(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)
(Présidence de M. Delfosse.)
(page 1439) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Les bourgmestre et échevins et les électeurs de Gallaix demandent qn'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »
« Même demande d'un échevin, d'un conseiller communal et d'habitants de Bary. »
- Renvoi à la commission des pétitions du mois de mars.
« Le sieur Larondelle, desservant à Basse-Bodeux, prie la chambre de décider si le curé ou desservant est tenu d'écrire sur papier timbré le certificat ou la copie, qui lui est demandé, d'un acte pastoral, attestant qu'une personne a reçu le sacrement du baptême ou autre, et demande qu'il lui soit fait remise de l'amende que lui réclame le receveur de l'enregistrement pour avoir délivré sur papier libre un extrait de ses registres paroissiaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Chaumont-Gistoux déclare adhérer à la pétition du conseil communal de Jodoigne, relative à la construction d'un chemin de fer de Jemeppe à Diest, avec embranchement de Gembloux à Fleurus. »
- Même renvoi.
« Il est fait hommage à la chambre, par M. Th. Cutler, docteur en médecine à Spa, de 110 exemplaires de son ouvrage intitulé : « Spa, considéré dans son passé, son présent et son avenir, comme établis sèment d'eaux minérales et de bains. »
- Distribution aux membres de la chambres et dépôt à la bibliothèque.
« M. Veydt, forcé de s'absenter, demande un congé pour lundi. »
- Ce congé est accordé.
M. Moreau dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi concernant l'augmentation du personnel de la cour d'appel et du tribunal de première instance de Bruxelles.
M. Van Iseghem dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif aux droits différentiels.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.
M. Dumon (pour une motion d’ordre). - Messieurs, vous avez adopté récemment la loi sur l'organisation de l'armée qui remplace la loi de 1845 sur le même objet. La loi que vous venex de voter n'est pas aussi complète que celle à laquelle elle doit succéder, en ce sens qu'elle ne comprend pas les derniers articles qui étaient destinés à régler l'avancement dans les armes spéciales.
Le gouvernement, en présentant son projet, avait déposé en même temps une autre loi pour régler cette partie de l'organisation militaire. La section centrale, en proposant le maintien de la loi de 1845, croyait avoir maintenu toutes choses dans l'ancien état. Comme la proposition de la section centrale n'a pas été adoptée, il en résulte une lacune qu'il importe de combler, et il y a lieu dès lors de s'occuper de la seconde partie des propositions du gouvernement.
Ainsi, pour le moment, aucune loi ne règle les conditions d'avancement dans les armes spéciales.
Il se présentera peut-être des vacances dans le personnel de ces corps d'ici à la prochaine session, il y en a peut-être, et le gouvernement n'est pas en mesure de remplacer les vides qui peuvent exister dans ces cadres.
Comme ce projet a une certaine urgence, que, d'un autre côté, il ne présente pas une importance immense, et de plus pour abréger les travaux de la chambre, je propose de le renvoyer directement à la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'organisation de 1 armée.
M. Delehaye. - Je ferai remarquer que les sections sont convoquées pour lundi pour l'examen de ce projet.
M. le président. - Si la proposition de M. Dumon n'est pas adoptée, les sections seront convoquées pour lundi. Mais si la proposition est adoptée, la convocation des sections pour cet objet n'aura pas lieu.
- La proposition de M. Dumon est mise aux voix et adoptée.
La discussion générale est ouverte.
M. Van Renynghe. - Messieurs, j'ai voté la nouvelle loi organique de l'armée, parce que je ne voulais pas assumer sur moi la responsabilité d'un vote contraire.
Je crois que, dans une pareille question, les intérêts les plus respectables doivent céder au patriotisme, surtout quand le gouvernement déclare que les besoins de notre nationalité exigent de nous des sacrifices pour la prémunir contre les éventualités qui pourraient compromettre son existence.
J'espère que cette nouvelle charge ne sera pas permanente, car, si les puissances étrangères désarmaient, la Belgique, sans aucun doute, diminuerait son état d'armement. Et pourquoi ne pourrait-on pas, en temps opportun, effectuer des économies avec la loi d'organisation que nous venons de sanctionner, attendu que nous en avons réalisé avec celle de 1845 ? Par ce moyen on pourrait parvenir, plus tard, à ménager les ressources financières de l'Etat et à alléger le service des miliciens.
Ayant voté la loi d'organisation de l'armée, je suis amené naturellement à voter les dépenses qui doivent la mettre à exécution. Mais comme ces dépenses doivent être supportées par tout le pays, je voudrais aussi que, autant que possible, toutes les parties du pays pussent en profiter.
C'est à cause de la répartition inégale à cet égard que je me trouve obligé de faire des observations à M. le ministre de la guerre en ce qui concerne l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.
Je dois dire ici que c'est avec une véritable tristesse et un découragement complet que la ville d'Ypres a vu récemment, à deux reprises différentes, ses murs abandonnés par sa garnison, désespérant de pouvoir en obtenir une nouvelle de quelque importance.
Ce n'est pas seulement la ville d’Ypres qui souffre de cet état de choses, mais aussi tout son arrondissement qui est essentiellement agricole. Si cet état de choses se prolongeait, cette partie importante du royaume ne profiterait pas des dépenses qui sont faites pour l'armée, tout en y contribuant pour une assez large part.
Je ne me permettrais aucunement de faire ces observrtions si la ville d'Ypres ne se trouvait pas dans la position la plus avantageuse à pouvoir réclamer une garnison importante. Elle a de belles casernes, pour une partie desquelles elle s'est imposé des sacrifices énormes, de vastes plaines d'exercice, etc.
On m'objectera, peut-être, que la ville d'Ypres est comprise parmi celles dont les fortifications seront démolies. Je ne veux pas entrer dans la question stratégique pour une fort bonne raison, c'est qu'elle n'est pas de ma compétence. Cependant je ferai remarquer que, dans mou opinion, en démolissant quelques-unes de nos fortifications vous abandonnerez une partie importante du pays et l'exposerez aux terribles vicissitudes d'une invasion. Cette mesure, de la part du gouvernement, peut avoir pour but d'augmenter la force de l'armée ; mais, en atteignant ce but, n'affaiblira-t-il pas la force morale des populations, force avec laquelle, je crois, on doit compter surtout dans des circonstances critiques ?
Mais dans la supposition que les fortifications d’Ypres fussent rasées, (ce que je verrais pourtant avec regret), cette ville conserverait néanmoins ses casernes et ses plaines d'exercice et, se trouvant alors dans la même position que d'autres villes non fortifiées, ayant des garnirons importantes, elle devrait jouir du moins de la même faveur accordée à ces localités, d'autant plus que par la construction de son chemin de fer, le déplacement de sa garnison, en cas d'éventualité, pourrait s'effectuer avec toute la facilité et toute la rapidité désirables.
Ce n'est pas un privilège que je demande eu faveur de la ville d'Ypres et de son arrondissement, c'est une justice distributive, c'est, surtout pour cette ville, un droit, pour ainsi dire acquis. La ville et ses habitants ont cru pouvoir s'imposer de grands sacrifices en vue de la possession d'une garnison importante et des bénéfices qui doivent en résulter. Leur enlever ces avantages, c'est amener une crise financière dans l'administration de l'une et compromettre la fortune des autres.
Je ne doute aucunement que M. le ministre de la guerre ne satisfasse à ces justes réclamations. Il ne voudra pas que tant d'intérêts soient lésés à la fois.
Lors de la discussion récente sur les distilleries, n’a-t-on pas accordé une espèce de privilège à la ville de Tournai dans l’intérêt des recettes de son octroi ? Dès lors pourquoi enlèverait-on, sans but plausible, à la ville d'Ypres une garnison dont les bénéfices qu’elle a le droit d'en attendre doivent compenser les sacrifices qu'elle a faits et équilibrer ses recettes avec ses dépenses ? Encore une fois, ce n'est pas un privilège qu'elle réclame, c'est, comme je viens de le dire, un droit qu'on peut nommer acquis, vu qu'elle en a été en possession sans discontinuer, à peu près, pendant trente-neuf ans.
J'espère que M. le ministre de la guerre daignera obtempérer à ma juste demande.
J'ai dit.
(page 1440) M. Thiéfry. - Quelques jours se sont à peine écoulés depuis que la chambre a adopté la loi d'organisation de l'armée, je croirais donc, messieurs, abuser de vos moments si j'entamais de nouveau une discussion à cet égard ; je n'ai demandé la parole que pour traiter une question administrative et constitutionnelle.
Le rapport de la section centrale donne, au sujet d'une caisse occulte qui existe dans chaque corps, des détails inexacts et fort incomplets.
J'aurais voulu que la commission mixte s'occupât de cet objet, et j'avais annoncé que je proposerais la suppression de cette caisse, je n'ai pu obtenir qu'on en délibérât. Je viens donc aujourd'hui signaler des abus dont la chambre ignore l'existence.
L'administration de l'armée a pour base un règlement du 1er février 1819, au moyen duquel on forme cette caisse, appelée « Masse des recettes et dépenses imprévues.» Sous l'ancien gouvernement nous l'appelions « la masse noire, » c'est son véiitablc nom ; car on n'y voit rien, les recettes comme les dépenses restent inconnues, elles ne sont soumises à aucun contrôle de la cour des comptes. Je demande que, conformément à ce qui se pratique pour tous les amres ministères, on porte, pour l'exercice 1854, les recettes au budget des voies et moyens et les dépenses au budget de la guerre.
Les recettes principales de cette masse se composent ;
1° D'une retenue de 2 p. c. faite sur le montant de tous les comptes ou déclarations de fabricant, marchand, ou maître ouvrier, excepté sur les états des maîtres ouvriers des corps et sur ceux qui concernent les fournitures de pain et de fourrages.
2° Du restant disponible de l'indemnité pour frais d'administration ;
3° Du restant disponible de la masse d'entretien du harnachement et du ferrage des chevaux des troupes à cheval ;
4° Des bénéfices qui peuvent se faire sur les prix d'achat des effets, etc., etc., etc.
Le soldat reçoit une allocation fixe qui lui sert à payer ses habillements ; quand il les use au-delà des prévisions, ou lorsque ses effets coûtent trop cher, il supplée par sa solde à l'insuffisance de l'allocation.
Je ferai remarquer que c'est au département de la guerre ou dans les corps que l'on achète tout ce qui est nécessaire pour l'habillement de la troupe, et qu'un arrêté fixe chaque année le prix auquel le soldat doit payer de ses propres deniers chaque objet dont il a besoin.
La retenue de 2 p. c. que l'on opère sur le compte de tous les fournisseurs est donc en réalité une retenue illégale que l'on fait sur la solde des sous-officiers et soldats de l'armée.
Accorder en outre à ta caisse dont il est question, tous les bénéfices que l'on peut réaliser sur les prix d'achat des effets, quand on les achète et que l'on fixe soi-même le prix de la vente, n'est-ce pas accorder une latitude dont il est bien facile d'abuser pour se créer des ressources ?
D'un autre côté les chambres votent des fonds considérables pour les frais d'administration, pour l'entretien du harnachement, etc., ces sommes, portées dans le budget, sont souvent supérieures aux dépenses, et le restant disponible est versé dans cette caisse dite masse de recettes et dépenses imprévues. Le ministre dispose alors de tous ces fonds comme il l'entend, sans que la cour des comptes y voie la moindre chose et sens qu'aucun membre de la chambre puisse jamais savoir l'usage qu'on en a fait.
Je sais bien qu'en général on emploie cet argent à des dépenses utiles qui sont autorisées par le règlement de 1819 ; mais je n'ignore pas non plus que plusieurs fois des dépenses ont eu lieu contrairement à ce règlement, et elles n'auraient certainement pas obtenu l'assentiment de la législature, si celle-ci eût été appelée à voter les fonds.
Nous avons trois choses à examiner :
Si les recettes et les dépenses de cette masse particulière sont légales.
S'il y a des motifs autres que la légalité pour en demander la suppression.
Si les moyens proposés sont d'une exécution facile.
Le deuxième paragraphe de l'article 115 de la Constitution est ainsi conçu :
« Toutes les recettes et dépenses de l'Etat doivent être portées au budget et dans les comptes. »
Et le deuxième paragraphe de l'article 116 dit :
« Cette cour (la tour des comptes) est chargée de l'examen et de la liquidation des comptes de l'administration générale et de tous comptables envers le trésor public. Elle veille à ce qu'aucun article des dépenses du budget ne soit dépassé et qu'aucun transfert n'ait lieu. »
La Constitution ne laisse donc aucun doute sur la marche à suivre ; toutes les recettes et dépenses doivent être portées au budget et votées par les chambres, puis soumises au contrôle de la cour des comptes. Or, c'est ce qui ne se pratique pas ; ni les recettes, ni les dépenses ne figurent au budget, la cour des comptes n'a connaissance ni des unes ni des autres, elle s'en est plainte même plusieurs fois dans les rapports qu'elle a adressés à la chambre.
On a voté en 1846 la loi sur la comptabilité ; il suffit d'en citer quelques articles pour faire voir que le législateur n'a pas voulu sanctionner une marche aussi contraire à tout principe de justice et de bonne administration.
L'article premier est ainsi conçu :
« Les recettes et les dépenses publiques à effectuer pour le service de chaque exercice, sont autorisées par les lois annuelles de finances, et forment le budget général de l'Etat. »
Voici maintenant les deux premiers paragraphes de l'article 16.
« Les ministres ne peuvent faire aucune dépense au-delà des crédits ouverts à chacun d'eux.
« Ils ne peuvent accroître par aucune ressource particulière le montant des crédits affectés aux dépenses de leurs services actifs. »
Ici encore obligation pour le ministre de porter les recettes et dépenses dans les budgets, et défense expresse de créer des ressources, soit au moyen de transferts, soit par des retenues sur la solde de ses subordonnés.
Je suis obligé de prouver par des exemples qu'il y a réellement un abus ; cependant je n'en citerai qu'un seul, à moins d'être forcé d'en ajouter d'autres ; je pense qu'il suffira pour convaincre tout le monde de la nécessité de porter les recettes au budget des voies et moyens et les dépenses au budget de la guerre.
Je dirai d'abord que d'après les règlements militaires, le commandant et les commissaires qui possèdent les clefs de la caisse du régiment sont responsables des fonds qui doivent s'y trouver.
Ils sont obligés de veiller, sous leur responsabilité personnelle, à ce que les sommes que le quartier-maître reçoit de la caisse du corps soient portées en recette sur les registres de ce comptable, et à ce que cet officier ne fasse figurer dans ses livres aucune dépense qui ne soit justifiée et autorisée.
Toute perte de deniers provenant de défaut de surveillance ou des dispositions du règlement sont supportées, selon les circonstances, soit solidairement par le commandant et les commissaires, soit par le premier seul.
Tout le monde comprendra qu'il est nécessaire de maintenir ces règles administratives ; s'en écarter, c'est encourager la négligence et exposer l'Etat à des pertes.
L'article 14 de la loi sur la comptabilité impose d'ailleurs la même responsabilité à tous les fonctionnaires chargés spécialement et directement de la surveillance des comptables et du contrôle de leur comptabilité.
J'arrive maintenant au fait que je veux signaler.
En 1837 un déficit fut constaté dans les caisses du régiment des chasseurs à cheval. Les membres du conseil d'administration, d'après les dispositions que je viens de rappeler, furent déclarés responsables d'une somme de près de 20,000 francs. Toutes les sollicitations, toutes les influences échouèrent devant la fermeté du général Wilmar qui en ordonna le remboursement ; mais en 1841, le ministre Buzen, par un acte de faiblesse que rien ne peut justifier, permit de prendre, pour couvrir cette dette, une somme de 12,106 fr. 35 c. dans la masse du renouvellement de la buffleterie et du harnachement dont l'excédant est versé à la masse des recettes et dépenses imprévues.
Ainsi donc au lieu d'acheter pour 12,106 fr. de buffleteries, ou d'annuler cet excédant de crédit, on a employé cet argent à combler un déficit causé par la négligence et par la malversation. (Voir à ce sujet la dépêche du 3 juin 1841, 6ème div. n°7462.)
Je constate donc, messieurs, qu'il y a iniquité dans les recettes et quelquefois abus dans les dépenses. L'ordre et la régularité que réclame une bonne comptabilité, exigent que cette masse des recettes et dépenses imprévues disparaisse entièrement. Je demande que pour l'exercice 1854 les recettes soient portées au budget des voies et moyens, et toutes les dépenses au budget de la guerre.
Les moyens que je propose sont certainement d'une exécution facile, il n'est pas un comptable qui mettra cela en doute. Comment le service pourrait-il être entravé, alors que les dépenses seront autorisées par l'adoption du budget, et que le ministre aura encore par l'article 32 plus de 100 mille fr. pour les dépenses imprévues ? D'un autre côté on porte bien en recette au budget des voies et moyens.
Les indemnités payées par les miliciens pour remplacement et pour décharge de responsabilité de remplacement.
Les revenus des domaines du département de la guerre.
Les bénéfices produits par la fonderie de canons.
Les pensioos à payer par les élèves de l'école militaire.
Le produit de la vente des vieux effets des prisons.
Pourquoi ne pourrait-on pas porter également à ce budget les diverses recettes que le département de la guerre fait encore ?
On lit dans le rapport de la section centrale le paragraphe suivant :
« Cependant quelques membres des Chambres ayant manifesté la crainte de voir imputer à charge de cette caisse des dépenses non prévues par le règlement, le ministre de la guerre, pour donner toute assurance à cet égard, provoqua un arrêté royal en date du 8 mars 1849 qui stipula qu'à l'avenir on ne pourrait plus disposer des fonds de la masse pour des dépenses non spécifiées au règlement, sans qu'un arrêté royal publié au Moniteur n'ait préalablement autorisé l'imputation. »
Eh bien, messieurs, cela est tout à fait inexact, l'arrêté de 1849 ne dit pas qu'à l'avenir on ne disposera plus des fonds de la masse pour des dépenses non spécifiées au règitment. C’est bien ce qui avait été demandé et non pas ce qui a été obtenu.
Voici cet arrêté :
« Art. 1er. Lorsque après la clôture générale et annuelle des comptes au 1er janvier du chaque année, il y aura, à la masse des recettes et (page 1441) dépenses extraordinaires et imprévue ? d'un corps de l'armée, un excédant de recette, cet excédant ne pourra être appliqué qu'aux dépenses autorisées par l'article 156 du règlement d'administration du 1er février 1819.
« Art. 2. A cet effet, notre ministre de la guerre nous fera les propositions qu'il jugera utiles au bien du service, et il ne pourra être disposé d'aucune partie de l'excédant de recette mentionné à l'article qui précède, autrement que par un arrêté royal publié conformément à la loi du 28 février 1845. »
Voici maintenant l'article 156 dont il est question.
« Si, après la clôture générale et annuelle des comptes au 1er janvier de chaque année, il y avait un excédant de recettes, le département de la guerre fera, sur les rapports des commandants des corps, s'ii y a lieu, une proposition au Roi, pour faire employer cet excédant au bien-être général du corps ou à tout autre but utile, pourvu que cet usage soit expressément déterminé. »
Il est donc évident que l'arrêté de 1849 n'est que la reproduction de l'article 156 du règlement de 1819, et c'est sous l'empire de ce règlement qu'une quantité d'abus ont eu lieu ; cela peut par conséquent se renouveler encore.
De l'excédant au 1er janvier on permet de ne pas disposer sinon par arrêtés royaux ; et de la recette faite pendant toute l'année on en usa toufours comme on veut : l'engagement pris par le ministre est d'ailleurs tout à fait illusoire, puisqu'il n'est donné connaissance à personne ni des comptes ni du reliquat ; on a de cette manière la faculté de faire des dépenses que l'on n'oserait pas avouer.
Je prie M. le commissaire du Roi de croire que je ne fais ici aucune mauvaise insinuation, je ne veux pas dire que ces sortes de dépenses ont eu lieu sous son administration, je soutiens seulement qu'elles pourraient se produire à l'insu de la chambre et de la cour des comptes.
La section centrale a pensé que si on n'opérait pas de retenue sur le payement des fournitures, les objets livrés aux troupes diminueraient dans la même proportion.
« Les organes du gouvernement ont répondu que l'Etat, cédant aux hommes les objets d'équipement à la pièce, devait les acheter lui-même à la pièce, que ces adjudications portaient sur un grand nombre d'articles divers de très mince valeur, n'atteignant souvent pas 50 centimes ; qu'il est douteux qu'une réduction sur un prix aussi minime soit sensible pour le soldat ; que l'usage constant des trente-quatre ans passés sous le régime actuel avait établi pour ces objets des prix en quelque sorte invariables, et qu'il est à croire que toute réduction de charge tournerait bien plus au bénéfice du fournisseur qu'à celui de la troupe. »
Ici encore je suis complètement en désaccord avec M. l'intendant en chef. Les objets de 50 centimes, si on ne fait pas la retenue de 2 p. c, seront livrés aux soldats pour 49 centimes, sur les 26 articles fournis comme première mise à un fantassin et dont le montant est de 115 fr. 63 c., il n'y en a que 6 au-dessous de 50 centimes, ils s'élèvent ensemble à 1 29. En faisant une retenue de 2 p. c, sur le compte des fournisseurs, il est évident que ceux-ci majorent leur soumission de la même quantité.
Le système que l'on critique fonctionne, dit-on, depuis longtemps et avec succès. Je ne conteste aucune de ces assertions au point de vue de M. l'intendant. Je lui répondrai seulement qu'il ne fonctionne pas avec économie. On ajoute que toutes les dépenses qu'on peut imputer sur cette masse sont prévues par le règlement de 1819, et que, pour s'en écarter, il faut être autorisé par un arrêté royal rendu public par la voie du Moniteur. Cela est encore inexact, la dépense des 12,106 francs dont j'ai parlé, comme plusieurs autres que je pourrais citer, ne sont pas prévues par le règlement de 1819, et aucun arrê é royal n'a été inséré dans le Moniteur pour autoriser ces payements ; et, je le répète l'arrêté de 1849 est identique avec l'article 156 du règlement de 1819.
Comms je ne veux pas mettre d'entraves à l'adoption du budget de 1853, je ne propose aucun changement pour l'exercice courant. Je demande seulement que le budget de 1854 comprenne toutes les dépenses à faire ; et afin que la chambre puisse exprimer sa volonté à cet égaid, j'ai l'honneur de lui présenter un amendement sur le littera E de l'article 12. Il ne s'agit que d'une réduction bien minime de 700 francs à opérer sur les frais d'administration dont l'excédant disponible est verse dans la masse des recettes et dépenses imprévues. L'adoption de moa amendement aura pour conséquence la suppresssion de la masse noire: le rejet, au contraire, serait la consécration de son existence.
M. Servaes, commissaire du Roi. - Messieurs, l'honorable représentant m'a nommé plusieurs fois dans son discours. Je dois lui faire remarquer que c'est le ministre de la guerre qui figure ici et que je ne suis que commissaire du Roi. Ce n'est donc pas à moi qu'il doit s'adresser.
M. Thiéfry. - Je vous ai répondu comme commissaiie du Roi et comme auteur de la note insérée dans le rapport de la section centrale qui fait l'objet de mes observations.
M. Servaes, commissaire du Roi. - Pour répondre au discours de l'honorable préopinant, je dois entier dans quelques détails d'administration, détails arides et pour lesquels je réclame l'indulgence de la chambre.
La masse connue sous le nom de « Recettes et dépenses extraordinaires et imprévues » a existé, sous une dénomination quelconque, de tout temps et dans toutes les comptabilités régulièrement établies.
Le gouvernement des Pays-Bas, après six années d’essais, adopta, par arrêté du 1er février 1819, le système d’administration et de comptabilité encore en usage aujourd’hui dans notre armée, et qui est considéré comme un chef-d’œuvre de clarté et de précision.
Ce système est basé sur les principes généraux de la comptabilité commerciale, et, ainsi que celle-ci, il comprend un compte destiné à régulariser la justification des profits et des pertes résultant de recettes et dépenses extraordinaires et non prévues.
Mais dans notre administration militaire, cette masse acquiert une importance toute spéciale, qui prend sa source dans le mode adopté pour l'habillemant de la troupe.
Ainsi, le soldat, au moment de son incorporation dans l'armée, reçoit son habillement complet, qui devient sa propriété et qu'il est obligé de payer au moyen d'une retenue journalière à exercer sur son allocation pour solde et habillement ; de sorte que, dès son entrée au service, il contracte une dette de 120 à 180 francs, suivant l'arme à laquelle il appartient. Si l'on tient compte que le soldat doit en outre pourvoir, au moyen de cette allocation, à l'entretien et aux réparations de ses effets d'habillement, on reconnaîtra qu'il lui faudra au moins deux ans pour s'acquitter.
Mais, pendant cette période de deux années, plusieurs hommes auront été rayés des contrôles par suite de décès, désertions, condamnations, etc., etc., avant d'avoir pu liquider leur dette à la masse d'habillement ; on comprendra dès lors qu'on ait institué un fonds destiné à couvrir les pertes qui résultent de cet état de choses, et que, si ce fonds n'existait pas, il faudrait nécessairement le créer.
D'autre part on voudra bien remarquer que les 29 corps de l'armée ont chacun leurs magasins, qui contiennent ordinairement pour 2 millions d'effets de toute espèce, dont la conservation est très difficile. Or, malgré la surveillance la plus active et les soins les mieux entendus, des détériorations sont inévitables, et les pertes qui en sont la conséquence sont encore supportées par la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues.
Je pense que la chambre voudra bien me dispenser d'énumérer tous les services que cette masse rend à l'administration militaire : ceux que je viens de citer lui permettront, je l'espère, d'en apprécier l'utilité.
Des abus ne sont pas à craindre ; pour le prouver il suffira de vous dire, messieurs, qu'aucune imputation ne peut être faite sur cette masse, si elle n'est prévue par l'article 154 de l'arrêté royal du 1er février 1819 ; encore faut-il, pour la plupart de ces dépenses, l'autorisation préalable du département de la guerre.
Les comptes de ladite masse sont minutieusement vérifiés chaque trimestre par les intendants, ensuite par les inspecteurs généraux et finalement par le ministre de la guerre.
Lorsque des dépenses sont indispensables et qu'elles ne sont pas prévues par le règlement, elles ne peuvent être autorisées que par un arrêté royal qui doit être inséré au Moniteur.
On peut donc avoir pleine confiance dans la bonne direction donnée à cette branche importante de l'administration.
Ce qui se passe en Belgique se retrouve, sous d'autres dénominations, dans les administrations militaires des autres puissances.
En France, il existe un abonnement avec les corps, connu sous le nom de masse générale d'entretien.
On alloue annuellement, chapitre solde du budget :
Par régiment d'infanterie, 15,000 fr. de cavalerie, 5,500 fr., d'artillerie, 9,000 fr.
L'allocation est destinée aux dépenses suivantes ; savoir :
1° Primes aux soldats musiciens ;
2° Achat, entretien des instruments, papier de musique ;
3° Ecoles d'escrime, de natation, de tambours, de trompettes et du tir ;
4° Achat, entretien et renouvellement des effets d'habillameut pour l'instruction gymnastique ;
5° Infirmeries régimentaires ;
6° Eclairage des corridors et escaliers des casernes ;
7° Réparations de l'habillement, de la coiffure et du grand équipement ;
8° Habillement des enfants de troupe ;
9° Effets d'équipement, dont l'achat est confié aux soins des conseils d'administration ;
10° Frais du culte ;
11° Dépenses imprévues, faites par les chefs des corps, sous l'approbation des inspecteurs généraux.
Le chapitre habillement porte, en outre, pour effets mis hors de service avant d'avoir atteint leur terme de durée 57,000 francs et pour secours aux masses générales d'entretien 2,500 francs. Tandis que (page 1142) l’article 8 du chapitre des écoles militaires porte une allocation de 135,000 fr. pour les écoles régimentaires.
Cette masse générale d'entretien n'est autre que notre masse de recettes et dépenses extraordinaires et imprévues. Les dépenses sont à peu près les mêmes ; seulement elle diffère quant à l'origine de ses ressources et elle n'a pas autant de charges à supporter, attendu qu'en France le soldat est entièrement habillé aux frais de l'Etat au moment de son incorporation, et qu'il reçoit en outre, dans l'infanterie, une première mise de 40 francs.
Ces considérations suffiront, je l'espère, messieurs, pour vous démontrer l'indispensable nécessité de l'existence d'une masse de recettes et dépenses extraordinaires et imprévues dans la comptabilité militaire, et pour vous donner la conviction que n'importe le système d'administration que l'on adopterait, il faudrait toujours un fonds, une masse, ou une allocation quelconque ayant la même destination.
J'arrive, messieurs, à la cour des comptes. Je crois devoir ici encore dire ce qui se passe.
On a fait observer que les opérations qui concernent la masse de recettes et dépenses extraordinaires et imprévues, ne sont pas soumises au contrôle de la cour des comptes. Je vais essayer d'indiquer à la chambre les causes qui ne permettent pas de suivre un autre système que celui en usage.
La comptabilité de l'armée se divise en deux parties bien distinctes.
La première comprend la justification des sommes dues par l'Etat à l'administration de la guerre, du chef des diverses allocations votées annuellement au budget ; cette justification faite dans le plus grand détail au moyen de revues générales de comptabilité, établies tous les trois mois, est soumise au contrôle de la cour des comptes. Elle sert à constater que les fonds alloués par la législature pour les divers services de la guerre ne sont pas dépassés.
La seconde partie comprend la justification de l'emploi des fonds mis à la disposition de l'administration de la guerre ; elle constate qu'ils ont reçu la destination qui leur est assignée par les règlements.
Or, la première qui établit les droits ressortit à la cour des comptes ; la second qui indique l'emploi constitue la comptabilité intérieure, dont la haute surveillance appartient au ministre de la guerre.
En effet, des dispositions royales règlent la répartition des diverses allocations ; c'est ainsi que la solde de la troupe est divisée en trois parties, dont l'une est affectée à la nourriture, une autre à l'habillement et la troisième aux deniers de poche ; la comptabilité intérieure a pour objet de constater que les sommes provenant de cette répartition ont été employées conformément aux prescriptions réglementaires.
Toutes ces opérations exigent de nombreuses écritures qui se coordonnent sans confusion ; par exemple : chacun des 100,000 hommes qui composent l'armée a un compte particulier pour son habillement et son équipement ; chaque compagnie ou détachement tient un compte de ménage ; chaque remplaçant a un compte pour les fonds déposés pour lui en vertu des lois sur le recrutement ; enfin chaque régiment a un ou plusieurs comptes pour les magasins, pour les écoles, les bibliothèques, etc.
Ces comptes partiels se lient étroitement par leurs opérations à la masse des recettes et dépenses extraordinaires et imprévues, et l'on ne peut exercer un contrôle réel sur cette dernière sans l'étendre également sur tous les autres détails.
On comprendra dès lors que la cour des comptes ne saurait suffire à une semblable mission, qui aurait d'ailleurs pour résultat inévitable de paralyser complètement l'action de l'administration mdiltaire.
Du reste, on peut être sans inquiétude ; toutes les parties de la comptabilité sont soumises à une surveillance incessante, dont l'influence s'étend jusqu'aux plus petits détails. Rien n'est laissé à l'arbitraire ; tout est, autant que possible, prévu par les règlements.
Des intendants sont chargés de vérifier et d'arrêter provisoirement, tous les trois mois, la comptabilité intérieure des corps ; ces administrateurs, suivant que les opérations sont bien ou mal justifiées, adressent au département de la guerre un rapport détaillé sur le résultat de leur vérification avec leurs propositions d'admission ou de rejet.
Des inspecteurs généraux font ensuite chaque année une seconde vérification de la même administration ; ils l'arrêtent définitivement et transmettent au département de la guerre leurs observations avec un extrait des comptes pour l'année entière.
C'est ainsi que le département de la guerre parvient à tenir dans ses mains tous les fils d'une administration aussi étendue, qu'il en dirige les rouages, qu'il en surveille les opérations avec sollicitude, et il serait difficile, pour ne pas dire impossible, d'offrir à l'Etat une garantie plus certaine.
Mais si j'ai 700 francs à la masse des frais d'administration, ces 700 francs je ne les prends pas en espèces ; c'est un revirement comme je le disais tout à l'heure.
M. Thiéfry. - Inconnu à tout le monde.
M. Servaes, commissaire du Roi. - L'honorable membre dit que la masse est inconnue à tout le monde, mais elle ne l'est pas plus que chez nos voisins, où l'on alloue des sommes doubles et triples de celles qui sont allouées chez nous. Il y a dans l'état militaire des dépenses définitives, ou achète des fontes pour faire des canons, c'est une dépense définitive, la cour des comptes ne doit pas voir combien de fonte on a employée pour faire un certain nombre de canons.
Messieurs, l'honorable préopinant a parlé d’abus qui auraient eu lieu ; il vous a dit que, dans certains cas, des officiers comptables ayant commis des infidélités, et le président et les membres du conseil d'administration étant responsables, on ne leur a pas fait payer la totalité des sommes auxquelles s'élevait le déficit dans la caisse.
Messieurs, les règlements sont positifs ; le commandant et les membres du conseil d'administration sont responsables pour leurs comptables. Mais dans bien des cas où de hauts fonctionnaires civils devaient ou pouvaient surveiller des comptables qui se sont rendus coupables d'infidélité, on n'a pas forcé à une restitution complète les fonctionnaires chargés de la surveillance.
Dans l'état militaire, les officiers ont d'autres choses à faire que de s'occuper continuellement d'administration et surtout d'une administration aussi compliquée que la nôtre. Cependant on a toujours été très sévère envers ces officiers.
Lorsqu'un déficit s'est présenté dans la caisse, il n'est pas un seul des officiers chargés de la surveillance qui n'ait dû contribuer pendant deux ou trois ans et même plus longtemps, pour une partie de leur traitement, à combler ce déficit. Il est arrivé qu'après ce temps, sur un rapport de M. le ministre de la guerre, le Roi les a déchargés de la restitution du reste de la somme manquante.
Si les uns ont contribué plus longtemps que d'autres, c'est que le ministre, seul juge de cette partie, a trouvé qu'ils n'avaient pas exercé la surveillance comme les autres l'avaient fait. C'est la seule cause de la différence qui a existé entre les uns et les autres.
L'honorable préopinant a dit que des dépenses avaient été imputées sur cette caisse et entre autres une somme de 12,000 francs, sans arrêté royal.
Il est vrai qu'à l'époque où cette imputation aurait eu lieu, l'arrêté du mois de mars 1849 n'existait pas, mais l'arrêté royal existait. La seule différence, c'est qu'il n'a pas été publié par le Moniteur, parce qu'alors les arrêtés de cette nature ne se publiaient pas dans le journal officiel.
M. de Baillet-Latour. - Messieurs, le gouvernement, dans l'intérêt de la défense du pays, a pris la résolution de faire démolir certaines de nos forteresses. C'est un droit que je ne veux point lui contester. Mais ce que je lui conteste, ce dont je me plains, c'est qu'il exerce ce droit d'une manière désastreuse pour les habitants des villes contre lesquelles sont prises ces mesures ; c'est qu'il croie pouvoir ruiner complètement ces villes sans leur accorder aucune indemnité.
C'est pourtant ainsi que l'on agit envers le chef-lieu de l'arrondissement qui m'a envoyé dans cette chambre. On ne s'est pas contenté de démanteler Philippeville, de mettre ses fortifications hors d'état de servir, on les a rasées complètement, on a rendu ainsi presque inhabitable cette petite ville située sur une hauteur et que ses murailles seules mettaient à l'abri du vent. On l'a privée de la principale branche de son revenu, de son octroi, dont la perception est devenue impossible depuis qu'il n'y a plus de mur d'enceinte. Un siège, un bombardement eussent fait moins de mal à Philippeville que la démolition de sa forteresse exécutée comme elle l'a été.
Philippeville est cependant dans des conditions tout exceptionnelles et qui devaient valoir plus d'égards. Construite sur une hauteur, pour des considérations exclusivement militaires, on a forcé les habitants de s'y établir dans l'intérêt même de sa garnison. Ville militaire, ne pouvant être que militaire, privée, par le but même de sa création, d'agriculture, de commerce, d'industrie, Philippeville n'existait que par ses établissements militaires. On l'a ruinée en les supprimant.
Cependant elle a souffert sans se plaindre ce saccagement ; elle s'est résignée par la pensée que ce douloureux sacrifice lui était imposé dans l'intérêt de la nationalité belge. Mais doit-elle supporter seule ce grand sacrifice. Aucune indemnité ne lui sera-t-elle accordée ? C'est là une question de justice et d'équité. Le propriétaire dont vous détruisez la propriété pour cause d'utilité publique a droit à une indemnité que lui garantit la loi, et une ville entière serait sacrifiée sans indemnité an salut commun ! Cela est inadmissible.
C'est cependant ainsi que semble l'entendre M. le ministre de la guerre. Au nombre des compensations que sollicite Philippeville sa trouve la cession par l'Etat à la commune des terrains occupés par les fortifications. Rien n'est plus fondé que cette demande.
La ville, sur ces terrains, peut planter des arbres qui la garantissent ; elle pourrait aussi les consacrer à l'établissement d'une de ces colonies agricoles que le gouvernement a l'intention de substituer aux dépots de mendicité. La situation serait excellente. Ces terrains sont bons, ils produiraient de bons résultats, l'établissement d'une colonie agricole donnerait l'élan à l'agriculture dans tous les environs. On obtiendrait ainsi (page 1443) des résultais féconds non seulement dans l'intérêt local, mais encore dans l'intérêt général.
L'établissement de cette colonie agricole serait d'autant plus facile, d'autant moins coûteux, que la démolition des fortifications et la suppression de l'établissement militaire de Philippeville laissent désormais sans emploi de vastes bâtiments qui trouveraient là une application utile. Ces bâtiments sont quatre casernes, une infirmerie, le bâtiment de la manutention qui est très bien disposé et qu'habite le commandant du génie ; enfin, le superbe bâtiment de l'arsenal et ceux du manège et des magasins.
On le voit donc, pour établir une colonie agricole, on a tout sous la main : vastes bâtiments déjà propres à cette destination et des terrains propices et suffisants.
La ville ainsi sacrifiée demande cette compensation, et cependant j'apprends que, sans tenir compte de ses droits, de ce que la justice exige, M. le ministre de la guerre vient de donner des ordres pour la mise en vente de ces terrains où furent les fortifications. C'est là un acte de criante injustice contre lequel je me borne aujourd'hui à protester énergiquement, pour ne pas abuser des moments de la chambre. Heureusement, ces terrains ne peuvent pas être vendus sans une loi ; lorsque cette loi sera présentée, je me réserve de fournir à la chambre des preuves complètes des droits de Philippeville, et je compte sur la justice de la chambre qui n'autorisera pas la ruine de cette ville.
D'autres villes se trouvent dans le même cas que Philippeville. Je laisse à ceux de mes collègues plus spécialement chargés par leur mandat, le soin de les défendre. Mais ils peuvent compter sur mon appui dans toutes les mesures de justice qu'ils réclameront, comme, j'en suis sûr, je puis aussi compter sur leur appui en faveur de Philippeville.
J'espère encore que mes observations et celles de plusieurs de mes collègues feront comprendre à M. le ministre de la guerre combien les réclamations des villes dont il s'agit sont fondées, et ce qu'il y aurait de cruel à les traiter comme on le fait en villes prises d’assaut. Je serais heureux qu’il voulût bien nous donner à cet égard quelques explications plus rassurantes.
M. David. - Messieurs, j'ai voté contre la nouvelle organisation de l'armée sans pouvoir obtenir la parole pour indiquer les raisons qui ont dicté ma conduite.
Je voterai aujourd'hui contre le budget de la guerre, et il me sera permis, cette fois, de dire les motifs de ce vote. Je le ferai en peu de mots.
D'abord, messieurs, je crois à la paix et au repos de l'Europe pour bien longtemps. Le beau et patriotique discours que l'honorable M. Devaux a prononcé dans la discussion sur l'organisation de l'armée, m'a ému comme il vous a tous émus, mais il ne m'a pas convaincu qu'il y eût du danger. Les éventualités plus ou moins lugubres évoquées par l'honorable M. Lebeau ne m'ont pas convaincu davantage : depuis un grand nombre d'années il réitère ces appréhensions et comme déjà plusieurs fois ce prophète s'est trompé, ce n'est pas chez lui que je vais puiser mes convictions. Ces honorables membres me permettront de ne point avoir une confiance entière dans leurs assertions.
C'est en Angleterre que j'ai été et que je vais de préférence m'orienter ;là les grands hommes d'Etat actuels sont mieux placés que nous ne le sommes ici, pour apprécier la situation de l'Europe. A la tribune anglaise les ministres d'Angleterre ont affirmé que la paix de l'Europe était assurée, et ils sont venus corroborer cette assertion en proposant au parlement une réforme financière, qui serait impossible si la paix du monde devait être menacée d'ici à 1860, réforme financière qui ne pourrait absolument pas s'accomplir s'il y avait la moindre apparence de guerre en Europe.
J'ai volé contre la nouvelle organisation de l'armée, parce que je me suis dit que si nous mettions quelques milliers d'hommes de plus en campagne, la puissance qui voudrait nous attaquer nous attaquera avec un corps d'armée d'autant plus fort que le nôtre le sera davantage ; je me suis dit : « C'est inutile de voter 20,000 hommes de plus ; si nous avons 60,000 hommes en campagne, on nous attaquera avec 80,000 ou 100,000 hommes. » Voilà la seconde raison pour laquelle j'ai rejeté la nouvelle organisation.
Arrivent maintenant les considérations financières.
Je me permettrai de ne pas partager les illusions de M. le ministre des finances.
Lorsqu'il nous a dit que nous pourrions supporter le budget de 32 millions, que nos recettes ordinaires allaient en augmentant, il n'a pas compté sur les crises alimentaires, financières, politiques, commerciales et industrielles qui sont toujours possibles et qui renverseraient tous les magnifiques calculs que l'honorable ministre est venu mettre sous vos yeux, pour atténuer la portée de notre déficit actuel de 28 millions de francs.
Une autre considération qui m'empêche de voter le budget de la guerre, c'est qu'aussi longtemps, et j'espère bien que ce ne sera pas fort longtemps, que nous conserverons l'organisation nouvelle exagérée de notre armée, nous ne pourrons songer à exécuter aucun travail d'utilité publique ; nous devrons renoncer pendant bien longtemps peut-être à faire des chemins vicinaux de grande communication, empierrés, etc., de creuser des canaux, d'exécuter enfin toute espèce de travaux d'utilité publique ; nous devrons renoncer à donner l'instruction à une grande partie des enfants pauvres ; nous devrons enfin abandonner l'exécution des mesures hygiéniques que nous avons un moment rêvées pour les classes peu aisées de la société ; je rejette enfin le budget à cause des charges nouvelles que l'organisation actuelle fera peser sur nos miliciens appartenant presque tous aux classes peu fortunées du corps social.
J'ai dit en commençant que je ne serais pas long ; je bornerai donc là les considérations que j'avais à faire valoir contre le budget de la guerre.
M. Jouret. - Messieurs, au moment où nous nous occupons des dépenses de notre état militaire, la chambre me permettra d'appeler l'attention de M. le ministre de la guerre sur des avances qu'une ville a faites pour le service de l'armée et dont elle perd le fruit, malgré les justes raisons qu'elle avait d'espérer le contraire.
La ville d'Ath, dont je veux parler, informée officiellement par M. le ministre de la guerre, en 1854, que sa garnison serait désormais ds 800 hommes en temps de guerre, et de 480 hommes sur pied de paix, contracta un emprunt de 50,000 francs pour garnir les casernes des effets de couchage nécessaires au plus élevé des deux nombres.
Ce sacrifice était considérable pour une ville qui est sans revenus et sans ressources ; mais elle comptait sur l'indemnité qui devait lui en revenir pour l'usage que la troupe ferait de ses literies.
Cependant cette attente légitime est déçue ; la garnison se trouve maintenant réduite à moins de 200 hommes depuis qu'un bataillon du deuxième de ligne, qui en faisait partie, l'a quittée pour se rendre au camp.
M. le ministre de la guerre ferait un acte de justice en ordonnant provisoirement le remplacement de ce corps par un autre, et en élevant plus tard la force de la garnison au chiffre convenu, lorsque l'augmentation de l'armée rendra la mesure plus facile.
M. Dumon, rapporteur. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole dans cette discussion ; il me semblait que l'attention de la chambre avait été appelée assez longtemps sur notre organisation militaire dans les débats qui se sont terminés récemment.
Cependant l'honorable M. Thiéfry ayant taxé mon rapport d'inexactitude, je suis obligé de prendre la parole pour lui répondre quelques mots.
Je lui ferai remarquer d'abord que le rapporteur de la section centrale n'a rien mis du sien dans le rapport, et qu'il n'a fait que reproduire les arguments produits dans la section centrale par les organes du gouvernement ; M. le commissaire du Roi venant de reproduire les mêmes arguments, je me trouve, je pense, à l'abri de tout reproche de ce côté.
M. Thiéfry. - Ce reproche ne s'adresse pas à vous.
M. Dumon, rapporteur. - Maintenant, puisqu'on a soulevé la question de la masse des recettes et dépenses imprévues, je demande à la chambre la permission d'exprimer mon opinion sur cette question.
L'honorable M. Thiéfry pense que la masse des recettes et dépenses imprévues peut donner lieu à de graves inconvénients ; il ne nie pas cependant que la plupart des recettes et dépenses auxquelles cette masse doit pourvoir ne soient prévues par un règlement d'administration approuvé par arrêté royal ; mais, dit-il, on peut disposer pour d'autres besoins des fonds de cette masse. Cette objection a été résolue d'avance par l'arrêté du 8 mars 1849. L'honorable membre ne voit dans cet arrêté que la reproduction de l'article 159 du règlement d'organisation de l'armée ; cependant il y a une différence essentielle sur laquelle j'attire son attention ; cette différence consiste dans l'obligation de publier, par la voie du Moniteur, les arrêtés royaux qui autorisent les imputations faites sur cette masse.
Je ne dis pas qu'on met par là obstacle à toute espèce d'abus, mais on rend plus facile le contrôle de la cour des comptes et de la chambre.
L'honorable M. Thiéfry a dit que, malgré cet arrêté, certains abus avaient eu lieu ; mais je crois que celui qu'il a cité est antérieur à l'arrêté de 1849.
Pour moi, messieurs, je suis persuadé que notre administration militaire est bonne et à l'abri de tout reproche, mais quelque bonne que soit une organisation, des abus peuvent s'y produire ; la masse dont il s'agit fonctionne depuis longtemps, elle donne de bons résultats et je ne pense pas que, pour des abus très peu nombreux qu'on a signalés et qui d'ailleurs ne pourront plus se reproduire, il faille démolir une des parties les plus importantes de notre administration militaire.
M. Thiéfry. - Je comprends l'opposition du département de la guerre ; car au moyen du règlement de 1819 il se crée des ressources dont il dispose à volonté. M. le ministre conviendra cependant que ma proposition n'aura pas d'autre résultat que de faire adopter pour son département la marche régulière suivie pour tous les autres ministères. En effet, de quoi s'agit-il ? De porter les recettes de la caisse dont il s'agit au budget des voies et moyens et toutes les dépenses au budget de la guerre. Y a-t-il quelque chose de plus simple, de plus conforme aux lois, aux convenances, à la responsabilité nême du ministre, puisqu'il doit désirer, dans l'intérêt de sa considération personnelle, que toutes les dépenses ordonnancées par lui, soient soumises, comme celles de (page 1444) l'Etat, au contrôle des chambres, de la cour des comptes et connues du public ?
M. le commissaire du Roi n'a nullement réfuté mes observations sur la légalité de cette caisse, et pour en justifier le maintien, il est venu nous parler de ce qui se pratique en France. Quand on va chercher des exemples dans un pays étranger il faut au moins que ce soient des exemples dignes d'être suivis, et ne pas en citer d'aussi condamnables que ceux dont j'entretiens la chambre.
Il semble, à entendre M. le commissaire du Roi, que la cour des comptes a connaissance des opérations de la masse des recettes et dépenses imprévues. Comme cette comptabilité aurait pu être changée depuis peu de temps, j'ai écrit à M. le président de la cour des comptes pour m'éclairer à cet égard : voici un extrait de la réponse que j'en ai reçue :
« M. le représentant,
« Je réponds à la lettre que vous m'avex fait l'honneur de m'adresser, le 17 de ce mois, pour me prier de vous faire connaître si les recettes et dépenses concernant la caisse spéciale, dite masse des recettes et des dépenses extraordinaires et imprévues des corps de l'armée, sont soumises au contrôle de la cour des comptes.
« A l'égard des recettes, la cour ne possède d'autre élément de contrôle que les mémoires et états des fournisseurs de l'armée sur lesquels il est exercé une retenue de 2 p. c. au profit de cette masse ; elle ne peut donc constater que le montant de cette retenue. Il en est de même au sujet des amendes encourues par ces fournisseurs pour cause de retard apporté dans la livraison des fournitures qu'ils doivent faire à l'Etat.
« Quant aux autres recettes mentionnées dans l'article 154 du règlement du 1er février 1849, celles-ci, de même que les dépenses de toute nature soldées sur les fonds de la masse, ne sont aucunement soumises aux investigations de la cour des comptes.
« Cette dernière a entretenu la législature de cet état de choses, notamment dans son cahier d'observations sur le compte définitif de 1836 publié en 1841, pages 53 et suivantes. »
En réclamant l'adoption d'une marche régulière, je ne suis donc que l'interprète de la cour des comptes qui cherche à faire disparaître les abus et à établir l'ordre dans la comptabilité.
Il suffit, d'ailleurs, d'avoir la preuve que l'on a mésusé des fonds pour être certain que cela peut encore avoir lieu, et pour nous imposer l'obligation de changer cet état des choses. On prétend qu'aujourd'hui il n'y a plus d'abus, que la vérification des dépenses a lieu avec beaucoup de sévérité. Pourquoi s'opposer alors à ce que la copie de cette comptabilité soit déposée à la cour des comptes ? Pourquoi craindre les investigations et vouloir que les dépenses restent cachées ? Si la répartition des fonds a lieu avec justice, on peut la faire figurer au budget.
L'honorable rapporteur dit qu'il y a une grande différence entre l'arrêté royal de 1849 et l'article156 du règlement d'administration, en ce que l'on est obligé aujourd'hui de publier l'arrêté d'imputation au Moniteur. Il est facile d'apprécier la portée de cette publication quand on sait qu'elle ne concerne que l'excédant au 31 décembre de chaque année ; or, si on le veut, il n'y aura jamais d'excédant à cette caisse. Il suffit d'ordonnancer avant le 31 décembre pour 20, 30 ou 40 mille francs pour qu'il n'y ait aucune somme disponible. L'honorable préopinant prétendra-t-il qu'il y a là une garantie du bon emploi des fonds pendant toute l'année ? On m'objecte que depuis l'arrêté de 1849 il n'y a eu aucun abus. Je ne dis pas le contraire. Je prétends seulement qu'on en a commis autrefois et que cela peut se renouveler encore.
On s'étonne que je vienne présenter des faits anciens, comment en peut-il être autrement. Cette comptabilité est tenue si secrète qu'il faut un hasard, une circonstance particulière pour la connaître ; je le répète, il ne faut pas d'exceplion pour le département de la guerre, sa comptabilité doit être établie sur les mêmes bases que celle des autres départements.
M. le colonel Renard, commissaire du Roi. - L'honorable préopinant, entraîné par le désir d'introduire un nouveau mode de comptabilité militaire, a pris très chaudement à partie ce qu'il appelle la masse noire de l'armée ; il a même prononcé quelques mois, que, j'en suis sûr, il regrettera lui-même, et d'où l'on pourrait inférer qu'il y a de la mauvaise foi dans la manière dont procède le département de la guerre. Il semble insinuer, en effet, qu'on pourrait s'arranger de manière à ce qu'il n'y eût pas d'excédant à la fin de l'année afin de rendre inutiles les arrêtés royaux.
M. Manilius. - M. le président est là ; nous avons notre police ici.
M. le président. - M. Thiéfry a raisonné dans une hypothèse.
M. le colonel Renard, commissaire du Roi. - Soit, M. le président, je n'insisterai pas.
L'honorable membre nous a parlé d'une masse noire ; mais je lui demande ce qu'il entend par une masse noire. Une masse noire, si je comprends bien le mot, est une chose ténébreuse, dans laquelle on ne peut pas voir clair. Eh bien, la masse dont il s'agit n'a pas ce caractère, elle est percée à jour, ou en voit tous les rouages, car on en connaît parfaitement et on en renseigne les recettes ; on connaît parfaitement et on ne renseigne les dépenses, et si l'honorable préopinant avait désiré connaître jusqu'au bout, jusqu'au dernier centime, toutes les sommes qui sont dépensées par la masse, et pourquoi elles sont dépensées, il n'avait qu'à se présenter au département de la guerre qui se serait fait un devoir de lui communiquer tous les renseignements désirables.
M. Thiéfry. - Je l'ai demandé ; on me l'a refusé.
M. le colonel Renard, commissaire du Roi. - L'honorable membre demandait autre chose ; il voulait consulter les comptes des quartiers-maîtres et sa livrer à une espèce d'inspection administrative des corps de l'armée ; c'était une prétention véritablement inadmîssible. On lui a refusé sa demande, et on a bien fait.
Maintenant contre quoi s'élève l'honorable préopinant ? Est-ce contre les recettes ? Les recettes ! Mais il le sait, elles sont principalement formées, à part quelques reliquats et revirements d'allocations, d'une retenue de 2 p. c. sur les comptes des fournisseurs. Ces recettes sont connues ; elles sont justifiées par des pièces authentiques ; elles sont donc parfaitement établies. Il n'existe rien de noir ni de ténébreux. Est-ce contre la nature des dépenses ? Quelles sont ces dépenses ? Les dépenses sont de deux sortes : les unes sont prévues par le règlement du 1er février 1819 ; le règlement prescrit de prendre sur la masse des recettes et dépenses imprévues ce qu’il faut pour parer à certaines pertes, à certaines dépenses éventuelles dont l’article 154 donne le détail ; les autres ne sont pas prévus et sont réglées par des arrêtés royaux.
Maintenant le fameux excédant dont parle l'honorable préopinant, quel est-il ?
C'est la partie des recettes qui reste disponible à la fin de l'année, déduction faite des dépenses indiquées par le règlement, et c'est cet excédant dont le ministre ne peut faire usage qu'en vertu d'arrêtés royaux à insérer au Moniteur.
Ainsi, la caisse doit d'abord, et, avant tout, parer à des dépenses prévues, indiquées par le règlement et, lorsqu'on a paré à ces dépenses, s'il reste un excédant, on ne peut en disposer que par arrêtés royaux insérés au Moniteur.
Tout est donc parfaitement clair, il n'y a rien de ténébreux.
Quant aux recettes contre lesquelles s'élève l'honorable préopinant, il y aurait un excellent moyen de les régulariser, ce serait de supprimer les 2 p. c. prélevés sur les fournitures, et d'accorder aux corps 10,000 à 15,00 fr. ainsi qu'on le fait en France. Le gouvernement n'a aucun intérêt à repousser une telle mesure. (Interruption.)
Soil ; que l'on donne, je le répète, 10,000 à 15,000 fr. à chaque corps, au lieu des 2 p. c, et l'on arrivera au même résultat. Mais vouloir que l'on s'adresse à la cour des comptes pour obtenir la régularisation, de dépenses de la nature de celles qui nous occupent, ce serait entraver la marche de l'administration. Il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur l'article 154 du règlement d'administration militaire.
Ce sont mille détails d'administration intérieure que le personnel de la cour des comptes ne pourrait suffire à contrôler. Il y a dans toutes les administrations publiques des dépenses imprévues de cette sorte qui sont uniquement surveillées par le ministre.
On dit qu'il n'y a pas de vérification. Mais voyons ce qui se passe.
Quand un corps a besoin de prendre sur la masse des recettes et dépenses imprévues, il soumet sa demande à l'intendant. L'intendant divisionnaire examine et fait au ministre une proposition de rejet ou d'acceptation. C'est alors le ministre qui décide. Ce n'est pas tout. Tous les ans, l'inspecteur général se rend au corps et vérifie par lui-même si les dépenses ont été justement réclamées et appliquées. Et l'on dit qu'on n'y voit pas clair !
Ainsi vous avez un colonel, un conseil d'administration, un intendant, un intendant en chef, un ministre, des généraux, et l'on n'y voit pas clair, et c'est une masse noire ! Eh bien ; je répète que cette masse n'est pas une masse noire et qu'elle est percée à jour. Jamais administration n'a pris plus de soin des deniers de l'Etat et toutes vos dénégations n'empêcheront pas qu'il soit impossible de trouver dans cette masse des recettes et des dépenses imprévues une masse noire.
M. Thiéfry. - C'est une masse noire.
M. Osy. - Messieurs, à l'occasion du budget de 1849, je me suis également occupé de la question qui a été soulevée aujourd'hui par l'honorable représentant de Bruxelles. Je me rappelle qu'alors j'ai cité un cas où il y a eu un déficit dans la caisse d'un régiment et que les 2 p. c. de retenue sur les fournitures, qui devaient servir pour le bien-être de nos soldats, avaient été employés pour combler ce déficit, ce qui était tout à fait contraire aux arrêtés d'administration. Je me rappelle qu'alors le gouvernement a pris l'engagement de prendre un arrêté pour ordonner que l'emploi de l'excédant de la masse des recettes et dépenses serait réglé par arrêté publié au Moniteur. C'est à la suite de mes observations que l'arrêté de 1849 a été pris.
Vous voyez donc que les observations de l'honorable député de Bruxelles sont fondées, lorsqu'il vous dit que cette masse des 2 p. c. n'a pas toujours été employée comme le voulaient les arrêtés de 1819. L'arrêté de 1849 a amené sous ce rapport une grande amélioration, et je crois que depuis 1849 les abus dont nous nous sommes plains ne se sont plus reproduits.,
Messieurs, je désire autant que l'honorable députe de Bruxelles, voir la régularité de la comptabilité en toute chose, et je ne comprends pas pourquoi on ne porterait pas au budget des voies et moyens la masse totale des 2 p. c. Je crois que non seulement la Constitution veut qu'il en soit ainsi, mais que la loi de comptabilité de 1846 oblige le gouvernement à en agir ainsi. Nous porterions d'ailleurs au prochain budget des dépenses, au budget de 1854, une somme égale pour les dépenses à faire en vertu de l'arrêté de 1849. Alors au moins la cour des comptes et nous-mêmes nous pourrons examiner si les fonds sont bien employés.
(page 1445) Je ne m'élève pas contre la retenue de 2 p. c. sur les fournitures, sur laquelle M. l'intendant militaire a donné des explications très approfondies, quoique'en définitive ce soit l'Etat qui paye ces 2 p. c.
Car il est certain que si vous obligez les fournisseurs à verser 2 p. c. dans les caisses de l'Etat, c'est l'Etat qui les paye. Mais il s'agit de l'exécution d'un arrêté de 1819 que je n'examine pas.
Messieurs, j'insiste fortement pour qu'on introduise de la régularité dans la comptabilité. Je demande que, pour le budget de 1854, le gouvernement s'engage à faire porter au budget des voies et moyens et à faire verser au trésor le produit des 2 p. c, et qu'un même crédit soit porté en dépense au budget de la guerre, pour que la cour des comptes puisse vérifier les recettes et les dépenses. Je trouve cette marche tellement régulière, tellement conforme à la Constitution et à la loi de 1846 que je crois devoir appuyer la proposition de l'honorable député de Bruxelles.
Puisque j'ai la parole, je repondrai quelques mots à l'honorable député de Philippeville.
Il nous entretient des malheurs et des désagréments qui résultent pour Philippeville de la démolition de ses fortifications. Je vous avoue que, pour ma part, je voudrai savoir les mêmes desagréments et les mêmes malheurs que l'honorable député de Philippeville. Chez nous on fait le contraire de ce qui se fait à Philippeville, et bien certainement nous avons beaucoup à souffrir de la construction des fortifications qu'on élève aux environs d'Anvers. Cependant vous n'avez entendu ni Anversois, ni députés d'Anvers se plaindre de ces travaux. Nous savons qu'ils se font dans l'intérêt de la défense du pays ; nous croyons qu'ils sont nécessaires, et nous supportons patiemment la gêne qui en résulte. Si donc le gouvernement, dans l'intérêt de la défense du pays ou par un motif d'économie, croit devoir démolir les fortifications de Philippeville, j'engage notre honorable collègue à prendre patience comme nous.
M. Servaes, commissaire du Roi. - Je suis obligé de donner encore quelques explications ensuite des observations de l'honorable M. Osy sur la masse des recettes et des dépenses imprévues.
Si les recettes de cette masse se bornaient aux 2 p. c. que l'on retient aux fournisseurs, certes rien ne serait plus facile que de porter cette recette au budget des voies et moyens et de porter la dépense au budget de la guerre. Mais il y a beaucoup d'autres opérations qui se rattachent à cette masse. Il serait trop long de les citer toutes ; mais j'en citerai quelques-unes.
Un homme meurt à l'hôpital ; il laisse une dette à sa masse ; cette dette est imputée sur le fonds des recettes et dépenses imprévues ; la même chose arrive s'il laisse un avoir que l'on ne peut remettre à ses héritiers. Mais ce n'est qu'un revirement dans l'administration d'un compte à l'autre.
Pourrait-on, pour un homme qui déserte ou qui quitte le corps de quelque autre manière avec un avoir, porter cet avoir au budget des voies et moyens ? Je crois que c'est impossible.
En ce qui concerne la recette réelle de 2 p. c. payée par les fournisseurs, chaque régiment ne reçoit en moyenne que pour 80,000 fr. de plus par an. La retenue de 2 p. c. produit donc 1,600 fr., qui forment la recette réelle de cette masse. Les autres opérations sont des revirements dans les comptes.
J'ai déjà expliqué tout à l'heure que certaines masses pouvaient laisser un avoir comme elles pouvaient laisser une dette à la fin de l'année. Eh bien, si elles laissent un avoir, il est porté au crédit de la masse des recettes et dépenses imprévues ; si elles laissent un déficit, le déficit est porté à la charge de la même masse.
Quand un homme quitte le corps, qu'il laisse des dettes et qu'on produit un certificat d'insolvabilité, ces dettes doivent être imputées sur la masse ; comment soumettre cela à la cour des comptes, et savoir d'avance si la cour ne rejettera pas ? Voilà la difficulté. (Interruption.) Il est bien entendu qu'on ne doit pas s'imaginer qu'il y a une caisse au département de la guerre ; cette masse de dépenses imprévues ne fonctionne que dans les corps.
Ici je dois encore dire un mot à l'honorable M. Thiéfry. Il dit qu'on lai a refusé de voir les comptes de la masse des dépenses imprévues.
Si j'ai bonne mémoire, l'honorable membre avait demandé l'autorisation de se rendre chez les quartiers-maîtres de deux régiments de l'armée pour voir l'administration, et M. le ministre de la guerre a chargé un fonctionnaire de son département de se rendre chez M. Thiéfry pour lui dire qu'il ne pouvait pas donner l'autorisation d'aller voir l'administration chez les quartiers-maltres de l'armée, mais qu'il mettait ces fonctionnaires à la disposition de M. Thiéfry pour lui faire voir tout ce qu'il aurait désiré. L'honorable M. Thiéfry n'a pas cru devoir profiter de cette offre.
M. Manilius. - Messieurs, je ne viens pas attaquer le ministère de la guerre sous le rapport de la comptabilité de la masse des dépenses imprévues ; je suis convaincu qu'il n'y a pas d'administration plus correcte, plus précise que l'administration militaire. Mais, messieurs, les attaques de l'honorable M. Thiéfry ne s'attachent pas précisément à cela ; certes, l'honorable membre n'a pas vu de la mauvaise foi ni rien de semblable dans l'emploi des fonds, mais il y a irrégularité dans la formation de cette masse.
L'honorable M. Osy nous a déjà fait voir que la loi de comptabilité s'oppose formellement à ce qu'aucune administration reçoive des fonds ; il en est ainsi pour les administrations militaires comme pour toutes les autres.
Il n'y a pas longtemps qu'une semblable erreur existait aussi dans une administration du département de la guerre ; c'était la fonderie de canons. Là, messieurs, l'on faisait des contrats avec les puissances étrangères ; on fournissait du matériel, des canons, des obusiers ; on faisait le compte entre amis et l'excédant était dépensé pour le bien-être de la fonderie de canons.
On a découvert le fait, on l'a signalé et on a fait immédiatement une correction en invoquant la rigueur de la loi de comptabilité ; au lieu de livrer directement le matériel aux puissances qui l'avaient commandé, on le livrait au nom du gouvernement et la perception se faisait par le ministère des finances ; depuis cette époque les produits figurent au budget des voies et moyens. Eh bien, messieurs, c'est la même chose que nous réclamons aujourd'hui, surtout pour les 2 p. c, que doivent payer tous les fournisseurs ; ces 2 p. c. doivent figurer au budget des voies et moyens.
Il est encore une autre recette, ce sont les amendes encourues par les fournisseurs qui sont en retard ; eh bien, ces amendes, encore une fois, doivent, aux termes de la loi de comptabilité, figurer au budget des voies et moyens comme toutes les autres recettes.
Maintenant j'ai commencé par le dire, et je le dis très sincèrement, je n'ai aucun doute sur la bonne administration de ces fonds, car, je le répète, l'administration militaire est excessivement sévère, elle se fait avec beaucoup de ponctualité ; mais si les corps ont des besoins pour des cas exceptionnels comme ceux que fait entrevoir l'honorable commissaire du Roi, que les corps demandent un fonds dont ils rendront compte ; ce fonds servira à couvrir les différentes dépenses dont M. le commissaire du Roi a parlé, mais de cette manière tout sera régulier.
Il n'y a pas plus de lutte que cela dans l'affaire : c'est une simple régularisation et je ne comprends pas que le ministère de la guerre veuille s'opposer à une chose si simple. Il me semble qu'il devrait être le premier à reconnaître que c'est la marche normale. C'est d'ailleurs la marche imposée à tous les ministères.
Au ministère de la justice, par exemple, n'y a-t-il pas aussi des dépenses de cette nature ? N'y a-t-il pas des prisonniers à vêtir ? N'y a-t-il pas des masses ? Eh bien, il n'y a pas de masse noire. Il n'est pas même permis de vendre un objet, quelque minime qu'il soit, sans l'intervention du domaine. Cela est vrai pour le ministère de l'intérieur, pour le ministère des finances, pour tous les ministères. On ne peut rien dépenser, rien recevoir, sans que la cour des comptes soit appelée à le contrôler.
On nous dit, messieurs : Vous pouvez aller voir ; mais nous avons des gens qui voient pour nous.
Quant à moi, je ne demanderai jamais à aller voir ailleurs qu'à la cour des comptes ; mais j'irai à la cour des comptes pour m'assurer si elle a été mise à même d'exercer son contrôle dans toute son étendue, et quand il en sera autrement je me plaindrai à la chambre.
Maintenant je ne me plains pas, mais j'accepte la proposition de M. Thiéfiy et je demande avec lui que les recettes et les dépenses de la masse des corps figurent au budget, comme le veut la loi de comptabilité.
M. Servaes, commissaire du Roi. - Messieurs, je dois encore entrer dans quelques détails.
M. le ministre m'autorise à déclarer à la chambre qu'il s'engage à transmettre chaque année à la cour des comptes les comptes de la masse des recettes et dépenses imprévues dès que les inspecteurs généraux auront arrêté définitivement la comptabilité.
Quant à la fonderie de canons, le fait dont on a parlé doit avoir eu lieu, il y a bien des années ; il doit remonter à 1833 ou à 1834, s'il a jamais existé. En consultant les budgets des voies et moyens, on pourra se convaincre que les bénéfices de cet établissement y figurent en recette.
En ce qui concerne les amendes, je dois désabuser l'honorable membre : les amendes ne sont pas mandatées au profit des corps ; elles sont déduites du montant des fournitures et ne sont par conséquent mandatées au profil de personne.
M. de Baillet-Latour. - Je dois quelques mots de réponse au conseil de patience que vient de me donner M. le baron Osy. J'ai défendu les intérêts de ma localité et du chef-lieu de mon arrondissement. Je respecte les décisions du gouvernement prises pour Philippeville, si c'est pour la défense de pays ; mais M. le baron Osy est indemnisé du terrain qu'on lui a pris pour les travaux militaires à Anvers ; il n'a donc pas à se plaindre. J'ai demandé pour Philippeville une compensation du désastre que cause la démolition de la forteresse à ses habitants, le retrait de la garnison. J'espère dans la sollicitude du gouvernement.
Lorsque M. Osy se plaint, il se plaint amèrement et sollicite vivement ; je ne vois pas qu'il ait moins que moi besoin de conseils de patience.
M. Thiéfry. - Messieurs, je ne serai pas long ; après la déclaration que vient de faire M. l'intendant-général, nous pourrons nous mettre d'accord. Je tiens seulement à répondre deux mots à M. le commissaire du Roi Renard qui affirme que la masse noire n'existe pas. Eh bien, sous l'ancien gouvernement, nous ne rappelions jamais que la masse noire ; et la preuve qu'elle est bien nommée, c'est qu'il n'est pas un seul membre de la chambre ni du sénat qui ait jamais vu une seule pièce des dépenses.
Qu'on me permette maintenant d'ajouter quelques paroles concernant la régularité qu'il est possible d'introduire dans cette comptabilité.
(page 1446) M. l’intendant nous dit : « Si un homme meurt à l'hôpital et qu’il laisse un avoir, je lui répondrai : Dans les recettes diverses ; et si au contraire, il laisse une dette, on la portera dans les dépenses imprévues. »
M. le commissaire du Roi assure que lorsque j'ai désiré prendre connaissance de la comptabilité d'un régiment, M. le ministre de la guerre, tout en s'y opposant avait mis un fonctionnaire à ma disposition pour me donner des renseignements. Les souvenirs de M. l'intendant l'induisent en erreur. Il m'a bien été répondu en décembre 1848, et j'ai encore la lettre chez moi, qu'il était impossible de déférer à mon désir ; mais on n'a mis personne à ma disposition. Plus tard, il est vrai, un haut fonctionnaire est venu me trouver pour m'entretenir des mesures à prendre pour régulariser cette même comptabilité dont je m'occupe aujourd'hui et non pas d'autre chose.
J'avais cru atteindre mon but par l'adoption d'une proposition présentée alors ; je me suis aperçu peu après qu'elle n'avait apporté aucun changement au règlement de 1819 ; et l'expérience a bien prouvé qu'effectivement il n'y avait eu aucun changement. Car c'est tout au plus s'il y a eu des arrêtes royaux pour autoriser les dépenses pour un millier de francs par an, tandis que celles-ci sont peut-être de 100,000 ou de 200,000 francs. (Dénégations.) Je ne puis rien affirmer ; cependant une recette de 2 p. c. sur tous les comptes des marchands et fabricants n'est déjà pas peu de chose ; c'est une belle recette. J'ai fait, en outre, le calcul de l'excédant que l'on a eu sur les frais d'administration de l'infanterie en 1850 ; ils s'élèvent à plus de 8,000 fr. Une somme de 164,000 francs a été portée au budget, et, d'après un arrêté du mois de février de la même année, il a été alloué aux régiments 155,700.
Il est inutile d’ailleurs de présenter de nouvelles observations puisque M. l’intendant général vient, au nom du département de la guerre, de prendre l’engagement de fournir chaque année à la cour des comptes le compte des recettes et des dépenses imprévues.
Il n'y a plus d'utilité à maintenir mon amendement. J'ai obtenu ce que je demandais : la publicité des dépenses. Je retire donc mon amendement.
M. le président. - L'amendement est retiré.
M. Prévinaire. - Messieurs, j'ai nn mot à dire sur un objet qui n'a aucun rapport avec les questions qui viennent d'être débattues ; il s'agit cependant aussi d'une question qui est prévue par la loi de comptabilité.
L'article 21 de cette loi porte ce qui suit :
« Tous les marchés au nom de l'Etat sont faits avec concurrence, publicité et à forfait, sauf les exceptions établies par les lois ou mentionnées à l'article suivant. »
Messieurs, il y a des fournitures de poudre qui se font depuis bien des années, sans adjudication et sans concurrence : dans mon opinion, le gouvernement n'est pas armé de ce pouvoir-là ; s'il pense qu'il y a lieu de continuer le même système, je demande qu'il veuille saisir la chambre d'un projet de loi qui lui donne les pouvoirs nécessaires à cet effet.
M. Servaes, commissaire du Roi. - Messieurs, l'honorable préopinant vient de donner lecture de l'article 21 de la loi sur ia comptabilité générale de l'Etat ; mais il perd de vue que l'article 22 pose des exceptions à la règle générale établie à l'article 21. Ainsi, aux termes du n°2 de l'article 12, il peut être traité de gré à gré :
« 2° Pour toute espèce de fournitures, de transports ou de travaux, lorsque les circonstances exigent que les opérations du gouvernement soient tenues secrètes, etc. »
Nous avons une fabrique de poudre à Wetteren où des officiers d'artillerie surveillent la fabrication des poudres.
M. Prévinaire. - Messieurs, j'ai fait mon interpellation dans un sens tout à fait général. Je n'ai cité aucun établissement particulier. Il existe dans le pays plusieurs fabriques de poudre très importantes, c'est une industrie qui s'est développée d'une manière très heureuse ; ces établissements reclament avec raison le bénéfice de la législation ; ils demandent qu'on applique dans les adjudications du département de la guerre le principe déposé dans la loi sur la comptabilité.
Je reconnais qu'il peut se présenter des cas où le gouvernement doit avoir en main le pouvoir de s'écarter de la règle générale ; mais ce pouvoir, en ce qui concerne les fournitures de poudre de guerre, le gouvernement l'a-t-il en vertu de la législation actuelle ? Je n'en suis pas certain, et je l'engage à le demander par un projet de loi.
Je suis porté à croire que les articles 21 et 22 de la loi sur la comptabilité, tels qu'ils sont formulés, ne confèrent pas au gouvernement le pouvoir de traiter d'une manière spéciale avec un établissement qui ne serait pas unique en son genre.
Pendant de nombreuses années, les fournitures de poudre de guerre ont été adjugées avec concurrence, et je ne pense pas qu'on ait compromis par là de graves intérêts. Au reste, s'il était vrai que la poudre fournie par un seul établissement placé sous la surveillance des agents du département de la guerre, fût seule de nature à offrir toutes les sécurités désirables, je verrais là un danger réel et considérable, puisqu'un accident survenant dans cet établissement compromettrait tout.
M. Renard, commissaire du Roi. - Messieurs, le gouvernement doit exiger, pour la poudre destinée à ses arsenaux, de minutieuses garantes de fabrication. Il est de son devoir de faire examiner toutes les matières premières avant leur emploi, de suivre tous les procédés de manipulation et de fabrication.
Nous avons des officiers chargés spécialement de surveiller toutes ces opérations. L'approvisionnement des poudres est une chose trop importante pour que l'Etat puisse abandonner entièrement la surveillance de la fabrication de celle qui lui est destinée à l'industrie privée, et de se borner aux seuls procédés de réception pour s'assurer de ses qualités. De là l'impossibilité de s'astreindre pour cette fourniture aux formalités ordinaires de l'adjudication publique.
Nous avons hésité longtemps dans le sein de la commission sur la question de savoir si l'on ne proposerait pas au gouvernement d'établir une poudrerie de l'Etat, et il est certain que si l'établissement de Wetteren ne nous avait pas présente toutes les garanties d'une excellente fabrication, la commission n'aurait pas hésité à proposer au gouvernement de confectionner lui-même ses poudres.
M. de Mérode. - J'avais demandé la parole pour appuyer les observations de M. le commissaire du gouvernement. Je pense que dans les questions qui intéressent la défense du pays, le commerce n'a que faire ; ce qu'il faut, avant tout, c'est de pouvoir compter sur ce dont on a besoin.
Je ne puis pas considérer la fabrication de la poudre comme les fournitures d'étoffe et de drap, parce que la manière dont cette fabrication s'opère a une trop grande importance pour qu'on l'abandonne à la concurrence.
M. Prévinaire. - Vous remarquerez, messieurs, que j'ai dès l'abord reconnu qu'il pouvait se présenter des cas, comme ceux que vient d'indiquer l'honorable comte de Mérode, où le gouvernement devait avoir le droit de s'écarter des règles générales tracées par la loi de comptabilité. J'ai demandé si, aux termes de cette loi, il pouvait, pour la fabrication des poudres, se dispenser de l'adjudication avec publicité et concurrence. Pour moi je ne vois rien dans la loi qui l'y autorise, et mon interpellation avait pour but principal d'éveiller l'attention du gouvernement à cet égard, afin qu'il pût au besoin être armé légalement des pouvoirs nécessaires.
Au département de la guerre on n'est pas dans le cas de voir souvent la loi de comptabilité ; on peut la perdre de vue, c'est ce qui a eu lieu, à mon avis, à propos de la question dont la chambre s'est occupée il y a quelques instants.
Je répondrai à M. le commissaire du Roi, que je suis peu touché des arguments qu'il a présentés. C'est le devoir du gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour avoir de bons approvisionnements de poudre, mais il doit se renfermer dans la légalité ; je ne crois pas que l'adjudication avec concurrence ne puisse pas se concilier avec la bonne qualité des approvisionnements, car il existe de nombreux moyens de contrôler les fournitures et leur qualité.
D'un autre côté, vos approvisionnements ne sont pas tellement considérables que vous deviez fabriquer toute l'année. Si réellement la fabrication doit être suivie par vos officiers dans l'intérêt de l'Etat, il y a un immense danger, dont vous assumez la responsabilité, à faire reposer la sécurité de l'Etat sur un seul établissement et un établissement privé.
J'engage le gouvernement à examiner la question au point de vue de la loi de comptabilité. En déclarant que c'est pour avoir quelque chose de bon que vous vous adressez à un seul établissement, vous compromettez l'existence de tous les autres.
M. Mercier. - N'examinant ia question qu'au point de vue de la légalité, je dis que le cas dont il s'agit est prévu par la loi de comptabilité. Si j'ai bon souvenir, le numéro 7 s'applique particulièrement ans poudres.
Voici le texte.
« Pour les matières et denrées qui à raison de leur nature particulière et de la spécialité de l'emploi auquel elles sont destinées, sont achetées et choisies au lieu de production ou livrées sans intermédiaire parles producteurs eux-mêmes. »
Il me semble que si cet article s'applique à quelque chose, c'est aux poudres. Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir s'il faut avoir un établissement ou deux ; mais au point de vue de la légalité, je soutiens que le gouvernement est dans son droit en ne mettant pas en adjudication la fourniture des poudres.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la discussion des articles.
(page 1147) « Art. Traitement du Ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Art. 2. Trairement des employés civils.
« Charge ordinaire : fr. 145,000.
« Charge extraordinaire : fr. 6,000.
- Adopté.
« Art. 3. Supplément aux officiers et sous-officiers employés au département de la guerre : fr. 14,000.
- Adopté.
« Art. 4. Matériel : fr. fr. 40,000.
- Adopté.
« Art. 5. Dépôt de la guerre.
« Charge ordinaire : fr. 19,000.
« Charge extraordinaire : fr. 10,000.
- Adopté.
« Art. 6. Traitement de l'état-major général : fr. 759,866 10 »
- Adopté.
« Art. 7. Traitement de l'état-major des provinces et des places.
« Charge ordinaire : fr. 284,287 95.
« Charge extraordinaire : fr. 15,820 50.
- Adopté.
« Art. 8. Traitement du service de l'intendance : fr. 150,729 75.
- Adopté.
« Art. 9. Traitement du service de santé des hôpitaux : fr. 184,085 62.
- Adopté.
« Art. 10. Nourriture et habillement des malades ; entretien des hôpitaux : fr. 646,560.
- Adopté.
« Art. 11. Service pharmaceutique : fr. 100,000.
- Adopté.
« Art. 12. Traitement et solde de l'infanterie.
« Charge ordinaire : fr. 11,840,000.
« Charge extraordinaire : fr. 40,000.
« Les crédits qui resteront disponibles à la fin de l'exercice sur les chapitres II, III, IV et VIII, concernant le Personnel, pourront être réunis et transférés, par des arrêtés royaux, à la solde et autres allocations de l'infanterie, ce qui permettra le rappel sous les armes, pendant un temps déterminé, d'une ou de deux classes de miliciens qui appartiennent à la réserve. »
- Adopté.
« Art. 13. Traitement et solde de la cavalerie.
« Charge ordinaire : fr. 3,572,000.
« Charge extraordinaire : fr. 8,000.
- Adopté.
« Art. 14. Traitement de l'artillerie : fr. 2,962,000.
- Adopté.
« Art. 15. Traitement du génie : fr. 788,000.
- Adopté.
« Art. 16. Traitement des compagnies d'administration : fr. 251,800. »
« Les hommes momentanément en subsistance près d'un régiment d'une autre arme compteront, pour toutes leurs allocations, au corps où ils se trouvent en subsistance. »
« Art. 17. Etat-major, corps enseignant et solde des élèves : fr. 139,180 15. »
- Adopté.
« Art. 18. Dépenses d'administration : fr. 22,319 85. »
- Adopté.
« Art. 19. Traitement du personnel des établissements : fr. 37,000. »
- Adopté.
« Art. 20. Matériel de l'artillerie : fr. 763,000. »
- Adopté.
« Art. 21. Matériel du génie : fr. 700,000. »
- Adopté.
« Art. 22. Pain: fr. 1,910,410 84. »
- Adopté.
« Art. 23. Fourrages en nature: fr. 3,032,000. »
- Adopté.
« Art. 24. Casernement des hommes : fr. 737,000. »
- Adopté.
« Art. 25. Renouvellement de la buffleteterie et du harnachement : fr. 100,000. »
- Adopté.
(page 1448) « Art. 26. Frais de route et de séjour des officiers : fr. 85,000. »
- Adopté.
« Art. 27. Transports généraux : fr. 60,000. »
- Adopté.
« Art. 28. Chauffage et éclairage des corps de garde : fr. 50,000. »
- Adopté.
« Art. 29. Remonte.
« Charge ordinaire : fr. 438,610.
« Charge extraordinaire : fr. 57,930. »
- Adopté.
« Art. 30. Traitements divers et honoraires.
« Charge ordinaire : fr. 155,926 20.
« Charge extraordinaire : fr. 773 80. »
- Adopté.
« Art. 31. Frais de représentation : fr. 30,000. »
- Adopté.
« Art. 32. Pensions et secours.
« Charge ordinaire : fr. 59,000.
« Charge extraordinaire : fr. 9,243 38. »
- Adopté.
« Art. 33. Dépenses imprévues : fr. 103,546 86. »
« La partie disponible du crédit porté à l'article 33 pourra être transférée, par des arrêtés royaux, à d'autres articles du même budget, si des circonstances éventuelles rendaient insuffisants les crédits alloués pour ceux-ci.
M. le président. - La section centrale, d'accord avec le gouvernement, propose de rédiger cette note comme suit :
« La partie disponible du crédit, porté à l'article 33, pourra être transférée, par des arrêtés royaux, aux articles 5, 22, 23, 26, 27, 28 et 30 et aux paragraphes A et H de l'article 32 du même budget, si des circonstances éventuelles rendaient insuffisants les crédits alloués pour ceux-ci. »
- L'article 33 et cette note sont mis aux voix et adoptés.
« Art. 34. Traitement et solde de la gendarmerie : fr. 1,835,000. »
- Adopté.
« Article unique. Le budget du ministère de la guerre est fixé, pour l'exercice 1853, à la somme de trente-deux millions cent quatre-vingt-dix mille francs (fr. 32,190,000), conformément au tableau ci-annexé. »
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du budget ; en voici le résultat :
56 membres y prennent part.
39 adoptent.
6 rejettent.
11 s'abstiennent.
En conséquence, le budget est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont adopté : MM. Ansiau, Anspach, Boulez, Dautrebande, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Breyne, de Decker, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Royer, Desmaisières, Devaux, Dumon, Janssens, Julliot, Landeloos, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Matou, Mascart, Matthieu, Mercier, Orban, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Roussette (Ch.), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Verhaegen, Veydt et Vilain XIIII.
Ont rejeté : MM. Clep, David, Lejeune, Tremouroux, Vandenpeereboom (Ernest) et Vander Donckt.
Se sont abstenus : MM. Pierre, Thiéfry, Coomans, de Bronckaert, Delfosse, Deliége, de Ruddere, Jacques, Jouret, Manilius et Moreau.
Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Pierre. - Je n'ai point voté la loi organique de l'armée.
Les motifs qui ne me l'ont pas permis, m'ont également empêché de voter le budget, corollaire de l'organisation. En présence des éventualités les plus graves, qui menacent l'Europe, je n'ai cependant pas voulu assumer la responsabilité d'un vote négatif.
M. Thiéfry. - Messieurs, quoique je n'entrevoie aucun des dangers dont vient de parler l'honorable préopinant et dont la perspective a cependant exercé une grande influence lors du vote de la loi sur l'organisation de l'armée, je ne veux pas rejeter le budget de la guerre au milieu d'un exercice presque à moitié écoulé.
D'un autre côté, je ne donnerai jamais mon approbation à un budget de 32 millions, qui maintient une organisation de nature à compromettre peut-êlre un jour l'existence de la Relgique.
M. Coomans. - Ainsi que j'ai eu l'honneur de le déclarer plusieurs fois, je ne pourrai voter aucun budget de la guerre aussi longtemps que notre système de recrutement ne sera pas réformé.
M. de Bronckart. - Les motifs qui m'ont fait m'abstenir sont les mêmes que ceux que vient de donner l'honorable M. Pierre. Je n'ai pas voulu, par un vote négatif, m'exposer à entraîner le gouvernement dans des embarras à un moment que l'on semble convenu de considérer comme critique.
M. Deliége. - Je n'ai pas voté pour le budget et je ne crois pas à la guerre. Le bon sens et l'intérêt des peuples qui nous entourent sont un sûr garant du maintien de la paix.
Je n'ai pas voté contre, à cause du vote récent de la chambre, mon vote négatif eût du reste été sans portée.
M. de Ruddere. - N'ayant pas admis le principe, je n'ai pu voter pour le budget. Je n'ai pas voté contre, pour ne pas arrêter la marche de l'administration.
M. Jacques. - Dans les circonstances actuelles, je n'ai pas cru devoir voter contre le budget de la guerre. J'ai voté l'année dernière près de 40 millions pour les besoins de ce département : s'il ne s'était encore agi maintenant que de tenir un peu plus d'hommes dans les régiments, que de conserver un plus grand nombre de chevaux pour la cavalerie et pour l'artillerie, que de soigner un peu mieux les forteresses et le matériel de guerre, j'aurais encore voté le budget, même au taux de 32 millions ; mais ce budget contient quelques dépenses nouvelles que je ne puis pas admettre.
M. Jouret. - Je me suis abtenu parce qu'un budget de 32 millions me paraît trop élevé pour nos ressources.
M. Manilius. - Je me suis abstenu, parce que je crois que le budget est trop élevé pour un état de paix, et trop peu élevé pour un état apparent de guerre ou d'expectative, comme on l'a dit.
M. Moreau. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. Deliége.
M. Delfosse. - Je n'ai pas voté contre le budget parce qu'il est la conséquence de la loi d'organisation tout récemment adoptée par ia chambre ; je n'ai pas voté pour, parce que je n'ai pu donner mon adhésion à cette loi.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai l'honneur de déposer :
1° Un projet de loi ayant pour objet la concession d'un chemin de fer de Hasselt à Maestricht ;
2° Un projet de loi ayant pour objet la concession d'un chemin de fer de Fleurus ou de Ligny à Landen et d'un chemin de fer partant de Groenendael, passant par Waterloo et aboutissant à Nivelles.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; ils seront, aiusi que l'exposé des motifs, imprimés et distribués.
La chambre les renvoie à l'examen des sections.
La séance est levée à 4 heures.