(Annales parlementaires de Belgique, session 1847-1848)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 537) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée ; il présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le sieur A.-G. Paulin-Legriel, employé à l'administration des chemins de fer de l'Etat, né à Vazouy (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les secrétaires communaux du canton de Lens demandent une augmentation de traitement et leur participation à la caisse de retraite des employés de l'Etat. »
- Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
« Plusieurs habitants d'Overpelt demandent l'abrogation de la loi du 18 mars 1838, qui établit un impôt de consommation sur les boissons distillées. »
« Même demande de plusieurs habitants de Templeuve, Jodoigne, et plusieurs cabaretiers et débitants de boissons distillées, dans le Limbourg et dans la commune d'Avelghem. »
- Renvoi à M. le ministre des finances.
« Plusieurs propriétaires, négociants et cultivateurs à Beersel, prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession et toute augmentation de dépense qui lui serait proposée.
« Même demande de plusieurs habitants de Hoesselt, Rixingen, Lowaige, Bertogne, Rutten, Membruggen, Fall et Mheer, Vlytingen, Veltwezelt, Jesseren, Vechmael, Millen, Wiers, Willaupuis, Rumillies, Manbray. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet, et dépôt sur le bureau pendant la discussion des budgets.
« Plusieurs habitants de Senonchamps demandent qu'on ajourne les travaux d'agrandissement de l'église de Mande-Saint-Etienne ou que le gouvernement les aide à payer leur quote-part des frais de ces travaux.»
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
« Le bourgmestre de la commune de Sugny prie la chambre de s'occuper du projet de loi qui sépare Sugny de Pussemange et Bagimont. »
- Renvoi à la commission chargée de l'examen du projet de loi.
« Plusieurs brasseurs et marchands de levure à Diest demandent une augmentation du droit d'entrée sur la levure de bière. »
« Même demande de plusieurs marchands de levure à Bruxelles. »
- Renvoi à la commission d'industrie.
« Plusieurs habitants de Molenbeek demandent qu'il soit fait des économies dans les dépenses de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions et dépôt sur le bureau pendant la discussion des budgets.
« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers présente des observations contre les propositions de la section centrale concernant les sucres. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de ces propositions.
« Le sieur Thonon, avoué à la cour d'appel de Liège, demande que le-nombre d'avoués près de cette cour soit diminué. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« La dame Hageman, veuve du sieur Mouligneau, chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur, prie la chambre de lui faire obtenir tout ou partie de la pension dont jouissait son mari, en sa qualité de légionnaire. »
- Même renvoi.
« L'administration communale de Molen-Beersel demande une loi qui admette les habitants de cette commune à faire leur déclaration pour conserver la qualité de Belge. »
M. Huveners. - Je demande que cette requête soit renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs négociants de Courtray se plaignent de la concurrence que leur fait un conducteur du service des ponts et chaussées, et demandent qu'il soit interdit à ces fonctionnaires d'exercer soit par eux-mêmes, soit par leurs femmes, un commerce quelconque. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lécrivain, commissaire-voyer du canton de Leuze, demande une nouvelle loi sur la voirie vicinale. »
- Même renvoi.
« Le sieur Jamotte, détenu chez les frères Célites, à Malines, demande sa mise en liberté. »
- Même renvoi.
« Le sieur Detry, receveur pensionné, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la liquidation d'une créance à charge de l'Etat. »
- Même renvoi.
» Le sieur Van Battel prie la chambre de lui faire obtenir ce qui lui revient de sa masse d'équipement pendant qu'il était au service des Pays-Bas. »
- Même renvoi.
« Le sieur Van Passen, cultivateur à Berchem, réclame l'intervention de la chambre, pour obtenir une indemnité du chef des pertes causées par les événements de guerre de la révolution. »
- Même renvoi.
« Plusieurs officiers pensionnés prient la chambre de statuer sur leur demande tendant à obtenir le remboursement des retenues qui ont été opérées sur leurs appointements. »
- Même renvoi.
« Le sieur Maximilien de Gardin, mineur de première classe an régiment du génie, demande à recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger, sans y être autorisé par le Roi.»
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur E. Ladouce, à Anvers, né à Creveld (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
Par divers messages, en date du 31 décembre 1847, le sénat informe la chambre qu'il a adopté :
1° Le budget des dotations ;
2° Le budget des dépenses pour ordre ;
3° Le budget des voies et moyens ;
4° Le budget de la guerre ;
5° Le projet de loi prorogeant la loi du 18 juin 1842 relative au transit.
6° Le projet de loi ouvrant au ministère des travaux publics un crédit provisoire de 1,341,759 fr. 21 c.
7° Le projet de loi ouvrant au ministère de la justice un crédit provisoire d'un million.
- Pris pour notification.
M. Dolez informe la chambre qu'une indisposition l'empêche d'assister à la séance.
- Pris pour information.
M. Bruneau, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, dans la dernière séance qui a précédé les vacances de la chambre, j'avais demandé qu'avant de passer à l'examen des propositions de la section centrale, la chambre continuât la discussion des budgets ; l'assemblée ne s'est pas trouvée en nombre, pour prendre une résolution, relativement à ma proposition. Je dois la reproduire aujourd'hui, au nom du cabinet ; je pense qu'il importe qu'avant de nous lancer dans une discussion qui pourra nous prendre peut-être une semaine, nous continuions et achevions d'abord ce qu'il y a de plus urgent à l'ordre du jour, l'examen du budget de la justice et de celui des travaux publies.
M. Osy. - Messieurs, je suis prêt, pour ma part, à discuter les propositions de la section centrale, relatives aux sucres ; je suis même inscrit le premier ; mais je crois, avec M. le ministre de l'intérieur, qu'il serait beaucoup plus convenable de terminer d'abord les budgets.
En effet, d'après la loi de comptabilité, le gouvernement doit nous présenter les budgets de 1849 avant le 1er mars prochain ; or, si la question des sucres nous occupe pendant 10 ou 12 jours, comment serait-il possible de nous présenter tous les budgets avant cette époque ? Il en serait, celle année-ci, comme l'année dernière ; on ne déposerait que quelques budgets, et l'ensemble de la situation financière pour l'année 1849 ne nous serait pas connu. Je le répète, je ne recule pas devant la discussion de la question des sucres ; mais il n'y a pas de péril en la demeure, l'amendement de la section centrale tend véritablement à détruire une loi qui a encore cinq mois à courir.
M. Mercier. - Messieurs, je crois devoir insister pour que l'ordre du jour soit conservé tel qu'il a été établi dans une séance précédente. L'intérêt du trésor est ici engagé, et l'honorable M. Osy, qui vient de prendre la parole, a fait sentir lui-même quel est cet intérêt : c'est que si nous ne prenons pas une prompte décision, celle que nous prendrions dans un mois, dans six semâmes, serait beaucoup moins efficace, parce que nous approcherions alors de l'époque où la loi du 17 juillet 1846 doit recevoir sa complète exécution.
Si, cependant, la chambre ne maintenait pas cet ordre du jour, je demanderais au moins que M. le ministre des finances voulût bien faire connaître son opinion sur une question qui a été posée par la section centrale, à savoir si, au moyen des dispositions proposées par la section (page 538) centrale, M. le ministre pense que le crédit de trois millions sera atteint.
M. Osy. - C'est la discussion.
M. Mercier. - C'est vous qui avez fait de la discussion en donnant un motif pour écarter les propositions de la section centrale, et non pour en faire ajourner la discussion jusqu'après les deux budgets. Quant à moi, je demande uniquement à M. le ministre des finances de vouloir bien, soit à présent, soit plus tard, si la discussion est ajournée, de vouloir bien faire connaître à la chambre l'opinion du gouvernement sur la proposition de la section centrale, quant au produit. Je le demande, parce que la section centrale s'est réservé de substituer à cette proposition une disposition qu'elle a indiquée ou toute autre, pour le cas où la première ne serait pas efficace, ou dépasserait le but que la section veut atteindre.
C'est pour ce motif que j'adresse cette demande à M. le ministre des finances, dont je réclame une réponse soit à présent, soit, en tout cas, avant la discussion.
M. le président. - Entend-on qu'une discussion s'établisse sur la réponse de M. le ministre des finances ?
Plusieurs voix. - Non ! non !
M. de La Coste. - J'ai demandé la parole pour faire une rectification ou du moins pour donner une explication relativement à ce que je lis dans une pièce qui nous a été distribuée par le ministère.
L'honorable M. de Corswarem avait demandé un état indiquant les noms des fabricants.
Le ministère répond :
« Il est de règle que les noms propres sont toujours écartés des documents remis aux chambres. Dans une circonstance à laquelle l'honorable député a fait allusion on a, il est vrai, dévié de cette règle, mais il est à observer que le document inséré à l'appui du rapport du 28 avril 1847 de l'honorable M. de La Coste, page 10, n'avait pas été préparé pour être déposé à la chambre ; il faisait partie du dossier particulier du ministre, qui s'en est servi dans la discussion qu'il a soutenue dans le sein de la section centrale. »
Messieurs, d'après cet exposé, on pourrait supposer que j'ai commis une sorte d'indiscrétion en publiant avec les noms propres un état qui faisait partie d'un dossier particulier dont M. le ministre des finances aurait fait usage, dans la discussion au sein de la section centrale.
Je crois devoir expliquer ce qui s'est passé ; à la vérité, il est matériellement exact que cet état a été publié comme annexe du rapport ; mais pourtant ce n'est pas, je pense, comme pièce à l'appui du rapport proprement dit ; c'est, si je ne me trompe, comme pièce à l'appui de l'opinion consignée dans une note fournie par l'honorable M. Loos, qui a été imprimée textuellement dans le rapport, et dans laquelle l'honorable membre se réfère à des renseignements fournis par M. le ministre des finances, « que nous joignons ici, » est-il dit dans cette note, «sous les lettres A et B. »
Ces documents appartiennent donc à la note de l'honorable M. Loos, et non au corps du rapport. Je ne veux pas, en dégageant la responsabilité de la section centrale et la mienne, faire retomber un reproche sur l'honorable auteur de la note ; je crois même pouvoir ajouter que, dans mon opinion, il n'y avait aucune espèce d'indiscrétion à publier cette pièce, qui a été déposée sur le bureau de la section centrale par M. le ministre, sans demander que les noms fussent supprimés ou que le tableau ne fût pas imprimé. Mais, quant à moi, je n'avais aucune espèce de police ou de censure à exercer sur ces pièces.
Je passe maintenant à un autre point, et je demanderai à M. le ministre de vouloir s'expliquer sur la question de savoir, dans le cas où la discussion serait ajournée, si nonobstant cette remise, ce délai qui interviendrait sur la question du rendement, on continuerait à appliquer la loi en ce qui touche l'augmentation du droit sur le sucre indigène, tandis que d'après le rapport de la section centrale M. le ministre avait reconnu qu'il serait juste, dans le cas où la loi demeurât suspendue quant au rendement, qu'elle le fût également quant à l'augmentation progressive du droit sur le sucre indigène.
M. le président. - Je pense que les motions d'ordre ayant pour objet des demandes de renseignements ultérieurs devraient être postposées après la décision sur la question de savoir si la discussion de la question des sucres sera renvoyée après les budgets ; sans cela on s'engagera peu à peu dans le fond de cette discussion.
M. le ministre des finances (M. Veydt). - Ce n'est, messieurs, que pour répondre à une question spéciale soulevée par l'honorable M. de La Coste.
L'omission des noms propres dans le travail qui a été présenté à la chambre, en conformité des demandes qui ont été adressées au département des finances, n'implique, en aucune façon, l'idée que l'on a mal fait de publier des noms propres à la suite du travail de la section centrale, dont l'honorable député de Louvain était rapporteur. Mais dans l'intention de l'administration ces noms n'étaient pas destinés à la publicité, et la liste n'en était pas complète. Il m'a paru préférable, pour me conformer à l'usage parlementaire qui a prévalu, d'omettre tous les noms propres et de n'indiquer que les chiffres avec l'indication des localités où les établissements industriels sont situés. Ce sont là les renseignements que la chambre peut avoir besoin d'avoir sous les yeux. Toutefois, messieurs, il n'y a pas d'obstacle à la publication des noms, et le travail serait complété, sous ce rapport, si l'utilité en était reconnue.
M. Malou. - Cela n'offre aucun inconvénient.
M. le ministre des finances (M. Veydt). – Quant à la question de savoir si l'accise de 34 francs, imposée au sucre indigène, doit être ramenée au chiffre de la campagne précédente, qui était de 30 francs, elle nous a paru dépendre, en grande partie, des explications que, dans la discussion, je prierai mon honorable prédécesseur de bien vouloir donner.
M. Rodenbach. - Il est évident que la discussion des budgets est plus urgente que la discussion de la loi sur les sucres, d'autant plus que, dans six mois, il faudra réviser cette loi. Ces changements continuels de législation jettent la perturbation dans le commerce et froissent beaucoup d'intérêts, J'insiste donc pour qu'on aborde immédiatement la discussion des budgets.
- La chambre, consultée, adopte la proposition de M. le ministre de l'intérieur.
En conséquence, elle décide qu'elle s'occupera en premier lieu de la discussion du budget de la justice.
M. le président. - La parole est à M. de Bonne dans la discussion générale.
M. de Bonne. - Messieurs, ce n'est pas lorsque je puis espérer d'être écouté avec un peu de sympathie, que je mettrai un terme aux réclamations que je n'ai cessé de faire au ministère depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette assemblée.
Aussi, ce qui pour certaines personnes a été un sujet de blâme est pour moi un sujet de félicitations. Je sais gré au ministère actuel de s'être expliqué clairement, de manière à faire cesser les craintes que causait le système théocratique dans lequel le précédent ministère conduisait le gouvernement. L'Etat est laïque, a dit le ministère : c'est là une vérité triviale, mais il fallait la dire puisque depuis longtemps on la méconnaissait.
Ce qui mérite nos louanges, notre reconnaissance, ce sont les mots suivants : « et il lui conservera ce caractère ».
C'est là un engagement dont je prends acte, quoique, j'en suis persuadé, nous n'ayons pas à le rappeler au ministère.
J'en prends acte, parce que ce n'est pas tout que de proclamer un principe : notre temps et surtout notre situation particulière veulent des applications.
L'année dernière j'ai élevé la voix en faveur des curés-succursalistes : je demandais qu'ils cessassent d'être livrés à l'arbitraire des évêques, et j'invoquais pour cela non seulement la loi du 18 germinal an x, mais encore les lois canoniques, les propres lois de l'Eglise romaine.
On m'a répondu alors que je soumettais à la chambre une question de théologie, étrangère à sa compétence, que je voulais ériger la chambre en Sorbonne et qu'il fallait me fermer la bouche par l'ordre du jour.
Un membre, que je ne nommerai pas, est allé même jusqu'à dire qu'il y avait inconvenance de ma part à m'avancer sur ce terrain.
J'ai laissé et je laisserai toujours de côté ces aménités peu courtoises et extra-parlementaires, parce que je veux avoir raison dans la forme aussi bien qu'au fond.
Le fond, c'est que l'épiscopat malgré ses dénégations et ses protestations, c'est que l'épiscopat ne veut reconnaître en Belgique d'autre loi que sa propre volonté ; c'est qu'il semble regarder tous les pouvoirs dont la Constitution a délégué l'exercice au Roi, aux chambres et aux tribunaux, comme des instruments à son usage ; c'est que tous les moyens lui sont bons pour assurer la suprématie qu'il s'arroge.
Il ne s'agit donc plus seulement de savoir si un évêque a le droit de révoquer un desservant qui lui déplaît, sans dire pourquoi la question s'est agrandie par diverses circonstances dont je vais vous entretenir.
Et d'abord je me souviens qu'il y a douze ou treize ans on avait élevé deux trônes dans l'église de Ste-Gudule, l'un destiné au Roi, l'autre à l'archevêque de Malines. Celui de l'archevêque était d'un pied au moins plus élevé que celui du souverain, j'ai été moi-même vérifier le fait. Cela ne s'est plus renouvelé, parce que l'indignation publique en a fait justice.
L'on a compris que les esprits n'étaient pas préparés à voir et à admettre ces preuves publiques de supériorité : qu'il fallait procéder graduellement, d'abord par théorie dans le séminaire, puis auprès du clergé secondaire qui ensuite enseignerait, sans doute, au peuple des doctrines qu'on aurait introduites, d'abord à l'aide des signes matériels, toujours si puissants sur l'esprit de la multitude.
Autre circonstance :
Dans les séminaires on enseigne la théologie de Dens.
Nous n'avons rien à voir dans les séminaires, dira- t-on ; c'est là une question que nous examinerons plus tard. On y enseigne donc la théologie de Dens. Cette théologie établit la suprématie temporelle du Saint-Siège, elle contient des maximes subversives de tout gouvernement, par exemple, l'indépendance du clergé de toute autorité séculière ; elle prétend démontrer que les personnes, les biens, les lieux consacrés à Dieu sont exempts de la juridiction du souverain ; que les ecclésiastiques ne doivent payer le tribut (les impôts) qu'autant que le pape et l'évêque avec son clergé y ont consenti. Une atteinte à ces immunités fait encourir l'excommunication ipso facto, etc.
Cet ouvrage est ancien, sa publication remonte à 1789, lorsque le siège de l'archevêché de Malines était occupé par le cardinal d'Alsace.
(page 539) Vous savez que ce prélat avait été élevé, dirigé et toujours dominé par les jésuites, qui étaient parvenus à en Faire un archevêque, puis un cardinal.
Je regrette de devoir prononcer le nom de cette corporation, mais lorsqu'on consulte l'histoire pour signaler un abus, c'est toujours elle qu'on rencontre.
A l'apparition de cet ouvrage, dans lequel l'auteur prétendait même que la bulle In cœna Domini était en vigueur dans les Pays-Bas, le prince Charles de Lorraine, auquel nous élevons une statue, rendit, le 2 mai 1759, trois décrets pour le faire supprimer, pour en défendre l'impression, ainsi que celle des livres défendus.
Eh bien ! si mes renseignements sont exacts, des éditions nouvelles de cette théologie ont été faites en Belgique au mépris des pouvoirs établis par la Constitution, et la jeunesse des séminaires est élevée dans ce mépris.
Troisième circonstance. Pour faire fructifier les principes de cet enseignement, on a fait encore une autre publication.
L'office de Grégoire VII n'a jamais été admis dans les Pays-Bas. Charles VI, empereur d'Allemagne, père de Marie-Thérèse, l'avait défendu en 1730 : Marie-Thérèse fut obligée, en 1750, de renouveler les défenses de le maintenir. Malgré ces deux rescrits, l'épiscopat belge l'a rétabli !
Pour comprendre l'importance de ma citation, qu'il me soit permis de faire un bien petit narré de ce fait historique. Vous connaissez tous l'histoire de Grégoire VII, Hildebrand, fondateur de la puissance politique et temporelle de Rome. Je ne parlerai que de sa légende. En 1584 nos nom fut inséré dans le martyrologe : en 1609 le pape Paul V permit de l'honorer comme un saint. Mais Benoit XIII, grand admirateur de Grégoire VII, non seulement permit, mais voulut qu'on en récitât l'office dans toute l'église. Quoique la légende fût été un peu adoucie, la bulle de Benoit XIII n'en éprouva pas moins une répulsion générale, aussi bien de la part des évêques d'alors que de toutes les puissances qui en défendirent la publication et firent supprimer l'office.
Comme je l'ai dit, l'empereur Charles VI rendit, à cet effet, un décret le 29 avril 1730, et remarquez que 20 ans après, le 27 juin 1750, Marie-Thérèse fut obligée de renouveler la défense.
Les motifs en sont connus : dans Grégoire VII est personnifié l’ultramontanisme le plus exagéré, et la légende rappelait les hauts faits et les actes qui lui méritaient l'admiration générale... de Rome s'entend.
Elle le louait entre autres choses d'avoir excommunié Henri IV, empereur d'Allemagne, d'avoir mis son royaume en interdit, d'avoir délié ses sujets du serment de fidélité, etc., etc.
Les successeurs de ce pape jusqu'à Grégoire XVI, pour obtenir que cet office fût maintenu, ont successivement corrigé cette légende.
La dernière correction, qui est récente, a retranché de l'éloge l'interdiction du royaume de Henri IV, l'excommunication et le fait d'avoir délié les sujets du serment de fidélité.
Seulement on a conservé celui d'avoir privé l'empereur de la communion des fidèles, fidelium communione privavit. C'est-à-dire que réellement l'excommunication a été maintenue et que les termes seuls en ont été changés.
Il semble que ce ne soit plus une excommunication que la privation de la communion des fidèles ; mais au fond c'est la même chose, c'est tout simplement une petite circonlocution jésuitique.
Je termine par vous dire que cette légende est insérée dans le bréviaire nouveau imprimé à Malines en 1836, chez Hanicq, avec l'approbation et licence de S. Em. l'archevêque en date du 29 avril 1836.
Si je vous ai rappelé ces faits et ces doctrines que vous connaissez sans doute aussi bien que moi, c'est pour vous prouver, messieurs, en dépit des dénégations, que l'épiscopat enseigne et soutient encore de nos jours les mêmes principes qui l'animèrent au XVIIIème siècle et dans les siècles précédents.
L'excommunication fulminée contre Henri IV, la privation de la communion des fidèles, subsiste encore virtuellement contre tous ceux qui s’opposent aux prétentions de l'épiscopat, contre moi (bien certainement) et contre tous ceux qui croient de leur devoir de poursuivre partout où elles se retranchent les doctrines subversives de nos institutions.
Quatrième circonstance. Une thèse pour obtenir le grade de docteur en droit canonique a été soutenue à Louvain les 26, 27 et 28 juillet 1841 par Auguste Kempeneers.
Le principe de la souveraineté temporelle du saint-siège y est clairement établi et soutenu en vertu d'une lettre de Grégoire le Grand ; la voici :
« Si un roi, un prêtre, un juge, un séculier connaissant notre constitution (celle de lui Grégoire), essayait d'y contrevenir, qu'il soit privé de sa dignité, de sa puissance, de son honneur et qu'il sache que pour l'iniquité qu'il a perpétrée, il est justiciable de la justice divine. » Thèse 28, p. 248.
Je borne là ma citation : elle renferme encore des principes bien curieux, et j'engage mes honorables collègues à la lire.
Cette dissertation a été dédiée à Monseigneur Corn. Van Bommel, évêque de Liège et visée par la faculté de théologie de Louvain.
Cinquième circonstance. Le ministère, après avoir proclamé dans son programme du 12 août l'indépendance du pouvoir civil, croit devoir envoyer auprès du saint-siège un de nos concitoyens les plus respectables et les plus respectés dans tous les partis.
Son but était d'assurer le père commun des fidèles que malgré toutes les assertions contraires, malgré toutes les calomnies, il y aurait toujours en Belgique respect sincère pour la foi et les dogmes, protection pour les pratiques de la religion, justice et bienveillance pour les ministres des cultes agissant dans le cercle de leur mission religieuse.
Eh bien ! vous savez ce qui est avenu : la nomination de M. Leclercq n'a pas été agréée à Rome.
Ce fait, messieurs, est d'une gravité telle que je vous demande la permission d'y insister un moment.
Toutes les précautions, comme on vous l'a dit, avaient été prises ; toutes les formes avaient été rigoureusement observées pour faire réussir cette mission ; choix d'une personne parfaitement honorable et sous le rapport politique et sous le rapport religieux ; présentation au Roi qui la trouve digne et capable de parler en son nom ; insinuation préalable auprès du saint-siège pour s'assurer de son agréation ; rien de ce qu'exigent les règles les plus délicates de la diplomatie n'avait été négligé, et cependant tout cela n'aboutit qu'à un refus. Pourquoi, messieurs ? Je le dirai en deux mots, et j'appelle sur eux toutes vos réflexions. C'est qu'à Rome le gouvernement belge est considéré comme nul s'il n'est patronné par les évêques de Belgique.
Ce n'a donc pas été parce que cet honorable magistrat n'offrait pas assez de garantie, mais bien parce qu'il en offrait trop qu'il a été repoussé.
Son admission, sa présence à la cour de Rome eussent fait évanouir, eussent détruit les préventions injustes et injurieuses qu'on a fait naître et entretenu contre l'opinion libérale : c'est ce qu'on redoutait le plus ! Et non sans raison, la vérité eût ramené la concorde : l'erreur maintient la dissidence qui offre des ressources pour tromper la crédulité publique.
Enfin, messieurs, une dernière circonstance ! et celle-là me ramène à la question des desservants.
L'évêque de Liège révoque le desservant de la succursale de la Xhavée. Celui-ci-soutient que l'évêque n'a pas ce droit, parce que les curés de succursale sont inamovibles tant d'après la loi du 18 germinal an x que d'après le droit canonique.
L'évêque persiste et le desservant interjette appel de sa décision auprès du saint-siège : il a même soin de se soumettre provisoirement, ainsi que l'exige la discipline, jusqu'à ce que le saint-siège ait prononcé. Mais comment fera-t-il parvenir sa réclamation à Rome ? Il s'adresse à son évêque qui refuse ; il s'adresse au nonce apostolique qui refuse ; il s'adresse au ministre de la justice (d'alors) qui refuse.
Econduit de toutes parts, il s'adresse au tribunal de Liège, non pour être réintégré dans sa cure, mais pour demander qu'au moins le ministre de la justice lui fasse payer son traitement à titre provisoire et pour l'aider à vivre. Le tribunal se déclare incompétent. Appel à la cour de. Liège, non seulement contre la décision du tribunal, mais encore contre l'acte de révocation abusive posé par l'évêque. La cour de Liège se déclare également incompétente sur l'un et sur l'autre point.
Et alors le curé de la Xhavée, bien convaincu qu'il n'y a de justice pour lui ni auprès de ses supérieurs ecclésiastiques, ni auprès de l'autorité administrative, ni auprès des tribunaux, prend le parti de se rendre justice à lui-même. Il se rétablit dans la cure qu'il avait provisoirement quittée ; il en élimine son successeur qui lui cède la place, et, malgré son interdiction, il y fait tous les actes du saint ministère.
L'évêque aussitôt sent le besoin de recourir au bras séculier pour obtenir main forte : mais croyez-vous qu'il s'adresse au gouvernement ?
Non, messieurs, le 8 juin avait porté ses fruits ; le ministère était changé et l'évêque ne veut pas plus traiter avec M. de Haussy, comme ministre de la justice, que le pape avec M. Leclercq comme ministre ou ambassadeur de Belgique.
Il s'adresse au nonce apostolique, et c'est le nonce qui demande main-forte au gouvernement pour réprimer un schisme.
Le gouvernement répond qu'il n'a point à se mêler de schisme ni de schismatiques ; il refuse d'intervenir, et, à l'heure qu'il est, la Belgique présente le scandale inouï d'un prêtre révoqué sans jugement et qui est forcé de se faire justice à lui-même, contrairement à toutes les règles de la loi civile et de la loi religieuse.
A quoi tout cela tient-il ? A ce que la police des cultes n'est plus réglée dans notre pays ; à ce que le clergé ou plutôt l'épiscopat, abusant d'une indépendance qu'il croit être absolue, ne veut plus, comme je le disais, reconnaître d'autre loi que sa propre volonté !
Je demande au ministère, s'il souffrira que cela continue, s'il laissera fouler aux pieds les droits de l'Etat, de la couronne, du gouvernement.
Il ne le peut sans forfaire à ses devoirs, à la Constitution, au serment de fidélité qu'il a prêté.
Il n'est pas nécessaire de recourir à Rome pour faire cesser cet état d'anarchie. C'est au pouvoir législatif seul qu'appartient le droit de réglementer l'exercice des cultes en Belgique ; et le démontrer est chose facile.
Je demande à l'avance pardon à la chambre de devoir rappeler des principes vulgaires, mais on a toujours contesté, dénaturé, chacune de mes paroles et je m'y vois obligé.
Tout le monde sait que, pour constituer un de ces corps politiques que (page 540) nous nommons Etats, il est nécessaire que chaque membre se soumette à la souveraineté d'un pouvoir indépendant, unique et universel, c'est-à-dire, que la volonté d'un seul être physique ou moral, individuel ou complexe, doit être la règle universelle de tons les citoyens.
L'unité de la puissance publique et son universalité, dit H. Portalis, p. 87, sont une conséquence nécessaire de son indépendance. La puissance publique doit se suffire à elle-même : elle n'est rien si elle n'est tout...
Ce principe n'est pas nouveau ; depuis Aristote jusqu'à nos jours, Grotius, Puffendorf, Barbeyrac, Burlamaqui, etc., tous l'ont enseigné.
Le plus moderne de ces publicistes, M. de Serrigny (Traité du droit public, t. I, p. 19), a condensé en peu de mots l'idée de la souveraineté. « C'est, dit-il, le droit de commander en dernier ressort dans un Etat ou de dire le dernier mot sur les grandes affaires qui l'intéressent. »
M. de Serrigny a puisé ce principe dans Builamaqui [Traité du droit de la nature, t. IV, p. 350), mais il n'a pas complété son emprunt : je vais le faire pour lui. Il ajoute : « La souveraineté par conséquent ne souffre rien, non seulement qui soit au-dessus d'elle, mais même qui ne lui soit assujetti ; elle embrasse dans son étendue tout ce qui peut intéresser le bonheur de l'Etat, et le sacré comme le profane. »
Donc la souveraine autorité doit nécessairement appartenir au souverain, à son gouvernement.
Même opinion chez M. de Portalis, qui après avoir dit que la puissance publique n'est rien si elle n'est tout, ajoute : « Les ministres de la religion ne doivent pas avoir la prétention de la partager ni de la limiter. » (On comprend bien qu'il s'agit ici de la puissance civile.) V. Disc, sur le concordat, p. 87.
Si ces principes sont vrais, et ils sont incontestables, car sans eux pas de gouvernement possible, peut-on admettre que l'épiscopat ait sans contrôle une juridiction qui entraine des effets civils et temporels sur une classe de citoyens ?
Que deviendrait la souveraineté nationale en Belgique ? Elle serait précaire, elle serait nulle, si des hommes qui exercent une grande influence sur les esprits et les consciences pouvaient, à votre insu, sans votre concours et malgré vous, infliger des peines personnelles et matérielles.
Mais la Constitution a donné une liberté entière aux cultes, ne cesse-t-on de dire : l'article 16 défend d'intervenir dans la nomination et l'installation de ses ministres, etc., etc. !
Tout cela est vrai quant à la partie spirituelle et dogmatique des cultes reconnus en Belgique.
Mais lorsque des intérêts matériels ou personnels qui se rattachent à la vie civile sont en cause, alors commence la compétence du pouvoir civil.
Ce droit est la conséquence du principe posé par Jésus-Christ lui-même : faut-il toujours citer ses paroles « mon règne n'est pas de ce monde. »
L'épiscopat voudrait bien pouvoir les retrancher de l'Evangile !
La Constitution, en proclamant la liberté des cultes, n'a établi aucun règlement pour leur exercice public. La raison est sensible à saisir.
Les législateurs constituants connaissaient les lois institutives et organiques des cultes admis et professés en Belgique. Ils ont cru, ils devaient croire que l'exercice de chacun de ces cultes se ferait conformément à ces lois.
Bien certainement ils n'ont pas entendu que ces cultes n'auraient aucune règle, ou que leurs chefs ou leurs ministres s'en feraient à leur caprice et que l'Etat devrait les reconnaître et les adopter.
Cette interprétation serait subversive de l'indépendance du gouvernement, ce serait avoir constitué l'anarchie.
Si la loi organique de l'an X renferme des dispositions inconciliables avec quelques articles de notre Constitution, elle doit être révisée pour mettre un terme aux contestations.
Si on prétend que cette loi organique est abrogée, il faut en faire une autre, et l'urgence est démontrée.
La puissance civile a seule le droit de faire des règlements et des lois sur les matières ecclésiastiques. Les lois de Constantin, de Théodose, de Justinien, les capitulaires de Charlemagne, dc Louis le Débonnaire, celles de nos anciens princes, de Charles V, de ses prédécesseurs et de ses successeurs qui se trouvent dans les collections de nos placards prouvent l'usage de ce droit.
Quant au droit lui-même, l'article premier du concordat en est une reconnaissance solennelle, puisqu'on y lit : « La religion catholique, apostolique et romaine sera librement exercée, son culte sera public en se conformant aux règlements de police que le gouvernement jugera nécessaires pour la tranquillité publique. »
Si le gouvernement peut promulguer des règlements de police relatifs à l'exercice du culte, il peut, par raison de conséquence, réprimer les contraventions à ces règlements. (V. Portalis, p. 205.)
C'est en vain qu'on opposera la liberté des cultes proclamée par la Constitution, je ne l'attaque pas, je lui conserve tous ses droits ; mais la liberté n'est pas la licence, la Constitution n'a pas affranchi les cultes des droits civils de la souveraineté.
La nation belge en se constituant en Etat en 1830 n'a pu vouloir établir des droits destructifs de son maintien, de sa conservation, de son existence.
L'article 25 de la Constitution porte que tous les pouvoirs émanent de la nation et qu'ils sont exercés de la manière établie par la Constitution. Est-il dit quelque part que les ministres ou les chefs de ces cultes se feront des lois, des règlements et qu'ils ne seront pas soumis à la souveraineté nationale ? Nulle part cela n'est écrit. Et quand même cela serait, cette disposition serait nulle et réputée non écrite. Une nation ne s'aliène jamais ; elle ne peut se suicider, on ne peut prescrire contre elle.
L'Etat, dit M. de Serrigny, t. I, p. 22, n'a jamais pu engager la puissance publique, celle-ci ne se compromet pas : elle est perpétuellement indépendante parce qu'elle est souveraine : vous détruiriez la souveraineté, si vous détruisiez son indépendance.
La conduite et les prétentions de l'épiscopat, que je sépare entièrement du clergé, car remarquez-le bien, c'est la liberté et les droits de celui-ci que je défends ; le manque d'égards non pas du saint-père qui a été induit en erreur, mais de son gouvernement, tout nous oblige à veiller aux prérogatives de la souveraineté belge !
Pour mettre un terme à un état de choses déplorable, aux contestations sur le droit du gouvernement à la police des cultes, et pour prévenir les embarras graves qui pourraient surgir dans notre pays, je crois pouvoir, dis-je, inviter, solliciter même le ministre de nous présenter un projet de loi sur cette matière.
C'est au Roi et aux chambres qu'appartient le droit de faire une loi sur la police des cultes, et aux tribunaux en appartiendra l'application. Ces droits me semblent évidents, positifs, incontestables.
Il ne s'agit donc plus que de déterminer les cas et de régler la forme de la procédure.
Et veuillez y réfléchir, messieurs, tous citoyens belges, aussi bien les prêtres que les laïques, nous ne pouvons reconnaître en Belgique qu'un Roi, une loi, une justice ; un Roi, celui que nous avons choisi, une loi, celle que nous avons faite, une justice, celle que nous avons constituée.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, l'honorable M. de Bonne est venu, à l'occasion de la discussion générale du budget de la justice, reproduire les graves questions de discipline et de hiérarchie ecclésiastique, qu'il avait déjà soulevées lors de la discussion des derniers budgets. Messieurs, je dois le reconnaître, l'insistance de l'honorable M. de Bonne atteste la force de ses convictions ; le talent remarquable avec lequel il traite ces questions prouve qu'il en a fait une étude profonde et consciencieuse.
Messieurs, je n'exprime ici que mon opinion personnelle, et je n'hésite pas à déclarer que je partage à plusieurs égards les convictions de l'honorable M. de Bonne. Ainsi, messieurs, je pense comme lui que la loi organique du 18germinal an X reconnaît deux espèces de desservants : les desservants succursalistes titulaires d'église et ceux qui ne sont chargés que de la desserte provisoire d'une succursale ou d'une chapelle. Ceux-ci sont, d'après l'article 31 de la loi organique du 18 germinal an X, sous la surveillance et la direction des curés. Mais ils doivent être agréés par les évêques et peuvent être révoqués par eux. Ceux-là, au contraire, sont nommés par les évêques. Mais, dans mon opinion, ils jouissent des mêmes privilèges, des mêmes avantages que les curés de première et de seconde classe ; c'est-à-dire qu'ils ne peuvent être privés de leurs fonctions et de leurs titres qu'en vertu d'une sentence de déposition émanée d'une officialité ou d'un tribunal ecclésiastique quelconque dans les formes prescrites par les lois canoniques.
Mais, messieurs, quelle que soit l'opinion qu'on puisse se former sur cette question, dont je reconnais d'ailleurs toutes les difficultés, je pense que la chambre n'est probablement pas disposée à engager ici une discussion approfondie qui resterait stérile, car elle ne pourrait aboutir à aucun résultat.
En effet, la législature est-elle compétente pour résoudre des questions qui touchent à des principes de théologie ou de droit canonique ? Est-elle compétente pour décider, par exemple, que tel ou tel desservant a été bien ou mal révoqué par son évêque ? Pourrait-elle le faire en présence des articles 14 et 16 de la Constitution, qui, d'une part, proclament de la manière la plus absolue la liberté des cultes, et, d'une autre part, interdisent au gouvernement d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation d'aucun ministre d'un culte quelconque ?
Evidemment, messieurs, la législature serait incompétente ; elle serait impuissante pour prendre aucune décision sur des questions de ce genre. Une discussion sur ces questions me paraît donc parfaitement oiseuse.
Est-ce à dire, messieurs, qu'il n'y aurait rien à faire pour arriver au but indiqué par l'honorable M. de Bonne ? qu'il n'y aurait rien à faire pour sortir de la situation dans laquelle on se trouve ? Je pense, au contraire, qu'avec de la bonne volonté de part et d'autre, avec des intentions bienveillantes, on pourrait parvenir à un résultat favorable et terminer une bonne fois ces difficultés.
Permettez-moi, messieurs, de vous exposer à cet égard quelques idées. Je serai aussi succinct que possible.
Messieurs, il faut bien le reconnaître, notre législation est devenue insuffisante pour déterminer parfaitement les rapports de l'Eglise et de l'Etat. Elle est insuffisante pour régler toutes les conséquences civiles des actes posés par le clergé dans son ressort spirituel, dans les limites de ses attributions religieuses ; et le motif de cette insuffisance, messieurs, il est facile de le comprendre. Sous le régime impérial, qui s'est continué à cet égard sous le gouvernement des Pays-Bas, les libertés religieuses n'étaient pas aussi étendues qu'elles le sont aujourd'hui ; l'autorité spirituelle n'était pas entièrement indépendante du pouvoir temporel ; toute la législation de l'époque a donc dû se ressentir plus ou moins (page 541) de l'influence du pouvoir prépondérant. La révolution de 1830 a changé cet ordre de choses. La constitution belge, en proclamant la liberté absolue des cultes, en consacrant l'entière indépendance des deux pouvoirs, a nécessairement sinon abrogé, au moins fortement ébranlé la législation existante sous les rapports de l'Eglise et de l'Etat.
Ainsi le concordat de 1801 n'existe plus en grande partie, presque toutes ses dispositions sont virtuellement abrogées ; ainsi la loi organique du 18 germinal an X, que le saint-siège n'avait jamais reconnue, mais qui n'en était pas moins une loi de l'Etat, se trouve altérée dans plusieurs de ses dispositions, qui sont incompatibles avec les principes de liberté consacrés par notre nouveau droit public. Peut-être en est-il de même encore de quelques autres dispositions des lois existantes sur la matière.
C'est là, messieurs, la véritable cause du chaos dans lequel nous nous trouvons, de ces dissidences continuelles, de ces discussions incessantes et irritantes avec le haut clergé, en un mot, de cette espèce d'anarchie au milieu de laquelle les lois restent sans exécution, parce qu'on conteste la force obligatoire de leurs dispositions.
Messieurs, il n'y aurait, dans mon opinion, qu'un moyen de sortir de cette impasse et de mettre fin à ces conflits, ce serait de procéder au remaniement complet des lois organiques du culte, ce serait d'établir sur des bases vraies et solides les relations de l'autorité spirituelle et du pouvoir temporel, ce serait en d'autres termes de régler d'après les principes de notre nouveau droit public les rapports généraux de l'Eglise catholique avec les droits et la police de l'Etat.
Ainsi, par exemple, le gouvernement n'a pas le droit d'intervenir dans la nomination des ministres du culte ; et cependant cette nomination produit des effets civils, parce que le droit au traitement y est attaché. Or, aucune loi quelconque ne détermine le mode de cette nomination ; aucune loi ne dit à qui appartient le droit de nomination des ministres du culte ; aucune loi ne dit si ce droit entraîne celui de les révoquer ; ni, enfin, quelles sont les formes établies pour garantir contre l'arbitraire, contre l'abus de ce droit.
Tout cela est réglé sans doute par les lois canoniques ; mais, vous le savez, messieurs, les lois de l'Eglise, par la force même du principe de la distinction et de l'indépendance de l'Eglise et de l'Etat pour tout ce qui est de leur domaine respectif, sont sans sanction aux yeux de la loi civile et sont dépourvues de toute autorité légale pour le gouvernement.
Eh bien, messieurs, cette convention dont je viens de parler remédierait à ces inconvénients ; il serait institué, conformément aux principes du droit canonique, des officialités pour juger les différends qui pourraient surgir entre les évêques et les curés, et l'on comblerait ainsi les lacunes existant aujourd'hui dans la législation régulatrice des rapports entre l'Eglise et l'Etat.
C'est dans un arrangement de cette espèce qu'il y aurait lieu de chercher à réaliser le vœu de. l'honorable M. de Bonne en faveur du clergé inférieur ; et soyez-en certains, messieurs, la cour de Rome ne peut refuser, elle ne refuserait pas aux desservants les mêmes privilèges, les mêmes garanties dont jouissent les curés primaires. Et pourquoi le refuserait-elle, alors que nous ne lui demanderions que ce qui est conforme à toutes les lois ecclésiastiques ; que ce qui existe dans tous les pays catholiques, sauf la France où la loi du 18 germinal an X a toujours été interprétée dans un sens différent ?
Messieurs, je ne sais si je me fais illusion, mais il me paraît possible de parvenir à réaliser cette pensée, de fixer sur des bases solides et durables les rapports de l'Eglise et de l'Etat. Je ne me dissimule pas sans doute les difficultés de cette tâche ; mais nous pouvons compter, pour les vaincre, sur le concours de tous les intérêts. En effet, messieurs, l'intérêt du haut clergé, celui de la religion elle-même sont d'accord avec l'intérêt du gouvernement et l'intérêt général du pays, pour presser l'issue d'une semblable négociation.
L'épiscopat doit désirer, autant que le gouvernement lui-même, de voir mettre fin à un état de choses qui l'expose à des luttes continuelles, qui engendre chaque jour des récriminations et des plaintes, qui laisse le pouvoir civil impuissant et désarmé pour prêter l'appui du bras séculier pour l'exécution des actes mêmes les plus réguliers, les plus justes, au point de vue religieux.
D'un autre côté, la paix intérieure de l'Eglise est-elle bien assurée dans l'état incertain et précaire de ses rapports avec le pouvoir civil ? Les lois qui règlent sa hiérarchie sont-elles observées ? N'y a-t-il pas toujours souffrance et danger, de schisme dans son sein, alors qu'elle ne peut faire respecter et maintenir son autorité ? Peut-on dire enfin que la religion n'est pas éminemment intéressée à voir déterminer au plus tôt et d'une manière stable la position de l'Eglise vis-à-vis de l'Etat. ! Ainsi, par exemple, n'est-ce pas quelque chose de déplorable et même scandaleux, au point de vue religieux, que le spectacle de ces luttes entre les membres du clergé inférieur et les chefs diocésains, de ces luttes où l'on se dispute la possession du temple, lequel reste généralement à celui qui est soutenu par la majorité de la population ? Ces scandales seraient impossibles s'il existait des règles fixes pour ta nomination et la révocation des curés et des desservants ; et les juridictions ecclésiastiques qui connaîtraient des cas d'abus, étant une fois instituées, il n'y aurait plus d'obstacle à ce que le gouvernement payât le traitement et maintînt en possession du presbytère et du temple celui qui aurait été régulièrement désigné. Je ne forme aucun doute, pour mon compte, que les luttes politiques qui ont eu lieu depuis plusieurs années dans les chambres, dans le pays, n'eussent été beaucoup moins animées, si les rapports de l'Etat avec le clergé avaient été réglés sur les bases immuables de l'indépendance réciproque des deux pouvoirs. C'est assez vous dire, messieurs, que nous aurions fait un pas vers la conciliation des partis, si nous pouvions atteindre le but que je viens d'indiquer.
Le gouvernement fera sans doute de ces graves questions l'objet d'un sérieux examen ; il fera ses efforts pour fixer d'une manière nette et positive les rapports de l'autorité civile avec l'autorité spirituelle, pour combler les lacunes et pourvoir à l'insuffisance de notre législation. Mais en attendant qu'on ait pu accomplir cette œuvre, le gouvernement doit maintenir, d'une main ferme, l'exécution des lois existantes, dans toutes celles de leurs disposition qui sont compatibles avec la Constitution, et spécialement dans celles qui ont pour objet la haute surveillance que le gouvernement est appelé à exercer sur l'administration des biens des établissements publics, destinés à l'entretien du culte.
M. A. Dubus. - Messieurs, la discussion générale du budget delà justice me fournit l'occasion d'appeler l'attention du gouvernement sur la classification des tribunaux de première instance.
La division des tribunaux en quatre classes a donné lieu, non sans raison, à des réclamations nombreuses. Trois classes ont généralement paru suffisantes : une première pour les villes de premier ordre ; une deuxième pour les chefs-lieux de province où siège une cour d'assises ; une troisième comprenant tous les autres tribunaux de première instance. Cette classification est en harmonie avec les attributions plus ou moins importantes des tribunaux et avec le rang des villes où ils siègent.
Je ne conçois pas les motifs qui ont pu faire décider la création d'une quatrième classe. Croirait-on que la vie est moins chère dans une petite ville que dans une ville importante ? Ce serait une erreur. Dans une ville de la province d'Anvers que je puis citer et où siège un tribunal de la quatrième classe, la vie est plus chère qu'à Louvain, à Hasselt ou à Verviers.
On ne peut pas non plus avoir pris pour base de cette division le chiffre de la population, le nombre plus ou moins considérable de causes portées annuellement devant les tribunaux, car d'après les données statistiques concernant l'administration de la justice criminelle et civile, cette base n'aurait pas été toujours observée. Tongres, par exemple, est rangé dans la deuxième classe, tandis que cet arrondissement, dont on a détaché un canton, n'a pas même l'importance de plusieurs autres arrondissements qui n'ont que des tribunaux de quatrième classe.
Il n'est guère possible non plus d'attribuer à un motif d'économie la création de la quatrième classe, car une économie d'une vingtaine de mille francs par an ne peut balancer les inconvénients qui en résultent.
Aujourd'hui, messieurs, à cause de la modicité des traitements qui y sont attachés, les places déjuge de la quatrième classe ne sont envisagées que comme une sorte de noviciat judiciaire, et à la première vacature dans une classe plus élevée, les titulaires s'empressent de demander leur changement. Aussi le personnel de ces tribunaux souvent renouvelé présente d'ordinaire peu de magistrats expérimentés, connaissant les usages, les mœurs et les coutumes de leurs justiciables. L'intérêt public exige cependant que tous les tribunaux sans exception soient composés d'hommes qui réunissent aux connaissances des lois, les connaissances pratiques si nécessaires. Je suis convaincu que l'administration de la justice n'aurait qu'à gagner à la suppression de la quatrième classe des tribunaux de première instance.
La dignité de la magistrature exige que tous les juges puissent vivre d'une manière convenable, et il est impossible que celui qui appartient à la quatrième classe puisse se procurer dans une petite ville, où tout est ordinairement cher, les moyens de satisfaire aux exigences de sa position ; il lui est même souvent impossible de donner une éducation convenable à ses enfants.
Les classes inférieures des tribunaux de première instance doivent | être la pépinière de la magistrature, et quel est l'avocat pourvu de la plus mince clientèle qui voulût changer sa position contre celle de juge ou de substitut d'un tribunal de quatrième classe ?
L'importance des tribunaux de première instance est grande. C'est devant eux que toutes les causes sont instruites. La loi du 18 avril 1827 avait déjà reconnu cette importance, en écartant la quatrième classe et en statuant qu'au lieu de trois, cinq juges concourraient aux décisions. Je ne puis donc assez, répéter que la classification actuelle est vicieuse, et j'appelle sur ce point toute l'attention du gouvernement.
Dans l'hypothèse même de la conservation de la quatrième classe, le tribunal auquel je faisais allusion tout à l'heure aurait droit d'être rangé dans une classe supérieure.
Le tribunal de Verviers a été élevé au deuxième rang parce que cette ville est le siège de grandes industries, et qu'il y fait cher vivre.
Turnhout, situé à la frontière hollandaise, se ressent singulièrement de l'excessive cherté de la vie dans ce pays. Turnhout a aussi des établissements industriels importants, et son commerce est considérable. Sa population doublée depuis 25 ans, et qui est aujourd'hui da plus de 14 mille âmes, le nombre d'employés supérieurs et inférieurs des douanes qui y ont leur résidence, son éloignement des grandes villes et d'autres circonstances qu'il est inutile d'énumérer, tendent à y élever considérablement la valeur des objets de première nécessité.
La population de l'arrondissement dépasse le chiffre de (page 542) 100,000 âmes ; le dépôt de mendicité d'Hoogstraeten, la colonie si importante de Gheel se trouvent dans son ressort.
Je me bornerai à ces observations en appelant toute la sollicitude de M. le ministre de la justice sur cet objet.
M. Sigart. - Dans les attributions du ministre dont nous discutons le budget se trouvent les administrations de bienfaisance. Je viens vous montrer quel danger naîtrait de l'approbation donnée indistinctement à tous les legs faits au profit de ces administrations.
J'ai eu l'honneur de vous exposer mes idées sur la charité par le trésor public.
Je vous ai dit que c'était le moyen de développer la misère.
Je vous ai dit que la charité par le budget n'a pas de frein, que rien ne pourrait nous arrêter lorsque nous aurions les honneurs de la bienfaisance sans en avoir la charge que nous jetterions sur le contribuable.
Je viens vous dire aujourd'hui que la charité testamentaire est aussi sans frein.
Quand quelqu'un voudra pendant sa vie donner tout ou partie de ses biens aux pauvres, ce sera son affaire, je ne m'y opposerai pas ; j'admirerai même, non le résultat, mais le courage du sacrifice. Je ne crois pas que l'ordre social puisse en être compromis ; je n'ai pas fort peur que l'on aille trop loin, même poussé par l'orgueil de paraître bienfaisant, même excité par l'espoir d'un prix usuraire dans une autre vie.
Mais c'est tout autre chose quand on donne par testament ; l'avarice n'est plus là pour mettre un point d'arrêt.
Mon dilemme sur la charité par le budget vous semblera sans doute applicable à la charité après décès.
A qui enlève-t-on la succession, quand on teste pour les pauvres ?
A une personne plus ou moins aisée, ou à une personne indigente.
Qu'eût fait la personne aisée de son héritage ? Elle l'eût peut-être employé d'une manière productive dans le commerce ou dans l'industrie ; mais j'admets l'hypothèse la plus défavorable : elle l'eût dépensé en toilette, voitures, etc., elle eût fait vivre des tailleurs, des fabricants de draps, des carrossiers, etc. ; ne vaut il pas autant faire vivre des ouvriers que des mendiants ?
Ou bien l'héritage est enlevé à un malheureux. Alors c'est un malheureux soulagé aux dépens d'un autre malheureux.
Je doute que la loi ait eu en vue le danger spécial que je signale ; mais c'est parce qu'elle a prévu qu'il pouvait y en avoir à permettre certains legs de bienfaisance, qu'elle a donné au gouvernement le droit de les annuler.
L'usage que M. le ministre de la justice a fait récemment du pouvoir que la loi lui attribue, me fait penser qu'il comprend ses devoirs. Je viens l'encourager à s'avancer résolument dans la voie où il est entré ; qu'il ne donne pas facilement son approbation à certaines donations : il réjouira les familles et empêchera la lèpre du paupérisme de s'étendre encore.
Il est certain qu'approuver tout legs de bienfaisance, c'est avec le temps faire, sur une autre échelle, la même chose qu'établir la taxe des pauvres ; c'est aussi donner une liste civile à la misère. Alors il faut s'attendre aux conséquences, qui se sont développées en Angleterre : l'extension du paupérisme, l'obligation de créer des workhouses.
Si nous n'y prenons garde, ces workhouses, ces horribles galères, deviendront une nécessité d'autant moins éloignée, que nous négligeons les moyens à notre disposition qui sont bien préférables à leur création ; je veux parler de nos lois sur la répression de la mendicité, qu'il serait bien temps de remettre en vigueur.
Après avoir parlé de ceux qui font la charité, j'aurai, j'espère, votre permission, messieurs, pour terminer par quelques mots sur ceux qui la demandent.
Il n'y a de richesse que par le travail, il n'y a de dignité que par le travail, sans lui il n'y a que misère et abjection. Le travail c'est la condition essentielle de l'état social. Mais cette loi du travail pour le plus grand nombre est extrêmement dure : il est certain que l'homme ne sort de sa paresse native que lorsque la nécessité l'y contraint. Pour quelques-uns la nécessité c'est l'aiguillon de besoins plus ou moins étendus ; pour quelques autres c'est la crainte du châtiment.
Or, la crainte du châtiment qu'est-elle devenue ? Peut-on se douter aujourd'hui que la mendicité soit un délit ?
On comprend qu'au milieu de circonstances calamiteuses on ait un peu oublié les lois sur la répression de la mendicité, mais je crois faire acte méritoire en excitant le gouvernement à avoir de la mémoire. Peut-être lorsqu'il examinera la législation sur la matière, la trouvera- t-il insuffisante et croira-t-il devoir combler ses lacunes.
Et quand je demande que la mendicité soit réprimée, j'entends qu'elle le soit sous toutes ses formes, quels que soient ceux qui l'exercent, j'entends qu'il n'y ait pas de privilège.
La Constitution donne aux Belges le droit de s'associer, mais je ne crois pas que ce droit emporte celui de mendier. Il faut empêcher que les associations de certaine espèce ne deviennent ce qu'elles étaient autrefois, de puissants suçoirs qui pompent en peu de temps toute la substance d'un pays et le réduisent à une affreuse misère.
Si des Belges ayant des ressources acquises veulent consacrer leur temps à la prière, si ensuite, pour le faire plus commodément, ils veulent se réunir, rien de mieux, la Constitution a bien fait de le leur permettre, c'eût été une tyrannie que de les en empêcher ; mais qu'ils vivent exclusivement des ressources qu'ils apportent dans leur communauté et non de celles qu'ils pourraient soutirer de populations sur lesquelles ils vivraient en parasites.
Le devoir de réprimer la mendicité, sans exception, est exercé par tous les gouvernements. Les gouvernements théocratiques seuls le négligent, parce qu'ils trouvent dans le monachisme un auxiliaire important ; mais aussi c'est une des causes de la misère chez les nations sur lesquelles ils dominent.
Je compte que notre gouvernement aura l'œil ouvert et que sans rigueur inutile, mais avec vigueur, il saura accomplir sa mission sociale.
M. d’Anethan. - Messieurs, l'honorable M. de Bonne est revenu cette année, comme les années précédentes, sur les questions qu'il avait traitées relativement aux cultes. L'honorable membre espérait obtenir de la part du ministère actuel des réponses plus satisfaisantes que celles qu'il avait obtenues sous le ministère précédent. Je doute qu'il ait été fort satisfait de la réponse que vient de lui faire M. le ministre de la justice, car il s'est borné à renvoyer l'honorable M. de Bonne à un concordat futur dont il a indiqué quelques bases d'une manière très sommaire.
L'honorable M. de Bonne avait principalement insisté sur un point ; il s'était occupé de nouveau de la question des desservants, et il avait critiqué la décision qui avait été prise sous l'administration dont j'avais l'honneur de faire partie, décision en vertu de laquelle on avait refusé le traitement au desservant révoqué et on l'avait alloué au desservant postérieurement nommé pour le remplacer. C'était précisément là-dessus qu'avaient porté les critiques de l'honorable M. de Bonne, et pourtant je n'ai pas entendu dans la réponse de M. le ministre qu'il ait indiqués si cette marche est suivie ou abandonnée sous le ministère actuel.
L'honorable M. de Bonne avait parlé de scandales qui avaient lieu, il les avait attribués à la mesure qui avait été prise par l'évêque de Liège. J'ai été étonné que M. le ministre de la justice n'ait pas cru devoir, je ne dis pas prendre le parti de l'évêque, mais au moins rétablir les faits dans leur véritable jour et montrer que ces scandales n'étaient pas attribuables au chef diocésain qui avait agi d'après son droit, mais devaient être attribué, uniquement au desservant qui n'avait pas respecté les droits et pouvoirs de son évêque et s'était mis au-dessus des lois civiles et des lois canoniques.
L'honorable M. de Bonne avait dit également que l'évêque de Liège quand le desservant de la Xhavée avait repris ses fonctions au grand scandale de tous et au mépris de la décision qui l'avait frappé, que l'évêque de Liège, au lieu de s'adresser au ministre du la justice, s'était adressé au nonce du pape, et que c'était par cette voie que les réclamations de l'évêque étaient parvenues au gouvernement. Il est fort possible, fort probable même que le nonce, informé du scandale qui avait lieu, en ait conféré avec M. le ministre de la justice ; il est possible que le représentant du saint-siège, ému par la crainte d'un schisme, se soit adressé au ministre de la justice pour voir si d'après notre législation, il y avait des moyens de le prévenir ou de le faire cesser. Mais l'évêque de Liège ne s'est pas borné à écrire au nonce, il s'est adressé aussi au ministre de la justice ; une correspondance s'est engagée entre l'évêque et le ministre et elle a abouti, si mes renseignements sont exacts, à un accord complet entre le ministre et l'évêque.
Je regrette que M. le ministre n'ait pas fait connaître à la chambre l'existence de ces communications pour rectifier les assertions de M. de Bonne.
M. le ministre de la justice vous a dit qu'il partageait sur plusieurs points les opinions de l'honorable M. de Bonne, mais il n'en a fait connaître qu'un seul sur lequel cet accord existait entre lui et l'honorable membre ; ce point c'est la distinction entre les desservants succursalistes et d'autres desservants.
Je persiste dans l'opinion que j'ai déjà émise, qu'il n'y a qu'une seule espèce de desservants et qu'il ne peut y en avoir qu'une seule, d'après le droit canonique et d'après les articles organiques. Une seule catégorie de ces ecclésiastiques a toujours été reconnue par les gouvernements, par les évêques et par le saint-siège. Jamais le saint-siège n'a admis deux espèces de desservants, il n'a jamais admis que des desservants qui, à l'exception de l'inamovibilité, jouissent de tous les privilèges attribués aux véritables curés canoniquement institués.
Je ne comprends pas comment une nouvelle espèce de desservants aurait été récemment découverte. Je le répète, l'opinion universellement admise par l'Eglise et par tous les gouvernements qui se sont succédé, est qu'il n'y a qu'une espèce de desservants et non deux, dont l'une jouirait de l'inamovibilité et l'autre serait amovible. En présence des articles organiques de l'an X, il est impossible, me paraît-il, de soutenir avec fondement la thèse que les desservants sont mis sur la même ligne que les curés, tandis qu'il y a une séparation bien tranchée entre ces deux ordres d'ecclésiastiques. La nouvelle espèce de desservants à laquelle on fait allusion, n'aurait aucun caractère tracé, ni par les lois canoniques ni par les articles organique.
M. le ministre de la justice a reconnu lui-même qu'il existait différents articles des lois organiques relatives aux cultes qui ne pouvaient plus recevoir d'application, qui étaient inconciliables avec l'esprit de nos institutions et avec le texte de notre Constitution.
J'ai reconnu à différentes reprises cette vérité, et je l'ai même invoquée.
(page 543) Différents articles organiques n'ont plus été exécutés depuis 1830. Les articles qui apportaient des entraves à la liberté du culte, qui gênaient cette liberté complète dont il doit jouir, qui faisaient intervenir le gouvernement dans la nomination, l'installation et la révocation des ministres du culte, ces articles ne peuvent plus recevoir d'exécution. Faut-il maintenant, comme semble le penser M. le ministre de la justice, remplacer ces articles par d'autres dispositions ? Est-il nécessaire de faire une convention avec la cour de Rome pour régler ces différents points ? Cette question est très grave. Mon intention ne peut être de la traiter en ce moment.
Je ferai une seule observation. Je ne concevrais pas une convention où l'on ferait intervenir le gouvernement dans la nomination, l'installation et la révocation des ministres du culte ; car pour arriver à une semblable convention, il faudrait commencer par réviser la Constitution.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Il ne s'agit pas de cela !
M. d’Anethan. - Il ne s'agit pas de cela, me dit M. le ministre de l’intérieur. Je fais un appel à M. le ministre de la justice, je m'en réfère à ses paroles, qui seront sans doute insérées au Moniteur ; n'a-t-il pas dit qu'il fallait régler le mode de nomination et de révocation des ministres du culte ? N'a-t-il pas dit que les inconvénients qui existaient provenaient de ce que le mode de nomination et de révocation n'était pas réglé, qu'il était indispensable de le régler de commun accord ?
Voilà, si j'ai bien entendu, quel a été, sinon les paroles, au moins le sens des paroles de M. le ministre de la justice.
Je répète que pour arriver à ce résultat, il faudra commencer par réviser la Constitution.
M. le ministre de la justice vous a dit qu'il était temps de s'occuper du chaos où nous étions plongés, de faire cesser ces dissidences incessantes qui avaient lieu, de rétablir l'ordre et l'harmonie où existerait en quelque sorte l'anarchie. J'avoue que ce sont les premiers mots que j'entends qui pourraient me faire penser qu'il régnerait, relativement aux objets dont a parlé M. le ministre de la justice, un état de choses qui mériterait le nom d'anarchie. Quant aux dissidences incessantes, je suis également très curieux de les connaître.
Depuis 1830, il n'y a eu que trois difficultés qui se sont présentées : l’une dans le diocèse de Tournay, les autres dans le diocèse de Liège. Voilà les seuls cas de dissidence qui se soient présentés, du moins à ma connaissance. Encore les deux cas qui ont eu lieu en 1832 et 1834 se sont heureusement terminés après très peu de temps.
Quant à l'affaire du desservant de la Xhavée qui a occupé l'honorable M. de Bonne, je crois qu'elle se terminera d'une manière extrêmement simple.
Dès que la cour de Rome aura prononcé (je crois qu'elle a déjà prononcé sur un incident), je pense qu'il n'y aura pas la moindre difficulté à faire exécuter la loi, dès que l'exécution de la loi sera réclamée en vertu d'une décision compétemment rendue. Je ne pense pas que le gouvernement puisse avoir la moindre intention de maintenir dans l'exercice du culte, ni dans le presbytère, qu'alors il aurait usurpé, un desservant qui aurait été révoqué par son évêque, et dont la révocation aurait été confirmée par le pape.
S'il pouvait y avoir la moindre hésitation pour le gouvernement, j'en serais à me demander où est la protection pour les cérémonies du culte qu'il a annoncée dans son programme, où en est cette bienveillance qu'il a annoncée pour les ministres de la religion.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je ne parlerai en ce moment que d'un seul point, de ce qui a eu lien entre Son Excellence le nonce apostolique et moi. Il y avait peu de temps que j'étais au ministère de la justice, lorsque Son Excellence le nonce vint me trouver pour m'entretenir au sujet des faits qui s'étaient passés dans le diocèse de Liège, dans la commune de la Xhavée. Je déclarai à Son Excellence que le gouvernement ne pouvait en aucune manière s'immiscer dans la connaissance de ces faits, que tant que des rapports, des procès-verbaux émanés des autorités compétentes ne signaleraient pas quelque délit, quelque trouble à l'ordre public, le gouvernement désirait rester absolument étranger aux difficultés qui pouvaient exister entre l'évêque de Liège et le curé de la Xhavée.
J'ai écrit ensuite à M. le gouverneur et à M. le procureur général pour avoir un rapport sur cette affaire, et pour obtenir leur avis sur la ligne de conduite qu'ils croyaient devoir être tenue dans ces circonstances. Ces deux hauts fonctionnaires furent parfaitement d'accord que le gouvernement n'avait nullement à intervenir dans cette circonstance, que ce serait violer les dispositions de l'article 16 de la Constitution que prêter de quelque manière que ce fût, l'appui du gouvernement, du bras séculier pour maintenir le nouveau desservant nommé par M. l'évêque de Liège en possession de la cure de la Xhavée.
Je témoignai à S. Excellence le nonce apostolique l’étonnement que me causait la communication que je recevais de lui et que j'aurais dû recevoir de M. l'évêque de Liège par l'entremise de M. le gouverneur de cette province.
Effectivement, quelque temps après, M. l'évêque de Liège m'écrivit au sujet de cette affaire, et je lui répondis dans le sens que je viens d'indiquer. Je n'ai pas sous les yeux ma dépêche ; mais j'en ai fait connaître le sens.
Il n'est donc nullement exact de dire, comme l'a fait l'honorable M. d'Anethan, que j'aurais été parfaitement d'accord avec M. l'évêque de Liège sur les mesures à prendre. M. l'évêque demandait que le gouvernement intervînt. Dans un mémoire très développé il a soutenu que le gouvernement devait lui prêter tout l'appui possible pour expulser le desservant qu'il considérait comme schismatique et installer celui qu'il avait nommé à sa place. Je répondis que le gouvernement ne pouvait intervenir sans violer les dispositions de la Constitution. Les choses sont restées en cet état.
Quelques faits nouveaux se sont cependant produits ensuite ; il y a eu quelques légers troubles dans l'église de la Xhavée ; il y a même eu une plainte de la part du nouveau desservant et appuyée par M. l'évêque de Liège. Mais comme, d'après l'avis de M. le procureur général, ces troubles étaient trop peu importants pour donner lieu à des poursuites, le gouvernement a maintenu sa décision.
Voilà les explications que j'avais à donner pour démontrer l'inexactitude de ce qu'avait dit l'honorable M. d'Anethan, que le gouvernement aurait été parfaitement d'accord avec M. l'évêque de Liège sur ce qu'il y avait à faire dans cette affaire. C'est absolument le contraire qui a eu lieu. Le gouvernement a refusé de prêter l'appui qui lui était demandé ; il n'a pas cru pouvoir le faire légalement et constitutionnellement. M. l'évêque de Liège, au contraire, a persisté à penser que le gouvernement aurait dû lui prêter cet appui.
M. de Bonne. - Veuillez bien remarquer, messieurs, que quand j'ai pris la parole, je n'ai pas voulu faire une proposition à la chambre. Je me suis, comme les années précédentes, adressé à M. le ministre de la justice : je lui ai fait une interpellation ; je lui ai signalé des difficultés, des abus ; je lui ai demandé s'il comptait remédier à cet état de choses.
L'honorable M. d'Anethan vous a dit que j'étais revenu avec ma thèse habituelle et que je n'avais rien obtenu.
Mais il n'y avait rien è obtenir. J'ai appelé l'attention de M. le ministre sur des abus ; je lui ai signalé des mesures à prendre.
L'honorable M. d'Anethan a dit que je suis venu répéter mon ancienne homélie sur les desservants ; mais la question s'est agrandie ; il ne s'agit plus de régler les droits des desservants ; mais il s'agit de régler même les droits des évêques, qui étendent leur puissance d'une manière indéfinie. J'ai invité le gouvernement à y pourvoir d'une manière légale et constitutionnelle.
On dit que, d'après la loi organique, il n'y a qu'une espèce de desservants ou deux espèces de desservants. Moi j'en trouve trois, et si l'honorable M. d'Anethan ne les connaît pas, je vais les lui indiquer. Il y a le desservant que le curé peut nommer pour desservir une annexe dépendante de la cure ; il le nomme ; l'évêque n'a que le droit d'approbation. Il y a ensuite le desservant que nomme l'évêque à un curé malade. Celui-ci demande des vacances, une permission d'absence. C'est l'évêque qui nomme le desservant ; il n'est encore que provisoire.
Ces deux espèces de desservants sont amovibles ; ils ne sont que provisoirement nommés.
Mais il y a une troisième espèce de desservants : c'est le desservant qui a une cure avec des appointements payés par le gouvernement et qui exerce le ministère du culte avec tous les pouvoirs et dans la même étendue que les curés primaires et que les curés secondaires. Je dis que celui-ci est inamovible.
C'est peut-être celui dont il n'est pas parlé dans la loi organique. Mais comme on vous dit que cette loi ne peut plus être observée, que fallait-il faire et que doivent faire les évêques dans ces circonstances ? Ils doivent s'en tenir aux lois de leur institution, aux lois canoniques ; et ces lois défendent de révoquer sans cause un desservant qui administre une cure.
Remarquez, messieurs, que je n'ai jamais contesté le droit d'un évêque de révoquer un desservant ou un curé, mais je lui conteste le droit de révoquer ad nutum, c'est-à-dire sans en donner les causes. Je veux qu'il dise les causes, et cela est nécessaire ; car une des plus grandes précautions que les lois ont prises, c'est d'éviter le soupçon de simonie. Qui nous garantit que quand un desservant est nommé à une cure, il n'y entre pas à des conditions honteuses et qu'on ne peut avouer ? Jusqu'où peuvent aller les soupçons, si un évêque le révoque simplement, sans dire pourquoi ? Ces soupçons sont une des plaies de l'Eglise et les lois y ont pourvu ; un des soins les plus constants de la papauté a été de les écarter, et c'est pour cela qu'il a été défendu qu'un curé qui a charge d'âmes puisse être révoqué sans cause. S'il est révoqué pour cause, il peut en appeler à son métropolitain, et du métropolitain il peut en appeler au pape.
J'ai dit que dans l'affaire du curé de la Xhavée il y avait eu du scandale. Mais d'où est provenu le scandale ? De ce que ce curé n'a pas rencontré des juges, que de tous côtés, du côté de ses chefs spirituels comme du côté des chefs temporels, on l'a repoussé, on a refusé d'admettre ses réclamations.
Quant à ce que j'ai dit des circonstances de la réclamation qu'avait faite Son Excellence le nonce à M. le ministre de la justice, il paraît qu'elles sont assez vraies. M. l'évêque de Liège ne s'est pas adressé directement au ministre ; il s'est adressé à Son Excellence le nonce. Naturellement je ne suis pas dans les secrets du cabinet, et je ne sais ce qui s'est passé ensuite. Mats le fait m'était venu d'une source en laquelle j'ai une grande confiance.
L'article 16 de la Constitution, vous a-t-on dit, messieurs, garantit la liberté du clergé, et d'après cette loi les évêques ont la police, ils peuvent disposer vis à-vis de leurs inférieurs ainsi qu'ils le jugent à propos. Elle n'a rien réglé, rien limité en établissant la liberté des cultes.
(page 544) C'est précisément parce qu'il n'y a pas de limites tracées que je crois utile d'appeler l'attention du ministère sur l'utilité, sur la nécessité d’en tracer.
Je n'examinerai pas la question de savoir jusqu'à quel point il convient de faire un traité avec la cour de Rome, ni la constitutionnalité d'un pareil traité. Je crois que les droits accordés par la Constitution ne peuvent pas se trouver compromis par les traités qu'on ferait avec le saint-siège. Mais en appelant l'attention de M. le ministre sur l'utilité et la nécessité de faire une loi sur la police des cultes, je n'ai pas entendu compromettre ni attaquer en aucune manière les garanties accordées par la Constitution. Mais je pense qu'il convient d'établir les circonstances dans lesquelles le pouvoir civil doit intervenir. Celui-ci a des droits, ce sont ceux qui résultent des bénéfices qu'il accorde.
C'est l'Etat qui paye les ministres du culte, et quand il a accordé à un ministre du culte son traitement, il ne faut pas qu'il dépende du caprice d'un évêque de le destituer et de renouveler cinq ou six fois dans l'année les titulaires de toutes les cures et de toutes les succursales du royaume.
J'ai dit que je demandais, et j'ai appelé l'attention sur ce point, une loi sur la police des cultes, non seulement en ce qui concerne les pouvoirs des évêques vis-à-vis des desservants, mais aussi en ce qui concerne les pouvoirs du gouvernement vis-à-vis des évêques. Un exemple vous démontrera l'utilité, si non la nécessité d'une telle loi.
Je suppose qu'un évêque, mécontent de l'accueil qu'on ferait à ses prétentions, défendît à tous les ministres du culte de son diocèse de célébrer les offices dans les églises, d'y administrer les sacrements. Est-ce que le gouvernement n'aurait pas le droit de demander à M. l'évêque pourquoi les ouailles sont en interdit, et ne conviendrait-il pas dans ce cas de pouvoir poursuivre l'évêque ? Il ne pourrait administrativement lui refuser son traitement ; car il se constituerait juge et partie. Mais que devrait-il pouvoir faire ? Il devrait pouvoir assigner l'évêque devant le tribunal et le faire condamner à ce que son traitement ne soit pas payé jusqu'à ce que son interdit soit levé, sauf ses réclamations à faire à la cour de Rome.
Aujourd'hui, si une pareille circonstance se présentait, je ne sais ce que ferait le gouvernement.
Vous voyez donc qu'il est nécessaire qu'on s'occupe d'une loi sur la police des cultes. Je le crois utile, indispensable ; je ne reconnais toutefois pas la nécessité de recourir à la cour de Rome ; sans cependant que je trouvasse blâmable qu'on soumît les dispositions de la loi de police au saint-siège et que l'on accueillît ses observations ; mais il n'y aurait pas là l'exercice d'un droit, il y aurait simplement acte de déférence de la part du gouvernement.
M. Raikem. - Je demande la parole.
Plusieurs membres. - A demain !
D’autres membres. - Non, non, continuons.
M. Raikem. - Je suis aux ordres de la chambre.
Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !
M. Raikem. - Messieurs, je n'ai pris la parole que pour dire quelques mots sur une affaire spéciale dont il s'est agi dans la discussion ; c'est celle qui est relative à la succursale de la Xhavée.
Mon intention n'est point d'entrer dans les diverses questions qui ont été soulevées à cette occasion, mais je ferai uniquement remarquer que, d'abord, quant à ce qui concerne les desservants, la loi de germinal an X a été constamment interprétée dans le sens que la disposition de l’article 31 comprenait tous les desservants. J'en ai pour preuve les diverses décisions du conseil d'Etat de France.
Or, messieurs, j'ai toujours entendu enseigner que la meilleure interprétation d'une loi c'était la manière dont elle avait été exécutée. En France, sous l’empire, c'était par voie administrative que ces sortes de choses étaient traitées. Je tiens même que, sous le gouvernement de cette époque, il est intervenu une décision relativement à un ecclésiastique qui avait été interdit par son évêque, et qui voulait se maintenir dans l'exercice du culte ; afin de procurer l'exécution de la mesure prise par l'évêque, après la promulgation de la constitution, l'autorité judiciaire a été saisie d'une action intentée par le ministère public contre un desservant qui avait été révoqué par l'évêque, dans le but de remettre le presbytère et l'église à celui qui avait été nommé en son remplacement ; mais le ministère public a été déclaré sans qualité pour intenter cette action. L'arrêt est de 1832. Il a été rendu par la cour de Liège. On se trouvait naturellement arrêté par ce précédent ; à moins de renouveler la question, le ministère public se trouvait sans qualité pour agir par une action civile, sauf à intenter cette action par celui auquel le droit compétait à cet effet.
D'un autre côté, si ma mémoire est fidèle, quant aux troubles qui ont eu lieu à l'occasion de la révocation du desservant de la Xhavée, je crois qu'ils ne pouvaient pas même donner lieu à une poursuite correctionnelle ; que, d'ailleurs, les poursuites pour contravention de police auraient atteint des personnes qui avaient été égarées plutôt qu'elles n'étaient hostiles. Je crois, messieurs, que dans ces circonstances il y avait de justes motifs de s'abstenir, puisque, d'un côté, il y avait un précédent quant à l'action civile, et que, d'un autre côté, les faits n'étaient pas assez graves pour constituer un véritable délit.
Voilà, messieurs, quelques explications que j'ai cru devoir donner relativement à cet incident, et c'est là que je crois devoir me borner en ce moment.
M. de Mérode. - Messieurs, je ne sais s'il est juste d'attaquer constamment dans cette enceinte des personnes qui n'y sont pas, pour se défendre, et d'affirmer que les évêques belges veulent exercer la suprématie dans l'ordre civil. Il serait trop long maintenant de soutenir la thèse contraire, mais ce que je puis dire au moins, c'est que le cardinal-archevêque de Malines n'a pas la moindre envie de se poser en égal du prince qui représente la nation vis-à-vis des peuples étrangers. Et la preuve qu'à l'église même il témoigne au chef de l'Etat son respect, c'est qu'il reconduit ou le Roi ou la Reine, non seulement jusqu'à l’entrée du chœur, mais jusqu'au portail.
Messieurs, quand on voit ce qui se passe dans le monde, peut-on concevoir une crainte plus chimérique que celle de la domination du clergé ? Car, si le clergé était si puissant, si le sort de ses membres était si digne d'envie, comment ne verrait-on pas la carrière ecclésiastique envahie par une foule de prétendants innombrable, comme il arrive pour toutes les autres ?
Chacun veut être avocat, médecin, magistrat, fonctionnaire dans toutes les branches d'administration ; tandis qu'à peine les paroisses peuvent-elles être pourvues de curés desservants et vicaires dans quelques provinces, et dans toutes le nombre excédant des offices à remplir est bien faible.
Non, je ne crains pas de le dire, tant d'hommes même parmi ceux qui se prétendent exclusivement libéraux aiment tant aujourd'hui l'autorité, comme il est facile de le voir, qu'ils ne manqueraient pas de remplir les séminaires petits et grands, si là se trouvait le moyen de parvenir à la domination temporelle ; et la meilleure preuve que l’Eglise n'agit actuellement que dans la sphère du pouvoir spirituel très peu envié, c'est le petit nombre de ceux qui aspirent aux fonctions qui la concernent et qu'elle confère.
Messieurs, je ne m'attendais pas à voir traiter aujourd'hui le budget de la justice, l'ordre du jour annonçant un débat sur la loi des sucres : mais, bien que surpris par une discussion prématurée, je dois dire un mot sur la manière dont M. le ministre de la justice dispose des legs faits en faveur des pauvres. Quand on laisse tout ou partie de son ben à l'indigence, c'est ordinairement à certaines conditions qui s'appliquent particulièrement au mode de distribution des secours à donner et à la qualité des distributeurs futurs auxquels on croit devoir confier cette tâche.
Il est certain, messieurs, que si les personnes qui font des pauvres leurs héritiers, n'ont plus l'espoir de voir respecter les dispositions qu'elles prennent en mourant ou même pendant leur vie, la charité se découragera ; car la charité n'a pas toujours confiance, il s'en faut, aux distributeurs qui s'imposent à elle. Je parle ici d'un effet moral, d'un fait, messieurs, dont le résultat se montrera malheureusement au détriment des pauvres ; c'est pourquoi je crois utile de le signaler ici.
M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je n'ai demandé la parole, messieurs, que pour donner encore une explication qui ne paraît nécessaire. L'honorable M. d'Anethan m'a reproché d'avoir porté atteinte à la Constitution, en parlant d'une convention qui pourrait se faire entre la cour de Rome et le gouvernement belge pour régler les rapports temporels de l'Eglise et de l'Etat. Je dois protester contre l'intention que m'a prêtée l'honorable M. d'Anethan. Il est bien vrai que j'ai prononcé les mots de convention et peut-être aussi de concordat ; mais j'ai eu soin d'ajouter que cette convention devrait avoir pour base le grand principe de notre droit public, c'est-à-dire, l'indépendance absolue de l'Eglise et de l'Etat ; que, par conséquent, pour toutes les matières qui seraient du domaine exclusif de l'Eglise, il était bien entendu que la cour de Rome ferait telle déclaration qui lui conviendrait, et si j'ai parlé de convention c'est en ce sens que cette déclaration devrait être acceptée par le gouvernement pour servir de base aux lois qu'il pourrait présenter aux chambres à l'effet de régler certains rapports entre l'Eglise et l'Etat, qui sont plus ou moins incertains, plus ou moins indéterminés dans l'état actuel de la législation.
Voilà, messieurs, ce que j'ai dit, et je proteste contre toute intention que l'on, pourrait m'attribuer d'avoir voulu contester à l'autorité ecclésiastique les droits qui lui appartiennent dans le ressort de ses attributions religieuses, comme je protesterais également contre toute prétention qui tendrait à ravir au gouvernement les droits qui lui appartiennent comme pouvoir temporel, comme pouvoir civil entièrement indépendant.
M. d’Anethan. - Je proteste à mon leur contre la pensée que m'a attribuée M. le ministre de la justice. Je n'ai pas dit qu'il entrerait dans ses intentions de violer la Constitution. Je n'ai pas dit un mot de cela. J'ai rappelé que M. le ministre de la justice avait annoncé dans son discours que, s'il s'agissait d'une convention avec la cour de Rome, il faudrait s'occuper également de la nomination et de la révocation des ministres du culte, et j'ai dit que pour faire une convention où ce point serait traité il faudrait auparavant réviser la Constitution. Ainsi, si quelqu'un a une protestation à faire, c'est moi, contre l'intention qu'on me prête d'avoir reproché à M. le ministre de la justice de vouloir violer la Constitution.
Du reste, M. le ministre de la justice avait des notes, il peut les relire et nous verrons alors si j'ai dit un seul mot qui n'eût pas pour base les paroles prononcées par lui.
Il me serait, du reste, agréable d'apprendre que je me suis trompé et que j'ai mal saisi le sens des paroles de M. le ministre de la justice.
(page 545) M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Messieurs, lorsque j'ai entendu l’honorable M. d'Anethan interpréter d'une manière tout à fait erronée les paroles de M. le ministre de la justice, je me suis permis de lui dire : « Il ne s'agit pas de cela. » Malgré cette dénégation, l'honorable M. d'Anethan a prétendu qu'il s'agissait de cela. Les explications de M. le ministre de la justice lui ont démontré qu'il se trompait, et, en effet, il ne s'est jamais agi, dans l'intention de M. le ministre de la justice, pas plus que dans l'intention du cabinet, de négociations qui devraient aboutir à ce qu'on appelle un concordat. Notre droit public ne comporterait pas des négociations qui devraient aboutir à un pareil résultat. Mais ce dont il peut s'agir avec Rome, c'est d'obtenir telle déclaration favorable aux prétentions raisonnables du clergé inférieur. Une pareille déclaration pourrait servir de base à la conduite du gouvernement dans ses rapports avec le clergé ; chacun d'ailleurs, clergé et gouvernement, restant libre, aux termes de la Constitution.
Voilà ce que M. le ministre de la justice a entendu dire ; et certes si le gouvernement pouvait obtenir de la cour de Rome tel acte, telle déclaration, de nature à mettre un terme aux conflits qui existent aujourd'hui, qui se reproduisent souvent d'une manière fâcheuse entre les chefs diocésains et le clergé inférieur, je crois que le gouvernement aurait fait une chose utile et pour le clergé et pour l'ordre public.
M. d’Anethan. - Messieurs, je me félicite des explications que viennent de donner MM. les ministres de la justice et de l'intérieur ; je m'en félicite d'autant plus que sur nos bancs tout le monde, semble-t-il, avait compris le discours de M. le ministre de la justice comme je l'avais compris moi-même ; les explications qui viennent d'être données me satisfont, et je suis heureux d'avoir appris du gouvernement qu'il a l'intention de ne provoquer aucun changement à l'article de la Constitution relatif aux cultes.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.