debry demande une récompense nationale et une indemnité pour une machine de guerre dont il est l'inventeur. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Similon demande l'autorisation d'abattre les lapins qui sortent de la forêt d'Averbode et viennent ravager ses propriétés. »

- Même renvoi.


« Le sieur Ithier demande une loi qui règle les inhumations. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Taviers demandent que la société concessionnaire soit contrainte d'exploiter, pour les voyageurs au moins, la section de chemin de fer de Namur à Ramillies. »

M. Lelièvreµ. - J'appuie la pétition dont il s'agit qui concerne une question importante sur laquelle la Chambre a ordonné, il y a quelques jours, un prompt rapport. Je demande que la requête, soit renvoyée à la commission qui est déjà saisie de l'examen de la question ? Je ne saurais trop réclamer l'exécution de la voie ferrée dont s'occupe la pétition.

- Adopté.


« Le. sieur Ducamp prie, la Chambre de faire annuler la décision du conseil de milice à Marche qui, au tirage au sort du 19 février, a attribué un numéro à un milicien dont le nom n'a pas été appelé.»

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le Sénat informe la Chambre des représentants qu'il a adopté le projet de loi relatif aux cessions de concessions de chemins de fer. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de la guerre transmet à la Chambre deux exemplaires de l'Annuaire militaire officiel de 1869. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. le gouverneur de la Banque Nationale adresse à la Chambre 130 exemplaires du compte rendu des opérations de cet établissement financier, pendant l'année 1868. »

- Dépôt à la bibliothèque, et distribution aux membres de la Chambre.


« M. Schollaert, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Bieswal demande un congé de quelques jours pour affaires urgentes. »

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1869

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVIII. Lettres et sciences

Article 102

M. le président. - Nous sommes restés à l'article 102, ainsi conçu :

« Art. 102. Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique ; subsides extraordinaires à l'Académie royale de Belgique, afin de la mettre à même d'augmenter le chiffre des prix pour les principales questions portées aux programmes de ses concours ; publication des anciens monuments de la littérature flamande et d'une collection des grands écrivains du pays ; publication d'une Biographie nationale ; publication d'un texte explicatif de la carte géologique de la Belgique : fr. ..... 50,300.

« Charge extraordinaire : fr. 20,200. »

M. Thonissenµ. - A l'occasion de l'article 102 du budget, le rapport de l'honorable M. Hymans renferme quelques lignes que je ne puis laisser sans réponse :

« La section centrale, dit l'honorable rapporteur, se gardera avec soin de contester l'utilité d'une Biographie nationale, et, bien plus encore, de. s'ériger en Académie pour juger des travaux littéraires. Mais il est de son devoir de faire ressortir les proportions exagérées d'un recueil de ce genre, contenant la biographie de onze mille cinq cents personnages, dont quelques-uns sont d'une illustration fort douteuse, et un grand nombre totalement inconnus. Le but du gouvernement, en créant une biographie nationale, n'a pu être d'inventer à tout prix des grands hommes. »

L'honorable M. Hymans ne s'est pas bien rendu compte de la nature de l'œuvre entreprise par l'Académie, à la demande expresse du gouvernement. II ne s'agit pas de faire une biographie des Belges illustres, ni même uns biographie des Belges célèbres, dans l'acception ordinaire de ce mot. A côté des hommes illustres et des hommes célèbres, il faut placer les hommes utiles, qui se sont distingués par des services dépassant les limites du dévouement ordinaire. Il s'agit, en un mot, de donner à la Belgique une Biographie nationale, telle qu'en possèdent aujourd'hui la plupart des nations européennes.

Il n'est donc pas question d'inventer, a tout prix, des grands hommes : c'est là, permettez-moi de le dire, une supposition peu flatteuse, peu bienveillante pour l'Académie royale.

Quant aux onze mille noms qui figurent sur la liste provisoire des biographies à rédiger, je comprends l'étonnement de l'honorable membre. J'ai commencé moi-même par m'étonner de ce nombre considérable ; mais je m'empresse d'ajouter qu'un examen attentif de la liste, joint à un rapide coup d'œil sur notre histoire nationale, a bientôt dissipé ma surprise.

La Belgique n'a pas toujours été un pays homogène, placé sous le même sceptre. Nous avons eu des comtes de Hainaut, de Flandre, de Namur, de Luxembourg, des ducs de Brabant et de Limbourg. Nous avons eu des princes de Liège jusqu'à la fin du XVIIIème siècle.

Tous ces souverains, car ils méritent réellement ce titre, fournissent seuls une longue série de noms. Mais ce n'est pas tout. Sous leurs règnes, il y a eu, dans toutes nos provinces, des luttes, souvent mémorables, entre les souverains et le clergé, entre le pouvoir féodal et la bourgeoisie. Il y a eu des guerres entre les ducs et les comtes, parfois même entre les villes du même pays. Or, toutes ces dissensions, toutes ces querelles, que nous avons grand intérêt à connaître dans tous leurs détails, ont fait surgir des centaines de noms. Fallait-il les négliger, les laisser de côté ? L'honorable M. Hymans ne le prétendra pas.

Plus tard, à partir de la période bourguignonne, nous avons eu des chefs dont l'autorité s'étendait sur tout le pays, à l'exception de la principauté de Liège. Mais alors nous trouvons de nouvelles séries de souverains, des listes de gouverneurs généraux, de présidents et de membres des grands corps de l'Etat. Nous trouvons, encore une fois, des troubles, des luttes, des révolutions, et de nouveau des centaines de noms surgissent. Je vous citerai seulement les révolutions du seizième, du dix-huitième et du dix-neuvième siècle. Fallait-il dédaigner les noms des hommes qui ont figuré, en si grand nombre, dans tous ces grands mouvements politiques ? Evidemment non.

Mais si nous sortons du vaste domaine de la politique pour entrer dans la sphère des arts, la récolte devient plus abondante encore. Nos peintres, nos sculpteurs et nos graveurs se comptent réellement par centaines.

Qu'on ajoute à toutes ces listes les diplomates, les orateurs qui ont brillé dans nos nombreuses assemblées parlementaires, les médecins, les anatomistes, les savants, les historiens, les professeurs, les publicistes, les mathématiciens, les théologiens, les canonistes, les poètes latins et les poêles flamands, les voyageurs, les géographes, les archéologues, les architectes, les ecclésiastiques célèbres, les magistrats, les jurisconsultes, les philanthropes, les artisans célèbres, les bourgmestres qui se sont distingués dans l'administration locale : qu'on groupe toutes ces séries, et l'on ne sera plus étonné d'arriver à plusieurs milliers de noms.

Je puis affirmer sans crainte que la Biographie nationale, qui se composera d'une douzaine de volumes, est loin de dépasser les proportions ordinaires des publications de cette espèce. Les biographies littéraires de Paquot forment seules dix-huit volumes. La Biographie liégeoise du comte de Becdelièvre-Hamal se compose de deux énormes volumes in-8°. Et que se passe-t-il en pays étranger ? La Biographie nationale du royaume de Naples, publiée en 1850, compte quinze volumes in-4°. La Biographia britannica, publiée en 1766, forme sept volumes in-folio. La Biographie madrilène de Barena, œuvre très estimée, forme quatre volumes in-i°. La Biographie nationale de l'Autriche, de Wursbach, a déjà dix-huit volumes, et elle n'est arrivée qu'à la lettre L. La Biographie toulousaine, publiée en 1823, se compose de deux volumes ; celle du département de la Moselle, publiée en 1832, en compte quatre. Est-ce donc trop de douze volumes in-8° pour la Belgique entière ? Je ne le pense pas.

On a dit, à la vérité, que tous les collaborateurs de la Biographie nationale n'ont pas toujours procédé avec la concision et la sobriété désirables. Je n'entends pas le nier ; mais ce défaut ne se présente que par exception. (page 467) La très grande majorité des auteurs échappe à ce reproche ; et, pour le prouver, je n'ai besoin que de nier les noms suivants :

Saint Achaire, évêque de Tournai, l'un des rares prélats savants du VIIème siècle, conseiller de Clotaire II et de Dagobert Ier, l’un des civilisateurs de la Gaule Belgique, obtient deux pages.

Adelard, le petit-fils de Charles-Martel, le frère du roi Pépin, l'ami et le conseiller de Charlemagne, le prélat dont le nom est associé à toutes les grandes mesures prises par l'empereur, le premier ministre de Pépin, roi d'Italie, l'ami et le protecteur d'Alcuin, Adelard obient cinq pages, y compris une page et demie pour l'indication et l'analyse de ses ouvrages.

Adalbéron, archevêque de Reims, né dans le Luxembourg, le grand chancelier du roi Lothaire, le conseiller de Hugues Capet, l'un des plus illustres prélats de la seconde moitié du Xème siècle, le réformateur du clergé, le fondateur des célèbres écoles de Reims, obtient une page et demie pour sa vie, une page et demie pour l'analyse de ses œuvres.

Allain de Lille, à qui ses contemporains donnèrent le titre pompeux de docteur universel, théologien, naturaliste, poète, historien, l'un des écrivains les plus féconds du XIIème siècle, obtient deux pages pour sa vie, trois pages pour l'analyse de ses œuvres.

Quelques noms, il est vrai, pourront être effacés sans inconvénient ; mais il ne faut pas oublier qu'à certains égards, la biographie des hommes médiocres, quand ils ont marqué parmi leurs contemporains, présente elle-même d'incontestables avantages. Prenons un exemple.

A partir du règne d'Albert et d'Isabelle, les lettres nationales entrèrent dans une triste période de décadence. Les littérateurs devinrent de plus en plus médiocres jusqu'à la fin du dix-huitième. siècle. Eh bien, je ne voudrais pas exclure leurs noms de la Biographie nationale. Quand plus tard on fera l'histoire des lettres belges, l'historien n'aura qu'à ouvrir la Biographie nationale pour trouver la liste de tous les livres publiés dans cette triste période. Assurément, c'est un avantage qui n'est pas à dédaigner.

Au surplus, comme je l'ai dit en commençant, la liste portant les noms de plus de onze mille personnages est purement provisoire. Elle sera réduite, considérablement réduite avant la fin de la publication. Comme collaborateur de la Biographie nationale, j'ai fait moi-même biffer une dizaine de noms parmi les personnages des lettres A et B qui m'avaient été attribués.

Messieurs, la critique est toujours facile, mais elle est parfois dangereuse. Elle décourage ceux qui travaillent et conduit ainsi à des conséquences que ses auteurs seraient les premiers à déplorer.

M. Hymans, rapporteur. - L'Académie royale de Belgique, comme je m'y attendais quelque peu, paraît appelée à jouer dans cette question le rôle qu'on a fait jouer à Homère, à Aristote et à Platon dans la récente discussion de l'enseignement du grec. Personne n'avait songé à attaquer ces grands génies, protégés par l'admiration des siècles. Il n'en est pas moins vrai que c'est au nom de leur gloire et du respect qui leur est dû, respect que personne ne songeait à contester, qu'on a lancé les attaques parfois les moins bienveillantes à l'adresse de tous ceux qui croyaient qu'une réforme était possible dans les méthodes d'enseignement.

L'Académie royale, je le répète, va être appelée à jouer ce rôle pour la défense de la Biographie nationale. Elle le jouera, j'en suis convaincu, vis-à-vis de la Chambre avec d'autant plus de succès que, tandis qu'Homère, Aristote et Platon n'avaient pour les défendre que leur vieille renommée, l'Académie royale compte, dans cette enceinte, des athlètes bien vivants, alertes, dévoués à ses intérêts et comptant parmi ses membres les plus distingués.

La lutte est donc plus difficile.

Heureusement, messieurs, il ne s'agit pas ici de l'Académie ; il s'agit d'une œuvre publiée par ordre et aux frais de l'Etat ; et les observations faites par la section centrale, et dont l'honorable M. Thonissen a donné lecture tout à l'heure, je suis par devoir, autant que par conviction, obligé de les maintenir. Je crois même qu'il ne me sera pas difficile de faire partager par la Chambre l'opinion de la section centrale, opinion émise à la suite d'un débat qui a eu lieu dans l'une des sections, celle-là même dont l'honorable M. Thonissen faisait partie.

Je suis le premier à reconnaître que la publication d'une Biographie nationale est une œuvre utile, je dirai même nécessaire. Le ministre qui l'a instituée a fait une chose patriotique et nationale. (Interruption.) On dit, à côté de moi, que l'arrêté a été signé par M. Van de Weyer. Je ne l'ignore pas, et je n'hésite pas à dire qu'à l'époque où cet homme d'Etat instituait la Biographie nationale, il rendait aux lettres belges un service plus grand que ne le ferait pareille mesure décrétée aujourd'hui, attendu qu'en 1845, les lettres belges avaient plus besoin d'être encouragées et que les études historiques étaient moins avancées.

Je ne marchande donc à celui qui a ordonné la publication d'une Biographie nationale aucun des légitimes éloges qui lui sont dus.

La section centrale n'a pas attaqué non plus le choix, qu'a fait le ministre de cette époque, de l'Académie pour accomplir ce grand travail. Le ministre a choisi le premier corps savant du pays ; c'était son devoir.

Mais la qualité même des auteurs de la Biographie nous donne le droit de nous montrer plus difficiles.

Les membres de l'Académie ne sont pas les premiers venus. Noblesse, oblige. Ils sont obligés de tenir ce que leur titre nous promet.

Quels sont les reproches qu'a faits la section centrale à la Biographie nationale ? Tout d'abord, l'exagération des dépenses préliminaires ; et sous ce rapport tout le monde sera de mon avis ; je ne commettrai pas d'indiscrétion, je pense, en disant que l'honorable M. Thonissen lui-même partage, à cet égard, mon opinion.

Mais ces dépenses sont faites. Je n'aime pas les récriminations stériles. Passons donc l'éponge sur ce point. L'Académie ne remboursera pas, je suppose, l'argent qui a été inutilement dépensé. Force nous est de n'y plus penser.

La section centrale a critiqué les proportions exagérées du recueil dont il s'agit.

Elle y a vu un double inconvénient : l'accroissement inévitable des dépenses prévues (on n'a pas alloué à l'Académie un crédit limité), et un retard également inévitable dans l'achèvement de l'ouvrage.

L'honorable M. Thonissen disait tout à l'heure qu'à mesure que la publication avance, les proportions de la Biographie diminuent. Mais c'est précisément le contraire qui arrivera : ces proportions augmenteront à raison d'un fait que l'honorable M. Thonissen a complètement laissé dans l'ombre, à raison d'une disposition inscrite dans le règlement que j'ai sous les yeux.

Aux termes de ce règlement on raconte dans la Biographie nationale la vie des personnages décédés depuis dix ans...

M. Kervyn de Lettenhove. - Dont la mort remonte à dix ans.

M. Hymans. - C'est bonnet blanc et blanc bonnet. Il va de soi que ces dix années sont comptées à partir de la date de la publication du volume dans lequel doit figurer le défunt. S'il en était autrement, l'on consacrerait une flagrante injustice. Je vais citer un fait qui frappera la Chambre. On en est à la lettre B, qui est à peu près terminée. Un avocat de Bruxelles, M. Bartels, mort depuis dix ans à la date où l'on a commencé le volume, figure dans la Biographie ; mais M. Baron, un éminent professeur, dont personne, à coup sûr, ne contestera le haut mérite, n'y figure pas.

Pour lui, me dira-t-on, les dix années n'étaient pas révolues ; mais elles peuvent l'être depuis ; elles le seront demain, et l'Académie devra publier un supplément pour ne pas se montrer injuste. Il en sera de même de tous les personnages qui n'auront pas eu la chance de mourir dans le délai légal et qui n'auront pas terminé leurs années d'antichambre.

La publication sera donc à refaire avant d'être terminée, et contrairement à ce que disait tout à l'heure l'honorable M. Thonissen, les proportions de la Biographie, au lieu de diminuer dans l'avenir, doivent nécessairement augmenter.

Occupons-nous d'un autre point. L'honorable M. Thonissen s'est demandé tout à l'heure ce que c'est qu'une Biographie nationale. Tout le monde sait ce que c'est qu'une biographie nationale : Si ce n'est pas exclusivement un Dictionnaire des hommes illustres, des hommes tout à fait éminents auxquels le pays a donné naissance, c'est tout au moins la vie des hommes qui ont rendus au pays des services signalés, et si je ne me trompe, l'honorable M. Thonissen s'est servi tout à l'heure du mot « utiles ».

M. Thonissenµ. - C'est la vie des hommes utiles qui se distinguent par un dévouement ou par des services extraordinaires rendus au pays. Voilà ce que j'entends par Biographie nationale.

M. Hymans. - J'accepte des deux mains la définition. Du reste le règlement de 1860 dit (article 4) que l'on publiera la vie des hommes « remarquables ».

Eh bien, messieurs, je demande si l'on peut considérer comme des hommes remarquables, comme des hommes utiles, comme des hommes qui ont rendu des services extraordinaires au pays, pour me servir de l'expression de M. Thonissen, ceux dont le seul mérite consiste à avoir occupé certaines positions. D'après le système des biographes de l'Académie royale, il ne faut pas qu'on ait rendu des services éminents au pays ; il ne faut pas qu'un évêque, par exemple, se soit distingué d'une façon exceptionnelle ; il ne faut pas qu'un ministre ait été un homme absolument remarquable (ils le sont tous à un certain degré, sans quoi ils ne seraient ni évêques ni ministres) ; il suffit d'avoir occupé une position déterminée (page 468) pour avoir le droit, aux yeux de l'Académie, tout au moins aux yeux de la commission, de figurer dans l'ouvrage. Je ne puis me rallier à un tel système ; il ne suffit pas qu'un homme ait occupé une haute position pour aspirer à la gloire ; il faut encore que ses actes aient laissé une trace quelconque dans la sphère qu'il a traversée ; en d'autres termes, qu'il se soit rendu utile au pays.

Et je suis bien convaincu que telle a été la pensée de l'honorable M. Vande Weyer, qui a décrété la Biographie ; que telle a aussi été la pensée des ministres qui, après lui, ont donné une confirmation aux mesures qu'il a prises en 1845.

M. Coomans. - Ce sont les hommes les plus utiles qui ne figurent jamais et les hommes très inutiles qui y figurent.

M. Hymans. - C'est parfaitement exact, et j'aurai le déplaisir de vous le prouver tout à l'heure, car je ne me contenterai pas d'affirmations, j'apporterai des preuves.

Je cède peut-être à un vieux préjugé, à une incorrigible manie, mais si je considère les vies des saints qui figurent dans l'ouvrage, je suis obligé de le considérer comme une espèce de succursale des Acta sanctorum publiés par les RR. PP. bollandistes.

Il y a incontestablement un nombre très grand de saints, de bienheureux, de prélats, d'abbés, de prieurs, de moines de tous les ordres qui ont rendu des services à la civilisation. Ce serait une absurdité de le contester. Mais, je le répète, ce n'est pas une raison pour que tous les saints, parce qu'ils ont été canonisés, tous les bienheureux, parce qu'ils ont été béatifiés, tous les évêques, parce qu'ils ont porte mitre et crosse, tous les moines, parce qu'ils ont été à la tête d'une abbaye, doivent figurer dans une publication nationale, qui, de l'aveu de l'honorable M. Thonissen lui-même, ne doit s'occuper que des hommes qui ont rendu des services extraordinaires an pays.

Eh bien, l'honorable M. Thonissen vous a cité tout à l'heure le nom d'un saint que je respecte, ne fût-ce qu'à cause de son âge, et qui a rendu incontestablement des services il y a bien longtemps. Il y a d'autres saints qui figurent dans le livre dont je m'occupe et qui méritent qu'on leur consacre même plus de trois colonnes, et si l'honorable M. Thonissen veut ajouter saint Achaire à saint Arnaud, à saint Bavon à saint Berlin et à quelques autres de cette catégorie, je ne m'y oppose, pas. Mais soyons de bonne foi. Je me suis donné la peine de faire la liste des saints biographiés dans les trois demi-volumes qui avaient paru à l'époque où la section centrale s'est réunie ; dans cette liste je trouve :

Saint Abel, saint Ableberl, saint Abolin, Absalon abbé de Stavelot, saint Adalband, Adalbéron archevêque de Reims, trois autres Adalbéron évêques de Metz, la bienheureuse Adalsinde ou Adelsindé, fille de saint Adalband et de sainte Rictrude, la bienheureuse Adélaïde de Schaerbeek, saint Adelard, cinq autres Adelard moines, Adelbert archevêque de Magdebourg, sainte Adèle, sainte Adeltrude, Agilphède moine, Agilulfe martyrisé à Amblève, saint Agricolans, saint Albert, le bienheureux Albéron, saint Albert, de Louvain, saint Aldebert, sainte Aldegonde, sante Alêne de Dilbeek, sainte Amelberge, sainte Amelberge de Tamise, saint Amour, saint Anfroi, saint Arnulphe, sainte Austreberle. ou Austroverte, saint Autbode, sainte Aye, femme d'Hydulphe, saint Babolin, saint Bain, Agnès Baliques, le vénérable, Barthélemi, la bienheureuse Béatrice de Nazareth, le bienheureux Jean Berchmans, Saint Bertolphe, et si j'avais poussé mes recherches plus loin, je crois que j'en aurais trouvé davantage.

Eh bien, je suis prêt à m'incliner devant tous ces saints personnages, comme j'ai dit tout à l'heure que je m'inclinais devant les grands hommes de la Grèce. Je suis prêt à reconnaître qu'ils ont tous été d'excellents saints, des modèles de piété, et c'est pour cela, j'imagine, qu'on les a canonisés. Mais je vous le demande, et vous vous en convaincrez tous en lisant la Biographie aux noms que je viens d'indiquer et qui se trouveront demain dans les Annales parlementaires, css personnages ont-ils le droit d'occuper le tiers d'un volume d'une Biographie instituée pour enseigner au pays l'histoire des hommes qui lui ont rendu des services ?

M. Coomans. - Ce sont des hommes utiles qui ont décrassé nos pères ; rendez leur hommage.

M. Bouvierµ. - Ils étaient propres alors !

M. Hymans, rapporteur. - Voilà des hommes utiles, dit M. Coomans ; ils ont décrassé nos pères. Cela ressemble à une épigramme. Si donc nous sommes d'accord, nous verrons si vous serez de mon avis jusqu'au bout.

M. Coomans. - Je ne sais pas jusqu'où vous irez.

M. Hymans, rapporteur. - J'irai beaucoup moins loin que vous n'iriez si ces personnages étaient des réformés au lieu d'être des saints.

Passant à un autre ordre d'idées, M. Thonissen dit : Une foule de personnages étrangers se sont trouvés mêlés à l'histoire de la Belgique, et parmi ces personnages il en est qui ont rendu des services ; il faut faire leur biographie. Soit ! Mais, dans cette catégorie d'hommes utiles, je demanderai à l'honorable M. Coomans s'il consent à ranger le duc d'Albe

M. Coomans. - Non.

M. Hymans, rapporteur. - Pourquoi donc le due d'Albe figurera-t-il dans la Biographie nationale ? Le duc d'Albe ne tombe sous aucune des définitions que nous avons entendues tout à l'heure. M. Coomans a parlé d'hommes utiles, M. Thonissen a parlé d'hommes qui ont rendu des services. (Interruption.)

Quelle est, dans tout ceci, la part du duc d'Albe ? (Interruption.)

On a introduit dans la Biographie nationale, sous prétexte de services extraordinaires ou d'utilité, tous les hommes qui ont occupé certaines positions, et ici permettez-moi de citer quelques noms. L'Honorable M. Thonissen a fait quelques citations ; je m'autoriserai de son exemple pour en faire une à mon tour.

« Adriaens (Henri), nommé aussi Adriaenssens et Adriani, naquit à Anvers et y mourut le 21 mai 1607. Après le décès de son épouse, il se consacra à l'état ecclésiastique et termina ses études théologiques à l'université de Louvain. Au mois de mars 1586, il devint curé de l'hôpital Sainte-Elisabeth dans sa ville natale et remplit ces fonctions jusqu'en 1601, époque à laquelle il y renonça pour accepter celles de chapelain de la cathédrale de Notre-Dame. Il conserva cette place jusqu'à sa mort et fut inhumé dans l'église paroissiale de. Saint-André, comme il l'avait ordonné par son testament.

(Vient ici son épitaphe.)

« Adriaens, avant son entrée dans les ordres, était resté veuf avec deux enfants, un fils, nommé Melchior, et une fille, nommée Marie, qui devint religieuse, à l'hôpital Sainte-Elisabeth. C'est ce qui explique, la dernière phrase de l'inscription, où Adriaens déclare s'être réservé un lieu de sépulture dans l'église de Saint-André, pour lui-même, et pour sa postérité. C'était un homme instruit et laborieux, remarquable surtout par son dévouement envers les pauvres et les malades. On a de lui quelques ouvragés en flamand dont nous donnons la liste d'après Paquot. (Mémoires, t. V, p. 08 ; in-8°). »

(Suit une liste d'ouvrages sans valeur littéraire.)

Je demande si c'est là un homme qui a rendu au pays des services extraordinaires.

J'ai été très surpris de retrouver dans ce recueil un brave musicien que j'ai connu dans mon enfance, qui donnait des leçons de flûte dans la ville d'Anvers et qui, j'en suis convaincu, s'il pouvait ressusciter, serait fort surpris lui-même d'avoir défrayé la verve d'un biographe. C'était un brave professeur de flûte comme il y en a beaucoup. IL est mort première flûte solo au théâtre d'Anvers, et c'est là que je l'ai connu.

A tout prendre, ce flûtiste était un homme utile, ou du moins il n'était pas un homme inutile ; il n'a pas fait de tort à la société, mais nous sommes tous aussi utiles que lui, et je me demande si nous aurons l'honneur de figurer tous dans la Biographie nationale.

J'y trouve une liste de musiciens, appartenant tous à une même famille de Bruges. L'un est mort en 1829, un autre en 1830, un autre en 1849. On ne dira pas ici, comme pour les Acta sanctorum, que leur biographie est un moyen indirect de faire connaître les institutions de leur temps. Je ne conteste en rien le mérite de ces trois artistes, mais quel nombre incalculable de leurs confrères, auront droit à figurer à côté d'eux, si l'on ne veut s'exposer à commettre de criantes injustices !

Je puis citer dans la même catégorie un sieur Alsters que les députés de Gand ont pu connaître.

Il est mort en 1849 à Gand, où il était carillonneur de la ville ; il remplit ces fondions jusqu'à la démolition du campanile du beffroi en 1839. Pendant un demi-siècle, il fut maître de chapelle de l'église Saint-Martin, et composa, pour le service de cette chapelle, des morceaux de musique religieuse qu'on exécute encore.

Je rends hommage à son mérite. Je suis persuadé qu'on ne l'a point surfait, mais encore une fois, quel engagement on a pris en enregistrant ces gloires secondaires !

Voici, d'autre part, un homme fort distingué, un jeune professeur de l'Université de Louvain, qui est mort à l'âge de 24 ans, après avoir été lauréat d'un concours universitaire, un mathématicien qui promettait beaucoup, qui donnait les plus brillantes espérances. Cette carrière prématurément interrompue donne-t-elle des droits à figurer parmi les Belges célèbres ?

Voici un médecin au sujet duquel je me permettrai de consulter l'érudition de l'honorable M. Vleminckx, président de l'Académie de médecine :

« Anicius, médecin, soixante ans après Jésus-Christ. Ce personnage, que nous accueillons sous toute réserve, est le premier médecin belge connu ; il était natif de Tongres ou du pays des Tongrois. Fils de parents (page 469 libres et attaché, en qualité de médecin, à la première cohorte tongroise, comme le prouve l'inscription que nous donnons ci-dessous, il paraît avoir passé avec Agricola dans la Grande-Bretagne et y être mort en l'an 83, a l'âge de vingt-cinq ans,

« Une inscription latine qu'on a trouvée dans le Northumberland, près de la muraille de Sévère, résume ces détails ; la voici :

« Anicio - ingenuo-medico. - Ord. Coh. I. - Tungr.- VIX ann. XXV. »

Evidemment, messieurs, ce n'est point là de la biographie. C'est de l'archéologie tout au plus ; c'est la description d'une inscription trouvée sur une pierre funéraire. (Interruption.) Je ne dédaigne assurément pas l'archéologie ; c'est une science utile et respectable ; mais ce n'est point là de la biographie ; et personne n'a pu supposer que la Biographie nationale pût être rédigée dans cet esprit-là.

Je l'ai dit, il suffit d'avoir occupé une position élevée, pour mériter une place dans ce recueil national. Puis, à côté de l'histoire de certains personnages, on y trouve l'histoire des seigneuries et de tous ceux qui en ont porte le titre ; l'histoire, par exemple, de tous les seigneurs de la terre d'Alost.

Je ne conteste pas que parmi les. seigneurs d'Alost il n'y ait eu des hommes très distingués ; mais la circonstance qu'on a été seigneur d'Alost ne me semble pas suffire pour mériter de trouver place dans la Biographie nationale, s'appelât-on même Baudouin le Louche et eût-on été le héros de l'aventure que voici :

« A la tête d'un corps d'armée gantois, il marcha contre le comte de Hainaut, qui avait envahi la châtellenie d'Audenarde ; mais il fut entièrement défait et ne put empêcher le vainqueur de ravager cruellement sa terre. Peu après, avant sonné du cor avec trop de violence, une blessure qu'il avait reçue au front se rouvrit et laissa s'échapper une partie de la cervelle.

« Il crut ce mal sans remède et prit l'habi, religieux dans l'abbaye d'Afflighem, où il mourut au bout de quelques jours, en 1127. »

S'il y a eu de remarquables seigneurs d'Alost, il y a eu encore d'excellents curés en Belgique ; est-ce une raison pour que tous les bous curés figurent dans là Biographie nationale ?

Vient un officier pensionné dont voici l'histoire :

« Beaujot (Charles-Remi), capitaine pensionné, chevalier de l'Ordre de Léopold, né à Liège, le 13 juillet 1784, décédé en cette ville le 1er novembre 1855. Il servit successivement dans les armées française, hollandaise et belge et termina, en 1840, sa carrière militaire avec le grade de capitaine. Peu avant sa mort, il livra à l'impression un petit volume intitulé ; Relation de la captivité du capitaine Beaujot, ancien sergent-major sous l'empire français. Liège, Noël, 1856 (1855), in-18 de 151 pages. L'auteur y fait l'historique de la campagne de Portugal de 1810, et fournit d'intéressants détails sur le traitement des prisonniers de guerre, à bord des pontons anglais. »

Après ce capitaine, voici un orateur :

« Bedtsbrugge (Gilles Van), plus connu sous le nom de Belsbruggius, poète et jurisconsulte, né à Deynze, à la fin du XVème siècle. On possède peu de renseignements sur son compte ; on sait seulement qu'il était prêtre, qu'il célébra sa première messe le 8 mai 1524 et qu'à cette occasion il reçut en don du magistrat de sa ville natale, six lots de vin. Il semble, d'après ses écrits, qu'il passa une grande partie de sa vie à Paris et qu'il s'y livra à la culture de la poésie latine et à l'étude de la jurisprudence. On connaît de lui deux ouvrages latins, à savoir : i° De usura centesima, besse, triente, semisse, etc. advenus jurisperitos dissentientes ab Hermolao Barbaro, Veneto. - 2° Declarado de eo : an jurisconsulti sine eloquentiae ope jura civilia intelligere atque exponere possint, ad Nicolaum Beraldum. Parisiis, in-4°, 1524. Il en existe une seconde édition publiée la même année à Anvers.

« Sa réputation d'orateur fait comprendre toute l'importance que Betsbrugghe attachait à l'éloquence juridique. »

Les titres qu'avait Van Betsbrugghe à cette réputation d'orateur forment le seul détail dont la Biographie ne dise rien.

Il est vrai que le biographe nous apprend qu'on a très peu de renseignements sur son héros. Il était donc difficile d'en dire davantage.

Prenons M. Bekaert, Philippe-Jacques, professeur de langues, voyageur, né à Eecke-sur-l'Escaut, en 1782, mort en 1852. Il était fils de Pierre-François et de Marie-Thérèse Colbrandt et n'est guère connu que par ses publications. Nous savons seulement qu'il se fixa à Londres pendant plusieurs années, en qualité de professeur de langues et qu'il ne revint en Belgique que vers 1831. Il s'établit alors à Eecloo, comme instituteur, s'y distingua par l'instruction solide et variée qu'il y donnait à la jeunesse de cette ville ; puis en 1838 il alla résider à Gand, où il donna des leçons d'anglais dans différents établissements d'éducation.

« Etant jeune encore, il eut l'occasion de faire plusieurs voyages en Suisse, en Allemagne, en France, en Angleterre et en Italie. Il publia plus tard, dans quatre différents opuscules, le résultat des observations qu'il fit pendant ces diverses pérégrinations. Généralement écrites avec négligence, ces relations n'offrent que des impressions personnelles d'un intérêt médiocre et qui sont plutôt curieuses à cause du ton assez vif et original qui y règne. »

Parlerai-je du bienheureux Jean Berchmans, un saint moderne dont la biographie a été faite dans toutes les langues et dont la sainteté est le seul mérite ? Sa place est assurément réservée dans les Acta Sanctorum.

M. de Zerezo de Tejadaµ. - C'est une des illustrations du pays.

M. Hymans, rapporteur. - Si c'est une illustration, je demanderai la permission de m'informer sur quoi cette illustration est fondée,

Voici textuellement sa biographie :

« Berchmans (Jean), bienheureux religieux scolastique de la Compagnie de Jésus, né à Diest, le 13 mars 1599, mort à Borne, le 13 août 1621.

« Au milieu de la phalange d'hommes remarquables qui illustrèrent |a Belgique au XVIIème siècle, il est une figure douce, simple et sympathique qui apparaît comme une ombre idéale au milieu des préoccupations bruyantes et des troubles de cette époque. Son nom ne se rattache ni aux événements politiques, ni à l'histoire littéraire, mais il rappelle une de ces natures angéliques, qui ne semblent descendues sur la terre que pour remonter au ciel, en laissant derrière elle une trace lumineuse, et un suave parfum de vertu. Tel fut Jean Berchmans, dont l'histoire nous a conservé le souvenir et qui s'offre à nous comme le type de la plus aimable piété et de la plus candide innocence.

« Son père exerçait la profession de maître corroyeur et de cordonnier à Diest ; très estimé de ses concitoyens, il était en même temps échevin et président des decemviri ou conseillers communaux élus par le peuple. Sa mère se nommait Elisabeth Vanden Hove ou Van Hove. Les premières années de Jean Berchmans se passèrent au foyer paternel et dans la fréquentation des écoles. Il fit ses études humanitaires chez un respectable ecclésiastique de sa ville natale, le curé de Notre-Dame, dont le presbytère était, selon les usages du temps, une maison d'éducation préparatoire ou un collège en miniature. La langue latine y formait la principale branche d'enseignement. Berchmans l'apprit avec une rare facilité, et nous possédons de cet enfant de treize ans une élégie latine, pleine de verve et de riantes images.

« Les accents d'une tendre piété s'y trouvent mêlés, il est vrai, à une invocation de la muse Calliopée et du Dieu de Castalie, mais ce mélange bizarre du sacré et du profane n'a rien d'étonnant à l'époque de la renaissance des lettres. A l'âge de quinze ans, Berchmans dut s'arracher à l'affection de ses parents et de ses maîtres ; son père, qui venait d'éprouver des revers de fortune, l'envoya à Malines pour servir en qualité de domestique chez le chanoine Froymont, et pour y achever, en même temps, sous la surveillance de cet ecclésiastique, ses humanités. C’était à cette époque un moyen assez usité de faire des études à peu de frais, moyen dont l'usage subsista en Belgique et en Allemagne jusqu'au milieu du siècle dernier.

« A dix-sept ans, Berchmans avait terminé ses classes latines de la manière la plus brillante ; il fut reçu avec joie dans la Compagnie de Jésus, dont il avait fréquenté le collège à Malines, et après deux ans de noviciat dans cette ville, ses supérieurs l'envoyèrent à Rome pour commencer ses philosophiques. De même qu’à Diest et à Malines, il y devint un sujet d'édification générale et sut se faire aimer de tous ceux qui l'approchaient. Mais sa vie ne devait être qu'un court passage sur la terre : la troisième année de son séjour à Rome, il fut pris d'une fièvre pulmonaire aiguë et mourut, après quelques jours de maladie, au milieu des larmes de ses maîtres et de ses compagnons d'étude. Déjà durant sa vie, Jean Berchmans avait été considéré comme un saint ; plusieurs enquêtes sévères de l'Eglise vinrent confirmer plus tard l'opinion de ses contemporains, et Pie IX, par décret du 9 mai 1865, le plaça au rang des bienheureux.

« La maison où naquit Berchmans existe encore à Diest ; elle se trouve vers l'extrémité de la rue qui va de la Grand-Place à la rue du Castor. »

C'est là un genre d'illustration qui n'a certainement aucun lien avec l'histoire du pays.

M. de Zerezo de Tejadaµ. - C'était un beau caractère.

M. Hymans. - On me disait tout à l'heure qu'il ne fallait parler que des hommes qui avaient rendu des services extraordinaires au pays.

Je pourrais, messieurs, vous en citer d'autres de la même famille. Mais je me permettrai de poser une question à l'honorable M. Kervyn, qui, je pense, voudra bien y répondre et ne pourra s'empêcher de me donner raison.

L'honorable membre est un des collaborateurs les plus distingués de la Biographie nationale, et ce n'est certes pas moi qui chercherai à déprécier le (page 470) mérite de la collaboration d'un homme dont chacun reconnaît la science, à l'étranger comme en Belgique.

L'honorable membre a publié, dans ce recueil, une biographie intéressante a certains points de vue, je le reconnais, d'un certain Bertrand de Rains, un ménestrel, lequel joua, in illo tempore, le rôle de revenant et se fît passer pour Baudouin de Constantinople qui avait péri en Orient.

L'histoire du faux Baudouin est certes un épisode intéressant de l'histoire du moyen âge, et je comprends qu'on la raconte à propos de Baudouin de Constantinople, de son règne et du règne de sa fille Jeanne.

L'équipée de cet aventurier fut un des faits curieux des annales du comté de Flandre, et plusieurs écrivains distingués, parmi lesquels notre collègue, M. Coomans, y ont trouvé le sujet de romans émouvants.

Mais je demande si Bertrand de Rains, ce charlatan français qui est venu jouer ici le rôle de chevalier d'industrie, devait trouver place à côté d'un personnage utile et respectable, dans une Biographie nationale publiée aux frais du pays.

Je comprends que dans une histoire de la Flandre et du Hainaut, parlant de Baudouin de Constantinople, on s'occupe des aventures de ce trouvère ; mais l'honorable M. Kervyn ne parviendra pas à me démontrer que ce chevalier d'industrie venu de France et pendu ignominieusement aux halles de Lille, devait trouver une place spéciale dans la Biographie nationale.

Evidemment, comme le fait observer mon honorable ami, M. Orts, il faudrait, au même titre, placer dans une biographie française tous les faux Louis XVII. Encore seraient-be probablement des Français.

Encore deux citations avant de finir. J'admets que l'on mentionne certains personnages à cause de la position qu'ils ont occupée, mais cette simple mention suffit. Comprend-on, par exemple, l'espace consacré à Jacques Blasons, évoque de Namur, et plus tard de Saint-Omer, né à Bruges en 1640 ?

« Issu d'une famille honnête, mais peu favorisée de la fortune, il reçut la première éducation à l'école de Bogaerde, institution fondée à Bruges au XVIème siècle, etc.... Il s'y distingua d'une manière si extraordinaire qu'en récompense de ses succès, de généreux bienfaiteurs lui fournirent les moyens de faire un cours d'humanités.

« Après avoir terminé ses études, le jeune Blaseus entra au noviciat des Récollets à Douai. Il devint successivement professeur de théologie et provincial de son ordre. Les talents dont il était doué, et les brillantes qualités qui le distinguaient, attirèrent sur lui les regards de Philippe II. Par lettres patentes du roi, en date du 11 mai 1596, il fut nommé évoque de Namur. Cette nomination ayant été confirmée par le souverain pontife Clément VIII, au commencement de l'année suivante, Blaseus fut sacré à Bruxelles, le 23 novembre, par le nonce du pape, assisté des évêques d'Ypres et de Gand, et alla, peu de temps après, prendre possession de son siège. Il ne gouverna le diocèse de Namur que pendant trois ans et demi environ ; car, vers la fin de l'année 1600, il fut, sur la proposition des archiducs Albert et Isabelle, transféré à l'évêché de Saint-Omer. Ayant pris possession de son nouveau siège par procuration le 19 avril 1601, il fit son entrée solennelle à Saint-Omer le 7 mai suivant.

« Après avoir, pendant dix-sept ans, dirigé, avec une grande habileté, le troupeau confié à ses soins paternels au milieu des circonstances les plus difficiles, il légua, en mourant, à son église, la riche bibliothèque qu'il avait rassemblée ; il voulut, en outre, que tous les biens qu'il possédait au moment de sa mort fussent employés en œuvres pies. II fut enterré à la cathédrale, dans la chapelle de Saint-Jean l'Evangéliste. Au-dessus de son tombeau on lisait, sur une lame de cuivre, l'épitaphe suivante :

Hic jacet frater Jacobus Blasaeus

Quartus episcopus hujus ecclesia audomarensis

Qui obiit anno Domini M.DC.XVIII.

Mensis Martii die XXI.

Requiescat in pace.

« Le célèbre théologien François Luc de Bruges prononça l'oraison funèbre du prélat défunt aux obsèques solennelles qui furent célébrées à Saint-Omer.

« Blaseus avait un talent oratoire des plus remarquables, et possédait une connaissance approfondie des langues flamande et française. Aussi fut-il chargé de faire l'éloge funèbre de Philippe II aux funérailles qui furent célébrées pour le roi défunt, à l'église de Sainte-Gudule, à Bruxelles, le 31 décembre 1598. Ce discours a été publié etc.. »

Dans toute cette carrière, il n'y a que le fait de l'oraison funèbre qui mérite une mention. De quel intérêt sont les autres détails racontés par le biographe ?

Une citation encore ; ce sera la dernière. Il s'agit d'un graveur nommé Bargas.

« Bargas (F.-A.), graveur et dessinateur flamand, né à Bruxelles vers 1690 ; c’est du moins ce que disent Huber et Rosi. Immerzeel, sans indiquer la ville où cet artiste est né, n'hésite pas à lui donner la Flandre pour patrie. D'autres écrivains en ont fait un Français né à Toulouse vers 1659. Cette assertion offre beaucoup moins de probabilité que la première. L'on pourrait admettre, seulement, à cause du nom gascon de Bargas, que ce peintre était d’origine méridionale. Nous ferons observer, cependant, que la date de naissance, 1690, est bien difficile à admettre pour un artiste qui a gravé d'après Pierre Bout, né en 1658. A cette époque, les graveurs étant le plus souvent contemporains de leurs modèles, la version qui indique l'année 1659 comme celle de la naissance, nous satisferait mieux. On ne sait rien sur la vie de Bargas. On connaît de lui quatre paysages gravés d'après Bout : La Foire à la porte d'une ville ; la Foire de village ; Entrée des Fiancés à l'église ; la Noce de village. Ces estampes sont tantôt signées du nom de Bargas, et tantôt elles ne portent point de signature. En outre, il existe une suite de six paysages gravés par l'artiste d'après ses propres compositions. On ignore l'époque de sa mort. »

Ainsi, voilà un personnage dont on ne sait ni quand il est né, ni quand il est mort, ni ce qu'il a fait, ni ce qu'il n'a pas fait, et il figure dans la Biographie nationale, parce qu'on a trouvé quatre estampes sur lesquelles il y avait une signature, à laquelle il a fallu, à tout prix, attacher un nom.

Eh bien, messieurs, franchement, cela n'est pas sérieux.

Les théories que l'on invoque, que l'on improvise, ne peuvent pas tenir en présence de tels exemples.

En voilà, je crois, plus qu'assez pour justifier l'opinion de la section centrale. Elle n'a pas eu un instant l'idée de contester le mérite général de l'œuvre, ni le talent de ses auteurs.

Elle s'est bornée à demander que, pour l'avenir, la Biographie n'étant qu'à son début, l'on voulût bien la restreindre à de moindres proportions, et il m'a semblé que l'honorable M. Thonissen lui-même a laissé entrevoir quelque velléité de se rallier à cette opinion.

J'ajouterai que telle est l'opinion d'un des membres les plus éminents de l'Académie que j'ai eu l'occasion d'entretenir de ce sujet, et qui m'a dit : « Ce qu'il y a de mieux à faire pour la Biographie nationale, c'est de faire un triage dans les deux premiers volumes, d'en élaguer tout ce qui est inutile et de continuer la publication sur un plan modifié, plus simple, et plus concis, dans l’intérêt de l'œuvre elle-même et de manière que l'arrêté royal de 1845 soit exécuté selon l'esprit qui a présidé à sa rédaction. »

Maintenant, messieurs, il est une observation de la section centrale, dont l'honorable M. Thonissen n'a point parlé, et qui mérite, je pense, de votre part, quelques instants d'attention. Elle est indiquée en très peu de mots dans le rapport et elle a besoin de quelques développements.

Cette opinion est émise dans l'intérêt de la chose publique, dans l'intérêt de l'œuvre elle-même ; nous avons dit, et c'est l'expression unanime du sentiment des membres présents à la dernière séance de la section centrale, nous avons dit que nous ne comprenions pas que le gouvernement, payant la rédaction et l'impression de l'ouvrage, fût tenu de payer les exemplaires à l'éditeur au delà du chiffre de 59 que l'Académie veut bien mettre à sa disposition. En un mot, la section centrale attire l'attention du gouvernement et de la Chambre sur la nécessité de réviser le contrat avec l'éditeur qui accorde à l'Académie la propriété de l'ouvrage. C'est sur ce point que j'ai à donner quelques mots d'explication.

La Biographie nationale a été décrétée par un arrêté de 1845, en même temps que la publication de la collection des grands écrivains du pays, et des anciens monuments de la littérature flamande.

Un arrêté de la même date a réorganisé la Commission royale. Le ministre de l'époque voulait créer un ensemble d'institutions utiles.

Le règlement de la Biographie nationale approuvé par arrêté ministériel du 29 mai 1860, dit que l'Académie sera chargée d« la publication de la Biographie ; qu'elle peut s'associer pour le travail de rédaction des personnes étrangères à la Compagnie ; que la Biographie nationale sera publiée par volume de 500 pages au moins ; que l'on consacrera des notices à tous les hommes remarquables ; que les rédacteurs de l'ouvrage, recevront une indemnité par feuille d'impression ; que ceux qui ne résident pas à Bruxelles recevront une indemnité de déplacement chaque fois que le travail de la Commission les appellera à Bruxelles, et enfin qu'une allocation spéciale sera mise à la disposition de l'Académie pour lui permettre de couvrir les dépenses qui résulteront de l'exécution de l'arrêté.

Voilà donc, messieurs, une publication rédigée et publiée par des membres de l'Académie aux frais de l'Etat. C'est une question intéressante, au point de vue même de l'utilité de l'ouvrage, de rechercher qui en est propriétaire ?

M. Mullerµ. - C'est l'Etat. .

M. Hymans, rapporteur. - C'est aussi mon avis. Mais cette question de droit est controversée et peut être résolue de diverses façons.

(page 471) En 1858, à la suite d'un congrès qui se réunit à Bruxelles, pour la propriété littéraire, et dont l'honorable M. Hagemans a rappelé le souvenir, une commission, composée de jurisconsultes et de membres de l'Académie, entre autres M. Faider qui en était président, d'artistes et d'écrivains, parmi lesquels figuraient MM. Baron, Fétis, Geefs, Portaels, soumit au gouvernement un avant-projet de loi sur la propriété littéraire, lequel fut porté par l'honorable M. Rogier à la Chambre des représentants.

Dans l'exposé des motifs de ce projet, lequel n'était autre que le rapport de la commission spéciale présidée par M. Faider, on s'exprimait ainsi : « un droit de propriété peut-il appartenir à l'Etat sur les ouvrages publiés par son ordre et aux frais du trésor ?

« L'Etat représente l'universalité des citoyens ; en règle générale, les ouvrages qu'il publie doivent entrer immédiatement dans le domaine commun. »

La commission admettait qu'il pouvait y avoir des exceptions à cette règle si l'auteur de l'écrit s'était réservé un droit personnel.

Il en était de même aux yeux de. la commission pour les publications faites par les Académies ou d'autres corps savants légalement constitués.

Ainsi, d'après le ministre, qui présentait le projet de loi sur la propriété littéraire, les ouvrages publiés aux frais de l'Etat, même par les Académies, tombent immédiatement dans le domaine public. Et le projet de loi est formel ; il n'y a d'autres réserves que celles des conventions intervenues avec les auteurs, conventions qui n'existent pas dans le cas spécial qui nous occupe.

Le projet de loi fut renvoyé à une section centrale dont j'avais l'honneur de faire partie, et qui l'a fort laborieusement examiné. Je fus nommé rapporteur et je rédigeai un volumineux rapport, qui me coûta beaucoup de temps et de peine, et dont, hélas ! il n'a plus jamais été question. Mon rapport a été enterré, non dans cette nécropole qu'on appelle le bureau des renseignements, comme le disait le correspondant grec de l'honorable M. Rogier, mais il a péri dans le désastre d'une dissolution parlementaire. Le projet qui a sombré de la sorte n'a plus été représenté, et après avoir fait beaucoup de bruit de la propriété littéraire, on n'en a plus parlé.

Il est vrai qu'on a conclu des conventions nationales avec la plupart des pays de l'Europe pour la garantie respective des droits des auteurs. Mais il reste un grand nombre de questions à élucider, et la question de la propriété des ouvrages publiés par l'Etat, et par les Académies spécialement, en est une. Elle s'offre à nous aujourd'hui et réclame une solution.

Eh bien, la section centrale de 1859 ne partagea point l'avis du gouvernement. Elle ne fut pas d'avis que les œuvres, publiées par l'Etat et à ses frais devaient tomber sur-le-champ dans le domaine public.

Elle se rallia à l'opinion exprimée tout à l'heure, dans une interruption, par l'honorable M. Muller. Elle pensa que les ouvrages de cette nature devaient rester la propriété de l'Etat.

Il semble, au premier abord, que cette propriété de l'Etat doive nous mener à d'assez étranges conclusions, à faire considérer l'Etat, dans certaines circonstances, comme un spéculateur, comme un libraire.

Cette thèse a été défendue néanmoins, et avec éclat, en France, par des membres éminents de l'Académie française qui étaient en même temps membres de la chambre des députés ou de la chambre des pairs ; mais l'opinion contraire, celle du domaine public, a été soutenue, en revanche, par des esprits non moins distingués.

Le gouvernement belge, en 1859, apportait devant la Chambre cette doctrine, que les ouvrages publiés aux frais de l'Etat devaient tomber dans le domaine public. La section centrale a établi une distinction formelle entre le domaine public et le domaine de l'Etat ; elle rappela au gouvernement qu'il avait lui-même adopté un système contraire à celui du projet de loi, lorsque en 1851, par contrat, il avait concédé à deux éditeurs de Bruxelles la propriété du manuscrit de la Pharmacopée belge pour un terme de dix années, moyennant une somme de 8,000 fr. Selon les auteurs du projet de loi, ce travail, publié aux frais du trésor, devait tomber immédiatement dans le domaine commun, tandis que c'était, grâce à la cession faite par l'Etat qu'on était parvenu à payer aux auteurs de la Pharmacopée la rédaction de leur ouvrage. Nous rappelâmes au ministre que, lorsque le gouvernement français chargea les savants qui avaient fait partie de l'expédition d'Egypte, de publier la Description du pays, qui figure parmi les plus beaux monuments de la science, il statua que cet ouvrage resterait sa propriété, que la moitié du produit de l'opération serait remise aux auteurs, et que le reste serait affecté à l'encouragement des sciences et des beaux-arts.

Il en fut de même, plus tard, pour le Voyage en Morée, et le ministre de l'instruction publique insista vivement auprès de la chambre des députés pour qu'elle ne privât point l'Etat de cette ressource éventuelle autorisée par l'intérêt exclusif des arts et des sciences.

Vous voyez donc que, d'après les autorités les plus respectables, l'Etat peut tirer parti d'un ouvrage publié à ses frais.

Mais la doctrine contraire, celle de l'honorable M. Rogier et du Congrès littéraire, fut soutenue également par des hommes éminents, parmi lesquels je citerai M. Gustave de Beaumont. Celui-ci proposa un amendement ainsi conçu :

« Tout ouvrage publié par ordre de l'Etat et à ses frais tombe immédiatement dans le domaine public. »

Cette opinion fut vivement combattue ; l'amendement ne fut pas adopté ; mais il est bon de faire remarquer qu'on invoqua à l'appui de cette disposition un intérêt très grave ; on demandait entre autres que les Documents sur l'Histoire de France, publiés grâce à l'initiative de M. Guizot, pussent être mis, par des reproductions à bon marché, à la portée de toutes les bourses. C'est précisément ce que nous désirerions voir faire pour la Biographie nationale.

Quoi qu'il en soit, en 1858 ou 1859, le gouvernement vous a proposé de décréter le domaine public pour les œuvres publiées à ses frais. La section centrale demandait que la propriété fût réservée à l'Etat, mais la question ne fut point résolue, le projet de loi n'ayant pas été discuté.

Eh bien, messieurs, qu'est-il arrivé ? Dans le doute, l'Académie s'est attribué la propriété de l'œuvre.

M. Mullerµ. - A quel titre ?

M. Hymans, rapporteur. - C'est précisément la question que s'est posée la section centrale.

L'Académie s'est attribué la propriété de l'ouvrage ; ainsi, j'ai sous les yeux une copie du contrat qui a été signé avec l'imprimeur le 9 mai 1861, au nom de l'Académie royale de Belgique. Il y est dit, « que la Biographie nationale reste la propriété de l'Académie qui se réserve le droit de traiter pour la publication d'une deuxième édition, une année après la mise en vente du dernier volume, de la première, comme aussi d'autoriser la publication d'une traduction en langue flamande. »

M. Mullerµ. - Avec l'argent de l'Etat.

M. Hymans. - J'avoue que cette illégalité nous a frappés, et il nous a été impossible de ne pas placer à ce sujet une observation dans le rapport.

Comment ! l'Etat fait rédiger, aux frais du trésor, un travail comme celui-là ! Il est juste tout au moins qu'il en perçoive le produit. Or l'Etat ne reçoit rien.

Nous avons demandé à M. le ministre de l'intérieur au sein de la section centrale au profit de qui se vendaient les documents publiés par les soins de l'honorable M. Gachard et rapportés par lui des archives de l'étranger ; travail utile et dont personne, à coup sûr, ne demandera la suppression. La réponse se trouve dans le rapport même de la section centrale : « Ces publications se vendent au profit de l'Etat ; les sommes qui en proviennent sont versées au trésor. »

Nous nous sommes demandé pourquoi il n'en était pas de même de la Biographie nationale. Il nous semblait que l'Etat, ayant payé la rédaction de la Biographie et tous les frais préliminaires, aurait pu adjuger la publication à un éditeur et faire un bénéfice, comme on l'a fait en fait en France pour la publication du Voyage en Egypte et en Morée.

Aujourd'hui l'éditeur imprime l'ouvrage moyennant 1,200 fr. le volume. Il donne 500 exemplaires à l'Académie, qui en donne de son côté 59 à l'Etat, en lui laissant le droit de payer les exemplaires qu'il désire au delà de ce chiffre. Il vend les autres exemplaires à son profit.

C'est une spéculation qu'lf fait peut-être sans bénéfice pour lui-même, mais au détriment de l'Etat. Il est évident que si l'Etat le voulait, il trouverait un imprimeur, qui ferait la publication gratuitement et même qui en donnerait un prix déterminé à la condition que l'œuvre fût bonne et d'une vente facile.

Eh bien, messieurs, au lieu de cela l'Académie s'est constituée propriétaire.

L'honorable M. Muller demandait tout à l'heure de quel droit ?

Je demande aussi de quel droit ? L'Académie n'est pas personne civile.

L'Académie française jouit de la personnification civile ; la cour de cassation de France a reconnu à l'Académie française la propriété de son Dictionnaire ; mais jusqu'à présent, en Belgique, l'Académie ne jouit pas plus de la personnification civile que la Commission d'histoire, que la commission de statistique ou l'université de Louvain, et je ne sais à quel titre l'Académie, qui renferme un si grand nombre de jurisconsultes et même de jurisconsultes libéraux, met en pratique un système absolument différent.

L'Académie ne peut rien posséder ; les legs qui lui sont faits doivent être acceptés par l'Etat ; en un mot, l'Académie se trouve dans la même position qu'une commission quelconque.

Voyons les conséquences de celle singulière position : Je suppose qu'il paraisse une réimpression de la Biographie nationale, je suppose qu'il (page 472) plaise à un éditeur de faire ce que je demandais qu'on fît, c'est-à-dire de choisir dans les deux premiers volumes et plus tard dans tout l'ouvrage les biographies les plus intéressantes, d'élaguer tout ce qui ne présente pas d'intérêt et de faire de tout cela une publication spéciale qui aurait une vogue certaine, parce qu'elle se vendrait à bon marché et qu'elle constituerait précisément le service que le gouvernement a voulu rendre au pays. Je demande ce qui arriverait ? L'Académie n'aurait certes pas le droit d'ester en justice contre l'imprimeur.

Qui viendra donc plaider contre l'éditeur ? L'Etat arrangera l'affaire administrativement et le public se trouvera privé inévitablement du bienfait qui s'accomplit aux frais des contribuables et qu'un ministre intelligent et éclairé a voulu lui donner en 1845.

J'ai cru nécessaire d'appeler l'attention de la Chambre sur ce point. En fait, peut-être, le mal n'est pas grand. Le contrat signé avec l'imprimeur expire le 9 mai de cette année.

M. Bouvierµ. - Il est nul de plein droit.

M. Hymans, rapporteur. - Cela est incontestable, nous l'avons dit ; mais aussi comme il n'a été fait que pour cinq ans et que les cinq années expirent le 9 mai de cette année, il sera facile de résoudre la question à l'amiable. Elle est, comme je l'ai dit, d'une utilité générale ; le gouvernement, en décrétant la rédaction de la Biographie nationale, a voulu faire une œuvre utile au pays ; il a voulu, je suppose, vulgariser la connaissance de l'histoire nationale, en commandant ce travail collectif au premier corps scientifique du pays ; il a dû vouloir aussi que ce livre fût placé entre les mains du plus grand nombre de lecteurs possible, et non pas qu'on en fît un monopole académique.

Dans le système adopté, le monopole existe et le but ne sera pas atteint ; les proportions exorbitantes de l'ouvrage et la façon dont il est matériellement exploité vont à l’encontre des patriotiques intentions de. M. Van de Weyer et des ministres qui, après lui, se sont occupés de ce travail.

Tels sont les faits sur lesquels la section centrale appelle l'attention de la Chambre.

Comme je l'ai dit en commençant, il n'y a rien de malveillant pour personne dans mes critiques. M. Thonissen a cru y démêler quelque amertume. Mais la Chambre me rendra cette justice que je n'ai point mérité ce reproche. La section centrale rend justice aux écrivains de mérite qui ont apporté leur concours à cette œuvre utile. Elle n'a pas eu à juger ce qu'il y avait d'incontestablement bon et remarquable dans ce recueil. Ce qu'il renferme d'excellent se justifie de soi-même. Nous nous sommes bornés à signaler les détails inutiles et la façon quelque peu singulière dont l'Académie s'est attribué une propriété qui appartient à l'Etat, c'est-à-dire à tout le monde. J'ai dit.

MiPµ. - Je crois pouvoir donner quelques explications qui abrégeront peut-être ce débat. Je n'empiéterai du reste pas sur les observations que d'autres membres se proposent de présenter.

Il y a, messieurs, deux manières tout à fait différentes de concevoir une Biographie nationale.

L'honorable M. Hymans en a adopté une ; les rédacteurs de la Biographie nationale en ont adopté une autre.

On peut écrire une Biographie nationale dans le but de faire connaître les grands hommes de pays et faire, à cet effet, un ouvrage simple et élémentaire, destiné à être dans toutes les mains. C'est ainsi que l'honorable M. Hymans envisage la Biographie nationale.

Je reconnais parfaitement qu'une Biographie nationale, faite dans ces conditions, peut être une chose utile.

Mais une Biographie nationale peut être considérée à un tout autre point de vue ; elle peut être envisagée comme un recueil d'indications biographiques sur tous les hommes qui figurent dans notre histoire ; ouvrage qui n'est pas destiné à être répandu, mais qui renferme des documents intéressants pour quiconque désire trouver des éclaircissements sur certains points de l'histoire nationale. C'est le point de vue où s'est placée la commission qui rédige la Biographie nationale.

On comprend qu'une Biographie ainsi conçue ne réponde pas à ce que l'honorable M. Hymans en attend, comme celle qu'il a en vue ne répondrait pas aux desseins de la commission.

Il est incontestable que les rédacteurs de la Biographie nationale n'ont pas voulu faire un livre populaire, destiné à être répandu, comme le désire l'honorable M. Hymans.

Ils se sont proposé de chercher à rassembler, dans cette Biographie, tous les renseignements en allant très loin, qui peuvent, dans un moment donné, offrir une utilité quelconque.

Je ne prétends pas du tout que, dans la Biographie nationale en cours d'exécution, on n'ait peut-être pas été un peu loin dans cette voie ; je reconnais que mon honorable ami a relevé très spirituellement certains détails qui n'auraient pas dû trouver place dans cette œuvre, et je pense que, pour l'avenir, tout en conservant à l'ouvrage le caractère qu'il a eu dès le commencement, il sera bon que la commission chargée de le rédiger évite d'entrer dans des détails superflus. Je crois, du reste, qu'il aura suffi que l'attention de la commission soit appelée sur ce point pour qu'elle tienne compte des observations qui ont été présentées ici.

Quant aux contemporains, il y aura peut-être à reculer l'époque à partir de laquelle on les fera figurer dans la Biographie nationale. La commission devra aussi examiner si le terme de dix ans n'est pas trop court. Mais je ferai remarquer à l'honorable M. Hymans que, quel que soit le terme que l'on adopte, il sera toujours désagréable d'être mort quelques jours avant l'expiration du délai fixé. A cet inconvénient il n'y a rien à faire.

M. Mullerµ. - Les morts s'en consoleront aisément.

MiPµ. - La seconde observation que j'ai à faire est celle-ci. M. Hymans nous dit que l'Académie s'est réservé la part du lion ! Comment, s'écrie-t-il, le gouvernement a-t-il abandonné à l'Académie un ouvrage imprimé à ses frais ? Pourquoi ne s'en est-il pas réservé la propriété ?

Mais, messieurs, l'honorable M. Hymans a répondu lui-même à nos objections par une autre observation en faisant remarquer que l'Académie n'est pas un corps moral jouissant des droits d'une personnalité juridique. Au point de vue des droits civils, l'Académie n'est que la simple représentation du gouvernement ; elle n'a pas de personnification ; elle ne peut pas ester en justice ; elle ne peut pas contracter, elle ne peut pas recevoir de legs. L'Académie est ainsi une émanation de l'Etat ; tout ce que possède l'Académie est la propriété du gouvernement, comme ce que renferment nos musées.

Lorsqu'un legs est fait à l'Académie, c'est le ministre de l'intérieur qui accepte le legs et qui le met à la disposition de. l'Académie ; de même les autres droits sont en réalité dans le patrimoine de l'Etat.

Ce que l'honorable, M. Hymans critique, se passe tous les jours. Je fais très fréquemment la même chose pour le département de l'intérieur.

Quand je stipule pour le département de l'intérieur, qui n'a pas non plus de personnalité propre, je stipule pour l'Etat et l'Etat, dans cette fraction appelée département de l'intérieur, acquiert telle chose ou tel droit.

De même dans le cas qui nous occupe, ce n'est pas l'Académie qui devient propriétaire des objets sur lesquels porte le contrat, c'est l'Etat, qu'elle représente.

C'est mon honorable prédécesseur, M. Alphonse Vandenpeereboom qui a signé le contrat dont il s'agit, mais je me hâte de dire qu'il est irréprochable.

M. Hymans, rapporteur. - Mon observation porte sur deux points : sur la propriété littéraire de l'ouvrage et sur l'obligation où se trouve l'Etat de payer lui-même les exemplaires qu'il désire avoir, en dehors de ceux que l'Académie veut bien lui remettre.

MiPµ. - Messieurs, voici ce qui en est : La propriété est conservée à l'Etat aux termes du contrat qui est intervenu ; un an après l'édition pour laquelle un contrat est fait, le gouvernement peut faire publier une seconde édition.

L'Etat pourra donc, comme le propose l'honorable M. Hymans, publier une édition considérablement diminuée, et de laquelle on élaguera tout ce qui est détail de recherches historiques, de manière à avoir une biographie qui puisse être répandue dans tout le pays.

On a parlé de l'avantage assuré à l'imprimeur de tirer des exemplaires à part et de les vendre à son profit.

Messieurs, le contrat fait avec l'imprimeur n'est pas onéreux pour nous.

L'éditeur doit fournir 500 exemplaires de chaque volume, et il reçoit, de ce chef, 1,200 francs. C'est là un prix modéré ; il est vrai que l'imprimeur s'est réservé le droit de vendre d'autres exemplaires a son profit.

Je ferai remarquer à l'honorable M. Hymans que si l'imprimeur n'avait pas compté sur le débit d'un certain nombre d'exemplaires à son profit, il aurait augmenté la somme qu'il demandait à l'Etat pour chaque volume.

Je reste convaincu que l'imprimeur considère le contrat comme très peu avantageux pour lui et qu'il serait prêt à en faire un nouveau.

Au surplus, l'honorable M. Hymans dit que le livre ne se vend pas ; nous n'avons donc pas à nous préoccuper de la question de propriété littéraire.

Quelle doit être la conclusion de ce débat ?

On est d'accord pour ne pas condamner la Biographie nationale ; elle doit donc être maintenue.

Mais la commission ferait bien de tenir un compte sérieux des observations présentées par M. Hymans ; en agissant ainsi, on pourra produire les (page 473) volumes qui doivent encore paraître, dans un délai plus rapproché, et à un prix moins élevé.

Nous aurons ainsi une Biographie nationale complète, utile à tous ceux qui veulent des renseignements précis sur les hommes qui, à un titre quelconque, figurent dans nos annales.

Lorsque cet ouvrage sera terminé, on pourra en élaguer les détails trop spéciaux, retrancher les biographies des hommes qui n'ont pas une illustration incontestable, et on fera une Biographie nationale qui répondra au désir de M. Hymans.

M. Thonissenµ. - Je serai très court, parce que je répondrai seulement à la partie sérieuse du discours de M. Hymans. Je ne répondrai pas à ses plaisanteries. Ma réponse sera d'autant plus concise, que l'honorable ministre de l'intérieur a déjà fait valoir quelques-unes des considérations que je me proposais de développer.

Il faut d'abord que je fasse bien comprendre ma pensée au sujet des noms qui méritent de figurer dans la Biographie nationale. J'ai indiqué, à cet égard, trois catégories de personnages et non pas une seule, comme semble le croire l'honorable M. Hymans. Je ne veux pas seulement y faire entrer les hommes utiles ; je désire y voir figurer à la fois les hommes illustres, les hommes célèbres et les hommes utiles. Ne me demandez donc pas quels sont les services rendus au pays par le duc d'Albe et qui l'ont fait admettre dans la Biographie nationale. Il y figurera comme tous les hommes qui ont marqué dans l'histoire de notre pays.

Quel est le mode de procéder de l'honorable M. Hymans ?

Les volumes qui ont paru renferment cinq à six cents biographies. L'honorable membre en prend une douzaine, qu'il croit susceptibles d'être critiquées, et il se met à jeter le ridicule sur l'œuvre entière.

C’est là une manière par trop commode de déverser la critique. Donnez-moi n'importe quel recueil un peu considérable, et j'y trouverai facilement une douzaine de pages pouvant donner lieu à quelques plaisanteries.

Evidemment, ce n'est pas là un procédé digne de l'honorable membre, digne du parlement belge. Remarquez, messieurs, que je parle en homme désintéressé, car je ne suis l'auteur d'aucune des biographies critiquées par l'honorable M. Hymans.

L'honorable M. Orts, interrompant l'honorable M. Hymans, s'est écrié qu'en France les biographes se montrent plus sévères. L'honorable député de Bruxelles se trompe complètement. En France, on va beaucoup plus loin, et je vais en fournir la preuve.

II y a une Biographie française très célèbre et très répandue ; c'est celle de Firmin Didot, publiée par le docteur Hoeffer. Je viens d'en parcourir assez lestement le premier volume. Or, voici les personnages dont j'ai trouvé les biographies dans les trente premières pages. Je citerai leurs noms, avec l'indication du nombre de lignes qu'on leur a consacrées : Aldebrand van der Aa, huit lignes ; Aagard, trois lignes ; van der Are, six lignes ; Assim, quatre lignes ; Abaco, cinq ligues ; Abaisi, trois lignes ; Aballa, quatre lignes.

Du reste, je ne cite pas ces détails pour faire le procès à la Biographie générale d'Hoeffer. Comme je l'ai déjà dit, il est toujours facile de trouver, parmi plusieurs centaines de notices, quelques-unes qu'on peut critiquer.

Aussi suis-je vraiment étonné que l'honorable ministre de l'intérieur, se ralliant à l'opinion de l'honorable M. Hymans, soit venu nous dire que les proportions de notre Biographie, nationale sont trop vastes et qu'il y a lieu de se montrer plus sobre à l'avenir.

En supprimant une douzaine de notices, que gagneriait-on ? Une demi-douzaine de pages fout au plus ! Est-ce là un résultat si désirable ?

J'arrive à un objet plus sérieux : ce sont les biographies des saints. Aussitôt qu'un saint figure quelque part, on est toujours sûr de voir M. Hymans monter sur la brèche et rompre une lance en faveur des idées modernes.

Sous ce rapport, messieurs, le discours de l'honorable M. Hymans n'est pas neuf ; je l'ai lu il y a six mois, par conséquent bien longtemps avant l'époque où a paru le budget de l'intérieur.

Pour les saints, l'honorable M. Hymans est seul de son opinion. Je ne parle pas, remarquez-le bien, de l'avis des catholiques ; je parle des savants, des historiens, des hommes instruits. On peut nier l'action du catholicisme dans le présent, on peut, à cet égard,soutenir une foule de systèmes. .Mais ce qu'on ne peut nier, ce qui est évident, ce qui est clair comme le soleil, c'est que, pendant plusieurs siècles, l'action de l'Eglise fut prépondérante, décisive dans les affaires européennes. Comment donc pourrait-on faire disparaître les saints de l'histoire ?

Cela n'est pas possible.

Voyez ce qui se passe.

Le ministre anglican Rees a publié, aux frais d'une société archéologique anglaise, toute une collection de vies de saints catholiques.

Le protestant hongrois Schofarick, qui a si largement contribué à la renaissance de la littérature et de l'histoire slaves, s'est fait l'éditeur d'un nombre considérable de vies de saints.

Dans le recueil des anciens historiens allemands, publié par Leibnitz, une large place est accordée aux vies des saints.

Pertz, l'illustre historien allemand, dans son vaste recueil intitulé : Monumenta germaniae historica, a publié un grand nombre de légendes de saints catholiques.

Vous n'êtes donc pas juste en faisant des plaisanteries sur les saints belges. Ils ont joué un rôle immense dans l'histoire du pays, et ce qui le prouve surabondamment, c'est que beaucoup de villes doivent leur origine à des saints. Je citerai seulement Liège, Gand, Bruges, Mons, Malines, Nivelles, Soignies, Saint-Trond, Stavelot, Saint-Hubert, Antienne, Malmedy.

Les saints qui figurent dans la Biographie nationale ont marqué parmi leurs contemporains. Ils y figurent comme personnages marquants et importants à leur époque, comme hommes ayant laissé des traces dans l'histoire du pays.

Je le sais bien. Quand on voit le premier volume de la Biographie nationale, contenant la lettre A, on est frappé du nombre de personnages religieux qui y figurent. En voici une explication bien simple. Nos saints nationaux appartiennent pour les neuf dixièmes à l'histoire du moyen âge. Or, tous les hommes instruits savent que la plupart des noms propres au moyen âge commencent par la lettre A. Rien d'étonnant dès lors que vous rencontriez dans le. premier volume beaucoup plus de noms de saints que vous n'en trouverez dans les volumes subséquents.

L'explication a certainement sa valeur.

L'honorable M. Hymans a parlé également de personnes récemment décédées. .II a cité l'avocat Bartels et le professeur Baron.

Il nous a dit : Le professeur Baron ne figure,pas dans la Biographie et l’avocat Bartels y figure. Ici encore, la réponse est bien facile.

On s'est demandé à quel moment il convenait de rédiger la biographie des personnages contemporains.

Evidemment, il n'était pas possible d'y procéder immédiatement après leur décès. Divisés comme nous les sommes par nos dissentiments politiques, ce système aurait des inconvénients qu'il n'est pas nécessaire de signaler. On a donc décidé que la Biographie des contemporains ne pourrait se faire que dix ans après leur mort.

C'est, selon moi, une règle fort rationnelle. Quand un homme, utile ou un homme célèbre vient à mourir, pour qu'on puisse bien le juger, il faut laisser passer quelques années sur sa tombe. Il faut attendre que l'opinion de la postérité ait commencé à se prononcer.

Eh bien, qu'est-il arrivé ? Lorsqu'on a publié la livraison contenant la lettre. B, M. Baron n'était pas mort depuis dix ans.

M. Hymans. - C'est ce que j'ai dit ; il faudra faire un supplément. .

M. Thonissenµ. - Evidemment on fera un supplément, et si vous aviez lu la décision de la commission, vous auriez vu qu'elle annonce un supplément.

L'honorable ministre de l'inférieur a émis le vœu de voir marcher la publication beaucoup plus lestement ; je le désirerais aussi, mais il y a de grandes difficultés à surmonter. La Biographie nationale n'est pas rédigée seulement par des membres de l'Académie ; l'Académie a fait un appel à tous les dévouements, à tous les hommes instruits, avec la plus grande impartialité. Les protestants ont été invités à rédiger les vies des protestants du XVIème siècle, et les libres penseurs ont la faculté de décrire la carrière des libres penseurs. Malheureusement, quand une même œuvre à une centaine de collaborateurs, il est difficile qu'on ne rencontre pas quelques retardataires ; et il suffit qu'un seul reste en arrière pour arrêter la publication des notices subséquentes.

Du reste, ce n'est qu'en Belgique qu'on montre une si grande impatience.

Voyez l'Histoire littéraire de la France, cette grande œuvre commencée par les bénédictins, et continuée par l’Institut. Il y a plus d'un siècle que le premier volume a paru et nous sommes bien loin encore de voir publier le dernier.

Ne montrons pas, messieurs, à l'égard des œuvres nationales, une rigueur qui pourrait être mal interprétée au delà de la frontière. Dernièrement un Français illustre m'écrivait : « A voir ce qui se passe chez vous, on dirait que, sur le terrain littéraire, l'esprit national des Belges est l'esprit de dénigrement. »

Quant à la question de propriété soulevée par l'honorable M. Hymans, elle préoccupe depuis longtemps l'Académie. Sur ce point, l'honorable M. Kervyn, membre de la commission de la Biographie nationale, répondra à ma place.

(page 474) M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, l'honorable M. Hymans, en commençant et en terminant son discours, a reconnu que l'œuvre de la Biographie nationale était à la fois patriotique et utile ; mais entre cet exorde. et cette péroraison abondent des critiques très vives, très amères.

Je me demande, messieurs, lorsqu'il s'agit d'un travail aussi considérable, qui exige des investigations aussi nombreuses, des recherches aussi laborieuses, s'il n'est pas profondément regrettable qu'on vienne décourager ceux qui s'y livrent, qu'on vienne compromettre et menacer de ruine l'avenir de l'œuvre elle-même.

Quels sont donc les griefs de l'honorable M. Hymans ?

D'une part, c'est la dépense exagérée de la publication, et cependant j'ai entendu l'honorable M. Hymans lui-même déclarer que lorsque chaque, volume devait coûter 5,000 IV., l'éditeur se contentait d'un subside de 1,200 fr. Cette dépense, qui se reproduira tout au plus deux fois par an, est-elle donc excessive ?

Mais l'honorable M. Hymans insiste sur un autre point : il fait remarquer que dans les listes provisoires on a fait figurer jusqu'à 11,000 noms, et il se demande quelle sera, après le choix définitif, la valeur des noms, toujours fort nombreux, qui seront maintenus.

Messieurs, il y a quelques années déjà, le secrétaire-rapporteur de la commission de la Biographie nationale, c'était M. Edouard Félis, répondit d'avance à ce reproche en s'exprimant ainsi :

« Quelques personnes, en parcourant les listes déjà publiées, ont été surprises d'y trouver un assez grand nombre de noms qui frappaient, pour la première fois leurs regards ; elles ont exprimé des doutes sur l’intérêt, qu'offrirait l'ouvrage, où seraient réunies des notices consacrées à tant d'hommes obscurs. Ces personnes n'ont pas songé que la Biographie nationale sera surtout un livre utile, parce qu'elle fera connaître des hommes tombés dans l'oubli, malgré les services qu'ils ont rendus à leur pays, qui leur avaient valu l'estime de leurs contemporains. »

Il n'y a pas fort longtemps, messieurs, que dans un ouvrage, publié en France et consacré à l'histoire de l'art à la fin du moyen Age, dans l'un des plus précieux ouvrages qui aient paru sur cette, époque, l'auteur (M. le comte Léon de Laborde) disait que si la Belgique reculait devant la tâche patriotique de faire connaître au monde tous les hommes qui l'avaient illustrée, ce travail se ferait à l'étranger.

Cette lâche, messieurs, c'est la nôtre ; c'est à nous qu'incombe la revendication de nos propres gloires ; c'est à nous de fouiller nos propres archives, d'y rechercher les témoignages de nos efforts, de nos progrès, les monuments de notre ancienne civilisation, les preuves de notre activité intellectuelle.

Cette tâche, nous avons cru, messieurs, qu'elle n'appartenait pas à l'étranger, mais bien à nous, et nous venons vous demander de nous aider à la poursuivre.

Y a-t-il eu erreur, exagération dans notre soin jaloux d'évoquer trop de souvenirs, de rappeler trop de noms ?

Dans le domaine, des arts, il existe, il est vrai, des toiles précieuses qui rappellent des talents éminents et qui cependant sont l'œuvre d'artistes dont le nom est à peu près inconnu ; et lorsque l'honorable M. Hymans disait tout à l'heure, à propos d'un artiste dont je n'ai pas saisi le nom : « On ne sait rien de sa vie, » je lui répondrai : « Il suffit qu'il ait laissé des chefs-d'œuvre pour que son nom même, sans autres données, ait le droit de figurer dans la Biographie nationale. »

Je sais bien que ce système a quelques inconvénients. Il est admis aujourd'hui que lorsqu'un peintre a fait entrer quelques tableaux dans un musée, lorsqu'un écrivain a composé quelques livres déposés dans une bibliothèque, lorsqu'un musicien a laissé après lui quelques œuvres musicales, chacun d'eux a le droit de figurer dans un dictionnaire biographique.

Ce système, je viens de le dire, a des inconvénients : car il suffit souvent d'avoir peint un mauvais tableau, d'avoir écrit un mauvais livre, d'avoir composé quelques morceaux de musique sans grande valeur pour avoir le droit de posséder une biographie.

Mais, messieurs, cela ne se voit pas seulement en Belgique, cela existe partout, car on a voulu qu'à côté de toute œuvre qui figure dans un catalogue on pût trouver une biographie qui, au moins succinctement, fît connaître l'auteur.

M. Hymans, rapporteur. - Mais il n'y a pas de maître de piano qui n'ait publié une dizaine de polkas.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je ne puis apprécier en ce moment les œuvres des peintres et des artistes morts depuis une période plus ou moins longue, dont a parlé l'honorable M. Hymans ; mais il est probable que ces œuvres ont produit, dans leur temps, une certaine sensation.

Quoi qu'il en soit, messieurs, l'adoption de ce système exigeait des compensations. Il ne fallait pas que, dans un travail consacré a la Belgique, on ne fît figurer que des musiciens, des littérateurs, des artistes. La vie d'une nation n'est pas purement intellectuelle, elle est aussi politique ; et lorsque la commission de la Biographie nationale a eu à s'occuper du cadre de l'œuvre qu'elle allait entreprendre, elle a été frappée de l'impérieuse nécessité de conserver toutes les traces de la vie politique du pays aussi bien que de sa vie intellectuelle ; et elle a cru qu'il était de son devoir de présenter une œuvre scientifique complète où l'on pourrait, avec la même facilité, chercher les noms des hommes qui ont marqué dans l'art ou dans les sciences et les noms de ceux qui ont rempli un rôle considérable dans l'histoire politique du pays.

Et qu'on ne se figure pas que la Biographie nationale doit être un recueil d'éloges comme Thomas en écrivait au XVIIIème siècle ; que c'est un Panthéon national où (erratum, page 485) l'on n'entre qu'à raison d'éminents services.

Telle n'a pas été la pensée de la commission de la Biographie nationale et je lis dans les procès-verbaux les plus anciens, cette rédaction qui est de M. Ed. Fétis, l'auteur du rapport que j'ai cité tout à l'heure (M. Ed. Félis s'exprimait ainsi à propos d'un supplément destiné aux étrangers) :

« On y comprendra les hommes qui ont pris une part importante soit aux événements politiques, soit au progrès des lettres, des sciences, des arts, de l'industrie, etc. »

C'est ainsi, messieurs, qu'on a été amené à faire figurer dans la Biographie nationale certains noms politiques que l'honorable M. Hymans a dénoncés tout à l'heure à l'indignation du pays : je veux parler de celui du duc d'Albe.

Permettez-moi, messieurs, d'entrer à ce sujet dans quelques détails.

Dans la séance, du 2 avril 1862, où siégeaient (il est bon, messieurs, de constater ces noms) MM. de Saint-Genois, Gachard et Polain, délégués de la classe des lettres ; MM. Quelelet, Van Beneden, Stas, Dewalque et Kickx, délégués de la classe des sciences ; MM. François Fétis, Edouard Félis, Van Hasselt, de Busscher et Siret, délégués de la classe des beaux-arts (j'y assistais également), on eut à examiner quels seraient les souverains qui figureraient dans la Biographie comme princes nationaux.

L'on décida, messieurs, que Charles-Quint serait le dernier qui y prendrait place à ce titre. Sans discussion, à l'unanimité, ou exclut Philippe II et le même jour on décida, également sans discussion, qu'on ferait figurer dans la Biographie nationale les gouverneurs généraux, les ministres plénipotentiaires, les archevêques, les évêques, les chefs et présidents du conseil privé, parce que sans ces hommes qui ont été, à différentes époques de notre histoire, les représentants de l'autorité, on ne pouvait pas faire l'histoire politique du pays.

Mais qu'on ne se méprenne pas sur le point de départ de la commission.

J'ai déjà dit tout à l'heure qu'on ne voulait pas écrire des éloges. Nous avons tous compris que lorsque nous avions une Biographie nationale à rédiger, et surtout quand il s'agissait d'hommes politiques, nous devions rester fidèles aux règles de l'impartialité.

Eh bien, messieurs, c'est ce que. nous avons fait, c'est ce que nous ferons. La biographie du duc d'Albe. sera écrite, par M. Gachard' ui, mieux que personne, connaît le 16ème siècle et qui, par cela même, sera plus juste et plus impartial que personne.

M. Hymans, rapporteur. - Mais de quel droit avez-vous exclu Philippe II comme prince belge ?

M. Kervyn de Lettenhove. - L'honorable M. Hymans n'insistera pas, je pense, pour faire considérer comme prince belge Philippe II, qui parut à peine sur notre sol, qui n'éprouva jamais aucun sentiment belge, qui ne fut et ne sera jamais pour nous qu'un prince espagnol.

Il est maintenant une question toute personnelle, sur laquelle j'ai à m'expliquer. Je ne crois pas mériter les éloges qu'a bien voulu m'adresser l'honorable M. Hymans.

- Plusieurs voix. - Si ! si !

M. Kervyn de Lettenhove. - A coup sûr, en ce qui touche la Biographie nationale, je ne mérite pas ceux qui s'adressent à des écrivains distingués qui ont pris une part importante à la rédaction des deux volumes qui ont déjà paru.

J'avoue que d'autres occupations m'ont empêché de prendre une part active de collaboration ; et dans cette série de 500 à 600 articles déjà mis au jour, je ne crois pas en avoir écrit plus de 4 ou 5. C'est bien peu de chose, je le confesse ; néanmoins, parmi ces 4 ou 5 articles qui m'appartiennent, il y en a deux qui ont frappé l'attention de l'honorable M. Hymans, et qui tous les deux ont été l'objet de ses critiques, de sa censure. L'un de ces articles concerne Jacques d'Artevelde.

M. Hymans, rapporteur. - Je n'en ai pas parlé.

M. Kervyn de Lettenhove. - Vous en aviez déjà parlé, je pense.

M. Hymans, rapporteur. - J'ai parle de Bertrand de Rains.

(page 475) M. Kervyn de Lettenhove. - Je veux dire que vous vous en êtes occupé hors de cette enceinte.

M. Hymans, rapporteur. - Jamais.

M. Kervyn de Lettenhove. - Du reste, je crois avoir apprécié très impartialement Jacques d'Artevelde ; et en tout cas, je n'aurais pas à me plaindre de la critique que j'attribuais à l'honorable M. Hymans puisqu'on reprochait à ma notice biographique d'être trop courte.

M. Hymans, rapporteur. - C'est une erreur ; je n'en ai jamais parlé.

M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai écrit une autre biographie, celle du trouvère Bertrand de Rains, que l'honorable M. Hymans a appelé (j'ai écrit sous sa dictée) un charlatan français, un chevalier d'industrie.

Messieurs, je n'accepte pas les épithètes données à ce trouvère. Certes, messieurs, ce fut une existence bien étrange, bien aventureuse, que celle de ce ménestrel qui un jour se trouve prince d'un pays important, et qui, quelques jours après, confesse son imposture et est conduit au gibet. Si le rôle historique de Bertrand de Bains se bornait à cela, je comprendrais fort bien le reproche que m'a adressé l'honorable M. Hymans. Mais cela n'est pas exact au point de vue historique. D'abord Bertrand de Rains n'était pas un charlatan français ; il était né en Champagne, mais à une époque où la Champagne était l'ennemie de la royauté française. Et dans quelle circonstance s'est-il présenté dans notre pays, quel rôle, y a-t-il rempli ? C'était le lendemain de la bataille de Comines, lorsque la Flandre gémissait sous l'oppression française, lorsque le sentiment national était surexcité par ses douleurs et que le peuple appelait de ses vœux le retour de Baudouin de Constantinople, dont la mort même n'avait pu effacer le glorieux souvenir.

C'est dans ce moment-là qu'un homme se présente à la Flandre et lui dit : « C'est moi qui suis Baudouin de Constantinople ; je vous relèverai de votre oppression, je vous rendrai votre puissance, votre honneur ! » Et cet homme que fait-il ? 1Iltraite avec le roi d'Angleterre (aujourd'hui encore nous avons (erratum, page 485) un texte authentique du traité conclu entre le roi d'Angleterre et Bertrand de Bains) ; il s'allie au roi d'Angleterre pour rendre à la Flandre son indépendance et ses libertés. Cet homme a été un imposteur, je le veux bien, mais il avait derrière lui et en lui-même peut-être une pensée éminemment patriotique ; et par cela même que nous voulons conserver dans notre histoire la trace de tous les grands événements qui se sont succédé, nous ne pouvions pas faire disparaître cette étrange et remarquable figure, où l'homme est peu de chose, mais où le sentiment patriotique se révèle puissant et vivace.

Voilà pourquoi Bertrand de Rains figure dans la Biographie nationale.

J'ai épuisé, messieurs, la question littéraire ; je demanderai seulement à dire quelques mots de la question financière et administrative dont l'honorable M. Hymans s'est occupé à la fin de son discours.

L'honorable M. Hymans a, je pense, fait une confusion complète.

La position de la commission royale d'histoire et celle de l'Académie sont essentiellement différentes. La commission royale est une institution gouvernementale, et bien qu'il y ait une formule d'arrêté assez vague qui porte que la commission royale rentrera dans l'Académie, il n'en est pas moins vrai qu'à une époque antérieure, cette commission n'avait jamais fait partie de l'Académie.

La commission royale d'histoire est nommée par le Roi ; elle a un budget spécial ; elle ne peut disposer d'aucun exemplaire de ses publications sans l'autorisation ministérielle.

Tout ce qu'elle édite est vendu au profit du trésor. Voilà quelle est la position de la commission royale d'histoire.

Mais telle n'est pas celle de l'Académie.

L'Académie se complète directement par l'élection ; elle a son budget ; elle règle ses dépenses ; elle donne ou vend ses publications. C'est de l'Académie que relève la commission de la Biographie nationale ; par conséquent, elle peut librement disposer de ses exemplaires, aussi bien que l'Académie elle-même.

Voilà quelle est la situation des choses, et vous ne pourriez condamner ce qui se fait pour la Biographie nationale que lorsque vous blâmeriez en même temps ce qui s'est toujours fait pour l'Académie.

Tout à l'heure j'ai entendu M. le ministre de l'intérieur insister sur la situation légale de l'Académie, comme ne vivant que par délégation de l'Etat, comme ayant une existence précaire.

J'avoue que telle est aujourd'hui la situation des choses ; mais elle me paraît regrettable. J'ajouterai qu'à différentes époques l'Académie s'en est profondément émue ; et si je ne me trompe, deux jurisconsultes éminents qui siègent dans son soin, MM. Leclercq et Faider, ont été chargés de présenter en son nom de pressantes remontrances au gouvernement.

En effet, tandis qu'en France l'Institut jouit de la personnification civile qu'il exerce de la manière (erratum, page 485) la plus foavorable, dans l'intérêt des lettres, l'Académie de Belgique, qui a reçu successivement d'importantes libéralités, notamment celle de M. le baron de Stassart, se trouve dans une position relativement inférieure.

M. Jacobsµ. - On donne au Jardin zoologique la personnification civile qu'on refuse à l'Académie !

M. Coomans. - Les bêtes sont toujours bien traitées par le budget.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je ne veux pas traiter aujourd'hui cette question qui se présente incidemment ; elle est trop importante. ; mais je persiste à croire que, dans l'intérêt des lettres, il faudrait que le premier corps savant du pays eût une existence différente de celle qu'on lui fait aujourd'hui.

Il serait d'un bon exemple de voir des legs nombreux venir se joindre aux libéralités que l'Académie a déjà reçues pour développer de plus en plus le goût des lettres et des arts dans un pays dont les lettres et les arts resteront toujours les plus nobles traditions.

M. Hagemansµ. - Deux mots seulement, messieurs.

Il serait, comme le disait tantôt M. le ministre de l'intérieur, désirable que le travail de la Biographie nationale pût marcher le plus activement possible. Il y aurait peut-être, pour arriver à ce résultat, un moyen que j'ai l'honneur de vous soumettre. Ce serait de diviser cette Biographie en deux séries : la première série comprendrait les noms des Belges qui auraient réellement mérité d'y figurer, jusqu'en 1830. Une seconde série comprendrait les noms de ceux qui se. sont illustrés en Belgique depuis que celle-ci s'appartient. De cette manière, les auteurs rencontreraient moins d'entraves, moins de retards, entraves et retards qui, sinon, surgiront chaque jour sur leur route, puisque chaque jour la mort moissonne. A l'aide de deux séries, chaque nom nouveau trouverait sa place dans cette nécrologie nationale, qui permettrait d'activer les travaux de la biographie embrassant les époques antérieures, et celle-ci serait, en grande partie, débarrassée ainsi des exigences d'un ordre alphabétique sans cesse remanié.

M. Kervyn de Lettenhove. - Si j'ai bien compris l'honorable M. Hagemans, il vient d'émettre le vœu que le travail de la Biographie nationale ne comprenne désormais que des personnages décédés avant 1830.

C'est là, je. pense, l'observation de l'honorable M. Hagemans.

M. Hagemansµ. - Dans la première série.

M. Kervyn de Lettenhove. - La seconde série arriverait à une époque indéterminée et assurément fort éloignée. Cela me paraît présenter un très sérieux inconvénient.

Le but de la Biographie nationale est de faire revivre le souvenir de tous les grands événements et de tous les hommes qui y ont pris une part notable.

Eh bien, messieurs, ne serait-il pas regrettable de faire disparaître ainsi ceux qui se sont associés au mouvement de rénovation politique de 1830 et qui sont les fondateurs de nos institutions ? N'ont-ils pas droit à ce jugement impartial qui est déjà un hommage rendu à leur mémoire ?

M. Hymans, rapporteur. - Je crois, avec M. Hagemans, qu'il y aurait avantage à étendre le délai fixé par l'Académie pour la publication des biographies des contemporains ; je voudrais qu'au lieu de publier la vie de ces personnages dix ans après leur mort, on attendit au moins un quart de siècle.

Ce serait un double avantage. Il y aura moins de suppléments à faire et les auteurs se trouveront dans de meilleures conditions d'impartialité.

Impartialité et promptitude, voilà le double avantage de cette modification.

Il est vrai qu'il n'y a pas lieu d'espérer qu'on en tiendra grand compte. L'honorable M. Kervyn de Lettenhove nous oppose les droits de l'Académie. Je respecte beaucoup l'Académie, niais je crois devoir rappeler à l'honorable M. Kervyn que ce n'est pas elle qui a institué la Biographie nationale ; c'est le gouvernement qui a chargé l'Académie de ce travail, et si la compagnie, par un règlement qui est son œuvre, a décidé qu'elle donnerait place dans son Recueil à tous les personnages marquants dont la mort remonterait à dix années, le gouvernement conserve le droit de modifier ce règlement. Il est vrai qu'il l'a approuvé une première fois, mais on approuve généralement en pareille matière, on n'aime pas à discuter des questions de ce genre avec le premier corps savant du pays, surtout quand il se permet de « faire des remontrances » au gouvernement. L'Académie se place volontiers au-dessus des lois.

Il y a quelques années, dans une section centrale, nous avons entendu des observations sérieuses à propos de la façon dont l'Académie publie ses Mémoires et ses Bulletins.

(page 476° L'Académie a la prétention d'avoir son imprimeur ; mais elle a, en outre, l’intention de ne pas mettre l'impression de ses travaux en adjudication, c'est-à-dire qu'elle viole tous les jours la loi de comptabilité : voici qu'elle réclame la personnification civile par l'organe d'un de ses membres.

En attendant que cette question soit jugée, je crois qu'il est de notre devoir d'inviter le gouvernement à transmettre nos observations à l'Académie. J'espère qu'il en résultera tout au moins la suppression des personnages décèdes depuis moins de vingt-cinq ans. De cette façon nous empêcherons, à défaut d'autre chose, que la Biographie nationale, qui doit être un livre impartial avant tout, ne devienne une œuvre de camaraderie.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je ne prolongerai pas ce débat. Je ferai seulement remarquer que lorsqu'il s'agit de publications savantes comme celles qui .émanent d'une Académie, le système d'adjudication est souvent impossible et ne conduirait qu'à des résultats fâcheux.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Articles 103 et 104

« Art. 103. Observatoire royal ; personnel : fr. 18,540. »

- Adopté.


« Art. 104. Observatoire royal ; matériel et acquisitions : fr. 8,600. »

- Adopté.

Article 105

« Art. 105. Bibliothèque royale ; personnel ; frais de la fusion des trois fonds de la Bibliothèque royale et frais de la rédaction du catalogue général : fr. 44,500. »

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, dans ses dernières sessions, la Chambre a été saisie à plusieurs reprises de plaintes fort légitimes sur l’insuffisance des locaux de la Bibliothèque royale et notamment sur l'insuffisance de la salle de lecture.

Je suis heureux de reconnaître que M. le ministre de l'intérieur, s'occupant avec sollicitude de cette question, a pourvu d'une manière très convenable à ce que de nouveaux locaux fussent assurés à nos précieuses et nombreuses collections. Mais je pense, et je le dis avec regret, qu'il n'en a pas été de même en ce qui touche la salle de lecture.

On ne peut se dissimuler, messieurs, que le nombre des lecteurs devient de jour en jour plus considérable. On comprend davantage, dans l'art et dans l'industrie, qu'il faut s'instruire pour obtenir quelque succès, et le nombre des lecteurs s'accroît tous les jours, parce que l'intérêt même bien entendu ordonne de s'éclairer.

Je suis convaincu, messieurs, que la nouvelle salle de lecture sera tout à fait insuffisante pour répondre à sa destination.

Voici quel était l'état des choses : il y avait deux salles de lecture, l'une pour les imprimés, l'autre pour les manuscrits ; à l'avenir, il n'y en aura plus qu'une seule, et au lieu d'obtenir un agrandissement de local, la nouvelle salle aura moins d'étendue que les deux anciennes.

J'ai revu aujourd'hui les bâtiments, la nouvelle salle n'a que huit mètres de largeur, mesurée en dehors de l'hémicycle où l'on établira le bureau du conservateur.

Si l'on pouvait déplacer l'escalier qui doit conduire, à la salle de lecture, on obtiendrait un local très satisfaisant. Je n'en dirai pas davantage sur ce point puisque la Chambre a hâte d'en finir ; mais j'ai encore deux autres observations à présenter.

En dehors des ouvrages imprimés, d'autres collections scientifiques importantes se trouvent dans une position très regrettable, je veux parler du musée d'histoire naturelle. Depuis quelques années les découvertes géologiques ont élargi les horizons de la science, et d'importantes exhumations des temps les plus reculés ont été faites par nos savants, et notamment par l'honorable M. Dupont, qui est maintenant chargé de classer ces collections. Or, l'espace manque complètement. C'est donc avec un vif regret que j'ai vu M. le ministre de l'intérieur disposer d'une partie des locaux en faveur du musée de l'industrie, et si j'insiste sur ce point, c'est parce que cette décision de M. le ministre de l'intérieur qui n'est, je pense, que provisoire, doit conduire à d'autres résultats d'une nature bien plus grave encore. Il s'agit, en effet, de placer un laboratoire de chimie au-dessous des collections les plus précieuses, je veux parler de celles.de la bibliothèque de Bourgogne. Ceci est si grave que la commission du Musée des tableaux anciens s'est émue et a adressé au gouvernement de vives représentations. On ne peut pas se dissimuler le danger qui existe. Tous les jours la chimie fait de nouveaux progrès, mais les recherches mêmes auxquelles elle se livre présentent les dangers les plus incontestables. Nous ne pouvons oublier ce qui est arrivé à Quenast par une explosion de nitroglycérine.

Eh bien, messieurs, placer un laboratoire de chimie au-dessous des manuscrits de la Bibliothèque de Bourgogne, à côté de la Bibliothèque nationale, à côté du musée de tableaux, cela me paraît un immense danger, et je conjure M. le ministre de l'inférieur, au nom même de la sollicitude qu'il porte à nos trésors artistiques et à nos trésors littéraires, de ne pas persister dans une résolution que je considère comme infiniment regrettable.

MiPµ. - Il n'est rien qui puisse, comme les critiques de genre de celles qui viennent d'être faites, plus engager un ministre à s'abstenir de rien innover, de vouloir rien améliorer.

On me reproche les mesures que j'ai prise pour la Bibliothèque royale. et ces mesures ont pour but, comme pour effet, de donner à la Bibliothèque royale les plus magnifiques locaux qu'elle ait jamais pu espérer. Elle conserve tout ce qu'elle a, elle s'étend considérablement, elle prend ce qu’il y a de mieux dans les bâtiments du musée, et nous entendons des réclamations !

Si je l'avais laissée dans l'état où elle se trouvait, ces réclamations ne se fussent pas élevées. La Chambre va juger de ce qu'elles valent.

La Bibliothèque occupe aujourd'hui l'aile droite du palais de l'industrie. ; ses locaux forment le premier étage de cette aile ; elle occupe en outre la partie gauche du rez-de-chaussée du bâtiment central. D'un côté sont les imprimés, de l'autre les manuscrits. Ces deux parties sont donc à des étages différents, et séparées par la partie droite du bâtiment central.

Telle est sa situation actuelle ; voici ce que les dispositions nouvelles ont pour but de réaliser.

Toute la partie du premier étage formant la partie de droite du bâtiment central, est ajoutée à la section des imprimés, et une immense salle de plain-pied avec la bibliothèque actuelle y est ajoutée.

La section des manuscrits est reportée au premier étage au-dessus des locaux qu'elle occupe ; elle a donc les mêmes locaux qu'aujourd'hui, mais à l'étage au lieu du rez-de-chaussée. Ainsi toute la bibliothèque se trouve avoir, sans interruption, le premier étage de l’aile gauche et du corps central du bâtiment.

Ce n'est pas tout. Au centre du bâtiment principal, et ainsi précisément entre la section des imprimés et la section des manuscrits, on a disposé la salle de lecture, qui sera commune aux deux sections. Cette salle sera suffisante pour répondre à tous les besoins. M. Kervyn prétend cependant qu'il y aura moins d'espace pour les lecteurs qu'autrefois.

Mais voici comment il arrive à cette critique.

Il y avait deux salles de lecture, la salle de lecture de la bibliothèque des imprimés et la salle de lecture de la bibliothèque des manuscrits.

La salle de lecture des imprimés était toujours pleine, elle était tout à fait insuffisante. Celle des manuscrits, au contraire, qui se confond avec la bibliothèque même, était presque toujours vide ; elle ne reçoit que quelques rares savants.

Il est bien clair qu'en confondant les deux salles en une seule, et en leur donnant un même espace, on aura atteint le but, puisque la masse des lecteurs, pressée aujourd'hui dans la salle trop petite des imprimés, profitera de l'excès d'espace de la section des manuscrits.

Or, c'est ce qui a été fait ; la nouvelle salle est assez vaste pour satisfaire à tout ce que réclament les besoins du public, et M. Kervyn n'arrive à le méconnaître qu'en oubliant de nous dire quelle considérable augmentation d'espace les lecteurs des livres trouveront dans la nouvelle salle, en y réservant une place très large pour les lecteurs de manuscrits.

Si la Chambre avait un doute, la vue des plans la convaincrait pleinement.

Pour l'organisation de la bibliothèque, j'ai envoyé, à Paris pour faire étudier les installations de la Bibliothèque impériale, afin d'introduire ici toutes les améliorations réalisées dans ce dépôt, l'un des plus considérables du monde.

On a parlé, messieurs, du laboratoire de chimie.

Ce laboratoire est, depuis des années, au rez-de-chaussée du musée. On désirait depuis longtemps établir à Bruxelles une école industrielle, la ville n'avait pas de local convenable. J'ai pensé qu'on pourrait consacrer les locaux du musée de l'industrie, qui ne servait absolument à rien, à établir provisoirement l'école industrielle ; cette école aura un laboratoire de chimie dans les conditions où il se trouve.

D'après la convention faite avec la ville, l'école industrielle sera donc établie, pour un terme strictement fixé, au musée. Après ce terme, la ville se procurera un local, et les salles du musée seront destinées à recevoir les collections d'histoire naturelle dont a parlé l'honorable M. 'Kervyn.

Il faut bien remarquer, messieurs, que les recherches faites à Anvers et dans d'attirés localités du pays ont produit des matériaux considérables dont le classement sera très long. Ce n'est que lorsque ce travail sera terminé que l'on pourra installer les objets.

(page 477) On a donc réalisé par les dispositions que j'ai prises, d'abord une organisation parfaite de la bibliothèque publique de Bruxelles, ensuite la création d'une institution utile, d'une école industrielle, et enfin on aura après cela des locaux parfaitement convenables pour y installer les collections.

(page 479) M. Coomans. - M. le ministre vient de nous dire qu'il a envoyé à Paris des savants chargés d'observer le nouveau système adopté dans les grandes bibliothèques de cette ville.

Ce système de lecture, je le connais. J'en ai été victime. Je le déclare détestable et j'espère bien que les émissaires de M. le ministre, que je ne connais pas, reviendront avec la conviction que j'ai l'honneur de formuler.

Le nouveau système de lecture, adopté notamment a la Bibliothèque impériale, n'est bon que pour MM. les fonctionnaires, qui restent assis et qui ne se donnent plus la peine de répondre aux demandes qui leur sont faites.

Aujourd'hui voici ce qui se passe : l'observation est importante, parce qu'on m'a assuré que le même système. va être pratiqué chez nous. Mais avant de vous dire ce qui se passe, laissez-moi dire ce qui se passait avant le prétendu progrès accompli.

Vous entriez dans une grande bibliothèque de Paris, la Bibliothèque Richelieu, par exemple ; vous demandiez un livre que vous connaissiez, plus souvent un livre que vous ne connaissiez pas, et les honorables savants étaient tout disposés à vous aider ; ils consultaient leurs souvenirs, ils réveillaient les vôtres et vous remettaient le livre qu’il vous fallait, dont, le plus souvent, vous ne pouviez indiquer le titre, ni même l'auteur. C'était une immense facilité pour le lecteur.

Aujourd'hui, à Paris, sous prétexte de progrès, on pratique un système qui éloigne le lecteur. Vous entrez et vous êtes obligé, d'abord, de signer une pancarte assez développée, vous devez y indiquer votre nom, votre profession, le lieu de votre naissance, votre demeure a Paris, le numéro de votre demeure, le titre exact du livre que vous désirez avec le nom de l'autour ; puis, quand vous avez subi toutes ces formalités, vous allez au bureau, devant l'un des messieurs qui y trônent (il y en a 5 ou 6). Le premier vous renvoie à un second, lequel vous renvoie à un troisième ; puis vous arrivez à la catégorie de savants indiquée, par le règlement de l'institution. Si vous ne désignez pas exactement le livre, vous ne l'obtenez pas et on vous refuse tout éclaircissement. Voilà ce qui m'est arrivé à plusieurs reprises.

Ce système, qu'on croit perfectionné, est très mauvais ; il rend inutiles ou impossibles les excellents bibliothécaires que, j'ai connus autrefois à Paris, à Bruxelles et à Gand. Aussi, j'espère bien que M. le ministre de l'intérieur ne l'importera pas en Belgique.

(page 477) MiPµ. - Ce que j'ai fait examiner à Paris, c'est le système de classement des livres, la disposition des rayons afin de rendre, si possible, le service plus facile, et de mieux utiliser l'espace.

Maintenant, messieurs, permettez-moi de réparer un oubli. A propos du laboratoire dont a parlé M. Kervyn, j'ai dit que ce laboratoire existait, mais qu'on n'y ferait que quelques expériences. J'aurais dû ajouter que ce laboratoire se trouve au rez-de-chaussée, qui a une voûte d'une telle épaisseur qu'elle écarte toute idée de danger, non seulement d'incendie, mais d'explosion ; elle défie tout ce que les quelques expériences que l'on fera à ce laboratoire pourraient tenter.

- La séance est levée à 5 heures.