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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 3 mai 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. de Naeyer, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1299) M. Maertens procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Damas prie la Chambre de voter un crédit pour améliorer la position des porteurs de contrainte. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale et des habitants de Zegelsem demandent que le chemin pavé de Bloemendaele à Eerneghem passe par Zegelsem pour se diriger sur Aertrycke. »

- Même renvoi.


« Des industriels, commerçants et autres habitants de Fontaine-l'Evêque demandent que le gouvernement soit autorisé à concéder à la société de Haussy-Rasquin un chemin de fer de Charleroi à Masnuy-St-Pierre et subsidiairement un chemin de fer de Mariemont à Fontaine-l'Evêque. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession de plusieurs lignes de chemîn de fer.


« Des habitants de Mont-Sainte-Aldegonde demandent que le gouvernement soit autorisé à conclure avec la société de Haussy-Rasquin une convention pour l'établissement d'un chemin de fer de Charleroi à Jurbise, par Fontaine-l'Evêque, le Centre et le Rœulx, et déclarent s'opposer a la ligne projetée de Mariemont à Marchienne. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Cogels-Osy et Hart, président et secrétaire de la commission de la cinquième section et des faubourgs de la ville d'Anvers, présentent des observations relatives aux deux projets de loi de crédit pour le camp retranché et l'agrandissement d'Anvers et demandent l'exécution du projet Keller. »

M. Vervoort. - Messieurs, cette pétition renferme des considérations importantes sur les deux projets de loi présentés par M. le ministre de la guerre ; ces projets sont en ce moment soumis à l'examen de la section centrale ; je demande que la pétition lui soit renvoyée.

- Ce renvoi est ordonné.

Compostion des bureaux de section

Composition des bureaux de section du mois de mai

Première section

Président : M. Delfosse

Vice-président : M. de Renesse

Secrétaire : M. Lelièvre

Rapporteur : M. Allard


Deuxième section

Président : M. le Bailly de Tilleghem

Vice-président : M. Moreau

Secrétaire : M. David

Rapporteur : M. Matthieu


Troisième section

Président : M. Tremouroux

Vice-président : M. Dubus

Secrétaire : M. Thibaut

Rapporteur : M. de Perceval


Quatrième section

Président : M. Lesoinne

Vice-président : M. de Bronckart

Secrétaire : M. Laubry

Rapporteur : M. Jacques


Cinquième section

Président : M. Lange

Vice-président : M. Osy

Secrétaire : M. de Moor

Rapporteur : M. Vander Donckt


Sixième section

Président : M. de La Coste

Vice-président : M. de T’Serclaes

Secrétaire : M. Magherman

Rapporteur : M. de Ruddere de Te Lokeren

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1856

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IV. Chemins de fer. Postes. Télégraphes. Régie

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue sur le chapitre IV Chemin de fer, Télégraphes, etc.

M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Messieurs, quand on est convaincu, comme je le suis, que les chemins de fer exploités par l'Etat ne produisent pas ce que nous sommes en droit d'en attendre, qu'ils ne sont pas administrés comme ils devaient l'être, vous comprendrez que ce n'est pas chose facile que de conclure à l'adoption d'un budget de 15 millions 500 mille francs destinés à une administration dans laquelle, je le déclare sans détour, je n'ai qu'une confiance très limitée. Le rapport de la section centrale présente des conclusions fort claires, elles ont été rédigées de manière à produire autant que possible des résultats avantageux au pays.

Néanmoins, ces conclusions sont interprétées de manières bien différentes. Les partisans prononcés de l'exploitation par l'Etat m'accusent de vouloir conclure indirectement à la cession de nos chemins de fer aux compagnies, et les partisans, de la cession disent que je n'ai pas conclu d'une manière suffisante.

Je tiens donc à donner des explications sur les conclusions de la section centrale. M. le ministre, dans son exposé de motifs, avait déclaré que son intention était de pourvoir le plus tôt possible à la réorganisation de d'administration et que cet objet serait réglé incessamment.

M. le ministre a fait cette déclaration à la suite des discussions du mois de janvier dernier qui ont eu lieu à l'occasion d'un crédit supplémentaire de 2 millions dont on s'est assez peu occupé. Vous vous rappeler, messieurs, que c'est le comité consultatif, qui a en quelque sorte seul défrayé la discussion. La section centrale prenant acte de cette déclaration a inséré dans son rapport le paragraphe suivant :

« La section centrale croit, comme le chef du département des travaux publics, qu'il est très urgent de régler cette question importante ; aussi, insiste--telle vivement pour que le budget de l'exercice 1857 soit enfin établi d'après un système d'administration sanctionné par la législature, afin de faire cesser une situation provisoire, si nuisible atr développement d'une entreprise qui se rattache intimement à la prospérité publique.

« Par les considérations qui précèdent, la section centrale a conclu en principe à l'adoption du budget proposé ; elle l'a envisagé comme un moyen de service provisoire, sous la réserve de l'engagement contracté par le ministre des travaux publics. »

Cette conclusion n'a pas empêché l'honorable M. Vermeire de déclarer que mon rapport concluait à l'aliénation.

Tout cela exige quelques applications.

(page 1300) Examinons si le rapport pouvait présenter d’autres conclusions.

La section centrale pouvait-elle conclure d'une manière différente ? Voyons. Pouvait-elle réduire les crédits ? Vous comprendrez que cela lui était en quelque sorte impossible. On a dit souvent dans cette enceinte que le ministre lui-même n'était pas pourvu de moyens de contrôle suffisants sur ses subordonnés. S'il en est ainsi du chef du département, comment était-il possible qu'une section centrale pût approfondir la question de savoir si les crédits demandés dépassent les besoins ? La section centrale a donc été obligée de conclure à l'adoption des crédits proposés.

Prendre la résolution d'une réduction notable de crédit, c'eût été contracter une responsabilité fort grave, et vous n'auriez pas suivi la section centrale sur ce terrain.,

La section centrale avait un autre moyen à sa disposition, c'était de vous proposer un crédit provisoire pour quelques mois. Or, ceci était encore impossible.

La session est trop avancée et dans l'hypothèse d'une proposition de crédit pour quatre mois, le gouvernement se serait trouvé sans moyens de service, à une époque de l'année où la Chambre ne siège plus.

Un autre moyen se présentait encore : c'élait de renouveler la proposition que j'ai eu l'honneur de vous faire, en 1853, de procéder à une enquête parlementaire. Rien n'eût été cependant plus facile que de faite cette proposition. Lorsqu'en 1853, après un long discours qui a paru faire quelque impression sur vous, je proposai une enquête parlementaire, voici ce que l'honorable M. Rogier, qui combattait cette proposition, déclara : « Si l'institution d'une commission ne suffisait pas, n'aboutissait pas, si dans un an ou deux la Chambre reconnaissait qu'il n'y a pas eu de résultat obtenu, quant aux abus qu'elle a voulu empêcher, aux améliorations qu'elle a voulu introduire, ce serait pour la Chambre le moment d'arriver à cette résolution toujours un peu extrême, de la nomination d'une commission d'enquête. »

Ainsi, messieurs, d'après l'honorable M. Rogier, rien n'eût été plus simple que de vous proposer une commission d'enquête. Il avait indiqué la marche à suivre si l'enquête administrative restait sans résultats.

Cependant je n'ai pu m'y résoudre. Ces propositions d'enquête parlementaire, qui constituent cependant un droit d'examen inscrit dans la Constitution, ont eu si peu de succès dans cette enceinte depuis que la Belgique existe, qu'on est peu disposé à en faire encore l'essai.

Ensuite la commission d'enquêle que le gouvernement a nommée a été composée en grande majorité de membres de cette Chambre, qui ont examiné toutes les questions du chemin de fer avec une entière liberté, et avec le plus grand soin, et je me plais à reconnaître cette circonstance, elle fait honneur à l'honorable M. Van Hoorebeke, ministre des travaux publics de cette époque.

Il me semble donc qu'une enquête parlementaire n'est pas nécessaire pour le moment, une enquête approfondie a été faite par la commission instituée par le gouverneemnt et continuée par le comité consultatif qui lui a succédé ; toutes les questions ont été mûrement examinées, des procès-verbaux de ces délibérations tenus exactement ont été rédigés et il ne resle pourcompléter cette instruction que d'autoriser la publication des discussions du comité consultatif.

Je ne me suis donc pas arrêté à l'idée d'une enquête parlementaire.

Ce que nous avons proposé, et ceci est une idée qui a été jetée dans la discussion au mois de janvier, c'est que le gouvernement fût invité à communiquer un projet d'organisation à la Chambre. Le comité consultatif a échoué dans ses efforts. Le comité ayant échoué, c'est à la Chambre à intervenir. Si la Chambre n'intervenait pas, vous comprenez que vous ne devez pas attendre de l'administration qu'elle se réforme elle-même.

L'on dira sans doute que le chef du département pourrait procéder lui-même à cette réorganisation. Je vous avoue qu'après les essais qui ont été faits dans le passé, je n'aurais qu'une confiance médiocre dans cette promesse. L'honorable M. Frère-Orban, ministre des travaux publics, a essayé de réformer l'adminislration du chemin de fer ; il a quitté ce département sans y avoir réussi ; il l'a déclaré lui-même. L'honorable M. Dechamps a éte ministre des travaux publics, il a tenté de réformer l'administration du chemin de fer et il a échoué aussi. Je le dis nettement, les réticences ici sont inutiles, ils ont tenté de secouer le joug qui a pesé sur tous les chefs du département des travaux publics et ils n'ont pas réussi. Ainsi il est évident, comme vous l'a dit l'honorable M. Frère-Orban, au mois de janvier dernier, que le chef du département des travaux publics n'est que l'éditeur responsable des volontés de ses subordonnés.

Le fait est constant, personne n'en doute, chacun le dit tout bas, je n'hésite pas à le déclarer en public, il faut avoir l'énergie et le courage de s'en expliquer nettement.

Voulez-vous une preuve de ce que j'ai l'honneur de vous dire ? Un projet d'organisation a été préparé par la commission d'enquête instituée par l'honorable M. Van Hoorebeke ; ce projet a été achevé par le comité consultatif ; il a été revêtu de l'approbation de deux ministres. Où en est ce projet ? a-t-il reçu quelque application ? Non ; il n'en a reçu aucune, parce que ce projet ne convenait pas aux agents de l'administration. Dès lors vous devez comprendre qu'il faut que la Chambre intervienne, si elle veut unie réforme dans une administration qui est chargée de gérer un capital de près de 200 millions.

Un grand devoir pèse sur vous, messieurs. Vous en devez l'accomplissement au pays en imposant à cette administration des conditions conformes à l'intérêt général.

Enfin, messieurs, la section centrale ne vous a pas présenté non plus de système d'administration ; elle n'avait pas à vous en présenter. Elle s'est donc bornée à demander que le gouvernement déposât un projet organique. C'est lors de l’examen de ce projet d'organisation que l'on pourra discuter s'il y a lieu de céder le chemin de fer aux compagnies, ou s'il y à lieu de le maintenir aux mains de l'Etat, et si on le maintient aux mains du gouvernement, quel est le système d'organisation qu'il convient d'adopter.

Je n'ai donc pas, comme l'a dit l'honorable. M. Vermeire, proposé par la rédaction du rapport de la section centrale, la cession du chemin de fer aux compagnies.

Aussi, n'ai-je pu m'empêcher d'interrompre cet honorable collègue quand il disait hier que mes conclusions aboutissaient à l'aliénation.

Le rapport de la section centrale ne propose pas cette enormité ! La section centrale n'y aurait pas consenti.

Quoi qu'il en soit, il paraît que je suis violemment, soupçonné de conspirer pour amener la cession des chemins de fer de l’Etat belge aux compagnies.

Savez-vous, messieurs, quels sont ceux qui préparent la perte de l'exploitation des chemins de fér de l'Etat ? Ce sont ceux qui cherchent à vous assoupir quant à cette grave question ; ce sont ceux qui ne veulent pas y voir clair ; ceux qui prétendent que tout est pour le mieux dans cette administration.

Quand je verrai des hommes de la valeur de l'honorable M. Vermeire joindre ses efforts aux nôtres au lieu de nous combattre, je commencerai à croire que l'exploitation de l'Etat a quelque chance de se perpétuer.

Oui, messieurs, ce sont ceux qui par un appui inconsidéré tendent à perpétuer les abus qui contribuent le plus à faire avancer l'idée de l’exploitation par les compagnies ; ce sont eux qui recrutent avec le plus de succès des partisans à la cession.

Quant à moi, malgré mon opinion favorable aux compagnies, manifestée, il y a trois ans, en désespoir de cause, je me suis associé loyalement pendant deux années aux efforts de la commission et du comité pour améliorer les conditions d'exploitation du chemin de l'Etat et tenter un effort suprême pour les lui conserver.

Nous n'avons pas réussi, parce que les subordonnés sont les maîtres, et que votre appui nous à fait défaut.

Nous avons échoué devant ce système d'ajournement d'une administration, qui ne se refuse pas à déclarer que les avis qu'on lui donne sont bons, tant qu'il ne s'agit pas de leur application ; d'une administration qui connaît la valeur des ajournements, et qui compte sur la lassitude et le découragement de ses adversaires pour triompher.

Qu'on me montre le chemin le meilleur, je le prendrai, peu m'importe lequel, je n'ai pas de parti pris.

Je veux l'intérêt bien entendu du pays ; voilà mon but, peu m'importent les moyens d'y arriver.

Messieurs, je ne désire pas prolonger cette discussion, à laquelle, je l'ai déjà déclaré, j'attache assez peu d'importance. Je sais que les crédits seront adoptés, il est impossible d'obtenir des améliorations par la discussion du budget ; vous ne pouvez y parvenir que par la discussion d'une loi organique. Ce que je demande, c'est que le budget de 1857 ne subisse pas le sort des budgets de 1853, 1854, 1855 et 1856.

Nous vivons dans une trop longue attente, cette attente doit cesser ; je demande donc que le budget de 1857 soit basé sur une réforme de l'administration, opérée avec l'intervention de la Chambre, cette intervention est indispensable.

J'espère que le gouvernement s'associera au vœu de la section centrale et prendra l’engagement de présenter une proposition de loi. La Chambre va se séparer bientôt ; si vous voulez que ce projet soit examiné avant la discussion du budget de 1857, il est indispensable qu'il soit présenté dans un délai assez rapproché, pendant l'été, par exemple. Si donc M. le ministre prend cet engagement (et j'espère qu'il le prendra, car sans cela, tout rapporteur de la section centrale que je suis, je voterai contre le budget), je demande que la Chambre autorise le gouvernement à faire imprimer le projet de loi et à le faire distribuer à domicile.

Alors nous pourrons nous en occuper dès notre rentrée et le voter assez à temps pour qu'il serve de base à la discussion du budget de 1857.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Messieurs, en commençant cette discussion, l'honorable M. Vandenpeereboom a appelé l'attention de la Chambre sur l'ensemble du rapport de l’honorable M. de Man ; il y a vu des faits tellement graves, des conclusions tellement sévères que, selon lui, il y a devoir et intérêt pour l'administration à faire disparaître de l'esprit de la Chambre l'impression défavorable que la lecture de ce rapport a dû produire. Ce devoir, que l'honorable membre a indiqué au gouvernement, je l'ai compris autant que lui et je désire établir devant vous par quelques mots que l'esprit général de critique qui règne dans le rapport peut se réfuter et que l'administration des travaux publics qui est représentée comme si défectueuse, mérite cependant la bienveillance de la Chambre ; qu'elle fait tout ce qui dépend d'elle pour tirer de l'importante portion de la fortune publique qui lui est confiée, tout le parti possible.

(page 1301) Le point principal sur lequel l'attention de la Chambre me paraît avoir été attirée, c'est que les crédits demandés pour le chemin de fer ont reçu pou 1856 un accroissement considérable. L'honorable rapporteur de la section centrale, comparant le chiffre du budget rectifié an chiffre du budget primitif, constate une augmentation de dépenses de plus de 4 millions ; je le prie de vouloir bien remarquer que le budget primitif avait été présenté au mois de février 1855, c'est à-dire à une époque où les résultats de l'exercice 1854 étaient à. peine connus, et le budget de 1855 à peine ouvert. Le projet de budget avait du reste été présenté avec des réserves formelles à cet égard.

Un parallèle beaucoup plus raisonnable eût été de comparer le budget rectifié, non pas au budget primitif mais aux dépenses réelles de l'exercice précédent ; il fallait comparer le budget de 1856 aux dépenses de l'exercice 1855, telles qu'elles résultaient du budget voté et des crédits supplémentaires accordés par la Chambre. Dans ces conditions, la comparaison n'était plus aussi défavorable et l'excédant de dépenses en plus pouvait facilement se justifier.

C'est ce que vous aurez pu remarquer, messieurs, par la lecture de l'exposé des motifs, exposé dont je désire reproduire devant vous quelques chiffres.

La dépense de 1855 pour le service du chemin de fer, non compris les postes el les télégraphes monte à 13,087,770 fr., tandis que le budget s'élève pour 1856 à 155,428,320 fr. ; différence, 2.340,550 fr. Je pense, messieurs, que les raisons données dans l'exposé des motifs auront pu vous convaincre de la légitimité de cette demande.

En effet, vous savez que pour l'exercice 1856 une plus grande longueur de lignes doit être exploitée par l'ouverture du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost.

De ce chef, si on avait porté une somme proportionnée à la dépense kilométrique moyenne, on devait compter sur une dépense de 1,500,000 fr. ; mais comme tous les chiffres de la dépense ne doivent pas être augmentés dans la même proportion, les frais généraux restant sensiblement les mêmes, l'administration espère pouvoir réduire l'excédent de dépenses de ce chef à un million.

J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer à la Chambre que la plus grande partie du matériel, locomotives, waggons, rails et billes, date de la même époque et que la durée de ces objets n'étant pas éternelle, il arrive un moment où des détériorations extraordinaires exigent des réparations bien au-delà de la moyenne normale.

Nous sommes dans une de ces périodes pour les billes, les rails, les waggons et les locomotives. Pendant quelques années encore, il faudra porter au budget un supplément de dépense plus élevé que la moyenne ordinaire.

Vous savez, messieurs, qu'il existe encore, dans le service, des locomotives d'une faible puissance, des locomotives peu économiques qu'il est de l'intérêt de l'administration de remplacer ou de modifier. Il existe encore dans les voies des rails de 17 et de 24 kilog. ; la sécurité des transports, de même que l'économie de l'entretien de la voie en exigent le prompt remplacement. On peut, sans exagération, compter : pour les locomotives et les waggons. sur un excedant.de dépenses de 600,000 francs ; pour les billes et les rails, sur un excédant de 335,000 francs. Ces dépenses, je le répète, ne doivent pas être regardées comme une augmentation normale, mais comme un excédant accidentel.

Une autre cause permanente de l'augmentation des dépenses est due à l'extension du trafic. A cet égard, il y a une règle qui a toujours été vérifiée par les faits ; c'est qu'une augmentation de 400,000 fr. est nécessitée par cet accroissement.

Je pense qu'on examinant ces différents faits, vous reconnaîtrez que l'excédant de dépenses de 2,340,000 francs est parfaitement justifié.

Un autre point sur lequel portent les critiques de la section centrale c'est la comparaison de l'exploitation belge avec celle des compagnies étrangères.

L'honorable rapporteur de la section centrale a inséré à la page 38 de son rapport un tableau dont l'honorable M. Osy a fait usage hier pour étayer son raisonnement. Dans ce tableau on donne le chiffre comparatif des recettes et des dépenses des divers chemins de fer : du chemin de fer du Nord, du chemin de fer de Paris à Lyon, du chemin de fer d'Orléans et du chemin de fer exploité par le gouvernement belge.

Une première réflexion à faire à cet égard, c'est qu'en prenant pour base de la comparaison de l’exploitation de plusieurs chemins de fer, le rapport entre les recettes et les dépenses, on commet bénévolement une erreur.

La recette dépend de circonstances qui nous échappent complètement. : du taux des tarifs, d'abord, de l'importance des centres de production et de consommation placés sur le réseau desservi et surtout du plus ou moins de longueur moyenne du parcours des voyageurs et des marchandises ; de ce chef, de ce dernier surtout, une infériorité importante, incontestable, mais qui ne résulte que de la nature des choses et non pas de l'exploitation, existe pour le réseau belge.

Peut-on dès lors en tirer une conclusion relativement à la proportion des dépenses ?

En suivant ce système de comparaison erroné par sa base, on arrive à ce singulier résultat, qu'une des compagnies qu'on regarde comme les mieux administrées aurait, si on décomposait son trafic, des parties exploitées d'une manière bien plus défavorable que le chemin de fer belge ; il se trouverait que cette compagnie modèle qui exploite au prix de 33 p. c. de ses recettes, sur la section de Paris à Amiens, voit ses dépenses d’exploitation s'élever à 55 p. c. sur la section d'Amiens à Boulogne.

Voilà donc la conclusion à laquelle on arrive, qu'une même compagnie aurait une ligne parfaitement exploitée de Paris à Amièns et une autre ligne d'Amiens à Boulogne exploitée d'une manière déplorable. Ce fait d'une compagnie qui donne des résultats si différents pour deux sections de sa ligne, prouve, que toute comparaison semblable pèche par sa base.

L’administration ne peut rien sur la recette, elle ne peut avoir d'action que sur dépense.

Vouloir fonder une appréciation sur le rapport entre la recette et la dépense, c'est s'exposer de gaieté de cœur à des mécomptes.

Un autre point, c'est qu'en faisant entrer les recettes dans l'appréciation, vous y introduisez un élément incertain, car le tarif entre pour une part considérable dans la recette et les tarifs diffèrent. Bien des transports ne sauraient vous échapper quel que soit le prix du tarif, en l'élevant vous augmenteriez considérablement les recettes sans que la dépense le fût le moins du monde.

Supposé qu'en Belgique on n'eût pas adopté une mesure que l'humanité commandait ; si au lieu de faire couvrir les waggons de troisième classe pendant l'hiver, on avait conservé des waggons découverts, qu'en résulterait-il ? Que le déclassement de la deuxième à la troisième classe qui a eu 1ieu ne se serait pas produit, que de ce chef nous aurions fait une recette plus considérable de 500,000 francs au moins, et que le rapport de la recette à la dépense dont on s'étaye pour critiquer l'administration belge serait modifié. Cela prouve que la recette et le rapport de la dépense à la recette ne peuvent exercer aucune influence sur l'appréciation de la bonté d'une administration de chemin de fer.

Un autre reproche que j'adresse au tableau que je viens de critiquer, c'est de n'avoir pas pris pour les comparer les mêmes exercices pour tous les chemins de fer. Pour les chemins de fer français, il s'arrête à l'année 1854 et pour l'administration belge il a étendu ses comparaisons aux années 1855 et 1856.

Je me permettrai encore de faire un appel à l'attention de la Chambre, et je pense qu'elle me donnera gain de cause quand je signalerai quelques autres erreurs commises dans les comparaisons.

Pour faire une comparaison exacte, il faut comparer toute la dépense à toute la recette.

Quand on a pris les produits des chemins de fer français, on a fait compte des sommes perçues pour le transport des dépêches postales ; elles ne s’élèvent pas à moins de 500 mille francs pour le chemin de fer du Nord par année ; des sommes non moins considérables sont payées aux autres compagnies. Rien n'a été porté de ce chef au compte du chemin de fer de l'Etat ; on n'a pas tenu compte non plus des transports faits à prix réduit ou gratuitement pour les troupes, les détenus, les colis et objets divers pour les administrations publiques ; rien de tout cela n’a été porté en recette ; je ne crois pas évaluer à un chiffre exagéré ces transports exceptionnels, en les portant à 800 mille francs.

Une autre recette n’a pas été portée dans le chiffre de 25 millions, c'est la part perçue par la société de Jurbise et celle de Dendre-et-Waes. L’Etat a fait toute la dépense et il exploite toute la ligne ; or, dans le tableau de la recette perçue par l'Etat, ne figure pas la somme qui est remboursée à la compagnie.

Il y a de ce chef encore 1,200 mille francs. C'est donc deux millions à ajouter au chiffre de 23,566,538 fr. 74 c.

Dans ces conditions, si vous comparez l'exercice 1855 aux précédents, vous venez que l'administration n'a pas été en augmentant les frais relatifs d'exploitation, mais s'est maintenue dans des proportions très modérées.

Le chiffre des évaluations des produits, vous le savez, est toujours de 1 à 2 millions au-dessous de la réalité, tandis que le chiffre des dépenses est un maximum. Il en résulte que le chiffre de 69 p. c. pour les frais d'exploitation ne peut être admis pour 1856, attendu que la recette est évaluée à 22,500,000 fr., tandis que, pour 1855, elle s'est élevée à 23,566,000 fr., et que pour les deux premiers mois de 1856 elle dépasse de 500,000 fr. environ la recette correspondante de 1855. Je ne m'arrêterai donc pas à discuter le tantième pour cent indiqué pour 1856 dans le tableau dressé par l’honorable rapporteur.

De ce tableau cependant nous pouvons tirer un renseignement utile sur lequel je désire appeler l'attention de la Chambre.

Je disais tout à l'heure qu'en prenant pour base d'appréciation le rapport de la dépense à la recette on courait risque de commettre une erreur. Il n'en est pas de même de la dépense kilométrique ; si ce n'est pas une pierre de touche infaillible, c'est une indication, car l'intelligence avec laquelle l'exploitation est dirigée peut quelque chose pour réduire la dépense ; sur ce fait j'appelle volontiers l'attention de la Chambre. La Chambre verra qu'en 1854 (je prends pour tous la même année), le chemin de fer du Nord a dépensé 20,114 fr. par kilomètre exploité, le chemin de fer de Lyon 20,400 fr. et le chemin de fer d'Orléans 16,000 fr. ; le chemin de fer belge a dépensé 17,800 fr. Donc du tableau mis sous vos yeux je tire cette conclusion que le chemin de fer belge n'est pas inférieur sous le rapport de la dépense kilométrique soit au chemin de fer du Nord, soit au chemin de fer de Lyon, deux lignes citées, à juste titre, pour leur bonne administration.

J'appelle l'attention sur ce fait : le chemin de fer belge ne coûte que 17,000 francs par kilomètre, exploité tandis que ceux auxquels on l'a (page 1302) comparé en coûtent 20,000, cependant son trafic n'est ni inférieur en quantité ni plus facile à opérer. En effet, page 16 de l'exposé des motifs, vous pourrez voir que le chemin de fer belge transporte le même nombre de voyageurs, la même quantité de quintaux de petites marchandises que le chemin de fer du Nord et 650,000 tonnes de plus en grosses marchandises.

Sous ce dernier rapport nous sommes supérieurs, et de beaucoup, aux chemins de fer du Nord, de Lyon, de Strasbourg et d'Orléans. Ainsi transports plus considérables et dépense kilométrique moindre ; les transports ont-ils été faits dans des circonstances plus favorables ? Bien loin de là, ce qui fait les grands frais ce sont les frais d'embarquement, de débarquement et de chômage du matériel qui en est la conséquence.

Or ces dépenses-là sont proportionnelles aux quantités embarquées et non à la longueur du parcours, tandis que le prix est perçu par unité de parcours. Or vous pouvez voir que le parcours moyen est :

Pour le chemin de fer du Nord 165 kilomètres, de Strasbourg 184, d’Orléans 222, de Lyon 223, belge 45.

Ainsi notre parcours kilométrique est moindre, et notre trafic plus considérable. Donc dépense plus considérable et recette moindre par tonne embarquée.

Je crois donc avoir démontré que la comparaison que l'on voudrait faire du rapport entre les recettes et les dépenses ne serait pas juste, et qu'une comparaison plus logique basée sur la dépense kilométrique est toute en faveur de l'administration belge.

Les compagnies sur lesquelles le chemin de fer belge a l'avantage sous ce rapport administrent très bien. Leur exploitation sert de modèle à toute l'Europe. Elles ont poussé aussi loin que possible l'art de tirer parti du chemin de fer. Elles font tous les efforts possibles pour activer leur trafic. Les actionnaires mettent à leur disposition toutes les ressources nécessaires pour le faire prospérer. Aussi est-il étonnant qu'avec beaucoup moins de ressources nous puissions approcher aussi près de ces compagnies, quant aux résultats obtenus.

Je crois devoir insister sur ce fait que les compagnies ne reculent devant aucun sacrifice pour développer et améliorer leur exploitation. C'est ainsi que la compagnie du Nord aura prochainement 451 machines du prix le plus élevé et de la plus grande puissance, 10,700 waggons et voitures, dont plus de 4,000 de 10 tonnes. La valeur de ce matériel s'élève au-delà de 82 millions. Or tout le matériel belge réuni ne coûtera pas, y compris les commandes à ce jour, 30 millions pour exploiter une ligne de même longueur à peu près.

Si vous comparez maintenant l'administration des chemins de fer exploités par l'Etat et celle des chemins de fer exploités par les compagnies en Belgique, je crois que la comparaison est toute à notre avantage sous le rapport du confort, de la célérité, de l'exactitude, de l'emploi utile du matériel, des dépenses d'exploitation et du dividende aux actionnaires. Je pense que les contribuables belges, qui sont les actionnaires du chemin de fer national, ne sont pas dans une position inférieure à celle des actionnaires de ces compagnies.

Après avoir touché ces points, je désire passer en revue quelques-unes des observations consignées dans le rapport de la section centrale.

L'honorable M. de Man critique vivement le département des travaux publics d'avoir laissé s'ouvrir la ligne de Dendre-et-Waes sans qu'elle fût pourvue de signaux, et il ajoute une phrase très acerbe, c'est que la vie des voyageurs est confiée a la seule attention du machiniste et du chauffeur.

A cela il y a une réponse extrêmement simple, c'est que sur notre chemin de fer, qu'il y ait ou qu'il n'y ail pas de signaux, il n'y a pas d'accidents.

Il n'y a pas, en Europe, un chemin de fer qui puisse se vanter comme le nôtre d'avoir transporté depuis vingt ans 4 millions de voyageurs par an sans qu'il soit arrivé aucun accident à ceux qui n'ont pas commis d'imprudence. Dans les autres chemins de fer, où il y a des signaux électriques, signaux à disques, signaux à bras, etc., il y a des accidents ; tandis qu'à notre chemin de fer, où il n'y a pas de signaux, au dire de l'honorable rapporteur, nous n'avons pas d'accidents.

Nous pourrions en tirer vanité ; nous préférons dire simplement qu'avec une faible dépense, nous sommes arrivés à un résultat que tout le monde nous envie à juste titre.

Il y a un autre point qui est signalé par l'honorable M. de Man. Il pense que l'administration du chemin de fer fera confusion en prélevant sur les frais d'exploitation quelques milliers de francs que nous demandons pour les signaux de la ligne de Dendre-et-Waes.

Je reconnais que l'observation est fondée. Cependant je suis étonné du rigorisme de l'honorable rapporteur, alors que dans tous les budgets des travaux publics, les frais d'exploitation payent des dépenses de capital. Ainsi tous les ans, il y a un renouvellement de rails ; on convertit des rails de 17 et de 24 kilogrammes en rails de 34 kilogrammes.

Par suite, au bout d'un certain nombre d'années, la valeur capital de la voie est considérablement augmentée. Or, de ce chef, jamais vous n'avez fait aucune distinction entre le capital et l'exploitation.

Il en est de même pour les locomotives. Dans le commencement elles coûtaient 25 mille fr., puis elles ont coûté 35 à 40 mille francs. Aujourd'hui l'on est arrivé à des prix plus considérables, à 75,000 fr. et au-delà.

Ces dépenses ont toujours été imputées sur le budget annuel. Donc le capital a prélevé sur les dépenses d'exploitation une somme considérable.

Du reste, un autre fait remarquable, c'est qu'à de fréquents intervalles le chemin de fer n'a pas eu de fonds de capital à sa disposition. Il en est résulté l'obligation et l'habitude d'imputer, sur le budget, beaucoup de dépenses qui, comme celles que je viens de citer, devraient être portées à charge du capital. Par conséquent, je vous prie de remarquer combien cette circonstance serait défavorable à l'exploitation belge, si l'on prenait pour baromètre les chiffres de dépenses portées au compte des frais d'exploitation pour éléments de comparaison.

Pour les chemins de fer étrangers, il n'en est pas de même. Les dépenses de renouvellement de la voie et d'augmentation du matériel sont toujours imputées sur le capital, sur la réserve ou en déduction des recettes. Le journal qui s'occupe exclusivement de ces questions a considéré comme un fait digne d'être cité, que le chemin de fer du Nord qui, en 1852, a fait une dépense de 12,800,000 pour réfection de sa voie, ait imputé :

Moitié sur le capital ;

Un quart sur la réserve ;

Un quart sur les frais d'exploitation réparti sur cinq exercices, à raison de 360,000 fr

Je me trompe, car cette somme n'a pas été portée en dépense d'exploitation, mais elle a été prélevée directement sur les recettes. Ainsi c'est là un fait défavorable pour le chemin de fer belge, et qui, en apparence, doit le placer dans des conditions moins brillantes que tous les autres.

L'honorable M. de Man a appelé l'attention de la Chambre sur ce fait que 500,000 fr. ont été prélevés sur le compte « capital », pour de grandes réparations au matériel ; le fait est vrai. Il s'est passé l'année dernière. Le comité consultatif l'a connu et approuvé. Mais je crois qu'il ne me démentira pas lorsque je dirai qn'à toute époque, et jusqu'à cette année, des sommes beaucoup plus considérables ont été prélevées sur l'exploitation au profit du capital. Ainsi il y a au moins équivalent.

Il a dit et répété que, pour le chemin de fer, la séparation en articles était illusoire, que les crédits étaient considérés comme un article global sur lequel on impute les dépenses à volonté. J'ai déjà eu l'honneur de dire à la Chambre que mes honorables prédécesseurs et moi nous ne soutiendrions par des discussions aussi vives sur chaque article si le lendemain nous avions l'intention de ne tenir aucun compte de cette division.

Eh bien, s'il faut avouer quelques petites irrégularités de forme en ce qui concerne les crédits pour le personnel, irrégularités qui tiennent toutes aux réorganisations successives, aux réorganisations promises et à l'incertitude dans laquelle l'administraiion a été si longtemps et est encore à ce sujet, si celle-ci n'a pas caché ces petites irrégularités, elle tient, d'autre part, à assurer à la Chambre que la plus scrupuleuse observation des règles de comptabilité a été suivie ; que jamais on n'a prélevé, par exemple, sur les frais d'exploitation la moindre dépense pour le service de la voie ; que jamais un transfert n'a été fait du crédit « postes » ou du crédit « télégraphes » sur la locomotion, etc., etc. A cet égard, je dois faire appel à une autorité dont vous reconnaîtrez avec moi la compétence : c'est la Cour des comptes.

Tous les ans la Cour des comptes soumet à votre appréciation un cahier d'observations. Ce cahier est volumineux et sévère. Pendant longtemps l'administration du chemin de fer en a fait à peu près tous les frais. Or, j'en appelle à vos souvenirs, dans ces dernières années avez-vous vu une irrégularité grave signalée ? Les observations da la Cour des comptes n'ont jamais porté que sur des points secondaires ; et je me targue ici en faveur de l'administration du chemin de fer de ce fait qu'aucune irrégularité grave n'a pu lui être reprochée.

De nombreux points ont encore été signalés par l'honorable rapporteur. J'en rencontrerai un.

L'honorable membre critique la reconstruction des machines dans les ateliers des stations. Nous sommes d'accord avec lui. Ces stations ne sont pas outillées d'une manière convenable. En général, les grosses réparations devraient toujours être faites à l'arsenal de Malines. Dans peu de temps cet arsenal sera muni d'un outillage très suffisant pour faire d'une manière convenable les réparations.

Quant aux reconstructions des locomotives, en règle générale, l'administration a recours à l'industrie privée pour se procurer des locomotives toutes faites.

Cependant dans beaucoup de circonstances on a été forcé de se départir de cette règle, d'abord lorsque dans les locomotives à réformer quelques pièces pouvaient être utilisées ; ensuite, lorsque l'industrie privée était surchargée de commandes, à tel point que les machines demandées ne pouvaient être fournies dans le temps convenable. A cet égard je désire faire une remarque à la Chambre, c'est qu'un très petit nombre d'ateliers en Belgique sont outillés de manière à fournir des machines complètes, des machines montées et qu'il n'y a presque pas de concurrence, quand on s'adresse à nos constructeurs pour avoir les machines toutes faites. C'est ce qui a décidé, dans ces derniers temps, l'administration à se procurer des machines pièce par pièce et à les monter elle-même. Mais, je le répète, c'est exceptionnellement et à cause de l'affluence des commandes dans les établissements privés.

(page 1303) Il y a vingt-cinq ateliers-en Belgique qui peuvent fournir des pièces séparées et qui ne peuvent.procurer des locomotives toutes faites. C'est, je le répète, à cette circonstance qu'est dû le montage dans les ateliers de l'Etat d'un certain nombre de locomotives. Cette exception a été connue de la Chambre ; elle a été connue du comité consultatif lui-même, qui a éclairé l'administration de ses conseils et a fixé le nombre des pièces à commander à l'industrie privée.

Je ne terminerai pas sans appeler l'attention de la Chambre sur un point essentiel., Il a été touché par l'honorable M. de Màn.

L'honorable M. de Man a relu devant vous les conclusions de la section centrale qui tendent au vote pur et simple du budget, mais avec l'engagement par le gouvernement de soumettre à la législature pour l'exercice 1857, un projet de loi consacrant d'une manière définitive l'organisation du chemin de fer de l'Etat.

Messieurs, je ne puis que répéter devant la Chambre une déclaration qui se trouve dans l'exposé des motifs : c'est que le ministre des travaux publics réorganisera l'administration des chemins de fer en adoptant, autant que possible, les bases indiquées par le comité consultatif.

Mais je pense qu'il serait difficile au gouvernement, comme il serait difficile à la Chambre de vouloir régler par une loi un objet de cette importance et dont les éléments sont si variables. Je crois que la Chambre doit vouloir pour l'administration du chemin de fer ce qui a été fait pour le tarif des marchandises ; qu'elle doit désirer de ne sanctionner par une loi, si elle croit une loi semblable utile, qu'une administration qui aura fait ses preuves dans la pratique. Vouloir par une loi faire de toutes pièces une organisation qui n'aurait jamais fonctionné, ce serait s'exposer à des mécomptes sérieux, et risquer de poser pour longtemps des entraves au développement de l'institution.

Je puis donc répéter, devant la Chambre, l'engagement que j'ai déjà pris, de procéder à une réorganisation sérieuse et complète de l'administration. Mais je ne puis prendre l'engagement de la faire sanctionner par une loi. Le seul engagement que je puis prendre, c'esi de traduire cette organisation en chiffres lors de la présentation du budget de 1857.

Messieurs, je répondrai encore quelques mots aux nombreuses critiques dont mon administration a été l'objet.

On exige du chemin de fer beaucoup plus que des autres services.

Le public réclame des transports rapides, des transports à bon marché, des coïncidences partout, de la régularité. On veut,- de plus, que le chemin de fer vienne en aide à l'industrie souffrante en lui accordant des primes d'exportation ; on veut qu'il vienne eu aide aux classes pauvres en transportant les denrées alimentaires, le combustible à bon marché.

On veut qu'il soit l'auxiliaire des autres services publics par des transports militaires et administratifs quasi gratuits.

On veut de plus faciliter les transports par des tarifs aussi bas que possible.

Ces résultats obtenus, on semble les dédaigner, les oublier, et l'on s'étonne, que le chemin de fer ne produise pas tout ce qu'il peut produire.

Je pense, messieurs, qu'il faut agir vis-à-vis du chemin de fer comme on le fait pour toutes les autres administrations publiques. Si le chemin de fer a été créé par l'Etat, si l'Etat a un intérêt majeur à la conserver, s'il persiste à le conserver, c'est qu'il le regarde dans ses mains comme un instrument de richesse nationale.

M. Vermeire. - Lorsque j'ai demandé hier la parole, mon intention était de vous présenter quelques observations en réponse au discours prononcé par mon honorable ami M. le baron Osy. Les objections de cet honorable membre ayant été en grande partie rencontrées par M. le ministre des travaux publics, je me dispenserai de reproduire ces arguments devant la Chambre.

Je prierai le gouvernement de bien vouloir examiner d'ici à l'année prochaine, le tarif pour le transport des marchandises sur le chemin de fer, afin que, d'après les prescriplions de la loi du 1er mai 1834, ce tarif puisse être consacré par la loi.

Le tarif actuel, selon moi, favorise dans une trop forte mesure le groupement des petites marchandises ; il en résulte que lorsque le le trafic augmente d’une manière prodigieuse, la recette ne suit pas la même progression. C'est un point important à examiner. Je crois qu'avec un tarif modéré, qui laisserait au gouvernement toutes les recettes pour le trafic qu'il opère, la situation financière s'en ressentirait d'une manière très heureuse.

J'engagerai donc M. le ministre des travaux publics à vouloir bien réunir les éléments nécessaires pour que dans la prochaine session, nous puissions discuter ce projet.

M. Vander Donckt. - Messieurs, depuis l'époque de l'établissement de notre réseau des chemins de fer, il y a plus de vingt, ans, tous les hommes compétents, les anciens ministres des travaux publics et tous ceux qui se sont occupés de cette matière n'ont cessé de signaler les lacunes, les irrégularités et les abus qui se sont glissés dans cette branche d'administration. Dans une discussion fort longue qui a eu lieu à propos d'un crédit supplémentaire au département des travaux publics, dans cette enceinte, au mois de janvier dernier, plusieurs honorables membres ont fait ressortir ce vice du défaut de contrôle qui' devrait s'exercer sur le chemin de fer. Qu'il me soit permis de citer quelques passages des plus saillants de leurs discours. L'honorable M. Frère, d'abord, disait :

« Depuis bien des années, des réclamations ont été faites dans cette assemblée contre les vices d'organisation du département des travaux publics. Sous l'honorable M. de Theux comme sous l'honorable M. Rogier, sous l'honorable M. Nothomb comme sous l'honorable M. Dechamps, des critiques fort vives ont été adressées au système administratif adopté pour l'exploitation du chemin de fer.

« Mais quels étaient les griefs principaux qu'on adressait à l'organisation qui existait alors ? C'est que le ministre était sans force, qu'il était sans autorité réelle vis-à-vis des agents chargés de l'exploitation et qu'il était purement et simplement l'éditeur responsable, vis-à-vis de la Chambre, de la volonté de ses subordonnés, il n'est pas un ministre qui n'ait eu à lutter contre cette situation. L'honorable M. Dechamps, entre autres, essaya d'y porter remède ; il prépara des mesures destinées à renforcer son action, son autorité, son contrôle. Il reconnaissait qu'il fallait donner plus de puissance au département des travaux publics, vis-à-vis des agents chargés de l'exploitaiion. Ses projets ne furent pas exécutés.

« Lorsque je suis arrivé en 1847 au département des travaux publics, éclairé par les discussions antérieures et par les faits qui se passaient sous mes yeux, j'acquis la même conviction dont avaient été pénétrés mes prédécesseurs, et je proposai de créer un bureau de contrôle au département des travaux publics qui aurait permis au ministre de connaître par lui-même les actes de son administration.

« Je donnai à cette époque à la Chambre la preuve, je lui fis partager ma conviction, qu'il était impossible, avec l'organisation de l'administration telle qu'elle existait, que le ministre produisît avec certitude des renseignements exacts à la Chambre. Je démontrai que le ministre n'avait pas les moyens de savoir, par exemple, si le matériel nécessaire au chemin de fer était suffisant ou non, s'ilétait convenablement utilisé ou non, si les waggons qu'on faisait mouvoir avaient été ou non suffisamment chargés ; je démontrai qu'il n'avait aucune espèce de contrôle sur les recettes.

« Dans l'organisation telle qu'elle existait, le directeur général de l'administration était investi d'un pouvoir absolu, souverain et de telle nature, qu'il était à peu près impossible de soumettre à un examen efficace les actes de sa gestion. Les besoins ne pouvaient se constater, dans les bureaux mêmes du ministre ; il n'avail à sa disposition que des moyens insuffisants pour suivre, dans leurs détails, tous les actes de l'exploitation. Vice capital : il se trouvait que la même personnc, le même agent élait à la fois chargé de l'exécution et de vérifier si l'exécution était bien faite ; il était le contrôleur et le contrôlé.

« La Chambre, convaincue par les raisons que je lui donnai à cette époque, vota une somme de 30,000 fr. pour la création d'un bureau de contrôle dont j'avais indiqué les attributions.

« Mais je quittai le département des travaux publics avant d'avoir pu exécuter cette résolution de la Chambre, et d'autres idées prévalurent. On persistait bien à poursuivre le même but ; mais d'autres moyens parurent préférables.

« La question fut de nouveau portée devant la Chambre et l’honorable M. Dumon fut au nombre de ceux qui continuèrent à demander avec instance une organisation énergique, qui investît le ministre d'un pouvoir suffisant. Il continua à critiquer la situation de l'administration. ; en principe, on semblait unanimement reconnaître que c'est l'action du ministre qu'il fallait fortifier. Je n'examine pas ce qui a été tenté dans cet ordre d'idées. Je ne discute point ; je signale la pensée dominante et persévérante qui préoccupait tous les esprits pratiques.

« Tout à coup, dans les derniers temps, à une époque plus rapprochée de nous, c'est un système absolument contraire qu'on a essaye de faire prévaloir. On a bâti sur une idée vraie, que personne ne conteste, le système le plus faux, le plus anti-administratif, le plus anti-gouvernemental qu'on ait jamais imaginé.

« On s'est écrié que le chemin de fer de l'Etat devait être organisé commercialement, et ce drapeau a naturellement trouvé de nombreux défenseurs. Comme si le chemin de fer pouvait être exploité commercialement avec une administration soumise aux règles essentielles d'une administration publique ! Il en est ainsi pour les postes et pour d'autres régies. Au lieu de cela, on a voulu s'affranchir de l’expérience acquise et répudier toutes les traditions consacrées.

« Pour organiser commercialement l'exploitation, on s'est imaginé qu'il suffisait de contrefaire l'administration des compagnies. Comment font les compagnies ? Elles ont un directeur général qui a un pouvoir très étendu, et au-desssus de lui il y a un conseil d'administration ! Ayons un directeur et un conseil d'administration, nous aurons la meilleure organisation possible !

« On n'a pas remarqué cette différence essentielle, radicale, qui ne permettait pas au gouvernement de procéder pour le chemin de fer de l'Etat comme une compagnie, c'est que dans les compagnies, le directeur est un personnage qui a des intérêts directs dans l'affaire, qui a intérêt à faire le moins de dépenses possible et le plus de recettes possible, qui a une part dans les bénéfices. ; c'est que le conseil d'administration est composé d'actionnaires qui ont de grands intérêts engagés dans l'opération ; c'est qu'ils sont surveillés par des commissaires qui ont des intérêts du même genre et qu'enfin les actionnaires ont aussi le droit de se faire entendre.

« Partout où vous trouverez cet élément de l'intérêt personnel, vous pouvez vous fier à lui. Mais ici que voulait-on substituer à l'administration régulière ?

« Un directeur général qui n'a aucune espèce de participation dans les bénéfices de l'entreprise, que rien ne stimule, à part le sentiment de ses devoirs, à diminuer les dépenses et à augmenter les recettes ; et, au-dessus de lui, un conseil composé de personnes même tout à fait étrangères à l'exploitation d'un chemin de fer et qui n'ont rien à perdre ou à gagner dans l'entreprise.

« Supposez-les, je le veux bien, animées du plus grand zèle, du plus grand dévouement, et désireuses de faire prospérer le chemin de fer de l'Etat ; proclamez, j'y consens, qu'elles agiront de la manière la plus désintéressée ; mais il faut prendre les hommes tels qu'ils sont ; vous ne pouvez pas exiger que du soir au matin, pendant toute l'année, les membres du conseil exercent une espèce d'apostolat, en supportant le poids et la responsabilité d'une pareille administration. Cela n'est pas sérieux. »

Messieurs, ce que l'honorable membre signale comme un abus existant à son arrivée au ministère, existe encore aujourd'hui dans toute sa plénitude.

Il est donc indispensable qu'une réorganisation prompte et efficace ait lieu dans l'administration des chemins de fer. Ces abus sont réellement trop frappants pour qu'ils ne soient pas pris en considération par le gouvernement et par la Chambre.

Vous le voyez, messieurs, ce n'étaient pas seulement les membres de la législature, mais l'honorable ministre actuel qui se préoccupaient de ces questions ; le public à son tour aujourd'hui s'inquiète vivement de ce qu'il n'y a aucun contrôle au chemin de fer, de ce que c'est un seul homme à qui les Chambres votent les fonds, qui en dispose, qui se contrôle lui-même, qui fait tout sans qu'il soit possible au ministre lui-même de se rendre un compte exaci de l'emploi des deniers publics.

Plus loin l'honorable M. Frère dit encore :

« Que disait mon honorable successeur, M. Rolin ? Qu'il avait reconnu qu'il était nécessaire de laisser subsister un contrôle à la direction, tout en en établissant un au département ; il maintient donc la résolution que la Chambre avait prise sur ma proposition.

« Et ce n'était pas, comme nous l'avons prétendu, un contrôle des recettes qu'il s'agissait d'établir ; c'est un contrôle général que j'ai défini et exposé avec étendue en le soumettant à la sanction de la Chambre. C'était la base et le moyen de la séparation entre l'administration et l'exploitation ; c'était l'instrument le plus sûr et le plus efficace pour permettre au ministre de suivre les actes de ses agents.

« C'est ainsi que l'avait compris l'honorable M. Rolin :

« Il était,vrai de dire que le ministre n'avait pas les moyens nécessaires pour s'éclairer et sur le mérite des propositions qui lui étaient soumises et sur la bonne et fidèle exécution des ordres émanés de son autorité. Quel était donc le remède ? Ce remède était indiqué par le bon sens le plus vulgaire. C'était de commencer par créer au département un service de contrôle. Ce contrôle était une nécessité tellement évidente qu'on ne peut s'étonner que d'une seule chose ; c'est qu'il n'eût point été établi depuis de longues années. On comprend, en effet, que pour que le ministre puisse mettre sa responsabilité à couvert, il faut bien qu'il soit mis en état de s'éclairer sur le bon emploi des fonds mis à sa disposition par les Chambres, et par la juste application des tarifs et par l'exact renseignement de toutes les recettes opérées ; je ne comprends pas qu'une administration puisse rester sans ce moyen de surveillance.

« Que fil mon honorable prédécesseur ? Il demanda à la Chambre une allocation de 30,000 fr. pour l'établissement d'un contrôle au département. Cette proposition excita d'abord quelque inquiétude dans les sections. Il fallut que la discussion publique vînt la dissiper. Elle la dissipa, en effet, et après que l'adoption de cette mesure eut été mise en lumière, pas une seule voix ne s'éleva pour la combattre. Le contrôle fut décrété. Il s'agissait de la mettre en action.

« A cette même époque, l'honorable M. Rolin a combattu fortement l'idée de confondre l'administration avec la direction chargée de l'exécution.

« Il en résulterait, disait-il, que tous les pouvoirs seraient confondus dans les mêmes mains... Alors, plus que jamais, ce directeur unique, chargé en même temps de l'initiative des propositions et de leur (page 1312) examen, de la conception des ordres et de leur exécution, aurait été le ministre véritable sons le couvert de la responsabilité du ministre apparent. »

« On ne peut donc trop le répéter : ce qui semble avoir dominé tous les ministres jusqu'aux temps de l'administration de l'honorable M. Van Hoorèbeke, c'est la pensée que l'action du ministre était trop faible ; c'est que bien loin d'accroître la puissance du directeur de l'exploitation, il fallait la ramener dans ses véritables limites.

« Des tentatives ont été faites dans ce but ; je les ai signalées, moins pour préconiser telles ou telles d'entre elles, que pour constater l'idée persévérante que l'on cherchait à réaliser. L’honorable M. Van Hoorebeke, lui aussi, a été longtemps du même avis que ses prédécesseurs, et il est profondément à regretter qu'il ait fini par prêter un appui à l'état de choses extraordinaire qui existe aujourd'hui. »

« Que voyons-nous aujourd'hui ? qu'a-t-on imaginé ? On a fait disparaître entièrement l'administration centrale, on a placé tous les éléments de l'administration dans les mains du directeur général, avec l'espoir de suppléer à tout avec un comité n'ayant pas même un seul commis. Est-il vrai, oui ou non, que telle est aujourd'hui la situation ? On ne peut contester ce fait, à peine croyable, qu'il n'y a plus au département des travaux publics que le ministre et son secrétaire général. »

Messieurs, l'honorable M. Frère a quitté trop tôt le ministère pour donner suite à l'exécution de ce projet et depuis lors jusqu'à ce jour, rien n'a été fait. Une commission a été instituée, mais elle est supprimée et comment est-elle supprimée ? Mais tous les honorables membres qui ont voté pour que cette commission cessât ses travaux ont eu l'intention bien formelle qu'un autre genre de contrôle fût immédiatement institué. Jusqu'à ce moment aucune mesure n'a été prise à cet égard.

L'honorable ministre nous dit qu'il avisera d'ici à la présentation du prochain budget. Je demande qu'il tienne compte des observations de l'honorable M. Frère au sujet du contrôle, car c'est le contrôle qui offre au ministre le principal moyen de justifier devant les Chambres l'emploi des dédits qu'il est obligé de demander. Pour ma part, je déclare que je ne serai plus disposé à voter ces crédits si l'on ne crée pas un contrôle efficace au moyen duquel on puisse donner à la Chambre ses légitimes apaisements.

Dans une autre partie de son discours remarquable par sa logique et qui témoigne de l'expérience acquise dans les affaires de ce génie, l'honorable membre signale à la Chambre un autre fait grave ; voici comme il s'exprime :

« Or, qu'est-on venu révéler ? Que le crédit de neuf millions voté dans les mêmes conditions et dont la commission devait surveiller l'emploi a été détourné en partie de sa destination. L'honorable M. de Man vous a révelé hier que 250,000 francs avaient été prélevés sur ce crédit pour les appliquer à la transformation des machines des plans inclinés. ».

Or c'est là une irrégularité grave, un véritable abus de pouvoir au mépris des lois de la comptabilité, au mépris de l'autorité des Chambres, quel que soit d'ailleurs le ministère sous lequel il a eu lieu. Il prouve une fois de plus combien il y a nécessité et nécessité indispensable d'établir un contrôle efficace et a cet égard il y a unanimité d'opinions dans la Chambre.

Je vous citerai une autre autorité non moins respectable, c'est celle de l'honorable M. Malou qui a signalé les hésitations, les incertitudes et les tâtonnements et aux autres vices inhérents à l'état de choses actuel, quand il dit :

« Mais, messieurs, à quelles conditions, par quels moyens peut-on conserver l'exploitation du chemin de fer entre les mains de l'Etat ? Il ne suffit pas, messieurs, pour obtenir ce résultat, de signaler quels seraient les inconvénients d'une cession à l'industrie privée, mais il faut que l'exploitation du chemin de fer de l'Etat soit organisée de telle manière, que l'Etat fasse aussi bien, sinon mieux que les compagnies. Ce n'est qu'à cette condition, à cette condition seule que l'exploitation du chemin de fer de l'Etat pourra être conservée entre les mains du gouvernement.

« En sommes-nous à ce point après vingt années d'exploitation ? Le gouvernement a-t-il fait pour conserver le chemin de fer ce qu'il était essentiel de faire ?

« Il suffit, messieurs, d'invoquer les faits pour démontrer que le gouvernement n'a pas, jusqu'à présent, employé des moyens suffisants, des moyens efficaces pour éloigner, pour amoindrir l'idée de la cession aux compagnies.

« Les comparaisons, pour quiconque a parcouru les chemins de fer étrangers et le nôtre, les comparaisons, il faut bien l'avouer, sont toutes, sur tous les points, désavantageuses à l'exploitation belge. Elles sont désavantageuses à l'exploitation belge quant au matériel, quant aux voies, quant au service, sur tous les points, en un mot, dont se compose l'administration du chemin de fer de l’Etat, nous sommes encore aujourd'hui, après vingt années, dans un état réel d'infériorité vis-à-vis des bonnes compagnies, des compagnies bien organisées qui exploitent les chemins de fer étrangers.

« Faut-il se hâter de conclure à l'incapacité radicale du gouvernement ? Faut-il au contraire, en ayant beaucoup d'indulgence, attribuer cette infériorité à des tâtonnemenis, à des incertitudes qui se sont prolongées pendant vingt années ?

« Quelle que soit l’opinion qu'on adopte à cet égard, je dis que le temps des hésitations, des incertitudes, des tâtonnements, doit être désormais passé. »

Et plus loin :

« Il résulte encore d'autres conséquences dommageables de cette application du droit commun, lorsque, dans une entreprise particulière» lorsque, par exemple, dans la plus grande entreprise de transports que nous ayons en Belgique, les messageries Van Gend, il survient quelque avarie, le dommage est payé à l'instant, sans qu'on doive suivre les lenteurs d’une instruction administrative, il y a une responsabilité organisée et une réparation immédiate.

« Voyez, messieurs, ce qui se passe en Belgique et vous vous convaincrez que le jour où vous aurez donné sous ce rapport les mains à l'organisation spéciale du chemin de fer de l'Etat, vous aurez considérablement augmenté le produit net du chemin de fer.

« On y aura plus de confiance, on y recourra plus souvent.

« Lorsqu'il s'est agi de mettre à l'ordre du jour le projet de loi qui nous occupe, j'ai fait remarquer une autre conséquence de l'organisation actuelle, c'est que l'Etat, par suite de cette organisation, est le plus mauvais payeur, le plus mauvais débiteur qu'il y ait en Belgique. Comme il paye le plus mal, il en résulte cette conséquence forcée qu'il est le plus mal servi, et qu'il paye le plus cher pour être le plus mal servi.

« Cette loi organique du chemin de fer ne devrait pas se borner au service de la comptabilité. Il faudrait organiser complètement l'administration du chemin de fer de l’Etat.

« Une commission permanente doit-elle prendre place dans cette organisation définitive ? Faut-il surtout une commission dont les éléments soient parlementaires ? Eh bien, messieurs, sans méconnaître en aucune façon les services qui ont été rendus par la dernière commission que nous ne connaissons que d'une manière imparfaite puisque les procès-verbaux n'ont pas été publiés, je crois que dans une organisation définitive une pareille commission ne doit pas trouver place. Il faut opter entre les deux systèmes.

« Comme toutes les administrations ont une organisation particulière, on ne peut pas greffer un service sur l'autre. On ne peut pas constituer le ministre des travaux publics à l'état de mineur, ayant non pas seulement un tuteur et un subrogé-tuteur, mais en ayant huit ou dix tuteurs qui enchaîneront d'autant plus la liberté d'action du gouvernement que ce seront des hommes plus considérables, ayant plus de poids.

« Je dis qu'un semblable système d'organisation est en dehors de ce qui s'est fait et doit être, pour qu'une administration, dont l'action doit être constante, instantanée, puisse fonctionner.

« On cite deux analogies, on dit : Les grandes compagnies ont un comité permanent ; il y a une différence immense entre le comité permanent de la compagnie du Nord et la commission consultative établie pour le chemin de fer de l'Etat.

« Quand une administration est nombreuse, on comprend la nécessité de constituer une sorte de comité permanent, de pouvoir exécutif ayant une action plus directe, plus instantanée. C'est ce qui s'est fait dans les compagnies.

« On citait une autre analogie ; c'est ce qui existe au ministère des finances. En effet, il y a deux conseils au ministère des finances. Mais de quoi se composent ces conseils ? Des chefs de service du département se réunissant pour des affaires essentielles sur lesquelles ils sont consultés par le ministre pour lui soumettre une proposition collective.

« Y a-t-il eu rien de semblable dans la commission qui a existé ? L'administration y est à peine représentée ; c'était sans elle et contre elle que le conseil devait fonctionner.

« Sans méconnaître les services rendus par la commission, je ne pense pas qu'une pareille institution doive trouver place d'une manière définitive, permanente, dans l'organisation du chemin de fer de l'Etat.

« Maintenant l'on nous dit : Il y a une force d'inertie, il y a des bureaux ; les bureaux sont la cause de tout le mal ; pour ma part, moi, qui me suis trouvé longtemps dans les bureaux ou à la tête de bureaux, je n'ai jamais vu d'administration qui n'eût pas de bureaux.

« Il y a, messieurs, je ne dirai pas dans notre organisation, parce que je ne veux pas l'appeler une organisation, mais il y a dans l'état actuel des choses une autre cause qu'il faut se hâter de faire disparaître. Nous avons non pas un département des travaux publics, mais nous avons réellement à Bruxelles trois membres épars d'un département des travaux publics. Nous avons une partie du ministère à la Place Royale, nous en avons une autre partie rue Royale et une troisième partie à un bon kilomètre de là, à la station du Nord.

« Il semble au premier abord que cela soit indjfférent à la marche d'une bonne administration. Mais j'en appelle à tous ceux qui ont passé au banc ministériel : N'est-il pas évident que la facilité des affaires, que la prompte expédition des affaires dépend le plus souvent des relations directes et immédiates qui s'établissent entre le ministre et ses chefs de service ; et si une administration peut fonctionner à la rigueur lorsque ses membres sont épars, à des distances comme celle que j'ai indiquée, c'est évidemment au préjudice d'une bonne expédition et d'une prompte instruction des affaires.

« Il faut donc non seulement poser les principes d'une bonne organisation financière du chemin de fer, il faut admettre les améliorations inhérentes à une pareille entreprise, mais il faut faire comme on a fait pour beaucoup d'autres institutions au point de vue financier et au (page 1313) point de vue politique, il faut déterminer par une loi les bases de l'administration, afin de la mettre à l'abri des tiraillements, des incertitudes, des vicissitudes ministérielles. »

Je ne demande pas, pour ma part, que le chemin de fer soit exploité par des compagnies ; mais si nous le conservons dans les mains du gouvernement, il faut modifier profondément le système d'administration ; il faut à tout prix un contrôle et un contrôle sévère. Cela est d'autant plus indispensable que depuis la suppression du comité, surtout, il n'y a plus l'ombre d'un contrôle.

Or, de ce qui précède, il résulte que dans l'état actuel de notre chemin dé fer, il ne peut soutenir la comparaison avec les chemins de fer dirigés par des compagnies, il se trouve dans un état d'infériorité humiliante.

Cela est incontestable ; quand, pour indemniser un particulier, il faut procéder à une enquête administrative qui se fait lentement, on doit s'attendre à ce que le gouvernement soit accusé, d'être un mauvais payeur ; dans les administrations particulières, l'examen des réclamations est fait sans le moindre délai, et si on les reconnaît fondées, on se hâte d'indemniser les réclamants.

Je le demandé, messieurs, peut-il y avoir de l'ensemble dans cette administration ? Sans doute un des plus graves inconvénients pour un ministre, c'est d'avoir ses bureaux éparpillés sur un espace de plus d'un kilomètre de chez lui, bureau qu'il ne peut des lors ni contrôler, ni surveiller.

L'honorable M. Devaux, signalant à son tour les abus qui s'étaient glissés dans l'administration des chemins de fer, désapprouve l'institution d'une commission prise même en partie dans l'élément parlementaire, lorsqu'il dit :

« Il est évident que cette commission se composera toujours et précisément à raison du but parlementaire qu'on lui donne, des hommes qui exercent le plus d'influence dans les discussions relatives au chemin de fer ; or, ces hommes, faisant partie de la commission, dépenseront leur activité, y exerceront leur influence ; et quand une mesure, sanctionnée par eux, sera présentée à la Chambre, qu'arivera-t-il ? Il arrivera que dans les sections et dans la section centrale, ces membres se contrôleront eux-mêmes ; que, lors de la discussion publique, les débats seront sans importance, sans utilité, attendu que les membres les plus aptes à y prendre part l'auront sanctionnée d'avance. »

Et plus loin.

« On oublie trop, messieurs, que le chemin de fer n'est pas une administration comme les autres ; dans la plupart des administrations que faut-il ? De la régularité, c'est-à-dire l'exécution exacte des lois et pas autre chose.

« Prenez par exemple l'administration des contributions ; que lui demande-t-on ? Qu'elle exécute les lois d'impôt, rien de plus. Il ne dépend pas des employés de cette administration d'augmenter le produit de ces lois, d'étendre le nombre des contribuables ou la matière imposable ; c'est la loi, ce sont des faits indépendants de leur volonté qui limitent le produit des impôts.

« Quelques efforts qu'ils fissent, ils ne parviendraient pas à les reculer.

« Le chemin de fer est tout autre chose, c'est une entreprise commerciale.

« Il ne suffit pas que les choses s'y fassent régulièrement suivant la loi, il faut qu'elles se fassent fructueusement ; ce n'est pas assez pour un commerçant que ses affaires soient régulières et sa comptabilité bien tenue ; s'il se bornait là et si en même temps il ne consacrait pas son activité à étendre son commerce et le rendre productif, il risquerait fort de mourir de faim. L'administration du chemin de fera, outre ses devoirs de régularité, une autre mission à accomplir ; elle a à faire prospérer l'entreprise, à contribuer à l'extension de ses opérations et au développement de ses bénéfices.

« Les employés de divers degrés peuvent à chaque instant et dans mille occasions diverses contribuer à ce résultat, par leur économie, leur zèle, leur prévoyance, leurs bons procédés envers le public, et.par une multitude d'actes de nature diverse qu'il est impossible de prévoir ou de prescrire, et dont l'absence ne saurait pas davantage être punie. Mais tous ces actes que vous ne pouvez attendre en quelque sorte que du zèle qpontané des employés, pouvez-vous les espérer dans l'état ordinaire dé l'administration ?

« Pourquoi ces employés se donneraient-ils de leur propre mouvement tant de peine pour diminuer les dépenses et augmenter le revenu de l’établissement ? Mais augmenter les transports, c'est augmenter leur propre travail. Si vous doublez l'importance des transports, c'est double peine qui en résulte pour tout le monde, pour le directeur, les inspecteurs, les chefs de station et même pour les ouvriers ; tous sont intéressés, non pas à étendre les opérations comme l'intérêt de l'entreprise le commande, mais à les restreindre. »

A ce propos, l'honorable M. Frère-Orban disait encore que pour avoir une administration zélée, une administration qui par elle-même soigne les intérêts du chemin de fer, il faut qu'elle soit intéressée personnellement et pécuniairement à l'exploitation.

L'expérience journalière vient confirmer en tous points l'exactitude et la vérité des observations judicieuses de ces honorables membres ; une organisation plus fixe et plus régulière est indispensable, ainsi qu'un comité de contrôle général et sévère, et si on n'intéresse pas personnellement les employés de tout grade dans l'exploitation du chemin de fer, il est impossible d'en obtenir la même exactitude, le même zèle et le dévouement qu'obtiennent les compagnies dans leur exploitation ; il faut un mobile qui les attache à la prospérité de l'entreprise, et le mobile le plus puissant c'est l'intérêt pécuniaire, car enfin, il faut en convenir avec l'honorable M. Frère, les hommes sont ainsi faits, il faut les prendre tels qu'ils sont ; le peu de relations que j'ai eues avec l'administration du chemin de fer m'ont fourni la preuve du peu de soin et d'exactitude dans le transport des marchandises ;.c'est ainsi qu'il y a un an environ j'ai expédié un panier de fruits en destination pour Termonde ; il est arrivé à Bruxelles, puis il est allé se promener à Courtrai. Je l'ai réclamé à l'administration centrale, et ce n'est que trois à quatre jours plus tard que je l'ai reçu, alors que les fruits étaient dans un état très endommagé.

Plus tard j'expédiai un colis bien emballé pour Bruxelles, où j'étais présent quand on me le remit, mais une partie de l'emballage avait disparu ; je le fis remarquer au conducteur du camion ; j'en écrivis au directeur général, ma lettre est restée sans réponse.

Depuis lors, j'ai pris le parti définitif de ne plus faire usage du chemin de fer pour l'expédition de marchandises ; je les expédie désormais par la maison Van Gend, je dois le dire à l'honneur de cette maison, le service s'y faii toujours très exactement.

Qu'est-ce que cela prouve ? Que l'industrie privée est plus convenable qu'elle prend plus de soin des colis et des marchandises, qu'une administration publique dont les employés remplissent leur strict devoir, mais rien au-delà et s'inquiètent fort peu de ce que deviennent les marchandises qu'on lui confie, leur tâche une fois terminée. Je demande pardon à la Chambre d'entrer dans ces détails, mais je signale ces abus pour prouver qu'il y a nécessité d'y obvier.

Je me joins à mes honorables collègues qui demandent la réorganisation et surtout le contrôle de l'administration.

J'ai dit.

(page 1303) M. Verhaegen. - Messieurs, partisan de l'exploitation des chemins, de fer par l'Etat, je vois avec un vif regret les attaques successives dont l'administration de notre railway a été l'objet dans cette Chambre.

A chaque discussion du budget des travaux publics, il s'engage une discussion spéciale sur les chemins de fer, et cette discussion a pour objet de discréditer complétement l’administration. Chaque année on détache une pièce de l’édifice, et il faudra bien que cet édifice finisse par crouler ; alors on proposera la cession à une ou plusieurs compagnies particulières ; on n’ose pas le dire tout aut, mais on ne pense tout bas et on réunit tous ses efforts pour arriver à ce résultat.

On discrédite les chemins de fer nationaux et on prise bien haut les chemins de fer étrangers. A en croire nos honorables contradicteurs, notre railway présenterait de graves dangers au point de vue de la sécurité publique, dangers bien chimériques, on nous en a donné un échantillon il n'y a qu'un instant. Ensuite on impute à ce railway toute espèces de crimes, écoutez entre autres : Un voyageur, s’il faut en croire un honorable préopinant, aurait oublié son parapluie dans une diligence et l’administration ne serait pas parvenue à le lui faire restituer ! en un mot, tout est mauvais quand il s’agit des chemins de fer belges, au contraire, tout est parfait quand on parle de chemins de fer étrangers.

Enfin, au moyen d'un grand nombre de concessions particulières, souvent pour des lignes parallèles, on crée une concurrence désastreuse pour le réseau de l'Etat ; et lorsque, plus tard, nous serons obligés de vendre ce qui constituait naguère la plus belle propriété domaniale, nous serons réduits à nous contenter d'un vil prix.

L'honorable rapporteur ne s'est pas dissimulé cette vérité : « Des concurrences nuisibles au chemin de fer de l'Etat, dit-il page 37 du rapport, s'élèvent de toutes parts. » Mais, s'il en est ainsi, pourquoi ne s'oppose-t-il pas à cet état de choses ? Moi, je me suis opposé à toute demande de concession qui pouvait amener une concurrence au chemin de fer de l'Etat ; j'espère que ceux qui partagent ma manière de voir voudront bien se souvenir lors de la discussion des projets de concessions nouvelles, de l'opinion émise par l'honorable rapporteur de la section centrale.

Messieurs, on attaque l'administration des chemins de fer de l'Etat, on décourage les employés qui déjà ne sont pas si bien payés, car leurs appointements sont inférieurs aux appointements des employés de toutes les autres administrations et on exige d'eux beaucoup plus de soins, de zèle et d'activité.

Ce n'est pas tout : on veut encore séparer du chemin de fer ce qui constitue une partie de sa force, une de ses principales ressources.

Nous avons entendu, il y a deux ou trois jours, deux honorables collègues engager le gouvernement à vendre les quatre mille actions que nous avons dans le chemin de fer rhénan.

Moi qui tiens au chemin de fer de l'Etat, j'engage le gouvernement à faire précisément le contraire ; car c'est là une de nos propriétés les plus importantes. Comment ! on veut que le gouvernement vende les 4 mille actions du chemin de fer rhénan, qu'il renonce à toute l'influence qu'il peut avoir sur l'exploitation de cette ligne qui est la tête de pont de notre railway vers l'Allemagne !

Et c'est M. Osy, le défenseur-né du commerce d'Anvers qui engage le gouvernement à poser cet acte ! C'est la plus grave atteinte qu'on puisse porter à notre commerce de transit vers l'Allemagne

Messieurs, c'est ainsi qu'on vient discréditer le chemin de fer de l'Etat ; tous les moyens paraissent bons à ses détracteurs.

On parle ensuite de la nécessité d'une réorganisation administrative ; eh bien, s'il y a quelque chose à faire pour la réorganisation de l'administration, qu'on le fasse, qu'on ne se borne pas à des mots, qu'on agisse, qu'on cherche à avoir une administration forte, qu'on lui donne des ressorts convenables, qu'on les simplifie si on veut, mais qu'on les paye bien.

Messieurs, il est malheureux que dans le budget des travaux publics, tous les ministres qui se sont succédé ont eu peur de demander ce qu'il fallait pour faire marcher l'exploitation d'une manière convenable ; s'il y avait des besoins, il fallait les faire connaître franchement et demander les ressources nécessaires pour y pourvoir.

Mais tantôt c'était le budget de la guerre dont les exigences était telles qu'on n'osait pas demander ce qui était indispensable, et on avait plus tard recours à des crédits supplémentaires pour des dépenses, qui étaient prévues lors de la présentation du budget, par exemple pour renouvellement de billes et de rails ; tantôt c'étaient les préoccupations extérieures qui engageaient le gouvernement à ne pas dire toute la vérité aux Chambres et à cacher une partie des besoins du moment.

Aujourd'hui il est encore temps ; il faut que le gouvernement ait la force et le courage de demander tout ce dont il a besoin pour que le chemin de fer puisse marcher convenablement et produire tout ce qu'il peut produire. Ce n'est pas une économie que de ne pas faire des dépenses indispensables ; il y a, au contraire, avantage à les faire quand ces dépenses, en définitive, doivent être productives.

Mais le chemin de fer qu'on attaque est-il donc dans une mauvaise position ? Le chemin de fer belge ne peut-il pas soutenir la comparaison avec les chemins de fer de l'étranger ? Tout au contraire, nos chemins de fer en Belgique, je n'hésite pas a le dire, parce que je me suis donné la peine d'examiner et d'étudier les pièces, sont dans une position plus favorables que ne le sont les chemims de fer de l'étranger.

(page 1304) L'honorable rapporteur nous a donné dans son rapport des tableaux, des chiffres. Mais je suis obligé de le dire, il y a là un véritable abus, les chiffres trompent lorsqu'ils se trouvent mal placés, et l'honorable rapporteur de la section centrale les a tellement mal placés que dans le discours qu'il vient de prononcer, il n'a plus dit un seul mot de tout ce qui concerne cette question.

Ainsi, dans le tableau qui se trouve à la page 38, il établit une comparaison entre le chemin de fer du Nord, celui de Paris à Lyon et celui d'Orléans d'une part, et le chemin de fer exploité par le gouvernement, belge d'autre part. Il prétend que le chemin de fer belge rapporte beaucoup moins et coûte beaucoup plus. L'honorable ministre des travaux publics a déjà répondu à ce tableau.

Mais je me permettrai de remettre sous vos yeux l'erreur capitale qui a servi de base aux observations de l'honorable rapporteur ; quand il veut faire une comparaison, il devrait au moins en prendre les termes dans un même exercice, et ne pas prendre un exercice pour un chemin de fer et un autre exercice pour un autre. Ainsi pour les chemins de fer du Nord et de Paris à Lyon, il prend la dépense moyenne par kilomètre pour l'année 1854 ; il ne prend pas l'année 1855, nous a-t-il dit, parce que les résultats ne lui étaient pas connus. Je le veux bien.

Les résultats de 1855 sont connus chez nous, et il les donne, soit ; mais il ne lui est pas permis de comparer les résultats français de 1854 avec les résultats belges de 1855. La comparaison n'est sérieuse que si on compare les résultats obtenus par les chemins de fer français et par le chemin de fer belge, pour le même exercice de 1854.

En ce qui concerne les résultats des chemins de fer du Nord et de Paris à Lyon et ceux du chemin de fer belge on voit que la dépense a été pour 1854, par kilomètre :

Pour le chemin de fer du Nord, fr. 20,114.

Pour le chemin de fer de Paris à Lyon, fr. 20,474 44

Pour le chemin de fer belge, fr. 17,884.

Voilà où l'on arrive avec des chiffres ; vous avez, M. le rapporteur, présenté l'argument en votre faveur, en allant d'un exercice à l'autre, tandis qu'en restant dans le même exercice, vous prouvez le contraire de ce que vous voulez prouver.

Nous exploitons en Belgique à meilleur compte qu'en France, et surtout à meilleur compte que les chemins de ferd du Nord et de Paris à Lyon. Et cependant nous avons beaucoup plus de difficultés à vaincre, et nous n'avons pas les mêmes avantages à espérer, quelle que soit la bonne administration que nous puissions avoir.

Et à cet égard qu'il me soit permis de vous soumettre encore quelques observations.

Il n'y a pas l'ombre d'un doute, ainsi qu'on l’a déclaré, que le tarif doit exercer une grande influence sur le résultat des recettes. Par conséquent, lorsque vous allez mettre en rapport les recettes et les dépenses et dire : s'il y a sur les recettes tant pour cent des dépenses, il faut avant tout tenir compte de la différence de position où se trouvent les pays avec lesquels vous voulez comparer la Belgique, et la Belgique elle-même.

Je tiens à mettre les chiffres sous les yeux de la Chambre et à compléter ainsi les observations qu'à faites tantôt M. le ministre des travaux publics.

D'après les pièces authentiques le tarif des voyageurs est :

3ème classe : en Belgique, 20 c. ; en France, 25 c.

2ème classe : en Belgique, 30 c. ; en France, 37 c.

3ème classe : en Belgique, 40 c. ; en France, 52 c. (2 c. de plus que nos express.)

Vous le voyez, la différence est énorme.

Voici maintenant le tarif des marchandises : En France. En Belgique.

1ère classe : en France : 32 c. ;

Classe intermédiaire : en Belgique, 26 c.

2ème classe : en France, 28 c.

3ème classe, en France, 23 c.

Classe intermédiaire : en Belgique, 16 c.

4ème classe : en France, 16 c.

Ainsi, encore une fois, il y a une différence énorme. Et pour rendre ceci plus saillant par un exemple, je dirai qu'une tonne de poisson par exemple transportée de Boulogne à 250 kilomètres pays 53 fr., tandis que la même quantité de poisson transportée d'Ostende à la même distance ne paye que 26 fr. Et on veut établir une comparaison sur la proportion de la dépense. La comparaison devrait d'abord porter sur les tarifs.

Ensuite, il faut tenir compte de la longueur moyenne des lignes. Comme on l'a fort biea fait remarquer, plus une ligne est longue, et moins il y a de frais en moyenne, parce qu'il y a des frais généraux, préalables au transport qui sont toujours tes mêmes.

Et il n'y a plus, en définitive, que le combustible et l'usure des machines qui augmente d'après les distances. Ainsi, plus une ligne est longue moins la dépense s'élève en moyenne. Tout le monde est d'accord sur ce point.

Maintenant, on l'a établi tantôt avec des chiffres qui se trouvent aussi consignés dans les pièces que M. le rapporteur a sous les yeux, il y a une énorme différence entre la position du chemin de fer belge et la position des chemins de fer français. Cela n'est certes pas douteux.

Voyez ensuite, messieurs, la disposition de nos chemins de fer ? Les chemins de fer que l'on compare avec les chemins de fer belges, n'ont que des lignes directes, tandis que les nôtres ont des courbes partout. Ainsi, en Belgique on peut aller de la majeure partie de nos grandes villes vers les autres villes, par deux et même par trois directions différentes. Ce sont en quelque sorte des cercles au lieu de lignes droites que nos chemins de fer desservent. Ainsi, on peut partir de Bruxelles et revenir à Bruxelles, 1° par Termonde, Gand, Courtrai, Tournai et Jurbise ; 2° par Termonde et Alost ; 3° par Alost, Ath et Jurbise ; 4° par Charleroi, Namur et Liège ; 5° par Charleroi et Louvain ; 6° par Wavre, Namur et Liège.

Et toutes ces localités prétendent également être bien desservies.

On comprend dès lors que l'exploitation belge doive être beaucoup plus difficile et plus coûteuse que celle des chemins de fer qui n'ont que des lignes directes.

Ensuite encore, comme l'a fort bien fait remarquer M. le ministre des travaux publics, au chemin de fer belge tout n'est pas payé, les recettes de la poste dont le gouvernement profite, ne figurent pas au crédit des chemins de fer, on n'y voit pas figurer non plus le chiffre des transports gratuits, des transports à prix réduits, qui cependant devrait y figurer pour ordre.

Tous ces faits étant établis, et ils le sont par des pièces, je ne conçois réellement pas comment on peut soutenir que nqus exploitons dans des conditions moins favorables que n'exploitent nos voisins. Je trouve tout au contraire que le chemin de fer belge est exploité d'une manière convenable, dans des conditions beaucoup plus favorables et à beaucoup plus meilleur marché.

Veut-on que le chemin de fer produise davantage ? Qu'on examine la question au point de vue des tarifs. Mais quant aux dépenses, il me paraît établi qu'il n'y a aucun reproche à adresser à l'administration, et que la moyenne, par kilomètre, démontre à la dernière évidence que les attaques dirigées contre les chemins de fer belges, sont dénuées de fondement.

Messieurs, il est un fait réellement extraordinaire et qui m'a frappé. On a attaqué l'administration du chemin de fer ; on a attaqué le budget et cependant l'on n'a proposé aucune réduction, on n'a fait aucune proposition.

Il est inoui de venir attaquer une administration, de jeter la défaveur sur elle, et néanmoins de ne prendre aucune conclusion.

L'honorable rapporteur vous a dit qu'il n'avait pas proposé de réduction, parce que.... Mais le parce que qu'il nous a donné n'était pas une raison, il faudrait d'après lui rechercher les abus ; il faudrait une commission d'enquête ; et il ne propose rien de semblable ; il ne borne à des mots, à des discussions et, je le dirai, messieurs, à des discussions fâcheuses.

Messieurs, je voterai le budget et l'honorable M. de Man le votera aussi. Mais je le voterai par des motifs tout différents ; je le voterai, parce que je suis convaincu qu'il est ce qu'il doit être, j'ajouterai que si le gouvernement avait voulu tout d'un coup parer au mal, il aurait dût proposer un chiffre encore plus élevé qui, maintenant, devra être reparti sur divers exercices.

Je m'exprime ainsi, parce que je ne veux plus de crédits supplémentaires.

Tous les ans, messieurs, nous avons eu des crédits supplémentaires. Nous en avons eu en 1853 pour 1,388,000 fr. ; en 1854, pour 1,880,000 fr. ; en 1855, pour 2 millions environ, et l'on nous présente pour 1856, un budget qui excède la dépense de 1855, non pas de 4,200,000 fr. comme l'a dit l'honorable rapporteur de la section centrale, mais de 2 millions et demi seulement.

En effet, messieurs, il faut faire entrer en ligne de compte les crédits supplémentaires de l'année précédente et les ajouter aux prévisions de l'exercice futur pour avoir la dépense exacte. Or en procédant ainsi, nous voyons que le budget que nous discutons ne présente qu'une augmentation de deux millions et demi, augmentation qui se trouve justifiée, comme vous l'a dit M. le ministre des travaux publics, d'abord par la nécessité d'acheter des locomotives et voitures nouvelles, ainsi que la commission consultative l'avait elle-même proposée au gouvernement, ce qui nécessitera, je crois, une dépense de 900,000 francs, ensuite par la nécessité de ressources nouvelles pour l'exploitation du chemin de Dendre-et-Waes, évaluées à 1 million, enfin par l'extension de l'exploitation dont les dépenses en plus sont évaluées à environ 600,000 francs ; ce qui porte le chiffre de l'augmentation à deux millions et demi.

Messieurs, si tous les ministres des travaux publics nous avaient dit quelles étaient les sommes nécessaires pour l'exploitation du chemin de fer, nous n'en serions pas arrivés au point où nous en sommes ; nous n'aurions pas eu de crédits supplémentaires et nous ne serions pas effrayés de ces excédants de dépense que les circonstances nécessitent et auxquels il est impossible d'échapper.

Quant à l'administration, on prétend qu'elle présente des vices et, si je comprends bien les attaques qui se sont produites, il n'y aurait de salut pour le chemin de fer que pour autant qu'il y aurait une commission telle que celle qui existait naguère et qui serait la tutrice du ministre.

Messieurs, ce qu'il y a de plus clair dans tout cela, c'est qu'on voulait un ministère spécial pour les chemins de fér. La Chambre a jugé à propos de démolir cet échafaudage et la Chambre a bien fait.

(page 1305) Maintenant les quelques membres qui ne partageaient pas l'avis de la Chambre regrettent le vote qui à été émis ; ils pensent qu'il faut rendre aux membres de la commission le mandat dont on a eu la hardiesse de les dépouiller. Quant à moi, messieurs, je suis d’une opinion diamétralement opposée, je pense qu’avec une commission telle que celle qu’on rêve, la marche de l’administration est impossible.

Messieurs, du moment que l'administration aura tout ce qu'elle doit avoir pour marcher régulièrement, du moment que le ministre tiendra sérieusement la main à ce que tous les ressorts fonctionnent, l'administration des chemins de fer marchera comme toutes les autres administrations.

Si je ne me trompe, la commission consultative avait présenté un projet d’organisation et ce projet d’organisation, pour ne parler que de l’administration centrale, était absolument conforme à l’organisation qui existe encore aujourd’hui.

Il y avait cinq directeurs, six inspecteurs et tout le reste était en proportion. Malheureusement, cette administration était détraquée et elle l'est encore : au lieu de cinq directeurs il n'y en a que deux et encore l'un de ces directeurs est à la mort ; au lieu de six inspecteurs il n"y en a que deux Voilà donc une administration de cette importance réduite à un inspecteur et à deux inspecteurs ; les autres sont morts, se sont retirés ou sont en congé. Comment veut-on marcher de cette manière ?

La commission consultative a laissé les choses dans cet état ; c'est donc elle qui est coupable, puisqu'elle avait des conseils à donner au gouvernement, à le diriger, s'il faut l'en croire.

Je demanderai à l'honorable M. de Man et à l'honorable M. de Brouwer, comment il se fait que leur projet d'organisation n'a pas été sanctionné par le gouvernement ? Si l'on en croit l'honorable M. de Man, il aurait échoué devant l'opposition des agents subalternes. Je ne puis pas admettrer moi, qu'un ministre s'arrête devant l'opposition d'agents subalternes.

J'ai entendu quelque part que lorsque ces messieurs avaient arrêté leur organisation ils ont été eux-mêmes effrayé de leur œuvre et que deux d'entre eux sont venus demander au gouvernement de ne pas l'approuver. Voilà ce qui m'a'été dit ; je ne sais pas si je suis dans le vrai, mais il m'était permis de donner cette réponse lorsque l'honorable M. de Man venait nous dire que le gouvernement n'a pas sanctionné le projet d'organisation parce que les employés subalternes s'y opposaient.

Messieurs, je me résume. Je dis que nous devons conserver nos chemins de fer et que plus on fera d'efforts pour renier l'administration et pour faire passer le chemin de fer dans les niaiiis de compagnies particulières, plus nous devons nous y opposer.

Nous devons surtout prendre toutes nos précautions chaque fois que des concessionnaires se présenteront pour faire concurrence aux lignes de l'Etat.

Je dis qu'il faut une administration forte et qu'on doit employer tous les moyens pour arriver à ce résultat.

Je dis que le gouvernement doit avoir le courage de demander aux Chambres tous les crédits dont il a besoin pour que le chemin de fer puisse être exploité d'une manière convenable et soutenir la concurrence contre les chemins de fer des sociétés particulières.

Je dis enfin, messieurs, que le budget tel qu'il nous est présenté, n'offre rien d'exagéré, qu'il n'est que le résultat des besoins nouveaux constatés par la commission elle-même et du renchérissement des matières premières constaté par les crédits supplémentaires que nous avons successivement votés pour l'exercice couraut.

M. de Moor. - Après les remarquables discours prononcés hier par l'honorable M. Vermeire et, aujourd'hui, par l'honorable ministre des travaux publics et l'honorable M. Verhaegen, il me reste peu de chose à ajouter. Je tiens seulement à faire une déclaration à la Chambre, c’est que, partisan des chemins de fer de l'Etat, exploites par l'Etat, je mettrai la plus grande réserve dans le vote de concessions nouvelles et établies parallèlement au chemin de l'Etat, car je crois que c'est là le point principal que nous devons avoir en vue, pour empêcher la vente de notre beau réseau national.

L'honorable M. de Man a dit que tous les ministres avaient subi le joug de l'administration centrale, le joug des fonctionnaires du chemin de fer ; je ne pense pas que les ministres aient subi une semblable humiliation, ni celui qui est assis au banc ministériel, ni ceux qui l'ont précédé ; non, je ne pense pas que cela soit possible.

On attaque avee beaucoup d'acrimonie, et depuis longtemps, les fonctionnaires du chemin de fer, les fonctionnaires du corps des ponts et chaussées, on met à chaque instant leur loyauté, leur probité même en suspicion. Eh bien, messieurs, je suis enchanté que l'enquête à laquelle M. le ministre a consenti dans la séance d’hier soit ordonnée ; j'espère que ceux dont on a incriminé les actes en sortiront parfaitement purs. S’ils ne le sont pas, qu'ils soient punis.

Eu attendant, je remercie M. le ministre d'avoir chaleureusement défendu l’administration des ponts et chaussées qui a des droits acquis à votre synpathie.

Je partage aussi complètement la manière de voir de l'honorable M. Verhaegen, qui disait tout à l'heure qu'il est impossible que le ministre subisse t'influence des fonctionnaires subalternes de l'administration des chemins de fer. Un ministre a sa responsabilité et il ne se met pas a couvert derrière l'influence que pourraient exercer sur lui des commis ou des fonctionnaires subalternes.

On fait à. la page 38 du rapport une comparaison au point, de vue des résultats obtenus par chacun des chemins de fer du Nord, de Lyon et de l'Etat.

A mon tour je soumettrai quelques chiffres à vos méditations ; je pense qu'ils sont de nature à prouver que le chemin de fer belge est exploité avec beaucoup plus d'ordre et d'économie qu'on ne le dit ; il peut l'être beaucoup mieux encore, j'en suis convaincu, mais pour cela donnez-lui le personnel et le matériel nécessaires.

Voici le tableau comparatif des deux meilleures lignes françaises et du chemin belge.

(Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée).

L'honorable M. Vermeire disait hier, en citant quelques-uns de ces chiffres, que les dépenses faites par le chemin de fer de l'Eiat sont moins considérables que celles faites par les lignes ferrées avec lesquelles on a voulu le comparer. Cela est palpable, inutile donc d'insister.

Un triste et impérieux devoir de famille m'a tenu souvent éloigné des débats parlementaires ; je n'ai pas assisté à la séance du 23 avril 1856, lors de la discussion du projet de loi portant prorogation de l'article premier de la loi du 12 avril 1855, concernant les péages sur le chemin de fer.

Dans cette séance, M. le ministre des travaux publics a déclaré qu'il examinerait attentivement les réclamations qui sont faites sur la tarification des marchandises. Si je ne complais sur l'esprit de justice de la Chambre je craindrais réellement de parler de nouveau du Luxembourg... A ce mot Luxembourg, je vois déjà un sourire moqueur se promener sur les lèvres du député de Louvain. N'a-t-il pas trouvé charmant dans une de nos dernières séances, et c'est le Moniteur qui me l'a appris, que l'herbe poussait sur les routes de notre province ?

Et M. de Man n'a pas interpellé M. le ministre des travaux publics sur le point de savoir si ce foin était vendu aux frais de l'Etat ! Je suis vraiment étonné qu'il n'ait pas fait cette interpellation à M. le minislre des travaux publics. Cela en valait bien la peine, me semble-t-il.

Messieurs, si l'honorable M. de Man a étudié les chemins de fer français, comme il a étudié les routes du Luxembourg, j'avoue que je n'ai pas une grande confiance dans les chiffres qu'il a établis au budget.

Il n'y a pas de routes plus belles et mieux entretenues que celles de la province de Luxembourg. J'engage l'honorable M. de Man, qui aura certainement quelques moments à perdre avant la publication des documents que M. le ministre des travaux publics doit nous envoyer pendant nos vacances : je l'engage à visiter la province de Luxembourg, et il s'en fera une tout autre idée ; il aura de nos ingénieurs une meilleure opinion que celle qu'il a ; je serai enchanté de lui faire les honneurs de notre province.

M. de Man d'Attenrode. - Je profiterai de votre offre avee empressement.

M. de Moor. - Messieurs, pour en revenir à l'intérêt de la province de Luxembourg, que j'ai à défendre, je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il ne pourrait pas assimiler les ardoises aux marchandises pondéreuses, telles que pierres de taille, bois vert, etc. Pour que nos produits arrivent au port de Dinant, ils ont à parcourir 60 à 70 kilomètres par axe, ce qui est excessivement coûteux ; les ardoisières françaises, celles de Fumay, ne payent que 75 c. à 1 fr. de fret jusqu'à Dinant ou Namur, tandis que nos ardoises, pour y arriver, payent 4 et 5 fr. par mille et par axe, sans compter les frais de commission et de déchargement tant à Dinant qu'à Namur.

On nous objectera très probablement qu'il y a un droit réciproque de 2 fr. 50 c. entre la France et la Belgique ; mais il ne faut pas perdre de vue que les ardoises de Fumay arrivent à la même faveur de la navigation de la Meuse, jusqu'au-dessous de Sedan et par le canal des Ardennes jusqu'à Paris, tandis que nos industriels sont obligés de les faire transporter par axe à raison de 6 et 7 fr. par mille, et encore que par très faibles parties, nos petits voituriers n'ayant presque rien à nous ramener en France.

Vous le voyez, messieurs, le marché français nous est presque fermé ; il n'y a donc pas réciprocité !

Nos industriels, après le traité de commerce du 27 février 1853 avec la France, traité qui leur est si préjudiciable, ont demandé au gouvernement :

1° L'affranchissement du droit de barrière ;

2° Le classement des ardoises indigènes à la troisième classe du tarif n°3 du chemin de fer ; en un mot, comme pour les marchandises pondéreuses.

Au lieu d'accorder cette légère faveur au Luxembourg, on a porte les ardoises dans la première classe, n°3, et on ne les a pas affranchies du droit de barrière.

Je dois le dire, j'ai été vraiment peiné d'entendre, il y a trois jours, lancer par l'honorable M. de Man d'assez violentes attaques contre notre province qui n'est pas, paraît-il, encore suffisamment connue ; il (page 1306) semble vraiment que, lorsqu'il s'agit du Luxembourg, on peut tout dire et lui reprocher même que l'honorable M. Nothomb, ministre de l'intérieur en 1842, ait fait voter deux millions pour la construction des routes dans le Luxembourg, alors qu'on jugeait impossible de construire un chemin de fer dans cette province.

Je suis convaincu que lorsqu'il s'agira, par exemple, du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain, je suis convaincu, dis-je, que l'honorable M. de Man défendra très chaudement ce chemin de fer, comme il a défendu en section centrale un train-express qui ne s'arrêtait pas à Louvain et qu'il a fait inscrire parmi ceux qui doivent désormais faire halte à Louvain. Je trouve que l'honorable M. de Man a parfaitement bien fait de défendre ces intérêts. Je crois que la province de Luxembourg a droit aussi à la sympathie du gouvernement, et j'espère que l'industrie ardoisière peut compter sur la bienveillance de M. le ministre des travaux publics.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, quoi qu'en ait dit l'honorable M. Verhaegen, qui a étalé devant la Chambre des connaissances que je ne lui savais pas et qu'il a dû acquérir en très peu de temps, je pense qu'il n'y a pas de question moins controversée que celle de la défectuosité de l'exploitation de nos chemins de fer. Malgré quelques voix discordantes, on est d'accord sur ce point, que les dépenses sont trop considérables, que les chemins de fer ne produisent pas autant qu'ils pourraient produire et qu'ils ne rendent pas tous les services qu'ils pourraient rendre. Pourquoi donc hésite-t-on à porter remède à cette situation ? Pourquoi cette persistance dans l'erreur ? Les vices ne sont-ils pas assez connus ? N'en a-t-on pas assez exploré les causes ? Les remèdes n'ont-ils pas été suffisamment indiqués ?

Pour ma part, j'ai la conscience d'avoir fait mon devoir. J'ai signalé souvent, avec une résolution qui a été calomniée, parce qu'elle m'obligeait à faire abstraction de toute considération de personnes, le côté faible de l'exploitation. J'ai fait connaître les moyens que je croyais propres à faire cesser le mal. Si je ne voulais accomplir mon devoir jusqu'au bout, je n'aurais rien à ajouter aux avertissements que j'ai donnés au gouvernement maintes fois dans cette enceinte et plus souvent au-dehors. Mais je suis convaincu, sans que cette idée me soit inspirée par le découragement, que l'administration du chemin de fer par l'Etat est entraînée vers sa perte.

Des discours tels que ceux que vous venez d'entendre, messieurs, ne peuvent que précipiter sa ruine. Je ne veux pas suivre ces amis imprudents de l'exploitation par l'Etat.

Plutôt que de voiler les fautes qui doivent la perdre, plutôt que de les nier, il vaut mieux les dénoncer au pays, pour que la puissance de l'opinion publique les fasse cesser, s'il est encore possible. C'est ce devoir que je veux remplir pour la dernière fois.

Le chemin de fer est non seulement destiné à exercer, d'une manière indirecte, une action immense sur la prospérité générale, mais il contient le germe de si grandes ressources financières pour l’Etat que l'on ne peut assez déplorer de le voir si imparfaitement remplir sa tâche.

Dans mon opinion, le chemin de fer ne rend pas les services qu'il pourrait rendre, paice que son organisation est défectueuse, ou plutôt il ne remplit pas le rôle auquel il est appelé, parce qu'il y a absence d'organisation.

Si l'exploitation des chemins de fer était une chose nouvelle en Belgique, j'aurais tort de me plaindre de l'imperfection de l'exploitation. Rien ne sort parfait des premières mains, dans une entreprise aussi compliquée surtout, les progrès ne s'accomplissent qu'avec lenteur.

Mais les chemins de fer datent chez nous de vingt deux ans ; le concours du temps, l'expérience, ne font donc pas défaut ; on a pu apprécier les services que les chemins de fer peuvent rendre ; on a pu reconnaître les conditions auxquelles ils peuvent produire le plus et coûter le moins ; on doit savoir aujourd'hui ou on ne le saura jamais, à quelles conditions le bon ordre, la régularité et l'exactitude du service s'obtiennent le mieux ; on a pu et l'on a dû constater quelle est la meilleure organisation administrative.

Pourquoi donc, en présence de ces faits, en présence de tous les avertissements bienveillants, cette inaction systématique ? Il n'y a pas de prétexte peur y persister. Si, du moins, il y avait un système à défendre, s'il y avait une organisation quelconque ; mais il n’y a rien. M. Verhaegen en fait lui-même i'aveu. Il reproche au comité consultatif d'être l'auteur de cet état de choses, le comité qui n'a cessé de la signaler, de la combattre et qui a été renversé parce qu'il voulait y mettre fin. Non, il n'y a pas au chemin de fer d'organisation, tout y et désorganisé ; il n'y a qu'anarchie, confusion, absence d attributions définies, absence de responsabilité. Est-ce là ce que l'honorable M. Verhaegen veut maintenir ? Lui aurait-on peut-être fait croire qu'il y a autre chose ? Il y a au chemin de fer des hommes si habiles à transformer les faits !

Croyez bien, messieurs, que je n'exagère rien en vous parlant ainsi de l'administration des chemins de fer. J ai vu de près, et mes collègues du comité consultatif ont vu de près, avec moi, cette administration ; nous en avons exploré tous les vices. Nous en parlons donc avec un peu plus d'autorité que d'autres ; car, je le répète, nous avons observé, pendant une année entière, les choses de près.

Je le répète aussi, il n'y a pas d'organisation au chemin de fer, et voila pourquoi l'exploitation est si défectueuse. L'opinion que j'exprime à cet égard m'est commune avec tous mes autieus collègues et j'ose dire qu'il n'y a pas dans l'administration un fonctionnaire intelligent - ils sont nombreux - qui ne partage notre avis sur ce point.

Malgré cette situation déplorable, les recettes des chemins de fer augmentent. C'est derrière cette augmentation dans les produits que les vices que nous signalons cherchent un refuge ; c'est à l'abri de cette augmentation de revenu qu'ils espèrent se perpétuer. Eh bien, cet accroissement de recettes est un phénomène qui ne doit surprendre personne. Quand des chemins de fer en Prusse produisent 20 et même 25 pour cent du capital employé à leur établissement, quand on remarque les recettes considérables des grandes lignes françaises, doit-on s'étonner, je vous le demande, messieurs, que dans notre Belgique, ce pays le plus heureusement silué du monde tout entier, ce pays où la production se développe si merveilleusement sous toutes ses formes, doit-on s'étonner, dis-je, que le chemin de fer soit parvenu à produire 5 ou 6 pour cent ? Pour ma part, je ne sais aucun gré de ce produit à l'administration.

Le chemin de fer est là avec ses waggons et ses machines ; il passe au milieu de populations croissantes en nombre et en richesse ; il touche à tous les grands centres de production et de consommation ; est-il dès lors étonnant que ses transports augmentent en même temps que les besoins de locomotion grandissent dans les localités qu'il traverse ? Je ne sais aucun gré à l'administration de l'augmentation dans ces transports, parce qu'elle n'a eu besoin de rien faire pour les obtenir. Ces transports lui sont assurés ; ils sont la conséquence naturelle de l'établissement du chemin de fer.

Sans doute, il est possible d'exploiter avec assez peu d'intelligence pour qu'une partie même de ces transports, qui sont naturellement acquis à un chemin de fer, lui échappent et c'est précisément ce qui arrive chez nous. Chaque fois qu'une concurrence est possible entre le chemin de fer et une autre voie de circulation, c'est la dernière qui l'emporte, qui absorbe à son profit une partie des transports qui devraient appartenir au chemin de fer de l'Etat.

Je ne parle pas de la concurrence que lui font les voies d'eau, alors même qu'il a sur celles-ci tout l'avantage de la continuité et pourrait offrir une égalité dans les frais de parcours ; je parle des transports qui continuent à se faire par les routes ordinaires. Croit-on que des fourgons pussent encore, tous les jours, parcourir les chaussées parallèles à nos lignes ? Croit-on que le commerce continuât à les préférer comme des moyens de circulation plus rapides, plus sûrs et moins coûteux que nos chemins de fer, si l'exploitation était conduite avec plus de régularité, plus de ponctualité, plus d'intelligence ?

Mais ces transports, le chemin de fer les eût-il tous, ne suffisent pas à sa prospérité. C'est au-delà des points extrêmes de la ligne et sur des localités situées dans une zone plus ou moins étendue qu'il faut diriger les efforts, comme le disait naguère l'administration d'un des chemins de fer les mieux exploités de la France. Le progrès du trafic des chemins de fer n'a pas, en ce qui concerne ces transports, de limite maximum et dépend entièrement de la capacité des administrateurs.

Mais on ne parvient pas seulement de cette façon à obtenir un surcroît de recettes ; ce n'est qu'à ce prix aussi que le chemin de fer peut rendre tous les services qu'on est en droit d'attendre de cet instrument puissant de prospérité générale.

Qu'est-ce que l'exploitaiion du chemin de fer de l'Etat a fait dans ce but ?

Quelles sont les mesures qu'elle a prises, pour étendre à toutes les parties du pays les bienfaits que rendent aux populations que leurs lignes ne desservent pas directement le chemin de fer du Nord et le chemin de fer de l'Est.

La chose était d'autant moins difficile à effectuer, que l'administration des chemins de fer de l'Etat dispose du service des postes. Tandis que le chemin de fer de l'Est en France établissait, en faveur des localités situées dans sa zone, des correspondances parcourant, chaque jour, 6,809 kilomètres ou environ huit fois la longueur de la ligne exploitée, que faisait l'exploitation belge ? Elle se bornait à établir, pour les rendre presque aussitôt improductifs, les affluents de Jodoigne et de Péruwelz ; elle faisait une convention malheureuse pour des transports dans le Luxembourg. Voilà le rôle auquel s'est bornée l'administration de nos chemins de fer. Est-ce là ce qu'aurait fait une administration intelligente, soucieuse des intérêts du trésor, soucieuse des intérêts des populations ?

Mais que faisait-elle pour faire converger vers nos lignes les transports qui pouvaient suivie d'autres voies ? Que faisait-elle pour conserver à la Belgique le commerce de transit que nos voisins du Midi et du Nord convoitent si ardemment ?

Tandis que les lignes rivales établissaient partout des agences commerciales pour nous enlever notre trafic ; tandis que le chemin de fer de l’Est français entrait en relations directes avec l'association des chemins de fer de l'Allemagne centrale, relations qui lui permettaient de transporter les marchandises vers cette partie de l'Allemagne à moins de frais que nous et d'arriver en concurrence avec nous dans le Nord ; tandis que la Hollande cherchait à attirer vers elle, par des moyens puissants, le commerce de et avec l'Allemagne, tandis qu'une voie nouvelle allait permettre au commerce de Rotterdam d'arriver plus (page 1307) rapidement et à moins de frais que nous au cœur de l'Allemagne, que faisait l'exploitation de nos chemins de fer ?

Elle concluait avec l'agence continentale une convention pour le transport des petits paquets entre la Belgique et l'Angleterre ; elle concluait avec des commissionnaires allemands, avec la maison Cohn, une convention pour le transport des marchandises entre la Belgique et l'Allemagne.

Devait-il résulter de ces conventions quelque avantage pour le commerce, quelque bénéfice pour le chemin de fer ? L'avantage pour le commerce, en ce qui concerne les expéditions vers l'Angleterre, consistait à lui faire payer, au bénéfice d'un agent, le double de ce qu'il aurait payé si notre chemin de fer était entré en relations directes pour ces transports avec le chemin de fer anglais le South-Eastern, qui ne demandait pas mieux que de faire le même arrangement avec le chemin de fer belge que celui qu’il a fait avec le chemin de fer du Nord. Le bénéfice pour l'Etat consistait à percevoir quelques centimes et à céder la perception des francs à un particulier.

Les avantages et les bénéfices résultant de la convention avec la maison Cohn ne sont pas moins négatifs. Cette convention n'a rien fait et ne pouvait rien faire pour le développement du mouvement commercial de l'Allemagne par la Belgique.

Il y avait cependant quelque chose d'efficace à faire dans ce but et le ministère tout entier était d'accord avec l'unanimité du comité consultatif sur les mesures à prendre.

La Belgique, disait le gouvernement, possède un régime d'entrepôt très large ; son sjstème de transit offre toutes les facilités possibles ; un chemin de fer appartenant à l'Etat, administré par lui et dont les tarifs sont modérés, part d'un des plus beaux ports d'Europe pour aboutir directement à la frontière allemande.

A côté de ce concours de circonstances favorables, il existe des obstacles au libre développement du mouvement commercial de l'Allemagne par notre pays. L'un d'eux consiste dans la nécessité où l'on se trouve d'employer pour toute expédition internationale des intermédiaires. Cela occasionne des dépenses supplémentaires qui s'élèvent souvent a 40 ou 50 p. c. des frais de transport mêmes. Par la convention avec la maison Cohn les dépenses n'ont pas été diminuées dans une proportion suffisante, elles sont encore beaucoup trop considérables. Il est un moyen de remédier à cet état de choses, c'est d'entrer en arrangement avec les diverses administrations des chemins de fer allemands, qui aboutissent d'une manière directe ou indirecte au railway belge et dont les intérêts sont, en cette circonstance, complètement d'accord avec les nôtres. Tel était le langage du gouvernement.

En Allemagne, on venait au-devant de nos vœux ; on nous invitait à supprimer les intermédiaires, on nous offrait de venir à Bruxelles prendre des arrangements avec nous ; nous atteindrons, disait-on, le but que nous nous proposons, car le public aussi bien que les sociétés sont vivement intéressés à la réussite du projet ; on nous déclarait qu'il suffirait de donner aux marchandises allemandes des facilités dans les transports pour qu'Anvers devînt le port préféré du Zollverein.

Eh bien, messieurs, comment croyez-vous que l'exploitation se soit conduite en présence de cette unanimité du ministère du comité consultatif, des chemins de fer allemands ? L'exploitation ne voulait pas autre chose que la convention Cohn, et le commerce, le pays n'a pas autre chose aujourd'hui.

Il en a été de même en ce qui concerne nos relations avec les chemins de fer anglais. Ceux-là aussi nous offraient la suppression des intermédiaires ; ceux-là aussi voulaient entrer en arrangement avec nous, parce que là aussi il y avait, pour les uns et les autres, des transports à conquérir en donnant plus de facilités au commerce ; mais ce que le Clearing-House nous proposait, au nom de la grande majorité des chemins de fer, ce que les directeurs du Great-Northern et du Londres et North-Western, les directeurs des bateaux à vapeur appelaient de tous leurs vœux, parce qu'ils y voyaient profit pour leurs entreprises, l'exploitation du chemin de fer de l'Etat n'en voulait pas.

Voilà, messieurs, l'historique de l'exploitation de nos lignes. Voilà comment elle prend soin des intérêts généraux, des intérêts du trésor.

Parlerai-je maintenant des dépenses ?

L'exploitation dépense trop par les mêmes causes pour lesquelles elle ne produit pas assez et ne rend pas assez de services.

Quand je parle des dépenses, je n'entends certes pas parler du chiffre des allocations portées au budget pour traitement de fonctionnaires.

Ces allocations, je ne les combattrai pas ; le comité consultatif des chemins de fer ne les a jamais combattues, il a dit au minislre : Améliorez la situation de vos employés, mais réduisez leur nombre.

Il est impossible que le chemin de fer de l'Etat soit aussi bien servi que ceux des compagnies, à moins qu'il ne paye ses agents aussi bien que les compagnies payent les leurs. C'est parce qu'il ne les paye pas aussi largement, que les compagnies viennent lui enlever les agents d'intelligence et de mérite qu'il possède. C'est la cause de l'absence d'un grand nombre de fonctionnaires dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Verhaegen.

L'honorable membre reprochait au comité consultatif d'avoir démoli les diverses directions.

Il y avait autrefois, dit-il, six directeurs et il en est resté deux.

Je prie l’honorable membre de croire que notre rôle s'est toujours borné à donner des conseils.

Ces conseils, ajouterai-je, étaient toujours, dans toutes les circonstances, presque sans exception, appuyés par M. Masui ; mais quand il s'agissait de les exécuter, M. Masui faisait défaut et l'on n'exécutait pas.

Il a été beaucoup parlé du comité consultatif, l'honorable M. de Man a dit que son œuvre avait été brisée par quelques employés inférieurs. Je supplie la Chambre de demander que nos procès-verbaux soient publiés et l'on verra que ce qu'a avancé l'honorable M. de Man est de la plus exacte vérité. Ce sont des employés inférieurs qui ont brisé l'œuvre du comité. Il y a là, ce me semble, une autre preuve de l'anarchie qui règne dans cette administration. Mais j'en reviens à la question des dépenses.

Je dis, messieurs, que la cause des dépenses trop grandes que l'on reproche à l'exploitation du chemin de fer de l'Etat est absolument la même que celle qui empêche le chemin de fer de l'Etat de produire des recettes plus fortes et de rendre plus de services.

Tous ceux qui ont vu l'administration des chemins de fer de l'Etat d'un peu près sont unanimes sur ce point que s'il y avait à la tête de chaque branche de l'exploitation des directeurs spéciaux ayant la direction de leur service, ayant des attributions bien définies, ayant une certaine initiative et étant responsables de toutes les parties de leur service, les dépenses seraient beaucoup moins élevées qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Avec un pareil système, j'en suis parfaitement convaincu, on aurait des stations mieux établies et plus faciles pour le service ; on aurait une voie d'un entretien moins assujettisant, d'une dépréciation moins rapide ; la locomotion serait moins coûteuse ; on ne verrait pas se produire ce fait qui vous paraîtra incroyable et qui n'en est pas moins parfaitement exact, c'est que le transport d'une tonne de marchandise coûte en Belgique le double de frais de traction que sur tous les grands chemins de fer de l'Europe.

Avec un pareil système on ne verrait pas se produire cet autre fait auquel vous aurez de la peine à croire et qui cependant est parfaitement exact, que pour une augmentation de recettes de 161 p. c. sur le produit de 1852, il y a eu, en 1855, une augmentation de parcours de locomotive de 235 p. c.

La dépense d'exploitation ne croît pas uniquement, comme le disait tantôt M. le ministre, en raison du développement du trafic, elle subit encore l'influence d'une circulation de convois organisés en dehors de toute proportion avec les exigences absolues de la circulation des voyageurs et du trafic commercial.

Il n'est pas difficile de comprendre que la multiplicité des convois a pour effet de réduire le produit moyen par train pour chaque kilomètre parcouru et d'augmenter la dépense générale par suite de la conduite et de la consommation des machines, de l'entretien du matériel, de la conduite des convois et autres, dépenses des convois employés en trop et conséquemment de diminuer le produit net ou la différence entre les recettes brutes et les dépenses d'entretien.

On comprend dès lors quelle a dû être l'influence fâcheuse exercée sur le produit net de nos chemins de fer par une organisation de convois, faite en dehors de toutes les nécessités du service, qui se traduit par ce chiffre 235 p. c. d'augmentation dans le parcours des locomotives contre une augmentation dans les recettes de 161 p. c.

J'affirme, et je ne crains pas la contradiction, que c'est là une augmentation en dehors de tous les besoins, une augmentation qui seule suffirait pour prouver la défectuosité de l'exploitation, car il n'entrera, je crois, dans la pensée de personne de contester que l'organisation des convois pendant l'année 1852 n'ait largement satisfait aux exigences du transport des hommes et des choses.

C'est cette organisation de convois en dehors de tous les besoins qui détermine, soyez-en sûrs, pour une grande part la différence énorme qui existe dans le rapport entre les recettes et les dépenses de nos chemins de fer d'avec ce que l'on observe ailleurs.

Mais pourquoi m'étendre ici sur ces détails ? Mon exposé serait toujours incomplet, car il me faudrait parcourir toutes les parties de tous, les services et partout je trouverais à vous signaler un excès de dépensa attribuable toujours à la même cause, à l'absence d'organisation.

Je n'aurais plus rien à ajouter, messieurs, si je n'avais un mot à répondre à M. le ministre et à l'honorable M. Verhaegen.

L'honorable ministre a fait tout à l'heure l'apologie de l'exploitation du chemin de fer. Je conçois que c'est dans le rôle du chef de l'administration, et je suis loin de lui en faire un reproche. Je dois cependant relever quelques-unes de ses assertions.

A propos du renouvellement du matériel, M. le ministre a dit que, sous, ce rapport, le chemin de fer de l'Etat faisait ce qu'on ne faisait pas ailleurs, c'est-à-dire que le renouvellement est effectué sur les fonds du budget, tandis qu'ailleurs il se fait sur le capital. Je déclare que je ne connais pas un seul chemin de fer où le renouvellement du matériel ne se fasse sur les fonds du budget, c'est-à-dire pour les compagnies sur les recettes annuelles. S'il y a un chemin de fer qui fasse exception à cet égard, c'est le chemin de fer de l'Etat. Ainsi, il a été employé l'année dernière une somme de 500,000 fr. pour la réparation du matériel. Cette dépense étant imputée sur le crédit de neuf millions, c'est-à-dire sur le fonds capital. On a pris cette mesure, parce que les fonds du budget n'avaient pu suffire, et que le matériel était dans un état deplorable.

(page 1308) Maintenant un mot quant au budget même et ce mot est à l'adresse de M. Verhaegen.

L’honorable M. Verhaegen semble être très bien renseigné sur tout ce qui s'est passé au comité consultatif. Cela dénote de la part de l'honorable membre un grand goût pour les questions passablement ardues de chemins de fer. Ce goût lui est venu, me semble-t-il, assez subitement et je regrette qu'il lui soit venu si tard ; nous aurions pu profiter du fruit de ses études dans la grande commission dont l'honorable membre faisait partie, mais où nous avons eu rarement l'avantage de le rencontrer.

M. Verhaegen. - Je n'ai pas accepté.

M. de Man d'Attenrode. - Vous n'avez jamais donné votre démission.

M. Verhaegen. - Je n'y suis jamais allé.

M. de Brouwer de Hogendorp. - C'est une erreur. Je m'en rapporte à l'honorable M. Lesoinne.

M. Lesoinne. - Il est venu une ou deux fois.

M. de Brouwer de Hogendorp. - L'honorable membre, qui est si bien informé de ce qui s'est passé dans les réunions du comité qu'on dirait vraiment qu'ily avait un acolyte, aurait dû mieux savoir ce qui s'est passé pour le budget.

Il a dit que le comité avait approuvé la somme demandée au budget.

M. Verhaegen. - Pour les locomotives et les voitures. Je l'ai lu dans le rapport.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Soit, voici, toujours les explications que j'ai à donner sur l'examen du budget par le comité.

Dans une des séances du mois de décembre, le comitéa été saisi par le ministre de l'examen du projet de budget.

Il fut renvoyé à un sous-comité composé de MM. de Man d'Attenrode, Quoilin, secrétaire général du département des finàances et de moi. Nous avons dépensé à l'examen de ce budget un mois entier. Nous avons voulu entrer dans tous les détails de ce budget.

Mais après un examen qui, je le répète, a duré un mois nous n'y avons vu (permettez-moi de faire usage d'une expression triviale) nous n'y avons vu que du feu. Que l'on décline, si l'on veut, ma compétence et même celle de M. de Man d'Attenrode, on ne déclinera certes pas, en ces matières, la compétence de M. Quoilin.

Eh bien, malgré notre bonne volonté à tous, il nous a été impossible de donner un avis sur un projet de budget qui en réalité n'est qu'une sorte de demande de crédit global.

M. de Man d'Attenrode. - Et une fiction !

M. de Brouwer de Hogendorp. - Je dirai plus ; ce que je vais dire n'est pas au procès-verbal ; mais j'invoque le témoignage de tous les membres, du comité. Ce n'était pas M. de Man et moi qui considérions le budget des chemins de fer comme une sorte de crédit global ; M. Masui avouait que ce n'était pas autre chose.

M. de Man d'Attenrode. - C'est vrai.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Je n'ai plus rien à ajouter.

M. Matthieu. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur une surtaxe qui pèse sur les transports de houille, dirigés des charbonnages du Centre, et qui pour arriver à leur destination doivent emprunter le chemin de fer de l'Etat.

La tarification pour le transport de la houille calculée à 40 centimes par tonne et par lieue, est fixée de la manière suivante :

Pour le parcours de Manage à Mons fr. 1 76.

Pour le parcours des charbonnages du Centre à Manage 80 c.

Ce tarif spécial ne rencontre aucune difficulté dans son exécution.

La surtaxe n’a lieu que lorsqu'il s'agit d'expéditions ayant pour destination des localités au-delà de Mons ou de Manage, et pour lesquelles on doit emprunter le chemin de fer de l'Etat.

Dans le cas de transports de cette nature mixte, il y a lieu d'appliquer aux deux lignes le tarif général de l'Etat, c'est-à-dire, d'établir le péage à raison de 50 centimes par lieue parcourue, plus 1 franc pour droit fixe.

Cela posé, si l'on prend pour exemple une expédition de houille partant du Centre en destination pour Brainc-le-Comte, on fait payer pour cette expédition :

Sur le chemin du Centre à Manage 80 c.

Et sur celui de Manage à Braine pour parcours de 3 lieues à 30 centimes 90 c.

Plus pour droit fixe 1 fr.

Ensemble fr. 2 70.

Tandis que dans la saine application des tarifs on devrait percevoir pour 5 lieues de parcours, dont 2 sur la ligne de Manage et 3 sur le chemin de fer de l'Etat, à raison de 30 centimes par lieue, soit fr. 1 50

Et pour droit fixe 1 fr.

Ensemble fr. 2 50.

Donc surtaxe de 20 centimes par tonne et par lieue.

En 1852, une réclamation fut adressée à M. le ministre des travaux publics, avec exposé des faits.

M. le ministre fit aux réclamants la réponse suivante sous la date du 11 octobre 1852 :

« Messieurs,

« Répondant à votre lettre du 28 août, j'ai l'honneur de vous informer que l'anomalie signalée dans votre lettre existe réellement. Dans un délai rapproché ïl sera passé une nouvelle convention avec la société de Namur à Liège avec ses extensions, et il y sera tenu compte de votre réclamation de manière à faire disparaître cette anomalie.

« Le ministre des travaux publics,

« (Signé) Van Hoorebeke. »

Si cette réponse était satisfaisante sous le rapport de la constatation de l'existence du grief signalé, elle ne l'était pas du tout sous le rapport de l'ajournement dé la rectification concernant l'anomalie que M. le ministre avait été forcé dé reconnaître, anomalie qu'il aurait été d'autant plus facile de redresser immédiatement que l'Etat profitait seul de cette surtaxe ; mais derrière cette question de stricte justice, se plaçait en opposition l'intérêt du trésor, de cet être moral qui est la dernière raison à opposer aux injustices dont il profite. Quoiqu'il en soit, les intéressés s'empressèrent d'adresser une nouvelle réclamation pour obtenir une solution immédiate.

Nouvelle réponse de M. le ministre, non moins explicite, conçue en ces termes :

« 4ème direction, 2ème bureau, n°93/13079. J’ai l’honneur de vous informer, messieurs, que des propositions ont été soumises, il y a un mois environ, à la société du chemin de fer dont il s’agit à l’effet d’accélérer la conclusion de la nouvelle convention dans laquelle il est fait droit à votre demande. »

D'après des renseignements qui me parviennent, cette conclusion est prochaine. A côté de cette réclamation une autre avait été soulevée. Elle concerne le droit fixe d'un franc qui se perçoit sur les chemins de fer de l’Etat. Ce droit fixe en ce qui concerne les transports mixtes parcourant une ligne concédée et empruntant les chemins de fer de l'Etat doit se partager par moitié entre les deux lignes. Ce partage est, du reste, en usage, ainsi que je le dirai tout à l'heure, excepté pour le Centre.

Après des assurances aussi positives de la part de M. le ministre des travaux publics, on devrait supposer qu'il a été fait droit depuis longtemps aux injustices si formellement reconnues, mais il n'en est rien ; à l'heure qu'il est, les choses sont encore dans le même état en ce qui concerne les réclamations du bassin du Centre.

Il y a plus encore : la situation s'est aggravée en ce sens qu'on a accordé aux exploitants du bassin de Charleroi, les concurents naturels du Centre, la tarification que ce dernier bassin à réclamée en vain jusqu'à présent.

Ainsi, pour les expéditions de houille faites des stations de Roux et de Gosselies en destination du bassin de Mons qui empruntent le chemin de Manage, l'Etat partage avec celui-ci le droit fixe d'un franc, d'où il résulte qu'on accorde aux concurrents du Centre et sur une ligne construite dans l'intérêt de ce dernier bassin, des avantages dont il est, lui seul, privé ; et, grâce à cette faveur, les exploitants de la vallée du Piéton viennent faire une rude concurrence au Centre sur son propre marché.

J'appelle l'attention la plus sérieuse de M. le ministre des travaux publics pour le redressement de ces griefs.

M. Vandenpeereboom. - La situation, dans cette discussion, me semble assez singulière. Depuis un certain nombre d'années, à l'occasion de l'examen du budget des travaux publics, nous voyions un grand nombre de membres de la droite se lever et combattre avec une vivacité extrême le gouvernement, le budget et l'administration du chemin de fer. Cette année tout est changé ; M. Verhaegen reste le défenseur chaleureux du chemin de fer de l'Etat et de son administration officielle, et surtout du ministre des travaux publics dont il combat toujours les opinions politiques.

Un des honorables membres qui siègent de l'autre côté de cette Chambre, avec un courage et une persévérance auxquels je rends hommage, M. de Man d'Attenrodc presque seul soutient son opinion ancienne ; mais il semble abandonné par ses collègues de la droite. (Dénégations.)

M. de Brouwér, je le reconnais, a pris la parole pour soutenir son ami ; mais son exemple n'a pas été suivi.

M. Rodenbach. - La discussion n'est pas finie.

M. Vandenpeereboom. - Non ; mais elle est sur lepoint de l’être.

Elle traîne, et je ne crois pas qu'elle dure longtemps encore. Du reste si MM. de Man et de Brouwer sont appuyés par les collègues qui siègent à côté d'eux et surtout par l'honorable M. Rodenbach qui vient de m'interrompre, je retirerai mon observation et féliciterai même ces orateurs de rester conséquents avec eux-mêmes ; mais en attendant il m'est permis de présumer qu'ils ont tardé si longtemps à se faire inscrire parce qu'ils ne savaient pas très bien quelle attitude prendre aujourd'hui en présence d'un cabinet ami.

Quant à moi, j'aime à examiner les actes en eux-mêmes sans me préoccuper des hommes qui les posent et de ceux qui les attaquent, et je persiste à croire, comme je l'ai déclaré au début de ce débat, qu'il eût été intéressant et utile d'entamer une discussion sérieuse sur la (page 1309) question importante et si souvent controversée du chemin de fer et de l’administration qui en dirige l’exploitation ; d’ailleurs le rapport de l’honorable M. de Man est un travail complet, élaboré avec le plus grand soin et qui aurait pu servir de base à une discussion à fond.

Qu'est-il arrivé cependant ? L'honorable M. de Man, s'en tenant aux termes de son rapport, s'est borné à demander à la Chambre qu'une organisation nouvelle fût soumise à la Chambre avant la fin des vacances parlementaires.

L'honorable M. de Brouwer est entré, il est vrai, plus avant dans la question.

Mais l'honorable ministre, suivant à peu près la voie tracée par ses prédécesseurs, est entré dans un dédale de chiffres et d'arguments statistiques ; sans répondre directement à la question, il a cherché à combattre le rapport et, je dois le reconnaître, il l'a fait avec adresse et talent, je dirai même avec succès, sinon quant au fond, au moins dans les questions de détails qu'il a traitées.

Cependant, messieurs, je dois déclarer que le discours de l'honorable ministre ne m'a pas convaincu. Pour moi, il est clairement démontré qu'à l'administration du chemin de fer il y a à faire, et je dirai même beaucoup à faire. Je ne puis partager l'opinion de l'honorable M. Verhaegen, qui trouve que là tout est pour le mieux dans le meilleur des chemins de fer possibles ; il me semble, au contraire, qu'il y a de grandes réformes à apporter dans cette administration et qu'à cet égard il ne peut y avoir de doutes.

Quand on parcourt les chemins de fer, quand on visite même les bureaux de l'administration, les fonctionnaires supérieurs, les fonctionnaires d'un ordre secondaire, tout le monde enfin se plaint et déclare que l'administration doit être réorganisée.

Les ministres qui ont précédé M. le ministre actuel ont reconnu d'une manière formelle que l'administration du chemin de fer exigeait une réorganisation radicale et la Chambre elle-même a reconnut cette nécessité, puisqu'elle a demandé la formation d'une grande commission d'abord, et d'un comité consultatif ensuite.

Il y a donc nécessité absolue d'arriver le plus promptement possible à une réorganisation définitive de l'administration des chemins dê fer, postes et télégraphes.

La situation dans laquelle se trouve cette administration n’est, du reste, pas chose étonnante. A la Belgique appartient l'honneur de l'initiative de la création des chemins de fer sur le continent. Or, lorsqu'on entre dans une voie entièrement nouvelle, il est facile de le comprendre, il faut marcher avec précaution, il doit y avoir des tâtonnements, on ne peut arriver immédiatement au résultat désirable.

Mais après vingt années d'essai, il me paraît que le moment est venu d'arriver enfin à un résultat satisfaisant et stable.

Je n'entrerai pas dans l'examen du rapport de l'honorable M. de Man et dans toutes les questions de détail qu'il a soulevées. J'avoue mon incompétence pour discuter ici de pareilles questions. Je n'ai pas, comme les honorables membres qui ont pris la parole, examiné ou eu occasion d'examiner toutes les questions qui se rattachent au chemin de fer.

Je me contenterai de constater que de l'examen de l'ensemble résulte pour moi cette conviction : qu'il y a beaucoup à faire et qu'il est grand temps d'arriver enfin à une organisation si vivement réclamée.

Messieurs, toutes nos grandes institutions, la magistrature, l'armée, nos différentes administrations civiles, la douane, etc., ont une organisation régulière ; tout y est prévu jusqu'aux moindres circonstances. Le chemin de fer doit être réglementé de la même manière.

Si j'insiste sur ce point, si je constate l'état actuel que l'on a qualifié d'anarchie, ce n'est pas parce que je suis l'adversaire de l'exploitation des chemins de fer de l'Etat par l'Etat. C'est au contraire, comme je l'ai déjà dit, pour que notre railway national puisse continuer à être administré par le gouvernement et puisse rendre non seulement des revenus au trésor, mais encore des services au public et au pays. C'est en me plaçant à ce point de vue que dans une circonstance récente, j'ai fait remarquer que plusieurs des concessions accordées et qu'on accordera peut-être encore bientôt sont dangereuses et que j'ai même menacé, si menace il y a, de déposer la proposition formelle de livrer le chemin de fer de l'Etat à l'industrie privée avant qu'il ne soit entièrement détérioré, avant, si je puis parler ainsi, qu'il ne soit démonétisé par la concession d'un grand nombre de lignes concurrentes qui lui enlèveraient toute sa valeur.

Messieurs, en présence de la promesse faite par M. le ministre des travaux publics debaser le budget pour l'exercice 1857 sur une organisation nouvelle, je crois que la proposition de l'honorable M. de Man tombe.

Je prends acte de la promesse de M. le ministre.

L'année prochaine, lorsque nous discuterons le budget, nous pourrons en même temps examiner cette nouvelle organisation.

J'ai toutefois une recommandation à faire à M. le ministre ; je le prie, s'il arrête une organisation, de ne pas organiser trop ni trop vite. Car s'il organise trop par un arrêté royal, si, par exemple, il nommait un grand nombre de fonctionnaires avant le vote du budget, nous pourrions nous trouver liés et avoir à voter un budget trop élevé. Je demande donc que M. le ministre arrête un projet, qu'il nous présente un budget en conséquence, et que nous ayons le loisir d'examiner ce budget avant qu'aucun précédent ne soit posé.

J'ai encore une autre demande à faire à M. le ministre. Je le prie de nous dire s'il voit des inconvénients à imprimer les procès-verbaux du comité consultatif Ce comité n'existe plus ! Je crois qu'il serait utile qu'il en restât quelque chose, au moins les procès-verbaux de ses séances. Ces documents jetteront du jour sur plusieurs questions. Je demande donc formellement à M. le ministre dé bien vouloir promettre l’impression de ces procès-verbaux et leur distribution aux membres de la Chambre avant l'ouverture de la prochaine session.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Je regretté de ne pas avoir répondu aux désirs de l'honorable M. Vandenpeereboom en cherchant à réfuter devant vous tous les points du rapport de l'honorable M. de Man, points que l'honorable membre regarde comme dangereux de laisser subsister. Je n'ai certainement pas la prétention de suivre l'honorable rapporteur dans ses longues et savantes dissertations. J'ai cru qu'il suffirait de rencontrer les points principaux. Il m'a paru d'abord utile d'établir devant vous que les chemins de fer belges ne sont pas inférieurs aux chemins dé fer français quant à la dépense ; et ensuite de vous faire voir que les difficultés d'exploitation étaient beaucoup plus grandes chez nous.

L'honorable M. de Brouwer a, dans un discours très bien fait, résumé les différentes objections qu'à diverses époques il a présentées devant la Chambre. Nous sommes tous convaincus de l'excellence des intentions qui ont dicté ses observations. Mais il doit bien aussi prêter les mêmes intentions à ses adversaires et croire que si, jusqu'à présent, les observations développées qu'il a présentées n'ont pas toutes porté fruit, c'est que des motifs sérieux s'y opposaient. On peut être persuadé, d'autre part, que les travaux du comité qu'on regarde comme ayant été parfaitement infructueux, ne l'ont pas été ; que les décisions du comité qui pourront être mises à exécution le seront au fur et à mesure des besoins.

Quant à l'organisation, j'ai déjà fait une déclaration qui doit satisfaire l'honorable membre. Il exagère en disant que toutes les délibérations du comité ont été suivies d'absence de résultat. Sans aller bien loin dans mes souvenirs, je pourrais citer bon nombre de mesures et des plus importantes qui ont été misés à exécution d'après les conseils du comité. Quelques-unes, je l'avoue, n'ont pas été admises. Mais je le prie de ne pas aller si bas dans l'échelle hiérarchique pour trouver les obstacles. Il y a plusieurs mesures dont je n'ai pas osé prendre la responsabilité.

L'honorable membre, entrant dans d'autres détails, se plaint de ce qu'on n'a pas mis à exécution les mesures indiquées par le comité pour augmenter les recettes et pour opérer toutes les économies possibles sur la dépense. Ainsi trop peu de recettes et trop de dépenses, voilà la base des accusations de l'honorable M. de Brouwer. Il me paraît, messieurs, impossible d'admettre le manque d'intelligence qu'il reproche à l'administration. Les fonctionnaires qui composent l'administration du chemin de fer n'ont pas le monopole de l'absurdité. Le soin avec lequel mes honorables prédécesseurs les ont choisis, la manière dont ils remplissent leurs fonctions, sont un gage qu'ils font ce qu'il est possible de faire.

L'exploitation du chemin de fer de l'Etat, je le répète, est beaucoup plus difficile que celle de tous les autres chemins de fer, parce qu'il a à satisfaire à beaucoup plus d'exigences. Les compagnies exploitent en vue de l'argent ; l'Etat exploite en vue de l'intérêt public. Ainsi l’honorable membre trouve les convois trop nombreux. Mais si l'on en supprime un seul, la position du ministre devient difficile ; les réclamations nombreuses que la Chambre et la presse ont adressées au gouvernement à l'occasion d'un léger changement dans le tableau des heures de départ, ne sont qu'un faible échantillon des difficultés nombreuses qu'offre cette partie du service.

Maintenant, l'honorable M. de Brouwer croit que pour une augmentation de … dans le trafic, une augmentation de. …dans le parcours des locomotives, est beaucoup trop considérable ; il devrait bien reconnaître cependant que toutes les locomotives ne peuvent pas être utilisées pour le retour et que le retour à vide entre pour beaucoup dans ce parcours.

Quant à l'organisation indiquée comme cause principale de ce manque d'unité dans le service, parce que cette organisation n'offre selon l'honorable membre ni responsabilité ni distribution d'attributions, l'administration ne prétend pas qu'elle soit la meilleure possible et, d'accord avec l'honorable M. de Brouwer, j'ai déjà dit que des mesures convenables seront adoptées pour remédier autant que possible aux inconvénients qu'on signale.

Il est, cependant,un point que la Chambre ne doit pas perdre de vue, c'est qu'en tout état de cause, il est impossible d'appliquer au chemin de fer de l'Etat le genre d’administration qu'on regarde comme si parfait, si commode et qui est appliqué aux chemins de fer des compagnies.

L'administration de l'Etat et l'administration des compagnies doivent partir de deux principes différents, qui conduisent à deux organisations différentes : dans les compagnies on peut se baser sur le principe de la confiance absolue, confiance des actionnaires envers le chef, confiance du (page 1310) chef envers ses subordonnés ; dans l'administration de l'Etat nous devons, au contraire, partir du principe de la responsabilité mutuelle ; c’est une espèce de responsabilité successive qui part du ministre pour descendre jusqu’au dernier chef de service ; ce système nécessite des écritures beaucoup plus multipliées et un personnel beaucoup plus nombreux que n'en exige le système suivi dans les compagnies.

C'est là un point essentiel que nous ne devons pas perdre de vue et voilà pourquoi nous ne devons pas trop espérer dé ramener l'exploitation de l'Etat à ces principes si simples, si commodes, si économiques, qui servent de base à l'exploitation des compagnies.

Quelques membres ont touché des points spéciaux du tarif. L'honorable M. Matthieu a parlé des difficultés qui existent entre le département des travaux publics et les compagnies ; l'honorable M. de Moor appelle l'attention du gouvernement sur la tarification des ardoises ; je pense qu'il est impossible de traiter devant la Chambre des questions de détail de cette nature.

Je prends note des demandes des honorables membres et j'y aurai égard autant que possible.

Quant à la convention, à laquelle l'honorable M. Matthieu a fait allusion, elle n'a pas encore pu être conclue par des circonstances indépendantes de la volonté du ministre.

Enfin, l'honorable M. Vandenpeereboom, tout en disant qu'il.y a beaucoup à faire, veut bien accorder au ministre l'autorisation d'effectuer dans le courant de l'été prochain l'organisation annoncée et qui doit être autant que possible calquée sur les bases indiquées par le comité consultatif.

L'honorable membre désire que le ministre, par cette organisation, n'engage pas en quelque sorte le vote de la Chambre en faveur d'augmentations de dépenses considérables. L'organisation, messieurs, ne doit pas être faite en vue d'une augmentation de dépenses ; au contraire, elle doit avoir lieu en vue d'une réduction de dépenses, si c'est possible. Je puis donc prendre l'engagement que l'organisation n'entraînera pas pour l'exercice courant une augmentation de dépenses, et que je réserverai tous les principes pour l'avenir jusqu'après le vote du budget de 1857.

La Chambre aura donc une situation nette et claire et toute liberté de se prononcer comme elle le jugera convenable.

L'honorable membre demande si le département des travaux publics verrait des inconvénients à faire, imprimer les procès-verbaux du comité consultatif. Je dois d'abord faire observer que ces procès-verbaux sont extrêmement volumineux ; la commission a tenu un grand nombre de séances et il y a eu en outre des sous-comités dont les procès-verbaux sont encore plus nombreux. Ces derniers ne sont guère de nature à intéresser la Chambre.

Ainsi le sous-comité des constructions s’est réuni très fréquemment ; il a parcouru toutes les lignes, il s'est occupé d'une foule de détails ; tout cela ne peut pas offrir beaucoup d'intérêt pour la Chambre.

Une série de documents qui me paraît beaucoup plus importante, ce sont les procès-verbaux des séances dans lesquelles on a discuté l'organisation.

Je pense que l'honorable M. Vandenpeereboom pourrait se déclarer satisfait si le département des travaux publics prenait l'engagement de faire un triage soigneux des procès-verbaux, d'en élaguer tout ce qui n'a qu'un intérêt de détail technique et de faire imprimer ce qui touche à des questions de principes. Ainsi réduite, la publication de ces pièces ne me semble pas offrir grand inconvénient.

Messieurs, pour résumer ce que j'ai eu l'honneur de répondre au nouveau reproche fait par l'honorable M. de Brouwer, que le ministre est, de fait, impuissant à administrer le chemin de fer, je répète ma déclaration que ce n'est pas le mauvais vouloir des employés subalternes, mais bien la volonté du ministre qui a ajourné ou entravé l'exécution de certaines mesures recommandées par la commission.

Je répète aussi que d'autres délibérations également importantes ont été suivies d'effet.

Enfin, messieurs, je termine en disant que la nouvelle organisation ne doit pas, sans l'assentiment de la Chambre, entraîner des dépenses plus considérables que celles qui existent aujourd'hui.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des travaux publics

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Mercier) présente un projet de loi ayant pour objet d'ouvrir au département des travaux publics un crédit de 405,000 fr. pour payements à faire par suite de décisions judiciaires.

- Ce projet sera imprimé et distribué.

M. Lebeau. - Je propose de renvoyer ce projet à la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics.

- Cette proposition est adoptée.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.