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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 22 février 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 699) M. Maertens procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Des propriétaires à Merxplas présentent des observations contre le chemin de fer projeté de Lierre à Turnhout, et prient la chambre de décréter la construction du canal de Turnhout à Anvers parS t-Job in 't Goor et l'établissement d'un chemin de fer d'Anvers à Turnhout à travers la Campine. »

« Mêmes observations et même demande des propriétaires à St-Job in 't Goor, Oostmalle, Westmalle, Wechelderzande et Vlimmeren. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout.


« Les électeurs à Molhem-Hollebeek demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.


« Des électeurs à Thourout demandent que le nombre des électeurs soit fixé d'après le chiffre de la population de la localité et que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Des électeurs de Nederhasselt demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

« Même demande des électeurs à Oostwinkel. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Strenhuffel demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40.000 âmes, et qu'ils aient chacun à procéder à l'élection d'un représentant. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Herenthout demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes ou divisés en plusieurs bureaux d'élection. »

_ Même renvoi.


« Des électeurs à Orsmael demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton, et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

« Même demande des électeurs à Thielt, arrondissement de Louvain. »

- Même renvoi.


« L'administration communale d'Anvers présente des observations contre le chemin de fer projeté de Lierre à Turnhout et contre la déclaration faite par le gouverneur relativement au canal d'Anvers à Turnhout par St-Job in 't Goor. »

- Sur la proposition de M. Loos, renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Jean Spahn, garçon farinier au moulin de Martinrive à Louveigné, né à Creuzhausen (Nassau), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Jacques-Pierre-Herman Thayssen, musicien gagiste au 2ème régiment de ligne, né à Ottensen (Holstein), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Gand, de Synghem et d'Asper, prient la chambre de mettre à la disposition du gouvernement les fonds nécessaires pour l'achèvement des canaux de Schipdonck et de Zelzaete. »

- Sur la proposition de M. Maertens, renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« M. le ministre des finances transmet à la chambre des explications sur une pétition des distillateurs agricoles de Louvain et d'Aerschot qui réclament contre la disposition de la loi du 20 décembre 1851, fixant à 20 hectolitres le maximum des quantités de matières qui peuvent être mises en macération par 24 heures dans les distilleries agricoles. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur les distilleries.


« M. le ministre de la justice transmet le dossier relatif à la demande de naturalisation de M. J. Jausner. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« La direction de la Société Générale transmet 112 pxemp'airns du rapport aux actionnaires sur les opérations de la société pendant l'année 1852 et sur son bilan au 31 décembre dernier. »

- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.


M. Jacques. - Ainsi que je le disais hier à la chambre, la commission des pétitions de janvier m'avait chargé de vous présenter le rapport sur diverses pétitions relatives à la loi électorale : vous avez décidé que vous n'attendriez pas ce rapport, et que les pétitions qui devaient en faire l'objet seraient renvoyées, pour examen ultérieur, à une nouvelle commission qui ne doit être instituée que le 19 mars prochain.

Comme je ne me crois pas obligé à rester jusque-là dépositaire des 153 pétitions qui m'avaient été confiées, je viens les remettre à la chambre et en demander acte au procès-verbal.

Je ne pense pas, du reste, que par la résolution qui a été prise hier, la chambre ait voulu m'infliger un blâme quelconque ; je ne vois dans cette résolution qu'une chose, c’est que la chambre, qui avait déclaré d'abord qu'elle ne voulait pas de prompt rapport sur les pétitions relatives à la loi électorale, a décidé que ces pétitions seraient encore ajournées, afin d'en comprendre un plus grand nombre dans le même rapport. Cependant, si la résolution qui a été prise pouvait avoir dans l'esprit de l'un ou l'autre de nos collègues la signification d'un blâme quelconque en ce qui me concerne, je demande formellement que l'on veuille bien s'en expliquer, afin qu'aucune équivoque ne soit possible.

M. le président. - M. Jacques, désirant se dessaisir des pétitions, voudra bien les remettre à M. le greffier qui les remettra en temps utile à la commission des pétitions du mois de mars.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1853

Discussion du tableau des crédits

Chapitre II. Ponts et chaussées, bâtiments civils, etc.

Section V. Personnel des ponts et chaussées
Article 42

M. de Man d'Attenrode (pour une interpellation)-. - Hier, M. le ministre des travaux publics ne s'est pas trouvé en mesure de répondre à l'interpellation que j'ai eu l'honneur de lui adresser et qui consistait à nous faire connaître si le dernier cinquième du cautionnement déposé par la compagnie du chemin de fer de Jurbise à Tournai et de Landen à Hassekt, afin de garantir tous ses engagements envers l'Etat, avait été remboursé. Comme je suppose que M. le ministre sera en mesure de répondre maintenant à cette interpellation, je le prie de bien vouloir le faire.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je répondrai à cette interpellation en déclarant que le cautionnement a été retiré et que c'est la chambre qui en a décidé ainsi.

M. de Man d'Attenrode. - C'est le gouvernrment qui l'a proposé.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Peu importe ! C'est la chambre qui a décidé ce que le gouvernement avait proposa en 1848, et cela a été adopté par l'honorable M. Osy, qui a voté en 1848 la loi qui autorise le gouvernement à restituer te cautionnement.

D'après l'article 14 de l'annexe à la loi du 10 mai 1845 qui a décrété la consttuction des chemins ds fer de Tournai à Jurbise et de Saint-Trond à Hasselt, le dernier cinquième du cautionnement de 500,000 fr. déposé par les concessionnaires ne devait être restitué qu'après l'achèvement total des travaux.

Cette disposition a été abrogée par la loi du 14 juin 1818, portant :

« Le gouvernement est autorisé : (…(

« 3° A rembourser immédiatement, par dérogation à l'article 14 de l'annexe précitée à la loi du 10 mai 1845, à la compasgnie concessionnaire, le dernier cinquième du cautionnement de cinq cent mille francs déposé par elle. »

En exécution de cette disposition, le remboursement a été immédiatement effectué.

Ainsi c'est en pleine connaissance de cause et de l'aveu formel de la chambre que le dernier cinquième du cautionnement a été restitué. Mais je demande ce qu'il peut y avoir de sérieux dans l'objection tirée de la restitution du dernier cinquième du cautionnement. Est-ce que le gouvernement est desarmé vis-a-vis de la compagnie du chemin de fer de Tournai à Jurbise, alors qu'il perçoit pour son compte 50 p. c. du produit brut ? Evidemment le gouvernement a là une arme bien plus tfficace que dans le dernier cinquième du cautionnement qui représente environ 100,000 fr.

Ja dis donc que cette objection n'est nullement fondée.

M. Vilain XIIII. - J'abonde tout à fait dans le sesî des dernièresobservations de M. le ministre des travaux publics, qui vient de faire entrevoir la possibilité de retenir à la compagnie les 50 p. c. du produit brut que perçoit pour elle le gouvernement. Si M. le ministre met ce projet à exécution, le chemin de fer s'achèvera. Il est certain qu'on n'a rien fait sur le chemin de fer de Landen à Hasselt. Il y a un commencement d'exécution sur le chemin de fer de Jurbise à Tournai, mais sur la ligne de Landen à Hasselt, il n'y a absolument rien.

J'engagerai M. le ministre à ne pas s'apitoyer comme il l’a fait hier, sur le sort des actionnaires de la compagnie. D'abord un ministre n'a pas le droit, en sa qualité de ministre, de s'apitoyer sur le sort de personne. Car ces apitoiements sont toujouis au détriment du trésor ; (page 700) c'est celui-ci qui fait les frais des attendrissements de M. le ministre et chacun des pleurs qu'il laisse tomber sur la main ouverte des actionnaires se change en larmes d'argent.

Les actionnaires, du reste, ne sont pour lien dans tout ceci. Ce sont les entrepreneurs à forfait qui sont en cause et qui ne sont nullement à plaindre. Les actionnaires leur ont payé 12,500,000 francs pour construire le chemin de fer et les entrepreneurs tâchent de dépenser le moins possible de cette somme qu'ils ont reçue. Chaque délai que leur donne le ministre se traduit pour eux en intérêts perçus sur la somme non dépensée. Ainsi donc pas d'attendrissement pour si peu.

Il est certain que de Landen à Hasselt il n'y a pas de station. Non seulement il n'y a pas de station, mais le gouvernement prête des waggons pour emmagasiner les marchandises qui arrivent. Je voudrais savoir si M. le ministre des travaux publics reçoit quelque chose soit pour achat soit pour location des waggons qu'il prête à Hasselt. Il y a à Hasselt cinq ou six waggons dans la boue, qui ne sont pas restaurés, qui ns sont pas peints, qui pourrissent et servent à la compagnie à emmagasiner les objets qu'on reçoit.

J'engage M. le ministre des travaux publics à porter la plus sérieuse attention sur cette compagnie, qui certainement ne remplit pas ses obligations, et qui ne veut pas les remplir parce que tout délai est pour elle un profit.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je dois répondre un mot aux observations, très justes quant au fond, que vient de présenter l'honorable comte Vilain XIIII.

En 1850, quand j'ai pris la direction du département des travaux publics, il n'y avait rien de fait sur la ligne de Saint-Trond à Hasselt, et cependant la ligne était exploitée depuis 1847. J'ai institué une commission pour examiner ce qu'il pouvait y avoir de fondé dans la résistance de la compagnie. Car il ne faut pas se le dissimuler, nous sommes en présence de deux dispositions qui semblent se contrarier. D'après l'une de ces dispositions, la compagnie devait faire des bâtiments qui fussent en rapport avec le devis estimatif arrêté par M. l’ingénieur en chef Groetaers ; et, d'après une autre disposition, elle est obligée d'exécuter tout ce qui importe à une bonne exploitation de la ligne. La compagnie dit : « Je veux bien faire des bâtiments à concurrence des sommes portées dans le devis estimatif de M. l'ingénieur en chef Groetaers. Mais les devis ne sont pas suffisants, d'après l'administration du chemin de fer.

Selon moi, la compagnie est tenue de faire tous les travaux nécessaires à une bonne exploitation. Mais, je le répète, il me paraît préférable, plutôt que d'arriver à une contestation judiciaire, d'en finir à l'amiable, et c'est pour arriver à cette fin que j'ai institué une commission qui, si elle ne produit pas un travail dans un prompt délai, m'obligera à recourir à la voie judiciaire.

M. Vilain XIIII. - Nommez-moi membre de cette commission, M. le ministre.

M. de Brouwer de Hogendorp, rapporteur. - J'ai pris la parole pour appuyer les observations que vient de présenter l'honorable comte Vilain XIIII. Il ne faut pa s'apitoyer sur le sort du cette compagnie. S'il faut s'apitoyer sur un sort quelconque, c'est bien sur le sort du trésor public.

Messieurs, ce n'est pas l'Etat qui exploite les chemins de fer de Tournai à Jurbise et de Landen à Hasselt, mais c'est le chemin de fer qui exploite l'Etat.

M. de Man d'Attenrode. - C'est cela !

M. de Brouwer de Hogendorp. - En 1851, les recettes de la ligne de Jurbise à Tournai se sont élevées par kilomètre à 12,135 fr., et la dépense à 10,435 fr., de sorte qu’il n'y a eu une recette nette que de 1,700 francs.

Eh bien ! il a fallu donner à la compagnie la moitié de la recette brute ; il a fallu lui payer par kilomètre exploité, 6,067 fr., tandis que l'Etat ne percevait que 1,700 fr. Il a donc fallu retirer du trésor, pour chaque kilomètre de ligne exploitée 4,367 fr., c'est-à-dire que l'exploitation de cette ligne a coûté aux contribuables 207,475 fr. pour l'année 1851, et ils continueront à payer cette redevance jusqu'à l'expiration de la concession.

M. le ministre dira ce qu'il a dit il y a quelques jours, qu'il en résulte un avantage pour l'Etat, que cette ligne donne des produits indirects. Mais de cette manière l'Etat n'aurait qu'à exploiter toutes les mauvaises lignes du pays et M. le ministre pourrait toujours venir affirmer qu'il en résulte des avantages indirects pour l'Etat.

Messieurs, quoique la discussion soit close, je demanderai a la chambre la permission de dire un mot relativement à une observation qui a été faite hier par M. Dumortier.

L'honorable M. Dumortier a demandé hier qu'on ne se contentât point d'avoir des convois de coïncidence sur la ligne de Tournai à Jurbise, mais qu'on eût des convois directs de Bruxelles à Tournai et de Tournai à Bruxelles.

Messieurs, dans l'état actuel des choses cela est complètement impossible. Il en résulterait pour l'Etat des dépenses encore beaucoup plus considérables que celles qu'il est obligé de faire maintenant.

Je prierai M. le ministre de bien vouloi examiner si cette ligne ne pourrait pas être exploitée d'une manière plus économique qu'elle ne l'est aujourd'hui. Il y a, dans d'autres pays, des lignes peu productives. Ces lignes ne sont pas exploitées comme celle de Tournai à Jurbise ; elles n'ont pas un matériel si lourd et si coûteux. Sur la ligne de Tournai à Jurbise chaque convoi ne transporte pas un poids net de plus de 2 à 3i tonnes et le poids brut de chacun de ces convois est de 40 tonnes.

Evidemment, c'est là une anomalie choquante, et il faut absolument qu'on recherche s'il n'est pas possible d'exploiter cette ligne avec un matériel moins coûteux dont l'intérêt, par conséquent, représenterait une somme moins forte, avec un matériel qui exigerait moins de dépenses de consommation et dont l'entretien coûterait moins ; avec un matériel qui, étant moins lourd, occasionnerait moins de dépenses de réparation à la voie.

Je soumets cette considération à l'appréciation de M. le ministre. Si l'on pouvait trouver des moyens de locomotion moins coûteux, il serait peut-être possible de satisfaire à la demande de l'honorable M. Dumortier ; aujourd'hui on ne le peut pas. Au surplus, je dois ajouter qu'il y aura toujours certaines difficultés résultant de la faute qui a été faite dans le raccordement de cette ligne.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, le gouvernement s'est trouvé, enfin, à même de répondre aujourd'hui à l'interpellation que je lui avais adressée sur la question de savoir si le cautionnement déposé par MM. les concessionnaires fondateurs en garantie de leurs engagements, avait été remboursé. M. le ministre vient de répondre que le cautionnement avait été remboursé en vertu d'une loi présentée à cet effet par le gouvernement et adoptée par la législature. Je demanderai à M. le ministre s'il croit sérieusement que l'adoption de cette loi contienne la justification du gouvernement ? Je ne le pense pas. En quoi consistait la demande du gouvernement ? Il nous a demandé à être autorisé à rembourser ce cautionnement. Il pouvait donc s'abstenir d'user des pouvoirs que la loi lui a conférés. Il en a usé sous sa responsabilité. La responsabilité de cet acte reste entière pour lui.

Quand les chambres l’ont autorisé au remboursement, elles étaient fondées à croire que l’administration avait ses apaisements, que la compagnie avait rempli tous ses engagements. Mais pas du tout, elle n’en avait rempli qu’une faible partie.

Et cependant le gouvernement n'a pas fait difficulté d'user de ses pouvoirs pour rembourser le dernier cinquième du cautionnement, pour dépouiller le pays de cette garantie.

Maintenant que le cautionnement est remboursé, que ce fait est acquis à la discussion, cette garantie ne signifiait rien, d'après M. le ministre. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'elle ne signifie plus rien par le fait du gouvernement.

La situation est donc changée et le gouvernement voit une garantie dans la retenue des 50 p. c. ; je suis heureux de l'apprendre ; j'espère qu'il en usera.

M. le ministre s'est réfugié ensuite derrière une commission qui a été instituée. Mais cette commission est instituée depuis trois ou quatre ans ; que fait elle ? A quoi ont abouti ses délibérations ? A rien. Et, à cette occasion, je demanderai au gouvernement si cette commission n'est pas composée d'ingénieurs ? Or, je déclare, s'il en est ainsi, que les ingénieurs ne sont pas capables de se contrôler les uns les autres ; ils forment un corps, et au lieu de se contrôler, ils se défendent mutuellement.

Si donc la commission est composée d'ingénieurs, j'insiste pour qu'on lui en substitue une autre et qu'on y introduise l'honorable M. Vilain XIII qui a eu le louable dévouement d'offrir son intervention. Qu'on me nomme, et nous verrons ! (Interruption.) Je me présente aussi.

Messieurs, tout a été fait au profit des concessionnaires au détriment de l’intérêt public sur cette ligne. Les rails ont été fixés à 25 kilog. Eh bien, déjà à cette époque sur toutes les bonnes lignes françaisis et anglaises, le poids des rails était fixé à 30 kil. et au-delà.

J'adressai, lors de la discussion du projet de concession, une interpellation au gouvernement, et je lui soumis la question de savoir s'il ne convenait pas d'élever ie poids des rails ; le gouvernement n'a tenu aucun compte de mon observation, et il s'en tint a l'estimation des ingénieurs, qui avaient peut-être leurs raisons pour cela, je n'ai pas à m'expliquer a cet égard, et le poids des rails fut fixé à 25 kil., comme le proposait le cahier des charges.

Maintenant, quand nous nous plaignons de ce que nos transports sont dépourvus de vitesse, que nous oppose le gouvernement pour motiver la marche lente de nos convois ? Il se fonde sur ce que la faiblesse des rails s'oppose à ce qu'on imprime de la vitesse à la marche de nos transports.

Quel sera donc le résultat de la fixation du poids des rails à 25 kilog. malgré mes observations sur les lignes de Jurbise et de Hasselt ? C'est que nous serons obligés de substituer des rails plus solides aux rails trop légers qui ont été proposés par MM. les ingénieurs ; et ce sera aux dépens du trésor public !

Hier l'honorable M. Dumortier se plaignait de la marche lente, irrégulière des trains qui parcourent la route de Jurbise à Tournai. Pourquoi celle lenteur ? Je viens devons en dire la cause.

Mais il en est encore une ; et cette cause tient à des avantages que le gouvernement a cèdes aux concessionnaires aux dépens de l'économie de l'exploitation de l'Etat.

Quels sont ces avantages ? Ce sont des stations, des points d'arrêt tellement rapprochés, que les machines, à peine mises en mouvement, sont obligées de s'arrêter.

Ensuite les trains sont très nombreux ; leur nombre dépasse les (page 701) besoins. J'ai passé quelque temps dans le voisinage de ce chemin de fer, et j'ai remarqué que les locomotives passaient fréquemment traînant 4 ou 5 voitures avec des voyageurs peu nombreux. Pourquoi ces trains si fréquents ? Toujours dans l'intérêt de la compagnie, et aux dépens du trésor public, car l'exploitation dans de semblables conditions doit être nécessairement plus dispendieuse.

Le fait est, et je le crois inconteslable ; il existe une influence fâcheuse, qui s'est exercée quant à la complète exécution des engagements qui ont été contractés envers l'Etat.

Cette influence s'exerce, non pas au profit du trésor public, cela est constant ; elle ne s'exerce pas au profit des actionnaires, qui ont acquitté leur dette en payant 12,500,000 fr., mais au profit des concessionnaires, qui seuls doivent être tenus responsables.

J'espère au moins que cette discussion sera de quelque utilité, et que les abus que nous avons signalés disparaîtront. Je fais en terminant un appel à l'énergie du gouvernement.

- L'article 42, au chiffre de 601,209 fr. 08 c. (dont 566,610 fr. comme charge ordinaire et 34,599 fr. 98 c. comme charge extraordinaire), est mis aux vois et adopté.

Rapport sur une pétition

M. Loos. - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter le rapport de la commission permanente d'industrie sur la pétition par laquelle plusieurs constructeurs de navires, cordiers, forgerons et autres industriels à Anvers demandent qu'on rétablisse une prime à la construction de navires et qu'on accorde la restitution des droits d'entrée sur certains matériaux et objets étrangers employés à la construction et à l'équipement des navires.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La chambre le met à l'ordre du jour, à la suite des objets qui y sont déjà.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1853

Discussion du tableau des crédits

Chapitre II. Ponts et chaussées, bâtiments civils, etc.

Section V. Personnel des ponts et chaussées
Article 43

« Art. 43. Traitements et indemnités du personnel subalterne des ponts et chaussées et des gardes-ponts à bascule, pontonniers, éclusiers, etc.

« Charge ordinaire : fr. 364,064 89.

« Charge extraordinaire : fr. 9,079 59. »

M. Coomans. - Je recommanderai à l'honorable ministre des travaux publics l'examen de la question de savoir s'il est bon, utile même, de maintenir les ponts à bascule.

- L'article 43 est mis aux voix et adopté.

Article 44

« Art. 44. Frais de jurys d'examen et voyages des élèves de l'école du génie civil : fr. 12,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Mines

Articles 45 à 55

« Art. 45. Personnel du conseil des mines. Traitement : fr. 41,700. »

- Adopté.


« Art. 46. Personnel du conseil des mines. Frais de route : fr. 600. »

- Adopté.


« Art. 47. Persounel du conseil des mines. Matériel : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 48. Subsides aux caisses de prévoyance et récompenses aux personnes qui se distinguent par des actes de dévouement : fr. 45,000. »

- Adopté.


« Art. 49. Impressions, achat de livres, de cartes et d'instruments ; publication de documents statistiques, encouragements et subventions, essais et expériences : fr. 7,000. »

- Adopté.


« Art. 50. Traitements et indemnités du personnel du corps des mines.

« Charge ordinaire : fr. 131,333 67.

« Charge extraordinaire : fr. 5,635 33. »

- Adopté.


« Art. 51. Jury d'examen et voyage des élèves de l'école des mines : fr. 6,000. »

- Adopté.


« Art. 52. Commission des procédés nouveaux. Frais de route et de séjour : fr. 600. »

- Adopté. »


« Art. 53. Commission des procédés nouveaux. Matériel, achat de réactifs, d'appareils, etc. : fr. 1,400. »

- Adopté.


« Art. 54. Commission des Annales des travaux publics. Frais de route et de séjour : fr. 1,100. »

- Adopté.


« Art. 55. Commission des Annales des travaux publics. Publication du recueil ; frais de bureau, etc., : fr. 3,900. »

- Adopte.

Chapitre IV. Service d'exécution. Chemin de fer. Postes. Télégraphes. Régie

Discussion générale

La section centrale propose une nouvelie division de ce chapitre. Le gouvernement s'y est rallié.

La discussion est ouverte sur les propositions de la section centrale.

M. Julliot. - Messieurs, vous aurez lu, au folio 51 du rapport sur le budget des travaux publics, un paragraphe relatif au chemin de fer de Tongres à Ans. Ce paragraphe soulève une question nouvelle : il y est dit qu'il serait utile d'augmenter de moitié le capital garanti. C'est à ce propos que j'ai demandé la parole pour adresser une interpellation à M. le ministre des travaux publics.

Messieurs la loi de 1851 a décrété un grand nombre de travaux dont l'exécution est commencée ou assurée.

Un article de cette loi, qui doit son origine à mon initiative, et à l'exécution duquel les sympathies des sections et de la commission des pétitions n'ont pas fait défaut, est resté néanmoins à l'état de promesse, car son exécution n'est ni assurée ni commencée.

C'esl l'article 4, littera A, qui garantit un minimum d'intérêt sur un million de francs, destiné à relier par un chemin de fer la ville de Tongres à la station d'Ans.

Messieurs, je ne demanderai pas à mettre la main dans le sac, je craindrais d'être égratigné par toutes celles qui s'y trouvent en permanence ; mais je demande qu'on prenne des mesures pour arriver à l'exécution de la loi votée.

Déjà en 1837 le gouvernement belge voulut bien s'occuper de nous ; on fit un tracé de chemin de fer d'Anvers à Cologne, ce tracé passait à Tongres, mais un ingénieur du corps royal des ponts et chaussées trouvait plus pittoresque de maçonner des cavaux dans la vallée de la Vesdre, afin d'y promener les voyageurs, en les conservant plus longtemps par un grand détour. A cette époque l'honorable comte de Renesse qualifiât durement les auteurs de cette sottise, mais il y avait parti pris, la majorité essuyait philosophiquement tout ce que mon courageux collègue trouvait bon de lui adressé sous forme de reproche.

La raison et le bon sens furent condamnés par l'élément parlementaire, et le premier tracé fut abandonné.

Puis en 1839, nouvelle sollicitude pour l'arrondissement dont je ltens mon mandat ; on fit un traité et cette fois le résultat ne se fit pas attendre, on l'exécutait immédiatement.

On nous réduisit de moitié, on brisa toutes nos relations qui n'étaient pas internationales mais nationales, en un mot nos intérêts moraux et matériels servirent de rançon pour acheter notre nationalité commune, et depuis cette époque on se conduit à notre égard, comme si au contraire la Belgique tout entière avait servi de rançon à la partie de l’arrondissement de Tongres qui nous est restée, car je le constate une fois de plus, nous sommes la partie la plus oubliée du pays et fatigués de l'être.

L'honorable M. Van Hoorebeke me dit bien de temps à autre : Tongres aura son chemin de fer ; mais quand il me répéterait cela du matin au soir, cela ne nous avancerait pas ; ce sont des actes qu'il nous faut et non des paroles.

Dans cette affaire, l'honorable ministre nous donne le rôle de la Pologne, en gardant pour lui le rôle des députés français de l'opposition qui s'écriaient, une fois par an : « La Pologne ne périra pas ! » La morale de cette histoire, la voici : c'esl que ceux qui promettent aux autres qu'ils ne disparaîtront pas et n'exécutent pas la promesse, sont souvent les premiers à disparaître eux-mêmes.

L'honorable ministre sait bien que tels ne sont pas mes vœux ; mais il sait aussi qu'il n'est pas en mon pouvoir de prévenir tous les faits sociaux qui pourraient se produire. Je le conjure donc, dans notre intérêt commun, de se hâter.

Messieurs, vous le savez, c’est à l'occasion de la discussion de ce grand projet dans les sections que, m'apercevant que tous les points du pays allaient être dotés de nouveaux moyens d'échange et que l'arrondissement de Tongres, le seul qui n'a ni voie ferrée ni voie fluviale, était encore exclu de ce nouveau partage de moyens de prospérité, j'ai fait ma proposition.

Je reconnaissais aussi que pour obtenir la restitution de la part d'impôt que payerait mon arrondissement dans toutes les nouvelles dépenses qu'on projetait, il ne me restait d'autre moyen que de faire admettre cet arrondissement au festin commun. Voilà l'origine de la ligne d'Ans à Tongres.

A cette époque je n'avais aucune donnée certaine sur les frais d'exécution de cette ligne. D'ailleurs, beaucoup plus courageux dans la défense de la fortune publique que dans son attaque, je craignais de dépasser le chiffre correspondant à celui qu'on allait enlever en plus à mes commettants par les nouveaux impôts ; actuellement je suis persuadé qu'alors qu'on se débattait dans cette enceinte entre tous ces millions, alors qu'on se taillait les uns les autres des parts plus ou moins léonines dans ce gâteau si amer pour la partie des contribuables qui n'a rien à voir dans les compensations, il m'aurait été aussi facile d'obtenir une garantie sur 1,500 mille francs que sur un million.

Je reconnais, mais un peu tard, que, de même que la modestie, alors qu'elle dépasse les bornes, devient ds l'orgueil, la délicatesse, alors qu'elle est outrée, devient de la niaiserie, et j'en porte le deuil.

Messieurs, une loi qui promet et ne donne pas les moyens d'exécuter sa promesse n'a pas un caractère sérieux ; le gouvernement et la (page 702) chambre ne nous ont pas, je pense, choisi pour nous tendre un traquenard ; ils ont entendu, en votant, faire un acte sérieux ; différents moyens de nous faire aboutir se présentent ; l'honorable rapporteur du budget est d'avis qu'il faut augmenter quelque peu la garantie ; un autre moyen serait de joindre la construction de cette ligne à une grande concession, sauf à faire exploiter la ligne d'Ans par le matériel de l'Etal, tant que matériel de l'Etat il y aura.

Il est évident, messieurs, que lors du vote de cet article on n'a pas entendu qu'une administration et un matériel à part seraient créés pour exploiter 13 kilomètres de route, qui ne sera qu'un accessoire, je dirai même une espèce de gare de la station d'Ans.

Cela aurait été quelque peu absurde.

Je désire vivement que l'honorable ministre me garantisse l'exécution de la loi dans un temps donné ; je désire que le chef de ce département et l'honorable rapporteur s'entendent à cet égard ; mon chemin de fer est un terrain neutre où ils peuvent se donner la main sans se compromettre, sauf à reprendre, après la discussion sur leurs chiffres ; je m'attends à une conclusion définitive.

Messieurs, les considérations qui militent en faveur de la réalisation de ce projet sont d'un ordre trop élevé peur que je ne les expose pas en peu de mots.

Déjà bon nombre de chefs-lieux de cantons sont dotés de voies ferrées ou fluviales, alors que la ville de Tongres, chef-lieu de province, sous le rapport judiciaire, n'a encore ni l'une ni l'autre. C'est vous dire que la cour d'assises y voyage encore en carriole. Cependant, vous n'ignorez pas que cette ville est la plus ancienne cité du royaume, je dirai même le berceau des Belges.

Comment ! nous nous inclinons avec respect devant l'antiquité, nous élevons à grands frais des statues à tous les grands hommes, et quand on n'a pas de personnage historique natif à honorer, on en prend un de passage, comme on l'a fait à Malines avec Marguerite d'Autriche ; et, d'un autre côté, la plus ancienne de nos cités sera traitée comme si elle n'existait pas !

Elle sera envisagée par nos archéologues modernes comme si son histoire n'était qu'une fable !

Consultez, messieurs, l'histoire et nos chroniques, et vous y verrez que Tongres était la capitale de la Belgique civilisée, alors que Bruxelles se résumait en vingt cabanes en bois élevées sur l'Ile de Saint-Géry.

Il y a plus, ces huttes servaient principalement à des rendez-vous de chasse, car les bêtes farouches pullulaient dans cette contrée.

Aujourd'hui les forts sont devenus les faibles et les petits sont devenus les puissants. Le rendez-vous de chasse d'autrefois est devenu capitale et résidence royale.

Mais Tongres aussi le fut jadis ; la politique qui veut maintenir, toutes les positions acquises est venue trop tard pour nous. Si elle nous avait gouvernés dès l'antiquité, Bruxelles probablement n'aurait pas détrôné Tongres, mais je me demande si une puissance déchue doit rester dans un oubli complet. Je dis non, parce que tout ce qui est grandeur passée a du moins des droits au sentiment de bienveillance que commande l'adversité.

Ce sentiment, je ne me borne pas à l'inculquer à d'autres, je le pratique moi-même à l'occasion ; les témoignages de ce chef ne me feraient pas défaut au besoin.

Ces légendes, messieurs, nous apprennent encore que les légions tongriennes ont eu trop d'attachement au sol de la patrie, trop de fidélité à leur chef, et trop d'ardeur à la défense de leurs foyers, pour que, vous tous, vous n'y reconnaissiez pas vos aïeux.

C'est dans cet arrondissement et probablement au camp de Tongres même que la Belgique militaire a remporté ses premiers trophées sur des troupes dont l'intrépidité n'était pas à dédaigner.

C'est vous dire que c'est à Tongres que vous avez appris à aimer votre pays et à vous battre pour sa défense ; ce brevet de priorité en vaut bien un autre.

Notre honorable et savant collègue M. Coomans pourrait nous en dire davantage à cet égard.

Messieurs, je conviens volontiers que le gouvernement et les chambres ne peuvent empêcher qu'il n'y ait de l'inégalité dans la distribution des moyens de prospérité, qu'avec beaucoup de bonne foi ils fournissent aux diverses parties du pays ; mais entre l'inégalité et la frustration complète, il y a un précipice à combler, car notre coucours continuel à l'impôt et l'abandon exceptionnel où on nous laisse devient une confiscation, et vous avez trop peu de sympathie pour les faits sociaux de cette nature pour que vous ne cessiez de les pratiquer vous-mêmes à notre endroit.

Aussi, quelle que soit la proposition qui pourra être faite pour rendre l'exécution de la loi possible, j'espère que la droite de la chambre y trouvera l'occasion d'émettre un vote consciencieux en fait de justice distributive et que la gauche, fidèle à sa mission de sauver les populations qui souffrent, s'empressera de faire disparaître notre misère par des moyens efficaces et dans une juste mesure.

Il est bien entendu, messieurs, que le vote que l'on pourrait émettre ne nuira en rien à tout grand projet qui pourrait aboutir prochainement et où la section directe d'Ans à Tongres serait comprise, parmi ces projets à l'égard desquels M. le ministre voudra bien nous donner quelques renseignements.

Après avoir entendu les explications, je saurai si je dois déposer une proposition ; car je n'ai d'autre but que d'assurer d'une manière positive et définitive que le chef-lieu judiciaire d'une province sera, comme les autres, relié au railvray ; et je réclame du positif pour le cas où l'éventuel, quelque confiance qu'il m'inspire, viendrait à faire défaut.

M. Orban. - Je ne puis laisser passer la discussion du budget des travaux publics, sans venir à mon tour demander au gouvernement des explications sur l'inexécution du chemin de fer du Luxembourg.

Interpellé déjà par deux de mes honorables collègues, les réponses faites par M. le ministre ne sont pas de nature à calmer les inquiétudes qu'on a conçues dans le pays à ce sujet. Pour mon compte, j'étais loin de croire que l'inaction de la compagnie fût secondée à ce point par celle du gouvernement.

Vous le savez, messieurs, aux termes du contrat que vous avez approuvé par la loi du 20 décembre 1851, et par lequel vous avez engagé l'Etat à payer un minimum d'intérêt à la société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg, les travaux entre Namur et Arlon devaient être commencés au printemps de l'année 1852, et l'on ne pouvait exécuter la ligne de Namur à Bruxelles que simultanément avec la ligne de Namur à Arlon.

Quant à la première de ces clauses, celle relative à l'époque où les travaux devaient commencer, on devait d'autant plus compter sur son exécution, qu'il ne s'agissait pas d'une concession nouvelle, mais simplement d'un avantage nouveau, d'un minimum d'intérêt à accorder à une société ancienne, déclarée concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg, par une loi du 18 juin 1846, et qui depuis lors avait dépensé des sommes considérables à l'étude des plans et de toutes les questions préliminaires concernant cette affaire.

Aussi, messieurs, en présence des avantages nouveaux faits à la société et du long retard apporté par elle à remplir les engagements résultant de sa concession primitive, cette condition fut-elle posée d'une manière rigoureuse et à peine de déchéance.

Or, messieurs, comment a été remplie cette clause, qui devait être pour nous la première garantie des intentions et des ressources de la société ? Le printemps est venu, l'année 1852 s'est passée, nous traversons en ce moment un hiver éminemment propice à des travaux de cette nature, voici venir bientôt un autre printemps, et nulle part sur la ligne de Namur à Arlon, il n'y a la moindre apparence d'un commencement de travaux. Le territoire du Luxembourg n'a pas encore fait connaissance avec les pioches de la société. Et ce qu'il y a de singulier, c'est qu'en présence de cette inaction, que l'on prendrait pour une abdication, le gouvernement ne paraît pas plus se souvenir que la société des obligations de la convention et de la condition de déchéance qui y est attachée.

Quant à la seconde de ces clauses, celle de la simultanéité des travaux sur les deux lignes de Bruxelles à Namur et de Namur à Arlon, clause également stipulée à peine de déchéance, le gouvernement ne devait, sous aucun rapport, permettre qu'il y fût dérogé ; il ne devait surtout à aucun prix permettre que la ligne de Namur à Bruxelles s'exécutât avant celle de Namur à Arlon.

Vous le savez, la concession primitive ne concernait que la ligne de Namur à Arlon. C'est elle qui constitue à proprement parler le chemin de fer du Luxembourg puisque au moyen de cette ligne le Luxembourg est relié avec la capitale. Ce n'est que plus tard et non sans de grandes difficultés, que la ligne de Namur à Bruxelles, ligne éminemment avantageuse à la société et préjudiciable au réseau de l'Etat auquel fait concurrence, a été concédée à la société. En effet, au moyen de cette ligne, vous allez non seulement à Namur, mais à Liége, en évitant le chemin de fer de l'Etat. C'était une première prime en quelque sorte accordée à la société, pour venir en aide, en l'améliorant, à la concession du chemin de fer du Luxembourg.

La ligne de Bruxelles à Namur ne devait donc en aucun cas s'exécuter seule ; aussi fut-il non seulement stipulé que cette ligne dépendait de l'exécution du réseau entier, mais encore que les travaux ne pourraient s'effectuer sur cette ligne que simultanément avec ceux de la ligne de Namur à Arlon. L'on ne pouvait permettre, en effet, que la ligne accessoire, accordée par forme de subside, précédât l'exéculion de la ligne principale.

Or, messieurs, que se passe-t-il ? Tandis que nous voyons cette inaction complète d'un côté, de l'autre les travaux sont poussés avec la plus grande activité. Toutes les ressources de la société y sont employées. Des sections entières sont achevées, et l'on entrevoit le moment où la ligne totale de Bruxelles à Namur le sera elle-même, et tout cela sans qu'il y soit apporté aucun obstacle de la part du gouvernement.

Messieurs, je ne veux point sonder les intentions de la société, je ne sais si en présence de la mollesse et de la tolérance que le gouvernement déploie vis-i-vis d'autres sociétés, dont on fait preuve jusqu'à présent, ; vis-à-vis d'elle-même, elle ne se flatte point de pouvoir exécuter la ligne de Namur seule, sans encourir la dépossession dont la menace le cahier des charges, mais enfin il y a là une situation grave qui doit attirer l'attention du gouvernement et qui est faite pour exciter les inquiétudes du Luxembourg.

Je n'entends point tracer au gouvernement la marche qu'il doit suivre dans cette affaire. Je iui en laisse toute la responsabilité, quoique à vrai dire la responsabilité en toutes choses soit aujourd'hui, hélas ! bien légère. Mais il me semble que la prudence la plus vulgaire exige qu'il prenne enfin au sérieux le principe de la simultanéité des travaux posé par le cahier des charges, et qu'il s'oppose à ce que les fonds dont dispose la société (page 703) soient employés plus longtemps sur la ligne de Namur à Bruxelles, avant que les travaux de la ligne de Namur à Arlon aient acquis un degré égal d'avancement. Il me semble que la société étant en retard sous tous les rapports de remplir ses engagements et quant à l'époque où devaient être commencés les travaux et quant à la simultanéité des travaux sur les deux lignes, il est pour le gouvernement de la plus rigoureuse nécessité, s'il ne croit pas pouvoir appliquer les déchéances comminées par le cahier des charges, de se refuser à toute délivrance ultérieure du cautionnement déposé entre ses mains pour la garantie des engagements de la société.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Si je voulais mettre au bout du discours de l'honorable préopinant une conclusion, je lui demanderais :

Que voulez-vous faire ? Quelles sont les moyens que vous emploieriez pour obtenir un résultat meilleur que celui que j'ai obtenu ? Car toutes ces critiques n'aboutissent pas. Il faut dire ce qu'on veut.

L'honorable M. Orban dit : Vous devriez empêcher la compagnie du Luxembourg de commencer les travaux sur la ligne de Bruxelles à Namur. Alors vous la forceriez à vous soumettre des plans pour la ligne de Namur à Arlon. Je crois ce moyen mauvais, détestable. Car lorsque la ligne de Bruxelles à Namur sera exécutée, j'aurai une garantie de plus que la ligne de Namur à Arlon sera exécutée. Par conséquent je n'ai aucun intérêt à entraver la construction de la ligne de Bruxelles à Namur.

Ajoutez que je trouve dans le cahier des charges des garanties formelles.

Ces garanties sont les suivantes :

« Art. 17. Si, à l'époque indiquée à l'article 6, les travaux de la ligne de Namur à Arlon n'étaient pas commencés, ou si ceux de la ligne de Bruxelles à Namur n'étaient pas repris, la compagnie sera, par ce seul fait, et de plein droit, déchue de sa concession sans qu'il soit besoin d'aucune mise en demeure quelconque. »

« Art. 18. Les concessionnaires seront également déchus de tous leurs droits, si les travaux n'étaient pas achevés à la fin de l'année 1856, ou bien s'ils n'étaient pas à moitié terminés sur les deux lignes de Bruxelles à Namur et de Namur à Arlon avant le 1er janvier 1855. »

« Art. 19. Dans le cas de déchéance, prévu par les deux articles précédents, il sera fait application de l'article 21 du cahier des charges.

« Il est bien entendu que les travaux exécutés soit sur l'une, soit sur l'autre ligne, serviront de garantie pour l'exécution du réseau entier, et seront compris dans la déchéance appliquée à la compagnie, ladite déchéance portant sur l'ensemble de la concession de Bruxelles à Arlon. »

J'ai donc bien raison de dire que plus la valeur de la ligne de Bruxelles à Namur sera considérable, plus la garantie sera aussi efficace quant à l'exécution de la ligne de Namur à Arlon.

Messieurs, j'ai eu l'honneur de faire connaître à la chambre, dans une autre séance, quels étaient les motifs qui avaient empêché l'approbation des plans, en ce qui concerne la ligne de Namur à Arlon.

Est-ce que le gouvernement a quelques reproches à se faire pour n'avoir pas approuvé des plans qui étaient faits en violation de la loi ? L'honorable M. Orban aurait été le premier à me critiquer sévèrement si j'étais venu soumettre à la chambre l'approbation de plans qui n'auraient pas été conformes aux intérêts que l'honorable membre défend spécialement dans cette enceinte, ou si en dehors de l'intervention législative, j'avais approuvé des plans qui étaient en opposition formelle avec la loi de concession.

En effet, que disait la loi de concession ? Elle disait qu'il fallait diverses sections : une section de Namur à Ciney, une section de Ciney à Rochefort, etc. Il est évident que puisque la compagnie du Luxembourg me soumettait des plans qui ne satisfaisaient pas aux prescriptions de la loi, je ne pouvais faire qu'une chose : c'était de ne pas approuver ces plans, et jusqu'à présent il n'y a pas eu de plans approuvés.

Ce n'est, du reste, pas la faute du département des travaux publics seul. L'honorable M. Orban sait fort bien ce qui en est de cette affaire, et jusqu'à présent la compagnie du Luxembourg n'a pas obtenu l'assentiment du département de la guerre pour les travaux à exécuter dans le rayon stratégique de la place de Namur. J'ai eu l'honneur de faire connaître à la chambre que c'était là une difficulté très sérieuse avec laquelle il fallait compter, mais que j'avais l'espoir de la voir levée très prochainement.

Messieurs, j'ai dit que, d'après moi, la compagnie du Luxembourg donnait des garanties certaines, des garanties probables, présumables d'exécution. Elle traite pour la fourniture des rails pour plusieurs millions ; elle traite pour la fourniture des machines, elle fait des expropriations sur toute la ligne de Bruxelles à Namur. Je suis donc autorisé à dire que c'est là une compagnie sérieuse. Mais quant à donner une garantie personnelle que c'est une compagnie sérieuse, il n'est pas en moi de la fournir, pas plus que cela n'est au pouvoir de l'honorable M. Orban qui, dans une autre occasion, disait que, selon lui, la compagnie n'était pas sérieuse et ne produirait jamais rien. Et cependant l’événement a donné un démenti aux prévisions de l’honorable M. Orban, puisqu’il est constaté aujourd’hui que la ligne de Bruxelles à Namur est à peu près garantie dans son exécution, puisque les terrains sont acquis, que ds marchés sont conclus pour la fourniture des machines et du matériel roulant.

Voilà, messieurs, ce que j'avais à répondre en ce qui concerne le chemin de fer du Luxembourg.

Je dirai maintenant un mot en réponse à l'interpellation de l'honorable M. Julliot qui semble me rendre aussi responsable de l'inexécution de la ligne d'Ans à St-Trond, comme si je pouvais exécuter cette ligne moi tout seul, comme si la loi des travaux publics m'autorisant à concéder une ligne d'Ans à St-Trond, je pouvais être responsable de la non-production d'une compagnie. Or, l'honorable M. Julliot sait très bien que ce n'est pas la bonne volonté qui m'a manqué, que ce qui m'a manqué, c'est un concessionnaire.

M. Julliot. - Demandez à exploiter la ligne.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai eu l'occasion de m'expliquer sur cette modification. Je suis favorable en principe à cette idée.

Je vous ai dit que je ne me croyais pas autorisé à exploiter une ligne pour laquelle il était accordé un minimum d'intérêt, que la chambre n'avait voulu faire porter la garantie du minimum d'intérêt que sur des lignes qui étaient abandonnées à leurs bonnes et à leurs mauvaiscs chance ; que la chambre n'avait pas voulu laisser à l'administration l'imprévu de l'exploitation de pareilles lignes.

Mais je conçois que puisque la chambre a voulu assurer pour la ligne d'Ans à St-Trond une garantie de 40,000 francs, c'est-à-dire de 4 p. c. sur un capital d'un million, il serait préférable que le gouvernement exploitât, parce qu'il pourrait ainsi ne pas avoir à payer l'intégralité de la différence.

M. Julliot. - C'est dans l'intérêt du trésor.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Maintenant il y a une autre raison qui a empêché le gouvernement de présenter la modification que réclame l'honorable M. Julliot. L'honorable membre sait que le département des travaux publics se trouve saisi en ce moment de plusieurs demandes de concessions qui intéressent le Limbourg belge et sur lesquelles nécessairement il faut du temps pour se prononcer. L'honorable membre sait que parmi ces demandes en concession il y en a d'abord une qui va directement de Louvain vers Maestricht, en passant par Hasselt, et ayant un embranchement de Bilsen sur Tongres. Il y en a une autre qui prend pour point de départ Ans, qui va sur Glons et se bifurque d'un côté sur Maeseyck et de l'autre sur Hasselt, également en passant par Tongres. Il y eu a une troisième qui consiste à prendre pour point de départ Anvers et se dirige à travers le Limbourg belge.

Enfin il y a à examiner une question de principe, la question de savoir si, au lieu d'accorder la concession d'une de ces grandes lignes de communication qui constituent de véritables artères pour le transit, il n'est pas préférable, dans l'intérêt de la Campine comme du Limbourg, d'adopter des lignes plus courtes, d'adopter un réseau de railways agricoles et industriels, qui aurait l'avantage de desservir beaucoup d'intérêts et de mettre en communication les localités les plus importantes de la Campine.

L'honorable M. Julliot sait que l'examen de toutes ces questions m'est soumis en ce moment et qu'il ne dépendra pas de moi qu'elles ne reçoivent une prompte solution.

M. Rodenbach. - Il y a environ quinze jours que je me suis fait inscrire pour parler sur le chapitre Chemin de fer. Dans la discussion générale, on s'en est beaucoup occupé ; je me bornerai donc à émettre en très peu de mots mon opinion.

Il faut, messieurs, que l'exploitation du chemin de fer laisse beaucoup à désirer, puisque l'administration a été attaquée partout, dans la chambre comme dans la presse, et que, ni dans cette enceinte, ni dans les journaux, elle n'a pas trouvé un seul défenseur. C'est là, me paraît-il, une preuve évidente qu'il reste beaucoup à faire ; qu'il y a de grandes améliorations à introduire dans l'exploitation ; qu'il faut faire rapporter au chemin de fer davantage, d'autant plus que ç'a été une des conditions de la construction par l'Etat.

Quant aux convois de voyageurs, tout le monde l'a reconnu, on voyage en Belgique d'une manière très lente. Je sais qu'il y a à cela des motifs. M. le ministre les a fait connaître ; mais il n'en est pas moins vrai que la lenteur est extrême, et que quiconque se met en route ne peut dire : J'arriverai à Buxellcs, à Liège, à Gand à telle heure. Souvent les membres de la chambre voyagent, et ils savent que bien des fois ils sont arrivés à leur destinalion une demi-heure et trois quarts d'heure trop tard.

Pour les marchandises nous avons encore des leçons à prendre chez les sociétés concurrentes. Je citerai pour exemple la société Van Gend et compagnie. Nous voyons que sur la route de Gand à Bruxelles, il y a, je pense, à peu près douze convois par jour et cependant les fourgons de Van Gend font une rude concurrence à l'administration. Ces fourgons viennent souvent plusieurs fois par jour, et on leur donne la préférence parce qu'il y a là plus de célérité, plus de soins, plus de promptitude dans la remise à domicile. Il y a des membres de la chambre qui ont attendu leurs effets quatre ou cinq jours, lorsqu'ils étaient confiés à l'administration et qui onl fini par prendre le parti de s'adresser à Vaa Gend et compagnie. Je suis de ce nombre.

Pourquoi l'administration du chemin de fer ne fait-elle pas transporter les petits paquets ? C'est encore là un monopole pour la société Van Gend et campagnie. Allez un quart d'heure avant le départ d'un convoi, donnez un paquet à la société Van Gend, le lendemain il sera remis à sa destinalion, avec la plus grande exactitude ; avec l'administration du chemin de fer, au contraire, ce sont des retards continuels et des défauts (page 704) de soins sous tous les rapports ; les effets sont brisés, il n'y a aucun soin parce que le personnel reçoit toujours ses appointements quoi qu'il arrive. Cependant tout le monde est d'avis qu'il y a trop d'employés, les inspecteurs, les vérificateurs, les contrôleurs pullulent.

On a parlé de la nécessité d'avoir des convois de vitesse. Je suis de cet avis, mais il ne peut pas s'agir de convois de vitesse comme ceux qui existent maintenant et qui arrivent une demi-heure plus tôt que les autres. C'est une dérision d'appeler cela des convois de vitesse.

Il y a bien d'autres améliorations à opérer. Par exemple on pourrait organiser des convois de banlieue, des convois qui, les jours de marché, transporteraient à prix réduit les campagnards et les petits marchands à la ville, avec leurs denrées et leurs marchandises. Il y aurait sur ces convois une afïïuence considérable, et cela ferait rentrer quelque argent dans le trésor.

Je trouve aussi qu'il y aurait quelque chose à faire dans l'intérêt des voyageurs qui sont obligés de prendre des voitures de la dernière classe. Dans un pays comme la Belgique, où la température est si variable, pourquoi ne mettrait-on pas des rideaux aux waggons, comme on le fait en France ? Pourquoi les classes malheureuses doivent-elles être exposées au froid et à l'humidité qui nuisent si fort à la santé ? Je dis, messieurs, que tout cela mérite la plus grande attention ; si le gouvernement ne réalise pas de grandes améliorations, il finira par faire prévaloir l'opinion que le chemin de fer doit être confié à des administrateurs plus habiles que ceux qui l'exploitent aujourd'hui. Qae les fonctionnaires et employés y fassent attention, ce résultat est inévitable si les abus ne sont pas extirpés.

M. de Renesse. - Lorsque, presque chaque semaine, l'honorable ministre des travaux publics présente à la sanction de la chambre des projets de loi accordant la concession de chemins de fer à exécuter dans différentes provinces de notre pays qui cependant jouissent déjà, soit d'un embranchement du railway de l'Etat, soit da voies ferrées concédées, et en outre, ont obtenu depuis 1830, de grands travaux publics exécutés aux frais du trésor, il doit être permis aux représentants des parties de province moins favorisées, de pouvoir insister auprès des chambres et du gouvernement, pour qu'à leur tour, les districts encore déshérités de grands travaux publics exécutés aux frais de l'Etat et non reliés jusqu'ici au railway national, puissent eufin sortir de l'isolement où ils se trouvent depuis trop longtemps.

Ces parties du pays ayant à supporter leur large part dans les charges extraordinaires résultant des travaux faits aux dépens du trésor, sont en droit de réclamer de ne plus être oubliées, d'obtenir la construction des chemins de fer dont les concessions sont demandées sans l'intervention pécuniaire de l'Etat. Et pourquoi leur refuserait-on l'exécution de ces voies ferrées, tandis que presque partout ailleurs l'on semble s'empresser d'accueillir et d'accorder les concessions demandées sans avoir trop égard à la concurrence que ces railways pourraient faire à celui de l'Etat ? La considération principale que le gouvernement doit rechercher en accordant les concessions, c'est l'amélioration et le bien-être matériel qui doivent nécessairement résulter pour les parties des provinces privées jusqu'ici de voies ferrées ; l'Etat en retirera immédiatement des ressources nouvelles et obtiendra de nouveaux affluents pour le chemin de fer national, qui compenseront largement les pertes que l'on pourrait éprouver ailleurs ; du reste, le gouvernement ne doit pas considérer isolément les intérêts financiers de telle ou telle ligne de la voie ferrée de l'Etat ; il doit combiner l'ensemble des résultats par rapport aux nombreuses concessions nouvelles qui doivent nécessairement améliorer indirectement les ressources du trésor.

Déjà, à plusieurs reprises, mon honorable collègue et ami, M. Julliot et moi, nous avons démontré à la chambre et au gouvernement tous les titres que l'arrondissement de Tongres peut invoquer pour être relié à la voie ferrée de l'Etat, non seulement d'abord la stipulation de la loi du 20 décembre 1851, mais aussi par suite de la position tout exceptionnelle où se trouve cette partie du Limbourg, depuis l'exécution du traité de 1839 qui lui a enlevé une forte partie de son territoire, de sa population, de sa richesse et de son commerce.

Aussi, en 1839, le gouvernement, par l'organe de l'honorable M. Nothomb, alors ministre des travaux publics, prit l'engagement formel de compenser les pertes que le Limbourg et le Luxembourg auraient à éprouver par l'exécution de ce fatal traité ; il s'exprimait ; ainsi :

« La conférence nous a laissé les parties les moins fertiles du Limbourg, et surtout du Luxembourg, c'est à la Belgique de les fertiliser, en se les rattachant encore plus intimement par des travaux publics et par l'industrie ; peut-être avec le temps parviendra-t-elle à donner aux deux provinces restées belges, l'importance qu'elles avaient dans leur intégralité ; il y va, d'ailleurs, de son honneur, à ce que le Luxembourg belge et le Limbourg belge n'envient jamais le sort du Luxembourg germanique et du Limbourg hollando-germanique. »

Cette promesse formelle faite au nom du gouvernement à la partie belge du Limbourg, je viens en réclamer l'exécution pour l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, et qui, jusqu'ici, n'a pas obtenu sa part de grands travaux publics, exécutés aux frais du trésor.

Depuis de longues années cette partie du Limbourg demande d'être reliée au chemin de fer de l'Etat ; l'occasion actuelle, où des demandes en concession sont faites au gouvernement, me paraît devoir être saisie avec empressement : vouloir les ajourner, lorsque ces concessions sont demandées sans garantie d'un intérêt de l'Etal, quand le gouvernement accorde en même temps des concessions pour d'autres localités dont même une avec une garantie d'intérêt, ce serait un véritable déni de justice contre lequel je devrais protester de toutes mes forces car, avant tout, il faut être juste envers toutes les parties du pays ; il ne faut pas de privilèges pour les unes, tandis qnc les autres devraient toujours contribuer dans les charges sans obtenir jamais une certaine compensation.

Je crois donc devoir insister auprès de M. le ministre des travaux publics, pour qu'il active l'instruction des demandes en concession adressées à son département et qui sont destinées à relier l'arrondissement judiciaire de Tongres au railway de l'Etat ; il n'y a déjà que trop longtemps que cette partie du Limbourg est froissée dans tous ses intérêts, par suite de son isolement ; il est urgent que le gouvernement fasse droit à ses justes réclamations.

M. de Brouwer de Hogendorp, rapporteur. - J'ai un mot à dire à la chambre de la nouvelle division du chapitre IV.

Messieurs, nous avons complètement changé la division qui avait été admise pour les budgets précédents. Nous avons divisé les différentes sections du chapitre IV d'après l'organisation du 1er mars.

L'organisation du 1er mars divise les services d'exécution en service des voies et travaux, service de la traction et de l'arsenal, service du mouvement et du trafic, télégraphes, régie et magasin central. Nous avons basé la division du chapitre IV sur cette division, admise par M. le ministre dans l'arrêté portant organisation du chemin de fer. Je n'ai pas besoin, messieurs, de vous exposer pourquoi nous l'avons fait.

Il résultera de cette nouvelle division que la chambre pourra se rendre un compte plus exact que par le passé, des dépenses exigées par chacun de ces services.

Je dois dire, cependant, que ceci ne suffira pas à la chambre : il lui faut absolument un compte rendu basé sur les divisions que nous avons adoptées, mais présentant des développements plus grands. Il faudra nécessairement un compte rendu détaillé des dépenses afférentes à chaque partie du service, en sorte que la chambre puisse connaître exactement le coût des diverses branches de l'exploitation.

Je demanderai à M. le ministre de vouloir bien faire rédiger le compte rendu pour l'exercice de 1852, d'après un modèle que j'aurai l'honneur de lui remettre ; c'est le compte rendu de l'exploitation du chemin de fer du grand-duché de Bade. Ce compte rendu n'est pas volumineux comme le nôtre ; c'est un compte rendu très court, mais qui, cependant, entre dans tous les détails du service. Le travail que je demande faciliterait beaucoup le travail des sections dans l'avenir, et cela faciliterait surtout le travail des bureaux de l'administration.

Il y a dans le compte rendubadois un tableau qui est extrêmement intéressant, et j'engage beaucoup M. le ministre de vouloir bien faire faire un tableau semblable pour nos lignes.

C'est un résumé des dépenses d'exploitation d'après les différentes branches du service et leur application aux diverses unités de de trafic et à chaque espèce de transport. Ce tableau, qui au premier abord semble très compliqué, ne peut pas exiger un très grand travail.

Il est possible qu'avec notre mode actuel de comptabilité on trouve quelque difficulté à la confection de ce tableau ; mais dans ce cas il faudra changer ce mode. Je suis d'avis que notre comptabilité est trop compliquée et qu'en même temps elle n'entre pas dans d'assez grands détails et ne se base pas assez sur la division des diverses branches des services. Il serait bon qu'on étudiât le mode de comptabilité des chemins de fer étrangers. Pour ma part, je serais heureux de mettre leurs formulaires à la disposition de l’administration.

A une autre époque, on a demandé, dans cette chambre, à M. le ministre, de nous donner un compte relatif au coût de la tonne-lieue. Ce compte a exigé un travail de dépouillement fort long et a donné lieu à une dépense de 12,000 fr. Pourquoi ? Parce que notre comptabilité est défectueuse. Le compte rendu badois entre dans les détails les plus minutieux, mais sa comptabilité est tenue de telle manière, qu'il n'en résulte aucun travail extraordinaire. Vous en jugerez, messieurs, quand je dirai que le chemin de fer du grand-duche de Bade a un développement égal à la moitié du nôtre, et que le traitement des commis employés à l'administration centrale s'élève à la faible somme de 27,000 francs. J'aime à parler de cette administration qui, à bien des égards, pourrait nous servir de modèle.

Maintenant, j'ai une interpellation à faire à M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre a demandé que la somme des traitements fût augmentée de 45,900 fr., en faveur d'un certain nombre d'employés qui jusqu'à présent ont été payés sur état de salaires. La section centrale a demandé à M. le ministre la liste de ces employés. Cette liste nous a été fournie, et renseigne 77 employés payés sur états de salaire.

La section centrale a émis le vœu que cette irrégularité eût un terme ; elle désire que des employés ne soient plus payés sur états de salaire, mais qu'ils reçoivent un traitement régulier. Elle considère ce qui s'est fait jusqu'ici comme un abus.

Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si la liste des 77 employés qui a été imprimée comme annexe du rapport est complète, s'il n'y a plus d'autres employés payés sur états de salaires et si M. le ministre est décide à ne pas permettre que l'irrégularité se renouvelle.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, j'ai eu (page 705) l'honneur de communiquer à la section centrale la liste des employés payés sur états de salaires et qui sont de véritables fonctionnaires.

J'ai eu occasion, en interrompant l'honorable M. de Man, de dire que cela remontait à plus de dix ans. J'ai voulu en finir avec ces agents irréguliers qui sont payés sur états de salaires et qui font cependant les fonctions de commis.

L'article 31 de l'arrêté qui règle les relations de service en date du 20 mars 1852 dispose :

« Il est expressément défendu d'employer dans l'un des services de l'administration, à un travail de bureau, un ouvrier ou agent payé sur salaire dont l'admission en qualité d'agréé n'est pas autorisée par le ministre.

« Toute infraction à cette règle entraîne la mise en non-activité du fonctionnaire qui y a dérogé. »

Il y a donc dans l'arrêté organique une disposition expresse qui donne à la chambre et à l'administration supérieure la garantie que de pareils abus ne se reproduiront plus.

L'honorable M. de Brouwer demande si la somme de 45,900 francs, qui constitue le transfert, servira à faire disparattre de l'administration ces agents irréguliers ; je n'hésite pas à répondre affirmativement. Je puis donner à la chambre l'assurance qu'avec les allocations réclamées, le gouvernement sera à même de faire disparaître l'abus dont il s'agit.

Projet de loi dispensant provisoirement du grade d’élève universitaire

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la chambre un projet de loi destiné à accorder un dernier délai à une catégorie d'élèves universitaires, pour jouir de la faveur que les lois du 4 mars et du 13 août 1851 leur avaient accordée et qui consistait à les dispenser du grade d'élève universitaire.

Je le répète, c'est un dernier délai que les universités ont jugé nécessaire d'accorder à cette catégorie d'élèves qui sont très peu nombreux d'ailleurs et que des considérations d'équité semblent recommandera la bienveillance de la législature.

La première session de 1853 des jurys d'examen devant s’ouvrir bientôt, je demanderai à la chambre de vouloir bien faire de ce projet de loi l'objet d'une de ses plus prochaines délibérations.

- Le projet de loi sera imprimé et distribué ainsi que l'exposé des motifs.

La chambre en renvoie l'examen à la section centrale du budget de l'intérieur qui l'examinera comme commission spéciale.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l’exercice 1853

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IV. Service d'exécution. Chemin de fer. Postes. Télégraphes. Régie

Section première. Voies et travaux
Article 56

La discussion continue sur le chapitre IV (chemin de fer).

M. de Muelenaere. - Je n'entrerai dans aucun détail ; je ne m'appesantirai sur aucun fait particulier. Je me bornerai à vous présenter une observation générale, parce que mon intention n'est pas de provoquer une discussion qui me semblerait inopportune dans le moment actuel.

Je prie M. le ministre des travaux publics de veiller avec le plus grand soin à ce que les compagnies, auxquelles il a été fait des concessions de chemins de fer avec un minimum d'intérêt, soient astreintes à terminer partiellement et à achever entièrement les travaux dans les délais qui leur ont été respectivement assignés par les conventions conclues entre ces compagnies et le gouvernement.

Je crois que M. le ministre ferait chose très utile dans l'intérêt du trésor et des populations que cela concerne, en mettant immédiatement en demeure, par un acte extrajudiciaire, celles de ces compagnies qui sont déjà en retard de satisfaire aux engagements qu'elles ont contractés.

Dans la plupart des conventions, il a été stipulé que les lignes à construire pourraient être livrées à la circulation par sections successives, et que l'intérêt du produit net garanti serait accordé pour chacune de ces sections, en proportion de leur longueur.

Mais il a toujours été bien entendu, et les termes de la convention, comme les principes généraux du droit ne laissent pas de doute à cet égard, que tous les travaux compris dans une même concession sont solidaires entre eux.

Ainsi, une compagnie qui serait en retard de remplir ses obligations tout entières, ne serait pas fondée à exiger le payement du minimum d'inlérét sur les sections partielles livrées à la circulation, et le gouvernement lui-même devrait suspendre ce payement.

Il est bon que les compagnies se pénètrent bien du véritable sens des conventions.

Il ne faut pas d'ailleurs que, par le silence ou l'inaction du gouvernement, les compagnies, comme cela est arrivé précédemment, puissent venir plus tard nous opposer des circonstances de force majeure qui n'existent pas actuellement.

Le département des travaux publics doit éviter de susciter aux compagnies des tracasseries ; il peut, par tous les moyens honnêtes et légitimes, leur faciliter l'accomplissement de leur tâche. Mais d'un autre côté, le gouvernement ne doit rien négliger pour la conservation de ses droits et pour prévenir que le trésor public ne se trouve lésé.

Je ne réclame de la part du gouvernement aucune réponse, aucune explication. J'invite seulement M. le ministre des travaux publics à examiner les observations que je viens de faire et qui me semblent dignes de toute son attention. Peut-être y a-t-il dès à présent quelque chose à faire ; une inaction plus prolongée pourrait devenir préjudiciable.

M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, un honorable député du Luxembourg a appelé l'attention du gouvernement sur les retards qu'éprouve l'exécution du chemin de fer du Luxembourg. Je n'ai pas besoin de dire quel intérêt je porte à cette voie de communication qui est tout à fait vitale pour ma province. Si la compagnie se refusait à exécuter ce chemin ou si elle y mettait du mauvais vouloir évident, je serais le premier à demander au gouvernement de lui appliquer les clauses les plus rigoureuses du cahier des charges. Mais si l'on ne travaille pas maintenant au chemin de fer du Luxembourg, est-ce que la faute provient uniquement de la compagnie ?

Il faut être rigoureux à l'égard des compagnies sans doute, mais avant tout il faut être juste. M. le ministre vous l'a dit, le département de la guerre qui est appelé à donner son avis sur le point de départ du chemin qui se trouve dans le rayon stratégique de la forteresse de Namur, le département de la guerre depuis si longtemps saisi des plans n'a pas fait connaître son avis jusqu'à présent. Qu'en résulte-t-il ? C'est que le corps des ponts et chaussées dit : Pour approuver les plans il faut que je connaisse le point de départ, que la décision du génie militaire soit connue. Or, tant qu'il n'y a pas de plan approuvé, il ne peut pas y avoir de commencement d'exécution.

Une autre difficulté qui a été résolue par M. le ministre des travaux publics, avait surgi aussi quant à l'approbation des plans en ce qui concerne la station de Ciney. La concession porte que la ligne se dirigera vers Ciney, de Ciney vers Rochefort, de Rochefort vers Neufchàteau, et de Neufchâteau vers un village qu'on appelle Habay-la-Neuve. La compagnie croit que si elle est tenue de faire passer la ligne par ces différentes localités, il en résultera non seulement des dépenses plus considérables pour elle, mais des difficultés plus grandes d'exploitation, et une ligne moins directe que celle qu'elle voudrait obtenir.

Le gouvernement croit devoir maintenir, quant à Ciney, le tracé déterminé dans la loi de concession. Maintenant le gouvernement est d'accord avec la compagnie, comme l'a annoncé M. le ministre, la difficulté de Ciney pourra être aplanie. Mais reste toujours cette question de l'approbation des plans par le génie militaire en ce qui concerne le rayon stratégique de Namur. Voilà les véritables raisons qui empêchent en ce moment de mettre la main à l'œuvre. Ce n'est donc pas de la compagnie seule que viennent les retards, mais aussi du département de la guerre.

Il est tellement vrai que la compagnie ne se refuse pas à l'exécution de ses engagemets, que déjà elle a fait des commandes de rails, de coussinets, de locomotives ; voilà ce que nous avons appris. (Interruption.)

Les commandes sont faites aussi bien pour la section de Bruxelles à Namur que pour une partie de celle de Namur à Arlon.

Nous nous sommes donc assurés nous, représentants du Luxembour,, qui nous intéressons si vivement à cette entreprise, qu'il n'y avait pas intention, de la part de la compagnie, de ne pas exécuter les travaux.

Je prie donc instamment mon honorable ami M. le ministre des travaux publics de hâter l'approbation des plans ; j'ai la certitude qu'aussitôt les plans approuvées, de nombreux ouvriers seront placés sur la ligne entre Namur et Arlon.

Il dépend du gouvernement d'activer, de concert avec la compagnie, l'approbation des plans. Quant à la compagnie, il est à désirer qu'elle mette tout le zèle et toute la promptitude possible dans l'exécution ; si elle y mettait évidemment du mauvais vouloir, le cahier des charges offre de nombreux moyens de la forcer à remplir ses engagements.

M. Orban. - L'honorable préopinant, dont l'intérêt pour l'exécution du chemin de fer du Luxembourg n'est douteux pour personne, vient de présenter la justification de la société, quant au retard qu'elle apporte à l'exécution de ses engagements. Selon lui, la faute en est au ministre de la guerre qui a élevé des difficultés relativement à plusieurs points du tracé. Je ne vois pas là de raisons suffisantes pour expliquer un semblable retard. De Namur à Arlon il y a plus de 30 lieues, et il n'existe que deux difficultés sur deux points extrêmement restreints, le premier dans la traverse de Namur, le second à proximité de Ciney. Franchement il n'est pas possible d'admettre que des difficultés portant sur deux points isolés d'une ligne de 30 lieues puissent empêcher d'arrêter les plans du reste de la ligne ? Ce sont là des difficultés qui avec de la bonne volonté seraient facilement résolues. On pourrait laisser de côté les deux points litigieux et exécuter les travaux sur le reste de la ligne.

J'ai entendu avec beaucoup de peine et de surprise M. le ministre présenter la justification de l'inexécution d'une clause du cahier des charges par la société.

Le cahier des charges avait ordonné que la compagnie commencerait les travaux simultanément sur les deux lignes : la ligne principale de Namur à Arlon et la ligne accessoire de Bruxelles à Namur. La société, au lieu de se conformer à cette prescription, emploie tous ses fonds disponibles sur la ligne de Bruxelles à Namur et ne s'occupe pas de la ligne de Namur à Arlon.

M. le ministre des travaux publics vient vous déclarer que cette manière de procéder est irréprochable, et ne présente absolument aucun inconvénient.

(page 706) Je suis réellement désolé qu'au lieu de faire exécuter purement et simplement le cahier des charges approuvé par la chambre, qu'au lieu de prescrire à la société l'exécution des obligations qui lui incombent, M. le ministre s'attache ici à en justifier la violation.

Il est possible qu'à un point de vue général, au point de vue de l'Etat, la construction du chemin de fer de Bruxelles à Namur isolément puisse ne présenter aucun inconvénient, car si certaine clause du cahier des charges était exécutée à la rigueur, le gouvernement aurait le droit de confisquer le chemin de fer à son profit, faute par la compagnie de remplir l’intégralité de ses engagements et d'ajouter cette ligne au réseau de l'Etat. Sous ce rapport les intérêts de l'Etat seraient à couvert.

Mais pour nous, province de Luxembourg, principaux intéressés dans cette affaire, vous concevez que ce n'est pas la même chose, et quel préjudice on nous cause en s'occupant exclusivement de la ligne de Bruxelles à Namur ; car nous n'avons aucune espèce de garantie qu'ultérieurement l'on n'abandonnera pas la ligne de Namur à Arlon, si des travaux importants n'y sont exécutés dès maintenant par la société.

M. le ministre a cherché à nous rassurer, en disant que l'exécution d'une partie du chemin de fer répond de l'exécution de la ligne entière. Telles sont en effet les prescriptions du cahier des charges. Mais j'ai bien peur que le gouvernement, par sa conduite même, ne fournisse à la compagnie des armes pour le combattre plus tard.

En effet cette clause du cahier des charges n'est pas la seule clause comminéc contre la société à peine de déchéance. Or, ces autres clauses le gouvernement permet qu'on les viole, et il ne se met nullement en devoir d'en prescrire l'exécution contre la société.

Ainsi je vous ai parlé de la clause relative à la simultanéité des travaux que l'on enfreint ouvertement, de l'époque à laquelle les travaux auraient dû commencer, au printemps de l'année dernière, qui n'a pas été exécutée davantage. Si les travaux n'ont pas commencé au printemps de 1852, il est évident que la moitié des travaux ne sera pas terminée en 1854 ni entièrement achevée en 1855, comme le prescrit le cahier des charges, à peine de déchéance ; de sorte que la tolérance que vous aurez eue pour une première violation du cahier des charges en entraînera nécessairement une seconde et une troisième, réagira infailliblement sur l'époque de l'achèvement des travaux, et vous forcera à tolérer de nouveaux retards pour la continuation et l'achèvement des travaux.

N'ya-t-il pas dans cette tolérance quelque chose qui peut autoriser jusqu'à un certain point la société à se dire qu'elle pourra être dispensée de construire la ligne de Namur à Arlon si ses ressources ne lui permettent de construire que la ligne de Bruxelles à Namur ? Je dis qu'elle peut conserver cet espoir, et que si elle avait à se défendre contre une action judiciaire de la part du gouvernement, elle invoquerait infailliblement des motifs de cette nature.

L'honorable ministre a rappelé que dans la discussion du projet de loi que vous avez adopté en 1848, je n'ai pas exprimé une confiance bien grande dans l'exécution par la compagnie du chemin de fer du Luxembourg. Il aurait pu ajouter à l'appui de cette allégation que j'ai fait la proposition de charger le gouvernement de l'exécution de ce chemin de fer, dans le cas où la compagnie ne l'exécuterait pas. L'honorable ministre dit que mes prévisions reçoivent aujourd'hui un éclatant démenti.

Vraiment, messieurs, il me semble que l'on doit reconnaître au contraire qu'elles ont reçu une éclatante confirmation ; car au moment où je vous parle, on n'a pas encore touché au chemin de fer du Luxembourg ; quoique un an ou plus se soit écoulé depuis l'époque fixée pour le commencement des travaux à peine de déchéance.

J'ai un profond regret de le dire, mais en présence des faits dont nous sommes témoins, on ne peut plus méconnaître que la défiance que j'ai exprimée ne fût parfaitement justifiée et que je n'ai été malheureusement qu'un trop bon prophète.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Pour forcer les sociétés à remplir leurs engagements envers le gouvernement, je ne connais que deux sortes d'actes : les actes judiciaires et les actes extrajudiciaires.

M. Dumortier. - Et le cautionnement !

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'y viendrai tout à l'heure.

A entendre l'honorable M. Orban, il semblerait que des actes extrajudiciaires n'ont pas été posés par le gouvernement.

Pour pouvoir affirmer ce fait, pour pouvoir accuser le gouvernement de mollesse et d'inertie, il faudrait que l'honorable M. Orban eût connaissance de toute la correspondance que le gouvernement a eue avec la compagnie, de toutes les pièces qu'il lui a adressées. Or, j'affirme qu'à plusieurs reprises j'ai adressé à la compagnie des actes extrajudiciaires, comme les appelle l'honorable M. de Mnelenacre, et comme ils doivent s'appeler, pour inviter la compagnie à remplir ses engagements envers le gouvernement. Ainsi, il n'y a eu ni inertie, ni mollesse.

Maintenant quant aux actes judiciaires, est-ce que l'honorable M. Orban en a indiqué un ? Il a dit que je devais faire suspendre les travaux sur la ligne de Bruxelles à Namur. Je lui ai dit que je trouvais ce moyen mauvais.

M. Orban. - Le recours devant les tribunaux vous est ouvert.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Sans doute ! le gouvernement a le droit de traduire la compagnie devant les tribunaux. Lorsqu'il aura la conviction que la compagnie n'est pas sérieuse, qu'elle ne peut remplir ses engagements, il y aura des motifs réels pour agir par les voies judiciaires.

Mais parce qu'on n'est pas d'accord sur les plans, parce que les travaux ne s'exécutent pas simultanément sur les deux lignes, conformément aux stipulations formelles du cahier des charges, parce que les travaux n'ont pas commencé à l'époque fixée par le cahier des charges, ce serait un système déplorable de recourir à un procès.

Nous savons ce qui s'est passé en 1845. On avait accordé alors des concessions de la plus haute importance. On avait eu la précaution d'exiger des cautionnements considérables. Mais ces cautionnements ont-ils été saisis ? Jamais. Les concessions de la Flandre occidentale, de l'Entre-Sambrc et Meuse et du Luxembourg ont été abandonnées. Ainsi les principales concessions qui avaient été accordées en 1845 se trouvaieat encore à l'état de projets. C'est alors que le gouvernement, en 1850, a proposé son système, qui jusqu'à présent n'a pas mal réussi.

L'honorable M. Orban n'a trouvé qu'un moyen : c'est d'entraver les travaux sur la ligne de Bruxelles à Namur.

M. Orban. - Et le cautionnement.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Le cautionnement est entre les mains du gouvernement. Le gouvernement ne le rend qu'à mesure de l'exécution de travaux qui répondent tout aussi bien de l'exécution de la ligne de Namur à Arlon. Quand on restitue 100,000 fr. c'est qu'on a exécuté pour 200,000 fr. de travaux. J'aime autant 200,000 fr. de travaux que 100,000 fr. dans la caisse de l'Etat. Ainsi la garantie est plus réelle par l'exécution de travaux que par la possession d'une partie du cautionnement.

Je le répète, messieurs, si la difficulté n'est pas encore levée, comme j'ai eu occasion de le dire à la chambre, cela tient à ce que l'affaire se traite dans deux départements et que, jusqu'à présent, le département de la guerre n'a pas fait connaître ses intentions en ce qui concerne le point de départ de la section de Namur à Ciney. En ce qui concerne la difficulté relative à Ciney, jusqu'à présent le gouvernement n'a pu obtenir de la compagnie qu'elle fît passer le tracé par Ciney. Si elle justifie de l'impossibilité ou de l'extrême difficulté de faire passer le tracé par Ciney ou à proximité de Ciney, je serais disposé à soumettre à la chambre une modification à la loi de concession ; mais jusqu'à présent cette preuve n'est pas suffisamment faite.

M. Brixhe. - Messieurs, je ne viens pas provoquer une discussion, je désire seulement vous soumettre aussi quelques observations générales sur l'entreprise du chemin de fer belge. C'est en quelque sorte une communication dont il importe peut-être de tenir note.

Il résulte évidemment de nos débats, messieurs, qu'à tort ou à raison un discrédit, qui va grandissant de jour en jour, plane sur l'exploitation du chemin de fer de l'Etat.

Forcément on arrivera, ce me semble, soit plus tôt soit plus tard, à l'examen de la question de savoir s'il ne convient pas de remettre cette exploitation aux mains d'une compagnie.

Ces jours derniers l'honorable M. de Man assurait que des compagnies sont prêtes à se former pour reprendre l'exploitation de notre chemin de fer.

M. le ministre lui a répondu qu'aucune communication ne lui a été faite à cet égard, ce qui n'a point été contesté par M. de Man, mais l'honorable membre lui a répliqué qu'il n'a jamais fait aucun appel à l'industrie privée, et certes cette assertion est parfaitement exacte.

Si je prends la parole, messieurs, c'est pour confirmer les allégations de l'honorable membre et pour dire publiquement que l'industrie privée est toute disposée à exploiter en tout ou en partie le chemin de fer de l'Etat. Je suis autorisé à le dire. Si le gouvernement se montrait disposé à se dessaisir de l'exploitation, il se formerait aussitôt des compagnies auxquelles concourraient les noms les plus honorables, les plus respectés dans le monde industriel par les connaissances et par les capitaux, de l'Angleterre et du continent.

Enfin je suis encore autorisé à penser et à dire que sur un appel sérieux du gouvernement, celui-ci n'attendrait peut-être pas 48 heures sans recevoir des propositions si avantageuses que M. le ministre lui-même en serait étrangement surpris.

J'ai cru devoir faire cette communication parce qu'elle est parfaitement fondée, parce qu'il est important de faire connaître quelles sont les dispositions réelles de l'industrie, parce qu'enfin il est convenable et peut-être urgent de se préoccuper de la possibilité, de la convenance de faire passer l'exploitation du chemin de fer des mains de l'Etat aux mains de l'industrie.

J'ai dit.

M. Rogier. - Après la décision qui a été prise récemment par la chambre, après l'engagement de M. le ministre des travaux publics de nommer une commission à laquelle toutes les questions qui concernent l'administration du chemin de fer seraient soumises, je ne pensais pas qu'on reviendrait de nouveau dans la discussion, sur l'idée mise en avant de dépouiller l'Etat, pour cause d'incapacité, de l'exploitation du chemin de fer, afin de la remettre entre les mains de l'industrie privée.

Cette question, messieurs, la chambre peut facilement en apprécier toute la portée. Si, à des assertions qui restent encore très vagues, on venait substituer une proposition formelle, je me réserverais d'intervenir énergiquement dans me débat pour combattre un système qui, s'il était (page 707) adopté, serait à mes yeux la honte du gouvernement belge (interruption), la honte de la chambre qui ferait un pareil abandon.

Messieurs, j'ignore s'il y a des industriels considérables et considérés qui s'offrent pour exploiter la Belgique en exploitant le chemin de fer ; je ne connais pas l'offre et je n'ai pas à l'apprécier. Mais j'admire une chose. Nous avons un établissement national qui, depuis bientôt vingt ans, a aidé puissamment à développer les germes de prospérité dans le pays, on ne peut le nier ; qui, à l'étranger, a valu à la Belgique des éloges que toutes les critiques qui se sont produites dans cette enceinte n'ont pu encore affaiblir ni faire disparaître. Nous avons une institution d'intérêt matériel qui, on peut le dire, est en quelque sorte ancrée dans les entrailles du pays. La nation s'est accoutumée à regarder comme sienne cette propriété. Il y a dans l'administration certains abus et l'on ne se fait pas faute de les signaler. Mais ces abus ne sont-ils susceptibles d'aucun remède ? N'y a-t-il pas des améliorations à introduire ? Ces améliorations sont-elles impossibles ?

Le chemin de fer est-il tombé à cet état de décadence qu'il faille aujourd'hui, sous peine de ruiner le pays, l'abandonner à qui ? Nous n'en savons rien ; à des entrepreneurs puissants qui exploiteront le pays, non pas, messieurs, dans son intérêt, mais suivant leurs intérêts propres ! Et alors vous seriez bien venus de vous livrer à des récriminations contre certains abus, contre certaines négligences. Où serait alors l'action du pays sur cette vaste et immense entreprise ?

Aujourd'hui du moins, messieurs, et ceci appelle votre attention, vous avez la ressource des conseils et de la coercition ; vous pouvez éclairer le gouvernement ; vous pouvez forcer le gouvernement à faire cesser les abus, lorsque les abus sont bien constatés.Dans une entreprise aussi étendue, aussi diverse, aussi multiple, où des faits très nombreux occupent chaque jour, à chaque heure, l'administration, qu'il y ait des abus, c'est inévitable. Mais n'y a-t-il pas des abus dans les sociétés particulières ?

N'avons-nous pas eu des exemples, malheureusement trop fameux, des abus qui peuvent s'introduire dans l'administration de sociétés particulières considérables ? Iriez-vous aveuglément, parce qu'il existe des abus dans l'exploitation du chemin de fer, abandonner cette administration à l'industrie privée qui aura en vue ses seuls intérêts et ne tiendra aucun compte des intérêts généraux du pays ?

J'ai pris, messieurs, autrefois, une part si vive, si fréquente aux débats qui concernent le chemin de fer, que, quelle que soit la douleur, je dois le dire, que je ressente de ces attaques incessantes, et souvent injustes, dont cette grande entreprise est l'objet, je m'étais résigné au silence ; je laissais le chemin de fer répondre par lui-même, par ses bienfaits incessants, par sa prospérité croissante, je le laissais répondre à ces attaques injustes et passionnées. Mais aujourd'hui que je vois que cette idée d'abandon semble faire des progrès, que l'on vient même, en quelque sorte, offrir un marché, que des acquéreurs sont tout prêts, je crois que le moment est venu, pour moi, de protester pour le présent et pour l'avenir.

Je ne crois pas, quant à moi, que cette société dont on parle soit toute prête, et dans tous les cas, si elle était prête, si elle se présentait, j'aurais grand soin d'engager le gouvernement, et j'engagerais aussi la chambre à se livrer à un examen très approfondi, très scrupuleux de la position, des intentions, des ressources de cette grande société, à laquelle il s'agirait de remettre les intérêts les plus puissants, les intérêts les plus nombreux du pays tout entier.

M. de Man d'Attenrode. - Vous ne voulez pas de l'examen.

M. Rogier. - Permettez ; je suis l'ami de l'examen, je suis l'ami de la publicité sous toutes les formes. Et pourquoi ne voudrais-je pas de l'examen ?

M. de Man d'Attenrode. - Pourquoi n'avez vous pas voté l'enquête ?

M. Rogier. - Pourquoi je n'ai pas voté l'enquête ? Parce que nous avons déjà assez de germes de désorganisation et d'anarchie dans l'administration du pays et qu'il ne faut pas les multiplier inutilement ; parce que j'ai foi dans la commission qui sera nommée impartialement par M. le ministre des travaux publics ; parce que je ne demande pas mieux que l'honorable M. de Man et tous les adversaires de l'administration du chemin de fer prennent place dans cette commission. C'est même un conseil que je donne à M. le ministre des travaux publics. Je repousse comme une injure cette accusation de craindre l'examen. Je ne suis pas d'une opinion qui rejoute l'examen. Je suis de l'opinion qui a défendu et qui défendra toujours la publicité et le régime parlementaire avec toutes ses conséquences.

D'ailleurs, vous-même avez reconnu l'inopportunité de votre proposition, puisque vous l'avez retirée. Direz-vous que l'honorable M. Osy craigne aussi l'examen, lui qui a repoussé votre proposition ?

M. de Man d'Attenrode. - Vous avez poussé le gouvernement à en faire une question de cabinet.

M. Rogier. - Je n'ai pas conseillé au gouvernement d'en faire une question de cabinet ; le gouvernement a fait son devoir comme il l'a entendu.

Aurions-nous, messieurs, à signaler ici les conséquences de certaines attaques contre le chemin de fer ; est-ce que, par hasard, il y aurait une combinaison prête, qui voudrait hériter de notre chemin de fer ? Est-ce que, au grand avantage de cette combinaison, restée plus ou moins mystérieuse jusqu'ici, on se livrera, dans la chambre, à toute espèce d'attaques contre l'administration du chemin de fer ?

M. Coomans. - Nous ne sommes pas des compères.

M. Rogier. - Ne m'interrompez pas. Je n'accuse personne.

Je dis, messieurs, que toutrs ces attaques, si elles restaient sans réponse, ne pourraient que favoriser l'établissement d'une compagnie, qui est toute prête, à ce qu'il paraît, qui ne demande pour ainsi dire qu'à entrer en fonctions, qu'à exploiter le pays en exploitant le chemin de fer.

Messieurs, je ne suis pas le défenseur quand même de l'exploitation par l'Etat, et je suis encore moins le défenseur des abus de l'administration, dans quelque branche que ce soit ; mais, messieurs, je ne suis pas non plus le défenseur quand même des exploitations de l'industrie privée.

Je crois qu'il y a aussi beaucoup d'abus dans l’exploitation par l'industrie privée, et là, messieurs, les abus sont, malheureusement, sans remède.

J'ai constaté, dans la séance d'hier, de singuliers aveux des partisans absolus de l'exploitation par l'industrie privée : des représentants qui n'ont que de la défiance et des reproches pour l'administration de l'Etat et qui sont pleins de confiance dans ce qu'entreprent l'industrie privée, l'honorable M. de Man entre autres, qui nous avait fait le tableau le plus brillant, le plus riant, le plus attrayant de tout ce que font les sociétés particulières, qui avait représenté le chemin de fer de l'Etat, privé de bonnes stations, privé de bâtiments, réduit à une situation misérable, qui l'avait comparé aux chemins de fer exploités par les particuliers, où, tout était au mieux dans les meilleurs des chemins de fer possibles, l'honorable M. de Man est venu hier nous faire la description d'un chemin de fer entrepris par une société particulière.

Le spectacle était entièrement changé, tout était détestable, rien n'était achevé, il n'y avait aucune station pour les voyageurs, aucun gîte pour les gardes ; on n'avait jamais vu un pareil abandon, un pareil délabrement. C'est cependant une société particulière qui a exécuté ce chemin de fer.

M. de Man d'Attenrode. - Elle est désintéressée.

M. Rogier. - C'est là une raison fausse ; la société est intéressée puisqu'elle reçoit la moitié du produit brut. Voilà son intérêt !

Je veux bien reconnaître, messieurs que certains chemins de fer concédés ont à Paris, par exemple, et dans d'autres villes, mais non point partout, de belles stations couvertes, mais je voudrais que l'honorable M. de Man eût comparé l'ensemble des chemins de fer belges à l'ensemble de tous les chemins de fer concédés, qu'il ne se fût pas borné à comparer la section de Paris à la frontière, à la section de Bruxelles à la frontière ; j'aurai voulu qu'il eût comparé le chemin ds fer tel qu'il est, l'exploitation telle qu'elle est, à tous les chenins de fer du continent et alors il aurait rendu justice au chemin de fer exploité par l'Etat.

Je regrette, messieurs, d'avoir à prendre la parole si longtemps dans cette circonstance, mais j'y ai été contraint par ce qui a été dit.

Comment se fait-il qu'en Angleterre, où l'industrie privée est, en général, livrée à toute sa liberté, à tous ses élans, comment se fait-il qu'en Angleterre les abus résultant de l'exploitation des chemins de fer par l'industrie privée soient tels qu'il y a eu une enquête et qu'on y a proposé l'inverse de ce qu'on ne craint pas de demander ici ? La proposition a été faite, sous l'administration de Robert Peel, de reprendre tous les chemins de fer pour compte de l'Etat. Voilà ce qui a eu lieu en Angleterre, tellement les abus de l'exploitation par l'industrie privée étaient nombreux, tellement l'opinion publique était soulevée contre ces abus.

J'espère bien qu'il ne peut pas être question, pour la chambre, de prendre aucune espèce de parti sur le conseil qui lui a été donné d'abandonner le chemin de fer belge, la pus belle propriété de l'Etat, à l'avidité du premier concessionnaire qui se présenter. Si jamais on venait à formuler une pareille proposition, je me réserve de la combattre avec toute l'énergie dont je suis capable.

M. Dumortier. - Messieurs, depuis bien des années j'ai été rangé par l'honorable préopinant au nombre de ceux qui, suivant son expression, attaquaient le chemin de fer, car dès l'instant qu'on signalait des abus dans l'exploitation du chemin de fer ou dans la tarification, dès l'instant qu'on demandait que le chemin de fer couvrît ses dépenses, dès cet instant on était ennemi du chemin de fer, on attaquait le chemin de fer.

Je dois donc protester contre l'observation faite tout à l'heure par l'honorable membre, et qui, j'aime à le croire, lui sera échappée daus la chaleur de l'improvisation, que c'était en quelque sorte pour faire réussir certaine combinaison, que nous nous plaignions de la manière dont le chemin de fer de l'Etat est exploité.

Que s'est-il passé, messieurs ? Depuis bien des années, des réclamations très vives ont été élevées dans cette chambre sur ce point de départ que le chemin de fer devait indemniser l'Etat de ce qu'il coûte au trésor public ; c'est là, messieurs, le point de départ de tout ce qui se passe aujourd'hui.

Nos paroles n'ont pas été écoutées, on a toujours prétendu nous combattre, et cependant il est évident que la pensée d'abandonner le chemin de fer a continué à grandir et qu'on est arrivé aujourd'hui à un résultat tout différent de celui qu'on attendait.

L'honorable membre veut conserver à l'Etat l'exploitation du chemin de fer.

Pour mon compte, je lui dirai bien vite que je ne demande pas mieux ; dernièrement encore, j'avais l'honneur de déclarer que mes opinions (page 708) sur ce point n'était pas encore formées. Et pourquoi ? Précisément à cause des abus qu'a signalés tout à l'heure l'honorable membre et qui sont plus fréquents entre les mains des sociétés particulières qu'entre les mains du gouvernement.

Cependant s'il devait arriver que le chemin de fer constituât l'Etat en perte annuelle, nous alors, représentants de la nation, nous serions bien forcés d'adopter un système tout à fait différent, et de déclarer que, puisqu'il n'y a pas moyen de faire rapporter au chemin de fer ce qu'on dépense pour cette voie de communication, il faut bien se décider à l'abandonner à l'industrie privée.

J'ai eu l'honneur de rappeler dernièrement les faits que nous avait fait connaître la cour des comptes, lorsque à la demande de la chambre des représentants, elle nous a appris que, défalcation faite de 669,000 francs de bénéfice que le chemin de fer avait procurés à l'Etat dans les deux premières années, le trésor public avait perdu 45,000,000 de fr. (chiffres ronds) sur l'exploitation du chemin de fer...

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. Dumortier. - Vous demandez la parole pour contester les faits ; nons allons les répéter.

Voici ce que nous dit la cour des comptes :

« De ce qui précède, il résulte que le chemin de fer doit à l'Etat, pour avances que celui-ci lui a faites sur les budgets, déduction faite de 669,897 fr. 93 c, formant l'excédant des recettes sur les dépenses, des années 1837 et 1836, 44,845,771 fr. 3 c. »

Voilà ce que nous dit la cour des comptes, donc le chemin de fer, pour dix années d'exploitation, doit à l'Etat 44,820,000 fr. (45 millions chiffre rond).

Maintenant, dirai-je, vous voulez méconnaître ces faits ; eh bien, vous êtes les plus grands adversaires de l'exploitation du chemin de fer de l'Etat. (Interruption.)

Oui ! les grands adversaires sont ceux qui veulent méconnaître ces faits et constituer toujours le trésor public en perte. Il est évident que si vous voulez fermer les yeux sur ces faits, l'opinion contraire à la vôtre ira toujours en grandissant, et vous serez infailliblement débordés.

Le plus sage, en pareil cas, c'est de reconnaître les faits et d'y porter remède.

Lorsque des réclamations justes s'élèvent, ce n'est pas en s'obstinant à dire que ces réclamations ne sont pas fondées, qu'on empêche le résultat qu'on veut éviter.

Le seul moyen pratique, c'est de dire avec nous que le chemin de fer rapporte ses dépenses ; et quand le chemin de fer rapportera ses dépenses, personne dans cette chambre ne parlera de le livrer à l'industrie privée.

Le motif pour lequel tant de personnes s'élèvent contre le chemin de fer aux mains de l'Etat, c'est qu'on a la conviction profonde que l'exploitation du chemin de fer par l'Etat, au moyen des tarifs actuels, occasionne annuellement des pertes considérables au trésor public, et qu'il est plus que temps d'en finir avec ces pertes annuelles.

Je le répète, les plus grands adversaires de l'exploitation du chemin de fer far l'Etat sont ceux qui persistent, par tous les moyens imaginables, à constituer l'Etat en perte.

Mais le jour où l'Etat ne perdra plus, personne ne viendra demander à ce qu'on livre le chemin de fer à une compagnie particulière.

On se plaint de ce que le matériel manque, de ce que les convois ne marchent pas avec assez de célérité, de ce qu'en Belgique les convois de vitesse ne font que 4 à 5 lieues à l'heure. Eh bien, cela vient uniquement de la pénurie de nos finances.

Si les finances étaient en bon état, on pourrait consommer plus de combustible pour faire marcher les convois plus vite, on pourrait avoir plus de locomotives et de waggons ; mais on se refuse à faire ces dépenses, lorsqu'on se trouve en perte ; on lésine sur le combustible et le matériel pour diminuer la perte du trésor public, perte qui n'en est pas moins considérable.

Ainsi, l'Abc de toute la question du chemin de fer se réduit à modifier cette malheureuse tarification du chemin de fer.

Dans les deux premières années, l'exploitation du chemin de fer a été fructueuse pour le trésor public ; dans les deux premières années, indépendamment de toutes les dépenses, le chemin de fer avait rapporté au-delà de 600,000 fr. de bénéfice.

M. Rogier. - Les tarifs étaient alors plus bas qu'ils ne le sont aujourd'hui.

M. Dumortier. - Vous soutenez donc la thèse qu'il faut abaisser les tarifs pour avoir de bons résultats. Dans ce cas, je vous abandonne, et je m'associe à ceux qui demandent que le chemin de fer soit remis à une compagnie particulière.

L'honorable M. Rogier a dit que ce fait serait une honte pour la Belgique.

Pour mon compte, je ne vois pas quelle honte il y a pour le gouvernement anglais à ce que les chemins de fer de ce pays soient exploités par des compagnies particulières ; je ne pense pas non plus que le gouvernement français soit fort honteux de ce que l'industrie privée exploite les chemins de fer ; je ne serais pas du tout honteux pour mon pays, si on remettait notre chemin de fer à une société particulière. Quelle honte y a-t-il à cela ? Mais ce qui est honteux, c'est d'exploiter constamment le chemin de fer avec perte ; ce qui est honteux, c'est d'établir des impôts sur le peuple, afin de faire aller à meilleur marché ceux qui usent du chemin de fer.

Je reviens maintenant à ce que je disais, quand l'honorable M. Rogier m'a interrompu.

Dans les deux premières années, le chemin de fer rapportait des bénéfices, et ceux d'entre nous qui siégeaient alors dans cette enceinte se sont imaginé, et j'étais du nombre, je le confesse, que le chemin de fer aurait toujours marché dans une voie aussi fructueuse pour le trésor public ; et si l'honorable M. Rogier veut se donner la peine de relire mes discours, il verra qu'a cette époque j'ai été d'opinion que le chemin de fer pouvait très bien subvenir à ses dépenses.

L'honorable M. Rogier, lors de la discussion de la loi du ler mai 1834, a été jusqu'à prédire que le chemin de fer rapporterait 9 p. c. Je n'étais pas du tout de cet avis ; mais quand j'ai vu que l'exploitation du premier tronçon du chemin de fer donnait un excédant net de plus de 600,000 francs, j'ai pensé alors que le chemin de fer pourrait devenir pour le trésor public une source de très beaux bénéfices ; je disais : Ma foi ! si nous pouvions diminuer un peu les impôts au moyen des revenus du chemin de fer, ce serait une magnifique opération, et je suis heureux de pouvoir déclarer que je me suis trompé.

Mais les choses ont bien changé plus tard : le chemin de fer a été constitué en perte. Néanmoins, le chemin de fer allait toujours en augmentant ses produits d'année en année ; il y a eu une augmentation annuelle de plus d'un million jusqu'en 1847. Pour ne pas remonter trop haut, je prendrai le chiffre annuel du produit du chemin de fer, à partir de 1841.

Ce produit a été :

En 1841, de 6,226,333 fr. 66.

En 1842, de 7,458,774 fr. 29.

En 1843, de 8,994,439 fr. 23.

En 1844, de 11,230,493 fr. 31.

En 1845, de 12,403,204 fr. 55.

En 1846, de 13,655,908 fr. 32.

En 1847, de 14,836,122 fr. 04 (ou en chiffres ronds, 15 millions).

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - En 1848 ?

M. Dumortier. - Il est bien vrai qu'en 1848 le chemin de fer est tombé par suite des événements politiques ; mais si la recette s'était augmentée chaque année de 1,200,00 fr. suivant la progression observée jusqu'en 1847, elle serait aujourd'hui de 22 millions, tandis qu'elle est à peine de 17 millions.

Voyons maintenent le chemin de fer français...

M. Rogier. - Lequel ?

M. Dumortier. - Le chemin de fer français qui fait suite au chemin de fer belge. Ce chemin de fer a justement l'étendue du nôtre ; il est vrai qu'il est placé dans des conditions très favorables par rapport à Paris, mais en revanche notre chemin de fer transporte les nombreux voyageurs qui se rendent en Angleterre ; nous avons encore l'immense mouvement entre Anvers et Cologne.

Malgré tout cela, voyez la différence des produits : le chemin de fer français a rapporté l'année dernière 27 millions, tandis que nous sommes arrivés à peine à 17 millions.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Le chemin de fer du Nord a une étendue de cent kilomètres de plus que le chemin de fer belge.

M. Dumortier. - Ce n'est pas 100 kilomètres qui peuvent amener une différence de 10 millions dans les recettes, la cause est dans les tarifs qu'on trouve toujours trop élevés et que l'on veut constamment abaisser.

Vous parlez toujours d'expériences ; faites celle d'un tarif plus élevé, et vous verrez s'élever les recettes. L'année dernière, M. Osy a proposé et nous avons voté à grande peine ; après avoir été bien combattus par le ministre, une augmentation de quelques centimes sur le tarif des voyageurs ; qu'en est-il résulté ? L'honorable M. Vermeire vous l'a dit, vous avez eu une augmentation de recettes de 800.000 fr. Personne ne réclame contre cette augmentation, et vous avez amélioré vos recettes ; cependant elles sont encore de 25 p. c. au-dessous de celles du chemin de Lille à Paris.

Pour les marchandises, c'est la même chose. Examinez votre tarif, vous arriverez à ce résultat que le taux le plus élevé est plus bas que le taux le moins élevé des tarifs français. Il est évident que quand on veut constituer l'Etat en perte, qu'on ne veut pas combler le déficit signalé par la cour des comptes, tout homme sans préjugé conviendra que ceux qui veulent le maintien d'un pareil élat de choses sont les plus grands adversaires de l'exploitation par l'Etat.

Voulez-vous conserver cette exploitation, faites que les recettes égalent les dépenses ; alors personne ne réclamera la remise de l'exploitation à l'industrie privée. Mais quand vous aurez, par tous les moyens,, empêché l'élévation des recettes et que vous voudrez maintenir l'exploitation entre les mains de l'Etat, ne vous étonnez pas que des voix s'élèvent pour demander la cessation d'un pareil élat de choses.

Quand, il y a quatre ans, M. Julliot s'est levé pour vous dire : « Vendez votre chemin de fer, faites-le exploiter par des particuliers, il s'est trouvé seul ; mais depuis lors les choses ont bien changé ; le flot monte avec une rapidité qui m'effraye, car mon désir serait que le chemin pût continuer à être exploité par l'Etat. Personne n'a le droit de suspecter une opinion qui n'a jamais varié ; mais le flot monte, il vous débordera si vous ne portez pas remède au mal, car dans très peu de temps la majorité demandera d'éviter à tout prix de pareils résultats ; le moyen c'est (page 709) de faire produire davantage au chemin de fer et d'apporter des améliorations dans l'exploitation, dans les communications. Si vous faites cela, personne ne demandera qu'on abandonne le chemin de fer à l'industrie privée.

L'honorable membre est venu dire que sir Rober Peel avait eu l'intention de réunir sous la main du gouvernement anglais les chemins de fer concédés en Angleterre. Ce projet ne s'est pas exécuté ; mais jamais le gouvernement anglais n'aurait consenti à se charger d'une exploitation qui aurait consisté à faire les transports à perte au préjudice du trésor public ; en France aussi, les socialistes voulaient la reprise des chemins de fer par l'Etat ; mais comment l’entendaient-ils ? Ils voulaient arriver par là à la suppression d'une partie des impôts ; la France, non plus que nous, ne voulait pas de ce système pour faire faire les affaires des particuliers par l'Etat aux frais du trésor public.

Il est certain qu’en Belgique l’exploitation se fait au profit de certaines particuliers et au préjudice d’une foule d’autres, car que sont devenus une foule de petits industriels depuis l’établissement du chemin de fer ? Vous avez fait les affaires de quelques grands industriels ; mais remarquez que les banqueroutes publiques éclatent souvent en présence du développement de quelques grandes fortunes privées, parce qu’en exagérant les dépenses publiques on avait fait les affaires de quelques particuliers, et que le trésor public ne pouvait plus suffire aux charges qu’on lui avait imposées.

Je maintiens qu'il n'y a qu'un seul système qui puisse conserver l'exploitation dans les mains de l'Etat, c'est celui qui fera rapporter au chemin de fer ce qu'il coûte ; aussi longtemps que ce système ne sera pas mis en vigueur, ne vous étonnez pas qu'on demande la remise de l'exploitation à l'industrie privée.

Je proteste contre la pensée qu'on semble nous prêter, il n'est personne d'entre nous qui voudrait venir attaquer l'administration du chemin de fer de l'Etat, pour favoriser une combinaison quelconque. Je suis convaincu que l'honorable membre qui a fait la proposition de remettre l'exploitation de notre chemin de fer à l'industrie privée n'a eu en vue que de remplir un devoir, celui de faire connaître à cette assemblée des faits très souvent niés dont il avait la parfaite connaissance.

M. Rogier. - Messieurs, ai-je besoin de dire à la chambre que mon intention n'a nullement été d'incrimner aucun de mes collègues ? J'aurais été fort mal compris si on avait pu voir dans mes paroles une semblable accusation. J'ai dit que les plaintes dont le chemin de fer était l'objet, si elles demeuraient sans réponse, justifieraient les propositions d'abandon de l'exploitation à l'industrie privée. J'ai regret de prendre part à une centième, à une millième discussion sur les chemins de fer.

Voilà certainement cinquante discours que j'entends prononcer à M. Dumortier sur cet objet ; ce sont toujours les mêmes récriminations, toujours les mêmes attaques. On lui a répondu bien des fois, et je ne veux pas en principe blâmer sa constance ; il est beau de poursuivre énergiquement, avec constance, le triomphe d'une opinion ; mais des réfutations lui ont été faites cent fois, il n'en a jamais tenu compte, il est toujours revenu avec les mêmes objections, les mêmes censures, les mêmes attaques ; je n'ai pas la prétention d'obtenir une conversion que jamais aucun des ministres des travaux publics qui ss sont succédé n'a pu opérer sur son esprit.

Il présente ceux qui défendent en principe le chemin de fer comme partisans d'un système qui consisterait à ruiner le trésor. Mais dans quelle tête raisonnable un tel système a-t-il pu surgir ? Qui a la pensée de ruiner le trésor public ? Qui exprime un vœu autre que celui de voir le trésor s'enrichir ? Sur ce point nous sommes tous d'accord. Nous différons seulement par les moyens. Nous croyons que le chemin de fer, au moyen d'un tarif modéré pour les personnes et les choses rapportera plus qu'avec un tarif exagéré.

M. Dumortier. - Personne ne veut d'un tarif exagéré.

M. Rogier. - Ceux qui veulent un tarif modéré le demandent, parce qu'ils croient que le chemin de fer rapportera plus avec un tarif modéré qu'avec un tarif exagéré.

On nous cite l'exemple de ce qui a été fait, il y a deux ans, sur la proposition de plusieurs honorables membres. On soutient qu'en relevant le tarif on a obtenu un produit de 800,000 fr. de plus. Ceci est au moins contestable.

Il n'est pas du tout démontré que le tarif que l'on a relevé pour les waggons a augmenté le revenu. J'attends le rapport qui sera fait sur ce point par M. le ministre. Il n'est pas démontré que l'augmentation de tarif ait produit de si grandes merveilles, puisque l'honorable M. Dumortier constate qu'il y a eu dans ces dernières années réduction dans l’augmentation successive des produits du chemin de fer. Le tableau qu'a produit l'honorable M. Dumortier prouve que d'année en année depuis sa fondation le chemin de fer a rapporté un million de plus. Arrivé à 1848, l'honorable M. Dumortier constate une diminution ; je le crois bien ; il y avait des raisons pour que le chemin de fer s'arrêtât.

Les événements de 1848 ont fait sentir leur influence non seulement sur notre chemin de fer, mais sur toutes les relations commerciales et sociales.

On s'en est ressenti en 1848 et en 1849. Mais dès 1850, cette augmentation d'un million a recommencé. Voilà quels sont les produits de ce chemin de fer, qu'on vous dit être un chancre pour le pays, et que vous devriez, pour cela, abandonner à l'industrie privée ! Chaque année, ils sont d'un million de plus. Je conçois très bien que les sociétés particulières qui voient une entreprise se développer ainsi soient très tentées de l'accaparer.

J'engage M. le ministre des travaux publics, qui d'ailleurs n'a pas besoin d'être stimulé par moi, à prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser les abus s'il y en a, pour faire cesser les plaintes, pour améliorer le service.

Une pareille entreprise, entre les mains de l'Etat, est un fait nouveau dans nos annales administratives. Quelques années ne suffirent pas pour la juger sans appel.

Une seule idée nouvelle introduite, un seul homme nouveau entré dans l'administration pourraient faire cesser les abus, si des abus existent, et introduire un grand nombre d'améliorations. Laissons quelque chose au temps et à l'expérience.

D'après le rapport de la cour des comptes, cité par M. Dumortier, le chemn de fer doit à l'Etat 45 millions. Qu'est-ce à dire ? Que le chemin de fer nous a coûté 45 millions. Je prends ce chiffre tel qu'on nous le donne, sans le débattre ; et je demande si le chemin de fer ne représente pas au pays bien plus que les 45 millions qu'il nous a coûté, si le pays ne retire pas du chemin de fer une utilité bien supérieure à ces 45 millions.

Il y a une sorte d'injustice à porter par exception en compte an chemin de fer les intérêts des sommes que son établissement a fait dépenser. Nous avons emprunté pour d'autres services que pour le chemin de fer ; nous avons emprunté, par exemple, pour le service de l'armée cent millions ; est-ce que, indépendamment de la somme que vous coûte annuellement l'armée, vous portez au budget de la guerre les 5 millions d'intérêt qui figurent à ce titre au budget des dotations ?

Voilà cependant la règle que vous appliquez au chemin de fer. Si cette règle est juste, il faut l'appliquer à tous les services publics qui ont occasionné des emprunts.

Le chemin de fer est un service à part, qui a l'avantage de rapporter une partie de la dépense qu'il a coûté, est-ce un motif pour le traiter plus rigoureusement que les autres services publics ? Pour la voirie vicinale, on a dépensé plus de 20 millions dans ces dernières années. (Interruption.)

Messieurs, vous avez entendu tant de discours contre le chemin de fer ; veuillez entendre quelques mots pour. La voirie vicinale coûte des millions au pays et aux communes ; nous en apprécions toute l'importance. Cependant, elle ne rapporte absolument rien au trésor.

Les routes ! Si nous voulions en capitaliser les dépenses, nous aurions une dépense égale au moins à celle des chemins de fer. Et qus rapportent-elles ? 2 millions à peine ; et quand vous avez prélevé les frais d'entretien, il reste de 8 à 9 cent mille francs pour représenter le capital engagé dans toutes les routes.

Je dis donc que vous ne devez pas traiter le chemin de fer avec une sévérité plus rigoureuse que les autres services ; que, pour être juste, il faudrait ou ne pas imputer au chemin de fer les intérêts du capital employé à son établissement ou imputer à tous les services publics les intérêts de ce qu'ils ont coûté.

Je désire que le chemin de fer produise tout ce qu'il peut produire, non pas seulement en revenus indirects, qui sont incalculables, mais en revenus directs, si quelqu'un de vous connaît un procédé propre à faire rapporter au chemin de fer 30 millions au lieu de 18, qu’il fasse une proposiion, et à l’instant même je m’y associe.

Faut-il pour cela élever le tarif ? Vous êtes saisis, depuis la dernière session, d'un projet de tarif pour le transport des marchandises. Hâtez-vous de le discuter. Faites, si vous le voulez, l'expérience d'un tarif le plus élevé possible ; et qu'une bonne fois, on ait raison de ce que je considère comme une exagération, comme une erreur. Je persiste à croire, quant à moi, que le meilleur moyen de faire produire le chemin de fer, c'est d'y attirer beaucoup de marchandises et de voyageurs. Pour attirer beaucoup de marchandises et de voyageurs, il faut des tarifs modérés. Si vous repoussez les voyageurs et les marchandises, évidemment vous n'atteindrez pas votre but.

Mais, je le déclare, nous sommes tellement fatigués de toutes ces discussions qui ne produisent aucun résultat utile, que nous nous associerions au besoin à l'application temporaire d'uu tarif élevé, ne fût cé que pour en avoir raison.

Il y a d'autres augmentations à attendre du chemin de fer, indépendamment du progrès naturel, qui se manifeste aujourd'hui par l'augmentation annuelle d'un million : Eclairez le gouvernement ; conseillez-le ; recherchons de commun accord quels sont les meilleurs moyens de diminuer les dépenses et d'augmenter les recettes. Chacun de nous désire que le chemin de fer rapporte ; chacun de nous désire y voir une source de revenus pour le trésor ; nous différons seulement sur les moyens.

On a dit qu'en Angleterre les sociétés particulières exploitent les chemins de fer et que le gouvernement anglais n'en était pas honteux ; qu'en France, les sociétés particulières exploitaient les chemins de fer et qu'il n'y avait pas de honte pour le gouvernement anglais ; que par conséquent en Belgique une société pourrait exploiter le chemin de fer et que ce ne serait pas une honle pour l'Etat.

Il y a, messieurs, cette légère différence dans la situation respective des divers pays, qu'en Belgique, depuis bientôt vingt ans, l'administration est chargée de l'exploitation du chemin de fer et si cette (page 710) exploitation lui était retirée pour être livrée aux mains des particuliers, qu'est-ce que cela voudrait dire ?

Cela voudrait dire que l'administration belge est, aux yeux de l'Europe, frappée d'incapacité. Cela signifierait que notre gouvernement, tout honoré qu'il soit, tout bon qu'il soit, n'a pu parvenir à produire une administration capable de diriger l'exploitation d'un chemin de fer, de faire ce qui se fait dans d'autres pays.

On a cité tout à l'heure le duché de Bade comme un modèle. Mais si je suis bien informé, dans le duché de Bade, l'Etat a construit le chemin de fer, l'Etat l'exploite, et je n'ai pas appris qu'on voulût frapper l'Etat de Bade de déchéance et lui retirer l'administration d'une entreprise qu'il dirige bien.

Si, messieurs, cette entreprise marche bien dans le duché de Bade, pourquoi ne pourrait-elle bien marcher en Belgique ? Pourquoi désespérer sitôt de l'avenir du chemin de fer ?

Pourquoi ne pas tenter l'expérience pendant quelques années encore ? Pourquoi jeter le découragement et la déconsidération dans tous les rangs de l'administration du chemin de fer en la déclarant incapable de bien conduire cette affaire et en invoquant sans cesse la grande supériorité de l'industrie privée.

Je m'étonne, messieurs, de cette espèce de désir empressé que l'on éprouve d'être exploité par une société particulière. On vient nous dire : Si les particuliers exploitaient le chemin de fer, ils en tireraient un bien autre parti ; le chemin de fer ne serait pas en perte. Messieurs, je le veux bien ; il serait possible qu'une société particulière exploitant le chemin de fer à son profit, exploitât aussi ceux qui s'en servent, et fît du chemin de fer une bonne affaire pour elle.

Est-ce là, messieurs, ce que vous voulez ? Sons prétexte de ne pas causer de préjudice au trésor, vous convient-il que, non pas certains particuliers, comme on l'a dit, mais que des millions de voyageurs et je ne sais combien de millions de kilogrammes de marchandises, payent par an une rente plus élevée à l'industrie privée qu'à l'Etat ? Je ne sais si ce mode d'exploitation a beaucoup d'attraits pour l'honorable M. Dumortier, mais, quant à moi, il ne me convient pas. Il ne s'agit pas de quelques particuliers, je le répète, il s'agit de plusieurs millions de Belges qui usent des chemins de fer, et, je le confesse, je ne suis pas pressé du tout de voir les relations de ces millions de Belges livrées à l'exploitation de l'industrie privée.

M. Coomans. - Je n'ai demandé la parole que pour relever des assertions au moins inexactes de l'honorable préopinant.

L'honorable membre a établi une comparaison entre le chemin de fer d'une part, l'armée et la voirie vicinale de l'autre. Voyez, dit-il, l'armée nous coûte très cher, la voirie vicinale aussi ; cependant elles ne nous procurent pas de recettes ; directement sous forme d'écus, nous n'en recevons rien. Considérez, a continué l'honorable membre, l'institution des chemins de fer a u même point de vue, et ne vous étonnez pas des sacrifices assez considérables que nous supportons de ce chef.

Messieurs, je ne conçois pas comment on ose sérieusement formuler des comparaisons de ce genre devant cette assemblée.

Nous avons une armée, nous la payons cher, et nous faisons sagement, non pas pour le plaisir d'en avoir une, mais par une nécessité absolue, parce que, comme le disait tout à l'heure l'honorable comte F. de Mérode, il n'y a pas de moyen d'affermer une armée, de la mettre en adjudication au plus offrant. Nous avons une armée parce qu'il nous en faut une pour défendre notre nationalité, pour défendre notre honneur, nos intérêts les plus chers. Mais si nous pouvions nous passer d'une armée, je serais le premier à repousser toute espèce de dépense qui nous serait proposée de ce chef. Une armée n'est pas un objet de luxe, elle est le premier besoin d'un Etat qui se respecte et qui mérite d'exister.

M. Van Overloop. - Une armée n'est pas une exploitation mercantile.

M. Coomans. - Vous avez raison, vous exprimez ma pensée, et je ne sais pas jusqu'à quel point l'armée sera flattée de la comparaison qu'a risquée l'honorable M. Rogier.

Quant à la voirie vicinale, il en est de même. Nous faisons des sacrifices pour la voirie vicinale dans l'intérêt de l'Etat même, à part la satisfaction des intérêts moraux qui s'y rattachent. Si nous n'avions pas de voirie vicinale, messieurs, la caisse des contributions serait encore plus légère qu'elle ne l'est aujourd'hui.

C'est dans l'intérêt de la nation même que nous entretenons, ou plutôt que nous devrions établir une bonne voirie vicinale. Et puis, encore une fois, où est le moyen d'affermer la voirie vicinale ? Quelle est la compagnie qui consentira à créer des routes vicinales ? C'est bien le cas de dire : Comparaison n'est pas raison.

Quant au chemin de fer, je ne l'ignore pas, les avantages indirects qu'en retire l'Etat sont considérables.

La question est de savoir si ces avantages ne peuvent pas exister sans l'exploitation officielle de l'Etat et aux dépens de l'Etat. Est-ce qu'en France, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, les chemins de fer ne procurent pas à l'Etat tous les avantages indirects que nous en retirons ? Sans aucun doute. Avouez-le, messieurs, les avantages indirects considérables que nous obtenons du chemin de fer auraient également été produits, si des compagnies l'avaient exécuté ou si elles étaient admises à l'exploitation dans l'avenir.

Nous ne nions pas l'utilité, la nécessité des chemins de fer, et pour ma part, je suis plus que jamais à l'abri du reproche qui nous a été fait de ne pas aimer les chemins de fer.

M. Rogier. - Concédés.

M. Coomans. - Je les préfère aux autres, parce que l'Etat n'intervient pas dans ces entreprises au moyen de sacrifices. L'interruption de l'honorable M. Rogier m'engage à protester énergiquement contre l'insinuation qu'il s'est permise tantôt en disant que nous faisions peut-être les affaires d'une compagnie qui voudrait exploiter l'Etat sous prétexte d'exploiter le chemin de fer.

M. Rogier. - J'ai expliqué cela.

M. Coomans. - Oui, mais comme l'honorable M. Rogier insinue que je préfère les compagnies à l'Etat, j'éprouve le besoin de déclarer une fois pour toutes que, dans la compagnie qui a demandé la concession du chemin de fer de Turnhout, je ne suis intéressé ni directement ni indirectement pour un demi-centime, et que je ne le serai jamais.

L'honorable membre répond à un de mes honorables amis, qu'en effet la France, l'Angleterre et les autres Etats qui ont livré les chemins de fer à l'industrie privée, ne se sont pas déshonorés par là ; mais, dit-il, le gouvernement belge se déshonorerait s'il abandonnait aujourd'hui le chemin de fer, après l'avoir exploité pendant dix-neuf ans.

Cet argument, messieurs, ne me paraît pas plus fort que les autres : le gouvernement a abandonné bien d'autres exploitations quand il s'est aperçu qu'il exploitait mal.

Il a abandonné une foule de biens domaniaux, des forêts, la vaste forêt de Soignes, par exemple, des bâtiments ; il a parfaitement bien fait, et il ne s'est pas déshonoré, quoi qu'en dise M. Rogier. Quand le gouvernement a vendu les forêts de la Flandre, du Brabant et du Luxembourg, qui ne lui rapportaient pas plus que le chemin de fer, quand il s'est presque complètement dépouillé d'une foule de propriétés domaniales, il n'est entré, je pense, dans l'esprit de personne qu'il se déshonorât ; je termine, en disant avec M. le baron de Man, que le déshonneur d'un gouvernement gît dans la banqueroute, et que nos compatriotes aimeraient mieux voir vendre une propriété onéreuse que de voir décréter de nouveaux impôts.

M. Dumortier. - Après ce que vient de dire mon honorable collègue, M. Coomans, je n'ai plus, messieurs, que deux mots à ajouter, c'est que depuis longtemps je n'ai pas entendu de discours plus favorable à la mise en adjudication du chemin de fer de l'Etat, que le discours de l'honorable M. Rogier. En effet, lorsque vous venez comparer le chemin de fer à l'armée, à des services publics et prétendre que puisque ces services publics ne produisent pas l'intérêt de ce qu'ils coûtent, il doit en être de même du chemin de fer, je dis que c'est fournir l'arme la plus puissante à ceux qui demanderaient l'abandon du chemin de fer. Comment ! vous comparez le chemin de fer à un service public ! Mais c'est un service privé. C'est un service de diligences. Qu'est-ce qu'un service public ? C'est la magistrature, c'est l'armée, c'est l'administration du pays. Supprimez alors la magistrature, mettez l'administration en adjudication.

Autre chose, messieurs, est un service public, autre chose un service privé, et, quant au chemin de fer, l'honorable membre doit se rappeler que la loi du 1er mai qu'il a présentée, et qu'il a contresignée, dit en termes exprès que le chemin de fer devra couvrir l'intérêt et l'amortissement de ses capitaux.

Lorsque l'honorable membre vient soutenir aujourd'hui qu'il ne doit pas en être ainsi, il se met en opposition directe avec la loi qu'il a contresignée.

Au surplus, messieurs, je le répète en terminant, le discours que vous venez d'entendre est ce que l'on peut dire de plus fort contre l'exploitation par l'Etat, car l'honorable membre ne parviendra à faire croire à personne que l'intérêt et l'amortissement des 200 millions dépensés pour le chemin de fer, doivent être payés par le trésor public. Aussi longtemps qu'on soutiendra une pareille thèse, on donnera les armes les plus fortes à ceux qui demandent l'abandon du chemin de fer pour dégrever le trésor des sacrifices que cette entreprise fait peser sur lui.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 57

« Art. 57. Salaires des agents payés à la journée : fr. 1,177,400. »

- Adopté.

Article 58

« Art. 58. Matériaux, engins, outils, et ustensiles : fr. 830,000. »

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, j'ai soumis à la section centrale une proposition d'augmentation de 170 mille francs sur cet article. Voici ce qui justifie cette augmentation.

A l'époque de l'examen du budget, on n'avait pas encore mis en adjudication les fournitures des rails ; l'augmentation générale des prix a constaté la nécessité d'une augmentation de 170,000 fr. Le 5 janvier une adjudication eut lieu, les prix soumissionnés furent de 280, 270 et 250 fr. par tonne, suivant certaines conditions.

Le gouvernement n'a pas cru pouvoir approuver ces soumissions. Depuis, messieurs, il y a eu un marché à main ferme qui constitue une économie de 52,000 francs, de manière que l'augmentation, au lieu d'être de 170,000 francs, comme je l'avais proposée à la section centrale, ne doit être en réalité que de 118,000 francs.

Je propose donc de porter le chiffre de cet article à 948,000 francs.

M. de Brouwer de Hogendorp, rapporteur. - (page 711) Il est fâcheux, messieurs, que nous devions voter ici une augmentation, mais je crois que l'augmentation est indispensable. Il est impossible qu'on ne renouvelle pas, pendant l'exercice de 1853, le nombre de rails que l'administration s'était proposé de renouveler. Il ne faut pas se dissimuler un fait, c'est que si nous ne renouvelons pas annuellement au moins 130,000 mètres de rails, un jour arrivera où le pays sera obligé de faire une dépense considérable de ce chef.

Dans l'année 1852, on a renouvelé à peu près cette quantité de rails ; il est impossible qu'en 1853 on n'en renouvelle pas la même quantité. Pour ma part donc, messieurs, je dois appuyer l'augmentation demandée par M. le ministre.

- Le chiffre de 948,000 fr. est mis aux voix est adopté.

Article 59

« Art. 59. Travaux et fournitures : fr. 363,000. »

- Adopté.

Section II. Traction et arsenal
Articles 60 à 62

« Art. 60. Traitements et indemnités des fonctionnaires et employés : fr. 118,060. »

- Adopté.


« Art. 61. Salaires des agents payés à la journée : fr. 1,340,430. »

- Adopté.


« Art. 62. Primes d'économie et de régularité : fr. 30,000. »

- Adopté.

Article 63

« Art. 63. Combustibles et autres consommations pour la traction des convois : fr. 1,004,000. »

M. de Brouwer de Hogendorp, rapporteur. - Messieurs, j'ai une simple observation à faire sur ce chiffre. J'ai proposé une somme de 1,004,000 fr. ; c'est le chiffre qui m'a été indiqué par l'administration. Quoique le travail soit le mien, je ne puis pas prendre la responsabilité de ce chiffre ; je crois qu'il n'est pas assez élevé puisque en 1851 on a dépensé 1,160,000 fr.

C'est donc 156,000 fr. de plus que ce que j'ai proposé, et comme le parcours en 1853 sera plus considérable qu'il ne l'a été en 1851, je crois, la somme de 1,004,000 fr. ne suffira pas. J'ai pris simplement la parole pour en décliner la responsabilité.

- Plusieurs membres. - A demain !

- La séance est levée à 4 heures et demie.