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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 20 avril 1847

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1518) M. A. Dubus fait l’appel nominal à une heure et un quart.

M. Van Cutsem lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus communique à la chambre l’analyse des pièces qui lui sont adressées.

« Le tribunal de première instance de Charleroy demande que le projet de loi qui tend à proroger le terme fixé pour la réduction de son personnel maintienne définitivement la seconde section de ce tribunal, crée une troisième section temporaire et élève ce tribunal de la troisième classe à la deuxième. »

M. Dumont. - Cette pétition étant relative à un projet de loi présenté à la chambre et soumis en ce moment à l'examen d'une commission spéciale, je demande qu'elle soit renvoyée à cette commission.

- Ce renvoi est ordonné.

M. le président. - A cette occasion je ferai connaître que M. Pirmez, retenu chez lui par une indisposition, a témoigné le désir d'être remplacé comme membre de cette commission spéciale. Satisfaisant à ce vœu, le bureau a remplacé M. Pirmez par M. Dumont.


« Le sieur Charlier, bourgmestre de Tilff prie la chambre de fixer dans cette commune le chef-lieu du canton de Beaufays. »

- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.


« Plusieurs officiers supérieurs en retraite prient la chambre de statuer sur leur demande tendant à obtenir le remboursement des retenues opérées sur leurs traitements. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres des administrations communales de Tubise, Quenast, Rebecq-Rognon et Sleenkerque demandent une loi qui autorise la concession à l'ingénieur Tarte d'un chemin de fer de jonction directe entre les provinces wallonnes et les Flandres, sauf à supprimer l'embranchement projeté entre Enghien et Hal et à décréter la construction d'un embranchement parlant des enviions de Sleenkerque, aboutissant à Tubise. » » - - i

M. Jonet. - Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics, et renvoyée ensuite à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Plusieurs habitants de Lokeren demandent que le projet de loi sur l'enseignement moyen contienne une disposition qui rende obligatoire, dans toutes les classes, l'enseignement de la langue parlée par la majorité des habitants de la province ; et qui prescrive que dans les provinces flamingantes, l'allemand et l'anglais soient enseignés au moyen de la langue flamande. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.

Projet de loi visant à la création d'une société d'exportation

Rapport de la section centrale

M. Desmaisières. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur l'amendement présenté par M. le ministre des affaires étrangères, au projet de loi relatif à la société d'exportation.

- Ce rapport sera imprimé et distribué, et mis à l'ordre du jour en même temps que le projet de loi auquel il se rattache.

Motions d'ordre

M. Delfosse. _ Le conseil communal de Flémalle-Haute a adressé deux pétitions à S. M. dans le but d'obtenir qu'il y ait un passage pour les piétons, sur le pont que l'on construit au val St-Lambert pour Le chemin de fer de Liège à Namur. S. M. a fait transmettre ces pétitions à M. le ministre des travaux publics. Mais M. le ministre n'a pas encore pris de résolution, bien que les pétitions aient une date ancienne ; du moins, il n'a pas encore donné de réponse. J'appelle son attention sur cette affaire, et je l'engage à s'en occuper le plus tôt possible.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - J'ai lieu de croire que le passage pour piétons qui est réclamé pourra être établi. Je pense pouvoir donner prochainement une solution en ce sens à la question.


M. Jonet. - Je demande la parole avant qu'on ne reprenne la (page 1519) discussion du budget des travaux publics, parce que ce que j'ai à dire ne s'y rapporte pas directement.

Je dois faire connaître à M. le ministre des travaux publics que la commune de Wavre est dans une grande inquiétude à l'occasion du chemin de fer du Luxembourg. D'après la loi du 8 janvier 1846, le chemin de fer du Luxembourg devait se réunir avec le chemin de Louvain à la Sambre, à Wavre où une station principale serait créée. Cette ville craint que cette station ne se fasse pas. Ce qui donne lieu à cette crainte, c'est qu'on fait des études à une lieue de Wavre, à Ottignies et Limelette et que les ingénieurs donnent à entendre que ce sera là que l'on fera la station.

Je pense qu'il n'en est rien. Mais je prierai M. le ministre des travaux publics de vouloir s'expliquer sur ce point ; car, si l'on établissait la station à Limelette ou à Ottignies, la ville de Wavre, qui a un commerce assez considérable avec Bruxelles, Perwez et tous les villages environnants, le perdrait indubitablement, et ce changement occasionnerait la ruine de cette ville, de plus de 6,000 habitants, qui payent à l'Etat près de 50,000 fr. d'impôts.

Je ferai une autre observation.

La commune de Perwez avait, en décembre dernier, présenté une pétition pour solliciter M. le ministre des travaux publics de faire construire la route de Wavre à Huy par Perwez. Cette pétition a été renvoyée à la commission des pétitions avec prière, à ma demande, de faire un prompt rapport.

La pétition a été renvoyée à M. le ministre des travaux publics. Je crois que M. le ministre n'a donné aucune suite à cette affaire, bien que la commune de Perwez eût désiré, comme beaucoup d'autres, pouvoir donner du travail à ses pauvres.

M. le ministre m'obligerait, s'il voulait me répondre sur ces deux points.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Les plans soumis jusqu'à présent à l'approbation du gouvernement par la société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg, ne s'étendent pas au-delà de Groenendael ; ils s'arrêtent donc en deçà de Wavre. Ce n'est que lorsque les plans du tracé jusqu'à Wavre et au-delà me seront soumis, que je serai en position de statuer sur la réclamation de la ville de Wavre.

Quoi qu'il en soit, je puis dire que le cahier des charges sera exécuté. Je considère comme un devoir de le faire exécuter, et je ne me crois pas le droit de m'en écarter en quoi que ce soit. Ce cahier des charges, étant une annexe à la loi, a la même force que la loi même.

En réponse à la seconde interpellation de l'honorable M. Jonet, je dirai que la route dont il a parlé n'a pas reçu jusqu'ici un commencement d'exécution, principalement à cause des difficultés financières. Cette route exigerait une dépense considérable et, notamment de la part du conseil provincial du Brabant, une intervention plus large que celle qui est offerte.

Cette difficulté a seule empêché jusqu'ici le commencement d'exécution des travaux.

Projet de loi portant le budget du ministère des travaux publics de l'exercice 1847

Discussion du tableau des crédits

Chapitre III. Chemin de fer

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de Man d'Attenrode.

(page 1533) M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, après avoir restitué au gouvernement le mandat de fonctionnaire qu'il avait bien voulu me confier dans l'administration, je fis usage de mes loisirs pour rechercher la cause des irrégularités fort graves dont la cour des comptes se plaignait dans ses cahiers d'observations avec cette persévérance que l'amour du pays seul inspire ; et ces plaintes concernaient surtout l'administration des travaux publics.

Je compris bientôt qu'il fallait, pour y porter remède, prendre les choses par leur base ; et je consacrai tout mon temps à l'étude de la comptabilité publique, et aux moyens de régler nos comptes arriérés. Je suis à peu près parvenu à mon but, grâce à votre bienveillance.

Maintenant je reprends la discussion du budget des travaux publics, je reprends la position que j'avais abandonnée à la suite de la discussion intervenue en 1844.

Le coût total de la construction et de l'établissement des chemins de fer de l'Etat, en y comprenant toutes les sommes payées pour intérêts, amortissement, et frais de toute espèce des emprunts alloués, s'élevait au 1er janvier 1846 à 213,486,052 fr. 56 c.

C’est du compte rendu des opérations de l'exercice 1845, publié au commencement de la session par M. le ministre des travaux publics, que j'extrais ce renseignement.

D'après le même rapport, le montant des capitaux qui restaient dus au 31 décembre 1845 était de 162,119,095 fr. 88 c.

En calculant les intérêts de cette somme à 5 p. c. le trésor est chargé, de ce chef, de subvenir à une dépense annuelle d'environ 8,000,000 fr.

Les frais d'exploitation sont portés au budget de 1847 pour 7,554,050 fr.

Les chemins de fer sont donc pour le trésor belge l'objet d'une dépense annuelle de 15,554,050 fr.

Leur produit présumé étant porté au budget des voies et moyens pour une somme de 13,900,000 fr., la dépense qu'occasionnent les chemins de fer au trésor est donc de 1,654,050 fr.

Plusieurs membres. - C'est une erreur ; la recette présumée de l'exercice 1847 est de 15,646,000 fr.

M. de Man d’Attenrode. - Le chiffre de la recette que je viens de produire est extrait du budget des voies et moyens de 1847, c'est sur ce chiffre que je devais baser mes calculs. Le chiffre de 15,646,000 fr. est le résultat de nouvelles estimations portées au budget de 1848, me dit-on. Je vous avoue, messieurs, que je n'ai pas encore eu le loisir de le parcourir.

Je suis au reste heureux d'apprendre cette bonne nouvelle ; il en résulterait, si les dernières appréciations se réalisent, que la recette dépasserait les dépenses de 61,950 fr. Quoiqu'il en soit, nous ne sommes cependant pas encore dans les termes de la loi fondatrice des chemins de fer, de la loi du 1er mai 1834, car l'article 5 exige que les produits de la route provenant des péages, qui devront être annuellement réglés par la loi, servent à couvrir les intérêts et l'amortissement de l'emprunt, ainsi que les dépenses annuelles d'entretien et d'administration.

Je dis donc que les produits des chemins de fer ne sont pas encore ce que l'article 5 exige qu'ils soient, car ils ne contribuent pas à l'amortissement des emprunts qu'ils nous ont fait contracter.

Et je rappellerai ici que la chambre en adoptant, le 16 novembre 1841, le paragraphe suivant de l'adresse en réponse au discours du trône, a donné une nouvelle sanction à l'article 5 de la loi de 1834. Ce paragraphe fui adopté après une discussion assez vive ; le voici :

« Tout en applaudissant à cette grande œuvre nationale, la chambre accueillera avec empressement les mesures qui auront pour résultat d'empêcher que le chemin de fer ne soit désormais une charge pour le trésor. »

On me répondra, sans doute, que les recettes vont chaque année en augmentant. Cela est heureusement exact, et je m'avouerais satisfait, s'il ne s'agissait pas de dépenses autres que celles portées au budget, s'il ne s'agissait pas d'emprunts qui se renouvellent sans cesse, sous prétexte d'achever nos chemins de fer.

C’est ainsi que, pour faire construire du matériel, on nous demande à emprunter ; il est vrai qu'on a inventé un nouveau mot pour légitimer ces levées d'argent ; on nous dit que c'est pour l’ « extension » du matériel. Il me semble que les produits des chemins de fer devraient subvenir à l'avenir à la construction du matériel ; au reste, qu'est-ce qui nous garantit que ces capitaux ne sont pas employés pour remplacer le matériel ?

Il en est de même du fer et du bois, destinés au doublement des voies et pour lesquels nous avons voté des bons du trésor. Qu'est-ce qui nous garantit que ces billes et ces rails ne servent pas au renouvellement des lignes établies ? Rien ne nous le garantit, et j'ai d'autant plus lieu d'être défiant à cet égard, que la cour des comptes s’est plainte mainte fois, que les fonds spéciaux, ceux des emprunts contribuaient à l’entretien ; qu’il y avait confusion entre les fonds de la construction et ceux de l’exploitation

Au reste, ce que sera la dépense de l'entretien et de l'exploitation, quand notre chemin de fer sera obligé de se passer de l'appui si commode des emprunts, de marcher seul, c'est ce que je ne me charge pas d'établir, c'est ce que le gouvernement lui-même serait embarrassé peut-être de nous dire.

Je. dirai donc, messieurs, que les demandes d'emprunt se renouvellent sans cesse.

Déjà le chiffre du dernier compte rendu, que je viens de citer, se trouve augmenté d'un emprunt ou bons du trésor, volés par nous, le 13 août dernier, s'élevant à 3,712,960 fr. ; et je vous ferai remarquer que chaque fois que le gouvernement nous propose un emprunt pour les chemins de fer, il nous dit, par manière d'encouragement, pour ne pas nous effrayer : C'est le dernier. Il nous a tenu ce langage à propos de l'emprunt du 26 juin 1840 ; à propos de celui du 29 septembre 1842 ; à propos de celui du 13 avril 1843. Et il est probable qu'il nous a encore dit : C'est le dernier ! en nous demandant les bons du trésor, votés en août 1846 !

Maintenant on cherche à nous apprivoiser de nouveau et petit à petit avec l'idée d'un nouvel emprunt ; les uns l'estiment à 12 millions, d'autres à 15 ; quelques-uns vont jusqu'à nous taxer à 20 millions.

Quoi qu'il en soit, et j'espère, messieurs, que vous serez de mon avis,. si cet emprunt nous est proposé, comme cela paraît inévitable, tachons de faire en sorte que ce soit au moins le dernier.

Accordons au gouvernement ce qui est nécessaire pour achever, parachever, mais, pour le coup, que ce soit la clôture ; fermons, je vous en prie, la porte aux emprunts.

Ainsi, il ne suffira pas de voter cet emprunt pour qu'il soit le dernier ; il faudra encore exiger les justifications les plus précises pour en avoir l'assurance. Et je le déclare ici, comme le passé me donne le droit d'être défiant, il faudra, afin d'éviter les déceptions, il faudra faire contrôler sur les lieux les justifications produites par l'administration, par des hommes étrangers à l'administration, par une commission d'enquête.

Je désirerais que cette commission nous fît un rapport sur la situation du matériel de la locomotion et sur celles de nos lignes de fer, après s'être, bien entendu, assurée sur les lieux mêmes de leur état.

Je voudrais que vérification fût faite de l'état et du nombre de ce matériel, que cette vérification se fît simultanément sur les diverses lignes, afin de s'assurer de son existence.

Il serait utile de vérifier l'état des rails et des billes, d'en faire lever, afin de connaître si tous les tonneaux de fer, que nous avons payés, nous ont été réellement fournis.

Je vous avoue que je ne suis pas sans arrière-pensées à cet égard. Je pense, messieurs, que ce n'est qu'à cette condition que nous éviterons de nouveaux mécomptes, et je le dis dès à présent, si je n’obtiens pas des garanties suffisantes, bien certainement je ne voterai pas cet emprunt.

J'oubliais une observation qui aurait dû trouver sa place. Après avoir parlé de ce que devaient être les produits du chemin de fer, il me semble qu'il est grand temps que le gouvernement présente un projet de loi destiné à régler les tarifs. D'après la loi du chemin de fer, d'après la loi de 1834, ce tarif devait être voté annuellement par la législature. Depuis lors, afin de permettre au gouvernement de faire des essais, il a été autorisé à l'établir à sa guise.

Il y a quelques années, une commissions dite des tarifs lui avait été adjointe afin de l'aider de ses lumières. Cette commission a cessé de fonctionner depuis longtemps, et il me semble que le gouvernement doit avoir acquis maintenant une expérience suffisante pour pouvoir présenter un projet de loi qui tende à fixer enfin les tarifs des voyageurs et des marchandises. Je recommande à M. le ministre des travaux publics cet intérêt, et j'espère qu'il présentera incessamment le projet de loi.

Je passe à l'objet qui est plus spécialement en discussion, à la demandé d'un crédit de 7,554,050 francs destiné à l'entretien et au service ordinaire de l'exploitation des chemins de fer.

Je vous dirai, messieurs, ma pensée bien franche, ma pensée tout entière. Je me propose de traiter des matières plus ou moins délicates, parce que, bien que mon intention soit de ne m'occuper que des choses, il est impossible d'éviter, autant qu'on le désirerait, des applications personnelles. Cela est pénible et regrettable, mais je déclare dès à présent que je ne connais pas les administrateurs ; je les tiens tous pour honnêtes, zélés, dévoués au gouvernement, tant que je n'aurai pas la preuve contraire. J'attaque seule l'organisation ; je n'ai nullement l'intention d'inculper les personnes.

Pour déterminer un député consciencieux à voter une somme aussi considérable, pour nous déterminer à confier un crédit aussi important à quelques hommes, il faut de la confiance et, messieurs, cette confiance exige, vous en conviendrez, certaines garanties. On a beau estimer le chef d'un département, il n'en est pas moins vrai, cependant, qu'il faut que le chef de ce département soit entouré de certains gages de bonne administration pour remplir convenablement sa mission et pour commander ainsi la confiance qu'il doit chercher à nous inspirer. Je me suis demandé quelles étaient les garanties que nous avions le droit d'exiger pour remplir convenablement notre mandat. Ces garanties, messieurs, sont d'abord la preuve, la certitude, que les fonds que nous avons alloues précédemment ont reçu un emploi utile, afin de justifier les votes de confiance que nous avons accordés précédemment.

La deuxième garantie, messieurs, est un état détaillé des services auxquels le gouvernement se propose de consacrer les fonds qu'il nous demande. Cet état détaillé, c'est le budget.

(page 1534) Quelle est, en troisième lieu, la garantie que nous avons encore droit d'exiger ? C'est une administration, un personnel dont les tendances soient de ménager les intérêts du trésor public, dont les tendances soient de ne pas prodiguer les deniers des contribuables.

Ce qu'il faut ensuite, c'est un chef ayant les moyens administratifs nécessaires pour tenir avec assurance et fermeté les rênes de son administration.

Voyons maintenant si la concession du crédit qui nous est demandé, est entourée des garanties qui commandent la confiance, une confiance suffisante, pour me permettre de voter ce crédit sans inquiétude, sans arrière-pensée.

Je disais, messieurs, que la première garantie était le compte rendu détaillé de l'emploi des fonds qui ont été votés précédemment. C'est ce qu'on appelle le compte des ministres. Eh bien, ces comptes n'ont jamais été produits. La loi de comptabilité a prescrit, il est vrai, au gouvernement, le dépôt de ces comptes, et je suis certain que, pour l'avenir, ces comptes nous seront fournis. Mais quant à l'époque à laquelle ces comptes seront présentés, c'est au ministre des finances qu'il faut le demander. Il dépend de l'honorable M. Malou de hâter l'époque où nous pourrons obtenir cette garantie, et cela parce que, par un article de la loi de comptabilité, nous lui avons abandonné la fixation de l'époque à laquelle les divers articles de cette loi seront rendus applicables.

Quant à la seconde garantie, c'est-à-dire quant à l'état des dépenses futures auxquelles le gouvernement se propose d'appliquer le crédit qu'il nous demande, cet état se composait autrefois d'un seul article global. Je fis des réclamations, il y a quatre ans, et je conviens que le gouvernement a fait un pas. Cet article global s'est transformé en quatre articles. Le gouvernement a fait encore un pas depuis ; maintenant le chapitre des chemins de fer est partagé en treize articles. Je crois que l'honorable M. d'Huart y est pour quelque chose ; je me rappelle que dans la session de 1843, si je ne me trompe, l’honorable membre me prêta son concours pour amener ce fractionnement.

Bien que le budget soit fractionné en treize articles, il offre encore des articles dont l'application, à cause de leur importance, présente encore assez peu de garanties. J'aurais désiré une subdivision encore plus grande, afin d'obtenir un contrôle plus réel. J'ai dans ce but demandé les conseils de l'honorable rapporteur, dans lequel nous avons une confiance, qu'il mérite à tant de titres ; et il m'a déclaré que le budget du chemin de fer ne pouvait être fractionné davantage, en un plus grand nombre d'articles qu'il ne l'était, parce que l'exploitation du chemin de fer devait être considérée comme une entreprise commerciale. J'avoue que je n'ai rien eu à redire à cette objection.

En effet, si le chemin de fer est une affaire commerciale, et j'ai lieu de le croire, il est impossible d'exiger un trop grand fractionnement, qui lierait par trop la liberté d'action de ceux qui sont chargés de sa direction.

J'ai donc été obligé de renoncer à la garantie d'un fractionnement plus étendu des articles du budget du chemin de fer.

Quels étaient donc les éléments de confiance qui me restaient à invoquer ? Il ne me restait plus qu'à demander des garanties au personnel qui est chargé de diriger cette affaire commerciale. Ce personnel exige donc une très grande confiance, une confiance plus qu'ordinaire.

La question donc qui se présente naturellement est celle-ci : Le personnel chargé de la direction des chemins de fer offre-t-il toutes les garanties nécessaires pour remplir la mission délicate dont il est chargé, d'une manière avantageuse pour le pays ? Offre-t-il les éléments d'une gestion économique, condition indispensable, personne ne le contestera, pour faire prospérer cette entreprise commerciale ?

Je pose ensuite cette autre question, comme conséquence de la première : Le ministre des travaux publics est-il-entouré de conseils capables de l'éclairer d'une manière impartiale et indépendante, et de lui donner une force, une autorité suffisante pour rendre sa tâche facile et son action efficace ?

Messieurs, je le dis sans détour, on est porté à craindre que non, quand on consulte les longues discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte, pendant les sessions de 1842,1843 et 1844.

Je me suis imposé la tâche de parcourir ces discussions avec soin, et voici comment se sont résumés ces débats : On voulait surtout la réduction des dépenses, l'on croyait en général que l'on ne parviendrait à obtenir des améliorations nombreuses et indispensables, un système d'administration économe et avantageux pour le trésor, qu'en associant au ministre des travaux publics un comité composé d'hommes zélés, dévoués aux intérêts publics et d'une intégrité à toute épreuve, dont la mission serait de l'éclairer.

De plus, n'est-on pas encore fondé à croire que le personnel ne présente pas des garanties d'économie, quand on parcourt les cahiers de la cour des comptes, de ce corps que nous avons chargé de veiller sans cesse, parce que nous ne siégeons pas toujours ici, à ce que les crédits que nous votons soient employés d'une manière avantageuse, et d'après les prescriptions légales ?

Enfin, le ministre des travaux publics exerce-t-il sur ce personnel une influence suffisante ? Lui imprime-t-il l'impulsion qu'il doit avoir puisée dans nos discussions ? Les documents nécessaires pour éclairer la marche de son administration sont-ils produits à son département à l'administration centrale ?

Je suis encore fondé à penser que non, et je suis porté à le croire, si je consulte les actes mêmes du gouvernement.

Le résultat des discussions de 1842, 1843 et 1844, était donc l'expression du désir qu'un comité composé d'hommes éclairés, indépendants, dévoués aux intérêts publics, fût adjoint au ministre.

Un an après, le 1er mars 1845, l'honorable M. Dechamps, alors ministre des travaux publics, rendit sans doute pour satisfaire à cette expression, un arrêté qui avait pour but de lui assurer un contrôle sérieux, un contrôle direct sur la direction des chemins de fer. Mais cet arrêté est resté lettre morte, il est resté enfoui dans les colonnes du Moniteur ; je l'y ai découvert par hasard, je l'en ai exhumé afin d'aider à lui procurer l'existence que le gouvernement lui destinait.

Je vais vous lire un des considérants de cet arrêté ; il vous prouvera que le gouvernement reconnaît lui-même que son action n'était pas suffisante. Voici ce considérant :

« Considérant, d'un autre côté, qu'il importe de renforcer l'action du département par une intervention plus large dans les opérations de contrôle et de surveillance, et par l'institution d'un conseil permanent des chemins de fer ; arrête :

« Art. 1er. Le service des chemins de fer au département des travaux publics, est réparti en deux divisions, savoir, etc.

« Art. 5. Un conseil permanent des chemins de fer est institué au département des travaux publics.

« Art. 6. Ce conseil est composé, etc. »

Ainsi, messieurs, comme vous le voyez, un des prédécesseurs de M. le ministre des travaux publics avançait, en 1845, que son intervention était insuffisante. Que fait-il pour rendre cette intervention suffisante ? Il prend un arrêté pour la renforcer, au moyen d'un changement d'organisation dans les rouages de son administration et par la création d'un conseil permanent du chemin de fer. Vous dire la cause qui s'est opposée à la mise à exécution de cet arrêté, c'est ce que je ne pourrai faire, parce que je l'ignore.

Un obstacle inconnu tout-puissant sans doute a empêché l'exécution de cet arrêté, car, comme je l'ai dit tout à l'heure, il est resté inconnu, sans exécution.

L'honorable M. de Brouckere n'avait-il pas raison, dans la séance du 13 août dernier, de tenir le langage suivant : « Je vais vous dire toute ma pensée, disait cet honorable membre. M. le ministre des travaux publics, comme quelques-uns de ses prédécesseurs, subit l'influence d'une administration qu'il devrait diriger. J'ajouterai que, selon moi, la chambre rendrait un véritable service non seulement au pays, mais au ministre des travaux publics lui-même, en le rendant un peu plus fort contre cette administration, qui devient trop puissante, et qui se croit omnipotente ».

En 1843, voici le langage que tenait l'honorable M. Rogier : « A tort ou à raison la direction des chemins de fer passe pour absorber toute l'administration, l'absorber en dessous, l'absorber même en dessus. »

Et l'extrait suivant, que j'ai fait dans un cahier de la cour des comptes, vient prêter son appui à l'opinion émise par ces honorables membres :

« Une autre grave irrégularité, dit la cour dans un de ses cahiers d'observations, c'est que les travaux imprévus ont été exécutés sans devis préalable, et il faut dire même sans que l'autorité supérieure les ait autorisés. Les travaux dits imprévus, se font d'après les ordres des ingénieurs, dans les proportions qu'ils jugent nécessaires. Le devis est dressé après leur exécution ; un état de réception est formé ensuite ; l'entrepreneur, de concert avec l'ingénieur, fait sa soumission ; et ce n'est que 2 ou 3 mois après l'achèvement qu'un arrêté approuve à la fois et le devis et la soumission et l'état de réception.

« Or, il est impossible, ajoute la cour, que ce mode ne soit pas onéreux au trésor, car les exigences des entrepreneurs s’accroissent à proportion de l'importance des travaux : c'est ainsi que des dépenses de toute nature, qui, d'après les termes des contrats, devraient être à la charge des entrepreneurs, furent mises à la charge du trésor. »

Ce passage n'exige pas de commentaires ; je me bornerai à dire qu'il est humiliant pour une administration de se faire donner des mercuriales aussi sévères par un corps aussi grave et aussi haut placé.

Permettez-moi maintenant, messieurs, de faire quelques citations tirées des discussions de 1842 et années suivantes ; discussions qui ont donné naissance à l'arrêté dont je viens de vous lire un considérant, arrêté qui a décrété une commission permanente de surveillance et qui tendait à donner au ministre une action qu'il reconnaissait lui-même être insuffisante sur ses subordonnés.

L'idée qui prévalut dans les discussions de 1842 et années suivantes, est un désir de ménager les intérêts des contribuables sans nuire aux communications ferrées.

L'administration paraissait trop dispendieuse, le personnel trop nombreux. On se plaignit de ce que les recettes se faisaient sans contrôle, de ce que les dépenses s'exécutaient sans le concours de l'autorité administrative, sans respect pour les formes consacrées pour écarter le soupçon de malversation, etc.

Je trouve d'abord à la page 16 du rapport de notre honorable et si regrettable collègue M. Peeters, sur le budget des travaux publics de 1842, le passage suivant :

« La section centrale émet le vœu que le gouvernement avise aux moyens d'établir un contrôle indépendant et vigilant, tant pour la construction que pour l'exploitation ; ce contrôle, indispensable, ne peut jamais être trop sévère dans une entreprise aussi vaste. »

L'honorable M. David donna l'appui de sa parole à cette observation dès le début de la discussion du budget.

(page 1535) Et, dans la séance du 23 février 1842, l'honorable M. de Theux s'exprima ainsi :

« Ne serait-il pas utile d'établir une commission permanente, qui surveillerait les conséquences des tarifs..... ?

« Cette commission pourrait ainsi porter ses investigations sur les économies à introduire dans l'exploitation. Il me semble qu'une commission permanente aurait l'avantage d'amener un système suivi dans cette partie de l'administration... Car il est certain qu'avec l'instabilité qui existe dans l'administration supérieure par suite des changements de cabinet, il est très difficile à un ministre de suivre les affaires des chemins de fer dans leurs détails, d'y donner le même soin que pourrait y donner une commission composée d'hommes spéciaux. »

L'honorable M. Osy s'empressa d'appuyer cette observation, et, dans la séance du 25 février, l'honorable M. de Theux revint sur l'opinion qu'il avait émise le 23, et insista en ces termes :

« Nous sommes en droit d'insister fortement sur les réductions dans les dépenses, et des améliorations dans les recettes.

« Pour moi, je désire vivement que M. le ministre des travaux publics prenne en sérieuse considération les propositions faites par la commission que le Roi a instituée sur sa proposition. Il est évident pour moi, qu'il y a de grandes économies à faire, aux termes du rapport de cette commission.

« Je pense, en outre, qu'il y a également de grandes économies à faire dans une partie de l'administration sur laquelle la commission n'a pas été appelée à porter ses investigations.

« J'entends parler des dépenses relatives au personnel de toutes les entreprises. Ces dépenses sont énormes, et je désire bien vivement que M. le ministre institue une commission pour examiner les réductions dont ces dépenses seraient susceptibles. »

Lors de la discussion du budget des travaux publics de l'exercice suivant celui de 1843, l'honorable M. de Theux renouvela la motion qu'il avait faite l’année précédente.

« Je reproduirai, disait-il dans la séance du 18 janvier 1843, une observation que j'ai faite lors de la discussion du budget de l'année dernière ; c'est qu'il me paraît qu'il serait d'une haute importance que M. le ministre instituât une commission d'enquête relativement à l'exploitation des chemins de fer. »

Je dis ce qui suit pour soutenir l'honorable préopinant.

« On n'a pas permis en France, au corps des ponts et chaussées, de prendre un caractère administratif, qui ne lui appartient pas. Le ministre administre avec l'appui d'un comité d'hommes spéciaux.

« Il faudrait au ministre une fermeté, une intelligence, une prévoyance surhumaine, pour surmonter les abus si graves que l'intérêt multiplie autour de lui. »

L'honorable M. Pirmez soutint aussi le système d'un comité.

« Nous aurons beau, dit-il, demander des économies, aussi longtemps que nous n'aurons pas trouvé une institution quelconque pour arrêter les dépenses, les efforts que nous ferons dans ce but, seront tout aussi inutiles que ceux que nous tenterions pour arrêter le cours d'un fleuve.

« L'honorable M.de Theux a proposé la nomination d'une commission ; ce serait peut-être là le moyen d'obtenir le résultat désiré, mais j'aurais voulu que l'honorable membre eût développé son idée d'une manière plus complète. »

L'honorable M. Desmet ajouta : « Pour finir avec toutes ces discussions il faut obtempérer à la proposition de M. de Theux, créer non une commission d'enquête, mais une commission de direction, une commission permanente ; si depuis longtemps on avait institué cette commission, on y aurait beaucoup gagné. »

L'honorable M. Desmaisières, alors ministre, ne repoussa pas la proposition ; il parut même l'accueillir.

« L'honorable M. de Theux a émis une idée, disait-il, que pour ma part, je crois fort juste ; c'est celle de la formation permanente d'une commission d'enquête sur les opérations de l'administration des chemins de fer en exploitation, et sur les améliorations à y introduire ; c'est là une idée qui mérite un examen sérieux, et pour ma part je suis loin de la repousser. »

Quant à moi, j'insistai, afin de pousser l'honorable M. Desmaisières à se prononcer encore plus clairement et à prendre un engagement.

Dans la séance du lendemain, l'honorable membre alors ministre, après avoir cherché d'éviter une réponse à mon interpellation, fit la déclaration suivante :

« Quant à la commission d'enquête, c'est une question beaucoup plus grave, sur laquelle je dois garder une certaine réserve. Mais, comme je l'ai dit hier, on doit bien croire que je ne suis pas éloigné de cette mesure.

Cette réponse, plus évasive que la première, fait comprendre que le ministre avait eu le temps de se concerter avec son entourage. Comme elle n'était rien moins que satisfaisante, j'insistai davantage ; la chambre paraissait favorablement impressionnée. Je parlais de ce banc. L'honorable M. Nothomb, assis à côté de M. Desmaisières, s'empressa de venir à son secours ; il me dit : « N'insistez pas, c'est inutile, la commission sera instituée ; c'est chose convenue ; il est inutile que vous insistiez davantage. »

J'avais alors moins d'expérience et d'aplomb qu'aujourd'hui. J'eus la bonhomie de me rasseoir, sans avoir provoqué une déclaration faite de manière à ce qu'elle fût insérée au Moniteur. Je me contentai d'une déclaration faite assez haut seulement pour que je l'entendisse.

Vous voyez ce qui en est avenu.

L'honorable M. Devaux prit aussi part à cette discussion, comme il avait l'habitude de le faire pour toutes celles qui offraient quelque importance. La pensée qui le préoccupait était la crainte que la commission n'eût un caractère politique. Il insista pour qu'elle n'eût pas ce caractère.

Je suis tout à fait de son avis. Je ne désire pas qu'une commission pareille ait un caractère politique ; car la politique neutralise en général toutes les mesures qui sont de nature à perfectionner l'administration.

Voici ce que dit cet honorable membre :

« Je désirerais que les membres de cette commission ne fussent pas tous pris dans le corps des ponts et chaussées ; je ne veux rien dire de désobligeant pour ce corps, mais je suis dispose à le croire peu propre au contrôle des dépenses du chemin de fer. messieurs, les ingénieurs se trouvent tous nécessairement dans la même position ; chacun à son tour est appelé à être contrôlé dans ses calculs ; ils sont donc peu prêts à se contrôler mutuellement. »

Je partage entièrement cette opinion.

Les ingénieurs forment un corps ; une grande union existe entre eux ; ils cherchent à ne pas se nuire les uns aux autres. Mais cet accord ne fait pas notre affaire. C'est pour ce motif que j'insiste pour qu'il y ait un contrôle autre que celui des ingénieurs.

Le ministre des travaux publics était alors l'honorable M. Dechamps ; car malheureusement les ministres des travaux publics ne restent pas longtemps à leur poste. Quand ils commencent à avoir acquis quelque expérience et les lumières nécessaires pour diriger utilement leur département, une administration fort compliquée, un événement politique imprévu les renverse, et ils ont un successeur dont les premiers mois d'administration ne peuvent être employés qu'à observer et à s'instruire, et tout cela aux dépens de nos intérêts. Voici comment s'expliqua cet honorable ministre dans le courant de la discussion :

« Je conviens, disait-il, des avantages d'une administration permanente. Les fluctuations ministérielles sont un inconvénient pour une administration de cette importance.

« Il y aurait avantage à avoir un espèce de conseil d'Etat des chemins de fer, qui conserverait les traditions d'administration, qui les ferait prévaloir. Mais il faut le dire, cette combinaison annulerait complétement l'action ministérielle.

« Ce serait une source de conflits ; la responsabilité ministérielle serait amoindrie. »

L'honorable M. de Theux revint encore, malgré cette déclaration, sur sa proposition, mais il se borna alors à réclamer la nomination d'une commission sans caractère permanent.

Quant à moi, après une critique du système suivi pour les dépenses de construction et d'entretien des chemins de fer, j'exprimai l'opinion suivante :

« On se demandera : Pourquoi ce système onéreux sous le rapport financier, absurde au point de vue administratif, s'est-il perpétué jusqu'aujourd'hui ? Eh bien, je répondrai : C'est que les gens de l'art, gâtés par notre tolérance, par notre confiance, se sont habitués à disposer de nos ressources, et de les appliquer sans règles à l'exécution de leurs conceptions ; ils se sont habitués à administrer, ce qui est peu leur affaire, sans avoir même à respecter les formes administratives, etc. »

« C'est pour balancer cette influence en fait de dépenses, surtout, que j'ai demandé, l'année dernière, la création d'un comité permanent.

« M. le ministre nous a dit que cette combinaison annulerait peut-être la responsabilité ministérielle ; je ne puis être de son avis ; car un comité, qui ne délibérerait que sur les questions qui lui seraient soumises, qui n'aurait aucune action directe sur l'administration, ne pourrait avoir cette portée ; un comité semblable serait un appui contre les exigences des ingénieurs, et ne nuirait en rien à la liberté d'action du ministre. »

Ce fut un an après, messieurs, que parut l'arrêté du 1er mars 1845. Ce sont donc ces discussions qui ont fait éclore cet arrêté. Voici, messieurs, ce que cet arrêté établissait.

Il donnait au chef du département un contrôle suffisant concernant la comptabilité des recettes. Car, le croirait-on ? dans ce moment le ministre n'a pas un contrôle suffisant sur cette comptabilité. Tous les renseignements qu'il nous donne et qui font l'objet du rapport annuel sont l'œuvre de la direction ; aucune pièce justificative ne les accompagne pour garantir leur exactitude.

Cet arrêté donnait encore au ministre un contrôle sur la composition des transports, service si important.

Il lui donnait une action sur l'organisation des convois, sur l'application des tarifs. Car, messieurs, comme la commission des finances vous le dit dans son rapport sur l'exercice 1839, ce n'est ni le ministre ni la cour des comptes qui exercent un contrôle sur l'application des tarifs. L'arrêté de 1845 permettrait donc au ministre de dresser des statistiques, travail indispensable pour juger le service des chemins de fer ; car c'est par les renseignements qui en sont la base, par les feuilles de route entre autres, qu'on peut juger du bon emploi du matériel, qu'on peut vérifier si l'on en fait un usage convenable.

Quant à la composition de la commission permanente que M. le ministre des travaux publics organisait par son arrêté, je vous avoue que je la trouve très défectueuse, et je ne regrette nullement qu'elle n'ait pas fonctionné. A part un honorable général dont les connaissances étendues, le talent remarquable d'organisation et la grande expérience puisée à l'école du grand homme...

M. le ministre des finances (M. Malou). - Il ne s'agissait pas alors de chemins de fer.

(page 1536) M. de Man d’Attenrode. - Il ne s'agissait pas des chemins de fer ; mais il s'agissait alors d'organisations bien plus importantes que celle des chemins de fer. Il s'agissait, après la déroute de Russie, d'organiser, d'improviser plutôt l'immense matériel qui permit à Napoléon de continuer la lutte pendant les campagnes d'Allemagne et de France.

Quant aux autres membres de la commission instituée par l'arrêté du 1er mars, je ne comprends guère quelles lumières nouvelles ils pouvaient apporter à M. le ministre des travaux publics. Car ces membres étaient des fonctionnaires du département des travaux publics et des ingénieurs, dont les services étaient déjà à ses ordres.

Il est donc évident, messieurs, que la législature a insisté pendant trois ans pour l’établissement d'éléments propres à nous éclairer sur ce qui se passe dans l'administration du chemin de fer. J'ai établi que le gouvernement a lui-même reconnu, par l'arrêté du 1er mars 1845, qu'il y avait quelque chose à faire. La commission qui avait été instituée ne me donnant pas les apaisements suffisants, et le gouvernement ne paraissant d'ailleurs pas avoir l'intention d'exécuter cet arrêté, j'ai cru devoir vous faire la proposition dont je vous ai donné lecture samedi dernier.

D'ailleurs, messieurs, un grand pays nous a donné l'exemple d'une institution de ce genre. Dès 1842, le gouvernement français prit deux arrêtés instituant deux commissions administratives, afin de l'éclairer sur les tracés et d'émettre des avis sur les questions administratives que soulevait la construction des routes de fer ; et ce que je trouve de remarquable, c'est le soin que met le gouvernement français à maintenir les divers rouages qui concourent à le faire marcher dans les limites que leurs attributions leur assignent ; c'est le soin qu'il met à empêcher que les questions qui sont du domaine de l'administration proprement dite, de cette administration qui est chargée de gérer la chose publique par une délégation du pouvoir exécutif, ne soient envahies par des corps, dont la mission n'est que de procéder par voie d'avis et d'expertise, et telle est la mission du corps des ponts et chaussées.

C'est ainsi, messieurs, je le répète, que lorsqu'il fut décidé qu'un vaste système de railways serait exécuté, le gouvernement s'empressa de créer deux commissions par ordonnance royale du 22 juin 1842. La première de ces commissions était intitulée la commission des tracés. Elle fut composée de personnes très marquantes, de plusieurs pairs de France, de députés, de conseillers d'Etat, de généraux, et de deux inspecteurs des ponts et chaussées. Vous voyez que les ponts et chaussées n'y étaient qu'en minorité.

Ici, pour ce qui est des tracés, sur quoi le gouvernement se fonde-t-il pour déterminer son choix ? Quels sont les éléments destinés à nous éclairer ? Nous nous fondons uniquement sur des statistiques dressées par des ingénieurs. En France, les ingénieurs font des rapports à cet égard. Mais une commission composée d'administrateurs éminents éclaire leur travail.

La seconde commission s'intitulait commission administrative. Le gouvernement la consultait sur toutes les questions qui étaient du ressort de l'administration. Voici l'article premier :

« Il sera formé auprès du ministre des travaux publics une commission administrative pour la révision et le contrôle des documents statistiques propres à établir l'utilité et l'importance relative des différentes directions des grandes lignes de chemins de fer classées par la loi du 11 juin 1842.

« Art. 2. Cette commission sera, en outre, consultée sur les questions concernant les acquisitions de terrains et bâtiments, etc., et en général sur les questions réglementaires relatives à l'établissement et à l'exploitation du chemin de fer, et qui n'appartiennent pas, soit au conseil des ponts et chaussées, soit à la section des chemins de fer. »

Voici les questions dont cette commission a eu à s'occuper. Je dois cette note à l'honorable intervention d'un membre de cette commission, mon ami le baron de Condé, commissaire royal du chemin de fer du Nord :

« La commission, en 1842 et 1843, s'est réunie deux et trois fois par semaine, sous la présidence du ministre.

« Elle s'est occupée de régler les questions prévues par l'ordonnance. - Statistique, etc.

« Elle a été consultée sur l'interprétation de divers articles de la loi de 1842.

« Sur la confection de divers projets de lois à porter aux chambres, notamment sur les baux d'exploitation des grandes lignes par les compagnies.

« Sur les attributions des préfets concernant l'application de la loi de 4842.

« Sur la marche à suivre pour les expropriations et les acquisitions de terrains, le taux des indemnités suivant les diverses circonstances, les moyens de contrôle des évaluations faites par les agents des ponts et chaussées.

« Sur l'organisation du service sur les grandes lignes de chemins de fer, classement de voitures, ouvertes ou non couvertes, tarifs des voyageurs et des marchandises, etc. »

Les difficultés qui résultent des achats de terrains, des emprises, soulèvent des questions de la plus haute gravité et extrêmement délicates ; eh bien, ici, le gouvernement les a laissé vider par un ingénieur, par un expert offrant peu de garanties, et par un notaire qui était presque toujours l'homme du propriétaire.

Enfin toutes les questions administratives ont été abandonnées en Belgique soi-disant au ministre, mais en réalité aux ingénieurs qui sont les hommes de l'art et du métier.

Voyons maintenant ce qui s'est passé en France, quand il s'est agi d'exploitation, et notez, messieurs, que le gouvernement français a un intérêt bien moins direct que le nôtre dans l'exploitation des chemins de fer. Le gouvernement français n'exploite pas, il n'a qu'à surveiller, puisque toutes les lignes sont concédées aux compagnies ; ici nous exploitons nous-mêmes. Eh bien, malgré cela qu'a fait le gouvernement ? Une nouvelle ordonnance est venue, en quelque sorte, donner sa sanction à ma proposition. C'est l'ordonnance du 6 avril que le Moniteur nous a fait connaître précisément le lendemain du jour où j'ai déposé ma proposition.

Voici, messieurs, le rapport au roi, qui précède cette ordonnance ; il est réellement des plus remarquables, et il répond aux objections que quelques-uns de mes honorables collègues ont bien voulu me communiquer. En voici des extraits :

« Rapport au roi.

« Sire,

« Lorsque la loi du 11 juin 1842 vint donner une vive impulsion aux entreprises de chemin de fer, mon prédécesseur comprit la nécessité de s'entourer de conseils spéciaux pour l'assister dans la tâche immense qui lui était imposée. Il proposa à Votre Majesté, et Votre Majesté autorisa, par deux ordonnances du 22 juin 1842, la création de deux commissions nouvelles, l'une dite commission supérieure des tracés, etc., l'autre désignée de commission administrative, etc.

« Ces deux conseils, Sire, ont rempli la mission qui leur était donnée avec un zèle et un dévouement dont j'ai été personnellement plus d'une fois le témoin, et je suis heureux de pouvoir consigner ici l'expression de la reconnaissance due aux services qu'ils ont rendus à l'administration et au pays, etc.

« Il m'a donc paru, Sire, que le moment était venu de refondre les deux commissions qui existent actuellement, et de leur donner les développements nouveaux que commande le nouvel état de choses.

« Je viens en conséquence proposer à Votre Majesté de créer une commission générale des chemins de fer et de comprendre, etc.

« Lorsqu'il s'agira de questions graves, qui pourraient engager à un haut degré la responsabilité de l'administration, et sur lesquelles dès lors cette dernière ne saurait s'entourer de trop de lumières, le ministre aura la faculté de convoquer toutes les sections en assemblée générale.

« J'ai la confiance, Sire, que cette institution nouvelle portera des fruits heureux : l'administration trouvera des lumières profondes dans l'assistance des personnes que je désigne au choix de Votre Majesté ; elle puisera surtout dans leurs conseils une force, une autorité, qui rendront sa tâche plus facile, et son action plus efficace. »

Ce conseil, messieurs, est composé d'au-delà de 40 membres, tous hommes marquants par leur position administrative, militaire, scientifique. Le corps des ponts et chaussées y est représenté ; mais il n'intervient que pour un quart environ.

Or, messieurs, je le dis encore, le gouvernement français prend toutes ces mesures, bien qu'il n'exerce qu'un rôle de surveillance, car ce sont les compagnies qui exploitent ; mais comment en agissent les compagnies ? Pensez-vous que les actionnaires du chemin de fer de Paris à Bruxelles en aient abandonné l'administration à des ingénieurs ? Pas le moins du monde ; un conseil d'administration, composé de 7 personnes, qui ont le plus d'intérêt dans l'entreprise, administre, et les ingénieurs attendent les ordres que ce conseil d'administration croit devoir leur donner.

En Belgique, messieurs, comment les choses se passent-elles ? Les ingénieurs font la recette...

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - En aucune façon.

M. de Man d’Attenrode. - Les ingénieurs exploitent et administrent ; ils dressent les cahiers des charges, ils approuvent les adjudications...

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Pas du tout.

M. de Man d’Attenrode. - C'est sur leur rapport que vous approuvez.... (Interruption.) Ils font les réceptions.... (Interruption.) Le ministre approuve ce que les ingénieurs soumettent à sa sanction.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Lorsque je crois qu'il y a lieu d'approuver.

M. de Man d’Attenrode. - Les ingénieurs commandent les fournitures ; ils reçoivent les fournitures ; ils se contrôlent entre eux ; ils dirigent même la police ; car, je le répète, le ministre n'agit que par leur bras et ne voit que par leurs yeux.

Et comment voulez-vous qu'il en soit autrement ? Le ministre peut-il voir agir par lui-même ? Il faut bien qu'il voie, qu'il agisse par l'intermédiaire de son personnel.

Je vous ai dit tout à l'heure, messieurs, comment les compagnies administrent leurs chemins de fer. Eh bien, nous qui représentons ici le pays, le grand actionnaire des chemins de fer belges, l'actionnaire unique, qui a payé chèrement ce beau domaine, n'exigerons-nous pas au nom des actionnaires, au nom des contribuables, les garanties qu'exigent les compagnies ? Il me semble, messieurs, impossible que vous n'exigiez cette garantie.

(page 1537) Comme je l'ai dit, il est impossible à un ministre seul et qui presque toujours ne le devient que par un accident politique, il lui est impossible de remplir cette tâche immense, comme le dit le rapport que je viens de lire, sans s'entourer de conseils spéciaux. C'est ce que le ministre des travaux publics français a reconnu sans craindre que ces conseils ne le missent en tutelle ; il a reculé devant la responsabilité de cette tâche, et il a voulu s'entourer de lumières suffisantes.

Je sais fort bien, messieurs, que le ministre doit s'éclairer aussi par les conseils et les travaux des ingénieurs, mais il doit consulter encore un autre élément de contrôle, et cet élément doit être un élément purement administratif. Car, ainsi que l'a fort bien dit l'honorable M. Devaux, il y a quelques années, les ingénieurs ne peuvent pas se contrôler les uns les autres.

Si nous laissons les choses telles qu'elles sont, nos dépenses iront, je le crains, encore en augmentant ; nous aurons du mal à voir la fin de nos emprunts, et je ne sais pas où cela nous mènera. Voici sur quoi je fonde cette opinion. Je la base sur ce que les ingénieurs sont hors d'état de gérer avec économie, et pourquoi cela ? parce que leur état se base sur la dépense. Ils ne peuvent jamais faire trop de dépenses d'après leur intérêt. Voyez tous les architectes, ils vous conseilleront toujours de faire des dépenses, et de faire beaucoup de dépenses. Leur amour-propre, ! leur honneur l'exige ; je trouve cela très naturel, très simple.

Je dis donc, messieurs, et tout le monde reconnaîtra que l'administration du chemin de fer est une entreprise commerciale, que faire administrer une entreprise par des ingénieurs, c'est une chose absurde. Ingénieurs et intérêt commercial sont des mots qui s'excluent. On peut, avec le concours des ingénieurs ou des architectes, construire de très beaux monuments, des travaux très utiles, des choses qui font beaucoup d'honneur au pays ; mais de bonnes affaires commerciales, ce ne serait réellement pas agir sérieusement que de vouloir en faire avec le concours des ingénieurs.

Votre devoir est donc, messieurs, de forcer le gouvernement à administrer, c'est-à-dire à gérer la chose publique en bon père de famille, à la gérer avec économie.

On vous dira, messieurs, et je l'ai déjà entendu dire : C'est mettre le ministre des travaux publics en tutelle ; c'est là le mot dont on se sert : c'est mettre le ministre des travaux publics en tutelle..

Je ne vois pas comment M. le ministre des travaux publics serait mis en tutelle par l'adoption de ma proposition. Du moment où l'on ne touche pas à sa liberté d'action, celle critique ne peut se soutenir sérieusement. Je pense d'ailleurs avoir été assez gouvernemental. La commission serait nommée par le Roi, sur la proposition du ministre qui la convoquerait et la présiderait en personne ou par un délégué. Est-ce que M. le ministre des travaux publics de Fiance s'imagine par hasard qu'il est mis en tutelle par la commission dont l'ordonnance du 6 avril veut la formation ? Il voit, au contraire, dans l'institution de cette commission, une garantie de bonne administration, des lumières nécessaires à sa responsabilité, une force et une action qui rendront sa tâche plus facile et son action plus efficace. i

Je désire maintenant effleurer la question politique.

Je suis persuadé que quelques honorables collègues m'adressent intérieurement l'interpellation suivante :

« Votre conduite est étrange, vous venez embarrasser une administration amie, un cabinet dont vous êtes l'un des soutiens ; votre proposition est une critique amère de cette administration ; il faut donc qu'elle laisse bien à désirer, qu'elle soit très insuffisante, qu'un membre ami de ce côté prenne la responsabilité d'une semblable proposition. »

Je dirai que mes critiques ne s'adressent pas particulièrement à l'administration qui siège actuellement sur le banc ministériel ; elles s'adressent à toutes les administrations passées, elles s'adressent à toutes les administrations futures qui ne voudront pas me donner les garanties que je réclame. Et ce qui prouve que je n'obéis pas à une vaine opposition politique, c'est mon désir bien arrêté d'arriver à un pareil résultat, et j'espère y parvenir, grâce à ma persévérance ; eh bien, faudra-t-il par hasard que j'attende que les honorables membres qui siègent sur les bancs opposés, soient arrivés au pouvoir dans un temps très rapproché, il est vrai, car on nous prédit sans cesse cette arrivée prochaine ; faudra-t-il que j'attende jusque-là pour faire ma proposition ? Mais quelle chance aurais-je de la faire passer ? Alors on me dirait avec raison : « C'est un acte d'opposition politique ; vous voulez embarrasser le cabinet. » Et je n'obtiendrais rien ; car alors nous serions réduits à l'état de minorité. Comme je désir - réussir, j'ai cru devoir faire ma proposition quand mes amis politiques étaient au pouvoir. D'ailleurs., tous les hommes consciencieux devront reconnaître, j'aime à l'espérer, que je n'ai, dans cette circonstance, d'autre mobile que mon dévouement au pays.

Ainsi, le cabinet peut accepter une pareille proposition d'une main amie, et il peut l'accepter sans méfiance.

Je pourrais renforcer ce que je viens de dire, je pourrais appuyer ma proposition, en citant des faits. Car les faits ne me manquent pas : je le dis avec peine. Mais je désire pouvoir vous éviter, messieurs, des communications pénibles.

J'espère donc que le gouvernement me dispensera d'en venir là, en se ralliant, au moins en principe, à ma proposition ; car de semblables révélations ont toujours un retentissement fâcheux. Nos débats ne sont pas circonscrits dans nos frontières, ils vont au-delà ; eh bien, de pareils débats auraient quelque chose d'humiliant pour le pays ; et, pour me servir d'un adage vulgaire que la chambre voudra bien me pardonner, je tiens à ne pas laver notre linge sale en public.

(page 1519) M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, je ne suivrai pas l'honorable préopinant dans les observations qu'il vient de présenter. M. le ministre des travaux publics jugera sans doute convenable de répondre, en ce qui concerne son administration, et à ce qui regarde la proposition que l'honorable. M. de Man a déposée sur le bureau. Je répondrai seulement quelques mots à l'honorable membre. Il a dit que l'arrêté du 1er mars, porté par l'honorable M. Dechamps pour la formation d'une commission près du département des travaux publics, n'avait pas été mis à exécution.

C'est là une erreur : la commission dont il s'agit a été réunie plusieurs fois, pendant que j'étais au département des travaux publics, et je l'avais spécialement chargée d'examiner le projet de loi qui doit être soumis à la chambre, sur les péages du chemin de fer pour le transport des marchandises. Depuis lors, je ne sais si cette commission a continué cette mission, ou si elle a cessé de se réunir.

A propos de ce projet de loi, je demanderai à M. le ministre des travaux publics s'il n'est pas en mesure de le présenter avant la fin de la session. Je sais bien qu'il serait difficile de voter, avant notre séparation, cette loi dont l'examen doit être nécessairement fort long ; mais il y aurait cet avantage, c'est que, dans l'intervalle des deux sessions, chacun de nous pourrait se livrer à l'étude des dispositions du projet ; et certes pour une question aussi difficile, il n'y aurait pas de mal qu'un examen préalable et même assez long pût être fait par la chambre, avant qu'elle abordât la discussion dans celle enceinte.

Messieurs, l'honorable M. de Man nous a entretenus de la dépense encore nécessaire à l'achèvement du chemin de fer ; il a dit que les uns évaluaient cette dépense à douze millions, d'autres à quinze, d'autres à vingt. Je pense qu'il n'est pas inutile de jeter un coup d'œil sur le chiffre probable de ces dépenses. Cela me donnera en même temps l'occasion d'examiner plusieurs dépenses ordinaires pour l'exploitation, car les dépenses pour la construction et celles pour l'exploitation se lient intimement.

En effet, si vous tardez à mettre en bon état et les stations, et le matériel, et la route elle-même, vous serez obligés chaque année de voter des crédits d'autant plus considérables pour les dépenses ordinaires, pour le renouvellement des rails, des billes et du matériel.

D'un autre côté, la circulation augmente extrêmement sur le chemin de fer ; et le mouvement des marchandises prend partout un accroissement énorme ; eh bien, il faut que le chemin de fer soit à même de répondre à tous les besoins. C'est là un très grand intérêt, tant pour le trésor que pour le commerce et l'industrie.

Je ne pense pas non plus qu'on gagne quelque chose à fermer, pour ainsi dire, les yeux aux dépenses qu'il est nécessaire de faire ; je crois, au contraire, qu'il est plus utile de les prévoir ; la prévoyance est une bonne qualité, en matière de finances ; car lorsqu'on a prévu les dépenses il devient beaucoup plus facile d'y faire face ; si on ne les prévoyait pas, le moment arriverait où elles deviendraient impérieuses. Cela pourrait entraîner les embarras les plus graves.

Du reste, messieurs, si les dépenses que nous avons encore à faire sont assez considérables, d'un autre côté ce qu'il y a de rassurant pour l'avenir, c'est l'accroissement énorme des recettes. Vous avez dû voir, dans le budget des voies et moyens présenté pour 1848, que les recettes du chemin de fer sont évaluées pour 1847 à 15,600,000 fr. et que les prévisions pour 1848 s'élèvent à 16,500,000 fr. Certes, c'est là un résultat des plus satisfaisants.

Messieurs, je commencerai par m'occuper des doubles voies. Notre chemin de fer a 559 kilomètres de développement, dont 362 à double voie et 197 à une seule voie. Les sections qui n'ont qu'une seule voie sont celles de Gand à Plasschendaele, 60 kilomètres, de Gand à Courtray, 44 kilomètres, de Mouscron à Tournay, 19 kilomètres, de Landen à St-Trond, 10 kilomètres, de Godarville à Gosselies, 21 kilomètres, de Charleroy à Namur, 37 kilomètres et divers raccordements, 6 kilomètres.

Je crois, messieurs, que nous finirons par établir la double voie sur toute l'étendue de notre chemin de fer ; je crois que la circulation y sera assez active pour que cela devienne une nécessité. Mais maintenant je pense qu'on peut encore se passer de double voie sur plusieurs sections. Il en est une cependant sur laquelle il y a nécessité de l'établir promptement, c'est celle de Godarville à Gosselies ; c'est véritablement une des lignes les plus importantes de notre exploitation. De Bruxelles à Charleroy la circulation est extrêmement active ; il est donc de l'intérêt le mieux entendu de faire disparaître cette lacune, et qu'on établisse le plus promptement possible la double voie sur cette ligne, si pas jusqu'à Namur, du moins jusqu'à Châtelineau ; l'étendue à exécuter serait de 32 kilomètres, qui, à raison de 44 mille fr. par kilomètre, feraient une dépense de 1,400,000 fr.

Il est une partie de cette ligne qui est aussi à simple voie ; c'est le tunnel de Braine-le-Comte. Fera-t-on un deuxième tunnel ou substituera-t-on une tranchée à double voie au tunnel actuel ? C'est là une question importante à résoudre par le département des travaux publics. Je n'ai aucun motif de supposer que ce tunnel n'aurais pas toute la solidité désirable. La commission instituée pour l'examiner périodiquement a fait plusieurs rapports satisfaisants que je crois avoir communiqués à la chambre ; mais il règne certaines inquiétudes dans le public, depuis l'éboulement de Cumptich.

Ces inquiétudes se sont même manifestées dans cette enceinte et au sénat. Or, il est important, pour l'industrie des transports comme pour toute autre, de satisfaire le public. Si par hasard il arrivait quelque léger accident. Si des bruits fâcheux se répandaient, les inquiétudes grandiraient immanquablement au point de nuire véritablement à la circulation. Je ne veux pas me prononcer sur cette question, mais je suis porté à croire qu'on arrivera à l'établissement d'une tranchée et qu'on supprimera le tunnel. Si on fait cette tranchée à double voie, il en résultera une dépense au moins d'un million de francs.

Il est, messieurs, une partie de notre railway qui est loin d'être terminée ; ce sont les stations et les abris pour le matériel. Par la loi du 13 avril 1845, vous avez voté un crédit de 2,898,960 fr. pour la construction des stations. Mais vous venez d'en distraire un million pour le matériel ; et le surplus est déjà dépensé ou engagé. Or, l'honorable M. de Man, dans un rapport très clair et très méthodique, qu'il a présenté à la chambre, a calculé que pour compléter les stations et les abris pour le matériel, il y avait une insuffisance de 3 millions 300 mille francs.

La section centrale a engagé vivement le gouvernement à activer le plus promptement possible les stations ; en cela elle s'est rendue l'organe de l'intérêt public. Le matériel privé d'abri subit une prompte détérioration. Par le retard apporté à l'achèvement des stations et des abris, vous augmenterez donc la dépense que vous devrez faire dans l'avenir. D'un autre côté, les stations qui restent à faire ou à terminer sont très importantes ; ce sont à Bruxelles les stations du Midi et du Nord, celles d'Anvers, de Gand et de Charleroy ; je crois donc qu'il y a intérêt à ce qu'on ne tarde pas longtemps à nous demander les fonds nécessaires pour l'achèvement des stations et des abris du matériel.

Le matériel lui-même demande aussi à être complété ; c'est la partie la plus essentielle des chemins de fer ; s'il est insuffisant, vous éloignez les transports, il y a perte pour le trésor. Or beaucoup de nos voitures ont vieilli ; elles sont dans un certain état de détérioration, car (page 1520) beaucoup ont déjà servi sept, huit, neuf ou dix ans. On conçoit que ces voitures ne peuvent plus être dans un très bon état. Les diligences particulièrement donnent lieu à des plaintes, à cause d'un mouvement désagréable qu'éprouvent les voyageurs.

Messieurs, je pense qu'il faut que ce matériel soit mis en bon état, et surtout qu'il faut compléter celui des marchandises.

Des plaintes nombreuses se sont élevées naguère et elles provenaient surtout de nos grands centres d'industrie ou de commerce, contre l'insuffisance du matériel ; il en est évidemment résulté perte pour le trésor et perte pour l'industrie et le commerce.

Le meilleur moyen de faire produire le chemin de fer, est donc d'augmenter la circulation, d'amener un mouvement tel que la circulation des convois chargés se succède le plus possible. Si nous pouvions, comme sur plusieurs railways de l'Angleterre, avoir des départs tous les quarts d'heure de convois chargés, le chemin de fer donnerait des produits immenses.

Déjà sur la ligne de Bruxelles à Malines nous avons, si.je ne me trompe, 14 convois par jour, 14 départs et 14 arrivées. Aussi cette section. est très productive. Sur les autres sections, le mouvement n'est malheureusement pas aussi actif. Sur la ligne de Charleroy et de Namur, par exemple, il n’y a que quatre convois par jour. On peut se demander si ce sont les marchandises qui manquent au chemin de fer ou si c'est le matériel qui manque aux marchandises. Il ne m'est pas démontré qu'on ne pourrait pas avoir un plus grand nombre de transports. Si l'on considère l'accroissement que prend le mouvement des marchandises, qui depuis quelques années s'est élevé de 333 mille tonnes à 800 mille, on peut se demander si, en augmentant le nombre des convois, on ne pourrait pas obtenir encore des résultats plus utiles pour le trésor et pour l'industrie. Dans tous les cas, le meilleur moyen de rendre le chemin de fer utile et productif, c'est d'avoir toujours un matériel suffisant.

C'est ainsi qu'on obtiendrait dans le service cette promptitude, cette sûreté et cette régularité qu'il est si désirable d'obtenir. J'ai donc applaudi à l'idée de M. .le ministre des travaux publics, lorsqu'il a présenté un projet de loi dont le but était de consacrer un million au matériel.

Je l'engage à ne jamais rester en arrière sous ce rapport, à veiller à ce que la pénurie de matériel dont on a souffert dans le courant de cet hiver ne se renouvelle plus. Je ne saurais lui recommander trop de prévoyance à cet égard, puisqu'il résulte de l'insuffisance du matériel deux inconvénients : diminution de recettes et risque d'éloigner les transports ; car, comme l'a dit dernièrement l'honorable M. Osy, il serait à craindre, si le matériel manquait souvent, que les marchandises ne quittassent le chemin de fer belge pour prendre la voie de la Hollande.

D'après les renseignements qui m'ont été donnés, lorsque j'étais au département des travaux publics, et M. le directeur des chemins de fer a souvent appelé mon attention sur ce point en me démontrant la nécessité d'améliorer la situation du railway confié à ses soins, il faudrait, pour compléter le matériel, dépenser deux millions au moins.

Il ne faut pas oublier non plus que nous allons avoir un accroissement important de notre exploitation. Le chemin de fer de Saint-Trond à Hasselt sera très probablement mis en exploitation d'ici à peu de temps. Le chemin de fer de Jurbise à Tournay sera mis également en exploitation, soit dans le courant de cette année, soit au commencement de l'année prochaine.

Vous savez qu'aux termes de la convention avec la compagnie concessionnaire, l'Etat s'est réservé l'exploitation de ces deux chemins de fer ; ils ont ensemble un développement de 62 kilomètres, équivalent au neuvième des lignes actuellement exploitées. Il faudra donc, de ce chef, une augmentation du matériel déjà insuffisant.

D'après les calculs des ingénieurs qui ont fait le projet, le matériel nécessaire pour l'exploitation de ces 62 kilomètres doit coûter environ un million de francs. C'est encore une dépense qu'il ne faut point oublier.

Je passe maintenant à l'examen de ce qui concerne la route proprement dite.

Vous aurez remarqué qu'on vous demande, par suite des dernières propositions faites à la section centrale :

Pour renouvellement des fers : 300,000 fr.

Pour renouvellement des billes : 524,000 fr.

Total : 824,000 fr.

La somme de 300,000 fr. est-elle suffisante pour le renouvellement normal des fers de la voie ? Je crois qu'on peut tout au moins en douter ; car la dépense totale pour les rails et coussinets de notre chemin de fer s'élève à environ 24 millions.

Quelle sera la dépense annuelle nécessaire pour le renouvellement et l'entretien ? Il est fort difficile de la préciser ; car l'expérience n'a pas encore prononcé sur la durée moyenne des rails et des coussinets ; cela dépend d'ailleurs de différentes circonstances : de la qualité des fers, de l'état de la voie, etc. Mais la plupart des ingénieurs n'évaluent pas à plus de 20 ans la durée d'un rail. Il faudrait donc annuellement bien plus de 300,000 fr., pour l’entretien de cette partie de notre chemin de fer.

Mais ce n'est pas seulement du renouvellement ordinaire que j'ai à entretenir la chambre. C'est aussi du renouvellement qu'il serait urgent de faire pour mettre la voie ferrée dans un bon état d'exploitation.

Vous le savez, dans tes commencements de la construction du chemin de fer, le pays était pressé (ce qui était tout naturel) de jouir de cette grande voie de communication. On ne pouvait assez en hâter la construction. Des réclamations surgissaient jusque dans cette enceinte. De là est résulté qu'on a employé beaucoup de rails très faibles ; on a même employé (ce que je considère comme une grande faute), pour la voie définitive, des rails qui avaient servi à la construction de la voie et des billes de diverses essences. Il est résulté de là une prompte détérioration et la nécessité d'un renouvellement sur une très large échelle.

Je crois donc qu'il serait très important de faire renouveler le plus tôt possible une grande partie des rails.

Je suis persuadé que l'adjudication de 2,200 tonneaux, qui vient d'être faite, ne suffira pas à beaucoup près pour mettre la voie en bon état d'exploitation, et que, si l'on voulait atteindre ce but, il faudrait faire de ce chef une dépense d'environ 4 millions.

Je suis persuadé que M. le ministre des travaux publics ne démentira pas cette évaluation.

Quant aux billes, on demande au budget de cette année un chiffre très élevé (524,000 fr.). Vous savez, comme je l'ai dit toute l'heure, que nous avons : double voie, 362 kilomètres ; simple voie 197 kilomètres.

Ce qui équivaut à 184 1/2 lieues à simple voie. Les billes se placent à une distance de 90 centimètres. Cela fait donc 5,500 billes par lieue et 1,014,700 billes pour tout notre chemin de fer.

Or, on a évalué en moyenne la durée d'une bille en chêne à 10 ou 12 ans.

L'inspecteur général des mines, qui a examiné cette question avec le talent qui le distingue, estime la durée moyenne à 10 ans ; d'autres l'évaluent à 12 ans. En admettant ce dernier chiffre, nous trouvons que le renouvellement du douzième des billes du chemin de fer (le prix de la bille étant, terme moyen, de 6 fr.) coûterait 507,548 fr., dépense qui devrait être annuelle.

Vous voyez donc que le crédit demandé de 524,000 fr. sera suffisant et normal pour l'entretien ordinaire du chemin de fer exploité.

Mais il faudrait, dans l'intérêt de l'exploitation, dans l'intérêt du chemin de fer, du trésor et de la sécurité des voyageurs (qui sans doute n'est pas menacée dans l'état actuel, mais qui pourrait l'être par la suite), que le chemin de fer fût mis en bon état, sous ce rapport.

Il faudrait pour cela une dépense d'environ 2 millions. Si on y comprend quelques autres travaux indispensables, tels que ceux à effectuer à des talus ou à des rochers trop peu inclinés,, ou pour l'établissement de clôtures, maisons de gardes, etc., en résumé, cela ferait bien près d'une somme ronde de 15 millions pour mettre notre chemin de fer dans un état complet et satisfaisant d'exploitation.

Je conçois, messieurs, que ce chiffre doit paraître fort élevé après les sacrifices que nous avons déjà faits pour notre chemin de fer ; mais lorsque l'on pense qu'au moyen de quelques efforts financiers encore, la Belgique aura complété son système de communication, aura un admirable réseau de routes, un ensemble remarquable de voies navigables, aura mis de nombreuses populations, des plaines fertiles, d'importantes cités à l'abri des inondations, qu'elle présentera un magnifique réseau de chemins de fer, qu'elle sera le premier pays du monde, en un mot, pour les communications ; je crois qu'on doit se féliciter de ce que nous sommes si près d'atteindre une situation qui ne nous laissera rien à envier aux autres nations et dont elles sont, à l'exception d'une seule, si éloignées.

Du reste, vous le savez, messieurs, les dépenses qu'il s'agit de faire ne sont pas des dépenses improductives. Les dépenses que nous venons de signaler sont de la nature de celles qu'a indiquées dernièrement M. le ministre des finances lui-même comme très utiles, comme très productives.

Aussi, messieurs, voyez quelle augmentation nous avons eue dans les recettes dépendant des services du département des travaux publics. En 1835, le revenu des services dépendant de ce département n'était que de 5,144,000 fr., et en 1847, il s'élèvera à plus de (erratum, p. 1546) 24,500,000 fr. ; et le chemin de fer lui-même est loin d'être arrivé au terme de la progression croissante de ses recettes.

Le meilleur moyen de le faire produire, n'est-ce pas d'ailleurs de le mettre dans une bonne situation ? Quand même il n'y aurait pas cet intérêt, cet honneur qu'on doit attacher à ce que notre exploitation dirigée par le gouvernement puisse rivaliser avec avantage avec les autres exploitations dirigées par les compagnies, je croîs que le meilleur moyen de faire produire le chemin de fer, c'est de tenir ce grand instrument national dans un état tel que l'exploitation ne puisse rien laisser à désirer, qu'elle puisse marcher avec promptitude, régularité, et à la satisfaction générale.

Il n'y a pas lieu de douter, messieurs, que quand les chemins de fer concédés seront exécutés, lorsque le réseau général de l'Europe sera achevé, le chemin de fer belge ne produise encore plus qu'à présent et n'atteigne d'ici à un petit nombre d'années le chiffre d'au moins 20 millions de francs de recettes.

Voyons, messieurs, par quelques chiffres si cette supposition est exagérée.

Par lieue exploitée.

En 1844, le chemin de fer a produit 11,230,49 fr ; par lieue exploitée : 100,450 fr.

En 1845, 12,403,204 fr ; par lieue exploitée : 110,940 fr.

En 1846, 13,655,908 fr ; par lieue exploitée : 122,145 fr.

En 1847, d'après les évaluations, 15,600,000 fr ; par lieue exploitée : 139,430 fr.

En 1848, d’après les évaluations, 16,500,000 fr ; par lieue exploitée : 147,321 fr.

(page 1521) Cela fait une augmentation de près de 47,000 fr. par lieue moyenne en 4 ans, ou de 11,750 par an.

En supposant que d'ici à 6 ans la progression ne soit plus que de moitié ou de 5,875 fr. par an, on obtiendrait d'ici à 7 années, par lieue moyenne exploitée, 182,571 fr., et pour 112 lieues une recette brute de 20 1/2 millions de francs.

Ce ne sont là sans doute que des hypothèses ; mais on doit convenir, d'après les précédents, qu'elles sont loin d'être exagérées. Je me rappelle parfaitement qu'il a été un temps où, dans cette enceinte, on ne croyait aucunement que le chemin de fer rapporterait jamais plus de cent mille francs par lieue exploitée. En Angleterre, messieurs, le chiffre des recettes des chemins de fer par lieue exploitée est bien puis élevé qu'ici ; et si nous examinons ce qui se passe pour plusieurs chemins de fer en France, nous trouvons des résultats beaucoup plus avantageux encore.

En effet, messieurs, pour le chemin de fer de Paris à Rouen la recette a été en 1846 de 8,322,453 fr., ce qui fait, pour un parcours de 157 kilomètres ou 27 lieues 1/2, 302,634 fr. par lieue exploitée.

De Paris à Orléans, la recette a été, en 1846, de 9,256,247 fr. pour un parcours de 133 kilomètres, ou 26 3/5 lieues.

Ce qui donne 70,430 par kilomètre exploité, ou 352,150 fr. par lieue de 5,000 mètres.

Le chemin de fer du Nord a donné une recette brute, du 1er juillet au 31 décembre 1846, c'est-à-dire pour six mois, de 5,670,000 fr., ce qui équivaut à 11,340,000 fr. pour un an ; et cela dans l'état d'imperfection et de mauvaise organisation où il se trouvait à cette époque. Le parcours exploité étant de 338 kilomètres. Cela fait 35,550 fr. par kilomètre exploité ou 167,750 par lieue.

Pour le chemin de fer du Nord, il n'est pas douteux que les recettes ne s'élève beaucoup encore. Déjà pour les trois premiers mois de l'année, les recettes ont atteint 5 millions de francs.

Quand on voit, messieurs, de semblables résultats, quand on voit également l'accroissement permanent des recettes de nos chemins de fer, quand on sait tous les perfectionnements qu'on peut encore apporter à son exploitation, on peut compter certes, d'ici à peu d'années, sur une recette de 182,000 fr. par lieue, ce qui amènera un revenu, comme je l'a dit tout à l'heure, de 20 millions et demi par année.

M. le ministre des travaux publics. - Messieurs, les développements étendus dans lesquels est entré l'honorable M. de Man, avaient pour but de prouver la nécessité de la mesure administrative, ou plutôt législative, qu'il vous propose.

L'honorable membre a invoqué ce qui s'était fait en France : la commission nommée en 1842, réorganisée en 1847. La position de l'administration française, messieurs, a assez peu d'analogie avec la nôtre. En France, le gouvernement n'exploite pas les chemins de fer ; sa mission est toute de surveillance et de police. On conçoit que cette surveillance, cette police ont un besoin absolu d'être fortement organisées. Mais, pour le dire en passant, le gouvernement français s'est placé à un point de vue assez différent de celui de l'honorable M. de Man. L'honorable M. de Man est mû surtout par un sentiment de défiance extrême à l'égard du corps des ponts et chaussées. Je crois pouvoir dire que ce sentiment n'existe nullement dans l'administration supérieure française.

M. de Man d’Attenrode. - C'est ce qui vous trompe.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je crois pouvoir dire que sur toutes les questions importantes, non seulement de construction, mais de tracé, mais même d'exploitation, les ingénieurs sont entendus en France, comme ils l'ont été chez nous et que l'on a fait la part très large à leur avis.

La seule exploitation de chemins de fer qui ait eu lieu au compte du gouvernement français, est celle des deux tronçons construits dans le département du Nord ; or, l'homme qui avait la haute main sur cette exploitation, était un ingénieur en chef, d'un mérite hors ligne, je le reconnais, aujourd'hui secrétaire du conseil général des ponts et chaussées.

Je suis loin de prétendre qu'il faille, en toutes choses, se laisser guider exclusivement par les avis des ingénieurs ; mais je pense que c'est se placer à côté de la vérité, que de mettre en quelque sorte les ingénieurs à l'index, comme l'honorable M. de Man semble vouloir le faire.

Quoi qu'il en soit, messieurs, une chose doit être reconnue, et cette chose, je crois avoir eu l'occasion de l'indiquer plusieurs fois déjà dans cette enceinte ainsi qu'au sénat : c'est que notre service d'exploitation a besoin d'être organisé par une loi. Cette nécessité, messieurs, est évidente.

Je pense qu'une loi d'exploitation est nécessaire, autant pour le public, pour le commerce, que pour l'administration elle-même. Les idées du pays, nos institutions nous conduisent généralement à ne voir de marche régulière que là où les jalons sont posés par la loi même. On admet en général comme bon ce qui procède de l'exécution de la loi, et une marche administrative, même bonne en elle-même, mais qui ne s'appuie pas sur la loi, sera toujours, quoi qu'on fasse, considérée comme plus ou moins irrégulière.

Une loi d'exploitation est, de plus, indispensable pour donner à l'exploitation du chemin de fer une certaine fixité. L'honorable baron de Man a fait observer que les changements ministériels avaient empêché le département des travaux publics d'arriver, aussitôt que la chose eût été possible, à un système parfaitement régulier, parfaitement complété. Je pense, messieurs, qu'il y a quelque chose de vrai dans cette idée.

Je crois aussi que cette succession dans les personnes peut avoir nui à certains services publics. Une loi d'exploitation obvierait, messieurs, à la plupart de ces difficultés. Mais cette loi d'exploitation doit être faite à un point de vue d'ensemble : ; elle doit être faite en partant surtout des nécessités du service, et je ne pense pas que la loi d'exploitation, ou. un fragment de cette loi doive être dicté par un sentiment de défiance extrême, je dirai même par un sentiment hostile. Je sais très bien que l'honorable M. de Man n'a pas d'hostilité pour le ministère même, mais il y a de sa part hostilité à l'égard d'une fraction de l'administration. A ses yeux, l'administration des travaux publics est une administration qui n'a pas droit aux mêmes ménagements, par exemple, que l'administration des finances.

Je pense, messieurs, qu'à ce point de vue l'honorable M. de Man est, en quelque sorte, sous l'impression d'une idée fixe, et je pense que ses propositions ne doivent être accueillies qu'avec une certaine défiance.

Messieurs, je suis extrêmement loin de repousser les idées de contrôle, les idées de surveillance. Le contrôle et la surveillance sont deux choses nécessaires en toute administration, nécessaires dans l'intérêt du service et fort utiles pour les convenances personnelles du ministre. S'il y avait sur tous les services du département des travaux publics un contrôle, parfaitement organisé, pondéré, ma position serait aujourd'hui beaucoup moins difficile qu'elle ne l'est. Mais ce contrôle, ainsi que je l'ai dit, viendra par les idées d'ensemble, et je pense qu'il doit trouver sa place dans la loi d'organisation. Toutefois, il est un chapitre, si je puis le dire, de la loi d'exploitation que je me suis empressé de vous soumettre d'accord avec mon collègue des finances ; c'est celui qui concerne le contrôle et la surveillance des recettes du chemin de fer ; c'est là déjà, messieurs, une partie importante de cette organisation. Une proposition vous est faite sur cette partie du service, et je fais des vœux pour qu’elle soit prochainement admise.

L'honorable M. de Man n'a pas tenu compte, à un degré suffisant, non plus ce me semble d'un contrôle déjà existant et fort bien organisé, celui de la cour des comptes.

Pour ses dépenses, messieurs, le département des travaux publics n'est pas en dehors de la loi commune ; il est soumis à la surveillance de la cour des comptes, comme les autres services publics. L'honorable M. de Man, en remontant jusqu'à 1842, a cité différents faits d'irrégularités dans les dépenses du chemin de fer. Messieurs, je suis très loin de vouloir nier la gravité d'irrégularités de ce genre. Je tiens à la régularité, je pense, autant que l'honorable M. de Man peut y tenir lui-même. Mais, messieurs, il y a une chose dont il faut tenir compte, c'est que ces irrégularités ont eu lieu à une époque où il n'y avait pas de loi de comptabilité, où nous étions pour la comptabilité sous une espèce de régime de bon plaisir, que j'ai été très enchanté de voir cesser par la publication de la loi de comptabilité ; cette loi est un des actes les plus utiles posés par la législature dans ces dernières années, et je suis persuadé qu'elle contribuera à faciliter considérablement la marche du département des travaux publics, et à rendre infiniment plus faciles ses relations avec la cour des comptes.

Nous avons donc, messieurs, dès aujourd'hui, un contrôle organisé quant aux dépenses ; on propose de plus un contrôle pour le service des recettes du chemin de fer. En outre, messieurs, pour tout ce qui est travaux, nous avons un contrôle et une surveillance parfaitement établis dans l'administration même.

L'honorable M. de Man semble regretter que les projets des ingénieurs des ponts et chaussées soient discutés par d'autres ingénieurs du même corps.

Mais, messieurs, il en est ainsi dans toutes les administrations ; au département de la guerre, on n'a jamais fait surveiller le génie militaire par l'artillerie, par exemple ; au département des finances, je ne sache pas que l'administration des contributions exerce un contrôle sur l'administration de l'enregistrement ; chaque administration a en elle-même sa hiérarchie et son contrôle organisé.

Me résumant, messieurs, je crois pouvoir dire que les services du département des travaux publics sont fort loin d'être en dehors de tout contrôle, de toute surveillance ; je crois, au contraire, que beaucoup de choses sont déjà faites. Une proposition est déposée pour les recettes du chemin de fer ; il reste à proposer la loi d'exploitation, mais cette loi d'exploitation, messieurs, si on veut qu'elle soit bonne, il faut que le gouvernement en ait l'initiative ; il ne faut pas la composer de pièces dues à l'initiative de membres de cette chambre, initiative commandée par des idées trop exclusives.

Je pense donc, messieurs, que l'admission de la proposition de l'honorable M.de Man n'est pas nécessaire, et qu'elle n'est pas ce qui conduirait, le mieux ni le plus directement au but que l'honorable membre a en vue, but qui est fort utile, but que j'appelle de tous mes vœux tout aussi bien que l'honorable membre.

L'honorable M. d'Hoffschmidt a entretenu la chambre de divers objets concernant le chemin de fer. L'honorable membre s'est occupé des tarifs ; il a émis le vœu que la chambre fût prochainement saisie d'une proposition du gouvernement pour les tarifs. Je pense, messieurs, que cette proposition est indispensable ; mais je pense, ainsi que j'ai eu différentes fois l'occasion de le dire, qu'il faut non seulement fixer les tarifs, mais qu'il faut définir le système d'exploitation, qu'il faut poser les principes d'après lesquels l'administration aura à se guider à tous égards ; qu'il faut, en un mot, ainsi que je l'ai dit, faire une loi d'exploitation.

Messieurs, je me suis occupé de cette loi dont la nécessité est à mes yeux évidente. Mais je dois reconnaître que mon travail est moins avancé (page 1522) que je ne l'aurais désiré, et que jusqu'à présent je n'ai pas pu donner à ce travail tous les soins qu'il exige, vu la position où je me trouvais, à défaut du vote des chambres sur le budget des travaux publics. On comprend qu'aussi longtemps que le budget de mon département n'est pas voté, je suis en quelque sorte tenu en échec par cette situation, toute provisoire et qu'il m'est impossible de reporter toute mon attention sur une matière aussi difficile et aussi compliquée qu'une loi d'exploitation. S'il m'est possible de présenter la loi avant la fin de la session, la chambre peut être convaincue que je serai très heureux de le faire, mais il est possible que le temps me manque.

Si telle est la situation, je m'occuperai de la loi d'exploitation dans l'intervalle des deux sessions, et je m'engage volontiers à la déposer, à l’ouverture même de la prochaine session. Toutes les questions indiquées par l'honorable préopinant trouveront leur solution dans cette loi. Il serait prématuré de vouloir trancher ces questions aujourd'hui ; on les résoudrait à un point de vue restreint, sans avoir le coup d'oeil de l'ensemble.

L'honorable M. d'Hoffschmidt vous a donné un aperçu des sommes qu'il juge nécessaires pour le parachèvement des chemins de fer et qui peuvent varier de 10 à 15 millions, suivant le point de vue où l'on se place.

Je pense comme l'honorable membre qu'il sera nécessaire de compléter à une époque prochaine nos doubles voies. Il sera également nécessaire de compléter nos stations ; la plupart des travaux indiqués par l'honorable membre devront s'exécuter, et s'exécuter dans un délai assez court.

Mais, messieurs, il est un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec l'honorable membre. L'honorable membre voudrait qu'on prît un certain nombre de millions à prélever sur le produit d'un emprunt, pour les consacrer à des renouvellements extraordinaires de billes et de rails. Je pense, messieurs, que, dans un temps assez court, nous pourrons arriver à tous ces renouvellements par les ressources mêmes du budget, et je pense que la progression remarquable des recettes nous donnera le moyen d'arriver assez promptement à ce résultat.

L'honorable membre a fait observer que le crédit primitif de 700,000 francs pour le renouvellement des billes et des rails, se trouve aujourd'hui porté à 825,000 francs ; l'honorable M. d'Hoffschmidt pense que cette somme est inférieure aux besoins, et qu'elle devrait être portée à un chiffre supérieur, par le motif surtout qu'elle ne comprend que 300,000 fr. pour le renouvellement des rails.

Mais, messieurs, la somme de 825,000 fr. supposait un renouvellement assez considérable, dès 1847, au moyen de marchés de rails, dont le payement aurait été échelonné sur trois années ; j'ai tenté une adjudication de rails sur cette base, mais elle a eu un résultat que je n'ai pas cru devoir sanctionner.

Aujourd'hui, messieurs, je crois pouvoir proposer à la chambre de porter au budget de 1847 la somme entière, nécessaire pour solder les rails jugés indispensables. Le crédit pour le renouvellement des billes et des rails serait dès lors porté à 1,425,000 fr. cette somme, le budget peut la supporter, et si le budget peut la supporter, il est essentiel qu'il la supporte.

A l'époque où j'ai eu à m'expliquer avec la section centrale sur l'emploi présumé des fonds demandés pour le renouvellement de billes et rails, il était impossible d'établir aussi bien qu'on peut le faire aujourd'hui, quel serait le produit du chemin de fer en 1847 ; force m'était donc de me restreindre dans des limites en rapport avec les produits alors probables. Aujourd'hui je puis aller beaucoup plus loin ; la recette du chemin de fer pour 1847 peut être évaluée, dès à présent, sans aucune témérité, à 15 millions 1/2, au lieu de 13,900,000 fr., somme portée au budget des voies et moyens. Je trouve dans cette augmentation la possibilité de porter l'allocation, pour renouvellement de billes et rails, à 1,425,000 francs, et cela sans qu'il en résulte un défaut d'équilibre entre les dépenses et les prévisions de recette, telles qu'on peut les établir aujourd'hui.

Cette somme de 1,425,000 fr. est déjà considérable ; elle permet de faire quelque chose d'efficace, de réel ; et en présence de la progression des recettes déjà connue, progression dont nous n'avons pas le dernier mot ; il sera possible indubitablement de proposer au budget de 1848, pour le renouvellement de billes et rails, une somme supérieure à 1,425,000 fr.

Je suis donc porté à croire que les renouvellements, reconnus nécessaires, pourront se faire, au moyen des ressources du budget ; je pense qu'il est essentiel de le faire, puisque la chose est possible ; ce sera maintenir le principe, que le chemin de fer doit se suffire à lui-même, que l'emprunt ne doit pas venir au secours des besoins courants de l'exercice.

L'honorable M. d'Hoffschmidt a également appelé l'attention de la chambre sur la nécessité de pourvoir à un remplacement assez large de voitures usées et détériorées du chemin de fer. Je crois devoir rappeler que déjà une somme de 200,000 fr. a été votée au budget de 1846 pour cet objet ; qu'une somme de 300,000 fr. est prévue au budget de 1847 pour recevoir la même destination, et que vraisemblablement cette somme de 300,000 fr. pourra être portée à un chiffre supérieur au budget de 1848.

Au moyen de ces différentes allocations réunies, on pourra remplacer un nombre de voitures assez considérable. J'ai la certitude que, pour les voitures comme pour les rails et les billes, le budget pourra faire face à tous les besoins. Je pense qu'il est essentiel de maintenir toujours la distinction entre le renouvellement et le premier établissement, et je crois qu'il y a là une borne salutaire à des dépenses exagérées.

M. Lys. - Les travaux exécutés par l'Etat en Belgique ont imprimé à notre jeune nationalité un cachet de grandeur et un signe de durée, qui lui auraient manqué pendant de nombreuses années. Le département chargé de cette branche importante de l'administration publique préside donc en réalité à tout ce qui fait la force morale et l'importance européenne de notre patrie. S'il en est ainsi (et personne ne contestera la vérité de mon assertion), nous devons nous montrer sévères et difficiles à l'égard de tout ce qui peut agir sur le développement et la direction de nos grands travaux nationaux.

Le budget du département des travaux publics répond-il cette année à l'attente légitime de la chambre et du pays ? Non, messieurs ; la chambre ne doit être et ne peut pas être satisfaite de l'administration des travaux publics. Et d'abord avons-nous été en état de nous livrer sérieusement à l'examen d'un budget qui, à part le nombre et l'importance de ses articles, s'élève à une somme de plus de 15 millions ? Importance que M. le ministre vient encore d'augmenter il n'y a qu'un instant.

Les développements à l'appui du budget n'ont été fournis qu'après que les sections ont eu terminé leur examen, et ce qui n'est pas moins déplorable, c'est que la chambre n'est définitivement saisie de la discussion du budget que près de quatre mois après le commencement de l'exercice auquel le budget s’applique.

Cet état de choses est contraire à tous les principes d'une bonne organisation financière. Un budget ne doit pas, en règle générale, être appliqué rétroactivement pour le règlement des dépenses d'un exercice ; il y a, dans le système contre lequel nous nous élevons, une irrégularité d'autant plus grande, que cette marche a pour résultat de livrer les premiers mois de l'année à un état d'incertitude et de précarité essentiellement déplorable pour l'avenir de l'administration et pour sa stabilité ; et vous avez déjà eu une preuve de l'irrégularité que cet état de choses amène.

Le maintien de l'allocation pour le service des inspecteurs des plantations, au chapitre II, première section, n'aurait pas eu lieu si l'année n'avait pas été aussi avancée, si la moitié de la somme demandée n'eût été déjà engagée.

Nous n'avons pas ce seul reproche à adresser au département des travaux publics, nous avons malheureusement d'autres griefs bien plus graves. La législature a voté des sommes considérables pour les travaux publics, et elle a presque toujours été engagée à faire cette dépense, dans la vue de procurer de l'ouvrage à la classe nécessiteuse ; c'est là le principal motif que le gouvernement faisait valoir pour obtenir le crédit ; elle a voté, dans le même but, des concessions pour la construction de certaines lignes de chemin de fer. Le gouvernement a-t-il poussé et a-t-il surveillé ces travaux comme il aurait dû le faire ? Si nous nous demandons quelle a été l'activité imprimée aux travaux, nous devons reconnaître qu'il y a eu apathie de la part de l'administration ; et cependant, messieurs, de nombreux ouvriers ont manqué d'occupation pendant le long et rigoureux hiver que nous venons de traverser. Les malheureux ont dû vivre de charité : ils auraient pu trouver des ressources honorables dans le travail.

Il est à coup sûr éminemment regrettable, que l'apathie de cette administration ait eu pour résultat d'empêcher que les travaux décrétés ou convenus n'aient pas donné aux populations ouvrières toutes les ressources que l'on devait légitimement en attendre. Inutilement viendra-ton répondre que des questions de tracé n'ont pas été décidées avant cette époque, et que par suite l'avancement des travaux s'en est ressenti. Il fallait les vider de suite, et cela était au pouvoir de l'administration. Inutilement encore voudrait-on excuser le retard des travaux, parce que tel chemin de fer est l'objet d'un procès ; ce sont là des causes urgentes dont rien ne peut retarder la décision, lorsque l'administration veut les pousser activement.

Je ne citerai qu'un exemple pour démontrer l'apathie du gouvernement jusque dans les petites concessions, concessions pour lesquelles l'Etat n'avait pas un centime à débourser, où il ne s'agissait que de faire examiner une demande.

Au mois de juin dernier, on a demandé la concession d'un chemin de fer de Pepinster à Spa. Là ou ne demandait aucun subside de l'Etat, ce chemin de fer ne peut être susceptible d'opposition par qui que ce soit ; il serait avantageux à la ligne du chemin de fer de l'Etat, ce serait là un affluent très productif ; il serait d'un avantage général sans que personne puisse en souffrir ; avantageux surtout pour la petite ville de Spa, car il ferait plus que doubler le nombre des personnes qui viennent visiter cette belle localité. On ne va pas à Spa, parce que les moyens de transport manquent ou sont peu agréables en quittant un chemin de fer. On nous a souvent parlé de moyens de procurer du travail aux malheureux. C'était là une bien belle occasion : on était au centre d'une masse d'ouvriers qui ne demandaient que du travail.

Je demanderai à M. le ministre ce que l'administration a fait sur cette demande ? Ce n'est pas faute de sollicitations de ma part si elle n'a rien fait. Eh bien, je le dis sans crainte d'un démenti, l'administration n'a rien fait ; aucune suite n'a été donnée par elle à cette demande ; elle est dans l'état où elle se trouvait au mois de juin dernier.

Je sais, messieurs, que les reproches qui sont adressés au ministère des travaux publics proviennent de ce que les grandes administrations qui dépendent de ce département n'ont pas déployé l'activité nécessaire ; mais le ministre devait leur imprimer cette activité si nécessaire, l'exiger. Il est vrai de dire que l'on a aussi négligé les mesures les plus urgentes en ce qui concerne les subsistances ; ce qu'on a fait, on l'a fait tardivement, et le résultat a été pour ainsi dire tout à fait nul, parce qu'on ne l'avait pas fait en temps opportun.

(page 1523) 11 y a très peu de temps, messieurs, que le gouvernement vous a engagés à distraire du crédit de 2,898,960 fr. destiné à des constructions et dépendances de station, une somme d'un million de francs qui seront employés à la construction de waggons servant au transport de marchandises. D'après le gouvernement, il resterait encore, déduction faite de la somme engagée, 338,886 fr. 37 c. affectés à leur première destination.

C'est là une mesure qui n'amènera aucun résultat avantageux, non que j'entende critiquer l'emploi d'une somme d'un million de francs pour le matériel de transport. Mais il est reconnu dès à présent que la somme allouée pour constructions et dépendances de stations est insuffisante. Pourquoi donc réduire cette somme dès qu'on en reconnaît même l'insuffisance ?

C'est qu'en fait de chemin de fer, on ne vous dit jamais toute la vérité. Il y a dans cette administration tant d'abus, qu'on n'ose vous les signaler franchement ; on recule le moment où force sera de tout vous dévoiler. Il arrivera pour le chemin de fer le même résultat que pour le matériel de la guerre. Vous verrez qu'un jour on viendra vous dire : Ce n'est pas quelques centaines de mille francs que nous avons à vous demander ; ce sont de nombreux millions dont nous avons besoin pour mettre les choses en bon état.

Rappelez-vous que l'honorable général Goblet vous a fait connaître qu'une somme de 18 millions et plus serait nécessaire pour compléter le matériel de la guerre ; et l'honorable M. d'Hoffschmidt ne vient-il pas de vous démontrer que le chemin de fer exigeait une dépense de plus de quinze millions, si on voulait le mettre en bon état. Nous pouvons avoir confiance en ce que nous dit notre honorable collègue, car lui aussi a dirigé le ministère des travaux publics ; aussi le ministre n'a nullement contredit ses avancés, il s'est borné à dire qu'une partie de cette dépense pourrait être couverte sur les revenus ordinaires.

On est venu vous dire : Sur le crédit de 2,898,960 francs, 1,560,075 francs 65 centimes seulement sont engagés ; de sorte qu'il reste disponible 1,338,886 francs 37 centimes, mais cette somme est insuffisante, on le reconnaît. L'achèvement complet des stations demanderait une somme de 3,300,000 francs ; encore le gouvernement est-il sans données positives à ce sujet ; il est donc permis de supposer, comme toujours, qu'une somme double, une somme de six millions sera nécessaire. Et c'est dans un pareil état de choses que l'on vous a fait distraire, d'une somme déjà insuffisante, un million. Mais.la position saute aux yeux : loin qu'il vous reste des sommes disponibles, je suis intimement convaincu, je ne puis en fournir la preuve, j'en conviens (et en lisant le rapport de l'honorable M. Brabant, je vois qu'il a été dans le même cas) ; loin qu'il vous reste des sommes disponibles pour les stations, je dis que le tout est absorbé et qu'on se bornera à vous demander une allocation de fonds beaucoup plus considérable, au moyen de laquelle on couvrira le passé et le futur.

L'administration du chemin de fer restera un dédale inextricable, c'est ce que cherche l'administration.

Puisque nous avons reconnu l'insuffisance du matériel, nous demanderons à M. le ministre s'il ne devrait pas y avoir près de l'administration centrale un bureau chargé spécialement et uniquement de surveiller la répartition des waggons entre toutes les stations du pays. Une bonne distribution d'un matériel, même peu considérable, permet de faire face à une plus grande somme de besoins, qu'on ne pourrait le faire avec un matériel très considérable, mais mal distribué. Or, nous ne remarquons pas que, dans l'organisation actuelle de l'administration, il y ait un bureau chargé spécialement de ce service important ; cependant il y a un bureau de régie, chargé spécialement des payements des salaires, et qui, d'après le rapport, est passablement insignifiant ; pourquoi ne pas avoir institué une section spécialement chargée de la répartition du matériel et de la surveillance journalière de ce service ? C'est, messieurs, ce qui ne se conçoit pas. N'est-il pas, en effet, évident que l'action des chefs de station, des ingénieurs même est insuffisante pour ce service spécial ? N'est-il pas manifeste qu'il faut pour cet objet une surveillance de tous les jours ? N'est-il pas incontestable que, pour que cette surveillance soit efficace, utile, elle doit s'exercer sur toute l'exploitation, sur tout le matériel répandu sur toutes les lignes du réseau de nos chemins de fer. Un bureau chargé exclusivement et privativement de ce service est donc indispensable, et l'administration de ce bureau aura peut-être pour résultat de rendre possible le service de l'exploitation, avec un matériel beaucoup moins considérable que celui dont on prétend que le besoin se fait impérieusement sentir.

Après la construction des nouveaux waggons, s'il n'y a pas plus d'ordre dans leur distribution, de nouveaux besoins seront bientôt reconnus. L'administration ne fait rien pour l'amélioration de nos relations avec le chemin de fer rhénan ; pour nous engager à prendre part aux frais de son établissement, on faisait valoir l'avantage que nous pourrions retirer du droit que nos actions nous donneraient dans les délibérations de cette société. Je ne parlerai plus des pertes volontaires que l'Etat belge a faites ; je les ai prouvées mathématiquement, je ne veux plus y revenir ; M. le ministre des finances voulait couvrir les fautes de ses prédécesseurs. C'est là un service réciproque que se rendent nos hauts fonctionnaires. La Belgique devait remplir leurs promesses au détriment des finances de l'Etat. Mais aujourd'hui comment usons-nous des voix que nos 4,000 actions nous donnent dans l'administration du chemin de fer rhénan ? La double voie de ce chemin de fer est loin de son achèvement ;nos waggons restent beaucoup trop longtemps à séjourner sur ce chemin de fer ; nous avions besoin d'un consul, d'une direction quelconque à Cologne, et si cela ne se pouvait à Deutz ou à Bonn pour la surveillance de nos intérêts dans cette voie ferrée, pour l'intérêt du commerce ; on a été le placer dans une ville de l'Allemagne, où il se trouve de la plus grande inutilité.

Il est dès lors établi en fait que le gouvernement n'use nullement de la prépondérance que le quart des voix qui lui appartient lui donnerait nécessairement dans l'administration du chemin de fer rhénan, et que le but de l'achat de ces mille actions est tout à fait manqué.

Nous partageons, messieurs, l'opinion de la section centrale, qu'il y a désordre dans le budget en ce qui concerne le traitement du corps des ponts et chaussées. Que si nous vous disons qu'il y a impossibilité de reconnaître le chiffre vrai du traitement des membres de ce corps, parce que, comme le dit le rapport, l'imputation des traitements a lieu sur différents articles, vous penserez avec moi qu'il ,a abus dans cet état de choses, qu'il y a dans cette organisation impuissance pour la chambre d'exercer son droit de contrôle, et que, par suite, il y aurait lieu de contraindre le gouvernement à rentrer dans les voies de la légalité ; et le seul moyen d'arriver efficacement à ce résultat, ce serait de rejeter l'allocation demandée pour faire face à cette partie du service.

Il y a encore, messieurs, une autre sorte d'abus que la chambre doit proscrire, ce sont les frais de voyage et de déplacement qui sont accordés à certains employés de l'administration.

Pourquoi les employés supérieurs sont-ils institués ?

Ils sont investis de leurs fonctions pour surveiller et diriger l'exploita-lion du chemin de fer. Cela étant, pourquoi attribuer à ces fonctionnaires des frais de déplacement ? Ne sont-ils pas payés pour remplir leurs fonctions ? Pourquoi des inspecteurs, des vérificateurs ? Sans doute pour inspecter, pour vérifier. Ils sont donc rétribués pour se déplacer.

L'administration des finances n'accorde pas des frais de voyage à ses inspecteurs d'enregistrement, pourquoi en est-il autrement en matière de chemin de fer ?

M. le ministre des finances (M. Malou). - Il n'y a pas de différence ; consultez le budget des finances, vous vous en assurerez.

M. Lys. - Avec les gros traitements qu'on donne aux employés, je ne comprends pas qu'on leur donne encore des frais de voyage.

Dans une précédente séance, quand l'honorable rapporteur faisait remarquer que ces frais pouvaient s'élever à 63 fr. par jour, M. le ministre répondait : « Ne soyez pas étonnés de cela, c'est une compensation de la modicité des frais de séjour qu'on leur alloue. «

Mais, pour les frais de séjour, n'ont-ils pas leur traitement ?

Et puis, messieurs, ne perdez pas de vue que les employés du chemin de fer sont transportés gratis, partout où l'exercice de leurs fonctions les appelle. Il n'en est pas de même des inspecteurs et vérificateurs de l'enregistrement. Il y a injustice, messieurs, à accorder des frais de déplacement à des employés grassement rétribués, lorsque pareille faveur n'est pas accordée à des employés inférieurs, tels que les gardes-convois, qui, quoique leur salaire ne soit pas élevé, sont cependant forcés de prendre hors d'un traitement peu considérable, de quoi paver leurs dépenses de délogement. Or, il doit y avoir égalité entre tous les employés d'une même administration, il faut que tous soient traités avec justice et réciprocité. Pourquoi si un employé supérieur, qui jouit d'un gros traitement, doit toucher un supplément, faut-il qu'un employé inférieur, très souvent père de famille, prenne hors d'un modeste traitement, le montant des dépenses qu'entraîne son délogement ? Cela n'est ni juste, ni équitable. Les dépenses, qui ne sont qu'une occasion pour l'administration de répartir des faveurs, doivent disparaître ; rien ne justifie ces dépenses, elles reposent sur une fausse base, et elles constituent un véritable double emploi, car ces indemnités de déplacement ont pour objet de rémunérer les services pour lesquels le traitement est accordé.

Maintenant, messieurs, les règles d'admission aux emplois sont-elles observées ? N'y a-t-il pas, dans la répartition des places, des actes qui sont injustifiables au point de vue des règlements ? C'est là, messieurs, ce que nous ne voulons pas examiner maintenant, parce que nous pensons qu'en matière de nomination à des emplois, le gouvernement jouit nécessairement d'un pouvoir arbitraire, car sans cela la responsabilité ministérielle ne serait qu'un mot vide de sens ; mais cela n'empêche pas, que nous ne signalions à l'administration qu'elle s'engage dans une voie fausse, quand elle ne respecte pas toujours sévèrement les prescriptions des règlements sur cette matière.

Il est encore un objet sur lequel nous croyons devoir attirer l'attention de la chambre. Nous ne voyous nulle part ce que coûtent les procédures soutenues par l'administration des travaux publics. Les frais de ces procédures doivent être assez considérables, et il serait convenable que la chambre connût exactement le chiffre de la dépense qui est supportée par l'Etat en frais de procédure et en honoraires d'avocats.

Nous voudrions que les avocats de l'administration du chemin de fer eussent un traitement fixe, tout comme les avocats de l'administration, des contributions ; ce serait pour l'Etat une économie notable. Nous ne concevons pas pourquoi ce principe n'a pas déjà été adopté.

L'année dernière, je demandais un acte de justice pour la ville de Verviers, Je m'exprimais ainsi :

« Je viens maintenant, messieurs, demander qu'il soit fait droit aux réclamations que la ville de Verviers a adressées depuis longtemps au gouvernement. Verviers est peut-être la seule ville en Belgique en possession du chemin de fer et dont les habitants ne puissent pas se rendre (page 1524) soit à Bruxelles, soit à Anvers, et rentrer le même jour chez eux. On maintient cet état de choses sans aucun profit pour le gouvernement ; au contraire, je sais qu'il en résulte une perte. Pendant la période d'été, le dernier convoi de Liège à Verviers part, si je ne me trompe, à 7 heures du soir, c'est-à-dire, une heure avant l'arrivée du convoi de Bruxelles à Liège. Or, ne serait-il pas bien plus naturel (et je crois que M. le ministre actuel des travaux publics partagera mon opinion), ne serait-il pas bien plus naturel de retarder le dernier départ du convoi de Liège à Verviers, d'une heure, afin qu'il puisse reprendre les personnes de Verviers qui se trouvent sur le convoi de Bruxelles ? C'est une chose qui ne coûterait rien au gouvernement et qui serait très avantageuse pour le fabricant. Je dis même plus, je dis que cela multiplierait les voyages des fabricants et augmenterait par conséquent les revenus du chemin de fer, sans aucune augmentation de dépense.

« Mais, dira-t-on peut-être (et c'est ce qu'on a déjà dit dans le temps), le chemin de fer de Liège à Verviers est d'un trajet difficile et dangereux, et il serait imprudent de faire le voyage pendant la nuit. cette allégation ne peut pas se soutenir, car pendant tout l'hiver le convoi part de nuit, voyage de nuit, arrive de nuit, et il n'y a pas de doute que la saison d'hiver ne soit bien plus dangereuse que la saison d'été.

« Je dis que le fabricant, homme essentiellement nécessaire chez lui pour la surveillance de ses ateliers, je dis que s'il pouvait rentrer le même jour chez lui, il multiplierait ses voyages, ce qui serait un avantage pour le chemin de fer. »

M. le ministre a fait droit pendant l'été dernier à cette réclamation, mais de la manière qu'on lui a fait porter remède à un vice existant, l'on avait la certitude que le remède serait chose coûteuse pour l'Etat et serait par suite supprimé ; c'est ce qui est arrivé, et en effet, pour la saison d'hiver, on a dû partir de Bruxelles à onze heures pour arriver le même soir à Verviers.

Nous demandions, comme je viens de vous le démontrer, messieurs, que le convoi partant de Liège pour Verviers à sept heures du soir, fût retardé jusqu'à l'arrivée du dernier convoi de Bruxelles à Liège. Si la chose s'était faite ainsi, il n'y avait à craindre aucun surcroît de dépense pour le gouvernement, car les personnes destinées pour le convoi de sept heures attendaient celui de huit heures, et ce convoi prenait en outre les personnes qui arrivaient avec ce convoi de Bruxelles dont la destination était pour Verviers.

Donc aucuns frais quelconques à charge de, l'Etat.

Mais ce n'est pas là ce que l'administration voulait ; au lieu d'un convoi elle a maintenu celui de 7 heures pour Verviers, et elle en a fait partir un second après l'arrivée du dernier convoi de Bruxelles. Il y avait là tous les frais d'un convoi ; on a aussi eu soin de ne pas annoncer ce dernier convoi aux voyageurs et, bien plus, de ne le faire figurer sur aucun tableau du chemin de fer.

D'ailleurs, le voyageur étranger n'avait aucun intérêt de venir, le même soir à Verviers puisqu'il ne pouvait être rendu à Cologne que le lendemain à 5 heures du soir.

Vous voyez, messieurs, qu'on a fait de son mieux pour que la chose concédée ne fût pas maintenue, et le résultat était immanquable.

Je demanderai à M. le ministre comment il a pu admettre un pareil mode, lorsque celui que je lui présentais n'occasionnait aucune dépense quelconque pour l'Etat.

Mais Verviers n'était pas seul intéressé dans ce dernier convoi du chemin de fer ; si les choses avaient été réglées comme elles devaient l'être, comme une administration qui entend ses intérêts aurait fait, comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises, dans l'état actuel du dernier départ du chemin de fer de Bruxelles pour Liège, un voyageur en destination pour Cologne n'y arrive que 25 heures après. La distance est de 25 lieues ; il fait donc heure par heure.

Vous voyez qu'il irait beaucoup plus vite par le service des anciennes diligences que par le chemin de fer.

On pouvait porter remède à un tel état des choses, en faisant partir le convoi de 7 heures de Liège à Verviers, seulement après l'arrivée du dernier convoi de Bruxelles à Liége, et en s'entendant avec le premier convoi d'Aix-la-Chapelle à Cologne ; faisant partir le premier convoi de Verviers à Aix-la-Chapelle une heure plus tôt, faisant retarder aussi d'une heure le convoi du premier départ d'Aix-la-Chapelle à Cologne ; par là les personnes en destination de Bruxelles à Cologne, qui partaient de Bruxelles par le dernier convoi, arrivaient le lendemain à Cologne, avant midi, et les voyageurs étaient en avancé d'un jour, pouvant prendre à midi les voitures publiques qui partent à cette heure de Cologne en destination de Berlin.

Voilà, messieurs, comment l'administration fait marcher notre chemin de fer plus lentement, que les anciennes diligences, et fait perdre une journée tout entière aux voyageurs. Comment se fait-il que le gouvernement n'ait pas admis une pareille marche, que je lui ai indiquée ? Je serais curieux d'entendre à cet égard M. le ministre des travaux publics, et j'espère qu'il voudra bien me répondre.

J'avais aussi appelé l'attention du gouvernement sur un autre abus existant. Je disais :

« Il est remarquable que, pour le chemin de fer d'Ans à Verviers, on fait payer, non le parcours réel du chemin de fer qui est en ligne droite, mais le parcours qu'avait une ancienne route, tortueuse et plus longue.

« On a remédié en partie à cet abus. C'était une application erronée d'un principe.

« En effet, messieurs, on a accordé une indemnité en sens contraire aux habitants de Louvain, de Bruxelles et de Gand. Sur ces lignes, les routes anciennes allaient en ligne directe. Le chemin de fer n'a pas suivi cette ligne directe. On a accordé aux habitants une moyenne ; c'est-à-dire qu'on ne leur fait pas payer tout le parcours du chemin de fer. Cette moyenne est établie eu faveur de ce parcours du chemin de fer ; on a indemnisé parce que le railway n'avait pas suivi la ligne la plus droite

« Pour nous, on avait argumenté en sens contraire ; on avait dit : Vous aviez une route tortueuse ; vous payerez le parcours non pas du chemin de fer, mais de l'ancienne route. C'était là forcer le principe ; on ne disait pas comme à Louvain et à Gand : Nous voulons vous faire plus que le chemin de fer ne vous donne, mais on nous faisait payer au-delà du parcours réel.

« C'était là une misérable chicane, un tel raisonnement n'était qu'un argument captieux ; car si l'on voulait prendre une route comme base du tarif, on pouvait en prendre une plus courte que celle de la vallée de la Vesdre, par exemple, la route de Verviers par Hervé et la Clef sur Liège qui présente moins de longueur.

« Par un arrêté du 14 janvier, le gouvernement a fait droit à nos réclamations sur ce point, en ce qui concerne les marchandises, mais pas en ce qui concerne les personnes. Si l'on admet le principe d'un côté, on doit l'admettre de l'autre. Justice entière doit être rendue. J'appelle l'attention de M. le ministre des travaux publics sur la convenance d'étendre la mesure prise par cet arrêté. »

Nous payons encore aujourd'hui pour le transport des personnes de Liège à Verviers, pour une distance de 30,000, tandis que la distance n'est que de 24,290 mètres, et ainsi pour les distances intermédiaire.

« Un autre objet important pour la ville de Verviers serait un bureau en ville, où l’on pût déposer les marchandises dites de diligence. Ainsi que cela se pratique dans les autres villes, il pourrait être établi chez l'entrepreneur du camionnage. Cs serait dans l'intérêt du chemin de fer ; car les marchandises de diligence payent quatre fois plus que les grosses marchandises.

« Faute d'un bureau en ville ; on dépose les marchandises au bureau des messageries. Je m'explique, en citant l'exemple suivant.

« Un négociant a un colis de 50 kilog. ; il consent à payer comme au tarif n°4, afin d'activer le transport ; ne trouvant point de bureau du chemin de fer en ville, il est réduit le plus souvent à avoir recours aux messageries qui le font prendre chez lui ; de là une perte réelle pour le railway et un désagrément pour ce négociant. »

Un dernier objet fort important consiste dans le retard que met le chemin de fer au transport des marchandises. Pour jouir du bénéfice de certain tarif, il faut fournir la charge complète d'un waggon ; c'est là, messieurs, une fort mauvaise prescription ; c'est là ce qui empêche le gouvernement de faire des bénéfices par le transport de certaines marchandises ; c'est là ce qui donne lieu à priver le chemin de fer de certains transports, qui restent confiés à des entrepreneurs.

Remarquez, messieurs, que le transport de ces marchandises pourrait se faire sans la plus petite dépense extraordinaire pour l'Etat. Chaque jour nous voyons partir de Verviers vers Liège une quantité considérable de waggons vides, tandis qu'on laisse dans les magasins, à Verviers, une quantité de marchandises ; et par là les marchandises pour Anvers, Gand et Bruxelles restent plusieurs jours à la station, tandis qu'elles pourraient arriver le même jour, sans une plus grande dépense pour l'administration du chemin de fer.

Une dépense que je crois devenue inutile, qui a pu être nécessaire, j'en conviens, mais qui ne doit plus l'être, c'est la prime accordée aux machinistes pour le coke.

L'administration doit nécessairement connaître aujourd'hui fort, exactement la quantité moyenne du coke, nécessaire pour un parcours quelconque ; l'expérience a dû le lui démontrer, sans cela il faudrait désespérer du service de la locomotion. S'il en est ainsi, à quoi bon accorder des primes et des indemnités aux machinistes ? C'est évidemment faire une dépense inutile ; et par conséquent la somme de 18,000 fr. portée pour cette dépense, devrait, à mon avis, disparaître du budget.

Depuis le temps que le chemin de fer est établi, il ne devrait pas exister le plus léger doute sur la quantité de coke nécessaire pour tel parcours. J'espère que M. le ministre voudra bien s'expliquer à cet égard.

Je crois vous avoir démontré que le chemin de fer n'est pas exploité comme il devrait l'être ; qu'il ne répond pas aux besoins du commerce et du public, autant qu'il pourrait et qu'il devrait le faire ; qu'il y a beaucoup d'économies à faire, et beaucoup de produits négligés. Espérons, messieurs, que l'année 1847 ne se passera point, sans que la révision des tarifs ait enfin lieu, car il est plus que temps que ces tarifs soient maintenant combinés avec la position normale qui est faite à l'administration et au pays.

Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay) - Je désire répondre quelques mots.

L'honorable M. Lys paraît croire que la proposition récemment faite, relativement au matériel du chemin de fer, n'était pas basée sur l'idée sérieuse d'augmenter le matériel, que c'était un moyen auquel on avait recours pour masquer un prétendu déficit, en confondant le crédit accordé avec un autre crédit à accorder. Je crois avoir clairement fait connaître, dans l'exposé de motifs, que le but de la proposition n'était autre que de pourvoir aux exigences du service des transports, sans (page 1525) recourir à de nouvelles émissions de bons du trésor. Je crois avoir dit qu’en présence de vingt millions de bons du trésor en émission, il était impossible de recourir à de nouvelles émissions de bons du trésor pour se procurer le matériel dont on avait besoin. Il n'y avait qu'une mesure à prendre, c'était de pourvoir au plus pressé. J'ai demandé à pouvoir distraire provisoirement un million du fonds destiné aux stations. Cette proposition, je l'ai faite avec une entière bonne foi, sans autre but que celui indiqué dans l'exposé des motifs.

Maintenant est-il vrai que le crédit voté pour les stations ait été au moins en partie détourné de sa destination ? Mais cela ne se peut pas ; on ne dispose d'un crédit qu'avec le concours du ministre des finances et sous le contrôle de la cour des comptes. Que l'honorable membre se rende à la cour des comptes, il verra quelle est la partie de ce crédit dont on n'a pas disposé, il verra que les chiffres qu'on lui présentera correspondent avec ceux que j'ai indiqués à la chambre.

L'honorable membre trouve que je n'ai pas donné une impulsion convenable aux travaux des chemins de fer concédés. J'ai déjà dit que le gouvernement n'a pas la direction des travaux des chemins de fer concédés ; cette direction appartient aux compagnies concessionnaires.

Le gouvernement examine et approuve les plans et provoque des mesures de rigueur quand les délais pour l'exécution sont écoulés. Mais le gouvernement ne peut pas se substituer aux compagnies et agir en leur nom là où elles restent dans l'inaction.

L'honorable membre s'est plaint de ce qu'on n'avait pas accordé la concession d'un chemin de fer de Pepinster à Spa. Je reconnais que cette communication peut être utile, et que l'honorable membre m'en a parlé ; mais je ferai observer que les demandeurs n'ont fait aucune espèce de démarche pour que cette affaire reçût une solution. Il en est de cette demande comme de beaucoup d'autres, qui dorment dans les cartons, parce qu'il est inutile de se livrer à une instruction au sujet de demandes qui ne sont pas sérieuses, ou pour lesquelles les moyens d'exécution manquent.

Si les demandeurs m'avaient manifesté l'intention de mettre ce projet à exécution et m'avaient donné quelque indication sur leurs moyens financiers, je me serais empressé de m'occuper de cette affaire. Mais accorder des concessions sur le papier, c'est ne rien faire et même c'est discréditer des concessions déjà accordées qui auraient des chances de succès.

L'honorable M. Lys dit que le crédit pour les stations est insuffisant, et il s'étonne qu'on ne demande pas la somme nécessaire pour terminer les stations.

Mais, messieurs, pouvons-nous toujours décréter des augmentations de dépenses qu'on doit couvrir au moyen d'émissions de bons du trésor ? N'est-il pas démontré que le gouvernement est désormais dans l'impossibilité de faire face à de nouveaux besoins extraordinaires sans recourir à un emprunt ? Serait-il possible de faire cet emprunt maintenant ? Si cela n'est pas possible, le gouvernement ne pouvait faire que ce qu'il a fait.

Il y a deux jours, l'honorable M. Osy, signalant l'utilité de l'ouverture du canal d'Herenthals à Anvers, a reconnu qu'il était impossible de s'en occuper dans le moment actuel ; qu'il fallait attendre l'époque où des ressources pourraient être créées pour faire face à la dépense ; il a reconnu qu'on ne pouvait plus, dans les circonstances présentes, demander de crédits extraordinaires à côté des crédits extraordinaires déjà accordés.

L'honorable M. Lys vous a entretenus de l'organisation de convois qu'il aurait désiré voir établir, dans l'intérêt de la ville de Verviers. Il s'agissait de faire continuer sur Verviers la marche du convoi arrivant à Liège vers huit heures. L'honorable membre semble croire qu'on a intercalé un convoi de plus, afin de faire sentir, par la dépense qui en résulterait, l'impossibilité de satisfaire à sa demande. L'honorable membre fait là une supposition qui n'est pas conforme aux faits. On m'a assuré que, sans intercaler ce convoi en plus, on eût desservi d'une manière incomplète plusieurs stations entre Liège et Verviers, stations sur lesquelles se dirigent des voyageurs qui ont encore à faire un chemin d'une ou de deux lieues et qui, par ce motif, doivent être déposés aux dites stations, à une heure qui ne soit pas trop avancée dans la soirée.

On m'a exposé que c'était sacrifier les localités intermédiaires que d'admettre la combinaison proposée par l'honorable M. Lys. Pour satisfaire aux besoins de Verviers et des localités intermédiaires, il fallait intercaler un convoi.

M. Lys. - M. le ministre a été trompé par son administration, comme à l'ordinaire.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - L'honorable membre dit que j'ai été trompé par mon administration, comme à l'ordinaire. Je n'admets pas une telle supposition : je pense que mon administration désire comme moi une exploitation peu coûteuse et qu'elle ne veut pas établir un système dispendieux pour le plaisir de dépenser de l'argent.

L'honorable membre s'est plaint du défaut d'organisation pour le mouvement dit matériel ; il a demandé qu'on établît un bureau spécial pour cet objet. Je crois pouvoir dire que, sans qu'il y ait un bureau spécial, ce travail est très centralisé. C'est un des inspecteurs de l'administration qui s'en occupe, et on doit reconnaître que les résultats obtenus ont quelque chose de remarquable.

Le matériel n'est guère plus nombreux que l'année dernière, et nonobstant les recettes ont présenté, pour le mois de mars écoulé, une augmentation de 159 mille francs, sur le mois correspondant de 1846, et cela en présence de transports gratuits considérables ; en mars 1846, on avait mis en mouvement 12 mille waggons, chaque waggon employé une fois, étant compte pour un waggon, et en mars 1847, le nombre des waggons employés s'est trouvé porté à 19 mille. Des faits semblables démontrent les efforts constants de l'administration ; il est de toute justice de tenir compte d'efforts semblables.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.