(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866
(page 165) A onze heures et demie, les membres des deux Chambres se réunissent au Palais de la Nation.
Le bureau se compose de :
S. A. le prince de Ligne, président du Sénat.
MM. le baron de Rasse et le comte L. de Robiano, secrétaires, membres du Sénat.
M. le baron Misson, greffier du Sénat.
M. E. Vandenpeereboom, président de la Chambre des représentants.
MM. Thienpont et Van Humbeeck, secrétaires, membres de la Chambre des représentants.
M. le baron E. Huyttens, greffier de la Chambre des représentants.
S. A. le prince de Ligne (le plus âgé des présidents) déclare la séance ouverte ; il informe l'assemblée qu'il a été procédé dans les deux Chambres au tirage au sort des députations chargées de recevoir, l'une S. M. le Roi, l'autre S. M. la Reine.
La première députation est composée de MM. Sacqueleu, le vicomte Vilain XIIII, Joostens, d'Omalius d'Halloy, le duc d'Ursel et Bischoffsheim, membres du Sénat ;
Et de MM. Anciau, Elias, Snoy, de Rongé, Orts, Vander Donckt, Hayez, Kervyn de Lettenhove, Warocqué, Couvreur, Julliot et de Conninck, membres de la Chambre des représentants.
La seconde députation est composée de MM. le baron de Tornaco et le baron Mazeman de Couthove, membres du Sénat ;
Et de MM. de Liedekerke, Van Renynghe, Tack et Notelteirs, membres de la Chambre des représentants.
A onze heures trois quarts, Sa Majesté la Reine, accompagnée de LL. AA. RR. le Comte de Hainaut et la Princesse Louise-Marie-Amélie, est introduite par la députation et prend place dans la tribune qui lui est réservée.
La Reine et ses enfants sont en grand deuil.
La salle entière se lève et accueille Sa Majesté par les plus vives acclamations, auxquelles se mêlent celles de la foule des spectateurs qui garnissent les tribunes.
Peu d'instants après, prennent successivement place dans la tribune de Sa Majesté la Reine :
Sa Majesté le roi de Portugal,
S. A. R. le Comte de Flandre,
S. A. R. le prince de Galles,
S. A. R. le prince Arthur d'Angleterre,
S. A. R. le prince royal de Prusse,
S. A. R. le duc de Cambridge,
S. A. I. l'archiduc Joseph d'Autriche,
S. A. R. le prince Georges duc de Saxe,
S. A. R. grand-ducale le prince Guillaume de Bade,
S. A. le prince Nicolas de Nassau,
S. A. grand-ducale le prince Louis de Hesse,
S. A. le prince Auguste duc de Saxe-Cobourg-Gotha,
S. A. le prince Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, prince héréditaire.
On remarque dans la salle, à côté des membres du corps diplomatique accrédités près le gouvernement belge, les envoyés extraordinaires chargés de représenter leur gouvernement respectif auprès du Roi Léopold II ; ce sont :
Le lieutenant général Grabbe (Russie) ;
Le comte de Bylandt (Pays-Bas) ;
Le lieutenant général de Ruppelin (Wurtemberg) ;
Le baron d'Egloffstein (Saxe-Meiningen) ;
Le feld-maréchal comte de Neipperg (Autriche) ;
Le duc de Bassano et le marquis d'Avrincourt (France) ;
Le vicomte Sidney et lord Grey (Grande-Bretagne) ;
Le comte de Seebach (Saxe royale) ;
Le baron de Beaulieu-Marconnay (Saxe-Weimar et Saxe-Attenbourg) ;
Le comte de Hompesch (Prusse) ;
Le baron de Seebach (Saxe-Cobourg-Gotha).
Les chefs des légations étrangères, la cour de cassation, les cours d'appel, la cour des comptes, les hauts fonctionnaires publics, sont représentés.
Les chefs des ministères des cultes prennent place dans l'enceinte.
A midi et demi, l'arrivée du Roi au Palais de la Nation est signalée ; un grand silence se fait dans l'assemblée. Quelques instants après, l'huissier chef apparaît à la porte de la salle et annonce :
Le Roi !
Sa Majesté, précédée de la députation et suivie de sa maison militaire, fait son entrée au milieu d'acclamations enthousiastes, qui se prolongent pendant plusieurs minutes.
Le Roi, après avoir salué l'assemblée à plusieurs reprises, monte les degrés du Trône et, le calme s'tant rétabli, il prononce, debout, d'une voix fortement accentuée et en étendant la main, le serment constitutionnel ainsi conçu :
« Je jure d'observer la Constitution et les lois du peuple belge, de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire. »
Puis, le Roi s'assied et s'exprime en ces termes :
« Messieurs,
« La Belgique a, comme moi, perdu un Père. L'hommage si unanime que la nation rend à sa mémoire répond dignement aux sentiments qu'elle lui a voués pendant sa vie. J'en suis aussi touché que reconnaissant. L'Europe elle-même n'est pas restée indifférente à ce deuil : les Souverains et les Princes étrangers ont voulu prendre part aux derniers honneurs que nous rendons à Celui qu'ils avaient placé si haut dans leur confiance et dans leur amitié. En mon nom, et au nom de la Belgique, je les en remercie. (Applaudissements prolongés.)
« Succédant aujourd'hui à un Père si honoré de son vivant, si regretté après sa mort, mon premier engagement, devant les élus de la nation, est de suivre religieusement les préceptes et les exemples que sa sagesse m'a légués (applaudissements et cris de « Vive le Roi ! »), de ne jamais oublier quels devoirs m'impose « ce précieux héritage. (Nouveaux applaudissements.)
« Si je ne promets à la Belgique ni un grand règne, comme celui qui a fondé son indépendance, ni un grand Roi comme Celui que nous pleurons, je lui promets du moins un Roi belge de cœur et d'âme, dont la vie entière lui appartient. (Applaudissements enthousiastes.)
« Premier Roi des Belges à qui la Belgique ait donné le jour, je me suis, depuis mon enfance, associé à toutes les patriotiques émotions de mon pays. Comme lui, j'ai suivi avec bonheur ce développement national qui féconde dans son sein toutes les sources de force et de prospérité ; comme lui, j'aime ces grandes institutions qui garantissent l'ordre en même temps que la liberté et sont la base la plus solide du trône. (De toutes parts éclatent les cris de : Vive le Roi !)
« Dans ma pensée, l'avenir de la Belgique s'est toujours confondu avec le mien ; et toujours je l'ai considéré avec cette confiance qu'inspire le droit d'une nation libre, honnête et courageuse, qui veut son indépendance, qui a su la conquérir et s'en montrer digne, qui saura la garder ! (Applaudissements enthousiastes.)
(page 166) « Je n'ai point oublié, Messieurs, les marques de bienveillance que j'ai reçues à l'époque de ma majorité, quand je suis venu m'associer à vos travaux législatifs, et, quelques mois après, lors de mon mariage avec une Princesse qui parlage tous mes sentiments pour le pays et les inspire à nos enfants. (Profonde sensation. Vive la Reine !)
« Il m'a été doux de reconnaître, dans ces manifestations spontanées, l'accord unanime des populations. De mon côté, je n'ai jamais fait de distinction entre les Belges. Tous dévoués à leur patrie, je les confonds dans une affection commune. (Bravos et cris de : Vive le Roi !)
« Ma mission constitutionnelle me range en dehors des luttes d'opinions, laissant au pays lui-même à décider entre elles. (Applaudissements.) Je désire vivement que leurs dissidences soient toujours tempérées par cet esprit de fraternité nationale qui réunit, en ce moment, autour du même drapeau, tous les enfants de la famille belge ! (Bravos prolongés.)
« Messieurs, pendant les trente-cinq dernières années, la Belgique a vu s'accomplir des choses qui, dans un pays de l'étendue du nôtre, ont rarement été réalisées par une seule génération. Mais l'édifice dont le Congrès a jeté les fondements peut s'élever et s'élèvera encore. Mon sympathique concours est assuré à tous ceux qui dévoueront à celle œuvre leur intelligence et leur travail. (Acclamations.)
« C'est en persistant dans cette voie d'activité et de sage progrès que la Belgique affermira de plus en plus ses institutions au dedans, et qu'au dehors elle conservera cette estime, dont les Puissances garantes de son indépendance et les autres Etats étrangers n'ont cessé de lui donner et lui renouvellent, aujourd'hui encore, le bienveillant témoignage. (Nouveaux applaudissements.)
« En montant sur le trône, mon Père disait aux Belges : « Mon cœur ne connaît d'autre ambition que celle de vous voir heureux. »
« Ces paroles que son règne entier a justifiées, je ne crains pas de les répéter en mon nom. (Cris prolongés de : Vive le Roi !)
« Dieu a daigné exaucer le vœu qu'elles exprimaient. Puisse-t-il l'entendre encore aujourd'hui, me rendre le digne successeur de mon Père, et, je le lui demande du fond de mon âme, continuer à protéger notre chère Belgique. » (La salle entière se lève et manifeste son enthousiasme par des acclamations prolongées.)
Le Roi descend les degrés du trône et, après avoir salué la Reine et les augustes personnages qui l'entourent, ainsi que les membres des deux Chambres et les autres personnes présentes, se retire au milieu d'unanimes applaudissements el des cris non interrompus de : « Vive le Roi ! »
Sa Majesté la Reine se retire ensuite ; les manifestations les plus sympathiques et les cris de « Vive la Reine ! » l’accompagnent jusqu'à sa sortie.
- La séance est levée à une heure.