(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 461) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Van Rysselberghe déclare inconstitutionnelles la loi qui ne permet de compter dans le cens électoral que les contributions directes versées au trésor de l’Etat et celle qui exclut du cens électoral les centimes additionnels perçus sur les contributions directes au profit des provinces et des communes. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi portant une modification aux lois provinciale et communale.
« Des fonctionnaires et employés des douanes et des contributions pensionnés demandent la révision de la loi sur les pensions civiles. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur de Meyer, ancien maître de poste, demande qu'il soit donné suite à ses réclamations, ayant pour objet une indemnité du chef des pertes qu'il a éprouvées dans son service. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'une commune non dénommée demandent que les collèges électoraux, au point de vue des élections pour les Chambres, soient fractionnés, autant que possible, par groupes de 40,000 habitants. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Westcappelle et de Knocke appellent l'attention de la Chambre sur la nécessité d'endiguer le Zwyn. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en naturalisation ordinaire du sieur Kock. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« L'administration communale d'Anvers adresse à la Chambre un exemplaire de la première livraison du deuxième bulletin des archives. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« Il est donné lecture de deux messages par lesquels le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté les projets de loi 1° qui approuve le traité d'amitié, de commerce et de navigation conclu le 2 novembre 1865, entre la Belgique et la Chine ; 2° qui approuve la convention additionnelle au traité du 12 mai 1865, conclu entre la Belgique et les Pays-Bas, le 7 décembre 1865. »
- Pris pour information.
« M. Jouret (Joseph), retenu par l'état de sa santé, demande un congé. »
- Accordé.
MpVµ. - Messieurs, voici la composition des trois commissions spéciales :
La commission du code pénal a été composée, en dernier lieu, de MM. Dolez, Charles Lebeau, Tesch, Moncheur, Pirmez, de Muelenaere, Carlier.
La commission pour l'érection de la commune de Loxbergen (Limbourg), de MM. Thonissen. Muller, de Theux, Mouton, Giroul.
La commission pour les délimitations entre Rumes et Taintignies (Hainaut), de MM. Crombez, Allard, Bricoult, T'Serstevens, Reynaert.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je dois quelques mots de réponse aux honorables MM. Vleminckx et Lelièvre. Ces deux orateurs ont fait la critique du code pénal militaire et ont reproché au gouvernement de ne pas en avoir encore demandé la révision. Je partage l'opinion de ces honorables membres que le code militaire a vieilli et doit être modifié dans plusieurs de ses dispositions ; mais je ne puis accepter le reproche de ne pas m'en être encore occupé, car pendant mon premier ministère, mon honorable collègue M. de Haussy, ministre de la justice et moi nous avons élaboré un projet complet de révision du code pénal militaire, qui a été soumis à la Chambre en 1850. La Chambre a nommé une commission pour examiner ce projet. L'honorable M. Moncheur a été nommé rapporteur et a présenté son rapport en 1854.
La Chambre paraissant désirer que la question soit remise à l'étude, je me concerterai avec mon honorable collègue de la justice, pour examiner s'il n'y a pas de modifications à introduire dans le projet de 1850, et nous pourrons le soumettre de nouveau aux délibérations de la Chambre.
Après avoir parlé de notre code pénal, l'honorable M. Vleminckx s'est occupé du règlement de discipline. Il désire voir remplacer le cachot par la prison cellulaire, attendu que les cachots, dans les casernes, sont de véritables bouges, où les lois de l'hygiène et de la moralité ne sont pas observées.
Messieurs, il y a beaucoup de vrai dans ces allégations. Cette situation est fâcheuse ; car ce n'est pas seulement le cachot qui est un bouge, c'est souvent la caserne tout entière.
La Chambre sait que le casernement n'incombe pas au gouvernement, mais bien aux villes et que nous n'avons pas assez d'action sur les administrations communales pour obtenir l'amélioration du logement des troupes.
Nous sommes presque toujours obligés de réclamer pendant des années entières les réparations les plus indispensables. Il est telle ville dont nous avons dû supprimer la garnison parce que la caserne y était dans un tel état que toutes les lois de l'hygiène étaient méconnues.
Dans les casernes qui appartiennent à l'Etat au contraire, messieurs, les vœux de l'honorable M. Vleminckx ont été réalisés.
Nous nous sommes efforcés de remplacer les cachots par des cellules. Il est vrai que ces dernières ne sont pas aussi bien aménagées peut-être que celles des prisons cellulaires, mais il y a cette distinction à faire que les condamnés des prisons civiles y séjournent en général un certain nombre d'années, tandis que le règlement de discipline ne permet de mettre au cachot que pour 8 jours au maximum.
En outre, si nous établissions dans les casernes des cellules semblables à celles de quelques prisons modernes, je crois que beaucoup de soldats les préféreraient aux chambrées ; je crois même qu'ils aimeraient (page 462) mieux s'y trouver que d'être à l'exercice ou de monter la garde. On disait hier que des soldats se font condamner pour être déchus du rang militaire.
Eh bien, messieurs, je crois qu'on en verrait se faire condamner à la cellule pour ne pas faire leur service.
Il faut de la philanthropie, mais il n'en faut pas trop. Je me rappelle avoir visité, il y a des années, des prisons cellulaires où l'on avait poussé la recherche jusqu'à l'exagération ; j'ai vu des cellules destinées aux assassins auxquelles on avait annexé des petits jardins, où les occupants, pouvaient cultiver des fleurs et élever des oiseaux ; aussi ai-je entendu ces condamnés déclarer que ce qu'ils regrettaient le plus, ce serait d'être graciés.
Certainement ce ne sont pas de ces sortes de cellules que je prendrai peur modèle.
Après le règlement de discipline, l'honorable M. Vleminckx s'est occupé de la compagnie de discipline, c'est-à-dire de la compagnie dans laquelle on envoie les soldats qui ont résisté à toutes les peines disciplinaires ordinaires. Les hommes y sont soumis à une surveillance de tous les instants, et on cherche à les moraliser par le travail.
La compagnie a été employée au défrichement du camp de Beverloo, et cette mesure a produit d'excellents résultats.
Les disciplinaires qui restent sans punition pendant cinq ou six mois sont renvoyés à leur corps complètement graciés.
M. Vleminckx a demandé au département de la guerre des états indiquant, par régiment, le nombre de soldats envoyés à la compagnie de discipline ; il a constaté que certains régiments envoyaient plus d'hommes à cette compagnie que d'autres et il est arrivé à cette conclusion, que certains chefs de corps sont beaucoup plus sévères que d'autres, ne savent pas conduire leurs hommes et les exaspèrent par des punitions répétées. Eh bien, messieurs, quand vous saurez comment les choses se passent, vous comprendrez que cette accusation n'est pas fondée.
Quand un homme est proposé pour la compagnie de discipline, on assemble un conseil d'enquête composé d'un major, d'un capitaine, d'un lieutenant, d'un sous-lieutenant et d'un sous-officier ; la conduite de l'inculpé, ses antécédents, sont examinés par ce conseil qui adresse un rapport au département de la guerre et l'homme n'est envoyé à la compagnie de discipline que sur la décision du ministre de la guerre.
Il existe d'autres raisons pour ne pas admettre d'une manière absolue les conclusions de M. Vleminckx ; cependant, je ne fais aucune difficulté de reconnaître que le caractère d'un chef de corps peut exercer une certaine influence. Mais il faut aussi tenir compte d'une chose, c'est que, contrairement à ce que pense l'honorable M. Vleminckx, les corps ne sont pas tous composés des mêmes éléments.
L'honorable membre vous citait un régiment de 4 bataillons, ayant moins d'hommes à la compagnie de discipline que certain régiment qui ne compte que 3 bataillons. Je ferai remarquer à l'honorable M. Vleminckx que le régiment auquel il fait allusion est un régiment d'élite.
M. Vleminckxµ. - La moralité ne se constate pas à l'arrivée des contingents.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je vous demande pardon. Les officiers qui sont chargés de faire le premier choix ont soin de s'enquérir des antécédents des hommes qui leur sont remis. Voilà quelle est la position. Je ferai encore une remarque, c'est que les chefs de corps n'ont pas toujours leur régiment tout entier dans la même garnison.
Quand un colonel a tout son régiment sous la main, il peut plus facilement s'occuper de la discipline, de l'instruction, de tout ce qui concerne le corps, tandis qu'il n'en est plus de même, lorsque ce régiment est disloqué dans plusieurs garnisons, comme cela arrive très fréquemment.
Il y a des régiments qui détachent un bataillon dans une ville, un bataillon, dans une autre, pour satisfaire non aux exigences du service, niais bien aux exigences de différentes localités qui viennent à avoir une garnison. C'est un inconvénient pour l'armée, mais c'est un avantage pour les petites localités, je le reconnais.
M. Van Overloopµ. - Il n'y a plus d'octrois.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Quoique les octrois soient abolis, comme le dit l'honorable M. Van Overloop, si l'on voulait supprimer les garnisons, celle de Saint-Nicolas, par exemple, je suis sûr que tout le monde, dans cette ville, réclamerait.
Je me rappelle que, l'année dernière, on a voulu faire partir momentanément un petit escadron d'une garnison. J'ai eu députation sur députation, protestation sur protestation, plainte sur plainte ; on aurait dit que c'était la fin du monde.
M. Coomans. - Je n'ai jamais demandé un seul homme pour ma localité.
M. Bouvierµ. - Vous faites en tout une exception à la règle.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Ce que dit l'honorable M. Coomans est vrai, je le reconnais.
Voilà donc pourquoi les conclusions de l'honorable M. Vleminckx ne peuvent être admises d'une manière absolue.
M. Vleminckxµ. - Voulez-vous me permettre une seule observation ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Volontiers.
M. Vleminckxµ. - J'ai fait une comparaison entre un régiment d'élite en garnison à Bruxelles et un régiment de ligne qui se trouve en province. J'aurais pu faire ma comparaison entre deux régiments de même nature.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je vais expliquer la différence. Il n'y a pas là de secret ; les deux régiments auxquels vous avez voulu faire allusion sont le régiment des carabiniers et le régiment des grenadiers. Eh bien, la situation entre ces deux régiments n'est pas du tout la même. Ce sont deux régiments d'élite, mais ils ne peuvent être composés de la même manière. Les hommes qui entrent dans le régiment des grenadiers doivent avoir la taille voulue. On doit les prendre comme ils se présentent.
Ces deux régiments sont également bien commandés, ils ont des chefs de corps pleins de sollicitude pour le soldat.
M. Vleminckxµ. - Permettez-moi encore une observation : je n'ai pas même songé au régiment des grenadiers.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Voilà cependant les deux régiments qui sont à peu près dans la même situation.
M. Vleminckxµ. - Je crois que M. le ministre ne m'a pas compris.
J'ai fait hier une comparaison entre un régiment d'élite et un régiment de ligne. J'ai fait cette comparaison au hasard. J'aurais pu faire tout aussi bien la comparaison entre deux régiments de ligne, et il en serait résulté que la conclusion que j'ai tirée d'un régiment d'élite et d'un régiment de ligne est complètement la même, c'est-à-dire qu'un régiment de ligne envoyait trois fois plus d'hommes à la compagnie de discipline qu'un autre régiment de même nature.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est un point sur lequel je viens de donner des explications. Je vous ai dit que tous les régiments ne se trouvaient pas dans une position identique. Le colonel qui a tout son monde sous la main peut exercer une surveillance que ne peut exercer le colonel qui a son régiment disséminé.
En outre, un régiment est dans une bonne garnison ; un autre est dans une garnison où la surveillance n'est pas possible. Un régiment est dans une garnison où il est soumis à toute espèce de séductions. Il arrive encore qu'un régiment a beaucoup plus de remplaçants que d'autres. Il y a des différences très grandes dans le nombre des remplaçants. Comment voulez-vous, messieurs, arriver à la conclusion de l'honorable M. Vleminckx ? C'est impossible.
L'honorable M. Vleminckx doit savoir, car il a appartenu assez longtemps à l'armée, qu'il y a chaque année des inspections générales. Tous les ans, un certains nombre de généraux, désignées par le Roi, sont chargés d'inspecter les différents corps de l'armée.
Un des principaux devoirs des inspecteurs est de s'assurer comment les punitions sont donnés dans les régiments. Toul officier, tout sous-officier, tout soldat peut réclamer auprès du général, et lui exposer ses plaintes ; et le général a le droit et le devoir de rectifier, de supprimer une punition, s'il le juge à propos, et même de sévir contre un chef de corps qui aurait infligé une punition injuste :
Je pourrais citer des chefs de corps auxquels leur régiment a été enlevé par une affaire de ce genre.
Mais, messieurs, craignons cependant de décourager les chefs de corps ; dans un pays où l'armée n'a pas fait la guerre, où tous ceux qui se livrent à des écarts trouvent des points d'appuis, il faut une grande énergie morale aux chefs de corps pour maintenir la discipline ; il faut aussi qu'ils soient encouragés par le gouvernement dans l’accomplissement de leur devoir.
Messieurs, j'arrive à l'arrêté royal du 18 avril 1855. D'après l'honorable (page 463) M. Vleminckx, l'armée n'accepte pas le droit que s'est arrogé le gouvernement de renvoyer des officiers quand cela lui convient, de les maintenir quand cela lui fait plaisir.
Messieurs, ce n'est pas le gouvernement qui s'est arrogé ce droit, c'est la loi qui le lui confère, et c'est vous, messieurs, qui avez souvent fait un reproche au gouvernement de ne pas en user.
D'abord, que dit la loi sur les pensions militaires ?
« Qu'arrivé à l'âge de 55 ans », l'officier peut être mis à la pension par le gouvernement. Voilà la seule condition.
Jusqu'en 1855, on n'a jamais pensionné autrement, c'est-à-dire que quand un officier arrivait à l'âge de 55 ans, le gouvernement le mettait à la pension, s'il jugeait qu'il ne fût plus apte à rendre de bons services, soit que sa santé fût altérée, soit que son intelligence fût affaiblie, soit qu'il n'eût pas une conduite irréprochable.
Quand le gouvernement trouvait qu'un officier était capable de servir encore, il le conservait aussi longtemps que ses services étaient jugés utiles.
Ce système a donné lieu à de vives réclamations, comme tout système quelconque en provoquera ; car je défie de présenter un système qui ne fasse pas naître des récriminations.
Espérant faire cesser ces plaintes, un de mes prédécesseurs provoqua un arrêté royal qui déterminait une limite extrême d'âge que les officiers ne pourraient pas dépasser, à moins de cas exceptionnels à l'appréciation du Roi. D'après cet arrêté, les lieutenants généraux devaient être pensionnés à 65 ans ; les généraux de brigade à 63 ans ; les colonels à 60 ans ; les lieutenants-colonels et les majors à 58 et les autres officiers à 55 ans.
Il est arrivé qu'on ne pensionnait généralement plus les officiers devenus inaptes au service, avant qu'ils eussent atteint la limite extrême d'âge. Mais il en est résulté quelques inconvénients. J'en rappellerai un. Lorsqu’en 1859 la guerre d'Italie éclata, 194 officiers, soumis à des visites médicales, furent reconnus impropres à entrer en campagne.
Quoi qu'il en soit, l'arrêté n'a pas cessé d'être rigoureusement observé, c'est-à-dire qu'on a pensionné les officiers arrivés à la limite d'âge. Quelques-uns seulement, en très petit nombre, ont été maintenus au delà de cette limite, et, en les maintenant, le gouvernement n'a fait qu'user du droit que lui accorde l'arrêté, de conserver en activité les officiers dont les services sont nécessaires.
Messieurs, combien y a-t-il en ce moment d'officiers dans cette position ? Il y en a quatre.
L'honorable M. Vleminckx vous a dit qu'on n'avait jamais accordé cette faveur à un pauvre capitaine, encore plein de force, arrivé à l'âge de 55 ans. C'est une erreur. On accorde souvent cette faveur à d'anciens officiers, particulièrement à des capitaines, quand ils n'ont pas encore atteint l'époque où ils ont droit au maximum de la pension.
Comme les pensions de cette catégorie d'officiers sont excessivement restreintes, le gouvernement use alors de modération, et quand il faut encore cinq, six mois et même un an pour qu'un officier ait droit à ce maximum de pension, le gouvernement le maintient au delà de la limite d'âge, et l'on ne peut lui en faire un grief. D'un autre côté, messieurs, rappelez-vous que ce qu'on me reproche de faire aujourd'hui, c'est précisément ce qu'on me reprochait de ne pas faire il y a quelque temps.
Dès mon entrée au ministère, en 1850, le premier débat que j'ai eu à soutenir portait sur cette question. On faisait un grief au gouvernement de ne pas user de cet article 3. On lui reprochait d'avoir été trop absolu, d'avoir mis à la pension des officiers qui avaient atteint la limite d'âge, alors qu'ils pouvaient, disait-on, rendre encore des services. En agissant comme il l'a fait, le gouvernement est donc entré dans les vues de la Chambre.
Messieurs, je ne veux pas défendre la thèse qu'il faut maintenir les officiers au delà de la limite d'âge. Je suis de ceux qui croient qu'il ne faut pas d'exception, j'ai toujours protesté contre les exceptions. Je voudrais que, dans une armée, il y eut une règle unique, mais je voudrais aussi que tout le monde s'entendît pour soutenir le ministre de la guerre, quand il s'agit d'appliquer les principes.
Or, tout le monde se ligue contre lui, et comme le dit l'honorable M. Vleminckx, tout le monde demande des exceptions : pour l'avancement, pour l'école militaire, pour le maintien des garnisons, pour les congés, pour le passage aux régiments d'élite, pour le maintien en activité, pour les mariages, etc. ; cela ne finit pas. Le ministre est seul pour lutter contre tous, et les haines, les oppositions s'accumulent contre lui seul. Alors on lui reproche des actes de favoritisme qu'il n'a pu souvent empêcher.
Voilà la vraie situation.
Messieurs, on a fait une théorie sur les hommes indispensables. Je n'ai jamais vu qu'il y eût des hommes complètement indispensables ; mais je crois qu'il y a des hommes momentanément utiles et nécessaires et qu'il ne faut pas lier d'une manière absolue les mains au gouvernement. II faut que dans certains cas on puisse prolonger la durée de service de certains officiers. Ainsi l'honorable M. Vleminckx nous disait : Les hommes disparaissent et les pays ne disparaissent pas.
Cela est très vrai. Mais quelquefois un homme disparaît, et cela change toute une situation.
Ainsi, pour me servir de la comparaison de l'honorable M. Vleminckx, si la disparition de Napoléon Ier n'a pas fait disparaître la France, je demanderai si sa disparition à l'époque du consulat n'eût rien changé à la situation. Je demanderai si la mort de Kleber n'a rien changé à la situation de l'Egypte, si elle n'a pas fait perdre l'Egypte à la France en faisant tomber le commandement dans les mains du général Menou. Voilà des exemples historiques, on pourrait les multiplier. Je sais qu'il n'y a pas d'hommes de cette importance chez nous, et il faut espérer que nous n'en aurons pas besoin.
Mais il y a d'autres circonstances où des hommes peuvent être momentanément utiles. Ainsi je suppose que le gouvernement ait à exécuter un grand travail d'utilité publique, un grand travail de défense nationale, d'où peut dépendre un jour la sécurité du pays. Il a confié ce travail à un homme capable, à un homme distingué, à un homme compétent ; depuis le commencement des travaux cet homme les a dirigés avec un zèle admirable, il a dans l'esprit tous les documents et quand le moment vient d'y mettre la dernière main, la limite fatale arrive et il faut pensionner cet homme, au risque de compromettre les intérêts de l'Etat et le succès des travaux en le remplaçant par un homme de moins d'expérience. Ne serait-il pas de l'intérêt de l'Etat de prolonger de quelques mois les services de cet homme, afin de le mettre à même d'achever le travail dont il a été chargé ?
Voilà des cas pour lesquels il faut laisser au gouvernement certaine latitude.
L'honorable M. Vleminckx nous dit : Pourquoi n'adoptez-vous pas le système français ? Mais si je proposais d'adopter ce système, l'honorable membre serait le premier à se lever contre moi. Il dit : « Vous ne faites d'exception que pour de gros bonnets, pour des généraux et des aides de camp. » Ces gros bonnets, messieurs, sont souvent des capitaines et quelquefois des colonels ; il y a quelques généraux, mais enfin le grand nombre se compose d'officiers de tout grade.
En France que se passe-t-il ? D'abord la limite d'âge est beaucoup moins étendue qu'en Belgique. Ainsi les lieutenants et sous-lieutenants sont totalement congédiés à 52 ans, chez nous ils sont conservés jusqu'à 55. Les capitaines, en France, sont congédiés à 53 ans, nous les conservons jusqu'à 55. Les colonels sont pensionnés au même âge qu'en Belgique, mais les généraux, les gros bonnets, comme les appelle M. Vleminckx, ne sont jamais pensionnés en France (interruption) dans la réserve.
Mais, messieurs, dans la réserve, la pension est bien autrement favorable et les officiers de la réserve appartiennent toujours à l'Etat et peuvent être chargés d'un service actif. Le traitement de la réserve est très supérieur à celui de la pension. Les généraux qui ont commandé un corps d'armée et les maréchaux de France sont conservés en activité toute leur vie.
Messieurs, il me reste à examiner une dernière question, c'est la situation des officiers pensionnés. Ici je me rallie de grand cœur à l'avis de l'honorable M. Vleminckx. Je partage sa manière de voir, celle de M. Lelièvre et celle de M. Thonissen. Je suis parfaitement d'accord avec eux que la position de ces officiers est véritablement déplorable.
Il serait juste de faire quelque chose pour eux, et si, en attendant la révision de la loi, il était possible de leur accorder l'augmentation de 10 p. c. qu'on a faite sur la plupart des traitements, ce serait une chose très équitable.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je demanderai à la Chambre la permission de sortir des questions spéciales qui ont été traitées hier et aujourd'hui et de m'occuper de questions plus générales. Un honorable préopinant émettait hier l'avis qu'il était inopportun de discuter cette année le budget de la guerre, que nous devions nous borner à le voter en quelque sorte provisoirement en attendant que le rapport promis par l'honorable ministre de la guerre nous soit présenté. Je ne puis partager cet avis ; je crois que la Chambre, qui est responsable, vis-à-vis du pays, des finances de la nation, a précisément trouvé une occasion unique et (page 464) extrêmement favorable de discuter, en l'absence de ce rapport, toutes les questions financières que soulève le budget de la guerre.
Il est très important pour les Chambres et il est en même temps heureux pour le gouvernement que la représentation nationale ait l'occasion, avant qu'une nouvelle organisation militaire lui soit présentée, d'émettre son avis sur ces questions, car il serait déplorable qu'après la présentation de cette nouvelle organisation, il se produisît un dissentiment entre les Chambres et le gouvernement. Il importe donc d'examiner aujourd'hui la situation financière générale et de constater, par une discussion approfondie, jusqu'où le gouvernement peut aller dans ses propositions de dépenses.
Une autre considération qui n'aura certainement pas échappé à la Chambre, pour justifier la discussion du budget au point de vue économique et financier, c'est que nous commençons un nouveau règne : nous l'avons commencé sous les plus heureux auspices, et j'espère qu'il sera aussi grand que fécond. Mais à un grand règne il faut de grands moyens, de grandes ressources ; il n'est donc pas inopportun, à ce point de vue, d'examiner, avant de prendre une décision sur une des dépenses les plus considérables du budget général, quelles sont les ressources que le pays peut se ménager pour accomplir nos vœux à tous, c'est-à-dire l'accomplissement des grandes choses attendues.
Une autre considération encore doit vous faire examiner en ce moment les questions financières avec le plus grand soin. Nous sommes à la veille d'élections législatives. Le pays qui, en définitive, a entre les mains la décision souveraine de toutes les questions que nous débattons ici, doit pouvoir se prononcer en connaissance de cause. Or, ce n'est guère que par la discussion dans cette Chambre que la nation peut être éclairée, car nous avons en mains les moyens matériels de discuter toutes les questions. Nous sommes en possession de tous les renseignements ou nous pouvons l'être quand nous le voulons. C'est donc ici que le pays doit pouvoir trouver les lumières qui lui sont indispensables pour prendre, en parfaite connaissance de cause, une décision dans les élections qui se préparent.
J'aborde maintenant la discussion.
Un grand homme de guerre, dont l'honorable ministre de la guerre, que je suis heureux de voir parmi nous, rétabli de ses longues souffrances, ne contestera sans doute pas la compétence, répondait à qui lui demandait ce qu'il fallait pour faire la guerre : Il faut 1° de l'argent, 2° de l'argent et 3° de l'argent encore.
Je dirai qu'aujourd'hui, dans la seconde moitié du XIXème siècle, la seule différence qu'il y aurait entre cette réponse et celle qu'il ferait sans doute à la même question, c'est qu'en 1866, pour faire la guerre, il faut pour la commencer, beaucoup d'argent ; pour la continuer, davantage encore, et énormément pour la finir.
Il est donc très opportun, au point de vue du sujet même qui nous occupe, d'examiner si en continuant le système suivi jusqu'aujourd'hui nous serons en mesure, au jour de la nécessité, de trouver les ressources financières sans lesquelles la défense de notre pays serait impossible. C'est pourquoi je demande à la Chambre la permission d'examiner succinctement devant elle tout ce qui s'est fait depuis notre reconstitution comme nation indépendante jusqu'aujourd'hui, afin de pouvoir juger par le passé ce que nous deviendrons dans l'avenir si nous continuons les mêmes errements.
Depuis 1830 jusqu'aujourd'hui, la nation a fourni les ressources suivantes, savoir :
Budgets liquidés de 1830 à 1862 ; fr. 4,282,157,026 20
Budgets de 1865 à 1865 : fr. 493,344,393 49
Extraordinaire : fr. 92,814,104 02
\1866. Budget voté : fr. 161,043,290.
Total : fr. 5,0291,558,813 71.
Les Chambres ont également voté les dépenses suivantes, y compris le budget de 1866 que nous avons en partie voté. Savoir :
Dépenses liquidées de 1830 à 1862 : fr. 4,266,031,929 84
De 1863 à 1865 : fr. 627,442,062 64
1866 : fr. 154,453,825 07
« Total : fr. 5,047,907,817 55.
Ce qui laisse un déficit de fr. 18,349,003-83 et comme nous avons voté dernièrement 10 millions pour matériel de chemins de fer, et que différentes autres dépenses sont proposées ou votées qui s'élèveront peut-être encore à 5 millions de francs, le déficit sera de 33,349,003 fr. 85 c, déficit prévu et auquel on doit faire face par les excédants des budgets non encore votés.
Voilà, messieurs, les chiffres qui résultent de l'examen de notre situation financière depuis le commencement de notre existence nationale jusqu'aujourd'hui. y compris le budget de 1866 en partie voté. Il y aurait beaucoup de réflexions à faire sur ces chiffres. Je pourrais m'étendre très longuement sur les avantages que la nation aurait pu retirer de ce capital immense s'il avait été employé à des services reproductifs, mais je laisserai ce soin à chacun de vous en particulier et je ne sortirai pas de la question qui m'occupe dans ce moment.
Le budget de la guerre a absorbé depuis 1830 une somme de fr. 1,330 998,648-14.
Il faut y ajouter 54 millions pour les fortifications d'Anvers ; 47 millions pour des travaux extraordinaires de fortifications antérieurs aux fortifications d'Anvers, 14 millions pour les canons Wahrendorff ;
Total : 1,445,998,648 fr. 14 cent.
Messieurs, que nous reste-t-il de ce capital immense auquel je n'ajoute pas, comme je pourrais le faire, ni les intérêts ni les sommes beaucoup plus considérables peut-être que représentent le travail et l'intelligence des nombreuses générations qui ont été détournées des travaux reproductifs pour entrer dans l'armée ? Messieurs, il ne nous reste, de toutes ces sommes accumulées, exactement que la situation actuelle. Dans trente-six années si nous continuons, nous serons encore au même point qu'aujourd'hui ; nous aurons sans doute d'autres hommes, d'autres générations sous les armes, nous aurons aussi augmenté considérablement nos charges, mais nous ne serons pas plus avancés qu'aujourd'hui.
Messieurs, c'est pour examiner avec calme et sans préventions s'il n'y arien à faire pour modifier cet état de choses que j'ai pris aujourd'hui la parole ; et je vous prie de suivre attentivement l'argumentation que j'aurai l'honneur de développer devant vous.
Mais quand je dis qu'il ne nous reste rien des dépenses considérables, immenses que nous avons faites depuis 1830, je me trompe singulièrement et je me hâte de rectifier mon erreur. Il nous en reste vraiment quelque chose, beaucoup trop même. Il nous reste, d'après la dernière situation du trésor public qui nous a été distribuée, une dette de 660,570,313 francs 96 c., dont les intérêts et l'amortissement s'élèvent annuellement à 34,286,463 fr. 54 c.
Voilà, messieurs, ce qui nous reste des efforts immenses que la nation a faits pour produire le capital absorbé depuis trente-six ans pour son administration et sa garde et dont je vous ai donné tantôt les chiffres.
Messieurs, depuis notre reconstitution en Etat libre et indépendant, nous avons presque constamment joui d'une paix sans nuages, et l'on peut dire d'une prospérité sans exemple.
Malgré cela, la dette, c'est-à-dire cette charge à laquelle nous ne pouvons nous soustraire, que nous ne pourrions diminuer ni ajourner sans déshonneur, sans détruire notre crédit, et sans nuire par conséquent à tous nos intérêts, cette dette a été constamment en augmentant.
En 1833 elle n'était que de fr. 10,904,993, en 1842 de fr. 29,769,169, en 1864 de fr. 36,326,872, en 1864 de fr. 40,660,200 et, enfin, en 1866, de fr. 41,284,669.
Vous voyez qu'il y a progression constante, que malgré tous les efforts que nous faisons, malgré les capitaux énormes que nous soustrayons chaque année aux fonctions reproductives, bien loin de décharger là situation de nos finances, elles sont chaque année plus surchargées, et si nous continuons dans le même système, d'ici à quelques années, ce ne sera plus 40, mais 50 à 60 millions que nous aurons à payer annuellement pour la dette, sans avoir la perspective de nous en débarrasser.
Eh bien, messieurs, j'appelle sur ce point toute votre attention. Si au lieu de dépenser dans la prévision d'une guerre, d'une attaque ou de complications diplomatiques que rien ne justifie, trente-huit millions en moyenne par an, nous avions employé une partie seulement de cette dépense à amortir notre dette, nous serions débarrassés aujourd'hui d'une dépense annuelle de 3millions et nous serions libres d'entreprendre soit des réformes économiques, telles que diminutions ou suppressions d'impôt ou de taxes, soit de consacrer cette somme en travaux qui, étant faits au moyen des ressources annuelles, ne laisseraient à nos successeurs aucune charge, aucune dette ; tandis que maintenant toutes les dépenses que nous faisons pour travaux ou améliorations se résument en définitive en charges très lourdes pour les générations qui nous suivent : et au lieu de laisser, en bon pères de famille, notre héritage quitte et libre à nos descendants, nous le laisserons grevé d'une dette immense qu'à leur tour ils ne pourront diminuer.
Messieurs, je dois appeler encore un instant votre attention sur la question de la dette.
(page 465) La dette n'a pas seulement pour inconvénient de nous enlever chaque année un capital considérable, en échange duquel nous ne recevons rien que des paniers et des sacs de coupons ; elle en a un autre très grave que je dois vous signaler. Il est impossible, comme je vous l'ai dit tantôt, de songer à diminuer dans un moment quelconque le chiffre de la dette ou de ses intérêts. Supposez une crise commerciale, industrielle, agricole, alimentaire ; supposez qu'une guerre arrive ; il faut d'abord, que les moyens y soient ou non, payer la rente de la dette ; il le faut, sous peine de banqueroute.
La nation est donc mise dans certaines circonstances, et dans celles où les ressources sont le plus difficiles à réaliser, dans un état d'impuissance complète, et s'il fallait une preuve de ce que j'avance, je la trouverais dans la situation de quelques Etats dont la dette est plus forte que celle qu'ils pourraient raisonnablement supporter. Ainsi ce qui empêche le gouvernement de la Grèce de se constituer, c'est sa dette colossale relativement à ses ressources, à laquelle elle ne peut faire face et qui pourtant ne lui laisse presque rien pour subvenir aux besoins du gouvernement, tout en la privant du crédit dont elle aurait tant besoin.
L'Espagne est dans le même cas ; l'Autriche se débat péniblement contre la dette qui l'écrase et se sent impuissante. La Russie elle-même, bien que foncièrement très riche, se trouve à tous moments arrêtée dans ses projets de travaux les plus nécessaires, les plus utiles, par ses obligations trop lourdes pour son peuple.
Je conclus de ces faits qu'il est de notre devoir de porter toute notre attention sur la question de la dette publique, et à mon avis, là est le véritable ennemi qu'il faut débusquer de chez nous et chasser de notre territoire.
Je m'attends, messieurs, à ce que l'on me réponde que notre dette est représentée par les travaux publics que le gouvernement a faits. J'ai voulu examiner cette objection, et avant d'aborder un autre point de mon discours, je vais vous indiquer les résultats auxquels cette étude m'a conduit.
Toujours d'après le tableau de la situation du trésor en 1865 que j'ai déjà cité, nous avons construit en travaux publics utiles, non compris les fortifications que je ne puis ranger dans cette catégorie, pour une somme de 457,930,826 fr. dont le produit brut, en y comprenant tout ce qui dérive, même indirectement, des travaux publics, tels que les produits des postes, télégraphes et bateaux à vapeur, donne une somme totale de 42,167,500 fr.
Mais les dépenses des mêmes services absorbent une somme de 27,900,643 fr., ce qui ne laisse pour ces 457,900,000 qu'un revenu net de 14,266,853 fr. annuellement.
Nous allons bientôt en distraire 1,500,000 fr. par la suppression des droits de barrière, de sorte qu'il ne nous restera plus comme produit net des travaux publics qu'une somme de 12,716,855 fr.
Il résulte de là, messieurs, que nos travaux publics ne représentent, contrairement à l'opinion souvent exprimée, qu'une partie de la dette que nous supportons et que nous avons à suppléer par l'impôt à une partie considérable (la différence entre 12,000,000 et 34,000,000 soit 22,000,000 annuellement) de l'intérêt des sommes que nous avons empruntées.
Messieurs, la cause du mal étant connue, et dès que nous savons exactement ce que nous avons à attaquer pour nous défaire du ver rongeur de nos finances, il s'agit de voir quel système nous devrons adopter pour réduire la dette et la rembourser ensuite complètement. Car il est incontestable, d'après ce que je viens d'exposer, que c'est sur la réduction de la dette que nous devons porter tous nos efforts et, en effet, c'est sur ce point que, dans tous les pays, tous les financiers portent dans ce moment leur attention. Ainsi, en Angleterre, la question de la ligue pour la réforme financière et du gouvernement lui-même est à l'ordre du jour. Très probablement la session actuelle du Parlement ne se passera pas sans que le chancelier de. l'échiquier propose un moyen de réduire considérablement, dans un très court délai, la dette qui pèse aussi très lourdement sur l'Angleterre. Il me semble donc qu'il est temps aussi pour nous de nous préoccuper de cette question et j'en dirai tantôt les raisons, qui me paraissent sans réplique.
Il y a, messieurs, deux systèmes à suivre pour réduire la dette. Nous pouvons augmenter les impôts et obtenir ainsi chaque année des excédants de revenu à appliquer à l'amortissement, ou bien nous devons réduire les dépenses.
Les Américains ont adopté le premier système ; ils ont résolument attaqué leur dette par l'impôt, et le congrès vient de décider qu'une somme de 500 h 600 millions de francs, annuellement prélevée sur l’impôt, sera exclusivement affectée à l'extinction de la dette jusqu'à ce qu'elle disparaisse complètement du grand livre.
Je ne pense pas, messieurs, que nous trouvions chez nous des financiers assez entreprenants, ni des ministres, ni même une Chambre assez populaires pour oser présenter un pareil moyen. Force sera donc bien d'avoir recours au système des économies. Ce n'est qu'en réduisant courageusement les dépenses de l'Etat que nous pourrons arriver, dans un délai plus ou moins court, selon que ces économies seront plus ou moins grandes, à faire disparaître la cause unique de tous nos malaises financiers quand il se présente quelque cas extraordinaire, c'est-à-dire notre dette.
Mais, messieurs, il est très facile de dire : Nous allons réduire les dépenses ; très difficile est la tâche de réaliser ces projets.
Quelles dépenses allons nous réduire ? Sur la dette, nous l'avons dit, ce n'est pas possible sans la banqueroute, et la banqueroute serait la plus mauvaise solution qu'on pût imaginer, ce serait la plus coûteuse. Elle serait désastreuse. 11 n'y a donc pas à y songer.
Si je m'adresse à M. le ministre de l'intérieur, il me répondra : Tous les ans on demande que j'accroisse les sommes que j'emploie à l'instruction publique, aux chemins vicinaux, à l'hygiène, etc., je ne puis donc accorder la moindre réduction.
Si je m'adresse à M. le ministre de la justice, il me fera exactement la même réponse. Si je m'adresse à M. le ministre des finances, j'aurai peut-être un peu plus de succès, mais il faudrait d'abord que les dépenses générales fussent diminuées pour pouvoir diminuer celles de son administration.
M. Bouvierµ. - Diminuez les travaux publics.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Quant aux travaux publics, auxquels j'allais arriver, c'est bien autre chose. Ici c'est le ministre qui est obligé de se défendre contre les dépenses que la Chambre lui propose constamment. C'est la Chambre qui, à toute occasion, demande de nouveaux moyens de transport, de nouveaux travaux, des créations nouvelles en tous genres, et je crois que je serais très mal accueilli si je venais lui proposer de réduire les travaux publics. Ce n'est pas qu'à mon avis il n'y ait rien à faire, mais je serais sans doute seul de mon avis.
M. Bouvierµ. - Probablement.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je suis donc obligé de m'adresser au ministre de la guerre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous ne me faites pas l'honneur de me comprendre dans votre énumération.
M. le Hardy de Beaulieuµ. - Le budget de l'honorable ministre des affaires étrangères est si peu élevé comparativement aux autres qu'en le supprimant même tout entier nous n'arriverions pas au résultat que je cherche. Voilà pourquoi je ne l'ai pas cité.
Je suis donc obligé de m'adresser à M. le ministre de la guerre. L'honorable ministre, vous avez entendu assez souvent ses éloquents discours pour le savoir d'avance, protestera énergiquement. Il cherchera très probablement, dans le rapport qu'il doit nous présenter, à nous prouver qu'il n'y a aucune réduction à espérer ; au contraire.
Mais, messieurs, cette question ne dépend pas exclusivement de l'honorable ministre de la guerre ; cette question est une de celles dont nous avons la responsabilité à l'égard du pays. C'est nous qui payons les budgets et qui devons décider de ce qu'il nous convient de dépenser.
Est-il possible de réduire le budget de la guerre ? Je n'examine pas ici les questions d'organisation ; je me réserve de les discuter en temps opportun. Aujourd'hui je n'examine que la question financière ; et à ce point de vue, je me demande s'il est possible, pratique de gouverner le pays avec un budget de la guerre moins élevé.
Messieurs, pour répondre à cette question, je n'ai qu'à rechercher et à constater ce qui s'est fait antérieurement. Je vois même sur le bane ministériel des hommes qui ont longtemps soutenu la thèse que je soutiens en ce moment. Je ne viens donc pas vous dire des choses bien nouvelles, ni soutenir des théories impossibles ; je vais vous démontrer par des chiffres puisés dans nos documents qu'il est très possible de maintenir le pays en sécurité, tout aussi efficacement qu'on le conserve aujourd'hui, avec une dépense beaucoup moins considérable que celle à laquelle nous avons à pourvoir en ce moment.
J'ai ici le tableau de tous les budgets de la guerre depuis 1830 jusqu'aujourd'hui. J'y vois une progression extrêmement curieuse dans les deux sens. Au commencement de notre organisation comme nation libre et indépendante, il était tout naturel, puisque l'indépendance avait été conquise au moyen de la force, et qu'on avait la perspective presque (page 466) journalière de devoir lutter contre la force ; il était tout naturel, dis-je, que la Belgique se préparât à opposer des moyens de force à ceux qui pouvaient être dirigés contre elle.
Nous avions donc des budgets de la guerre qui s'élevaient en 1831 à 73 millions, à 70 millions en 1832, 51 millions en 1833, 42 millions en 1834, pour descendre en 1844 à 26 millions, 27 millions en 1845, 28 millions en 1846, 29 millions en 1847, 35 millions en 1848, puis de 1849 à 1851 à 26 millions, pour monter tout à coup à 36 millions en 1852, à 40 millions en 1859 et pour se maintenir depuis 1861 jusqu’à présente entre 34 et 36 millions.
Vous voyez, messieurs, que pendant un très grand nombre d'années nous avons suffi à toutes les nécessités de la dépense, ou plutôt à la préparation de la défense nationale avec un chiffre de 26 millions. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas rentrer dans ce chiffre.
Jusqu'à ce qu'on me donne des raisons sérieuses pour penser autrement, je suis obligé de garder l'impression que l'inspection de ce tableau a produite sur moi ; et je ne vois aucun motif pour dépenser plus aujourd'hui que nous ne dépensions dans des années bien autrement dangereuses que celles où nous nous trouvons maintenant ; c'est-à-dire pour dépenser plus d'argent que nous n'en dépensions en 1849, en 1850 et en 1851. Je dis même que si nous dépensions pour cet objet 25 millions, c'est-à-dire 10 millions de moins que nous ne dépensons aujourd'hui, nous pourrions encore parfaitement suffire à toutes les nécessités, à toutes les éventualités que les événements politiques peuvent produire.
Maintenant, messieurs, il est bien évident que je n'obtiendrai pas seul ce que je demande ; il faut que je rallie autour de moi et autour de ceux qui partagent mon opinion, des forces qui nous aideront à conquérir ce que j'appellerai l'affranchissement de nos finances.
Quelles sont donc les forces sur lesquelles nous pouvons compter ? Je placerai en premières lignes les masses populaires, les masses au milieu desquelles chaque année on va chercher 10 mille hommes qu'on distrait de leurs occupations naturelles, de leur vocation, pour en faire forcément des soldats, c'est-à dire des hommes auxquels on impose, sous des pénalités que je me permets d'appeler barbare, l'obligation de s'instruire dans la charge à douze temps. Je suis certain que dans ces masses nous trouverons un appui solide sur lequel on pourra compter et sur lequel je compte...
M. Coomans. - Malheureusement, ce ne sont pas des électeurs.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Nous aurons aussi des électeurs.
Je compte encore sur la propriété foncière, grande et petite, et je vais vous dire pourquoi.
Sur qui pèse la dette nationale ? Est-ce sur ceux qui n'ont rien ? Est-ce sur les impôts de consommation, sur les recettes qui sont variables, tandis que la dette est invariable, inflexible ? C'est donc exclusivement sur les impôts invariables, c'est-à-dire sur l'impôt foncier et personnel, sur la propriété, en un mot, qu'elle est établie, on peut même dire hypothéquée, La dette est donc, pour la propriété foncière, une véritable hypothèque en première ligne ; car il faut commencer par payer l'impôt avant toute autre charge.
Donc la dette est bien hypothéquée sur le sol et n'a pas d'autre garantie.
Or, 660 millions de dette divisés par 3 millions d'hectares font 220 fr. de dette par hectare ; mais comme il y a beaucoup d'hectares qui ne valent pas 100 fr., pas même 50 fr., la dette se répartit sur la propriété foncière en proportion de sa valeur, il en résulte que beaucoup d'hectares sont chargés, pour leur part proportionnelle dans la dette, de 500 et de 600 fr., et davantage.
Messieurs, la dette est tellement bien une charge qui incombe à la propriété foncière, que je suis certain que si, par une combinaison quelconque, on pouvait la rembourser immédiatement, la propriété foncière acquerrait au même instant une plus-value de tout l'import de la dette, et je puis dire, comme conséquence, que la propriété foncière souffre par contre une moins-value de tout l'import de la dette publique.
J'aurai encore d'autres auxiliaires dans ma campagne contre la dette publique et les charges qui en découlent.
L'industrie et le commerce sont intéressés au plus haut degré à la réduction de ces charges. Il ne me sera pas difficile de vous en donner la preuve en très peu de paroles. Que demande l'industrie ? Que. demande le commerce ? Des capitaux ; des capitaux à bon marché. Et qui leur fait la concurrence la plus redoutable ? Les emprunts d'Etat, qui sont, comme je viens de le dire, garantis, hypothéqués sur le sol même. Ils sont évidemment plus recherchés que les emprunts, toujours plus ou moins aléatoires, de l'industrie et du commerce, et sur le marché des capitaux, l'industrie privée ne peut donc pas lutter avec les emprunts d'Etat.
Une des causes donc pour lesquelles l'industrie paye les capitaux aussi cher, c'est l'existence des dettes nationales.
Mais il y a encore une raison pour laquelle l'industrie et le commerce viendront à mon secours ; c'est que, comme je vous l'ai dit tantôt, l'Angleterre, depuis 1846, depuis Robert Peel, a supprimé, diminué, réduit les impôts qui pèsent plus particulièrement sur la production et la consommation, jusqu'à concurrence de 800 millions de francs, et c'est parce que l'Angleterre a fait cette réforme, qu'elle s'est maintenue au rang qu'elle occupe aujourd'hui. Et lorsque l'Angleterre aura trouvé les moyens de diminuer sa dette, et elle les trouvera, il sera impossible à l'industrie et au commerce du continent à lutter contre elle, si les Etats d'Europe ne suivent pas la même voie, c'est-à-dire s'ils ne diminuent pas également les impôts qui pèsent sur le travail, la production et la consommation.
Une autre raison pour laquelle l'industrie et le commerce nous viendront encore en aide, c'est que nous épuisons annuellement nos mines, savez-vous, messieurs, pour quelle somme ? Pour une valeur de 100 à 125 millions annuellement.
Nous extrayons donc tous les ans de notre sol, sans rien y mettre à la place, une valeur de 100 à 125 millions de francs ; or, il est un fait qui ne sera contesté par personne, c'est que, si nous avons encore, pour quelques générations, des richesses minérales dans notre sol, chaque année nous rapproche sinon de leur épuisement, au moins du temps où il faudra des capitaux beaucoup plus considérables, des dépenses beaucoup plus fortes, pour amener à la surface du sol les richesses qui se trouvent au fond.
Que ferons nous alors si nous sommes accablés d'une dette qui va grossissant chaque année ? Comment pourrons-nous lutter avantageusement sur les marchés industriels, sur le marché général du monde, si nous sommes grevés de dettes qui nous paralysent et qui nous empêchent le faire financièrement les réformes qui seraient nécessaires au développement de nos forces productrices ?
Je puis donc, messieurs, compter sur le concours du commerce et de l'industrie. Mais d'autres auxiliaires encore ne me feront pas défaut.
Par suite des progrès de la civilisation et des nécessités sociales, les grandes villes sont obligées d'entreprendre des travaux considérables d'amélioration, d'assainissement et d'embellissement ; pour faire ces travaux, elles sont obligées de recourir à l'impôt, aux emprunts, aux combinaisons les plus onéreuses.
Or, quelle est la part que les grandes villes, que les populations agglomérées prennent dans les dépenses générales de l'Etat ? Je me suie efforcé de trouver ce chiffre, et voici le résultat de l'analyse à laquelle je me suis livré.
En prenant le compte rendu de la situation de la province de Brabant pendant l'année 1864, j'ai trouvé que cette province avait contribué dans les charges générales pour une somme de 35,324,000 francs. L'agglomération bruxelloise, qui ne compte pas la moitié de la population de la province, puisqu'elle ne compte que trois cent et quelques mille âmes tandis que la province en compte 824,000, paye néanmoins beaucoup plus que la moitié de ces charges. Et pourquoi arrive-t-elle à cette proportion ? Parce que, comme vous le savez, toutes les contributions, dans les grandes villes, sont beaucoup plus fortes sur les maisons et sur les autres articles que dans les communes rurales. Or, si la province de Bradant paye, dans la somme totale fournie à l'Etat, du quart au tiers, il est évident que la ville et l'agglomération de Bruxelles payent environ le sixième des charges de l'Etat.
Or, messieurs, dans cette proportion la ville de Bruxelles contribue dans la dette publique pour une somme de 7 millions annuellement ; elle paye dans le budget de la guerre 6 millions ; elle a contribué dans les (page 467) fortifications d'Anvers pour 9 millions et dans les dépenses totales de la Belgique depuis 1830, pour 800 millions de francs. Ce que je dis de la ville de Bruxelles s'applique également à Gand, à Anvers, à Liège et à toutes les grandes villes, proportionnellement à l'importance de chacune d'elles. Or, ces villes ont besoin de toutes leurs ressources pour faire face aux travaux que les habitudes actuelles demandent, et si les impôts en faveur de l'Etat vont constamment en augmentant, il est clair qu'elles ne pourront pas subvenir aux besoins locaux les plus évidents, tandis que si la dette était remboursée, la ville de Bruxelles, par exemple, rentrerait immédiatement pour sa part dans 7 millions annuellement et si le budget de la guerre était diminué, elle verrait ses ressources disponibles, sans charger davantage les habitants, s'augmenter de plusieurs millions, et ainsi de toutes les autres économies que l'on pourrait réaliser.
Messieurs, après avoir examiné la question de la dette publique au point de vue purement théorique et financier, c'est-à-dire après avoir établi que, si nous voulons arriver à soulager le pays du fardeau qu'il supporte non sans efforts, surtout dans certains moments, nous devons attaquer principalement la dette publique, et si j'ai démontré que ce n'est qu'en diminuant le budget de la guerre au chiffre de 25 millions que nous pourrons y arriver, il reste à établir, messieurs, quel effort sera à faire pour nous débarrasser complètement de ce fardeau.
Au point où nous en sommes arrivés, l'amortissement s'élève à plus de 7 millions par an ; en portant l'amortissement à 14 ou 15 millions partant un intérêt moyen de 4 1/2 p. c., nous pourrons amortir les 660 millions qui nous restent à payer, en 25 ans. Si, au contraire, nous voulions faire un effort plus grand, c'est-à-dire porter l'amortissement annuel à 20 millions, nous pourrions amortir la dette en 20 ans. Dans le premier cas, l'amortissement coûterait au pays 1,082,000,000 francs, dans le second cas 994 millions ; il y a donc une économie notable pour le pays à amortir ses dettes le plus tôt possible. Si nous continuons le système actuel, l'amortissement nous coûtera environ deux millions, c'est-à-dire près du double.
Je soumets ces chiffres à la Chambre afin de lui démontrer qu'il y a un intérêt sérieux pour la nation à préférer l'amortissement rapide à l'amortissement lent de nos dettes.
Messieurs, on viendra probablement vous dire que si la Chambre et le pays adoptaient ma manière de voir, la Belgique serait exposée à de grands dangers.
J'ai voulu, messieurs, me rendre compte également de cette question ; j'ai voulu examiner en fait quel était le danger que nous pourrions avoir à courir.
L'année dernière, en me répondant, un de mes honorables amis, M. De Fré, me disait : Mais si nous diminuons l'armée, nous allons, comme la Suisse, qui n'a pas d'armée permanente, être sujets à l'invasion ; nous serons donc envahis par le premier venu. L'histoire nous apprend qu'on n'a pas respecté la neutralité suisse et que Souwaroff, Bonaparte, le prince Charles et d'autres ont successivement envahi la Suisse et traversé son territoire.
Messieurs, je confesse que l'histoire confirme complètement la théorie et les faits que nous a développés l'honorable M. De Fré, mais cet honorable membre a oublié de compléter son historique en nous disant que, malgré toutes ces invasions, malgré Souwaroff, Bonaparte et le prince Charles, la Suisse n'a pas péri, qu'elle est restée Suisse, qu'elle n'a pas de dette, ne paye que 14 francs par tête d'impôts de toute nature, communaux, provinciaux et autres, tandis nous en payons environ cinquante pour les mêmes natures de charges.
M. Bouvierµ. - Les Suisses doivent servir en personne. Voilà la différence.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Vous voyez donc, par cet exemple, que les dangers ne sont pas aussi considérables qu'on le prétend ; on ne conquiert pas, messieurs, une nation qui ne veut pas être conquise. Pourquoi n'a-ton pas annexé ou partagé la Suisse en 1815 ? Par une bonne raison, c'est que le congrès de Vienne savait fort bien que la Suisse ne voulait pas cesser d'être Suisse et que l'on ne fait pas d'une nation autre chose que ce qu'elle veut.
M. Bouvierµ. - Et le Danemark ?
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Qui a motivé l'invasion du Schleswig-Holstein ? C'est une partie des habitants qui a appelé les Allemands comme des libérateurs ; sans cela, jamais les Prussiens ne se seraient permis d'envahir le territoire danois, et si, malheureusement - je suis certain que jamais un Belge ne donnera ce triste spectacle, je ne parle donc que par supposition, - si une fraction quelconque de la population appelait des libérateurs.il est évident que ces libérateurs ne se feraient pas longtemps attendre et que nous serions bientôt délivrés de nos oppresseurs malgré nous. C'esl ce qui est arrivé au Schleswig.
Si donc tout le monde sait et est convaincu que nous sommes décidés à n'être que Belges, aucune puissance de la terre ne voudra, et, ce qui est une meilleure garantie, n'aura d'intérêt à vouloir que nous soyons autre chose que Belges.
M. Bouvierµ. - Si votre prophétie est vraie, il faut voter immédiatement contre tout budget de la guerre.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Nous ne courons donc aucune espèce de danger, et si nous en courions jamais, ce serait nous seuls qu'il faudrait accuser de l'avoir créé.
Voilà donc une raison, messieurs, qui ne me sera plus opposée, je l'espère. Nous pouvons délibérer sur la question du budget de la guerre en toute liberté. C'est notre intérêt seul que nous avons à examiner, et nous n'avons à nous préoccuper d'aucune autre chose, Il dépendra de nous de n'être jamais attaqués, si, par maladresse ou autrement, noue ne nous faisons pas suspecter.
M. Bouvierµ. - Pourquoi alors voulez-vous un budget de 25 millions ?
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je vous le dirai d'une manière très claire et très catégorique, si vous voulez bien m'attendre ; mais la question n'est pas là, j'examine un autre ordre de faits. J'y viendrai en mon temps et à mon heure, et je vous donnerai alors une réponse qui vous satisfera.
Nous sommes donc, messieurs, complètement libres d'examiner le budget de la guerre comme tous nos autres budgets, sans aucune autre préoccupation quelconque que l'intérêt public.
Le pays nous a envoyés ici avec la mission de décider quelle somme nous avons à dépenser pour cet objet comme pour les autres, comme pour la justice, l'intérieur, les affaires étrangères et les travaux public» et nous sommes arrivés, messieurs, au moment précis de prendre à ce sujet une résolution.
Dans le rapport qui va être déposé dans le courant de l'année, en nous fera des propositions pour une nouvelle organisation de l'armée. C'est donc le moment pour nous de dire au gouvernement : Il nous convient de dépenser telle somme, et c'est sur cette somme, que nous devons fixer nous-mêmes, que le gouvernement pourra utilement nous faire des propositions. Si nous suivions une autre marche, voici ce qui pourrait arriver. Le gouvernement viendrait, je suppose, nous proposer une organisation militaire qui devrait coûter 30 millions, je prends ce chiffre comme exemple, tandis que nous nous déciderions à n'en donner que 25. Il faudrait donc que le gouvernement changeât tout son système après nous l'avoir soumis. De là un conflit que je ne désire nullement provoquer et qui serait contraire à l'intérêt public.
Loin de désirer que nous soyons en conflit avec le pouvoir exécutif, je désire que nous marchions d'accord avec lui et que, connaissant parfaitement nos intentions, il nous fasse des propositions conformes.
Messieurs, avant de terminer, je désire vous mettre un instant en présence, hypothétiquement, bien entendu, de la situation qui nous serait faite, si inopinément, nous avions à pourvoir à la défense nationale.
Nous avons une dette de 34 millions, que nous devons chercher à éteindre. La première chose que le gouvernement aurait à faire, s'il y avait une menace sérieuse de lutte, ce serait de recourir à l'emprunt. Or, pour emprunter au moment de complications particulières ou générales en Europe, les conditions seraient évidemment très onéreuse». Nous ne pourrions pas, pour faire face aux éventualités, emprunter moins d'une centaine de millions à la fois que nous payerions probablement 150 ou 160 millions, pour lesquels nous payerions un intérêt de 6 ou 7 p. c., ce qui ferait une dizaine de millions par an, lesquels, ajoutés aux 34 millions de la dette actuelle, nous feraient un passif de 44 millions ; et si la situation se prolongeait, si la guerre durait quelque temps, ce ne serait pas 100 millions, ce serait, d'après le budget dont j'ai donné lecture tantôt, 200 millions, peut-être 300, que nous devrions ajouter à la dette, et cela dans le moment le plus difficile, dans un moment où toutes les ressources de l'Etat seraient attaquées, où les travaux publics ne rapporteraient plus rien, où le produit des impôts de consommation serait considérablement réduit ; en un mot, dans le moment le plus critique ; tandis que si nous étions exonérés de la dette, il nous arriverait (page 468) exactement ce qui est arrivé à la Suisse, en 1850, lors de son affaire de Neuchâtel avec la Prusse.
La Suisse n'avait pas de dette. On lui a offert de tous les côtés de l'argent, autant qu'elle en voulait, au pair. C'est parce qu'elle a trouvé cette force que Vauban place en première ligne dans les affaires de guerre, qu'elle n'a pas été attaquée. Ce que je demande, c'est de nous trouver dans la situation de la Suisse, c'est-à-dire sans dette.
Je le demande parce que non seulement nous serions dans ce cas plus forts pour nous défendre, s'il en était besoin, contre l'étranger, mais parce que nous serions également forts commercialement, industriellement et socialement, parce que, sans la charge annuelle de cette dette, nous pourrions extirper en grande partie les misères qui attaquent les populations travailleuses, tandis que si nous persistons dans le système que nous avons suivi depuis 1830 jusqu'aujourd'hui, nous nous engagerions de plus en plus dans des embarras sans issue et lorsqu'un jour il faudra bien prendre une révolution suprême, lorsque le pays aura manifesté sa volonté de telle façon qu'il n'y aura plus à reculer, nous aurons alors à apporter dans l'organisation de l'armée des réformes bien autrement considérables que celles qu'il s'agirait de faire aujourd'hui.
Il n'y a pas, en réalité, de grands changements à apporter dans l'organisation actuelle, pour arriver à la situation où nous étions en 1849, en 1850 et en 1851.
Je ne demande rien à l'armée, je ne lui demande aucun sacrifice, ou plutôt les sacrifices que je demande seront en réalité un bienfait pour la masse. Je demande simplement qu'on appelle le moins d'hommes possible sous les armes, qu'on supprime le tirage au sort, qu'on exonère, par suite, considérablement toute la population ouvrière du pays et qu'on n’ait d'autre armée qu'une armée de volontaires, peu nombreuse et largement payée. Quant aux positions acquises et même aux chances légitimes d'amélioration, je ne demande aucun sacrifice qui ne puisse être accepté et accepté très volontiers.
Je n'aurais pas, messieurs, tenu aussi longtemps la parole et je ne serais pas entré dans des développements aussi longs, si mon intention n'avait pas été de vous soumettre une résolution, qui déterminera nettement et positivement la situation.
Voici la résolution que j'ai l'honneur de proposer à vos délibérations :
« La Chambre des représentants, considérant qu'il importe à l'avenir du pays et à sa sécurité future de réduire et de supprimer aussitôt que possible les obligations résultant de la dette publique, décide : Tous les excédants du budget seront, à l'avenir, consacrés au rachat de la dette.
« Le budget de la guerre et les autres seront réduits de manière à laisser, sur les dépenses de 1870, un excédant d'au moins vingt millions de francs.
« Il sera fait, sur le budget de la guerre de 1866, une réduction de deux millions, à répartir, selon les nécessités du service, entre les divers chapitres. »
J'ai pensé qu'il était nécessaire de résumer dans une résolution positive la volonté de cette Chambre. Pour des raisons que je vous ai exposées et que je ne reproduirai pas, il est indispensable, au moment d'entrer dans une nouvelle voie, que la Chambre puisse exprimer d'une façon nette et précise si elle entend entrer dans un système d'économie et de retranchement ou si elle entend persister dans le système qui a été suivi jusqu'à présent. Je trouve, messieurs, à cette marche beaucoup d'avantages et aucun inconvénient. Les avantages, c'est que le gouvernement pourra se régler d'une façon précise sur votre volonté si elle est bien déterminée.
Si nous sommes en faveur d'en système d'économies, les propositions qu'il nous a promis de faire seront dans le sens des économies. Si, au contraire, la Chambre est d'avis que le gouvernement peut persister dans la voie suivie jusqu'aujourd'hui, il pourra nous faire franchement des propositions de dépenses.
Dans tous les cas, il saura ce qu'il a à faire, tandis qu'aujourd'hui il ne le sait pas d'une façon certaine. D'un autre côté, le pays qui sera appelé, au mois de juin prochain, à manifester sa volonté par l'élection, pourra le faire d'une façon claire, précise, en pleine connaissance de cause, et de cette façon nous saurons une bonne fois, nous-mêmes, à quoi nous en tenir ; nous saurons si nous devons maintenir l'état de choses actuel ou entrer dans la voie opposée, ce qu’il faut faire, à mon avis.
On m'objectera que cette marche n'a pas de précédents. Je ne le pense pas, du moins, et je fais appel ici au souvenir de ceux de mes collègues qui sont depuis longtemps sur ces bancs, je ne pense pas, dis-je, que jusqu'à présent la Chambre ait pris une résolution de ce genre.
- Une voix. - Non, jamais.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Eh bien, je ne m'effraye pas de l'absence de précédent ; nous poserons un précédent, et un bon précédent.
M. Bouvierµ. - Et un original surtout.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - ... et nous ne devons pas craindre de poser de bons précédents, fussent-ils même originaux. Quel est notre système de gouvernement ? C'est la Chambre des représentants et la Chambre des représentants exclusivement qui, en vertu de la Constitution, représente le pays, pour tout ce qui concerne les dépenses et les impôts. Le gouvernement ne peut dépenser, à un centime près, que ce que la Chambre lui alloue ; s'il voulait dépenser davantage, il ne le pourrait pas. (Interruption.)
La Chambre des représentants ayant seule l'initiative, dans le système de notre Constitution, est aussi seule responsable des dépenses publiques.
M. Crombez. - Elle n'est pas responsable le moins du monde...
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - N'entrons pas dans une discussion à ce sujet, j'y aurais trop d'avantages. Je renonce donc bien volontiers à le faire.
Je dis donc que la Chambre est responsable des dépenses. Or, messieurs, vis-à-vis de cette responsabilité, vis-à-vis de cette initiative qu'on ne nous contestera certainement pas, elle a parfaitement le droit de dire au gouvernement : Je veux, j'entends, le pays qui m'a envoyé ici entend ne plus continuer dans le système de la dépense croissante, et je veux entrer dans le système de la dépense décroissante.
Or, messieurs, comme je vous l'ai dit tantôt, et je ne veux pas prolonger ce discours au delà de ce qui est nécessaire, il est très utile au gouvernement et au pays de savoir d'une façon certaine quelle est la volonté de la Chambre. Or, c'est pour lui donner l'occasion d'exprimer cette volonté sans équivoque possible que j'ai rédigé la proposition que j'ai eu l'honneur de vous soumettre.
Messieurs, ma tâche est terminée. Je ne sais pas si je suis parvenu à vous convaincre. Tout ce que je puis dire, c'est que, pour ma part, je suis parfaitement convaincu qu'en suivant le système que je regrette de n'avoir pu développer d'une manière plus éloquente, nous assurerons la grandeur et la prospérité du règne que nous avons inauguré naguère. Je serais heureux d'y avoir contribué, ne fût-ce que par les quelques moments d'ennui que je viens de vous causer.
M. de Macarµ. - Messieurs, je ne puis me rallier à la proposition que vient de nous faire l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu. Je pense qu'avant de nous prononcer sur la réduction d'un budget, il convient de s'assurer que le service auquel il doit faire face est complètement sauvegardé.
Lorsqu'il s'agit d'intérêts aussi importants que ceux que soulève le budget de la guerre, je ne puis me résoudre à marcher en aveugle.
Quelque partisan que je sois des économies lorsque j'aurai pu voir qu'elles sont possibles, je ne voterais pas une réduction qui pourrait avoir pour conséquence d'amoindrir l'effet utile d'une institution à laquelle est confiée la sauvegarde de notre indépendance et de notre nationalité.
Je me contenterai de manifester ma vive espérance que, dans un avenir très prochain, la discussion sérieuse et approfondie du rapport qui nous a été promis pourra amener des modifications qui ne compromettront ni l'avenir du pays, ni la force de l'armée.
Messieurs, dans la dernière discussion du budget de la guerre, j'ai été l'un de ceux qui ont réclamé avec le plus d'instance la production de ce rapport. Mais pour arriver à ce but utile, il faut que la Chambre se livre à une étude sérieuse et complète de ce rapport, et je pense qu'il y aurait lieu de nommer dès maintenant, une commission parlementaire, qui, diminuant le travail que l'examen de ce rapport imposerait à chacun de nous, en fît une étude approfondie et nous mît ainsi à même d'examiner plus spécialement les articles du budget qu'il serait possible de modifier. Les membres de cette commission parlementaire qui auraient le temps de se livrer à une sorte d'enquête réclameraient tous les renseignements qui leur sembleraient de nature à élucider complètement la question.
Je crois, messieurs, que tous dans cette Chambre nous ne demandons qu'une chose, le gouvernement aussi bien que la Chambre, c'est (page 409) que la lumière se fasse complètement sur la question du budget de la guerre. Je l'ai déjà dit l'année dernière, je crois qu'une partie de l'opposition qui se manifeste dans le pays contre ce budget provient moins de l’élévation des sommes dépensées, que du doute où l'on est si les dépenses faites sont absolument indispensables au maintien d'une armée pouvant rendre les services que l'on est en droit d'en attendre.
Une commission parlementaire, parfaitement indépendante comme le serait certainement celle que la Chambre nommerait dans son sein, donnerait des garanties sérieuses au pays ; elle me paraît, quant à moi, le complément indispensable du rapport qui nous a été promis.
Un mot sur la question elle-même. Un fait qui me paraît incontestable, c'est que l'état de choses que doit créer le système de défense basé sur la concentration de notre armée sur Anvers ne peut être le même que celui qui existait sous le système précédent.
La commission dont je demande l'institution pourrait nous faire apprécier dans tous les détails quelle influence les modifications jugées nécessaires devraient avoir sur le budget.
Alors, messieurs, lorsqu'il s'agira d'une organisation nouvelle, toutes les économies désirables et possibles pourront être introduites.
Messieurs, j'ai encore une autre raison pour demander la nomination d'une commission.
Le rapport promis est l'œuvre du département de la guerre. Je convois parfaitement que ce département, soucieux de certains intérêts légitimement et péniblement acquis, hésite à demander des réductions qui pourraient froisser ces intérêts ; mais je crois aussi que la Chambre, dont le but est de maintenir l'armée dans un état convenable, mais aussi de ne faire que les dépenses strictement indispensables et pas d'autres, pourrait aborder plus résolument certaines de ces questions, et à cet égard ne puis-je présumer dès à présent que les conclusions de la commission parlementaire dont je demande l'institution, pourraient être différentes en plus d'un point des conclusions du rapport de M. le ministre de la guerre ? Il importe que les points de divergence aient la consécration d'un examen sérieux, avant la discussion.
Messieurs, je veux, avant de terminer, exposer brièvement les motifs de mon vote. Je dois le dire, je regrette vivement que, pour cette année encore, nous devions renoncer à mettre la main à l'œuvre, mais en ce qui me concerne je ne puis méconnaître que la position où nous nous trouvons cette année est la même que celle de l'année dernière, avec cette différence cependant qui milite en faveur du maintien de notre rôle de l'année dernière, que nous commençons un nouveau règne, et qu'avec ce nouveau règne des idées nouvelles peuvent surgir. Il convient, je pense, d'attendre avec confiance le résultat de l'examen auquel se livre la couronne.
Eu ce moment les éléments sur lesquels je comptais me manquent pour me prononcer en parfaite connaissance de cause.
Je demeure persuadé qu'il sera possible d'arriver à une diminution du budget de la guerre. Mais avant de la voter ainsi que nous y convie l'honorable M. Le Hardy, je veux être certain en même temps qu'il ne sera pas porté atteinte à l'efficacité de l'institution qui, a un moment donné, doit sauvegarder nos plus grands intérêts, et je ne puis me refuser à voter les sommes nécessaires à l'exécution d'une loi d'organisation votée par les représentants du pays.
MpVµ. - La parole est à M. Couvreur.
- Des membres. - A demain.
M. Couvreurµ. - Je suis aux ordres de la Chambre ; mais mes développements prendront quelque temps, et je crains réellement de ne pas pouvoir les terminer aujourd'hui, vu l'heure avancée.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il y a à l'ordre du jour un projet de loi portant augmentation du personnel du tribunal de première instance de Bruxelles. (Oui ! oui !) La commission a voté le projet à l'unanimité, moins une abstention. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir d'opposition. Je prierai donc la Chambre de bien vouloir s'occuper immédiatement de ce projet de loi.
M. Orts. - Puisqu'on paraît vouloir remettre à demain la discussion générale du budget de la guerre, je demande que les propositions des honorables MM. Le Hardy de Beaulieu et de Macar soient imprimées demain.
MpVµ. - C'est de droit.
M. le ministre de la justice, insistez-vous pour que le projet de loi portant augmentation du personnel du tribunal de première instance de Bruxelles soit discuté dans cette séance ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'insiste, M. le président, parce que demain, ni après-demain, ni samedi, je ne pourrai me rendre à la Chambre ; je dois, ces jours là, être au Sénat pour la discussion du code pénal.
MPVµ. - Nous abordons la discussion du projet de loi portant augmentation du personnel du tribunal de première instance de Bruxelles.
Quelqu'un demande- t-il la parole ?
Personne ne demandant la parole, je vais mettre aux voix l'article unique du projet de loi.
M. Wasseige. - Messieurs, personne n'est préparé à discuter ce projet de loi ; la Chambre étant occupée du budget de la guerre, rien ne devait faire prévoir que celle discussion serait interrompue, pour faire place à celle du projet de loi portant augmentation du tribunal de première instance de Bruxelles.
Je suis convaincu que beaucoup de membres n'ont pas même lu les pièces. Je demande que l'objet reste fixé à sa place dans l'ordre du jour.
- Des membres. - Il y a une décision de la Chambre.
- D'autres membres. - Il n'y a pas de décision.
M. Guillery. - Messieurs, il y a une décision de la Chambre ; sur la proposition de M. le ministre de la justice, la Chambre a décidé qu'elle passerait à la discussion du projet de loi dont il s'agit ; la discussion générale a été ouverte ; il s'agit maintenant de discuter le projet de loi et non pas de revenir sur une décision prise.
M. Wasseige. - Je ferai remarquer qu'il n'y a pas eu une décision de la Chambre...
- Des membres. - Si ! si !
M. Wasseige. - On avait proposé.de discuter ce projet de loi demain...
- Des membres. - Non ! non !
M. Wasseige. - Et M. le ministre de la justice a fait observer qu'il lui était impossible d'être présent ni demain, ni après-demain, ni samedi. Je le répète, il n'y a pas eu décision de la Chambre. (Interruption.) S'il y a eu décision, elle est restée inaperçue pour la plupart d'entre nous.
MpVµ. - Je vais rappeler les faits tels qu'ils se sont passés.
M. le ministre de la justice a demandé qu'on passât immédiatement à la discussion du projet de loi ; j'ai demandé à M. le ministre s'il persistait dans sa proposition. Sur sa réponse affirmative, j'ai ouvert la discussion sans opposition, et quand je suis arrivé à dire que j'allais mettre aux voix l'article unique du projet de loi, c'est alors que M. Wasseige a élevé sa réclamation.
La parole est à M. de Brouckere.
M. de Brouckere. - Je voulais rappeler les faits, précisément comme M. le président vient de le faire. Il y a eu de la part de la Chambre, sinon une décision formelle, du moins un assentiment, assentiment si positif que M. le président a mis le projet de loi en discussion.
M. Allard. - Messieurs, je me demande si le projet de loi dont il s'agit présente une telle urgence pour qu'on ne puisse pas faire droit à la proposition de l'honorable M. Wasseige.
Beaucoup de membres de la Chambre n'ont pas lu les pièces. La chose n'est pas tellement pressée qu'on doive nécessairement procéder au vote immédiat.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le projet de loi est très urgent. Il s'agit d'un véritable déni de justice à l'égard d'un très grand nombre de justiciables, dont les procès ne peuvent être jugés par le tribunal de Bruxelles.
Or, quand j'ai demandé que la Chambre abordât le projet de loi, à la fin de la séance, je croyais qu'il n'y aurait pas d'opposition ; je le croyais, (page 470) parce que dans la commission il y a des membres de la droite et que la projet y a été adopte, à l'unanimité, moins une abstention. (Interruption.)
J'ai dû croire que dans la Chambre il y avait de l'opposition à droite contre le projet, puisque toute la droite repousse la proposition que je viens de faire.
Du reste, l'observation que j'ai présentée avait pour but de démontrer qu'il m'était impossible de croire que sur des bancs quelconques de cette chambre on ferait de l'opposition au projet de loi, puisqu'il ne s'en était pas manifestée dans la commission.
Maintenant, voici la raison pour laquelle je demande le vote immédiat du projet de loi. La loi doit être discutée par le Sénat et publiée dans le cours de la session ; sinon, la nouvelle année judiciaire commencera sans que la nouvelle chambre que le gouvernement demande puisse fonctionner.
- Des membres. - Aux voix !
M. Wasseige. - Messieurs, je le répète, nous ne devions pas nous attendre à ce que ce projet de loi fut discuté aujourd'hui. Je n'a pas lu les pièces. Je suis convaincu que la majorité de cette chambre est dans le même cas. Il est. possible que le projet de loi soit voté à l'unanimité comme il l'a été dans le sein de la commission ; je dis seulement que dans ce moment nous ne connaissons pas les pièces ; et pourquoi n'en avons-nous pas pris connaissance ? Parce que nous ne pouvions pas prévoir qu'on interromprait la discussion du budget de la guerre pour s'occuper de cet objet-là.
M. de Naeyerµ. - Je crois qu'on satisferait tout le monde en mettant le projet de loi à l'ordre du jour de demain, en tête. Personne ne s'attendait à cette discussion pour aujourd'hui. J'avoue franchement que, comme beaucoup de membres de la Chambre, je n'ai pas lu les pièces.
MpVµ. - C'est la proposition que j'allais faire à la Chambre.
M. le ministre de la justice insiste-t-il ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne veux pas insister dû moment que l'on déclare qu'on n'a pas examiné les pièces. Je dois cependant faire observer à la Chambre que le projet de loi se trouve à l'ordre du jour sur les bulletins de convocation immédiatement, après le budget de la guerre ; on pouvait croire que le budget aurait été voté aujourd'hui, et que le projet de loi dont il s'agit aurait été mis en délibération dans cette séance.
Du reste, le projet de loi n'est pas d'une telle importance, et les pièces fournies à l'appui du projet ne sont pas d'une nature telle qu'il fallût un temps bien long pour en prendre connaissance. Toutefois, bien qu'on déclare qu'on ne les a pas examinées, je n'insiste plus.
J'ajoute, en terminant, que demain je dois être au Sénat à deux heures pour la discussion du code pénal.
MpVµ. - M. le ministre consent à ce que ce projet soit mis en tête de l'ordre du jour de demain. Il me semble dès lors que l'on doit être d'accord sur ce point.
M. Orts. - M. le ministre de la justice ne peut être demain ici au delà de deux heures. Si l'opposition qui s'est produite tout à l'heure est une opposition fondée sur les motifs qu'on a donnés, et non une opposition fondée sur des motifs cachés... (Interruption.)
M. Wasseige. - Si des motifs cachés existaient chez quelqu'un d'entre nous, ce ne pourrait être que chez les députés de Bruxelles.
M. Orts. - Il n'y a aucune espèce de raison pour que les députés de Bruxelles cachent quelque chose. Le projet est fondé sur les documents statistiques.
M. Van Overloopµ. - Ce n'est pas un motif pour supposer à des collègues de mauvaises intentions.
Cela est interdit par le règlement.
M. Orts. - Quand je dis : Si vous n'avez pas d'autres raisons que celles que vous avez données, je ne vous suppose pas de mauvaises intentions. Vous pourriez avoir d'autres raisons que vous ne dites pas aujourd'hui, mais que vous nous diriez demain.
Je dis que si l'on ne veut pas discuter aujourd'hui, il faut faire en sorte qu'au moins demain, la discussion soit possible et qu'il faut fixer la séance à une heure.
- Des membres. - Des sections se réunissent.
M. Orts. - Eh bien ; elles se réuniront à midi ; cela est arrivé souvent. Sinon, voici ce qui va arriver, c'est qu'en renvoyant la discussion du projet de loi sur l'augmentation du personnel du tribunal de Bruxelles à demain à 2 heures, on arrive à rendre cette discussion impossible, parce que M. le ministre de la justice doit être au Sénat et doit y être longtemps encore pour le code pénal. Eh bien, puisque nous avons montré de la condescendance pour l'autre côté de la Chambre en consentant à remettre à demain la discussion, je demande qu’il en montre à son tour à notre égard et qu'il fasse le sacrifice de venir discuter ce projet demain à une heure.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pour que d'ici à demain, on puisse examiner tout le projet, je déposerai immédiatement un amendement que j'ai l'honneur de proposer ; il pourra être imprimé et distribué.
Cet amendement est ainsi conçu :
« Art. 2. Le personnel du tribunal de première instance de Charleroi est augmenté d'un juge d'instruction. »
- Cet amendement sera imprimé et distribué.
M. Guillery. - Je ne m'oppose pas à la remise à demain, puisque M. le ministre l'a proposée lui-même et qu'il pourra être ici au commencement de la séance ; bien entendu que cette séance commencera à une heure.
Mais je tiens à constater qu'il y avait décision de la Chambre, attendu que s'il n'y a pas eu de vote conformément à tous nos précédents, c'est qu'en cas semblable il n'y a jamais de vote, quand il n'y a pas opposition.
M. le ministre de la justice s'est levé et a proposé la discussion immédiate. Pas une seule observation n'a été faite. Un instant après, M. le ministre a donné les motifs pour lesquels il insistait et l'on n'a pas encore fait d'observation.
En conséquence, ce qui équivaut à une décision de la Chambre, la discussion a été ouverte.
C'est seulement alors qu'est venue l'opposition de l'honorable M. Wasseige. Il aurait fallu bien moins de temps pour lire le rapport de l'honorable M. Orts qu'il n'en a fallu à l'honorable M. Wasseige pour prononcer ses paroles, et pour éclairer ainsi la droite sur tout ce qui est recelé dans le rapport de la commission.
Quant au projet lui-même, si d'honorables membres ne l'ont pas lu, c'est leur affaire. Chacun remplit ses fonctions comme il l'entend. Il y a des membres de cette Chambre qui lisent les projets de loi quand ils sont imprimés, qui lisent les rapports lorsqu'ils sont distribués et surtout lorsque ces rapports figurent à l'ordre du jour.
Mais je tiens à constater qu'il n'y a ici aucune espèce d’intention cachée de notre part, attendu que le projet de loi figure en tête de l'ordre du jour immédiatement après la discussion du budget de la guerre et qu'il est arrivé très souvent qu'on intervertissait l'ordre de discussion des projets. Jamais l'on ne s'est cru astreint à suivre l'ordre indiqué sur le bulletin de convocation.
M. Jacobsµ. - Quant à moi, j'ai lu les pièces et je suis prêt à discuter aujourd'hui le projet. Mais je m'oppose à ce qu'on ait demain séance à une heure, et voici pourquoi. Différentes sections qui ont examiné aujourd'hui la proposition de l'honorable M. Orts, ont remis la suite de cet examen à demain à une heure. Des membres qui font partie de ces sections ne sont pas présents, ils sont retournés en province et ils ne seront pas avertis que les sections se réunissent plus tôt qu'à l'heure convenue.
Je demande donc que, dans l'intérêt des délibérations des sections, il y ait demain séance à 2 heures comme de coutume.
Je ferai observer qu'il n'est pas indispensable que M. le ministre de la justice assiste demain à la discussion. Le cabinet compte quatre jurisconsultes dans son sein. Eh bien, pour un projet qui n'a soulevé aucune difficulté, je ne verrais aucun inconvénient à ce qu'un de ces quatre jurisconsultes remplaçât momentanément M. le ministre de la justice.
On peut donc fixer la séance à 2 heures.
- La Chambre consultée décide que la séance publique sera ouverte demain à une heure.
MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer :
1° Un projet de loi ouvrant au département de l'intérieur un crédit destiné à acquitter les frais des funérailles de S. M. Léopold Ier ;
2° Un projet de loi ouvrant au budget de la dette publique des crédits ordinaires et extraordinaires pour le service des intérêts et de (page 471) l'amortissement de l’emprunt de 60 millions et pour les frais de la négociation de cet emprunt.
Le premier de ces projets présente un certain caractère d’urgence ; des créanciers doivent être payés ; je priera la Chambre de le renvoyer à une commission.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; la chambre en ordonne l’impression et la distribution et les renvoie à l’examen de la commission des finances.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J’ai l’honneur de déposer un projet de loi approuvant la convention monétaire conclue entre la Belgique, la France, l’Italie et la Confédération helvétique.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé, distribué et renvoyé à l’examen des sections.
- La séance est levée à cinq heures.