(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 167) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance publique.
- La rédaction en est approuvée.
Il fait ensuite lecture du procès-verbal de la séance solennelle, Chambres réunies, tenue le 17 décembre courant pour recevoir le serinent constitutionnel de S. M. Léopold II en prenant possession du trône.
Ce procès-verbal est également approuvé.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Les membres du conseil communal de Frameries prient la Chambre d'accorder au sieur Dequanter la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Charleroi avec embranchement vers Frameries, Mons, Gilly et Lambusart. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres du conseil communal de Frameries prient la Chambre d'accorder au sieur Philippart-Pecher la concession d'un chemin de fer de Chimai vers Quiévrain. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Villers-devant-Orval demande que l'Etat reprenne la partie de chemin vicinal située entre Orval et le point de bifurcation nommé Dieu-de-Pitié sur le territoire de Jamoigne. »
M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Fayt, ancien préposé des douanes, demande une augmentation de pension ou une indemnité. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Favarger prie la Chambre d'ajourner à un an la discussion de toute loi politique. »
- Même renvoi.
« Le sieur Verheggen, combattant de septembre, réclame l'intervention de la Chambre pour qu'on lui remette la croix de l'ordre de Léopold qu'il prétend lui avoir été conférée. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La veuve du général-major Trumper demande une pension. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Villers-le-Bouillet prie la Chambre de s'occuper du projet de loi qui apporte des modifications à la loi sur les chemins vicinaux. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Les membres du conseil communal de Horpmael demandent la construction d'une route pavée, à partir de la haute chaussée entre Gelinden et Heers, pour aller s'embrancher à la chaussée de Saint-Trond, à un kilomètre environ de Tongres. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces à l'appui, la demande en naturalisation ordinaire du sieur Doylinger. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre des représentants deux exemplaires du tome VIII des Annales de la commission royale de pomologie. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« Par dépêche du 13 décembre, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre les tableaux de l'emploi des fonds alloués pour l'instruction primaire pendant l'année 1863, tant par le gouvernement que par les provinces et les communes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi portant abolition des droits de barrière sur les routes de l'Etat.
- De toutes parts. - Bravo !
MfFOµ. - Messieurs, il est possible que la Chambre ne puisse pas voter en temps utile les budgets qui restent à examiner. Dans cette prévision, j'ai l'honneur de. déposer sur le bureau, d'après les ordres du Roi, un projet de loi tendant à allouer des crédits provisoires aux divers départements ministériels. Ce projet comprend des crédits, même pour les départements dont les budgets sont déjà votés par la Chambre, afin de laisser toute latitude au Sénat. S'il arrive que le Sénat vote l'un ou l'autre de ces budgets, les crédits provisoires qui les concernent viendront par là même à tomber.
MpVµ. - Il est donné acte à M- le ministre des finances du dépôt de ces projets de loi. Comment la Chambre entend-elle procéder à l'examen de ces projets ?
M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi du projet de loi sur les crédits provisoires à une section centrale.
MpVµ. - On pourrait renvoyer le projet à la section centrale chargée de l'examen du budget des voies et moyens.
- Voix nombreuses. - Oui, oui.
MpVµ. - Il en sera ainsi. Quant à l'autre projet, on pourrait le renvoyer à la section centrale chargée de l'examen du budget de§ travaux publics.
M. Jacobsµ. - Renvoyons-le en sections ; j'en fais la proposition.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi modifiant la formule de la sanction et de la promulgation des lois telle qu'elle est fixée par la loi du 28 février 1845. Il importe que ce projet de loi soit examiné d'urgence. Je propose donc de le renvoyer à une commission.
MpVµ. - On pourrait le renvoyer à l'examen de la commission d'organisation judiciaire ; s'il n'y a pas d'opposition, il en sera ainsi.
« MM. Dubois, de Macar et Le Bailly de Tilleghem demandent des congés de quelques jours. »
- Accordé.
« M. Coomans, obligé de se rendre en Allemagne pour donner des soins à sa santé, demande un congé sans pouvoir en fixer le terme. »
- Accordé.
M. Rodenbach. - Il y a environ quinze jours que je me suis fait inscrire pour parler sur le budget des voies et moyens. J'avais l'intention de réclamer, comme je l'ai fait depuis nombre d'années, la suppression du droit de barrière. M. le ministre des finances vient de me prévenir en déposant un projet de loi qui abolit ce droit ; je le félicite d'avoir enfin pris cette mesure attendue depuis longtemps avec impatience.
Je comptais ensuite traiter les questions de l'augmentation de nos revenus, de la grande prospérité de notre situation financière.
Eu égard à cette prospérité croissante, je me proposais de demander une modification et une diminution du droit de patente, une diminution sur le sel qui paye un droit de 18 fr. par 100 kil., dont la valeur n'est que de 2 francs, la taxe uniforme des lettres à 10 centimes, la suppression des tripots scandaleux des jeux de Spa qui font la honte du pays.
J'ai soulevé, l'an passé, la question des jeux. L'administration vient de clore son bilan avec un gain immoral de deux millions.
(page 168) Je suis d'avis, messieurs, que le moment n'est pas opportun pour discuter ces diverses questions ; nous retrouverons, après les vacances, l'occasion de nous en occuper lorsqu'on discutera les budgets.
Je me plais à croire, messieurs, qu'à l'avenir nos débats seront exempts de luttes de parti, qu'on s'inspirera d'une politique de paix et de conciliation et qu'avec le nouveau règne de Léopold II notre devise : l'Union fait la force, sera une vérité.
M. Lelièvreµ. - A l'occasion du budget des voies et moyens, je crois devoir appeler l'attention du gouvernement sur la nécessité d'apporter quelques modifications aux dispositions en vigueur relatives au droit de succession et au droit de mutation en ligne directe.
C'est ainsi que je pense qu'il faudrait nécessairement changer, en matière de successions en ligne directe, le multiple dont il s'agit à l'article 3 de la loi du 17 décembre 1851, multiple qui a fait l'objet d'un arrêté de 1852. non seulement l'état de choses alors existant a subi des changements notables ; mais il n'est pas possible de conserver la base alors adoptée. En prenant égard aux petites parcelles qui d'ordinaire se vendent à un prix exorbitant, on s'écarte de la valeur vénale des propriétés en général dans les localités. C'est donc là un objet important qui appelle l'attention particulière du gouvernement, puisqu'il importe de maintenir le principe de justice inhérent à l'impôt.
Il est aussi un autre objet qui a déjà été signalé et sur lequel je dois insister. En matière du droit de succession, fixé par la loi du 27 décembre 1817, on paye en Belgique, du chef de propriétés immobilières situées à l'étranger, et, d'un autre côté, ces mêmes propriétés sont soumises, dans le pays où elles se trouvent, à un droit de mutation.
On paye ainsi deux fois à raison de la mutation qui s'opère par décès. J'estime qu'on ne devrait exiger, en Belgique, aucun impôt de ce chef, par la raison que les immeubles, à la différence des meubles, sont régis par la loi de leur situation. La loi belge n'a aucun empire sur les immeubles situés hors du territoire belge ; il s'agit d'un véritable statut réel, aux termes mêmes du Code civil. Je pense donc que la loi belge ne devrait pas exiger qu'on énonçât, dans la déclaration de succession, des immeubles situés en pays étranger, et soumis essentiellement à la loi étrangère, immeubles régis entièrement par la loi de leur situation. Les dispositions contraires de la loi du 27 décembre 1817 étaient fondées sur des motifs politiques qui n'existent plus aujourd'hui. J'engage le gouvernement à étudier cette question, et à faire cesser ce que je considère comme une véritable injustice au détriment des intérêts belges.
M. Bouvierµ. - Messieurs, je félicite, à mon tour, M. le ministre des finances de la présentation du projet de loi sur l'abolition du droit de barrières sur les routes de l'Etat ; je pense que la droite, comme la gauche, sera unanime pour adresser des félicitations à l'honorable ministre qui a voulu attacher son nom à cette utile mesure, comme à celle qui a fait disparaître les octrois.
J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu l'honorable M. Rodenbach déclarer qu'il fallait diminuer l'impôt sur le sel, la taxe des lettres ; qu'il fallait enfin réduire tous nos impôts.
Je demanderai à l'honorable M. Rodenbach comment M. le ministre des finances pourra nous présenter un budget des voies et moyens, quelles sont les ressources qui lui restent après que tous ces dégrèvements auront été opérés. Si nous demandons l'abolition de la plupart des impôts, il ne restera bientôt plus rien.
M. Rodenbach. - Je ne demande pas cela.
M. Bouvierµ. — Si je vous ai bien compris, vous réclamez que l'impôt sur le sel soit aboli (interruption), ou du moins disparaisse en grande partie.
Personne, dans cette Chambre, si ce n'est l'honorable M. de Naeyer, n'a réclamé la suppression de cet impôt. La Chambre n'a pas même reçu une seule pétition tendante à ce résultat.
Quant à une diminution de la taxe des lettres, je pense qu'elle pourra être opérée dans un avenir plus ou moins éloigné.
Le nouveau projet de loi sur la disparition du droit de barrières démontre que le gouvernement marche résolument dans la voie de la réduction des impôts. Je préfère, pour ma part, voir abolir le droit de barrières, à voir diminuer la taxe des lettres. L'abolition du droit de barrières favorise l'agriculture et le commerce en général, tandis que la détaxe des lettres ne profite généralement qu'aux grands établissements financiers et à quelques centres commerciaux du pays.
L'honorable M. Rodenbach a exprimé l'espoir que l'avènement du roi Léopold II fera disparaître le dissentiment qui existe entre la droite et la gauche. Nous ne demandons pas mieux ; mais que la droite commence à nous donner l'exemple d'une entente cordiale. Ce n'est pas nous qui, dans les circonstances présentes, voudrions soulever des questions irritantes.
Restons fermes et unis ; éloignons des discussions qui ne peuvent aboutir qu'à rendre nos séances stériles et à enflammer nos esprits qui ont besoin de calme pour rester à la hauteur de la situation heureuse dans laquelle se trouve placé le pays.
M. J. Jouretµ. - Messieurs, je suis dans l'obligation de dire un mot de protestation contre des paroles que l'honorable M. Bouvier vient de prononcer. Il est parfaitement inexact qu'on n'ait jamais demandé une diminution de l'impôt sur le sel. Pour mon compte, je me rappelle parfaitement que, dans l'une des discussions générales du budget des voies et moyens, j'ai demandé une diminution de la manière la plus formelle, appuyant en cela des paroles prononcées à cet égard par l'honorable M. de Naeyer.
Dans un rapport remarquable sur le budget des voies et moyens, l'honorable M. Jamar, si je ne me trompe, a exprimé le même vœu. L'assertion de l'honorable M. Bouvier est donc en cela parfaitement inexacte.
Maintenant, quant à l'abolition du droit de barrières, je l'ai réclame à plusieurs reprises dans cette Chambre ; je remercie donc le gouvernement, du fond de mon âme, de l'initiative intelligente qu'il vient de prendre, à cet égard, et d'avoir surpris aussi agréablement la Chambre en venant proposer une loi qui sera accueillie, j'en suis convaincu, de la manière la plus favorable dans tout le pays.
MfFOµ. - Messieurs, l'honorable M. Rodenbach, en exprimant tout à l'heure le désir de voir supprimer ou réduire certains impôts, alléguait, pour justifier ses intentions à cet égard, la situation si prospère de nos finances, situation qu'il considère comme une raison déterminante pour opérer de pareils dégrèvements.
Il est, en effet, parfaitement exact de dire que les finances de la Belgique sont dans un état très favorable, puisque chaque année nous avons un excédant de ressources ordinaires sur les dépenses de même nature. Cet excédant est même assez notable, car, comme vous avez pu le voir par l'exposé de la situation du trésor, que j'ai eu l'honneur de soumettre à la législature, il peut être évalué à une moyenne annuelle d'environ huit millions. Mais ce que l'honorable membre semble n'avoir pas remarqué, et ce dont il faut cependant tenir grand compte, c'est que les excédants sont destinés à acquitter des obligations qui ont été contractées ; ils ont reçu une destination spéciale, en vertu de décisions prises à cet égard par les Chambres.
M. Rodenbach. - Pas totalement.
MfFOµ. - Vous vous trompez. La Chambre a disposé des excédants éventuels de recettes, qui reposent sur la supposition d'une situation constamment prospère, exempte de toute crise quelconque, soit politique, soit financière, soit alimentaire ; la Chambre a appliqué ces excédants probables, dont nous pouvons sans doute espérer la réalisation, mais qui cependant pourraient ne pas être obtenus, la Chambre, dis-je, les a appliqués au payement des engagements énormes qui ont été contractés pour l'exécution de nombreux travaux d'utilité publique.
L'exposé de notre situation financière rappelle que ces engagements préexistants s'élèvent à une cinquantaine de millions, et que, déduction faite des sommes qui doivent rentrer au trésor, le déficit de ce chef peut atteindre environ 40 millions de francs. Il faudrait donc, avec un excédant de 8 millions de francs par an, cinq années pour faire face à ces seuls engagements.
Mais ce n'est là que le résultat des engagements existant à la date du dépôt de l'exposé de la situation du trésor ; il y a déjà de nouvelles propositions de cette nature qui sont soumises à la Chambre, et d'autres le seront encore ultérieurement.
C'est ainsi que nous avons déposé un projet de loi pour le département des travaux publics, qui consacre une dépense de 8 millions de francs.
- Un membre. - Et ce n'est pas assez.
MfFOµ. - Et ce n'est pas assez, comme le fait remarquer un honorable membre. C'est donc une raison de plus de ménager nos ressources.
Nous avons également un projet de loi concernant le département des affaires étrangères, il s'agit de la construction de bateaux à vapeur avec un crédit extraordinaire applicable au même service. C'est (page 169) encore une dépense d'environ 850 à 900 mille francs à laquelle il faudra faire face.
Nous aurons encore à demander des crédits pour le département de l'intérieur, en vue de l'exposition qui aura lieu à Paris en 1867. Il faudra des crédits pour la continuation des travaux à exécuter à l'église de Laeken. Nous serons, en un mot, dans la nécessité de demander beaucoup de millions à la Chambre, pour tous les objets que je viens d'indiquer, et en outre, nous devons solliciter de nouveaux crédits pour l'assainissement de la capitale. Le principe de l'intervention de l'Etat a été admis par le vote d'une loi récente ; ce principe devra recevoir son exécution dans toutes ses conséquences légitimes, et les sommes déjà votées seront insuffisantes pour compléter l'intervention de l'Etat. Nous avons encore quelques millions à demander de ce chef.
En présence de ces nécessités, la Chambre doit comprendre que, quoique la situation, je le répète, soit tout à fait satisfaisante, il importe au plus haut point de maintenir l'intégrité de nos ressources. C'est pour ce motif que, jusqu'à présent, aucune proposition n'avait été faite quant aux barrières. Mais nous avons pensé que, dans les circonstances actuelles, nous ne devions pas hésiter à proposer leur suppression ; nous avons pensé qu'une mesure qui était de nature à être si favorablement accueillie par la Chambre et par le pays, devait être soumise, sans plus de retard à vos délibérations.
C'est une réduction de recette de 1,450,000 fr. pour la seule abolition des droits de barrière sur les routes de l'Etat ; cela équivaut pour l'Etat à l'aliénation d'un capital de plus de 30 millions de francs.
Ce n'est donc pas le moment de solliciter d'autres réductions d'impôt. Je rappelle d'ailleurs à la Chambre que déjà nous avons fait beaucoup sous ce rapport. Les réductions d'impôt ont été très considérables dans ce pays, ainsi que j'ai eu l'honneur de le démontrer ici même dans plusieurs circonstances.
L'honorable M. Rodenbach a parlé du sel. Sans doute, il vaudrait mieux qu'il n'y eût pas d'impôt sur le sel ; mais, enfin, cet impôt, perçu sur un objet de très peu de valeur, n'en augmente pas le prix dans une proportion notable à la vente en détail ; cela a été parfaitement démontré. L'expérience d'autres pays a prouvé qu'une réduction de taxe appliquée à des objets de cette nature, n'opérait aucun effet dans le sens d'une réduction du prix payé par les consommateurs. Tout au plus pourrait-on amener quelque changement favorable aux intérêts de ces derniers par une suppression complète de la taxe.
M. de Naeyerµ. - En Angleterre, où l'impôt est aboli, le sel livré à la consommation ne coûte même la dixième partie de ce qu'il coûte ici.
MfFOµ. - Je ne puis pas vérifier en ce moment si, en réalité, la valeur marchande du sel dans le commerce de détail n'est en Angleterre que le dixième de ce qu'elle est en Belgique. Mais si l'on considère cette valeur en elle-même, si on la prend pour ce qu'elle est en réalité, on voit que la différence est tout à fait insignifiante. Il ne s'agit là que de centimes, ou même de fractions de centime.
Je le répète donc, l'expérience prouve que l'abaissement du droit ne changerait pas le prix de la vente en détail.
On a parlé aussi des patentes. Je ne crois pas qu'il y ait lieu de les réduire ; elles sont assurément fixées à un taux très modéré. La Chambre sait que la loi des patentes date de 1819. C'est sur les faits constatés à cette époque, déjà bien éloignée de nous, que la base de l'impôt a été établie.
Or, tout le monde sait l'immense révolution qui s'est opérée depuis lors dans l'industrie et dans le commerce ; la quotité de l'impôt n'ayant pas varié, malgré le développement énorme généralement constaté dans les affaires, il est évident que l'on ne saurait légitimement soutenir que les patentes sont aujourd'hui exagérées, et qu'il y aurait équité à les réduire.
L'honorable M. Lelièvre a signalé à l'attention de la Chambre et du gouvernement une autre question, qui a déjà été agitée bien souvent dans cette enceinte et que l'on reproduit de temps en temps ; il s'agit du droit perçu sur les immeubles situés en pays étranger, en cas de succession. L'honorable membre conteste la légitimité de ce droit. Il prétend qu'il est injuste de percevoir un impôt de cette nature sur des biens situés hors du pays.
Messieurs, on l'a fait remarquer bien des fois et je ne fais que répéter ce qui a été dit si souvent : il ne s'agit pas dans l'espèce de droits perçus sur des immeubles situés à l'étranger ; la loi a établi un droit de succession dû par les habitants du royaume ; ce droit est établi sur l'actif net de la succession qui leur échoit. De quoi se compose la succession ? de tout ce que l'habitant acquiert par héritage.
Si on admet la déduction des dettes, il faut bien que l'on comprenne dans l'avoir tout ce dont l'héritier est appelé à recueillir la propriété ou la jouissance, et c'est par ce motif que ce droit, dont le principe a été souvent attaqué, qui a même soulevé des réclamations de la part des gouvernements étrangers, a été cependant maintenu, et, reconnu ici même comme très légitime, après les explications qui ont été données.
Le gouvernement français, entre autres, a réclamé en faveur de ses nationaux. Nous avons démontré que nous ne faisions en cette matière que ce que le gouvernement français fait lui-même en d'autres matières.
Ainsi, il perçoit un droit sur les actions ou obligations représentant des valeurs situées en Belgique, de même que nous percevons un droit sur l'actif de la succession, après déduction des dettes. (Interruption.) Le gouvernement français, me dit-on, ne perçoit pas l'impôt sur les immeubles étrangers ; c'est que le principe de la loi française est différent du nôtre. Quel est le principe de la loi française ? C'est de percevoir un droit de mutation qui ne peut évidemment s'appliquer qu'aux immeubles situés en France même. Mais croyez-vous que la perception d'un droit sur les titres qui représentent des valeurs situées à l'étranger ne soit pas, à votre point de vue, aussi critiquable que la disposition de notre législation que vous attaquez en ce moment ?
Que fait le gouvernement français quant aux immeubles ? Il perçoit un droit sur un actif brut : l'immeuble qui se trouve grevé de charges paie le droit à raison de l'intégralité de sa valeur, sans aucune déduction. Voilà comment le droit est perçu en France tandis qu'en Belgique...
M. Crombez. - Et quand il n'y a pas de dettes...
MfFOµ. - Qu'importe cela ? Je m'occupe du principe.
M. Crombez. - Je demande la parole.
MfFOµ. - Il est incontestable qu'en France les immeubles qui se trouvent grevés de charges, payent le droit pour l'intégralité de leur valeur, tandis qu'en Belgique on ne paye que sur l'actif net de la succession.
M. Vilain XIIIIµ. - Ce qu'il y a de vexatoire c'est que l'on paye deux fois.
MfFOµ. - On paye la droit qui est exigé dans le pays où le bien est situé, comme on paye ici pour l'actif de la succession du régnicole ; s'il n'en était pas ainsi, il y aurait une sorte de prime à la possession d'immeubles à l'étranger ; un individu domicilié en Belgique achèterait des biens à la frontière et il serait ainsi complètement exonéré, si le principe de la loi de 1817 n'était pas maintenu...
- Un membre. – Il payerait en France ou ailleurs.
MfFOµ. - Est-ce que le régnicole acquitte ses contributions en France ?
La question qui nous occupe a été traitée entre les gouvernements, et il n'est plus contesté que le principe que l'on critique est parfaitement légitime. Il ne faut pas perdre de vue, je ne saurais trop le répéter, qu'il s'agit de percevoir un droit sur un actif net ; or on ne concevrait pas que l'on pût percevoir un droit sur un actif net, si l'on ne prenait pas toutes les valeurs dont la succession se compose. Dans l'hypothèse où l'on se place, que ferait-on des dettes ? Faudrait-il les déduire exclusivement de la valeur des immeubles situées à l'étranger, ou bien les considérer comme se rapportant toutes à ceux qui existent dans le pays ? On comprend qu'aucune de ces deux systèmes ne serait admissible.
En résumé, messieurs, je persiste à croire que la loi de 1817 est plus équitable que la loi française de frimaire an VII, et que l'introduction dans nos lois fiscales du principe qu'elle consacre, constitue un véritable progrès.
M. Dumortier. - Je ne puis partager l'opinion de l'honorable ministre des finances sur la question soulevée par M. Lelièvre. Que la loi française ait pris des bases peu justes pour l'impôt sur les successions, cela est étranger à la question ; nous n'avons pas à nous occuper des dispositions de la loi française. Est-il juste que le Belge paye deux fois un impôt : une fois dans son pays, une fois au dehors ? Voilà la question. Pour mon compte, je ne puis admettre qu'il soit juste de faire payer deux fois un droit de succession. Je sais que ce principe est déposé dans la loi de 1817 ; mais s'il est mauvais, il ne faut pas le maintenir.
A cette occasion, je me permettrai de faire remarquer à M. le ministre des finances que je ne trouve pas que les contribuables aient tant eu à se féliciter des modifications d'impôt dont il a parlé. Je vois bien qu'on a (page 170) supprimé certains droits de douane, réduit les recettes des chemins de fer par les modifications de tarif, mais je ne vois pas qu'on ait diminué les impôts en établissant un droit de succession en ligne directe. Il me semble qu'à l'occasion du joyeux avènement du nouveau souverain on devrait faire quelque chose pour les contribuables.
Je ne suis en aucune façon partisan de la réduction des recettes qui résultent d'un service public ; je crois, au contraire, que le meilleur des bénéfices que puisse faire un gouvernement est celui qui résulte d'un service rendu, pour autant, bien entendu, que le prix du service ne soit pas exagéré. Les recettes des postes sont le résultat d'un service rendu, car, Dieu merci, il n'y a personne qui pourrait porter une lettre d'un bout de la Belgique à l'autre pour 20 centimes ; j'en dirai autant des recettes des chemins de fer. Je sais qu'il y a une catégorie de théoriciens qui ne voient qu'une chose de pratique, c'est que l’Etat transporte pour rien ; mais je me place ici au point de vue des intérêts du trésor et je me permets de ne pas partager l'avis de ces théoriciens ; quant à l'impôt sur le sel, je ne puis qu'appuyer les observations de M. le ministre des finances ; vous aurez beau réduire l'impôt sur le sel, vous ne dégrèverez pas les contribuables ; l'expérience l'a démontré à plusieurs reprises : dès lors à quoi bon enlever à l'Etat des recettes de plusieurs millions ? Mais il est un ordre d'impôt que je voudrais voir disparaître, c'est l'impôt d'exception qui frappe sur les boissons distillées et les cigares.
Les impôts d'exception sont toujours détestables. L'impôt doit être égal pour tous. L'impôt dont je parle a été établi en 1837 ; alors le pays se trouvait dans une position financière on ne peut plus précaire, et nous avions à faire face à de grandes dépenses par suite de l'obligation de maintenir sur pied une armée nombreuse, car nous étions menacés d'une guerre avec la Hollande. D'un autre côté la transformation de l'accise sur les liqueurs alcooliques avait réduit les recettes de 5 a 2 millions de francs.
Nous avons là subi une perte de 3 millions de francs et l'on avait généralement la conviction qu'il n'était point possible d'élever l'impôt sur des bases nouvelles, sans s'exposer à des fraudes considérables. Dans cet état de choses, on a dû frapper les boissons alcooliques d'une autre manière en établissant l'impôt sur le débit des boissons distillées. C'était, à cette époque, une forme d'accise différente dont on frappait ces boissons. Il suffit d'ouvrir le Moniteur pour en avoir la preuve. Aujourd'hui, ces motifs n'existent plus. Les finances sont devenues très prospères et nous avons tous les ans des excédants considérables. Je sais bien qu'on les emploie à certaines constructions et qu'on les destine à d'autres qui sont projetées, mais j'aimerais mieux que le peuple belge, qui a montré, ces jours derniers, un si grand et si légitime enthousiasme, se ressentît un peu de la réduction des impôts et je voudrais que l'on commençât par abolir le plus inique et le plus odieux de tous. Or, le plus inique et le plus odieux, selon moi, est celui qui établit le droit de débit pour la vente des liqueurs alcooliques et des cigares. C'est là une loi d'exception.
M. Bouvierµ. - C'est la meilleure.
M. Dumortier. - Je ne suis pas de votre avis. C'est un impôt d'exception et j'ai déjà eu l'honneur de le dire, tous les impôts d'exception sont détestables parce qu'ils frappent sur une catégorie d'individus.
Un débitant de boissons distillés paye une patente. Il a dès lors le droit de faire son commerce, mais on frappe un nouvel impôt à côté de sa patente. Je dis que cela est inique.
Je sais fort bien que l'honorable membre qui vient de m'interrompre trouve cet impôt excellent, mais c'est parce qu'au moyen de cet impôt on est parvenu à créer un grand nombre d'électeurs. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - Comment ! C'est la question politique qui revient encore une fois.
M. Dumortier. - C'est pour cela qu'on la trouve excellente. Quant à moi, je l'ai toujours trouvée mauvaise, et je l'ai combattue lorsqu'elle a été proposée en 1836 bien qu'on déclarât qu'il n'y avait là aucun but électoral ; je la combattais parce que c'était un impôt d'exception et parce que tout impôt de cette nature est mauvais et odieux.
Je dis que lorsque le cabaretier ou le débitant de tabac a pris sa patente, il doit pouvoir vendre tout ce que comporte son commerce, et que frapper un impôt à côté de sa patente pour le même commerce est une mesure inique et odieuse. Aussi est-ce le premier impôt que j'aurais voulu voir disparaître.
Je n'entrerai pas, pour le moment, dans d'autres considérations, parce que dans la situation actuelle il importe de donner au pays le spectacle d'une Chambre qui ne se divise pas, mais je réserve tous mes droits pour l'avenir. Je le répète, cet impôt est le premier qui doit disparaître parce que c'est un impôt d'exception, et qu'il ne doit y avoir que des impôts généraux.
M. Rodenbach. - Puisque d'année en année nous augmentons nos revenus de 8 millions...
MfFOµ. - Mais non.
M. Rodenbach. - Je sais parfaitement, comme vous l'avez dit, que cette somme a déjà en partie reçu sa destination, mais je ne panse pas que toute la somme soit engagée.
D'ailleurs, supposons que les 8 millions soient déjà absorbés ; dans un pays qui prospère comme le nôtre, nous pouvons espérer de voir augmenter de plus en plus les revenus.
Et puis, ne voyons-nous pas que dans toute l'Europe on ne songe qu'à des économies ? En France, dans ce pays belliqueux qui a toujours eu les plus belles armées de l'Europe, il est question d'économies. En Italie également, il est question de réduire les dépenses de 50 à 60 millions.
Tout porte à croire que la Belgique, à l'exemple de toutes les autres nations, pourra réduire enfin ses dépenses militaires ; et les quelques millions de réduction que nous pourrions réaliser pourraient être très utilement appliqués à une diminution du chiffre des contributions. Je sais que nos contributions ne se sont pas accrues en Belgique, mais ce n'est pas un motif, ce me semble, pour ne pas les réduire en présence de la situation prospère de nos finances.
M. Bouvierµ. - La Belgique est le pays où chaque habitant paye le moins de contribution.
MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs.
M. Rodenbach. - J'ai dit tout à l'heure quand j'ai pris la première fois la parole, que le moment ne me paraissait pas opportun pour entamer une discussion approfondie sur ces questions. Cependant, je crois devoir insister de nouveau sur la nécessité de compléter la réforme postale en fixant la taxe pour tout le royaume à dix centimes par lettre simple. A supposer que cette réforme dût produire une diminution de recette, cette diminution serait largement compensée par les réductions dont le budget de la guerre est susceptible ; mais il n'est nullement prouvé que la réduction de la taxe postale à 10 centimes occasionnerait une diminution de recette.
MfFOµ. - Le produit serait diminué de 1,500,000 francs.
M. Rodenbach. - Mais voyez l'Angleterre ; là, malgré la réduction de la taxe, la recette n'a cessé d'augmenter d'année en année. Eh bien, je suis presque persuadé qu'il en serait absolument de même en Belgique.
- Une voix. - Presque !
M. Rodenbach.µ. - Sans doute puisque je ne puis pas avoir à cet égard une certitude absolue.
Maintenant, si vous ne voulez pas réduire immédiatement la taxe à dix centimes, commencez du moins à la réduire à 12 ou 15 centimes et en même temps élevez le poids de la lettre simple de 10 à 15 grammes ; ce sera déjà une amélioration notable, ce sera un acheminement marqué vers la réalisation de la réforme complète.
Je suis homme de progrès, messieurs, malgré mon âge avancé et je le prouverai encore en votant toutes mesures dans le sens de celles que je viens d'indiquer.
En Angleterre, messieurs, voilà quarante ans qu'on a supprimé le droit sur le sel.
MfFOµ. - Mais on l'a remplacé par l’income tax.
M. Rodenbach. - Nous l'avons pas besoin de celle ressource-là ; nos finances sont assez prospères pour nous permettre de nous en passer. Quoi qu'il en soit, je dis qu'il est exorbitant de faire payer 18 francs de droit sur une matière qui n'en coûte que deux.
Aussi, messieurs, en Belgique le sel est-il l'objet d'une fraude épouvantable, qui disparaîtrait bientôt si l'impôt était réduit dans des limites raisonnables.
Je ne demande pas qu'on le supprime complètement, pas plus que je ne demande la suppression des autres impôts, car je sais que sans argent on ne peut pas administrer. Mais je voudrais que le nouveau règne inaugurât sérieusement l'ère des économies et surtout des réductions des dépenses militaires.
(page 171) En présence de l'attitude de l'Europe entière, nous avons le devoir de suivre le mouvement général qui se manifeste chez les autres puissances vers la diminution de cette catégorie de dépenses ; et je le répète, je serais heureux, pour ma part, que le nouveau règne dont nous venons de saluer l'inauguration, fût marqué dés son début par des mesure dans le sens de celles que je viens d'indiquer.
M. Vermeireµ. - J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu parler d'abolition du droit de succession sur les biens situés à l'étranger.
Je crois, messieurs, que cette mesure constituerait une véritable i-justice, en ce qu'elle établirait une différence de droits injustifiable, quant aux biens situés à l'étranger et quant aux biens situés en Belgique.
En effet, messieurs, qu'est-ce que le droit de succession, sinon un impôt qu'on paye sur l'actif net de la fortune acquise par héritage et non sur une partie seulement de cet actif.
Mais, dit-on, les biens situés à l'étranger payent deux fois l'impôt ; une fois en pays étranger et une fois en Belgique.
Cela est vrai ; mais ces biens sont hérités avec toutes les charges qui peuvent peser sur eux. C'est ainsi que lorsqu'on acquiert des biens à l'étranger on fait entrer en ligne de compte toutes les charges dont les biens sont grevés.
M. Vilain XIIIIµ. - Et pour la partie cédée du Limbourg ?
M. Vermeireµ. - Je crois ne pas devoir répondre spécialement à cette question ; car je reviens toujours à ce principe général qu'il faut payer un droit sur l'actif net dont on hérite.
M. de Mérodeµ. - Dans le pays.
M. Vermeireµ. - Mais, messieurs, est-il juste, je le demande, que des biens situés en France hérités par des personnes demeurant en Belgique ne payent pas de droit, alors que des biens situés en Belgique, délaissés à des habitants de ce pays, payeraient un droit uniquement parce que ces biens sont situés en Belgique ? C'est là, il faut en convenir, de la protection à rebours.
Maintenant, messieurs, on a beaucoup parlé de l'abolition du droit sur le sel et ici, je dois le dire, je ne suis pas du tout partisan d'une pareille mesure ; car je suis d'avis que la perte qui en résulterait pour le trésor serait tout à fait hors de proportion avec le profit qui pourrait en résulter pour chaque habitant pris isolément.
Ainsi, le droit sur le sel rapporte environ cinq millions et demi et il est bien certain que l'effet de la suppression de ce droit serait tout à fait imperceptible sur la masse des consommateurs : chacun d'eux ne serait ni plus ni moins riche, et le trésor aurait perdu inutilement cinq millions et demi. Voilà toute la vérité sur cette question.
Mon honorable ami M. Dumortier n'est pas partisan de la réduction de la taxe postale. Je partagerais sa manière de voir si une diminution de cette taxe devait nécessairement occasionner une perte pour le trésor ; mais il n'en serait pas ainsi ; car, nous savons qu'à mesure qu'on a diminué le prix du transport des lettres, la quantité a bientôt compensé la perte qu'on faisait sur le droit.
C'est ainsi qu'aujourd'hui que le tarif des transports est diminué dans une proportion considérable, la perte pour le trésor est moins grande qu'elle ne l'était avec le droit ancien...
MfFOµ. - Cela coûte encore 12 millions au trésor.
M. Vermeireµ. - Nous n'avons aujourd'hui ni le temps ni les éléments nécessaires pour rencontrer les chiffres qui nous sont opposés par le gouvernement. Mais dans la supposition même qu'il y eût une légère perte pour le Trésor, n'est-il pas vrai, d'autre part, que l'augmentation des affaires, due à la diminution de la taxe des lettres, due encore aux frais peu considérables qui grèvent le transport des marchandises, que cette augmentation, dis-je, compenserait amplement la perte légère qu'on ferait ?...
MfFOµ. - Pas pour le trésor.
M. Vermeireµ. - Si nous devons au transport à bas prix, et des hommes et des marchandises et des lettres, la grande prospérité qui règne dans le pays, le bien-être général qui y est répandu, et si d'autre part nous voyons grossir le produit de beaucoup d'impôts, ne sommes-nous pas fondés à dire que nous sommes dans une belle situation ? Or, si le chemin de fer avait continué à faire les transports d'après les tarifs anciens, cette prospérité, ce bien-être général se seraient-ils réalisés dans les proportions que nous voyons ? Si le taxe des lettres avait été à 30 et à 40 centimes comme avant la réforme postale, croyez-vous que les relations se fussent augmentées au degré qu'elles ont atteint aujourd'hui ? Ne devons-nous pas dès lors persévérer dans la voie où nous sommes si heureusement entrés ?
Pour me résumer en deux mots, je suis partisan de la diminution, la plus forte possible, de tous les droits qui existent, diminution qui aura pour effet d'accroître les transactions à l'intérieur et d'augmenter en même temps la richesse publique.
M. Jacquemynsµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour dire quelques mots en réponse au premier discours de l'honorable M. Rodenbach, qui a demandé notamment l'abolition ou du moins une forte diminution de l'impôt sur le sel. Je tiens à rappeler à la Chambre que je me suis, comme l'honorable membre, prononcé, il y a quelques années, en faveur d'une réduction de la taxe des lettres et d'une réduction de l'impôt sur le sel. Si je n'ai plus insisté sur ces points, si depuis un certain temps, je garde un silence absolu toutes les fois qu'on demande une réduction d'impôts, je tiens à saisir l'occasion qui se présente pour m'expliquer à cet égard.
Il me semble que les gouvernements doivent, aussi bien que les particuliers, saisir les moments de grande prospérité pour améliorer leur situation. L'honorable M. Rodenbach a cité des exemples de divers Etats qui diminuent leurs dépenses ; je serais enchanté que le gouvernement belge pût diminuer certaines dépenses et notamment celles du budget de la guerre. Mais alors même que ces réductions seraient possibles, je n'y verrais pas un motif péremptoire pour réduire les impôts ; ce serait peut-être l'occasion de profiter d'autres exemples que nous donnent quelques pays et notamment une nation voisine.
En Hollande, le gouvernement s'occupe actuellement d'établir un réseau complet de chemins de fer qui, d'après le plan adopté, doit avoir une longueur kilométrique plus considérable que le réseau des chemins de fer belges. Or, n'oublions pas que nous avons construit tous nos chemins de fer au moyen d'emprunts, pendant que le gouvernement des Pays-Bas s'occupe d'établir son réseau national de chemin de fer au moyen du produit des impôts. Une somme de 45 millions de francs s'y applique annuellement à la création des chemins de fer et elle provient des économies annuelles faites sur le budget.
De ce chef, le budget de l'année courante, chez nos voisins de la Néerlande, accuse une somme de 89 millions de francs disponible pour l'exécution de travaux publics.
En Belgique, nous avons chaque année une économie d'une dizaine de millions. Nous disposons plusieurs années à l'avance de cette économie et nous la consacrons à des travaux d'utilité publique ; or, comme je viens de le dire, le gouvernement néerlandais réalise chaque année 43 millions de francs d'économie pour le même objet, et les économies accumulées au commencement de cette année s'élevaient à 89 millions de francs.
Je citerai encore l'exemple des Etats-Unis. Les Etats-Unis, au sortir d'une guerre effroyable, se sont préoccupés tout d'abord de réduire les dépenses, et pourtant on n'y songe pas a réduire les impôts ; on y songe, au contraire, à payer par anticipation l'énorme dette que la guerre a entraînée.
Chez nous, l'excellente situation dont nous nous félicitons provient principalement des grandes recettes du chemin de fer. Que l'industrie devienne souffrante, même pendant un temps limité, aussitôt les revenus viendront à diminuer, et dès lors la situation sera incontestablement moins favorable qu'elle ne l'était auparavant.
Cette excellente situation dont nous nous félicitons tous, et dont nous nous félicitons particulièrement parce qu'elle donne au Roi Léopold II le moyen de marquer son avènement au trône par une diminution d'impôt, par l'abolition du droit de barrière ; cette excellente situation ne provient pas des impôts directs, des impôts qui assurent un revenu stable et régulier à l'Etat ; mais elle a pour cause principale la prospérité du pays, qui occasionne une somme considérable de transport sur le chemin de fer.
Si nous continuons d'appliquer les excédants de revenus à augmenter la prospérité publique, nous donnerons de la stabilité à ces excédants de revenus, et je crois que cela est beaucoup plus sage que de diminuer nos revenus, de manière à ne plus pouvoir créer de nouvelles sources de prospérité publique.
M. Sabatierµ. - Les honorables membres qui ont pris la parole dans cette discussion se sont empressés tout d'abord de remercier M. le ministre des finances au sujet de la présentation qui a été faite, au début de cette séance, d'un projet de loi sur la suppression du droit de barrières. Je me joins très volontiers à ces honorables membres et je dirai que si j'agissais autrement, en ma qualité de député de l'arrondissement de Charleroi, ce serait de ma part de l'ingratitude. Chacun sait, en effet, que les droits de barrières payés par les arrondissements industriels constituent un impôt élevé relativement à ce que rapportent ces droits dans les arrondissements purement agricoles.
(page 172) Les arrondissements de Charleroi, de Mons et de Liège produisent autant que les provinces d'Anvers, de Limbourg et de Luxembourg, ainsi qu'il résulte d'un rapport présenté à la Société agricole du Brabant au mois de mars I862.
Cela dit, j'aborde un autre sujet. Je désire présenter quelques observations sur la taxe postale et renouveler ici une proposition, que j'ai faite en sections du poids de la lettre simple que je voudrais voir élever à 15 grammes au lieu de 10, chiffre actuel.
La section centrale, comme vous avez pu le voir par le rapport de mon honorable ami M. Dewandre, s'est occupée longuement de la question postale. Cet honorable membre est entré dans des détails qui, je n'en doute pas, auront été remarqués.
Une section a demandé le complément de la réforme postale, c'est-à-dire la taxe de 10 centimes pour la lettre simple, quelle que soit la distance parcourue.
Une autre section a demandé que l'on étendît le rayon dans lequel la taxe de 10 centimes est perçue.
Enfin une section, celle à laquelle j'appartenais, s'est bornée à appeler l'attention de la section centrale sur l'utilité qu'il y aurait de porter à 15 grammes le poids de la lettre simple.
C'est pour défendre exclusivement cette dernière proposition et pour présenter au besoin un amendement qui la consacre, que j'ai principalement demandé la parole.
La section centrale constate, par quelques chiffres, quelle est aujourd'hui la hauteur des recettes de la poste. L'honorable rapporteur croit pouvoir induire du chiffre des recettes connues de 1865 et d'autres documents statistiques, que la recette nette des postes a atteint et dépasse môme le chiffre de 2 millions. Or, la loi du 22 avril 1849 porte, dans son article 10, que lorsque la recette aura atteint ce chiffre de 2 millions, le gouvernement sera autorisé à abaisser la taxe sur la lettre simple à 10 centimes, quelle que soit la distance parcourue.
Les chiffres posés par l'honorable rapporteur n' ont pas été examinés contradictoirement. L'honorable ministre des finances n'ayant pas été interrogé à l'égard de ces chiffres, aucune réponse officielle n'y a été faite, et nous ne pourrions évidemment pas nous prononcer dans l'espèce sans avoir entendu un organe du gouvernement. Je dois dire cependant que je doute fort que le chiffre de deux millions qui seul autoriserait une demande d'application de l'article 10 de la loi de 1849, soit atteint ; je suppose que l'honorable ministre des finances donnera sur ce point quelques explications.
Quant à moi, je crois devoir déclarer que la recette nette des postes dépassât-elle le chiffre de 2 millions, j'hésiterais encore à recommander à la Chambre de réclamer l'application immédiate de l'article cité.
On a invoqué l'intérêt du commerce ; c'est, je crois, l'honorable M. Vermeire qui a surtout insisté sur ce point. Mais il y a une chose que le commerce réclame constamment par l'organe des membres de la Chambre et des membres du Sénat ; c'est la création d'un plus grand nombre de bureaux de poste, et des distributions plus nombreuses des lettres. Voilà ce qui est plus intéressant pour le commerce qu'une réduction de taxe coupant court à toute dépense d'amélioration.
Sans doute il vaudrait infiniment mieux ne payer que 10 centimes, quelle que soit la distance parcourue. Mais il me paraît préférable d'améliorer sans cesse le service postal, de travailler à rendre très faciles les communications par correspondance, que de réduire la taxe, en n'augmentant plus les dépenses qui restent à faire, je le répète, pour l'amélioration du service des postes.
Je dois ajouter encore un mot sur les conséquences de la détaxe à 10 centimes ; c'est que toute réduction importante qui n'aurait pas pour conséquence un développement correspondant dans le nombre de lettres affecterait le fonds communal et je crois qu'aucun d'entre vous n'est tenté de loucher à ce fonds. Nous devons tendre, au contraire, à le faire progresser, pour que les moindres communes jouissent, dans une mesure de plus en plus large, des avantages attachés à la loi de 1859 abolitive des octrois. Or qui pourrait soutenir avec chance de succès que la taxe uniforme à 10 centimes n'amènerait pas un déficit sensible dans le chiffre des recettes ?
En 1858, la question du complément de la réforme postale a été très sérieusement soulevée dans cette enceinte. On prétendait aussi, à cette époque, que le chiffre de 2 millions de recette nette était dépassé. Le gouvernement démontra qu'il ne pouvait être question, pour invoquer l'application de l'article 10 de la loi de 1849, que des recettes des lettres ; que de plus il fallait tenir compte des frais de transport par chemin de fer et que, partant de ces bases, le chiffre de la recette que l'on croyait être supérieur à 2 millions n'était en fait que de 1,500,000 francs à peine.
Si je rappelle cette circonstance, c'est pour ajouter qu'alors une certaine satisfaction fut donnée aux défenseurs malheureux de la nouvelle réforme.
Les lettres adressées aux sous-officiers et aux soldats sous les drapeaux ont été taxées à 10 centimes seulement à toute distance.
C'est l'honorable ministre des finances lui-même qui présenta l'amendement relatif à cet objet et en fit l'art. 4 de la loi du budget des voies et moyens.
Aujourd'hui, si je ne me déclare pas partisan de la taxe uniforme à 10 centimes, je demanderai qu'une nouvelle satisfaction nous soit donnée.
Cependant, en 1858, on invoquait ce fait que c'étaient les grands établissements financiers, les maisons de banque, les maisons de commerce et la grande industrie qui profiteraient, avant tout, de la taxe uniforme à 10 centimes.
Il y a du vrai dans cet argument ; aussi est-ce un peu en faveur de ses grandes maisons et de ces établissements qui apportent un contingent si important dans la recette des postes, que je viens présenter ma proposition, d'élever à 15 grammes le poids de la lettre simple.
Voici les motifs à l'appui de ma demande :
D'abord, en Angleterre, le poids de la lettre simple est de 15 grammes.
En outre, dans tous nos traités internationaux, le poids de 15 grammes pour la lettre simple est admis. Et il en résulte de singulières anomalies. Ainsi une lettre expédiée de Bruxelles à Aix-la-Chapelle par exemple et pesant 15 grammes, paye 10 ou 20 centimes de moins qu'une lettre expédiée d'ici à Liège ou Verviers, et ne pesant que 10 grammes et demi ; Il y a là une anomalie évidente, et je crois que M. le ministre des finances voudra bien le reconnaître.
Je dirai encore que le ministre des travaux publics a réduit récemment de moitié le prix des exprès ; on peut expédier par chemin de fer, au prix de 50 centimes, des lettres pesant au delà de 15, 20 et 40 grammes, et l'on a l'avantage de recevoir ces exprès aussitôt l'arrivée des trains. Ici le service rendu est en rapport avec le prix, ou inversement, si l'on veut, le prix est en rapport avec le service rendu ; mais alors il saute aux yeux que pour les lettres dépassant 10 grammes, le prix dépasse de beaucoup le service rendu et que la demande de porter à 15 grammes le poids de la lettre simple n'a rien d'exagéré.
Peut-il y avoir de ce chef une perte sensible-pour le trésor public ? Je ne le crois pas, et voici pourquoi ; c'est qu'on s'ingénie à trouver le moyen de ne donner aux lettres que le poids de 10 grammes en employant le papier le plus mince possible. S'il s'agit de traites, on les trace également sur du papier très mince. Il en résulte une véritable gêne pour le commerce, sans bénéfice appréciable pour le trésor.
Je demande donc à l'honorable ministre des finances s'il verrait quelque inconvénient à introduire dans le budget un amendement par lequel seraient considérées comme lettres simples celles dont le poids ne dépasserait pas 15 grammes.
M. Van Overloopµ. - Je ne suis pas satisfait de la réponse de M. le ministre des finances aux observations de M. Lelièvre. Il me semble qu'en se plaçant au point de vue de la loi sur les successions, on doit arriver à une conclusion diamétralement opposée à celle à laquelle est arrivé M. le ministre des finances.
En fait, que se passe-t-il actuellement ? Un Belge meurt et délaisse des immeubles situés soit en France, soit en Hollande ; on prend ces immeubles pour établir l'actif de sa succession ; on en déduit le passif ; puis on perçoit le droit de succession sur l'actif net.
Cela paraît très juste, mais en est-il encore de même lorsqu'on a commencé par prélever à l'étranger un droit sur les immeubles situés hors du pays ?
Un seul exemple démontrera clair comme le jour que, dans ce cas, procéder comme on le fait, c'est violer le principe de la loi sur les successions, d'après lequel le droit ne doit être perçu que sur l'actif net.
Un individu délaisse, en pays étranger, un immeuble de 100,000 fr. et il a pour 50,000 fr. de dettes ; c'est donc sur 50,000 fr. qu'on perçoit le droit ; je suppose que ce droit soit de 5 p. c, par conséquent il aura à payer 2,500 fr. au trésor belge. Mais si l'on a déjà perçu, à l'étranger, sur le même immeuble un droit de 10 p. c., soit 5,000 fr., actif net ne sera plus de 50,000 fr. mais de 45,000 fr. et par conséquent, pour rester fidèle à la loi de 1817, il ne devrait payer que 2,250 fr., or, on lui fait payer 2,500 fr.
II me semble donc que le principe de la loi de 1817 exige qu'on ne paye pas sur la même propriété à l'étranger et en Belgique.
(page 173) Quant à la prime qui, d'après M. le ministre des finances, résulterait de ce système au profit de ceux qui possèdent des immeubles à l'étranger, elle n'eut pas admissible, et la raison en est fort simple : c'est que, partout dans les pays voisins, l'impôt foncier est plus élevé qu'en Belgique, et qu'on n'ira pas, pour échapper à un impôt à payer une fois, se soumettre d'une manière permanente à un impôt foncier plus élevé à payer annuellement.
Mais, messieurs, il y a plus : je suppose qu'une Française ou une Hollandaise épouse un Belge et devienne ainsi Belge elle-même ; elle meurt ; ses enfants, d'après ce que l'on vient de me dire, auront à payer le droit de succession en vertu de la loi belge, et de plus, ils auront à payer le droit de mutation soit en France, soit en Hollande. Eh bien, il me semble que cela constitue véritablement une iniquité et j'engage vivement M. le ministre des finances à méditer les observations faites, au commencement de la séance, par l'honorable M. Lelièvre.
MfFOµ. - L'honorable préopinant n'est pas satisfait des explications que j'ai données en répondant à l'honorable M. Lelièvre, et cependant, il résulte de l'ensemble des observations qu'il vient de présenter, qu'il admet le principe que j'ai défendu. Il reconnaît que l'on peut établir l'impôt sur l'actif net d'une succession et y comprendre les immeubles situés à l'étranger. Mais, dit-il, il y a lieu de déduire de l'actif la part d'impôt qui a été payée à l'étranger. Il concède donc le principe ; il reconnaît dès lorsque les explications que j'ai données sous ce rapport sont admissibles. Il indique seulement, quant au mode de perception de cet impôt, une modification à introduire.
Eh bien, cela est à examiner. Je ne sais jusqu'à quel point celui qui fait la déclaration pourrait comprendre dans son passif l'impôt qu'il a payé sur les immeubles situés à l'étranger. Mais enfin, c'est là un simple point de détail, qui n'infirme en rien le principe, admis par l'honorable M. Van Overloop.
Ce principe est effectivement juste, du moment qu'on admet l'actif net comme base du droit à payer.
Dès qu'il en est ainsi, vous devez nécessairement comprendre dans la succession tous les biens dont elle se compose, quels que soient les lieux où ils sont situés, et quel que soit l'impôt dont ils sont grevés au profit des Etats où ils se trouvent. N'arrive-t-il pas tous les jours que les mêmes biens sont soumis à des impôts différents ? N'est-ce pas ce qui se passe en France même ? La France a établi un impôt sur la négociation des valeurs mobilières, mais elle n'a pas restreint cet impôt aux valeurs mobilières créées en France et possédées en France : elle a frappé les titres ou les valeurs créés à l'étranger et existants à l'étranger.
On paye ce droit sur les titres de la dette publique, sur les obligations, sur les actions des compagnies, et il n'aurait pas pu en être autrement sans frapper de défaveur les valeurs mobilières françaises, sans donner une prime aux valeurs étrangères existant à l'étranger. (Interruption.) Permettez. Vous ne renoncez pas sans doute à votre droit de souveraineté, qui vous permet de frapper ces mêmes valeurs d'un impôt. Rien ne s'oppose à ce que nous établissions un droit sur les titres qui existent dans le pays. Dans cette hypothèse, on payerait donc de deux côtés. Il y a des cas où cela existe. En vertu de son droit de souveraineté, la France agit comme je viens de le dire ; en vertu de notre droit de souveraineté nous pourrions agir de même.
M. Vilain XIIIIµ. - Il faudrait faire un traité avec les Pays-Bas et la France pour qu'on ne paye pas sur des biens situés à l'étranger.
MfFOµ. - Comment voulez-vous que le gouvernement français, par exemple, consente à exonérer les biens situés en France et possédés par des Belges ? et comment voulez-vous que, de notre côté, nous consentions à exonérer les biens situés en Belgique et possédés par des étrangers ? Aucun pays ne peut consentir à une pareille mesure.
Il faudrait, pour faire droit aux critiques que l'on formule, modifier le principe même, et revenir à la loi de frimaire an VII, c'est-à-dire percevoir un droit de mutation. Mais le principe du droit de mutation est beaucoup moins juste que l'impôt sur les successions, et pour éviter des inconvénients qui ne peuvent se produire que dans des cas relativement assez rares, vous grèveriez nos nationaux d'un impôt bien plus lourd que le droit qui existe sur l'actif net de la succession.
L'honorable M. Van Overloop a créé l'hypothèse d'une femme française épousant un Belge, et il a dit que les biens qu'elle délaisserait à ses enfants payeraient deux fois le droit. L'honorable membre s'est trompé : dans le cas qu'il a indiqué, il n'y a pas de droit de succession à payer, mais un droit de mutation.
L'impôt qui nous occupe ne s'applique qu'aux successions collatérales. Or, dans les cas de l'espèce, la position des déclarants est bien moins intéressante. Tout le monde reconnaîtra que la succession collatérale est un accroissement de fortune, qui arrive sans que celui qui le reçoit y ait précisément un droit absolu. Sa position n'est donc pas tellement intéressante, qu'il faille déroger à un principe bon et juste en soi, pour des exceptions qui sont assez rares.
Je n'ai pas traité devant vous, messieurs, la question non de la réforme postale qui est faite, mais de l'abaissement de la taxe au taux uniforme de 10 centimes. Je m'en suis abstenu, bien que la question ait été abordée en sections, et examinée avec soin par le rapporteur de la section centrale.
L'honorable rapporteur a raisonné sur certains chiffres. J'aurais dû, pour établir une discussion sérieuse, rectifier ces chiffres, qui reposent, pour la plupart, sur des erreurs qui, je m'empresse de le déclarer, ne sont pas imputables à l'honorable membre ; il a pris ses chiffres dans la statistique ; mais il y a des rectifications à faire, comme cela arrive fréquemment.
Pour citer un exemple, il a raisonné à l'aide de chiffres statistiques pour établir que la progression des lettres à 10 centimes avait été plus forte que la progression des lettres à 20 centimes. Il en tire un argument en faveur de l’abaissement de la taxe. Or, il se trouve que les chiffres sur lesquels on a raisonné comprennent 300,000 lettres qu'il faut déduire de la statistique des lettres à 10 centimes. Ces lettres sont celles qui, n'ayant pas été affranchies, ont été frappées de la taxe à 20 centimes et qui, par conséquent, ne peuvent servir d'élément pour apprécier le mouvement des lettres à 10 centimes.
Il y aurait encore d'autres erreurs à signaler, mais le moment ne paraît pas opportun pour examiner de nouveau celle question.
Je pense qu'en présence de l'assentiment, pour ainsi dire unanime que rencontre la proposition que nous soumettons à la Chambre de réduire nos recettes de 1,500,000 francs, il n'y a pas lieu de s'occuper de nouvelles réductions de cette nature.
L'honorable M. Sabatier a demandé, en appuyant l'ajournement de toute espèce de réduction, que l'on introduisît des améliorations dans le service de la poste, ce qui lui a paru préférable à un abaissement de la taxe. Je suis d'accord avec lui à cet égard, et c'est également l'opinion de l'honorable ministre des travaux publics.
Améliorer le service postal est une chose essentielle, et le département des travaux publics n'a pas cessé de s'en occuper. Des crédits ont été demandés pour atteindre un résultat si désirable. D'autres pourront être sollicités encore. Nous sommes tous d'avis que la multiplicité des distributions, l'augmentation du nombre des bureaux, constituent des services bien plus grands dans les circonstances actuelles que l'abaissement de la taxe. Mon honorable collègue me dit que le budget des postes a été augmenté sous son administration de 1,200,000 francs.
On a demandé si l'on ne pourrait au moins porter le poids de la lettre simple à 15 grammes au lieu de 10.
C'est une question dont l'administration des travaux publics s'est occupée ; elle s'occupe également d'autres améliorations à introduire dans le service, et entre autres des expéditions d'argent.
Toutes ces questions feront l'objet d'un examen approfondi, et l'honorable ministre des travaux publics aura de ce chef des propositions à soumettre à la Chambre dans un délai qui ne sera pas très éloigné. L'objet indiqué par l'honorable M. Sabatier sera compris dans ces propositions.
M. Sabatierµ. - Ce sera dans le courant de la session actuelle ?
MfFOµ. - Oui, très probablement.
M. Lelièvreµ. - Je me bornerai à ajouter une seule observation aux motifs développés par l'honorable M. Van Overloop relativement aux immeubles situés en pays étranger.
Sur quoi est fondé le droit de succession ? Sur la mutation qui s'opère au profit de l'héritier. L'impôt a son fondement dans la protection que la loi accorde à la propriété passée dans les mains de l'héritier. Or, la loi belge ne protège pas la propriété située en pays étranger. Cette propriété n'est pas régie par les lois de notre pays, elle n'est protégée que par la loi étrangère. Par conséquent l'impôt ne doit être payé que dans le lieu de la situation. Cela est si vrai que la succession des immeubles situés à l'étranger est réglée conformément aux lois étrangères et non pas conformément aux lois belges. Il y a autant de successions qu'il y a de territoires différents.
Il est donc impossible qu'on paye en Belgique un impôt qui suppose une protection non existante dans l'espèce. Aussi la loi de 1817, qui a introduit la disposition que je combats, était fondée non sur le droit commun, mais sur des considérations politiques particulières au système du gouvernement du roi Guillaume. On voulait empêcher les Belges d'acquérir des propriétés à l'étranger. Aujourd'hui les motifs politiques (page 174) n'existent plus. Je persiste donc à soutenir qu'il y a lieu à révision de la loi de 1817. Il faut suivre pour le droit de succession les règles adoptées pour le droit de mutation par la loi de 1857 relative à la ligne directe, loi qui restreint l'impôt aux immeubles situés en Belgique.
Pour le surplus, je me joins aux préopinants pour féliciter le gouvernement de la présentation du projet de loi relatif à la suppression du droit de barrière. C'est un progrès depuis longtemps attendu qui sera accueilli avec la même faveur que la loi qui a supprimé les octrois.
M. Sabatier. — Messieurs, je remercie l'honorable ministre des finances de la réponse qu'il vient de me faire.
L'honorable ministre des finances a bien voulu me répondre que non seulement le poids de 15 grammes serait admis comme étant celui de la lettre simple, que d'autres améliorations encore seraient soumises à l'approbation de la Chambre dans le cours môme de cette session ; je n'insiste donc pas.
Puisque j'ai la parole, j'en profiterai pour présenter l'observation consignée dans le rapport de la section centrale et qui concerne la Banque Nationale.
On a demandé que la Banque publie chaque semaine un état de sa situation.
La raison alléguée, c'est que cette situation indique à qui se rend compte des chiffres, si le taux d'escompte peut être abaissé, doit être maintenu ou élevé.
L'article 13 de la loi qui institua la Banque Nationale porte que la Banque est obligée d'avoir en caisse le tiers ou le quart des billets en circulation augmenté du chiffre des comptes courants.
Si la situation de la Banque était publiée hebdomadairement comme cela se fait en France, en Hollande et en Angleterre, le public serait initié plus complètement à une position qui l'intéresse vivement. Il pourrait apprécier mieux les résolutions que prend la Banque relativement au taux de l'escompte. Les écarts que doit subir ce taux seraient mieux compris ; le commerce en retirerait un enseignement et saurait ce qu'il lui paraît prudent de faire des valeurs en portefeuille ; s'il faut les escompter de suite ou attendre.
La loi autoriserait jusqu'à un certain point la Banque Nationale à opposer une résistance à cette demande, puisque la publication mensuelle de la situation est seule obligatoire, mais je ne mets pas en doute que M. le ministre des finances obtienne que cette situation soit produite dans les délais que j'ai indiqués, ou tous les 10 jours si on le préfère.
Je demanderai également si la Banque Nationale ne pourrait pas indiquer en même temps le montant des effets sur l'étranger ; ces effets pouvant être réalisés du jour au lendemain peuvent être un élément qu'il est utile de connaître pour apprécier mieux encore la situation de la Banque.
MfFOµ. - Comme vient de le dire l'honorable M. Sabatier, la loi n'impose à la Banque Nationale l'obligation de publier ses états de situation que mensuellement. Je me suis empressé de transmettre à l'administration de cet établissement le vœu qui a été émis au sein de la section centrale, afin d'obtenir une publication plus fréquente.
Je suis disposé à croire que cette mesure serait utile aux particuliers et favorable à la Banque elle-même, en ce que le public, mieux initié à sa véritable situation, ne serait pas aussi facilement porté à l'accuser de maintenir sans nécessité l'escompte à un taux élevé. J'espère que la Banque pourra déférer au vœu qui a été manifesté ; mais je pense qu'elle rencontrera quelques difficultés matérielles. Pour établir une situation, il faut se livrer à des travaux qui obligent de suspendre les écritures pendant quelque temps.
Cet inconvénient devient plus sérieux si l'opération doit se renouveler à des intervalles assez rapprochés, surtout si l'on veut donner une situation approfondie, et non une simple situation approximative. Mais j'examinerai s'il n'y aurait pas moyen de concilier les choses, et d'arriver à donner, outre la situation complète qui est publiée mensuellement, des situations établies à des époques intermédiaires, et suffisamment approximatives pour permettre d'apprécier facilement l’état réel de la circulation et de l'encaisse.
-La discussion générale est close.
M. Dewandreµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi qui ouvre des crédits provisoires aux divers départements.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
MpVµ. - Nous passons à la discussion des articles du budget des voies et moyens.
« Foncier.
« Principal : fr. 15,944.527.
« 3 centimes additionnels ordinaires : fr. 478,335
« 2 centimes additionnels pour non-valeurs : fr. 318,890
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,594,452
« 5 centimes additionnels supplémentaires sur le tout : fr. 50,086. »
- Adopté.
« Personnel.
« Principal : fr. 10,050,000.
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 1,005,000.
« Frais d'expertise : fr. 45,000. »
- Adopté.
« Parente
« Principal : fr. 5,900,000.
« 10 centimes additionnels extraordinaires : fr. 590,000.
« Droit de débit des boissons alcooliques : fr. 1,390,000.
« Droit de débit des tabacs : fr. 225,000. »
- Adopté.
« Redevances sur les mines
« Principal : fr. 337,000.
« 10 centimes additionnels ordinaires pour non-valeurs : fr. 33,700.
« 5 centimes extraordinaires sur la redevance proportionnelle pour frais de confection d'une carte générale des mines : fr. 10,000. »
« 5 centimes sur les trois sommes précédentes pour frais de perception : fr. 19,300. »
- Adopté.
« Douanes
« Droits d'entrée : fr. 13,000,000.
« Droits de sortie : fr. 50,000.
« Droits de tonnage : fr. 15,000. »
- Adopté.
« Accises
« Sel : fr. 5,400,000.
« Vins étrangers : fr. 2,080,000.
« Eaux-de-vie indigènes : fr. 7,000,000.
« Eaux-de-vie étrangères : fr. .26,000.
« Bières et vinaigres : fr. 8,580,000.
« Sucres de canne et de betterave : fr. 3,900,000.
« Glucoses et autres sucres non cristallisables : fr. 20,000
— Adopté.
(page 175) « Garantie
« Droits de marque des matières d'or et d'argent : fr. 260,000. »
- Adopté.
« Recettes diverses.
« Droits de magasin des entrepôts, perçus au profit de l'Etat : fr. 200,000.
« Recettes extraordinaires et accidentelles, recouvrement de frais de vérification de marchandises, etc. : fr. 25,000. »
- Adopté.
« Droits, additionnels et amendes.
« Enregistrement (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 14,300,000.
« Greffe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 280,000.
« Hypothèques (principal et 25 centimes additionnels) : fr. 2,600,000.
« Successions (principal et 50 centimes additionnels) : fr. 9,600,000.
« Droit de mutation en ligne directe (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 1,700,000.
« Droit dû par les époux survivants (principal et 30 centimes additionnels) : fr. 200,000.
« Timbre : fr. 3,850,000.
« Naturalisations : fr. 5,000.
« Amendes en matière d'impôts : fr. 170,000.
« Amendes de condamnations en matières diverses : fr. 150,000. »
- Adopté.
« Domaines. Rivières et canaux : fr. 2,200,000. »
M. Delaetµ. - Au détail du libellé « Péages sur rivières et canaux » figure une somme de 37,734 fr. 15 c. comme produit du service de passage par bateau à vapeur entre Anvers et la Tête de Flandre. C'est le chiffre indiqué pour l'année 1862 ; les annexes du budget n'indiquent pas le chiffre des années postérieures ; mais que le produit se soit élevé ou ait été amoindri, mon intention n'est pas de demander que le passage d'eau entre Anvers et la Tête de Flandre soit compris dans la diminution de 500,000 francs que le gouvernement se déclare prêt à opérer sur les péages.
Toutefois si je ne puis pas m'inscrire contre l'élévation du chiffre, je veux faire observer à la Chambre qu'il existe à Anvers une anomalie, justifiée, je le veux bien, par la lettre des décrets qui règlent la matière, mais peu conforme à l'esprit de ces décrets. La rade d'Anvers a du côté de la rive droite une étendue de 2,400 mètres, c’est-à-dire de près de 1/2 lieue, et sur la rive gauche la partie oh l'on peut avoir affaire à une étendue de 900 mètres. Cet espace de près de trois quarts de lieue est frappé d'une servitude absolue, grâce à l'existence d'un service de bateaux à vapeur.
Du nouveau bassin à la station du chemin de fer du pays de Waes il y a 2,400 mètres ; or, même à cette distance de l'embarcadère il est strictement défendu de passer en bateau pour se rendre d'une rive à l'autre, l'Etat s'étant non seulement réservé le monopole du service régulier, mais ayant défendu de passer en barque, sans billet, même dans des cas spéciaux et sur quelque point de la rade que ce soit.
Depuis longtemps cet état des choses donne lieu à des plaintes légitimes. Dans la dernière session, mon honorable ami M. Jacobs a attiré votre attention sur ce point, et sa parole a été accueillie par une espèce d'incrédulité générale. On ne pouvait pas comprendre qu'une rade aussi active, aussi fréquentée que celle d'Anvers, fût frappée d'une servitude absolue.
Nos affirmations, messieurs, n'ont pas convaincu tout le monde, et j'ai saisi l'occasion qui m'a été offerte de faire constater, non seulement devant cette Chambre mais devant le pays tout entier, la façon rigoureuse dont le fisc y maintient son droit.
L'année dernière, accompagné d'un des honorables membres de cette Chambre, j'ai loué une barque pour faire une promenade sur le fleuve. Après avoir visité la citadelle du nord au village d'Austruweel, nous avons remonté le fleuve ; nous sommes montés à bord du Sacramento, vaisseau de guerre américain alors en rade ; puis poussant jusqu'à la Tête de Flandre, nous y avons atterri quelques minutes pour jeter un coup d'œil sur le fort, et nous sommes revenus en ligne droite à Anvers.
A notre départ, messieurs, on a exigé que nous allassions prendre des billets de passage à un bureau situé à 200 mètres de là. Il y avait là une excellente occasion de faire la constatation que je désirais : aussi l'ai-je mise à profit et me suis-je refusé à payer, dans la certitude d'avoir à acquitter l'amende et d'obtenir ainsi une preuve irrécusable de la réalité du fait que nous avions dénoncé à la Chambre dès l’année dernière.
Je comprends parfaitement du reste l'incrédulité de la Chambre, je comprends qu'elle puisse ne pas admettre qu'à une rade, qui n'est en quelque sorte qu'un avant-port, on applique un décret qui a été fait pour le passage de simples cours d'eau dans des endroits isolés.
Les auteurs du décret ont voulu que l'Etat se chargeât d'assurer le service du passage des canaux et des rivières partout où ce passage ne pouvait pas être assuré d'une autre façon, et dans des conditions suffisantes de régularité et de sécurité pour les passants. Or, il est évident que ces motifs n'existent sous aucun rapport à Anvers.
Il n'est pas douteux que l'industrie privée ne se chargeât du service si, comme j'en prévois la menace, le gouvernement vous proposait d'y renoncer. Ainsi, nous n'avons pas, comme à Ostende, un service de remorque à vapeur, qui met en perte le trésor public, et nous possédons deux compagnies privées qui font ce service à l'entière satisfaction des commandants de navires de commerce et non sans profit pour leurs actionnaires.
Quant à la sécurité des personnes qui doivent passer l'eau, l'Etat ne s'en préoccupe pas le moins du monde, puisqu'il est parfaitement libre à quiconque de prendre une barque, de sillonner l'Escaut dans tous les sens et quelque temps qu'il fasse ; mais, dès l'instant qu'on aborde à la Tête de Flandre il faut payer.
Voici le résultat que donne le monopole : quand on se trouve aux nouveaux bassins, on est à une demi-lieue du débarcadère du pays de Waes, et il faut aller jusque là, c'est-à-dire remonter les quais de l'Escaut à plus de 2,400 mètres pour pouvoir passer à l'autre rive. De la tête de Flandre à la cale sèche de M. Marguerie, il faut parcourir 900 mètres, près d'un quart de lieue" sur une digue toujours boueuse en temps de pluie ; et ce dans le seul but d'assurer à l'Etat l'exercice de son monopole.
Encore peut-on se demander jusqu'à quel point ce monopole est légal dans les conditions où il s'exerce ? Pour justifier le monopole il faudrait que le bateau fût absolument, exclusivement destiné à un service public. Il n'en est pas ainsi, tant s'en faut. Le bureau de perception du droit de passage et l'embarcadère public sont établis à une distance de 400 à 500 mètres de la station du pays de Waes et le bateau, dans la règle, y doit faire la traversée de demi-heure en demi-heure. Mais ce bateau ne dessert pas seulement le passage public ; il fait aussi le service particulier du chemin de fer du pays de Waes et doit se trouver à l'embarcadère spécial de ce railway, rive droite, un quart d'heure avant le départ de chaque convoi, et, rive gauche, dix minutes avant chaque arrivée des trains venant de Gand.
Qu'en résulte-t-il ? C'est que très fréquemment quand on croit n'avoir qu'à prendre le bateau à l'embarcadère public, on est obligé de perdre un temps souvent précieux avant de pouvoir passer à l'autre rive, le bateau, soustrait au service public en faveur d'un service particulier, se trouvant à une distance trop grande pour être franchie en 5 ou 6 minutes.
M. Debaets. - Il m'est arrivé d'attendre une heure et demie.
M. Delaetµ. - Cela nous arrive assez fréquemment.
Les inconvénients résultant de cet état de choses sont tellement graves que le gouvernement, et je ne puis que l'approuver en cela, a cru devoir faire une exception en faveur du propriétaire de la cale sèche de la rive gauche, de M. Marguerie, à qui l'on a permis d'organiser son propre service moyennant un abonnement. Seulement s'il arrive que de la rive droite on veuille passer à la cale sèche et que la (page 176) barque de M. Marguerie se trouve à la rive gauche, le fisc intervient de nouveau pour empêcher qu'on ne se serve d'une embarcation de louage.
Il suffira, je pense, d'avoir appelé l'attention du gouvernement sur cet état des choses pour qu'il cherche à y remédier. S'il ne l'a pas fait déjà, j'aime à attribuer son inaction plutôt à un oubli qu'à la résolution nettement arrêtée de ne rien faire. L'Escaut, devant Anvers, n'est pas dans le cas des rivières et des canaux où l'on a établi des bacs ou bateaux de passage pour assurer les communications de l'une à l'autre rive. Les relations y sont si nombreuses, si incessantes, que l'Etat ne perdrait absolument rien à la mesure que nous réclamons. Quelle concurrence l'Etat pourrait-il avoir à redouter alors que le passage par le bateau à vapeur ne coûte que douze centimes, et qu'en moyenne il faut payer deux francs à des bateliers pour se faire passer de l'une à l'autre rive ?
Je pense donc qu'il n'y a pas lieu d'insister davantage pour déterminer le gouvernement à affranchir l'Escaut en large après qu'il a été affranchi en long il y a deux ans. Du reste, quand même une légère diminution de recette serait le résultat de la mesure que nous réclamons, ce n'est pas une considération de cet ordre qui puisse arrêter le gouvernement aujourd'hui qu'il fait le sacrifice de 500,000 francs sur le produit du péage des canaux et rivières, et que surtout il vient de nous soumettre l'excellente loi, que je voterai avec bonheur, décrétant la suppression des droits de barrières sur les routes de l'Etat, mesure qui entraîne encore un sacrifice de près d'un million et demi. Ce n'est pas la perspective, incertaine d'ailleurs, d'une diminution de quelques francs sur le produit du passage de la Tête de Flandre qui pourra l'engager à maintenir sur la rade d'Anvers une servitude qui n'est véritablement plus de notre époque.
M. T’Serstevensµ. - Au moment où le gouvernement s'occupe de fournir les moyens de transport nécessaires à l'industrie et au commerce sur les chemins de fer de l'Etat et sur les lignes particulières, au moment oh il nous propose de supprimer les droits de barrières sur les routes de l'Etat, je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il s'est préoccupé de certains vœux émis par la commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant réduction des péages sur les voies navigables.
Nous savons tous que le halage forme le coût principal du fret ; pour réduire ces frais, la commission demandait que le gouvernement voulût étudier l'application au halage du touage à la vapeur.
Elle demandait un tarif, un indicateur international, indiquant le taux des péages en Belgique, en France et en Hollande, le tirant d'eau et la dimension des écluses des canaux de ces divers pays, pour que l'expéditeur puisse calculer exactement ses frais de transport, et savoir le tonnage du navire qu'il pourrait charger.
Enfin elle demandait que le péage pût s'acquitter aux principaux ports d'embarquement pour le parcours total des navires.
Je me borne à rappeler ces vœux, qui ont pour but d'augmenter le trafic sur les voies navigables. J'espère que le gouvernement a examiné ces différentes questions, qu'il pourra nous faire connaître le résultat de ses études, et nous annoncera la réalisation prochaine dé quelques uns de ces vœux.
M. Dumortier. - Messieurs, j'ai eu l'honneur, au commencement de la session, d'adresser à M. le ministre des travaux publics une interpellation pour savoir quand la route directe de Bruxelles à Tournai serait ouverte.... (Interruption.)
- Une voix. - Sommes-nous au chapitre des chemins de fer ?
MpVµ. - Non, la Chambre discute en ce moment l'article « Canaux et rivières ».
M. Dumortier. - Je parlerai tout à l'heure.
- Des membres. - Continuez, puisque vous avez commencé !
M. Dumortier. - Je continuerai, si la Chambre m'y autorise. (Oui ! oui !) M. le ministre des travaux publics devant répondre à l'interpellation de l'honorable M. T'Serstevens, pourra répondre en même temps à la mienne.
Je disais donc qu'au commencement de la session, j'avais demandé à M. le ministre des travaux publics, pourquoi le chemin de fer direct de Bruxelles à Tournai n'était pas mis en exploitation ; j'ajoutais qu'une des deux voies était complètement terminée et que rien n'était plus facile que de la mettre en exploitation ; l'honorable ministre des travaux publics voulut bien promettre alors que l'autorisation nécessaire serait accordée dans un très bref délai, et cependant aucune décision n'est intervenue jusqu'ici. On nous a dit qu'il fallait placer les fils télégraphiques ; depuis lors, on a placé ces fils ; et rien au monde ne peut plus s'opposer à la mise eu exploitation de la ligne. Nous voici au cœur de l'hiver ; il est sans doute à désirer que ceux des membres de la Chambre qui habitent Tournai ne soient pas obligés, pour se rendre chez eux, d'aller aux portes de Mons et de prendre de là la route de Tournai. Je pense que M. le ministre de la justice est d'accord avec moi et avec ses collègues de la députation de Tournai sur ce point.
MfFOµ. - Messieurs, j'ai écouté avec un vif intérêt la relation du voyage de circumnavigation entrepris par l'honorable M. Delaet, qui, parti pour explorer la citadelle du Nord, est allé visiter ensuite le Sacramento. J'ai entendu aussi avec beaucoup de plaisir comment l'honorable membre avait contesté le droit de passage d'Anvers à la Tête de Flandres qui est dû à l'Etat, bien qu'il sût d'avance devoir être condamné de ce chef par les tribunaux.
Mais je ferai remarquer à l'honorable membre qu'il ne s'est pas bien rendu compte de la question qu'il a jugé bon de porter devant la Chambre : il a supposé que le gouvernement était investi du monopole des passages d'eau dans un intérêt fiscal. Or, il n'en est rien. Ce n'est pas dans un intérêt fiscal que la loi a donné au gouvernement le monopole des passages d'eau, c'est dans un but d'utilité publique, c'est afin d'assurer les communications, autant que possible, là où elles sont interceptées par des cours d'eau.
Le droit de passage est la rémunération de ce service. L'Etat perçoit-il plus que le service rendu ? Point du tout ; l'honorable M. Delaet croit-il que l'Etat ferait une grande perte s'il renonçait à son passage d'eau à Anvers ? Croit-il que l'Etat fasse là une espèce d'affaire, de trafic ?
M. Delaetµ. - Je n'ai pas dit cela ; j'ai dit que je viens demander, non pas l'abaissement du péage, mais l'abolition de la surtaxe.
MfFOµ. - Je vous comprends parfaitement ; vous demandez que l'Etat continue à avoir une charge, mais qu'il ne soit pas indemnisé ; en un mot, que l'on puisse éluder le péage ; vous voulez obliger l'Etat à faire le service du passage d'eau, et les contribuables en général à payer les frais de ce service.
Messieurs, le produit des bacs, bateaux et passages d'eau est d'environ 43 mille francs ; le produit des bateaux à vapeur employés entre Anvers et la Tête de Flandre est d'environ 37,000 francs, tandis que la dépense s'élève à 54,647 francs ; enfin, l'ensemble de tous les services de passages d'eau coûte à l'Etat 79,647 francs et lui rapporte 80,000 francs.
Voilà la situation. Il n'y a donc pas là de trafic de la part de l'Etat. Ce n'est pas en vue d'un lucre que le monopole lui a été remis, monopole qu'il exerce depuis la loi de frimaire an VII, si pas auparavant.
Nous ne demandons pas mieux que de supprimer le passage d'eau à la Tête de Flandre. Si l'honorable M. Delaet croit que des particuliers se chargeront d'opérer ce service, s'il pense que l'intervention de l'Etat est là inutile, nous supprimerons le passage d'eau, et nous laisserons aux particuliers ou à la ville d'Anvers, si elle le trouve bon, le soin d'établir un service entre cette ville et la Tête de Flandre. L'Etat n'a aucun intérêt à maintenir ce service qui le constitué en déficit chaque année, déficit qui est ainsi supporté par l'ensemble des contribuables.
Sérieusement, messieurs, y a-t-il cependant un motif pour changer cette situation ? Je ne le crois pas ; je pense que, dans l'intérêt des communications d'une rive à l'autre, il importe qu'un bon service continue à subsister, bien qu'il soit onéreux à l'Etat, et qu'on n'aggrave pas I» situation en permettant d'éluder le passage. C'est là, au fond, ce que demande l'honorable M. Delaet.
M. Delaetµ. - Messieurs, je ne m'attendais pas à la réponse que vient de me faire M. le ministre des finances. On avait dit que le motif pour l'Etat de ne pas supprimer la servitude, était la perte subie sur le service.
Cette perte a été de 15,000 fr. en 1862, dernier chiffre qu'on nous renseigne dans les annexes.
M. le ministre des finances vous a d'abord dit que ce n'était pas dans un intérêt fiscal, mais dans un intérêt public, que l'Etat desservait le passage. Pourtant, toute son argumentation a porté sur l'intérêt fiscal contre l'intérêt public.
Ainsi, l'intérêt public exige que la rade puisse être librement pratiquée, que le passage d'une rive à l'autre soit libre. Car, comme l'a très bien dit tout à l'heure mon honorable ami M. Debaets, quand on est arrivé au débarcadère et qu'on espère passer, on attend quelquefois une heure ou une heure et demie que le service tout à fait particulier du chemin de fer du pays de Waes laisse le bateau à la disposition du public.
Maintenant, d'où provient le déficit ? Je ne veux pas rechercher si le service de ce bateau à vapeur est fait aussi économiquement que (page 177) pourrait le faire l'industrie privée. Nous savons tous que l'Etat paye toujours plus cher que les particuliers. Donc déjà, au point de vue des frais, il faudrait défalquer ceque l'Etat paye en plus que l'industrie privée. Mais, en second lieu, le bateau à vapeur dessert le mouvement des troupes. Or, ce mouvement est très considérable, parce que la cible se trouve sur la rive gauche ; aussi très souvent le bateau est-il encombré de militaires.
J'ai demandé des renseignements à M. le ministre des finances et il en résulte que, l'année passée, les militaires ont payé 60 francs. Mais je ne comprends pas même d'où ces 60 francs peuvent provenir, puisqu'une note, qui m'a été fournie par M. le ministre des affaires étrangères dit :
« L'article 78 de l'arrêté royal organique du 14 mai 1843 est ainsi conçu :
« Les militaires voyageant isolément seront exempts des droits sur le vu bon à passer qu'auront apposé sur leur feuille de route, avec leur cachet et leur signature, les commandants de la place d'Anvers ou de la Tête de Flandre.
« Les troupes passant l'Escaut pour motifs de service, leurs bagages et effets seront affranchis de la taxe sur une déclaration par écrit délivrée par le commandant de la place d'Anvers et de la Téêe de Flandre. »
Ainsi, les troupes ne doivent rien payer d'après l'arrêté royal, et il y a une recette de 60 fr. portée en compte, je ne sais comment.
Quoi qu'il en soit, le service public, le service en vue duquel nous subissons la servitude, se fait à des conditions assez chères. On paye, les jours ordinaires, 12 centimes, et les jours de marché, le mercredi et le vendredi, 6 centimes. Mais l'administration du chemin de fer du pays de Waes a avec l'Etat un contrat en vertu duquel elle absorbe, pendant la moitié de la journée, le service du bateau à vapeur et ne paye pour les passagers que 3 centimes, pour les chevaux 10 centimes, pour les bœufs et les vaches 10 centimes, etc.
Ainsi elle ne paye pas même moitié de la taxe ; elle n'en paye que le quart. Or, ce qu'a produit le chemin de fer du pays de Waes s'est élevé à 7,326 fr. en 1864. Si vous voulez bien tenir compte de ce chiffre et le quadrupler ; si, d'autre part, vous tenez compte aussi de ce que le budget de la guerre aurait à payer à l'industrie privée, le service du bateau ne laisse plus de déficit, au contraire. Si donc ce déficit est invoqué pour justifier le maintien du monopole, c'est au profit d'une compagnie particulière et du service de la garnison que nous restons grevés d'une servitude.
Le gouvernement nous dit : Nous supprimerons le service. Eh bien, oui, supprimez le service ; mais, dans ce cas, vous en supprimerez beaucoup d'autres.
Vous supprimerez entre autres votre service des postes entre Ostende et Douvres, pour lequel vous n'avez pas le monopole et qui vous crée un déficit colossal.
Voici quel est le compte du service entre Douvres et Ostende. J'ai pris, pour l'établir, dans le budget des recettes et dans le budget du ministère des affaires étrangères, les chiffres officiels.
Vous avez, pages 136 et 137 du budget des affaires étrangères :
« Personnel des paquebots : fr. 258,510. »
Et pages 138 et 139 :
« Entretien et renouvellement, avaries, accidents, houille, huile, graisse, voyages en dehors du service régulier, frais d'agence, masse d'habillement : fr. 587,760.
« Total : fr. 846,270. »
Le produit de la ligne a été, en 1864, de 428,893 fr.
La moyenne, pour les années 1860 à 1864, a été de 246,306 fr.
L'évaluation, pour 1866, est de 430,000 fr. (budget des voies et moyens, pghes 14 et 15).
En admettant que le chiffre de l'évaluation soit atteint, il y aura, du chef de ce service, une perte de 416,270 fr.
Je ne veux pas même parler ici du bateau de remorque sur lequel vous faites une perte de 8,000 fr., lorsque à Anvers le même service, établi par des compagnies privées, qui se font concurrence, fournit des bénéfices.
Mais que lorsque vous subissez une perte de près d'un demi-million sur le service des bateaux entre Douvres et Ostende, lorsque vous réduisez de 500,000 francs les péages sur les canaux et rivières, lorsque vous abolissez les barrières et sacrifiez ainsi un million et demi, vous veniez nous dire qu'un déficit de 15,000 francs vous porterait à supprimer le service du bateau à vapeur entre Anvers et la Tète de Flandre, nous ne pouvons que vous répondre que cela n'est pas sérieux.
Non, cela n'est pas sérieux ; et si vous voulez laisser subsister ce servage de l'Escaut en large, lorsque vous l'avez supprimé en long, c'est que vous ne voulez pas, je vous le dis franchement, que rien de ce que vous demande Anvers, par notre organe, lui soit accordé.
MfFOµ. - Messieurs, je ne sais pas si je me suis mal exprimé ; mais, à coup sûr, l'honorable membre ne m'a pas compris.
Il a voulu réfuter une prétendue objection que je lui aurais faite, à savoir que le service étant en déficit, on y renoncerait uniquement pour ce motif. Là-dessus, il s'est livré à d'assez longues digressions pour établir que d'autres services que fait l'Etat sont également en déficit, et que si l'on ne voulait pas supprimer le péage, ou plutôt, comme il le dit, supprimer la servitude qui existe à Anvers, c'était par hostilité contre cette ville. Le ministère, a-t-il dit en terminant, ne veut absolument rien accorder de ce que je lui demande pour Anvers.
Mais, messieurs, l'honorable M. Delaet ignore-t-il que ce même service de bateaux existe sur tous nos cours d'eau, qu'il n'est pas spécial à Anvers ?
M. Delaetµ. - Il n'y a pas de rade ailleurs.
MfFOµ. - Il y a des bacs, des bateaux de service, des passages d'eau sur tous nos fleuves et sur toutes nos rivières, qui sont exactement dans les mêmes conditions.
M. Delaetµ. - Non.
M. Allard. - Comment, non ? Cela existe aux portes de Tournai.
MfFOµ. - Ainsi, l'Escaut et la Meuse n'ont pas de passage d'eau ?
M. Delaetµ. - Pas sur des rades. Une rade n'est pas un passage d'eau ordinaire.
MfFOµ. - Qu'importe ? Il y a un service de passage d'eau pour aller d'Anvers à la Tête de Flandre, comme il y a d'autres passages d'eau pour aller d'une rive à l'autre. Donc ce que vous dites n'a pas de fondement.
M. Delaetµ. - Je réponds à votre menace de suppression.
MfFOµ. - Je n'ai pas indiqué qu'à raison du déficit il faudrait supprimer le service ; j'ai voulu vous faire comprendre que ce n'est pas en vue d'un bénéfice que les services de passage d'eau sont établis ; ils le sont uniquement en vue de l'intérêt public, et si vous croyez que l'intérêt public exige qu'on laisse ces services à l'industrie privée, nous ne nous opposerons pas à leur suppression, pour autant que la Chambre y consente. Mais je ne me suis pas le moins du monde fond » sur le déficit que présente spécialement le passage d'Anvers, pour déclarer qu'il fallait le supprimer. Voilà l'exacte vérité.
Que veut cependant l'honorable membre ? Veut-il que le service soit maintenu, et que l'on puisse passer sans payer ? (Interruption.) Je n'y comprends vraiment rien. (Interruption.) Ah ! passer dans d'autres bateaux, mais sans payer. Eh bien, c'est précisément à cela que je réponds, en disant : Supprimez donc le service du passage par les soins et aux frais de l'Etat.
M. Jacobsµ. - Cela nous est égal.
MfFOµ. - Eh bien, faites la proposition ; la Chambre statuera. Je ne vois, quant à moi, aucune espèce de difficulté à cette suppression. Seulement, j'avoue que je ne parviens pas à découvrir l'intérêt que l'on peut avoir à la demander : Il y a un bon service, il n'est pas établi dans un intérêt fiscal, mais uniquement dans l'intérêt public ; il est même onéreux pour l'Etat. L'Etat ne peut cependant rien faire gratuitement ; quand l'Etat méconnaît ce principe, cela signifie qu'il fait payer pour les uns les services rendus à d'autres. Il vaut donc bien mieux faire payer le passage d'eau par ceux qui en profitent, que de le faire payer par la généralité des contribuables, à la plupart desquels il n'importe en aucune façon.
L'honorable membre veut que tout particulier puisse établir un service de passage en concurrence avec l'Etat ! Mais cela pourrait s'appliquer aussi à la poste ; pourquoi ne dites-vous pas : maintenez votre poste avec des bureaux dans toutes les localités, mais permettez-nous de vous faire concurrence. (Interruption.) Cela pourrait, comme on le dit, s'appliquer aussi aux télégraphes. Toute la question est de savoir si le service public dont il s'agit répond bien au but pour lequel il a été établi.
M. Delaetµ. - Non !
MfFOµ. - Alors proposez-en la suppression, mais ne demandez pas quelle service soit maintenu et qu'on puisse ne pas payer la taxe.
(page 178) M. Delaetµ. - Il me sera très facile de donner des éclaircissements à M. le ministre des finances.
Je ne demande pas que le bateau à vapeur soit supprimé ; je ne m'oppose pas non plus à la suppression si le ministère veut la proposer.
- Un membre. - Proposez-la.
M. Delaetµ. - Je n'ai rien à proposer ; mais j'ai à constater que l'intérêt public, que l'on invoque avec tant d'instance, n'est pas du tout satisfait. Le bateau à vapeur qui existe aujourd'hui dessert une compagnie particulière, celle du pays de Waes et le déficit que l'on signale provient des transports militaires gratuits et des avantages très considérables qui ont été faits à cette compagnie.
MfFOµ. - C'est dans l'intérêt public.
M. Delaetµ. - Dans l'intérêt des voyageurs du pays de Waes. (Interruption.) Vous confondez à plaisir. L'intérêt de la compagnie du pays de Wars est de faire payer à ses voyageurs le moins cher possible.
Quant au public proprement dit, il paye 12 centimes les jours ordinaires et 6 centimes les jours de marché. Je ne me prononce pas sur ce tarif ; mais je dis que notre rade s'étend sur une ligne de 3/4 de lieue et qu'on soumet à une course de 3/4 de lieue les personnes qui en barque pourraient passer l'Escaut en 5 minutes. Et encore si l'on était sûr de trouver le bateau à l'embarcadère public ! Mais il n'en est rien ; le bateau est employé pour la société du Pays de Waes, pendant le même nombre d'heures à peu près qu'il l'est au service public. Vous maintenez un monopole. Or, si c'est dans l'intérêt public que vous le faites, n'empêchez pas ce même public de passer l'Escaut.
MfFOµ. - Qu'il acquitte 1« péage.
M. Delaetµ. - Mais le public, s'il consent à payer un service que vous ne lui rendez pas, que pendant la moitié de la journée vous êtes impuissant à lui rendre, s'il consent à payer en sus et très cher une barque à rames, ne peut pas seulement se procurer des cartes, à proximité des bassins. Vous auriez donc à établir trois ou quatre bureaux. Vous percevez le droit pour un service que vous ne rendez pas et par une inexplicable confusion, vous assimilez la rade d'Anvers à un petit canal, à une petite rivière ; pour la sécurité publique vous ne faites rien ; vous ne surveillez pas ; quand on paye, vous êtes satisfait.
Renoncez donc au monopole ; votre recette n'a rien à craindre de la liberté.
M. Debaets. - Messieurs, je n'ai qu'un simple mot à dire. Je ne puis pas admettre d'une manière absolue la théorie développée par M. le ministre des finances. En réalité l'état des choses à Anvers est intolérable. Sur une étendue de 3 kilomètres à peu près, il n'y a qu'un seul passage, et il faut fatalement, sous peine d'amende, prendre celui-là. J'admets d'un autre côté que le service de l'Etat doit être maintenu, mais il y a un moyen terme :
C'est ainsi que le gouvernement accorde, sur les grandes routes, sur les routes provinciales affluentes au chemin de fer et autres, des services de messageries.
Eh bien, ce service est aussi un monopole : il est défendu à tout le monde de faire un service en concurrence avec celui établi légalement. Mais il n'est défendu à personne de prendre sa propre voiture et de suivre la route tracée au service des messageries ni de prendre, pour un service exceptionnel et spécial, une voiture appartenant à une autre personne, même à un loueur. On peut. e servir de tout moyen de transport quelconque le long d'une route où est établi un service de messageries sans payer aucune taxe à ce service.
Le gouvernement a certainement le droit de conserver le monopole du transport des voyageurs sur l'Escaut, mais il est absurde d'exiger d'un négociant qui se trouve à 5 kilomètres du bureau des bateaux à vapeur, qu'il vienne à ce bureau, qu'il perde une demi-heure, une heure, et cela pour payer à l'Etat l'impôt de 12 centimes.
Du moment qu'un service quelconque s'établit en concurrence régulière avec le vôtre, frappez d'amende celui qui l'organise et celui qui s'en sert. Lorsque je passerai dans un cas exceptionnel, je payerai 1, 3, 4, 5 francs, d'après les circonstances, à un canotier, et ne me servirai d'un moyen exceptionnel que dans des circonstances exceptionnelles. Vous n'avez donc plus de concurrence à craindre, tous les intérêts seront sauvegarda si vous maintenez votre service en défendant toute concurrence régulière organisée.
MfFOµ. - Je ne me doutais pas, messieurs, avoir exposé devant vous les théories que l'honorable membre a cru nécessaire de combattre.
J'ai dit : Il y a une loi de frimaire an VII qui remet le monopole de» bacs et bateaux aux mains de l'Etat, qui fait à l'Etat une obligation de ce service public, et cette même loi défend d'éluder le droit de péage d'une manière quelconque.
Voilà la thèse que j'ai soutenue. Mais l'honorable membre s'est placé à un point de vue tout différent. Il a traité de questions dont je ne me suis pas du tout occupé.
Le service devrait ou pourrait, dit-il, être organisé autrement et plus utilement dans l'intérêt public. On pourrait accorder certaines facilités, multiplier les points de perception, etc.
Ceci est tout autre chose. Ce sont des détails qui peuvent être examinés. Y a-t-il des entraves à faire disparaître, des facilités à accorder pour acquitter la taxe sans être obligé de passer par les bureaux ? Tout cela est à voir, je le veux bien. Mais ce n'est pas là la question que nous avons débattue jusqu'à présent. Il ne s'était agi de rien de semblable entre l'honorable M. Delaet et moi. S'il y a des améliorations à introduire, je ne demande pas mieux que de chercher le moyen de les réaliser. Ce sera atteindre le but que poursuit le gouvernement et celui que s'est proposé le législateur, c'est-à-dire rendre service au public de manière à ne pas faire payer le service rendu par celui qui n'en profite pas.
MtpVSµ. - Je désire répondre quelques mots à des questions, assez étrangères au projet de loi en discussion, qui m'ont été adressées par les honorables MM. Dumortier et T'Serstevens.
L'honorable M. T'Serstevens a demandé des nouvelles de l'introduction d'un système de louage sur nos rivières et canaux.
J'ai été de prime abord très partisan de cette amélioration. Deux demandes tendantes à l'organisation d'un service de louage sont adressées au département des travaux publics.
Le département rédige en ce moment un cahier de charges qui sera soumis à l'approbation des demandeurs.
En ce qui concerne l'ouverture de la ligne de Hal à Ath, l'honorable M. Dumortier semble articuler, comme un grief à charge du département des travaux publics, le retard que souffre l'ouverture de cette ligne.
Il s'agit, au fond, de savoir s'il est permis à un ministre de décréter l'ouverture d'une nouvelle ligne de chemin de fer, alors que celle-ci ne présente pas les garanties voulues pour les voyageurs. Je déclare très catégoriquement, en ce qui me concerne, que je n'accepterai pas la responsabilité de décréter l'ouverture de cette ligne tant qu'un rapport des fonctionnaires techniques de mon département ne m'aura pas prouvé qu'elle satisfait à toutes les exigences de la sécurité publique. Or, je regrette d'avoir à déclarer à l'honorable M. Dumortier qu'à l'heure qu'il est tous les fonctionnaires compétents de mon administration qui ont un rapport à faire sur cet objet sont unanimes à déclarer que l'ouverture ne peut que compromettre la sécurité publique.
Dans ces circonstances, messieurs, c'est bien certainement aux concessionnaires que l'honorable membre doit adresser ses reproches et non à mon département.
Il est bien certain que si l'honorable M. Dumortier connaissait l'état des choses, il serait le premier à ne pas se servir de la ligne nouvelle, et il aurait parfaitement raison.
J'y mets néanmoins toute la bonne volonté possible, car, comme j'a déjà eu l'honneur de l'exposer à la Chambre, il se présente entre autres la question de savoir si le gouvernement autorisera l'ouverture de la ligne sur une simple voie, nonobstant les clauses du cahier des charges.
Or, je donne mon assentiment à l'ouverture sur une simple voie, mais encore faut-il qu'elle soit en état de recevoir, avec toutes les garanties de sécurité, les trains qu'elle desservira.
Cela dit, je pense, mais je ne prends aucune espèce d'engagement, que l'ouverture pourra se faire vers la fin de ce mois. Si le concessionnaire n'est pas en règle, je déclare que je ne donnerai pas d'autorisation et je pense même que je ferai très bien en décidant qu'avant de livrer la ligne à la circulation des trains de voyageurs, elle sera parcourue quelques jours par les trains de marchandises.
M. Dumortier. - Je remercie M. le ministre des travaux publics de la déclaration qu'il vient de faire. Cependant je ne comprends pas que cette ligne n'offre pas les garanties de sécurité nécessaires alors que la circulation s'y fait depuis trois mois. Il me semble que dès lors nous pourrions bien y circuler aussi.
- L'article est adopté.
La séance est levée à 5 heures.