(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)
(Présidence de M. Verhaegen.)
M. Vermeire (page 33) procède à l'appel nominal à une heure et demie.
La séance est ouverte.
M. A. Vandenpeereboom donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Vermeire fait connaître l'analyse de la pétition suivante.
« Le sieur Fafchamps demande une loi sur les brevets d'invention. »
M. Rodenbach. - Depuis longtemps le cabinet doit soumettre cette loi à la chambre. Il paraît que les plaintes auxquelles donne lieu la législation actuelle sont plus ou moins fondées et qu'on exige des inventeurs des sommes que le plus souvent ils ne peuvent payer, ce qui entraîne la déchéance des brevets obtenus.
Je demande le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport pour que nous puissions obtenir ce projet de loi qui a été promis 5 ou 6 fois.
- La pétition est renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
M. Allard, obligé de s'absenter pour un jour, demande un congé. Il déclare que son vote aurait été favorable au projet d'adresse.
- Le congé est accordé.
M. le président. - Messieurs, avant de passer à l'ordre du jour, il est nécessaire de prendre une décision qui soit de nature à accélérer les travaux de la chambre. Jusqu'à présent nous n'avons à proprement parler à l'ordre du jour, que la discussion sur le projet de révision du Code pénal.
Il y a en section centrale et en commissions deux projets importants : la loi sur les expropriations forcées ; la commission sera réunie demain sous ma présidence ; il y a le projet de loi sur la détention préventive ; la section centrale se réunira demain sous la présidence de M. Delehaye.
M. Delehaye. - M. le président, elle s'est déjà réunie ce matin ; elle se réunira encore demain et jusqu'à ce qu'elle ait pu terminer ce travail qui est très important et qu'on ne peut pas finir en peu de jours.
M. le président. - Il y a un projet de loi de crédit supplémentaire au département des finances.
M. Delfosse. - La commission a terminé son travail, M. Lelièvre a été nommé rapporteur, il pourra déposer son rapport sous peu de jours.
M. le président. - Nous avons ensuite un projet sur l'examen duquel il n'a pas été statué. Je veux parler de la proposition de loi sur la liberté communale qui a été faite par M. Dumortier. M. Dumortier est-il prêt à la développer ?
M. Dumortier. - M. le président, j'ai laissé le dossier à Tournay. Lorsque je serai prêt, j'aurai l'honneur d'en informer la chambre.
M. le président. - Nous avons la proposition de M. Coomans ayant pour objet la réforme douanière. Il s'agit de la prise en considération de cette proposition.
M. de Perceval. - L'honorable M. Coomans a saisi la chambre d'un projet de loi tendant à réviser les octrois communaux. Quatre sections ont examiné ce projet de loi, deux sections n'ont pas voulu s'en occuper jusqu'ici. Je demande que ces deux sections soient convoquées et qu'elles veuillent activer leurs travaux. Alors la section centrale sera composée, elle pourra examiner le projet de loi dont l'honorable M. Coomans a saisi la chambre.
M. le président. - Ceci est un autre objet. En effet, il y a une proposition sur les impôts communaux. Il y a deux sections qui ne se sont pas réunies ; elles seront convoquées de nouveau, mais il y a la réforme douanière.
M. Coomans. - Je suis à la disposition de la chambre. J'ai eu l'honneur de lui soumettre mes développements. Il nous reste à discuter la prise en considération, ce qui aura lieu aussitôt que la chambre le jugera convenable.
M. le président. - Veut-on fixer cette discussion après l'examen du projet de révision du Code pénal ?
- La chambre fixe cette discussion après celle du projet de révision du Code pénal.
M. le président. - Nous avons la proposition de M. Jacques, relative à la suppression d'impositions communales. Par décision de la chambre du 14 août 1851, les développements de cette proposition ont été fixés au troisième mardi de novembre.
M. Jacques. - Je ne puis répondre que je serai prêt pour mardi prochain. La dernière session s'est prolongée beaucoup ; je n'ai pas eu le temps de compléter mon travail. Si, cependant, la chambre le désire, je développerai ma proposition en peu de mots. Mais je désirerais obtenir un délai plus long.
M. le président. - Nous avons ensuite des objets terminés dans les sections, et notamment le budget des travaux publics.
M. Delfosse. - La section centrale a terminé son travail avant la clôture de la dernière session. Le rapporteur a été nommé ; il n'a pas encore terminé son rapport.
M. de Brouwer de Hogendorp. - Depuis deux mois et sans interruption, je m'occupe du rapport sur le budget des travaux publics. Toutes les pièces ne me sont pas encore parvenues. Mais je puis promettre à la chambre que mon travail sera déposé avant la fin du mois.
M. le président. - Je crois que, dans ces divers projets, nous trouverons de quoi remplir nos séances.
M. Coomans. - Oui ; mais reste la proposition de M. de Perceval qui, je pense, ne rencontrera pas d'opposition dans la chambre.
M. le président. - Cela a été ainsi convenu ; les deux sections seront réunies dès demain.
M. Orts. - Je crois qu'il est parfaitement inutile d'apporter même ce retard à l'examen de la proposition de l'honorable M. Coomans.
D'après le règlement, du moment où quatre sections ont nommé leurs rapporteurs, la section centrale doit de droit être convoquée. Les deux tiers des sections sont représentés. Il y a donc lieu de convoquer immédiatement la section centrale.
M. le président. - Comme la chambre s'est séparée sans qu'il y ait eu convocation des deux sections, je crois qu'il est convenable de les convoquer pour demain. Si elles ne se réunissent pas, on appliquera la disposition du règlement.
M. Dumortier. - Puisqu'on est occupé à se demander quels sont les travaux auxquels la chambre pourra se livrer, je rappellerai à l'assemblée qu'il y a un an à peu près, l'honorable ministre des travaux publics, qui est ici présent en ce moment, avait promis un projet de loi sur le transport des marchandises par les chemins de fer. Je désirerais savoir si ce projet de loi qu'on nous avait fait espérer, sera présenté bientôt. C'est un objet dont la chambre pourrait s'occuper. Car, en présence des pertes que les chemins de fer font éprouver au trésor, en présence des bénéfices qui sont résultés dans le transport des voyageurs de l'amendement que vous avez adopté, on doit désirer de voir améliorer la situation du trésor au point de vue du transport des marchandises.
Je prierai donc M. le ministre des travaux publics de nous dire si la chambre peut compter sur le prompt dépôt du projet qu'il nous a annoncé.
M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, le retard que j'ai apporté dans le dépôt du projet de loi dont l'honorable M. Dumortier vient d'entretenir la chambre, est sans importance, car la chambre comprendra qu'il eût été très difficile, pour ne pas dire impossible, de discuter un projet aussi important dans le courant de la session dernière. Cependant je puis dès à présent déclarer à l'honorable M. Dumortier que le travail est prêt, que je m'occupe très activement en ce moment de la rédaction de l'exposé des motifs et qu'avant très peu de temps d'ici, avant la fin de l'année, ce projet de loi pourra être soumis à l'examen des sections.
M. Dumortier. - Je remercie d'abord l'honorable ministre des travaux publics des explications qu'il vient de nous donner, mais je témoignerai à la chambre le désir que ce projet de loi lui soit soumis dans le plus bref délai. Car il serait vivement à désirer que l'amélioration de recettes à résulter de la modification du tarif des marchandises puisse se réaliser à partir du 1er janvier. Nous avons encore plus de deux mois devant nous ; le projet pourrait être examiné dans les sections, voté par la chambre, soumis au sénat, et voté par cette assemblée, en temps utile pour être mis à exécution le 1er janvier prochain. Je demanderai à M. le ministre de vouloir activer autant que possible la présentation de ce projet.
M. le président. - La discussion continue sur le quatorzième paragraphe et sur les amendements qui y ont été proposés dans la séance d'hier, par MM. Julliot et Dumortier.
M. Malou. - Mon intention n'est pas, messieurs, de donner à ce débat de grandes proportions. Je viens motiver mon vote. Je viens dire pour quels motifs il m'est impossible d'accepter l'adresse, même après les modifications que la commission consent à y introduire. Je lui sais gré d'avoir supprimé les mots par lesquels elle déclarait que la chambre est l'émanation la plus libre et la plus large des corps électoraux. En effet, comme on l'a déjà dit, ces expressions présentaient un très grand danger, en ce qu'elles paraissaient établir, quant à l'origine des pouvoirs, quant à leurs droits, une distinction qui n'est pas dans la Constitution ; elles autorisaient aussi à croire que cette opinion qui soutient qu'il y a en dehors de la Constitution une base plus libre et plus large, que cette opinion pourrait bien avoir raison. Cette suppression m'aurait déterminé à garder le silence dans ce débat, si l'honorable rapporteur de la commission avait accepté la suppression sans phrases ; mais il m'est impossible, en présence du commentaire qu'il a fait de cette résolution, de garder le silence.
Je m'attacherai, messieurs, en définissant quelle est, selon moi, la position constitutionnelle du sénat et de la chambre, à user de beaucoup de modération. N'oublions pas que lorsque les pouvoirs se discutent, ils risquent très souvent de s'amoindrir. N'oublions pas que (page 34) lorsque nous avons à traiter des questions d'attributions constitutionnelles, c'est l'avenir, c'est l'existence même du gouvernement qui peut être en discussion.
Je me demande d'abord si, dans le projet d'adresse de la commission du sénat, il y avait provocation, désir, intention manifestée de prendre sur l'autre branche du pouvoir législatif une sorte de prépondérance politique. Je n'y vois rien de semblable : je vois dans l'adresse de la commission du sénat la simple énonciation d'un fait. Les mots qu'on y employait étaient pour moi les synonymes de la date du 27 septembre 1851 ; ils n'avaient aucune autre signification.
On indiquait que le sénat avait reçu plus récemment son mandat du corps électoral. N'est-ce pas une vérité ? N'est-ce pas un fait qui est le résultat des actes posés par le gouvernement ? S'il y a là quelque chose qui vous choque, le fait n'en existe pas moins. Vous aurez beau dire : cela n'est pas dans la Constitution, cela est dans les faits : le sénat est jeune et vous êtes vieux. (Interruption). Si vous le voulez, nous sommes vieux.
Messieurs, l'institution constitutionnelle du sénat consiste-t-elle dans la représentation de certains intérêts ?
Je crois que ce serait une erreur d'interpréter ainsi la Constitution.
On prétend tirer cette distinction de ce que la chambre des représentants a certaines prérogatives, certaines attributions particulières. Mais le sénat, lui aussi, a des attributions particulières : il intervient dans la nomination des membres de la cour de cassation qui est appelée, dans un cas donné, ainsi que le rappelait hier l'honorable M. Delfosse, à juger les ministres.
Et quelle est la conclusion logique de ces dispositions constitutionnelles d'après lesquelles chaque chambre a des attributions particulières, sinon que dans toutes les circonstances où une exception n'existe pas, il y a entre les deux chambres égalité de droits ? C'est la seule conséquence logique ; lorsque vous n'êtes pas dans les exceptions faites par la Constitution, le sénat et la chambre des représentants ayant la même origine, ont les mêmes droits.
Je me rappelle certaine polémique où l'on contestait au sénat l'initiative politique, où l'on disait qu'il ne pouvait pas prendre cette position ; mais en même temps on reconnaissait que, dans le jeu de nos institutions, le sénat était appeléau rôle de pouvoir modérateur, à résister à la fois et aux entraînements de la chambre et aux entraînements du pouvoir. S'il ne peut avoir d'initiative politique ; si, d'après la Constitution, il n'a pas l'initiative financière, vous devez lui reconnaître, à moins de dire qu'il est un non-sens, le droit d'être ce qu'on appelait autrefois un contre-poids.
Il ne faut pas perdre de vue que la base d'éligibilité au sénat n'est pas seulement la propriété, cette base est l'impôt même industriel. Ainsi, dans le cens d'éligibilité l'impôt des patentes se trouve compris ; et si, par la fatalité des circonstances, les avocats, par exemple, ne prennent pas dans le sénat beaucoup de place, il ne tiendrait qu'à eux de s'en ouvrir les portes les plus larges ; c'est, par exemple, en rentrant dans la classe des patentables : ce serait pour M. le ministre des finances une ressource qui n'est pas à dédaigner.
Je cite cet exemple, messieurs, non pas pour engager M. le ministre des finances à proposer de nouveaux impôts, mais pour faire remarquer qu'on a tort lorsqu'on présente au pays les bases de l'existence du sénat comme reposant sur la représentation d'un intérêt, et principalement de l'intérêt territorial.
On nous dit encore que les distinctions résultent de ce que les choix pour le sénat sont limités ; il y a à peine 600 éligibles ; on en défalque d'autorité la moitié et il ne reste pour chaque place de sénateur que 5 ou 6 candidats.
Je crois que les électeurs ont le choix entre tous les éligibles du royaume ; n'avons-nous pas vu la capitale elle-même, après avoir cherché dans son sein plus de dix candidats, prendre un candidat dans la liste des éligibles d'un autre arrondissement de la province ? Cela s'est vu plusieurs fois et récemment encore. (Interruption.)
Je remercie l'honorable M. Manilius de son interruption ; elle me fournit l'occasion de faire remarquer qu'il ne faut pas seulement tenir compte des éligibles à 1,000 florins, mais qu'il faut aussi tenir compte du cens réduit. Ainsi, dans le Luxembourg, le cens minimum d'éligibilité au sénat est de 410 fr. ; dans la province de Liège, de 815 francs et ainsi de suite.
L'on a donc tort de faire une différence entre les deux assemblées à raison des conditions d'éligibilité, et on apprécie faussement cette base en disant que le choix est restreint entre 5 ou 6 personnes ; il y a au moins 750 éligibles, et pour chaque élection on a le choix dans la totalité des inscrits à mille florins. La base est plus large encore parce que les listes ne sont pas complètes : plusieurs fois on a nommé des sénateurs, reconnus éligibles lors de la vérification des pouvoirs, qui n'étaient pas porté sur la liste.
Je ne m'arrête pas davantage à cet ordre de considérations. Je regrette qu'en voulant contester, en quelque sorte, au sénat ses droits constitutionnels, on ait en même temps revendiqué pour la chambre des représentants une prépondérance qui ne lui est pas acquise en fait surtout aujourd'hui.
En dehors des questions de principe et de prérogatives constitutionnelles, il y a, par suite des vicissitudes politiques, des positions accidentelles dont il faut bien se rendre compte.
Par votre fait, la chambre des représentants n'est pas aujourd'hui celle de vos assemblées où l'intérêt politique se concentre ; ce n'est pas celle à laquelle la prépondérance politique appartient en ce moment. Je ne dis pas que cela doit être ; mais je dis que cela est et que cela est par votre fait, par votre faute ; c'est une raison pour la chambre, pour la majorité d'être modeste.
Il n'en serait pas ainsi, si le ministère avait cherché dans les difficultés qui se sont produites, au lieu d'une solution ministérielle, ce que j'appellerai une solution nationale, s'il avait dissous en même temps la chambre des représentants et le sénat.
Pourquoi ne l'a-t-on pas fait ? Vous donnerez toutes les explications que vous voudrez, mais vous n'empêcherez pas que l'on croie que la majorité de la chambre ne désirait guère que l'épreuve fût faite en ce moment.
Je signale cette position exceptionnelle de la chambre parce que, comme membre de cette assemblée, ami de nos institutions, je désire que la chambre conserve, que le gouvernement s'attache par ses actes à lui conserver l'importance qu'elle doit avoir.
Par suite de la manière dont les choses se sont passées, la chambre en a perdu quelque chose.
Il y a une autre raison pour éviter d'agiter ces questions maintenant ; c'est que les faits qui se sont accomplis dans le courant de la dernière session sont de telle nature que M. le ministre des finances aurait bien fait de ne plus en parler dans la séance d'hier, de ne pas dire qu'en 1849 il n'y avait pas eu rejet de la loi.
Si cet ajournement a eu lieu quand le gouvernement pouvait faire passer la loi. qu'il veuille bien dire pourquoi il l'a ajournée ; si au contraire c'est parce qu'on avait vu qu'une immense majorité était hostile au projet, que signifie cette assertion qu'il n'y a pas eu de vote ?
Au reste, je n'ai pas besoin d'insister beaucoup sur cet antécédent de 1849, lorsque la question s'est représentée en 1851. Le gouvernement a déclaré lui-même que le projet de loi, en ce qui concerne le droit en ligne directe, ne recevrait pas l'assentiment de la chambre ni du sénat. C'était bien déclarer quelle était l'opinion de la majorité. Et puis qu'est-il arrivé ? C'est que la majorité de la chambre a transigé de telle manière, qu'elle a accepté ce qu'on avait déclaré qu'elle ne voulait pas accepter. Elle n'a pas transigé alors. Je voudrais trouver un mot plus doux, mais elle a en quelque sorte abdiqué.
Si je produis ces observations, c'est encore parce que je désire que la chambre conserve la position que la Constitution lui assigne.
On dit encore, et je dois rectifier ce fait : Il a fallu au gouvernement une force prodigieuse pour emporter la victoire (car il paraît que le ministère se considère comme victorieux), en posant la question sur l'impôt. Mais la question n'était pas posée seulement sur l'impôt.
Rappelons-nous qu'en même temps le ministère proposait au pays un ensemble de travaux publics de 120 millions, et que l'on disait, par des organes que probablement l'on ne désavouera pas : Pas de droit de succession, pas de travaux publics. Voilà de quelle manière la question a été posée, et aujourd'hui je crois qu'il n'y a rien d'exagéré à dire que la plupart des espérances de ces travaux publics sont déjà en grande partie évanouies.
Il y avait dans la question, telle qu'elle nous était posée, un autre danger. Je n'accuse pas le ministère, mais je signale un fait.
Il y avait des auxiliaires dangereux, c'étaient ceux qui prétendaient démontrer que l'impôt était dirigé contre les riches, ceux qui, pour combattre certains candidatures, étaient amenés à faire une distinction entre les classes, à exciter dans le cœur de la société un sentiment le plus mauvais de tous, l'envie contre ceux qui possèdent.
Et cependant, messieurs, malgré ces auxiliaires, le pays s'est prononcé, et en effet, pour détruire la signification des chiffres, quel est le seul moyen que M. le ministre des finances ait trouvé ? C'est de compter les votes des absents.
A Malines, a-t-on dit, où il n'y a pas eu de lutte, on ne prétendra pas sans doute que personne n'était partisan du droit de succession.
Si l'on veut compter les absents, on arrivera à de très singuliers résultats. Nous pourrions dire, par exemple, que lorsque dans la capitale il se présente à une élection sur 9,400 électeurs 2,600 ou 2,800 électeurs qui votent en faveur de candidats favorables au projet de loi, nous pourrions dire que la majorité qui s'est abstenue nous appartient, ou du moins que la grande majorité de ceux qui se sont abstenus nous appartient.
Du moment que vous calculez sur les intentions présumées des absents, vous n'avez aucune base ; or c'est la seule manière que vous ayez d'échapper aux calculs de ceux qui comptent les votes exprimés.
Mon honorable ami, M. Orts, me dit : « Vous comptez, comme le roi Guillaume, pour la loi fondamentale. » Je crois que cette accusation peut retomber sur le banc ministériel, puisque c'est là que l'on compte ceux qui n'ont pas voté.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Du tout ! pas le moins du monde.
M. Malou. - D'ailleurs, je pourrais bien discuter encore d'autres faits ; car on sait que ce n'est pas la bonne volonté qui a manqué au ministre pour avoir partout des candidats ; de sorte qu’il ne peut pas compter les votes des absents dans les localités où l’on n’a pas même trouvé la base d’une candidature.
On paraît toujours croire dans ce débat que la lutte électorale a été (page 35) établie sur l'amendement, mais évidemment la lutte électorale a été établie sur le principe.
Il y a quelques localités où vous n'aviez qu'un mot à dire pour qu'on s'abstînt de combattre les sénateurs qui avaient voté l'amendement ; et ce mot vous ne l'avez pas dit.
Je crois donc que l'on est non-recevable à dire que la question soumise au pays était l'amendement.
C'était le principe, et à ce point de vue, vous avez été évidemment vaincus.
Je me suis attaché dans ces observations à ne rien dire qui pût compliquer une situation déjà difficile. Je désire que le gouvernement, qui est l'auteur de cette situation, parvienne à la dénouer.
Ma conviction, c'est que les gouvernements constitutionnels vivent de transactions honorables qui laissent les pouvoirs publics tels qu'ils sont, mais qu'ils périssent quand des transactions d'une autre nature sont admises.
M. Delfosse. - L'honorable M. Malou vient de soutenir qu'il y a une parfaite égalité de droits entre les deux chambres. Je suis tout à fait de son avis, mais sous la réserve des exceptions qui se trouvent dans la Constitution. Et l'honorable M. Malou voudra bien reconnaître qu'il y a dans la Constitution en faveur de la chambre des représentants bien plus d'exceptions et des exceptions plus importantes qu'en faveur du sénat.
En faveur du sénat, l'honorable M. Malou n'a cité qu'une exception, c'est la présentation, concurremment avec la cour de cassation, des candidats à cette cour.
Pourquoi a-t-on fait une semblable exception en faveur du sénat ? Parce que la chambre ne pouvait être investie de cette prérogative ; ayant le pouvoir de renvoyer les ministres devant la cour de cassation, elle ne pouvait participer à la nomination des juges.
Voilà la seule exception en faveur du sénat.
A part ce point, il est certain que, dans l'esprit et les termes de la Constitution, la chambre doit passer avant le sénat. Pourquoi ?Parce qu'elle représente mieux le pays. Nier cela, c'est vouloir nier la lumière. N'est-il pas évident qu'on n'a, pour 54 sénateurs, à choisir qu'entre environ 700 éligibles, dont le nombre, si l'on tient compte de ceux qui ne peuvent pas ou ne veulent pas accepter, est réduit à 300.
L'honorable M. Malou dit : On peut choisir, ceux qui payent mille florins, bien qu'ils habitent une autre province.
Cela est vrai, mais il n'est pas moins vrai que pour le pays entier le choix des 54 sénateurs est limité entre 300 personnes à peu près ; c'est pour chaque place de sénateur six candidats. Il y a des provinces où il est presque impossible d'en trouver.
Vous savez combien il est difficile (ce n'est guère possible que dans les grands centres de population) de déterminer les électeurs à adopter des candidats pris dans d'autres provinces.
L'honorable M. Malou n'a pas été heureux quand il a cherché à justifier la phrase provocatrice qui se trouvait dans l'adresse de la commission du sénat et à laquelle nous avons bien dû répondre.
J'admets que c'était une vérité. Oui, le sénat est une émanation toute nouvelle. Mais pourquoi le dire, si ce n'est parce qu'on avait la prétention de mettre le sénat au-dessus de la chambre des représentants, si ce n'est dans le but d'insinuer que le sénat représente en ce moment le pays mieux que la chambre des représentants ? Eh bien, c'est là une prétention contre laquelle nous devions protester. Si cela était vrai, il y aurait constamment une partie de la chambre qui représenterait le pays mieux que l'autre. L'opinion de l'honorable M. Malou est en quelque sorte inconstitutionnelle. La Constitution n'a pas fait de différence entre les diverses fractions de la chambre et du sénat. Il y a en tout temps une moitié de la chambre plus jeune et une autre moitié plus vieille. Et les vieux valent quelquefois les jeunes.
L'honorable M.Malou, se traînant à la suite d'autres orateurs, s'est permis de dire que la chambre avait abdiqué en adoptant la loi sur les successions.
La chambre aurait abdiqué, l'opinion libérale aurait abdiqué, si elle avait, par un vote hostile, renversé un ministère pris dans ses rangs, un ministère qui allait mettre à exécution la loi sur l'enseignement moyen ; un ministère qui combat et qui continuera, j'espère, à combattre avec énergie les prétentions du parti auquel l'honorable M. Malou appartient. Nous ne sommes pas encore disposés à cette abdication, et l'honorable M. Malou l'attendra longtemps.
Après une crise ministérielle qui avait démontré la grande difficulté de former un nouveau cabinet, la majorité en votant la loi des successions mêlée aux travaux publics, n'a pas abdiqué ; elle a fait acte de force et de sagesse.
Oui, lorsque le projet de loi sur les successions a été présenté, il y avait dans cette chambre une majorité pour le rejet. Mais cette majorité n'était pas hostile au principe de la loi ; j'ai déclaré dans le temps à mon honorable ami M. Deliége, que je n'étais pas d'accord avec lui sur le principe, que j'en étais partisan, que je le croyais bon ; bon surtout parce qu'il ne faisait peser aucune charge sur les classes ouvrières.
Néanmoins, à cette époque, nous n'aurions pas voté la loi, parce qu'on ne voulait nous faire aucune espèce de concession sur le budget de la guerre, et parce qu'on ne mêlait pas à la demande d'impôts des propositions de travaux publics qui, quoi qu'on en dise, sont impatiemment attendus par le pays.
Je n'en dirai pas davantage pour répondre à l'honorable M. Malou.
Je dirai quelques mots de l'amendement présenté hier par l'honorable M. Jullîot.
L'honorable M. Jullîot a montré pour l'ordre un attachement que nous ressentons tous.
Mais il se trompe, s'il croit que nous n'en avons pas donné des preuves dans l'adresse même. Que l'honorable M. Julliot veuille bien relire quelques-uns des passages qui ont déjà été votés. Il verra dans le paragraphe 2 que nous remercions Sa Majesté d'avoir contribué à la situation prospère et tranquille qui recommande la Belgique à l'estime des autres nations.
Dans un autre paragraphe, nous déclarons que troubler la situation paisible et forte dans laquelle la Belgique s'est maintenue depuis quatre années, ce serait encourir une bien grave responsabilité.
Voilà deux passages qui attestent toute l'importance que nous attachons au maintien de l'ordre.
Si dans le paragraphe qui est en ce moment en discussion, nous recommandons au gouvernement de marcher dans une voie de liberté et de progrès, nous avons soin d'ajouter qu'il doit y marcher d'un pas prudent. C'est encore parce que nous reconnaissons toute la nécessité du maintien de l'ordre, que nous disons qu'il faut marcher dans une voie de liberté, de progrès, dans un but de conservation et de salut.
Du reste, il n'y a pas le moindre inconvénient à insérer dans ce paragraphe le mot ordre. Nous pouvons très bien dire : marcher d'un pas prudent et ferme dans une voie d'ordre, de liberté et de progrès. Mais jamais nous ne consentirons à retrancher le mot « progrès ».
L'honorable M. Julliot nous dit que nous n'avons pas défini le progrès. L'honorable M. Julliot n'a pas défini non plus l'ordre. Nous ne voulons pas l'ordre dans lequel croupissent les esclaves. Nous voulons l'ordre des hommes libres et nous le voulons par le progrès.
Aujourd'hui sans le progrès plus d'ordre possible. Le progrès est tout ce qui tend à améliorer la condition de l'espèce humaine.
Personne n'a pu s'y tromper. Jamais lorsqu'une chambre recommande au gouvernement de marcher d'un pas prudent et ferme dans une voie de liberté et de de progrès, on ne peut supposer qu'elle pousse à un progrès malfaisant. Personne ne peut se méprendre sur la pensée de la chambre lorsqu'elle adresse cette recommandation au gouvernement.
Nous proposons donc, messieurs, d'écarter la rédaction présentée par l'honorable M. Julliot qui serait d'ailleurs vicieuse.
Le paragraphe qui précède se termine ainsi : « sur des bases fortes et stables, etc. » L'honorable M. Julliot propose de dire :« et marcher d'un pas ferme et prudent dans la voie de l'ordre et de la liberté, bases indispensables au bien-être du peuple tout entier.»
Nous n'acceptons de l'amendemeut de l'honorable M. Julliot qu'un seul mot, mot fort bon, mot que nous approuvons tous, le mot « ordre », et j'espère que cette concession amènera l'honorable M. Julliot à nous faire aussi la concession du progrès auquel nous tenons, auquel nous ne renoncerons jamais. Le paragraphe serait donc ainsi conçu :
« La chambre croit être l'interprète fidèle de la volonté nationale, en promettant au gouvernement de Sa Majesté le loyal concours qu'il réclame pour remplir sa tâche ardue, et marcher d'un pas prudent et ferme dans une voie d'ordre, de liberté et de progrès, seule voie de conservation et de salut, »
M. Julliot. - Messieurs, d'après la définition que l'honorable rapporteur vient de donner du mot progrès et surtout la concession qu'il me fait du mot « ordre », je retire mon amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, bien que je ne comprenne pas trop l'utilité de l'amendement de l'honorable député de Tongres, je m'y rallierai comme l'honorable rapporteur de la commission.
A mes yeux, messieurs, il n'y a pas d'ordre véritable sans liberté, comme il n'y a pas de liberté véritable sans ordre. En principe comme en fait, dans notre pays, la liberté c'est l'ordre et l'ordre c'est la liberté. Sous ce rapport donc, je regarde l'addition du mot comme une espèce de pléonasme en ce qui concerne la Belgique.
Notre position, messieurs, nous interdit peut-être d'intervenir dans la question qui a été soulevée relativement aux prérogatives de l'une et de l'autre chambre. Nous croyons pouvoir dire cependant que la chambre des représentants abdiquerait complètement, puisqu'on a parlé d'abdication, abdiquerait complètement le rôle que lui assigné la Constitution, si ce rôle devait être réduit à ce que certains des honorables préopinants veulent le faire. En ces sortes de questions il ne devrait y avoir, semble-t-il, qu'un avis, qu'une opinion dans cette chambre.
Quant à nous, nous tenons grand compte de l'influence que peut et doit exercer l'institution du sénat sur la direction de nos affaires ; mais nous n'hésitons pas à déclarer que nous considérons l'influence de la chambre des représentants comme devant prendre une part beaucoup plus active, plus directe, plus considérable dans cette direction. Cela n'est pas contesté, je pense, cela n'est pas contestable au moins.
On le prend, messieurs, selon moi, sur un ton bien léger, pour ne pas dire bien inconvenant, lorsqu'on parle de la majorité de cette chambre ; et je ne m'étonne que d'une chose, je dois le dire, c'est de l'espèce de résignation avec laquelle la, majorité accepte ces reproches outrageants qu'à chaque instant on lui jette à la tête.
Je n'ai pas l'honneur d'être simple membre de la chambre, j'appartiens au ministère : je suis tenu à plus de réserve vis-à-vis de la minorité, mais, certes, je m'étonne, je le répète, de la placidité avec laquelle de pareils outrages sont acceptés par la majorité, (interruption), sont tolérés par la majorité. On vous parle de servilité, d'abdication ; on (page 36) jette à la tête de la majorité les insultes les plus graves, que l’on va ramasser dans la presse la plus violente.
Pour prendre un pareil ton, pour prendre une pareille attitude, il faudrait d'abord commencer par être un parti qui s'appartienne entièrement à lui-même. Quand on remplira par soi-même toutes les conditions d'indépendance, on pourra alors le prendre d'aussi haut lorsque l’on voudra attaquer l'indépendance d'autrui.
La chambre a abdiqué, parce qu'elle a voté des impôts, parce qu'elle a voté des travaux publics ? Ah ! je le sais, à une autre époque les administrations qui nous ont précédés n'ont pas mis leur majorité à une pareille épreuve, elles ont mieux aimé laisser la situation du trésor s'empirer d'année en année ; mais si l'on veut comparer les situations, comparer l'indépendance réelle et personnelle de chacun des membres qui composent aujourd'hui la majorité, avec ce qu'était l'indépendance réelle et personnelle des membres de l'ancienne majorité, oh, je crois que la majorité d'aujourd'hui peut accepter sans crainte le parallèle et qu'elle pourrait renvoyer avec raison les reproches qu'on lui adresse à la majorité dont le pays a fait justice.
Notre majorité, nous ne la trouvons pas dans le concours des fonctionnaires publics, qui étaient entrés ici en si grand nombre que vous-mêmes en avez provoqué l'exclusion et que vous êtes allés, sous ce rapport, beaucoup au-delà même des limites que nous avions indiquées. Voilà de quels éléments se composait jadis votre majorité et il n'est jamais arrivé à l'opposition, dans ses jours les plus violents, d'adresser à la majorité les reproches que vous avez l'audace d'adresser à la majorité actuelle.
Suivant l'honorable préopinant, le ministère a eu un grand tort : il pouvait donner à la difficulté actuelle une solution nationale, il a préféré lui chercher une solution ministérielle.
Il fallait, pour donner à la difficulté une solution nationale, dissoudre non pas seulement le sénat, mais dissoudre la chambre des représentants. Mais qu'est-ce donc, messieurs, qu'une dissolution ?
C'est un appel au pays, c'est le pays consulté par le pouvoir exécutif, lorsque le pouvoir exécutif ne se trouve pas d'accord avec une des branches du pouvoir législatif. Le pouvoir exécutif se met complètement d'accord sur un ensemble de lois, avec la chambre des représentants. La chambre des représentants, à une immense majorité, lui accorde ce qu'il demande. Une honorable transaction, faite en vue des intérêts généraux du pays, s'opère entre le gouvernement et une immense majorité. De ce côté il n'a rien à demander à cette branche de la législature : il est complètement d'accord avec elle. Mais il se trouve en présence d'une autre branche du pouvoir législatif ; là dans le désir de résoudre par des moyens réguliers et tranquilles les difficultés, il fait de nouvelles concessions ; il accepte tout ce qu'on lui propose. Des amendements formulés par des membres opposés à la loi sont transformés en propositions, et le ministère s'y rallie. Deux voix, cependant, se prononcent contre le système du gouvernement, ainsi amendé. Il y a, d'une part, une immense majorité à la chambre des représentants ; il y a, d'autre part, au sénat, deux voix contre. Jusqu'ici, on voudra bien reconnaître que le gouvernement avait au moins pour lui le nombre. Tout à l'heure on a fait appel au nombre, eh bien, quant au nombre, non pas des électeurs, mais de ceux qui votaient la loi, le gouvernement l'avait dans une proportion considérable.
Arrêté devant cet obstacle, le gouvernement interroge le pays et lui demande s'il est d'avis qu'il y ait lieu d'accepter la transaction qui s'est fait jour au sénat, et qui, malheureusement, n'y a pas réussi. Cette transaction a été transportée dans le pays électoral ; si d'autres questions s'y sont mêlées, si la question politique y a été mêlée, ce n'est pas le fait du gouvernement. Le gouvernement a interrogé le pays sur le projet de loi, tel qu'il l'avait accepté au sénat. Nous défions qui que ce soit de citer de nous un mot, une ligne qui aurait eu pour but de poursuivre le renversement de sénateurs qui s'étaient ralliés à la transaction.
Qu'ont fait les électeurs ? Ils ont envoyé en majorité, suivant nous, des mandataires favorables à la transaction, soit qu'ils aient voté la transaction, soit qu'ils aient déclaré formellement qu'ils s'y rallieraient, s'ils étaient nommés.
Voilà comment nous sommes en droit de soutenir jusqu'ici que le pays consulté a renvoyé une majorité favorable à la transaction qui s'était opérée au sein du sénat. Nous n'avons pas à entrer dans la conscience d'autrui ; nous jugeons les honorables sénateurs par ce qu'ils ont fait ou dit ; nous soutenons que, s'ils restent conséquents avec eux-mêmes, que s'ils ne disent pas et ne font pas autre chose que ce qu'ils ont dit ou fait, la majorité est acquise à la transaction.
Je le sais, messieurs, cette perspective dérange certains calculs, trouble certaines ambitions ; il serait doux de voir de graves embarras surgir au sein du sénat ; qu'importe, qu'il y ait trouble dans la gestion des affaires, qu'il y ait agitation dans le pays, qu'il y ait un conflit entre les deux chambres, conflit dont il est impossible de calculer les conséquences.
Les chercheurs de solutions nationales, ceux qui prennent en pitié ce qu'ils appellent dédaigneusement les solutions ministérielles, eucouragent un conflit au sénat, et c'est pourquoi ils tâchent de proclamer dans cette enceinte que les sénateurs qui ont voté la transaction qui se sont représentes en cette qualité devant les électeurs, peuvent, sans scrupule de conscience, abdiquer cet antécédent, ne plus être au sénat tels qu'ils se sont présentés devant le corps électoral. C'est un encouragement, je ne dirai pas à la défection, mais à quelque conversion, qu'on jette au sein de cette assemblée, avec l'espoir qu'il retentira ailleurs. (Interruption,)
Je nie que ce soit le principe de la loi, telle qu'elle a été votée par cette chambre, qui ait été soumis aux délibérations des corps électoraux, c'est sur la loi, telle qu'elle était sortie du sénat, que les corps électoraux ont été appelés à se prononcer.
Suivant l'honorable M. Malou, le gouvernement aurait été vaincu dans les élections, et cependant sur quels auxiliaires s'était-il appuyé ?
On vient nous reprocher nos auxiliaires dans la dernière lutte électorale. Oh ! c'est pousser véritablement trop loin l'esprit inventif, je ne dirai pas l'esprit de dénigrement.
Messieurs, il y a un thème invariable développé par nos adversaires dans cette enceinte et au-dehors ; ils représentent le gouvernement belge comme en proie au socialisme, livré à toutes les idées anarchiques, soutenu par une majorité démagogique. Cela se publie sans exception dans tous les journaux d'une certaine couleur en Belgique ; selon l'heureuse expression de l'honorable président de l'Assemblée nationale de France, cela s'insinue dans la presse étrangère.
Le gouvernement belge est donc livré au socialisme ; des républicains, des démocrates, des socialistes, siègent dans son sein. Ces alliances monstrueuses ne peuvent que conduire tôt ou tard le pays à sa ruine, et dans tous les cas elles doivent inévitablement le brouiller avec tous les gouvernements réguliers de l'Europe.
Voilà les renseignements qu'on livre à des journaux étrangers ; voilà le tableau qu'on ne craint pas de tracer de son propre pays à l'étranger, appelant ainsi, dans certaines circonstances données, les rancunes de l'Europe sur la Belgique. (Interruption.) Oui, ces accusations dirigées contre le gouvernement belge, ces imputations outrageantes ont été communiquées aux journaux étrangers, avec l'observation qu'une pareille attitude, de la part du gouvernement belge, devait finir par appeler sur la Belgique les colères des gouvernements étrangers (interruption) ; elles ont, d'ailleurs, été reproduites dans les journaux de votre parti.
Tant que ces calomnies ne se sont répandues que par la voie de la presse, on a pu laisser à la presse le soin d'y répondre. Mais quand on viendra, dans cette enceinte, à quelques jours à peine des élections de Verviers, nous reprocher certaines alliances, nous sommes en droit de demander : Qui donc a fait alliance avec ceux qui combattaient la loi des successions, parce qu'elle n'était pas assez démocratique ?
Qui donc a fait alliance avec ceux qui se proclament les adversaires nos institutions, avec ceux qui proclament qu'ils veulent en poursuivre la démolition ? Est-ce le gouvernement par hasard, est-ce le ministère ? Mais ce ministère est journellement l'objet des attaques les plus violentes de la part des hommes de ce parti ; le ministère ne leur a pas donné la main pour faire triompher ses candidats ; il les a combattus et il a eu l'avantage de vous battre les uns et les autres.
Voilà ce qu'a fait, je ne dirai pas le ministère, mais l'opinion libérale qui est représentée au ministère et qui, j'espère, le sera longtemps, sinon par nous, au moins par des successeurs qui ne seront pas plus disposés que nous, à rien abdiquer des droits et des devoirs de l'opinion libérale.
On a parlé d'auxiliaires dans la lutte ; voilà les vôtres ; vous voulez nous les attribuer ; merci, gardez-les pour vous.
M. Dumortier. - Vous oubliez ce qui s'est passé à Tournay.
- Un membre. - Et à Louvain.
M. le président. - J'invite M. Dumortier à ne pas interrompre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voici ce qui s'est passé à Tournay.
Il y avait là un sénateur, homme capable, inoffensif, plutôt modéré que prononcé dans son opinion libérale ; ce qui s'est passé de la part d'un parti soi-disant conservateur et modéré, ça été l'exclusion de ce sénateur.
M. Dumortier. - Ce n'est pas de cela que je veux parler.
M. le président. - J'invite de nouveau M. Dumortier à ne pas interrompre ; car les interruptions amènent d'ordinaire de fâcheux incidents.
M. Dumortier. - Je veux parler d'alliance...
M. le président. - M. Dumortier, je vous rappelle à l'ordre, puisque vous ne tenez pas compte de mes invitations reitérées.
M. Dumortier. - C'est bien dur pour moi....
M. le président. - Vous n'avez pas la parole.
M. Dumortier. - Ce n'est qu'à moi que cela arrive ; quand d'autres interrompent, on ne les rappelle pas à l'ordre.
M. le président. - Je rappelle une seconde fois M. Dumortier à l'ordre.
Le règlement n'a mis à la disposition du président que le seul rappel à l'ordre, parce qu'il a supposé que la chambre conserverait toujours le calme qui convient à sa dignité et qu'il n'a pas cru que d'autres mesures pourraient devenir nécessaires. Tous mes honorables collègues voudront (page 37) bien me rendre la justice que ce n'est que sobrement et avec répugnance que j'use du seul moyen que me donne le règlement pour faire respecter l'ordre ; mais cette répugnance a des bornes.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - M. Dumorlier m'a interrompu en disant : Vous oubliez ce qu'on a fait à Tournay. J'ai alors rappelé ce qu'on a fait à Tournay ; si on y a fait autre chose, je n'en sais rien ; il me semble que c'est bien assez comme cela.
M. Delfosse. - Ce n'est pas une voie de modération.
M. le président. - M. Delfosse, vous n'ayez pas la parole, je vous prie à votre tour de ne pas interrompre.
M. Dumortier. - Pourquoi ne le rappelez-vous pas à l'ordre ?
M. le président. - Vous n'avez pas la parole, M. Dumortier.
M. Dumortier. - Pourquoi ne pas prendre la même mesure pour tous ? On m'a rappelé à l'ordre ! C'est un privilège réservé pour moi seul.
M. le président. - Je rappelle M. Dumortier pour la troisième fois à l'ordre.
M. Dumortier. - Rappelez-moi une quatrième fois si vous voulez. (Interruption.)
M. le président. - J'ai épuisé le droit que me donne le règlement : si le rappel à l'ordre ne suffît pas, si on persiste à méconnaître mon autorité, je demanderai à la chambre d'autres mesures contre ceux qui portent atteinte à sa dignité en bravant l'autorité du président. (Mouvement dans la chambre et approbation dans les tribunes )
Les tribunes n'ont pas le droit de se mêler à nos discussions. Si des manifestations se renouvellent, je les ferai évacuer.
Si mon autorité continuait à être méconnue, je lèverais momentanément la séance.
La parole est continuée à M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je tenais à venger dans cette enceinte, à cette occasion, le gouvernement et la majorité des reproches que certaine presse du pays et de l'étranger n'ont cessé de leur prodiguer en les représentant comme dominés dans leur conduite politique par les principes et les hommes du socialisme. On m'en a fourni l'occasion en parlant de prétendues alliances que nous aurions faites avec ce qui peut se révéler de ce parti dans le pays. Il m'a suffi de rappeler un fait tout récent, connu de tous, avoué par tous, pour renvoyer le reproche à nos adversaires, pour ne pas leur laisser cette arme offensive vis-à-vis de l'opinion libérale.
On nous dit que nous avons été vaincus malgré nos auxiliaires, nous répondons que nous avons été vainqueurs de vous et de vos auxiliaires.
On a recours encore à un autre procédé ; l'on se pose comme les hommes de la modération et de la conciliation. Rien, dit-on, ne serait plus facile que de conduire les affaires du pays s'il y avait dans le ministère des hommes plus conciliants, plus modérés, moins intraitables.
On va même jusqu'à insinuer que s'il y avait dans le ministère un homme, un seul homme qui ne fût pas aussi intraitable, aussi opiniâtre, une réconciliation générale s'opérerait, il y aurait entente cordiale sur tous les bancs des deux chambres.
Nous sommes grands amis de la paix, de la conciliation. Nous croyons qu'en tout temps et surtout dans les circonstances actuelles, eu vue des éventualités qu'on peut prévoir il serait grandement utile que la paix régnât dans le pays, au moins que les partis ne se livrassent qu'à des luttes modérées, honnêtes.
Je me demande tous les jours ce qu'a de violent la politique du cabinet, en quelle circonstance il a fait preuve de cette ténacité intraitable qu'on lui reproche.
Prenons, par exemple, la dernière loi qui est devenue la base d'un conflit si regrettable et si considérable entre les deux chambres. Prenons cette loi : on en fait un grief à mon honorable ami M. le ministre des finances, l'homme intraitable du cabinet ; mais la loi n'est pas son œuvre ; elle a été déposée par notre honorable ami M. Veydt, qui, je pense, en revendique l'honneur.
M. Veydt. - Mon opinion est toujours restée la même.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je l'avais indiqué, il y a 7 ou 8 ans, comme base d'un nouvel impôt ; je l'avais fait avec d'autres honorables représentants, dont je ne veux pas citer les noms pour épargner de nouveaux discours à la chambre.
Cette loi ne rencontra pas d'abord l'adhésion de la chambre. On y trouva, comme dans tous les pays du monde, certaine répugnance à voter de nouveaux impôts. La chambre ne montra pas une grande sympathie pour l'impôt de successions, pas plus que pour d'autres. Que fit le cabinet ? Exigea-t-il de la majorité le vote de la loi ? Non, on lui a reproché, au contraire, un manque de fermeté, si j'ai bonne mémoire : il consentit à suspendre la loi ; c'était à cette époque de l'humilité de la part du ministère.
Un an, deux ans se passent, les besoins financiers se font de plus en plus sentir ; des travaux publics longtemps suspendus devaient être décrétés ; on les réclamait de toutes parts ; ils étaient impossibles tant que la situation finaniière n'aurait pas été améliorée ; le gouvernement sentit la nécessité de chercher de nouveaux impôts ; il en proposa quelques-uns, et il représenta la loi sur les successions, mais la représenta-t-il telle que d'abord elle avait été présentée ?
Non, il en retrancha précisément les dispositions qui ont fait depuis l'objet de tant de reproches et de récriminations, il en retrancha le droit sur la ligne directe.
Le serment lui avait été indiqué comme un système meilleur, plus acceptable ; il proposa le serment ; le serment est rejeté par cette majorité servile. Que fait le gouvernement, ce gouvernement opiniâtre, intraitable, il cède la place à d'autres, il se retire ; il laisse le champ libre ; des combinaisons ne peuvent aboutir. Les hommes considérables, appelés à remplacer l'administration qui se retire, se déclarent impuissants à le faire, ou au moins ne veulent pas le faire. Que fait le ministère ? Il se voit forcé de reprendre la direction des affaires ; le serment ayant été rejeté par la chambre, nous ne le représentons pas, et ce qui se passe alors nous remet en mémoire la fable du Meunier.
Le gouvernement dit à la majorité : Vous n'avez pas voulu le serment ; prenez la ligne directe, et cette majorité, pénétrée de la nécessité d'améliorer la situation financière, voulant mettre un terme à la crise financière et politique et assurer la prospérité du pays, vote, non sans modifications cependant, la loi relative aux droits de succession.
Devant le sénat, quelle conduite tenons-nous ? Est-ce la conduite d'hommes opiniâtres, intraitables, ne se rendant à aucune raison ? Nous avions une loi votée par la chambre à une immense majorité ; nous étions en droit, en quelque sorte, d'imposer au sénat, non notre volonté à nous, mais la volonté de la chambre des représentants.
M. Dechamps. - Imposer, jamais !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quand je parle d'imposer, je parle d'une influence morale, vous le savez bien.
Il s'agissait du vote d'un impôt : la Constitution donne à la chambre des représentants l'initiative en matière d'impôt, ce qui veut bien dire qu'elle a une influence prépondérante quant aux impôts. Eh bien, devant le sénat, nous consentons à de nombreuses modifications, nous nous rallions à divers amendements, et nous admettons même que cette loi votée par la chambre des représentants n'aura qu'une durée temporaire.
Voilà l'histoire de cette malheureuse crise que nous traversons, et qui n'est peut-être pas près d'arriver à sa fin.
Je demande si, dans cette occasion, nous nous sommes posés comme des hommes à esprit intraitable, avec lesquels aucun arrangement n'est possible.
Je cite une loi d'intérêt matériel ; je pourrais ciler des lois d'intérêt moral, les lois sur l'enseignement supérieur et sur l'enseignement moyen. Dans la discussion de ces lois, nous n'avons cessé de nous montrer animés de l'esprit le plus conciliant.
A toutes ces dispositions conciliantes que nous n'avons cessé de montrer, soit dans la discussion soit dans l'exécution des lois, comment a-t-on répondu ? Quel concours avons-nous reçu de vous et de vos amis ?
Chaque pas que nous faisions n'était-il pas arrêté ? Chaque parole que nous prononcions n'était-elle pas défigurée, mal interprétée ? Au lieu de trouver ce loyal concours que le gouvernement était en droit d'attendre, il n'a trouvé que répugnance, opposition ; et cette opposition nous ne savons quel terme nous pouvons y assigner. De quel côté a été l'esprit de modération et de conciliation ? Et lorsque l'opposition vient, en se proposant pour modèle, faire entendre ces mots, ne sommes-nous pas en droit de lui demander de mettre sa conduite en harmonie avec ses conseils, ou de ne point s'attribuer un rôle qu'elle ne veut pas jouer ?
Gardez dans l'opposition la violence que vous n'avez cessé de montrer ; continuez de nous combattre par les mêmes armes ; mais ne venez pas nous parler de conciliation, ne venez pas nous recommander la modération. L'exemple que vous donnez ne vaut rien. Avant de nous corriger, il faudrait commencer par vous amender vous-mêmes.
Quant à nous, messieurs, nous n'entendons rien abdiquer de notre passé. Nous continuerons à marcher dans la voie de fermeté et de modération que nous avons suivie depuis quatre années, et nous espérons que la majorité des chambres, comme la majorité du pays, ne nous abandonnera pas.
M. le président. - La parole est à M. Malou.
M. Dumortier. - J'ai demandé la parole sur le rappel à l'ordre.
M. le président. - Réclamez-vous contre le rappel à l'ordre ?
M. Dumortier. - Je demande à dire un seul mot. Je veux bien réclamer, si vous le désirez,
M. le président. - La parole est à M. Dumortier, et ce sur le rappel à l'ordre. Mais alors il s'ensuivra une décision de la chambre.
M. Dumortier. - Cela m'est égal, mais je veux expliquer les faits.
Messieurs, je commence par dire comment les faits se sont passés. L'honorable ministre de l'intérieur nous accusait, accusait l'opinion à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir d'alliance...
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est vous qui avez commencé.
M. Dumortier. - Je n'ai pas parlé d'alliance semblable.
(page 38) M. le ministre de l'intérieur nous accusait d'alliance avec un parti qu'il regarde comme contraire à la nationalité, à la Constitution.
En partant de cette thèse, M. le ministre de l'intérieur nous lançait les attaques les plus violentes.
Comme il est à ma connaissance qu'il est possible que dans une ville une alliance semblable ait eu lieu, mais que, d'un autre côté, dans d'autres villes des alliances de personnes qui appartiennent au parti ministériel avec ce même parti, ont eu lieu, je me suis permis de dire : Vous oubliez ce qui s'est passé ailleurs, ce qui s'est passé à Tournay, et m'a-t-on dit, à Louvain. M. le ministre me répond. Voici ce qui s'est passé à Tournay : il y avait un sénateur honorable (je suis le premier à le déclarer). On l'a remplacé par un autre. Mais ce n'était pas là la question. La question était celle de l'alliance, et j'interrompis une seconde fois M. le ministre pour le lui faire remarquer. C'est alors que j'ai été rappelé à l'ordre.
Hier l'honorable M. Delfosse me rappelait avec un malin plaisir que j'avais été rappelé deux fois à l'ordre. Aujourd'hui j'ai eu l'honneur de l'être trois fois. C'est un progrès.
M. le président. - Vous rappeler une quatrième fois à l'ordre serait inutile ; mais, puisqu'il y a réclamation, la chambre va décider.
M. Dumortier. - Je ferai seulement remarquer une chose, c'est que, dans la séance du 14 août 1851, l'honorable M. Delfosse ayant interrompu l'honorable M. de Mérode qui parlait, et M. le président lui ayant fait remarquer qu'il ne devait pas interrompre l'orateur, M. Delfosse a dit : « II est admis qu'on peut toujours rectifier un fait, » et cela est resté pour bien dit. On n'a pas rappelé l'honorable M. Delfosse à l'ordre.
Moi, on m'a rappelé à l'ordre lorsque je faisais la rectification d'un fait.
M. le président. - Voici ce qui s'est passé. M. Dumortier ayant interrompu et, malgré mes avertissements, ayant continué à interrompre, je l'ai rappelé une première fois à l'ordre. Il a continué à parler ; je l'ai rappelé une seconde fois, une troisième fois à l'ordre. Là s'arrêtaient mes pouvoirs.
L'honorable M. Dumortier réclame, je vais consulter la chambre pour savoir si elle maintient le rappel à l'ordre.
M. Malou. - Je demande à dire quelques mots avant que la chambre soit consultée.
Si l'honorable M. Dumortier avait seul interrompu et avait persisté à interrompre, je comprendrais que M. le président consultât la chambre. Mais rendons-nous compte des circonstances. Si tous ceux qui interrompaient étaient rappelés à l'ordre, je crois qu'il y aurait bien peu de membres dans cette chambre qui ne l'auraient pas été.
J'ai été moi-même tout à l'heure interrompu, je ne veux pas savoir par qui, et bien des fois ; cependant je n'ai pas demandé une pénalité parlementaire.
Messieurs, on doit, ce me semble, avoir quelque indulgence pour les vivacités qu'amène un débat comme celui que M. le ministre de l'intérieur a soulevé.
Je le dis avec intention. Car le caractère du discours que j'avais prononcé, n'exigeait nullement, j'espère le démontrer tout à l'heure, la réponse qui m'a été faite.
Je dis qu'en cas pareil, lorsque d'ailleurs le rappel à l'ordre ne serait motivé sur aucune expression blessante pour qui que ce soit, je dois le faire remarquer....
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous insultez constamment la majorité. (Interruption.)
M. le président. - M. le ministre, n'interrompez pas.
L'avertissement est donné. S'il s'ensuivait une nouvelle interruption je devrais sévir contre MM. les ministres comme contre les autres membres de la chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je m'y soumettrais.
M. Malou. -Je dis, M. le président (je m'adresse à vous pour ne pas avoir de nouvelles interruptions), que dans les circonstances ou les faits se sont passés, il y a lieu, selon moi, de continuer purement et simplement la discussion.
M. le président. - Je demande à M. Dumortier s'il réclame contre le rappel à l'ordre.
M. Dumortier. - Je ne réclame rien ; j'ai expliqué ce qui s'était passé dans une autre circonstance. Au surplus, si la chambre désire consacrer mon rappel à l'ordre, j'en demanderai un à mon tour : ce sera celui de M. le ministre de l'intérieur.
M. le président. - Il n'y a donc pas de réclamation (Non ! non !) L'avertissement a été donné une fois pour toutes ; je ne puis, dans l'intérêt de la dignité de la chambre, permettre ces interruptions.
Le précédent qu'on a cité n'en est pas un pour moi. S'il y a eu interruption, et si l'interruption n'a pas été renouvelée après l'avertissement donné par le président, je conçois qu'il n'y ait pas eu rappel à l'ordre. Mais si l'avertissement étant donné et même répété, celui qui interrompt ne veut pas garder le silence, il faut un moyen pour conserver à la chambre sa dignité. Je ne faillirai pas à mon devoir, et si, à l'avenir, le rappel à l'ordre ne suffit pas, on prendra des mesures pour qu'il soit inscrit au procès-verbal.
La parole est à M. Malou.
M. Malou. - Les observations que j'ai présentées à la chambre pour motiver mon vote avaient un caractère qu'aucun de vous n'a pu méconnaître.
Je tenais à mettre en lumière, quelle est, selon moi, la véritable théorie des pouvoirs constitutionnels. Ce n'était pas une question de théorie seulement ; l'application en a été faite, et elle doit en être faite prochainement encore.
Je tenais à faire ressortir, par quelques considérations puisées dans des faits récents, qu'il est toujours dangereux, toujours mauvais de discuter ainsi les bases des pouvoirs publics. Je me suis livré à cet égard à certaines appréciations qui sont évidemment dans le droit de la minorité.
Je suis convaincu, messieurs, que si j'avais pris un ton inconvenant, ce que M. le ministre de l'intérieur vient de me reprocher dans un ton dont vous pouvez être juges, ou si j'avais adressé des outrages à l'assemblée, l'honorable président ne m'eût pas permis de continuer. Si des paroles outrageantes m'étaient échappées et si l'honorable président m'avait fait la moindre observation, je me serais arrêté à l'instant. J'ai cité des faits et je les maintiens tous.
J'ai dit que le ministère, en prononçant seulement la dissolution du sénat, avait amoindri momentanément l'importance de la chambre, et je maintiens ce fait.
J'ai dit que le ministère avait encore amoindri momentanément l'importance de la chambre en la forçant, en l'amenant, si l'on veut, à transiger sur le droit de succession en ligne directe, lorsque toutes les opinions s'étaient prononcées et lorsque, pour sauvegarder l'importance de la chambre, il aurait fallu trouver un autre terrain pour transiger. C'est un deuxième fait que je maintiens.
On dit que la majorité est fort tolérante lorsqu'elle laisse faire de pareilles appréciations. Mais si l'on n'a pas le droit d'apprécier les principes du gouvernement dans ce qu'ils ont de plus pratique, de plus réel, est-ce que la liberté de la tribune existe eucore ?
Je me rappelle une autre époque, où l'on n'attaquait pas seulement les actes de la majorité, mais ses intentions, où l'on disait, par exemple, qu'elle aspirait à ressusciter tout l'ancien régime, qu'elle voulait commencer par la dîme et la mainmorte pour arriver à l'inquisition, où l'on contestait son indépendance parce qu'elle renfermait quelques fonctionnaires dans son sein ; la majorité était tolérante alors ; elle était au-dessus de ces accusations ; et vous ne nous permettriez pas d'énumérer des faits qui sont vrais, que vous devez accepter, que vous ne sauriez nier !
Je ne veux pas retrancher un mot, messieurs, de l'éloge que le ministère a fait de lui-même et de sa politique ; je ne veux pas discuter la question, si longuement agitée par M. le ministre de l'intérieur, de savoir s'il a apporté, s'il est disposé à apporter encore beaucoup d'esprit de conciliation dans sa politique ; les preuves qu'il en a données sont fort contestables, la manière dont il les a déduites ne me paraît pas heureuse ; je voudrais que l'esprit de conciliation prît d'autres formes, si tant est que nous pussions y arriver.
Je n'avais pas donné au débat ce caractère violent que certaines expressions du discours de l'honorable ministre pourraient y donner, si je lui répondais de la même manière, ce que je ne veux pas taire. La situation est assez difficile, je le reconnais ; je ne veux pas la rendre plus difficile encore, et, puisqu'on m'en donne l'occasion, puisqu'on a parlé des certains calculs, de certaines ambitions, de ceux qui cherchent les conflits et voudraient les perpétuer, je répondrai par une profession de foi extrêmement simple : mon opinion, quant à l'existence du ministère, est celle-ci : Qu'il vive, s'il le peut ; qu'il meure, s'il le veut ; je ne l'aiderai pas à vivre, et je ne contribuerai pas à le faire mourir.Voilà, en peu de mots, mon opinion sur la situation politique du cabinet.
Je dois rétablir encore ma pensée sur un autre point. Le ministère nous disait : Voyez combien est prodigieuse la force dont je dispose : j'ai prononcé la dissolution sur une question d'impôt ; j'ai dit au pays ; Voulez-vous ou ne voulez-vous pas le droit de succession en ligne directe ? J'ai fait remarquer à la chambre, et c'est encore un fait, que la question n'était pas aussi simple, que l'honorable ministre a présenté en même temps au pays la perspective de 120 millions de travaux publics. C'était, pour me servir d'une expression vulgaire, chercher à dorer un peu la pilule.
Mais il y a quelque chose de plus : je lui ai reproché ses auxiliaires. Qu'ai-je dit ? Que, par la fatalité de sa position, par la manière dont il avait posé la question au pays, le ministère avait eu malheureusement pour auxiliaires de mauvaises passions. C'est encore là un fait.
Une des armes dont je ne dis pas que vous avez fait usage, mais dont votre position a amené certaines classes de la société à faire usage, c'est le sentiment détestable qui repose sur l'envie, sur la distinction des classes, sur la haine contre ceux qui possèdent. Eh bien, vous ne pouvez pas nier que ce fait existe.
Je ne dis pas que vous avez choisi ces auxiliaires, mais c'est le fait que vous avez posé qui vous les a donnés, et ce n'est jamais impunément qu'un gouvernement se met dans une position où, malheureusement pour lui, il a de tels auxiliaires.
Voilà ce que j'ai dit, voilà ce que je maintiens sans accuser les intentions de personne.
Je maintiens encore un fait et j'interprète des expressions que l'honorable ministre a mal jugées.
J'ai dit que si le ministère avait cherché une solution nationale et non une solution ministérielle, il aurait dissous les deux chambres à la fois ;et, en (page 39) effet, une chose évidente, c’est que si les deux chambres avaient été dissoutes en même temps, nous ne discuterions pas aujourd'hui sur le point de savoir quelle est la véritable pensée du pays. Vous en seriez l'émanation nouvelle sur une question spéciale expliquée au pays, comprise par le pays. On ne se demanderait pas si les électeurs qui nous ont nommés, les uns en 1848, les autres en 1850, savaient ce qu'ils faisaient en ce qui concerne le conflit que la législature est appelée à décider aujourd'hui. Le mal est là, c'est ce qui m'a fait dire que la solution n'est que ministérielle, qu'elle n'est pas nationale.
J'ai tenu à rétablir en quelques mots la portée des observations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre. Je le répète encore, je ne veux pas donner à ce débat de grandes proportions, et pourquoi de grandes proportions après ce que je viens de dire, en présence des faits dont l’évidence nous apparaît à tous ? Est-ce ici, après tout, que de grands débats politiques peuvent avoir une issue ? Est-ce que la solution du conflit n’est pas ailleurs ? Ce que je vous ai dit n’est-il pas vrai ? N’est-ce pas là la situation comme elle est, comme vous l’avez faite.
M. de Theux. - Je renonce à la parole.
M. le président. - La parole est à M. Devaux.
M. de Theux. - Après le discours de l'honorable M. Malou, je croyais devoir renoncer à la parole, mais puisque l'honorable député de Bruges désire continuer le débat, je prends mon tour. L'honorable membre a cru que, dans la discussion générale de cette adresse, j'aurais voulu amoindrir l'importance politique de la chambre. Loin de nous, messieurs, une semblable pensée. J'ai eu l'honneur d'appartenir à cette chambre depuis sa formation, et certainement je suis aussi dévoué à ses prérogatives, à son importance politique que peut l'être l'honorable député de Bruges. Mais qu'avais-je dit dans la discussion générale ?
J'avais contesté à cette chambre le droit de censurer le vote du sénat, et cela, messieurs, je le maintiens. Il ne s'agit pas ici de discuter quelles sont, dans telle ou telle circonstance, les prérogatives de l'une ou de l'autre chambre ; la Constitution les a établies d'une manière si claire qu'elle ne prête à aucune ambiguïté. En matière de finances l'initiative appartient à cette chambre ; le sénat ne peut point la revendiquer, cela est très juste ; mais le projet de loi voté par la chambre, doit passer par l'examen, par le vote du sénat, et lorsque le sénat examine librement le projet que nous lui envoyons, lorsqu'il le rejette en pleine liberté, le sénat use de son droit, et nous n'avons pas le droit constitutionnel de blâmer l'usage qu'il en a fait.
Quoi ! le Congrès national, dans la Constitution, a déféré au sénat le droit d'examen et de vote sur les lois de finances que nous lui transmettons, et lorsqu'il aurait usé de ce droit, nous aurions celui de le critiquer.
Non, messieurs, cette prérogative ne nous appartient pas, comme il n'appartient pas non plus à l'autre chambre, comme corps, de blâmer officiellement un vote émis par la chambre des représentants.
Il est une remarque, messieurs, qui ne vous aura pas échappé à propos du discours de M. le ministre de l'intérieur, c'est que l'opposition, quelque modérée qu'elle soit, l'irrite facilement.
L'honorable ministre a oublié l'époque où il siégeait dans l'opposition, où lui et ses amis politiques attaquaient avec énergie le pouvoir, la majorité. Nous nous rappelons que les attaques ont été, dans certaines circonstances, poussées si loin qu'un des anciens amis de M. le ministre de l'intérieur, l'honorable M. Nothomb a dû déclarer ici qu'elles avaient pris un caractère d'acrimonie et d'indécence, qui ne seraient tolérés dans aucune société publique ou privée. Voila ce dont nous avons gardé le souvenir.
Et aujourd'hui, lorsque, dans des discours modérés, laissant de côté tout ce qui pouvait inutilement aigrir, on attaque la politique du cabinet, les opinions et les décisions de sa majorité, on nous accuse d'insulter nos adversaires !
« La minorité, dit M. le ministre de l'intérieur, n'est pas indépendante. »
Non, messieurs, elle n'est pas indépendante, si l'on pense que la minorité voudrait se soustraire aux principes, à l'esprit de la Constitution, aux traditions du Congrès national ; non, messieurs, en ce sens elle n'est pas indépendante, et nous ne réclamerons jamais une indépendance de ce genre.
Mais, messieurs, du temps de l'ancienne majorité, dans le sein de cette majorité, l'on n'a jamais invoqué une autorité qu'on plaçât, pour ainsi dire, à côté de l'autorité du Congrès national ; or, nous entendons très souvent ici réclamer l'autorité du congrès libéral ; les résolutions qu'il a prises, on les indique comme lois à la majorité.
Nous avons entendu récemment encore un membre adresser au cabinet lui-même, en quelque sorte, le reproche de n'avoir pas, à l'heure qu'il est, exécuté complètement les décisions du congrès libéral. Voilà, messieurs, des discours qui n'ont jamais été tenus dans le sein de l'ancienne majorité.
Sans doute, on est libre de se rallier à l'opinion du congrès libéral, à l'opinion des associations libérales ; mais je ne pense pas qu'il soit convenable, dans le sein de la représentation nationale, d'invoquer, comme autorité, les décisions d'une réunion d'hommes, qui n'ont aucune espèce d'autorité politique à exercer.
« Le pays a fait justice de l'ancienne majorité » dit M. le ministre de l'intérieur, et de là applaudissements sur les bancs de la majorité et peut-être ailleurs.
Messieurs, nous nous faisons honneur d'avoir constamment appartenu à l'ancienne majorité ; jamais nous ne la renierons, jamais nous ne ma laisserons attaquer, insulter, sans répondre aux attaques injustes dirigées contre elle.
Le pays a condamné cette majorité. Mais, messieurs, n'est-ce pis l'histoire parlementaire de tous les pays ? Ne voit-on pas fréquemment une majorité, après avoir gouverné un pays pendant une durée plus ou moins longue, être remplacée par une autre majorité ?
Votre majorité, M. le ministre de l'intérieur, sera-t-elle donc immuable et indélébile ; mais non, à moins que vous ne supprimiez le libre examen dans les corps électoraux. Votre règne dure depuis quatre ou cinq ans ; nous verrons s'il en durera dix-sept !
« Dans les rangs de l'ancienne majorité, dit M. le ministre de l'intérieur, il y avait des fonctionnaires publics ; et vous, membres de la minorité actuelle, ajoute-t-il, vous avez non seulement admis les incompatibilités proposées par le gouvernement,vous les avez même étendues. »
Oui, messieurs, il y avait dans l'ancienne majorité des fonctionnaires publics ; mais que M. le ministre de l'intérieur se rappelle que lui et beaucoup de ses honorables amis ont siégé dans les rangs de cette ancienne majorité, quoique fonctionnaires publics, et nous ne croyons pas qu'il soit dans son intention de flétrir de ce chef l'ancienne majorité a laquelle lui-même a appartenu en cette double qualité.
Mais quel est le motif de notre vote, quant à l'extension donnée à la loi sur les incompatibilités, telle qu'elle était proposée par le gouvernement ? C'est que, dans le cours de la même session, nous avions demandé au ministère de déclarer solennellement dans cette chambre, comme leurs prédécesseurs l'avaient déclaré à plusieurs reprises, si le vote des fonctionnaires publics restait libre, si jamais ils ne seraient recherchés ni directement ni indirectement parle gouvernement, à l'occasion de leurs votes ; et à cette question, adressée à plusieurs reprises au cabinet, il n'y a jamais eu de réponse.
Dès lors en présence d'un projet sur les incompatibilités, qui atteignait d'une manière exceptionnelle certaines catégories de fonctionnaires qui semblaient plus particulièrement appartenir à la nouvelle minorité, nous avons dù, par principe de justice, élargir le cercle des incompatibilités ; et les propositions que mes honorables amis ont faites à cet égard ont été trouvées tellement justes que les membres de la majorité ont voté avec la minorité cette extension donnée à la loi sur les incompatibilités.
De quel droit M. le ministre de l'intérieur viendrait-il faire un reproche à la minorité du vote qu'elle a émis dans cette circonstance ? Je ne pousserai pas plus loin la réplique à M. le ministre de l'intérieur ; mon honorable ami, M. Malou, avait accompli la plus grande partie de cette tâche ; mais nous tenions à vous communiquer les réflexions que les discours de M. le ministre nous avait suggérées.
M. Devaux. - Dans une séance précédente, j'avais dit quelques mots sur l'importance respective des deux chambres, du sénat et de la chambre des représentants. Je ne demandais pas mieux que de me borner à ces courtes observations, mais je m'étais réservé de rentrer dans la discussion de cette question si quelques membres désiraient la trailer.
Aujourd'hui, cette discussion a été reprise. Ce n'est plus à M. de Theux que j'aurai une réponse à faire.
Déjà avant-hier, au sortir de la séance, il m'avait fait l'honneur de me dire que je l'avais mal compris, qu'il n'avait pas énoncé l'opinion qu'il y eût une parfaite égalité entre les deux chambres .Aujourd'hui tout ce qu'il a soutenu c'est que le sénat a, de même que la chambre des représentants, le droit de repousser les lois qui lui sont présentées et qu'il n'est pas convenable de blâmer, dans cette enceinte, le vote du sénat.
Je suis complètement de l'avis de M. de Theux sur ces deux points.
Mais M. Malou ne s'est pas borné là ; il a repris la thèse que j'avais cru entendre avant-hier dans la bouche de M. de Theux et il l'a amplifiée.
D'après M. Malou, non seulement le sénat et la chambre des représentants sont sur la même ligne quant à l'importance politique ; mais quelquefois et dans la circonstance actuelle, l'importance supérieure, la prépondérance politique appartient au sénat.
Puisqu'on y est revenu, je me permettrai d'ajouter quelques mots sur le parallèle entre les deux chambres, sans vouloir traiter ici la question tout entière.
Messieurs, ce n'est pas un ennemi du sénat qui vous parle ; j'étais au Congrès rapporteur de la section centrale pour cette partie de la Constitution ; j'ai donné, je pense, quelques preuves d'activité dans le cours des travaux du Congrès ; mais, dans aucune circonstance, je n'ai fait d'efforts plus multipliés, plus soutenus qu'en faveur de l'institution du sénat, qui était vivement contestée.
Et j'ose dire qu'aucun membre de cette assemblée n'en a fait plus que moi dans la quadruple discussion qui a eu lieu successivement dans les sections, dans la section centrale, dans le comité secret et en séance publique.
Ce que je pensais alors de l'utilité de celle institution, je le penser encore aujourd'hui.
Je crois que la monarchie constitutionnelle sans un sénat ou une institution analogue est impossible. Je ne suis point partisan du gouvernement républicain. Je le conçois cependant dans certains pays, dans certaines conditions. Si j'étais citoyen de l'Amérique du Nord, je n'y (page 40) désirerai probablement pas la monarchie ; mais dans tout pays sonmis au régime parlementaire, je regarde l'existence de deux chambres comme indispensable.
République ou monarchie, c'est à mes yeux un mauvais gouvernement que celui où un aussi grand pouvoir réside dans un seul corps, sans aucune garantie contre les entraînements, les erreurs et les passions d'une assemblée omnipotente.
Personne n'est donc plus convaincu que moi de l'utilité de l'institution du sénat. Cette utilité peut ne pas frapper toujours tous les yeux, parce qu'elle consiste bien plus encore à empêcher le mal qu'à faire le bien ; mais elle n'en est pas moins réelle ; aussi je souhaite bien sincèrement que cette institution conserve la force normale dont elle a besoin, mais c'est pour cette raison même que je désire qu'on n'exagère pas la force de son rôle ; on ne pourrait pas lui rendre de plus mauvais service.
L'honorable rapporteur, en faisant l'énumération des attributions du sénat et de la chambre des représentants, vous a montré dans le texte même de la Consitution la supériorité de pouvoirs de la chambre des représentants sur le sénat. Mais ce n'est pas là la seule différence entre les deux chambres. Il y en a une autre qui dérive de l'esprit de la Constitution et de l'essence même du gouvernement représentatif. Le parlement, outre les attributions précises que le texte de la Constitution lui donne, exerce sur le gouvernement une influence politique qui n'est écrite dans aucune loi, mais qui forme une partie considérable de son autorité. Or, quant à cette influence, en Belgique, comme ailleurs, le rôle des deux chambres est très différent, et par l'essence même du gouvernement représentatif, c'est à notre chambre que la supériorité d'influence appartient.
Quand notre chambre refuse sa confiance au ministère soit dans une adresse, soit par le rejet d'une loi à laquelle il a attaché son existence, le ministère tombe. Pourquoi ? Cela n'est prescrit par aucune disposition de la Constitution. Cela résulte de l'essence même du gouvernement représentatif qui veut qu'il y ait unité de vue et de sentiment politique entre le ministère et la chambre des représentants.
Mais le sénat a-t-il la même influence ? Ses votes ont-ils toutes les mêmes conséquences ? Non, parce que entre le gouvernement et le sénat choisi dans une seule classe de la société, il n'est pas indispensable qu'il existe une sympathie aussi grande, une communauté de vue aussi complète qu'entre le gouvernement et la chambre librement choisie dans toutes les classes de la nation, et ayant mission de représenter tous ses intérêts.
Aussi je pense que les questions de confiance ou de cabinet qui ne doivent pas être prodiguées chez nous doivent être bien plus rares encore au sénat, car elles donnent aux votes du sénat une portée qu'en règle générale ils ne doivent point avoir. Je sais que le sénat peut pousser les choses à l'extrême et qu'il a le pouvoir de rendre l'existence impossible au ministère, en rejetant toutes les lois et en refusant le budget ; mais autre chose est pour un corps modérateur d'en venir à cette extrémité, de prendre ce caractère passionné, autre chose est de se prononcer sur une loi ou un article de loi dont le rejet dans l'autre chambre entraîne la chute du cabinet si le cabinet y attache son existence.
Je crois donc avoir raison de dire, que l'influence politique des deux chambres n'est pas la même, que le gouvernement doit se trouver dans une bien plus grande communauté de vues avec la chambre des représentants qu'avec le sénat, ce qui veut dire en d'autres termes qu'en Belgique, comme sous le régime beaucoup plus aristocratique de l'Angleterre, la prépondérance politique appartient à la chambre populaire.
Il est trop clair que le sénat a été institué avec une autre destination que la chambre des représentants. La Constitution a voulu qu'il en fût ainsi. Si les deux corps devaient avoir la même influence, pourquoi l'un serait-il de moitié inférieur en nombre à l'autre ?
Il semble que quelques-uns voudraient voir dans le sénat une cour d'appel et dans la chambre des représentants un tribunal de première instance.
Si cela était, la Constitution, il faut l'avouer, aurait fait œuvre fort singulière en rendant les juges d'appel deux fois moins nombreux que ceux dont ils auraient à réformer les décisions.
Messieurs, j’ai cru utile de dire quelques mots sur cette importante question, parce qu’on y avait insisté et que d’ailleurs, il faut l’espérer, des questions de ce genre ne sont pas destinées à se représenter souvent dans nos discussions.
Les débats du Congrès confirment pleinement ce que j'ai eu l’honneur de vous dire. Dans cette longue discussion on ne trouve aucun orateur qui ait mis les deux chambres sur la même ligne. Chez tous, on voit clairement l'intention que la chambre des représentants soit la représentation principale du pays, et que l'autre chambre n'ait que le rôle en quelque sorte secondaire de modératrice ou de contre-poids de la première.
Messieurs, tout à l'heure j'ai entendu un honorable membre faire un reproche au ministère de n'avoir pas dissous les deux chambres. Ce serait une chose assez singulière qu'un ministère, ayant dans une chambre une majorité des deux tiers des voix, aurait renvoyé cette majorité. En vérité, les électeurs auraient pu demander au ministère ce quil avait fait de son bon sens.
Ce serait assurément la première fois que pareille dissolution aurait eu lieu dans un gouvernement représentatif,
On a fait à la majorité de la chambre des représentants des reproches plus ou moins détournés, plus ou moins directs, que nous avons très bien compris, mais qui, je vous l'avoue, ne nous ont pas émus, parce que la majorité de la chambre des représentants se sent fort au-dessus de tels outrages.
Je ne viens pas faire le procès à l'ancienne majorité, et pour le dire en passant, je ferai observer à l'honorable M. de Theux qu'il n'a pas toujours été de l'ancienne majorité, et qu'il y a eu une époque où il était de la minorité (c'était en 1840 et 1841).
Je ne ferai pas le procès à l’ancienne majorité, mais je dirai, et ce doit être l’opinion de tout le monde, qu’un des résultats incontestabes de la loi des incompatibilités, c’est d’avoir écarté de la majorité tout soupçon réel de dépendance.
On peut louer ou blâmer d'autres effets de la loi qui a établi les incompatibilités parlementaires, mais ce résultat-là est incontestable.
Jamais, non seulement en Belgique, mais, je puis le dire, dans aucun autre pays, il n'a existé de majorité parlementaire personnellement plus indépendante du ministère que celle de la chambre actuelle.
Dans cette majorité, composée de deux tiers des membres de la chambre, il ne se trouve pas un seul fonctionnaire à la nomination du gouvernement. Je me trompe, il y a parmi nous deux ou trois bourgmestres, c'est-à-dire deux ou trois fonctionnaires désignés au choix du gouvernement par les électeurs eux-mêmes. Quels seraient donc les liens de dépendance, quels seraient les liens autres que la persuasion et la communauté d'opinion qui uniraient cette majorité au ministère ? Je le répète, jamais il n'en exista dans aucune chambre dont l'indépendance fût plus évidente, et j'oserais dire que sous ce rapport il ne peut pas rester de doute dans l'esprit même de nos adversaires, s'ils sont sincères.
C'est précisément parce que les membres de la majorité ont le sentiment de cette indépendance si évidente que d'injurieuses insinuations les touchent peu et qu'ils croient pouvoir se dispenser d'y répondre.
M. F. de Mérode. - Selon l'honorable M. Devaux, quand on repousse une loi proposée par un ministère, le refus signifie qu'il perd la confiance de la majorité. Cela est parfaitement inexact, car plus d'un projet de loi proposé par le ministère actuel a été rejeté par sa majorité qui ne prétendait pas le renverser.
Si les propositions ministérielles avaient une portée tellement fatale, il en résulterait que la discussion deviendrait impossible, puisque ses résultats négatifs seraient suivis d'une perturbation continuelle du gouvernement.
En ce moment même les membres très notables du sénat ont affirmé qu'en n'acceptant point la loi sur les successions, ils ne se constituaient nullement en opposition systématique envers le ministère, qu'ils lui donneraient un concours ultérieur toutes les fois que ce concours leur paraîtrait juste et utile.
Chacun sait, par exemple, qu'en matière d'impôts nouveaux il est nécessaire de tenter divers essais et qu'il ne faut pas s'obstiner à marcher sur une seule voie.
Le ministère actuel, au contraire, a le tort singulier de vouloir mordicus faire adopter son idée et courber forcément devant elle ceux qui ne l'approuvent point.
M. Devaux. - Je demande la parole, ce n'est pas pour discuter, c'est seulement pour un mot de rectification.
L'honorable M. de Mérode ne m'a pas compris. Je n'ai pas dit que le ministère dût se retirer quand la chambre des représentants rejette un projet de loi quelconque, mais que la règle est qu'il se retire quand il a perdu la confiance de la chambre, que ce dissentiment se manifeste soit dans une adresse ou dans toute autre question de cabinet.
- L'amendement proposé par M. Dumortier au quatorzième paragraphe est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
Le quatorzième paragraphe est adopté dans les termes suivants :
« La chambre des représentants croit être l'interprète fidèle de la volonté nationale en promettant au gouvernement de Votre Majeté le loyal concours qu'il réclame pour remplir sa tâche ardue, et marcher d'un pas prudent et ferme dans une voie d'ordre, de liberté et de progrès, seule voie de conservation et de salut. »
« L'avenir peut nous réserver de graves difficultés, mais il n'en est pas, qu'avec l'aide de la Providence, ne surmonte une nation unie s'appuyant sur une dynastie populaire. La vôtre, Sire, quoique jeune encore, a jeté dans les cœurs, par le bien qu'elle a fait, des racines profondes et indestructibles. »
- Adopté.
La chambre décide qu'elle passera immédiatement au vote deunitit
Les amendements admis au premier vote sont définitivement adoptés.
Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble de l'adresse.
82 membres répondent à l'appel nominal.
57 membres votent l'adoption.
23 membres votent le rejet.
2 (MM. Ad. Roussel et Sinave) s'abstiennent.
En conséquence, l'adresse est adoptée.
Ont voté l'adoption : MM Ch. Rousselle, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, (page 41) Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Dautrebande, H. de Baillet, de Breyne, de Brouckere, de Brouwcr de Hogendorp, Delehaye, Delescluse, Delfosse, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, A. Dumon, Frère-Orban, Jouret, Julliot, Lange, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Orts, Osy, Peers, Pirmez, Previnaire, Reyntjens, Rogier, Rolin et Verhaegen.
Ont voté le rejet : MM. Thibaut, Vanden Branden de Reeth, Van Renynghe, Vermeire, Boulez, Coomans, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Man d'Attenrode, de Meester, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Theux, de T'Serclaes, Dumortier, Jacques, Landeloos, Malou, Moncheur, Orban et Rodenbach.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Roussel. - Messieurs, quoique partisan sincère du droit de succession en ligne directe, je n'ai pu cependant donner mon assentiment à la loi sur les travaux publics. Comme le projet d'adresse fait porter l'approbation de la chambre sur l'ensemble de ces projets, je n'ai pu lui donner mon adhésion.
Je n'ai pas voulu non plus voter contre le projet d'adresse par esprit de modération et dans l'intérêt d'une conciliation que je crois fort désirable.
M. Sinave. - Je ne suis pas hostile à la rédaction de l'adresse, si j'en excepte cependant le paragraphe 11, où la chambre se prononce sur des faits qu'elle ne connaît pas.
Les traités avec la Hollande et avec l'Angleterre sont des faits accomplis ; cependant la chambre n'en a aucune connaissance, et néanmoins elle félicite le pays des résultats qui ont été obtenus.
Ces considérations m'ont déterminé à m'abstenir.
M. le président. - Avant de procéder au tirage au sort de la députation qui sera chargée de présenter l'adresse à Sa Majesté, je vous proposerai de fixer l'heure de la séance de demain.
Plusieurs sections centrales doivent se réunir.
M. Delehaye. - Demain se réuniront deux sections centrales composées en partie des mêmes membres. Si vous voulez qu'elles puissent travailler, il serait convenable de fixer la séance publique à trois heures. L'une des deux sections centrales pourrait ainsi se réunir à onze heures et l'autre à une heure. Je propose donc de fixer la séance publique à trois heures.
M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition, la séance publique aura lieu à 3 heures. La section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur les expropriations forcées se réunira à 11 heures et la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la détention préventive se réunira à 1 heure.
- Il est procédé au tirage au sort de la députation chargée de présenter l'adresse au Roi.
Le sort désigne MM.. Orban, Vermeire, de Theux, de Baillet (Hyacinthe), Dumortier, Cans, Lelièvre, Loos, Van Grootven, Le Hon et Orts.
- La séance est levée à quatre heures.