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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 2 décembre 1868

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1868-1869)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 87) M. Dethuin, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Reynaert, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance,

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dethuinµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Par deux pétitions, des habitants de Liège demandent la réorganisation de la garde civique. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par dépêche du 1er décembre, M. le ministre de l'intérieur transmet des explications sur la pétition du conseil communal de Frameries ayant pour objet une interprétation de l'article 69 paragraphe 3 de la loi communale. »

- Dépôt au bureau des renseignements.

Composition des bureaux des sections

M. le président. - Voici la composition des bureaux des sections du mois de décembre.

Première section

Président : M. Lefebvre

Vice-président : M. de Moor

Secrétaire : M. Visart

Rapporteur de pétitions : M. de Macar


Deuxième section

Président : M. Bouvier-Evenepoel

Vice-président : M. Nélis

Secrétaire : M. de Vrints

Rapporteur de pétitions : M. T’Serstevens


Troisième section

Président : M. Van Iseghem

Vice-président : M. Jacquemyns

Secrétaire : M. Bieswal

Rapporteur de pétitions : M. Mouton


Quatrième section

Président : M. Jonet

Vice-président : M. de Maere

Secrétaire : M. Schmidt

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Cinquième section

Président : M. Julliot

Vice-président : M. Le Hardy de Beaulieu

Secrétaire : M. Descamps

Rapporteur de pétitions : M. d’Hane-Steenhuyse


Sixième section

Président : M. Van Overloop

Vice-président : M. Jouret

Secrétaire : M. de Rossius

Rapporteur de pétitions : M. Beke

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1869

Discussion générale

M. Jonetµ. - La plupart des provinces ont émis, a plusieurs reprises, le vœu de voir supprimer toutes les barrières. Cédant aux sollicitations générales, le gouvernement a supprimé les barrières sur ses routes, en prenant à sa charge seize cent mille francs sur le chiffre de deux millions sept cent mille francs, auquel s'élevaient les recettes annuelles sur toutes les routes du pays. Il a donc ainsi rendu plus facile la suppression des barrières provinciales, communales et concédées, puisqu'il ne reste plus qu'à trouver onze cent mille francs, au lieu de 2,700,000.

Je pense donc que le gouvernement ferait chose utile en engageant les provinces à supprimer leurs barrières. C'est non seulement, pour elles, un acte de justice, et d'équité de suivre l'exemple que le gouvernement leur a donné, mais aussi un acte éminemment favorable aux intérêts de leurs administrés.

Car, d'une part, les 49/50 sont payés par les habitants mêmes de la province, et d'autre part, les frais de perception du droit de barrière s'élèvent à plus de 30 pour cent ; tandis qu'il serait facile de trouver, pour remplacer ce droit, un impôt dont les frais de perception seraient six fois moindres, c'est-à-dire qu'ils n'atteindraient pas cinq pour cent.

Les habitants trouveraient, dans l'adoption de cette mesure, des avantages considérables résultant et de la circulation devenue libre, et du développement de l'industrie, du commerce et de l'agriculture.

Les provinces, de leur côté, feraient bien d'employer leur influence auprès des quelques communes qui jusqu'ici n'ont pas voulu, par un certain égoïsme, supprimer les barrières, pour les engager à prendre cette détermination. Elles leur feraient comprendre que le produit des barrières communales, comme celui des barrières provinciales, est payé, pour les 49/50, par les habitants de la commune.

J'engagerai le gouvernement, pour les provinces et les communes qui ne voudraient pas céder à ses sollicitations, à examiner, lorsqu'il y aura des subsides à donner pour les routes, s'il ne serait pas convenable d'être parcimonieux avec celles-ci et d'être plus large avec les provinces et les communes qui auraient mis à exécution cette utile réforme. Les provinces pourraient, près des communes récalcitrantes, user de moyens analogues.

En ce qui concerne le rachat des routes concédées, j'engagerais le gouvernement et les provinces à se mettre en rapport avec les concessionnaires et à traiter avec eux, pour autant que leurs prétentions ne seraient point déraisonnables.

Ainsi disparaîtrait, dans le pays entier, à la satisfaction générale, la dernière entrave à la libre circulation.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je dois une courte réplique au discours de l'honorable ministre des finances. Mais, avant d'entrer en matière, je dois adresser une observation à l'honorable M. Coomans,

Cet honorable membre m'a félicité hier du courage que j'aurais montré en abordant les questions que j'ai soumises hier à la Chambre.

Je déclare à l'honorable membre que je n'ai fait preuve, en cette circonstance, d'aucune espèce de courage. J'ai soumis à la Chambre et au pays les opinions que je me suis formées en étudiant consciencieusement les documents à l'appui du budget que j'avais à examiner. Je les ai exprimées loyalement, autant dans le but d'appeler la contradiction et de m'éclairer ainsi moi-même que d'appeler l'attention du pays sur cette situation.

Je regretterais vivement qu'il fallût du courage pour exprimer son opinion dans cette enceinte et j'espère donc que nous n'aurons jamais à en montrer.

Messieurs, en commençant son discours, l'honorable ministre des finances a qualifié hier de romans économiques les opinions et les faits que j'ai produits. J'espérais qu'il aurait essayé de démontrer cette assertion, mais heureusement la fin de son discours en a complètement contredit le commencement, puisqu'il a terminé en exprimant la même opinion que j'avais émise.

Je ne désespère pas, messieurs, si un jour nous sommes appelés à former une association pour la réforme des impôts et des dépenses publiques, que je ne puisse inscrire l'honorable ministre des finances parmi les premiers membres de cette association.

L'honorable ministre nous a fait un reproche de ne pas avoir produit, dans les sections, les opinions que nous sommes venus émettre devant cette Chambre.

Comme ce reproche pourrait exercer une certaine, influence sur ceux qui lisent les Annales parlementaires, je tiens à dire comment les choses se passent, afin que le pays sache que nous ne sommes pas tout à fait responsables de la longueur des discours que nous sommes quelquefois appelés à faire dans cette enceinte.

Voici ce qui arrive très souvent.

Le budget des voies et moyens, par exemple, est déposé sur le bureau. Quelques jours après, le lendemain quelquefois, il est envoyé en sections.

Comment voulez-vous qu'en aussi peu de temps on puisse étudier une matière aussi vaste, aussi importante et aussi compliquée ; qu'on puisse discuter utilement, dans ces sections souvent peu nombreuses, ces diverses questions ? On ne peut donc souvent y présenter que quelques observations de détail, et encore faut-il pour cela être au courant des budgets précédents et pouvoir, au premier coup d'œil jeté sur ce document, saisir les différences qu'il peut présenter avec les budgets précédents.

Ce n'est donc qu'en section centrale, généralement, qu'on peut discuter utilement toutes ces questions ; eh bien, il arrive souvent, chose assez singulière, que, pour être appelé à faire partie de la section centrale, il faut approuver les recettes ou les dépenses proposées, et que, si l'on fait des objections, on n'est pas élu. L'influence que j'ai signalée hier paraît avoir une action assez grande jusque dans cette enceinte, pour écarter de la section centrale presque tous les membres qui seraient tentés de faire de l'opposition aux propositions du gouvernement.

Ce n'est donc qu'ici, en séance publique, que l'on peut utilement pour nous, comme pour le pays, aborder les discussions et faire des propositions, s'il y a lieu.

L'honorable ministre, en disant que j'avais tout au moins exagéré la situation que je vous ai présentée, a trouvé aussi très extraordinaire que j'eusse confondu les dépenses provinciales, les dépenses communales et même les dépenses des bureaux de bienfaisance et des hospices avec le budget de l'Etat.

(page 88) Je dois cependant faire remarquer à l'honorable ministre que les ressources nécessaires à ces dépenses sortent des mêmes bourses. Les budgets des provinces, comme ceux des communes, sont formés au moyen de centimes additionnels aux recettes de l'Etat ; et, quand les centimes additionnels ne suffisent pas, elles établissent des impositions spéciales qui s'adressent toujours aux mêmes contribuables.

Donc, en recherchant quels sont les moyens de faire face aux dépenses croissantes et de l'Etat et des provinces et des communes, il faut bien examiner l'ensemble de nos ressources, sans quoi ce serait avec beaucoup plus de raison que l'honorable ministre pourrait me reprocher de n'avoir pas tenu compte d'éléments très considérables dans l'appréciation de la fortune publique et des charges du pays.

Quant aux bureaux de bienfaisance et aux hospices, s'ils ont des ressources particulières, des propriétés, des rentes ou d'autres revenus, il n'en est pas moins vrai qu'ils dépendent aussi, en grande partie, des secours qu'ils puisent dans les budgets communaux et autres. Et d'ailleurs si ces ressources particulières n'existaient pas en faveur des bureaux de bienfaisance et des hospices, elles rentreraient dans la circulation, elles feraient partie de la fortune publique, qui serait augmentée d'autant et qui aurait ainsi d'autant plus les moyens de satisfaire aux besoins de l'Etat. Je n'ai donc pas commis une erreur économique ni débité un roman financier en exposant la situation.

L'honorable ministre, pour atténuer ce que présentait de sombre l'exposé que je vous ai fait hier, nous a présenté un tableau de l'augmentation progressive, continuelle du produit des impôts de consommation, de tous les impôts qui sont la conséquence de l'augmentation de la population.

Quand, en 1830, le royaume de Belgique a été constitué, il n'avait guère plus de 4 millions d'habitants ; aujourd'hui, il a atteint le chiffre de 5 millions, et comme une grande partie des impôts pèse sur la consommation, il est évident que leur produit doit progresser constamment tant que la population augmentera également. Le jour où il n'y aura plus augmentation du produit des impôts de consommation, c'est que la population restera stationnaire, c'est que la richesse publique diminuera, et alors il sera grand temps de s'arrêter énergiquement dans la voie où nous sommes lancés.

Mais une chose console l'honorable ministre : il avoue que nous avons une dette qu'il a qualifiée lui-même d'assez forte ; mais cela est représente en grande partie, dit-il, par des travaux publics. L'Etat a une contre-valeur à opposer à la dette publique qui a été créée. Cela peut être vrai, je ne dis pas non, pour certaines parties du pays ; mais je représente précisément un arrondissement qui depuis trente ans a contribué pour plus de 50 millions aux charges résultant des travaux publics exécutés aux frais de l'Etat, et dans lequel seulement on n'a pas exécuté pour un centime de travaux publics à charge du trésor ; mais où, de plus, ceux qui ont été exécutés ailleurs ont détruit des industries qui y florissaient avant l'établissement de ces travaux.

Nous sommes donc dans une position à ne pas nous réjouir du tout des dépenses que l'Etat a faites dans ce sens-là ; ou, si nous nous en réjouissons, ce n'est pas par égoïsme, au contraire.

Messieurs, si je voulais entrer dans les détails, je devrais prolonger considérablement la réplique, très courte, que je veux faire à M. le ministre des finances. Cependant, je ne puis pas m'empêcher de faire remarquer qu'un budget plus particulièrement celui de l'intérieur, d'après les tableaux qui nous ont été soumis, a plus que triplé depuis 1840 ; je me demande si les services que ce même ministère nous a rendus se sont accrus dans la même proportion.

Hier, je me suis efforcé de provoquer une réponse sur ce point, du moins au point de vue général, et j'ai demandé si en 1840, époque à laquelle nous dépensions 110 millions, nous n'étions pas aussi bien gouvernés qu'en 1868, époque à laquelle nous dépensons 175 millions...

Je demande, pour le budget de l'intérieur particulièrement, si en 1840, avec 4 millions, il ne rendait pas les services que le pays pouvait exiger de lui ; s'il y avait des lacunes et si le pays se plaignait de ces lacunes...

MfFOµ. - Où avez-vous puisé les chiffres que vous citez ?

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Dans le tableau, page XXXVII, dont vous avez fait précéder le budget des voies et moyens. Le résultat définitif du budget de l'intérieur pour 1840 y est indiqué au chiffre de 4,190,000 fr. dans l'avant-dernière colonne, tandis qu'il est porté, pour 1865, à 11,710,000 fr., plus 2,010,000 fr. de crédits spéciaux ; total, 13,720,000 fr. Voilà les chiffres officiels qui ne seront sans doute pas contredits.

M. Mullerµ. - Toujours sans instruction primaire et moyenne, sans une bonne voirie vicinale !

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Voilà donc un budget qui a subi un accroissement considérable, et je dois dire que, tout en admettant qu'une population de 5 millions d'habitants ait plus de besoins qu'une population de 4 millions ou 4,500,000 habitants, il me semble qu'en 1840 le. pays se tirait parfaitement d'affaire...

M. Mullerµ. - Sans organisation d'enseignement primaire ni d'instruction moyenne, sans encouragement au développement de la voirie vicinale ! Cela est trop fort.

M. Hymans. - Je demande la parole.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Oui, vous aurez la parole ; M. le président vous l'accordera très volontiers pour me répondre ; et je suis tout prêt à écouter ce que vous voudrez bien me dire pour me réfuter. Mais je constate des faits, je prends les tableaux et je signale qu'entre autres budgets il en est un qui est plus que triplé. Vous justifierez ces dépenses, je n'en doute pas, à votre point de vue ; mais je me demande, à mon point de vue, si le pays ne se tirait pas d'affaire aussi bien ou à peu près aussi bien en 1840 qu'aujourd'hui ?

L'honorable ministre a également émis hier une théorie que je ne puis accepter. Parlant de la dette publique dont j'avais donné le chiffre nominal, il me dit :

« Mais nous ne devons pas cette somme, nous devons cent millions de moins. »

Faisant ensuite le calcul d'après le cours actuel de la Bourse, il nous disait : Nous ne devons que 530 millions au lieu de 635 que j'avais indiqués.

Je. voudrais bien savoir si l'honorable ministre des finances, pouvant réaliser immédiatement les fonds nécessaires pour rembourser la dette, si, dis-je, les créanciers admettraient son calcul et s'ils seraient satisfaits de recevoir le montant de leurs créances autrement que d'après le taux nominal des prêts qu'ils ont consenti à nous faire ?

Cela est si vrai que le 4 1/2 p. c, par exemple, est aujourd'hui au-dessus du pair et cependant nous ne devons le rembourser qu'au pair. Nous n'avons pas pris d'autre engagement envers nos créanciers du 4 1/2 p. c. et si nous avions les fonds nécessaires pour amortir cet emprunt, nous pourrions sans aucune déloyauté le rembourser au pair, alors même qu'il aurait en Bourse un cours beaucoup plus élevé.

Ce qui le prouve, c'est que, si cela n'était pas ainsi, il dépendrait des créanciers de l'Etat de ne jamais permettre le remboursement de la dette publique. Ils n'auraient qu'à pousser le taux de la rente au-dessus du pair, et de cette façon il ne nous serait jamais possible de nous débarrasser de nos créanciers. De même, lorsque nous avons emprunté à un taux inférieur, on nous a prêté une somme moindre que le taux nominal, mais cependant nous nous sommes engagés à rembourser au taux du pair ; sans cela il eût été inutile et superflu d'indiquer un taux nominal à la dette contractée. Si ces emprunts n'atteignent pas leur taux nominal, c'est que le crédit suffisant nous manque. La preuve, c'est qu'en France le 3 p. c. ne s'élève pas au delà de 70 à 75 p. c, tandis qu'en Angleterre le 3 p. c. a souvent atteint ou touché au pair.

Le taux nominal est donc le chiffre des engagements pris par la nation, c'est donc à juste titre que j'ai pris ce taux pour mesurer l'étendue de nos obligations.

L'honorable ministre des finances trouve la situation excellente.

Messieurs, je n'ai pas de doute que, dans un moment de prospérité relative comme celui où nous nous trouvons, dans un moment de sécurité, sans crise, sans ralentissement dans les affaires, nous soyons dans une situation, non pas excellente, mais supportable...

M. Bouvierµ. - C'est déjà une concession.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Le pays paye ses charges loyalement, largement même, parce que toutes les branches de l'industrie sont dans une certaine activité.

Mais ce que j'ai voulu faire comprendre hier, c'est qu'il y a des crises possibles, et très graves, peut-être.

Je me suis demandé, et j'ai demandé hier à la Chambre ce que le pays deviendrait, si, les charges étant portées, en temps normal, au taux où nous les avons aujourd'hui, nous étions obligés tout à coup, dans un moment de très grandes difficultés, à les porter à un taux beaucoup plus considérable ! Supposons une guerre ; mais en deux ou trois mois, nous dépenserions trois ou quatre cents millions, sans compter les pertes de toute nature. Je demande avec quelles ressources nous ferions face à ces besoins.

Après la guerre, il faudrait bien faire face aux intérêts des emprunts nouveaux qu'on aurait contractés à des taux usuraires ; comment parviendriez-vous à couvrir ces dépenses ?

(page 89) C'est pour prévoir ces éventualités que je recommande, en temps de paix, la plus grande parcimonie possible dans les dépenses publiques. Nous n'avons pas le droit de faire des largesses et d'employer des ressources qui peuvent être nécessaires pour nous sauver dans un moment de crise.

Nous avons un exemple très récent de ce que peut faire une nation qui n'est pas chargée de dettes, qui n'est pas écrasée par des impôts exorbitants.

Est-ce que les Etats-Unis auraient pu sortir de la crise dans laquelle ils ont été plongés, il y a sept ans, s'ils avaient eu d'avance des charges considérables ? Auraient-ils pu créer, en deux ou trois ans de temps, vingt milliards de dettes, s'ils avaient eu des budgets portés au taux où nous les connaissons en Europe ? Il est évident que non. Ils auraient succombé à la tâche ; au lieu de les voir sortir victorieusement d'une lutte où les principes de la civilisation entière étaient engagés, ils y auraient succombé et peut-être aurait-on vu alors se produire, aux Etats-Unis, ce qui s'est manifesté près de chez eux, c'est-à-dire des tentatives de conquête étrangère.

Messieurs, je me résume. Ce que j'ai voulu et ce que je voudrais faire comprendre à la Chambre et au pays, c'est qu'il est temps, non plus d'augmenter nos dépenses, mais d'arriver à les réduire notablement.

Parmi les dépenses que je considère toujours comme les plus dangereuses, figure la dette publique. Chaque année, quoi qu'en dise M. le ministre des finances, le budget de la dette publique absorbe environ 50 millions de nos ressources.

MfFOµ. - 25 millions.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Sans doute, mais quand je lis votre budget, j'y vois près de 50 millions. Je suis obligé de le répéter, n'importe comment il est produit, ce chiffre de 50 millions existe et nous sommes obligés de trouver l'argent pour y faire face.

Cette partie de nos dépenses, nous devrions, avant tout, la réduire, en agissant comme l'ont fait, depuis vingt ans et davantage, les financiers anglais qui s'appliquent énergiquement, constamment, et c'est là leur principale préoccupation, à la réduction de la dette. Ils sont parvenus jusqu'aujourd'hui à la réduire d'un milliard. Ce n'est pas encore beaucoup sans doute, mais c'est quelque chose.

Nous, au contraire, depuis que je fais partie de la Chambre, c'est-à-dire, depuis quatre ans, nous avons augmenté notre dette de 120 millions. Eh bien, je voudrais que tous les excédants de recettes fussent appliqués autant que possible à la réduction de la dette, parce que, avec elle, nous parviendrions à réduire nos impôts et particulièrement ceux qui pèsent le plus lourdement sur les classes les plus nombreuses de la société.

M. de Brouckere. - Messieurs, lorsque l'honorable membre qui vient de parler a demandé pour la deuxième fois la parole, après avoir entendu les chaleureuses félicitations que l'honorable M. Coomans lui avait adressées pour le prétendu courage qu'il avait eu de critiquer nos impôts, nos emprunts, nos dépenses, enfin tout notre système financier, aucuns d'entre vous se sont sans doute attendus à ce qu'à ces chaleureuses félicitations l'honorable membre répondrait par de chaleureux remerciements ; il n'en a rien, été et M. Le Hardy de Beaulieu a repoussé les éloges qu'on lui adressait ; il n'a pas même cru devoir rendre compliment pour compliment.

Et cependant l'honorable M. Coomans avait été bien plus loin que lui ; il avait, pour me servir de ses propres expressions, il avait poussé le courage jusqu'à l'audace.

Mais, messieurs, je vous le demande, quel courage faut-il pour critiquer, non pas seulement noire système financier, mais pour critiquer quoi que ce soit ? Pour faire un acte de courage, il faut s'exposer à un danger ; il font qu'on en entrevoie un, et quel danger peut entrevoir l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ?

Messieurs, la preuve que l'on peut tout critiquer, censurer, blâmer dans cette Chambre, sans s'exposer à aucun inconvénient, c'est la présence, en bon état de conservation, de l'honorable M. Coomans parmi nous. Car l'honorable membre, depuis dix ans, critique, censure et blâme non pas seulement notre système financier, mais toutes nos institutions et la manière dont elles fonctionnent.

M. Coomans. - Aussi m'a-t-on jeté la pierre.

M. de Brouckere. - Elle ne vous a pas blessé.

M. Coomans. - Ce n'est pas la foule de ceux qui me la jettent.

M. de Brouckere. - Je voudrais bien que vous indiquassiez ceux qui vous jettent la pierre avec l'intention de vous blesser. On a répondu à vos paroles par des paroles, et cela ne constitue pas un danger.

S'il y avait du courage à unir dans cette Chambre un langage quelconque, ce ne serait pas du côté de ceux qui critiquent les impôts, ce serait du côté de ceux qui en demandent le maintien, car on va bien plus au-devant de la popularité en combattant les impôts qu'en les soutenant, et l'honorable M. Coomans reconnaîtra volontiers qu'il y a, dans le pays, beaucoup plus de gens qui aspirent à voir diminuer les impôts, qu'il n'en est qui désirent les voir augmenter.

C'est donc du côté opposé au vôtre que serait le courage, s'il en fallait pour défendre une opinion quelconque ici, ce qui n'est pas exact.

Dans la séance d'hier, l'honorable ministre des finances a réfuté complètement, victorieusement, le discours de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, qui ne résistait pas à un examen sérieux.

Aujourd'hui l'honorable M. Le Hardy a un peu changé de langage. Il s'est plaint, comme député de Nivelles, de ce que son arrondissement n'était pas aussi bien partagé que d'autres dans la répartition des travaux publics. L'honorable membre a anticipé sur la discussion du budget des travaux publics, et je suis persuadé que, quand nous arriverons à cette discussion, le chef de ce département lui répondra.

Il en sera de même pour le département de l'intérieur, que l'honorable membre a critiqué incidentellement.

L'honorable M. Le Hardy ne dit plus aujourd'hui, comme hier, que notre situation est détestable, effrayante ; il avoue, au contraire, qu'elle est soutenable. Mais par où pèche-t-elle ? Le voici :

C'est que, si nous avions une guerre à soutenir, elle pourrait nous coûter 200 ou 300 millions et que M. le ministre des finances a été tellement aveugle, tellement maladroit, qu'il n'a pas 200 ou 300 millions dans ses caisses pour parer à cette éventualité.

Voilà le grief de l'honorable M. Le Hardy. Qu'il soit conséquent avec lui-même. Qu'il vienne demander la création d'impôts nouveaux pour arriver à un encaisse de 200 ou 300 millions et pouvoir foire face aux dépenses d'une guerre, éventualité qui ne se réalisera peut-être jamais.

Voyez à quelles absurdités on est conduit quand on veut, à tout prix, défendre une mauvaise cause, oui, une mauvaise cause, car l'honorable M. Le Hardy ne démontrera jamais aux Chambres et au pays que notre situation financière est mauvaise, parce que la vérité finit toujours par triompher.

Or, la vérité est que notre situation financière est bonne, qu'elle est meilleure que celle d'aucun des pays qui nous environnent.

Si l'honorable M. Le Hardy voulait faire une petite comparaison, à ce point de vue, entre notre pays et son pays favori, son pays de prédilection, ses chers Etats-Unis d'Amérique, je crois que nous n'aurions pas à craindre les résultats de cette comparaison.

L'honorable membre verra, au moment du vote, qu'il sera à peu près isolé sur nos bancs et que ses amis de la gauche ne partagent en aucune manière ses désastreuses appréciations.

L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu a trouvé un approbateur et un admirateur dans la personne de l'honorable M. Coomans.

L'honorable M. Coomans, il est vrai, s'est borné à des assertions, à des récriminations, à des accusations que nous avons entendu renouveler bien souvent depuis quelques années. Notre mauvaise administration financière n'est que notre moindre défaut aux yeux de l'honorable M. Coomans. Il trouve toutes nos institutions mauvaises, et il trouve mauvaise la manière dont on les applique. Que de fois n'avons-nous pas entendu censurer les actes de l'administration et des fonctionnaires administratifs !

L'organisation judiciaire ! Elle a été viciée par la nouvelle loi d'organisation, et, d'après lui et quelques membres de la droite, la magistrature a été tellement faussée, la magistrature, dernière ressource des opprimés, est aujourd'hui composée d'éléments tels, qu'on ne peut plus avoir de confiance en elle !

L'organisation militaire ! C'est le fléau de la Belgique ; nulle part on n'est plus prodigue de l'impôt du sang qu'en Belgique.

La loi électorale est la plus défectueuse qui se puisse imaginer, car elle a pour résultat d'envoyer aux Chambres des hommes qui ne sont pas les véritables représentants du pays ; nous l'avons entendu répéter bien des fois.

Il n'y a pas jusqu'à la Constitution, la Constitution belge qui fait l'admiration et l'envie de tous les pays, la Constitution belge est défectueuse ! Et si nous écoulions M. Coomans, nous ne tarderions pas à décréter la nécessité de la réformer.

Mais, messieurs, si tout cela est vrai, il faut avouer que le peuple belge est bien aveugle, bien sot et bien stupide. Quoi ! le pays n'a rien de bon, ni institutions, ni fonctionnaires, tout y est mauvais, et ce stupide peuple belge ne s'en aperçoit pas, et ne comprend pas qu'il est malheureux !

M. Coomans a beau le lui répéter, il ne veut pas le croire. Et comment répond-il à M. Coomans ? En envoyant à chaque élection une majorité...

M. Coomans. - Oh !

(page 90) M. de Brouckere. - Comment, oh !

M. Coomans. - Ce n'est pas le peuple belge qui élit.

M. de Brouckere. - Laissez-moi achever ma phrase ; j'allais arriver à votre interruption.

Je dis qu'à chaque élection ce stupide peuple belge, qui est si malheureux, envoie dans les deux Chambres une majorité considérable pour maintenir nos institutions et pour défendre le ministère qui en fait une libérale et juste application.

Mais, dit en m'interrompant l'honorable M. Coomans, ce n'est pas le peuple qui nous envoie ici, ce sont des classes privilégiées. C'est bien là, je pense, le sens de l'interruption.

Veuillez remarquer qu'aujourd'hui nous parlons particulièrement d'impôts ; c'est à l'occasion des impôts que l'honorable M. Coomans a pris la parole et que je lui réponds.

Or, ce sont principalement les classes les plus imposées qui font les élections et qui nous envoient ici. Au surplus, je répondrai encore tout à l'heure à l'interruption. Mais je tiens à poursuivre maintenant le cours du mes idées.

Je demande, moi, quelle est la classe en Belgique qui articule des plaintes sur le sort qui lui est fait ?

Dans la séance d'hier, j'ai entendu sortir de la bouche de M. Coomans deux aveux qui sont bons à recueillir : le premier, c'est que la classe des propriétaires a lieu d'être satisfaite ; le second aveu, c'est que la classe des agriculteurs n'a pas lieu d'être mécontente.

Remarquez bien que M. Coomans s'est toujours posé en défenseur particulier de l'agriculture et des agriculteurs. Or, il nous a dit que les agriculteurs n'ont pas lieu d'être mécontents.

Voilà déjà deux classes bien nombreuses qui sont satisfaites.

Est-ce que le commerce a lieu de se plaindre en Belgique ? On n'oserait pas le soutenir ; à coup sûr, on ne saurait pas le prouver. Le commerce se développe tous les ans. Notre métropole commerciale, toujours active, toujours laborieuse, toujours intelligente, notre métropole commerciale se développe et s'enrichit.

Est-ce l'industrie qui se plaint ? Messieurs, l'industrie vient de traverser une crise et une des crises les plus intenses qui aient eu lieu ; mais cette crise, la Belgique l'a partagée, avec tous les pays d'Europe et elle a été moins intense parmi nous que dans beaucoup d'autres pays. A part cette crise, est-ce que l'industrie ne fleurit pas parmi nous ; est-ce qu'elle ne s'étend pas ?

MiPµ. - Tous les districts industriels envoient ici des députés libéraux.

M. de Brouckere. - C'est que ces districts sont les plus intelligents ; voilà tout ce que je puis dire.

M. Jacobsµ. - Vous êtes payé pour cela.

M. de Brouckere. - Vous ne voulez pas, je suppose, que je me dise des choses désagréables à moi-même.

L'industrie donc, sauf la crise qu'elle vient de traverser et qui, je crois, est arrivée à son terme, car l'industrie et particulièrement l'industrie houillère reprend partout, l'industrie donc n'a pas à se plaindre et elle ne se plaint pas.

Où sont donc les malheureux ? Probablement, c'est à la classe ouvrière que l'honorable M. Coomans a voulu faire allusion. Eh bien, les salaires des ouvriers ont été considérablement augmentés depuis quelques années ; et je puis dire que jamais, sauf peut-être quelques exceptions, la classe ouvrière n'a vécu avec plus d'aisance qu'aujourd'hui. Dans les communes rurales, il en est beaucoup où les salaires ont été doublés depuis dix ou quinze ans, et ce n'est pas l'ouvrage qui manque aux ouvriers ; mais ceux qui ont besoin d'ouvriers ont beaucoup de peine à en trouver tout en les payant très chèrement.

Oui, messieurs, des ouvriers, de simples ouvriers terrassiers touchent aujourd'hui, dans beaucoup de communes rurales, des journées de deux francs, alors que, passé quelques années, la journée était de neuf sous, de dix sous, d'un franc au maximum.

Est-ce donc la classe ouvrière qui se plaint ? Non, messieurs, la classe ouvrière n'a pas à se plaindre ; elle ne se plaint pas, et je suis très persuadé que si la classe ouvrière était appelée à prendre part au scrutin, elle enverrait à la Chambre plus de députés qu'elle chargerait d'appuyer le gouvernement qu'elle n'en enverrait pour lui faire opposition.

M. Coomans. - Essayons !

M. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable M. Coomans, tout en attaquant vivement le ministère libéral, la majorité libérale, la section centrale libérale, a cependant reconnu loyalement que le ministère et la majorité avaient fait une bonne réforme : la suppression des octrois. L'honorable membre lui-même avait appelé de tous ses vœux cette importante réforme. Oui, mais maintenant que la réforme a eu lieu, l'honorable M. Coomans, qui n'aime pas à louer sans restriction, a trouvé un moyen de censurer la loi qui a supprimé les octrois.

L'abolition des octrois n'a été obtenue qu'à l'aide de combinaisons financières qui ont été funestes aux communes. Je crois que je répète les propres expressions de l'honorable M. Coomans.

Malheureusement cette assertion est entièrement contraire à la réalité des faits.

Savez-vous, messieurs, quelle est la principale combinaison financière qui figure dans la loi supprimant les octrois et qui est la conséquence de cette abolition ? C'est la création du fonds communal. Eh bien, la création du fonds communal, c'est la prospérité des 99 centièmes de nos communes.

C'est grâce au fonds communal, on ne peut assez le répéter, que toutes nos communes rurales ont développé et amélioré considérablement leurs voies de communication. C'est grâce au fonds communal qu'on a construit, agrandi, restauré de nombreuses églises. C'est grâce au fonds communal qu'on a bâti, dans beaucoup de communes, de superbes maisons d'école et des presbytères.

En un mot, depuis huit ans, c'est-à-dire depuis la création du fonds communal, toutes les communes rurales qui ne sont pas mal administrées, ont été métamorphosées, et métamorphosées grâce au fonds communal, qui est une combinaison financière proposée par M. le ministre des finances à la suite de l'abolition des octrois...

M. de Theuxµ. - Je demande la parole.

M. de Brouckere. - Je ne pense pas que quelqu'un veuille contester la vérité de ce que je viens d'avancer, car cette vérité saute aux yeux de tout le monde.

J'ajouterai encore une chose ; dans un certain nombre, de communes, toujours grâce au fonds communal, on a supprimé ou diminué considérablement un certain impôt qui pesait sur beaucoup de communes, l’income-tax, espèce d'impôt sur le revenu, espèce de capitation.

Eh bien, messieurs, ce fonds communal continuera à mettre les communes à même de se développer de plus en plus ; et je crois pouvoir dire que. les campagnards intelligents sont d'un autre avis que l'honorable M. Coomans, et qu'ils professent pour la création du fonds communal une profonde, reconnaissance envers le ministère libéral et envers la majorité libérale, qui ont proposé et décrété le fonds communal.

M. Hymans. - Messieurs, le discours que vous venez d'entendre me dispense de présenter plusieurs des observations que je voulais faire en réponse, à quelques passages du discours qu'a prononcé l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu. Je dois dire, d'ailleurs, que, voulant rencontrer certaines théories que l'honorable membre a émises dans la séance d'hier, je me suis trouvé à moitié désarmé par les observations qu'il a faites aujourd'hui en réponse à lui-même.

D'autre part, il y a parfois dans les doléances, pardonnez-moi l'expression qui, du reste, n'a rien de malveillant, dans les doléances de l'honorable membre, quelque chose de si naïf, qu'on se demande si elles sont sérieusement produites devant une assemblée sérieuse.

Cependant l'honorable membre est si convaincu de la vérité de ce qu'il avance, il étudie avec tant de soin ses discours, le pays les lit avec une telle attention, qu'il faut bien de temps en temps élever la voix pour protester contre certaines doctrines qui, de la part du premier venu, n'auraient aucune importance, mais qui, émanant d'un économiste distingué, peuvent contribuer à induire en erreur les populations crédules et peu initiées aux principes de l'économie politique.

Ainsi, messieurs, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu dit au pays : « Depuis 1840 le budget de l'intérieur a augmenté dans des proportions notables ; trouvez-vous que nous soyons mieux gouvernés ? » Le pays lui répond : « Je n'en sais trop rien ; je ne me sens ni mieux, ni plus mal gouverné ; je ne souffrais guère en 1840, mais je ne souffre pas aujourd'hui. » D'où vient pourtant cette augmentation considérable inscrite au budget de l'intérieur ?

Le pays qui n'est pas obligé, comme nous, de lire les documents parlementaires, le pays qui n'est pas obligé d'aller en sections ou en section centrale, le pays qui, tout au plus, a pu lire il y a quelques mois dans les journaux un court résumé de la note préliminaire du projet de budget des voies et moyens, le pays ne se rappelle pas et beaucoup même n'ont jamais su qu'en 1840 le chapitre de l'instruction publique était absent du budget de l'intérieur, et se trouvait dans les attributions du département des travaux publics.

M. Dumortier. - En 1840 ?

(page 91) M. Hymans. - En 1840. M. Rogier était alors ministre des travaux publics, de l'instruction publique et des beaux-arts.

Or, le département des travaux publics portait à cette époque à son budget pour l'instruction publique : enseignement supérieur, une dépense de 680,000 francs ; enseignement moyen, 125,000 francs ; enseignement primaire, 295,000 francs.

Le budget de l'intérieur s'est augmenté tout d'abord de ce chapitre, qui n'y était pas inscrit, et la dépense s'est élevée en 1865, pour renseignement supérieur, à 1,057,000 fr. ; pour l’enseignement moyen, à 1,148,000 fr., et pour l'enseignement primaire, à 4,642,000 fr.

MiPµ. - Cinq millions.

M. Hymans. - Ce n'est pas tout : la voirie vicinale qui figurait, il y a 35 ans, au budget de l'intérieur pour la somme de 100,000 fr., y figure aujourd'hui pour 1,112,000 fr. et jamais une section de la Chambre ne s'est réunie pour examiner le budget de l'intérieur, jamais une section centrale n'a été appelée, à délibérer sur ce budget sans que tous les membres indistinctement et ceux-là surtout qui représentent nos populations rurales, ceux-là surtout qui représentent les classes les plus nombreuses, demandassent une augmentation de ce crédit et le transfert de crédits d'autres articles au crédit pour la voirie vicinale.

Et l'honorable, M. Le Hardy de Beaulieu vient dire après cela : « Sommes-nous mieux gouvernés ? En 1840, rien de tout cela ne figurait au budget. Le budget est augmenté de beaucoup ; la Belgique est constituée en perte. »

L'honorable membre se défend de faire du roman ; mais vraiment ses discours en ont tout l'intérêt, surtout par l'imprévu des situations.

Et puis, que nous disait hier l'honorable membre ? Il nous apprenait que les impôts de consommation avaient augmenté, dans des proportions excessives, que ces impôts pesaient d'un poids trop lourd sur la classe ouvrière, que la corde était bien tendue, qu'il fallait bien se garder de la tendre davantage.

Aujourd'hui, qu'entends-je ? L'honorable membre se lève, et au début de son discours, il nous dit : Ne vous félicitez pas de l'habileté que vous apportez dans la gestion des finances ; ne vous félicitez pas de cette augmentation des impôts de consommation. Elle ne prouve absolument rien quant à l'augmentation de la richesse publique.

Elle prouve simplement que jadis la Belgique avait 4 millions d'habitants ; qu'elle en a aujourd'hui 5 millions, un million de plus ; que par conséquent on consomme davantage et que si l'impôt produit plus, ce n'est pas au système financier que l'augmentation est due, mais à l'augmentation du chiffre de la population !

Est-ce à cette augmentation du chiffre de la population que vous faites le procès, alors qu'elle est déjà par elle-même un indice de prospérité ?

Si les impôts de consommation ne rapportent davantage que parce que la population a augmenté, comment venez-vous dire que les impôts sont devenus trop lourds et pèsent d'un trop grand poids-sur les classes inférieures de la société ?

Mais ce sont là de petits points accidentels ou incidentels, que je relève dans le discours de l'honorable membre.

Je l'ai entendu hier exprimer une théorie tellement nouvelle pour moi, que, je le déclare, ce matin j'ai ouvert, avec une certaine curiosité, les Annales parlementaires, pour voir si j'avais bien entendu, et c'est à propos de cette théorie surtout que j'ai pu dire que le discours prononcé hier, par l'honorable membre, avait pour moi tout l'intérêt d'un roman.

Voici ce que nous a dit l'honorable membre ;

« En un mot, car je ne veux pas abuser de la parole, les classes les plus nombreuses de la société participent, pour la plus grande part, aux charges publiques. Mais quand il s'agit de recevoir, d'aller à la caisse, la situation change considérablement.

« Je n'ai pas d'éléments, je le déclare, pour faire des calculs exacts sur la répartition du produit des impôts entre les participants ; mais j'oserais presque affirmer et je crois que je ne serais pas loin de la vérité, que si d'une part ce que j'appelais, il y a deux ans, la classe électorale contribue pour environ un sixième dans les charges publiques, cette même classe participe pour plus des cinq sixièmes dans le produit desdites charges ; et dès lors je comprends un calcul excessivement simple qui m'a été donné, il n'y a pas très longtemps, par un homme très versé dans les sciences financières ; il me reprochait l'opposition que je fais notamment aux dépenses publiques ; il me disait : « En définitive, ce que vous ne comprenez pas bien, c'est que l'impôt est un très bon placement. »

« Je lui demandai à mon tour : « Combien payez-vous, vous et votre famille ? » Il me répondit : « Nous payons environ 6,00O francs, » «Et combien recevez-vous ? » Il ne me répondit pas de suite ; mais je lui demandai si ce n'était pas 30,000 francs pour sa famille. Ce qui était à peu près exact. Certes, c'était là un excellent placement.

« Et si, en payant 6,000 francs d'impôts, toutes les familles belges en recevaient 30,000 d'émoluments, je serais certes le partisan du plus large système d'impôts possible.

« Mais malheureusement, il ne peut pas en être ainsi, cela ne peut réussir que pour quelques-uns. Eh bien, je suis d'avis, bien que cela ne paraisse pas quelque chose de très pratique, et ne soit pas de nature à me donner une grande influence dans cette enceinte, je suis d'avis qu'il vaudrait mieux laisser à chacun la plus grande part de ce qu'il produit et diminuer considérablement les charges publiques.

« Si vous pouviez laisser dans les familles d'ouvriers 100, 150, peut-être 200 francs d'impôts qu'elles payent, vous verriez l'amélioration qui en résulterait dans leur situation morale et matérielle. »

Je demande pardon à M. Le Hardy de Beaulieu de la liberté que je prends de rééditer ainsi une partie de son discours, mais c'était nécessaire pour bien faire comprendre mes observations.

Si je saisis bien la pensée de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, certes le roman devient de plus en plus curieux. Comment, d'après l'honorable membre, l'Etat serait en quelque sorte une société commerciale dans laquelle chaque actionnaire devrait toucher des dividendes proportionnés à sa mise, dividendes en argent ; pas de dividende pas de mise, pas de mise pas de dividende. J'avais toujours pensé que l'impôt payé à l'Etat était soldé en acquit d'un devoir social, et que celui qui le payait ne faisait pas une spéculation.

L'impôt est un produit de la civilisation et il n'y a que les sauvages qui n'en payent pas. Les impôts comme les armées permanentes, comme beaucoup d'autres choses que M. Le Hardy combat, sont nés du progrès des sociétés, et si ce sont des maux qu'on est obligé de subir, ce sont des maux bien moindres que ceux qu'on devait supporter dans les civilisations anciennes.

L'impôt est un moyen de rendre des services à la grande famille qui s'appelle le peuple, et la règle à laquelle il doit être soumis, c'est d'être réparti de façon que chaque contribuable paye une quote-part proportionnée à son revenu.

Eh bien, je le demande à la Chambre, je le demande à tous ceux qui se sont donné la peine d'étudier ces questions, n'est-ce pas sur ces justes bases que l'impôt est assis en Belgique ? M. Le Hardy se plaignait tout à l'heure de ne pouvoir examiner les budgets à loisir ; cet inconvénient peut se produire, mais il n'existe pas pour le budget que nous discutons. Il y a neuf mois qu'il a été présenté, il y en a six au moins qu'il est imprimé et certes nous avons eu le temps nécessaire pour l'examiner.

Eh bien, si l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu avait consulté les chiffres publiés dans la note préliminaire, il aurait vu qu'il n'est peut-être pas de pays au monde où la part d'impôt payée par les citoyens soit mieux proportionnée à leurs ressources.

Mais, aux yeux de l'honorable membre, ces chiffres ne prouvent rien ; ils ne sont pas d'accord avec la théorie. Ainsi, d'après sa doctrine, il n'y a que « les participants » qui profitent de l'impôt payé par tous et c'est de là qu'il part pour démontrer que le sixième du pays vit aux dépens des cinq autres sixièmes.

En effet, c'est le fonctionnaire qui profite de l'impôt. Celui-là fait un admirable placement.

Dans cette famille qui compte plusieurs fonctionnaires et qui paye 6,000 fr. d'impôts, on émarge 30,000 fr. au budget. Donc, 24,000 fr. de bénéfice !

L'honorable M. Le Hardy me fait signe que c'est exact ; il l'affirme, et je ne me permettrai pas de révoquer son assertion en doute. Supposons que cela soit. Qu'est-ce que cela prouve ? De ces 30,000 fr. que touche cette famille féconde en fonctionnaires, il faut commencer, je suppose, par déduire les 6,000 fr. d'impôts qu'elle paye ; il ne lui reste donc que 24,000 fr. De celle somme, il faut encore déduire ce qu'elle paye en impôts indirects sur tous les objets de consommation, sur toutes les denrées nécessaires à la vie, ce qui rentre au trésor pour service rendu à l'utilité générale.

Que reste-t-il ? Je n'en sais rien. Peu m'importe. Mais, ce que je ne comprends pas, c'est que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu oublie complètement de tenir compte du travail que cette famille donne à l'Etat en échange de la rémunération qu' elle reçoit.

Est-ce que par hasard les fonctionnaires sont inutiles ? Est-ce que même, étant inutiles, ils sont tenus de donner gratuitement leur travail à l'Etat ?

Je trouve, moi, que cette famille si bien lotie fait un médiocre placement et, pour mon compte, il ne me plairait guère.

Prenons maintenant les cinq sixièmes de la nation qui payent et ne reçoivent pas.

(page 92) Que payent-ils ?

Ils payent l'impôt des boissons, dit l'honorable M. Le Hardy. Il faut qu'ils payent aussi le petit verre, la boisson elle-même, mais ils la boivent.

Ils payent la plus forte partie des recettes du chemin de fer. C'est parfaitement exact, puisque la troisième classe produit autant, à elle seule, que les deux autres classes réunies. Mais ils voyagent.

Et vous oubliez que, si les chemins de fer n'existaient pas, ces cinq sixièmes de la population, non seulement ne pourraient pas en profiter, mais payeraient infiniment plus cher pour voyager beaucoup moins et beaucoup plus mal.

Voilà où conduit le progrès. C'est ce que l'honorable M. Pirmez a si bien développé l'autre jour dans la discussion du Code de commerce.

C'est donc une théorie, absolument inadmissible et inexplicable, de la part d'un homme sensé et instruit, que celle qui consiste à nier que l'Etat rend au citoyen beaucoup plus qu'il ne lui prend.

L'honorable M. Le Hardy disait hier : Si vous pouviez laisser dans les familles d'ouvriers les 100, les 200, les 3francs d'impôts qu'elles payent, vous verriez quelles améliorations en résulteraient dans leur situation matérielle.

Je ne sais quelles sont les familles d'ouvriers qui payent 100, 200 ou 300 francs d'impôts, mais en supposant qu'elles existent, allez donc leur proposer le marché qui résulte de la théorie de l'honorable membre.

Quelles belles améliorations vous introduiriez dans la société en laissant à l'ouvrier, au petit bourgeois les sommes qu'ils payent à l'Etat !

Quelle amélioration admirable ! Plus de chemins de fer, plus de travaux publics, plus de jouissances intellectuelles d'aucun genre ; plus de service postal, plus de défense nationale, c'est-à-dire, plus de sécurité ; plus d'écoles, c'est-à-dire plus d'instruction.

En un mot, sous prétexte de faire cadeau de 100 ou 200 francs aux contribuables, vous enlèverez à la nation toutes les facilités et toutes les garanties que vous accordez à son travail, le seul élément, monsieur Le. Hardy, que vous ayez négligé dans votre discours et qui est, en vérité, le seul élément de la richesse et de. la prospérité publiques.

Mais en supposant même que les chemins de fer et les postes nous coûtent plus cher aujourd'hui qu'autrefois, est-ce qu'il n'y a pas eu des améliorations introduites dans ces services ? On a publié tout récemment le compte rendu du service postal depuis 1830 jusqu'aujourd'hui. La Belgique, il y a trente ans, au point de vue postal, était un pays barbare ; on était obligé d'aller chercher soi-même ses lettres dans les bureaux de poste et cela dans des communes importantes. Cela se pratique encore en Angleterre, dans ce pays qu'on cite comme le modèle de la civilisation.

Au point de vue des transports de tout genre, nous avons fait des progrès immenses, incalculables ; pour M. Le Hardy, tous ces progrès ne comptent pas. Mais croyez-vous que si vous alliez dire à un citoyen, à un ouvrier : Je vais vous rembourser 100 fr., 200 fr. ou même 300 fr., et je vous priverai de tous ces bienfaits, croyez-vous que le citoyen accepterait ?

Pour accepter un pareil marché, où donc, juste ciel, aurait-il étudié l'économie politique !

Telle, est cependant, en réalité, la théorie de l'honorable M. Le Hardy, la déduction logique de son système. Voulez-vous que je pousse cette déduction à ses dernières conséquences ? M. Le Hardy nous en a déjà donné un avant-goût, dans une discussion qui remonte à quelques années, à propos de la police.

Il se trouverait un contribuable qui dirait : « De quel droit me fait-on payer l'impôt ? Je ne suis pas fonctionnaire, je ne touche rien de l'Etat. Je ne voyage jamais ; je n'ai pas besoin de chemins de fer ; je ne me promène même pas, je n'ai pas besoin de routes ; je n'écris jamais, il ne me faut pas de postes ; je n'ai jamais de procès, je n'ai pas besoin de magistrature ; je n'ai pas d'enfants et j'espère bien n'en avoir jamais : à quoi me serviraient des écoles ? Les armées permanentes ; mais je n'y vois qu'un danger permanent pour la sécurité publique ; d'après moi, ce sont les armées qui provoquent la guerre : je ne veux d'armée à aucun prix parce qu'en elle réside le plus grand danger social. »

Enfin et c'est là l'exemple cité jadis par M. Le Hardy : j'ai d'excellents poignets ; dans un omnibus à New-York, où il n'y a pas de police, on a voulu me voler ; je me suis protégé moi-même.

Voilà le système de M. Le Hardy réduit à sa plus simple expression : une société dans laquelle le contribuable devient actionnaire volontaire et doit être remboursé comme dans une société commerciale, doit toucher des bénéfices, et, le jour où il n'a pas envie de toucher des dividendes, peut à son gré cesser d'être actionnaire.

Maintenant encore un mot à propos d'une attaque dirigée contre la politique financière du pays et la richesse publique par l'honorable M. Coomans, qui a pris la parole pour appuyer, en partie, la thèse de M. Le Hardy de Beaulieu.

L'honorable M. Coomans soutient qu'il faut se garder avec grand soin d'aggraver notre système d'impôts. En cela, je suis parfaitement de son avis, mais il dit qu'il faut surtout tenir compte de ce que, depuis quelque temps, la fortune publique a considérablement diminué.

L'honorable membre dit, à ce propos :

« J'ai entendu soutenir par des hommes très compétents que la Belgique a perdu près d'un milliard dans sa fortune mobilière représentée par du papier. »

Puis il ajoute :

« Dans un moment où tout le monde se plaint de l'aggravation des charges publiques en général et de quelques impôts en particulier, ne venez pas, avec une sorte d'ironie, déclarer que tout atteste une augmentation sensible de la fortune publique ! »

Messieurs, je demande ce qu'il y a de commun entre la perte que l'honorable membre signale et la responsabilité de l'Etat dans une pareille situation.

Si le capital papier, si la fortune publique a diminué d'un milliard par suite de la dépréciation du capital papier, prenez-vous-en à ceux qui ont émis ce papier, à ceux qui ont patronné ce papier, et non pas à l'Etat qui est complètement désarmé vis-à-vis des sociétés qui peuvent jeter ce papier dans la circulation, à l'Etat que vous allez probablement encore, par le vote du nouveau Code de commerce, priver de son droit d'intervention dans la constitution des sociétés anonymes.

Ce n'est certainement pas l'Etat ni rien de ce qui touche à l'Etat qui a fait perdre à la fortune publique une partie quelconque du milliard dont vous avez parlé hier. Loin de là, notre crédit public se trouve dans une situation brillante, plus belle que celui d'aucun autre pays d'Europe. Nos fonds sont cotés au-dessus du pair, et la perte, je tiens à le dire devant le pays, se rencontre précisément là où la surveillance de l'Etat est inutile et impossible.

Je me résume, et je crois que l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu sera de mon avis quand je dirai que le devoir de l'Etat est de créer le plus de bien possible, au meilleur marché possible. C'est là, je crois, la véritable théorie, et je crois pouvoir ajouter qu'elle est mise, en pratique chez nous.

On signale les augmentations notables que présentent nos budgets depuis 20 à 25 ans, et l'on invoque à chaque instant l'exemple de l'Angleterre ; on invoque les réformés de Robert Peel, les doctrines financières de M. Gladstone. Mais les honorables membres qui produisent ces arguments et qui probablement en Angleterre trouveront que Robert Peel et Gladstone ne sont pas assez radicaux et siégeraient dans le parlement britannique sur les bancs de l'opposition comme ils y siègent ici, ces honorables membres doivent reconnaître un fait, c'est que depuis 25 ans au moins, depuis plus longtemps même, la quotité de l'impôt n'a pas été augmentée en Belgique.

Un grand nombre de taxes ont été réduites, des facilités de tout genre ont été accordées dans toutes les sphères de l'activité sociale. Qu'il y ait de ces taxes qui puissent être supprimées ou réduites, je ne le conteste pas et j'appelle de tous mes vœux le moment où notre situation financière nous permettra, sans toucher à aucun de nos grands services publics, de réduire autant que possible les charges qui pèsent sur la population ; et personne n'a jamais été plus pénétré de cette obligation que l'administration libérale sous laquelle la Belgique vit depuis 1847.

Voilà, je crois, sur quoi nous pouvons être d'accord. Mais admettons aussi, et que sur ce point l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu renonce à sa théorie, que l'impôt qui est créé pour subvenir aux besoins généraux de la société avec le concours de tous les citoyens indistinctement, chacun selon ses moyens, n'est pas une pure exploitation de la société, dès l'instant où il ne rapporte pas à chacun de quoi se faire inscrire comme rentier sur le grand-livre de la dette publique, ou que le citoyen est victime de l'Etat, dès l'instant où il n'est pas un des « participants » aux faveurs du budget.

M. de Theuxµ. - Messieurs, à entendre l'honorable M. de Brouckere, la création du fonds communal, qui a été la conséquence, de l'abolition des octrois, a enrichi les campagnes, et leur part dans le fonds communal est un don de la législature.

Messieurs, il n'en est rien. Qui crée le fonds communal ? Ce sont les consommateurs, les habitants des campagnes aussi bien que ceux des villes, et je dirai dans une proportion plus forte pour les campagnes, en ce sens qu'on a augmenté les impôts sur des objets indispensables aux habitants des campagnes, le café, la bière, l'eau-de-vie, le vinaigre, etc.

Messieurs, si l'honorable membre s'était borné à dire que les administrations (page 95) communales trouvent dans la création du fonds communal des facilités pour l'administration, il aurait été dans le vrai.

De tous temps, quand il y a eu des dépenses nécessaires ou d'une grande utilité à faire, les administrations communales ont eu recours à l'augmentation des taxes personnelles, à l'augmentation des centimes additionnels sur les contributions publiques.

Cela se pratique aujourd'hui encore dans un grand nombre de communes, malgré le fonds communal ; nous voyons presque tous les jours des arrêtés qui autorisent les emprunts faits par des communes, qui autorisent l'augmentation des taxes personnelles ou des centimes.

Aussi, messieurs, il ne faut pas se faire illusion. Si les administrations communales trouvent des facilités dans la création du fonds communal, il n'en est pas moins vrai que les habitants des campagnes en général contribuent pour une très grande part dans le remplacement des octrois.

Les communes urbaines elles-mêmes, depuis l'abolition des octrois, entraînées par le courant des idées du moment, font de très grandes dépenses et ont recours à toutes espèces de taxes, à des emprunts qu'il faut rembourser. Voilà comment se fait l'administration.

Mais dire, que la suppression des octrois a créé des richesses dans les campagnes, c'est la plus grande des erreurs.

Projet de loi érigeant la commune de Cheneux

Rapport de la commission

(erratum, page 106) M. Vander Maesenµ dépose sur le bureau le rapport de la commission chargée d'examiner le projet de. loi portant érection de la commune de Cheneux.

- Le rapport sera imprimé, distribué et l'objet qu'il concerne mis à l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l’exercice 1869

Discussion du tableau des recettes (I. Impôt)

La discussion générale du budget est close ; la Chambre passe à la discussion des articles.

Contributions directes, douanes et accises

Foncier

« Foncier : fr. 19,010,000. »

M. Moncheur. — Je ne puis laisser passer cet article sans protester, une fois de plus, contre le mode qui a été employé pour la révision du cadastre.

Cette opération a été complètement faussée par la manière dont elle a été faite.

Elle n'a fait que remplacer des injustices anciennes par des injustices nouvelles et plus nombreuses.

Le mode qui a été employé pour cette soi-disant péréquation cadastrale est vicieux sous deux rapports surtout.

D'abord il est vicieux en ce que, lorsque les employés de l'administration ont eu fixé, tant bien que mal, le chiffre de l'augmentation du revenu net imposable des terres, et cela soit par la ventilation des baux, soit par tout autre moyen, ils ont appliqué indistinctement cette augmentation à toutes les parcelles du même canton.

Ainsi, messieurs, on n'a pas eu le moindre égard à la plus ou moins value considérable que de nombreuses circonstances ont pu amener dans la valeur de telle ou telle parcelle. L'augmentation a été uniforme pour toutes les parties de ce canton, et cependant, vous le savez, messieurs, depuis quarante ans, des travaux publics nombreux, des chemins de fer, des stations, des canaux, des routes ont amené une différence énorme entre la valeur de telles ou telles propriétés et telles ou telles autres. Les unes ont beaucoup gagné, les autres ont beaucoup perdu.

Ensuite, messieurs, on a, dans l'exécution de la loi de 1860, usé d'un autre procédé qui a encore amené d'autres injustices très considérables ; injustices que nous avions prévues, prédites et démontrées lors de la discussion de la loi sur la nouvelle péréquation cadastrale.

Cet autre procédé a consisté à appliquer aux bois et aux prés, genre de propriétés pour lequel on ne pouvait arriver à une évaluation quelconque au moyen de baux, puisqu'il n'y en avait pas, à appliquer, dis-je, aux bois et aux prés la même proportion d'augmentation de revenu que celle trouvée pour les terres.

Or, autant il est vrai que, dans les provinces de Liège, de Namur et de Hainaut surtout les terres ont augmenté de revenu depuis quarante ans, autant il est vrai aussi que les bois n'ont nullement gagné, mais ont même considérablement perdu depuis cette époque.

De sorte que, par une fiction injuste et toute de fantaisie de l'administration on a, dans ces provinces, majoré le revenu imposable des bois, dans la même proportion que celui des terres ; on les a majorés jusqu'à la proportion de 100, 120 et 130 p. c., tandis qu'en réalité et pour être équitable, on aurait dû les diminuer,

Il résulte de là, messieurs, qu'aujourd'hui, et malgré l'abaissement du multiple, les contributions sur les bois sont augmentées de 20, 25 et même 30 p. c, alors qu'elles auraient dû être diminuées.

C'est là, messieurs, un résultat parfaitement inique. Or, il n'y a qu'un remède à ce mal, c'est de faire une nouvelle péréquation cadastrale, mais de la faire au moyen d'une évaluation parcellaire.

A ce propos, messieurs, je voudrais attirer l'attention très sérieuse du gouvernement et de la législature sur une délibération du conseil provincial de Namur, qui a été adoptée à l'unanimité dans sa dernière session. Ce document met en lumière les injustices que je viens de signaler et le conseil provincial émet le vœu qu'il soit fait, une bonne fois, une véritable péréquation cadastrale par un travail sérieux, c'est-à-dire par un travail qui donne à chaque propriété, à chaque nature de propriété, à chaque parcelle enfin, son véritable revenu net imposable.

Aussi longtemps qu'on n'aura pas fait ce travail, on n'aura pas établi l'égalité entre tous les Belges devant l'impôt, égalité qui doit être certainement aussi sacrée que sur tous les autres points de notre droit public.

J'engage donc vivement le gouvernement à s'entourer de tous les renseignements et à prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la péréquation cadastrale par l'évaluation parcellaire.

- L'article est adopté.

Personnel

« Personnel. Principal : fr. 10,890,000.

« Dix centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,059,000.

« Frais d'expertise : fr. 81,000.

« Ensemble : fr. 11,700.000. »

- Adopté.

Patentes

« Patentes. Principal : fr. 4,230,000

« Dix centimes additionnels extraordinaires : fr. 423,000.

« Ensemble : fr. 4,653,000. »

M. de Theuxµ. - Nous lisons, dans une note du budget des finances, que le produit du droit de débit des boissons distillées augmente tous les ans de 45,000 fr.

Il résulte de là, messieurs, que, tous les ans, le nombre de débitants de boissons, électeurs pour la commune, pour les Chambres et pour la province, augmente dans une grande proportion.

Certes, le Congrès national a admis sans grande opposition que la patente servirait de base au droit électoral, et en cela il a bien fait, en présence de l'extension énorme que l'industrie et le commerce ont prise dans toutes les contrées, particulièrement en Belgique ; mais jamais il n'est entré dans la pensée du Congrès national ni d'aucun de ses membres, qu'il serait créé une patente spéciale pour les débits de boissons distillées et que cette patente viendrait déplacer l'équilibre que le Congrès avait voulu établir entre tous les grands intérêts du pays.

Certes, l'industrie produit des richesses ; ceux qui s'y livrent rendent de grands services au pays. Mais on ne peut en dire autant du débit de boissons. Sans doute, dans une certaine mesure, ce débit a son utilité, et on ne saurait pas le supprimer sans entraîner de graves inconvénients ; mais à côté de cette utilité d'un usage modéré de ces boissons, qui peut être salutaire, il y a aujourd'hui des excès énormes. Indépendamment de cela, il y a là quelque chose qui vicie radicalement notre système représentatif pour la province, pour la commune et pour l'Etat. Le corps électoral comprend toute une catégorie d'électeurs qui n'ont aucun titre moral, aucun titre d'utilité publique à y figurer, c'est ce qui a été reconnu dans la première discussion.

Plus tard, lorsque la révolution française a éclaté, lorsqu'on est venu nous présenter des lois politiques de circonstance, ce système a été modifié ; mais je crois, messieurs, qu'en présence des abus qui se développent tous les jours par la création de faux électeurs et par la multiplication des cabarets, on doit reconnaître qu'on a fait fausse route et qu'il est plus que temps de revenir sur ses pas.

Messieurs, divers moyens peuvent se présenter à cet égard, soit l'augmentation de l'impôt sur la distillation pour remplacer l'impôt sur le débit, soit l'abandon aux communes et aux provinces des produits de cette taxe.

Ce serait alors un impôt communal ou un impôt provincial ; ce ne serait plus un impôt général qui, dans l'opinion de nos honorables adversaires, doit compter pour la formation du cens électoral. Quant à moi, je n'admets pas cette manière de voir, mais dans le système que j'indique, il n'y aurait plus aucune espèce de doute à cet égard.

(page 94) J'appelle sur ce point toute l'attention du gouvernement, car il est de toute évidence que le système électoral du Congrès national est faussé et que le système électoral qui existe aujourd'hui est aussi contraire au bon sens qu'a la bonne administration de l'Etat, des provinces et des communes.

M. le président. - Les observations de M. de Theux portent sur l'article suivant ; nous nous occupons en ce moment des patentes.

- L'article « patentes » est mis aux voix et adopté.

Droit de débit de boissons alcooliques

« Droit de débit de boissons alcooliques : fr. 1,325,000. »

MfFOµ. - Je ne crois pas, messieurs, que l'on veuille renouveler la discussion relative à la question, si souvent agitée, de savoir si le droit de débit des boissons distillées est ou n'est pas un impôt direct, devant entrer dans la computation du cens électoral. L'honorable M. de Theux se borne à faire des protestations et des réserves ; mais je ferai remarquer qu'il confond, dans sa critique, deux choses absolument distinctes : le droit électoral résultant du payement de la taxe, et l'abus des boissons alcooliques. Ces deux objets n'ont rien de commun.

M. de Theuxµ. - Si, si.

MfFOµ. - Ils n'ont rien de commun, à moins que vous ne supposiez que l'on multiplie les cabarets uniquement pour faire des électeurs.

- Un membre. - C'est cela !

MfFOµ. - Si c'est cela, vous voudrez bien convenir que les cabarets fictifs, qui n'ont pas de clientèle, ne sont pas de nature à exercer la moindre influence sur la consommation.

Quant au point de savoir si cet impôt doit compter pour la formation du cens électoral, les Chambres l'ont jugé dès 1849, sans discussion, sans contestation et à la presque unanimité. Personne n'a vu, à cette époque, l'énormité que l'on découvre aujourd'hui ; on a déclaré simplement qu'un impôt direct était un impôt direct et qu'il devait, par sa nature, être admis comme base du cens électoral. Bien que la question eût été soulevée en 1838, les doutes ne se sont plus reproduits en 1849. On n'a pas fait d'opposition à cet égard. Ce n'est que beaucoup plus tard, quinze ou seize ans après le vote de la loi, que l'on s'est imaginé que cet impôt exerçait une très grande influence sur la composition du corps électoral. C'est encore ce que répète l'honorable M. de Theux.

Mais, messieurs, quel est le nombre des cabaretiers ou des débitants de boissons alcooliques qui figure dans le corps électoral du chef de cette taxe ? 10 ou 11 p. c.

M. de Theuxµ. - C'est beaucoup.

MfFOµ. - Je le veux bien ; mais, cette influence prépondérante dont vous parlez, comment pouvez-vous la tirer de, cette proportion ? Voilà ce que je demande.

Vous supposez, apparemment, que tous les débitants de boissons alcooliques sont absolument d'un seul côté, qu'ils appartiennent tous à une seule opinion, à un seul parti. C'est là, assurément, une profonde erreur.

M. de Theuxµ. - Je demande la parole.

MfFOµ. - Je crois que vous devez être les premiers convaincus qu'un très grand nombre de cabaretiers votent dans le sens de votre opinion. Cela est incontestable. Tout ce que l'on peut dire, et je crois faire une concession très large, c'est qu'il y a, tout au plus, partage pour les deux opinions.

J'ajoute que je fais cette concession, mais absolument sans croire à ce partage ; j'ai de fortes raisons de penser que le nombre des cabaretiers qui appuient l'opposition est plus considérable que celui des cabaretiers qui votent dans le sens de l'opinion libérale.

M. Coomans. - N'importe dans quel sens. C'est mauvais.

MfFOµ. - C'est mauvais, je le veux bien. Mais nous constatons les faits, et je dis que vous vous fourvoyez au point de vue de l'intérêt de votre opinion, lorsque vous soutenez cette thèse. Vous avez là un contingent considérable, et s'il disparaissait, votre position serait affaiblie. Veuillez-y réfléchir. (Interruption.)

Mais, messieurs, à part toute autre raison, il en est une très simple, très évidente, qui démontre clairement qu'il doit en être ainsi. Le plus grand nombre de cabaretiers se trouvent dans les campagnes, c'est-à-dire là précisément où s'exerce principalement votre influence. Or, dans la plupart des cantons ruraux de la Belgique et surtout de certaines provinces, quel est, je vous le demande, le cabaret qui pourrait subsister, s'il était mis en interdit par le curé ? (Interruption.)

M. de Kerchove de Denterghemµ. - Il n'y en a pas un seul qui se maintiendrait.

M. Beeckman. - Les trois quarts.

MfFOµ. - Je suis donc fondé à dire que si la proposition que vous avez faite était accueillie, le résultat vous serait très défavorable.

Au surplus, lorsque vous aurez formulé des propositions sérieuses sous ce rapport, nous les examinerons avec la plus parfaite impartialité.

Je vous donne le fond de ma pensée. Je n'attache, pour ma part, aucune importance à l'intervention des débitants de boissons dans les élections générales. J'ai soutenu seulement que l'impôt était direct, et qu'aussi longtemps qu'il subsisterait comme tel, il devrait servir à compléter le cens électoral. Mais votre opposition tardive naît uniquement de cette idée erronée qu'il constitue un élément exclusivement favorable à l'opinion que j'ai l'honneur de représenter.

Cependant, si les débitants de boissons doivent être complètement négligés comme influence dans les élections générales, il n'en est pas de même, je le reconnais, pour les élections communales : là, il peut y avoir une certaine liaison d'idées entre l'abus des boissons alcooliques et la taxe.

Dans les districts industriels, où se trouvent beaucoup d'ouvriers, il se peut que les cabaretiers exercent trop d'influence, dans l'élection communale, sur ceux qui sont précisément chargés de la surveillance des cabaretiers. C'est à examiner.

Mais là on n'est pas lié par la disposition constitutionnelle. Même sans apporter ce changement considérable dont a parlé l'honorable M. de Theux, il se peut, je ne me prononce pas, mais il se peut qu'il y ait quelque chose à faire. Cette question a un tout autre caractère, et on pourra l'examiner.

J'en viens maintenant à l'abus des boissons alcooliques proprement dit, question tout à fait distincte, que je sépare complètement de la question électorale.

Eh bien, j'ai tenu la promesse que j'avais faite. J'avais fait une enquête ; j'avais réuni de nombreux documents sur cette question ; je les ai soumis à la Chambre ; ils ont été imprimés et distribués ; chacun a pu en prendre connaissance, et je ne sais si la Chambre s'est formé une autre opinion que moi à cet égard ; mais, je dois le déclarer, après un examen très attentif de cette difficile question, j'ai constaté que toutes les tentatives faites dans divers pays où l'on avait essayé de mettre en œuvre plusieurs moyens plus ou moins pratiques pour arriver à la répression des habitudes d'ivrognerie, n'avaient abouti qu'à des résultats très peu encourageants. En réalité, c'est seulement par des moyens moraux, par le développement de l'instruction et de la moralité publique, que l'on peut espérer d'arriver à réprimer l'abus des boissons alcooliques, l'expérience faite dans d'autres pays étant venue démontrer l'inefficacité des moyens législatifs.

Du reste, je le répète, ces documents sont sous les yeux de la Chambre ; si quelque honorable membre a une idée qu'il croit bonne et utile d'émettre en cette matière, je suis prêt à l'examiner. Nous sommes tout disposés à employer les mesures les plus énergiques, dont l'utilité serait constatée, pour arriver à réprimer un abus qui est véritablement des plus déplorables.

M. Coomans. - Il résulte du langage de M. le ministre des finances que le gouvernement est bien déterminé à maintenir le droit supplémentaire des patentés débitants de boissons alcooliques parmi les bases du cens, au moins pour la nomination des membres des deux Chambres.

A première vue, il y a, dans cette résolution déplorable, une contradiction que j'ose qualifier de grossière.

D'après M. le ministre, le cabaretier débitant de genièvre électoral sera digne de choisir les législateurs de son pays, mais il sera indigne de choisir les conseillers de sa commune. N'est-ce pas étonnant ? Ce cabaretier que vous expulsez comme indigne du petit corps électoral, où il peut émettre des votes intelligents, vous l'admettez dans le grand corps électoral, où il faut exiger naturellement beaucoup plus de garanties de moralité et de capacité de la part des citoyens. Je ne pense pas que vous parviendrez à faire passer cette contradiction dans la loi, quelle que soit votre puissance sur cette assemblée. L'absurde a des limites qu'on ne dépasse pas impunément.

Une autre affirmation de M. le ministre me paraît non moins inadmissible.

Il n'y a, dit-il, aucun rapport entre le droit électoral dérivant de la patente supplémentaire pour le débit de boissons alcooliques et ce débit, c'est-à-dire pas de rapport entre l'ivrognerie et le privilège exceptionnel que vous accordez au petit cabaretier. Moi, j'y trouve un rapport intime, et c'est M. le ministre lui-même qui nous le montre clairement. En effet, M. le ministre dit que le droit de suffrage dévolu au cabaretier ne peut être maintenu qu'en cas de débit réel ; il n'admettra pas de patente factice, il veut une vente sérieuse et suffisante d'alcool.

(page 95) Or, si le faux électeur (je le qualifie de faux électeur et j'ai le droit de qualifier ainsi l’homme qui fait une fausse déclaration de patente pour devenir électeur), si le faux électeur cabaretier est obligé de débiter le minimum de genièvre que M. le ministre des finances lui prescrira, minimum qui sera aussi élevé que possible ; n'est-il pas clair que c'est le gouvernement lui-même qui pousse à l'ivrognerie ? Car enfin, il faudra bien en venir à déterminer le minimum que chaque cabaretier devra vendre pour être maintenu sur la liste électorale ; sinon vous tombez dans l'arbitraire.

Ce sera un certain nombre de litres de schnick par mois ou par an, et c'est vous-mêmes qui devrez le décréter. Vous devrez dire : Quiconque n'aura pas versé, non pas dans le ruisseau, car ce serait encore un débit fictif, mais dans le gosier du public autant de litres de genièvre ; quiconque n'aura pas fait largement cela sera rayé de la liste électorale. Donc, monsieur le ministre, j'ai le droit de dire que vous poussez à l'ivrognerie. Je sais bien que vous en êtes l'adversaire platonique ; mais :

« La foi qui n'agit pas est-ce une foi sincère ? »

Aussi longtemps que vous maintiendrez les cabaretiers sur les listes électorales, vous accorderez une prime aux faux électeurs, une prime à l'ivrognerie.

Je comprendrais que vous dissiez que la simple déclaration du citoyen aspirant cabaretier suffît et que moins le cabaretier débitera de genièvre, plus il sera respectable et digne d'être électeur. Je comprendrais cela, mais affirmer que, pour rester électeur, il faut continuer à empoisonner le public, cela me paraît un peu fort, surtout quand on rédige avec solennité de gros documents contre l'ivrognerie.

Il y a aujourd'hui, dans maints villages, trois ou quatre fois plus de cabaretiers qu'il n'en existait il y a 10 à 15 ans, et comme la possession des bases du cens est plus ou moins exigée, ces cabaretiers débitent le plus de genièvre possible et ils s'éparpillent dans les hameaux, où naguère on n'en rencontrait pas. (L'occasion fait le larron et le biberon ; je tiens ce proverbe pour irréfutable.)

Il est inutile que maintes personnes qui ne se rendaient pas au centre du village pour se soûler, trouvent toutes ces commodités-là autour d'elles, dans leur hameau, grâce à M. le ministre des finances, grand ennemi de l'ivrognerie.

Je pourrais citer des villages, de simples hameaux même où, de mémoire d'ivrogne, il n'y a pas eu de cabaretier (il est vrai que leur mémoire est souvent courte, leur vie l'étant) et où aujourd'hui on en compte par douzaines.

Eh ! messieurs, je. connais des corps électoraux composés, pour les quatre cinquièmes de cabaretiers. Heureusement que tous ne sont pas des cabaretiers sérieux ; heureusement que beaucoup sont des cabaretiers frauduleux, de faux cabaretiers, car si c'étaient de vrais cabaretiers, selon le vœu de M. le ministre des finances, mais presque toutes nos communes rurales seraient empoisonnées ! (Interruption.)

Je vous remercie, messieurs, de votre attention, parce qu'elle me prouve que vous ne considérez pas la thèse de M. le ministre comme une thèse de parti, comme une thèse irréfutablement démontrée.

L'honorable ministre vient de nous prouver à sa mode, je voudrais bien que ce fût vrai, que nous jouons un jeu de dupes, dans les rangs de l'opposition, en nous séparant de nos amis les cabaretiers, beaucoup plus, nombreux, paraît-il, dans nos rangs que dans les vôtres. Je voudrais que ce fût vrai, parce que j'aurais bien plus de chance de les faire expulser immédiatement de nos rangs.

Je crois que M. le ministre tient beaucoup à les voir figurer dans nos rangs pour conserver ce personnel équivoque dans les siens. Mais supposons que cela soit aussi vrai que je le tiens pour faux ; supposons qu'il y ait plus de cabaretiers parmi les électeurs de la droite et de l'opposition que parmi ceux du parti ministériel.

Ce serait, aux yeux de la gauche, une raison de plus pour les expulser du corps électoral ; la politique viendrait ainsi au secours de la morale.

Quant à moi, je déclare que c'est la question morale qui doit seule dominer. Je ne me suis livré à aucune investigation au sujet du vote des électeurs cabaretiers ; j'ai pensé que leur vote était favorable à la gauche, par une raison bien simple : c'est la gauche qui a créé ces électeurs et qui les maintient.

Si vous parvenez à prouver le contraire, je serai heureux de donner l'exemple d'un sacrifice fait à la morale. Préférons la morale à l'intérêt politique. L'honorable M. de Theux, qui pèse toujours si exactement ses paroles, vient d'en prononcer deux qui, sorties de ma bouche, auraient été vraisemblablement incriminées.

« Le régime des faux électeurs, a dit l'honorable comte de Theux, vicie radicalement notre corps électoral », et ensuite « il fausse notre corps électoral. »

C'est tout ce que je veux dire.

Un corps électoral radicalement vicié, un corps électoral faussé, c'est très grave. Je souhaite que nous nous entendions tous pour épurer autant que possible le corps électoral. Vous n'y avez pas réussi, malgré vos bonnes intentions, que je crois généreuses ; vous n'y avez pas réussi par la loi sur les fraudes électorales, qui n'a été qu'un coup d'épée dans l'eau et qui donnera lieu à beaucoup plus de fraudes que vous n'avez essayé d'en prévenir.

Mais vous épureriez considérablement le corps électoral, en faisant cesser cette étrange anomalie, d'admettre dans son sein des électeurs sans argent, sous l'empire d'un système dont la base électorale est l'argent. Car j'ai eu l'occasion de démontrer que vous versez dans une inconséquence profonde ; vous prétendez que l'argent est la meilleure base du droit de suffrage, et d'autre part vous expulsez du corps électoral 150,000 fermiers qui ont de la fortune, et vous y maintenez 12,000 faux cabaretiers électeurs qui n'ont rien ou presque rien.

Messieurs, un gouvernement que je n'ai pas l'habitude de louer, parce que je regrette de ne le pas trouver assez louable, a donné un exemple de morale à l'Europe occidentale ; il s'est aperçu que le nombre de cabaretiers s'accroissait trop, surtout dans les grandes villes : il vient de limiter ce. ombre, de le restreindre à certain maximum ; il fait plus, il exige des cabaretiers des garanties qui ne sont pas demandées à d'autres industriels.

Cet exemple donné par la Russie est d'autant plus beau que, si je suis bien informé, elle éprouvera une grande diminution de ressources fiscales, par suite de la réduction du nombre des cabaretiers.

Au point de vue financier, l'intérêt de la Russie était d'augmenter considérablement le nombre des cabaretiers, comme le fait, en Belgique, le ministère que vous appelez libéral. Eh bien, en Russie, la morale a prévalu sur l'esprit fiscal. C'est un exemple que nous devrions courageusement imiter.

Messieurs, quoi qu'on en dise, c'est surtout des élections législatives que je me préoccupe en cette matière.

Mais, dit l'honorable ministre des finances, 10 à 11 p. c. de cabaretiers dans un corps électoral, quelle influence cela peut-il exercer ? Aucune. Eh ! l'influence que 10 à 11 p. c. d'électeurs (M. le ministre des finances disait 11 à 12 p. c. l'année dernière) peut exercer est énorme. Alors que dans beaucoup de districts le dénouement de la lutte électorale est décidé par un quart p. c. ; même par un douzième et un vingt-quatrième p. c. des voix. Et vous oseriez dire que 10 à 11 p. c. d'électeurs d'une opinion donnée n'exercent aucune influence sur le corps électoral, alors que vous devez reconnaître que certaines élections dépendent de quatre ou cinq électeurs sur 10,000, d'un électeur sur 1,800 !

Mais, messieurs, cela est-il soutenable ? La vérité est que l'influence des faux cabaretiers est grande quand même elle n'est exercée que par quelques personnes.

Du reste, remarquez-le bien, il y a un côté de la question qu'on nous cache sans cesse : on a l'air de croire que nous voulons expulser tous les cabaretiers, tous les hôteliers, tous les débitants de boissons quelconques du corps électoral. II n'en est cependant rien. Quand nous aurons éconduit 10 à 12 p. c. des faux électeurs...

MfFOµ. - Ce ne sont pas de faux électeurs.

M. Coomans. - ... dont je parle, il y restera encore beaucoup de cabaretiers.

Il y a 19,000 électeurs cabaretiers sur nos cent mille électeurs belges, seulement dix ou douze mille de ces cabaretiers ne sont électeurs qu'à cause du droit qu'ils payent pour le débit de boissons. Les 7,000 autres sont électeurs du chef d'autres impôts aussi. Eh bien, ces 7,000 électeurs cabaretiers-là, nous les maintiendrons dans le corps électoral. J'accepterai même tous les autres, si on veut les noyer dans le suffrage universel.

Nous n'en chasserons que ceux qui n'ont pas le droit d'en faire partie, c'est-à-dire ceux qui au moyen d'un impôt dont le caractère est au moins douteux, au moyen d'un impôt d'accise supplémentaire, se glissent dans le corps électoral.

Ma conviction, sur ce point, est si profonde que je m'étonne d'avoir à y revenir chaque année avec un insuccès égal.

Il me semble, messieurs de la gauche, que si vous faisiez à M. le ministre des finances l'honneur de le croire cette fois, ce que vous faites souvent, trop souvent, et d'être convaincus que les cabaretiers nous servent plus qu'ils nous vous servent, vous devriez voter avec nous l'abolition de l’abus (page 96) criant que je signale et que je signalerai avec une force croissante dans toutes les occasions qui se présenteront.

- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !

Projet de loi décrétant disponibles un crédit ouvert au budget du ministère des finances

Dépôt

MfFOµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

1° Un projet de loi ayant, pour objet de décréter que le crédit de 500,000 fr., alloué au département des finances par la loi du 7 mars 1867, pour couvrir les frais de fabrication de 32 millions de francs en espèces divisionnaires d'argent, sera encore disponible pendant l'exercice 1869 ;

Projet de loi supprimant la formalité du vis exécutoire du rôle des contributions directes

Dépôt

2° Un projet de loi qui a pour objet de supprimer la formalité du visa exécutoire du rôle des contributions directes par les gouverneurs.

Je prie la Chambre de vouloir s'occuper de ces projets, et principalement du dernier, aussi promptement que possible. Il serait très désirable que la mesure que je propose pût être mise en vigueur dès le 1er janvier prochain. Il s'agit de faire disparaître une formalité complètement inutile et qui exige, de la part des gouverneurs de province, un nombre considérable de signatures ; quelque chose comme soixante mille ! La Chambre examinera. Seulement, je demande qu'elle veuille bien s'occuper sans retard de cet objet.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces deux projets de loi.

La Chambre renvoie le premier à l'examen des sections et le second à la section centrale, qui a examiné le budget des finances.

- La séance est levée à cinq heures.