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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 3 février 1848

(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)

(Présidence de M. Delfosse, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 719) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à midi et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

M. A. Dubus communique à la chambre l'analyse des pièces qui lui sont adressées.

Pièces adressées à la chambre

« Les membres du conseil communal de Loenhout prient la chambre de rétablir les droits d'entrée sur le bétail. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« L'administration communale et un grand nombre d'habitants de Wandre prient la chambre de rejeter la demande qui a pour objet la séparation du hameau de la Xhavée dépendant de cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de la commune d'Horion-Hozémont prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession. »

« Même demande de plusieurs habitants de Porcheresse, Barvaux, Haneffe, Miécret, Verlée, Baronuville, Wiesme, Lierneux de Villers-sur-Lesse, Lessines, Grave, Rochefort. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Les membres du conseil communal d'Anlier demandent le redressement de quelques points de la route d'Arlon à Neufchâteau. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieurs Desforges, propriétaire agronome, demande que le gouvernement simplifie les formalités prescrites pour l'exécution de la loi portant franchise du droit d'accise sur le sel brut destiné à l'alimentation du bétail et à l'amendement des terres, et que l'agriculture jouisse de la franchise du droit de barrière quant aux transports de cet engrais minéral. »

- Renvoi à la commission permanente de l'agriculture et de l'industrie.

Motion d'ordre

Aperçu des routes construites depuis 1830

M. Rousselle (pour une motion d’ordre). - D'après un vœu exprimé par la section centrale du budget des travaux publics de 1847, M. le ministre de ce département a transmis à la chambre trois tableaux indiquant les routes construites depuis 1830. Je désirerais que M. le ministre voulût bien insérer ces trois tableaux dans les développements du budget de 1849, s'il n'y voit pas d'inconvénient ; en y ajoutant cependant deux colonnes indiquant l'une le montant du droit de barrière, l'autre les frais d'entretien de chaque route. Je désirerais aussi que M. le ministre voulût bien faire faire le même travail pour les routes construites avant 1795, pour celles construites de 1795 à 1814 et enfin pour celles construites de 1814 à 1830.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Le travail relatif aux routes construites depuis 1830 avait été demandé par la section centrale lors de l'examen du budget des travaux publics. Ce travail était fort long, il n'avait pas encore été soumis à la chambre ; je l'ai communiqué depuis que la section centrale a terminé son travail. Je ne vois pas d'inconvénient à comprendre ces tableaux dans les développements du budget de 1849 et à y ajouter un travail semblable pour les routes construites avant 1830, ainsi que les renseignements que l'honorable membre a indiqués ; mais quant aux routes qui ont été faites avant 1795, je ne sais si le travail pourra être fait ; je ne sais si le département possède les éléments nécessaires pour l'établir ; je ne sais pas non plus si le temps assez court qui nous sépare de la présentation du budget de 1849 suffirait pour les réunir ; toutefois, j'examinerai s'il est possible de satisfaire à la demande de l'honorable M. Rousselle.

Projet de loi sur la garde civique

Motion d'ordre

M. Lys (pour une motion d’ordre). - La chambre a renvoyé à l'examen des sections le projet de loi relatif à la garde civique. La présentation de cette loi remonte à trois années. Dans la section que j'ai l'honneur de présider, un seul membre avait le projet de loi ; les autres, ou l'avaient emporté chez eux, ou ne l'avaient pas reçu. Je l'ai fait demander à la bibliothèque, il n'y en restait plus que quelques exemplaires. Il serait nécessaire de le faire réimprimer, mais avant il faudrait que le ministère se fût expliqué sur ce projet auquel il se propose peut-être d'apporter quelques modifications.

Plusieurs voix. - Il faudrait attendre la présence de M. le ministre de l'intérieur.

M. de Bonne. - J'avais demandé la parole pour proposer d'attendre la présence de .M. le ministre de l'intérieur. Il ne reste plus que 15 à 20 exemplaires du projet de loi relatif à la garde civique, ce nombre est insuffisant, mais avant de faire une dépense de 7 à 800 fr. pour le réimprimer, il faudrait que M. le ministre se fût expliqué sur ce projet, eût indiqué les changements qu'il se propose d'y introduire, si son intention est d'y apporter des modifications.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1848

Second vote

- Les amendements adoptés au premier vote, aux divers articles du budget sont successivement confirmés sans discussion.

M. le président. - La chambre a encore à statuer sur la disposition additionnelle suivante adoptée au premier vote sur la proposition de M. de Man d'Attenrode.

« Des traitements ou indemnités pour le personnel ne pourront être prélevés sur les allocations destinées à des travaux extraordinaires ou spéciaux. »

La chambre aura à décider si cette disposition doit former le deuxième alinéa du texte du budget ou si elle doit être insérée dans la colonne des observations (chapitre chemin de fer.)

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - Je pense qu'il conviendrait d'opérer le classement de cette disposition soit dans la colonne d'observations au chapitre III, soit à la fin du chapitre III, chemin de fer. Sinon il aurait une portée trop générale. Il comprendrait une exception nécessaire que j'avais d'avance indiquée dans les développements du budget.

J'ai dit à la page 64 des développements : Quant aux aides temporaires, chaîneurs, porte-mires, etc., qui sont de véritables ouvriers payés à la journée et congédiés dès que leurs services ne sont plus nécessaires, leur salaire sera payé, comme par le passé, sur les fonds affectés aux études des projets ou aux travaux spéciaux.

Il est bien entendu que les choses doivent continuer à se pratiquer ainsi quant à ce personnel. Ils rentrent dans la catégorie de tous les autres ouvriers qui sont payés sur les fonds spéciaux.

Je dois faire cette remarque afin qu'on n'induise pas de la disposition, si elle était maintenue dans le texte de la loi, une application au personnel des ponts et chaussées, ce qui serait erroné.

L'honorable M. de Man sera d'accord avec moi, je présume, qu'on pourrait opérer le classement de son amendement après le chapitre chemin de fer.

M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, en présentant mon amendement mon intention n'a pas été d'y comprendre les salaires. Le but de mon amendement a été d'atteindre les traitements.

Quant à la question du classement, je désirerais que mon amendement fît partie du projet de loi, qu'il fit l'objet d'un paragraphe additionnel à l'article unique de la loi du budget. Se borner à insérer cette disposition importante dans la colonne d'observations, ne me semble pas suffisant ; ce ne serait pas lui donner le caractère d'une disposition légale.

L'honorable ministre des travaux publics vient de nous dire qu'il ne pensait pas que cet amendement pouvait avoir pour résultat de mettre obstacle à ce que le gouvernement prélevât sur les fonds spéciaux les sommes nécessaires pour payer les salaires. Comme je viens de le dire, telle n'a pas été non plus mon intention. Cependant il est une chose a remarquer : l'origine de plusieurs de ces traitements que nous sommes obligés de comprendre aujourd'hui malgré nous au budget a été plus ou moins des salaires.

D'après les renseignements que j'ai pris, voici comment l'on a procédé : l'administration des travaux publics commençait, en créant une place, à donner au traitement, qui en était la conséquence, le nom de salaire ; ensuite petit à petit à ce mot salaire se substituait le mot traitement.

J'entends bien qu'il n'en sera plus ainsi à l'avenir, et que les salaires dont l'honorable ministre vient de nous parler ne concerneront plus à l'avenir que les ouvriers. Car s'il en était autrement, on pourrait recommencer à créer de nouvelles places, et arriver ainsi dans l'avenir, avec des nomenclatures de traitements, à transférer au budget des dépenses ordinaires.

M. Rousselle. - Je pense que l'amendement proposé par l'honorable membre ne peut s'insérer dans la loi tel qu'il est proposé, car il (page 720) faut remarquer que le département des travaux publics fait opérer, dans plusieurs provinces, l'entretien des routes par régie. Or, pour surveiller les ouvriers qui travaillent au pavage, il y a les piqueurs et des surveillants ; ces piqueurs et ces surveillants sont payés, je crois, sur le chapitre de l'entretien des roules, et ne sont pas compris dans le personnel dont M. le ministre a fourni le tableau.

Ainsi pour insérer l'amendement dans la loi, il faudrait le libeller tout autrement, et faire une réserve pour ces piqueurs ou ces surveillants qui sont payés sur le fonds des routes.

M. le ministre des travaux publics (M. Frère-Orban). - L'observation de l'honorable M. Rousselle manque d'exactitude. Il y a à la section V du chap. Il du budget deux articles, l'article 33 et l'article 34 ; l'article 33 comprend les traitements des ingénieurs, conducteurs et adjoints au corps des ponts et chaussées ; l'article 34 comprend les traitements du personnel définitif des surveillants, garde-ponts à bascule, éclusiers, pontonniers et autres agents subalternes du service des ponts et chaussées. J'ai donné le détail des employés qui sont payés sur l'article 33, mais je n'ai pas donné l’indication du personnel repris dans l'article 34. Dans ce personnel figurent les employés définitifs, les agents du gouvernement, les véritables fonctionnaires, qui ont une nomination, qui contribuent à la caisse de retraite et qui ont droit à la pension.

Je n'ai pas donné l'indication de ce personnel, parce qu'elle n'était pas demandée et, qu'au surplus, il était inutile de la fournir. Ce n'est pas à celui-là que s'appliquent les considérations que j'ai fait valoir, c'est à une autre espèce de personnel encore, c'est à un personnel vraiment temporaire, appelé à seconder l'exécution des travaux, et l'on y comprend un certain nombre de personnes qui ne peuvent pas rigoureusement entrer dans la classe des ouvriers proprement dits ; ce sont les aides temporaires, les chaîneurs et les porte-mire ; ils sont payés par journée, ils n'ont pas de nomination, pas de traitement ; ils ne font pas partie des employés de l'Etat. Pour ceux-là, il doit nécessairement y avoir une exception, et l'honorable M. de Man est d'accord avec moi sur ce point. C'est ainsi que le gouvernement l'a compris, ainsi que le prouve la mention expresse faite à la page 64 des développements.

Je crains quelques difficultés avec la cour des comptes et c'est pour cela que j'ai fait ces observations. A raison de la généralité des termes de l'amendement, s'il se trouvait dans la loi il s'appliquerait indistinctement à tout payement relatif à du personnel et pour éviter toute espèce de difficulté, je propose de porter l'amendement en marge des articles relatifs au chemin de fer, parce que là il ne présente aucune espèce d'inconvénient et qu'il atteindra principalement le but que veut atteindre l'honorable M. de Man.

Il y a au chapitre du chemin de fer un article spécial pour les ouvriers et autres agents qui reçoivent des salaires. Mais il n'y a pas de fonds au budget pour le salaire du personnel spécial que je viens d'indiquer. Il y aurait donc des inconvénients à insérer l'amendement dans l'article du budget, mais il n'y en a aucun à le porter au chapitre du chemin de fer. Alors toute espèce d'équivoque disparaîtra et le gouvernement ne rencontrera point de difficulté dans la liquidation des. sommes qui sont mises à sa disposition.

M. de Man d’Attenrode. - Je persiste à demander que mon amendement fasse partie intégrante de la loi ; mais, pour venir au-devant de l'observation que vient de faire M. le ministre des travaux publics et pour aplanir toutes les difficultés, je propose de modifier la rédaction de mon amendement de la manière suivante :

« Des traitements ou indemnités pour le personnel de l'administration des chemins de fer ne pourront, etc. »

- L'amendement est mis aux voix et adopté. Il sera placé, comme disposition additionnelle, à l’article premier du texte du projet de loi.

Vote des articles et sur l’ensemble du projet

La chambre passe au vote du texte du projet de budget.

« Art. 1er. Le budget du ministère des travaux publics est fixé pour l'exercice 1848 à la somme de 17,593,444 fr. 43 c, conformément au tableau ci-annexé. »

- Adopté.


M. le président. - A la suite de la disposition qui vient d'être adoptée, vient l'amendement de l’honorable M. de Man, que la chambre a adopté tout à l'heure définitivement.


« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


On passe à l’appel nominal.

Le budget est adopté à l'unanimité des 69 membres qui ont pris part au vote. En conséquence, il sera transmis au sénat.

Ont voté l'adoption : MM. Van Huffel, Verhaegen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Broquet-Goblet, Bruneau, Cans, Clep, Cogels, Coppieters, d'Anethan, David, de Baillet-Latour, de Bonne, de Breyne, de Chimay, de Clippele, de Corswarem, Dedecker, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Meester, de Muelenaere, de Sécus, Destriveaux, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hane, A. Dubus, Dumont, Duroy de Blicquy, Eenens, Faignart, Frère-Orban, Henot, Herry-Vispoel, Jonet, Lange, Lejeune, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mercier, Moreau, Orban, Osy, Pirmez, Pirson, Rousselle, Sigart, Simons, Tielemans, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Cleemputte, Van Cutsem.

Proposition de la section centrale sur les sucres, détachée du projet de budget des voies et moyens

Discussion générale

M. le président. - Conformément à la décision prise hier par la chambre, la discussion continue sur la proposition de la section centrale relative aux sucres et sur l'amendement de M. de Corswarem.

Comme il n'a pas été donné suite à la motion d'ordre de M. Eloy de Burdinne de donner successivement la parole à un orateur contre et à un orateur pour, je dois suivre l'ordre des inscriptions.

M. Cogels. - J'ai écouté avec beaucoup d'attention le discours prononcé hier par un honorable député de Nivelles. L'honorable M. Mercier faisait partie de la section centrale, de la majorité qui a adopté la proposition ou pour mieux dire les propositions qui nous ont été soumises par la section centrale, car il n'y a pas une proposition bien nettement définie ; je m'attendais dès lors à voir l'honorable député de Nivelles défendre l'ouvrage de la section centrale ; j'aurais eu lieu d'être surpris de la conclusion de son discours si je n'avais été habitué à voir l'honorable M. Mercier, comme député et comme ministre, faire dominer dans toutes les questions le côté fiscal, car il faut le dire, la proposition de l'honorable membre a un caractère purement fiscal.

La loi, telle qu'il propose de la modifier, serait dépouillée de tout caractère commercial, industriel ; c'est un reproche que j'ai souvent fait à l'honorable M. Mercier, c'est un des points sur lesquels il y a toujours eu le plus de dissentiment entre nous. En matière de finances, il y a deux manières d'envisager la question pour se procurer des ressources : il y a deux moyens : puiser à toutes les sources, sauf à les épuiser, ou chercher à féconder les sources auxquelles on doit puiser et y puiser avec mesure, pour pouvoir y puiser longtemps. Ce dernier système, qui a toujours eu ma préférence, est aussi celui qui doit avoir la préférence de tous les hommes d'Etat.

C'est ainsi que, dans toutes les mesures prises par l'Angleterre, la question commerciale, la question industrielle, la question d’intérêt nationale a toujours dominé la question fiscale. En adoptant une voie si sage, l’on est parvenu, en allégeant les impôts, à accroître les revenus. Je n'entreprendrai pas de combattre maintenant la proposition de l’honorable député de Nivelles, j'attendrai qu'elle ait subir l’examen des sections ; c'est alors seulement, que nous pourrons nous en occuper utilement ; je n'examinerai pas non plus les nombreux calculs qu'il nous a présentés ; car je n'ai pas eu assez de temps pour des vérifier. La question que nous avons à examiner aujourd'hui, c'est la première proposition de la section centrale, c'est-à-dire l’abrogation d'une loi à laquelle vous aviez donné un terme fixe avec une pleine connaissance de cause. Cette question que mon honorable ami M. Malou a si bien définie, cette question de moralité législative, de loyauté parlementaire, c’est la première question à examiner ; ensuite, dans, le cas où la chambre ne prendrait pas en considération cette question de moralité législative, si la section centrale parviendrait à atteindre le but qu'elle s'est proposé, si elle parviendrait à combler le déficit qu’elle prévoit, qui était déjà prévu dès le mois de mai 1847.

J'ai dit que vous aviez prévu la conséquence de la mesure que vous adoptiez ; on n'a pas cherché à vous tromper, à vous faire illusion. Le ministre des finances, mon honorable ami M. Malou, vous avait dit, dès le mois de mai 1847, qu'il était probable que la loi de 1846 ne réaliserait pas toutes les espérances qu'on s'était formées ; que, par suite des modifications apportées à la législation en Angleterre,, il fallait suspendre la disposition frappant de droits différentiels les provenances des marchés de l'Europe, qui, par suite de la diminution de la consommation en Belgique, diminution qui avait frappé non seulement le sucre, mais les boissons distillées, les bières et d'autres objets de consommation qui sont les principales sources de nos revenus, on ne pouvait pas s'attendre à atteindre le revenu de 3 millions qu'on s'était promis. Voici comment s'exprimait l'honorable M. Malou :

« Les circonstances où le pays se trouve auraient réagi sur l'accise du sucre comme elles ont agi sur tous les produits des autres accises, quel qu'eût été le système de législation. Ce fait est incontestable. Je suppose qu'au lieu du système qui a prévalu en 1846 après de longs et mémorables débats, nous fussions restés sous le système de la loi de 1843, la retenue des quatre dixièmes, et je n'hésite pas à déclarer que, sous ce système, la recette, eût été de beaucoup inférieure à celle que nous réaliserons cette année.

« Je le répète donc, en prenant pour point de départ le principe admis en 1846, il faut que nous puissions compléter l'expérience, la faire dans des circonstances normales, pour ne pas détruire prématurément les résultats que la législature et le gouvernement ont eus en vue. Si l'on augmentait le rendement avant, que l’on eût apprécié si réellement la recette ne peut pas être atteinte, lorsque la consommation se maintient à son taux normal, on jetterait dans les deux industries (car je ne puis trop le répéter, le rendement est un intérêt commun aux deux industries), on y jetterait une perturbation très grande, une perturbation déplorable. »

Ainsi, messieurs, vous voyez que l'honorable ministre des finances d'alors vous disait qu'en maintenant la loi de 1846, en n'y apportant pas de modifications, on jetterait la perturbation dans les industries. Quelle serait donc leur situation si, malgré le vote émis alors, vous veniez supprimer brusquement la résolution que vous avez prise ? si, disons le mot, (page 721) vous veniez violer des engagements sur lesquels les raffineurs ont eu le droit de compter, sur lesquels plusieurs opérations ont pu être basées ? Nous ne devons pas légèrement porter atteinte aux engagements pris vis-à-vis du commerce et de l'industrie.

Vous voulez, dites-vous, introduire dans le pays des industries nouvelles ! Mais alors il ne faut pas jeter des inquiétudes sur les industries anciennes ; il ne faut pas les pressurer dès qu'elles prospèrent. Il faut qu'on puisse compter au moins sur un peu de stabilité. Quel homme voudrait, sur la foi de la législation existante, fonder un établissement si, au bout de quelques mois, il pouvait craindre de voir bouleverser cette législation, de voir tous ses capitaux perdus ? Si vous voulez effectivement que la prospérité nationale se développe, si vous voulez appeler les industries étrangères, il ne faut pas inquiéter, tourmenter, pressurer toutes les industries, dès qu'elles prennent quelque développement, dès qu'elles prospèrent.

D'ailleurs si le principe posé par la section centrale était admis, vous pourriez l'appliquer également aux céréales : vous avez suspendu les effets de la loi de 1834 jusqu'au 1er octobre. Vous avez accordé au gouvernement la faculté d'étendre cette prorogation jusqu'au 31 décembre.

Qui vous empêcherait, vu le prix actuel des céréales, de suspendre les effets de cette prorogation ? Où en seraient les négociants, qui, sur la foi de la décision que vous avez prise, ont fait des commandes de céréales, attendent des cargaisons, qu'ils seraient obligés de mettre en entrepôt, de laisser dépérir, qu'ils ne pourraient déclarer en consommation ? C'est ce que vous ne pouvez pas. C'est ce que vous ne ferez pas.

Il y a, quoi qu'en ait dit le rapport de la section centrale, une bien grande différence entre une loi qui n'a aucun terme fixe et une loi à laquelle vous avez assigné un terme. Dans le premier cas, on sait que vous pouvez constamment modifier la loi.

Pour qu'il vous fût permis de le faire dans la circonstance présente,, vous auriez dû, en mai 1847, non assigner un terme à la loi, mais dire que les effets de la loi de 1846 étaient provisoirement suspendus jusqu'à résolution contraire. Mais, dès que vous avez stipulé un terme, et ce terme s'étend jusqu'au 1er juillet 1848, vous ne pouvez, sans exposer les industriels et les négociants à des pertes considérables, à la ruine peut-être, vous ne pouvez revenir sur cette résolution. D'ailleurs, si, comme nous, vous aviez connaissance des fortes dépenses qui ont été faites par l'industrie, si vous saviez, comme moi, qu'il y a des raffineurs qui ont modifié leur système de fabrication, qui ont fait jusqu'à 180 mille francs de dépenses à leurs usines, vous n'iriez pas les priver du peu de temps qui leur reste pour l'exploitation de ce nouveau système. Ils seront déjà assez malheureux si, à l'expiration du délai, vous admettez un système qui détruise leurs espérances ; car ils devaient compter sur plus de stabilité.

Cette grande instabilité nuit aux intérêts de l'industrie et du commerce, et même aux intérêts du trésor. Car j'ai déjà eu l'occasion de le dire, et je le répète, c'est dans le développement des relations commerciales et industrielles, c'est dans le travail du pays que vous devez trouver vos richesses ; ce n'est pas dans un impôt qui pressurera pendant quelque temps une industrie et lui fera produire quelques millions, sauf à la faire mourir, sauf à tarir les sources de la prospérité générale.

A quoi aboutit ce système ? Tous les jours nous détruisons d'une main ce que nous avons construit de l'autre. Il y a à peine trois ans que nous avons voté la loi des droits différentiels. L'honorable M. Mercier qui était alors au ministère, qui a défendu cette loi, qui l'a votée, devait en connaître le but et l'esprit. A quoi tendait la loi des droits différentiels ? A créer des relations avec les pays transatlantiques. Mais si vous introduisez cette instabilité dans nos lois, quel est le négociant qui osera se créer des relations transatlantiques, qui osera faire une expédition aux Indes, avec des retours de 18 mois, et même aux Antilles, au Brésil, aux Etats-Unis ?

Quel serait le résultat inévitable du système que l'on préconise ici ? Ce serait tout bonnement d'obliger le négociant à s'adresser, pour ses approvisionnements, au marché le plus voisin, à ne commander des denrées coloniales ni aux Antilles, ni au Brésil, ni aux Indes, mais à les faire venir de Londres par le bateau à vapeur. Ainsi le but de la loi des droits différentiels se trouverait complètement détruit.

La loi qui a été votée en 1846 avait un triple caractère : elle avait un caractère commercial et industriel d'abord et fiscal ensuite ; car il suffit de lire les débats pour voir que c'est la question commerciale, industrielle, qui a dominé les discussions qui ont amené l'adoption de la loi de 1846.

On n'a pas exigé du sucre tout ce qu'il pouvait rapporter .On s'est contenté d'un revenu de trois millions, revenu éventuel, probable ; car il serait aussi impossible d'assigner aux sucres un revenu fixe de trois millions, qu'il serait impossible d'assigner un revenu fixe aux bières et aux genièvres. Ce revenu est évalué au budget des voies et moyens ; mais eu raison de circonstances extraordinaires, les prévisions du budget des voies et moyens ne sont pas atteintes ; et malgré cela, vous ne proposez pas annuellement des modifications à la loi d'accise, pour une cause qu'on peut regarder comme exceptionnelle, comme temporaire.

Je ne pense pas que la chambre soit disposée à porter atteinte à la loi de 1846, avant le terme fixé. Mais comme je l'ai dit tout à l'heure, lors même que la chambre adopterait une résolution contraire, le but de la section centrale ne serait pas atteint.

En effet, il nous reste à peine cinq mois d'ici au 1er juillet. En supposant que par suite de la menace sous laquelle est l'industrie des sucres depuis le 7 décembre de l'année dernière, date de la proposition de la section centrale, en supposant qu'il n'y ait pas en de prises en charge extraordinaires, et que les choses suivent leur cours normal, vous aurez d'ici au 1er juillet 3 millions et demi de kilogrammes environ d'exportations.

Je calcule les exportations au taux auquel elles se sont élevées, c'est-à-dire à neuf millions de kilog. par année ; vous aurez donc pour la dernière quinzaine de février (car la loi ne pourra être mise en vigueur avant le 18 février) un franc d'augmentation sur 750.000 kilogrammes, soit 7,500 fr., 4 fr. sur les exportations qui se feront pendant les quatre mois suivants, et qui s'élèveront à 3 millions, ce qui fait 120,000 fr. Ainsi donc l'augmentation sera tout au plus de 127,500 fr.

Et cela dans la supposition qu'il n'y aurait pas de prises en charge extraordinaires. Cependant nous avons lieu de supposer le contraire.

Mais, nous dit l'honorable M. Mercier (c'est ce qui a été dit dans la discussion de 1847), en portant le rendement jusqu'à 72, l'exportation deviendra impossible ou moindre, et, par conséquent, nous ferons acquitter le droit sur de plus fortes quantités.

Ceci, messieurs, pourrait être vrai dans le cas où vous feriez une nouvelle loi, et alors encore cela ne deviendrait vrai que dans un espace de quelques mois. Car, vous le concevez, le négociant qui a fait une opération en prévision de la loi actuelle, doit exporter. Il a des quantités plus fortes qu'il n'en peut livrer à la consommation, parce qu'il ne peut pas aller au-delà des besoins réels de la consommation. Par conséquent, il doit exporter coûte que coûte. Et qu'arrivera-t-il ? C'est qu'il exportera, alors même que ces 127,500 fr., qui pourraient rester dans les caisses du trésor, devraient constituer une perte. Il subira la perte s'il peut la supporter ; ou, s'il ne peut la supporter, il fera comme ont fait dernièrement les grands raffineurs de Hollande, il sera forcé de suspendre ses payements, et vous aurez dans cette industrie la perturbation qui a malheureusement eu lieu dans une partie du commerce en Hollande, mais que vous ne devez certainement pas envier aux pays voisins. Car je crois que nous devons nous applaudir du beau rôle que la Belgique a joué en présence de la grande crise commerciale et industrielle qui a affligé les pays voisins, tandis que, si l'on en excepte quelques banquiers de provinces, nous n'avons pas eu de bien grands dérangements à déplorer.

Voilà, messieurs, les véritables conséquences de votre loi : c'est qu'en calculant au maximum, les revenus du trésor pourraient s'accroître de 127,500 fr. et que vous pourriez occasionner par là une grande perte aux industriels, qui auraient eu le tort de compter sur la stabilité de vos lois.

Je disais tout à l'heure : Dans le cas où il n'y aurait pas eu de prises en charge extraordinaires. Mais voici encore une des conséquences malheureuses du système suivi jusqu'à présent en Belgique, de l'instabilité de la loi : c'est que, avec la menace constante sous laquelle il se trouve, vous forcez le commerce, ou, pour mieux dire, vous engagez le commerce à faire de fausses opérations.

Nous en avons eu un exemple en 1842 et' en 1843, lorsqu'on avait menacé l'industrie des tabacs. Quelle en a été la conséquence ? Des importations excessives, des déclarations en consommation au-delà des besoins ; un marché surchargé et des importations bien moindres dans la première année de la mise à exécution de la loi.

Vous pouvez avoir la même chose pour le sucre. Naturellement tous les négociants ne s'entendent pas ; chacun cherche à échapper à la nouvelle législation ; il fait des importations au-delà des besoins réels, et c'est ainsi que, sans le vouloir, vous jetez encore une nouvelle perturbation dans le commerce et dans l'industrie.

On a contesté la diminution de la consommation, et l'effet que cette diminution a produit sur le revenu du trésor. On a dit, et je crois que l'honorable M. Mercier lui-même a dit hier dans son discours qu'il était extrêmement difficile d'apprécier cette consommation.

En effet, messieurs, cette difficulté existait, lorsque nous n’avions aucun moyen de contrôle pour le sucre indigène, parce qu'il nous était impossible de connaître la part que le sucre indigène prenait dans la consommation. Mais il n'en est plus de même, à moins de supposer que, de la part du sucre indigène, il n'y a pas une constatation réelle, malgré les mesures un peu plus sévères qui existent aujourd'hui, mesures qui ne sont cependant pas assez sévères. Car, par la loi de 1847 également, vous avez fait au sucre indigène un régime extrêmement « doux » ; je puis me servir de l’expression de M. le ministre des finances d'alors. Eh bien ! le sucre indigène aura profité de la douceur de ce régime, et je ne pense pas que nous soyons parvenus à constater bien exactement le produit réel de la betterave.

Mais j'admets les produits tels qu'ils sont consignés dans les documents qui nous ont été fournis par le ministère des finances, et je trouve que dans un espace de seize mois, c'est-à-dire depuis le 1er juillet 1846 jusqu'au 31 octobre 1847, nous avons eu des prises en charge pour 24,700,000 kilog., nous avons eu des exportations pour 10,700,000 kil., ce qui fait pour les seize mois une consommation de 14,000,000 de kil.

En 1846 la consommation a été normale ; c'est en 1847 seulement que nous avons vu la cherté excessive des denrées alimentaire. Mais en (page 722) faisant une règle de proportion, vous trouverez qu'au lieu de 12 millions sur lesquels on avait compté pour la consommation du pays, la consommation de 1847 n'a été que de 10 millions ; et en faisant la part un peu plus large à 1846, comme vous devez le faire, puisque les causes de diminution n'existaient pas alors, on peut évaluer raisonnablement à 9 millions seulement la consommation de 1847.

Il y a donc là un déficit réel de 3 millions, comme vous l'a fait remarquer l'honorable M. Osy, et ce déficit a évidemment exercé une très grande influence sur les revenus du trésor ; d'autant plus que ce déficit a porté principalement sur le sucre fin. Car c'est dans la classe moyenne, c'est dans les petites fortunes, qu'il y a eu le plus de gêne, et c'est là que pour équilibrer tous les petits budgets, on a été obligé de s'imposer un très grand nombre de privations.

Je crois, messieurs, avoir démontré tout ce qu'il y aurait de peu loyal, de peu équitable dans la mise en vigueur d'une loi que vous avez suspendue il n'y a guère que 8 à 9 mois, en pleine connaissance de cause et en calculant toutes les conséquences de cette suspension.

Je crois avoir démontré également que l'adoption d'un système aussi fâcheux, je dirai d'un système aussi condamnable, ne vous donnerait pas les résultats que vous vous en seriez promis. J'aime à croire dès lors que la majorité de la chambre repoussera la proposition de la section centrale, qu'elle attendra l'examen de la proposition qui a été faite par l'honorable M. Mercier, et alors nous pourrons avoir de nouveau une discussion approfondie, nous pourrons étudier et élaborer la question. Car il faut bien le dire, la proposition de la section centrale n'avait pas été étudiée, n'avait pas été élaborée, n'avait pas été développée.

Eh bien ! nous pourrons étudier la question et décider en pleine connaissance de cause, s'il faut dépouiller une loi que vous avez modifiée si souvent, de son caractère commercial et industriel et lui assigner un caractère purement fiscal.

M. de La Coste. - Messieurs, je commence par répondre à ce que vient de dire l'honorable M. Cogels sur ce régime de la perception, qu'il considère, ainsi que d'autres honorables préopinants, comme trop doux, comme laissant en dehors de la perception des quantités considérables. Je crois, messieurs, que les résultats comparés de ce pays avec ceux de la France, où le régime est extrêmement sévère, ne justifient pas cette supposition et qu'elle est détruite par un calcul très simple.

Si l’on consulte des renseignements officiels relatifs aux trois dernières années, on trouvera que l'excédant des exportations sur les importations a été annuellement, pendant cette période, de 7,670,332 kil. Voilà la moyenne de l'excédant des exportations sur les importations des années 1845, 1846 et 1847.

Eh bien, messieurs, pour parfaire une consommation, non pas seulement de 11 millions, comme le disait M. Mercier, mais même d'environ 12 millions, il suffit d'ajouter à cet excédant 4,300,000 kil. fournis par la fabrication indigène.

Ainsi, messieurs, les faits contredisent la supposition de l'honorable M. Cogels, à moins qu'on n'évalue la consommation beaucoup au-dessus de 12 millions de kilogrammes.

Messieurs, le système de la loi de 1846, je l'ai admis comme un essai qu'il fallait faire, comme une transaction très ingénieuse dans son principe, quoique tous les détails ne répondissent pas, selon moi, à l'idée principale. Pour que cette idée principale reçût véritablement son application, il aurait fallu deux choses qui n'ont pas eu lieu ; il aurait fallu que l'impôt sur le sucre indigène, dans sa progression, suivît et suivît plus graduellement le développement de la fabrication ; il aurait fallu, d'un autre côté, quant au rendement, qu'il fût toujours assez élevé pour que le trésor perçût les 3 millions qui lui étaient promis. Il ne faut pas se le dissimuler, messieurs, si l'on veut que le trésor ait sa part, il faut absolument choisir ou bien un système dans le genre de celui que M. Mercier a proposé, ou bien un rendement très élevé, un rendement suffisamment élevé pour que les exportations n'apurent pas la grande partie des prises en charge. Voilà, messieurs, un axiome que l'on reconnaîtra vrai pour peu qu'on ait étudié la question. Eh bien, messieurs, cette garantie du trésor a été affaiblie déjà dans la loi de 1846, par le maximum posé au rendement, et elle a été entièrement suspendue par la loi de 1847.

Aussi longtemps, messieurs, qu'une aussi grande partie des prises en charge pourra être apurée par la restitution, aussi longtemps que la restitution emportera la plus grande part de l'impôt, il est d'un très faible intérêt pour le trésor que les prises en charge soient augmentées, il est donc d'un très faible intérêt pour le trésor d'augmenter le droit sur le sucre indigène. Que ce droit soit porté à 34 fr. ou qu'il reste à 30 fr., c'est d'un très faible intérêt pour le trésor, d'un intérêt probablement nul, car, messieurs, voici ce qui se passe : le fabricant qui a produit 100 kilogrammes de sucre indigène, s'adresse à un raffineur et lui offre ces 100 kilogrammes ? Le raffineur répond : Je vous en donne 100 fr., mais sur ces 100 fr. je réduis le droit et je me charge, moi, d'apurer les droits. Le fabricant reçoit 70 fr. et le raffineur apure les droits moyennant l'exportation de 45 kilogrammes.

Maintenant, messieurs, si le droit est porté à 34 francs, qu'est-ce qui arrivera ? C'est qu'il faudra exporter quelques kilog. de plus pour apurer entièrement l’impôt, mais le trésor n'en aura rien.

L'impôt cependant est payé par le contribuable ; on lui fait payer le sucre en raison de l'impôt et il paye celui-ci intégralement puisqu'il n'y a plus de prime de mévente. Mais ce que nous puisons de cette manière dans la poche du contribuable nous le jetons dans un crible ; si du moins ce qui passe à travers restait en entier entre les mains des raffineurs, des armateurs des courtiers, des ouvriers tant des raffineries que des ports, ce ne serait que demi-mal, parce qu'au moins cela resterait dans le pays. Mais, messieurs, une partie, la moitié peut-être de ce qui est donné de cette façon sert à livrer le sucre à meilleur marché à l'étranger ; cette partie est donc, pour ainsi dire, jetée dans l'Escaut, semée dans tous les pays et perdue pour le nôtre.

Messieurs, je vous ai déjà dit que j'ai admis la transaction de 1846, malgré cette objection, et pourquoi ? Parce que ce système est la base d'une industrie existante, parce qu'il fait vivre des ouvriers, parce que quelques-unes de nos grands villes y prennent intérêt.

Voilà pourquoi on a admis ce système dans une certaine limite. Mais il faut, au moins rester dans cette limite, car, messieurs, cette limite est une des bases fondamentales de la loi, c'est la garantie du trésor.

Messieurs, je crains fort, d'après les observations que j'ai entendues, qu'au mois de juillet, nous ne soyons pas plus avancés à cet égard, qu'aujourd'hui ; je crains fort qu'au mois de juillet on ne trouve également qu'il n'est pas encore temps d'élever le rendement. Ce n'est pas cela qu'il faut, dira-t-on ; il faut augmenter le droit sur le sucre indigène ; il faut une loi impitoyable sur la fabrication. Voilà ce qu'on dira, voilà les conditions qu'on mettra à l'exécution de la loi.

Et pourquoi augmenter le droit ? Pourquoi cette loi impitoyable ? Pourquoi cette exception à l'esprit général de notre régime financier ? Est-ce pour remplir le trésor ? Non, c'est pour verser de nouveaux produits dans le crible dont je vous parle.

Eh bien, messieurs, je crois qu'à la fin, la nation se lassera de ce système. Plus on en forcera les conséquences, plus il excitera de répulsion, plus il sera près de venir se briser contre le bon sens des chambres, contre le bon sens du pays.

Je pense donc, messieurs, qu'il faut rentrer le plus tôt possible dans les limites que la chambre a fixées en 1846. Je pense même que c'est mal servir l'intérêt du raffinage, l'intérêt du commerce qui s'y lie et tous les intérêts qui ont rapport à ceux-là, que c'est mal les servir que de se montrer si exigeant, si peu conciliant.

Maintenant, messieurs, reviendra-t-on sur la loi de 1847 ? Quant à moi, je ne suis pas du tout lié à la soutenir. J'ai été rapporteur de la loi de 1847, mais lorsqu'elle a été discutée dans la section centrale, on n'y avait pas encore joint la disposition qui nous occupe, la suspension de l'action de la loi quant au taux de la restitution.

Cette disposition a été jetée dans le débat incidemment et la discussion a été si rapide que je suis arrivé au moment où tout était terminé. Je me suis félicité, je l'avoue, de ce hasard qui m'a empêché d'émettre un vote, qu'où aurait peut-être considéré comme hostile aux villes d'Anvers et de Gand, alors que je n'éprouve que de l'intérêt pour ces localités ; seulement cet intérêt ne va pas jusqu'à vouloir fermer les yeux à l'évidence des faits.

Je n'admets pas le principe que, quand un terme a été fixé à une loi, il est absolument impossible d'y revenir, car ce principe pourrait nous mener fort loin dans certaines circonstances.

L'honorable M. Cogels a cité l'exemple des céréales, et il a posé la question d'une manière qui amène inévitablement une solution dans son sens ; car il y a là en jeu un très grand intérêt, celui de la subsistance du peuple ; mais on pourrait renverser la question ; je suppose que nous ayons décrété, dans un moment de détresse de l'agriculture et pour la relever, un droit fixe sur les céréales pour un terme d'un ou de deux ans ; eh bien, pendant cette période, s'il survenait une circonstance imprévue, une disette, évidemment nous n'hésiterions point à revenir sur nos pas.

Si des intérêts légitimes étaient blessés par l'effet de notre acte, tout au plus pourrait-on dire qu'ils ont droit à une indemnité, et encore je pense que, dans ce cas, ce droit serait fortement contesté.

Néanmoins sans rien préjuger sur les motifs que la section centrale pourra faire valoir à l'appui de son amendement, je ne veux pas nier qu'il y ait quelque chose de fondé dans les objections qui ont été faites au point de vue de l'équité, mais je ne pense pas qu'on puisse admettre le principe d'une manière absolue et dans toute son étendue.

Ce même sentiment d'équité milite également en faveur de la proposition de l'honorable M. de Corswarem.

Je vous ai déjà dit que le trésor a très peu d'intérêt dans la question, et je crois l'avoir démontré. En voulez-vous une autre preuve, messieurs ? Répartissez sur la consommation présumée le produit réel de l'impôt, et voyez ce que le trésor a perçu par 100 kil. livrés à la consommation : c'est 12 à l3 fr., tandis que le droit est de 30 fr. pour le sucre indigène, et de 45 fr. pour le sucre exotique, et que, par conséquent, comme le sucre indigène entre à peu près pour le tiers, et le sucre exotique pour les deux tiers dans la consommation, ce droit est en moyenne de 40 fr. ; eh bien, ces 40 fr. qui, répartis sur 11 à 12 millions de kil., devraient rapporter de 4 millions et demi à 5 millions, n'ont produit que 13 à 1,400,000 fr. Cela revient de 12 à 13 fr. par 100 kil. Le reste est absorbé par la restitution.

Ainsi, ce n'est pas en augmentant un peu ou même beaucoup le droit sur le sucre indigène que vous améliorerez sensiblement cet état de choses. La véritable cause de la diminution du produit est évidemment dans ce que la restitution en absorbe la plus grande partie. Si vous ne voulez pas, dès à présent, remédier à cet état de choses, il est du moins équitable de vous montrer aussi bienveillants pour une industrie que pour l'autre, ainsi que l'a proposé l'honorable M. de Corswarem.

(page 723) Telle est aussi, je pense, l'intention de M. le ministre des finances qui l'a manifestée dans la section centrale avec une loyauté à laquelle j'aime à rendre hommage. Je ne puis qu'espérer que son opinion prévaudra dans cette chambre. Je ne puis encore qu'insister auprès de M. le ministre des finances, pour qu'il n'adopte pas trop facilement les insinuations qui auraient pour but d'établir à l'égard de la fabrication indigène un système de perception vexatoire, contraire à nos mœurs, et qui ne pourrait que soulever de vives répugnances contre l'intérêt qui sollicite de telles mesures.

M. Loos. - Messieurs, la section centrale qui a été chargée de l'examen du budget des voies et moyens, ayant constaté dans l'accise sur le sucre un déficit de 1,500,000 fr., sans approfondir les causes de ce déficit, vous propose de suspendre les effets de la loi du mois de mai 1847.

Je dis sans examen approfondi, parce qu'en effet le rapport de la section centrale me prouve que cet examen n'a été fait d'une manière quelconque ; on s'est borné à constater qu'il y avait eu déficit, et aux yeux de la section centrale, ce déficit ne pouvait être produit que par le sucre exotique.

Aussi la section centrale vous propose-t-elle de revenir sur une promesse, sur un engagement pris envers l'industrie et le commerce, et qui se trouve inscrit dans la loi de 1847.

Je m'étais préparé à combattre de toutes mes forces cette proposition de la section centrale, mais je me suis aperçu, dès le commencement de ce débat, que, sur tous les bancs de cette chambre, on éprouvait la même répugnance que celle que j'éprouve, à venir déclarer à l'industrie et au commerce que ce qui est inscrit dans la loi de 1847 n'est pas une vérité. Je me suis aperçu de cette répugnance, parce que, jusqu'à présent, hors les membres de la section centrale, personne n'est venu soutenir ici qu'il pouvait être équitable, sous l'empire de la loi de 1847, d'adopter dès à présent les conditions rigoureuses de la loi de 1846 qui avaient été suspendues pour un an. Je n'examinerai donc pas la distinction subtile que la section centrale établit entre les mots « terme » et « délai » ; elle a trouvé qu'il y avait une distinction importante entre ces deux expressions. Je crois, messieurs, que vous ne partagez pas cet avis. Il vous suffit comme à moi que le législateur ait dit que les effets de la loi de 1847 seraient suspendus jusqu'au 1er juillet 1848, pour qu'en réalité ces effets ne puissent se faire sentir dès à présent.

Messieurs, quand vous avez suspendu les effets de la loi de 1834, concernant les denrées alimentaires, serait-il entré dans l'idée de quelqu'un qu'avant l'expiration du terme ou si l'on veut du délai qui avait été fixé pour l'introduction des céréales ; serait-il venu dans l'idée de quelqu'un de supposer qu'avant l'expiration de ce terme ou de ce délai, la législature serait revenue sur un engagement pris envers le commerce ? Je ne le crois pas ; je pense qu'on a voulu que dans le monde commercial on fût persuadé qu'on pouvait introduire, jusqu'à l'époque fixée par la loi, les denrées alimentaires qui manquaient au pays. Si le commerce n'avait pas eu confiance dans cette déclaration de la législature, vous auriez eu la famine et ses horreurs.

Gardez-vous donc qu'on puisse jamais douter des engagements que vous prenez envers le commerce, envers le public ; si on finit par ne plus y avoir foi, d'autres mécomptes pourront vous attendre.

Ainsi, la section centrale ayant constaté un déficit n'en a pas recherché les véritables causes. Je ne m'arrêterai pas davantage sur ce point, car je pense que sa proposition n'aura pas de succès dans cette enceinte. Mais je dois arriver à une autre proposition de la section centrale qui a prévu la répugnance qu'aurait la chambre à revenir sur un engagement législatif, et qui dans ce cas propose de revenir à la loi de 1843.

Je vous avoue que j'ai été étonné de cette proposition. Il m'a toujours paru que la question du rendement intéressait autant le sucre indigène que le sucre exotique, et comme en définitive je n'ai pas pour ma part accepté la déclaration de la section centrale, je n'ai pas cru qu'elle était animée seulement du désir de combler un grand vide dans le trésor, mais qu'elle voulait revenir aussi sur les prétentions qu'une industrie rivale avait déjà montrées dans cette assemblée en 1846 ; je ne comprenais pas la proposition de revenir à la loi de 1843.

En effet, j'ai été désabusé dans la séance d'hier ; j'ai vu que cette proposition n'était qu'une menace et que les auteurs de la proposition ou l'un d'entre eux voulaient autre chose, qu'ils voulaient l'anéantissement du commerce du sucre colonial. La proposition faite hier par l'honorable M. Mercier le prouve à suffisance.

Si la section centrale, au lieu de se borner à constater le déficit, s'était occupée de l'examen des causes qui l'ont produit, je crois que nous aurions évité la discussion à laquelle nous nous livrons en ce moment. En effet, la section centrale eût pu reconnaître que le déficit qui s'était déclaré dans le produit des droits d'accise sur les sucres existait également dans le produit de l'accise sur les genièvres et sur les bières.

Il résulte des renseignements qui nous ont été fournis, qu'il y a un déficit de 1,200 mille francs sur les bières, et un déficit de près d'un million sur le produit des distilleries. La section centrale est-elle venue déclarer que les lois qui régissent les bières et les distilleries étaient mauvaises, imparfaites, qu'elles ne répondaient pas au but qu'on s'était proposé ? Non ; elle a très bien compris que dans les deux années calamiteuses que nous venons de traverser, il devait y avoir une diminution dans le produit des genièvres et des bières, par suite de la diminution qu'avait éprouvée la consommation. Je vous avoue que, pour ma part, j'ai été étonné qu'on n'eût pas tenu compte de cette circonstance dans le déficit qu'a présenté le produit du sucre. Vous l'admettrez, j'en suis convaincu, car je pense que ceux qui ont dû se priver de bière et de genièvre ont dû, à plus forte raison, se priver de sucre ; le sucre est une denrée de luxe, tandis que la bière, pour plusieurs classes de la société, est presque de première nécessité.

Messieurs, ce n'est pas la seule cause qui a pu agir sur l'accise du sucre ; il en est d'autres ; je suis persuadé que si la section centrale avait eu pour mission spéciale d'examiner la législation sur les sucres, elle serait parvenue à déterminer ces causes de la manière la plus précise. Mais elle n'avait pour mission que d'examiner le budget des voies et moyens en général et non la législation sur les sucres. Les diverses sections n'avaient pas donné un mandat spécial à la section centrale. Nous ne devons pas nous étonner si elle ne s'est pas livrée à toutes les investigations qu'on aurait pu attendre d'une section centrale spécialement chargée d'examiner la législation sur les sucres.

Je disais donc que le déficit de la consommation avait été une des causes de la diminution du produit sur les sucres ; mais il en est une autre plus évidente que celle que je viens d'indiquer, vous en trouverez la preuve dans les documents qui vous ont été remis. Elle se trouve dans les circonstances de l'introduction de la loi de 1846, circonstances qui se représenteront dans toutes les transitions des lois de finances quelconques.

La loi de 1843 avait réservé quatre dixièmes pour la consommation et produit un encombrement de sucres, non pas indemnes de droit pour l'exportation, mais qui, forcément, avaient acquitté l'impôt.

Le marché se trouvait encombré ; qu'est-il arrivé lors de l'introduction de la loi de 1846 ? On n'était obligé, sous le régime de 1843, que d'exporter 56 kil. de sucre raffiné pour obtenir la restitution complète du droit. Le commerce s'est dit : La loi de 1846, qui va recevoir son exécution à partir du mois de juillet, augmentant le rendement, nous n'allons plus rencontrer sur le marché que des sucres ayant des charges plus fortes, l'encombrement que nous allons augmenter ne pourra plus donner lieu à des pertes.

En effet, par la loi de 1843, le rendement était fixé à 57 kil., la loi de 1846 le porte à 68.

Il y avait donc certitude de ne plus rencontrer de concurrence qu'à des conditions inférieures sur le marché intérieur ; les différents industriels se sont empressés de faire, avant la mise à exécution de la loi de 1846, des déclarations par suite desquelles ils ont jeté une grande quantité de sucre sur le marché intérieur. Il en est résulté que, par suite du terme de crédit de six mois accordé, on a acquitté dans les quatre derniers mois de 1846 plus de droits que dans les huit mois précédents. Les renseignements positifs nous manquent ; mais je suis persuadé que dans le mois de décembre on a dû acquitter près d'un million de droits, car je trouve à la page 11 du rapport que le produit de l'accise pendant les huit premiers mois a été 1,229.263 fr., et pendant les quatre derniers mois de 1846, il a été de 1,141,000, c'est-à-dire presque autant que pendant les huit mois précédents. Mais, ainsi que je l'ai dit, je crois que c'est en décembre surtout que des droits considérables ont été acquittés par suite des déclarations faites avant la mise à exécution de la loi.

Vous voyez donc que, par suite de déclarations faites avant la mise à exécution de la loi de juillet, il y avait un approvisionnement considérable de sucres dans le pays. Il a bien fallu consommer cette quantité importante avant d'obtenir aucun résultat de la loi de 1846.

C'est une deuxième cause du déficit qui s'est produit.

Une autre cause (celle-là, la section centrale ne l'a pas appréciée plus que les autres ), c'est la tolérance qui jusqu'à présent existe dans la perception de l'accise sur le sucre indigène. Cette tolérance je ne puis l'appeler fraude, cela ne veut pas dire que je suis disposé à croire qu'il n'existe plus de fraude ; mais je parlerai seulement de la tolérance qui résulte de la loi.

L'honorable M. de La Coste nous a renvoyés à ce qui se passe en France pour établir que la tolérance dont je parle doit être peu importante. Pour ma part, je tiens en main des renseignements sur la fabrication du sucre de betterave en France, où la perception de l'accise sur le sucre indigène se fait d'après les bases de l'arrêté royal du 13 août 1847, qui fixe trois contrôles pour constater la production réelle.

Eh bien, j'y vois qu'après les prises en charge à la défécation, des excédants considérables ont été constatés au moyen des deux contrôles, à l'empli et au lochage qui se trouvent supprimés par notre loi du 15 mai 1847. Vous en jugerez par le tableau suivant : (Note du webmaster : ce tableau, inséré à la page 724 des Annales parlementaires, n’est pas repris dans la présente version numérisée).

(page 724) C'est surtout le résultat de la campagne de 1846-1847 qui peut être comparé à celui obtenu dans notre pays ; car pour les campagnes de 1844-1845 et de 1845-1846, le rendement légal était inférieur à celui établi par la loi du 15 mai 1847. Mais pour 1846-1847, le rendement légal en France est le même que dans notre pays.

Ainsi, en France, après avoir établi les quantités de sucre prises en charge à la défécation, après avoir constaté 48,922,246 kilog., on a reconnu par les contrôles un excédant de 4,880,154 kilog. très près de dix pour cent.

Vous voyez donc que si le même contrôle avait existé de notre part, des quantités considérables de sucres qui aujourd'hui, ont échappé à l'accise l'auraient payé. C'est donc une cause du déficit produit dans les recettes.

J'espère qu'avant peu nous nous occuperons de la loi qui doit régler la perception de l'accise sur la production du sucre indigène à partir du 1er juillet prochain. Nous ferons, j'en ai la confiance, non une loi impitoyable comme le craint l'honorable M. de La Coste, mais une loi équitable, c'est-à-dire une loi qui nous permettra d'atteindre tous les produits de la fabrication.

J'ai indiqué trois causes. Il en reste une quatrième. C'est l'infiltration du sucre étranger dans la province de Limbourg. Si mes renseignements sont exacts, des quantités importantes de sucre étranger ont été infiltrées par le Limbourg.

Par toutes ces causes réunies, il n'est pas étonnant que la loi, dans les circonstances anormales où nous nous sommes trouvés, n'ait pas produit ses effets. Je suis persuadé, pour ma part, que quand nous serons dans une situation normale la loi produira les trois millions qu'on a voulu faire produire aux sucres.

Je ne serai pas arrêté par la déclaration de l'honorable M. Dubus aîné : que ceux qui disent que la loi produira 3 millions déclarent un mensonge.

M. Dubus (aîné). - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que le mensonge était dans le tableau annexé au budget dus voies et moyens, où il est porté à 3 millions.

M. Loos. - Ainsi, l'honorable M. Dubus prétend qu'il est impossible que la loi sur les sucres produise 3 millions. L'expression que j'ai citée, je ne me l'appliquerais pas. Je suis persuadé que je dis une vérité, quand j'affirme que la loi produira 3 millions, dans des circonstances normales, en exécutant toutes les conditions de la loi.

Je n'ai jamais prétendu que, dans les circonstances que nous venons de traverser, on pût faire produire à la loi 3 millions. Déjà, dès l'année dernière, il était évident que ce chiffre ne pouvait être atteint.

Mais je suis persuadé que la loi peut produire 3 millions alors qu'elle fonctionnera dans des conditions normales.

Il me reste à rencontrer l'honorable M. Mercier dans son argumentation, à propos de l'influence du commerce des sucres sur l'exportation des produits de l'industrie.

J'y suis, je l'avoue, très peu disposé ; d'abord parce que je n'ai pu lire son discours dans le Moniteur ; ensuite parce qu'il m'a paru qu'il voulait arriver à des conséquences que la chambre n'admettra certainement pas comme possibles.

Non seulement, l'honorable M. Mercier a voulu établir que le commerce des sucres n'exerce aucune influence sur l'exportation de nos produits ; mais il a cherché à vous prouver que plus on importe de sucre, moins on exporte de produits.

La conséquence de cela serait que non seulement le commerce des sucres serait inutile, mais même qu'il serait nuisible à tous les intérêts, y compris celui du trésor. De là une autre conséquence bien naturelle, c'est qu'il faudrait le supprimer.

Je demande, messieurs, si de pareilles propositions peuvent être admises par la chambre.

L'importation des sucres est indispensable au commerce en général, à la navigation en particulier. Si vous supprimez au commerce et à la navigation leur principale ressource, vous ne pouvez espérer leur donner l'importance que vous leur souhaitez et pour laquelle vous faites d'ailleurs tant de sacrifices.

Vous avez déjà détruit en grande partie le commerce du tabac, par l'impôt que vous avez établi, et vous avez cédé à la Hollande la moitié de la consommation du café. Supprimez le commerce des sucres, et je ne vois pas quelles ressources vous réservez à la société commerciale d'exportation que vous voulez créer.

L'honorable M. Mercier a dit qu'il nous restait les cuirs, la potasse, etc. Je ne crois pas que cela suffise. Je le répète, vous avez cédé à la Hollande la moitié de votre consommation de café. Le commerce du tabac, vous l'avez détruit par des mesures inopportunes qui ne produisent rien au trésor. Reste tout au plus au commerce des sucres qui donne encore quelque vie, quelque mouvement au port d'Anvers.

Je rencontrerai un seul point de l'argumentation de l'honorable M. Mercier.

Il vous a dit, pour vous démontrer combien le commerce du sucre exerce peu d'influence sur l'exportation des produits de notre industrie : Voyez vers quelles parties du monde ont lieu les exportations importantes de notre industrie. Je trouve, dit-il, que c'est principalement vers le Mexique, vers le Chili, vers Rio de la Plata. Or, nous ne retirons pas de sucre de ces contrées. Il est donc évident, ajoute-t-il, que le commerce du sucre n'exerce pas la moindre influence.

Mais ce que l'honorable membre aurait dû vous dire, c'est que toutes les expéditions que nous faisons au Mexique vous reviennent avec du sucre pris à la Havane. Les expéditions qu'on fait au Chili reviennent généralement avec des cuirs, qui forment aussi, je le reconnais, un article important de commerce ; mais les expéditions vers le Mexique et vers l'Amérique méridionale nous reviennent la plupart avec du sucre de la Havane.

Au surplus, personne n'a prétendu que le commerce du sucre pouvait seul déterminer le plus ou moins d'importance des exportations de nos produits industriels, mais ce que l'on ne peut méconnaître, c'est qu'il y contribue efficacement.

Messieurs, je bornerai là mes observations quant à l'argumentation de l'honorable M. Mercier, me réservant d'y revenir, lorsque j'aurai pu en prendre connaissance dans le Moniteur.

Je ne m'occuperai pas non plus de la proposition de l'honorable M. de Corswarem. Cet honorable membre a développé sa proposition ; jusqu'à présent personne ne l'a défendue.

M. de Corswarem. - Personne ne l’a attaquée non plus.

M. Loos. - J'attendrai que quelque orateur prenne la défense de cette proposition, pour la combattre.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Messieurs, mon intention est d'éviter de prolonger cette discussion. Je n'ai demandé la parole que pour répondre à une seule observation de l'honorable M. Loos.

L'honorable membre a attribué la diminution des produits des sucres à quatre causes. Il l'a attribuée à un déficit dans la consommation du pays, à l'encombrement des sucres au moment de la transition de la (page 723) législation de 1843 à celle en vigueur aujourd'hui ; nous sommes ici d'accord ; en troisième lieu à la tolérance dans la perception de l'accise sur le sucre de betterave et à un certain relâchement dans la surveillance, et enfin à l'infiltration du sucre étranger par la frontière hollandaise du Limbourg.

Je pense, messieurs, que dans la discussion actuelle nous devrions écarter ce qui concerne la surveillance exercée dans les fabriques de sucre indigène. L'arrêté du 1er juillet 1847, dans l'opinion du département des finances, assure cette surveillance d'une manière efficace, et je dirai plus efficace que l'arrêté du 13 août 1846. L'administration, à ce sujet, a une conviction profonde, et lorsque nous arriverons à présenter à la législature Is projet qui doit être la conséquence de l'obligation imposée par la loi du 16 mai 1847, elle prendra à cœur de le prouver à la chambre.

En attendant, qu'il me soit permis, afin de ne point laisser sans réponse cette partie du discours de mon honorable ami, de donner quelques explications sur cette surveillance.

D'après l'arrêté du 14 août 1846, la matière imposable était reconnue à trois phases de la fabrication : à la défécation, en raison du volume et de la densité du jus ; à l'empli, d'après le volume des sirops ; au lochage, dans la proportion des quantités produites.

L'administration a écarté, pour la campagne de 1847-1848, le contrôle à l'empli et celui des quantités, parce qu'elle a acquis la conviction que les charges à la défécation pouvaient offrir toutes les garanties désirables, moyennant les mesures de précaution prescrites par l'arrêté du 10 juillet 1847.

Cinq employés sont chargés de surveiller chaque fabrique. Deux d'entre eux y sont continuellement en permanence et un troisième, le chef de service s'y trouve aussi hors le temps qu'il doit consacrer au repos. Leurs opérations sont contrôlées, tant par un commis-chef et la section ambulante, que par le contrôleur et l'inspecteur en chef.

L'expérience l'a déjà démontré, il n'est guère possible de soustraire une partie quelconque de jus à la prise en charge. L'impôt sera donc perçu intégralement et présentera des résultats supérieurs à ceux que l'on aurait obtenus par le contrôle des quantités.

Tous les fabricants sont uniformément imposés à raison de 14 hectogrammes d'après le volume et la densité du jus soumis à la défécation, quel que soit le degré de pureté qu'ils donnent à leurs produits..

Le contrôle à l'empli et celui des quantités permettent de suivre la matière imposable à deux autres des phases de la fabrication, mais il n'existe aucune corrélation entre eux qui puisse éventuellement faire découvrir la prévarication. Sous le régime actuel, elle n'est pas à redouter, car les employés n'opèrent jamais isolément. Ils sont toujours deux et souvent trois. La surveillance se trouvant concentrée sur un seul point, il est évident qu'elle est mieux exercée et qu'il est plus facile de constater la collusion, si elle existait. On dira de nouveau ici qu'on a poussé la précaution au point de faire renouveler, au moins une fois pendant la durée de la campagne, quatre des employés exerçants.

En calculant les charges de la campagne de 1847-1848 d'après les résultats connus à la fin du mois de novembre, on a évalué la production totale à 5,050,222 k. Sous le régime de l'arrêté du 13 août 1846, les charges constatées aux comptes des fabricants pour la campagne de 1846-1847 ont été de 4,300,000 k. Autre preuve de l'efficacité de là surveillance. La densité des jus constatée dans les fabriques de sucres de betteraves a été, en moyenne, pendant la campagne de 1846-1847 de 4,0699 et pendant la campagne de 1847-1848 de 4,3298. Je pense qu'il suffit de citer ces chiffres pour détruire bien des préventions.

Messieurs, ces chiffres sont parlants. Lorsque l'occasion s'en présentera, je pense qu'il ne sera pas difficile au ministre des finances de prouver que ce n'est pas de ce côté que provient le déficit sur les 3 millions.

Le dernier motif auquel l'honorable membre a attribué la réduction de la recette du trésor mérite aussi un mot de réponse.

Il accuse l'infiltration de sucres étrangers par la frontière du Limbourg. Je n'ai reçu aucun rapport sur ces infiltrations, je ne crois pas qu'elle existe, mais des faits tout récents de fraude m’ont été révélés dans la province de Flandre occidentale. Il semble que l'embarras dans lequel se trouve en Hollande l'industrie sucrière y ait donné naissance.

Le sucre y est à des prix inférieurs aux nôtres et cela a suffi pour recommencer des tentatives auxquelles on avait renoncé depuis longtemps. Ce fait ne doit pas être perdu pour nous, et j'en tire cette conséquence qui mérite l'attention de la chambre : nous aurions beau décréter que nous voudrions faire produire par le sucre une somme de 5 à 6 millions, nous n’y parviendrions pas parce que nous sommes exposés, par la situation topographique du pays, è des infiltrations, qui ne manqueraient pas d'avoir lieu s'il y avait une différence trop marquée entre le prix de notre sucre à l'intérieur du pays et le prix du sucre dans les pays limitrophes, notamment en Hollande.

Cette position topographique du pays doit exercer une immense influence sur toutes nos questions de douane et d’accise.

Elle exerce et exercera, toujours une influence marquée sur le droit des tabacs. Vous ne pouvez tirer de cette matière, que l'on qualifie aussi d'éminemment imposable, tout le produit qu'on peut en tirer dans un pays, mieux défendu contre la fraude.

Je vous citerai un autre exemple, les esprits français. Vous les atteignez, mais vous les atteindriez plus fortement, car l'industrie indigène peut certes amplement fournir aux besoins de la consommation, si vous n'aviez pas encore la fraude à craindre.

Cette fraude sera toujours un obstacle à ce que les droits et sur le sucre, et sur le tabac, et sur les eaux-de-vie étrangères, soient une source sans limites de revenu pour le pays et dès lors il faut renoncer à demander au sucre un produit de 5 ou 6 millions, comme quelques honorables membres le demandent à chaque occasion.

M. Eloy de Burdinne. - Je débuterai par remercier l'honorable ministre des finances, de la justice qu'il rend aux fabricants de sucre indigène ; ils ne sont pas, comme on l'a prétendu, des fraudeurs. Mais j'aurai, avant d'entamer l'examen de la question, un mot à répondre à l'honorable ministre sur un autre point.

M. le ministre croit que si vous adoptiez des dispositions telles que le trésor reçût 3 à 6 millions, vous devriez craindre la fraude, vous devriez craindre que l'étranger ne vous inondât de ses produits. Eh bien, messieurs, je vous avoue qu'en présence des dispositions de douanes qui nous régissent, je ne puis consentir à approuver les opinions de M. le ministre. Ce ne serait pas le sucre raffiné à l'étranger qu'on introduirait en fraude en Belgique, qui enlèverait au trésor ses revenus, car le sucre raffiné paye aujourd'hui 90 fr. par 100 kilog., et dès lors l'appât offert à la fraude est assez considérable. Si donc vous aviez à craindre la fraude, vous devriez réduire le droit de douane sur le sucre raffiné.

Messieurs, nous avons été témoins des efforts inouïs que l'on fait pour conserver intacte la loi sur les sucres.

On vous dit que l'on n'a pu juger des résultats de cette loi ; on va jusqu'à prétendre qu'elle finira par produire trois millions de recette.

Je crois, messieurs, que l'épreuve est trop désastreuse pour continuer un essai qui coûte aussi cher au pays.

Il est temps d'arrêter les effets de cette malencontreuse législation qui prive le trésor de deux à trois millions annuellement encore ; c'est dans la supposition où la consommation du sucre soit réduite à neuf millions de kilog., comme on le prétend.

S'il était vrai que la loi de juillet 1846 est favorable au sucre indigène, verrions-nous les défenseurs des sucres exotiques mettre autant de ténacité à son maintien ? Non, certes, bien au contraire, ils seraient les premiers à en provoquer la révision.

Messieurs, nous ne devons pas être surpris des efforts que l'on fait pour prolonger l'existence d'une législation qui donne en bénéfice à nos raffineurs de sucres exotiques, plus de cinq mille francs par jour, soit 150 mille francs par mois, et cela au détriment du trésor.

Défiez-vous, messieurs, des arguments en faveur du prolongement de la loi de 1846, ils sont subtils et spécieux pour la plupart.

En un mot on veut prolonger le plus longtemps possible le moyen de prélever, sur le consommateur du sucre, les trois quarts de l'impôt au détriment du trésor. C'est à nous de décider s'il nous est permis de maintenir semblable spoliation. Quant à moi, je n'y consentirai jamais.

Défions-nous surtout des discours éloquents et des assurances, (en paroles) qu'on vous donnera, qu'en maintenant la législation actuelle on parviendra à réaliser les prévisions de l'honorable M. Malou et de son ami, l'honorable M. Dechamps, dont l'amour-propre les fait persister à soutenir qu'ils n'ont pas erré quand ils ont prédit que la malencontreuse loi de 1846 donnerait 3 millions de recette au trésor.

Nous avons été dupes une fois ; ne le soyons pas de nouveau. Terminons une bonne fois la question, et qu'on n'y revienne plus. Portons le rendement à la réalité, et pour l'un et pour l'autre sucre, de manière à ce que l'impôt rentre intégralement dans les caisses de l'Etat.

En un mot, ne prenons plus des demi-mesures. Nous en avons trop pris. C'est la dixième fois que la loi des sucres est modifiée, tant par des lois que par arrêtés.

L'intérêt de l'industrie, comme celui du commerce, réclame de la stabilité ; et moi, je réclame des dispositions législatives qui assurent la rentrée intégrale des impôts.

L'industrie réclame de la stabilité pour régler ses opérations sur des bases certaines.

Dans une séance précédente, on vous a dit que, dans l'intérêt des petites raffineries, on devait encore laisser exister la loi de 1846 sans la modifier.

L'orateur qui a soutenu ce principe se sera bien certainement trompée

Il a voulu dire ces grandes industries, auxquelles la loi donne l'avantage de prendre du trésor, indirectement, plus des deux tiers des impôts ; tandis que les petits raffineurs, qui, en général, ne travaillent que pour la consommation du pays, ne sont pas appelés à jouir de cette faveur. Ils s n'ont pas des excédants de rendement à leur disposition à livrer à la consommation, vu qu'ils n'exportent pas.

Je vais vous en administrer la preuve.

Comparaison entre un raffineur qui raffine exclusivement pour la consommation du pays et un raffineur qui raffine pour l'exportation.

M. A. raffine pour l'exportation un million de kilogrammes de sucre blanc de la Havane ; il est pris en charge à raison de 45 fr. par 100 kilogrammes et il débite pour une somme de 450 mille fr.

D'un million de sucre brut il obtient à raison de 90 kilogrammes par 100 kil. de sucre propre à livrer à la consommation 900 mille kilogrammes.

M. A. en exportant à raison de 68 p. c. de sucre raffiné, soit la quantité de 680 mille kilogrammes de sucre raffiné, il est déchargé de la prise en charge de la somme de 450 mille francs en faveur du trésor :

Ayant obtenu. 900,000 kilogrammes, en ayant exporté 680,000, il lui reste 220,000 kilogrammes, (page 726) qu'il livre à la consommation ayant soin de percevoir en sus du prix normal le droit d'accise, et par ce moyeu il perçoit sur le consommateur du sucre à raison de 220,000 kilogrammes représentant 242 mille kilogrammes de sucre brut, qui, à raison de 45 francs par 100 kilog. portent le droit d'accise à la somme de 109,000 fr.

De deux choses l'une : M. A. a mis en poche 109,000 francs ou a vendu à raison d'un demi droit d'accise au consommateur belge soit à 22 et demi centimes en moins son kilogramme de sucre et il a obtenu un bénéfice de 54,500 fr. en même temps qu'il a privé le trésor de 109,000 fr. de recette à raison de 242 mille kilogrammes de sucre raffiné pour la consommation du pays.

Voyons la position de M. B. :

M. B, petit raffineur, raffinant pour la consommation du pays, ayant raffiné pour la consommation un million de kilogrammes de sucre brut, payera l'accise intégralement, et pour soutenir la concurrence avec le raffineur qui a travaillé pour l'exportation selon ses excédants à la consommation intérieure, il devra vendre à raison de 22 1/2 pour cent en moins c'est-à-dire qu'il devra supporter la moitié du droit d'accise, ce qui le constituera dans l'impossibilité de lutter avec M. A., qui aurait 22 1/2 pour cent au moins et au plus 45 pour cent de bénéfice dans la supposition qu'il ne fasse pas de sacrifice sur son bénéfice en faveur du consommateur.

D'après cet exposé peut-on nier qu'il y a ici une faveur, un privilège en faveur de A, au détriment de B. ?

En présence de semblable lucre, doit-on s'étonner des efforts des défenseurs du sucre étranger, adversaires de l'industrie sucrière belge ?

L'avocat qui gagnerait, en faveur du sucre exotique, la cause que nous allons juger, aurait de biens grands titres à la reconnaissance de nos raffineurs . Je bornerai là mes réflexions, libre à chacun de faire ses réflexions.

D'après ce tableau, vous apprécierez les arguments qu'a fait valoir un honorable collègue prétendument dans l'intérêt des petits raffineurs qui, j'en conviens, gênent les raffineurs en grand (ils leur font concurrence sur le marché intérieur, pour le placement de l'excédant sur les exportations).

Je ne puis mieux comparer la sollicitude de cet honorable membre, qu'en le mettant en parallèle avec ces sauvages qui, pour faire cesser les douleurs de la vieillesse ou des vieillards, terminent ces souffrances en les étouffant.

Les défenseurs du sucre exotique vous ont dit que si le trésor n'avait pas reçu les trois millions promis par les auteurs de la loi de 1846, on devait en attribuer la causent à la betterave qui a fraudé le droit.

S'il était vrai que les betteravistes fraudent, je serais le premier à provoquer des mesures sévères pour les réprimer.

Ce qui prouve que les fabricants de sucre indigène n'ont pas fraudé, c'est qu'ils ont payé ou supporté le droit intégral sur leurs sucres. Pour preuve il ne s'agit que de faire le relevé des sucres provenant de la betterave et de faire le compte du débit et des sommes acquittées, ainsi que des décharges à l'exportation et des ventes faites aux raffineurs, à charge de payer le droit. (Voir le tableau à la fin du n°87 et le développement.) j

On a donc indignement calomnié quand on a prétendu que les betteravistes avaient fraudé les droits dus à l’Etat, et je suis fondé à soutenir qu'en l'absence des sucreries indigènes, la recette qui a été en 1847 de environ 1,400,000 fr. n'aurait donné au plus que six cent mille francs et aurait donné moins si les raffineurs de sucre exotique avaient voulu exporter une plus grande quantité de sucre.

En final, messieurs, si vous ne modifiez pas la loi, vous verrez que sous peu vous ne recevrez plus que 200,000 fr. comme en 1836 au lieu de trois millions qu'on vous promet.

Je m'attends à voir nos adversaires contester les chiffres du rendement que j'ai fixés à 80 p. c. en sucre fin, à 8 p. c. en sucre cassonade, à 10 p. c. en sucre ou sirop, et les déchets à 2 p. c. sur le rapport de la quantité de sucre de toute espèce que donne le sucre brut au raffinage.

Je suis d'accord avec M. Mathissens ; sur quoi nous différons, c'est sur la qualité des diverses espèces de sucre et je suis dans le vrai. M. Mathissen est dans l'erreur et je le prouve ; il fixe la quantité de sucre fin sur 100 kil. à 72 97/100 p. c. soit chiffre rond à 73 kilog. par 100 de sucre brut ; quand moi je le fixe à 80 ; je suis fondé à en porter le chiffre à 80 vu que des appareils annoncés et qui se fabriquent à Bruxelles garantissent les produits de 80 à 85 p. c. en sucre fin lumps compris. On peut s'en procurer chez MM. Derosne et Cail à Bruxelles.

Comme j'aime à être d'accord même avec mes adversaires, je vais démontrer que si M. Mathissens voulait convenir qu'avec les sucres cassonades on peut faire des lumps, alors d'après ses chiffres il produirait en sucre de la catégorie A plus de 83 kilogrammes de cette espèce p. c.

J'ai dit que si on voulait convenir des faits exacts on serait d'accord avec moi, mais en fait d'avocasseries on ne convient de rien.

La cause à gagner par les raffineurs de sucre exotique est trop importante pour qu'on fasse des concessions.

Il s'agit de décider si 2 ou 3 millions seront soustraits à l'industrie des raffineurs, là est toute la question.

Messieurs, quand la question des sucres est revenue devant la chambre en juin 1846, j'ai posé des chiffres à l'appui de mon opinion, qu'avec la loi qui nous était soumise nous n'aurions pas les trois millions de recette qu'on nous promettait.

Mes calculs donnaient un résultat différent des calculs du gouvernement.

J'avais versé dans des erreurs de tout genre, j'avais tout confondu, enfin M. Malou vous disait, dans la séance du 20 juin :

« M. Eloy de Burdinne est revenu sur les calculs et sur les chiffres qu'il vous a déjà plusieurs fois développés, l'honorable membre doute que la recette de trois millions puisse se réaliser. Il en appelle à l'avenir, j'en appelle à l'avenir comme lui. »

M. le ministre du commerce, qui promettait plus que son collègue des finances, prétendait à son tour que j'étais dans l'erreur, et il vous disait avec beaucoup d'assurance, dans la même séance du 20 juin :

« En résumé, les bases des calculs de l'honorable membre pour prouver que la recette du trésor court des risques dans l'année qui va s'ouvrir, ces bases sont tellement exagérées qu'il est évident que les résultats de ses calculs ne peuvent aucunement impressionner la chambre. » Tel était le compliment que m'adressait M. Dechamps.

Il se peut, messieurs, que mes calculs n'aient pas été aussi artistement groupés que ceux qui vous étaient présentés par les honorables MM. Malou et Dechamps ; mais malheureusement c'est ma prédiction et non la leur qui s'est accomplie.

Au lieu d'une recette de trois millions pour une année, nous n'avons eu que 1,414,589 fr. 05 c. pendant 18 mois, ou au plus pendant l'année 1847.

M. Malou s'étonnait de ce que je perdais de vue le moyen que la loi lui donnait de porter un remède que je considérais fort léger, à ce qui pouvait enrayer son mécanisme ; je ne perdrai pas le remède de vue, messieurs, mais tout en le reconnaissant impuissant pour donner les résultats qu'on nous promettait de la loi, en outre j'appréhendais que M. Malou manquerait de caractère ou de volonté pour remplir son devoir.

Eh bien, messieurs, c'est ce qui est arrivé et l'on vous a arraché à l'aide de chiffres qui dissimulaient la situation véritable des recettes, la loi du 16 mai 1847.

M. Malou a eu deux poids et deux mesures, il a été injuste et dur envers le sucre indigène. Selon lui, cette industrie ne devait pas donner un sou de recette et proportionnellement elle a payé beaucoup plus que le sucre exotique. Elle est comprise pour 607,552 fr. 47 c. dans la recette totale de 18 mois, et qu'on y fasse attention, pour la betterave c'est la recette d'une seule campagne de fabrication.

Je demanderai à M. Malou où est la gloire solide qu'il a retirée dans cette question des sucres, je sais que ses brillants discours ont été très applaudis.

Si c'a été une satisfaction pour lui... alors ce souvenir doit lui être maintenant bien amer.

J'espère, messieurs, que la chambre s'en souviendra, et que ce sera une raison pour nous tous, de nous défier dorénavant des ministres qui voudront nous persuader, qu'on fait les affaires du pays avec des rêves.

Une loi sérieuse sur les sucres serait, à l'heure qu'il est, une bonne fortune pour MM. les ministres.

Ils pourraient renoncer au fâcheux projet d'impôt sur les successions, qui pourrait bien ne pas les rendre riches et qui les rendra très peu populaires.

Si vous voulez un impôt sérieux pour les sucres, je vous prie de vous défier des sophismes.

Si vous pensez qu'un rendement élevé vous fera atteindre ce but, soyez très exigeants, fixez ce rendement très haut.

Si vous pensez que le système des retenues est préférable, ne perdez pas de vue que l'on vous avertit que la consommation est diminuée, et que pour arriver au but, il faut, comme disait M. Malou, viser au-delà du but.

Or, messieurs, pour obtenir trois millions de recette avec les retenues sur une consommation de 9 millions, ce n'est pas 2 dixièmes, ce n'est pas même 4 dixièmes qu'il faut retenir, mais bien 7 dixièmes. Tandis que je voudrais faire payer les consommateurs de sucre au moins autant que payent les consommateurs de sel, soit 4,800,000 fr.

Je souhaite que l'honorable M. Veydt, soit plus heureux que M. Malou, et surtout qu'il ail la fermeté qu'il faut pour ne pas plier sous les exigences delà ligue commerciale.

Avant de terminer, je crois de mon devoir de faire remarquer que le système de la section centrale ne remplira pas le but que nous nous proposons, ce système donnera en plus au trésor un maximum de cent à deux cent mille francs de recette en plus.

M. Malou. - Messieurs, les faits qui se sont passés depuis la loi du 16 juillet 1846 ont créé, dans l'esprit de plusieurs membres de cette chambre, des préventions contre le système qui a prévalu à cette époque. Je dis des préventions, car j'ai la prétention de croire qu'en rétablissant la vérité du système, en faisant voir quelles ont été ses conséquences jusqu'aujourd'hui, et quelles doivent être ses conséquences futures, je démontrerai que l'opposition qui se manifeste et qui paraît grandir pour combattre la législation de 1846, ne repose en effet que sur des préventions ; qu'on doit maintenir ce système, sauf peut-être, si les circonstances l'exigent un jour, à en corriger quelques détails.

L'honorable M. Eloy de Burdinne rappelait tout à l'heure que j'ai pris une large part à la préparation de la discussion de la loi de 1846, et il demandait si je n'en ai pas conservé un souvenir bien amer. Non, messieurs, un sentiment contraire me domine ; je crois que par le vote de la loi sur les sucres la législation de 1846 a rendu au pays un très grand service.

(page 727) Je suis loin de reconnaître, comme l'honorable membre paraît le penser, que l'on se soit trompé alors. Si une expérience de la loi des sucres, acquise dans des circonstances régulières et normales, venait un jour démontrer au gouvernement et à la chambre qu'on s'est trompé, j'aurais la franchise de le déclarer ; et pour la loi des sucres plus que pour toute autre il y aurait peu de mérite à avoir cette franchise, car personne ne pourrait dire qu'il ne s'est trompé en aucun point sur une législation si compliquée et si difficile.

Les faits qui se produisent aujourd'hui se sont produits en 1846 ; les deux intérêts montrent le même esprit d'exclusion, la même intolérance pratique.

Vous entendez d'une part l'honorable M. Osy demander qu'on prolonge d'une année de plus l'effet de la loi de 1847 ; vous entendez l'honorable M. Loos demander qu'on rende plus rigoureux le système de surveillance des fabriques de sucre indigène et, je ne sais si je l'ai bien saisi, mais l'honorable membre me paraît avoir fait allusion aussi (et s'il ne l'a pas fait d'autres l'ont fait) à l'augmentation de l'accise sur le sucre indigène. Ce sont là des exagérations qui, selon moi, compromettent les bonnes causes. D'autre part, vous entendez les honorables membres de cette chambre qui portent la sympathie la plus vive à l'industrie du sucre indigène faire des propositions ou énoncer des opinions qui tendent à détruire complètement l'industrie du sucre exotique, qui tendent à bouleverser les intérêts divers qu'ils paraissent vouloir concilier.

Il n'y a, messieurs, que deux systèmes possibles en fait de législation sur les sucres ; ou bien le système exclusivement, j'allais presque dire brutalement fiscal ou bien le système de pondération.

Si vous voulez le système exclusivement fiscal, dites-le. Discutons ce système, voyons s'il est admissible, et, en ce cas, de quelle manière on peut le mieux le réaliser. Mais lorsque vous vous trouvez sous la préoccupation de vouloir un système exclusivement fiscal, prétendre juger une loi qui a été faite dans une idée de pondération, évidemment c'est une erreur complète ; dans une telle position, il nous est impossible de juger et le principe et le résultat de cette loi. Or, messieurs, c'est ce qu'on fait en ce moment, c'est l'origine et en quelque sorte l'essence du débat actuel.

L'honorable M. Mercier a développé le système fiscal dans une de ses formes et cependant l'honorable membre attribue en quelque sorte comme un crime, à la loi de 1846, de n'avoir pas produit les résultats financiers qu'il espère, lui, de son projet nouveau. Ce point de vue est complètement faux pour juger la loi que les chambres ont votée.

Il faut donc se rappeler sans cesse dans quel esprit la loi a été conçue. Cet esprit ne peut être douteux pour aucun des membres qui faisaient partie de la chambre, mais il peut être nécessaire de rétablir en ce moment la question.

A cette époque on n'a pas voulu détruire les deux industries, détruire notamment le commerce du sucre exotique ; on a voulu, au contraire, restreindre la part du trésor et faire aux deux industries la meilleure position qu'il est possible de leur assigner lorsqu'on sacrifie une partie des recettes du trésor.

Les moyens que le gouvernement avait proposés pour réaliser ce système qui était dans la pensée de tous, qui était au moins dans les expressions de tous, ces moyens ont été modifiés deux fois.

Ils l'ont été d'abord dans le cours de la discussion et, en effet, messieurs, pour ne citer que les points essentiels du projet primitif, il portait d'emblée le rendement à 72-58, il portait d'emblée l'accise sur le sucre indigène à 38 francs, il n'admettait pas de maximum dans l'élévation éventuelle du rendement, si la recette de trois millions n'était pas obtenue. Qu'est-il arrivé ? Ce qui arrive naturellement par l'effet même de nos institutions dans tous les débats qui s'ouvrent dans cette enceinte. Les intérêts étaient intolérants, exclusifs ; et pour maintenir le système, pour réaliser cette pensée que je déclare encore aujourd'hui grande et nationale, il a fallu transiger, admettre des tempéraments momentanés dans l'application de ces principes, dont personne, d'ailleurs, ne contestait la vérité et l'utilité.

Ainsi au lieu d'un rendement de 72-58 comme point de départ, et d'une augmentation indéfinie, on a été amené, par la force des choses, par la force même de la situation parlementaire, à admettre comme point de départ le rendement de 68-18 et comme maximum ce qui n'était que le minimum du projet, 72-58.

Pour l'accise du sucre indigène, le chiffre de 38 fr. a été réduit à 30 fr. Là aussi, on a tempéré l'application immédiate de la loi, pour que la pondération, qui était dans le vœu de toutes les opinions, fût réellement maintenue.

Déjà, messieurs, vous pouvez reconnaître combien il est injuste de faire au cabinet, qui dirigeait les affaires en 1846, un grief de ce que la recette de 3 millions n'ait pas été immédiatement réalisée.

Mais il existe un deuxième fait plus important encore, la deuxième transaction qui s'est conclue par la loi du 16 mai 1847.

Rappelons encore les faits.

Aucun de vous n'a perdu le souvenir de la crise que nous avons subie : Notre budget des voies et moyens indique quels en ont été, pour tous les objets de consommation, les résultats financiers. Si j'ai gardé bonne mémoire des chiffres qui ont été donnés par M. le ministre des finances dans une autre discussion, l'accise des distilleries doit avoir donné un déficit d'un million à peu près, et l'accise des bières un déficit de plus de 1,200,000 fr.

Et c'est dans de telles circonstances qu'on vient faire à l'accise du sucre un reproche dont on exempte toutes les autres accises ! Comme si par je ne sais quel privilège surnaturel, les événements qui affectaient tous les objets de consommation devaient exclusivement épargner le sucre ! Non, messieurs, cela n’a pas été ; les faits ont déjà été démontrés ; j'espère que, dans le cours du débat, ils le seront encore à la dernière, évidence : la consommation du sucre a diminué, et ce fait seul justifie la diminution de l'accise du sucre. Ou bien, vous devez remettre en question toutes vos lois d'accise, ou vous n'avez aucun motif, juste, légitime, sérieux, pour modifier le principe de la loi qui rejette l'accise du sucre.

Etait-il possible, j'allais presque ajouter était-il raisonnable, en présence de ce fait, d'appliquer immédiatement, à l'expiration de la première année, l'augmentation du rendement, prévue par la loi de 1846 ? C'eût été juger la loi de 1846 avant qu'elle n'eût fonctionné, c'eût été annuler la pensée commerciale, industrielle et même la pensée financière qui avait présidé à la loi de 1846. Il fallait laisser cette expérience se faire dans des circonstances où la consommation du sucre aurait repris son niveau normal. Tel a été le point de départ de la transaction du 16 mai, en ce qui concerne l'industrie du sucre exotique.

Il y avait des motifs plus impérieux encore au point de vue des intérêts de l'industrie du sucre indigène pour que cette transaction eût lieu.

La chambre voudra bien se rappeler qu'à la suite du vote de la loi de 1846, le gouvernement s'était cru obligé de prendre des mesures très rigoureuses, et notamment le contrôle des quantités produites, pour s'assurer une bonne fois quelle était la production du sucre indigène, pour savoir quelle était ce qu'on a appelé d'une expression devenue parlementaire et très adoucie, la production de fait, d'autres diraient en partie la fraude, en partie la tolérance légale.

J'avais donc été amené à proposer au Roi l'arrêté du 13 août 1846 qui soumettait les fabriques de sucre indigène à un régime exceptionnel très rigoureux, je n'hésite pas à le reconnaître, régime auquel les autres industries, soumises à l'accise, ont échappé jusqu'à présent.

Dès le mois de février ou de mars 1847, j'avais présenté à la chambre un projet de loi qui tendait à changer ce mode. Les résultats d'une campagne étaient acquis ; nous savions quelle était la production de fait.

Il n'y avait plus de motif pour le gouvernement de maintenir, à l'égard d'une seule industrie soumise à l'accise, ce régime exceptionnel, si rigoureux ; j'avais donc proposé à la chambre un projet de loi qui tendait à substituer au contrôle des quantités produites le contrôle unique, mais continu, à la défécation. Le fait auquel je m'attendais s'est immédiatement produit ; la lutte qui s'ouvre en ce moment, qui s'est toujours ouverte lorsqu'il s'agit de la question des sucres, s'est manifestée dans nos sections et dans votre section centrale, et nous sommes presque arrivés à la fin de la session, sans que ce projet de loi eût été examiné dans ses détails. Il y avait une répugnance extrême, très mal justifiée, selon moi ; mais enfin il y avait une répugnance invincible chez les membres de cette chambre dont l'opinion incline vers le développement de l'industrie du sucre exotique, à admettre, même comme essai, le remplacement du contrôle des quantités produites par le contrôle à la défécation.

Voici donc quelle était à la fin de la session de 1846-1847, quant à l'industrie du sucre indigène, l'alternative où se trouvait le gouvernement : ou bien de maintenir à l'égard de cette industrie le contrôle des quantités, tel qu'il était établi par l'arrêté du 13 août ; ou bien d'obtenir de la chambre une délégation provisoire qui lui permît d'appliquer à cette industrie un régime plus doux. J'ai cru rester fidèle à cette devise d'impartialité que j'ai toujours prise dans les débats relatifs à la question des sucres, d'une part en proposant à la section centrale de donner cette délégation temporaire ; d'autre part, en admettant, comme les faits, je dirai même, la saine raison, n'y autorisaient, que l'élévation du rendement qui intéressait particulièrement l'industrie du sucre exotique, serait différée aussi pendant quelque temps.

On s'étonnera peut-être que ce projet ait été voté rapidement, car je n'admets pas qu'on dise avec raison qu'une loi a pu être escamotée ; mais on s'étonnera peut-être que cette loi a été votée un peu rapidement à la fin de la session. Mais les faits mêmes que je viens d'indiquer, les circonstances dans lesquelles le gouvernement et les chambres se trouvaient leur imposaient aux uns et aux autres l'obligation de voter cette loi ; sinon, l'on forçait le gouvernement à maintenir, à l'égard de l'industrie du sucre indigène, ce régime qui n'avait pas de raison d'existence, et d'un autre côté, on l'obligeait à détruire prématurément les résultats financiers, industriels et commerciaux de la loi de 1846.

Cette situation n'était pas le résultat de la volonté du gouvernement, mais de la force des choses, ou, si l'on veut, de l'antagonisme des intérêts. Telle est l'explication simple, naturelle des titres légitimes de la transaction qui a fait l'objet de la loi du 16 mai 1847, et l'on a su alors, les débats en font foi, que l'on imposait un sacrifice au trésor.

A cette époque, un fait m'était encore inconnu, c'était le chiffre total de la production du sucre indigène pendant la campagne qui allait se terminer. Plus tard, après les élections du 8 juin, ce fait fut constaté, il fut démontré que les déclarations de culture étant restées, à peu de chose près, les mêmes, au lieu d'une production conforme à la moyenne de deux millions cinq cent et quelques mille kilogrammes, le sucre indigène avait produit au-delà de quatre millions de kilogrammes ; ce qui établissait, comme vous le voyez, une protection de fait assez forte. Des démarches furent faites auprès de moi pour que je n'appliquasse (page 728) pas la-disposition de la loi relative à l'élévation du droit d'accise. Je n'eus pas de peine à démontrer qu'il m'était interdit de prendre une telle mesure, que la loi m'obligeait à augmenter le droit d'accise sur le sucre indigène quand la production s'élèverait au chiffre indiqué dans la loi.

On me demanda alors de prendre l'engagement de présenter un projet, tendant à suspendre l'élévation du droit pendant la campagne actuelle. Je répondis qu'ayant donné ma démission, un semblable engagement n'aurait pas un caractère sérieux de ma part, que je devais m'abstenir d'ailleurs de le prendre, parce que mon successeur aurait pu se considérer comme engagé jusqu'à un certain point par une parole donnée au nom du gouvernement ; mais j'ajoutai que la réclamation me paraissait fondée, que si elle se produisait à la chambre, je n'hésiterais pas à l'appuyer comme représentant.

Je m'étais donc abstenu par un sentiment de loyauté envers mon successeur inconnu, mais je remplis aujourd'hui un devoir en appuyant dans cette enceinte l’amendement de M. de Corswarem.

Cet amendement, il faut le reconnaître, est le seul objet sérieux du débat. La proposition radicale de l'honorable M. Mercier a été renvoyée aux sections. Il s'est manifesté sur tous les bancs un tel sentiment à l’égard de la proposition de la section centrale qui abrégerait le terme de la loi de 1847, que je n'ai vu personne la soutenir franchement, nettement.

Je me demande donc quel est l'objet du débat si ce n’est l'amendement de l'honorable M. de Corswarem.

La proposition de retenir 4/10 n'est pas faite par la section centrale. La proposition de M. Mercier est renvoyée aux sections ; sur quoi discutons-nous sinon en l'air, dans le vide, et la discussion ne manque-t-elle pas complètement d'élément ? Ce motif me porte à me borner à ce simple exposé historique : des faits, et sans entrer plus avant dans l'exposé et dans la discussion des principes, à dire pourquoi j'appuie l'amendement de l'honorable M. de Corswarem.

La loi de 1846 consacre un système artificiel de pondération. Si vous admettez que l'industrie du sucre exotique doive jusqu’au 1er juillet rester exempte de l'élévation du rendement…

Une voix. - Le sucre indigène aussi !

M. Malou. - Si vous admettez que jusqu'au 1er juillet prochain il n'y aura pas élévation du rendement, pour maintenir l'équilibre, vous ne pouvez pas vous-dispenser de laisser l’industrie du sucre indigène soumise au droit de 30 fr. Si le fait de l'augmentation de la production du sucre indigène m'avait été connu quand cette transaction a été présentée, je me serais empressé de comprendre l'ajournement de l'article 5 dans le projet qui est devenu la loi de 1847.

Rappelons-nous, non pas les débats de 1846, mais le système auquel la majorité qui a voté la loi de 1847 s'est montrée constamment fidèle ; jamais on n'a voulu accorder un avantage à l'une des deux industries, sans rétablir immédiatement l'équilibre au profit de l'autre. Supposez qu'on eût maintenu le chiffre du droit sur le sucre indigène et atténué le rendement fixé par la loi de 1846, demandez-vous si l'équilibre existerait encore aujourd'hui. C'est ce qui se passerait maintenant si l'on n'admettait pas l'amendement de M. de Corswarem.

En d'autres termes, on conserverait momentanément le rendement et on laisserait s'accroître le chiffre de l'accise sur le sucre indigène. On disait tout à l'heure auprès de moi avec quelque raison que le rendement était une question qui intéresse les deux sucres. Sans doute, le sucre in-indigène n'est pas désintéressé dans la question du rendement ; mais il a été démontré, lors de la discussion de 1846, que l'intérêt n'est pas le même pour les deux industries, que le rendement était d'un intérêt essentiel, vital pour le sucre exotique. Si vous voulez maintenir l'équilibre entre les deux industries, vous devez admettre que pendant la campagne actuelle, c'est-à-dire aussi longtemps que le rendement ne sera pas élevé, le droit d'accise sera stationnaire quant au sucre indigène.

Un- mot encore sur les résultats généraux de la loi de 1846. Quand le projet a été présenté, quelle était la situation au point de vue des trois intérêts qu'il s'agissait de sauvegarder (car en 1843 pas plus qu'en 1846, la majorité n'avait voulu faires une loi exclusivement favorable à l'un ou à l'autre de ces trois intérêts ; elle a voulu faire une loi de pondération), quelle était la situation créée par cette loi de 1813 ? D'une part, le trésor ne réalisait pas la recette de trois millions ; quand j'ai présenté la loi de 1846 les recettes étaient tombées au-dessous de trois millions et elles seraient restées de beaucoup au-dessous de ce chiffre ; il était impossible de réaliser trois millions de recettes, au moyen des retenues, comme il serait impossible d'obtenir trois millions si on les rétablissait ; l'expérience a parlé, elle est complète en ce qui concerne le système des retenues.

La loi de 1843 n'aurait donc pas satisfait l'intérêt fiscal ; dans les circonstances normales elle n'avait pas donné une recette de trois millions. Cette loi avait produit d’autres résultats désastreux ; les deux industries en souffraient également, s'en plaignaient également parce qu'elles se trouvaient menacées non seulement dans leur développement, mais dans leur existence même, par l’effet de cette loi.

Et que s'est-il passé depuis lors ? Nous avons traversé une crise qui a réagi sur la consommation du sucre en Belgique. Nous avons la certitude, j'ose le dire, que quand la consommation aura repris son niveau, la recette pourra être réalisée dans le système de la loi de 1846, et qu'ainsi l'intérêt financier pourra être satisfait dans la mesure qu'on a déterminée.

D'un autre côté vous entendez aujourd'hui, au lieu de plaintes légitimes de deux industries nationales, qui étaient réduites pour ainsi dire à l'agonie, l'une et l'autre de ces deux industries avouer directement ou implicitement un fait d'ailleurs incontestable de leur prospérité et de leur développement progressif sous le régime de la législation nouvelle.

Tel est, d'après les faits, le parallèle des deux lois.

(page 731) M. Lejeune, rapporteur. - Je commencerai par remercier l'honorable M. Osy, qui a rendu hommage aux intentions de la section centrale, en expliquant comment elle s'était placée et constamment maintenue sur le terrain des intérêts du trésor public. C'est, en effet, la position qu'elle a prise ; elle a résisté, d'un côté, à la canne, d'un autre côté, à la betterave. Le sucre exotique veut maintenir ses faveurs ; le sucre indigène veut en obtenir ; elle a proposé de retirer les faveurs à l'un, et elle les a refusées à l'autre.

Toutes les brochures qui vous ont été distribuées vous prouvent qu'on ne se préoccupe, de part et d'autre, que de son propre intérêt, et qu'on abandonne celui du trésor public. Le sucre indigène ne veut pas d'augmentation de droits ; il ne veut pas une surveillance trop rigoureuse ; tout est pour le mieux, pourvu qu'il ne paye pas trop. Le sucre exotique voudrait ne rien payer.

Tout à l'heure, l'honorable M. Malou disait que personne dans cette enceinte ne soutenait la proposition de la section centrale. Cela est vrai. J'en ai fait aussi la remarque, et je vais en dire la raison. La section centrale propose de revenir au système de 1846 ; mais une conséquence de sa proposition serait de maintenir le droit d'accise à 34 fr., tandis que le rejet aurait pour conséquence de réduire le droit d'accise sur le sucre de betterave à 30 francs.

De là l'absence de défenseurs parmi les honorables membres qui soutiennent les intérêts du sucre indigène. D'un autre côté, de la part du sucre exotique, nous n'avons pas d'appui à attendre.

J'assignerai tout d'abord une deuxième cause à l'absence de défenseurs de l'amendement de la section centrale, et cette cause contribuera, sans doute, à faire rejeter la proposition. C'est l'effet financier peu important qu'elle semblerait devoir produire. S'il est vrai que l'amendement de la section centrale ne doive produire au trésor que 127 mille francs, la chambre ne l'admettra pas. Mais est-ce dans cette pensée que la proposition a été faite ? Je vous rappellerai en quelques mots quelles étaient les prévisions de la section centrale. Dans son rapport du 11 décembre, elle dit :

« Nous avons cru utile de demander de nouveaux éclaircissements, de mieux nous assurer si nos propositions atteindraient le but que nous nous sommes proposé. D'après les conséquences que nous croyons pouvoir déduire des explications données, la haute administration partage l'opinion que, si la décharge était réduite à 62 francs, à dater du 1er janvier 1848, celle mesure aurait pour effet, 1° que la réclamation des fabricants de sucre indigène ne devrait pas être accueillie, et 2° que l'impôt donnerait probablement près de 3,000.000. »

Peut-être dira-t-on que, si au lieu de s'en rapporter aux renseignements de la haute administration, la section centrale avait fait des investigations par elle-même, elle aurait connu la véritable portée de sa proposition.

Mais d'abord, nous pouvions, sans doute, nous en rapporter, quant à l'effet financier de notre proposition, aux renseignements et à l'opinion de la haute administration. Ensuite nous n'avions pas à étudier, à approfondir un système nouveau, notre proposition consistant uniquement à rentrer dans le système établi par la loi de 1846.

L'honorable M. Loos a attribué à la section centrale des intentions qu'elle n'a pas eues. Selon cet honorable préopinant, elle aurait voulu combler le déficit dans nos finances, par l'impôt sur les sucres, sans s'occuper, au même point de vue, de l'impôt sur les bières, sur les distilleries et autres.

Messieurs, lorsque l'on met la législation des sucres sur la même ligne que toutes les autres lois d'impôt, on a beau jeu pour combattre la section centrale. Il y a beaucoup de différence entre la loi sur les sucres et les autres lois qu'on a citées. Première différence : dans la loi sur les sucres, le taux de l'impôt est fixé ; les sucres doivent rapporter 3 millions ; c'est en conséquence de la loi que cette somme est portée au budget des voie et moyens.

Deuxième différence : le déficit, ou pour mieux dire, la diminution de recettes sur l'impôt des bières, des distilleries, etc., n'est pas produite par un système de primes.

En troisième lieu, et troisième différence essentielle, les bières les distilleries nous donneront une compensation. Les sucres en donneront-ils une ?

Il faut donc bien, messieurs, se pénétrer de la position où se trouvait la section centrale, et comment elle a été amenée à vous faire la proposition.

Trois millions étaient portés au budget des voies et moyens. Il était reconnu que le chiffre réel de la recette serait réduit à 1,200,000 fr. La section centrale se trouvait donc dans l'alternative ou bien de réduire le chiffre ou bien de proposer des mesures pour atteindre l'impôt réel de 3 millions.

Il nous a paru que la situation financière ne nous permettait pas de nous arrêter au premier moyen, que nous ne pouvions pas faire le sacrifice d'environ deux millions, que nous ne pouvions pas consentir à un déficit de cette importance sur une matière très imposable. Peut-on renoncer de bonne grâce à une recette de 2 millions sur le sucre, tandis que le sel continue à payer environ 5 millions ? Tandis que si l'Etat pouvait faire un sacrifice 2 à 3 millions sur le sel, l'impôt sur cette denrée de première nécessité serait presque réduit à rien.

Il restait un second moyen : c'était de proposer des mesures pour assurer la recette de 3 millions. Ce moyen, messieurs, je l'ai dit hier, est simplement de rentrer dans le système établi, après une longue discussion, par la loi du 17 juillet 1846.

Nous ne nous sommes pas dissimulé la gravité de cette mesure. Nous l'avons présenté comme exceptionnelle. Il faut, pour proposer une pareille loi, des motifs très graves. Ces motifs existent-ils ? Voilà la question que la section centrale avait à se poser.

La question de droit rigoureux n'est pas contestée. Tout le monde convient que la chambre peut revenir sur la loi du 16 mai 1847. Mais la convenance, la moralité législative de la mesure ont été vivement attaquées. On a parlé de la jurisprudence de la chambre, de l'instabilité des lois, de l'inquiétude qu'une pareille mesure causerait au sujet de la loi sur les céréales, qui a décrété la libre entrée jusqu'au 1er octobre.

Messieurs, toute cette argumentation est parfaitement juste au point de vue de la doctrine. Mais pour bien apprécier la question qui nous occupe, quittons les régions un peu élevées des principes généraux pour descendre au niveau des faits ; examinons le cas spécial qui nous occupe.

Sur les principes généraux nous sommes d'accord. Mais ce n'est pas une décision purement doctrinale qu'il nous faut, c'est une décision applicable au cas spécial.

Voyons d'abord, messieurs, à quoi se réduit la proposition ? Elle ne consiste pas à établir un système nouveau ; la législation existe. Suivant cette législation, le gouvernement, dans l'intérêt du trésor avait le droit de diminuer la décharge de l'accise à l'exportation du sucre, lorsque la recette n'atteignait pas un certain chiffre. Par la loi du 16 mai 1847, il a été statué que, jusqu'au 1er juillet 1848, le gouvernement ne pourrait pas diminuer le taux de la décharge.

La section centrale propose de revenir sur cette dernière disposition et de rentrer dans le système normal. Elle propose donc simplement, non pas de décréter un système nouveau, mais de rentrer dans le système établi. En un mot, elle propose de faire cesser une exception.

Examinons maintenant, messieurs, quel est le caractère de la loi sur les sucres.

Peut-on la comparer en rien à la loi sur les céréales, par exemple ? Et parce qu'on reviendrait sur la loi du 16 mai 1847, craindrait-on sérieusement qu'on ne révoquât demain la loi qui concerne la libre entrée des céréales ? Nullement, messieurs, personne ne s'y tromperait.

La loi sur les sucres a les caractères d'un véritable contrat, d'une transaction conclue avec les industriels intéressés. Il y a en quelque sorte, de leur part, promesse, consentement, engagement de laisser au trésor un revenu de trois millions au moins, de ne pas absorber l'impôt au-delà de cette limite.

La loi, disait l'honorable M. Osy, a donné des garanties à des tiers. Nous, messieurs, nous pourrions dire : les tiers ont donné des garanties au trésor public. Lorsque la loi du 17 juillet 1846 a été votée, la chambre s'est attendue à une recette de 3 millions, et si l'on avait dit que cette recette pouvait descendre à 1,200,000 fr., la loi n'aurait pas été votée.

Voilà le sens qu'on doit attacher à cette loi et qu'on ne peut pas attacher à toute autre loi.

Quels sont maintenant les motifs graves qui ont engagé la section centrale à faire sa proposition ? N'oubliez pas, messieurs, qu'elle était sous l'impression de la certitude que sa proposition pouvait et devait faire rentrer au trésor à peu près les trois millions portés au budget. Nous avons donc trouvé un motif très grave dans l'intérêt du trésor, trop souvent sacrifié. N'oubliez pas non plus que nous ne faisions réellement que rentrer dans la législation existante, qu'il ne s'agissait pas d'établir rien de nouveau.

Une autre considération importante, c'est le mécompte sur les effets que devait produire la loi du 16 mai 1847 ; car là encore nous sommes (page 732) bien déçus dans, notre attente. Lors de la discussion de cette loi, on nous disait qu'elle ne causerait qu'un déficit de 200,000 fr. pour les six mois de suspension que proposait le gouvernement. Mais l'industrie ne s'est pas contentée de la proposition du gouvernement ; un amendement est venu doubler le terme prolongé dès lors jusqu'au 1er juillet 1848.

La loi, ainsi modifiée, nous disait-on, ne devait occasionner au trésor qu'un déficit de 400,000 fr. C'est sous l'impression de pareilles assertions que cette loi a été votée, qu'elle l'a été encore en quelque sorte de concert avec les intéressés. Si l'on s'était borné à la loi présentée par le gouvernement, la question n'eût probablement pas été soulevée aujourd'hui. Mais on a poussé les exigences plus loin, on a voulu plus que le gouvernement, après en avoir délibéré, ne croyait devoir accorder. Ces prétentions exagérées sont la véritable cause de la discussion qui nous occupe aujourd'hui et seront peut être la cause d'une vive réaction contre le système qui nous régit, contre la législation actuelle sur les sucres.

Il faut bien le dire, messieurs, cette dernière loi a surtout été une loi de confiance : il n'y avait pas lieu de discuter de nouveau à fond tout un système ; on se bornait à apprécier le déficit que la loi occasionnerait et on l'a votée sous cette impression ; la chambre se résignait à un sacrifice de 400,000 fr. à cause des circonstances. Encore une fois, si l'on avait dit à la chambre qu'au lieu de 3 millions, ou 2,600,000 fr., la recette se réduirait à 1,200,000 fr., la loi n'eût pas été adoptée.

Une autre raison, messieurs, qui justifie la proposition de la section centrale, c'est, qu'en faisant cesser l'exception établie par la loi de 1847, nous échappions à une nouvelle exception en faveur du sucre indigène, et aussi à un nouveau déficit. En effet la faveur concernant la décharge continuant à subsister, le gouvernement, regardait comme inévitable de revenir sur l'arrêté royal qui porte le droit d'accise sur le sucre indigène à 34 fr., et de le réduire à 30 fr. Pour éviter donc ce nouveau déficit, la section centrale a fait la proposition de rentrer dans la loi de 1846 et a émis l'opinion que dans ce cas le droit sur le sucre de betterave pouvait être maintenu à 34 fr.

Messieurs, une dernière considération que je soumets à votre appréciation, c'est qu'en faisant rentrer au trésor l'impôt sur le sucre, on n'impose aucune charge nouvelle aux contribuables, c'est qu'on trouve ainsi une ressource sur une matière éminemment imposable, c'est qu'il s'agit d'un impôt qui se paye sans difficulté, sans réclamation.

Eh bien, messieurs, si pour tous ces motifs, la proposition de la section centrale était adoptée, serait-il-dit que la chambre manquer à l'honneur et à sa parole ?/.

Je ne le crois pas : Ecrirait-on sur le péristyle de la chambre : «Ici on détruit des lois. » Craindrait-on que demain la loi des céréales ne fût changée ? Non certainement. Je l'ai dit, on ne s'y méprendrait pas ; tout le monde saurait bien apprécier les motifs qui auraient guidé la chambre ; ce n'est pas pour le cas présent, pour le cas spécial et exceptionnel qui nous occupe que l'on crierait à l'instabilité des lois, comme on crie avec beaucoup plus de raison à l'instabilité des revenus du trésor publie.

Messieurs, fidèle à la ligne de conduite que s'est tracée la section centrale, je n'entrerai pas dans la discussion de systèmes nouveaux, de propositions nouvelles, tendant à changer essentiellement la législation établie. La section centrale n'a pas eu pour but de soulever une discussion qui conduisit à un changement de système, elle a uniquement eu pour but de rentrer dans le système de la législation actuelle.

Je termine, messieurs, en exprimant l'opinion que la proposition de la section centrale peut être adoptée sans scrupule et qu'elle devrait l'être s'il restait vrai qu'elle porterait le produit de l'impôt à trois millions on environ. Certainement les recettes seraient déjà notablement diminuées par les opérations que les raffineurs ont pu faire jusqu'à présent et par celles qu'ils pourraient faire encore jusqu'au moment de la publication de la loi. Mais s'il était établi (et ce n'est pas à moi à rectifier les chiffres indiqués à la section centrale), s'il était établi que la proposition qui nous est soumise ne rapporterait que la somme indiquée par l'honorable M. Cogels, je n'y verrais pas un motif suffisant pour changer la loi.

(page 728) M. Manilius. - Messieurs, je ne comprends pas l'insistance de l'honorable rapporteur de la section centrale après ce qui s'est passé, non seulement dans la séance d'aujourd'hui, mais déjà dans la séance d'hier ; l'honorable rapporteur aurait dû voir, comme nous tous, que cette prétention de la section centrale n'a pas reçu un accueil favorable de la chambre, ni du ministère lui-même. Je crois que si depuis hier on avait voté sur cette question il y aurait déjà lieu à clore le débat sur tout le reste. Car en vérité, je ne sais comment, d'après la déclaration qu'a faite tout à l'heure l'honorable rapporteur, nous sommes encore à discuter sur des discussions ; car il n'y a que discussion sans but déterminé. L'honorable M. Lejeune vient de déclarer que la section centrale n'a pas eu la moindre intention de toucher à la loi de 1846 ; elle a eu exclusivement en vue de revenir sur la loi de 1847, c'est-à-dire de modifier la loi du mois de mai dernier.

Eh bien, messieurs, la question se réduit à sa plus simple expression ; il ne reste plus rien ; d'après ce qui se manifeste dans la chambre, on ne veut pas de l'amendement de la section centrale ; la section centrale, à son tour, ne veut rien changer à la loi de 1847.

Maintenant doit-on continuer à discuter ? Doit-on faire une espèce d'enquête sur les sucres ? Le gouvernement désire-t-il cela ? Une partie de la chambre le désire ; mais, je n'hésite pas à le dire, par stratégie, pour arriver à placer quelque nouvelle combinaison dans la loi, à faire le contraire de ce qu'on a constamment proclamé. Car que proclame-t-on ? On proclame qu'on a été inhabile, imprudent, qu'on a commis une légèreté, en touchant à la loi en 1847. On dit : « C'est en quelque sorte par surprise que vous avez dérogé à la loi ; si la loi était restée debout, vous auriez déjà de meilleurs effets. »

Eh bien, que veut-on encore faire aujourd'hui ? On vient, dans une discussion confuse, amenée par je ne sais quoi, on vient à vouloir commettre encore une imprudence, une légèreté ; des amendements ont été lancés ; des projets de loi sont déposés ; on a sagement agi en les renvoyant aux sections. Je suis d'avis qu'on devrait en faire autant de tous les amendements qui, à mes yeux, ne sont que des modifications à la loi ; tous les amendements qui se présenteraient, n'importe sous quelle forme, devraient être renvoyés aux sections, qui en feraient l'examen : un rapport devrait nous être soumis, non pas par une section centrale financière, non pas par les membres de la chambre qui ont examiné le budget des voies et moyens, mais par une section centrale ou par une commission qui pût aborder cette difficile question des sucres sous toutes ses faces, qui tînt compte de l'origine de cette loi, suivant l'historique qui en a été fait tout à l'heure par l'auteur de la loi, par l'honorable M. Malou.

L'honorable M. Malou l'a dit : la loi des sucres n'est pas une loi fiscale, c'est une loi d'existence industrielle ; c'est une loi qui concerne les intérêts matériels du pays ; c'est une loi pour laquelle il y a eu unanimité dans cette chambre pour faire un édifice qui reposait sur les intérêts matériels de la nation.

Messieurs, j'ai fait partie de la section centrale qui a examiné la loi de 1846 ; eh bien, je puis rappeler qu'il n'est pas une seule section qui n'ait pas posé de questions de principe. Elles se résumaient dans la question de savoir s'il fallait ruiner l'une ou l'autre branche d'intérêts matériels qui se rattachent à cette grave question.

On s'est demandé partout : « Faut-il en sacrifier quelques-unes ? » On a répondu partout : Non. C'est aussi de la même manière qu'a procédé la section centrale de 1846. On a demandé si, avant de toucher à la loi des sucres, il ne convenait pas déposer un principe, à savoir que la loi serait établie sur la quadruple combinaison, consistant à ne pas heurter l'industrie du sucre indigène et celle du sucre exotique, à ménager le trésor, et surtout à ne pas nuire au grand commerce maritime. Voilà le grand principe qui a servi de base à la loi.

Eh bien, une loi qui a été si péniblement élaborée, qui n'a pas encore atteint sa maturité, qui n'est pas encore en exercice réel, par suite de l'inexécution momentanée, décrétée en 1847, cette loi, vous songeriez déjà aujourd'hui à la détruire par des amendements, introduits d'une manière insolite !

Si l'on veut des modifications à la loi de 1846, qu'on ait le courage, comme l'honorable M. Mercier, d'exposer ses vues sous une forme complète, ou les examinera : il est possible qu'un génie heureux nous amena quelque chose d'avantageux pour tous.

Mais, je le répète, sur quoi discutons-nous aujourd'hui ? Il n' y a plus rien sur quoi puisse porter le débat. Est-ce l'amendement de la section centrale ? Mais cet amendement n'a trouvé ici qu'un seul défenseur ; et ce défenseur unique, c'est' l'honorable rapporteur de la section centrale. (Interruption.) Pardon, il y en a deux : L'honorable M. de La Coste a dit aussi quelques mots en faveur de la proposition de la section centrale. Mais après cela, il n'y a rien à discuter, on dirait qu'on discute sur ce qui se discute. Continuer à discuter comme cela, c'est faire une enquête devant la chambre, et je ne sais pas qui a le droit de nous faire faire une enquête.

Messieurs, la loi de 1846 a été élaborée avec peine, on est parvenu à (page 729) édifier une œuvre dont les parties s'enchaînent bien ; mais, de grâce, laissez donc à l'œuvre le temps de se développer ! Mais on ne veut pas lui laisser ce temps-là ; et puisqu'on doit continuer à discuter, je veux dire pourquoi : c'est que le temps doit amener tous les partis à souffrir ; le parti commercial doit souffrir ; le temps doit faire souffrir le sucre exotique et surtout le sucre de betterave. C'est donc elle qui en première ligne ne veut plus de la loi de 1846 ; c'est elle qui vous dit, par l'organe de ses défenseurs : « Retranchez cette loi, le trésor ne perçoit rien. » Or, les défenseurs de la betterave savent très bien que la loi doit produire, qu'elle produira ; mais ils veulent prévenir le temps où elle produira, car la betterave connaît très bien sa position.

Et puisque nous sommes malheureusement dans le cas de devoir parler de sucres, je vais donner quelques explications à la chambre.

Messieurs, toute l'énigme de la question gît dans le taux du droit. Le sucre de betterave dans la combinaison de l'auteur de la loi de 1846, .aurait dû payer 3 fr. d'emblée.

On est revenu à 30 fr., parce qu'on a eu égard aux questions de principe. On a dit : Il faut faire la part du moment, il faut la faire pour le sucre de betterave, comme on l'a faite pour le commerce maritime ; il faut rendre les choses plus ou moins possibles, mais il faut y mettre un terme ; ce terme il faut l'établir par la démonstration de leur propre industrie, par cette preuve qu'ils peuvent grandir avec ce droit de 30.fr. Cette preuve ils l'ont établie, l'ancien ministre des finances vient de l'expliquer ; eux-mêmes ils auraient eu garde de l'établir, la vigilance du fisc, avec la dernière des rigueurs, a établi la production réelle. Cette production réelle on la laissait se développer, mais c'était sur la foi du correctif qu'on avait posé dans la loi de 1846 ; c'était la preuve que vous grandissiez sous l'empire du droit de 30 fr. pour vous imposer une majoration. La preuve a été donnée, l'augmentation de droit a été appliquée et cette première application est tellement sensible qu'on crie ; on criera plus fort encore et on ne cessera de crier que quand la loi de 1846 n'aura plus son effet.

Un membre. - Nous y tenons.

M. Manilius. - Alors pourquoi appuyez-vous la proposition de M. de Corswarem ? Parce que vous voulez arriver à ne pas payer les droits. Vous supposez que nous ne la voulons pas ; je prouverai que nous la voulons aussi. Si vous croyez que nous ne la voulons pas parce que nous avons appuyé la modification de 1847, vous oubliez que cette modification a été plus favorable à la betterave qu'au sucre exotique. Pourquoi direz-vous, si cette modification a été plus favorable au sucre de betterave qu’au sucre exotique, ceux qui s'intéressent au sucre exotique l’ont-ils voulue ? Je vais l'expliquer, c'est très simple, la chambre le comprendra facilement ; c'est réellement plus simple qu'on ne suppose. On n'a pas désiré voir augmenter le rendement en général sur les deux sucres, parce que celui qui travaille pour l'exportation doit désirer pouvoir placer ses produits à l'extérieur : pour cela, il ne lui faut pas un rendement de 68 : un rendement le 72 serait plus insupportable encore, il se rebiffe quand vous voulez l'augmenter.

Le sucre de betterave, qui n'a qu'un rendement de 45, vient en aide à ces négociants qui vont jeter leur sucre sur les marchés étrangers. Si un grand raffineur emploie un million de kilog. de sucre exotique et un million de sucre indigène, il paye pour le million de sucre exotique à raison de 45, et pour l'autre à raison de 30 fr. ; mais à la décharge, il ne prend que l'obligation d'exporter pour 100 kilog. de sucre brut exotique 68.kilog. de sucre raffiné, pour avoir 45 fr. de remise, et pour les 100 kilog. De sucre brut indigène, il ne doit exporter que 45 kilog. de sucre raffiné pour être remboursé de ses 30 fr. J'insiste là-dessus. C'est une vérité qu'on cache. En exportant 45 kilog. de sucre indigène raffiné, on reprend les 30 fr. qu'on a payés.

Je vais faire voir maintenant comment on parvient à ramener les choses dans l'état où elles étaient auparavant. Les 45 fr. et les 30fr.se trouvent restitués en exportant 68 d'une part et 45 de l'autre, ce qui constitue l'ancien rendement de 56. C'est avec la combinaison de ces deux sucres qu'on parvient à une moyenne de 56-57, qui était le rendement ancien. C'est cet état de choses qui permet encore à la fabrication d'exporter vers l'étranger.

Maintenant, pour pouvoir continuer cet état de choses, n'est-il pas évident que l'agrandissement du produit indigène est nécessaire ? Car sans ce produit indigène, l'exportation serait nulle, impossible ; sans le sucre indigène, l'exportation ne résisterait pas à un rendement de 68 ; comment résisterait-elle à un rendements de 72. Vous voyez qu'il y a de l'injustice de la part du sucre indigène à ne pas reconnaître cette position, car ceux qui soutiennent cette industrie, s'ils protestent de leur sollicitude pour les intérêts du trésor, s'ils vous disent : Le trésor ne perçoit rien, le trésor est en peine, il ne faut pas charger maintenant le sucre indigène, mais le sucre exotique, au fond, ils savent ce que je viens de dire mieux que moi ; mais le pays l'ignore, il se laisse prendre à leur langage et aux calculs de la nature de ceux que faisait tout à l'heure l'honorable M. Eloy de Burdinne.

Vous voyez donc d'après cette démonstration que la loi de 1846 a su quelle devait être la conséquence, que provisoirement, on ne percevrait pas les trois millions. Je dois vous rappeler que lors de la discussion, j'ai dit à plusieurs reprises que la combinaison de la loi était de nature à donner quelque apaisement sous le rapport de l'équilibre des deux industries, mais que quant à la question financière, j'avais quelque défiance sur le commencement de l'exécution de la loi ; mais que j'avais beaucoup d'espoir pour l'avenir.

J'ai toujours déclaré, du reste, que la question financière je l'abandonnais à l'auteur de la loi qui était chargé des intérêts du trésor ; cependant je n'aurais pas hésité à soutenir avec lui que quand la loi aurait opéré son jeu, vous arriveriez au produit que vous vous proposiez comme à la coexistence du sucre indigène avec le sucre exotique.

Nous le savons très bien, le sucre indigène mérite beaucoup d'égard, je suis le premier à le reconnaître ; mais il fait des progrès marquants surtout dans un pays voisin. Il lui est facile de profiter de toutes les améliorations chimiques et mécaniques qu'on peut introduire dans l’industrie pour se mettre à même de supporter une égale part de l'impôt.

Puisque la loi sur les sucres est une loi de consommation, qui doit produire au trésor un certain revenu, nous devons faciliter ce revenu ; nous ne devons donc pas permettre de fabriquer du sucre, à l'intérieur, sans impôt.

Nous en avons un exemple frappant dans la loi sur le sel ; elle doit subir toutes ses conséquences ; nous pourrions, puisque nous avons une frontière maritime, avoir le sel chez nous ; mais non, dans l'intérêt du produit de l'impôt, il est défendu de puiser de l'eau à la mer. Et vous, parce que vous avez des betteraves, vous voulez faire du sucre et vous soustraire à un impôt qui n'est pas un impôt de protection, mais un impôt de consommation ! Vous devez vous soumettre à cet impôt en raison de la progression de la production. Cela a été calculé dans la loi de 1846. La loi a combiné que suivant vos progrès vous aurez un rendement de 32 ou de 34.

Nous avons établi un maximum de 40 ; lorsque la loi de 1846 aura reçu toute son exécution vous jouirez encore d'une immunité de 5 fr. sur le sucre exotique.

Maintenant, nous avons l'amendement de l'honorable M. de Corswarem. J'ai vu à regret, je dois le dire, que l'honorable M. Malou soit venu appuyer cet amendement. Sans cela, je l'aurais passé sous silence, et j'aurais espéré qu’après le vote sur la première question posée par la section centrale, vous auriez fait partager à cet amendement le sort de l'amendement de l'honorable M. Mercier. Je crois que c'est ce que la chambre pouvait faire de plus prudent. Si cet amendement était mis en discussion…

M. le président. - Il est en discussion.

M. Manilius. - S'il est mis en discussion sérieusement, j'attendrai qu'on l'appuie pour le combattre.

Vous voyez, messieurs, que je n'ai pas reculé, que je n'ai pas hésité, à donner ma part dans la discussion sur la discussion. Si la discussion continue, j'y donnerai encore ma part. Mais je regarde cette discussion comme insolite.

M. Delehaye. - Je n'occuperai pas la chambre de la proposition formulée par la section centrale ; je pense que chacun de vous comprendra, comme l'a dit M. le ministre des finances, qu'en adoptant la proposition de la section centrale, nous ne ferions que violer une promesse. Mon intention, en prenant la parole, n'est donc que d'exprimer mon opinion sur la proposition de l'honorable M.de Corswarem ; je répondrai à l'honorable ministre des finances.

La loi, comme l'a dit l'honorable M. Malou, est une loi de pondération en ce qui concerne la loi de 1846, et en ce qui concerne la loi de 1847, c'est une loi de transaction. J'ai été appelé avec quelques-uns de mes collègues à amener cette transaction qui a été sanctionnée par la chambre en 1847.

L'honorable M. Malou, à qui l'on reproche de ne pas être partisan de la betterave, est précisément celui qui, à une réunion à laquelle assistaient M. Osy, M. Loos et moi, était chargé de défendre les intérêts de la betterave ; il l'a fait très bien, et ce qui prouve qu'il ne s'est pas trompé, c'est que la betterave a, depuis cette époque, doublé sa production.. Elle était alors de. 2 à 3 millions de kilogrammes ; elle est maintenant de 5 millions de kilogrammes.

Je fais appel aux souvenirs de l'honorable M. Malou. Lorsque mes honorables amis et moi nous avons demandé que la loi de 1846 fût suspendue quant au rendement, l'honorable M. Malou ne demanda-t-il pas, dans l'intérêt de la betterave, la suppression des deux modes de contrôle auxquels, jusque-là, elle avait été soumise ? En effet, jusqu'alors elle était soumise au contrôle, à la défécation, au lochage et a l'empli.

L'honorable M. Malou était en présence de réclamations très vives de la part des producteurs de sucre de betterave, qui savaient que du moment qu'on pouvait supprimer ces deux derniers moyens de contrôle, il en résulterait pour eux un bénéfice de 10 p. c. C'est ce qui a été constaté en France où cette industrie était soumise, comme chez nous, à plus d'un contrôle. Il résulte de là que la quantité de jus, constaté à la défécation, présente un dixième de moins que ne présentait la quantité contrôlée, d'après le mode supprimé, en 1847. Ainsi il n'est pas exact de dire qu'il y a eu erreur de la part de la chambre. Cette erreur n'existe pas. Je fais appel aux souvenirs de l'honorable M. Malou qui ne doit pas avoir oublié qu'en demandant des modifications pour la canne, il a stipulé pour la betterave la suppression du double moyen de contrôle, et par cela même la remise d'un dixième des droits.

Je tenais à soumettre ces considérations à la chambre. Je dois y ajouter que la proposition de l'honorable M. de Corswarem s'appliquerait à toute la campagne de 1817 ; car l'honorable membre demande que les effets de la loi soient suspendus pour la betterave pendant le temps pour (page 730) lequel nous avons suspendu la loi de 1846, c'est-à-dire depuis le mois de mai. Ainsi toute la production de la betterave, en 1847, sera soustraite à l'influence des exigences de l'impôt qui a été sanctionné en 1847.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Je demande la parole.

M. Delehaye. - Je suppose que l'honorable ministre des finances qui demande la parole ne partage pas ma manière de voir. Mais cette opinion est celle de l'honorable auteur de la proposition qui me fait un signe d'assentiment. Je serais donc charmé d'avoir un éclaircissement.

Une autre considération vient encore à l'appui de mon opinion toute' contraire à la betterave ; la voici :

Si l'impôt sur la betterave produit moins ici qu'ailleurs, c'est que la production et le raffinage se font dans le même local. En France cela n'est pas permis. Il en résulte que le droit est perçu sur le sucre brut, tandis qu'en Belgique le droit n'est réellement perçue que sur le sucre raffiné. C'est là un très grand avantage pour le sucre de betterave, et cet avantage a pour conséquence immédiate la diminution sensible que nous avons éprouvée dans le payement des droits de la betterave. (Interruption.)

En France, il n'en est pas ainsi. Il n'est pas permis de produire le sucre et de raffiner dans le même local, parce que la Fiance a voulu percevoir les droits sur le sucre brut et non sur le sucre raffiné.

L'honorable député de Louvain vous a parlé d'un crible et de droits jetés dans l'Escaut. Je vous avoue que moi, qui ai fait une étude du système du rendement, je ne puis comprendre qu'on vienne encore soutenir que ce rendement est un avantage que le trésor jette dans l'Escaut.

Permettez-moi de vous dire ce que c'est que le rendement et comment il faut l'entendre. Et à cette occasion, je vous rappellerai que je n'ai pas donné mon assentiment à la loi de 1846 ; j'ai prévu alors ce qui arrive ; je vous ai dit que cette loi ne produirait pas les effets qu'on en attendait.

Messieurs, aussi longtemps que vous voudrez avoir des exportations en fait de sucre, (erratum, p. 743) il faut que le rendement réel soit supérieur au rendement légal. Si le rendement légal était équivalent seulement au rendement réel, vous n'auriez plus d'exportations. Je tiens à vous dire toute ma pensée. Je ne veux pas induire la chambre en erreur. J'ai la persuasion intime qu'il y aura avantage pour le pays à bien connaître la question.

Pour avoir des exportations, il faut une différence entre le rendement légal et le rendement réel. Cette différence permet au raffineur de sucre de mettre en consommation une partie de sucre indemne de droit. Mais quelle est la conséquence ? Est-ce que le raffineur met de l'argent dans sa poche ? Ce que le trésor ne reçoit pas, le jette-t-on dans l'Escaut, comme le dit l'honorable M. de La Coste ? Pas du tout, voici ce qui arrive.

Un raffineur doit 100 fr. au trésor ; il apure complètement son compte. Le restant du sucre provenant de la différence des deux rendements, il le met en consommation indemne de droit. Mais ce sucre, il le livre au consommateur, déduction faite du droit qu'il n'a pas payé, et c'est le consommateur qui profite de cet avantage. On a dit que le raffineur mettait en poche tout ce qu'il soustrayait au trésor ; s'il en était ainsi que verrions-nous ?

Le nombre des raffineurs n'est pas considérable, je crois qu'il ne va pas au-delà de 40. Si l'opinion de l'honorable M. de La Coste était fondée, depuis dix-sept ans ces 40 raffineurs se seraient partagé annuellement une somme de trois millions. Or, que voyons-nous ? Beaucoup d'établissements de Gand ne travaillent plus ; une partie de ceux d'Anvers sont en stagnation. Peut-on croire, messieurs, qu'une industrie qui ferait un bénéfice annuel de trois millions serait dans une position aussi peu florissante, alors surtout que ces trois millions seraient annuellement partagés entre quarante individus ? Cette supposition dénote que l'on n'entend pas la question ou qu'on ne veut pas la comprendre.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Après ce que vient de dire l'honorable M. Delehaye, une explication est nécessaire au sujet de la portée de l'amendement de l'honorable M. de Corswarem.

Il faut distinguer entre les deux campagnes :

Si l'amendement est adopté, toute la campagne de 1847-1848 sera exemple du supplément de 4 francs. Les travaux ont commencé en septembre dernier ; ils seront terminés à la fin du mois de mars prochain : Tout ce qu'ils donneront en produits ne payera plus que 30 francs.

Maintenant pour la campagne de 1846-47, c'est-à-dire en ce qui concerne l'effet rétroactif de l'amendement...

M. Malou. - Il ne peut pas s'appliquer.

M. le ministre des finances (M. Veydt). - Pardon, il pourrait s'appliquer pour une très faible partie.

Après le 53 juin 1847 il n'a plus été constaté que 204,440 kilog. delà campagne de 1846-1847 ; ils ont été lochés, c'est-à-dire extraits des formes et pris en charge aux comptes antérieurement à la date exécutoire de l'arrêté du 28 juillet 1847, qui a élevé le droit à 34 fr. à une légère différence près de 13,553 kil., qui, au droit de 4 fr. de supplément par 100 kilog. feraient une somme d'environ 500 fr.

Voilà tout l'effet rétroactif qu'aurait la loi en faveur du sucre indigène. Il ne vaut donc pas la peine que l'honorable auteur de l'amendement demande que ce bénéfice soit assuré pour la campagne de 1846-1847.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. Dechamps. - Messieurs, je m'aperçois à la fatigue de la chambre qu'elle ne veut pas que la discussion se prolonge, et la chambre à raison, car, en définitive, cette discussion est sans but et ne peut avoir aucun résultat. C'est une véritable passe d'armes. Nous discutons dans le vide, au hasard, sans direction et sans résultat possible.

En effet, messieurs, quelle est la proposition qui est maintenant en discussion ? Une seule l'est sérieusement ; c'est celle de l'honorable M. de Corswarem. La proposition de la section centrale, qu'on me permette de le dire, paraît abandonnée de tout le monde. Elle a été abandonnée hier par l'honorable M. Mercier, qui n'a guère insisté pour l'appuyer. L'honorable M. de La Coste aujourd'hui a compris et compris loyalement que les objections faites contre cette proposition avaient un caractère très sérieux. L'honorable M. Lejeune, en acquit de son devoir de rapporteur de la section centrale, a dit quelques mots pour la défense de cette proposition, ou plutôt il a présenté les excuses de la section centrale, en expliquant comment elle avait été amenée à faire cette proposition. L'honorable M. Lejeune vous a déclaré que, d'après les renseignements qui avaient été donnés à la section centrale par l'administration, elle avait cru qu'en faisant cesser les effets de la loi de 1847, qu'en élevant le rendement au 1er janvier 1847, on obtiendrait une recette de près de 3 millions ; mais que c'était là une erreur, et que la section centrale avait versé dans cette erreur.

M. Lejeune. - Je n'ai pas dit que c'était une erreur.

M. Dechamps. - J'ai cru comprendre que l'honorable M. Lejeune avait admis que l'augmentation de recette qui devait résulter de la proposition de la section centrale ne pouvait s'élever qu'à la somme de 127,000 fr. Et, en effet, la chose est excessivement simple. En partant d'une exportation de dix millions de kilogrammes, exportation de 1847, qui a été double de celle de 1845 et, en admettant la restitution de 62 fr. au lieu de 66 fr., il est clair que la différence de 4 fr., le calcul est facile à faire, ne peut amener pour l'année entière qu'une augmentation de 400,000 fr. ; pour six mois, 200,000 fr., et comme nous sommes au commencement de février, et qu'il faudrait encore quelque temps avant que la loi pût être mise en vigueur, l'honorable M. Cogels a parfaitement eu raison de déclarer que l'augmentation ne pourrait être que de 127 à 150,000 fr.

Evidemment, messieurs (et l'honorable rapporteur l'a reconnu), en présence d'un pareil résultat, il est impossible que la chambre se décide à revenir sur la loi de 1847.

Messieurs, je ne veux pas continuer cette discussion et je crois que la chambre fera bien de prononcer la clôture ; car, ainsi que je l'ai dit, nous sommes en présence, d'une part, d'une proposition non défendue, et d'autre part, de la proposition de M. de Corswarem. Très probablement le résultat de la proposition de la section centrale sera l'adoption de la proposition de M. de Corswarem, c'est-à-dire la création d'un défi-cil nouveau, alors que la section centrale a cru faire une proposition tendant à augmenter les revenus du trésor.

- La clôture est demandée et prononcée.

M. le président. - Il y a deux propositions, celle de la section centrale et celle de M. de Corswarem. Voici la proposition de la section centrale :

« Toutefois par dérogation à l'article 4 de la loi du 16 mai 1847, la décharge de l'accise à l'exportation de sucre de la catégorie A, de l'article 5 de la loi du 17 juillet 1846, sera réduite, savoir :

« Au 1er janvier 1848, à fr. 63 par 100 kilogrammes.

« Au 1er mars de la même année, à fr. 62 par 100 kilogrammes.

« Les dispositions de l'article 7 de la loi du 17 juillet 1846 seront appliquées aux prises en charge ouvertes au 1er janvier et au 1er mars 1848.»

La proposition de M. de Corswarem est ainsi conçue :

« Les effets de l'article 5 de la loi du 17 juillet 1846 sont suspendus pour tout le temps pendant lequel ceux de l'article 4 de la même loi ont été et resteront suspendus. »

- L'amendement de M. de Corswarem est d'abord mis aux voix et adopté.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de la section centrale.

Plusieurs membres. - C'est contradictoire.

M. le président. - On paraît croire que l'amendement de M. de Corswarem deviendra inutile si la proposition de la section centrale est adoptée.

M. Mercier. - Messieurs, l'amendement de M. de Corswarem n'exclut nullement la proposition de la section centrale. L'amendement est conçu en des termes tels que le sucre indigène ne jouira de la faveur qu'il lui accorde, que jusqu'au moment où le régime proposé par la section centrale sera mis en vigueur ; il peut donc être appliqué jusqu'à ce moment, et dès lors il n'est pas en contradiction avec la proposition de la section centrale.

M. Malou. - Il y a contradiction dans les termes...

Plusieurs membres. - C'est inutile.

M. Malou. - En effet, messieurs, je ne crois pas devoir insister, car la proposition de la section centrale sera rejetée ; mais si elle était adoptée, l'amendement de M. de Corswarem tombe.

- La proposition de la section centrale est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

(page 731) Plusieurs membres. - Il y a doute.

Il est procédé à une nouvelle épreuve ; la proposition de la section centrale est rejetée à une très grande majorité.

M. le président. - Conformément au règlement, le vote définitif sur l'amendement de M. de Corswarem aura lieu après-demain.

M. de Corswarem. - Le gouvernement s'y est rallié. On pourrait procéder immédiatement au vote définitif.

M. Osy. - Je demande la remise à samedi, car M. le ministre des finances a donné des renseignements sur lesquels on n'est pas d'accord, et nous aurons à y revenir.

M. Delehaye. - M. le ministre des finances et M. de Corswarem ne sont pas d'accord eux-mêmes sur ces renseignements. Quant à moi, je comprendrai très difficilement qu'on ait fait une proposition pour une somme minime de 4 à 500 francs. (Aux voix ! aux voix !) Je demande l'exécution du règlement.

- Le vote définitif est remis à samedi.

La séance est levée à 4 heures 3/4.