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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 24 avril 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1571) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à 11 heures et un quart,

M. Van Cutsem lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus communique à la chambre l'analyse de la pétition suivante.

« Le sieur Heinsay prie la chambre de le relever de la déchéance prononcée par la loi du 11 avril 1835 et de lui accorder la pension civique de 365 francs et l'arriéré de cette pension. »

M. Lys. - Le pétitionnaire a assisté à tous les combats de la révolution ; par suite de ses infirmités, il ne peut plus parler ; on ne peut avoir de conversation avec lui que par écrit ; il est vraiment digne de compassion. Il n'est déchu de sa pension que par l'omission d'une des formalités prescrites par la loi. Je crois que sa pétition doit être accueillie.

J'en propose le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi qui autorise le gouvernement à dispenser certains boursiers de l'université de Bologne d'une partie des examens universitaires

Rapport de la commission

M. Orts, au nom de la commission spéciale qui a examiné le projet de loi dont le but est de dispenser d'une partie des examens universitaires les Belges boursiers.de l'université de Bologne, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et, sur la proposition de M. Orts, met le projet de loi à l'ordre du jour, entre les deux votes du projet de loi de budget du département des travaux publics.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1847

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III. Chemin de fer

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. Manilius.

M. Manilius. - Après les nombreux discours que nous avons entendus dans cette discussion, relativement à la controverse sur l'utilité ou sur l'inutilité du chemin de fer direct entre Gand et Bruxelles je comprends que la tournure de la discussion doit entièrement changer.

Aussi j'éviterai de suivre les honorables orateurs qui m'ont précédé dans cette discussion ; la raison en est bien simple : quand on examine quels orateurs ont parlé contre la rectification du chemin de fer de Bruxelles à Gand, on trouve que ce sont exclusivement des députés des villes qui n'ont pas intérêt à l'obtenir, les députés de Termonde et de Malines et, je crois, un seul député d'Anvers.

De l'autre côté, les députés qui ont parlé pour la rectification de cette ligne sont les députés de Gand et d'Alost.

Il y a de ce côté-là une petite adjonction ; il y a le ministère lui-même, au moins le ministre qui est spécialement chargé d'examiner ces questions ; le ministre des travaux publics qui n'a pas hésité le moins du monde à annoncer à la chambre l'utilité, la nécessité, l'obligation en quelque sorte de faire ce chemin de fer. Aussi au ministre présent est venu s'adjoindre un ministre passé, l'honorable préopinant qui a terminé la discussion, à la séance d'hier.

Après des soutiens pareils, après des raisons si lucidement établies par les honorables députés qui se sont prononcés pour la rectification de ce chemin de fer, il ne me restera pas de nombreuses considérations à ajouter.

Je m'attacherai donc principalement à lever, si faire se peut, l'obstacle principal que j'ai cru rencontrer au succès de la cause que nous défendons. Cet obstacle principal c'est, d'abord, la volonté du cabinet ; c'est ensuite la question financière, et je puis dire franchement que c'est exclusivement la volonté du cabinet ; car, cette position à part, je crois que les ministres seraient de notre avis. Si ce n'était la position exceptionnelle du cabinet, la position financière céderait encore ; car, qu'a dit le ministre qui a semblé parler au nom de tous, non pour exprimer une opinion personnelle ?

C'est l'honorable M. de Theux qui a dit : Je suis disposé à faire une déclaration formelle, quand nous aurons agité la question, mais quand nous aurons agité la question d'ici à une nouvelle session ; je vous dirai alors si, oui ou non, nous voulons faire ce chemin de fer ; si je ne le propose pas, je dirai pourquoi.

Je comprends très bien ce qu'il a voulu dire ; il a voulu dire : « Attendez que les élections soient passées ; si elles me sont favorables, je ferai ce chemin de fer, qui, d'après M. le ministre des travaux publics, doit nécessairement se faire. Si les élections me sont défavorables, il va sans dire que je serai dans l'impossibilité de présenter un projet de loi au nom du ministère. »

Nous savions tout cela d'avance ; nous savions que si l'honorable M. de Theux, chef du cabinet, n'avait pas de succès dans les élections, il ne présenterait plus de projet de loi.

Mais, messieurs, il s'agit de savoir si, au sujet d'un chemin de fer dont la nécessité est admise par tous les ministres passés et présents, vous accueillerez les vues de l'honorable M. de Theux, basées sur la position électorale, ou si vous examinerez la question dégagée de cette préoccupation. Dans ce cas, vous voterez le projet ; et je vais vous dire pourquoi ; car je vais toucher la question financière.

Messieurs, la question financière, on nous en a parlé dans la discussion de l'amendement de M. Delfosse, relativement à la Meuse ; un membre du cabinet nous a dit : « Mais nous avons déjà pour 200 millions d'emprunts, et je ne sais vraiment où l'on conduirait le trésor par toutes ces propositions. » Mais, messieurs, qu'est-ce que le trésor ? Le gouvernement n'a d'autre trésor que le budget des voies et moyens. C'est là le seul trésor de l'Etat, et le gouvernement peut en dépenser précisément la part pour laquelle il obtient des crédits. Après cela on vient régler les comptes tous les ans. Et par qui ce règlement doit-il se faire ? Mais, messieurs, par nous. C'est la Constitution qui le dit : tous les ans nous devons régler les comptes et voter les budgets. Ainsi, messieurs, tous les ans il y a table rase ; il y a absence complète de trésor public ; le gouvernement n'a d'autre soin que de faire rentrer les voies et moyens et de les dépenser ensuite, chose dont, soit dit en passant, il s'acquitte fort bien.

Il y a cependant un trésor, messieurs, car sans cela comment aurions-nous dépensé 200 millions ?,

Mais ce trésor, où est-il ? Il est dans la poche des contribuables. Eh bien, quand la nation juge convenable de tirer quelque chose de sa poche pour le bien-être du pays, qui est-ce qui peut y trouver à redire ? Il s'agit donc d'obtenir cette volonté de la nation, de la chambre. Qu'a-t-on fait chaque fois qu'il s'est agi de faire de grandes dépenses ? Mais, M. le ministre des finances nous l'a parfaitement expliqué dans son discours, lorsqu'il a déposé le budget de la dette publique et d'autres budgets.

Comme il nous l’a dit, les emprunts faits jusqu'ici ont été conclus lorsque les dépenses qu'ils devaient couvrir étaient déjà accomplies. Il a très bien divisé ces emprunts en différentes catégories, et il place dans la première catégorie les emprunts faits pour exécuter les traités avec les puissances étrangères. Il place ensuite dans la deuxième catégorie les emprunts faits pour payer les frais de notre indépendance nationale, c'est-à-dire, pour créer l'organisation d'une nouvelle société, les frais de l'acquisition d'hôtels pour les ministres qui en manquaient.

Eh bien, messieurs, toutes ces dépenses avaient été faites sans qu'il y eût un denier dans le trésor. En effet, quand on a constitué l'indépendance nationale, il n'y avait pas de fonds ; quand le gouvernement provisoire s'est formé, il a trouvé toutes les caisses vides ou fermées Ainsi, la Société qui avait entre les mains les deniers de l'Etat, ne voulait pas payer un centime. Cependant, ou est parvenu à faire les dépenses dont il s'agit, et c'est seulement quand elles étaient faites qu'on a conclu les emprunts qui ont servi à les couvrir.

La troisième catégorie, messieurs, comprend les emprunts qui ont été faits pour l'exécution de travaux publics. Eh bien, encore une fois, on a fait ces emprunts lorsque les travaux étaient achevés, au moins en grande partie.

Or, messieurs, examinons l'importance des rentes à servir pour ces dépenses. Qui est-ce qui sert ces rentes ? Ce sont les contribuables, en grande partie, pour les deux premières catégories.

Mais la troisième catégorie, celle des travaux publics, qui est-ce qui sert cette rente ? Sont-ce les contribuables ? Mais non, ce sont ceux qui en font usage, et notamment pour le chemin de fer.

Il y a à servir 9 millions d'intérêt pour la rente des travaux publics. A l'heure qu'il est, d'après les documents officiels, le chemin de fer seul paye 8 millions. Restent alors les canaux et les routes ; ce sont des emprunts dont nous prélevons les intérêts avec usure, non pas sur les contribuables, mais sur les Belges et sur les étrangers qui veulent faire usage de ces voies de communication. Je conteste qu'aucun contribuable paye quelque chose pour les chemins de fer, ainsi que pour les emprunts qui ont été faits.

A l'heure qu'il est, le chemin de fer paye déjà 8 millions d'intérêts et 7 autres millions pour payer largement vos fonctionnaires du chemin de fer, votre matériel, vos locomotives, en un mot tous les frais de l'exploitation du chemin de fer. Et vous venez vous plaindre de ce qu'il n'y a rien dans le trésor, et surtout du chef du chemin de fer, alors qu'il est incontestable que le chemin de fer vit de lui-même !

Indépendamment de cette nuée de fonctionnaires qu'il rétribue généreusement, le chemin de fer se montre encore libéral à d'autres égards.

(page 1572) Il laisse circuler une masse d'objets sans frais ; il envoie le grain gratis dans la province de Luxembourg et dans celle de Liège. Il transporte gratuitement aussi toutes les dépêches de la poste ; ce qui procure au gouvernement une recette de 2 millions ; il fait des transports militaires à des prix extrêmement bas. Et qui, encore une fois, qui paye tout cela ? C'est celui qui fait usage du chemin de fer.

Savez-vous ce que le chemin de fer fait encore ? Quand des princes étrangers arrivent dans le pays, on les conduit gratis.

Vous voyez donc combien ceux qui font usage du chemin de fer se montrent généreux.

Il y a plus : c'est que le chemin de fer transporte vers les pays étrangers, quasi sans droit de transit, les marchandises de ces pays qui vont lutter avec les nôtres sur des marchés étrangers voisins.

Encore une fois, ce sont ceux qui font usage du chemin de fer, lesquels payent tout cela ; ce ne sont pas les contribuables en général.

Enfin, le commerce jouit sur le chemin de fer de toutes sortes d'immunités ; ces immunités sont le fait, non du gouvernement, mais du trésor, mais des personnes qui voyagent, à leurs frais, sur le chemin de fer. Ces personnes payent encore les convois spéciaux dont se servent MM. les ministres ; ces convois spéciaux sont nombreux ; la dépense peut en être évaluée chaque année à 50,000 fr.

Il y avait des pauvres à renvoyer dans leurs communes, le chemin de fer les a transportés gratis, comme il transporte pour rien les émigrants, les colons. On fait ainsi beaucoup de bien, mais qui fait ce bien ? Est-ce le gouvernement, est-ce l'administration ? Non, ce sont les administrés ; et quand ces administrés viennent dire : Nos affaires sont bonnes, sont prospères, les emprunts faits pour notre affaire de transport ne nous coûtent rien, nous désirons qu'on la rectifie, qu'on l'augmente, qu'on nous donne de nouvelles facilités, après avoir reconnu l'utilité de notre demande, vous venez répondre : Il n'y a pas d'argent ! Nous ne vous demandons pas d'argent ; ce que nous demandons, c'est de pouvoir exécuter la route. Ce qui est irrationnel, c'est qu'on s'y oppose, surtout quand on en a reconnu l'utilité.

Maintenant il y a quelque chose de très original à entendre MM. les ministres dire : Quand nous ferons une dépense pareille, quand nous ferons ce travail, nous examinerons au préalable les études faites pour d'autres travaux et nous proposerons un ensemble. Il y a là une innovation.

Jusqu'ici le gouvernement n'a jamais présenté d'ensemble de travaux. Quand il a voulu faire des canaux, il s'est occupé de la question des canaux ; quand il a voulu faire des routes, il ne s'est occupé que de routes ; quand il a voulu faire des travaux quelconques, il vous a fait des propositions spéciales, et jamais il ne vous a proposé un ensemble de travaux à exécuter. Il semblerait qu'à l'heure qu'il est on a combiné un ensemble de travaux tels qu'il faudra pour les exécuter contracter un emprunt de 80 à 90 millions.

Quand j'ai entendu jeter en avant cet énorme chiffre, j'ai été alarmé. Quelles dépenses a-t-on faites ou à faire ? Je ne le sais pas ; le gouvernement ne s'est pas expliqué ; que s'est-il donc passé ? On a acheté deux hôtels ; non pour les administrés, mais pour l'administration ; on a quelques millions de bons du trésor qui circulent ; je sais cela ; mais il y a loin encore pour arriver à 80 ou 90 millions. Pour tranquilliser le pays, il faut que le gouvernement vous dise de quoi il s'agit. A-t-on fait quelque spéculation, quelque achat secret ? Aurait-on puisé à une source inconnue ? Aurait-on encore employé les fonds des veuves et des orphelins et chercherait-on à couvrir tout cela ?

Le chiffre de 80 à 90 millions ne s'explique pas, surtout quand on a devant soi la cause pour laquelle on jette l'alarme dans le pays. Ce n'est pas l'exécution de la route qui a motivé ce cri, mais la solution qu'on veut donner, cette solution c'est l'amendement mon honorable ami, M. d'Elhoungne, qui demande 275,000 francs. Voilà un bel objet ! Il vous demande cette somme pour l'appliquer à la route de Wetteren à Alost, pour faire ce qu'on appelle un essai. Tout le cabinet est en émoi pour ne pas commencer ce travail. Il s'agit de quelques kilomètres qui doivent rattacher Alost à Wetteren. C'est-à-dire qui doit rattacher Alost au grand réseau du chemin de fer.

Ce que vous n'avez refusé à personne vous voudriez le refuser au pays d'Alost. Vous ne l'avez pas refusé au pays de Waes. (Voilà encore un pays ; il y a beaucoup de pays en Flandre !)

Le pays d'Alost doit nécessairement être rattaché au grand réseau des chemins de fer. C'est incontestable, Vous répondrez peut-être que ce résultat sera atteint par le chemin de fer de la Dendre. Mais cela ne fait plus question. Sans le chemin de fer direct, le chemin de fer de la Dendre est nul. On vous l'a dit, je n'ai pas à le répéter.

Il s'agit uniquement de savoir si la chambre veut nous accorder 275,000 fr. pour faire la route d'Alost à Wetteren, qui doit relier Alost au chemin de fer de l'Etat. C'est, nous en convenons, un premier jalon du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand. Mais où est l'obligation de continuer immédiatement ce chemin de fer ? Qui peut nous y contraindre ? Si plus tard il y a obligation, c'est que la nation l'aura voulu. Si le résultat des élections vous est défavorable, il est évident que ce n'est pas vous qui continuerez ce chemin de fer. S'il vous est favorable, vous ferez ce que vous voudrez ; vous aurez la majorité.

Mais si vous n'avez pas la majorité, c'est nous qui l'aurons ; nous ferons ce que nous voudrons ; mais nous ne serons pas liés ; nous jugerons en toute liberté. Mais il est probable que nous nous éclairerons des lumières des hommes spéciaux chargés de l'examen de ces questions, et que nous inclinerons vers une opinion qui est celle de tous les ministres responsables passés, présents, j'oserais même dire futurs. Demandez à tous les ministres présents et passés ; tous sont ici. Je me trompe, l'honorable M. Nothomb n'y est pas ; mais je suis convaincu qu'il se prononcerait pour la rectification de la ligne de Bruxelles à Gand. Parlez à l'honorable M. Dechamps : s'il le pouvait, il se prononcerait en ce sens ; mais il se taira ; il ne peut pas parler ! Ne riez pas, messieurs, c'est très sérieux !

Le prédécesseur du ministre actuel, vous l'a dit hier, de la manière la plus formelle.

J'ai parlé à tous les anciens ministres des travaux publics ; tous sont du même avis.

Je ne conçois pas cette opposition. Je ne la conçois que de la part d'une seule personne, de la part de l'honorable M. de Theux. C'est M. de Theux tout entier ; lui seul est ici en question. Pourquoi ? A cause de la position du moment. Si nous étions au mois d'août, l'honorable M. de Theux tiendrait un tout autre langage que celui qu'il tient maintenant.

A toutes les députations qui se présenteraient chez lui, il dirait : « Ce n'est pas mon département. Allez trouver mon collègue des travaux publics ; il vous répondra. Quant à moi, cela ne me regarde pas. »

Aujourd'hui il vous dit : « J'ai tout examiné mûrement. J'ai tout lu, tout vu, tout entendu. Mais je ne m'explique pas. Je m'expliquerai peut-être après les élections. »

Ceci est fort simple ; s'il ne s'explique pas alors, c'est que, par l'effet des élections, il n'aura plus mot à dire.

Vous voyez, messieurs, que la question se réduit à sa plus simple expression. Il s'agit de savoir si le pays veut faire la bonne et favorable affaire des chemins de fer. C'est cette fois-ci un cas tout particulier ; il s'agit de procurer un bien-être réel aux administrés. On sait, MM. les ministres, que vous n'êtes pas aussi avares des deniers publics quand il s'agit de faire les affaires de l'administration. Il ne se passe pas de jour que vous ne fassiez l'accueil le plus bienveillant aux solliciteurs de tout genre, qui viennent, en flattant votre amour-propre, vous soumettre des projets favorables à l'administration. Mais quand il s'agit des administrés, c'est tout autre chose ! Oh ! il faut alors du temps, un temps favorable, un temps opportun ; et surtout, c'est là le grand argument, il n'y a pas d'argent !

Comment ! Il n'y a pas d'argent ! Messieurs, dans un pays comme la Belgique, qu'il n'y ait pas d'argent pour les mauvaises affaires, je le conçois. Mais pour les bonnes affaires, il y en a toujours. Pour vous le prouver, il me suffira de vous rappeler que vous avez trouvé de l'argent dans les moments les plus critiques, chez les barons non pas de Jérusalem, mais chez des barons de Francfort, barons loyaux qui sont venus à notre aide, alors que notre nationalité était à peine constituée, que la plupart des Etats de l'Europe ne nous avaient pas reconnus, que notre situation était donc bien difficile. Ils nous ont néanmoins prêté ; et comment ? Au taux usuraire ? Non ; ils ont négocié avec nous des emprunts loyaux, qui sont toujours restés dans les limites de 5 p. c ; il n'y en a pas un qui l'ait dépassé. Il est vrai que, dans notre emprunt à 3 p. c, vous avez eu un capital moindre ; mais l'intérêt n'a pas dépassé 5 p. c. Toujours ils vous ont loyalement prêté.

Il convenait, messieurs, de prendre ici la défense de ces barons généreux qui sont venus à notre secours.

Vous avez beau jeu à rire, maintenant que vous possédez. Mais quand vous ne possédiez pas, quand vous aviez tant de peine à trouver des prêteurs, certes, vous n'aviez pas envie de rire.

A entendre l'honorable membre auquel je réponds, les hommes de la Palestine voudraient acheter notre chemin de fer. Mais je ne sache pas qu'il y ait, dans ce pays, ni chemins de fer, ni spéculateurs en chemins de fer.

Pourquoi, d'après l'honorable membre, veut-on acheter notre chemin de fer ? Parce que nous le blâmons, parce que nous n'avons rien de favorable à dire en fait de chemins de fer. S'il en était ainsi, ce serait un éclatant démenti donné à l'honorable membre ; car nous n'avons entendu dans sa bouche que des éloges au sujet du chemin de fer et de la manière dont il est exploité.

L'honorable membre, en nous annonçant la vente de notre chemin de fer, semblait éprouver un grand effroi. Assurément si le chemin de fer était exploité par une société, les sept millions qu'on dépense pour son exploitation, en combustible et en gros traitements seraient notablement réduits ; il y aurait beaucoup plus d'économie. On se passerait des commissions de tarifs et autres. Serait-ce là, par hasard, ce qui aurait alarmé l'honorable député de Lierre !

Mais l'honorable député a-t-il le droit de tenir un semblable langage, alors qu'il veut empêcher la progression du chemin de fer, au compte du gouvernement ?

Nous voulons, comme lui, que le gouvernement ne se dessaisisse pas d'une bonne ligne, en rapport direct avec le grand réseau de l'Etat. Ce n'est donc pas sérieusement que l'honorable membre est venu jeter ici ce cri d'alarme que rien ne justifie.

Je conclus, en déclarant que, d'après la situation, j'ai la ferme espérance que la chambre ne se refusera pas à décréter la construction de la route de Wetteren à Alost. Aussi nous ne préjugeons absolument rien. Ce n'est pas comme pour les travaux de la dérivation de la Meuse. Vous pourrez vous e tenir à la dépense des 275,000 fr. que nous vous demandons d'allouer.

Je ne doute nullement que vous ne soyez assez justes pour accorder cette somme à la première province du pays, non pas après la province (page 1573) de la capitale, mais à la première province, quoiqu'elle n'ait pas la capitale dans son sein, à une province de 800,000 habitants, aux deux provinces des Flandres, qui forment le tiers du pays, qui payent le tiers des cent millions qui forment le revenu de l'Etat, qui vous ont payé, pendant de longues années, 50 à 60 millions qu'elles n'auraient pas dû payer, si les contributions avaient été équitablement réparties. Cela a été constaté. C'est tardivement et partiellement que vous avez dégrevé ces provinces.

Et vous leur refuseriez quelques kilomètres de chemin de fer qui ne nécessitent, pour le moment, qu'une dépense de 275,000 fr. !

Il s'agit, messieurs, de ces provinces auxquelles vous avez témoigné tant de sympathie. Il s'agit de donner du travail à la classe souffrante. J'en ai la ferme confiance, votre sympathie ne sera pas stérile. Vous ne refuserez pas le crédit de 275,000 fr. qui vous est demandé. Il y a trop de raisons qui militent en notre faveur ; il y en a trop peu qui sont contre nous, et des raisons politiques en dessous de la question, en dessous du vous-mêmes.

M. le président. - La proposition suivante vient d'être déposée par M. Dedecker.

« Je propose à la chambre de déclarer qu'il n'y a pas lieu, dans l'état actuel de nos finances, et à l'occasion de la discussion d'un chapitre du budget, de décréter le principe de la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Gand. »

M. Delehaye. - C'est simplement le rejet de la proposition en discussion.

M. Dedecker. - Je demande la parole pour développer ma proposition.

M. Delehaye. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Il est certain que si, avec une proposition de cette nature, on était admis à parler avant tous les orateurs inscrits, celui qui ferait le dernier une proposition parlerait toujours le premier. Ainsi je puis, en raison de l'état actuel de nos finances, demander le rejet de la proposition de M. Dedecker ; j'aurai donc le droit de parler avant lui. Mais mon tour de parole me sera enlevé par celui qui invoquera le même motif pour demander le rejet de ma proposition.

Je m'adresse au bon sens de l'honorable M. Dedecker, et je lui demande s'il n'est pas de la dignité de la chambre de repousser un pareil système. S'il était admis, ce serait une lutte continuelle pour avoir la parole.

Vous savez qu'en cas de parité, une proposition est rejetée. Si donc il y a parité sur la proposition de M. d'Elhoungne, elle sera rejetée. Maintenant si la proposition de M. Dedecker a la priorité, elle sera rejetée ; ce qui impliquerait adoption de la proposition de M. d'Elhoungne, c'est-à-dire, précisément ce qu'il veut éviter.

J'adjure l'honorable M. Dedecker de retirer sa proposition ; il arrivera au même résultat en votant contre la proposition de M. d'Elhoungne.

M. le président. - C'est une question de règlement qui sera décidée par la chambre. Il s'agit de décider si la proposition, telle qu'elle est formulée, donne à son auteur le droit de parler avant son tour d'inscription. C'est ce que pense l'honorable M. Dedecker. Si cela n'était pas admis par la chambre, M. Dedecker pourrait développer sa proposition, quand viendrait son tour de parole.

M. Delfosse. - Il est évident qu'il n'y a pas lieu d'intervertir l'ordre des inscriptions. Je ne vois dans la proposition de l'honorable M. Dedecker, que l'indication de l'un des motifs que l'on peut invoquer contre l'amendement de l'honorable M. d'Elhoungne.

Que peut-on dire contre cet amendement ? On peut dire que le chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost n'aurait pas une utilité proportionnée à la dépense, on peut dire encore que l'état actuel de nos finances ne permet pas d'entreprendre ce travail, et c'est ce qui a été dit dans les séances précédentes.

L'honorable M. Dedecker est certes libre de reproduire ces arguments et de leur donner de nouveaux développements, mais il doit, pour cela, attendre son lourde parole.

M. Dedecker. - On n'aurait pas soulevé ces difficultés, si l'on avait voulu comprendre la véritable portée de ma proposition, qui renferme plus qu'un simple rejet de celle de M. d'Elhoungne.

Messieurs, il y a dans la proposition de l'honorable M. d'Elhoungne un mot qui préjuge une question dont on n'a pas dit un mot ; c'est la question du tracé.

En supposant que vous décrétiez la construction du chemin de fer, passera-t-il par Alost ? C'est là une seconde question que je tiens surtout à examiner. C'est là la portée de ma proposition. C'est pour cela que c'est une proposition toute nouvelle et toute distincte de celle de M. d'Elhoungne.

Ces deux questions sont tellement distinctes, qu'elles nécessiteront deux votes distincts, dans lesquels les voix ne se partageront probablement pas de la même manière.

M. d’Elhoungne. - Il est évident que demander à la chambre de décider que, dans l'état actuel de nos finances, on ne peut décréter le principe de la construction d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Gand, c'est demander le rejet de ma proposition, attendu que les propositions relatives à l'exécution de travaux publics n'ont jamais été contestées par ce motif.

La question du tracé que l'honorable M. Dedecker prétend introduire dans sa proposition n'est qu'une question de division.

Si l'honorable M. Dedecker veut faire voter séparément la question de savoir si le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand passera par Alost, il demandera la division de ma proposition. (Interruption.) Je fais remarquer que l'objection de l'honorable député de Termonde n'est pas fondée, car tous les orateurs qui ont été entendus en faveur de ma proposition, ont tous insisté sur les motifs de justice, d'équité nationale, comme l'a dit M. le ministre des travaux publics, qu'il y avait pour décréter le chemin de fer d'Alost, et si l'on proposait un chemin de fer direct ne passant point par Alost, je serais le premier à le repousser.

M. le président. - Je dois faire observer que l'article 24 du règlement ne reconnaît d'autre ajournement que celui qui est limité ; il définit la question d'ajournement en ces termes : « celle qu'il y a lieu de suspendre la délibération ou le vote pendant un temps déterminé. » Je consulterai la chambre sur le point de savoir s'il y a lieu d'intervertir l'ordre des inscriptions.

- Cette question, mise aux voix, est résolue négativement.

M. de Mérode. - Messieurs, je ne suis en aucune manière intéressé au débat qui peut s'élever entre Termonde, Malines et Alost, sur la création d'un nouveau chemin de fer direct de Bruxelles vers Gand ; aucun motif ne peut donc influencer mon opinion contre cette création, aujourd'hui prématurée, si ce n'est le danger que présente la dilapidation du trésor public, lorsqu'on n'a aucun égard à ses ressources, et que sans voies et moyens correspondants on se précipite dans d'énormes dépenses pour le luxe d’une perfectibilité absolue.

M. le ministre des travaux publics a démontré que les propositions faites pour une concession étaient plus onéreuses à l'Etat qu'un emprunt, et l'honorable M. Osy a prouvé que l'Etat perdrait environ 400,000 fr., s'il construisait lui-même. On a contesté ce chiffre, je le sais, mais uniquement par des suppositions, des hypothèses. Oserait-on ainsi, en bonne justice, prendre aux contribuables des communes qui n'ont pas même une route pavée qui les traverse, et une foule de villages sont encore dans cette situation ; oserait-on prendre à ces contribuables leur part de 400,000 fr. par an, pour raccourcir d'une demi-heure le trajet de Bruxelles à Gand ?

Je ne crains pas de dire que si l'Etat a 400,000 fr. annuels disponibles, c'est aux petites routes pavées, nécessaires à l'agriculture, qu'il doit maintenant les attribuer ; et en agir autrement serait la plus odieuse iniquité.

Que diriez-vous, en effet, messieurs, d'un hospice où l'on donnerait à certains malades trois matelas pour les coucher parfaitement à leur aise ; tandis qu'à d'autres on n'accorderait pas même les planches d'un lit ? Eh bien, parcourez le pays en détail, ne vous contentez pas de visiter les villes, parcourez les campagnes et les affreux chemins de traverse qui servent de communication aux villages entre eux, qui servent de moyens de transport à l'agriculture ; allez seulement de Bruxelles à Lennick, chef-lieu de canton, aux portes de la capitale, et vous verrez si ma comparaison n'est pas de la plus rigoureuse exactitude.

Oui, c'est une véritable tyrannie des forts sur les faibles, que de mettre à la charge des contribuables du plat pays, privé encore de tant de communications indispensables, 7 à 8 millions d'emprunt pour abréger d'une demi-heure le trajet entre deux grandes villes, si avantageusement reliées déjà par les routes pavées, et par un chemin de fer, et par les voies d'eaux les plus faciles.

Mais, après tout, messieurs, ces grandes villes de Gand et de Bruxelles ne sont-elles pas comprises dans l'Etat belge ? Et l'imprudence dans l'application des deniers publics, le gaspillage des finances ne serait-il pas funeste à ces villes mêmes comme à toute la nation ? Faites au passager embarqué sur l'Océan le logement le plus commode à sa personne, le plus agréable, si c'est au détriment de la sécurité du vaisseau qui le porte à bord avec beaucoup d'autres compagnons de voyage, certes vous semblerez servir ce passager du privilège ; mais ce ne serait là qu'une faveur trompeuse, non moins à craindre pour lui que pour tous.

Et je le déclare aux coalitions qui peuvent se former dans cette enceinte pour ruiner l'Etat au profit plus apparent que réel de leurs résidences respectives : ils commettent une action anti-sociale dont les conséquences retomberont sur leurs têtes comme sur tous les habitants du pays, car le pays, c'est le navire qui nous porte les uns et les autres. Et quant aux Flandres prises en masse qu'on cherche à intéresser, par des paroles plus retentissantes que sérieuses, à des constructions trop chères pour leur utilité relative, je déclare aussi, la carte du pays m'appuyant comme témoin irrécusable, que la généralité des Flamands n'a rien à gagner au chemin direct de Bruxelles vers Gand. Car d'ici à peu d'années ce n'est point par Gand que la plupart des voyageurs des Flandres viendront au centre du royaume ; et certes, Ypres, Menin, Courtray, Renaix, Audenarde, Grammont, ne prendront pas cette voie dans l'avenir.

L'honorable M. d'Elhoungne, par exemple, en vous parlant de l'intérêt de Bruxelles a confondu avec cet intérêt local celui du Brabant ; mais moi, messieurs, qui suis représentant de la partie la plus considérable du Brabant, le district de Nivelles, j'affirme que ce district ni celui de Louvain n'ont rien à gagner au chemin direct de Bruxelles par Alost vers Gand, et les contribuables de ce district ne pourraient voir sans regret la fortune publique et le trésor qu'ils alimentent par l'impôt, engagés dans des pertes graves pour un pareil but.

Comment, messieurs, une route urgente de Wavre vers Hannut ne peut pas s'exécuter jusqu'ici faute d'un subside de la part du gouvernement ! Un grand nombre de communes souffrent très gravement de cette privation, et mes commettants n'auraient pas lieu de se plaindre si l'on (page 1574) abrégeait d'une demi-heure à coups de millions le trajet de Bruxelles vers Gand ! Non, messieurs, quel que soit leur esprit fraternel pour leurs compatriotes d'Alost, ils savent que ses habitants ont d'excellentes routes pavées et le voisinage très rapproché d'un chemin de fer, un moyeu facile de navigation par la Dendre vers l'Escaut ; tandis qu'une grande population rurale est circonscrite par les sables mouvants, ou les bourbiers qui se succèdent alternativement dans la région accidentée du Brabant, d'où sortent un grand nombre d'affluents de la Dyle.

Mais, fussé-je député de Bruxelles ou de Gand, soyez-en convaincus, je considérerais encore que ces deux villes capitales ont bien plus d'intérêt à la prospérité du royaume, par la bonne gestion de ses ressources financières, qu'au raccourcissement de la distance qui sépare l'une d'Alost, l'autre de Louvain ; car si vous décrétez la ligne directe vers le premier point, vous êtes forcés d'adopter le même système pour le second.

Or, je le demande aux Flamands pris en général, aux Gantois comme à tous les autres, veulent-ils pour des avantages évidemment très secondaires, compromettre, après tant d'emprunt, l’un des principaux aliments du trésor, celui qui concourt à payer les intérêts de ces emprunts, par une rémunération pour services rendus, c'est-à-dire la voie de fer de l'Etat.

On vous a cité, pour appuyer le nouveau projet de chemin de fer vers Gand, la concession directe accordée sur Namur ; mais cette concession traverse, sur une longueur de 80 kilomètres, un pays considérable, fertile, très écarté de toute voie navigable ou ferrée. Wavre, Gembloux, Perwez, ainsi qu'une multitude de communes perdues dans les terres, seront ainsi reliées ou rapprochées entre elles et le centre du pays. Et je ne pense pas que les transports de Namur sur Bruxelles fussent assez importants pour motiver le refus d'une pareille concession, qui de plus est attachée à la création d'un chemin de fer à travers le Luxembourg.

Il n'y a donc nulle comparaison sérieuse à établir entre cette concession et celle qu'on réclame aujourd'hui avec une si grande précipitation.

Agir avec prudence quand la fortune publique est en jeu ne peut être une attribution de la droite de cette chambre plus que de la gauche, à moins qu'on ne considère à gauche comme un beau succès, celui de faire pièce au gouvernement en toute matière quelconque, comme si les finances nationales étaient la propriété de tel ou tel ministère. Et qui pourrait croire ensuite qu'un ministère quel qu'il fût voudrait empêcher le raccourcissement de la distance qui sépare Gand de Bruxelles par fantaisie ou calcul politique ? Et moi-même, messieurs, qui revois toujours avec plaisir une des plus belles et des plus célèbres cités du royaume, qui pourrait me porter à préférer pour m'y rendre le détour par Malines, à une voie plus courte, si ce n'est le danger que signalait la commission des finances de France pour 1844, lorsqu'elle disait dans son rapport que je vous citais encore récemment : « Nous conjurons le gouvernement et M. le ministre des finances en particulier, de résister à cet entraînement qui porte totalement vers des dépenses, et de n'entreprendre de nouveaux travaux qu'avec une extrême réserve, et de résister à toutes les demandes qui ne se recommandent pas par un puissant et pressant intérêt général. »

Dans les Flandres, messieurs, les travaux les plus désirables, sont sans contredit ceux qui tendent à empêcher ou à réduire autant que possible les inondations, c'est-à-dire à ne pas laisser détruire la production du sol si précieuse dans une contrée surchargée de population. Dans mon district ce sont les routes favorables à l'agriculture. Il en est de même presque partout, et si l'Etat, je le répète, pouvait encore faire des sacrifices ; ce ne serait pas, aujourd'hui du moins, en faveur d'un chemin ferré direct vers Gand, mais pour des projets beaucoup plus utiles, d'une urgence fort supérieure. La justice distributive est ici bien claire, el, j'ose l'espérer, messieurs, vous n'ajouterez pas aux avantages des lieux déjà richement pourvus avant d'avoir accordé à d'autres qui en sont complètement privés les plus humbles moyens de communication. Voici deux ans que l'Etat fait des sacrifices importants pour les malheureux des Flandres. Ne tarissez pas la source où vous ne pouvez déjà puiser que d'une manière bien insuffisante, bien inférieure aux besoins.

J'ajoute en finissant, messieurs, que c'est renverser tout l'ordre constitutionnel que d'imposer des dépenses au pouvoir chargé de l'administration supérieure. Le rôle des chambres est d'examiner les dépenses que le ministère leur propose ; leur rôle est d'y consentir ou de les rejeter, mais non pas de lui commander des travaux, à exécuter en outre sans voies et moyens réellement disponibles ; c'est là le renversement le plus complet des devoirs réciproques, c'est la confusion portée au plus haut degré. Le gouvernement peut être autorisé à agir à la suite d'un vote irrégulier tel qu'on le sollicite de votre part ; mais ce vote ne peut lier le pouvoir. Il reste libre parce qu'en pareille occurrence la liberté de ne pas dépenser est son droit nécessaire et conforme à sa haute responsabilité.

Messieurs, je le répète encore, je serais député de Bruxelles ou de Gand ; car je ne trouve excusables ici que les députés d'Alost ; je n'hésiterais pas un instant à défendre en cette circonstance le trésor de l'Etat dont la sécurité intéresse les grandes villes bien autrement qu'une légère faveur si coûteuse, qu'on veut enlever à brûle-pourpoint avec une sorte d'inexplicable délire. Et quand je vois d'anciens ministres pousser ainsi le char de l'Etat vers le précipice des emprunts creusés les uns sous les autres et ne prendre nul souci des pertes que peut subir le grand chemin de fer qui coûte plus de 200 millions, je reste dans un triste étonnement ; je tomberais même dans un découragement profond s'il n'était de mon devoir de citoyen dévoué à mon pays entier, de résister de toutes mes forces à une semblable témérité.

Messieurs, les villes de Tongres, Diest, Arschot, Nivelles, Binche et bien d'autres communes populeuses n'ont pas de chemin de fer réel ni en perspective immédiate. Il est probable pourtant que l'avenir leur en donnera ; mais n'ayons pas l'absurde prétention de tout créer en un instant. Voici cent cinquante années que l'on construit des routes pavées ou empierrées ; cependant il en manque un grand nombre encore dans les plus fertiles contrées du pays, et l'on ne saurait croire combien leur défaut cause d'embarras pour l'exploitation du sol ; c'est-à-dire pour la plus solide des richesses de l'Etat, pour la seule qui puisse nous préserver de ce paupérisme déplorable, qui partout suit le développement excessif de l'industrie, quand il n'est plus en rapport avec les ressources alimentaires que peuvent fournir les campagnes.,

Messieurs, selon l'honorable préopinant qui a parlé le dernier, il suffit de 275,000 fr. Mais, messieurs, le vote de 275,000 fr., c'est le pan d'un habit engagé dans les engrenages d'une machine qui entraîne ensuite tout le corps de celui qui le porte.

Le nouveau système dans lequel on cherche à engager ainsi la chambre, est ce qu'il y a au monde de plus imprévoyant, de plus dangereux ; car le précédent sera regretté plus tard par ceux qui s'efforcent de le faire prévaloir aujourd'hui.

M. de Naeyer. - Messieurs, il y a douze ans que le chemin de fer existe en Belgique, et le pays se rappelle avec reconnaissance que cet immense bienfait est dû principalement au talent, à l'énergie et au patriotisme de l'honorable M. Rogier. J'ai toujours, messieurs, sans réserve, professé une admiration franche et sincère pour cette grande œuvre.

J'ai donc, je dois le dire, été péniblement affecté en entendant un honorable voisin parler des blasphèmes de l'arrondissement d'Alost contre le railway national. Ce moyen dont on a fait usage à défaut d'autres, je le considère comme essentiellement mauvais. Je crois que l'honorable assemblée le considérera de la même manière. On a dit, messieurs, que nous voulons démolir le système de 1834.

L'honorable M. Henot a été fouiller dans le Moniteur et il y a trouvé le passage d'un discours dans lequel j'aurais dit qu'il était nécessaire de faire un changement radical au système de nos chemins de fer ; mais l'honorable M. Henot a eu soin d'isoler cette phrase de ce qui précède et de ce qui suit ; il ne s'est même pas contenté de cela : il y avait dans cette phrase quelque chose qui le gênait et il l’a retranché. Voici ce quelque chose ; je disais : « Sous ce rapport, il y a lieu à faire un changement. » Voici, messieurs, ce que cela signifiait. J'avais apprécié le chemin de fer au point de vue des intérêts et des besoins qu'il s'agissait de satisfaire en 1834, et j'ai dit que, sous ce point de vue, le chemin de fer avait rendu d'immenses services. Eh bien, messieurs, quel était le grand et principal but qu'on voulait atteindre en 1834 ? Il s'agissait alors, avant tout, de relier la Belgique à l'Allemagne, d'affranchir nos relations commerciales du passage par le territoire hollandais. Eh bien, ce but existe encore aujourd'hui ; et, sous ce rapport, le système de 1834 répond parfaitement à sa destination. Il s'agit de faire des changements.

Mais, messieurs, qu'est-il arrivé ? Les chemins de fer ont acquis une destination nouvelle, une destination plus étendue, c'est ce dont tout le monde convient, à l'exception toutefois de l'honorable comte de Mérode, qui, en combattant notre projet, n'a pu trouver d'autres arguments que ceux qu'on a présentés contre les chemins de fer en général, et j'admire la persistance de l'honorable comte à reproduire constamment des idées dont je croyais, moi, que l’opinion publique avait fait bonne justice.

Je disais donc, messieurs, que les chemins de fer ont acquis aujourd'hui une destination nouvelle. Quelle est cette destination ? C'est, comme l'a dit très bien l'honorable M. d'Hoffschmidt, de remplacer bientôt les autres voies de communication, de desservir tout le mouvement des personnes et des choses en Belgique. Eh bien, messieurs, où est le centre naturel de ce mouvement ? L'honorable M. Dedecker a dû avouer qu'alors même que plusieurs de nos provinces et de nos grands centres de population ne sont pas encore reliés directement à la capitale, Bruxelles, par la force des choses, est devenue cependant incontestablement le centre du mouvement des personnes en Belgique. C'est pour cela, c'est pour approprier véritablement les voies ferrées à leur destination actuelle que nous voulons, par une ligne directe, relier les Flandres à la capitale, et en cela nous ne sommes nullement en opposition avec ce qui a été fait en 1834. Qu'a-t-on fait en 1834 ? On a commencé à faire des chemins de fer. Que voulons-nous faire aujourd'hui ? C'est de continuer à faire des chemins de fer. On dit que c'est là démolir le système de 1834 ; nous trouvons que c'est, au contraire, continuer, développer ce qui a été commencé en 1834. Le changement dont nous avons parlé n'était donc autre chose que le complément de notre railway, pour l'approprier à sa destination actuelle.

Mais, dit-on, si nous agissons ainsi, voilà que Malines ne sera plus le grand centre de nos chemins de fer. C'est vrai, messieurs ; mais que voulez-vous que j'y fasse ? Il est humainement impossible que Malines resté l'unique centre des chemins de fer. Pour amener ce résultat, il faudrait l'intervention de la Divinité.

Messieurs, dans quelques années nous aurons une foule de centres de chemins de fer en Belgique. Quand la ligne de la Meuse sera faite, de Maestricht à la frontière française, Liège sera centre de chemins de fer, Namur sera centre de chemins de fer.

Quand le chemin de fer de Manage à Wavre et celui de Louvain à la (page 1575) Sambre seront faits, Wavre sera centre de chemins de fer ; et comme la ligne doit aller jusqu'à Diest, Louvain sera centre de chemins de fer.

Quand les chemins de fer de la Flandre occidentale seront faits, Courtray sera centre de chemins de fer. Plus tard Thourout ou Roulers sera encore centre de chemins de fer.

Gand sera centre de chemins de fer, quand la ligne du pays de Waes sera terminée.

Ainsi, nous aurons partout des centres de chemins de fer, et Bruxelles serait ainsi frappée en quelque sorte d'un interdit ; on lui défendrait de devenir le grand centre de nos chemins de fer, tout comme on défend à Alost d'occuper dans l'ensemble de nos voies ferrées la place que la nature elle-même lui assigne.

On a parlé longuement de la théorie de M. l'ingénieur Desart. On a prétendu que la commission qui a été chargée d'examiner cette théorie, avait émis une opinion défavorable. Eh bien, je donne le démenti le plus formel à cette insinuation. Je tiens d'un membre très honorable de cette commission que jusqu'ici la commission n'a fait ni préparé aucun rapport, qu'elle n'a émis aucune opinion défavorable. Et, pour le dire en passant, je ne pense pas qu'il fût de la dignité de la chambre de venir l'entretenir de l'opinion d'une commission qui jusqu'ici n'a posé aucun acte officiel, ni à l'égard du gouvernement, ni à l'égard des chambres ; si l'on continuait dans cette voie, il pourrait arriver que nos débats dégénérassent en une espèce de commérage.

La théorie de M. Desart n'a pas été sérieusement attaquée ; mais je croirais abuser des moments de la chambre si je m'attachais à réfuter en détail les objections vraiment futiles qui ont été faites. Cette théorie est restée debout et elle sera un bien beau titre de gloire pour l'ingénieur distingué qui en est l'auteur et qui a su l'exposer avec un talent si remarquable.

Je m'abstiendrai d'autant plus d'entrer dans de nouveaux détails à cet égard, que l'honorable M. d'Hoffschmidt a prouvé, de la manière la plus claire et la plus palpable, qu'indépendamment de cette théorie, les résultats financiers du chemin de fer qui est proposé, sont tels qu'ils ne peuvent entraîner aucun sacrifice pour le trésor, aucune charge pour le contribuable. Dès lors tout ce que l'honorable M. de Mérode nous a dit tout à l'heure, est absolument un hors-d'œuvre.

L'honorable membre a plaidé chaudement les intérêts des contribuables ; mais ces intérêts ne sont pas en jeu. Il s'agit de faire une opération qui se suffira à elle-même. Ne venez donc pas nous dire : « Il faut empêcher que l'argent des contribuables soit employé à des travaux de luxe, comme on les appelle d'une manière si erronée, alors que les voies de communication dans les communes rurales se trouvent encore dans un état déplorable, et que les chemins vicinaux réclament les plus grandes améliorations. »

Mon Dieu ! nous sommes d'accord avec vous sur la nécessité d'améliorer la voirie vicinale, même en accordant tous les subsides possibles sur les fonds de l'Etat ; mais notre chemin de fer pouvant se suffire à lui-même et ne devant entraîner aucun sacrifice pour nos finances, ne diminuera en rien les ressources qui pourraient être affectées à doter nos communes rurales de bons chemins vicinaux. Nous offrons au gouvernement une opération lucrative. Voilà la position dans laquelle nous nous présentons.

Il s'agit donc de savoir, comme l'a dit l'honorable M. d'Elhoungne, si la chambre veut jeter l'interdit sur tout un arrondissement ; voilà la question, il n'y en a pas d'autre.

Messieurs, on ne conçoit pas l'insistance que nous mettons à obtenir l'exécution du projet ; l'honorable M. Dedecker ne trouve là qu'un caprice. Le conseil communal et la chambre de commerce d'Alost réclament vivement depuis longtemps le bienfait d'un chemin de fer ; caprice !... (Interruption de M. Dedecker.)

Si je comprends bien l'interruption de l'honorable M. Dedecker, pour Alost il n'y a pas de caprice. Nous sommes donc d'accord sur ce point. Mais enfin, la chambre de commerce de Gand, le conseil communal de cette ville se sont associés, dès le principe, aux démarches faites par l'arrondissement d'Alost ; caprice !

M. Delehaye. - Et les 500 électeurs de Gand qui ont réclamé !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Voilà le secret de l'affaire.

M. d’Elhoungne. - Un mensonge !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demande la parole.

M. le président. – M. d'Elhoungne, je ne puis tolérer qu'on prononce ce mot dans cette enceinte.

M. d’Elhoungne. - On ne peut pas incriminer nos intentions. M. le ministre de l'intérieur vient de dire, quand l'honorable M. Delehaye a parlé de la pétition des électeurs de Gand : « Voilà le secret de l'affaire. » Or, j'ai soulevé la question du chemin de fer d'Alost, avant qu'aucune manifestation ne fût partie de Gand. La presse de Gand est en général hostile au projet ; aujourd'hui même, je suis l'objet d'une attaque très vive de la part d'un journal de cette ville qui n'est pas étranger au gouvernement et à ses amis. Ce n'a donc pas été pour faire la cour aux électeurs que j'ai fait ma proposition. Le mot que j'ai employé n'est pas parlementaire, niais je maintiens qu'il est faux que c'est là le motif qui ait dicté ma proposition.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, le gouvernement a été accusé de n'avoir pas proposé, dans un but électoral, le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost. Maintenant l'honorable M. Delehaye fait l'observation que 500 électeurs de Gand réclament ce chemin de fer ; eh bien, repoussant des attaques auxquelles le gouvernement avait été en butte, j'ai dit : « C'est le secret de l'affaire. » Or, lorsqu'on défend un intérêt local, je pense qu'on a égard à l'opinion des électeurs de la localité ; je n'ai voulu par là dire rien de blessant pour qui que ce soit ; j'ai seulement énoncé ce qui se passe communément dans les gouvernements représentatifs.

M. le président. - La parole est continuée à M. de Naeyer.

M. de Naeyer. - Messieurs, en présence des démonstrations éclatantes qui ont eu lieu de la part de la ville de Gand, en présence des députations de cette ville qui sont venues plusieurs fois à Bruxelles ; en présence de la réclamation d'une foule d'habitants notables qui demandent avec énergie l'exécution de ce chemin de fer, j'ai trouvé le mot « caprice » assez déplacé.

De la part de la ville de Bruxelles, il y a encore caprice, à entendre l'honorable M. Dedecker.

Mais, messieurs, à l'origine même du projet, quand la question a été portée pour la première fois devant la chambre, l'administration communale de Bruxelles a nommé une commission (et la chambre de commerce s'est associée à cette démarche), afin de poursuivre activement l'exécution du projet, de loi. Il ne s'agissait pas alors d'élections ; la seule considération qui guidait ces deux autorités était la haute utilité du chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost. Il y a quelques jours encore, on a déposé sur le bureau de nombreuses pétitions revêtues des signatures les plus honorables de la ville de Bruxelles, dans lesquelles on insiste vivement sur la nécessité de mettre enfin à exécution le projet dont il s'agit. Tout cela, au dire de mon honorable adversaire, est caprice ; vraiment, il faut que la puissance du caprice soit bien grande.

Ainsi caprice pour Bruxelles, caprice pour Gand ; pour Alost, je croyais qu'il y en avait également ; mais il paraît qu'il n'y en a plus. Je demanderai à mon tour s'il n'y aurait pas un peu de caprice dans l'opposition de Termonde et Malines ?

Eh ! mon Dieu, vous pourrez bien vous en passer ; jusqu'ici vous n'en avez jamais eu, vous ne savez pas ce que c'est, et pourtant vous avez envie d'avoir un chemin de fer. Vous vous plaignez, cependant vous marchez à peu près comme auparavant ; vous vendez même un peu plus de toiles, vous payez un peu plus de patentes. Quant aux patentes, l'honorable membre n'a pas entendu parler de la ville d'Alost seulement, mais de l’arrondissement. Or, je dirai qu'il y a quelquefois des contrôleurs de contributions qui ont un talent tout particulier pour faire mousser les patentes. Après tout, si nous payons un peu plus, est-ce une raison pour nous refuser justice ? Il me revient à la pensée l'exemple d'un ministre qui, à toutes les observations qu'on lui faisait sur les murmures, sur les plaintes, les réclamations du peuple, demandait toujours : Est-ce qu'il paye les contributions ? Et comme on lui disait : Oui, Son Excellence, il répondait : Mais pourvu qu'il paye, laissez-le crier tant qu'il voudra.

C'est parce que nous payons que nous avons le droit de réclamer ; nous avons d'autant plus le droit de le faire, que ce que nous demandons ne doit rien coûter au trésor, à moins que l'Etat ne veuille se charger lui-même de l’entreprise, afin d'y trouver un placement de fonds lucratif. Mais, pour me servir de l'expression de M. Brabant, ce qui me crève les yeux, c'est que nous payons énormément et que nous n'obtenons rien. Je me trompe, nous obtenons un interdit. On nous dit : Vous payez beaucoup, vous payez depuis longtemps, et cependant vous n'aurez pas le bienfait que vous réclamez, quoique vous puissiez l'obtenir à l'aide des capitaux particuliers. Voilà une interdiction terrible, contre laquelle je ne cesserai de protester de toutes mes forces, parce que c'est une injustice criante.

On nous demande : Que voulez-vous faire du chemin de fer ? M. de Terbecq vous l'a dit : depuis que le chemin de fer passe à Termonde, l’industrie et le commerce ont pris un large développement. Eh bien, nous voulons faire du chemin de fer ce que vous en avez fait.

Je viens de dire ce que nous entendons faire de notre chemin de fer, car nous n'entendons pas vous proposer une chose inutile.

Je voudrais pouvoir admettre ce qu'a dit l'honorable membre de la prospérité de l'arrondissement d'Alost, mais je ne le puis en présence de la misère qui dévore notre population. Raisonnons cependant dans cette hypothèse. Puisque sans chemin de fer, privés des communications qui nous sont nécessaires, nous avons pu prospérer, que ferons-nous, quand nous serons dans le droit commun, quand nous participerons aux bienfaits des chemins de fer, si nous avons pu prospérer malgré la position déplorable qu'on nous a faite ? C'est que nous avons des éléments de vie ; ces éléments de vie, nous demandons à pouvoir les développer ; pouvez-vous nous le refuser ? Vous nous avez demandé des sommes considérables pour rendre à la culture des terrains stériles ; je me suis associé à ces dépenses, parce que je les ai considérées comme utiles, comme destinées à augmenter la richesse nationale. Vous avez un arrondissement qui possède de nombreux éléments de prospérité dans son commerce et son industrie et son agriculture, et quand il vous demande seulement la permission de se procurer, à l'aide des capitaux de l'industrie privée, les moyens de vivifier ces ressources et de contribuer ainsi à l'accroissement de la richesse publique, vous le repousseriez ?

Parce que nous voulons développer notre prospérité, on nous présente comme des hommes dangereux. Nous voulons ruiner les finances de l'Etat, nous sommes la lèpre des contribuables !

J'ai été étonné, je l'avoue, d'entendre les honorables députés de Malines et de Termonde prendre si chaudement la défense des intérêts du trésor dans cette circonstance. Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, nous avons voté sur une foule de dépenses, (page 1576) l'augmentation des traitements des membres de l'ordre judiciaire et des commissaires d'arrondissement ; nous avons voté la loi des pensions ; nous avons voté l'augmentation du personnel des administrations ; nous avons voté l'augmentation des traitements de la cour des comptes, et tant d'autres dépenses dont le détail ne finirait pas ; toutes sortes de dépenses enfin ayant pour objet d'élargir les cadres, d'étendre les rangs des convives de nos budgets. Eh bien moi j'ai combattu de toutes mes forces toutes ces charges pour les contribuables. Que faisaient alors les honorables membres qui sont aujourd'hui les défenseurs par excellence des intérêts du trésor ? Malines était muet ; Termonde disait peu de chose ou se taisait. Je me trompe, ils ont parlé quand il s'est agi de voter, et ils ont voté pour les dépenses. Ce sont eux qui nous présentent au pays comme des hommes voulant ruiner le trésor, entraîner la Belgique dans un véritable gouffre.

Mais direz-vous, si nous votons les dépenses improductives, nous nous opposons comme une barrière infranchissable aux dépenses productives, aux travaux d'utilité publique. Je répondrai que c'est un second tort que vous avez.

Après les observations si lumineuses, si justes, présentées par l'honorable M. Manilius, cela est évident ; comment voulez-vous faire prospérer le trésor, si ce n'est en faisant prospérer le pays ? Voulez-vous faire du trésor un être abstrait, isolé de la richesse du pays ? Alors je combats votre trésor, parce que ce n'est plus rien, c'est une chose sans consistance ; il ne peut être puissant et grand qu'autant qu'il s'appuie sur la richesse du pays. Voulez-vous faire prospérer le trésor, faites prospérer le pays, c'est dans les communications que se trouve le plus puissant moyen de prospérité. Ce sont là les instruments de la production, de la richesse publique, qui est, après tout, la vraie source des revenus du trésor.

Messieurs, on a dit que notre proposition menaçait les industries, qu'il n'y a plus de stabilité chez nous, que déjà les industries s'en plaignent. Je me suis creusé la tête pour trouver les industries qui pourraient essuyer un préjudice par la construction du chemin de fer d'Alost, et je n'ai pu en découvrir que deux, savoir : l'industrie des marchands de comestibles à la station de Malines et l'industrie des marchands d'oranges de la station de Termonde. S'il y en a d'autres, je voudrais qu'on me les indiquât.

On va jusqu'à dire que nous voulons porter atteinte au caractère national, que nous serons considérés comme un peuple versatile.

Je crois, moi, messieurs, qu'on nous considérera comme un peuple progressif ; mais si nous voulons entraver et immobiliser le développement de nos voies de communication, on pourrait fort bien nous considérer comme un peuple stationnaire. Or, je préfère à cette qualification celle de peuple versatile, par cela seul qu'elle équivaut, jusqu'à un certain point, à progressive ; car on ne peut guère progresser sans changer un peu.

Messieurs, ce n'est pas tout de la démolition du système de 1834 ; il y a dans notre proposition un autre danger, un grand danger pour les lignes actuelles. Ce danger, messieurs, le voici : c'est que tous les voyageurs venant de France ou d'Angleterre, au lieu de suivre les lignes de l'Etat, vont suivre presque exclusivement les lignes concédées.

Messieurs, on a fait grand bruit de cette considération ; on a taché de la répandre dans la ville de Gand notamment et dans d'autres villes des Flandres, afin de les empêcher de s'associer à notre cause. On a dit : Mais le chemin de fer que vous appuyez va nous faire un tort immense ; les voyageurs qui entreront en Belgique par Mouscron, vont se porter sur la ligne de Jurbise et sur la ligne de la Dendre, et vous serez privés de leur passage.

Eh bien, messieurs, je vais faire bonne justice de tout ce tapage ; voici les faits. Si nous ne faisons rien, qu'en résultera-t-il ? C'est que les voyageurs venant de France en Belgique par Mouscron, se rendront à Bruxelles par Jurbise, parce qu'il y a en faveur de cette ligne une différence de 14 à 15 kilomètres.

Ceci, messieurs, doit nuire assez considérablement à la ville d'Ostende, car il y a jusqu'à un certain point lutte entre Ostende et Calais pour attirer les voyageurs. Or, par suite de la construction du chemin de fer de Jurbise, la ligne de Calais à Jurbise est raccourcie à tel point que la ligne actuelle passant par Gand et Malines ne peut plus lui faire concurrence ; il y a préjudice pour Ostende et pour toute la ligne des Flandres.

Si, au contraire, on fait le chemin de fer d'Alost, les voyageurs, au lieu de prendre la ligne de Jurbise, continueront à se servir de la ligne actuelle jusqu'à Gand pour se rendre de Gand à Bruxelles par le chemin de fer d'Alost, puisque cette nouvelle ligne sera plus courte d'une lieue environ que celle par Jurbise. Il y a donc avantage pour Ostende à ce qu'on fasse le chemin de fer d'Alost, puisque de cette manière les conditions où elle se trouve placée pour lutter avec Calais ne seront pas changées.

Ainsi, messieurs, si vous ne faites rien, il y a avantage pour la ligne de Jurbise et par conséquent pour Calais. Si vous faites le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand, les voyageurs venant de Mouscron viennent par la ligne de l'Etat, et alors les deux ports de mer rivaux se trouvent dans la même position qu'aujourd'hui, ou plutôt Ostende a un avantage qui existe en tout temps, c'est que là on débarque directement sur le territoire belge, et que dès lors on n'est plus soumis à une nouvelle visite de douane. Je crois même que la visite se fait en mer, de sorte que les voyageurs peuvent poursuivre leur route aussitôt qu'ils ont mis pied à terre.

Mais, dit-on, quand le chemin de fer de la Dendre sera fait, les voyageurs arrivant de Mouscron prendront le chemin de fer de la Dendre, car il y aura en faveur de cette nouvelle ligne un avantage de 4 à 5 kilomètres. Eh bien, messieurs, cette assertion repose sur des calculs complètement erronés, pour ne pas dire faux. On a bâti ce raisonnement sur cette supposition tout à fait inexacte que d'Ath à Denderleeuw, il n'y aurait que 38 kilomètres tandis qu'il y en a 40, et que de Denderleeuw à Bruxelles il y aurait seulement 23 kilomètres tandis qu'il y en a 24.

Admettons, messieurs, que la ligne de la Dendre soit faite, et admettons que la rectification entre Gand et Bruxelles soit faite également. Voici quelle serait la situation exacte. Il y aurait d'Ath à Bruxelles, par la vallée de la Dendre, 64 kilomètres, et il y aurait 65 kilomètres par l'autre, donc différence un kilomètre. Eh bien, messieurs, cette différence ne peut rien faire, par la raison bien simple que quand on viendra de Tournay vers Bruxelles, par Jurbise, il n'y aura qu'un seul service d'exploitation, tandis que par la vallée de la Dendre il faudra changer de convoi à Ath et à Denderleeuw et que là il faudra attendre le passage du convoi venant de Gand. Or, messieurs, les retards qui résulteront de ces changements de convois feront bien plus que compenser la différence d'un kilomètre dans le parcours. Je crois que cette simple observation puisée dans l'état réel des choses, suffit pour renverser cet échafaudage qu'on a si péniblement élevé.

On a parlé aussi d'une autre rectification qui pourrait être opérée entre Tournay et Lille. Comme ceci est tout à fait éventuel, je ne sais pas, messieurs, si je dois discuter ce point. Toutefois, je ferai remarquer qu'alors encore la concurrence avec la ligne de l'Etat serait tout à fait impossible à cause de cette continuité du service, qui est une chose de la plus haute importance, puisque la discontinuité du service occasionne de grandes pertes de temps, et que, comme on l'a dit, le temps est l'étoffe dont la vie humaine est faite.

Maintenant, messieurs, on nous dit : « Mais attendez que le chemin de fer de la Dendre soit fait, » et un moment après on dit que le chemin de fer de la Dendre est impossible. C'est donc à l'impossible qu'on nous renvoie. Je ne sais s'il y a beaucoup de franchise dans cette manière de raisonner : on a parlé hier ou avant-hier de l'hypocrisie de la question, mais je ne sais si ce n'est pas le cas d'appliquer ici surtout cette qualification.

Je ne veux pas abuser des moments de la chambre en poussant plus loin ces observations. Je crois que les objections qu'on nous oppose ne sont réellement pas sérieuses, et j'ai toute confiance dans la justice et l'équité de la chambre. J'espère enfin qu'on nous fera goûter les bienfaits du droit commun. C'est tout ce que nous demandons.

(page 1603)t M. d'Elhoungne. - Messieurs, il me restera bien peu d'observations à présenter après le discours si concluant et si complet que vous venez d'entendre. Je vous demanderai avant tout la permission de revenir un instant sur l'incident de tout à l'heure. J'ai déjà rappelé à la chambre que dès 1845 je me suis déclaré dans cette enceinte partisan du chemin de fer direct de Bruxelles à Garni par Alost. Je lui rappellerai aussi qu'en 1846, au commencement de la dernière session, j'avais annoncé l'intention de prendre l'initiative d'une proposition à l'égard de ce chemin de fer, si le ministre ne présentait pas lui-même un projet. Que si je n'ai point usé du droit d'initiative, je le rappellerai encore, c'est parce que M. le ministre des travaux publics, l'honorable M. de Bavay, nous a donné l'assurance positive que le gouvernement examinait la question et qu'il apporterait, dans le cours de la session, un projet à la chambre. (Interruption.)

L'honorable M. de Bavay a déclaré au mois de juin 1846 que c'était là l'interprétation naturelle des paroles qu'il avait prononcées en répondant précédemment à mes interpellations.

Maintenant, veuillez remarquer, messieurs, que le projet qui nous occupe, son importance, son utilité, son caractère réparateur, son caractère de justice ont été hautement défendus par M. le ministre des travaux publics qui n'a trouvé sur les bancs du ministère aucun contradicteur.

S'il y a donc sur les bancs ministériels quelque hostilité contre ce projet, c'est une hostilité qu'on n'avoue pas, c'est une hostilité qui n'ose se produire au grand jour, qui rougit d'elle-même en quelque sorte. Dès lors, messieurs, lorsque les députés des Flandres défendent ce projet que le gouvernement lui-même proclame utile, important ; qu'il reconnaît être un acte de justice et de réparation, peut-on lancer à ces députés l'accusation humiliante de chercher à courtiser les électeurs, devant lesquels ils doivent bientôt paraître ? Et au contraire, lorsque le gouvernement est obligé de proclamer à la face de la chambre et du pays que la mesure projetée est une mesure importante, utile, juste et réparatrice ; lorsqu'après avoir hautement proclamé que c'est là le caractère de la mesure et qu'il n'y a pas une seule objection sérieuse qui se produise ; et que cependant le gouvernement se renferme dans l'inaction et l'immobilité, ne devons-nous pas rechercher les motifs de cette inqualifiable conduite, ces motifs qu'on n'avoue pas, ces motifs d'une hostilité cachée ? Voilà, messieurs, la différence qu'il y a entre le ministère cl nous. Voilà pourquoi on nous calomnie lorsqu'on dit que nous faisons en quelque sorte la cour aux électeurs, et pourquoi nous n'avons pas calomnié le ministère lorsque nous avons dit qu'une préoccupation électorale dicte sa conduite inqualifiable.

Non, messieurs, l'importance du projet, son utilité, ce qu'il a de juste et de réparateur, n'a pas été contesté dans cette enceinte. Il ne s'est élevé contre lui, il faut le dire, il ne s'est élevé contre lui que des intérêts mal entendus de localité : les seules objectons qu'il rencontre sont dictées par l'intérêt de localité.

Et je suis loin, je m'empresse de le déclarer, de songer à attaquer les honorables membres qui combattent le projet ; en disant que ces honorables membres sont mus par des intérêts de localité, j'entends énoncer seulement que leur opinion à cet égard, que leurs convictions sont aveuglées par l'intérêt de localité, et que cet intérêt les domine malgré eux, quoique très honorablement. (Interruption.)

En vérité, messieurs, c'est une étrange chose que, dans une discussion comme celle-ci, ce cabinet que nous avons devant nous vienne nous lancer de perfides, d'odieuses insinuations ! Mais quelle est donc votre attitude ? Quelle est donc la position que vous avez prise ? Quelle est donc la dignité de votre conduite ? Messieurs, vous avez entendu d'abord M. le ministre des travaux publics déclarée franchement son opinion sur le projet. Puis est venu M. le ministre de l'intérieur qui vous a dit que le cabinet n'avait point délibéré sur la question. Et le lendemain, M. le ministre des travaux publics, je lui rends volontiers cet hommage, M. le ministre des travaux publics n'a point hésité à venir loyalement, courageusement donner une sorte de démenti à M. le ministre de l'intérieur, en déclarant que s'il avait écrit son discours c'était pour le communiquer à ses collègues ; c'était pour s'assurer s'ils n'avaient point d'objections à y faire. Point d'objections à faire, messieurs, qu'est-ce que cela voulait dire ? Cela voulait dire que le cabinet ratifiait les promesses de ce discours, ratifiait l'opinion qu'y exprimait M. le ministre des travaux publics ! Cela voulait dire, messieurs, que lorsque M. le ministre des travaux publics prononçait ce discours devant vous, il parlait au nom du gouvernement. C'est donc un précédent sans exemple, que l'inqualifiable désaveu que M. le ministre des travaux publics a reçu le lendemain.

Le cabinet, a-t-on dit, n'a point délibéré ! Le cabinet n'a point d'opinion sur cette question. Mais, quelle est donc la question, messieurs, qui s'agite ? Quelle est la question que ma proposition vous met en demeure de décider ? Cette question c'est celle-ci :

La chambre veut-elle décréter un grand travail d'utilité publique dans les Flandres ? La chambre veut-elle, abandonnant les vains palliatifs, abandonnant des remèdes qui ne sont qu'un vain charlatanisme, poser enfin un grand acte, un acte efficace pour venir au secours des Flandres ? C'est là la question, c'est la question tout entière. Et le cabinet n'a point d'opinion ! Le cabinet n'a point examiné la question ! Ah ! messieurs, le plus cruel ennemi des ministres n'aurait point osé lancer contre eux une accusation aussi accablante ! Quoi ! le ministère n'a point d'opinion sur les travaux publics à exécuter dans les Flandres ! Quand la famine décime nos populations ; quand des milliers de malheureux sans pain et sans travail tendent vers vous leurs mains suppliantes et attendent de vous leur existence et leur salut, vous n'avez pas même examiné la question ! Non, je le répète, vos plus cruels ennemis n'eussent point osé lancer contre vous cette accusation accablante : ils auraient craint de vous calomnier ! (Interruption.)

Répondrai-je maintenant aux observations présentées contre ma proposition ? Répondrai-je à ce qu'a dit M. le ministre des travaux publics, que cela éludait la loi de comptabilité en ce que nous venions faire la proposition d'une dépense sans placer à côté de cette dépense d'autres voies et moyens que la ressource illusoire des bons du trésor ? Mais, messieurs, lorsqu'on est venu demander un subside pour parer à la cherté des subsistances, à la crise alimentaire ; lorsqu'on est venu demander un subside pour l'industrie linière ; lorsqu'on est venu demander un crédit pour acheter des hôtels à MM. les ministres ; lorsqu'on est venu demander un crédit pour une société commerciale d'exportation ; lorsqu'on est venu demander un crédit pour les défrichements de la Campine ; lorsqu'on est venu demander un crédit pour le canal de Schipdonck ; lorsqu'on est venu demander un crédit pour travaux à faire aux eaux du sud de Bruges ; lorsqu'on est venu enfin demander un crédit pour travaux à faire à l’Escaut, qu'a-t-on proposé à la chambre, si ce n'est la création de bons du trésor ? Et pourquoi, d'ailleurs, l'a-t-on fait ? Mais on l'a fait parce qu'on se trouvait dans cette alternative, ou bien de suivre l'exemple de l'Angleterre, et de recourir franchement à l'emprunt, ou bien, de suivre l'exemple de la France, et de se rejeter sur la dette flottante jusqu'à ce que les circonstances permissent de contracter favorablement un emprunt. Or, les motifs qui existaient pour toutes les propositions déjà faites, les motifs que le gouvernement a pris lui-même pour règle de sa conduite, ces motifs n’existent-ils pas pour l'opposition comme pour le ministère ? Peuvent-ils devenir dans la bouche d'un ministre un argument contre les propositions de l'opposition ?

En vérité, je ne puis admettre que le gouvernement ait trouvé là un moyen sérieux de repousser un projet qu'il proclame lui-même utile, important, juste, réparateur.

On vous a dit ensuite, messieurs, que sous l'apparence d'une dépense minime, nous venons, en réalité, demander à la chambre de décréter une dépense importante. Mais, pourquoi demandons-nous un crédit partiel ? Nous le demandons, nous l'avons proclamé, et je le proclame encore, nous le demandons parce que notre proposition doit laisser intacte la question du mode d'exécution ; parce que nous voulons que la chambre décide spécialement cette question, quand un projet lui sera présenté par le gouvernement, comme cela aura nécessairement lieu, si ma proposition est adoptée ; parce que nous voulons que la chambre discute alors la question de savoir si le chemin de fer sera fait aux frais de l'Etat, et qu'elle examine si l'on n'aura pas trouvé d'ici là, ou si on n'a pas déjà trouvé maintenant une combinaison de concession qui concilie les justes exigences du trésor avec l'intérêt général qui réclame l'exécution du chemin de fer projeté.

J'ai ensuite demandé un crédit partiel, parce que la demande, d'un crédit, inséré ainsi au budget, est un moyen légal, régulier, constitutionnel, pour la chambre, d’indiquer, de dicter sa volonté au gouvernement

Je dis, messieurs, que c'est un moyen régulier. J'ajouterai, messieurs, que c'est le moyen le plus convenable que la chambre puisse employer pour manifester son opinion dans une semblable matière, dans une matière où l'initiative parlementaire est semée d'écueils, parce que, en fait de présentation de travaux publics, il y a de nombreux détails qui sont en quelque sorte hors de la portée de l'initiative parlementaire.

Il est un autre motif encore, messieurs, qui nous guide, c'est que notre initiative a été arrêtée, entravée, paralysée par les promesses du gouvernement. Lorsque le gouvernement déclarait, par l'organe de M. le ministre des travaux publics, qu'il présenterait sans retard un projet, nous devions être plus sobres de notre initiative ; or, c'est précisément parce que ces promesses étaient fallacieuses, parce que les engagements du ministère étaient dérisoires, parce que le ministère, il faut le dire, s'est joué de nous, c'est pour cela que nous prenons une voie plus directe, plus énergique, en présentant la proposition que nous avons eu l'honneur de vous faire, comme amendement au budget.

M. le ministre s'est étonné, messieurs, qu'après avoir combattu précédemment le mode de concession voté pour le chemin de fer de Jurbise, je ne me suis pas prononcé contre toute concession de ce genre. Mais, dans la question du chemin de fer de Jurbise, j'ai fait le raisonnement suivant qui assurément est irréprochable ; j'ai dit : J'aime mieux les chemins de fer exécutés par l'Etat que les chemins de fer exécutés par concession ; mais j'aime mieux les chemins de fer par concession que pas de chemins de fer du tout ! Ce que j'ai dit du chemin de fer de Jurbise, je le dis du chemin de fer dont il s'agit maintenant ; je le dirai de tout autre dont l'utilité sera démontrée.

Maintenant, s'agit-il, comme l'a dit l'honorable député de Nivelles qui vient de parler, s'agit-il de décréter prématurément la construction d'un chemin de fer dont l'utilité est contestable ? S'agit-il de viser au luxe d'une perfectibilité absolue ? Je crois, messieurs, que cette objection est peu digne de réfutation.

M. de Mérode. - C'est très commode.

M. d’Elhoungne. – Mon Dieu, c'est le gouvernement lui-même qui proclame, et pas un ministre n'a osé dire le contraire, que le chemin (page 1604) de fer d'Alost est un chemin de fer important, utile, juste, réparateur ; or, devant une question de justice et de réparation, est-ce par de pareilles arguties, lieux communs qui s'adaptent à tous les projets possibles, qu'on peut entraîner la majorité de la chambre ? Ne serait-ce pas abuser e sa patience que de les réfuter pour la centième fois ?

On n'a, dit M. le comte de Mérode, on n'a contesté aucun des chiffres objectés par l'honorable M. Osy ; et l'honorable M. Osy a établi qu'il y aurait une perte de 400,000 fr., et on ne lui a répondu que par des hypothèses. Je réponds à l'honorable comte de Mérode que les chiffres de M. Osy ont été victorieusement réfutés ; loin de n'y opposer que de simples hypothèses, on y a répondu par des calculs très concluants puisqu'ils sont justifiés par l'expérience et par les faits. D'ailleurs on n'arrive à indiquer la perte dont a parlé l'honorable M. Osy que par de simples hypothèses aussi. Et tout ici n'est-il pas hypothèse ? Est-ce que tous les arguments pour et contre qui ont été présentés dans ce débat sont autre chose que des probabilités déduises des faits connus ?

On veut exercer, dit M. le comte de Mérode, une sorte de tyrannie contre le plat pays. On veut, lorsque les routes pavées manquent encore dans tant de communes, on veut cependant forcer les contribuables de ces communes à participer aux charges que doit entraîner la construction du chemin de fer d'Alost ! Mais remarquez bien, messieurs, que si cet argument était concluant pour les travaux publics en général, il l'est bien peu ou plutôt il ne l'est pas à l'égard des chemins de fer qui, dans un avenir prochain, couvriront les intérêts du capital engagé, ce qui n'existe pas pour la plus grande partie des autres travaux publics, qui ne rapporteront jamais, en produits directs, l'intérêt du capital qu'on y a consacré.

Mais que devient l'observation de M. le comte de Mérode quand on l'oppose à l'arrondissement d'Alost ? Alost n'a-t-il point contribué aux dépenses des routes et des chemins de fer ? Et cependant savez-vous ce que l'honorable M. de Mérode veut qu'on dise à l'arrondissement d'Alost ? II veut qu'on lui dise : Non seulement on ne fera pas le chemin de fer que vous demandez, mais nous vous défendons de faire vous-mêmes ce chemin de fer ! Certes voilà de la tyrannie, voilà de l'oppression, voilà de l'injustice ! Si l'on voulait dire au plat pays dont M. le comte de Mérode se préoccupe si fort (et il est facile de deviner pourquoi), si l'on disait au plat pays : « Nous ne voulons point construire de routes pour vous, » ce serait déjà beaucoup ; mais si l'on ajoutait : Nous vous défendons de faire vous-mêmes les routes que vos besoins, que vos intérêts les plus vitaux réclament ! c'est alors que la voix de l'honorable comte de Mérode retentirait dans cette enceinte, c'est alors qu'il crierait à la tyrannie, à l'oppression ! et je dois le dire, il aurait raison autant qu'aujourd'hui il a tort, et ma voix se joindrait à la sienne pour l'appuyer, comme aujourd'hui je suis forcé de le combattre !

L'honorable comte de Mérode a nié ensuite que le chemin de fer projeté soit dans l'intérêt des Flandres et du Brabant. Mais cette objection a été si complètement réfutée dans cette discussion ; on a établi d'une manière si évidente, qu'un immense intérêt pour Bruxelles existait dans le chemin de fer projeté, que la même chose existait pour les Flandres ; on l'a établi d'une manière si irréfragable que véritablement ce serait abuser des moments de la chambre, que de reproduire de nouveau les considérations nombreuses par lesquelles on a détruit cette objection de M. le comte de Mérode, que je m'étonne de voir reparaître dans le débat.

Que l'honorable M. de Mérode veuille prendre le compte rendu du chemin de fer ; qu'il veuille examiner le chiffre de la recette produite par les villes qui ne sont pas entravées dans leurs communications par des allongements de parcours, qui ont le bonheur de jouir de relations directes ; et l'honorable comte de Mérode trouvera dans les faits et les chiffres la réfutation la plus irrécusable des objections qu'il a développées tout à l'heure.

Messieurs, on aurait pu croire, au début du discours de l'honorable préopinant, qu'il allait présenter un nouveau plaidoyer en faveur des routes pavées contre les chemins de fer ; mais je m'empresse de le reconnaître, la conclusion du discours n'a pas répondu à l'exorde : il est arrivé à l'honorable membre de proclamer que les recettes de notre chemin de fer national étaient le principal aliment du trésor public...

M. de Mérode. - Je n'ai pas dît cela.

M. d’Elhoungne. - Voulez-vous alors expliquer votre pensée ?

M. de Mérode. - J'ai dit que le chemin de fer rapporte annuellement une partie des frais qu'il a coûtés, et qu'il ne faut pas encore faire perdre à l'Etat un revenu qu'il retire du chemin de fer, après y avoir consacré tant de millions.

M. d’Elhoungne. - L'honorable M. de Mérode reconnaît donc que le chemin de fer rapporte maintenant des revenus bien précieux au trésor ; et il ne veut pas que l'on diminue ces produits du railway national.

Mais je demanderai à M. le comte de Mérode s'il ne trouverait pas plus sage encore, et d'une économie plus intelligente, d'augmenter les produits de notre chemin de fer ?

Eh bien, ma proposition doit précisément amener ce résultat. Les prévisions les plus raisonnables établissent que la construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost aura pour conséquence infaillible, immédiate, la construction du chemin de, fer de la Dendre.

Or, l'exécution de ces deux chemins, en reliant au réseau existant des affluents considérables, doit nécessairement augmenter les produits du railway dans son ensemble. Si l'honorable M. de Mérode a étudié les documents qui nous ont été distribués, il doit en avoir acquis la conviction, et pour rester conséquent avec lui-même, au lieu de repousser ma proposition, il devrait s'empresser de la voter. (Interruption). L'honorable comte de Mérode n'accepte pas la comparaison que nous avons établie entre le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost et le chemin de fer direct de Namur à Bruxelles. « Là, dit l'honorable membre, il s'agissait de relier par un chemin de fer des populations nombreuses, riches, industrieuses, qui se trouvaient déshéritées de voies de communication. »

Eh bien, je le demande, que peut-on dire de plus concluant pour l'arrondissement d'Alost ? N'est-il pas peuplé ? N'est-il pas, par son industrie et son commerce, un des plus riches de la Flandre ? N'est-il pas déshérité des voies de communication, indispensables au développement de sa prospérité commerciale, industrielle, agricole ? Et dès lors, M. de Mérode, est-il possible que vous ayez ici deux poids et deux mesures, que pour les contrées qui doivent être traversées par le chemin de fer de Namur, vous soyez tout feu, tout enthousiasme, et qu'au contraire pour les contrées que doit traverser le chemin de fer d'Alost, vous soyez plein d'injustice, et nous condamniez à l'immobilité ? (Interruption.)

L'honorable M. de Mérode me dit que dans les contrées que doit traverser le chemin de fer de Namur, il n'y a pas de voies navigables. Mais que l'honorable membre veuille bien parcourir l'arrondissement d'Alost ; qu'il compare ce que cet arrondissement est aujourd'hui avec ce qu'il était autrefois ; qu'il voie le tort immense que la construction du chemin de fer existant lui a occasionné, et M. le comte de Mérode devra convenir que tout aujourd'hui ne gît pas dans les voies navigables, dans les routes pavées ; que les chemins de fer détruisent tout équilibre entre les diverses localités ; qu'ils sont devenus des instruments de circulation indispensables, sans lesquels il est impossible à une contrée de développer toutes les ressources que le ciel lui a départies. Aujourd'hui les rapports entre les populations ont pris un nouveau caractère, toutes les affaires doivent être traitées avec célérité ; la chambre était pénétrée de cette vérité, en votant les différents chemins de fer qui ont été demandés. C'est un besoin que tout le monde reconnaît, que le spectacle des faits quotidiens révèle clairement ; c'est un besoin de la civilisation contemporaine, et ce n'est pas M. le comte de Mérode qui devrait me fournir l'occasion de le rappeler ! (Interruption.)

L'honorable M. de Mérode me demande si l'on peut construire des chemins de fer partout à la fois. Je lui réponds : Oui, si vous le pouvez. Or, le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost, vous le pouvez faire.

Messieurs, je n'insisterai pas sur le parallèle que l'honorable M. de Mérode a tracé entre les travaux publics qui se rapportent à la construction de chemins de fer, et les travaux qui sont destinés à prévenir les inondations. Personne n'appelle l'exécution de ces derniers travaux avec plus de sympathie et de sollicitude que moi ; je suis heureux, sur ce point, de me rencontrer aujourd'hui avec M. de Mérode, puisque récemment, à l'égard de la dérivation de la Meuse, notre opinion s'est traduite en votes différents, M. de Mérode s'étant abstenu, tandis que j'émettais, sans hésiter, un vote favorable. (Interruption.)

Je crois, par les considérations que je viens de présenter, avoir repoussé avec assez d'énergie et d'avantage cette parole échappée à l'honorable M. de Mérode, que, dans cette circonstance, les députés d'Alost seuls étaient excusables ; les députés des autres localités, qui soutiennent le projet, n'ont, certes, pas besoin d'être excusés ici devant le pays, ni devant la chambre ; la chambre et le pays savent que ces députés, en défendant cette opinion, sont venus remplir un devoir consciencieux ; et lorsque le gouvernement et l'opposition sont d'accord pour dire qu'il y a ici une question de justice, de réparation, et de plus une question d'utilité générale, qu'avons-nous besoin d'apologie, qu'avons-nous besoin de répondre aux insinuations de l'honorable M. de Mérode...

M. de Mérode. - Ce ne sont pas des insinuations.

M. d’Elhoungne. - Aux récriminations de l'honorable M. de Mérode.

Veuillez de nouveau le remarquer, messieurs ; la question ici, la question que j'ai eu l'honneur de poser au commencement de cette discussion, est bien en réalité celle-ci : La chambre veut-elle ou ne veut-elle pas qu'il s'exécute dans les Flandres deux grands travaux publics d'une utilité incontestable, d'une fécondité de résultats que personne n'ose nier ? La chambre le veut-elle ou ne le veut-elle pas, alors que le premier de ces travaux ne doit pas, ne peut pas aggraver la situation du trésor, dans la supposition même que l'Etat l'exécute ? et alors que le deuxième de ces travaux exécuté par voie de concession, ne concerne, n'entame en aucune façon le trésor, et ne peut en aucun cas entraîner le moindre sacrifice. (Interruption.)

Oui, messieurs, voilà la question qu'il s'agit de résoudre ; et lorsque l'honorable M. de Mérode, s'élançant sur les traces de Mirabeau, se met à vous peindre le gouffre de la banqueroute, qui est, selon lui, prêt à nous engloutir, à ce fantôme de son imagination, force m'est bien d'opposer l'inexorable réalité ! Force m'est bien de lui montrer là, à nos pieds, au cœur de nos plus belles provinces, un gouffre plus réel et bien autrement redoutable, le gouffre du paupérisme ! Ah ! c'est sur cet abîme de misères que j'appelle, moi, l'attention de la chambre ; c'est lui que je vous conjure de combler ; c'est sur la pente fatale qui y conduit que je supplie la chambre d'arrêter d'une main ferme le pays. (Interruption.)

N'est-ce pas là la grande, la vraie, la seule question ? N'est-ce pas à ce point de vue qu'il faut juger à cette heure toute question de travaux publics ? Et c'est un ministère catholique, un ministère qui est arrivé aux (page 1605) affaires avec des paroles de sympathie pour les Flandres, c'est ce ministère qui est un obstacle à une solution favorable ! Non seulement il n'ose pas aborder, non seulement il n'ose pas résoudre la question, ni aucune question de ce genre ; mais lorsque l'opposition, oubliant toutes préoccupations de parti, vient à lui, lorsqu'elle prend l'initiative, c'est ce ministère, fatal aux Flandres plus encore qu'au reste du pays, c'est ce ministère qui repousse l'opposition libérale, qui nous refoule, qui combat nos propositions et en répudie les bienfaits.

(page 1576) M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, si la vivacité de la parole pouvait remplir les caisses de l'Etat, si la vivacité de la parole pouvait augmenter le crédit public dans les circonstances actuelles, à coup sûr nous aurions des ressources surabondantes, nous n'aurions même pas besoin d'examiner si les grands travaux qu'on préconise ne porteront pas préjudice aux recettes actuelles, nous aurions de quoi faire face à toutes les conséquences des dépenses quelque funestes qu'elles pussent être pour le trésor ; mais il n'en est pas ainsi ! Nous sommes en présence d'une question de chiffres et d'argent, cette question est essentiellement froide de sa nature.

L'honorable membre s'est arrogé le monopole des sentiments élevés. Pour lui, il n'est guidé ni par un intérêt de localité, ni par une considération électorale ; mais les adversaires de sa proposition sont mus par de mesquins intérêts de localité, par de mesquins intérêts électoraux. Du reste, il ne nous appartient pas de prononcer ; c'est le pays qui reste juge de nos débats, qui demeure seul appréciateur des motifs qui ont pu dicter les démarches en sens opposé ; c'est aussi à lui qu'il appartiendra d'apprécier la conduite que tient le gouvernement.

Messieurs, l'on n'a pas même reculé devant l'emploi de ce moyen que le ministre des travaux publics serait en contradiction avec nous, que nous aurions reçu hier un démenti aux paroles que nous avions prononcées dans la séance précédente. Il n'en est rien ; M. le ministre des travaux publics vous a fait connaître qu'il avait communiqué au conseil la déclaration qu'il se proposait de faire à la chambre, que dans son opinion personnelle le chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost était utile, que pour lui, il était décidé à prendre engagement de présenter la proposition de l'exécuter aux frais du trésor lorsque la situation financière le permettrait. Mais tout en admettant l'attitude prise personnellement par le ministre des travaux publics, le cabinet s'est réservé d'examiner ultérieurement la question. Il n'y a là aucune espèce de contradiction.

On a eu tort aussi d'exagérer les déclarations faites par mon honorable collègue dans la session précédente. Il n'avait pas alors comme aujourd'hui pris l'engagement de présenter le projet de loi pour l'exécution de ce chemin de fer. Seulement il avait promis d'examiner le fond de la question ; mais il n'avait pas promis qu'il y aurait une récolte abondante en Belgique et dans toute l'Europe, il n'avait pas promis qu'il n'y aurait pas de crise financière en Europe ; s'il avait pris un tel engagement, il eût été insensé. Ce sont là des circonstances qui dominent tous les engagements. La crise financière est réelle, personne ne peut le nier ; et cette circonstance seule prouve qu'il y aurait témérité de la part du gouvernement à s'engager dès aujourd'hui dans une dépense aussi considérable, qu'il y aurait témérité à lui de prendre l'engagement de faire exécuter à terme fixe un travail d'une si grande importance ; aussi ces engagements, je le dis de nouveau, nous (page 1577) ne les prendrons pas. En ceci nous resterons conséquents avec nous-mêmes. L'an dernier, on réclamait la réforme parlementaire, l'augmentation du nombre des représentants et des sénateurs ; malgré toutes les réclamations, nous nous sommes refusés à prendre un engagement. Le seul engagement que nous avons pris, qui a été tenu, était de faire le recensement de la population, loyalement, en temps opportun, pour que le pouvoir législatif pût prononcer. Mais de ce que nous n'avons pas pris l'engagement de présenter un projet de loi, il ne s'ensuit pas que notre intention fût de ne pas en présenter.

Je dirai même que déjà notre intention était de présenter ce projet ; mais nous savions qu'il y aurait imprudence à l'annoncer d'avance ; de telles déterminations ne se font connaître que quand on veut les mettre à exécution. Aussi le temps étant venu de pouvoir faire cette nouvelle répartition et d'augmenter la représentation nationale, nous n'avons pas hésité à vous faire part de notre détermination qui a été immédiatement suivie de la présentation d'un projet de loi.

Messieurs, les leçons de l'expérience sont bonnes en toute chose. Si, il y a quelques années, on eût entamé le projet qu'on soutient avec tant de vivacité aujourd'hui, comment la proposition eût-elle été accueillie ? Par un rejet à la presque unanimité. L'expérience a marché, elle a apporté à l'appui de ce projet des arguments favorables. Mais puisque le moment de nous prononcer utilement n'est pas arrivé, réservons notre détermination.

Qui peut nous répondre que si aujourd'hui vous adoptiez l'amendement proposé, la législature prochaine se trouverait à même de créer les ressources nécessaires pour exécuter de semblables travaux, que des événements inattendus ne viendraient pas troubler notre situation financière ?

Mais, nous dit-on, il existe des moyens de nous procurer des fonds ; il n'est pas nécessaire de recourir maintenant à un emprunt général destiné à rembourser les bons du trésor, payer les travaux à faire à la Meuse, la construction du chemin de fer d'Alost et les travaux à faire dans la Campine. Pour le chemin de fer d'Alost, vous pouvez conclure un emprunt séparé à des conditions spéciales. Une telle observation n'aurait pas dû sortir de la bouche d'un ancien ministre. On ne contracte pas des emprunts isolés à des conditions spéciales quand on est en présence d'un grand emprunt à faire. Dans de pareilles circonstances on réserve la situation de ses finances, on ne porte pas atteinte au crédit de l'Etat.

Nous disons que l'amendement est non seulement prématuré au point de vue financier, mais que, constitutionnellement parlant, il ne peut pas recevoir d'exécution. Serait-ce sur une allocation de 275,000 fr., sans être certain que vous pourrez donner suite au projet, que le gouvernement pourra décréter l'expropriation pour cause d'utilité publique ? Il ne suffit pas de reconnaître que le projet est utile en lui-même pour décréter l'expropriation, il faut avoir les ressources nécessaires pour son exécution ; jusque-là, on ne peut pas, constitutionnellement parlant, déposséder les propriétaires.

Sans doute, messieurs, je reconnais que les tribunaux ne seraient pas admis à contester la validité de l'arrêté royal qui décréterait la construction du chemin de fer ; mais je dis que cet arrêté ne serait pas fondé en raison, ne serait pas dans l'esprit de notre constitution

Messieurs, on a si souvent parlé de la nécessité de consulter le pays légal, le pays des électeurs, soit par la dissolution de la chambre, soit par le renouvellement par moitié et par l'augmentation du nombre des représentants et des sénateurs ! Mais la chambre future ne sera-t-elle pas en droit de considérer en quelque sorte comme un empiétement sur ses prérogatives des discussions de cette nature ? Vous voudriez engager la législature future aux travaux du chemin de fer d'Alost. Laissez, messieurs, la législature future le soin de prendre les deux mesures qui sont nécessairement corrélatives, les moyens de faire face à la dépense et le droit de décréter la dépense.

M. Delehaye. - Vous nous faites examiner les budgets de 1848.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Et quand vous auriez décrété 275,000 fr. pour le chemin de fer direct d'Alost, pensez-vous que la législature soit obligée, par votre vote, de donner suite au projet que vous aurez décrété en anticipant en quelque sorte sur ses attributions ?

Les budgets ! dit-on, mais ce n'est pas un argument sérieux. Les budgets doivent toujours être votés avant l'ouverture de l'exercice ; la loi de comptabilité le prescrit de la manière la plus formelle. Mais ceci est une dépense tout à fait en dehors des voies ordinaires. Il s'agit ici d'imposer à la législature future l'obligation de contracter un emprunt dans le double but de l'exécution du chemin de fer d'Alost et de la canalisation de la Meuse.

On a parlé travail, et véritablement, messieurs, il y aurait eu de quoi être ému en entendant les paroles chaleureuses de l'honorable préopinant. Mais en réalité le peuple travailleur serait singulièrement surpris de voir le résultat de l'adoption d'un crédit de 275,000 fr. destiné en premier lieu à l'acquisition des terrains, même insuffisant pour l'acquisition des terrains.

M. Delehaye. - Pardonnez-moi ; voyez les devis.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Admettons que cette somme soit suffisante, qu'il y ait même un léger excédant. Sans doute, à la suite du discours chaleureux que nous avons entendu, le peuple travailleur, s'il lit nos débats, devrait croire que désormais le travail ne doit plus lui manquer, et s'adressant au gouvernemental recevrait pour toute réponse : Les 275,000 fr. ont dû être employés à l'acquisition de terrains ; du travail, nous n'en avons pas à vous donner ; nous attendons que les chambres votent un emprunt, que les capitalistes nous prêtent de l'argent. Voilà la réalité des faits devant laquelle disparaît la fantasmagorie des images.

M. de Naeyer. - Il y aura 100,000 francs pour donner du travail.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Des travaux, messieurs, nous vous en avons demandé autant que la situation financière de l'Etat le permettait. Ces travaux sont en cours d'exécution. Mais décréter des travaux sur le papier sans y joindre des moyens financiers, c'est tromper le public.

Messieurs, il y a autre chose à considérer. Il ne faut pas alarmer le pays par des déterminations aussi promptes, aussi brusques. Il ne faut pas laisser croire au pays que les intérêts financiers ne sont pas mûrement pesés par les représentants. Et ici qu'il me soit permis de le dire, le premier devoir d'une chambre des représentants, c'est de mûrir le vote des dépenses. C'est dans ce but que s'introduit ordinairement le régime constitutionnel ; le premier pas dans la voie du système représentatif, c'est le contrôle de la dépense, parce que le pays qui doit la solder au moyen des contributions, lorsque la dépense n'est pas suffisamment productive, a besoin d'une garantie.

Non, messieurs, il ne faut pas que le trésor fasse les frais de nos luttes parlementaires. L'intérêt bien entendu du trésor qui est ici le même que l'intérêt de l'Etat, que l'intérêt des contribuables, doit être seul consulté.

Il y a eu des assertions contraires sur les avantages et sur les inconvénients du chemin de fer dont il s'agit. Pour nous, quoique nous soyons personnellement, ainsi que je l'ai déjà dit, favorablement incliné vers l'opinion de construire ce chemin, cependant nous le répétons, nous ne voulons pas prendre d'engagement dans ce moment. Nous n'avons pas assez examiné les conséquences financières de ce grand projet, et il était inutile de nous livrer dès ce moment à un examen approfondi, à une discussion préalable suffisamment garantissante des intérêts du trésor, parce que dans ce moment les ressources manquent. C'est pour cette raison bien simple, que, quelle que fût notre conviction, dans les circonstances présentes, nous nous serions toujours abstenu de vous présenter un projet de loi.

Mais, dit-on, si vous n'avez pas de ressources, si vous ne pouvez contracter immédiatement un emprunt, livrez ce chemin de fer à la concession. Vous avez bien livré déjà d'autres lignes à la concession. Messieurs, la comparaison manque de justesse. Il s'agit ici d'une ligne totalement latérale au chemin de fer par Termonde. C'est ici une position toute nouvelle et qui ne permet pas, il faut en convenir, le système des concessions ; car il n'est pas à prévoir que l'on puisse nous présenter une demande de concession qui fût suffisamment garantissante des intérêts de l'Etat, de l'exploitation de la ligne latérale.

Et la faiblesse du gouvernement ! Oh ! ce grief devait nécessairement être exploité. Et pourquoi ? Parce que le gouvernement a la fermeté suffisante pour ne pas acquiescer à des demandes intempestives, inopportunes. Si c'est de la faiblesse, nous nous en félicitons.

Messieurs, en terminant, nous déclarons que nous voterons contre l'amendement de l'honorable M. d'Elhoungne...

M. Castiau. - En faites-vous une question ministérielle ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Nous disons que nous eussions demandé le renvoi de cet amendement en sections, si l'on eût renvoyé également en sections l'amendement relatif à la Meuse. Mais puisqu'il n'en est pas ainsi, il ne reste plus qu'un vote au fond.

Toutefois, messieurs, le rejet de cet amendement, si tant est qu'il ait lieu, ne préjugera en aucune manière la question ; la question restera tout aussi entière que si elle n'avait pas été posée devant cette chambre ; son rejet n'importera aucun préjugé dans l'opinion du gouvernement.

On nous demande si c'est une question ministérielle. Messieurs, je le déclare franchement : non, ce n'est pas une question ministérielle. (Interruption.) Le ministère serait insensé s'il livrait en quelque sorte la situation politique à une coalition d'intérêts locaux à laquelle viendrait se joindre une coalition politique. Quand on voudra faire une question ministérielle, que l'on ait le courage de l'articuler franchement à la chambre ; qu'on lui propose de déclarer que le ministère a perdu sa confiance ; alors le pays saura à quoi s'en tenir, et il n'y aura plus de doute possible.

M. le président. - La parole est à M. Rogier.

M. d’Hoffschmidt. - Je l'ai demandée pour un fait personnel.

Plusieurs membres. - Il n'y a pas de fait personnel.

M. d’Hoffschmidt. - Tout à l'heure, l'honorable M. de Mérode nous a accusés de précipiter les finances de l'Etat vers leur ruine. Je n'avais pas d'abord compris que cette accusation s'adressait à moi. Mais M. le ministre de l'intérieur vient de répéter une accusation à peu près semblable, en me désignant, je crois qu'il y a là un motif bien suffisant pour demander la parole pour un fait personnel.

Je commencerai par répondre à l'honorable M. de Mérode.

L'honorable comte, quand on n'est pas de son avis, a l'habitude de vous donner des qualifications à sa manière ; et il vous accuse ni plus ni moins que de ruiner l'Etat. Je dis d'abord que je ne reconnais pas à l’honorable comte de Mérode l'autorité nécessaire, dans celle question pour justifier de pareilles accusations. Je lui demande, je le somme même de justifier l'accusation portée contre nous.

(page 1578) Est-ce pendant mon ministère que j'ai pris des mesures destinées à ruiner les finances de l'Etat ? Est-ce dans les discours parlementaires nue j'ai prononcés depuis quelques jours ?

M. de Mérode. - Oui.

M. d’Hoffschmidt. - Oui, dit-on. Eh bien ! nous allons examiner la question.

Plusieurs membres. - Ce n'est plus le fait personnel.

M. le président. - Bornez-vous au fait personnel.

M. d’Hoffschmidt. - Je demanderai à M. le comte de Mérode, et je suis tout à fait dans le fait personnel, de dire si c'est pendant mon ministère que j'ai pris les mesures qu'il a qualifiées.

M. de Mérode. - Je n'ai pas parlé de votre ministère, mais j'ai parlé de vos derniers discours.

M. d’Hoffschmidt. - Eh bien, je dois donc revenir sur mes derniers discours.

Qu'ai-je fait pour mériter ce reproche aussi irréfléchi qu'injuste ? J'ai appuyé la construction d'un chemin de fer de Bruxelles à Gand, chemin de fer que même les adversaires reconnaissent utile, reconnaissent une mesure d'équité.

Mais, messieurs, ce reproche que vient de me faire M. le comte de Mérode, il tombe d'aplomb sur M. le ministre des travaux publics et même sur tout le ministère entier. Car il ne nie pas le moins du monde, il n'oserait pas le nier, que ce chemin de fer doit être construit.

D'ailleurs l'honorable comte de Mérode part d'une supposition qui n'est pas du tout démontrée. Il part de cette supposition que la construction de ce chemin de fer serait une mauvaise spéculation, que ce serait dilapider les finances de l'Etat.

Mais par quels moyens justifie-t-il une pareille assertion ? Il la justifie par des chiffres, mais par les chiffres qu'a présentés l'honorable M. Osy. Mais à ces chiffres de l'honorable M. Osy n'avez-vous pas à opposer d'abord les chiffres puisés dans un document, le seul qui ait été produit par le gouvernement, le document d'un ingénieur habile, que l'on reconnaît avoir fait une étude approfondie de la question ? N'est-ce pas dans ce document que nous devons d'abord chercher à puiser notre conviction ? Si quelques membres émettent une opinion contraire, mais d'autres membres ont justifié de la manière la plus claire aussi les avantages, au point de vue financier, de la combinaison projetée, et entre autres l'honorable M. de Naeyer qui certes a examiné à fond la question. (Interruption.)

Plusieurs membres. - Ce n'est pas là un fait personnel.

M. d’Hoffschmidt. - On dit que c'est dans mes discours qu'on a puisé l'accusation, il doit m'être permis d'y répondre.

M. de Mérode. - Je pourrai aussi répliquer pour un fait personnel.

M. d’Hoffschmidt. - Dans tous les cas, l'honorable M. Rogier me dit qu'il veut bien me céder son tour de parole.

M. Rogier. - Si l'on s'oppose à ce que l'honorable M. d'Hoffschmidt continue, je lui cède mon tour de parole.

M. le président. - Dans ce cas, la parole sera continuée à l'orateur, et M. Rogier prendra le tour de M. d’Hoffschmiddt.

M. d’Hoffschmidt. - J'ai signalé dans d'autres discours, et je prie la chambre de croire que je n'y mets aucune passion, aucune animosité, je n'ai aucun intérêt dans la question ; j'ai signalé des dépenses qui devaient nécessairement être faites, des travaux qui devaient être exécutés. Mais n'ai-je pas rempli un devoir ? Ces dépenses, est-ce moi qui les ai créées ? Est-ce qu'en fermant les yeux sur ces dépenses, elles disparaîtront ? Ne vaut-il pas mieux les signaler, les prévoir, pour que le pays puisse s'y préparer ? Voilà, je crois, comment on rend de véritables services à la nation, et non en faisant des phrases banales et inutiles en faveur des contribuables. On fait plus de tort au pays en déniant des faits tels que ceux-là, qu'en faisant connaître les dépenses obligatoires auxquelles il faudra faire face. Et qu'on me permette de demander sur quelques-unes l'opinion de l'honorable préopinant.

Le canal de Schipdonck, est-on d'intention, oui ou non, de l'achever ? Est-ce que l’honorable M. de Mérode lui-même refusera l'allocation nécessaire pour terminer ce canal, pour lequel vous n'avez voté à peu près que la moitié des fonds ?

La deuxième section du canal de Zelzaete, dont la construction est maintenant commencée, est-ce que vous refuserez les fonds pour l'achever ? Nécessairement non.

Est-ce moi qui suis venu signaler l'urgence de construire le canal d'Herenthals ? C'est M. le ministre des travaux publics lui-même, c'est l'organe du gouvernement qui vous a signalé cette urgence. Vous voyez donc que vos reproches tombent, non pas sur moi, mais sur le gouvernement lui-même.

Les améliorations à la Meuse, les améliorations au cours de l'Escaut pour prévenir les inondations ! Mais l'honorable comte de Mérode vient de reconnaître que cette dépense était utile et nécessaire. Celles-là, il les appuiera lui-même. Est-ce moi qui les propose, qui les amène ?

M. de Mérode. - Il faut auparavant voter les voies et moyens.

M. d’Hoffschmidt. - Les stations, veut-on les terminer ? Le gouvernement en sent l'impérieuse nécessité, et je suis convaincu que l'honorable M. de Mérode lui-même votera les fonds pour des travaux aussi utiles.

M. de Mérode. - Quand vous me les donnerez.

M. d’Hoffschmidt. - Je déclare que je ne réponds plus à de continuelles interruptions.

Le matériel du chemin de fer ! Est-ce qu'il n'y a pas un intérêt, même au point de vue du trésor, à mettre notre matériel dans un bon état pour ne pas devoir repousser les marchandises qui viennent au chemin de fer ? N'y a-t-il pas la plus grande utilité à faire cette dépense ?

Est-ce que l'honorable comte de Mérode ne veut pas remplacer les billes et les rails défectueux ? Veut-on attendre qu'il y ait eu des catastrophes ? Je suis sûr que l'honorable comte de Mérode a trop d'humanité pour le vouloir.

M. de Mérode. - Si je pouvais répondre à tout cela, je le ferai. J'ai, du reste, répondu d'avance.

M. d’Hoffschmidt. - Et le crédit de 500,000 fr. pour la Campine ? Et celui de deux millions pour la société d'exportation ? Je ne pense pas que ce soit moi qui ai provoqué cette mesure à laquelle il est probable que M. de Mérode donnera aussi son assentiment.

M. de Mérode. - Je n'en sais rien.

M. d’Hoffschmidt. - Les hôtels que l'on va acquérir, rue de la Loi, et pour lesquels on doit créer des bons du trésor, je ne pense pas que ce soit moi qui ai pris l'initiative de cette acquisition, que d'ailleurs je ne désapprouve point.

Du reste, messieurs, j'ai exprimé ma conviction que le chemin de fer de Bruxelles à Gand ne serait pas une mauvaise affaire pour le trésor. Je permets à M. le comte de Mérode d'avoir une autre opinion, et je ne l'en blâme point. Je n'incrimine pas ses intentions, pourquoi vient-il suspecter les miennes ?

M. de Mérode. - Je n'ai pas parlé d'intentions.

M. d’Hoffschmidt. - L'emprunt, messieurs, qui est-ce qui en a proclamé la nécessité ? C'est encore l'organe du gouvernement, M. le ministre des travaux publics. Déjà, au sénat, il avait annoncé que très probablement le gouvernement serait amené à présenter un projet d'emprunt dans la session prochaine. Il nous l'a dit encore plus positivement ici il y a quelques jours. Dès lors, j'étais parfaitement dans mon droit lorsque j'ai parlé de ce projet. Quand le gouvernement sent la nécessité d'une mesure et qu'il l'annonce en quelque sorte officiellement aux chambres, est-ce que par hasard il serait défendu à un député de parler de cette mesure ? Est-ce parce qu'un membre de la chambre raisonne auprès un projet d'emprunt annoncé par le gouvernement, est-ce que pour cela c'est ce membre qui a provoqué les dépenses que cet emprunt doit couvrir ? Je crois, messieurs, en avoir dit assez sur ce fait personnel, et que j'ai suffisamment prouvé combien les reproches de l'honorable M.de Mérode ont été injustes et irréfléchis à mon égard.

Parlerai-je maintenant de ce qu'a dit M. le ministre de l'intérieur tout à l'heure ? Comment M. le ministre, qui n'a pas examiné la question depuis un an, n'a pas recherché si l'on pouvait recourir à une concession, lorsque son devoir le plus impérieux était de chercher à pourvoir aux besoins des malheureuses populations des Flandre, et M. le ministre viendra m'adresser des reproches parce que je plaide en faveur de ces populations et d'une communication si utile, reconnue utile par tout le monde et qui se fera nécessairement quand bien même le gouvernement s'y opposerait ! Comment, moi qui exprime ici une opinion consciencieuse, qui n'ai ici aucun intérêt électoral, provincial ou de coalition, c'est moi à qui l'on fait des reproches ! Eh bien, messieurs, de semblables accusations ne peuvent être considérées que comme, injustes et erronées, et je les repousse de toutes mes forces.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le spectacle de ces débats est nouveau à plus d'un titre. Le gouvernement constitutionnel, le vote des subsides par les représentants de la nation a été créé en vue de l'économie des deniers des contribuables. Ici, au contraire, que voyons-nous ? Pour la première fois depuis 1830, pour la première fois peut-être dans les pays constitutionnels, nous voyons le gouvernement accepter des luttes, de grandes difficultés, pour économiser les deniers des contribuables, pour ne pas engager prématurément le pays, au milieu des circonstances où nous nous trouvons, dans des dépenses dont personne parmi mes honorables adversaires eux-mêmes n'oserait mesurer sérieusement la portée.

Messieurs, le gouvernement est responsable en vertu de la Constitution ; mais la chambre, elle aussi, a une responsabilité devant le pays ; elle doit être jugée par le pays, elle doit comprendre que devant l'avenir elle aussi a une responsabilité morale immense. A elle, messieurs, de conserver, d'accord avec le gouvernement, la bonne et salutaire gestion de la fortune publique.

Et maintenant, messieurs, dans quelle voie entrons-nous ? Non seulement le gouvernement doit accepter une lutte pour économiser les deniers des contribuables, pour ne pas engager prématurément les finances du pays ; mais la chambre elle-même s'engage dans une voie fatale à l'avenir, fatale aux intérêts de la législature elle-même. Voici un budget des travaux publics qui paraît s’élever à la somme de 13 millions.

Vous y glissez un principe, puis un autre, et quand tous ce principes de dépenses sont posés dans le budget, vous venez déclarer que le budget des travaux publics, pour l'exercice 1847, est arrêté à la somme de 13 millions. Eh bien, cela n'est pas digne de la chambre, ce n'est pas de la franchise législative. Il faut mettre dans votre loi que le budget des travaux publies, pour l'exercice 1847, est arrêté à la somme de 30 ou de 40 millions, et quand vous aurez écrit cela dans votre loi, vous avez, envers le pays, envers les électeurs, envers les contribuables, un (page 1579) autre devoir à remplir, de dire comment vous couvrirez la dépense que vous avez décrétée. La loi de comptabilité le veut, et si elle ne l'avait pas dit, l'intérêt national l'aurait dit avant elle, il l'exige impérieusement.

On dit : Faites un emprunt ! et il semble que tout est terminé lorsqu'on a proclamé la nécessité de faire un emprunt ; mais d'abord, pour faire un emprunt, il faut non seulement des circonstances favorables, mais si on veut bien le faire, il faut n'en pas tant parler.

M. de Man d’Attenrode. - C'est cela.

M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est une première condition pour bien faire un emprunt. La deuxième condition est de n'en avoir pas absolument besoin, de ne pas vous être réduits vous-mêmes à la nécessité d'y avoir recours. (Interruption.) Ce que je dis est très sérieux, et j'en appelle à tous mes prédécesseurs, à quelque opinion qu'ils appartiennent.

En troisième lieu, messieurs, il ne faut pas l'enfler d'avance, et ici je m'associe pleinement à la critique qui a été faite, critique parfaitement parlementaire, parfaitement légitime, de l'opinion émise par l'honorable M. d’Hoffschmidt. Je suppose que la nécessité d'un emprunt soit reconnue par tout le monde pour couvrir l'arriéré, s'ensuit-il qu'il faille dresser un vaste catalogue de toutes les dépenses possibles ? Parce qu'un emprunt de 25 ou 30 millions serait nécessaire, faudrait-il l'accroître par des dépenses nouvelles jusqu'à concurrence de 90 millions ? Eh non, messieurs, c'est encore une fois là gâter sans nécessité une situation déjà fâcheuse.

Il faut encore, et ici je touche le point le plus important, il faut encore quand vous voulez contracter un emprunt, anticiper sur les ressources de l'avenir, que vous ayez au budget des voies et moyens les ressources nécessaires pour amortir l'emprunt et en payer les intérêts.

La question pratique est là.

Je le demande à chacun de vous, messieurs ; veuillez rappeler à votre souvenir toutes les discussions du budget des voies et moyens : lorsque, depuis plusieurs années, le gouvernement soutient que l'équilibre existe, qu'entendons-nous ? Que le pays marche à sa perte, qu'il y a un déficit effrayant.

Nous entendons encore attaquer comme odieux, comme impopulaires tous les impôts qui existent en Belgique. Mais lorsque la discussion du budget des voies et moyens est passée, tout est changé ; alors il semble que la Belgique n'a qu'à emprunter, qu'elle ne saurait trop emprunter et qu'elle ne doit pas s'occuper des moyens de payer l'intérêt des capitaux qu'elle empruntera. Eh bien, messieurs, la question ne change pas pour être discutée au mois de décembre ou au mois d'avril, la vérité est la même, à quelque époque de l'année qu'où la proclame.

Eh bien, je vous le dis avec conviction, quand vous aurez, au mépris de tous les antécédents parlementaires, posé incidemment dans le budget des travaux publics le principe d'une grande dépense, vous vous imposez l'obligation de voter des impôts nouveaux.

Qu'il me soit permis d'attirer l’attention de la chambre sur un autre côté de question.

J'ai peine à comprendre que sérieusement on puisse engager la chambre dans cette voie. Décréter le principe de grandes dépenses au moyen de crédits qu'on a appelés homéopathiques, cela n'est pas conforme à la dignité et aux droits de la chambre.

Qu'on me permette d'employer une image empruntée à la mythologie : la loi doit sortir de cette enceinte comme Minerve est sortie du cerveau de Jupiter, c'est-à-dire tout armée, complète, principe et moyens d'exécution.

Ce que vous faites n'est pas sérieux, n'est pas digne de la chambre. (Interruption.)

Je n'insulte personne ; je fais remarquer qu'il est conforme à nos institutions que la loi ne soit pas un principe abstrait ; mais qu'à côté du principe posé dans la loi se trouvent les moyens d'exécution de la loi. Cette observation n'a rien de blessant pour qui que ce soit, ni pour le corps auquel je m'honore d'appartenir. (Interruption.)

« Vous ne reculez pas, dit-on, devant les bons du trésor. » Tel est, je crois, le sens de l'interruption.

Nous avons été amenés successivement, à raison de la crise dans laquelle nous nous trouvons, à porter au-delà des limites d'une sage prudence, nos émissions de bous du trésor ; et lorsque la crise beige, la crise européenne renferme encore tant d'incertitudes, parce que nous avons émis beaucoup de bons du trésor, dans de telles circonstances, on veut poser le principe d'une émission nouvelle, en quelque sorte illimitée. Voilà la logique de mon honorable interrupteur.

Si pour parer à la crise alimentaire, pour compléter les travaux commencés, par exemple, pour ne pas laisser inachevé jusqu'au troisième étage l'entrepôt d'Anvers ; à raison de toutes ces circonstances en un mot, notre dette flottante est portée au-delà des limites que la prudence la plus vulgaire lui assigne, le gouvernement résiste à ce qu'on pose immédiatement, sans connaître le présent et l'avenir, le principe d'une dépense considérable. C'est parce qu'on a émis beaucoup de bons du trésor, qu'il faut être sobre d'émissions futures. Voilà la logique du gouvernement.

Messieurs, j'ai entendu avec une douloureuse surprise un honorable député de Gand nous dire que le cabinet actuel était un cabinet fatal aux Flandres. Ces paroles m'ont profondément touché, parce que je les crois profondément injustes. Je le demande à l'honorable membre lui-même. Depuis que la crise s'est manifestée dans les Flandres, est-il un cabinet qui ait plus fait, plus tenté pour les Flandres, qui ait abordé la question d'une manière plus large que le cabinet actuel ? Et combien de fois déjà n'avons-nous pas rencontré l'honorable membre, nous aidant à réaliser les améliorations que l'avenir réclame ! Combien de fois n'avons-nous pas eu son appui ! Nous l'espérons encore, pour compléter cette œuvre.

Mais, messieurs, le discours de l'honorable membre, sous ce rapport, contient lui-même sa réfutation. Parcourez, en effet, toutes les émissions de bons du trésor que l'honorable membre a citées, et demandez-vous si, surtout depuis cette crise, ce n'est pas presque exclusivement dans les Flandres que nous avons concentré toutes les ressources du budget...

Des membres. - C'est très vrai !

M. le ministre des finances (M. Malou). - Et quand, non contents d'avoir résolu la question actuelle, nous avons recherché en nous-mêmes, avec le concours des chambres, les améliorations durables, les améliorations d'avenir, on vient nous accuser d'être un cabinet fatal aux Flandres !

Si encore, au milieu de ces accusations, on indiquait des remèdes sérieux ; mais quels remèdes propose-t-on ? Une dépense de 275,000 fr., dont, de l'aveu de l'honorable M. de Naeyer, 175,000 sont destinés à l'acquisition de terrains...

Un membre. - Et l'affaire de la Dendre ?

M. le ministre des finances (M. Malou). - Il ne m'est pas démontré que l'affaire de la Dendre soit sauvée par ces 275,000 fr. Je concevrais qu'elle pût être sauvée, si, à côté de ce principe abstrait, vous décrétiez la construction du chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost ; mais par le vote qu'on vous demande, vous ne la décrétez pas

» Votre attitude, nous dit-on, est pitoyable dans cette discussion. »

Mais non, messieurs ; je m'honore de l'attitude que le gouvernement a prise dans cette discussion, et je vais en expliquer les motifs.

Dans un gouvernement comme le nôtre, dans un pays comme le nôtre, il y a de la popularité, de l'honneur, on a même dit quelquefois de la gloire attachée à des dépenses d'utilité publique ; il y a, au contraire, de très grandes difficultés dans la résistance à des intérêts locaux, à des intérêts provinciaux, à des intérêts même coalisés ; l'expérience de nos débats le prouve, une sorte d'impopularité est le partage d'un semblable rôle. Mais l'on n'est au pouvoir qu'à la condition de savoir braver l'impopularité, de savoir résister à ce qui n'est pas conforme aux véritables intérêts du pays, à ce qui ne se concilie pas avec l'ensemble des devoirs d'un bon gouvernement. Si l'on subit momentanément l'impopularité, on a du moins la consolation de recueillir la seule popularité à laquelle, en définitive, l'homme d'Etat puisse aspirer, la popularité de sa conscience.

- On demande la clôture.

M. Desmaisières (contre la clôture). - Je n'ai demandé la parole que pour expliquer en quelques mots les motifs du vote que je vais émettre sur la proposition de l'honorable M. d'Elhoungne. N'ayant pas encore pris la parole dans ce débat, je pense que la chambre sera assez bienveillante à mon égard, pour me permettre de motiver mon vote en deux mots.

M. Dedecker (contre la clôture). - Messieurs, déjà au début de la séance, j'ai fait remarquer que la proposition de l'honorable M. d'Elhoungne renferme réellement deux questions, la question du principe de la construction du chemin de fer direct, et la question du tracé ; personne n'a encore traité cette dernière question.

Eh bien, si la chambre devait, au mépris des habitudes, je dirai presque des convenances parlementaires, au grand détriment des plus graves intérêts du pays, passer outre et décider incidemment à l'occasion d'un article du budget, une des questions les plus importantes que nous ayons à décider dans l'ordre matériel, je demanderais qu'au moins on réservât la question du tracé.

M. de Haerne. - Je m'oppose à la clôture pour pouvoir dire aussi quelques mots dans cette discussion. Un nom honorable a été cité à plusieurs reprises dans cette discussion, celui de l'ingénieur Desart, qui n'est pas ici pour se défendre. J'ai fait une étude consciencieuse de son travail, et je crois pouvoir dire que dans ses évaluations il est resté en deçà plutôt qu'il n'a été au-delà de la vérité. Je désirerais pouvoir m'expliquer et exposer les motifs qui ont servi de base à ses conclusions, que j'appuie et auxquelles j'adhère. Voilà pourquoi je demande qu'on ne ferme pas la discussion.

M. Verhaegen. Je désirais motiver mon vote ; mais si la chambre est disposée à clore la discussion, je renonce à prendre la parole.

- La chambre consultée ferme la discussion.

M. le président. - Voici la proposition.

« Crédit pour acquisition de terrains, indemnités aux propriétaires, ouvrages d'art et revêtements de talus, compris dans la section d'Alost à Wetteren, du chemin de fer direct entre Bruxelles et Gand par Alost : fr. 275,000.

« Cette somme sera couverte, au besoin, par une émission de bons du trésor. »

M. Dedecker. - J'ai demandé la division ; la première partie à mettre aux voix s'arrêterait après les mots : e »ntre Bruxelles et Gand » ; les mots : « par Alost seront réservés ».

M. Delehaye. - Si ce n'est pas par Alost qu'on décrète un (page 1580) chemin de fer, il est inutile de rien voter, car pour un chemin, entre Bruxelles et Gand il en existe un, le chemin par Malines.

M. Dedecker. - On laisse dans la disposition les mots : « chemin de fer direct ».

Plusieurs voix : L'appel nominal.

M. d’Elhoungne. - Je m'aperçois que la division proposée est impossible ; car je propose de voter une somme pour l'affecter à l'exécution de la section d'Alost à Wetteren ; ce qui préjuge le passage par Alost.

M. Dedecker. - Je n'insiste pas.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition.

En voici le résultat :

74 membres répondent à l'appel.

37 membres répondent oui.

36 membres répondent non.

1 membre s'abstient.

En conséquence, la proposition est adoptée.

Ont répondu oui : MM. de Baillet, de Bonne, de Haerne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Meer de Moorsel, de Meester, de Naeyer, de Roo, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Fleussu, Goblet, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Manilius, Orts, Pirson, Rogier, Verhaegen, Veydt, Anspach, Cans, Castiau et Liedts.

Ont répondu non : MM. Dechamps, Dedecker, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, d'Huart, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Eloy de Burdinne, Fallon, Henot, Huveners, Lejeune, Malou, Mast de Vries, Mercier, Orban, Osy, Scheyven, Simons, Vanden Eynde, Vandensteen, Vilain XIIII, Wallaert, Biebuyck, Brabant, Clep et d'Anethan ;

M. le président. - M. Rodenbach, qui s'est abstenu, est invité à énoncer les motifs de son abstention.

M. Rodenbach. - Je n'ai pas voté contre l'amendement de l'honorable député de Gand, parce que constamment, dans cette discussion, j'ai appuyé les pétitions adressées à la chambre en faveur du chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost ; je n'ai pas pu appuyer cet amendement, parce que je crois que, dans un moment de crise financière européenne, son adoption peut nous entraîner à augmenter les impôts ; et je ne suis pas disposé, dans une situation aussi malheureuse que celle où nous nous trouvons, à écraser le pays de nouvelles charges.

- La séance est levée à 3 heures.