(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 189) M. de Moor, secrétaireµ, procède, à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Mortelmans se plaint de la manière dont se fait le service de la poste à Boisschot et demande l’établissement d'un bureau à la station de cette commune. »
M. Notelteirsµ. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. Je la crois fondée, les raisons sont en harmonie avec les promesses faites par M. le ministre.
- Cette proposition est adoptée.
« Des habitants de Borloo demandent la construction d'un chemin de fer qui mette le canton de Looz en relation avec les autres parties du pays. »
M. Julliot. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
- Adopté.
« La dame Estorez demande que son deuxième fils, soldat à la 6ème compagnie du 4ème bataillon du régiment d'élite, soit renvoyé dans ses foyers.»
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles demandent la révision de la loi sur la garde civique. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Des facteurs ruraux attachés au bureau des postes de Waremme demandent une augmentation de traitement. »
« Même demande du sieur Franckart, facteur rural à Flémalle. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« Des commerçants, à Namur, prient la Chambre de maintenir la loi du 24 mars 1859, sur la contrainte par corps. »
M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi portant abolition de la contrainte par corps.
- Adopté.
« M. Spring, prorecteur à l'université de Liège, adresse à la Chambre 126 exemplaires d'une brochure contenant les discours prononcés à la salle académique de cette université, le 14 novembre dernier, pour honorer la mémoire de feu le professeur Léon de Closset. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« M. Schollaert, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »
- Ce congé est accordé.
M. Vandermaesenµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi abrogeant l'article 1781 Au code civil.
- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met le projet à la suite des objets à l'ordre du jour.
Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la Chambre passe à la délibération sur les articles.
« Art. 1er. Liste civile (fixée en vertu de l'article 77 de la Constitution, par la loi du 25 décembre 1865) : fr. 3,300,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Dotation de S. A. R. le Comte de Flandre : fr. 150,000. »
- Adopté.
« Art. 3. Sénat : fr. 50,000.
« Charge extraordinaire : fr. 10,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Chambre des représentants : fr. 640,518 92. »
- Tenu en suspens.
« Art. 5. Traitement des membres de la Cour : fr. 70,750. »
- Adopté.
« Art. 6. Traitement du personnel des bureaux : fr. 95,520. »
- Adopté.
« Art. 7. Matériel et dépenses diverses : fr. 16,900. »
- Adopté.
« Art. 8. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 1,200. »
- Adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du budget qui est ainsi conçu :
« Le budget des dotations est fixé, pour l'exercice 1867, à la somme de quatre millions trois cent trente-six mille huit cent quatre vingt-huit francs quatre-vingt-douze centimes (4,336,888 fr. 92 c.), conformément au tableau ci-annexé. »
Il est adopté à l'unanimité des 90 membres présents.
Ce sont :
MM. de Kerchove, Delaet, Delcour, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Mérode, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, Descamps, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, de Woelmont, Dubois d'Aische, Dumortier, d'Ursel, Elias, Guillery, Hagemans, Hayez, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lienart, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Pirmez, Reynaert, Sabatier, Snoy, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wouters, Allard, Ansiau, Beeckman, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Carlier, Coomans, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck et Ernest Vandenpeereboom.
(page 190) M. Lelièvreµ. - Messieurs, l’article 619 du code d'instruction criminelle n'admet à la réhabilitation que ceux qui ont été condamnés à une peine afflictive ou infamante. En conséquence la doctrine et la jurisprudence ont admis que cette voie n'était pas ouverte aux individus privés de leurs droits civils par de simples peines correctionnelles. Cet ordre de choses s'explique par la considération que lors de la publication du code d'instruction criminelle, en 1808, les condamnés à des peines afflictives ou infamantes étaient seuls soumis, sauf quelques rares exceptions, à des incapacités perpétuelles. Les lois spéciales portées postérieurement ayant multiplié les cas d'incapacité en les étendant à certaines condamnations correctionnelles, il devint indispensable d'accorder la réhabilitation aux condamnés en matière correctionnelle. Cette mesure est justifiée d'ailleurs par les motifs les plus sérieux.
Si des individus ayant commis des faits graves peuvent obtenir la cessation des incapacités résultant de la condamnation, à plus forte raison doit-il en être de même quand il est question d'actes ayant un caractère beaucoup moins prononcé de gravite. A ce point de vue, il n'est pas possible que les condamnés en matière correctionnelle soient traités avec plus de sévérité que les individus condamnés pour crimes.
Les conséquences d'une condamnation correctionnelle ne sauraient être plus rigoureuses que celles résultant d'un jugement criminel. Celui qui a commis un vol simple ne peut être d'une condition plus défavorable que celle faite à l'auteur d'un vol qualifié,
Il y a plus, la loi du 1er' mars 1849 ayant autorisé la commutation de peines criminelles en pénalités correctionnelles, s'il existe des circonstances atténuantes, il s'ensuit que, sous le régime en vigueur, celui qui a commis des faits qualifiés crimes est traité avec plus de rigueur, au point de vue de la réhabilitation, dans le cas où il existe des circonstances atténuant, la gravité des actes délictueux. C'est donc l'existence de circonstances atténuantes qui, dans l'état actuel de la législation, peut être un obstacle à la réhabilitation du condamné.
Ce n'est pas tout, le. régime en vigueur présente des anomalies qu'il suffit de signaler pour démontrer la nécessité de les faire disparaître. C'est ainsi que l'auteur d'un viol ou de tout autre attentat à la pudeur commis avec violence, condamné de ce chef à une peine criminelle, pourra jouir du bénéfice de la réhabilitation, tandis que la même faveur sera déniée à celui qui n'aura été frappé que d'une pénalité correctionnelle, même d'une simple peine pécuniaire, du chef d'outrage public à la pudeur, délit réprimé par l'article 330 du code pénal. C'est donc un attentat aux mœurs, ayant un caractère moins grave, qui d'après nos lois actuelles est puni plus sévèrement au point de vue de la privation des droits électoraux.
D'un autre côté, la loi qui doit avoir en vue l'amendement moral du coupable doit faciliter à celui-ci les moyens de reprendre une position honorable dans la société, et il importe même qu'après des épreuves relatives à sa conduite et moyennant des garanties morales que son repentir peut offrir, les conséquences de sa condamnation soient entièrement effacées.
Il est donc évident que les principes humanitaires qui tendent à favoriser l'amendement et à assurer la régénération du condamné répugnent à la législation en vigueur qui laisse celui-ci sous le poids d'une flétrissure indélébile.
Telles sont les considérations qui ont dicté en France la réforme qui fait l'objet du projet et qui a été sanctionnée d'abord par le décret du gouvernement provisoire du 18 avril 1848, puis par la loi du 3 juillet 1832. Elle est du reste devenue chez nous d'une nécessité indispensable.
En effet aux termes des articles 3 de la loi électorale du 1er avril 1843, 5 de la loi provinciale et 12 de la loi communale du 30 mars 1836, sont exclus à jamais de tous droits électoraux ceux qui ont été condamnés pour certains délits. Une simple peine pécuniaire appliquée du chef de ces faits suffit ainsi pour créer une incapacité perpétuelle, sans que la législation en vigueur laisse à l'individu placé dans cette situation aucun moyen de la faire cesser. Un état de choses aussi exorbitant ne saurait être maintenu. Il est contraire à tous principes de justice et d'équité. Il foule aux pieds les maximes fondamentales du droit de punir.
Tels sont les motifs qui nous ont portés à déposer une proposition de loi ayant pour objet d'établir un régime analogue à celui que la France a adopté depuis plusieurs années.
Nous avons énoncé dans le projet les dispositions exigeant des garanties suffisants pour que la réhabilitation ne soit admise qu'en connaissance de cause, et, alors seulement qu'elle est pleinement justifiée.
Sauf quelques exceptions réclamées par la nature des faits moins graves que ceux auxquels s'appliquent les dispositions du code d'instruction criminelle sur la matière, nous avons pris pour base les prescriptions de ce code qui nous ont paru satisfaire à tous les intérêts légitimes.
Nous avons d'ailleurs pensé que la réhabilitation étant une heureuse institution destinée à produire d'excellents résultats et de nature à mettre fin à la perpétuité de privations toujours pénibles, elle ne devait pas être entravée par un nombre exagéré de formes et de solennités. C'est ce qui nous a déterminés à substituer les prescriptions énoncées aux articles 3, 4 et 5 du projet aux exigences décrétées par l'article 620 du code d'instruction criminelle concernant les crimes.
Du reste l'une des conditions que nous avons cru devoir exiger pour l'admission de la réhabilitation, c'est le payement de l'amende et des frais de justice prononcés par le jugement de condamnation. Ce payement seul ou la remise des peines, même de celles simplement pécuniaires, par la grâce du Roi satisferont au vœu de la loi. En conséquence le condamné qui ne se libérerait que par la prescription des pénalités prononcées contre lui ne pourrait être admis à la réhabilitation. Nous adoptons à cet égard la décision d'un arrêt de la Cour de Paris du 5 avril 1853.
Nous n'avons pas cru devoir maintenir la publicité prescrite par l'article 625 du code d'instruction criminelle, parce que nous avons pensé que l'on ne devait point ramener l'attention publique sur une condamnation peut-être oubliée, et qu'une mesure qui imprimait une flétrissure nouvelle au demandeur en réhabilitation devait être écartée, comme d'autant plus injuste, que la faute est expiée et peut être effacée par une conduite honorable.
Nous espérons que la Chambre verra dans la proposition un nouveau progrès à réaliser et jugera utile de combler une lacune regrettable signalée depuis longtemps dans notre législation par les amis de la science.
- La proposition est appuyée.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne crois pas qu'il soit utile de renvoyer l'examen de ce projet de loi aux sections par les raisons que je vais avoir l'honneur de développer devant la Chambre.
Il y a dans le code d'instruction criminelle la réhabilitation par voie de justice pour les condamnés criminels.
Lorsqu'on a discuté le nouveau code pénal, on a décidé qu'au lieu de conserver la réhabilitation judiciaire, on s'en tiendrait à la réhabilitation grâcieuse, c'est-à-dire que le Roi aurait la faculté de remettre les incapacités qui résultent de condamnations ou qui sont prononcées par les tribunaux.
Je ne crois pas que l'honorable M. Lelièvre maintiendra son projet de loi de réhabilitation judiciaire en présence du vote de la Chambre qui a admis, lors de la discussion du premier livre du code pénal, le système de la réhabilitation gracieuse.
(page 191) Il n'y a pas de doute que la réhabilitation gracieuse est de beaucoup préférable à la réhabilitation judiciaire. En effet, il faut un certain temps avant de pouvoir l'obtenir, et de plus, il y a la procédure publique, qui renouvelle toutes les impressions que le condamné a subies une première fois. Dans le système de la réhabilitation grâcieuse, au contraire, on s'adresse au pouvoir exécutif qui fait remise des incapacités.
Je suis convaincu que si l'honorable M. Lelièvre s'était souvenu de ce qui s'est passé lors du premier vote du code pénal, je suis convaincu, dis-je, qu'il n'aurait pas fait sa proposition.
Au surplus si l'honorable membre n'est pas d'avis que la réhabilitation grâcieuse vaille mieux que la réhabilitation judiciaire, il pourra présenter son système lors de l'examen du code pénal et l'on évitera ainsi le renvoi de. la proposition de loi aux sections.
M. Lelièvreµ. - Il m'est impossible d'adopter le système de M. le ministre de la justice. En effet, il y a une distinction notable entre la grâce et le droit de réhabilitation. La grâce est un acte de faveur, tandis que la réhabilitation constitue pour le condamné un droit qu'il tient de la loi. Or, l'on comprend parfaitement que le condamné a un intérêt immense à faire décider que par sa conduite et l'accomplissement des conditions prévues parla loi, il a acquis le droit d'être réhabilité. Un simple arrêté de grâce ne remplace en aucune manière l'acte solennel qui, rendu après une instruction régulière, et sur l'avis du pouvoir judiciaire, atteste que, par sa conduite postérieure, le condamné a expié sa faute et reprend une place honorable dans la société.
Il y a plus, messieurs ; nos lois électorales déclarent que ne peuvent être électeurs ceux qui ont commis tel délit. Or, ce ne sera pas un arrêté de grâce qui effacera cet état de choses, œuvre de la loi.
Comme il s'agit d'une question importante, je ne m'oppose pas à ce qu'elle soit discutée après le vote sur le code pénal, si la Chambre ne jugeait pas convenable de prendre immédiatement ma proposition en considération, mais je suis convaincu qu'il est impossible de remplacer la réhabilitation par le droit de grâce et qu'il importe de ne pas confondre deux choses entièrement différentes : la grâce, qui n'est qu'une faveur, œuvre de la clémence royale, et. le droit pour tout individu condamné par la justice de faire déclarer solennellement que sa faute est entièrement expiée et effacée vis-à-vis de la société.
M. Pirmezµ. - Messieurs, je crois que la Chambre ne peut se rallier à la proposition de l'honorable M. Lelièvre d'ajourner l'examen du projet jusqu'à ce qu'elle ait examiné le titre premier du code pénal.
L'honorable M. Lelièvre est dans l'erreur, et voici d'où vient son erreur :
Le code pénal ne portait pas d'abord de dispositions sur l'extinction des peines. Ce chapitre a été discuté lorsque l'honorable membre ne faisait pas partie de la Chambre, On a examiné alors s'il fallait maintenir tout à la fois la réhabilitation grâcieuse et la réhabilitation judiciaire. Or, les deux genres de réhabilitation aboutissaient à un arrêté royal qui faisait finir les incapacités résultant de condamnations ou prononcées par les tribunaux ; seulement la réhabilitation judiciaire exigeait de longs délais.
Il s'agissait donc de savoir s'il fallait maintenir ce système, d'après lequel le Roi ne pouvait accorder immédiatement la grâce, à côté du système dans lequel il pouvait l'accorder immédiatement.
La Chambre a pensé qu'il était inutile de maintenir le système de la réhabilitation judiciaire conduisant exactement au même résultat que l'autre, mais n'y conduisant qu'après une longue procédure judiciaire.
Si l'honorable membre veut revoir la discussion, il verra qu'on a admis d'une manière générale que le Roi pouvait faire remise de toutes les incapacités résultant des condamnations, en vertu du droit de grâce que lui donne la Constitution. S'il en est ainsi, il est évident que la proposition de loi doit disparaître comme inutile.
Si l'honorable M. Lelièvre, toutefois, croit qu'il faut maintenir à côté de la réhabilitation gracieuse la réhabilitation judiciaire, c'est par amendement au code pénal qu'il doit présenter sa proposition. Mais dans aucun cas, nous ne devons discuter cette proposition comme projet de loi séparé.
M. Van Humbeeck. - D'ordinaire toute proposition de loi qui présente un caractère sérieux est à peu près certaine d'être prise en considération ; le débat qui se produit en ce moment est donc un débat d'une nature tout exceptionnelle. Je comprends cependant qu'il ait été soulevé en présence des objections importantes présentées par M. le ministre de la justice et développées par M. Pirmez. Mais il ne peut entrer dans les intentions de la Chambre de statuer inopinément sur la valeur de semblables objections,
Les considérations présentées pour et contre la proposition me prouvent que la question est des plus controversables. Il y aurait donc, me semble-t-il, utilité à ajourner la décision relative à la prise en considération, soit jusqu'après le vote des budgets, soit jusqu'au moment où l'on s'occupera du code pénal, auquel la question se rattache d'une manière directe.
M. Teschµ. - La prise en considération n'engage à rien, on pourrait donc passer outre, sauf à renvoyer la proposition à la commission qui a examiné le premier titre du code pénal.
Celle-ci pourrait rechercher tout ce qui s'est passé lors de la discussion et nous présenter un rapport complet qui éclairerait la Chambre.
Je propose donc que la proposition de M. Lelièvre soit prise en considération et renvoyée à la commission chargée de l'examen du code pénal.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me rallie complètement à la proposition de M. Tesch et je n'ai pris la parole que pour faire remarquer que le but que poursuivait M. Lelièvre était déjà atteint.
M. Teschµ. - Vous avez eu parfaitement raison de faire cette observation ; mais pour que la Chambre soit complètement éclairée, il est bon, en présence des affirmations contradictoires, que la question soif examinée.
- La discussion est close.
La proposition de M. Lelièvre est prise en considération et renvoyée à la commission chargée de l'examen du code pénal.
MpVµ. - La discussion générale est ouverte.
M. Jacobsµ. - La Chambre sait que le barrage de l'Escaut oriental est l'objet de négociations délicates entre les gouvernements belge et néerlandais.
Dans cette question les ingénieurs des deux pays sont divisés au sujet des résultats que doit produire cet ouvrage d'art. D'après les uns, ces résultats doivent être néfastes ; d'après les autres, ils doivent au contraire être heureux au point de vue de la navigation.
Cette question d'utilité se complique d'une question de droit ; nonobstant les négociations qui existent entre la Belgique et la Hollande, le gouvernement des Pays-Bas marche en avant, et il suit cette vote qui lui permettra un jour d'opposer au gouvernement belge des faits accomplis.
Je ne veux pas aigrir les rapports des deux peuples par des récriminations, comme on en a donné l'exemple dans la chambre néerlandaise. Je ne répondrai pas à ces accusations de mesquine jalousie du port d'Anvers, vis-à-vis de Flessingue. Je n'accuserai pas la Hollande de vouloir sciemment nuire à l'Escaut. Je ne scrute pas les intentions ; je n'examine que les résultats. Ces résultats, au point de vue d'autorités très compétentes, peuvent avoir les conséquences les plus déplorables. C'est une question dont le gouvernement se préoccupe depuis longtemps, et il est juste que la Chambre s'en préoccupe également pour examiner la conduite du gouvernement, pour l'appuyer énergiquement, s'il y a lieu.
Je demanderai donc à M. le ministre des affaires étrangères, s'il peut communiquer à la Chambre les rapports des commissions qui se sont occupées de cet objet et les pièces relatives aux négociations diplomatiques, échangées entre la Belgique et la Hollande. Après examen de ces pièces, la Chambre et chacun de ses membres auront à faire ce qu'ils jugeront convenable.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je commence par remercier l'honorable membre des termes dans lesquels il a produit son interpellation. Je m'y rallie entièrement.
En ce qui concerne le dépôt des pièces qui se rapportent à cette longue et laborieuse affaire, je ne ferai aucune difficulté de les communiquer aux Chambres. Seulement, je crois que le moment n'est pas encore venu de faire cette communication. Je prie donc la Chambre de vouloir me laisser juge de l'opportunité du dépôt ; mais tous les documents sont réunis, et prêts à être publiés.
Quant à l'état de la question, ainsi que l'a énoncé l'honorable membre qui est bien informé, le dernier acte consiste dans le rapport d'une commission mixte, composée d'ingénieurs belges et d'ingénieurs hollandais. Les membres de cette commission ne sont pas parvenus à se mettre d'accord dans leurs conclusions. Alors que les ingénieurs hollandais (page 192) soutiennent que le barrage du canal de Berg-op-Zoom, c'est-à-dire de ce bras du fleuve qui lie l'Escaut oriental à l'Escaut occidental, ne peut exercer aucune influence défavorable sur l'Escaut occidental, les ingénieurs belges ont soutenu que ce barrage aurait des résultats dommageables sur l'Escaut occidental, dans la partie du fleuve en aval de Batz.
Messieurs, l'affaire importante qui nous occupe et qui excite à bon droit la sollicitude de la Chambre, est fort ancienne ; elle remonte à l'année 1846. Voilà vingt ans qu'on la discute ; plusieurs commissions ont été nommées. Des correspondances très étendues ont été échangées, mais on n'est pas parvenu à modifier l'opinion du gouvernement hollandais.
En présence des conclusions contradictoires de la commission mixte, le gouvernement belge qui s'est attaché à agir vis-à-vis de la Hollande avec un grand esprit de conciliation, le gouvernement belge a cru devoir faire une dernière tentative : il a pensé qu'il conviendrait de recourir aux lumières d'ingénieurs dont la compétence et l'impartialité seraient à l'abri de tout reproche. Il s'est adressé aux gouvernements étrangers les plus intéressés dans la navigation de l'Escaut ; il leur a demandé de désigner à la Belgique des ingénieurs compétents auxquels le différend existant entre les commissaires belges et les commissaires hollandais serait soumis.
Jusqu'ici, messieurs, les démarches du gouvernement belge n'ont pas encore atteint un résultat définitif ; mais nous avons des motifs de croire que les gouvernements étrangers n'hésiteront pas à se rendre à la demande du gouvernement belge.
Celte demande n'a absolument rien d'hostile contre la Hollande. Le but unique que nous poursuivons, c'est de nous éclairer, en consultant des hommes compétents, expérimentés qui pourraient jeter un jour nouveau sur cette question fort difficile, il faut le reconnaître.
Voilà où nous en sommes arrivés. J'espère que ce but, nous pourrons l'atteindre ; et lorsque nous aurons reçu les lumières que nous attendons de juges compétents et impartiaux, nous nous dirigerons d'après les conclusions qui nous seront fournies.
Ces ingénieurs n'ont pas à agir comme arbitres, mais comme simple conseil ; c'est une espèce de comité consultatif dont nous avons invoqué l'opinion.
Voilà l'état de choses actuel. Je n'ai rien à ajouter maintenant à ce que je viens d'annoncer à la Chambre ; et bien que, comme on l'a rappelé, la manière d'agir du gouvernement belge et les discussions des Chambres belges aient fait l'objet de débats très animés au sein des chambres d'un pays voisin, je crois que nous devons nous attacher à garder notre attitude calme, impartiale, et ne pas laisser croire que nous agissons ici dans un esprit hostile à un pays avec lequel nous sommes et tenons à rester dans les relations les plus amicales.
Ce n'est pas cependant un motif pour nous de dévier de la route que nous avons suivie. L'esprit de modération n'exclut pas la fermeté de conduite, et j'aime à croire que la Chambre reconnaîtra que le gouvernement, dans toute cette longue affaire, n'a manqué ni de vigilance, ni de sollicitude, ni de fermeté.
M. Coomans. - Messieurs, j'ai une réserve à faire an sujet de l'approbation que je suis tenté de donner au discours de l'honorable ministre. Si j'exprime cette réserve, ce n'est certes pas pour diminuer l'influence que le gouvernement belge pourra exercer dans cette affaire. Au contraire, je tiens à l'accroître autant que possible dans la faible mesure de la mienne.
Je m'étonne, messieurs, de voir que, pour me servir de l'expression de l'honorable ministre, il en soit encore à attendre des lumières sur la question du barrage de l'Escaut oriental en ce qui concerne la navigation de la branche occidentale de ce fleuve. Quoi ! vous attendez encore des lumières, et pourtant vous reconnaissez que la question est agitée depuis vingt ans, et j'ajouterai qu'elle est décidée depuis dix et douze ans au su et au vu de presque tout le monde, attendu que les dernières études et les premiers travaux datent de cette époque.
En pareille matière, très délicate, nous le comprenons tous, pour sauvegarder son intérêt et sa dignité, la première chose à faire par le gouvernement belge était de s'assurer des résultats que. l'on avait à attendre du barrage.
Si l'honorable ministre savait, il y a deux ou trois ans, que la fermeture de l'Escaut oriental devait entraver la navigation sur l'Escaut occidental, il a bien fait de protester, et alors j'exprimerai le regret que cette protestation n'ait pas été plus vive.
Mais si l'honorable ministre, comme je le pense, n'avait pas cette conviction il y a quelques années, je trouve qu'il nous a compromis en protestant d'une manière qui engageait l'avenir.
Les faits, je les connais, permettez-moi de vous le dire, parfaitement. J'ai été visiter deux fois les travaux depuis dix-huit mois, et j'ai cru devoir les étudier de près. Voici la vérité.
Ce travail est grand. Il fait honneur à la Hollande, et son intérêt commercial et agricole lui commande de l'exécuter.
D'autre part, elle n'a pas le droit d'exécuter ce travail, s'il doit nuire à notre intérêt, à nous, qui est grand aussi, à savoir la conservation de la navigabilité de l'Escaut.
J'ai beaucoup de peine à croire que la Hollande revienne sur sa décision. Je crains qu'elle ne le fasse pas, d'abord parce que les travaux sont presque achevés et ensuite parce qu'on a, fort à tort, posé en Hollande avec exagération la question de dignité nationale.
J'ai peine à croire que la Hollande recule et nous donne la satisfaction désirée par le gouvernement. Je dirai que j'ai la presque certitude qu'elle ne le fera pas et que nous finirons par nous résigner. Mais alors n'aurions-nous pas eu tort de protester trop vite et trop fort ? Car enfin, messieurs, la question est celle-ci : Cc travail nous nuira-t-il, oui ou non ? Si oui, opposons-nous-y de toutes nos forces ; si non, abstenons-nous et taisons-nous. Mais protester en disant : Nous ne sommes pas encore bien sûrs, nous allons encore aux renseignements, nous attendons des lumières, etc., il me paraît, j'ai le regret de le dire, que cela n'est pas très prudent.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est vous qui êtes prudent.
M. Coomans. - J'ai ma dignité comme vous, et quand je réclame, quand j'ai le droit pour moi, je veux aller jusqu'au bout ; mais quand j'ignore si mon intérêt est réel, je me tais.
Je ne parle que lorsque je suis sûr de mon affaire. Or, je regrette que vous veniez dire que vous n'êtes pas encore sûr, que vous attendez des lumières. Il ne vous est plus permis de prononcer ces mots après tous les actes diplomatiques que vous avez posés.
Voilà l'explication de ma pensée de tout à l'heure.
Maintenant voulez-vous un gros argument contre la Hollande ? Je vais vous le donner.
Je ne sais pas s'il figure dans vos papiers diplomatiques ; mais c'est celui qui a fait le plus d'effet sur les personnages avec lesquels j'ai eu occasion d'en causer en Hollande.
Nos voisins, je dirai nos frères du Nord, prétendent que nous n'avons pas le droit de nous opposer à des travaux exécutés sur le bas Escaut, parce que ce fleuve traverse le territoire néerlandais, que les Hollandais étant les maîtres chez eux, ils ne demandent pas de conseil et ils ne veulent pas recevoir d'ordre.
Je leur ai répondu que cet argument était faux. Preuves historiques en main, je leur ai rappelé qu'ils se sont opposés maintes fois à des travaux que nous voulions exécuter à la Meuse sur le territoire belge ; maintes fois, tous nos ministres le savent, on nous a empêchés d'exécuter sur la Meuse des travaux qui nous seraient fort utiles.
Les Campinois en savent quelque chose, ils demandent de l'eau depuis longtemps ; la Meuse seule peut leur en fournir, et chaque fois qu'ils ont demandé aux divers ministères qui se sont succédé depuis 1843 ou 1844, on nous a répondu prudemment, mais un peu trop prudemment : La Hollande ne veut pas. La Hollande ne nous a pas permis de construire certaines écluses dont l'effet sur le volume des eaux de la Meuse aurait été certainement aussi problématique que peut l'être l'effet du barrage de l'Escaut oriental. Par conséquent, ce grand argument mis en avant dans les chambres néerlandaises et dans la presse néerlandaise est absolument sans fondement.
Il y a une raison de plus en notre faveur dans cet ordre d'idées : c'est que nous avons payé en beaux deniers le droit de naviguer à perpétuité, aussi longtemps que Dieu ou la nature le permettront, sur tout l'Escaut. Par conséquent, il y a là une servitude acquise à titre onéreux que la Hollande devrait respecter, et je ne pense pas qu'aucune servitude semblable pèse contre nous sur la Meuse.
On vient de prononcer le mot de patriotisme en guise de réplique, de réfutation, je ne sais trop. Mais je suis bien persuadé qu'en parlant comme je le fais, je satisfais le sentiment patriotique le plus délicat.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis me dispenser de dire quelques mots relativement au discours que vous venez d'entendre, car je craindrais que, dans le pays avec lequel nous sommes en conflit sur cette question ou ne se prévalût de quelques paroles prononcées par l'honorable préopinant.
(page 193) Comme l'honorable membre l'a dit avec beaucoup de raison, on a singulièrement exagéré en Hollande la question de dignité nationale ; mais je ne puis admettre que ce pays ne consente jamais à faire droit à nos réclamations. Permettez-moi d'en établir la justice.
Vous le savez, messieurs, l'Escaut, au sortir de notre territoire, se divise en deux branches, l'Escaut oriental et l'Escaut occidental ; l'Escaut occidental sert seul à la grande navigation vers la mer ; l'Escaut oriental sert principalement à la navigation de la Belgique vers la Hollande et le Rhin.
L'Escaut, qui est la plus belle perte de notre couronne, doit avant tout conserver la profondeur de son lit. C'est là pour nous une question vitale.
Or, messieurs, pour que l'Escaut conserve la profondeur de son lit, il faut que la chasse qui a lieu à chaque marée puisse continuer à entraîner vers la mer les sédiments qui s'accumulent dans le lit de l'Escaut occidental. Or, comme la marée se fait sentir dans l'Escaut oriental une heure environ après celle de l'Escaut occidental, le flux qui se développe dans le premier forme une chasse puissante dans le second, en se déversant dans l'Escaut oriental et est un des plus grands éléments de cette chasse et de l'approfondissement de l'Escaut ; c'est là, à mes yeux, le point capital de la discussion ; il en est un second, mais j'attache beaucoup plus d'importance à la masse d'eau introduite dans l'Escaut occidental qu'à la navigation de l'Escaut oriental.
Or que veut la Hollande ? La Hollande veut faire un barrage pour réunir l'île de Sud-Beveland au continent ; mais remarquez, messieurs, que rien au monde n'était plus facile que d'établir cette communication sur pilotis, de manière à conserver à l'Escaut occidental les masses d'eau que l'Escaut oriental lui envoie.
Quel est le sujet de la contestation ?
L'Escaut oriental sépare l'île de Sud-Beveland du continent, et la Hollande veut y réunir cette île au moyen d'un barrage qui fermera ce bras du fleuve.
Or, lorsqu'on aura fait le barrage qui réunit l'île de Sud-Beveland au continent, la navigation vers la Hollande et le Rhin ne pourra plus avoir lieu et, d'un autre côté, les eaux de l'Escaut oriental ne pourront plus se déverser dans l'Escaut occidental.
Ces inconvénients ne se présenteraient pas si la Hollande faisait le passage dont il s'agit sur pilotis et à claire-voie, comme on a fait des passages sur le Rhin et sur le Danube ; alors nous n'aurions rien à dire ; mais ce passage la Hollande veut le faire au moyen d'un terrassement, c'est-à-dire en comblant le bras de l'Escaut oriental qui est entre l'île de Sud-Beveland et le continent ; or, en procédant ainsi on prive la Belgique de deux choses : la navigation vers la Hollande et le Rhin et l'afflux des eaux de l'Escaut oriental dans l'Escaut occidental.
Vous voyez, messieurs, combien ceci est une question grave. Il est positif que les eaux des hautes marées arrivant de l'Escaut oriental dans l'Escaut occidental sont une chose des plus importantes à conserver au point de vue de la navigabilité de l'Escaut au-dessous du port d'Anvers.
C'est là une chasse créée par la nature que rien ne peut remplacer.
Déjà des endiguements considérables ont eu lieu depuis Napoléon Ier, et il ne serait plus possible aujourd'hui à une flotte de ligne chargée de canons d'entrer à Anvers et même de se rendre à Ruppelmonde, comme on l'a vu sous l'Empire, en 1812, lors du débarquement de la flotte anglaise à Walcheren. La navigabilité de l'Escaut a été considérablement modifiée par les divers endiguements qui ont été effectués ; que serait-ce donc si par le barrage de l'Escaut oriental les eaux ne pouvaient plus arriver dans l'Escaut occidental ?
Vous le voyez, il s'agit ici d'une question capitale pour le pays.
Maintenant, messieurs, la Hollande a-l-elle le droit de faire une jetée en terre pour relier l’île dc Sud-Beveland au continent et de supprimer l'un des deux bras de l’Escaut ? En d'autres termes, a-t-elle le droit de priver la Belgique et de la navigation et des eaux qui lui sont indispensables pour maintenir la navigabilité de l'Escaut occidental ? Il suffit de lire le traité des 24 articles et les protocoles de Londres, pour se convaincre que ce droit n'existe pas. Que porte en effet le traité des 24 articles, traité signé par la Hollande et qui constitue le droit international ? Voici, messieurs, ce que dit l'article 9 :
« Art. 9, § 2. En ce qui concerne spécialement la navigation de l'Escaut et de ses embouchures, il est convenu que le pilotage et le balisage ainsi que la conservation des passes de l'Escaut, en aval d'Anvers, seront soumis à une surveillance commune et que cette surveillance commune scia exercée par des commissaires nommés, à cet effet, de part et d'autre. »
Remarquez, messieurs, les expressions de ce paragraphe : « La navigation de l'Escaut et de ses embouchures », c'est-à-dire la navigation des deux embouchures ; de l'Escaut oriental comme de l'Escaut occidental, et la conservation des passes de l'Escaut. Tout cela est soumis à une surveillance commune, par des commissaires nommés de part et d'autre, en sorte qu'il y a là une véritable copropriété entre les deux parties contractantes.
Vient ensuite le droit de péage, et ici encore le traité consacre l'existence et le maintien de la branche orientale de l'Escaut. Vous allez en juger par le texte même du traité international :
« La branche de l'Escaut dite l'Escaut oriental ne servait point, dans l'état actuel des localités, à la navigation de la pleine mer à Anvers et à Terneuzen, et vice versa ; mais étant employée à la navigation entre Anvers et le Rhin, celle-ci ne pourra être grevée, dans tout son cours, de droits et péages plus élevés que ceux qui sont perçus d'après les tarifs de Mayence du 31 mars 1831 sur la navigation de Gorcum jusqu'à la pleine mer en proportion des distances. »
Vous le voyez, messieurs, le traité établit encore ici des garanties pour l'Escaut oriental, qui ne sert pas à la navigation vers la pleine mer, mais qui sert aux rapports entre la Belgique et le Rhin. On ne pourra y percevoir d'autres droits que ceux qui sont réglés par la convention de Mayence, parce qu'il s'agit ici de navigation intérieure. Ces péages, qui sont un devoir international pour la Belgique qui les a rachetés, constituent pour elle un droit réel à la navigabilité de ce bras du fleuve.
Ainsi, il est bien clair que, par le traité des 24 articles, la Belgique a un droit de co-souveraineté établi sur les deux bras de l'Escaut et sur le bras oriental en particulier. La Hollande ne peut rien y changer sans l'assentiment de la Belgique.
Et veuillez-le remarquer, messieurs, est-ce que c'est gratuitement que ce droit a été concédé à la Belgique ? Loin de là ; si vous voulez jeter les yeux sur le protocole qui règle la dette des Pays-Bas et qui a été passé le 5 octobre 1831, vous verrez que ce droit de co-souveraineté la Belgique l'a acquis à titre onéreux. Ecoulez ce protocole, il porte ce qui suit :
« Enfin, eu égard aux avantages de navigation et de commerce dont la Hollande est tenue de faire jouir les Belges et aux sacrifices de divers genres que la séparation a amenés pour elle, les plénipotentiaires des cinq cours ont pensé qu'il devait être ajouté aux trois points indiqués ci-dessus une somme de 600,000 florins de rente. »
Ainsi ce n'est pas gratuitement que nous avons acquis ce droit. C'est en payant à la Hollande une rente de 600,000 florins.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce chiffre a été réduit. Ce n'est plus que 400,000 florins.
M. Dumortier. - J'allais le dire. Cette rente a été réduite à 400,000 florins, comme le dit fort bien l'honorable ministre des affaires étrangères, mais les principes sont restés les mêmes.
Pesez bien, je vous prie, cette expression « Eu égard aux avantages de navigation et de commerce dont la Hollande est tenue de faire jouir les Belges. »
Ces avantages de navigation pour lesquels la Belgique paye à la Hollande une rente annuelle de 400,000 florins, quels sont-ils ? Ce sont ceux stipulés dans le traité ; c'est le passage non seulement à travers l'Escaut occidental, mais aussi à travers l'Escaut oriental ; c'est la co-souveraineté des embouchures du grand fleuve belge que nous avons acquise par ce grand sacrifice.
Il est donc impossible qu'il y ait pour la Hollande, dans une question aussi claire, aussi évidente, ce qu'on appelle une question de dignité nationale. Si la dignité nationale pouvait être ici invoquée, c'est bien par nous. Quand on a contracté un engagement vis-à-vis d'un pays avec lequel on se trouve en excellents rapports, rapports que, Dieu merci ! je désire voir continuer autant que possible, ces engagements doivent être tenus, car il serait par trop commode de vouloir avoir à la fois et la chose et le prix de la chose.
Nous payons à la Hollande annuellement une somme de 400,000 fl., c'est-à-dire de 850,000 francs le droit d'être assurés que les deux bouches de l'Escaut seront maintenues dans leur intégrité. Cette rente ramenée en dette différée hollandaise présente un capital de trente-quatre millions de francs, au moyen duquel nous avons acquis le droit de copropriété des bouches de l'Escaut. Il n'appartient à personne de nous enlever ce droit, car veuillez-le remarquer, si la Hollande voyait ici une question que mon honorable collègue et ami a appelée une question de susceptibilité et d'amour-propre national, et si la Belgique faisait de même, qu'arriverait-il ? C'est que la Belgique commencerait par supprimer la rente de 400,000 florins, prix de celle copropriété.
(page 194) Notre droit serait d'autant plus fondé que si la Hollande peut à son gré boucher un des deux bras du fleuve, elle pourrait aussi entraver l'autre et rendre la navigation impossible ; mais j'aime à croire que ni la Belgique ni la Hollande n'arriveront à de pareilles extrémités.
La chose est du reste d'autant plus facile à arranger qu'il suffirait de faire, au moyen de pilotis et d'un pont à claire-voie.lc travail que la Hollande devra effectuer.
On a fait de la même manière des ponts sur le Rhin, sur le Danube et sur d'autres grands fleuves ; pourquoi ne pourrait-on terminer aussi le travail entrepris en Hollande au moyen d'un pilotage, c'est-à-dire d'un pont à claire-voie, réunissant l'île de Sud-Beveland au continent ?
Je ne crois pas que la Hollande soit assez déraisonnable pour refuser à la Belgique cette juste et légitime satisfaction qu'elle a très chèrement payée et qui est son droit. Il sera facile d'établir dans ce pont un passage pour les vaisseaux et l'afflux des eaux de l'Escaut oriental pourra continuer à se déverser dans l'Escaut occidental, tout en donnant à la Hollande la satisfaction qu'elle désire.
J'ai cru, messieurs, devoir prendre la parole et exposer les faits parce que j'ai vu que dans un pays voisin on a cru devoir parler des droits du pays.
Je crois que les droits de la Belgique sont tellement clairs qu'il n'y a pas de contestation possible. Je dois, du reste, féliciter M. le ministre des affaires étrangères de l'attitude énergique qu'il a prise, et s'il a protesté il a très bien fait. Il a maintenu les droits du pays et, pour mon compte, je ne puis que féliciter le ministère d'avoir pris cette attitude dans une circonstance aussi importante que celle dont il s'agit.
M. Jacobsµ. - Messieurs, je serais à même, comme les honorables membres qui ont parlé avant moi, de faire un discours sur le fond de la question.
Je me suis donné la peine de l'étudier, et autant, je crois, que n'importe quel autre membre de cette Chambre ; mais le moment ne me semble pas venu de discuter une question de ce genre.
L'honorable ministre des affaires étrangères ne croit pas pouvoir encore déposer les pièces sur le bureau de la Chambre.
Ceux donc d'entre nous qui les ont ou qui en ont quelques-unes ne peuvent en faire usage.
Ceux qui ne les ont pas ne peuvent jeter dans le débat des éléments essentiels. Dans ces conditions, il est impossible de discuter cette question à fond, car nous pourrions faire croire à la Hollande que nous n'avons d'autres arguments que ceux que nous jetons dans la discussion, tandis que, dans les rapports des commissions et dans les documents diplomatiques, il y en a encore beaucoup d'autres. Le moment ne paraît donc pas venu de discuter cette question.
Le gouvernement, par l'organe de M. le ministre des affaires étrangères, nous a déclaré tantôt que le gouvernement belge, dans toutes ces affaires dont il nous communiquera les pièces en temps et lieu, avait fait preuve de conciliation, mais que cette conciliation n'avait pas exclu la fermeté.
Il me semble, messieurs, que dans ces circonstances la Chambre ne doit pas partager la responsabilité avec le gouvernement. C'est à lui qui croit devoir garder les pièces à prendre la responsabilité pour lui seul. Prenons acte de ses paroles et de ses promesses et nous aurons à examiner en temps et lieu si elles ont été tenues.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je pense avec l'honorable M. Jacobs que le moment n'est pas venu d'entrer dans une discussion approfondie sur cette question qui n'est pas finie.
Je voulais seulement dire quelques mois en réponse à l'orateur qui a précédé l'honorable M. Dumortier.
L'honorable M. Coomans regrette que le gouvernement ait protesté ou qu'il n'ait pas protesté.
M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que vous ne deviez protester que si votre conviction était formée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne sais pas encore si l'honorable membre nous reproche d'avoir protesté ou de ne pas avoir protesté.
- Une voix. - Il vous a reproché d'avoir protesté.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Eh bien, l'attitude du gouvernement est très simple et s'explique tout naturellement.
Pendant une longue période de 20 ans, pendant que la Belgique discutait, la Hollande agissait. La Hollande consentait bien à correspondre avec le gouvernement belge, mais pendant qu'elle correspondait, elle a fait plusieurs tentatives d'adjudication et elle a exécuté des travaux, et c'est contre l'exécution de ces travaux avant qu'il y eut accord, que la Belgique a protesté depuis longtemps ; il fallait que la Belgique réservât son droit ; la protestation, on la trouvera dans la correspondance. Mais les discussions n'en ont pas moins continué et je viens de dire tout à l'heure à quel point elles étaient arrivées à la fin de l'année 1866. Quant au droit de la Belgique, il n'est douteux pour personne et personne ne songe à le contester.
Mais après les protestations, quand la partie adverse les repousse d'une manière absolue et définitive, il y a des mesures très graves à prendre. Lorsque le gouvernement d'un pays adresse une protestation au gouvernement d'un autre pays et que cette protestation ne produit aucun résultat, elle engage fortement la responsabilité du gouvernement qui proteste, et avant d'en venir aux mesures extrêmes auxquelles l'honorable M. Dumortier a fait allusion, je crois que la Chambre reconnaîtra que le gouvernement a bien fait d'user de tous les moyens de conciliation et de se montrer circonspect et modéré jusqu'au bout. C'est ce que nous avons fait, et en dernier lieu encore pour prouver que nous n'agissions pas à la légère ni avec passion. Bien que l'opinion des ingénieurs belges fût contraire au barrage, le gouvernement belge a cru qu'il pouvait encore user d'un moyen ; il a dit : Je vais m'adresser à des ingénieurs étrangers compétents et impartiaux.
Mais ce n'est pas à dire que le gouvernement abandonne son droit et qu'il renonce aux moyens qui sont à sa disposition, si l'acte contre lequel il proteste venait à s'accomplir.
Il est bon, messieurs, dans ces circonstances que nous rappelions les procédés du gouvernement belge. Nous le répétons, il nous est pénible d'avoir, dans les circonstances actuelles, un conflit avec un pays voisin ; toutes nos aspirations doivent tendre à conserver avec nos anciens frères les relations les plus intimes, les plus amicales, les plus étroites et avant d'aller plus loin, je dis que la Belgique doit épuiser toutes les voies conciliatrices.
L'appel à des ingénieurs étrangers n'a pas été compris en Hollande. On a imputé à grief au gouvernement belge d'avoir eu recours aux lumières d'ingénieurs étrangers : on a dénoncé ce fait comme un mauvais procédé ; eh bien, je crois que ce procédé est à l'abri de tout reproche.
Voici ce qui s'est passé. Le gouvernement belge, lorsqu'il est tombé d'accord avec le gouvernement hollandais pour nommer une commission mixte d'ingénieurs hollandais et belges, avait demandé à la Hollande d'adjoindre à cette commission des ingénieurs étrangers, mais le gouvernement hollandais a repoussé cette demande de la manière la plus catégorique.
Lorsque la commission mixte a eu terminé son travail et fourni ses conclusions, le gouvernement belge, se trouvant en présence de conclusions contradictoires, a voulu pour son compte, avant d'aller plus loin, s'éclairer des lumières d'ingénieurs étrangers, il l'a fait sans consulter la Hollande, car la Hollande ayant refusé une première fois, aurait à plus forte raison opposé un second refus. Nous aurions nécessairement passé outre, et c'est alors qu'on aurait pu nous reprocher une sorte de manque d'égards.
Je tenais à donner ces détails, parce qu'en ce moment on nous reproche en Hollande de ne pas avoir usé de bons procédés en recourant aux lumières d'ingénieurs étrangers.
Je crois que le gouvernement belge a bien fait de donner une nouvelle preuve de son esprit conciliant.
Maintenant, s'il est fort délicat de parler, que M. Coomans me permette de le dire, il est même fort délicat d'écrire sur ce sujet. Parmi les nombreux documents que j'ai réunis j'ai dû comprendre un article de journal où l'on paraissait donner raison à la Hollande...
M. Coomans. - De quel journal ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je l'ai vu reproduit avec beaucoup de complaisance dans une feuille hollandaise. Cette feuille semblait dire : Voyez cette question à laquelle le gouvernement belge attache tant d'importance, comme elle est appréciée par un des principaux écrivains de la Belgique.
Je crois qu'en ces sortes de matières nous devons nous imposer, orateurs et écrivains, beaucoup de réserve. Quand le moment sera venu, je m'expliquerai de la manière la plus complète et je suis convaincu que la Chambre reconnaîtra que dès 1846 tous les ministères qui se sont succédé ont été d'accord pour suivre la marche qui a été suivie jusqu'au dernier jour ; sous ce rapport, notre diplomatie a été parfaitement conséquente et il ne pouvait, pas en être autrement, car la (page 195) Belgique est dans son droit ; elle ne fait que réclamer des choses légitimes, et j'espère encore que la Hollande finira par reconnaître que les réclamations de la Belgique sont fondées.
M. Dumortier a indiqué un moyen qui serait une solution pratique. Ce serait de substituer un pont au barrage que la Hollande veut établir sur la branche de l'Escaut oriental. Ce pont aurait encore des inconvénients pour la Belgique, mais moins que le barrage. Cette indication a été donnée à la Hollande et elle serait d'autant plus susceptible d'être admise par elle que l'un des nombreux projets présentés en Hollande comprenait, au lieu d'au barrage plein, un barrage ouvert ; à une autre époque, la Hollande elle-même avait proposé ce système.
Un dernier mot, messieurs ; je parle ici, non seulement pour la Chambre et le pays, mais pour le dehors.
Qu'est-ce que la Hollande a reproché dès le principe au gouvernement belge dans l'opposition qu'il a faite à l'exécution de ces travaux ? On a dit au gouvernement belge : L'Escaut n'est pour vous qu'un prétexte ; votre but c'est d'empêcher l'exécution d'un chemin de fer de Flessingue vers l'Allemagne. Anvers craint la concurrence de Flessingue ; c'est au chemin de fer que vous faites opposition ; ce n'est pas au barrage.
Eh bien, je dois protester contre cette assertion, qui se reproduit encore aujourd'hui. La Belgique n'a rien à redouter d'un chemin de fer de Flessingue vers l'Allemagne. Eût-elle quoique chose à craindre, elle n'aurait pas le droit de réclamer contre l'exécution de ce travail, s'il ne devait pas entraîner des inconvénients directs pour sa navigation. Que la Hollande fasse des chemins de fer dans toutes les directions, ce n'est pas nous qui nous y opposerons. Je répète que nous n'avons pas le droit de le faire ; d'ailleurs, plus il y aura de chemins de fer en Belgique et vers ses frontières, plus la Belgique en profitera.
Donc je tiens beaucoup à ce qu'on recueille au dehors cette déclaration ; c'est que l'exécution du chemin de fer de Flessingue vers l'Allemagne ne préoccupe en aucune manière le gouvernement belge ; que, loin d'appréhender l'exécution de ce chemin, il la désire ; et la meilleure preuve, c'est que si l'on veut faire passer le chemin sur un pont au lieu de le faire passer sur un barrage, il est très probable que cette combinaison rencontrera l'adhésion du gouvernement belge.
Cependant je dois faire une réserve ; c'est que le pont même, aux yeux de beaucoup d'hommes de l'art, présenterait des inconvénients pour la navigation de l'Escaut occidental, s'il n'était pas exécuté dans certaines conditions.
Je crois, messieurs, en avoir dit assez dans les circonstances actuelles. Quand le moment sera venu, je fournirai à la Chambre toutes les explications qu'elle pourra désirer. Je m'engage également à déposer, eu temps opportun, toutes les pièces qui se rapportent à cette longue et laborieuse affaire.
M. Coomans. - D'abord, messieurs, il faut que je prie très instamment l'honorable ministre des affaires étrangères de préciser l'insinuation très désagréable qu'il s'est permise contre moi. Il a parlé d'un article attribué à l'un de nos principaux écrivains et que la presse hollandaise a reproduit avec jubilation. L'honorable ministre doit me dire, puisque c'est en me répondant qu'il a fait cette espèce de révélation, de qui est cet article, ou du moins dans quel journal il s'est trouvé.
Est-ce à mon adresse que l'honorable ministre a prononcé ces mots ? l'n oui ou un non me paraît indispensable. Si c'est à moi, je m'expliquerai ; si c'est à d'autres, les autres feront ce qu'ils jugent à propos.
L'honorable ministre ne répond pas. Eh bien, je déclare qu'il y a là une très mauvaise insinuation, dépourvue de toute espèce de fondement. Je n'ai jamais trop parlé sur le barrage de l'Escaut, je n'ai prononcé qu'un ou deux petits discours à ce sujet, et personne ne les a trouvés compromettants pour qui que ce, soit, sinon peut-être pour ma réputation oratoire. (Interruption.)
Quant à écrire, je n'ai jamais écrit sur le barrage de l'Escaut que dans le seul journal que je rédige et je défie l'honorable ministre d'y trouver un mot qui puisse justifier de près ou de loin cette allégation, celle insinuation, cette accusation. Je crois pouvoir affirmer que je n'ai jamais écrit plus de trente lignes sur le barrage de l'Escaut et ces trente lignes très anodines sont oubliées depuis longtemps. Il y a des mois que je les ai tracées. Je ne les ai jamais lues dans la presse néerlandaise, que je lis régulièrement.
.Messieurs, je demande à l'honorable ministre de me répondre, c'est mon droit. Vous dites que l'on a fourni de la pâture à nos ennemis, votre silence m'accuse, sinon vos paroles.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne puis parler en même temps que vous.
M. Coomans. - Peut-être me refuserait-on la parole une troisième fois. C'est pour cela que je demande un oui ou un non.
Est-ce à moi que vous faites allusion ? Si c'est à moi, je repousse l'accusation comme une calomnie ! (Interruption.) ... une calomnie dont l'honorable ministre n'est évidemment pas l'auteur ; mais je la mets à charge de ceux qui la lui ont transmise.
Comment ! Vous avez les pièces sous les yeux. Citez-moi au moins les journaux dont vous m'attribuez les articles. Il faut que ce travail soit important, puisqu'il est reproduit avec éloge par toute la presse hollandaise. et c'est à moi que vous l'attribuez ! C'est un peut fort !
Messieurs, je ne passe pas pour dissimuler mes opinions, je crois que la seule chose qu'on ne puisse pas reprocher à ma plume, c'est de manquer de courage. Ce n'est pas à l'étranger que j'enverrais lâchement ma prose.
Je n'ai pris la parole aujourd'hui que lorsque /'ai entendu l'honorable ministre dire qu'il attendait encore des lumières sur la question de savoir si l'accomplissement du barrage de l'Escaut oriental serait défavorable à l'Escaut occidental.
Cette parole m'a surpris, et ici je m'explique sur un point qui m'a paru douteux à l'assemblée, j'ai dit que vous aviez très bien fait de protester très haut, j'ai dit que même vous auriez dû protester plus fort que vous ne l'avez fait, si vous aviez la conviction que ce barrage nous était défavorable ; mais que si vous n'aviez pas acquis cette conviction, si vous étiez dans le doute, vous n'auriez pas dû protester aussi fort que vous l'avez fait. Vous auriez dû tout au plus maintenir notre droit inscrit dans les traités.
C'est en effet notre droit ; j'espère bien que nous sommes unanimes sur ce point. L'Escaut nous appartient autant qu'à la Hollande, et non seulement l'Escaut occidental, mais surtout l'Escaut oriental, ce même Escaut que l'on va supprimer aujourd'hui. Car, messieurs, l'on a tort de dire en Hollande que l'Escaut oriental n'est pas le véritable Escaut, que ce. n'est qu'une petite branche de l'Escaut, et que nous devons nous tenir pour satisfaits quand on remplace l'Escaut oriental par le canal qui traverse l'île de Sud-Beveland.
L'Escaut oriental est le véritable Escaut, et entre autres preuves, on en puiserait dans Jules César. Jules César dit : Flumen Scaldis quod fluit in Mosam. Voilà le véritable Escaut, l'Escaut vraiment belge ; et c'est encore un argument que je livre à l'honorable ministre, pour compléter la série de ceux qu'il oppose à nos adversaires.
Nous avons le droit d'empêcher l'œuvre entreprise par la Hollande. Mais je crois que nous ne devons l'empêcher que dans le cas où l'accomplissement de ce travail nous porterait dommage. Car comme ce travail est très utile à la Hollande et commc je crains qu'il ne s'achève entièrement sous peu, nous aurions agi en bons voisins, en bons alliés et en hommes prudents qui se soucient de leur dignité, en ne protestant pas dans l'hypothèse où ce travail n'eût pas été défavorable. Mais en cas d'affirmative protestez très fort et je vous suivrai n'importe où.
Je comprends que l'honorable M. Dumortier proteste dès à présent et félicite le gouvernement d'avoir protesté, parce que, dans la conviction de l'honorable membre, le barrage de l'Escaut oriental est mauvais ; sa conviction est faite ; l'honorable M. Dumortier est logique ; mais ceux-là ne sont pas logiques qui protestent aujourd'hui et qui ne sont pas encore sûrs que le travail est dangereux pour nous ; au point de vue de l'ensablement du Hond, bien entendu ; je ne me mets à aucun autre.
Encore une fois, je prie M. le ministre des affaires étrangères de s'expliquer sur le point, très grave, non pas pour la Chambre, mais pour moi, de savoir si j'ai fourni de la pâture à la presse hollandaise dans son opposition au gouvernement belge.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je comprends la susceptibilité de l'honorable député de Turnhout ; je l'en félicite ; seulement je m'étonne qu'elle n'ait pas éclaté au moment où son honorable ami, M. Dumortier, disait qu'il ne pouvait laisser sans réponse le discours de l'honorable M. Coomans, afin de ne pas fournir désarmes à la Hollande contre la Belgique. En ce qui concerne l'article du journal...
M. Coomans. - Ah !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne l'ai pas par devers moi ; je l'ai dans mon cabinet, et je le mettrai sous les yeux de l'honorable M. Coomans, s'il le désire. Mais je déclare avoir extrait d'un journal hollandais, un article où l'on reproduisait avec complaisance un extrait d'un journal belge dont l'auteur disait avoir fait un voyage en Hollande et parlait de visu. J'ai conservé cet article pour mon édification personnelle.
(page 196) Maintenant l'honorable M. Coomans repousse comme une infâme calomnie l'idée qu'il a pu concourir à faire cet article ; tant mieux pour lui. Je n'ai pas dit que l'honorable M. Coomans fût l'auteur de l'article ; l'article n'est pas signé ; j'ai dit que l'auteur de l'article incriminant la conduite du gouvernement belge, disant qu'il avait pu s'assurer sur les lieux que le grand bruit qu'on faisait du barrage de l'Escaut oriental ne signifiait rien ; que ce barrage n'amènerait pas les résultats graves qu'en redoutait la Belgique.
Voilà l'article qu'on opposait au gouvernement belge.
Du reste, je rechercherai l'article, et puisque l'honorable M. Coomans tient tant à le connaître, je le lui mettrai sous les yeux.
M. Lelièvreµ. - Les années précédentes, lors de la discussion du budget des affaires étrangères, j'ai souvent engagé le ministre de ce département à faire en sorte que les gouvernements voisins décrètent des lois analogues à celle qui est en vigueur chez nous depuis le 30 octobre 1836, relativement aux crimes et délits que des étrangers peuvent commettre sur notre sol.
A défaut de semblables dispositions, l'étranger qui se rendrait coupable, sur notre territoire, des faits délictueux les plus graves pourrait échapper à la vindicte publique, en se réfugiant dans son pays.
Par une loi récente du 27 juin 1866, la France reconnaissant que la loi pénale n'a pas exclusivement un caractère territorial, qu'il importe aussi d'en faire pour la France une sorte de statut personnel, a sanctionné des mesures utiles pour réprimer les crimes et délits qui seraient commis par les Français en pays étranger.
J'engage M. le ministre des affaires étrangères à faire en sorte que les autres gouvernements avec lesquels nous sommes en relation, et qui, jusqu'à ce jour, n'ont pas admis des principes analogues à ceux déposés dans la loi de 1836, ne tardent pas à suivre notre exemple et décrétant des prescriptions indispensables pour sauvegarder les intérêts belges.
A cette occasion, je pense que la loi du 30 mars 1836 qui présente des lacunes devrait être révisée ; que notamment relativement aux délits et contraventions de matière forestière, rurale, de pêche et de douane sur le territoire de l'un des Etats limitrophes, on pourrait adopter avec fruit les dispositions décrétées en France par la loi récemment promulguée.
Je pense également que, pour mettre le sceau aux principes de la liberté commerciale que nous avons introduits dans le pays avec tant de bonheur, il faudrait admettre que les actes passés et les jugements rendus à l'étranger seraient exécutoires chez nous, sur simples pareatis. Il me semble qu'on ne devrait pas attendre la révision générale du code de procédure civile, pour introduire ce régime, qui est réclamé par des intérêts importants.
Du reste, il est inutile d'en faire dépendre la consécration d'une condition de réciprocité. Nous pouvons décréter ce principe d'une manière générale, comme nous l'avons déjà fait en ce qui concerne les hypothèques par la loi du 16 décembre 1851.
Enfin j'estime que le temps est venu de faire cesser les mesures restrictives dont les étrangers ont été frappés jusqu'à ce jour. Déjà en ce qui concerne le droit de succéder, nous avons admis des principes libéraux en cette matière. Il me paraît qu'on pourrait faire un pas de plus dans une voie tracée par la justice et par l'équité, qui exigent qu'on efface des distinctions surannées, incompatibles avec nos relations internationales.
M. Thonissenµ. - Messieurs, il y a un an, M. le ministre des affaires étrangères a bien voulu promettre d'appuyer auprès du cabinet de La Haye les plaintes des médecins belges qui habitent les communes frontières des provinces de Limbourg et d'Anvers.
Il y a, le long de la frontière, tant en Belgique qu'en Hollande, des communes et principalement des hameaux qui sont éloignés de plusieurs lieues du domicile d'un médecin national. Dans ce cas, les habitants des hameaux hollandais appellent à leur aide un médecin belge, et les habitants des hameaux belges appellent un médecin hollandais.
Jusqu'il y a deux ans, cet usage s'est perpétué sans rencontrer la moindre opposition, soit en Hollande, soit en Belgique. Il n'en est plus de même aujourd'hui. En Belgique, on n'a jamais songé à porter plainte à charge du médecin hollandais venant exercer son art dans une commune limitrophe où il n'y a pas de médecin belge.
La Hollande montrait à cet égard la même bienveillance, le même esprit de justice ; mais, depuis quelques mois, au contraire, on poursuit sévèrement tout médecin belge qui va exercer son art sur le territoire hollandais ; l'un d'eux a même été mis en état d'arrestation préventive.
Il me semble qu'en cette matière la conduite la plus raisonnable et la plus juste consiste à suivre un système complet de réciprocité, en un mot, à montrer de chaque côté de la frontière le même esprit d'équité et la même tolérance.
II est impossible que dans cette affaire, qui ne présente aucune importance au point de vue des questions internationales, qui n’intéresse que les malades, le gouvernement de La Haye se montre injuste ou intolérant ; si la situation réelle des choses lui est exposée convenablement, je suis convaincu qu'il laissera faire sur son territoire ce que nous laissons faire sur le nôtre.
Je prie donc de nouveau M. le ministre des affaires étrangères de bien vouloir recommander cet objet à la bienveillance du gouvernement de La Haye, en faisant remarquer surtout que ce que nous demandons n'est autre chose que ce que nous accordons, de notre côté, aux médecins hollandais.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je n'ai pas manqué d'entretenir le gouvernement hollandais de la question qui a été soulevée l'année dernière, à propos du service médical qui s'exerce par des praticiens des deux pays dans les communes voisines des deux frontières.
En Belgique, on use d'une tolérance générale, sur toutes les frontières les médecins étrangers sont généralement admis à venir exercer leur art dans les communes belges. A la rigueur, cela est contraire à la loi, parce que pour exercer l'art de guérir en Belgique, il faut avoir obtenu un diplôme devant un jury belge. Mais, je le répète, on use à cet égard d'une grande tolérance ; il s'agit de l'intérêt des malades ; c'est l'intérêt essentiel.
J'ai le regret de dire qu'en Hollande on ne se montre pas aussi libéral en cette matière qu'en Belgique.
Bien que la Hollande ait une loi de 1865 qui autorise le gouvernement à admettre les services des médecins étrangers voisins de la frontière, le gouvernement hollandais hésite beaucoup à faire usage de cette faculté, pour ne pas dire qu'il s'y refuse d'une manière presque absolue.
Telle est la conclusion de la dernière lettre que j'ai reçue de La Haye. Nous avions mieux à attendre de la Hollande sous ce rapport. Mais il paraît qu'en Hollande les médecins nationaux n'aiment pas la concurrence des médecins belges.
M. Bouvierµ. - C'est un nouveau barrage.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - En Belgique, les médecins belges ne paraissent pas non plus se soucier beaucoup de la concurrence des médecins hollandais. De là les réclamations qui nous arrivent contre la tolérance belge sans réciprocité de la part de la Hollande.
Messieurs, comme moyen d'obtenir de la Hollande cette tolérance réciproque, on propose d'user de représailles. Le moyen que l'on indique, ce serait d'interdire aux médecins hollandais l'exercice de leur profession dans les communes belges, voisines de la frontière. Cela pourrait faire l'affaire des médecins belges. Mais cela ferait-il l'affaire des malades ? J'en doute. Evidemment, quand on a recours aux médecins étrangers, c'est parce qu'on n'en a pas à sa portée ou à sa convenance.
Faut-il interdire, par mesure de représailles, aux médecins hollandais, l'accès de la Belgique ?
- Un grand nombre de membres. - Non ! non !
M. Vilain XIIIIµ. - Ce serait nous punir nous-mêmes.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous devons, en cette matière, donner l'exemple du libéralisme et avoir égard, avant tout, à l'intérêt des populations qui doit, me semble-t-il, dominer celui des médecins.
Voilà, quant à moi, mon sentiment. Cependant, ceci ne nous empêchera pas de continuer à poursuivre à La Haye ce que nous devons espérer d'obtenir, c'est-à-dire la réciprocité, et que l'on traite les médecins belges en Hollande comme les médecins hollandais sont traités en Belgique.
M. Coomans. - J'entends avec plaisir que l'honorable membre est peu disposé à adopter le système des représailles. Ce n'est pas en vertu de ce qu'on appelle le principe de la réciprocité, que j'approuverai des représailles. En beaucoup de chose, la réciprocité me paraît un principe d'une valeur très douteuse, si principe il y a, mais particulièrement en fait de sottises. Quand le voisin fait une sottise, vous auriez tort d'en faire une, uniquement parce qu'il la fait.
Or, c'est une vraie sottise que d'empêcher des médecins belges d'aller aider des malades hollandais. Les représailles que peut-être on nous conseille, ne seraient pas prises contre les médecins hollandais ; elles (page 197) seraient prises contre nos malades, comme l'a dit avec beaucoup de raison, l'honorable ministre.
Prêchons d'exemples, de bons exemples. Voilà les meilleures représailles, les seules auxquelles les honnêtes gens, les cœurs élevés soient sensibles.
Les autres représailles ne valent rien. Quant à moi, je ne m'y associerai jamais.
- La discussion générale est close.
La Chambre passe à la délibération sur les articles.
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Traitement du personnel des bureaux : fr. 145,700. »
- Adopté.
« Art. 3. Matériel : fr. 37,600. »
- Adopté.
« Art. 4. Achat de décorations de l'Ordre de Léopold, sans que l'on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d'autres articles : fr. 10,000. »
M. Coomans. - J'aurais gardé le silence sur cet article, quoiqu'il me déplaise, si l'on n'était pas venu encore une fois nous demander une augmentation. J'espérais, d'après certaines révélations qui nous avaient été faites il y a deux ans, que nous n'aurions bientôt plus eu de crédit à inscrire de ce chef au budget.
En effet, l'on nous avait appris, je l'ignorais jusqu'alors, que l'on ne donnait plus depuis quelque temps, les décorations de l'Ordre de Léopold, mais qu'on les prêtait, c'est l'honorable ministre lui-même qui nous l'a appris, qu'on les prêtait en ce sens qu'à la mort du décoré, on lui redemandait ce qu'on appelle le bijou. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - Et il était mort !
M. Coomans. - Cela se trouve dans les Annales parlementaires. Il y a un an et deux ans, il a été dit et redit ceci : qu'à la mort du décoré on redemandait à sa famille le bijou, j'en suis très sûr, parce que je me rappelle très bien avoir dit que ce procédé ne paraissait assez mesquin ; et même j'ai ajouté avec l'assentiment de plusieurs honorables membres de cette assemblée assis sur des bancs divers, qu'au lieu de prêter un bijou, mieux eût valu ne pas en donner du tout et se borner à envoyer à la personne que l'on voulait autoriser à porter une décoration, un parchemin, en lui laissant le soin de se procurer la représentation matérielle de cet honneur.
Messieurs, nous avons malheureusement à constater qu'il meurt beaucoup de décorés de l'Ordre de Léopold. Il en meurt beaucoup, parce qu'il y en a beaucoup ; et je voudrais bien savoir ce que sont devenus tous les bijoux qui ont dû faire retour au ministère des affaires étrangères (Interruption.)
Il s'agit encore une fois de quelques milliers de francs. Je crois qu'il est de mon devoir d'insister. D'ailleurs, je parle en thèse générale. cette fois encore, il n'y aura probablement de compromis que moi dans cette affaire. .
Si donc, messieurs, l'on compte distribuer l'année prochaine pour 10,000 fr. de bijoux, outre les 7,000 fr. que l'on demande, et si l'on y ajoute les bijoux restitués cette année et ceux à restituer l'année prochaine, nous allons mettre toute une boutique de bijouterie à la disposition du gouvernement beige, et alors je ne vois pas la nécessité d'imposer encore aux contribuables cette somme supplémentaire de 7,000 fr.
Réflexions faites depuis longtemps, j'en reviens à mon idée, qui est de se borner à envoyer, aux personnes que l'on juge dignes d'être décorées, un papier aussi beau que possible, qui leur donne l'autorisation de se procurer cette satisfaction.
Il me paraît que l'honorable ministre ne devrait pas dédaigner cette idée, car s'il la suivait on ne taquinerait plus le gouvernement sur le chiffre à dépenser ni même sur les choix à faire ; quant à moi personnellement, je suis loin de reprocher au gouvernement de décorer trop de gens ; je regrette même qu'on n'en décore pas davantage, parce que les décorations ont souvent un résultat salutaire, au moins au point de vue de l'hygiène.
Je renouvellerai une prière que j'ai adressée à l'honorable ministre, c'est de faire figurer au Moniteur, ne fût-ce que parce que la loi l'y oblige, toutes les décorations qu'il décernera encore et même celles qu'il a déjà décernées et qu'il a cru devoir dissimuler aux lecteurs du Moniteur ; c'est une chose que je puis demander ; le Moniteur, conformément à la loi, doit publier régulièrement sinon le texte, au moins le résumé des arrêtés royaux décernant les honneurs de l'Ordre de Léopold. Je voterai contre le crédit.
M. Bouvierµ. - Vous allez augmenter les frais d'impression du Moniteur.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'honorable M. Coomans m'a fait une question à laquelle je dois une réponse. (Interruption.) C'est un détail infime, d'administration intérieure, qui était accompagné d'un commentaire, je ne veux pas dire malveillant, mais qui exige une explication.
L'honorable M. Coomans dit que ceux qui ont obtenu la décoration sont obligés, à leur mort, de renvoyer cette décoration. (Interruption.) Il y a ici une erreur de la part de l'honorable membre. La famille des décorés belges garde la décoration, et il m'est arrivé déjà plusieurs fois de renvoyer à la famille d'un décoré la décoration en lui disant qu'elle devait la garder comme un souvenir.
Maintenant pour l'étranger, il y a une distinction à faire ; en plusieurs pays on exige que la décoration soit renvoyée au gouvernement à la mort du décoré, et vis-à-vis de ces pays, nous usons de représailles en nous faisant aussi restituer la décoration belge.
Quant aux décorations qui reviennent de l'étranger, l'honorable M. Coomans demande ce qu'elles deviennent. Voici, messieurs, comment les choses se passent : Quand ces décorations sont en bon état, elles servent à d'autres décorés ; quand elles sont détériorées par le temps, on les fait restaurer et elles sont ensuite employées comme les autres. C'est l'usage qui a été suivi de tout temps.
Quant à la non-publication au Moniteur des arrêtés qui accordent des décorations à l'étranger, je n'ai fait également que me conformer à l'usage qui a toujours été suivi ; mais tous les ans le département des affaires étrangères remet à la section centrale la liste des décorés étrangers ; libre à la section centrale de publier cette liste si elle le juge convenable, c'est son affaire.
- L'article 4 est mis aux voix et adopté.
« Art. 5. Autriche : fr. 51,500. »
- Adopté.
« Art. 6. Bavière, Wurtemberg, Bade et Hesse-Grand-Ducale : fr. 38,500. »
M. Coomans.µ. - J'espérais, messieurs, que la suppression de la confédération germanique nous aurait valu la suppression de ces 38,500 fr., qu'elle nous a depuis longtemps coûtés, selon moi, le plus inutilement du monde. A quoi bon maintenir cette grosse dépense pour avoir un, deux ou trois représentants auprès d'Etats qui n'ont guère d'influence ? Je conçois tout au plus que nous ayons un agent politique à Berlin, à Vienne, à Paris et à Londres, mais je voudrais que tous les autres fussent supprimés et que nous nous bornassions à avoir de simples consuls dans tous les Etats secondaires.
Je propose formellement cette économie, je sais que le gouvernement ne peut guère prendre l'initiative d'une semblable mesure, mais un simple député peut risquer la chose. Je demande donc la suppression du crédit.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 7. France: fr. 58,000. »
- Adopté.
« “Art. 8. Grande-Bretagne : fr. 71,000. »
- Adopté.
« Art. 9. Italie: fr. 58,500. »
- Adopté.
« Art. 10. Mexique: fr. 42,000. »
M. Bouvierµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole sur cet article parce que depuis plusieurs jours un grand nombre de pétitions arrivent sur le bureau de la Chambre, demandant son intervention pour obtenir le retour des volontaires belges qui se sont rendus au Mexique ; je demanderai au gouvernement s'il a pris des mesures pour ramener ces Belges dans leur patrie.
M. Coomans. - Messieurs, outre ce que demande l'honorable M. Bouvier, je demanderai la suppression de ce chiffre. 42,000 fr. pour (page 198) notre ambassade à Mexico, en 1867, alors que le Mexique n'existe plus, (interruption) à l'état impérial, ni même à l'état républicain !
M. Bouvierµ. - Nous avons encore des Belges là-bas.
M. Coomans. - Je voudrais savoir en quoi notre ambassade au Mexique a profité à nos compatriotes. Je voudrais surtout savoir jusqu'à quel point se sont réalisées les promesses ou tout au moins les prévisions qu'on a fait retentir dans cette Chambre au sujet d'un grand accroissement de nos relations commerciales avec le Mexique par suite des frais diplomatiques que nous avons faits là-bas.
Nous avons eu grand tort, c'est mon opinion, de nous mêler aux affaires du Mexique, grand tort d'y avoir expédié nos compatriotes, grand tort de nous être compromis à la suite des honorables chefs d'une grande et périlleuse aventure.
N'augmentons pas ces torts en maintenant un agent diplomatique dans une situation que nous ne connaissons pas. Faisons comme font les habiles diplomatiquement. Plions devant le vent ; ne nous attachons pas à des ombres et arrangeons-nous le plus tôt possible avec les nouveaux maîtres du Mexique.
Peut être bientôt regretterons-nous beaucoup d'avoir oublié trop vite pour ne pas dire violé le traité de paix et d'amitié conclu il y a 5 ou 6 ans pour de longues années avec M. Juarez, comme on l'appelait l'année dernière, mais qui a grande chance de redevenir monseigneur dans peu de temps.
Je demande qu'on me donne tout au moins de bonnes raisons pour maintenir au budget cette somme de 42,000 fr. dont nous pourrions faire un si bon emploi ailleurs.
Maintenant, messieurs, j'espère que le gouvernement nous donnera quelques éclaircissements qui ne se sont fait attendre que trop longtemps au sujet du sort de nos compatriotes au Mexique. L'an dernier, sur ma proposition, agréée par la Chambre et par le gouvernement lui-même, il fut décidé que l'on inscrirait régulièrement au Moniteur les noms des Belges décèdes au Mexique.
Cette mesure aurait offert divers avantages. Elle est comprise en Hollande où la feuille officielle donne régulièrement les décès des militaires et même des personnes civiles qui ont lieu dans l'île de Java et dans les autres colonies néerlandaises. Je ne comprends pas quel motif nous avons pu avoir de ne pas agir de la sorte. Si le gouvernement était en possession des indications dont il s'agit, il a eu tort de ne pas les fournir. S'il n'a pas pu les obtenir, ce serait un argument de plus contre notre fastueuse ambassade au Mexique.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, la Chambre a adopté et consacré l'existence d'une mission belge à Mexico.
L'article qui figure au budget n'y est point pour la première fois, et jusqu'ici la mission belge n'a pas eu de motif d'abandonner Mexico. Elle y est accréditée auprès d'un souverain qui a été reconnu par la plupart des gouvernement et qui est le mari de la sœur de notre Roi.
La situation des affaires de ce grand et malheureux pays ne se présente pas sous un jour favorable, cela est vrai, mais peut-être l'honorable M. Coomans est-il bien prompt à déclarer l'anéantissement du Mexique, à déclarer qu'il n'y a plus de Mexique possible, au moins pour la légation belge.
Nous croyons, nous, que quelles que soient les circonstances, il pourra y avoir utilité de maintenir au Mexique un représentant politique de la Belgique. Nous ne préjugeons rien, du reste, en maintenant le chiffre. Si la suppression de la légation belge à Mexico était jugée opportune, la légation serait supprimée et l'allocation ne serait pas dépensée, mais je pense que la Chambre ne voudra pas préjuger cette question.
M. Bouvierµ. - Surtout dans le moment actuel.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On a dit que l'on voudrait savoir quels services la légation belge a rendus aux volontaires belges qui se sont rendus au Mexique.
Je puis attester qu'elle leur a rendu de nombreux services et que les Belges qui ont été au Mexique ont été les premiers à les apprécier.
Je suis heureux de profiter de la circonstance qui m'est offerte de rendre hommage au zèle et à l'activité avec lesquels notre légation a rempli ses difficiles fonctions.
Quant à la promesse faite de publier au Moniteur les noms des décédés, je ne me rappelle pas si elle a été faite, mais je ne verrais aucun inconvénient à faire cette publication, pour autant cependant que l'on maintienne bipartie non-officielle du Moniteur que l'honorable M. Coomans proposait l'autre jour de supprimer.
M. Coomans. - On peut très bien insérer ces décès dans la partie officielle du Moniteur puisque ce sont des renseignements officiels que je demande.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous n'entendez pas, je suppose qu'il insère les noms des décédés à la suite des actes officiels, des lois et des arrêtés royaux.
Dans tous les cas, les familles sont très exactement tenues au courant de la situation de leurs enfants. J'ai des correspondances fréquentes à cet égard, et un très grand nombre de lettres m'arrivent, dans lesquelles les familles remercient le gouvernement de l'exactitude avec laquelle elles sont tenues au courant de la situation de leurs proches au Mexique.
L'important n'est pas que le public sache que tel ou tel individu est mort au Mexique, mais bien que le décès soit notifié à la famille ce qui se fait très exactement.
Quant aux volontaires, qui, pour le répéter en passant, se sont rendus très librement et sans aucune contrainte ni pression du gouvernement au Mexique, si les circonstances sont telles que leur départ devienne opportun, s'ils sont dégagés de leurs obligations, nous sommes assurés que leur retour s'effectuera dans les mêmes conditions que celui des troupes françaises.
Cette déclaration, je puis la faire à la Chambre, car je suis informé officiellement que les choses se passeront comme je viens de le dire.
- Voix nombreuses. - Très bien. (A demain !)
- La séance est levée à 4 3/4 heures.