(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 449) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 beures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage dans les élections communales et provinciales soit étendu à tous ceux qui savent lire et écrire. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi portant modification aux lois provinciale et communale.
« Le sieur Coudroy demande que le projet de loi relatif à la réforme électorale étende le droit de voter aux Belges qui payeront la moitié du cens et qui auront suivi les cours du second degré dans une école régimentaire ou qui auront été admis à l'école militaire. »
-Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Legrain demande que l'article 3 du projet de loi relatif à la réforme électorale accorde aux médecins vétérinaires les mêmes droits qu'aux médecins et aux pharmaciens. »
- Même renvoi.
« Le sieur Cullens, blessé de septembre, demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Demunter, ancien instituteur communal adjoint, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le remboursement des sommes qu'il a versées en cette qualité à la caisse de prévoyance de Mons. »
- Même renvoi.
« Des propriétaires, commerçants et industriels à Nalinnes se plaignent du transfert du bureau de poste de Hameau à Han-sur-Heure. »
- Même renvoi.
« Le sieur Bonten demande que la publication des contrats de mariage de commerçants ne soit obligatoire que dans les cas prévus par l'article 69 du code de commerce. »
M. Lelièvreµ. - Cette pétition, à raison de son objet à un caractère d'urgence. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur F. de Lauremery, garde-excentrique à la station des Guillemins, né à Moucourt (France), demandé la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur G.-F. Golle, artiste musicien à Spa, né à Bruges, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur J. Krumner, fabricant de clous à Gosselies, né à Remscheid (Prusse), demandé la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement.3
- Même renvoi.
« La direction de la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale adresse à la Chambre 116 exemplaires du compte rendu des opérations de la société pendant l'année 1865. »
- Distribution aux membres de fa Chambre.
« Le ministre de l’intérieur adresse à la Chambre un exemplaire du Mémorial administratif et du compte rendu des séances de la députation permanente de la Flandre occidentale, année 1865. »
- Dépôt à la bibliothèque.
Il est donné lecture d'un message du Sénat transmettant à la Chambre le projet de loi punissant les infractions relatives au commerce, à l'industrie et aux enchères.
MpVµ. - Je propose le renvoi à l'examen de la commission qui a été chargée de l'examen du code pénal.
- Adopté.
MpVµ. - J'ai reçu la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« Le ministre de la guerre me prie de vous adresser six exemplaires des quatre feuilles qui représentent le site d'Anvers et douze exemplaires de la carte représentant les environs de Roulers. Il désire que ces feuilles, qui font partie de la carte au 1/20000 faite par l'état-major, soient déposées sur le bureau de la Chambre pendant la discussion du budget de la guerre.
« Agréez, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les plus distingués.
« (Signé) Le lieutenant-colonel, Brialmont. »
Ces cartes seront déposées sur le bureau pendant la discussion.
M. Moncheurµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale d'organisation judiciaire sur le projet ordonnant la suppression de l'amende en cas de pourvoi et d'appel en matière civile.
- Impression, distribution et mise à l'ordre du jour.
M. Thonissenµ. - Messieurs, voulant entretenir la Chambre de plusieurs objets qui se trouvent directement en rapport avec l'administration de l'armée, je crois bien faire en profitant de la discussion générale du budget de ta guerre pour les grouper dans tan seul discours. J'éviterai ainsi l'inconvénient de devoir, à diverses reprises, réclamer la parole pendant l'examen des articles.
Je commencerai par appeler l'attention de l'assemblée et celle du pays sur l'exécution de la carte topographique du royaume, à laquelle nous consacrons chaque année, à partir de 1861, un crédit de 100,000 fr. '
Ayant eu l'occasion d'examiner, avec toute l'attention désirable, les cartes topographiques exécutées en France, en Angleterre et en Prusse, j'ai voulu me rendre compte de la valeur des travaux de même nature effectués en Belgique. Je me suis, en conséquence, rendu au dépôt de la guerre, et, sans aucune espèce d'exagération, je puis dire que j'en suis revenu avec un véritable sentiment d'admiration pour le talent, le zèle et le dévouement déployés par nos officiers d'état-major.
Dans tous les pays, mais surtout dans le nôtre, où l'agriculture et les travaux publics occupent une si large place dans la richesse générale, une clarté topographique, exécutée avec la précision requise et répondant à toutes les exigences de la science moderne, présente des avantages immenses. 1Ilne s'agit pas ici d'une dépense exclusivement militaire. L'industrie, l'agriculture, les travaux publics, l'hygiène même, sont intéressés, autant que le département de la guerre, à la possession d'une bonne carte topographique. Aussi voyons-nous, en ce moment, un grand nombre d'Etats multiplier les efforts et prodiguer les sacrifices pour rendre cet important travail aussi parfait que possible.
Eh bien, messieurs, je le répète avec bonheur, notre carte topographique sera, sans contestation possible, la plus exacte, la plus complète et la plus belle de l'Europe, et ce résultat est d'autant plus remarquable qu'on l'obtient à l'aide d'une dépense considérablement inférieure à celles qui y ont été consacrées dans les pays qui nous encourent.
En France, par exemple, où la carte topographique est établie à l’échelle de 1/40000 pour être gravée à celle de 1/80000, le relief du terrain est représenté par des hachures correspondant à des courbes de niveau distantes de vingt mètres, tandis que, chez nous, la carte, établie à l’échelle de 1/20000 pour être gravée à celle de 1/40000, nous donne des courbes de niveau de cinq en cinq mètres, indépendamment d'un grand nombre de points cotés isolément. Il en résulte que la carte française est loin de présenter, pour les travaux publics, pour l'agriculture et pour l'industrie en général, les avantages de toute nature que nous offre la carte belge, laquelle, toute proportion gardée, coûtera beaucoup moins.
Figurez-vous, messieurs, pour toutes les parties du royaume, une carte (page 450) indiquant, avec la précision la plus rigoureuse, les rivières, les ruisseaux, les ponts, les chutes d'eau, les grandes voies de communication, les chemins vicinaux, les sentiers, les villes, les villages, les hameaux, les maisons isolées, les terres, les prés, les bois, les marais, les jardins ; figurez-vous encore que cette carte place sous vos yeux toutes les pentes, toutes les ondulations, tous les niveaux du terrain de mètre en mètre ; figurez-vous enfin tous ces détails exécutés avec une clarté, une précision, un ordre, un talent tels, qu'une attention même superficielle suffise à l'homme le moins instruit pour s'en rendre un compte exact et complet, et vous serez convaincus que nous sommes ici réellement en présence d'une œuvre qui intéresse le pays tout entier.
A l'aide de ces caries, si admirablement dressées, le propriétaire, sans sortir de sa chambre, se trouve en mesure de faire exécuter, avec une précision mathématique, tous les travaux de direction ou de détournement des eaux. Il peut ordonner, sans études préalables et avec la certitude de ne pas se tromper, toutes les dépenses d'appropriation, de drainage, de nivellement et d'irrigation qu'il veut consacrer à l'amélioration de ses immeubles.
On peut en dire autant des administrations communales, des hospices, des bureaux de bienfaisance et de tous les établissements publics en général. Ils trouveront dans ces cartes de précieux renseignements qu'ils ne peuvent aujourd'hui se procurer qu'à grands frais et d'une manière presque toujours incomplète ou défectueuse.
Mais les propriétés privées et celles des établissements publics ne sont pas seules en cause. A mesure qu'on s'élève de l'intérêt individuel à l'intérêt collectif, et de celui-ci à l'intérêt général, les avantages d'une carte topographique, dressée comme la nôtre, deviennent de plus en plus manifestes et considérables.
Si la carte typographique était complètement exécutée, le département des travaux publics y trouverait le moyen d'apprécier immédiatement la valeur des nombreux projets d'utilité générale qui lui sont chaque jour soumis et sur lesquels il est obligé de statuer.
Les grandes sociétés financières qui se chargent de construire des chemins de fer, des canaux ou d'autres voies de communication n'en retireraient pas moins de profit. La note jointe au rapport de la section centrale nous fournit à ce sujet plusieurs exemples on ne peut plus saisissants.
Deux de ces exemples m'étaient déjà connus, et je demande à la Chambre la permission de lui en dire quelques mots.
En Flandre, une compagnie convenablement organisée avait chargé ses ingénieurs d'élaborer un projet de chemin de fer aussi détaillé que possible. Les reconnaissances du terrain étaient faites, les nivellements préparatoires étaient effectués et un tracé fut admis comme étant incontestablement le meilleur. Les choses en étaient là, lorsqu'un des administrateurs émit l'avis de faire contrôler le travail des ingénieurs à l'aide des cartes du dépôt de la guerre. Son conseil fut suivi, et en voici le résultat. Dès le lendemain le tracé fut modifié, et, par la simple inspection de ces cartes, on réussit à éviter deux tunnels et à supprimer plusieurs rampes pour ainsi dire impraticables. C'était une économie de plusieurs centaines de mille francs.
Sur le sol du Limbourg, on a pu tracer, sans avoir besoin de parcourir le terrain, les chemins de fer et les canaux qui traversent la partie de cette province dont le nivellement est achevé. Dans une lettre du 31 janvier 1866, M. l'ingénieur en chef Magis avoue que, sans sortir de son bureau, il s'est trouvé en mesure de déterminer, avec la plus grande certitude, la direction et même l'estimation provisoire des travaux suivants : une route de Peer à Achel, une route d'Achel à Valkenswaard, une route de Peer à Asch, un canal partant de Hasselt et aboutissant an canal de la Campine.
Il n'en faut pas davantage, messieurs, pour faire ressortir les avantages incalculables qui résulteraient du prompt achèvement de la carte topographique.
Mais quand cette carte sera-t-elle complètement dressée ?
La carte générale du pays se composera de soixante-douze feuilles, comprenant chacune une superficie de 64,000 hectares. Une seule livraison, contenant cinq feuilles de la frontière occidentale pu être publiée jusqu'à ce jour, savoir : Blankenberghe, Oost-Dunkerke, Furnes, Proven et Ploegsteert. La seconde livraison, comprenant les feuilles d'Ostende, de Roulers, d'Ypres et de Watervliet, paraîtra dans le courant de ce mois.
Evidemment, messieurs, ce fait seul est plus que suffisant pour attester qu’il accordera, avec le crédit actuel de 100,000 francs, un laps de temps beaucoup trop considérable avant l'achèvement de ce travail vraiment national, qui est attendu avec une vive impatience.
Les travaux de la carte se divisent en trois parties : la géodésie, la topographie et la gravure.
Les opérations géodésiques, qui se présentent en première ligne, fixent sur la surface du pays un nombre de points assez grand pour recevoir, avec une exactitude scrupuleusement calculée, l'encadrement du dessin de tous les détails de la carte. Ce dessin est ensuite fourni par la topographie, et, en dernier lieu, la carte est remise à l'artiste pour être reproduite par la gravure et livrée à la publicité.
Aussitôt qu'on connaît cette marche, on comprend, par cela même, que c'est bien réellement dans le degré d'avancement de la topographie qu'on doit chercher la mesure du temps qui sera nécessaire pour l'achèvement de la carte.
A cet égard, nous possédons des renseignements certains, résumés dans la note annexée au rapport de là section centrale.
La Belgique comprend une surface de 2,945,000 hectares, qui doivent être répartis en 367 planchettes-minutes de 8,000 hectares chacune. 1,600 000 hectares sont levés et nivelés ; 1,345,000 hectares ou 167 planchettes-minutes restent donc à terminer.
Or, par suite des dépenses nombreuses qu'exigent la géodésie, le dessin et la gravure, la section topographique ne reçoit que 34,100 francs des 100,000 fr. alloués au budget, et, à l'aide de ces 34,100 fr., on ne peut envoyer que vingt officiers sur le terrain. Encore faut-il que, pour atteindre ce nombre, on procède avec l'économie la plus scrupuleuse.
Comme chaque officier lève par année 8,000 hectares, une campagne topographique rapporte ainsi, comme le constate la note jointe au rapport de la section centrale, une surface de 160,000 hectares on vingt planchettes-minutes.
Si l'on continue à marcher dans cette voie, il faudra donc près de neuf années pour terminer la topographie du pays, et plusieurs autres années devront y être ajoutées pour la gravure.
Ce retard serait d'autant plus fâcheux, que la partie du pays dont la topographie n'est pas faite, comprend les provinces de Liège, de Namur et de Luxembourg, où de si grands travaux sont à la veille d'être exécutés. Il serait d'autant plus regrettable que le dépôt de la guerre, placé sous la direction intelligente et dévouée de l'honorable général Simons. a récemment trouvé le moyen de publier, en même temps que la carte proprement dite gravée à l'échelle de 1/40000, les planchettes-minutes dressées à l'échelle de 1/20000 et qui donnent, indépendamment du nivellement de mètre en mètre, l'indication de toutes les cultures. En effet, grâce à cette découverte, la publication pourra se faire, non par le moyen long et dispendieux de la gravure, mais par un procédé tout nouveau, la photo-chromo-lithographie, c'est-à-dire, par la photographie imprimée et coloriée.
En prenant des informations auprès d'hommes compétents et expérimentés, j'ai acquis la preuve que l'on pourrait considérablement rapprocher le terme de l'achèvement de la carte topographique, sans imposer de nouveaux sacrifices aux contribuables. Il suffirait de faire au dépôt de la guerre une avance qui rentrerait inévitablement dans les caisses de l'Etat au bout d'un petit nombre d'années.
D'après des calculs qu'on a bien voulu me communiquer et qui ont été établis avec le plus grand soin, en portant à 175,000 fr. le crédit de l'article 5 du budget, et en y ajoutant une somme de 20,000 fr., une fois payée, pour frais d'installation d'un personnel et d'un matériel supplémentaires, les opérations géodésiques, la topographie, la reproduction des planchette-minutes au 1/20000 et enfin la gravure de la carte au 1/40000 seraient terminées respectivement en trois, quatre, cinq et six ans.
Quatre sections (la première, la seconde, la quatrième et la cinquième) avaient accueilli cette proposition. Je la reproduis au sein de la Chambre ; j'en ferai au besoin l'objet d'un amendement à l'article 5 du budget, et il me sera on ne peut plus facile de prouver que, loin d'imposer un nouveau sacrifice au trésor, cette majoration du crédit amènera, en dernier résultat, une économie considérable et même un bénéfice certain.
La carte devant être exécutée en toute hypothèse, on dépenserait en six années une somme qui, avec le maintien du système actuel, serait répartie sur une période de onze à douze années. Or, comme les frais généraux, jusqu'à la fin de toutes les opérations, resteront à peu près les mêmes, on trouve déjà, dans une exécution plus rapide des travaux, une économie qui n'est pas à dédaigner.
Mais ce n'est pas tout. Avec le maintien de l'ancien crédit, le dépôt de la guerre se trouve dans l'impossibilité de publier les planchettes-minutes dressées au 1/20000 qui portent l'indication de tous les détails dont j'ai eu l'honneur de parler au début de mon discours et qui marquent le nivellement du sol de mètre en mètre. Or, je n'ai pas besoin de (page 451) le dire, ces cartes, mises en vente dans toutes les parties du pays, trouveraient un ample débit et, par suite, produiraient chaque année une somme importante.
En résumé, ma proposition, formulée en chiffres, donne le produit suivant, déjà signalé dans la note annexée au rapport de la section centrale.
Avec le crédit actuel, nous dépensons, dans une période de onze années, la somme de 1,100,000 fr.
Avec la majoration que je propose, nous dépenserons en six ans de 1,050,000, plus 20,000 fr. pour fonds de première mise, 20,000 fr. Soit 1,070,000.
Economie, fr. 30,000.
Mais à cette économie de trente mille francs il faudra ajouter le produit de la vente des cartes dressées à l'échelle de 1/20000. Cette vente, je le répète, sera considérable, et tous les membres de l'assemblée en seront convaincus s'il veulent jeter un coup d'œil sur les spécimens qui sont déposés sur le bureau.
Je ne sais, messieurs, quel accueil la Chambre réserve à ma proposition ; mais, en tout cas, elle me fournit l'occasion de répéter du haut de la tribune, à la face du pays, les éloges si bien mérités qui ont été récemment décernés à notre état-major par un des officiers les plus distingués de l'armée prussienne. Dans la revue spéciale de cartographie publiée à Gotha, j'ai trouvé les lignes suivantes portant la signature du savant major Von Sydow :
« Nous devons des remerciements à M. le général Simons, directeur du dépôt de la guerre de Bruxelles, pour nous avoir adressé une épreuve d'essai, relative à un nouveau projet dont le mode d'exécution est unique dans son genre et qui est l'expression du progrès le plus remarquable accompli dans ces derniers temps dans le moyen de multiplier les cartes. Cette épreuve, tirée en six couleurs et obtenue par la litho-photographie, est une feuille d'une carte de la Belgique à l'échelle de 1/20000 dans laquelle le relief du terrain est représenté par des courbes de niveau ayant un mètre d'équidistance.
« Si le tirage de cette carte ne présente pas toute la finesse du tirage d'une carte gravée sur cuivre, le dessin cependant répond au plus haut degré aux conditions de clarté et d'exactitude, et le résultat obtenu a surtout le mérite de surpasser en précision celui que donne le travail du graveur. Outre ce dernier avantage, l'emploi de la photo-lithographie procure une telle économie de temps et d'argent qu'on doit, avec raison, s'étonner de ne pas voir généralement adopter ce mode de reproduction...
« Nous croyons que ce travail belge est le premier exemple d'une aussi utile application de la photo-lithographie.
« Pour ce qui regarde la valeur intrinsèque, on doit appeler avant tout l'attention sur l'exactitude que donne l'équidistance d'un mètre à la configuration du terrain. C'est un procédé qui procure de grands avantages à tout travail technique sur le terrain et qui mérite d'être suivi partout où l'on en trouve les moyens.
« Si nous ne nous trompons pas, la Belgique est le premier pays sur le continent européen qui se soit servi d'une méthode si exacte pour représenter le terrain et qui ait employé la photo-lithographie pour un travail si considérable. Le dépôt de la guerre belge ne veut pas sans doute se refuser le mérite de livrer ses travaux à la publicité et il est sûr d'avance de la reconnaissance universelle. »
Messieurs, quand on aime à la fois la patrie et la science, de tels hommages font battre le cœur lorsqu'on les rencontre dans les recueils scientifiques qui paraissent au delà de nos frontières !
Après avoir parlé de la carte topographique, je passerai, sans transition, à une matière toute différente, mais également importante à plusieurs points de vue ; j'entends désigner les pensions militaires.
La question de savoir si l'Etat doit une pension aux hommes qui ont vieilli à son service, commence à être vivement contestée par les économistes. J'avoue, pour ma part, qu'on rencontre des raisons sérieuses dans le langage de ceux qui soutiennent que le gouvernement remplit tous ses engagements et tous ses devoirs, quand il facilite les combinaisons à l'aide desquelles ses agents, mettant en commun leurs propres deniers, voudraient se créer un fonds de secours pour la maladie et la vieillesse. Mais ce n'est pas cette question que nous devons aborder aujourd'hui. Les pensions existent, l'Etat y contribue pour une large part, et je me bornerai à examiner si le gouvernement, placé en présence du grand principe de l'égalité de tous les Belges, traite ici ses serviteurs militaires avec la même faveur que ses serviteurs civils.
Des pétitions et de nombreux écrits qui nous ont été adressés prétendent que cette égalité n'existe pas. J'ai examiné ces réclamations avec l'attention qu'elles méritent, et, je dois l'avouer, elles me semblent fondées sous tous les rapports.
Dans l'ordre civil, quand il s'agit de fonctionnaires qui, comme les officiers, exercent un service actif, on prend pour base un 1/55 du traitement moyen des cinq dernières années, et l'on multiplie cette somme par le nombre des années de service.
On procède d'une tout autre manière, dans la collation des pensions militaires. Si l'on tient compte des traitements dont l'infanterie jouit aujourd'hui, on voit que le sous-lieutenant, au lieu de 1/55, reçoit 1/72, le lieutenant 1/70 le capitaine de première classe 1/89 le major 1/104le lieutenant-colonel l/104 le colonel 1/106.
Pourquoi cette différence ?
Elle n'est, malheureusement, pas la seule. Dans la liquidation des pensions civiles, on prend pour base le traitement moyen des cinq dernières années. Il en résulte que les fonctionnaires mis à la retraite profitent de l'augmentation générale des appointements effectuée en 1863. Pour les pensions militaires, il n'en est pas de même. Comme celles-ci sont liquidées d'après un tableau invariable dressé en 1840, il s'ensuit que les officiers ne profitent pas de l'augmentation de traitement qu'ils ont obtenue, eux aussi, en 1863.
Pourquoi, je le répète, cette différence entre deux classes de fonctionnaires appartenant, l'une et l'autre, au service actif ?
Ce n'est pas tout. Dans la douane, il existe une certaine assimilation entre les fonctions civiles et les grades militaires. J'en citerai un seul exemple. L'inspecteur provincial porte les insignes de lieutenant-colonel. Or, l'inspecteur provincial, qui jouit d'un traitement de 6,500fr., peut obtenir une pension de 4,332 fr., tandis que le lieutenant-colonel, jouissant, même dans l'infanterie, d'un traitement de 6,500 fr., n'obtient qu'une pension de 2,500 fr. Avec les mêmes appointements, le lieutenant-colonel reçoit une pension inférieure de 1,832 fr. à celle qu'on accorde à l'inspecteur.
La même anomalie se présente quand on compare la position des officiers à celle des fonctionnaires de l'administration des ponts et chaussées. Un arrêté royal du 20 juin 1851 assimile l'ingénieur en chef de première classe au colonel, et l'ingénieur en chef de seconde classe au lieutenant-colonel. Or, l'ingénieur en chef de première classe, qui jouit de 8,000 fr. d'appointements, peut obtenir une pension de 5,000 fr., et l'ingénieur en chef de seconde classe, qui jouit de 6,000 fr. d'appointements, une pension de 4,000 fr. ; tandis que le colonel, recevant 8,500 fr. d'appointements, n'obtient qu'une pension de 3,200 fr., et le lieutenant-colonel, recevant 6,500 fr. d'appointements, une pension de 2,500 fr. ! Avec 500 fr. d'appointements de plus, le colonel et le lieutenant-colonel reçoivent, l'un 1,800 fr., l'autre 1,500 fr. de moins, le jour où ils sont mis à la retraite.
Autre anomalie encore. Dans les administrations civiles, la pension peut atteindre les deux tiers des appointements, aussi longtemps qu'elle ne dépasse pas 5,000 fr. Dans l'armée, au contraire, aussitôt qu'on arrive aux grades supérieurs, les pensions, sauf celles des généraux, n'atteignent pas même la moitié du traitement.
De bonne foi, messieurs, un tel état de choses peut-il indéfiniment se prolonger ? Pour ma part, je n'hésite pas à répondre négativement.
En matière dépensions, comme dans toutes les sphères de l'action gouvernementale, le seul système équitable et rationnel, c'est le système de l'égalité. C'est le système que, dans la séance de 19 novembre 1864, l'honorable ministre des finances a formulé dans les termes suivants : « Pour être juste, il faudrait appliquer, d'une manière générale et uniforme, à toutes les pensions militaires les règles suivies pour la collation des pensions civiles. »
Il faut abaisser le maximum des pensions militaires au niveau du maximum des pensions civiles. Il faut que les traitements militaires soient, comme les traitements civils, frappés d'une retenue de 1/00 au bénéfice du trésor public...
MfFOµ. - Cette retenue ne se fait plus. L'article 5 de la loi du 17 février 1849 est abrogé.
M. Thonissenµ. - Dans ce cas, mon système sera encore plus facile à réaliser.
Je dis donc qu'on doit admettre le même maximum pour les pensions civiles et les pensions militaires ; mais aussi, cette mesure prise, l'équité demande qu'on procède à l'égard des pensions militaires de la même manière qu'on procède à l'égard des pensions civiles.
(page 452) Vous le voyez, messieurs, je n'en fais pas une question de philanthropie ; je laisse de côté les considérations de convenances et de dignité personnelles, cependant très sérieuses, dont je pourrais me prévaloir, et que notre honorable collègue M. Vleminckx a naguère développés a\ce son talent habituel : j'en fais une question de justice et de raison, une application du grand principe constitutionnel de l'égalité.
Si les pensionnés de l'ordre civil ont trop, il faut abaisser le taux de leurs pensions ; mais si, au contraire, comme je le pense, leurs pensions ne sont pas exagérées, il faut porter au même taux la pension des militaires. C'est un dilemme dont on ne peut sortir qu'en foulant aux pieds un des principes fondamentaux de notre organisation sociale.
J'engage vivement M. le ministre de la guerre à venir nous faire une proposition conçue dans ce sens. Peu importe que ce changement de système entraîne une augmentation de dépenses. Nous devons être économes des deniers des contribuables, mais nous devons, avant tout, être justes. Je place, pour ma part, les questions d'équité au-dessus des questions d'argent, et, à droite comme à gauche, je ne serai pas seul à proclamer cette maxime.
Il est un troisième et dernier objet sur lequel je désire appeler l'attention bienveillante de l'honorable ministre de la guerre.
Il y a un an, j'ai eu l'honneur de signaler, dans cette enceinte, une injustice flagrante résultant de la loi qui fixe actuellement la position des officiers mis en non-activité.
Ainsi que je l'ai dit alors, ces officiers appartiennent à deux catégories bien distinctes. Les uns se trouvent en non-activité par mesure d'ordre, c'est-à-dire, pour cause d'indiscipline ou d'inconduite ; les autres, au contraire, y sont placés pour cause d'infirmités, c'est-à-dire, par suite d'un malheur complètement indépendant de leur volonté.
H suffit d'énoncer ce fait pour établir, à la dernière évidence, l'iniquité d'un système qui, plaçant ces deux catégories d'officiers sur la même ligne, accorde aux uns comme aux autres la moitié du traitement d'infanterie.
L'officier qui contracte une infirmité au service même, qui, par exemple, se blesse grièvement en tombant de cheval dans une manœuvre de cavalerie, se trouve réduit à la moitié de la solde d'infanterie, tout comme l'officier coupable qui a méconnu tous les devoirs attachés à l'uniforme qu'il a l’honneur de porter. Il serait difficile, je crois, d'imaginer un système plus injuste et plus irrationnel ! On met sur la même ligne l’immoralité, l'indiscipline et le malheur !
Il y a un an, la Chambre, je dois le dire, accueillit favorablement ma protestation, et M. le ministre de la guerre promit d'y avoir égard dans le rapport sur la situation de l'armée qu'il s'était engagé à nous soumettre.
Je lui demanderai, aujourd'hui, ; si cette promesse a été remplie ; j'ajouterai que, même dans l'hypothèse d'une réponse affirmative de M. le ministre, il serait peut-être préférable, de régler ce point par une loi spéciale, ainsi que mon honorable ami, M. le colonel Hayez, l'a proposé depuis plusieurs mois. A mon avis, les officiers mis en disponibilité pour cause d'infirmités devraient recevoir les trois quarts du traitement d'infanterie.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Si j'ai bien compris les conclusions de l'honorable M. Thonissen, au sujet de la carte du pays, il désirerait que le crédit de 100,000 fr. fût augmenté de 75,000 fr. par an et qu'on accordât en outre une somme unique de 20,000 fr. pour frais d'installation supplémentaire.
Je me rallie de grand cœur à cette proposition, parce que je considère les travaux de la carte comme étant d'une utilité incontestable pour le pays.
Tous les Etats s'imposent des sacrifices considérables pour la confection de leur carte. Nous sommes un peu en arrière ; mais le retard que nous aurons subi ne nous sera pas préjudiciable, parce qu'il nous aura permis de profiter de l'expérience des autres et d'organiser nos travaux de telle sorte que nous aurons une carte à peu près irréprochable.
Je remercie1 l'honorable M- Thonissen de l'éloge qu'il a fait des travaux du dépôt de la guerre ; je regrette cependant qu'il n'ait pas nommé l'officier général auquel on est redevable de leur organisation.
C'est le général Nerenburger, je me plais à lui rendre cet hommage.
M. Thonissenµ. - C'est un simple oubli.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'en suis bien persuadé,, mais je tenais à rendre cet hommage au généralNerenburger qui a été admirablement secondé par les officiers du corps d'état-major et les officiers d'infanterie mis à sa disposition.
Les travaux de la carte prouvent combien l'école militaire, a produit d'officiers instruits et capables. L'œuvre entreprise est immense, car il s'agit non seulement de graver la carte du pays au 1/40000 ; mais encore de reproduire les planchettes, telles qu'elles sont relevées sur le terrain à l'échelle du 1/20000. Cette reproduction se fera par la photographie coloriée, d'après les spécimens que vous avez sous les yeux.
On n'aurait pu faire une carte gravée à cette échelle, parce que cela eût entraîné à trop de dépenses et demandé un temps énorme.. Cette carte aurait compris 370 feuilles, et comme carte générale ou carte d'ensemble, elle eût été peu maniable et n'aurait pas rendu les services pour lesquels elle a été créée.
. Nous avons dit que la carte générale est gravée au 1/40,000. Elle est donc plus grande que les cartes topographiques des autres pays, «t notamment la carte française qui est gravée au 1/80,000.
Quant à la reproduction des planchettes, elle sera d'une valeur inestimable pour la confection des projets de travaux d'art, et même pour l'exécution des simples travaux d'utilité ou d'agrément que chaque propriétaire voudra entreprendre sur son propre terrain.
Pour livrer au commerce toutes les planchettes dans le délai de cinq ans, il faudrait porter le crédit à 175,000 fr. pendant 4 ans et a 195,000 fr. la première année.
Si la Chambre est disposée à accueillir cette dépense, je proposerai, par amendement d'élever la somme de 100,000 fr. à 195,000 fr.
- Des membres. - Oui ! oui !
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, l'honorable M. Thonissen a rappelé à la Chambre que la loi alloue aux officiers mis en non-activité par mesure d'ordre, c'est-à-dire par punition, le même traitement qu'aux officiers mis en non-activité pour motifs de santé.
Effectivement la loi ne fait pas de différence et je reconnais que ce n'est pas juste. Aussi, comme j'en avais pris l'engagement, je n'ai pas négligé, dans le travail qui vous sera soumis lorsque le Roi en aura terminé l'examen, de proposer des modifications à cet état de choses et de ne plus mettre sur le même pied les officiers des deux catégories. Sous ce rapport, l'honorable M. Thonissen et la Chambre auront la satisfaction qu'ils peuvent désirer.
M. Delcourµ. - Je profiterai aussi de la discussion générale du budget de la guerre, pour appeler l'attention de M. le ministre sur une mesure d'organisation qui, après avoir produit d'excellents résultats pendant plusieurs années, n'a plus été renouvelée depuis 1857. Je veux parler des sections d'études spéciales pour l'artillerie et le génie.
Ces sections avaient été établies, afin de mettre les officiers de l'artillerie et du génie pris parmi les sous-officiers de ces armes, à même d'acquérir les connaissances nécessaires pour arriver aux divers grades dans l'armée et obtenir l'avancement que la loi leur promet.
Les sections spéciales d'études ne sont point nouvelles ; elles ont existé depuis longtemps ; elles remontent à l'année 1835 et n'ont cessé qu'à partir de 1857. Pendant cette période elles ont été renouvelées sept fois et tous les ministres de la guerre en ont reconnu les heureux effets.
Il y a donc une lacune, et je prie l'honorable ministre de la guerre de prendre des mesures pour la faire disparaître.
Les officiers sortis de l'école militaire ont une position privilégiée. Loin de moi l'idée de critiquer les avantages que la loi accorde à ces officiers : j'appartiens à cette école, qui ne veut dans l'armée que des officiers instruits et capables, et qui le veut surtout pour les officiers des armes spéciales.
Mais parce que la loi crée certaines faveurs pour les officiers qui sont sortis de l'école militaire, ce n'est pas une raison, pour le gouvernement ni pour nous, d'oublier les officiers d'artillerie et du génie choisis parmi sous-officiers de ces corps.
Je répète que, sous ce rapport, il y a une lacune très regrettable.
En réalité, les sections d'études spéciales se rattachent à l'exécution des lois des 18 juin 1836 et 9 juin 1853, sur l'avancement de l'armée, elles en sont, en quelque sorte, le complément nécessaire.
Je ne veux pas présenter à la Chambre l'analyse des dispositions légales que je viens de citer ; ces dispositions sont connues ; elles ont été souvent examinées dans cette enceinte.
Cependant je tiens à constater une chose : c'est que dans la situation actuelle et en l'absence des sections d'études spéciales, les officiers de (page 453) l’artillerie et du génie, pris dans les cadres, n’arrivent qu'avec la plus grande peine au grade de capitaine.
Je me suis demandé, messieurs, quelle a été la cause de la suppression de ces sections spéciales, et je vous avoue qu'après avoir parcouru différents documents qui m'ont été communiqués, je n'en ai point trouvé de satisfaisante. J'attendrai les explications que l'honorable ministre de la guerre voudra bien me donner, sous ce rapport.
Je remarque au contraire que les sections d'études ont amené d'excellents résultats ; un grand nombre de nos officiers les plus distingués de l'artillerie et du génie sont sortis de ces sections. Je ne citerai pas de noms propres ; c'est un fait que je constate et je puis assurer que M. le ministre de la guerre ne me contredira pas. Il y a, parmi ces officiers, des hommes qui font honneur à l'armée.
Les bons résultats que je signale à l'attention de la Chambre ont été reconnus à diverses reprises par le ministre de la guerre lui-même. Le général Prisse, lorsqu'il dirigeait ce département, s'est exprimé en ces termes dans un rapport présenté au Roi, le 10 août 1846 :
« Sire, la commission chargée d'examiner les lieutenants d'artillerie et du génie, qui ont été détachés à l'école militaire en 1843 et en 1844 pour y compléter leur instruction, m'a fait connaître que cette mesure a répondu à l'attente du département de la guerre. Cet heureux résultat m'engage à proposer à Votre Majesté de former une nouvelle section composée de dix lieutenants d'artillerie et de quatre lieutenants du génie.»
A, ces considérations, j'en ajouterai une autre.
Tout à l'heure, messieurs, on invoquait le principe d'égalité, proclamé par la Constitution, pour en tirer la conséquence, que les fonctionnaires militaires devaient être traités par la loi sur les pensions aussi favorablement que les fonctionnaires civils. A mon tour, j’invoque l'égalité de tous les Belges devant la loi et je demande que l'on facilite l'avancement des officiers pris dans les cadres avec la même bienveillance que celle qu'on accorde aux élèves sortis de l'école militaire.
Est-ce aux régiments que les officiers pourront acquérir les connaissances théoriques et scientifiques indispensables ? Non, messieurs ; il faut créer un centre d'études, et ce centre d'étude ne peut être, pour ces officiers, dont je parle, que la section spéciale.
II n'y a rien de neuf dans ce que je demande.
Les sections d'études, ont été organisées pendant 17, ans, tantôt à Bruxelles, tantôt à Liège, sans présenter d'inconvénient grave. Je n'en veux d'autre preuve que les témoignages du gouvernement même.
Ainsi, à tous les points de vue, au point de vue de la justice, au point de vue de la bonne organisation de l'armée, au point de vue de l'égalité de tous devant la loi, il est à désirer qu'une mesure favorable soit prise par l'honorable ministre.
J'arrive aux objections. Je ne dirai pas qu'elles sont toutes sans valeur, mais je pense qu'on en exagère l'importance.
La première objection porte sur la dépense qu'entraînerait le renouvellement des sections d'études. Dans la situation actuelle des choses, dit-on, le budget de la guerre n'est guère en mesure de les supporter.
Sans doute, il y aura lieu à quelques dépenses nouvelles.
Mais je dis que la dépense sera relativement minime et que, dans aucun cas, cette considération ne peut nous arrêter dans une mesure d'organisation et d'exécution de la loi. D'ailleurs n'exagérons rien. Les sections d'études peuvent être établies à Bruxelles, à Liège, dans nos grands centres scientifiques, là où on trouve sous la main des professeurs distingués, des cabinets de physique, des laboratoires de chimie, sans qu'il en résulte un notable surcroît de dépenses pour le budget.
Je crois, messieurs, en avoir dit assez de cette objection plus spécieuse que fondée.
Une seconde objection. plus grave, peut être faite. On dira que les officiers admis dans les sections d'études, en quittant momentanément les cadres, laisseront le service en souffrance.
C'est vrai, mais veuillez, messieurs, ne pas perdre de vue que les sections d'études ont existé à toutes les époques ; elles ont même existé lorsque la Belgique était en guerre, sans que cette circonstance ait empêché le gouvernement de les renouveler...
Ainsi, cette seconde objection ne peut pas plus nous arrêter que la première.
Reste une troisième objection.
On dit : Les officiers des divers corps de l'artillerie et du génie ont des écoles régimentaires ; dans ces écoles ils peuvent acquérir toutes les connaissances nécessaires pour subir les examens prescrits et, par le travail et l'étude, arriver aux grades supérieurs dans l'arme de l'artillerie et du génie.
Mais tout le monde sait que les écoles régimentaires ne sont pas complètes ; elles ne se trouvent point dans des conditions telles que l'officier puisse y faire un cours d'étude complet et se mettre à même de subir l'examen de capitaine.
J'ai dit, il n'y a qu'un instant, que l'enseignement de la chimie et de la physique est insuffisant, car les régiments ne possèdent pas les instruments d'études indispensables ; pas de cabinet de physique, pas de laboratoire de chimie, où les officiers puissent se livrer aux expériences les plus ordinaires.
En examinant les choses de près, j'espère que l'honorable ministre trouvera comme moi que le rétablissement des sections spéciales d'études serait une mesure heureuse ; heureuse par les résultats qu'on en obtiendrait ; heureuse surtout, parce qu'elle rétablirait l'égalité entre toutes les catégories d'officiers.
Je terminé par un vœu, c'est que le gouvernement rétablisse le plus tôt possible les sections d'études spéciales ; cette mesure serait à la fois un acte de justice et un progrès qui serait accueilli avec bonheur par toute l'armée.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, bien que je n'aie pu prévoir l'interpellation que m'adresse l'honorable orateur, je puis immédiatement vous donner des explications au sujet de la suppression des cours spéciaux qui avaient été organisés à l'école militaire pour les officiers de l'artillerie et du génie.
Lorsque je suis arrivé an département de la guerre, j'ai trouvé ces cours supprimés par mon prédécesseur. J'en ai demandé la raison et j’ai appris qu'on en avait agi ainsi par plusieurs motifs qui m'ont paru très concluants.
Le premier motif, c'est qu'à l'école militaire il n'est plus possible de donner ces cours faute de locaux disponibles ; le nombre des élèves ayant augmenté considérablement depuis que deux sections ont été créées en plus pour l'infanterie et la cavalerie.
L'encombrement, messieurs, est si grand qu'il à fallu quelquefois renvoyer les élèves en congé pour éviter des maladies contagieuses ; d'un autre-côté, il y a beaucoup d'inconvénients à réunir dans la capitale un grand nombre d'officiers qui sont exposés à perdre les habitudes du métier et qui laissent tout le service du régiment retomber sur leurs camarades. La création des cours spéciaux à l'école militaire pour les officiers sortis des cadres avait amené la suppression des cours scientifiques, donnés dans les régiments, de sorte que l'enseignement général avait baissé dans l'armée.
On a eu l'heureuse idée de rétablir dans les régiments d'artillerie et du génie les cours nécessaires aux officiers pour passer l'examen de capitaine et ces cours sont parfaitement donnés et produisent d'excellents résultats.
Beaucoup d'officiers qui les ont fréquentés ont subi leur examen avec succès, sans avoir besoin de passer par l'école militaire de Bruxelles.
Tels sont, messieurs, les motifs qui ont guidé mon prédécesseur quand il a supprimé les cours spéciaux dont on demande le rétablissement.
Je crois ces motifs fondés et je pense qu'il n'y a pas lieu, pour le moment du moins, de revenir sur ce qui a été fait. Si plus tard on déplaçait l'école militaire et qu'on eût des locaux suffisants, on examinerait ce qu'il serait possible de faire, bien que l'inconvénient signalé par l'honorable M. Delcour ne soit pas véritablement sérieux.
Du reste, messieurs, quels sont les professeurs de l'école militaire qui sont chargés de donner les cours ? Ce sont, en général, des officiers des armes spéciales. Eh bien, messieurs, il y a dans les régiments une quantité d'officiers sortis de l'école militaire qui sont d'excellents professeurs et qui peuvent donner dans les régiments les cours nécessaires pour mettre les officiers à même de passer l'examen de capitaine.
M. Vleminckxµ. - Messieurs,, l'honorable M. Coomans vous disait, l'autre jour, qu'en l'absence du rapport qui nous avait été promis par l'honorable ministre de la guerre, ni les sections, ni la Chambre n'examineraient, ne sauraient examiner utilement, fructueusement le budget actuellement soumis à vos délibérations. L'honorable .membre avait raison ; l'événement l'a prouvé, du moins en ce qui concerne les sections. et il n'en pouvait être autrement. A quoi, en effet, eût-il servi de s'occuper de chiffres, qui ne sont, après tout, que l'expression d'une loi organique, qu'il faut modifier tout d'abord, avant de modifier les chiffres eux-mêmes ? A quoi bon s'attacher à démontrer le luxe de notre organisation, alors que c'est précisément l'organisation elle-même qui est en cause et doit faire l'objet du rapport de l'honorable ministre de la guerre ?
Les sections n'ont donc rien fait, rien examiné,, ni quant aux chiffres, ni quant à l'organisation ; mais quelques-unes se sont préoccupées d'autres points relatifs à l'administration de la guerre. C'est sur ce terrain (page 454) que je crois devoir les suivre, attirant à mon tour l'attention de la Chambre et du gouvernement sur certaines dispositions qui régissent l'armée et réservant pour des temps plus opportuns l'examen des questions de chiffres et d'organisation.
La section centrale, chargée de l'examen du budget de la justice pour 1865, et l'honorable M. Guillery, dans la discussion du même budget pour 1866, ont renouvelé avec instance la demande, déjà faite plusieurs fois, d'une réforme du code pénal militaire. L'année dernière on a glissé un peu trop légèrement sur cette demande ; cette année, je le reconnais, elle a reçu, de la part de l'honorable ministre de la justice actuel, un accueil plus favorable.
L'urgence de cette réforme, messieurs, ne saurait être raisonnablement contestée : elle eût dû en précéder bien d'autres. Il faut en finir. Notre code pénal militaire est véritablement, lui, un abus d'un autre âge ; c'est de la barbarie, s'il en fut jamais. « En contradiction manifeste avec la Constitution, disait la section centrale du budget de 1865, en créant des crimes et des peines par analogie, présentant des anomalies choquantes dans l'application des peines, s'adressant à des sentiments et à des mœurs que nous avons peine à comprendre aujourd'hui, le code pénal militaire fait tache dans notre législation, et nos efforts doivent tendre à le faire disparaître. »
Mais en supposant, ce que je n'admets pas, qu'il faille un temps assez long pour préparer le code nouveau, il est du moins certaines dispositions fatales à l'armée que l'on pourrait corriger sans retard.
Je vous en dirai une, messieurs, au sujet de laquelle le doute, l'hésitation ne sauraient être permis.
Il est une peine prononcée par ce code, qui s'appelle la peine de la brouette. Cette peine entraîné avec elle, vous le savez, la déchéance du rang militaire. Je voudrais que la Chambre pût se livrer à une enquête pour connaître le chiffre de soldats ayant commis, de propos délibéré, certains délits, pour être déclarés déchus du rang militaire. Je suis convaincu qu'elle en serait douloureusement affectée.
Je tiens ici une série de déclarations de détenus déchus et non-déchus ; je ne veux pas vous les lire toutes, ce serait trop long ; mais il faut du moins que je vous en fasse connaître quelques-unes :
N°876. Cet homme, condamné pour la troisième fois à la détention, avait espéré la brouette. Il dit que le conseil de guerre lui en veut, et que c'est le motif pour lequel on lui a refusé la brouette, comme moyen d'être quitte du service.
N°578. Condamné à un an de brouette, il se déclare très satisfait de cette peine, parce qu'elle le met bas du service ; il avait déjà eu deux détentions.
N°838. Condamné à deux ans de détention. C'est la troisième fois qu'il reçoit cette peine ; il a eu des malheurs, mais il annonce qu'il s'y prendra de manière à revenir bientôt avec une année de brouette.
N°328. Cet homme a déjà subi deux détentions ; il a déserté de nouveau pour se faire condamner à la brouette ; il n'a pas réussi les deux premières fois ; pour la troisième, le succès a été complet ; il a eu trois ans de brouette.
N°629. Cet homme a déjà subi deux détentions, en voulant se faire condamner à la brouette ; n'ayant pas réussi, il a déserté encore. Le 4 janvier 1856, il est effectivement revenu avec une condamnation de trois ans de brouette ; cette fois il a atteint son but.
N°20. — Sorti le 20 décembre 1857, est rentré le 8 février 1858, avec une condamnation à la brouette, pour vol d'une paire de bottes, commis six jours après sa rentrée à la caserne, dans le but de se faire déchoir du rang militaire.
N°561. A été condamné à la brouette ; mis en liberté le 3 mars, par expiation de sa peine, cet homme déclare qu'il ne lui serait pas du tout agréable d'être relevé de la déchéance militaire. Cette peine n'est pas considérée comme infamante chez lui. On sait que c'était pour se tirer du service. Il gagnera sa vie, comme s'il n'avait encouru aucune condamnation.
N°273. A subi la brouette. Libéré le 7 mars par expiation de sa peine. Il dit qu'en arrivant sous les drapeaux, il n'avait aucune crainte de la brouette ; il ne croit nullement que cette condamnation puisse exciter une impression défavorable pour lui dans sa commune. Avant la brouette il a eu la détention, mais comme il se trouvait, en outre, incorporé pour 5 ans, ce terme lui a paru trop long ; il a donc songea se faire mettre bas du service, et, à cet effet, il a volé un pantalon.
N°726. Sorti le 14 août de la prison, déclare en entrant qu'il a essayé trois fois de se faire condamner à la brouette ; il n'a pas réussi, on ne veut pas la lui donner ; la première fois il a vendu ses effets, la deuxième fois il a déserté et vendu ses effets, et la troisième fois il a déserté à l’étranger.
Je m’arrête, messieurs, mais je tiens à votre disposition cette liste de faits recueillis naguère au hasard, en une seule année, à la prison d'Alost.
Est-ce assez significatif, et de semblables révélations ne sont elles pas faites pour ouvrir les yeux aux plus obstinés ?
Le gouvernement, le département de la guerre connaissent ces faits aussi bien et mieux que moi. Ils savent que la peine de la déchéance n'existe pas en France et qu'on s'en trouve très bien ; comment donc ne se sont-ils pas imposé depuis longtemps la tâche de faire cesser le scandale que je vous signale ?
Le devoir du gouvernement, c'est de veiller à la moralité de l'armée ; or, je ne connais rien qui soit plus fait pour porter la démoralisation dans ses rangs, qu'une disposition légale, en vue de laquelle on commet des délits qu'on se garderait bien de perpétrer si elle n'existait pas.
Je conjure donc l'honorable ministre de la guerre de mettre promptement un terme à cet état de choses. La réforme dépend de son département bien plus que de celui de la justice. Représentez-vous bien, messieurs, que le mal est bien plus grand que vous ne vous l'imaginez. On commence par des délits militaires, on finit plus d'une fois par des délits ou des crimes communs ; plus d'un soldat condamné à la détention a été retrouvé plus tard dans nos prisons civiles.
Mais ce n'est pas seulement le code pénal militaire dont la réforme est urgente, il faut encore songer à celle du règlement de discipline qui y est annexé. Je ne veux appeler pour le moment votre attention que sur une peine comminée par ce règlement. Cette peine, c'est le cachot. Savez-vous, messieurs, ce que sont un grand nombre de nos cachots ? Je vais vous le dire. Ce sont des bouges dans lesquels les lois de la morale ne sont pas plus respectées que celles de l'hygiène.
En ce qui concerne cette dernière, je rends bien volontiers à l'honorable ministre de la guerre la justice de reconnaître qu'il a fait tout ce qu'il a pu pour l'améliorer. Jamais, je le reconnais, et mon témoignage ne saurait être suspect, on ne s'est adressé en vain à sa sollicitude, toutes les fois qu'il s'est agi du bien-être du soldat ; mais l'honorable ministre ne peut faire que ce qui est radicalement mauvais devienne bon. Le cachot sera toujours le cachot, c'est-à-dire un lieu d'insalubrité et d'immoralité. Le cachot, d'ailleurs, est un détestable moyen de répression ; il n'améliore pas, il exaspère ; c'est là que, réunis en plus ou moins grand nombre, les punis s'excitent souvent à de nouvelles fautes. Et pour ce qui est de la moralité, messieurs, représentez-vous quels sont, quels doivent être les inconvénients et les dangers d'une déplorable promiscuité.
Il faut supprimer au plus tôt nos cachots et les remplacer par des cellules d'isolement. Le régime cellulaire, voilà le mode de répression véritablement efficace et susceptible de rappeler à leurs devoirs ceux qui s'en sont écartés.
Je sais qu'on a tenté de l'introduire dans quelques casernes ; mais sans le vouloir, on a fait plus de mal que de bien. Les cellules qu'on y a ouvertes ne sont pas de celles que réclame le régime de l'isolement. Il faut que toutes les conditions de salubrité et d'amélioration s'y trouvent réunies, comme dans celles de nos grandes prisons. Sinon, non.
Je sais bien que tout cela ne se fait pas sans argent, mais lorsqu'on a une armée, lorsqu'on veut en avoir une, il faut la vouloir avec toutes les conditions indispensables ; il faut surtout, et c'est là une obligation sacrée, s'efforcer de la soustraire à tout ce qui peut porter dommage à sa bonne composition, à sa moralité, à sa salubrité.
Messieurs, je reste toujours dans le même ordre d'idées, en vous entretenant des tableaux relatifs à la compagnie de discipline, qui se trouvent annexés au rapport de votre section centrale. Il n'est pas possible que vous n'ayez pas été frappés, comme moi, de l'écart considérable existant entre quelques régiments, en ce qui concerne le chiffre des hommes dirigés annuellement sur cette compagnie.
Voici, par exemple, un régiment de quatre bataillons, soumis à toutes les séductions de la capitale, et dont les disciplinaires ne s'élèvent, en moyenne, par an, qu'à 6 ; on voici un autre, de trois bataillons seulement, confiné en province, qui en fournit annuellement 18, c'est-à-dire trois fois plus que le premier.
D'où naît donc cette différence ? Serait-ce que les bons affluent tous d'un côté, tous les mauvais de l'autre ? Mais c'est impossible. Tous nos soldats ont la même origine ; lorsqu'il s'agit de faire la répartition des contingents, on ne distingue pas entre eux, au moins quant à la moralité ; on doit donc admettre que bons et mauvais sont répartis d'une manière (page 455) égale entre tous les corps. D'où provient donc l'écart des chiffres dans les envois à la compagnie de discipline ? Messieurs, j'ai beau me casser la tête, je ne puis me défendre de l'attribuer à la différence des traitements. J'appelle sur cette importante affaire toute l'attention de l'honorable ministre de la guerre et j'oserais presque affirmer qu'elle est déjà éveillée. Le fait est trop patent et trop douloureux.
Je ne suis pas à même de le prouver, mais je suis bien convaincu que les corps qui sont le plus d'hommes à la compagnie de discipline sont également ceux qui en ont le plus dans les cachots et les prisons. Tout se tient et se lie en matière de discipline. Il faut donc que les régiments ne soient pas conduits avec le même tact, la même sollicitude, la même intelligence.
Je ne fais pas de doute que l'honorable ministre de la guerre ne fasse tout ce qui sera en son pouvoir pour remédier à cet état des choses qu'il ne peut pas, lui le premier, ne pas trouver déplorable. Je m'en réfère complètement à lui à cet égard, mais s'il m'était permis de lui indiquer une mesure, je lui dirais :
Faites une circulaire, annoncez hautement à vos chefs de corps, que vous avez à votre disposition, en vertu de l'autorité dont vous êtes investi, des avantages à accorder, des distinctions à conférer ; que vous êtes fermement résolu à les réserver en partie à ceux qui, avec une égale et bonne discipline, auront annuellement le chiffre le moins élevé d'hommes punis disciplinairement et envoyés à la compagnie de discipline. Ou je me trompe fort, ou cette mesure changerait immédiatement la face des choses, et produirait ce résultat heureux que les soldats seraient traités dans tous les régiments de la même manière, c'est-à-dire, avec une égale bienveillance, avec la même humanité.
Je sais qu'il est des natures incorrigibles qui appellent de fortes répressions, mais je sais aussi qu'elles ne forment que l'exception ; la plupart des hommes sont facilement maniables ; quelques bonnes paroles, quelques bons encouragements font sur le plus grand nombre plus d'effet que des punitions répétées coup sur coup, qui finissent par exaspérer, je le répète, et par exciter souvent aux plus condamnables excès.
J'arrive à un autre ordre de faits.
La section centrale avait adressé à l'honorable ministre la question suivante : « N'y aurait-il pas lieu de modifier l'arrêté royal du 18 avril 1855, en ce sens que la mesure de mise à la retraite soit applicable, en temps de paix, à tous les officiers, sans exception, parvenus à l'âge déterminé par ledit arrêté ? La limite ne pourrait-elle pas être élevée de quelque peu ? »
Voici sa réponse, messieurs, vous la connaissez déjà, mais il m'importe de la reproduire ici.
« Il ne paraît pas utile au bien du service de modifier l'arrêté du 18 avril 1855, car l'expérience a prouvé qu'une notable partie des officiers doivent, par suite d'infirmités, être pensionnés en temps de paix avant d'avoir atteint les limites déterminées par cet arrêté, limites qui sont d'ailleurs plus élevées que dans d'autres armées, notamment en France, et en Italie.
« Quant aux exceptions, elles sont très rares, et ne doivent être faites qu'en vue de l'intérêt du service. »
Vous vous rappelez probablement, messieurs, le texte de l'arrêté dont il s'agit ici : permettez moi cependant de vous donner lecture de deux de ses articles.
« Art. 1er. Les officiers de l'armée sont admis à faire valoir leurs droits à la retraite, lorsqu'ils auront atteint l'âge fixé ci-dessous, savoir :
« Les lieutenants généraux 65 ans.
« Les généraux-majors 63 ans.
« Les colonels 60 ans.
« Les lieutenants-colonels et majors 58 ans.
« Les capitaines, lieutenants et sous-lieutenants 55 ans.
« Art. 3. Notre ministre de la guerre nous fera un rapport particulier sur les officiers qu'il pourrait y avoir lieu de maintenir exceptionnellement dans les cadres d'activité, au delà du terme fixé par l'article premier, en nous soumettant les propositions auxquelles les circonstances pourraient donner lieu. »
L'armée, messieurs, ne méconnaît pas la nécessité d'une limite d'âge, mais ce qu'elle n'accepte pas, ce qu'elle n'accepte qu'en maugréant, c'est le droit que s'est adjugé le gouvernement de renvoyer quand cela lui convient, de maintenir quand cela lui fait plaisir.
Lorsqu'il renvoie, il se fait fort de l'âge ou des infirmités du renvoyé ; lorsqu'il maintient, c'est sur l'intérêt public qu'il s'appuie.
Je m'élève contre ce système. Cet intérêt public qu'on invoque au profit du maintenu, je nie qu'il soit sérieux ; il serait plus simple d'avouer tout nettement qu'il n'y a véritablement en cause qu'un intérêt particulier.
Et ceci me mène à la question des hommes indispensables, qui surgit toutes les fois qu'on se propose de faire ou qu'on a fait des exceptions.
J'ai à peine besoin de vous dire, je pense, que je ne songe pas même ici à une question de personnes. Dans un pays d'égalité, je défends le système de l'égalité. Les personnes me sont indifférentes.
Des hommes indispensables, messieurs, mais vous savez tout aussi bien que moi qu'il n'y en a pas. Avec ce système d'hommes indispensables, il n'y aurait pas d'armée possible ; il faudrait renoncer à en créer une ; car du jour au lendemain ces hommes peuvent disparaître, et alors que deviendrait l'armée, que deviendrait le pays ? Le uno avulso, non déficit alter est vrai ici, comme ailleurs.
Je me rappelle que j'eus un jour un entretien sur ces prétendus hommes indispensables avec un ministre de la guerre. « Des hommes indispensables, me dit-il, je n'en connais pas. Napoléon a disparu de la scène du monde, et l'Europe ne s'en est pas trouvée plus mal. »
M. Crombez. - Au contraire.
M. Vleminckxµ. - J'allais le dire. Elle ne s'en est portée que beaucoup mieux, puisque la disparition du despote a fait recouvrer à bien des peuples qu'il avait asservis à son joug l'indépendance et la liberté.
Le système des hommes indispensables est essentiellement rétrograde ; il enraye le progrès. Pourquoi voulez-vous, en effet, que je travaille à acquérir les connaissances qui peuvent me manquer, pour occuper dignement un poste que mon âge, mes services, mes études, me donnaient le droit d'espérer, si je prévois devoir trouver là toujours devant moi un homme indispensable, me barrant le chemin, et qui doit être un obstacle à mon avènement ?
Voulez-vous, messieurs, un petit échantillon du système ? Le voici. Nous avons eu en Belgique, depuis la conquête de notre indépendance, trois inspecteurs généraux d'artillerie, tous également capables, tous également honorables.
Le premier est jugé indispensable. On le garde bien au delà de la limite d'âge ; mais comme cette situation ne peut pas durer éternellement, on finit par le remplacer. Son successeur, à peine installé, est proclamé, lui aussi, indispensable et on se hâte de lui appliquer, à lui aussi, l'article 3 de l'arrêté du 18 avril 1855. Il disparaît enfin ; et qu'est-ce qui arrive ? C'est que celui qui le remplace est reconnu également indispensable.
Est-ce que tout cela est réellement sérieux ? On invoque l'intérêt public pour justifier de semblables combinaisons. Mais savez-vous ce qu'exige, et ce qu'exige, avant tout, cet intérêt public ? C'est qu'on ne jette pas dans l'armée, créée et entretenue à grands frais, des germes de mécontentement, et qu'on assujettisse par conséquent tous ses membres à des règles fixes et inflexibles ; qu'on ne s'écarte pas, vis-à-vis d'elle, du principe de l'égalité absolue. Voila le grand intérêt, le seul dont un ministre doit avoir véritablement soin.
Chose étrange, messieurs, l'expérience l'a prouvé, ces prétendus hommes indispensables ne semblent exister que dans des positions exceptionnelles et de faveur. Rarement ou plutôt jamais on n'a vu depuis 1835 un brave capitaine, valide, capable, être retenu après 55 ans. Le» retenus sont des généraux, des aides de camp, que sais-je ! les plus protégés, les plus appuyés, et justifiant ainsi une fois de plus la vérité du proverbe :
« Dat veniam corvis, vexat censura colombat. »
Et puis, vous pouvez le constater quand vous le voudrez, ces hommes indispensables n'ont pas plutôt quitté la scène, qu'on est tout étonné qu'ils aient duré si longtemps.
Ce n'est pas tout, et j'appelle sur cette observation votre plus sérieuse attention.
Les officiers maintenus au delà de leur âge ne sont plus que des officiers tolérés. Leur existence tient à un fil que le ministre de la guerre coupe a son gré.
Ils ont donc perdu toute indépendance et tout franc parler.
Or, je maintiens que c'est là un grand malheur ; jamais un officier ne peut renoncer à dire ce qu'il croit être la vérité. Mais comment voulez-vous qu'il contrarie, son devoir même le lui ordonnant, et qu'il gêne un ministre, qui peut le briser immédiatement ? Je vous l'avoue sans détour, si j'avais à défendre, devant des officiers tolérés, contre un ministre, mon honneur et ma liberté, je tremblerais, j'aurais peur, quelque bonne que fût ma cause, quelque légitimes que pussent être mes prétentions.
Sans doute, nous avons toute raison de compter sur le courage, le dévouement et le patriotisme de l'armée ; mais le gouvernement, lui, a (page 456) pour devoir correspondant d'écarter tout sujet d'irritation et de se montrer non moins soucieux des intérêts des petits que des intérêts des grands.
La France, qui se connaît, je pense, en organisation et en susceptibilité militaires, la France, dis-je, à laquelle l'honorable ministre emprunte si souvent des exemples, a compris, elle, tous les avantages, toute la justesse du principe de la légalité. Il n'y a là d'exception pour personne.
A un jour, à une heure donnés, quel que soit le commandement qu'on exerce, dans quelque position qu'on soit placé, fût-on l'ami intime du souverain, il faut disparaître de la scène et laisser la place à ses successeurs.
Ne perdons, pas de vue, messieurs, que pour quelques hommes qu'on favorise ainsi sans nécessité, on cause un tort considérable à un grand nombre, et à quelques-uns même un dommage irréparable, sans qu'ils aient rien fait pour être traités de la sorte. Enoncer ce fait, c'est vous édifier suffisamment sur le découragement que l'arrêté du 18 avril 1855 continuerait à produire dans l'armée, si on ne se hâtait de le modifier.
Je ne comprendrais pas, d'ailleurs, que l'honorable ministre ne consentit pas à modifier un état de choses qui ne peut lui occasionner que des embarras.
En acceptant le régime français, il ne serait plus exposé à d'importunes obsessions, tant d'en haut que d'en bas, tandis que, d'un autre côté, il étoufferait, à leur origine, de fâcheuses rancunes qui, malheureusement, ne s'arrêtent pas toujours à lui seul. L'administrateur le plus heureux est celui qui se soustrait à la tentation d'agir suivant son bon plaisir.
Je ne suppose pas qu'on m'oppose l'argument de l'augmentation du chiffre des pensions qui résulterait du système d'égalité que je défends ; cela serait vraiment peu sérieux, et je répondrais que, fallût-il acheter au prix d'un léger sacrifice, la disparition du grief considérable dont l'armée se plaint, ce serait encore une belle économie ; mais ce sacrifice n'est pas même nécessaire ; il ne serait pas difficile de démontrer que, loin d'augmenter le chiffre des pensions, ce système finirait en peu de temps par le diminuer.
Je voulais, messieurs, vous parler encore des pensions militaires, mais l'honorable M. Thonissen a si bien dit ce que je voulais vous exposer que je n'ai plus rien à ajouter. Quelques mots seulement. L'honorable M. Thonissen vous a entretenus des officiers à pensionner. J'ai, moi, à appeler l'attention de la Chambre sur les officiers pensionnes, et je rappelle à cette occasion que la Chambre a renvoyé à MM. les ministres de là guerre et des finances, avec demande d'explications, une pétition d'officiers pensionnés sur laquelle j’ai eu l'honneur de faire rapport vers le milieu de l'an dernier. L'honorable ministre de la guerre doit être à même de donner, à l'heure qu'il est, les explications que la Chambre doit recevoir. Je suppose qu'elles seront satisfaisantes ; je sais tout l'intérêt qu'il porté à ses vieux compagnons d'armes et qu'il doit souffrir de la triste position d'un grand nombre d'entre eux. Il n'est pas possible qu'il ne fasse pas tous ses efforts pour l'améliorer.
M. Lelièvreµ. - La discussion du budget de la guerre ne peut, à mon avis, faire naître cette année un débat sérieux, eu égard à la promesse du dépôt du rapport annoncé par le gouvernement.,
Je ferai du reste observer que le budget dont il s'agît a pour base la loi d'organisation de l’armée, votée en 1853. On ne peut guère espérer des réductions, si cette disposition législative est maintenue.
Ce serait donc la révision de cette loi qui, avant tout, devrait être demandée par ceux qui désirent, voir réduire les charges militaires.
Tant que la loi d'organisation subsiste, le chiffre du budget en est un corollaire nécessaire qu'il est impossible de ne pas accepter. C'est donc sur cette question que j'appelle l'attention du gouvernement. Est-il possible de modifier la loi de 1853 de manière à pouvoir concilier une réduction des dépenses avec la dépense du pays ? Telle est la grave difficulté qu'il importe de résoudre dans un bref délai d'une manière définitive et irrévocable.
J'engage le ministère à présenter le plus tôt possible le rapport promis sur une question qui touche aux intérêts les plus importants du pays. Dans l’entretemps, je donnerai un vote favorable à la loi en discussion, par les considérations ci-dessus énoncées.
A l'occasion du budget soumis à la Chambre, j'appellerai l'attention de M. le ministre sur la nécessité de s'occuper immédiatement de la réforme du code pénal militaire. Cet objet devant être traité de concert avec le département de la justice, je suis convaincu que l'honorable M. Bara, dont nous connaissons le zèle pour réaliser le progrès, saisira de nouveau cette occasion d'introduire dans nos lois les améliorations si vivement désirées depuis longtemps. C’est là un sujet digne de ses méditations. Et d’un autre côté je ferai remarquer que M. le ministre de la guerre nous a souvent annoncé le dépôt prochain d'un projet de loi modifiant la législation actuelle.
Depuis la loi de 1849 qui a institué la cour militaire, aucune réforme n'a été introduite en cette matière.
J'espère donc que nous verrons enfin se produire des modifications qui sont attendues avec une vive impatience par les amis du progrès et de nos institutions libérales. Du reste, à mon avis, il faut une révision complète de lois surannées qui sont d'origine hollandaise et n'ont plus rien de commun avec nos institutions.
Les officiers pensionnés de l'armée belge de 1830 se sont adressés a diverses reprises à la Chambre pour obtenir une amélioration de position. A diverses reprises, j'ai appuyé leur réclamation. Je prie M. le ministre de nous dire s'il y a espoir de voir faire droit à de légitimes plaintes.
Plusieurs de ces officiers sont dans un état voisin de l'indigence. Il importe à la dignité du pays que semblable état de choses vienne à cesser.
Ce qui a été dit par l’honorable M. Thonissen en ce qui concerne les officiers mis en non activité par suite d’infirmités me paraît frappant de vérité. Il est impossible d’assimiler celui qui est frappé d’une peine à raison d’un fait répréhensible à l’officier qui est mis en non activité par l’effet d’une accident calamiteux. Il est donc évident qu’il faut faire cesser un état de choses qui n’est pas conforme aux principes de justice.
Enfin, j’appelle l’attention particulière de M. le ministre de la guerre relativement au régime actuel concernant les servitudes militaires. Il est évident que la législation en vigueur sur ce point a besoin de réforme. Il ne fait plus maintenir les servitudes que dans les limites de la plus absolue nécessité. Du système actuel résultent des inconvénients graves. C’est ainsi qu’en ce qui concerne le faubourg de Salzinne, dépendant de la ville de Namur, souvent l’on dresse des procès-verbaux, à l’occasion de bâtisses qui ne peuvent donner lieu à aucun inconvénient, et des poursuites sont exercées contre les habitants qui sont exposés à des frais élevés, alors même que l’intérêt public ne réclame pas semblable rigueur.
Je prie donc M. le ministre de vouloir prescrire les mesures propre» à concilier les intérêts légitimes et à faire en sorte qu'on use de modération, en attendant la révision d'une législation qui réclame des modifications sérieuses.
Il est certain, en effet, que la loi de 1795 et l'arrêté-loi de 1815 né sont plus compatibles avec les besoins actuels. II importe donc qu’on fasse disparaître un régime dont l'exécution est vexatoire sans aucun intérêt réel pour l'Etat.
M. Hayezµ. - Messieurs, une nouvelle organisation de l'armée étant sur le métier et devant, d'après la promesse du gouvernement, être, sous peu, soumise à l'approbation de la Chambre, je ne croîs pas le moment venu d'examiner à fond le budget qui vous est soumis. Je me bornerai à quelques observations pour motiver le vote que j'émettrai et pour justifier le peu de confiance que m'inspirent les actes du département de la guerre.
J'ai signalé, déjà, des abus nombreux, des actes qui, loin d'être justifiables, devaient nécessairement, infailliblement porter des atteintes graves à la discipline et à la bonté de l'armée ; ces abus existent toujours, ces actes se renouvellent encore aujourd'hui.
A différentes reprises, j'ai reproché à M. le ministre de la guerre son système de secrets, les ordres sévères qu'il donne pour empêcher lé» officiers d'émettre leurs opinions, même sur des sujets scientifiques, quand ces opinions se trouvent être opposées aux siennes, et d'être ainsi la cause de l'amoindrissement moral du corps d'officiers.
M. le ministre applique même son système sur les documents qu'il remet à la Chambre pour la renseigner dans ses discussions.
Le budget de la guerre qui vous est soumis en ce moment manque lui-même de sincérité, dissimule des dépenses, si bien que l'on n'y voit clairement que la carte à payer.
Je vais avoir l'honneur de vous donner des preuves de ce que j'avance
Pouvez-vous savoir, d'après les développements du budget, combien l'année compte de généraux ? Non, messieurs, d’un côté (page 316) vous en trouvez 33 et d’un autre (p. 320) 5 généraux-majors ou colonels ; donc il peut y avoir aussi bien 34 généraux que 37.
Pour être fixe à cet égard, il faut avoir recours à l'annuaire militaire qui n'est guère connu que des officiers. Cet ouvrage, publié sur les documents du ministère de la guerre, renferme aussi ses mystères que les initiés seuls peuvent pénétrer.
La table indique un article : « Cadre des officiers généraux. Vous ouvrer (page 457) le volume et vous trouvez pages 27, 28 et 29 les noms de 32 généraux ; mais un autre article intitulé « Etat-major des divisions territoriales », p. 60 et suivantes, vous renseignez 7 autres généraux dont les noms sont réunis page 66 ; voilà donc bien 39 généraux, tandis que, d'après le budget le chiffre maximum n'est que 37.
Comment cela se fait-il ? C'est qu'il a plu à M. le ministre de donner les fonctions de commandant de place à deux généraux et cela, si je ne me trompe, contrairement aux prescriptions de la loi.
Je sais bien que M. le ministre répondra que le trésor n'y perd rien, puisque ces généraux ne reçoivent que le traitement affecté à la classe dans laquelle ils sont rangés. Mais il me semble, messieurs, que l'excuse ou l'explication est peu valable, car tout ne doit pas être ramené à une question d'argent, et la loi, dans tous les cas, doit être respectée surtout par les dépositaires du pouvoir.
D'un autre côté, la pension d'un général est autre que celle d'un colonel, et à ce point de vue le trésor devient intéressé.
Il est une raison qui doit faire proscrire particulièrement cette infraction ; c’est que, le plus souvent, elle n'est qu'un acte de faveur dont la conséquence est de maintenir, dans les rangs de l'armée, des officiers qui ont atteint ou vont atteindre l'âge de la mise à la pension.
Il est vrai de dire que M. le ministre ne se gêne guère pour conserver, au delà de la limite d'âge prescrite, les officiers qui sont dans ses bonnes grâces.
L'état-major des places est d'une grande ressource pour le ministère de la guerre. Un officier d'un grade élevé gêne-t-il l'avancement d'un officier de la même arme, mais vu d'un œil plus favorable, on le fait passer dans l'état-major des places avec un grade d'avancement. Il y a avantage pour le promu, croit-on au premier abord ; il n'en est rien, et en voilà la raison.
Pour fixer les idées par un exemple, supposons qu'il s'agisse d'un lieutenant-colonel d'état-major. Il touche dans ce grade 7,100 fr. ; il est nommé colonel et passe dans l'état-major des places ; comme il n'est guère possible de lui donner la première classe, les avantages négatifs qu'il retire de son avancement sont : 1° de se trouver dans une impasse ; 2° de perdre 1,600 fr. de son. traitement de lieutenant-colonel.
Encore un mot sur l'Annuaire : on y voit figurer les officiers qui ont obtenu un congé pour se rendre au Mexique, tout comme y ont figuré, à l’occasion, ceux de nos officiers qui ont obtenu des congés pour prendre part aux expéditions qui se faisaient en Algérie. Mais ces derniers conservaient leur numéro d'ordre dans la liste des officiers de leur grade, tandis que les officiers qui se sont rendus au Mexique figurent à l'Annuaire, à leur rang, mais sans numéro d'ordre. Comme ils ont tous reçu un grade supérieur à celui qu'ils occupaient dans l'armée, en quittant le pays, il me paraît convenable que M. le ministre nous dise ce qu'il compte faire d'eux quand ils seront rapatriés.
Revenons au budget.
Il est fort difficile, pour ne pas dire impossible, de s'y renseigner sur le coût exact d'un régiment, soit d'infanterie, soit de cavalerie, soit d'artillerie ; je n'ai pu arriver qu'aux chiffres suivants, que je regarde comme une simple approximation : .
Un régiment d'infanterie coûte en chiffres ronds 920,000 fr., de cavalerie 1,473,000 fr., d'artillerie 1,421,000 fr. et du génie 556,000 fr.
Je ne vois pas pourquoi, dans les développements du budget, on ne mettrait pas à la suite de chaque arme une récapitulation qui serait d'une grande utilité aux membres de la Chambre qui désirent être renseignés sans être obligés de se livrer à des calculs très laborieux.
Quant aux établissements militaires, c'est à tort, me paraît-il, que l'on pétitionne pour eux, depuis l'adoption de la loi sur la transformation de l'artillerie, les mêmes sommes qui étaient demandées pour les années antérieures. En effet, messieurs, trois de ces établissements, deux surtout, ne sont guère occupés qu'aux travaux nécessités par cette transformation ; la majeure partie de leurs dépenses devrait donc, en toute justice, incomber à la charge du crédit de 14 millions. C'est ce qui n'arrive pas, et c'est ainsi que le crédit de 14 millions se trouve tous les ans majoré de sommes considérables sans que cela paraisse. Chaque année, par exemple, on demande 25,000 fr. pour approvisionnement de bois à l'arsenal de construction ; depuis 1860, il doit donc se trouver pour passé 150,000 fr.de bois emmagasinés et de plus les approvisionnements qui existaient antérieurement à 1860. Lors de la reddition des comptes, tout cela devra être renseigné, et l'on pourra s'assurer alors que, par la manière dont on mène les choses aujourd'hui, le crédit de 14 millions, quelque exagéré qu'il soit déjà par lui-même, se trouvera très sensiblement augmenté.
On suit en cela la marche que l'on a adoptée avec tant de succès pour les travaux d'Anvers, et au moyen de laquelle on parviendra à doubler le crédit que l'on affirmait, dans le principe, être très suffisant pour parfaire tous les travaux. Et il en sera toujours ainsi jusqu'à ce que la Chambre se décide à ordonner une enquête sérieuse qui fasse connaître enfin l'état exact de la situation.
Pareil manque de sincérité se remarque dans les demandes de fonds faites pour les places fortes. La somme totale demandée est toujours la même, 600,000 fr. ; elle est annuellement dépensée, j'en suis assuré, mais non aux travaux pour lesquels elle est demandée, s'il faut s'en rapporter aux adjudications annoncées au Moniteur.
Je reviendrai du reste sur ce sujet quand nous serons à la discussion de l'article qui le concerne.
Quant au coût de ce que l'on appelle école de cavalerie, il m'a été impossible de m'en faire une idée ; les dépenses qu'elle occasionne sont parfaitement mélangées avec celles du régiment des guides, et bien qu'il y ait de l'artillerie dans cette école, je n'en vois aucune mention dans les dépenses accusées pour cette arme. Nous sommes donc encore bien renseignés sur ce point.
Encore un fait qui prouve combien M. le ministre de la guerre a l'habitude de jouer au secret, même quand il n'y a rien à cacher, ou combien il répugne à éclairer la nation sur ses actes.
Par suite d'un heureux malentendu, M. le ministre de la guerre, croyant ne les confier qu'à notre président, s'est vu dans l'impossibilité de refuser à chacun de nous l'examen des procès-verbaux de la commission des 27, pièces qui, d'après ses assertions, renfermaient des secrets d'Etat tellement importants que le sort du pays serait compromis s'ils étaient divulgués.
Or, la lecture de ces procès-verbaux ne fit connaître qu'un seul fait de quelque importance et qui concerne la ville d'Ostende. Ce fait, on l'a fait connaître au Sénat, en séance publique ; la diplomatie ne s'en est pas émue et la sûreté du pays n'en paraît pas compromise.
On nous avait dit et redit que, dans ces fameux procès-verbaux, se trouverait clairement la raison d'être de 'a citadelle du nord d'Anvers.
Remarquez, messieurs, que ces procès-verbaux ne sont qu'une analyse des opinions des membres qui composaient la commission, et que ces opinions, manifestées à huis clos, ne peuvent compenser le silence de la loi et des discussions parlementaires.
Parmi les projets développés dans les séances, choisissons-en quelques-uns et n'y prenons que la constitution du réduit de la position puisque c'est du réduit qu'il s'agit principalement.
Voici l'opinion de différents membres de la commission sur ce sujet :
L'un voulait conserver la citadelle du sud, la vieille enceinte jusqu'à la lunette d'Herenthals et cette lunette, pour établir le réduit derrière ces remparts et le canal d'Herenthals.
D'autres voulaient que le réduit fût la vieille ville tout entière, couverte par ses vieux remparts modifiés.
Un autre soutenait que, quoi que l'on fît, la ville d'Anvers, en cas de siège, souffrirait considérablement ; que pour lui épargner autant que possible des désastres irréparables, il fallait déclarer franchement que la grande enceinte constituait l'enceinte de capitulation.
Enfin un autre avançait que la nouvelle enceinte devait être appuyée à chacune de ses extrémités par un fort ou citadelle et que ces deux forts serviraient de réduits à la garnison après la prise de la grande enceinte : c'est-à-dire que, de tout ce que renfermerait Anvers, en cas de siège, il n'y avait que la garnison, et partiellement encore, qui valût la peine d'être préservée contre les violences inséparables d'une prise d'assaut.
C'est sur cette opinion isolée que s'appuie M. le ministre de la guerre pour légitimer la construction malheureuse qui a déjà causé tant de mal et pourra, dans des circonstances données, amener des désastres incalculables, Et cependant cette proposition du flanquement de l'enceinte par deux forts, que l'on a voulu signaler à l'attention des lecteurs par un double trait de crayon en marge du recueil des procès-verbaux avec cette indication : « Citadelle du nord », cette proposition, dis-je, a passé inaperçue dans la commission, comme beaucoup d'autres.
Elle n'a pas même été mentionnée dans le mémoire du ministre de la guerre qui, aujourd'hui paraît tenir fort peu tenir à la citadelle du sud ; elle n'a été l'objet d'aucune discussion et par conséquent n'a pas eu (page 458) les honneur d'un vote comme il en a été émis sur les questions suivantes :
1° La détermination du point de concentration pour la défense du pays ;
2" L'établissement de forts sur le bas Escaut pour assurer les communications avec la mer ;
3° La construction d'une enceinte moyenne, qui a été rejetée ;
4° L'adoption, en principe, d'une grande enceinte continue ;
5° La construction d'une ceinture de forts devant la grande enceinte ;
6° Le système de fortification à adopter pour les forts et l'enceinte ; et il est bon de rappeler ici que, pour les fronts attaquables de l'enceinte, le système polygonal a été rejeté par 13 voix contre 13, bien qu'il ait été adopté par le ministre : le système polygonal a été adopté pour les forts détachés ;
7" La conservation ou la démolition de certaines de nos places : ce vote, pour le dire en passant, a eu le sort de plusieurs autres qui n'ont été respectés qu'autant qu'ils entraient dans les vues du ministre.
On a même voté sur :
La démolition du fort la Chartreuse à Liège.
La construction d'un barrage flottant au coude de Sainte-Marie.
La réédification des forts la Perle et Saint-Philippe.
L'amélioration du fort Sainte-Marie.
La construction d'un fort à Calloo.
Celle de plusieurs petits postes pour la défense des digues.
Sur la citadelle du nord rien, absolument rien.
Et cependant, messieurs, le ministre a soutenu et soutient que la création de la citadelle du nord est légitime, bien que la loi qui détermine minutieusement tous les travaux à exécuter n'en dise pas un mot, et qu'au contraire, l'exécution rigoureuse de la formule de cette loi s'oppose formellement à l'édification d'un pareil fort.
Dans quelques années, messieurs, on se refusera certainement à croire à la réalité de pareils faits.
Un dernier mot sur ces procès verbaux. En les mettant à la disposition des membres de la Chambre désireux de les lire, M. le ministre a omis d'y joindre le mémoire du capitaine lieutenant de vaisseau Vanhaverbeke ; cependant ce mémoire est mentionné comme s'il y était joint.
Messieurs, je me rallie aux idées émises par l'honorable M. Delcour, sur les sections d'études.
Je pense que cette mesure serait extrêmement favorable à l'instruction de l'armée et qu'elle ne peut occasionner de grands inconvénients.
L'honorable ministre a dit que les officiers détachés à la section spéciale ne pouvant plus participer au service, tout ce service tombait à la charge des officiers sortant de l'école et présents aux régiments ; je ferai observer à M. le ministre que l'ancienneté des officiers, sortant de l'école, date du commencement des deux années qu'ils passent à l'école d'application ; que, pendant ces deux années, tout le service incombe aux officiers présents aux régiments ; et enfin, que les élèves sortant de l'école militaire ont, en entrant au régiment, le pas sur les sous-lieutenants qui ont moins de deux ans de grade et qui cependant n'ont pas cessé un instant de participer au service.
Je sais très bien que la période des études est extrêmement laborieuse pour les élèves de l'école militaire ; mais les lieutenants et les sous-lieutenants qui doivent se livrer à des études sérieuses, tout en faisant leur service au régiment, sont soumis à une épreuve au moins aussi rude.
M. le ministre a dit aussi qu'il existait au régiment des écoles qui permettaient aux officiers sortant de la classe des sous-officiers d'acquérir les connaissances nécessaires pour subir l'examen exigé pour le grade de capitaine.
Sans doute ces institutions ont du bon, mais il faudrait, dans l'intérêt même de la discipline, que les professeurs chargés de donner les cours fussent tous plus anciens ou d'un grade plus élevé que ceux qui doivent suivre les leçons.
Permettez-moi maintenant quelques observations sur les réponses faites par M. le ministre de la guerre aux questions qui lui sont adressées par la section centrale.
La deuxième question porte :
« Est-il réellement impossible d'éviter le déblaiement du cimetière de Borgerhout ? » M. le ministre répond qu'il est impossible de ne pas le faire, mais que le commencement des travaux peut être remis à l'hiver prochain. Puisque l'exécution de ce travail peut être ajournée, ne serait-il pas possible d'utiliser le sursis en faisant examiner la question à nouveau ? Je le pense, et je crois utile de demander qu'il soit ouvert une enquête à l'effet d'examiner s'il n'est pas possible de changer le tracé de cette partie de l'enceinte pour laisser intact l'ancien cimetière de Borgerhout. Si cette enquête a lieu, je demanderai qu'elle soit sérieuse et que tous les officiers soient appelés à donner leur opinion, comme cela s'est fait en Angleterre, lorsqu'il s'est agi de fortifications à établir pour défendre les côtes. Les résultats de cette enquête ont été publiés, mis à la disposition de tous ceux qui désiraient en prendre connaissance ; pas le moindre secret d'Etat, et la sécurité de l'Angleterre n'a pas été compromise.
Dans sa réponse à la troisième question qui lui est posée par la section centrale, M. le ministre de la guerre dit que le gouvernement examine si l'on doit conserver le fort de la Chartreuse à Liège et la citadelle de Tournai. J'ai tout à l'heure dit que la démolition de la Chartreuse à Liège avait fait l'objet d'un vote de la commission des 27 dans sa 14ème séance. Quant à la citadelle de Tournai, je ne sais s'il a été pris une résolution à son sujet.
Notre honorable collègue, M. Vleminckx, a parfaitement expliqué la nécessité de réformer l'arrêté du 18 avril 1855, dont l'article 3 donne lieu à beaucoup d'abus, colorés du nom d'intérêt du service. Je n'ajouterai qu'un mol relativement à la dépendance dans laquelle se trouvent les officiers arrivés à un certain âge. Ce n'est pas seulement lorsqu'ils jouissent du bénéfice de l'article 3 de l'arrêté de 1853 qu'ils tombent sous l'entière dépendance du ministre de la guerre, mais c'est du moment qu'ils ont atteint leur 55ème année, puisque la loi de 1838 permet au département de la guerre de pensionner tout officier qui a atteint cet âge.
On a souvent dit que les officiers pensionnés sont des mécontents ; le fait est généralement vrai.
Ce mécontentement provient de l'inexécution rigoureuse et équitable de la loi de 1855.
Appliquez cette loi inexorablement, sans aucune préférence, comme l'a dit M. Vleminckx, et vous verrez cesser ce mécontentement. Alors un jeune homme, prenant du service à 18 ans, saura qu'à tel âge il rentrera inévitablement dans la vie civile, et sa mise à la pension le trouvera parfaitement préparé à ce changement d'état.
Je terminerai ce que j'ai à dire dans la discussion générale en établissant à larges traits le bilan des actes du département de la guerre ; je remonterai à quelques années seulement.
En 1859, il cache aux Chambres et au pays les conséquences financières et militaires des fortifications qu'il propose d'élever à Anvers, en affirmant :
Que le crédit demandé ne sera jamais dépassé.
Que l'organisation de l'armée ne devra subir aucune modification-
Que la transformation du matériel de l'artillerie n'entraînera qu’une dépense insignifiante.
Que la sécurité d'Anvers sera à jamais assurée par l'exécution de nouvelles fortifications.
Il cache soigneusement son intention d'élever contre les établissements maritimes d'Anvers une citadelle nouvelle, cent fois plus dangereuse que l'ancienne ; et s'il fait une seule fois une allusion, indirecte à cette forteresse, c'est en section centrale et dans des termes tellement vagues que personne ne le remarque.
En 1860, il fait construire la citadelle du nord et donne à cette forteresse une position et des proportions qui la mettent dans des conditions entièrement opposées au texte et à l'esprit de la loi de 1859.
Il emploie le matériel et le personnel de l'armée pour construire les nouvelles fortifications ; il porte ainsi une partie des dépenses supplémentaires qu'elles occasionnent à la charge du budget de la guerre et au détriment de l'instruction de l'armée.
En 1861, il impose au pays un sacrifice de près de 15 millions de francs pour appliquer au matériel d'artillerie une transformation coûteuse, un système compliqué qui soulève dans les rangs de l'artillerie une répulsion qui existe encore aujourd'hui ; et cela, quand pour une somme, relativement minime, il pouvait transformer notre matériel d'artillerie en le menant sur la même ligne que celui dont se contente l'artillerie française, qu'on n'accusera pas d'être mauvais juge en cette matière.
Celle malheureuse affaire a des conséquences plus fâcheuses peut-être que le gaspillage des deniers publics. Elle donne lieu à l'introduction dans l'armée d'un système d'espionnage, inauguré par l'inquisition militaire et couronné par une véritable désorganisation morale que des faits récents ont signalée au pays.
Elle inaugure dans le système gouvernemental la théorie du secret d'Etat qui n'a d'autre objet que d'empêcher la lumière d'éclairer les actes du département de la guerre ; cette théorie a en effet pour prétexte de (page 459) ne pas trahir une confidence, qui n'en pouvait être une, le prétendu secret étant livré à la publicité et à l'industrie particulière.
Elle amène enfin la force militaire à porter atteinte à l'autorité de la justice.
En 1862, il abuse de la faveur que lui accorde le chef de l'Etat pour l'amener à repousser dédaigneusement une démarche des magistrats de la seconda ville du pays ; il fait naître ainsi une animosité fort injuste contre la ville d'Anvers, et très nuisible aux vrais intérêts de notre patrie.
Vous comprendrez, messieurs, pourquoi je m'abstiens de vous rappeler un autre acte qui eut lieu la même année et dont le pays tout entier s'est ému.
En 1863, il continue le même système de désorganisation et de division.
En 1864, malgré les assurances formelles répétées à différentes reprises, il demande un nouveau crédit pour les fortifications d'Anvers. Pour l'obtenir, il affirme que ce nouveau crédit sera très suffisant pour parfaire son œuvre ; on sait aujourd'hui la valeur de cette affirmation.
II encourage dans les rangs de l'armée l'organisation de cette malheureuse expédition du Mexique, contre laquelle le pays entier a protesté et sur le compte de laquelle on ne se fait plus d'illusion aujourd'hui. Par cette mesure il porta une atteinte fatale au cadre des sous-officiers de plusieurs régiments.
Il augmente le découragement dans l'armée et travaille de mieux en mieux à sa désorganisation par un favoritisme sans exemple dans les promotions.
En 1865 il continue à suivre le même système. k
En 1866 aux demandes de renseignements prescrits par la loi de 1861, il répond par des notes dérisoires qui n'apprennent rien, ne rendent compte de rien.
Enfin, il s'arrange de manière à retarder la remise du rapport sur l'organisation de l'armée, rapport promis en 1865 pour obtenir la ratification de son budget ; il la retarde afin que les Chambres ne puissent examiner et débattre à fond le budget de 1866. Nous pouvons même dire aujourd'hui qu'il s'abstient de le remettre.
Voilà, messieurs, en peu de mots ce que le département de la guerre fait depuis six ans pour le pays ; c'est à vous de juger si vous devez lui donner une nouvelle preuve de confiance en votant le budget qu'il vous présente.
- Des voix. - A demain !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau d« la Chambre : 1° un projet de loi ayant pour objet le démembrement de la commune de Haelen et l'exécution d'une nouvelle commune sous le nom de Loxbergen ; 2° un projet de loi tendant à distraire une partie de territoire de la commune de Rumes pour la réunir à la commune de Taintignies, province de Hainaut.
MpVµ. - Ces projets de loi seront renvoyés à des commissions spéciales.
- Voix nombreuses. - A demain !