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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 janvier 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 501) M. Dubus. procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Furnes prie la chambre de rejeter la demande tendant à transférer à Dixmude le tribunal de première instance de Furnes. »

« Même demande des conseils communaux de Watou, Haringhe et Leysele.»

M. Clep. - Messieurs, ces quatre pétitions sont encore le contre-pétitionnement contre des réclamations adressées récemment à la chambre par des habitants de la ville et des environs de Dixmude, qui ont demandé le transfert audit Dixmude, du chef-lieu du tribunal de première instance de l'arrondissement judiciaire siégeant dans la -ville de Furnes.

Comme les premières pétitions, réclamant le transfert, ont été renvoyées à la commission des pétitions qui doit encore faire son rapport, je demande à la chambre qu'il lui plaise de renvoyer également à la même commission des pétitions les requêtes dont vous venez d'entendre l'analyse et qui, contrairement à celles de Dixmude, réclament pour le maintien audit Furnes du chef-lieu du tribunal de première instance de ce nom.

- Cette proposition est adoptée.


« Les sieurs Reding et Pahing, président et secrétaire de la société de médecine de la province de Luxembourg, demandent l'abolition de l'impôt-patente sur ceux qui exercent la profession médicale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dutillieux présente des observations contre le projet de loi sur la compétence en matière civile et commerciale. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


M. Dubus donne lecture de la lettre ci-après :

« Bruxelles, le 18 janvier 1849.

« M. le président,

« Il est arrivé à diverses reprises que des membres de la chambre ont manifesté le désir qu'il fût mis à la disposition de l'assemblée un état général des naturalisations accordées depuis 1830. J'ai cru devoir en conséquence faire dresser un répertoire général chronologique divisé en trois séries divisées comme suit :

« Naturalisations accordées de 1830 à 1835, c'est-à-dire jusqu'à la loi du 27 septembre de ladite année (37 noms) ;

« 2° Naturalisations accordées postérieurement à la loi de 1835 et jusqu'à la date de celle du 15 février 1844 (442 noms);

« 3° Naturalisations accordées depuis la loi de 1844 jusqu'au 31 décembre 1848 (435 noms).

« Le total général est de 914 noms, le nombre de déchéances s'étant élevé à 115.

« Il en résulte que celui des personnes naturalisées en fait jusqu'au 1er janvier courant est de 799 dont 98 ont acquitté le droit d'enregistrement établi par la loi du 15 février 1844.

« Je joins au répertoire général un résumé statistique de ces indications avec classement par années, professions et lieux d'origine.

« Veuillez, M. le président, mettre ces documents sous les yeux de la chambre et agréer l'hommage de ma haute considération.

« Le ministre de la justice,

« De Haussy. »

- Sur la proposition de M. Delfosse, appuyée par M. Rodenbach, la chambre décide qu'on fera connaître dans le Moniteur le nombre total des naturalisations accordées, avec l'indication des pays auxquels chaque catégorie des naturalisés appartient.

A cette fin, le tableau est renvoyé à la commission des naturalisations qui en fera l'examen ; après quoi il sera déposé au bureau des renseignements.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Delehaye. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau quatre rapports sur des demandes en grande naturalisation. A cette occasion, je suis heureux de pouvoir dire à la chambre que presque toutes les demandes de ce genre qui lui ont été adressées, sont actuellement vidées.

Trois des pétitions sur lesquelles je viens déposer le rapport de la commission des naturalisations, sont basées sur des considérations puisées dans l'article 2 de la loi du 27 septembre 1855. La quatrième pétition a été adressée, selon nous, indûment à la chambre, attendu que le pétitionnaire jouit de la qualité de Belge.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

M. Moreau. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau des rapports sur quatre demandes en naturalisation, dont une de grande naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi modifiant la loi générale sur les pensions civiles et ecclésiastiques

Discussion des articles

Article 5

La discussion continue sur l'article 5. La parole est à M. Troye, rapporteur.

M. Troye. - Messieurs, la section centrale a été appelée, et par les vœux émis par toutes les sections et par la liaison intime qui existe entre les deux lois, à s'occuper de la loi sur les pensions des ministres, à propos des modifications proposées par le gouvernement à la loi générale sur les pensions civiles et ecclésiastiques. Elle a été unanime à demander l'abrogation de cette loi spéciale. Mais ce vote n'a pas eu la même signification dans l'esprit de tous ses membres. Pour la majorité, il était absolu, il portait sur le principe même de la loi ; pour la minorité, il demandait à être interprété; il condamnait le mode d'application, mais non le principe; il provoquait l'annulation des dispositions de la loi du 21 juillet 1844, mais il ne devait pas s'opposer à l'adoption de dispositions nouvelles destinées à remplacer celles dont on demandait l'abrogation.

J'ai fait partie, sur ce point, de la minorité de la section centrale. Conséquent avec l'opinion que j'ai suivie en 1841 et en 1844, je crois encore qu'il y a lieu de régler les pensions des ministres d'après des dispositions spéciales. Voilà pourquoi je crois devoir déclarer qu'en ce moment je prends la parole bien plus en mon nom personnel qu'au nom de la section, centrale. Honoré de son choix pour vous faire connaître le résultat de ses délibérations, j'ai consigné dans le rapport que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, les résolutions qu'elle a adoptées. Membre de la minorité, je demande la permission de développer les motifs qui m'empêchent d’accorder, à celle de ces résolutions qui est relative à l'abrogation de la loi sur les pensions des ministres, la signification que la majorité lui donne.

Je n'ai pas à insister sur la nécessité de cette abrogation; l'opinion publique s'est prononcée contre les dispositions de la loi spéciale de 1844 avec une énergie telle qu'il n'est pas possible de fermer les yeux sur les vices de cette loi. Admettre qu'après deux années seulement passées au pouvoir, les ministres pourront jouir d'une pension, c'est rendre les droits à une rémunération nationale par trop faciles. La chambre de 1844 a pu penser le contraire, et il ne faut pas lui en faire un reproche, l'expérience n'avait pas démontré l'abus que l'on pouvait faire d'une loi bonne en principe. Aujourd'hui cette expérience est faite. On a pu se convaincre, ce à quoi on n'avait peut-être pas assez réfléchi en 1844, qu'un ministre pouvait passer deux années aux affaires, sans que le pays eût été appelé, pendant ce laps de temps, à se prononcer dans des élections générales sur l'administration dont il faisait partie. Or, le baptême des élections générales, la consécration du cabinet par le pays paraît devoir être une des conditions essentielles pour que les membres de ce cabinet aient acquis des droits à une rémunération nationale.

La loi de 1844 rendait possibles les droits à la pension pour un ministre qui aurait été nommé immédiatement après les élections générales, et qui tomberait à la suite des élections suivantes; cette loi renferme par cela seul un vice qu'il importe de détruire.

Mais ce n'est pas la nécessité de son abrogation que je me suis proposé de vous démontrer en prenant la parole; d'autres orateurs l'ont fait ressortir avant moi et, d'accord avec eux sur ce point, je viens essayer de réfuter au contraire ce qu'il y a de trop absolu dans leur opinion. Ils veulent l'abrogation absolue ; je ne demande moi que la substitution de dispositions nouvelles à celles de la loi spéciale de 1844.

Je me base, messieurs, pour soutenir qu'une pension spéciale est due aux chefs des départements ministériels, sur le principe même de la loi générale sur les pensions. Quel est ce principe ? C'est que le traitement annuel ne constitue pas la seule rémunération due par l'Etat aux fonctionnaires et employés qui se consacrent à son service. Indépendamment de ce traitement, ces employés peuvent obtenir, après un terme déterminé, une pension de retraite.

Eh bien , messieurs, comprenez-vous que ce que l'on concède au plus modeste employé, à un expéditionnaire, à un douanier, à un coke-fournier, on le refuse à des hommes qui ont occupé les plus hautes fonctions de l'État, qui ont dirigé les affaires du pays?

Ce serait à ceux qui doivent supporter la plus lourde charge, la plus grande responsabilité , ce serait k ces hommes seuls que l'on contesterait des droits à une rémunération nationale, lorsqu'ils ont honorablement accompli leur tâche ! Non, messieurs, non, la chambre ne peut vouloir cela, car ce serait contraire à toute équité.

(page 502) Je sais bien qu'ici je rencontre une première objection produite par la quatrième section. Non, disent mes honorables contradicteurs, nous ne refusons pas aux ministres ce que nous accordons aux autres fonctionnaires de l'Etat; nous les plaçons dans le droit commun. Qu'ils remplissent les conditions imposées à tous les fonctionnaires, et comme ceux-ci ils auront droit à la pension.

Messieurs, cette objection ressemble beaucoup à une fin de non-recevoir.

Vous placez, dites-vous, les ministres dans le droit commun. Est-ce donc à dire qu'il faudra 30 ans de services ministériels pour avoir droit à la pension? Ce serait une hypothèse tellement inadmissible qu'il n'y a pas à s'y arrêter.

Mais, dira-t-on, personne n'a prétendu cela : en plaçant les ministres dans le droit commun on entend que les années ministérielles viendront s'adjoindre à celles passées dans d'autres fonctions publiques, soit avant l'entrée au ministère, soit après la sortie.

Avant l'entrée au ministère? Mais, messieurs, tous les chefs des départements ministériels doivent-ils donc avoir rempli d'autres fonctions publiques avant qu'un ministère leur soit confié ? Il suffit de jeter les yeux sur les bancs ou siègent les ministres, dans cette enceinte, pour se convaincre que cette condition n'est rien moins que nécessaire, et pour être choisi par la Couronne et pour remplir dignement ces hautes fonctions.

Après la sortie du ministère? En effet, messieurs, c'est un argument que fit valoir, en 1844, l'honorable rapporteur de la section centrale, pour repousser les dispositions spéciales aux ministres insérées dans la loi générale des pensions.

Voici comment il s'exprimait :

« L'on a cité les précédents nombreux posés depuis 1830 par des ministres sortants qui ont pu honorablement accepter d'autres fonctions. Il a paru contraire aux intérêts du pouvoir et de l'opposition elle-même de détourner, en quelque sorte, le cours de ces précédents ; qu'il ne faut pas pensionner mais rattacher au pouvoir, dans une position active, tous les hommes qui peuvent encore servir le pays; que si l'impossibilité morale de suivre ces précédents existe dans une circonstance tout exceptionnelle, cela ne suffit pas pour déposer dans nos lois un mauvais principe. »

Ainsi, vous le voyez, messieurs, l'honorable rapporteur repoussait, il est vrai, au nom de la section centrale, en 1844, les dispositions spéciales proposées pour les pensions des ministres ; mais il se fondait principalement sur ce motif que les ministres, en déposant leurs portefeuilles, devaient être rattachés au pouvoir dans une situation active, et il n'admettait que comme une circonstance tout exceptionnelle, le cas où il y aurait impossibilité morale de donner une position à un ministre sortant.

Cet argument pouvait être de quelque valeur en 1844; que devient-il aujourd'hui en présence de la loi sur les incompatibilités votée dans la dernière session?

Peut-on encore rattacher au pouvoir, dans une situation active, les membres d'un cabinet qui se retire ? Non, à moins que ces membres ne renoncent à la vie politique. Vous les placez dans cette alternative ou de renoncer à recevoir de leurs concitoyens un mandat législatif, et vous privez ainsi la représentation nationale d'hommes intelligents et expérimentés, ou de ne recevoir à leur sortie du ministère aucune rémunération pour les services qu'ils ont rendus au pays.

Ai-je eu tort de dire, messieurs, qu'on excluait par une fin de non-recevoir les ministres de tout droit à la pension en les faisant rentrer dans le droit commun, en leur laissant la faculté d'acquérir cette pension aux mêmes conditions que les autres fonctionnaires? Evidemment non. Car souvent, je le répète, un ministre n'a rempli aucune fonction publique avant d’arriver au pouvoir; à sa sortie du ministère il peut, il doit forcément, aujourd'hui, refuser toute position s'il ne veut pas renoncer à la vie politique. Quel que soit le temps qu'il ait passé à la tête de son département, quatre, six, dix ans peut-être - je sais que cela est bien rare à l'époque où nous vivons, mais enfin cela n'est pas impossible, - quel que soit ce temps, dis-je, dans le système des partisans de l'abrogation absolue de toutes pensions ministérielles, cela ne lui crée aucun droit à une pension de retraite, aucun droit à une rémunération nationale. Et ne voit-on pas que sous prétexte d'économie, d'intérêt du peuple, d'égalité de droits, on va précisément à rencontre de l'égalité des droits et du principe éminemment démocratique de nos institutions ?

Quel est ce principe?

C'est que les plus hautes fonctions publiques doivent être accessibles à tous les hommes de talent, quelle que soit leur fortune, quelle que soit leur position.

Eh bien, messieurs, je vous le demande, croyez-vous qu'un homme vraiment capable, qui a une famille, mais qui ne possède aucune fortune, et qui sait que par son intelligence, son activité, sa capacité, il pourra, en se jetant dans le commerce, dans l'industrie, dans les arts, en embrassant, en un mot, une profession libérale, non seulement faire vivre sa famille dans l'aisance, mais encore amasser, au bout d'un certain nombre d'années, une petite fortune qui le mettra à l'abri du besoin dans ses vieux jours ; croyez-vous que cet homme-là renoncera facilement à cette espérance, pour accepter une position ministérielle, lorsqu'il n'aura en perspective, à la suite des vissicitudes qui atteignent tôt ou tard ces positions, aucun avenir, aucune retraite, aucun dédommagement du sacrifice qu'il se sera imposé?

Et qu'on ne me dise pas que ces hommes qui feraient ainsi passer l'intérêt de leur famille avant celui du pays ne seraient pas de bons citoyens. Non, messieurs; hors les moments de crise et de dangers,- car dans ces moments-là on se doit avant tout à son pays, - mais dans des temps de calme, dans une situation normale, on ne cesse pas d'être un bon citoyen, parce que, avant de céder au désir de servir l'Etat, on songe à sa famille, et si l'Etat doit être ingrat pour vous laisser dans le besoin, lorsque vous aurez abandonné pour le servir, une position lucrative que vous ne retrouverez peut-être plus. Eh bien, messieurs, il est permis de balancer, et de se dévouer à sa famille, qui est la petite patrie, avant de se dévouer à l'Etat.

C'est donc au nom de la justice, au nom de nos institutions mêmes, au nom de l'intérêt bien entendu du pays, que je maintiens qu'une pension spéciale doit être accordée aux ministres qui remplissent certaines conditions.

Mais, dira-t-on, la loi qui accorde des pensions aux ministres ne date que de 1844; on trouvait des ministres avant cette loi, on en trouvait de très capables; on en trouvera de même après l'abrogation absolue de la loi.

Messieurs, cette objection me touche peu, car si elle peut être de quelque valeur, ce ne serait pas seulement aux pensions ministérielles, ce serait à toutes les pensions qu'il faudrait l'adresser. Croyez-vous qu'on ne trouverait plus de magistrats, de fonctionnaires ni d'employés, parce que l'Etat ne leur accorderait plus de pensions ? Oui, messieurs, on trouvait des ministres avant la loi de 1844 ; on en trouverait après l'abrogation de cette loi ; cela est certain. Mais est-ce un motif suffisant pour ne pas récompenser les services rendus à l'Etat, si le principe de la rémunération est juste? Donc ou l'objection ne signifie rien, ou elle s'adresse à la loi générale sur les pensions civiles et ecclésiastiques; viendra-t-on aussi demander l'abrogation de cette loi ?

Je vais plus loin. Il y a un grand nombre de fonctions rétribuées par l'Etat pour lesquelles on trouverait encore des candidats, même quand on supprimerait les traitements qui y sont attachés. Seulement le cercle des candidats serait beaucoup plus restreint. Croit-on que l'on ferait chose sage, chose juste, que l'on agirait avec prudence, avec prévoyance, en rendant ces fonctions gratuites? Et cependant si l'on prétend que l'on doit supprimer les pensions ministérielles, par ce motif, que l'on trouverait encore des ministres sans la pension, il faut pour être logique, prétendre aussi que l'on doit supprimer tous les traitements attachés aux fonctions pour lesquelles on trouverait des titulaires sans traitement.

Il me paraît donc résulter à l'évidence des motifs que je viens d'avoir l'honneur de développer devant vous, que le principe d'une pension spéciale accordée aux ministres est un principe juste, en harmonie avec nos institutions, conforme aux intérêts du pays.

Mais arrive alors la question d'application. Ici, je le reconnais, les difficultés deviennent plus grandes; mais ces difficultés sont celles qui naissent toutes les fois qu'il s'agit d'appliquer un principe, de passer de la théorie à la pratique.

J'ai dit que le sentiment public s'était prononcé avec beaucoup d'énergie contre les dispositions de la loi de 1844; mais je n'ai pas dit qu'il se fût attaqué au principe même de la loi. C'est que, en effet, je ne crois pas qu'il ait réagi jusque-là. Le pays voit des abus; il se soulève contre ces abus en laissant le droit entier. Mais quand il n'en serait pas ainsi, quand l'opinion publique, trompée par les imperfections de la loi de 1844, confondrait et les dispositions imparfaites, et le principe même de cette loi, ce ne serait pas une raison pour nous, messieurs, de céder à cet entraînement ; car autant le législateur doit tenir compte des impressions de l'opinion publique lorsqu'elles sont justes et fondées, autant il doit savoir leur résister lorsqu'elles ne le sont pas ; et je crois qu'il faut ranger dans cette dernière catégorie les attaques dirigées contre le principe même d'une pension spéciale pour les chefs de départements ministériels.

Au reste, la majorité de la section centrale elle-même, avec laquelle j'ai le regret de me trouver en dissentiment en ce moment, n'est pas aussi absolue dans son opinion que quelques adversaires prononcés des pensions ministérielles; elle admet que dans certains cas, il peut y avoir lieu à une rémunération spéciale, mais elle pense que ces services ne créent aucun droit, qu'ils peuvent simplement donner lieu à une récompense civique décernée par les chambres. Ce n'est pas moins une reconnaissance implicite du principe que je défends. La récompense civique est un mode d'application, voilà tout.

Voyons donc si ce mode doit être préféré.

Certes, messieurs, j'apprécie autant que qui que ce soit, ce qu'il y a de noble et d'élevé dans cette pensée de faire décerner nominativement par la représentation nationale les récompenses nationales aux ministres qui peuvent s'en être rendus dignes. Mais si l'on dégage cette pensée de ce qu'elle a de séduisant, pour la restreindre à l'application qu'on en veut faire, on me paraît arriver tout droit à une impossibilité.

Quelle est la cause la plus ordinaire de la chute d'un ministère? Un vote de la chambre, ou l'opposition présumée d'une chambre nouvelle, à la suite d'élections générales. Qui serait appelé à voter la récompense civique aux ministres démissionnaires? Cette même chambre dont le vote réel ou présumé viendrait de les renverser.

Ainsi d'une part la chambre déclarerait mauvais le système suivi par un cabinet ; de l'autre, elle serait appelée à voter immédiatement une récompense aux représentants de ce système. Il suffit, d'après moi, de mettre ces deux faits en opposition, pour démontrer les inconvénients, je dirai presque les dangers du mode préféré par la section centrale.

Je le dirai avec mon honorable ami M. Dolez, et sans désespérer de la justice de la chambre : Je ne crois pas qu'une assemblée politique puisse poser un acte semblable, sans courir au moins le risque de le voir mal interprété.

De deux choses l'une, en effet : ou la chambre, cédant à des entraînements (page 503) de majorité dont les assemblées politiques n'ont fourni que trop d'exemples, n'apprécierait pas peut-être avec toute la liberté d'esprit nécessaire les services rendus par des adversaires politiques (elle pourrait au moins être soupçonnée, en cas de vote négatif); ou, se mettant au-dessus de ces considérations, clic accorderait une pension aux ministres démissionnaires à titre de récompense civique, et alors l'opinion publique comprendrait mal qu'elle eût renversé des hommes qu'elle jugeait dignes d'une rémunération nationale.

Savez-vous. ce que l'on pourrait dire, messieurs, aux chefs de la nouvelle majorité? On pourrait leur dire : « Vous êtes des ambitieux; pour tous faire une position plus facile, vous voulez indemniser vos prédécesseurs, les indemniser aux dépens du trésor public, avec le secret espoir peut-être d'obtenir par la suite un semblable dédommagement. » Ainsi un acte de munificence nationale pourrait être considéré comme un moyen de transaction admis par des ambitions rivales.

Un mode de récompense qui peut donner naissance à de pareilles suppositions, qui expose la chambre à des entraînements de majorité, dans les moments d'effervescence politique, ou à des soupçons, soit d'injustice, soit de complaisance, ce mode-là, messieurs, me paraît d'avance condamné.

Il faut donc en revenir à d'autres dispositions pour que le pays paye sa dette envers les hommes qui lui ont consacré leur temps, leur intelligence, une partie de leur vie même; Car on vit bien vite dans les fonctions ministérielles.

Ces dispositions spéciales je crois qu'il faut qu'elles concordent avec l'esprit de la législation générale sur les pensions ; qu'elles trouvent place même dans cette législation ; mais qu'en les y introduisant le législateur prenne toutes les précautions nécessaires pour ne pas trop aggraver les charges du trésor public.

La double garantie qu'il faut chercher dans les dispositions à introduire en faveur des ministres dans la loi générale sur les pensions, c'est une garantie d'économie pour le trésor, et une garantie de services suffisants pour donner droit à une rémunération de cette nature.

Cette double garantie, je crois qu'on pourrait la trouver dans une disposition, qui n'admettrait à la pension qu'après dix années de services ministériels, en comptant triple chaque année, et en dispensant les ministres des conditions d'âge exigées par la loi.

Si l'on me demande quel avantage et quelle garantie je trouve dans ces dispositions, je répondrai que j'y trouve d'abord cette garantie incontestable, essentielle, que les ministres seraient soumis, avant l'obtention de leur pension à ce baptême des élections générales auquel ils pouvaient, comme je le disais tantôt, ne pas être astreints sous la législation actuelle. Pour avoir droit après dix années de services ministériels à la rémunération spéciale, un ministre devrait rester, en comptant chaque année triple, trois ans et quatre mois à la tête de son département. Le renouvellement des chambres par moitié a lieu, aux termes de la Constitution, tous les deux ans. Donc le pays serait appelé à prononcer sur le système suivi par le cabinet, à lui donner une marque de sympathie ou de désapprobation, avant que ses membres eussent droit à la pension. L'expérience nous prouve que chaque fois que le pays se prononce contre un ministère dans les élections générales, celui-ci se retire. Il en est de même dans tous les pays constitutionnels.

Le terme de trois ans et quatre mois offre donc des garanties de services rendus, puisqu'il emporte avec lui la sanction légale du pays.

Quant à l'économie, je dirai à ceux de nos honorables collègues, qui se préoccupent surtout de cette question, qu'il en résulterait une très notable pour le trésor.

Ils ne sont pas nombreux, à notre époque, les hommes capables de se maintenir près de trois ans et demi au pouvoir.

Lorsqu'on a vu en Belgique, à dater du 21 février 1831, époque de la formation du premier cabinet par le régent, jusqu'au 12 août 1847, passer successivement :

12 ministres au département de l'intérieur, 10 à celui de la justice, 13 aux affaires étrangères, 12 aux finances, 11 à la guerre et 8 au département des travaux publics qui n'est institué que depuis le 13 janvier 1837.

Lorsqu'on a vu en France dix-sept combinaisons ministérielles se succéder avec une rapidité sans exemple, dans l'espace de 10 années (du 11 août 1830 au 29 octobre 1840) et ne compter, celles qui ont eu le plus de durée, le 13 mars (président Périer 1831), que 577 jours d'existence; le 11 octobre (Soult-Périer 1832) que 534 jours; le 15avril (comte Molé 1837) que 715 jours ; il est permis de soutenir que les pensions à accorder aux ministres en Belgique, surtout dans les conditions que j'ai indiquées, ne constitueraient pour le trésor public qu'une très faible charge.

Au surplus, messieurs, le service de ces pensions ne peut figurer au nombre des causes appréciables de nos embarras financiers; et en demandant l'abrogation de la loi spéciale du 21 juillet 1844, je suis bien plus préoccupé du vice radical de cette loi que de la question d'argent.

Peut-on dire, en effet, que les 46 mille francs payés annuellement en partie depuis 1844 et en partie depuis 1847 seulement pour rémunérer les services rendus à dater du 1er octobre 1830 par les hommes qui ont dirigé les affaires du pays, ont réellement contribué à accroître le déficit qui continue à exister malgré nos emprunts multipliés ?

Non, messieurs, ce qui menace nos finances, ce qui menace nos institutions peut-être, je n'hésite pas à le dire, c'est celle tendance funeste qui entraîne l'Etat à exécuter lui-même ce que les particuliers peuvent faire aussi bien et mieux que lui, cette tendance funeste qui le porte à créer des places nouvelles amenant à leur suite, comme conséquence inévitable, ces nombreuses pensions dont le chiffre croissant nous effraye. Là est le danger, là est le mal qui finirait par désorganiser nos finances, si le gouvernement, qui a su prendre la courageuse initiative des réformes, ne continuait à y appliquer tous les remèdes que son intensité réclame encore.

Trop souvent on appelle l'intervention de l'Etat dans la sphère des intérêts qui doivent être réservés à la concurrence individuelle; trop souvent on livre au gouvernement une portion de ces intérêts importants; et en agissant ainsi, on prétend ne rien aliéner de sa liberté; on veut conserver intactes nos institutions, empêcher que la corruption ne vienne les altérer tôt ou tard.

Et l'on ne voit pas qu'en remettant à l'Etat la direction d'une partie des forces vives de la société, on le place dans l'impossibilité de résister aux sollicitations qui l'assiègent de toutes parts, que l'on donne un aliment nouveau à cette passion universelle illimitée, déréglée des places qui mine nos finances, tend à accroître sans cesse la charge des pensions, constitue un véritable danger pour la société!

Ne croyez pas cependant, messieurs, que le désir de s'élever à une position meilleure, plus brillante, me paraisse illégitime en soi! Loin de moi une telle pensée ! Si ce désir a gagné toutes les classes de la population, j'y vois l'effet de l'instruction qui se répand davantage. J'y vois, selon la belle pensée de M. de Gasparin, une de ces tendances mystérieuses imprimées par la Providence à l'esprit humain au profit de la civilisation, et qui, après lui avoir fait conquérir successivement la liberté religieuse, civile et politique, le préoccupe aujourd'hui des améliorations matérielles qui peuvent rendre plus douce la condition de l'humanité.

Mais il est à craindre que les ambitions, en se tournant sans cesse vers l'Etat, ne compromettent l'intérêt des familles ; il est à craindre que les enfants, s’aveuglant sur leurs dispositions et sur leur mérite, soient portés à sortir trop inconsidérément de la profession de leurs pères, à demander à l'Etat de leur ouvrir des carrières nouvelles, plus brillantes peut-être, mais nécessairement insuffisantes pour tant de concurrents ; il est à redouter surtout que l'Etat cède à de telles instances, dans la pensée que les services dont il se chargera seront mieux organisés dans l'intérêt public, et que par la collation d'un grand nombre d'emplois nouveaux, il se créera des partisans dévoués.

Messieurs, il est inutile d'ajouter sans doute que je ne suis pas de ceux que la passion anime contre les fonctionnaires publics. Je crois l'avoir assez prouvé pendant le cours de cette discussion. Dans nos gouvernements modernes, les grandes institutions qui protègent la société ; la justice, l'armée, l'administration civile, la perception de l'impôt, exigeront toujours un nombre considérable de fonctionnaires publics. Je crois que cette classe de fonctionnaires publics, à laquelle j'ai eu l'honneur d'appartenir pendant près de 18 années, est une des plus utiles, des plus respectables de la société; mais je n'en dis pas moins qu'il est dangereux et pour les individus et pour l'Etat, que les fonctions publiques deviennent le but de presque toutes les ambitions du pays.

Pour les individus, parce que le nombre des emplois étant limité, et le nombre de ceux qui les recherchent restant sans limites, il doit nécessairement en résulter beaucoup de déceptions, beaucoup de mécontentements.

Pour l'Etat, parce que, en dehors des grandes institutions sociales dont je viens de parler et pour lesquelles les conditions d'admission et d'avancement devraient être déterminées, réglées par la loi (comme cela a lieu dans l'armée ; comme cela a lieu dans plusieurs états de l'Allemagne ), en dehors de ces grandes institutions, la collation des emplois créés, par suite de l'absorption d'une partie des intérêts privés par le gouvernement, donne naissance à des accusations sans cesse renouvelées de favoritisme, de partialité; accusations presque toujours injustes, je le veux, mais qui n'en sont pas moins fâcheuses, qui n'en sont pas moins nuisibles à la considération du pouvoir.

Et que l'on ne croie pas que la faculté de nommer à ces emplois apporte toujours un nouveau contingent de forces au gouvernement (ce qui aurait aussi son danger); il n'en est rien, messieurs, cette faculté a souvent pour effet de soulever contre lui beaucoup d'irritation.

Quarante mille places nouvelles distribuées en France par la monarchie de juillet, loin de satisfaire ceux qui couraient la carrière des emplois, n'ont fait qu'en accroître le nombre. Et cela n'a pas été étranger sans doute à la violence de ces demandes de réformes qui ont tant contribué à amener la révolution du 24 février.

Je sens, messieurs, que je ne dois pas insister davantage sur ces développements, qui paraissent peut-être un peu en dehors de la question.

Seulement, permettez-moi, en terminant, quelques observations sur une grave question : la question de rétroactivité soulevée de nouveau par les amendements que l'honorable M. Jouret propose d'introduire à l'article 5 du projet de la section centrale, ainsi que par l'amendement des honorables MM. Lelièvre et Moxhon.

Je l'ai déjà dit, dans le rapport que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, s'il est vrai que les auteurs les plus renommés reconnaissent au législateur, au point de vue constitutionnel, le droit de donner à une loi nouvelle un effet rétroactif, il est vrai aussi qu'ils s'empressent d'ajouter qu'une semblable mesure ne se justifie que par les motifs les plus puissants d'intérêt public ; hormis des circonstances extraordinaires, le législateur ne doit pas lui donner le sceau de son autorité.

(page 504) « Loin de nous, disait Portalis, ces lois à deux faces qui, ayant sans cesse un œil sur le passé, et l'autre sur l'avenir, dessécheraient les sources de la confiance, et deviendraient un principe éternel d'injustice, de bouleversement et de désordre. »

L'opinion de Benjamin Constant n'est pas moins formelle, voici dans quels termes il l'énonçait dans la séance du 29 mai 1828 (Moniteur universel, 1er juin suivant) de la chambre des députes de France :

« La rétroactivité est le plus grand attentat que la loi puisse commettre ; elle est le déchirement du pacte social, elle est l'annulation des conditions en vertu desquelles la société a le droit d'exiger l'obéissance de l'individu; car elle lui ravit les garanties qu'elle lui assurait en échange de cette obéissance qui est un sacrifice. La rétroactivité ôte à la loi son caractère ; la loi qui rétroagit n'est pas une loi. «

Presque tous les auteurs, je le répète, sont d'accord avec Portalis et avec Benjamin Constant; presque tous n'admettent pour le législateur le droit de donner à une loi un caractère rétroactif que sous l'empire d'une nécessité impérieuse.

Et si cette nécessité justifie le législateur aux yeux des jurisconsultes, ne croyez pas, messieurs, qu'elle lui servi toujours d'excuse vis-à-vis de l'opinion, publique. Non, la rétroactivité dans une loi a quelque chose de si odieux de sa nature, que le sentiment public se révolte contre elle et qu'il force parfois le législateur à revenir sur une décision de cette nature, quand il l'a prise.

C'est ainsi qu'en France la loi du 17 nivôse an II, relative aux successions et aux dispositions à titre gratuit entre vifs et à cause de mort, annula toutes les donations faites après le 14 juillet 1789, et ordonna que toutes les successions ouvertes postérieurement à cette époque, fussent partagées conformément aux dispositions de la loi nouvelle.

Certes, messieurs, il serait difficile de trouver des motifs politiques d'une plus haute importance que ceux qui provoquaient cette mesure de la Convention. Ils étaient inhérents aux bases et aux principes de la nouvelle constitution de l'Etat. C'était tout un ordre de choses nouveau qu'il s'agissait d'établir sur les ruines de l'ancien.

Admettre que les successions ouvertes depuis le 14 juillet 1789 jusqu'au 17 nivôse an II fussent partagées d'après les prescriptions de la loi ancienne; reconnaître les donations faites pendant le même laps de temps, d'après les mêmes principes, c'était retarder pour longtemps peut-être l'application du nouveau régime qui devait changer la face de la France. Le législateur pouvait donc s'appuyer, pour passer outre, sur ces motifs impérieux dont parlent les jurisconsultes. De plus à cette époque - qui ne le sait? - la Convention ne reculait guère devant les moyens quels qu'ils fussent de faire triompher les principes nouveaux.

De là, la loi du 17 nivôse an II et l'effet rétroactif qui lui fut donné. Eh bien, messieurs, cette loi souleva une répulsion si générale que le législateur dut s'incliner devant cette révolte de la conscience publique, et l'effet rétroactif qui lui était attribué fut rapporté par l'article 13 de la loi du 3 vendémiaire an IV et par l'article premier de celle du 15 thermidor suivant.

S'il en fut ainsi en France dans les circonstances que je viens de rappeler, comment pourrait-on admettre la rétroactivité dans le cas spécial qui nous occupe ? Voyons quels sont les motifs de salut public qui pourraient nous porter à user de ce droit extrême ! Ces raisons si graves, ces motifs si impérieux, c'est une économie de 46,000 francs pour le trésor. Sans doute, messieurs, les économies sont désirables ; je les appelle autant que qui que ce soit, j'en sens la nécessité, mais cette nécessité n'est pas telle que, pour une économie de ce chiffre il faille fouler aux pieds des droits acquis, violer des contrats dont la validité ne peut être contestée, car la loi du 21 juillet lie en effet l'Etat envers les fonctionnaires quels qu'ils soient qui ont acquis des droits à la pension en vertu de cette loi, par un engagement aussi valable, aussi solennel qu'un contrat librement consenti.

Et puis où arriverait-on avec ce système qui consiste à justifier la violation des droits acquis par ce motif qu'il en résulte un allégement pour les charges du trésor? On arriverait à diminuer d'abord, à anéantir ensuite les droits de tous les créanciers de l'Etat. Rien n'apporterait, sans contredit, un plus grand soulagement au trésor, que de ne pas payer ses dettes.

Qui oserait cependant prendre la responsabilité d'une pareille mesure ? Et si on ne la propose pas pour tous les créanciers, de quel droit l'appliquerait-on à quelques-uns seulement? Une chose injuste cesse-t-elle d'avoir ce caractère, parce qu'on en rend victimes un plus petit nombre d'individus?

En proclamant que, sans les motifs les plus graves, vous pouvez réduire, abolir même par une loi les pensions accordées en vertu d'une loi antérieure, vous enlèveriez toute garantie, toute stabilité aux pensions acquises; bien plus, vous détruiriez toute confiance dans la loi qui nous est soumise en ce moment.

Car, si vous ne respectez pas les pensions actuelles, quelle garantie y aurait-il que celles qui seront accordées en vertu de la présente loi seront respectées à leur tour? Et qu'on ne me dise pas qu'il y a des précédents; qu'on ne prétende pas par exemple qu'en France la législature donna un caractère de rétroactivité à la loi du 31 janvier 1832, dans un cas analogue à celui qui nous occupe, en décidant que certaines pensions accordées par la restauration seraient révisées et rayées du grand-livre de la dette publique. La décision rendue, à cette occasion, par les chambres françaises est, au contraire, la consécration solennelle du principe de la non-rétroactivilé

Pour le prouver, il suffit de rappeler les faits.

Le 11 septembre 1807 un décret décida que lorsque, pour des services distingués, de grands dignitaires de l'empire, tels que ministres, maréchaux et autres grands officiers auraient droit à une récompense extraordinaire, et que la situation de leur fortune le rendrait nécessaire, le maximum de leur pension ou de celles de leurs veuves ou de leurs enfants pourrait être porté à 20,000 fr.

L'empire usa avec modération, avec justice, avec intelligence de la faculté accordée par le décret du 11 septembre 1807; mais la restauration n'agit pas de même. Il fut fait alors un abus scandaleux de ce décret, à tel point, messieurs , que tandis qu'il supposait une longue durée de services, des pensions furent accordées pour des services de deux à trois mois ! Aussi immédiatement après la révolution de 1830, l'abrogation en fût-elle proposée. Je n'ai pas à faire ici l'historique des différentes vicissitudes de cette proposition devant la chambre des pairs et devant la chambre des députés.

Il me suffira de dire qu'elle fut enfin adoptée, et que la loi d'abrogation, promulguée le 31 janvier 1832, portait, en outre, que toutes les pensions accordées depuis 1828 en vertu du décret du 11 septembre 1807, seraient révisées, afin que celles qui auraient été accordées en dehors des prescriptions de ce décret, fussent rayées du grand-livre de la dette publique. C'est, en effet, messieurs, ce qui eut lieu. La révision s'opéra ; ceux des fonctionnaires qui ne se trouvaient pas dans les conditions voulues, c'est-à-dire qui ne purent arguer, comme le décret le prescrivait impérieusement, ni de la distinction des services ni de l'insuffisance de la fortune, ceux-là se virent enlever leurs pensions; ceux au contraire qui remplissaient les conditions de la loi, la conservèrent et la conservent encore.

Et maintenant ai-je besoin de vous dire, messieurs, qu'il n'y a rien là qui ressemble à de la rétroactivité? C'est une révision entendue dans le véritable sens, comme je l'ai expliqué dans la séance d'avant-hier, en répondant à l'interpellation de notre honorable collègue M. Vanden Berghe de Binckum. Des fonctionnaires jouissaient d'une pension à laquelle ils n'avaient pas droit, aux termes mêmes de la loi qui avait institué ces pensions. Cette loi se trouvait donc ainsi violée, en abolissant les pensions on faisait cesser cette violation.

Il suffit, d'ailleurs, de lire les discussions qui ont eu lieu, en 1831 et 1832, dans les chambres françaises, pour se convaincre de l'énergie avec laquelle tous les orateurs, y compris ceux qui proposaient la révision, protestèrent contre toute pensée de donner à la loi en discussion un caractère de rétroactivité ; ils se prononcèrent tous pour le maintien des pensions légalement acquises, bien que demandant l'abrogation, pour l'avenir, du décret du 11 septembre 1807.

Ainsi donc, messieurs, il n'y a pas de précédent analogue à ce que ferait, la chambre, si elle abolissait aujourd'hui les pensions déjà concédées en vertu de la loi du 21 juillet 1844. Si, au contraire, on demandait des précédents dans le sens opposé, je pourrais en citer plusieurs et en France et en Belgique.

Je rappellerais qu'en France la restauration maintint les pensions accordées à la sœur de Robespierre; que le gouvernement de juillet paya fidèlement toutes celles accordées par la restauration à d'anciens Vendéens ; que la République de 1848, au milieu de ses graves embarras financiers, respecte à son tour et ces dernières, et toutes les pensions politiques concédées par la monarchie de 1840. Un seul exemple peut-être pourrait être allégué : au plus fort de la réaction contre-révolutionnaire, le 12 juillet 1816, une loi abolit les pensions dont jouissaient ceux des anciens conventionnels qui avaient voté la mort de Louis XVI; mais, dès le 11 septembre 1830, ces pensions étaient restituées à leurs titulaires, tant la violation du principe de la non-rétroactivité, motivée si non excusée par les ardentes passions politiques de l'époque où elle eut lieu, parut aussitôt après la révolution de juillet quelque chose de monstrueux.

En Belgique, après la révolution de 1830, qui renversa l'édifice politique construit par les traités de 1815, pas une voix ne demanda (et il y a lieu d'en féliciter le pays), pas une voix ne demanda que qu'on enlevât, au prince d'Orange, ses palais, au duc de Wellington, les terres et bois avec le titre de prince qu'il avait obtenus.

Mais en vérité, messieurs, je m'en veux presque d'insister plus longtemps sur cette question.

Non, cela n'était pas nécessaire, ce n'est pas dans notre loyale Belgique qu'il y à craindre de voir jamais violer à ce point les règles de la justice, de l'équité.

Je me résume donc. Je crois avec la section centrale qu'il y a lieu d'abroger la loi du 21 juillet 1844, sur les pensions des ministres.

Je crois, contrairement à son opinion, qu'il convient de conserver à ces hauts fonctionnaires des droits spéciaux à la pension, et que la loi dont je viens de parler doit être remplacée par des dispositions particulières introduites dans la loi générale.

Je crois que les conditions d'obtention devraient être dix années de services ministériels, en comptant pour trois ans chaque année passée à la tête d'un département.

Je crois enfin, je crois surtout qu'il y aurait manque de loyauté, de justice, de raison à donner à aucune des dispositions de la loi que nous discutons en ce moment, un caractère de rétroactivité.

M. Lelièvre. - L'honorable M. de Theux a pensé qu'il fallait immédiatement placer sur le terrain d’une question personnelle le débat soulevé par ma proposition. La chambre comprendra parfaitement qu'il m'est impossible d'entamer devant elle une discussion de ce genre et que je ne puis qu'attendre le vote qu'elle émettra en me référant aux motifs que j'ai développés à l'appui de mon amendement.

Du reste, si l'on a dû faire violence à l'honorable fonctionnaire pour le forcer à rester a 'pouvoir, précisément jusqu'à l'expiration de deux (page 505) années, je pense qu'il rendra inutile le vote sur ma proposition en renonçant à la pension qu'il n'a acceptée que comme contraint.

Alors il me restera un devoir à remplir; ce sera de proclamer qu'il a bien mérité du pays, et je ne faillirai pas à cette obligation sacrée.

Voilà qui me semble plus raisonnable que de se prévaloir d'un arrêté de liquidation qui, dans mon système, ne doit avoir aucune valeur comme contraire à la loi, ni d'une allocation au budget, celle-ci n'ayant pas porté spécialement sur l'objet en question, et n'ayant pu, du reste, créer un droit non existant.

Avant de terminer, je ne puis me défendre de rendre hommage à la générosité de l'honorable comte de Theux qui, pour soustraire son ami aux conséquences de ma proposition, n'a pas craint d'engager lui-même sa propre responsabilité.

Certes, c'est là un dévouement qui fait honneur à ses sentiments et qu'admire toujours même un adversaire politique. Le chef de l'ancien cabinet a dû sans doute avoir des motifs bien puissants pour ne pas avoir hâté l'acceptation de la démission de son collègue, ne fût-ce que d'un jour avant l'expiration des deux années exigées par la loi, acceptation qui devait procurer à l'Etat le bénéfice de la pension. Il était administrateur trop sage et trop éclairé des intérêts du trésor pour les avoir perdus de vue même en cette occurrence.

Messieurs, les moyens de droit qui justifient ma proposition sont restés debout, et je n'abuserai pas de vos moments en les produisant de nouveau.

Je pense avoir démontré que la dissolution notoire du cabinet, attestée par la démission collective de ses membres, conséquence nécessaire de la volonté manifestée par le corps électoral, a mis fin aux fonctions ministérielles dans l'esprit de la loi rémunératoire de 1844, que tel est le sens de ses dispositions et que les plus graves considérations appuient cette opinion, qui seule prête au législateur une volonté raisonnable, morale et sérieuse.

En abrogeant la disposition, devenue impopulaire à raison des abus auxquels elle a donné lieu, la chambre verra si, comme conséquence nécessaire, elle ne doit pas en même temps frapper les actes abusifs, qui sont la violation flagrante de la loi elle-même.

Nous pensons qu'il doit en être ainsi, et c'est ce motif qui nous porte à persister dans notre amendement.

M. de Chimay. - Messieurs, je n'aurais pas pris la parole dans cette discussion, si mes antécédents ne m'y obligeaient en quelque sorte. En effet, je fus l'un des signataires de la première proposition qui eut pour but et pour résultat d'offrir à de grands dévouements un témoignage bien faible sans doute de la gratitude nationale.

Quelle que soit la réserve que m'imposent de hautes convenances, je ne puis faire cependant combien j'ai été heureux de voir en 1848 de nobles et grands services, généreusement, loyalement rendus à l'indépendance, à l'honneur du pays, justifier si bien et mes sympathies personnelles et mon vote de 1844.

Quant à la loi actuelle, je ne m'élèverai pas, messieurs, contre une faible différence dans les chiffres, ni contre le plus ou moins d'années nécessaires à l'obtention de la pension ministérielle, pourvu que les chiffres restent convenables et dignes du pays, et que, à l'égard des années, on n'oblige pas nos ministres à vivre trop longtemps.

Mais ce que je combattrai, messieurs, de toutes les forces de ma conviction, c'est cet esprit de parcimonie outrée, qui semble se développer de plus en plus, au risque de porter le trouble dans tous nos rouages administratifs.

Je n'abuserai pas longtemps des moments de la chambre, et je lui demande pardon de revenir, à propos d'un incident, sur un sujet si souvent et si habilement traité devant elle, depuis le début de la session. Mais il est de ces vérités si grandes, si palpables, qu'on ne peut ni ne doit, me semble-t-il, cesser de les proclamer et de les défendre.

De toutes les modifications plus ou moins mesquines, plus ou moins regrettables que nous admettons, selon moi, avec trop de facilité et trop peu de prévoyance, celle qui nous occupe est, à coup sûr, la moins justifiable.

Comparez, en effet, messieurs, les autres fonctions publiques à celles de ministre.

L'ambition, le malaise général, le besoin incessant de s'élever, conséquences fatales de notre civilisation égoïste, et je dirai presque cruelle, entraînent, il est vrai, trop de monde vers la carrière des emplois publics. Il est trop vrai encore que les emplois sont le but unique de tous ces jeunes gens si nombreux qui, malheureusement, n'apprennent au collège qu'à mépriser l'état paternel, à oublier la famille et, plus tard, à maudire une société trompeuse, qui semble prendre un cruel plaisir à détruire, une à une, toutes les illusions qu'elle a méchamment entretenues huit ans sur les bancs de l'école. Quelques élus arrivent aux emplois, mais ceux-là du moins les ont volontairement cherchés; ils y trouvent un avenir assuré. Une fois admis dans la famille administrative, l'inconduite, l'incapacité notoire, une révolution, une fièvre d'économie. heureusement bien rare, espérons-le du moins, peuvent seules briser leur existence.

Mais, je vous le demande, messieurs, entre ces fonctionnaires, dont la position est le résultat d'un choix volontaire, et les ministres, que des mouvements spontanés, imprévus, élèvent au pouvoir, n'y a-t-il pas une différence immense? C'est au milieu de leur carrière, c'est au grand péril de leurs plus chers intérêts, que vous allez, la plupart du temps, arracher à des positions acquises ces victimes constitutionnelles. Qui ne sait ce qu'il faut, de nos jours surtout, de recherches, d'instances, de courage, d'abnégation, pour réunir les éléments d'un ministère? Et, quels avantages, quel avenir réservez-vous à vos ministres d'un jour? En échange de leur clientèle perdue, de leur santé ébranlée, de leur repos troublé, de leur fortune compromise, pourront-ils espérer du moins la noble consolation que donnent la gratitude et l'estime publiques?

S'il en est par hasard qui résistent de tout point à cette terrible épreuve du pouvoir, ne voyez-vous pas la presse, cette formidable puissance, tour à tour passionnée ou haineuse, juste quelquefois jusqu'à l'adulation, plus souvent injuste jusqu'à la calomnie, attaquer, ébranler du moins la considération la mieux assise, si elle ne parvient pas à la ruiner tout à fait? Puis surgit tout à coup l'opposition parlementaire, le ministre tombe. Il reste fort de sa conscience, sans doute, mais lui disputerez-vous l'honorable compensation de tous ses sacrifices, sa modeste existence, celle de sa famille peut-être?

Croyez-le bien, messieurs, assez d'embarras, assez d'obstacles s'accumulent aujourd'hui pour entraver l'action des chambres et les choix de la couronne; nous ne devons pas compliquer à plaisir ces difficultés déjà si grandes.

La plupart des prétendues économies administratives qu'on veut imposer au gouvernement, je regrette de le dire, me paraissent injustes, peu constitutionnelles, dangereuses.

Elles sont injustes, car elles ébranlent des positions acquises, le plus souvent, au prix de longs et honorables services. Elles sont peu constitutionnelles et dangereuses parce qu'elles tendent à créer un privilège au profit de la richesse personnelle, et à fausser l'esprit de nos institutions.

Quelle est donc cette disposition funeste à tout abaisser, à tout amoindrir ? Songez-y, persévérer dans la voie où nous sommes engagés, ce n'est point répondre aux vœux du vrai libéralisme; c'est céder, à notre insu peut-être, au désir imprudent d'une popularité trompeuse; c'est, je le dis hautement, travailler au profil du privilège ou de la démagogie.

Quelle est, messieurs, la conséquence logique et vraie, quelle est la portée de cet axiome, si profondément libéral : « Tous les Belges sont également admissibles aux emplois, » si ce n'est la possibilité d'y prétendre, quoique pauvre; la possibilité, quoique pauvre, de s'y maintenir honorable et honoré ! Mais, disait-on hier, ne comptez-vous pour rien le dévouement ! l'honneur ! la probité ! Ce nobles sentiments, plus que personne, je les admets, je les vénère, j'y crois encore, malgré la marche du siècle; mais je veux les encourager là où ils existent, les faire naître au besoin; je veux surtout avoir le droit d'être sévère, là où ils pourraient manquer. Mon socialisme à moi, messieurs, est d'appeler au bien-être le plus grand nombre possible ; il consiste, comme le disait naguère je ne sais quel orateur français, à mettre des basques à toutes les vestes au lieu de les ôter à tous les habits. Je sais que cette plaisanterie n'est à la fois qu'une généreuse pensée et une utopie. Mais, sans poursuivre l'utopie, tâchons au moins de nous rapprocher autant que possible de la pensée généreuse. Soyons en garde contre cet esprit étroit, contre cette jalousie qui s'attache à tout ce qui tend à s'élever au-dessus du commun niveau.

Dans certaines régions, on applaudira à notre esprit de réforme économique, parce qu'elle mène au privilège ; au bas de l'échelle, on y applaudira encore, parce qu'elle tend à désorganiser. Pour moi, messieurs, je crois que nous vivons dans un temps, au milieu d'une crise, qui nous impose, sous peine de suicide social, de repousser avec une égale énergie les imprudentes espérances d'en haut, comme les criminelles espérances d'en bas.

Soyons sans pitié pour l'ambition égoïste, pour le cumul, pour les abus, mais applaudissons du fond du cœur aux nobles efforts de l'intelligence; encourageons les hommes de cœur et de talents quels qu'ils soient, aplanissons-leur la route, afin qu'ils viennent au plus vite grossir la phalange des vrais amis de la liberté et de l'ordre social.

Je me résume : je suis disposé, messieurs, je le répète, à modifier, puisque les circonstances nous y forcent, et pour l'avenir seulement, la loi actuelle, quant au chiffre de la pension et à la durée des fonctions ministérielles nécessaire pour l'obtenir, mais je ne m’associerai pas à son abrogation.

M. Van Grootven.- La section centrale, chargée du rapport de la loi sur les pensions, a saisi l'occasion que lui présentait le projet du gouvernement pour proposer à la chambre l'abrogation de la loi du 21 juillet 1844.

La section centrale a rempli son devoir; elle s'est rendue au vœu généralement exprimé dans toutes les sections. Le pays enfin a l'espoir de voir abroger une loi contre laquelle il s'élève depuis longtemps.

Vous le savez, messieurs, il n'est pas de loi qui ait donné lieu à des critiques plus incessantes et plus fondées; et je ne crains pas de le dire, il n'y a pas de loi plus impopulaire que la loi sur les pensions des ministres. C'est une loi démocratique, dit-on ; eh ! personne ne le conteste, mais, pour ma part, je me hâte de féliciter la Belgique de ce qu'elle n'ait pas beaucoup de lois démocratiques de cette catégorie. Elles pèseraient lourdement, après quelques années, sur le budget des pensions dont le chiffre s'élève déjà à la somme énorme de 5 à 6 millions.

L'élévation et l'augmentation continuelles de ce chiffre n'a rien qui doive nous étonner, messieurs, quand dans l'espace de deux années nous avons vu les pensions militaires augmenter de 219,000 fr.

Le ministre de la guerre nous disait, en répondant à l'honorable (page 506) M. Osy, que les pensions de son département étaient réglées par une loi organique, une loi spéciale, que l'amendement de l'honorable membre ne pouvait pas leur être appliqué. Je partage son opinion, mais je regrette qu'il n'ait pas encore imité son honorable collègue des finances et ne nous ait pas présenté un projet de loi sur les pensions militaires. Je l'engage à suivre l'initiative, car le besoin d'une révision immédiate et complète se fait plus vivement sentir pour son département que pour les autres; et cela tant dans l'intérêt du trésor que dans celui des militaires que l'on met souvent à la pension quand ils pouvaient rendre encore d'utiles services à leur pays.

Il est temps, messieurs, qu'on mette fin à tant d'abus. L'honorable ministre des finances en a compris l'urgence, et il a eu le courage de nous proposer les réformes vivement réclamées. Il a bien fait, je le félicite de son initiative.

Qu'il me soit permis, messieurs, de vous rappeler que le projet de loi sur la pension des ministres avait d'abord, dans l'esprit de ceux qui l'ont présenté à la chambre, un but spécial, un but tout à fait exceptionnel, l'idée première était de récompenser des services rendus, de sauvegarder des positions.

La chambre, en agissant ainsi, eût admis un principe que j'approuve, et dont la rare application eût été honorable pour ceux qu'elle en aurait jugés dignes.

Mais ce projet fut abandonné, et la législature vota une loi favorisant indistinctement d'une pension tous ceux qui auraient occupé des fonctions ministérielles pendant deux années.

La loi du 21 juillet 1844 consacre un principe dont jusqu'alors personne n'avait reconnu la nécessité et qu'aucun état constitutionnel n'a cru jusqu'à ce jour devoir admettre. Elle est votée depuis quelques années seulement et je ne dois pas vous dire, messieurs, combien le vœu de la voir abolie se fait vivement sentir.

Cette loi est antipathique au pays ; le principe général qu'elle admet finirait, après peu d'années, par lui coûter trop cher. De plus, cette loi a donné et pourrait donner lieu encore à des abus que le pays a justement et énergiquement blâmés.

L'amendement de l'honorable M. Lelièvre, qu'il a développé hier devant vous, fait allusion à un fait sur lequel je ne veux pas m'appesantir davantage. Ce fait à lui seul suffit pour prouver que la loi actuelle est mauvaise et qu'elle doit être abolie.

Je voterai pour la proposition de la section centrale.

M. de Mérode. - Il y a à peine une semaine, messieurs, je venais défendre ici la position qui devait être maintenue à une dignité d'ordre spécial et singulièrement exceptionnelle, car depuis plus de deux siècles et demi elle n'a été attribuée qu'à quatre titulaires du siège archiépiscopal de la Belgique, à savoir : au cardinal Granvelle, sous Philippe II, au cardinal d'Alsace, lors du siège de Bruxelles par Louis XV, au cardinal de Frackenberg, à l'époque de la révolution française, enfin au cardinal actuel après l'émancipation nationale du pays.

Ce jour-là, messieurs, malgré le décret impérial de Napoléon qui établissait la préséance des cardinaux sur les ministres de son vaste empire dont notre royaume n'était qu'une simple province, on portait si haut le rang des ministres actuels de ce même Etat belge qu'on ne pouvait souffrir ultérieurement, disait-on, qu'un seul personnage dont la mission s'exerce pourtant à l'extérieur au nom du monde chrétien, fût nanti d'un traitement supérieur à celui de chacun des cinq fonctionnaires qui composent le ministère belge.

Aujourd'hui ces chefs des différentes branches de l'administration sont, il me semble, réduits à une aussi mince valeur par ceux qui veulent les priver d'une pension modeste, qu'ils étaient exaltés le 11 janvier, lorsqu'on les proclamait représentants de la couronne et du peuple; tant il est vrai que les plus sûrs amis d'un pouvoir ne sont pas ceux qui le portent momentanément aux nues ; mais bien ceux qui savent apprécier son importance relative, avec modération et fixité ; ne le plaçant pas sur un trop haut pavois, pour le mettre ensuite dans la plus pauvre condition.

Il est vrai que certain système économique, dont je ne suis ni l'inventeur ni le disciple, possède un glaive à deux tranchants qui n'est pas dirigé dans le sens d'une logique bien régulière; l'essentiel pour lui c'est d'émonder les traitements quand même, avec petit profit pour le trésor, puis de trancher dans ce même trésor de larges entailles et sans ménagements.

Selon cet ordre d'idées, pour les serviteurs de l'Etat on semble toujours faire trop; pour les spéculateurs sur l'Etat on ne fait jamais assez.

Messieurs, conformément aux coutumes qui avaient pris naissance dans le congrès national, on admettait qu'après avoir perdu la majorité dans les chambres comme chargé d'un portefeuille ministériel, on pouvait encore très bien servir le pays et le gouvernement nouveau comme gouverneur de province ou autrement. Le ministre actuel de l'intérieur a connu cette position ainsi que plusieurs autres ministres également ; mais depuis que prévalut la restrictive homogénéité, beaucoup d'anciens ministres, quelle que fût leur capacité, leur probité et leurs talents administratifs, se trouvent placés sous la remise sans autre lot; or vous n'ignorez point que dans notre régime, où la fortune n'est point exigée pour remplir des fonctions supérieures, ce domicile privé ne suffit point.

Faut-il donc que les ex-titulaires des fonctions ministérielles, élevés si haut la semaine passée, quand il s'est agi de supprimer l'allocution spéciale du cardinalat, soient réduits à invoquer je ne sais quelle hospitalité, soient forcés à convoiter un poste même d'ordre inférieur chez le premier venu, après avoir quitté celui qu'ils possédaient dans l'administration judiciaire, financière, diplomatique ou du génie civil, et cela, pour faciliter la formation d'un cabinet conforme aux vues de telle ou telle majorité? Il y a, selon moi, dans un pareil renversement de situation contre-sens manifeste.

Je ne cesserai de le dire, le respect des convenances est un des premiers besoins d'une société civilisée. Or, y a-t-il convenance à mettre le haut fonctionnaire qui, selon ceux qui réduisirent un cardinal belge au-dessous de tous les cardinaux quelconques du monde entier, parce qu'un ministre ne devait voir personne dans le royaume figurer au budget au-dessus de lui, y a-t-il convenance, dis-je, à mettre ce haut fonctionnaire au rang du plus dépourvu des solliciteurs d'emploi?

Je n'ignore pas qu'on a persuadé à une certaine partie assez nombreuse du public, fort occupée nécessairement de ses affaires propres et assez peu des besoins du gouvernement, que les pensions des anciens ministres étaient un abus.

L'opposition a longtemps traité les agents supérieurs du pouvoir exécutif comme une espèce d'êtres malfaisants, bien que nécessaires à subir. De là, sans doute, est né le préjugé malveillant contre la mesure de convenance, adoptée précédemment par la législature, à l'égard des hommes qui, après plusieurs années d'exercice, ont dû résigner les fonctions ministérielles à la suite de transformations parlementaires.

Quant à moi, messieurs, je veux maintenir ce qui existait en 1844, voté après suffisant examen et particulièrement en vue d'anciens ministres avec lesquels j'étais en dissentiment alors.

Seulement je désire qu'on en revienne aux précédentes et libérales coutumes des premières années de notre émancipation nationale et qu'on donne autant que possible les emplois supérieurs qu'ils sont aptes à remplir, aux anciens ministres, dont plusieurs ont prouvé la distinction de leur intelligence et leur capacité pratique ; c'est ainsi qu'on réduira le chiffre des pensions ministérielles et qu'on utilisera des hommes d'expérience très propres encore à bien servir le pays.

Messieurs, ce n'est pas, comme l'a dit un préopinant, pour avoir toujours des ministres, que l'on a voté la loi de 1844, c'est parce que l'on a voulu leur assurer au moins de modestes moyens d'existence ; et parce que nous n'avons pas cette ressource expéditive du régime turc rappelé par l'honorable membre, celle du lacet à l'aide duquel on faisait disparaître les ministres des sultans, de manière à n'avoir plus aucun souci à l'égard de la dignité de leur position ultérieure. Ce lacet serait sans doute un moyen fort économique d'en finir avec nos ex-ministres, mais je ne pense pas qu'il soit prêt encore à s'introduire dans les mœurs libérales.

En finissant, messieurs, je vous rappellerai ce que je disais ici le 22 décembre : « J’admire toujours avec quelle aisance on enjambe les intérêts financiers de l'Etat, avec quelle légèreté on traite les ressources qui servent pour chacun et pour tous à la garantie de ce qu'ils possèdent. Le gouvernement en première ligne, donne l'exemple de l'abandon des voies et moyens auxquels le pays est accoutumé et qui se perçoivent, comme les droits de douane sur les arrivages maritimes, sans aucune vexation pour les contribuables, comme les péages qui sont la juste rémunération de services rendus ou le produit d'un domaine public. »

C'est ainsi, messieurs, que nous perdons cette année 7 à 8 millions sur les chemins de fer, selon l'exact calcul de M. Dumortier. C'est ainsi que nous privons l'Etat d'une part considérable de l'impôt des sucres; tantôt, dit-on, pour servir au dedans les consommateurs, tantôt pour favoriser un commerce extérieur privilégié, en joignant à cette prétention ruineuse de faire les affaires privées, les lourdes obligations qui pèsent déjà sur les contribuables par la nécessité de payer une forte part de l'ancienne dette hollandaise, et les emprunts contractés après 1830 pour défendre l'indépendance nationale, le gouvernement s'expose à laisser subir à tous ses agents les inventions économiques les plus fâcheuses. De la sorte, les services publics sont compromis par l'inquiétude et le découragement des serviteurs de l'Etat sacrifiés aux spéculateurs sur l'Etat; car on ne doit jamais oublier, et cette idée si simple est trop souvent perdue de vue, même par des gens fort instruits d'ailleurs, que l'on ne peut donner aux uns sans prendre ou sans retirer aux autres,ou sans se précipiter dans l'effrayante coutume des emprunts, habitude si douce dans les temps heureux où l'on s'y livre, et si fatale aux jours difficiles qui viennent ensuite tôt ou tard.

La mission d'un gouvernement n'est pas de traîner des personnes ou des marchandises à perte. Elle n'est pas de payer le commerce et l'industrie. Elle consiste à assurer à tous les citoyens la sécurité et la liberté d'action. Pour y parvenir, il faut à la société des administrateurs, des magistrats, les soldats de la force matérielle, ceux de l'armée; les soldats de la force morale, plus nécessaire encore, ceux de l'instruction et de l'église. Il doit donc assurer à tous ces serviteurs du peuple pris collectivement une rémunération certaine et une retraite modeste que chaque année il ne faut point remettre en question. Les ministres ne sont pas d'ordinaire des hommes de fortune, un traitement d'attente ou pension, peu importe le terme, est nécessaire à la dignité de leur existence, quand ils quittent des fonctions supérieures que souvent ils reprennent plus tard. Le cumul de ce traitement avec celui d'un autre emploi est interdit; c'est tout ce que réclame une raisonnable et juste économie.

J'ai signalé et je signalerai souvent encore les pertes considérables qui frappent les ressources du trésor public. Là sont les millions qu'il perd indûment.

(page 507) Par les réductions de pensions et traitements, on gagne comparativement très peu ; n'employons donc pas notre temps précieux à repêcher péniblement quelques paillettes d'or dans le fleuve des dépenses pendant que nous y jetons à pleines mains les lingots d'or massif. Trop souvent on nous applique à la première de ces œuvres pour détourner notre attention de la seconde, qui devrait nous occuper beaucoup plus. Je l'ai dit en conversation particulière à mes commettants, je le répète dans cette enceinte, avec l'aide de la publicité : « Voulez-vous éviter de nouveaux impôts, n'ayez point de soucis des pensions d'anciens ministres, mais dispensez le gouvernement de se faire le conducteur à perte de vos personnes et de vos marchandises et de celles des étrangers ; dispensez-le de se charger du commerce par lequel on vend à perte, au détriment des recettes publiques, du sucre aux Turcs et aux Allemands ; ce faisant, votre budget continuera à payer 45 ou 50 mille francs, et gagnera 7 à 8 millions. »

Ici est l'économie sérieuse; là la parcimonie, sans conséquence utile ou plutôt avec résultat nuisible, car la parcimonie nuit ordinairement plus qu'elle ne sert.

M. Moxhon. - Je renonce à la parole.

(page 512) M. Christiaens. - J'ai déjà demandé devant la chambre le retrait de la loi du 21 juillet 1844 en ce qui règle la pension des ministres. Je viens encore aujourd'hui appuyer la demande de retrait de cette loi frappée de réprobation réelle dans tout le pays, de cette loi qui blesse si profondément la justice distributive à l'égard des autres fonctionnaires de l'Etat, auxquels on n'alloue de pension que pour une longue carrière consacrée à rendre des services au pays, de cette loi qui, si elle n'est pas entachée d'inconstitutionnalité grave, fausse du moins l'esprit de notre pacte fondamental dans une de ses dispositions les plus essentielles.

En effet, il ne suffit pas que les citoyens belges soient proclamés égaux devant la loi par la Constitution, il faut encore que cette égalité proclamée soit une vérité pratique que les lois qui émanent de cette Constitution consacrent dans leur corrélation le principe de cette même égalité devant la loi suprême de la justice du pays et que ce principe soit de rigueur là surtout où il s'agit de longs et honorables services rendus à la patrie. Or, messieurs, cette corrélation d'égalité devant la justice du pays et devant la Constitution belge, je ne la trouve pas dans la loi qui règle la pension des ministres et celle qui règle la pension des autres fonctionnaires de l'Etat. Ce que j'y trouve, c'est la consécration d'un privilège par voie de disposition exceptionnelle et générale en faveur d'une classe de fonctionnaires haut placés sans égard ni à la qualité, ni à la quotité des services rendus.

Rien n'est plus facile que de le démontrer, deux ou trois exemples de comparaison peuvent y suffire. Ainsi un officier commandant notre armée aura versé son sang sur les champs de bataille, aura peut-être sauvé l'indépendance de la patrie ; il reviendra criblé d'honorables blessures, et pourtant pour avoir droit à la pension de retraite qu'il aura tant méritée, il lui faudra 30 années de service et 65 ans d'âge, à moins de prendre un certificat constatant qu'il a le corps brisé, qu'il n'est plus bon qu'à mourir ; un magistral blanchi par les veilles et l'étude ayant 60 ans d'âge et 25 années de service, le repos lui sera devenu indispensable pour prolonger tant soit peu un reste de vie ? Mais non, il devra attendre cinq mortelles années pour jouir de ce repos qui sera pourtant devenu le seul soulagement à des dégâts irréparables.

Un douanier, car celui-là aussi est un fonctionnaire de l'Etat, exposé jour et nuit aux intempéries des saisons, couchant souvent sur la dure, si ce n'est dans la neige, ne pouvant plus fournir le service auquel il est astreint qu'en suffoquant de douleur. Celui-là aussi, avant de pouvoir jouir de ce qui seul pourra donner quelque trêve aux cruelles souffrances d'un corps où le sang circule à peine, devra exhiber un certificat constatant que la mort vient déjà frapper à sa porte, sinon 65 ans d'âge et 30 années de services que peut-être il n'atteindra jamais.

Un autre fonctionnaire de l'Etat, permettez de citer encore cet humble fonctionnaire, un conducteur de nos chemins de fer, dont la vie est sans cesse exposée à des accidents mortels, outre que la nature de son service l'astreint constamment aux transitions violentes et mortifères des températures ; de telle sorte que l'on a calculé que la santé de ces malheureux fonctionnaires est détruite au bout de 5 ou 6 ans. A celui-là encore il faudra 30 années de service et 60 ans d'âge, à moins qu'il ne produise un certificat qui prouve qu'il a eu le corps brisé par la roue d'un waggon et qu'il est devenu incapable de servir la patrie. Et maintenant, messieurs, à côté de tous ces fonctionnaires, que la loi soumet à ses conditions indispensables sans doute, mais souvent cruelles, lorsque la loi est exécutée la lettre et toujours, injustes quand la complaisance vient présider à son exécution, viendra se placer en vertu d'une disposition exceptionnelle une autre classe de fonctionnaires, les ministres auxquelles il n'aura fallu que deux années de fonctions ministérielles bien ou mal remplies, sans conditions d'âge, quelle que soit leur fortune personnelle. De telle sorte que l'Etat pourra devoir servir à un homme de 28 à 30 ans ayant vingt, trente à quarante mille livres de rente, une pension sur le trésor public de 5 à 6 mille francs. Ah! messieurs, si vous voulez maintenir une mauvaise loi, au moins n'y ajoutez pas la dérision amère de la proclamer une loi de justice, une loi d'égalité pour tous les citoyens belges, comme l'a voulu la Constitution.

Mais, dit-on, les fonctions des ministres sont des fonctions fatigantes, elles usent bien vite la vie d'un homme. Il faut que ce haut fonctionnaire aperçoive, au bout d'une carrière très courte à la vérité, mais pleine de labeurs et de soucis, une récompense assurée pour le reste de ses jours. Car il se pourra qu'à sa sortie du ministère il n'ait pas de quoi vivres si l'Etat ne pourvoit à son existence en lui assurant une pension; une telle mesure est d'ailleurs une mesure politique parfaitement en harmonie avec l'esprit de nos institutions démocratiques ; elle donne aux hommes distingués, mais sans fortune, le moyen de mettre leurs talents et leur dévouement au service de la patrie.

Messieurs, tous ces arguments-là reposent tout bonnement sur un fait exagéré et sur une doctrine que j'appellerai funeste.

Quant au fait, on peut répondre que de tous nos anciens ministres il en est bien peu qui sont physiquement morts à la tâche.

On peut même ajouter, sans crainte d'être démenti, qu'il en est plusieurs parmi eux qui se portent au moins aussi bien aujourd'hui qu'avant qu'ils ne fussent ministres.

Quant à la doctrine qui consiste à prétendre que la loi qui règle exceptionnellement les pensions des ministres constitue un appel fait aux hommes d'un rare talent, d'une haute capacité, afin que ces talents et ces capacités viennent se mettre au service de la patrie, en vue d'une récompense pécuniaire, j'y répondrai que si vous voulez laisser vivre les belles institutions que le pays s'est données, il faut tâcher d'élever les mœurs de vos concitoyens au niveau même de ces institutions. Que si vous voulez les faire périr ces belles institutions, oh ! alors, vous avez raison ! Oui vous avez raison de les confier à des hommes qui ne mettent leur talent et leur dévouement au service de la patrie que pour une poignée d'or payable au comptant.

Je voterai donc pour le retrait de la loi du 21 juillet 1844, parce que c'est une loi éminemment injuste, éminemment inconstitutionnelle, et qui plus est, parce que c'est une loi dont l'application a produit des effets désastreux pour la moralité publique.

(page 507) M. Ansiau. - Nous ne devons pas nous dissimuler, messieurs, ce qu'a de brûlant le terrain sur lequel nous nous trouvons placés ; mais, hâtons-nous de le dire, il s'agit ici bien moins d'une question de principe que d'une question de personne; je crains fort, en un mot, que l'on ne se préoccupe bien plus d'intérêts individuels, que de l'intérêt social lui-même.

Or, ce serait seulement alors qu'il pourrait être question de violer un principe de cette nature, que je concevrais les craintes, les terreurs de la section centrale, ou du moins de la majorité de cette section.

Ces craintes, ces terreurs, je ne saurais les partager : ce sont là de vains fantômes, et j'ai beau me pencher, prêter l'oreille, je vous avoue que je n'entends nullement sous mes pieds le bruit souterrain de la sape du socialiste ou du communiste, lorsque se trouve posée la question de savoir si d'anciens ministres continueront religieusement à émarger les termes d'une grosse pension qu'ils n'ont pas, pour la plupart, méritée, mais qu'une législature, composée en majeure partie d'éléments serviles, leur a gracieusement octroyée.

C'est de l'histoire, vous vous débattrez vainement sous le poids de son arrêt.

Et ici, messieurs, est-il bien nécessaire de signaler deux exceptions très honorables portant sur deux hommes, dont le nom se rattache à l'établissement même de l'indépendance belge? Pour ceux-là, messieurs, chacun de nous serait prêt à prendre l'initiative d'un projet de loi revêtant le caractère d'une haute rémunération nationale.

Nous nous étonnons à bon droit des hésitations de la chambre, lorsque nous nous reportons, par la pensée, à ce qui s'écrivait, à ce qui se disait, à ce qui se passait au milieu de tout ce bruit des élections qui nous envoyaient dans cette enceinte.

Il n'était pas alors un seul collège électoral qui n'eût voulu faire aux candidats un mandat impératif du retrait de la loi sur les pensions des ministres. Beaucoup d'entre nous voulaient bien positivement, et sans ambiguïté, que cette loi malencontreuse cessât à tout jamais d'avoir effet. On voulait qu'il n'en restât point de trace. Rappelez, recueillez vos souvenirs, messieurs, et vous verrez que c'était bien là, dans la presse comme dans le pays, l'un des vœux le plus fortement sentis, et, si la chambre m'en permet l'expression, le Delenda Carthago du corps électoral.

La réprobation contre ceux qui profitaient du bénéfice de cette loi était, dans certains arrondissements, poussée à ce point que, dans la crainte d'éprouver un échec, on a laissé, dit-on, publier, sans la démentir, une déclaration par laquelle on renonçait à la pension ministérielle. C'était avant, et non après les élections, qu'il fallait dire que cette déclaration était apocryphe.

La chambre a été envoyée ici avec un mandat de complète révision, j'allais dire de quasi-réaction contre les lois de finances. Nous avons la mission expresse de revenir sur les lois de prodigalité faites alors que les fonctionnaires, c'est-à-dire les parties prenantes, votaient le budget.

Ces sont les fonctionnaires , je dis les fonctionnaires députés, qui ont perdu le gouvernement de Louis-Philippe! que dis-je? qui ont compromis l'ordre européen tout entier : leur âpreté n'avait, point de bornes, elle n'avait pas assez de tout l'avoir, de toutes les ressources de la France.

Puis un beau jour, quand on n'eut plus rien à leur livrer en pâture, ces hommes ont jugé qu'ils n'avaient plus intérêt à défendre la monarchie contre ses ennemis : ils l'ont lâchement laissée tomber, et aucun n'est resté fidèle à de grandes infortunes. Eh ! messieurs , ne nous flattons pas ; qui oserait affirmer que le même sort n'était pas réservé à nos institutions, si l'exemple de ce qui s'est passé à notre frontière du midi n'était venu à temps encore dessiller les yeux aux plus obstinés, et nous forcer à changer de voie ?

Le pays a compris enfin qu’il fallait la sincérité du gouvernement représentatif, et l'on a chassé ce qu'il est permis d'appeler les vendeurs du temple. On a compris que pour avoir l'ordre dans l'Etat il faut avoir avant tout l'ordre dans les finances. On peut alors braver les fauteurs de l'anarchie.

Mais revenons à la question spéciale qui nous occupe ; si cette question eût été posée lors de notre première réunion, je doute, messieurs, qu'il se fût trouvé beaucoup de membres disposés à défendre ce qu'on appelle improprement, en cette circonstance, le principe de la non-rétroactivité.

Puisque je l'ai prononcé, messieurs, je dirai de suite qu'en cette occurrence je ne reculerai point devant le mot. Je laisse à d'autres le soin de discuter la question sous le rapport du droit strict et envisagée au point de vue de la théorie; je suis convaincu d'avance qu'ils feront bonne justice de cet argument, qu'ils démontreront que cette tête de Méduse dont on veut effrayer la chambre, n'est qu'une menteuse effigie sans puissance comme sans valeur.

Pour moi, je n'hésite pas à dire que nous avons le droit et le devoir de rapporter cette loi, et d'en faire cesser, dès maintenant, tous les effets. Ce n'est pas là, à proprement parler, un effet rétroactif, puisque nous ne disposons que pour l’avenir. C'est encore moins une spoliation, puisque la pension des ministres, ne provient point d'un fonds formé au moyen d'une retenue opérée sur leur traitement. Ce n'est pas plus l'un que l'autre.

Permettez-moi, messieurs, un souvenir historique. Après 1830, sous le ministère Laffitte, une loi fut votée par la législature française. Quelle était cette loi? Cette loi avait pour objet de déclarer qu'il n'y avait plus lieu désormais de poursuivre le règlement des indemnités dues aux émigrés sur le milliard voté en 1825. Il y avait là pourtant, messieurs, ce que l'on pourrait aussi regarder comme des droits acquis. Et cependant personne ne cria à la rétroactivité, ou du moins cet argument n'arrêta pas le pouvoir législatif chez nos voisins.

Voulez-vous un fait contemporain plus péremptoire? Sous Charles X tous les ministres sortants étaient gratifiés d'une pension. A l'avènement du gouvernement de juillet, qu'est-il arrivé? Ces pensions furent supprimées pour l'avenir et leur dotation fut biffée du budget, sauf une seule exception pour M. de Vatimesnil.

La loi de 1844, à mes yeux, est une loi politique, elle constitue un simple acte de libéralité, de munificence; le législateur peut, quand il le juge à propos, mettre un terme à cette libéralité, à cette munificence. L'état de nos finances, grâce à ceux qui profitent de la loi de 1844, ne nous permet pas d'être plus longtemps prodigues, magnifiques. Le pays, ainsi qu'on l'a dit dans une autre assemblée, fait appel de Philippe ivre à Philippe à jeun : nos prédécesseurs étaient quelque peu le premier, nous devons avoir la sobriété du second.

Les deniers de l'Etat, l'obole du pauvre doivent cesser d'aller grossir les revenus plus ou moins considérables d'hommes qui sont, Dieu merci, dans une position à se donner toutes les aisances de la vie ; d'hommes presque tous jeunes encore, et plus capables que qui que ce soit de se créer une position.

A l'époque laborieuse où nous nous trouvons, messieurs, il n'est pas possible de tolérer les abus ; il faut appeler les choses par leur nom, dire à chacun son fait et à tous la vérité. Les expédients, les demi-mesures sont pires que le mal. La résolution devient la première des vertus ; la pusillanimité, croyez-le, serait de nature à tout perdre.

Le vent, dans certaine région de cette assemblée , souffle parfois à la chevalerie. Eh ! bien , messieurs , inspirons-nous aujourd'hui de la devise de l'un de ces preux, le plus populaire du moyen âge : Volons sans peur, et nous serons sans reproche.

M. Dolez. - Messieurs, je ne m'attendais pas à prendre part à ce débat, bien que ma conviction ne fût point en harmonie avec les pensées qui y ont été souvent émises. Le langage de l'honorable député de Soignies m'a porté à demander la parole. Peut-être ai-je eu tort de le faire. Croyez du moins que je m'en serais abstenu, si j'avais pu prévoir quelle serait la suite de son discours, convaincu que je suis que l'incroyable violence qui y a régné enlève toute espèce d'autorité à sa parole, qui m'avait momentanément ému.

Mais, messieurs, puisque la parole m'a été accordée, qu'il me soit permis de dire à l'honorable M. Ansiau, qu'il me soit permis de dire à nos autres collègues qui, comme lui, siègent depuis peu de temps dans cette enceinte, que les hommes qui ont été les promoteurs de la loi de 1844 n'étaient ni moins dignes, ni moins indépendants que ceux qui siègent aujourd'hui dans cette enceinte.

Ces chambres anciennes, que l'on attaque avec une si blâmable légèreté, je ne prétendrai certes pas glorifier tous leurs actes, et cela m'irait mal, puisque j'ai presque toujours appartenu à leur minorité, mais ces chambres n'ont pourtant point été sans poser des actes qu'elles puissent être fières de rappeler et qui ne permettent point qu'on en parle dans le langage que vous avez entendu. N'est-ce point à elles, par exemple, que vous devez ces institutions communales et provinciales qui font la gloire et la force de notre pays, ces institutions qui sont, avec notre Constitution, la base la plus solide de ces libertés, dont certains hommes se montrent aujourd'hui les faciles idolâtres?

Rendons donc aux chambres anciennes la justice qui leur est due; réunissent nos efforts pour mieux faire qu'elles, mais ne croyons pas trop facilement que cette tâche ne sera pas sans quelque difficulté.

On a parlé de votes complaisants octroyés par des chambres serviles, sans indépendance. Mais à l'époque où plusieurs de mes collègues et moi nous montrions les promoteurs de cette loi qu'on attaque avec tant de violence, qui donc siégeait au pouvoir ? C'étaient nos adversaires politiques, c'étaient des hommes que nous combattions chaque jour ; c'étaient des hommes que cherchions à renverser de leur siège ministériel.

(page 508) Voilà quelle était la position des principaux promoteurs de la loi ; c'est dire assez qu'ils ne se préoccupaient que du bien public.

Je n'avais pas, messieurs, la pensée de revendiquer la quasi-paternité de cette loi. Mais j'éprouve le besoin de rappeler la part que j'y ai prise, quand je la vois aussi injustement attaquée. Vous pardonnerez, j'espère, à mon cœur paternel, de consacrer quelques mots à sa défense.

Cette loi est-elle mauvaise? Cette loi mérite-t-elle toutes les attaques qu'on a dirigées contre elle ? Celle loi devait-elle surtout s'attendre à être attaquée par la chambre actuelle? Dussé-je être seul, je n'hésiterais pas à répondre non à toutes ces questions. Quel est donc le principe de cette loi ? C'est un principe essentiellement démocratique. C'est le corollaire d'un autre principe contre l'application duquel l'honorable député de Soignies ne s'est pas récrié que je sache. C'est le corollaire du principe de l'indemnité en faveur de presque tous les membres de la chambré, pourquoi donc, dans notre pays sincèrement démocratique dans toutes ses institutions, dans tous ses éléments, pourquoi a-t-on reconnu qu'il fallait que les représentants du pays reçussent une indemnité? C'est afin de rendre le parlement accessible à toutes les positions de fortune, c'est afin que les citoyens sans fortune, mais riches de leur mérite, riches de leur amour du pays, riches de leur dévouement à ses institutions, pussent interrompre momentanément le cours de leurs affaires et venir se consacrer à la gestion des affaires publiques. Et pourquoi la loi de 1844 a-t-elle institué une pension spéciale en faveur des ministres? Ce n'est point, messieurs, croyez-en, je vous prie, un de ses auteurs, ce n'est point, comme on l'a dit, pour créer un régime de privilège, mais pour mettre en pratique et en relief ce grand principe de l'égalité de tous les Belges.

On a voulu que l'homme sans fortune, ne fût point, malgré son talent, dans l'impossibilité de se placer à la direction des affaires de son pays, repoussé qu'il en serait par les soucis de l'avenir, non pas pour lui-même, mais pour la famille qui l'entoure, pour des enfants envers lesquels il a d'impérieux devoirs à remplir. Voilà, messieurs, les pensées fort simples, mais cependant fort grandes et fort nobles, je pense, qui ont inspiré les défenseurs de la loi de 1844. Messieurs, je le demande à votre raison éclairée, ces pensées méritent-elles, dans cette enceinte consacrée à la partie la plus démocratique de notre représentation nationale, les attaques violentes que vous venez d'entendre? Pour moi, ma raison en reste confondue !

Un honorable député de Louvain, M. Christiaens, comparant la pension des ministres à celle de tous les autres fonctionnaires, vous a dit : « Vous parlez d'égalité devant la loi et vous voulez, d'une part, que le général, que le magistrat, que l'employé des douanes n'obtienne une pension qu'après de longues années de service; et vous voulez, d'autre part, que le ministre en obtienne une après deux années d'exercice ? »

Faut-il, messieurs, vous rappeler la différence fondamentale qui existe entre la position du ministre et celle du général, du magistrat, du fonctionnaire de tout autre ordre. Toutes ces fonctions constituent la profession, la carrière de ceux qui s'y livrent et qui y trouvent le moyen d'élever leur famille.

Il est donc tout naturel que la pension n'arrive que quand arrive cette époque de la vie où l'homme a droit au repos.

Au contraire, le ministère n'est point une carrière; il est en quelque sorte un accident dans la vie du citoyen ; c'est le sacrifice de toutes les positions dont on jouissait auparavant; c'est, remarquez-le bien, en présence de la loi sur les incompatibilités votée dans la session dernière, c'est l'impossibilité de retour à toute espèce de fonctions et pour ainsi dire à toute espèce de carrière. Est-il donc possible, messieurs, de comparer des positions si disparates?

Mais il y a plus, messieurs, la loi que nous défendions en 1844 comme étant le complément de nos institutions démocratiques, cette loi que nous considérions comme nécessaire alors, mais elle l'est cent fois plus encore aujourd'hui en regard de cette même loi des incompatibilités. Par exemple, messieurs, qu'un fonctionnaire public se soit distingué dans la carrière administrative, qu'un autre se soit distingué dans la magistrature; l'intérêt public réclamera leur présence aux affaires, le vœu public les y appellera; mais les nécessités de la famille seront là faisant entendre leur voix et ce fonctionnaire, ce magistrat, malgré tout leur dévouement au pays, ne pourront point accepter le ministère, parce qu'en l'acceptant ils immolent l'un sa position administrative, l'autre son siège de magistrat.

Est-ce là de la démocratie intelligente? Oh non, messieurs, soyez-en convaincus, si vous cédez, comme j'ai lieu de le craindre, à la défaveur dont on a environné la loi de 1844, vous aurez à le regretter un jour et à remettre en honneur le principe qui nous l'avait inspirée.

L'honorable député de Soignies vous a parlé du servilisme des membres de cette chambre qui avaient voté la loi de 1844. Je lui ai répondu en rappelant la position de ceux qui défendaient principalement cette loi. (Interruption de M. Ansiau.)

Les éléments qui composaient la chambre ! j'accepte l'interruption ; eh bien, je m'honore d'avoir fait partie de ces éléments; je revendique une large part d'influence dans l'adoption de la loi que vous attaquez. Ceux de mes honorables collègues d'alors qui siègent encore dans cette enceinte, savent que j'ai vivement défendu cette loi, et je l'ai fait, je le répète, alors qu'elle devait profiter à des adversaires politiques que j'ai combattus avec énergie.

Mais puisqu'on a suspecté noire indépendance, qu'il me soit permis de demander quel est le plus indépendant du député qui, sachant qu'une prétention, résultat d'une erreur populaire, s'élève contre une loi utile, essentiellement libérale, vient combattre cette erreur avec franchise ; ou du député qui, avant d'arriver dans cette enceinte, s'est engagé, comme on vous en a fait l'aveu, à renverser aveuglément cette loi, que d'injustes préventions condamnaient? (Applaudissements dans les tribunes.)

M. le président. - Toute marque d'approbation ou d'improbation est interdite.

M. Dolez. - Messieurs, pour moi, je ne connais pas cette dernière indépendance; aussi quand de mes concitoyens, à l'époque des élections dernières, me demandaient de m'enchaîner par une profession de foi, leur ai-je répondu que je n'avais à leur donner, à ce titre, que le passé de ma carrière politique, et c'est, il m'est permis de le croire, au nom de ce passé que mes électeurs m'ont renvoyé dans cette enceinte aussi libre, aussi indépendant que je l'ai toujours été.

Je disais tout à l'heure que la loi de 1844 était en ce moment victime d'une erreur populaire que je persévérais à la trouver bonne, utile, essentiellement libérale; mais mon amour paternel ne m'empêchera pas de reconnaître que cette loi a été, à certains égards, malheureuse dans son application.

Il lui a manqué de ces grands exemples de désintéressement qui ennoblissent les hommes qui les posent, qui grandissent et fortifient les institutions et les lois.

Mais, je vous en supplie, messieurs, ne confondez pas quelques cas peu en harmonie avec l'esprit de la loi, avec le principe populaire de la loi elle-même; laissons dans la législation du pays une loi qui décrète, elle aussi, que nous sommes le pays le plus réellement, le plus sérieusement démocratique de la terre.

Mais, messieurs, si cette loi doit tomber victime de l'erreur qui a compris dans une même réprobation et son application malheureuse et la loi elle-même ; au moins, je vous en adjure, que sa chute ne soit point de votre part l'occasion d'un de ces faits déplorables, qui déconsidèrent les pouvoirs qui les posent et portent atteinte aux principes qui sont la base de la société.

Si la loi doit tomber, du moins que les droits qui ont été acquis sous son empire restent respectés ! Et cette fois encore j'élève la voix, non pas dans l'intérêt d’amis politiques, car j'ai combattu comme ministres presque tous ceux qui puisent des effets de la loi; mais je le fais au nom de votre propre dignité, je le fais au nom des exemples que nous devons à tous.

Mais des droits acquis..., en est-il donc? J'entendais hier considérer comme droits acquis seulement les termes des pensions qui ont été perçus.....; j'ai entendu aujourd'hui émettre une doctrine équivalente par l'honorable député de Soignies.

Mais le premier des droits acquis, votre bon sens, votre habitude des affaires ne vous le disent-ils pas? N'est-ce pas celui qui résulte d'un contrat légitime, formé conformément aux lois existantes? Voilà de tous les droits acquis le plus simple, le plus élémentaire.

Eh bien, les pensions qui ont été accordées et liquidées sous l'empire d'une loi que vous êtes libres de considérer comme mauvaise, mais qui n'en est pas moins une loi du pays, tant qu'elle n'est pas abrogée, est-ce que ces pensions ne sont pas le résultat d'un pareil contrat; est-ce que ce contrat ne doit point être, comme tout autre, respecté par tous et contre tous?

Le titre des pensions conférées d'après les lois est aussi légitime, aussi respectable, aussi sacré que les titres de vos rentiers. Et sans doute, vous ne vous croiriez pas fondés à venir dire que vous pouvez vous placer au-dessus des contrats constitutifs de votre dette publique? Eh bien; les pensions sont-elles aussi inscrites au livre de cette dette publique ; elles en font partie, et vous ne pouvez pas plus méconnaître une catégorie de cette dette que vous ne pouvez et méconnaître une autre.

Aussi voyez à quelle logique nous avons à répondre en ce moment. Si la loi de 1844, au lieu de décréter une pension en faveur des ministres qui avaient servi le pays pendant un certain temps, avait décrété qu'un capital leur serait compté, lors de la cessation de leurs fonctions ; de l'aveu de tous on considérerait ce capital compté comme protégé, comme un droit acquis! Mais au lieu de capital, on leur a donné une rente, et l'on voudrait que le droit ne fût pas le même, que l'irrévocabilité de l'avantage conféré dépendît de sa forme, de son objet?

En vérité, messieurs, j'ai tort d'insister devant vous sur des vérités aussi élémentaires, aussi palpables pour tous. La chambre me pardonnera de l'avoir trop longtemps entretenue; elle me pardonnera d'avoir cédé au besoin de répondre aux paroles de l'honorable député de Soignies ; elle me pardonnera aussi l'absence de toute préparation dans des paroles qu'un sentiment légitime d'indignation m'a seul inspirés.

- Des membres. - La clôture ! la clôture !

M. Ansiau (pour un fait personnel). - Je dois protester, messieurs, avec la plus grande énergie contre les paroles de l'honorable préopinant. Je déclare que je suis entré dans cette enceinte sans avoir accepté un mandat impératif; que j'y suis tout aussi libre, pour le moins, que lui, et que je ne reconnais à personne le droit de dire le contraire.

M. le président. - Voici un amendement proposé par M. Jullien :

« La loi du 20 juillet 1844 sur les pensions des ministres est abrogée.

« Les pensions accordées en vertu de cette loi seront sujettes à révision.

« Ne seront maintenues, lors de cette révision, que celles qui (page 509) revêtiraient le caractère de récompenses nationales pour services éminents rendus au pays par le titulaire de la pension. »

M. Jullien. - En déposant l'amendement dont j'ai l'honneur de saisir la chambre, je n'agis pas en vertu d'un engagement anticipé, en vertu d'un mandat impératif du corps électoral qui m'a envoyé dans cette enceinte; j'accomplis un devoir commandé par la nécessité de saper des abus intolérables que les chambres ne peuvent maintenir sans s'en rendre complices.

Une disposition qui ferait cesser le service des pensions accordées en vertu de la loi du 20 juillet 1844 à d'anciens ministres serait-elle entachée du vice de rétroactivité? En d'autres termes la loi de 1844 est-elle à l'abri de toute espèce d'atteinte pour le passé ?

Selon nous, messieurs, cette question a son siège dans la Constitution elle-même; selon nous, elle est tranchée par quatre disposions combinées du pacte fondamental qui nous régit. (articles 114, 139, 115 et 117.) La Constitution proclame dans ces dispositions trois grands principes, le premier c'est qu'aucune pension, aucune gratification ne peut être accordée qu'en vertu d'une loi. Le deuxième qui est inscrit dans l'article 139, c'est qu'il peut être pourvu par une loi, à la révision des pensions accordées; le troisième qui dérive des articles 115 et 117, c'est que les pensions accordées doivent, comme dépenses de l'Etat, figurer dans le budget et conséquemment être votées et soumises au contrôle des chambres chaque année.

Que résulte-il, messieurs, de ces trois principes? On doit en tirer comme première conséquence que les pensions sont rangées sur la même ligne que les gratifications quand elles ne procèdent pas de retenues opérées sur les traitements des fonctionnaires ou de versement, qui auraient été effectués par eux à la caisse de retraite.

Il en résulte, en second lieu, que le droit d'accorder, de refuser, de modifier, de retirer les pensions conférées à titre purement gratuit reste dans le domaine des chambres.

Dès là tout pensionnaire à titre gratuit de l'Etat n'a de titre à la jouissance de sa pension que par le budget annuel qui en vote la dépense. On comprend qu'il doit en être ainsi ; considérer les pensions conférées à titre purement gratuit, comme faisant partie de la dette publique garantie, les considérer (erratum, page 517) comme immuables, ce serait engager l'avenir de nos finances, ce serait proclamer que le trésor peut être obéré indéfiniment et cela sans que les chambres aient le moyen de le dégrever.

A Dieu ne plaise que je veuille proposer le retrait des pensions accordées dans des conditions normales à d'anciens serviteurs de l’Etat !

Envers eux il y a obligation morale de l'Etat.

Envers ceux-là qui ont contribué à la caisse de retraite, il y a obligation civile.

Mais en est-il ainsi à l'égard des pensions accordées aux anciens ministres par une loi de faveur et toute exceptionnelle?

Je n'hésite pas à répondre que l'obligation morale de l'Etat subsiste envers les ministres qui ont bien mérité du pays; mais je n'hésite pas davantage à déclarer que cette obligation doit être effacée au regard des ministres dont l'administration aurait été fatale au pays.

Une loi qui, comme la section centrale l'a avoué, a donné lieu à des abus que l'opinion publique condamne chaque jour, une loi qui a accordé des pensions imméritées à certains ministres dont les services ont tourné contre le pays, une semblable loi peut-elle créer un droit irrévocable à leur profit, un titre à l'abri de tout examen?

Une loi peut-elle à tout jamais faire peser sur le trésor des charges abusifs?

L'abus peut-il engendrer le droit ? Poser la question, c'est la résoudre.

Que si même, malgré le droit incontestable de révision qui appartient à la chambre, on pouvait voir dans la disposition qui ferait cesser le cours des pensions des anciens ministres une disposition rétroactive, je ne balancerais pas encore à la voter, parce qu'en principe le droit de faire rétroagir une loi ne peut être méconnu, parce que, si l'usage de ce droit doit être rare, en ce que son application peut être dangereuse, on ne doit moins y recourir lorsque des considérations politiques l'exigent impérieusement.

Cette doctrine, messieurs, n'est pas seulement la mienne ; c'est celle de tous les auteurs.

Écoutons ce qu'en dit Merlin :

« Quelquefois, dit-il, des considérations politiques peuvent déterminer le législateur à rétroagir dans des matières du pur droit privé. »

Eh quoi, il serait permis, à raison de (erratum, page 517) considérations politiques, de toucher à des droits privés, et dans une matière toute politique, cela serait défendu !

Que les considérations politiques justifient le retrait de la loi de 1844, sur les pensions des ministres, même pour le passe, c'est ce qu'on ne peut nier en présence des abus notoires qu'elle a fait surgir et qui sont signalés d'une manière si énergique dans le rapport de la section centrale, c'est ce qu'on ne peut surtout nier en présence de la réprobation dont, comme vous l'a dit l'honorable M. Christiaens, l'opinion publique l'a frappée.

Toutefois, je reconnais qu'il est de toute équité d'accorder une récompense nationale aux ministres qui ont rendu des services éminents au pays; à eux une pension, ils l'ont gagnée; quant aux autres, il n'existe aucun motif fondé de la leur continuer.

Hors le cas de droit acquis à une récompense nationale à décerner par une loi spéciale, le ministre doit subir la lui commune pour la collation des pensions.

L'amendement que j'ai l'honneur de présenter à la chambre est basé sur ce principe. Si vous adoptez cet amendement, vous maintiendriez les ministres qui ont bien mérité du pays dans la jouissance de leurs pensions. Vous en retirerez le bénéfice aux anciens ministres qui les ont obtenues sans les avoir méritées; enfin si vous adoptez mon amendement, vous ferez cesser l'anomalie qui résultera de la disposition proposée par la section centrale, en conservant aux ministres actuels, qui ont rendus et peuvent rendre encore d'éclatants services au pays, le droit d'obtenir une pension s'ils continuent à diriger d'une main habile les rênes du pouvoir.

M. le président. - M. Jouret se rallie à la proposition de M. Jullien.

- Plusieurs voix. - La clôture !

M. Delfosse. - Quelques collègues nouveaux qui n'ont pas encore pris la parole depuis qu'ils font partie de la chambre, désirent faire connaître les motifs de leur vote. Je pense que la chambre ne peut pas refuser de les entendre.

- La clôture est mise aux voix. Elle n'est pas adaptée.

M. Boedt. - Comme le dit fort bien le rapport fait au nom de la section centrale, la loi sur les pensions ministérielles a donné lieu à des abus trop réels. L'opinion publique, tout le monde le reconnaît, s'est prononcée trop énergiquement contre elle pour qu'on puisse encore songer à la maintenir. J'ajouterai qu'après l'abus grave, abus que je me permettrai d'appeler scandaleux, qui dernièrement a été fait de l'application de cette loi, je ne puis croire qu'elle puisse encore avoir conservé un seul partisan dans cette chambre, si ce n'est peut-être quelques ex-ministres qui, en vertu de cette loi immorale, sont parvenus à jouir d'une pension.

A l'occasion du projet de loi qui nous occupe, j’ai revu, messieurs, les discussions assez intéressantes qui ont eu lieu à la chambre au sujet de la loi du 21 juillet 1844, sur les pensions ministérielles.

Il est vraiment curieux de voir les objections , les suppositions qu'on pourrait appeler prophétiques de l'honorable membre qui était alors rapporteur de la section centrale ; elles sont d'autant plus intéressantes, elles m'ont d'autant plus frappé qu'elles se sont en grande partie réalisées, que c'est particulièrement à cet honorable membre lui-même qu'elles sont devenues parfaitement applicables.

L'honorable rapporteur, auteur de ces objections, de ces suppositions, qui à cette époque n'était pas encore ministre, qui l'a été depuis et qui ne l'est plus aujourd'hui, en portant la parole dans la séance de la chambre du 21 mars 1844, contre le projet de loi sur les pensions ministérielles, projet de loi qu'il a combattu de toutes ses forces , ce dont je le félicite, s'est exprimé avec tant de dignité, avec tant de prévoyance que j'ai cru pouvoir mettre sous les yeux de la chambre quelques-uns des passages les plus saillants de ses différents discours.

J'extrais littéralement: «Première objection. Il se peut, dit-il (c'est l'honorable rapporteur qui parle), que sans avoir passé par une épreuve sérieuse devant les chambres, un ministre acquière des droits à la pension. »

Cette première supposition, messieurs, se trouve réalisée ; ceci est arrivé à l'honorable rapporteur. Il n'a pas passé par une épreuve sérieuse devant les chambres puisqu'il a donné sa démission de ministre avant d'avoir acquisses droits à la pension.

Deuxième objection de l'honorable rapporteur. On suppose sans cesse, dit-il, des ministres qui rendent au pays d'éminents services; mais ne peut-il pas se faire que des ministres passent, en quelque sorte, à travers les filets de votre amendement, qu'ils obtiennent une pension sans avoir obtenu une adhésion durable, sérieuse des chambres?

Eh bien, messieurs, qu'en dites-vous? Ne trouvez-vous pas que cette deuxième supposition s'est aussi réalisée complètement en faveur de l'honorable rapporteur, puisqu’il a obtenu une pension, sans cependant avoir obtenu une adhésion durable, sérieuse devant les chambres, puisqu'il a dû se retirer avant d'avoir été pendant deux ans au ministère?

L'honorable rapporteur, qui avec beaucoup de raison, n'admettait pas la proposition des « vingt-quatre « pour l'avenir, dit encore :

Nous admettons la proposition pour le passé, parce que nous savons à qui elle s'applique, parce que nous sommes comme vous frappés de certaines positions très honorables..... Le passé nous le connaissons, nous savons quels sont les services éminents rendus par quelques hommes ; ces services peuvent être reconnus par un grand acte de rémunération nationale, parce que ces hommes ont contribué à la fondation de la nationalité belge, que sans eux peut-être nous ne siégerions pas ici.

Voilà, messieurs, le beau, le noble langage que tenait alors l'honorable rapporteur. Il voulait récompenser des services éminents rendus au pays, mais il ne voulait pas accorder des pensions à des ministres futurs, et il avait raison parce que ces ministres pourraient, au lieu d'une pension, mériter d'être mis en accusation peur avoir mal géré les affaires du pays.

Eh bien, maintenant n'est-il pas regrettable qu'après avoir si bien défini, si bien reconnu les cas auxquels il convient d'accorder une rémunération nationale, l'ex-ministre démissionnaire ait cru pouvoir accepter une pension qu'il savait ne pas avoir méritée ?

Plus loin, toujours dans la même séance, l'honorable rapporteur s'écrie : Et quelle sera donc la position d'un ministre qui sera en fonctions depuis un an et onze mois? Comment dit-il, vous ne vous effrayés (page 510) pas des conséquences que peut avoir le combat entre l'intérêt et le devoir, lorsque l'homme qui est au banc ministériel n'a plus que quelques semaines, quelques jours peut-être pour prolonger son existence ministérielle, pour acquérir à un âge peu avancé, pour lui et pour sa famille, un droit très important.

Est-il possible, messieurs, de faire un portrait plus ressemblant? Est-ce que vous tous, messieurs, vous ne reconnaissez pas là l'honorable rapporteur ?

Un homme, dit-il encore, qui sera sur le point d'acquérir ce droit sera-t-il libre, sera-t-il dans la position de dignité nécessaire à toute personne qui veut honorablement exercer ces hautes fonctions?

La dignité du pouvoir, la dignité politique en général, où est-elle donc? Je dis qu'elle est dans le désintéressement, et qu'elle n'est que là. Si vous croyez augmenter la dignité des hommes au moyen des dispositions qu'on vous propose (une pension de 4,000 fr.), vous méconnaissez le caractère essentiel de la dignité politique ; elle n'est pas là, elle est dans le désintéressement. Je dis que ce qui doit porter aux fonctions ministérielles et y maintenir, c'est le dévouement, ce n'est pas l'espoir d'une pension quelconque.

Et encore une fois, messieurs, n'est-il pas infiniment regrettable qu'un homme, qu'un haut fonctionnaire, après avoir professé de si beaux, de si nobles sentiments, les ait oubliés dès qu'il s'est agi de sa personne, de son intérêt personnel, et qu'il ait cru devoir préférer à la conservation de sa dignité une récompense pécuniaire?

Ce haut fonctionnaire qui a si bien défini la dignité du pouvoir, la dignité politique, qui a si bien prouvé que cette dignité réside dans le désintéressement, qui a déclaré que ce qui doit porter aux fonctions ministérielles et y maintenir, c'est le dévouement, que ce n'est pas l’espoir d'une pension quelconque; eh bien, messieurs, ce haut fonctionnaire, par sa conduite entièrement opposée à son langage, a prouvé maintenant à tout le monde qu'il n'y a plus chez lui ni dignité, ni dévouement et encore moins de désintéressement. Sa dignité, messieurs, l'honorable ex-ministre l'a vendue.

Je prie la chambre de bien vouloir faire attention, que quand je dis qu'il n'y a plus chez l'ex-ministre ni dignité, ni dévouement, ni désintéressement, je ne fais que me servir de ses propres expressions. Si quelques membres de la chambre pouvaient en douter, ils n'ont, pour s'en convaincre, qu'à se donner la peine de voir le Moniteur, n° 82, de 1844.

Messieurs, si je me suis permis de m'exprimer si énergiquement sur la conduite qu'a cru pouvoir tenir l'ex-ministre pensionné, je prie la chambre, ainsi que l'ex-ministre lui-même, de croire qu'il n'y a de ma part rien de personnel dans tout ce que j'ai dit; ce n'est pas la personne, ce n'est pas l'homme privé, c'est le fonctionnaire public, dont j'ai cru pouvoir mettre la conduite en évidence devant cette chambre, que j'attaque; ce n'est pas non plus pour faire connaître cette conduite au public, il y a longtemps qu'il l'a dédaigneusement flétrie; non, messieurs, ce n'est pas pour tout cela que j'ai tenu un pareil langage ; c'est uniquement dans le but de mieux prouver à la chambre que la loi du 21 juillet 1844, cette loi immorale, doit être incessamment abrogée.

Messieurs, en finissant je répète ici ce que j'ai dit en commençant, que je ne puis croire qu'il y ait encore à la chambre un seul partisan de cette loi inique, si généralement reprouvée par l'opinion publique et que j'espère que nous en voterons tous l'abrogation immédiate.

- De toutes parts. - La clôture.

M. le président. - Il sera statué sur la demande de clôture. Mais auparavant je dois annoncer qu'il a été déposé par l'honorable rapporteur un amendement ainsi conçu :

« Les ministres qui compteront trois années et quatre mois d'exercice et qui auront dirigé un département pendant deux sessions ordinaires, dans l'intervalle desquelles des élections bisannuelles auront eu lieu, auront droit à une pension.

« Cette pension sera liquidée d'après la base de 1/65 mentionnée au paragraphe 3 de l'article 18 du projet en discussion; chaque année et chaque fraction d'année seront comptées triples. »

M. Orts. - Messieurs, si la personne qui a été attaquée était dans cette enceinte, aucun de vous ne voudrait lui contester la faculté de prendre la parole pour un fait personnel. L'absent qui a été attaqué dans des circonstances où d'ordinaire on n'est pas attaqué a le droit d'être défendu. Ce droit peut être invoqué par ceux qui entendent lui apporter le secours d'une amitié depuis longtemps vouée et dont ils sont fiers encore aujourd'hui.

- Plusieurs membres. - Très bien.

M. le président. - M. Orts demande la parole pour répondre personnellement aux attaques dirigées contre un absent.

M. Boedt. - Il n'y a rien de personnel dans mes observations.

M. le président. - La chambre connaît maintenant l'intention de M. Orts. Si elle prononce la clôture, elle le fera en connaissance de cause.

La clôture est mise aux voix; elle n'est pas prononcée.

M. Orts. - Messieurs, je ne veux dire qu'un mot.

Après les explications qui ont été données, dans cette enceinte, par un homme à la loyauté duquel tout le monde a rendu hommage, quelque nombreux, quelque violents qu'aient pu être ses adversaires politiques, après les paroles de l'honorable M. de Theux, il n'était plus permis de contester la valeur morale d'un fait, que tout le monde conservait le droit de juger au point de vue politique, il n'était pas permis à l'honorable membre auquel je réponds, il lui était permis moins qu'à personne de dire que cet ancien ministre avait vendu sa dignité pour de l'argent, après les explications nettes, loyales et vraies données par l'honorable M. de Theux. Ces explications n'ont été contestées par personne; elles n'ont pas été contestées notamment par les membres du cabinet qui ont concédé la pension dont il s'agit.

- De toutes parts. - Très bien !

- La discussion est close.

M. le président. - L'amendement qui s'écarte le plus de la disposition principale et qui doit être mis le premier aux voix est, je pense, celui de M. Jullien, auquel M. Jouret s'est rallié. (Adhésion.)

M. Delfosse. - Pour que le vote soit libre, la division est nécessaire.

Je demande que l'on vote sur le deuxième paragraphe relatif à la révision des pensions accordées.

M. de Brouckere. - Je propose formellement de ne mettre aux voix que le deuxième paragraphe qui consacre le principe de rétroactivité.

- Le deuxième paragraphe de l'amendement de M. Jullien est mis aux voix par appel nominal.

En voici le résultat :

88 membres répondent à l'appel nominal.

71 votent le rejet.

9 votent l'adoption.

8 s'abstiennent.

En conséquence le deuxième paragraphe de l'amendement de M. Jullien n'est pas adopté.

Ont voté le rejet : MM. de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Perceval, de Pitteurs, de Pouhon, Desoer, Destriveaux, de T'Serclaes, Devaux, Dolez, Dubus, Dumont, Faignart, Lange, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Lesoinne, Mascart, Moreau, Orts, Osy, Peers , Pirmez, Prévinaire , Reyntjens, Rousselle , Schumacher, Thibaut, Thiéfry , T'Kint de Naeyer , Toussaint , Tremouroux , Troye, Van Cleemputte, Van den Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Anspach, Boedt, Boulez, Bruneau, Cans, Clep, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere (H.), de Brouwer de Hogendorp, de Chimay, Dedecker et Verhaegen.

Ont voté l'adoption : MM. d'Hont, Jouret, Jullien, Rodenbach, Sinave, Ansiau, Christiaens, Debourdeaud'huy et Debroux.

Se sont abstenus : MM. de Bocarmé, Dechamps, de Theux, Jacques, Lelièvre, Mercier, Moxhon et Rogier.

Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. de Theux. - Messieurs, s'il ne s'était agi, dans cette loi, que d'adversaires politiques, j'aurais combattu le principe de la rétroactivité et j'aurais voté contre.

M. Jacques. - Je n'ai pas voulu voter contre l'amendement, parce que je reconnais que la législature a le droit de faire procéder à la révision des pensions, et qu'en donnant un vote négatif j'aurais pu faire croire que j'admettais le principe contraire.

Je n'ai pas voté pour, parce que le nombre des pensions accordées en vertu de cette loi de 1844 ne m'a pas paru tellement considérable qu’il fallût revenir sur ce qui a été fait.

M. Lelièvre. - Je ne voulais pas l'effet rétroactif; je ne pouvais donc voter en faveur de l'amendement. D'autre part, la révision, objet de la proposition de l'honorable M. Jullien, rentrait dans mon amendement pour les pensions que celui-ci avait pour but d'atteindre; c'est ce qui m'empêchait de lui donner mon suffrage. L'abstention était en conséquence la position que je devais prendre.

M. Mercier. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. de Theux.

M. Moxhon. - Ayant proposé un amendement dans un autre sens, je ne pouvais voter pour celui de l'honorable M. Jullien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Comme représentant je n'ai pas voulu voter une disposition qui avait pour but de détruire ou de flétrir une loi qu'en principe je considère comme essentiellement démocratique, juste et libérale.

Comme ministre, j'ai dû à regret m'abstenir de prendre la parole dans cette discussion, et je dois aussi, en la même qualité, m'abstenir de voter.

M. de Bocarmé. - Je me suis abstenu par la raison que tout en reconnaissant qu'il existe des motifs de révision, d'une autre part, le résultat de cette décision ne serait pas assez important pour entrer dans cette voie et établir un semblable précédent.

M. Dechamps. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. de Theux.

M. le président. - Par suite du vote que vient d'émettre la chambre, le troisième paragraphe de l'amendement de M. Jullien vient à tomber.

Je mets aux voix l'amendement de MM. Lelièvre et Moxhon.

- Cet amendement n'est pas adopté.

(page 511) M. le président. - Vient l'amendement de M. Troye.

M. Delehaye. - L'amendement de la section centrale.

M. le président. - Si la proposition de M. Troye est considérée comme amendement, je dois le mettre aux voix avant la proposition principale. Si au contraire on le considère comme disposition additionnelle, il ne doit être mis aux voix qu'après la proposition de la section centrale.

M. de Theux (sur la position de la question). - Il est évident que la proposition de l'honorable M. Troye n'est qu'un amendement à la proposition de la section centrale. Cela ne me paraît pas contestable. C'est à tel point vrai que si la proposition de la section centrale était adoptée, on ne pourrait plus voter sur l'amendement de M. Troye, à moins qu'il ne fît l'objet d'une loi nouvelle.

M. de Mérode (sur la position de la question). - L'amendement de l'honorable M. Troye n'a été l'objet d'aucune discussion. J'avais des objections à y faire.

Cet amendement n'a été présenté qu'à la fin du débat. L'honorable membre l'avait indiqué dans son discours, mais il ne l'avait pas déposé. Je n'ai qu'une simple observation à faire contre cet amendement, observation qui naît de la Constitution même. Je demande que la chambre veuille bien l'entendre.

M. Delehaye. - Messieurs, il certain que la proposition présentée par M. le rapporteur constitue un projet tout à fait nouveau. Tous les orateurs dans cette enceinte, les partisans même les plus déclarés de la loi des pensions, sont convenus que cette loi renfermait des erreurs. L'honorable M. Dolez lui-même a reconnu que la manière dont elle avait été interprétée avait donné lieu à quelques abus.

Il faut, messieurs, que la loi qu'on pourrait substituer à celle dont on se plaint ne donne pas elle-même lieu à des interprétations malheureuses. Je pense donc que ce que nous avons de mieux à faire, c'est de renvoyer la proposition de l'honorable M. Troye à la section centrale.

M. le président. - Je dois faire observer que la discussion a été dose sur tous les amendements et sur la disposition de la section centrale, et qu'il ne s’agit plus que de la position de la question.

M. Delehaye. - Je n'entre pas dans la discussion au fond, c'est sur la position de la question que je me fais entendre.

Je demande qu'on mette d'abord aux voix la proposition de la section centrale, qui consiste à abroger la loi actuelle. Ensuite je demande à la chambre de renvoyer la proposition de l'honorable rapporteur à la section centrale, ou plutôt à l'examen des sections. Il suffira pour le moment que la loi soit abrogée. Rien n'empêchera que la chambre reste saisie d'un nouveau projet sur la matière. Ce projet sera examiné par les sections et il sera permis à chacun d'émettre à cet égard son opinion.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, il est de toute évidence que la proposition de l'honorable M. Troye constitue un amendement, et l’amendement doit nécessairement être mis aux voix avant la proposition principale.

L'honorable M. Delehaye dit que cet amendement constitue un système nouveau. Mais si l'amendement reproduisait le même système que celui de la section centrale, il ne serait plus un amendement ; il ne serait que la répétition d'une proposition dont nous sommes saisis.

L'honorable M. Delehaye voudrait que la chambre commençât par abroger la législation existante, sauf à examiner si l'on y substituera autre chose. Mais je me permettrai de faire remarquer à l'honorable membre que je suis tout prêt à adopter l'amendement de l'honorable M. Troye, et que si cet amendement était rejeté, je ne voterais pas pour cela contre le maintien de ce qui existe, parce que, dans mon opinion, il faut qu'il y ait des dispositions spéciales relativement aux pensions des ministres. Je ne voterai l'abrogation de ce qui existe que pour autant que l'on y substitue des dispositions qui puissent me satisfaire.

On dit que l'amendement de l'honorable M. Troye est venu tardivement, qu'il n'a pas pu être discuté. Je dois faire remarquer que l'honorable M. Troye, qui a parlé le premier dans cette séance, a annoncé son amendement et l'a développé dans les termes les plus précis et les plus clairs. Si personne ne lui a répondu, c'est que probablement personne, dans la chambre, n'était tenté de le combattre.

Si cependant il était vrai que la proposition de l'honorable M. Troye n'ait pas été discutée par le seul motif que la chambre ne s'attendait pas à ce que son opinion fût formulée en amendement, je ne verrais aucun obstacle à ce que la chambre revienne sur la clôture qu'elle a prononcée. Je consens même à ce qu'on adopte la proposition de l'honorable M. Delehaye, en ce sens que l'amendement serait renvoyé à la section centrale et le vote remis à demain.

Je ne vois donc à faire que de deux choses l'une : ou voter aujourd’hui, mais alors commencer par l'amendement de l'honorable M. Troye; ou revenir sur la décision de clôture et discuter ultérieurement l'amendement.

M. Delfosse. - On ne peut renvoyer l'amendement de l'honorable M. Troye à la section centrale, par la raison bien simple que la section centrale a déjà été saisie de cette proposition et qu'elle s'est prononcée.

M. Troye, rapporteur. - L'amendement que je viens de déposer résume ce que j'ai eu l'honneur de dire à l'assemblée dès l'ouverture de ma séance, sur la nécessité d'appliquer aux fonctions ministérielles le principe d'une juste rémunération que nous voulons conserver en faveur de tous les fonctionnaires de l'Etat.

Il peut se faire que tous les membres de la chambre ne se rendent pas bien compte de l'organisation de cet amendement qui paraît peut-être un peu compliquée parce qu'elle se rattache à divers articles de la loi générale sur les pensions civiles et ecclésiastiques, dans laquelle les dispositions concernant les pensions des ministres doivent trouver leur place.

Mais si le vote de mon amendement tel qu'il est formulé paraît présenter des difficultés, il y a un moyen bien simple de permettre à chacun de nous d’émettre son vote avec la plus entière liberté. C'est de poser une question de principe. Voici en quels termes cette question peut être présentée : Le principe de la rémunération des services ministériels sera-t-il conserve, sauf à l'organiser ultérieurement, si la loi du 21 juillet 1844 sur les pensions des ministres est abrogée? (Interruption.)

Il me semble, messieurs, que chacun de nous peut se prononcer librement sur cette question. Mais puisque la chambre paraît pressée de terminer à l'instant même, je ne crois pas devoir insister davantage sur ma proposition.

M. le président. - L'amendement de M. Troye étant retiré, il ne reste plus qu'à voter sur la proposition de la section centrale.

- La proposition de la section centrale est mise aux voix par appel nominal.

92 membres répondent à l'appel nominal.

72 votent l'adoption.

12 votent le rejet.

8 s'abstiennent.

En conséquence la proposition de la section centrale est adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, de Pitteurs, Desoer, Destriveaux, d'Hont, Dubus, Dumortier, Faignart, Jacques, Jouret, Jullien, Lange, le Bailly de Tilleghem, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Peers, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Van den Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Allard, Ansiau, Boedt, Boulez, Bruneau, Cans, Christiaens, Clep, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bocarmé, Debourdeaud'huy, de Breyne, Debroux, Dedecker et Verhaegen.

Ont voté le rejet : MM. Delescluse, de Mérode, de Pouhon, Devaux, Dolez, Dumont, Lebeau, Schumacher, Vilain XIIII, Anspach, de Baillet (Hyacinthe) et de Chimay.

Se sont abstenus : MM. de Liedekerke, de Theux, de T’Serclaes, Rogier, Thibaut, Veydt, de Brouckere (Henri) et de Brouwer de Hogendorp.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. de Liedekerke. - Messieurs , d'une part, je suis favorable au principe d'une pension à donner aux ministres; d'autre part, je reconnais que la législation actuelle devrait subir quelques modifications. C'est pour cela que je me suis abstenu.

M. de Theux. - Messieurs, je regrette que l'honorable M'. Troye se soit déterminé à retirer son amendement. Je suis contraire à l'abrogation pure et simple de la loi, et je me réserve de soutenir une proposition nouvelle, lorsqu'elle sera formulée dans le sens des observations qui ont été présentées par l'honorable M. Troye.

M. de T'Serclaes. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs que l'honorable M. de Theux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai déjà fait connaître tout à l'heure les motifs de mon abstention.

M. Thibaut. - Messieurs, je me suis abstenu, parce que je désire voir la loi de 1844 remplacée par une autre loi, conçue dans l'esprit qui a dicté l'amendement de l'honorable M. Troye.

M. Veydt. - Je me suis abstenu par les mêmes motifs.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je me suis abstenu, parce que je regarde la disposition dont on demande l'abrogation, comme n'étant pas à l'abri de tout reproche, et que je ne voulais pas voter pour le maintien de cette disposition. D'un autre côté, je suis intimement convaincu qu'il est dans l'intérêt du pays que des règles particulières soient établies quant à la pension des ministres; et je n'ai pas voulu abroger la législation existante sans qu'on y substituât une autre législation.

M. de Brouwer de Hogendorp. -Messieurs, je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. H. de Brouckere.

- La chambre consultée décide qu’elle procédera demain en séance publique, à deux heures, au vote définitif du projet de loi sur les pensions.

- La séance est levée à cinq heures.