(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1316) M. Huveners procède à l'appel nominal à midi et quart.
- La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners fait connaître l'analyse des pièces suivantes.
« Le conseil communal d'Iseghem demande l'établissement d'une estampille destinée à marquer les toiles lissées avec du fil fait à la main. »
- Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
« Plusieurs habitants de Niel et des communes environnantes demandent une réduction de 75 p. c. sur les frais de transport par le chemin de fer et sur les canaux, de tout ce qui peut servir comme amendement et engrais du sol. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie et d'agriculture.
Par divers messages en date du 24 et du 25 mars, le sénat informe la chambre qu'il a adopté les projets de loi suivants :
1° Approuvant la convention entre le gouvernement et la Société Générale ;
2° Relatif à la cote des actions des chemins de fer concédés ;
3° Ouvrant au budget des finances de 1846 un crédit supplémentaire de 72,000 fr. ;
4° Relatif à la rectification des limites entre la France et la Belgique, au point de contact des communes.de Donchery et de Suguy. ;
5° Ouvrant un crédit de 2,000,000 de francs, entre autres, pour les canaux de Zelzaete et de Schipdonck ;
6° Etablissant une nouvelle répartition des représentants et des sénateurs.
- Pris pour notification.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai l'honneur de présenter à la chambre un projet de loi tendant à ouvrir au département des travaux publics un crédit provisoire de 1,107,981 fr. 3 c. pour les dépenses du mois d'avril. Je pense que, vu la durée de la discussion de la loi qui modifie le décret de 1831, il est devenu impossible que le budget des travaux publics soit voté par les deux chambrés avant le 1er avril ; c'est pour ce motif que j'ai présenté une nouvelle demande de crédit provisoire.
- Ce projet de loi sera imprimé et distribué.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je demande que le projet soit renvoyé à la section centrale du budget des travaux publics.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - On est arrivé à l'article 5, ainsi conçu :
« Art. 5. Si le prévenu ne comparaît pas ou se retire avant a prononciation de l'arrêt définitif, la cour d'assises le condamnera à une amende de 100 à 1,000 francs, et décernera, par le même arrêt, contre lui, une ordonnance de prise de corps. Il sera ultérieurement procédé conformément au Code d'instruction criminelle. »
- Les amendements suivants ont été présentés par M. le ministre de la justice :
« Substituer aux mots la prononciation de l'arrêt définitif, proposée par la section centrale, les mois : l'ouverture des débats. »
Ajouter à la fin de l'article le paragraphe suivant :
« Si le prévenu se retire après l'ouverture des débats, l'affaire sera continuée comme s'il était demeuré présent et l'arrêt sera définitif.. »
(page 1325) M. Jonet. - Messieurs, l'article 5 contient trois dispositions. Aux termes de la première, si le prévenu ne comparaît pas, la cour d'assises le condamnera à une amende de 100 à 1,000 fr. La seconde n'est à peu près que la conséquence de la première ; elle déclare que la cour décernera, par le même arrêt, contre le prévenu, une ordonnance de prise de corps. Par la troisième disposition, on dispose qu'il sera ultérieurement procédé conformément au Code d'instruction criminelle.
D'abord, je ne vois pas bien la nécessité de condamner le prévenu à une amende de 100 à 1,000 fr. pour le seul fait de non-comparution ; c'est, à mon avis, une innovation à tout ce qui existe. Quand un homme est cité devant une cour, il doit comparaître ; s'il ne comparaît pas, il doit être jugé ; mais je ne sache pas qu'aucune disposition de loi permette au juge de condamner un homme à une amende avant d'avoir reconnu sa culpabilité.
Je sens bien que cette disposition est proposée pour forcer le prévenu de comparaître devant la justice ; mais la seconde disposition produira plus d'effet ; si en pareil cas la cour est autorisée à décerner une ordonnance de prise de corps contre le prévenu, on obtiendra par là la représentation du prévenu plus facilement que par la condamnation à une amende. Je ne sais pas même si cette ordonnance est nécessaire ; à mon avis, elle est inutile, si l'on procède dans ces sortes d'affaires comme je crois qu'il faudrait procéder, si l'on se conformait à la Constitution. L'article dit finalement : Il sera ultérieurement procédé conformément au Code d'instruction criminelle.
Si le prévenu est arrêté ou s'il se constitue prisonnier, le mode est tout tracé dans le Code d'instruction criminelle ; il sera jugé contradictoirement comme tous les accusés en matière criminelle. Mais si le prévenu ne se présente pas ou si on ne peut pas le saisir, que fera-t-on ? Je pense que l'intention de M. le ministre, en présentant son projet, était de le faire juger par contumace sans l'intervention du jury.
A cette occasion, qu'il me soit permis de jeter un coup d'œil sur les contumaces réglées par les article465 et suivants du Code d'instruction criminelle. Je ne sais si ces articles existent encore aujourd'hui ; si ces dispositions n'ont pas été abrogées par la Constitution ? Mais en supposant qu'elles ne l'aient pas été, je crois qu'il y a nécessité absolue de réviser cette matière et de faire une nouvelle loi, non seulement pour les délits politiques et de presse, mais pour tous les crimes quelconques ; car, selon moi, les article.465 et suivants conduisent à l'absurde ; ils font jouer aux magistrats une comédie indigne d'eux et de leur caractère.
Je vais tâcher de démontrer ces vérités. D'abord, voyons ce que c'est que la contumace ; la contumace est au criminel ce que le défaut est en matières civile, commerciale, correctionnelle et de simple police.
Chaque fois qu'un homme, cité devant la justice, ne comparaît pas, il est jugé par défaut. Voilà la ressemblance ; mais, en matière criminelle, le défaut s'appelle contumace. Voilà la première différence qui n'existe jusqu'alors que dans le nom.
Mais il existe d'autres différences plus essentielles.
Dans les défauts, on rend un jugement qui produit effet, mais jugement que l'on peut attaquer par la voie de l'opposition dans un délai déterminé. En matière de contumace, il n'en est plus de même ; on force le juge à prononcer une condamnation qui n'est pas même susceptible d'exécution, même du consentement du condamné.
Il m'est arrivé qu'après avoir condamné quelqu'un par contumace, ce contumax condamné est venu me dire : « M. le président, je me trouve bien jugé, je veux me conformer à votre arrêt ; que faut-il faire pour cela ? » Force m'a été de lui répondre qu'il n'y avait rien à faire, puisque par sa représentation, l'arrêt que j'avais rendu la veille ou l'avant-veille était anéanti.
Tant que le condamné n'est pas arrêté, on ne peut exécuter la condamnation à une peine afflictive telle qu'emprisonnement, détention, travaux forcés, etc., et aussitôt qu'il est arrêté, le jugement est annulé, pulvérisé, anéanti.
A quoi donc servent les jugements par contumace ? Je le disais tantôt, et je le répète, c'est une comédie ridicule que l'on fait jouer aux magistrats.
L'absurdité de la loi est telle que la condamnation à mort ou aux travaux forcés ne produit pas plus d'effet que la condamnation à un jour d'emprisonnement. Dans l'un et l'autre cas, point d'exécution sans arrestation ; dans l'un et l'autre cas, l'arrestation fait disparaître la condamnation. C'est une bulle de savon qui s'évanouit aussitôt qu'on y touche.
Ce qui n'est pas moins vicieux dans les jugements par contumace, c'est que les juges sont obligés de juger sans témoins.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Pas en matière de calomnie.
M. Jonet. - Cela peut ne pas être vrai en matière de calomnie contre des fonctionnaires publics, mais en toutes autres matières, cela est vrai.
Chose étonnante, lorsque d'une part les dispositions du Code d'instruction criminelle prennent toutes les mesures possibles pour que les jurés n'aient pas connaissance des dépositions écrites des témoins, le même Code veut que les juges forment leur conviction sur les dépositions écrites seulement ! Les témoins n'étant pas entendus, il est certain qu'il manque quelque chose à cette espèce de justice exceptionnelle et extraordinaire.
Il y a plus, c'est que le jugement par contumace est rendu sans jury, ^ dans la pratique. Je parle de la pratique actuelle. Je ne sais si cela est vrai en droit. J'en doute. Je crois qu'en droit les jurés devraient intervenir même en matière de contumace.
Mais il est de fait que les magistrats jugent sans jury ; qu'après avoir lu les procès-verbaux et les dépositions écrites des témoins en séance publique, ils jugent comme ferait un jury et prononcent l'application d'une peine, laquelle, sauf l'interdiction des droits civils et la séquestration des biens, ne peut jamais être exécutée.
Maintenant j'aborde la question de savoir si les dispositions des articles 465 et suivantes du Code d'instruction criminelle ne sont pas abrogées.
Si elles sont abrogées, une loi est nécessaire ; et si elles ne sont pas abrogées, une loi est encore nécessaire.
Je pense que les dispositions des articles 465 et suivants du Code d'instruction criminelle sont abrogées par les articles 138 et 98 de la Constitution.
Afin de faire voir, messieurs, que ce que je viens de dire des jugements par contumace est vrai et sincère, la chambre me permettra de lui donner lecture de quelques-unes des dispositions des articles que je viens d'indiquer, afin de les comparer avec les articles de la Constitution que j'invoque.
Voici les articles du Code d'instruction criminelle :
« Art. 465. Lorsqu'après un arrêt de mise en accusation, l'accusé n'aura pu être saisi, ou ne se présentera pas dans les dix jours de la notification qui en aura été faite à son domicile ; ou lorsqu'après s'être présenté ou avoir été saisi, il se sera évadé ; le président de la cour d'assises, ou, en son absence, le président du tribunal de première instance, et à défaut de l'un et de l'autre, le plus ancien juge de ce tribunal, rendra une ordonnance portant qu'il sera tenu de se représenter dans un nouveau délai de dix jours : sinon, qu'il sera déclaré rebelle à la loi, qu'il sera suspendu de l'exercice des droits de citoyen, que ses biens seront séquestrés pendant l'instruction de la contumace, que toute action en justice lui sera interdite pendant le même temps ; qu'il sera procédé contre lui, et que toute personne est tenue d'indiquer le lieu où il se trouve. Cette ordonnance fera de plus mention du crime, et de l'ordonnance de prise de corps.
« Art. 466. Cette ordonnance sera publiée à son de trompe ou de caisse, le dimanche suivant, et affichée à la porte du domicile de l'accusé, à celle du maire, et à celle de l'auditoire de la cour d'assises. Le procureur général ou son substitut adressera aussi cette ordonnance au directeur des domaines et droits d'enregistrement du domicile du contumax.
« Art. 467. Après un délai de dix jours, il sera procédé au jugement de la contumace.
« Art. 468. Aucun conseil, aucun avoué, ne pourra se présenter pour défendre l'accusé contumax. Si l'accusé est absent du territoire européen de la France, ou s'il est dans l'impossibilité absolue de se rendre, ses parents ou ses amis pourront présenter son excuse et en plaider la légitimité.
« Art. 469. Si la cour trouve son excuse légitime, elle ordonnera qu'il sera sursis au jugement de l'accusé et au séquestre de ses biens, pendant un temps qui sera fixé, eu égard à la nature de l'excuse et à la distance des lieux.
« Art. 470. Hors ce cas, il sera procédé de suite à la lecture de l'arrêt de renvoi à la cour d'assises de l'acte de notification de l'ordonnance ayant pour objet la représentation du contumax, et des procès-verbaux dressés pour en constater la publication et l'affiche. Après cette lecture, la cour, sur les conclusions du procureur général ou de son substitut, prononcera sur la contumace. Si l'instruction n'est pas conforme à la loi, la cour la déclarera nulle, et, ordonnera qu'elle sera recommencée à partir du plus ancien acte illégal. Si l'instruction est régulière, la cour prononcera sur l'accusation et statuera sur les intérêts civils, le tout sans assistance ni intervention de jurés.
« Art. 471. Si le contumax est condamné, ses biens seront, à partir de l'exécution de l'arrêt, considérés et régis comme biens d'absent ; et le compte du séquestre sera rendu à qui il appartiendra, après que la condamnation sera devenue irrévocable par l'expiration du délai donné pour purger la contumace.
» Art. 472. Extrait du jugement de condamnation sera, dans les trois jours de la prononciation, à la diligence du procureur général ou de son substitut, affiché par l'exécuteur des jugements criminels, à un poteau qui sera planté au milieu de l'une des places publiques de la ville chef-lieu de l'arrondissement où le crime aura été commis. Pareil extrait sera, dans le même délai, adressé au directeur des domaines et droits d'enregistrement du domicile du contumax.
« Art. 473. Le recours en cassation ne sera ouvert contre les jugements de contumace qu'au procureur général, et à la partie civile en ce qui la regarde.
« Art. 474. En aucun cas la contumace d'un accusé ne suspendra ni ne retardera de plein droit l'instruction, à l'égard de ses coaccusés présents. La cour pourra ordonner, après le jugement de ceux-ci, la remise des effets déposés au greffe comme pièces de conviction, lorsqu'ils seront réclamés par les propriétaires ou ayants droit. Elle pourra aussi ne l'ordonner qu'à charge de représenter, s'il y a lieu, cette remise sera précédée d'un procès-verbal de description, dressé par le greffier, à peine de cent francs d'amende.
« Art. 475. Durant le séquestre, il peut être accordé des secours à la femme, aux enfants, au père ou à la mère de l'accusé, s'ils sont dans le besoin. Ces secours seront réglés par l'autorité administrative.
(page 1326) « Art. 476. Si l'accusé se constitue prisonnier, ou s'il est arrêté avant que la peine soit éteinte par prescription, le jugement rendu par contumace et les procédures faites contre lui depuis l'ordonnance de prise de corps ou de se représenter, seront anéantis de plein droit, et il sera procédé à son égard dans la forme ordinaire. Si cependant la condamnation par contumace était de nature à emporter la mort civile, et si l'accusé n'a été arrêté ou ne s'est représenté qu'après les cinq ans qui ont suivi l'exécution du jugement de contumace, ce jugement, conformément à l'article 30 du Code civil, conservera, pour le passé, les effets que la mort civile aurait produits dans l'intervalle écoulé depuis l'expiration des cinq ans jusqu'au jour de la comparution de l'accusé en justice. »
De l'ensemble de ces dispositions, il résulte que les accusés contumaces sont jugés par la cour, et non par le jury, sur les dépositions écrites des témoins, et non sur les dépositions orales, et enfin, quelle que soit la peine, le jugement qui intervient est anéanti, aussitôt que le contumace se représente ou est mis en état d'arrestation.
Il résulte de tout cela que la condamnation par contumace n'a rien produit et ne peut rien produire que la séquestration des biens du condamné.
Je me demandais, messieurs, si ces dispositions existaient encore, et à cet égard j'invoquais le texte de l'article 138 et de l'article 98 de la Constitution.
Voici ces articles :
« Art. 138. A compter du jour où la Constitution sera exécutoire, toutes les lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires, sont abrogés.»
« Art. 98. Le jury est établi en toutes matières criminelles et pour délits politiques et de la presse. »
D'après notre Constitution le jury est établi en toute matière criminelle ; il est également établi pour les délits politiques et de la presse. Or, les contumaces, dans quelle espèce de matière sont-elles prononcées ? C'est, je pense, en matière criminelle, en matière de délit politique ou de délit de presse.
La Constitution ne fait pas d'exception, elle ne dit pas : Dans un cas il n'y aura pas de jury et dans l'autre cas il y en aura un ; elle établit le jury en toutes matières. Eh bien, je demande pourquoi l’on ne juge pas les contumax par jury, pourquoi l'on fait une exception pour les contumax. Je n'ai jamais compris cette exception ; elle est contraire au texte de la Constitution. Il me semble qu'on devrait rétablir le principe. Je sais bien que, dans la pratique, on s'en est écarté ; on s'en est écarté contre mon opinion personnelle, car chaque fois que l'occasion s'en est présentée, je me suis élevé contre cette exception.
Une question analogue a été soulevée, en 1831, immédiatement après la publication de la Constitution. Il y avait dans le Code d'instruction criminelle un genre de jugement tout exceptionnel ; c'étaient les cours spéciales jugeant au nombre de huit conseillers ; ces cours spéciales n'étaient abrogées par aucune disposition précise de la loi, si ce n'est par l'article 98 de la Constitution ; on s'est demandé comment on devait juger aujourd'hui les affaires qui précédemment étaient jugées par les cours spéciales, et on n'a jamais hésité à répondre: Par jury. Les dispositions du Code d'instruction criminelle relatives aux cours spéciales sont abrogées par l'article 98, et, au besoin, par l'article 138.
On a fait l'application du même principe en ce qui concerne la juridiction des maires, dans les affaires de simple police. Depuis la publication dé la Constitution, on s'est demandé si cette juridiction existait encore, et partout on a décidé que non, parce que la Constitution veut des juges inamovibles.
Eh bien, je soulève ici la question de savoir si les dispositions qui concernent les contumaces en tant qu'elles déclarent que les contumaces sont jugés sans jury, si ces dispositions existent encore. Je soutiens que non. Je soutiens qu'elles sont supprimées et abrogées depuis la publication de la Constitution de 1831.
J'attendrai ce qu'on pourra me dire, pour détruire mon opinion sur cette matière. Le texte me paraît si précis, si évident, que je ne pense pas qu'on puisse détruire ce que j'ai eu l'honneur d'avancer. Je pourrais prévoir les objections, mais j'aime mieux attendre qu'elles soient faites. Je me réserve d'y revenir ultérieurement.
Qu'on ne dise pas surtout que le jugement des contumaces par jury est impossible. C'est la grande objection qu'on m'a toujours faite. Je ne conçois pas comment la chose serait impossible. Je l'ai mise en pratique. En présidant les assises, j'ai quelquefois obtenu que les contumaces fussent jugés par jury. Rien n'est si simple ; on fait, en l'absence de l'accusé, ce que l'on ferait en sa présence, on fait les mêmes questions autant qu'elles sont susceptibles d'être faites. Les questions de fait sont soumises au jury, et la cour fait l'application de la loi.
C'est surtout en matière de délits de presse et de délits politiques que la chose me paraît encore plus nécessaire.
Dans les délits de presse, il y a toujours une question préalable ; la question préalable est celle de savoir si l'individu qui est indiqué comme l'auteur de l'article incriminé l’est réellement.
Qui est-ce qui doit décider la question, d'auteur ? Est-ce la cour ? Non ; c'est le jury ; c'est le jury parce que c'est une question de fait ; c'est le jury puisque l'article 11 du décret du 20 juillet 1831 sur la presse l'exige impérieusement.
Maintenant, ou les dispositions du Code d'instruction criminelle relatives aux contumaces existent encore ; ou elles n'existent plus. Si elles n'exigent plus il y a, dans notre législation, une lacune à remplir. Si elles existent encore, je crois avoir démontré qu'elles sont vicieuses. De sorte que dans l'un comme dans l'autre cas, il y a nécessité de faire une nouvelle loi.
Si j'avais une opinion à émettre sur cette nouvelle loi générale, applicable à toutes les matières criminelles, à tous les délits de la presse, à tous les délits politiques, je commencerais par dire que d'après l'article 98 de la Constitution, le contumace sera jugé par le jury ; le jury ayant prononcé sur les questions de fait, la cour appliquerait la peine.
Je voudrais en second lieu que ces condamnations ne fussent pas inutiles ; je voudrais qu'il dépendît du condamné de s'en tenir à ce qui est jugé ; il ne le peut pas maintenant, eh bien, déclarez dans votre loi que tout jugement par contumace sera susceptible d'opposition dans un délai à déterminer ; que si le condamné n'y forme pas opposition, il sera déchu de tout recours, et qu'alors le jugement par contumace sortira ses effets ; ;,' ce sera une chose réelle, ce ne sera plus une bulle de savon qu'on aura jetée en l'air.
Je serais disposé à dire que l'opposition au jugement par contumace ne serait reçue qu'à charge par le condamné de se constituer, ou à charge de donner une caution, etc.
Si vous portiez une loi dans ce sens, vous feriez une chose utile et aux particuliers et à la chose publique ; vous ne feriez pas perdre de temps, sans aucun résultat, aux juges qui sont obligés de prononcer des condamnations qui ne sont pas exécutables, des condamnations qui s'annulent de plein droit, des condamnations prononcées sur des dépositions écrites sans que les témoins puissent être entendus à l'audience.
(page 1316) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Jonet a fort bien fait voir les vices de la loi actuelle en matière de presse, en ce qui concerne surtout la procédure par contumace. L'honorable membre nous a dit, et c'est aussi mon opinion, qu'il est nécessaire de faire, si pas une loi nouvelle, au moins d'apporter des modifications essentielles au décret de 1831. C'est dans ce but que j'avais d'abord proposé l'article 11, qui est renvoyé maintenant aux sections ; je pense que les modifications que le projet de loi tend à introduire suffisent, si elles sont généralisées, pour remplir les lacunes signalées par l'honorable M. Jonet, et faire cesser les inconvénients contre lesquels il s'est justement élevé.
Quoique réduite à la poursuite de deux délits, la loi actuelle n'en sera pas moins efficace ; et j'ai l'espoir fondé qu'après la discussion qui aura lieu sur les articles maintenant soumis à vos délibérations, les sections et ensuite la section centrale n'hésiteront pas à généraliser la procédure que nous allons voter maintenant, spécialement pour la poursuite du délit d'offense envers la personne du Roi et les membres de la famille royale et les chambres.
L'honorable M. Jonet est entré dans une longue discussion, relativement à la contumace en général : il a soulevé la question de savoir si la procédure par contumace était constitutionnelle ; il s'est prononcé pour la négative, ou du moins il a émis à cet égard des doutes sérieux.
Messieurs, je pense que la Constitution n'a pas fait tomber les dispositions du Code d'instruction criminelle qui régissent la contumace, et je partage cette opinion avec toutes les cours d'assises du royaume. Car, depuis l'émanation de la Constitution belge, l'on a continuellement appliqué les dispositions du Code d'instruction criminelle en matière de contumace, sans que jamais aucune cour ait, que je sache, émis une opinion contraire.
L'honorable M. Jonet croit que la Constitution s'oppose à des arrêts par contumace, rendus d'après les prescriptions et la forme du Code d'instruction criminelle. Mais je pense que le raisonnement de l'honorable membre est basé sur une erreur. S'il s'agissait de jugements par défaut, je pourrais être d'accord avec l'honorable M. Jonet ; mais un arrêt par contumace, en matière criminelle ou en matière de délit de presse, rendu sans assistance du jury, ne peut jamais recevoir d'exécution, et dès lors la Constitution ne s'oppose pas à ce que les cours rendent de semblables arrêts ; ce serait, je le répète, autre chose s'il s'agissait de jugement ou d'arrêt par défaut ; car si on n'y fait pas d'opposition en temps utile, le jugement acquiert l'autorité de la chose jugée et est susceptible d'exécution sur la personne. S'il s'agissait donc d'arrêt par défaut, il en résulterait qu'un arrêt rendu en l'absence du jury pourrait acquérir un caractère définitif, et être exécutoire sur la personne, ce qu'il serait peut-être difficile de concilier avec les principes constitutionnels ; mais en cas d'arrêt par contumace, si l'accusé se présent', l'arrêt tombe de plein droit, l'arrêt cesse d'exister.
(page 1317) Je crois que ces courtes observations suffisent pour prouver qu'en présence des dispositions de la Constitution on a néanmoins pu continuera appliquer les dispositions du Code d'instruction criminelle ; ce n'est pas à dire que le Code d'instruction criminelle ne soit pas susceptible de modification, quant à cet objet ; mais, je dois le déclarer, j'aurais quelque peine, sauf réflexion ultérieure, à admettre l'opinion de l'honorable M. Jonet qui voudrait faire intervenir le jury dans les arrêts par contumace. Il faudrait au moins pour cela modifier tout le système ; car je concevrais avec peine un jury jugeant un accusé non défendu, et sur des témoignages auxquels l'accusé ne serait par là pour répondre ; je concevrais difficilement un jury appelé à se prononcer sur le réquisitoire seul du ministère public.
Les corps judiciaires, habitués à juger les matières les plus graves, les plus difficiles, sont plus à même d'apprécier et de discuter le réquisitoire du ministère public. Mais ne serait-il pas à craindre qu'un jury, qui n'aurait entendu que le réquisitoire du ministère public, ne se laissât entraîner à prononcer un verdict qui n'aurait pas été entouré de toutes les garanties désirables ?
Au reste, la discussion dans laquelle est entré l'honorable M. Jonet, relativement à la contumace en général, est ici de pure théorie, et je pense pouvoir me borner aux observations que je viens de présenter. J'abandonne donc ce point pour aborder l'article soumis à vos délibérations et expliquer les motifs de l'article et des amendements que j'ai proposés à la suite de ceux de la section centrale.
Messieurs, la matière que je dois traiter est une matière probablement étrangère à plusieurs d'entre vous. Je dirai plus, les personnes qui, même théoriquement, se sont occupées du code d'instruction criminelle, doivent avoir quelque peine à bien comprendre le mécanisme de ce code, en ce qui concerne la procédure qui précède et qui suit les arrêts des cours d'assises.
Pour bien les juger, il faut avoir appliqué ces dispositions. Je réclamerai donc quelques moments d'attention pour faire connaître la manière dont les choses se passent par suite des inconvénients de l'état de choses actuel et démontrer que les dispositions que j'ai présentées sont de nature à faire disparaître ces inconvenants.
Messieurs, l'article 8 du décret du 19 juillet 1831 a organisé la procédure en matière de délits de presse et de délits politiques :
« Quand il s'agira de délit politique ou de délit de presse, il sera procédé comme en matière criminelle. »
Viennent ensuite quelques dérogations aux dispositions du Code d'instruction criminelle :
« Si l'accusé ne comparaît pas, il sera jugé par contumace. »
L'on trouve enfin la disposition suivante : « L'emprisonnement préalable ne pourra jamais avoir lieu pour simple délit politique ou de la presse. » :
Voyons maintenant quelle est la marche de cette procédure à laquelle il faut recourir pour suivre les prescriptions de l'article 8 dont je viens de donner lecture. L'art. 242 du Code d'instruction criminelle porte ce qui suit :
« L'arrêt de renvoi et l'acte d'accusation seront signifiés à l'accusé, et il lui sera donné copie du tout. »
Le Code d'instruction criminelle oblige donc à faire la signification de l'arrêt de renvoi à l'individu renvoyé devant la cour d'assises.
Cet arrêt de renvoi en matière criminelle contient toujours une ordonnance de prise de corps ; si l'accusé ne peut être saisi, porte l'article 244, ou ne se présente pas, il sera procédé par contumace. » Lorsque l'arrêt portant ordonnance de prise de corps n'a pas pu être exécuté, que l'accusé n'a pu être saisi, alors commence la procédure par contumace ; le premier acte c'est l'ordonnance du président de la cour d'assises portant injonction de comparaître dans le délai de 10 jours sous certaines peines, notamment de la privation des droits civils et du séquestre des biens.
Cette disposition en matière criminelle se conçoit très bien ; il y a un ordre de la justice auquel il n'a pas été obéi. Le président de la cour d'assises donne un nouvel ordre et sanctionne le nouvel ordre par quelques pénalités. Mais en matière de presse alors qu'il n'y a pas d'ordonnance de prise de corps, conçoit-on la disposition de l'article 465 ? Comment ! cet. article dit que l'accusé sera sommé de se présenter endéans les dix jours, de se constituer prisonnier. Mais en matière de presse peut-on lui intimer le même ordre ? Quelle injonction peut-on lui faire ?
Il n'y a pas encore résistance ni refus d'obéir aux ordres de la justice. Le prévenu est renvoyé devant la cour d'assises ; mais qui dit qu'au jour fixé le prévenu ne comparaîtra pas ? Il est donc impossible de commencer encore la procédure par contumace. Voilà une première dérogation au Code d'instruction criminelle qui découle de la nature des choses, et qui a toujours été appliquée et suivie depuis qu'existe une procédure spéciale en matière de presse.
Je me demande à dater de quelle époque peut commencer la procédure par contumace, et je reconnais qu'elle ne peut commencer qu'au moment où l'accusé, cité devant la cour d'assises, ne comparaît pas.
Revoyons les termes de la loi. « Si le prévenu ne comparaît pas, il sera jugé par contumace. » Mais ce n'est pas à dire, comme semble le croire l'honorable M. Jonet, qu'on puisse le juger immédiatement par contumace. Pour procéder à ce jugement, il y a quelques formalités préalables à remplir, il y a une procédure spéciale, et il faut que la cour d'assises ait déclaré cette procédure régulière, avant de prononcer une condamnation par contumace. Et comment déclarerait-on la procédure régulière si les délais et toutes les formalités n'ont pas été observés ?
Ainsi, dans la pratique, lorsqu'un individu ne comparaît pas devant la cour d'assises, l'affaire n'est pas jugée séance tenante ; elle est au contraire remise pour que les prescriptions du Code d'instruction criminelle puissent être observées C’est notamment ce qi s’est pratiqué à la cour d’appel de Bruxelles. Le prévenu ne comparaissant pas, le président de la cour d’assises, aux termes du Code d’instruction criminelle, délivrera l'ordonnance dont je vous ai parlé, portant que le prévenu est obligé de se constituer ou du moins de se présenter.
Je suppose maintenant que le prévenu se présente ; qu'il se rende près du président de la cour d'assises et lui dise : «Je n'ai pas pu comparaître tel jour ; mais me voici. » L'ordonnance du président tombe, du moins devient sans objet. Conséquemment le prévenu, après cette visite rendue au président, peut retourner parfaitement libre et sans s'inquiéter d'aucun ordre ultérieur. Il aura promis au président de se présenter à la session suivante. Mais vienne cette session, s'il ne comparaît pas, que fera-l-on ? Quelle marche suivra-t-on ? Comment pourra-t-on parvenir à faire rendre justice ?
Autre hypothèse ; le prévenu ne se présente pas chez le président après son ordonnance. On fixe l'affaire pour être jugée par contumace. Au moment où l'on va procéder au jugement en l'absence du jury, le prévenu se présente ; il est impossible de le juger alors par contumace ; il faudra donc remettre l'affaire puisqu'il n'y aura pas de jury prêt à le juger, mais cette affaire ainsi remise, quand reviendra-t-elle, et le prévenu ne pourra-t-il pas continuer le même manège ?
D'après cela, on doit reconnaître qu'on tourne dans un cercle vicieux, et qu'il est impossible d'amener un jugement si le prévenu ne consent pas à se laisser juger ; ou du moins use du moyen dilatoire que la loi lui donne.
Que faut-il donc pour qu'on puisse parvenir à un résultat ? Je ne vois qu'un moyen, celui d’accorder à la cour d'assises ou au président la faculté de décerner une ordonnance de prise de corps. Il est indispensable qu'on puisse arrêter le prévenu et le forcer ainsi à comparaître devant le jury. C'est le seul moyen de parvenir à l'exécution des ordres et des arrêts de la justice. Notez bien, en effet, qu'un arrêt par contumace n'est jamais susceptible d'exécution.
S'il s'agissait d'un jugement par défaut, on le ferait signifier, et si le prévenu ne formait pas opposition, le jugement deviendrait définitif, et pourrait être exécuté.
Mais en matière de contumace, l'individu pourra rester dans le pays, dans la localité même où il aura été condamné, et l'on ne pourra pas le saisir. Il est donc indispensable qu'une ordonnance de prise de corps soit rendue. C'est le seul moyen, je le répète, de parvenir à l'exécution des arrêts, en suivant les prescriptions des lois actuelles.
Vous remarquerez qu'il y a une grande différence entre cette ordonnance de prise de corps, et l'arrestation préventive. L'arrestation préventive a lieu par ordre du juge d'instruction, ou par ordre de la chambre des mises en accusation.
Mais l'ordonnance de prise de corps à rendre par la cour d'assises ou par son président, après que la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation auront reconnu qu'il y a des charges suffisantes pour donner lieu à des poursuites, ne sera décernée qu'après que l'individu contre qui cette ordonnance sera rendu, aura manqué à la justice en ne comparaissant pas devant elle.
Je suppose que toutes ces difficultés n'existent pas, et qu'on puisse parvenir à obtenir un arrêt par contumace, je dirai (comme le disait l'honorable M. Jonet lui-même) que cet arrêt ne pourra pas autoriser l'incarcération s'il n'est pas précédé d'une ordonnance de prise de corps.
Ici je dois répondre à un argument que l'honorable M. Verhaegen a fait valoir dans une précédente séance.
Cet honorable membre a soutenu qu'en vertu du décret de 1831, il était possible d'incarcérer un individu condamné par contumace. Il est à cet égard complètement dans l'erreur.
Il vous a dit : Mais la loi n'est-elle pas suffisante, puisque, aux termes de l'article 9 du décret de 1831, on peut arrêter un individu, dès qu'il y a jugement définitif ou par contumace ?
J'admets avec l'honorable membre qu'on puisse arrêter un individu ; en vertu d'un jugement par contumace en prenant cet article à la lettre. Mais il ne suffit pas d'arrêter un individu, il faut l'écrouer ; pour cela il faut une ordonnance du juge qui permette l'écrou.
Quelle sera cette ordonnance ? Sera-ce le jugement par contumace ? Mais alors, il faut renverser tous les principes du code d'instruction criminelle, et attribuer à l'arrêt par contumace une force qu'il n'a pas. Car d'après ces principes, dès que le condamné est sous la main de la justice, l'arrêt tombe, et dès lors je me demande comment en vertu de cet arrêt on pourrait retenir le condamné.
En matière criminelle, l'arrêt tombe, mais la mise en liberté ne s'ensuit pas, et le motif en est très simple ; en matière criminelle, il y a une ordonnance préalable de la chambre des mises en accusation qui permet de tenir l'accusé sous les verrous.
Ainsi, en vertu des dispositions existantes, il est impossible de donner exécution à un arrêt par contumace, et l'individu ainsi condamné et non préalablement arrêté, peut continuellement se soustraire aux arrêts rendus contre lui.
Je vous disais tout à l'heure, messieurs, qu'avant le jugement par contumace et même pour pouvoir organiser la procédure par contumace, il était indispensable qu'une ordonnance de prise de corps fût rendue. J'ai pensé, et tel est le but de l'article soumis à la chambre, qu'il était (page 1318) convenable d'accorder cette faculté à la cour d'assises. La cour d'assises, qui aura eu sous les yeux et l'ordonnance de la chambre du conseil et l'ordonnance de la chambre des mises en accusation, et toutes les pièces de la procédure, sera à même d'apprécier quels sont les motifs qui ont pu engager le défaillant à ne pas comparaître. Elle sera à même de reconnaître si l'on a ponctuellement exécuté la loi, si l'on a suivi les délais et les formalités à observer pour que l'individu puisse être considéré comme défaillant.
Toutefois si une proposition est faite, si l'on pensait qu'il est plus convenable d'accorder cette faculté au président de la cour d'assises, je n'y verrais pas grand inconvénient. Mais je crois qu'il y aurait moins de garantie qu'en l'attribuant à la cour d'assises tout entière. En matière criminelle l'ordonnance de prise de corps émane de cinq magistrats composant la chambre des mises en accusation. Je crois donc qu'il est convenable que l'ordonnance de prise de corps soit rendue par la cour d'assises qui remplira ainsi en partie les fonctions de chambre des mises en accusation.
Après la non-comparution constatée et l'ordonnance de prise de corps portée, il sera procédé conformément au Code d'instruction criminelle ; c'est-à-dire que, comme le veut le Code d'instruction criminelle, cette ordonnance sera notifiée soit à la personne, soit à son dernier domicile, et qu'il sera ensuite procédé, comme à la suite d'une ordonnance de la chambre des mises en accusation.
J'ai proposé aussi, messieurs, de prononcer, pour le cas de non-comparution, une amende contre le prévenu qui ne comparaîtrait pas. Cette amende est de 100 à 1,000 fr.
L'honorable M. Jonet trouve que cette amende ne devrait pas être prononcée. Il a dit que cela était tout à fait insolite et qu'il n'avait pas connaissance que dans des matières pénales on ait condamné à une amende un individu prévenu et non comparant. Cela est parfaitement vrai. Je ne connais pas plus que l'honorable membre de disposition pénale qui ait comminé une punition semblable. Mais la chambre voudra bien ne pas perdre de vue que cette matière est tout à spéciale ; il s'agit ici d'une procédure correctionnelle entée, si je puis m'exprimer ainsi sur une procédure criminelle. Il faut donc combiner les choses de manière que l'arrestation préalable qui en matière criminelle rend la comparution obligatoire soit remplacée par un autre moyen coercitif.
En matière correctionnelle, et je répète ici un argument que je faisais valoir tout à l'heure, une amende n'est pas nécessaire. Car si le prévenu ne comparaît pas, il peut craindre qu'un jugement par défaut soit rendu contre lui, qui, faute d'opposition, finira par acquérir l'autorité de la chose jugée.
Mais, quand il s'agit d'un délit de presse, il n'a rien de semblable à redouter ; il peut se retirer, après avoir comparu quelque temps devant la cour d'assises, et s'il n'y a pas d'amende qui mette un frein à une retraite souvent calculée, le prévenu, s'il croit remarquer que les débats tournent contre lui, n'hésitera pas à quitter l'audience pour en appeler à un autre jury. S'il est au contraire, retenu par la crainte de se voir condamner à une amende, il y a lieu d'espérer que cette condamnation certaine l'arrêtera, et qu'il continuera à se défendre devant les juges que le sort lui a donnés, que lui-même a acceptés, en n'exerçant pas les récusations qui pouvaient les écarter lors de la formation du jury.
On conçoit difficilement qu'il puisse être loisible à un individu, sans encourir une peine, de pouvoir se soustraire aux juges que la loi lui désigne.
Comment ! un prévenu a comparu devant le jury, il a assisté à la formation du jury de jugement ; il a exercé son droit de récusation ; il a entendu la lecture de l'acte d'accusation, il a subi un premier interrogatoire, et après cela il pourra se retirer, et s’il se retire il ne sera pas condamné à une peine quelconque pour s'être ainsi joué de la justice et de la loi !
Je pense donc, messieurs, que la matière spéciale qui nous occupe, que la considération qu'il s'agit d'un délit correctionnel qui doit être jugé d'après les formes criminelles est de nature à justifier la proposition de comminer une amende pour obliger le prévenu à demeurer présent jusqu'à la fin des débats.
Cette disposition a du reste été adoptée dans la section centrale par cinq voix contre deux.
Il me paraît aussi qu'il n'y a aucune espèce de danger pour le droit de la défense. Car si le prévenu a des motifs de se retirer, il les fera valoir devant la cour d'assises qui, si ces motifs sont fondés, lui permettra de se retirer et remettra l'affaire. L'article 406 du Code d'instruction criminelle, appliqué toujours d'une manière générale, en donne le droit à la Cour.
J'arrive, messieurs, à l'amendement proposé par la section centrale et au sous-amendement que j'ai cru devoir présenter.
Je dirai d'abord que si la section centrale n'avait pas présenté d'amendement, je n'aurais pas cru devoir en présenter, et voici les motifs :
L'article 5 porte :
« Si le prévenu ne comparaît pas, la cour d'assises le condamnera à une amende de 100 à 1,000 francs, et décernera, par le même arrêt, contre lui, une ordonnance de prise de corps. Il sera ultérieurement procédé conformément au Code d'instruction criminelle. »
Je me suis borné à parler dans le projet primitif de la non-comparution du prévenu et j'abandonnais à la cour d'assises à juger, d'après les principes généraux, d'après la jurisprudence établie, quand il fallait considérer un individu comme non comparant. Ainsi, il a été admis par de nombreux arrêts, et en France bien avant les lois de septembre, que la retraite d'un prévenu après qu'on lui eût demandé ses nom et prénoms, que les témoins eussent été entendus, après, en un mot, que le débat se fût engagé sur le fond, il a été admis, dis-je, que la retraite du prévenu n'empêchait pas le jugement d'être contradictoire.
Je pensais donc que les cours auraient pu appliquer ces principes généraux, qu'elles auraient facilement déterminé quand il fallait considérer un prévenu comme comparant quoiqu'il se fût retiré à une certaine époque de la procédure.
La section centrale n'en a pas jugé ainsi ; elle a cru devoir introduire un amendement ainsi conçu : « Ou si le prévenu se retire avant la prononciation de l'arrêt définitif. » Messieurs, cette rédaction de la section centrale, je ne puis pas l'adopter. Voici mes motifs :
J'aurais conçu que la section centrale prévît le cas où le prévenu se retire, après la clôture des débats. Je l'aurais compris parce que, après la clôture des débats, l'accusé n'a plus rien à dire pour sa défense ; l'arrêt à rendre après un débat contradictoire, doit nécessairement être contradictoire, et pourtant d'après la section centrale, même après la clôture des débats, on permettrait à l'accusé de faire défaut, on le considérerait comme défaillant s'il se retire avant la prononciation de l'arrêt définitif. Que résulterait-il de là ? Le jury rentre en séance avec un verdict de culpabilité, et l'individu déclaré coupable pourra, en se retirant, faire tomber la déclaration du jury.
Voilà, messieurs, quelle est la conséquence inévitable de la proposition de la section centrale, et je pense qu'il est impossible d'admettre que le prévenu, lorsqu'il sait qu'il est condamné, lorsqu'il sait qu'un verdict de culpabilité est prononcé par le jury, puisse encore avoir le droit de se retirer et de faire tomber ainsi le verdict du jury ; il est impossible d'admettre qu'un accusé puisse avoir le droit d'agir ainsi, dans l'espoir de rencontrer plus tard un jury plus favorable, d'obtenir plus tard un verdict d'acquittement.
Voilà, messieurs, les motifs pour lesquels je ne puis me ranger à l'opinion de la section centrale. Je serais, du reste, disposé à adopter toute autre rédaction ; par exemple, celle qui dirait que si le prévenu se retire après la clôture des débats, il sera condamné à une amende de... Je n'ai pas proposé cette rédaction, messieurs, parce que j'ai pensé que d'après les principes généraux, si on veut les appliquer à la matière qui nous occupe, il faut admettre la disposition que j'ai présentée, ou celle qui se trouve dans les lois de septembre et qui considère comme présent, le prévenu dès qu'il a assisté au tirage au sort du jury.
Dans ce cas, un avocat pourra continuer à le défendre et l'arrêt sera contradictoire et définitif.
Je crois, messieurs, avoir exposé les véritables principes, d'accord avec les dispositions du Code d'instruction criminelle ; car aux termes de l'article 353 de ce Code, dès l'instant que les débats commencent ils doivent être continués sans interruption. Pourquoi donc les interrompre par suite du mauvais vouloir ou du caprice d'un prévenu qui se retire après avoir accepté le débat. Je ne conçois pas qu'on modifiât pour ce cas l'article 353 du Code d'instruction criminelle.
Je répète donc, messieurs, que mes amendements sont conformes aux principes généraux. Mais si l'on présentait un amendement d'après lequel le prévenu ne serait considéré comme défaillant, que s'il se retirait avant la clôture des débats, je ne serais pas éloigné de me rallier à cette disposition, mais à la condition expresse de maintenir l'amende qui empêcherait le prévenu de se retirer légèrement.
M. d’Elhoungne. - Je crois que l'inconvénient auquel l'article 5 est appelé à remédier, provient principalement de l'absence de la détention préventive en matière de presse. Lorsqu'un individu est cité devant la cour d'assises pour un délit de presse, s'il ne comparaît pas, dans l'état actuel de la législation, il peut évidemment rendre les poursuites perpétuellement illusoires. Mais, messieurs, toutes les dispositions de l'article 5 sont-elles nécessaires pour obvier à cet inconvénient ? Je pense que non. Je pense qu'il suffit de sanctionner la première partie de l'article qui autorise la Cour, en cas de non-comparution du prévenu, à décerner contre lui une ordonnance de prise de corps, laquelle rétablit pour lui la détention préventive.
Une fois l'arme ordinaire, en matière de répression de délits, ainsi accordée à la justice contre le prévenu d'un délit de presse, une fois que, par la non-comparution, le prévenu d'un délit de presse rentre dans le droit commun, eu quelque sorte, et peut être préventivement détenu en vertu de l'ordonnance que la Cour décerne contre lui, je pense que nous avons fait tout ce qu'il est nécessaire de faire, et que nous avons assuré l'exécution de la loi à l'égard des prévenus de délits de presse, comme elle est assuré à l'égard de tous les autres prévenus.
Le but que nous nous proposons, et que M. le ministre de la justice se propose lui-même, c'est d'obtenir à l'égard des délits de presse la même répression, les mêmes moyens de répression que pour les autres crimes et délits ; or, je crois qu'il suffit pour cela de rétablir, je dirai, la détention préventive dans le cas où le prévenu d'un délit de presse ne comparaît pas, où il a refusé d'obéir à la justice, et qu'il s'est ainsi rendu indigne du privilège que la loi établit pour les délits de presse.
(page 1319) On pourrait étendre la disposition et dire que lorsque l'individu se présenterait pour purger sa contumace, il resterait également soumis à la détention préventive jusqu'au moment du jugement définitif. De cette manière l'application de la loi serait assurée, quant au délit de presse, tout aussi bien qu'elle l'est à l'égard des autres crimes et délits.
M. le ministre de la justice a dit qu'il s'agissait d'enter une poursuite criminelle sur une poursuite correctionnelle. Non, messieurs, il s'agit de poursuivre criminellement un simple délit correctionnel. Eh bien, pouvez-vous demander à l'égard d'autres moyens d'assurer l'application de la loi, des moyens spéciaux plus énergiques que ceux qui existent pour tous les autres crimes et délits ? Je ne le pense pas. Je pense qu'au lieu de trouver dans la différence des cas un motif pour consacrer des moyens de répression et de poursuite plus énergiques, on devrait au contraire y trouver un motif pour consacrer des moyens de répression et de poursuite moins énergiques.
Tout au moins, je pense que du moment où nous rendons les moyens de poursuite aussi énergiques contre les prévenus en matière de délit de presse qui n'a pas comparu, qui a manqué de se présenter devant la justice lorsqu'il en a été légalement sommé, du moment où nous rendons les moyens de poursuite contre lui aussi énergiques qu'ils le sont contre les prévenus d'autres crimes ou délits, nous avons fait tout ce qu'on pouvait faire ; et qu'une amende spéciale, une peine spéciale, la création d'un délit nouveau est ici un luxe tout à fait inutile.
Remarquez, messieurs, que dans notre législation, comme M. le ministre de la justice en convient lui-même, la non-comparution n'est jamais considérée comme un délit, par une raison toute simple, c'est que le désir de se soustraire à la peine qu'on a encourue est un sentiment tellement naturel qu'il est impossible d'en faire un crime. Tout ce qu'on a pu faire, c'est d'y attacher véritablement une punition en ce sens que le prévenu qui ne comparaissait pas, passait néanmoins devant la justice, subissait une condamnation, et par sa non-comparution, se mettait seulement dans l'impossibilité de se défendre.
Je n'ai pas trouvé dans le discours de M. le ministre de la justice de motifs assez graves, assez décisifs, pour que la chambre puisse, en matière de presse, créer le délit nouveau, et jusqu'à présent inconnu, de non-comparution. Je pense que tout ce qu'on peut raisonnablement faire, c'est de décider que si le prévenu ne comparaît pas, on décernera contre lui une ordonnance de prise de corps qui le fera rentrer dans le droit commun, qui le soumettra à l'emprisonnement préventif et qui ne lui permettra plus d'éluder les injonctions de la justice.
Je proposerai donc la division quant à l'article 5. Tout en faisant mes réserves sur l'ensemble du projet de loi, je voterai pour la disposition qui permet de décerner contre le prévenu non comparant une ordonnance de prise de corps ; mais je repousserai l'amende de 100 francs à 1,000 francs.
Je sais bien qu'on me répondra qu'en vertu de l'article 6, le prévenu qui donne des excuses de sa non-comparution, peut être déchargé de l'amende ; mais c'est déjà une grande objection contre ce délit de non-comparution qu'on propose de créer, que la certitude dans beaucoup de cas de prononcer une amende qui n'est pas méritée. On ne comparaît pas toujours, par le seul désir de se soustraire aux injonctions de la justice ; quelquefois, le prévenu se trouvera dans l'impossibilité de comparaître ; et cependant, la cour condamnera à l'amende ; un prévenu qui est peut-être innocent sera frappé, et entre temps, le gouvernement aura fait les poursuites, les diligences nécessaires pour exécuter contre lui la condamnation, et ainsi vous aurez inutilement aggravé la position d'un homme qui, je le répète, est peut-être innocent. Tout ce qu'on peut demander, c'est que l'emprisonnement préventif puisse être établi contre celui qui refuse de comparaître. Je demande donc la division.
(page 1326) M. Jonet. - Messieurs, si j'ai parlé, à l'occasion de l'article 5, de la contumace, c'est parce que je suis convaincu du vice de cette procédure tout à fait irrégulière, irraisonnable ; je n'ai pas pensé un instant que j'obtiendrais un succès aujourd'hui. M. le ministre de la justice m'a satisfait en déclarant qu'il se proposait de présenter, plus tard, un projet sur la matière. C'est tout ce que je demande que M. le ministre fasse ; car la législation actuelle est vicieuse, je l'ai dit, elle est ridicule, absurde, il y a nécessité absolue d'y pourvoir.
M. le ministre de la justice ne paraît pas admettre qu'en matière de contumace, le jury doive intervenir. Ici je ne suis pas d'accord avec lui ; qu’on fasse un nouveau projet, il y a une lacune, la lacune est évidente ; soit que la Constitution ait abrogé une loi précédente, soit qu'elle ne l'ait pas abrogée, il y a nécessité de faire une loi ; mais je pense que la loi à faire doit avoir pour base le jugement par jury. Vous ne pouvez pas écarter le jugement par jury, sans violer l'article 98 de la Constitution.
Et qu'on ne dise pas que c'est impossible dans la pratique. J'ai déjà eu l'honneur dédire que c'était très possible, que je l'avais fait. M. le ministre de la justice ne m'a donné aucune raison pour me faire changer d'opinion à cet égard. On dit : «Comment ! vous jugerez un prévenu par jury, et il n'aura pas d'avocat ; ce sera sur le réquisitoire du ministère public ! »
C'est juste ; c'est ce qui arrive tous les jours en matière correctionnelle. En matière correctionnelle, si un individu ne comparaît pas, on fait entendre les témoins en l'absence du prévenu ; le ministère publie requiert ; aucun avocat ne peut prendre la parole ; le jugement produit ses effets si le condamné n'y forme pas opposition. Mais tout cela a lieu, par le fait ou la faute du prévenu qui ne comparaît pas.
On m'a fait, dans d'autres circonstances, d'autres objections. Mais, disait-on, il faut que l'accusé puisse récuser le jury. Je réponds par le même argument : « Cela dépend de l'accusé ; qu'il comparaisse, et alors il pourra récuser ses jurés ; s'il ne comparaît pas, c'est sa faute, car on ne peut pas exercer la récusation pour lui. » Cette raison n'en est donc pas encore une pour écarter le jugement par jury.
Un criminaliste me disait : « L'accusé a droit d'interroger les témoins. » J'admets cela ; et il le fait chaque fois qu'il comparaît ; mais s'il ne comparaît pas, il n'exercera pas son droit par sa fauté ; qu'il comparaisse, et tout sera dit.
Ainsi, il n'y a aucune objection sérieuse. La chose est très possible. J'ai dit que j'avais une fois, contrairement à l'opinion générale, jugé par jury un délit de presse. On avait cité un individu qui avait commis un délit de presse : au moment de l'audience, l'individu ne comparaît pas, que faire ? La cour a délibéré ; on procéda en l'absence du prévenu comme on l'aurait fait en sa présence ; la cour étant rentrée en audience, après la lecture de l'acte d'accusation et l'accomplissement des préliminaires requis, on a posé au jury la question de savoir si tel article émanait de la personne accusée.
La question posée, le jury s'est retiré, après avoir entendu les témoins ; le jury est venu répondre oui ; cela fait, on a procédé comme si l'individu était à l'audience ; le procureur général a pris la parole ; aucun avocat n'a parlé, parce que l'accusé ne comparaissait pas ; on a posé des questions de fait au jury ; le jury a déclaré l'individu coupable de calomnie, et la Cour a fait l'application de la loi.
Je voudrais donc un jugement par jury ; je voudrais un jugement auquel le condamné pourrait acquiescer, mais auquel aussi il pourrait former opposition. Je voudrais, en un mot, faire un arrêt exécutable, en donnant aux accusés toutes les garanties qui leur sont dues.
(page 1319) M. Vanden Eynde. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour répondre d'abord à l'opinion qui a été soutenue par l'honorable M. Jonet et qui a été combattue par M. le ministre de la justice. Je ne pense pas que par la disposition de l'article 98 de la Constitution les jugements par contumace soient abrogés. C'est l'avis, comme l'a dit M. le ministre de la justice, de toutes les cours d'assises du royaume, et c'était l'opinion du congrès. L'opinion du congrès est formelle et précise à cet égard ; elle se trouve énoncée dans le considérant qui précède le décret du 19 juillet 1831, sur le jury, combiné avec l'article premier de ce décret.
Voici ce que porte ce considérant :
« Vu l'article 98 de la Constitution :
« Considérant que la nation doit jouir du bienfait de l'institution du jury, et qu'en attendant la révision des codes, il y a lieu de le rétablir, sans s'écarter de l'instruction criminelle actuellement suivie. »
Il conserve donc par ce considérant l'instruction criminelle actuellement suivie ; lisons l'article premier :
« Décrète :
« Art. 1er. L'arrêté du gouvernement de la Belgique du 6 novembre 1814, et celui du gouvernement provisoire du 7 octobre 1830, sont abrogés, et les dispositions du Code d'instruction criminelle de 1808, relatives au jury, sont remises en vigueur, sous les modifications contenues dans les articles suivants. »
Ainsi il résulte du considérant et de l'article premier du décret de 1831 sur le jury, que les dispositions du Code d'instruction criminelle sont maintenues en tant qu'il n'y a pas été formellement dérogé par ce décret. L'article 8 prouve la même chose ; il résulte donc du décret du congrès, et par une disposition formelle il l'a reconnu, que la procédure par contumace, établie par le Code d'instruction criminelle, est légale, qu'elle est en vigueur et doit être observée dans toutes les matières criminelles ainsi que pour les délits de presse.
Voilà ce que j'avais à dire sur l'opinion de l'honorable M. Jonet ; cela me dispensera d'examiner cette procédure, que je regarde d'ailleurs comme parfaitement inutile ; je pense, comme l'honorable M. Jonet, que c'est une véritable comédie qu'on fait jouer à la justice ; je désire donc, je fais des vœux pour que le gouvernement songe à modifier le Code d'instruction criminelle.
L'honorable M. Jonet a examiné ensuite la disposition de l'article 8 ; il a trouvé que l'amende comminée par cet article contre le prévenu non comparant est insolite.
L'honorable M. d'Elhoungne a partagé cet avis ; il a présenté cette peine comme fort extraordinaire. Je ne puis me ranger de l'avis de ces honorables membres.
M. le ministre de la justice a exposé les motifs qui l'ont déterminé à proposer cette amende. Mais j'ai un autre motif pour adopter cette disposition. Le code d'instruction criminelle prévoit le cas où un témoin appelé devant la cour ne comparaît pas, et pour ce cas l'article 355 permet à la cour d'assises de condamner ce témoin d'abord à une amende de 100 fr., et ensuite de décerner une prise de corps pour le forcer, le contraindre à venir déposer.
Je ne pense pas que la disposition fasse quelque chose de plus, excepté qu'elle aggrave l'amende, en la fixant de 100 à 1,000 fr. outre la prise de corps pour le faire comparaître. Je ne vois pas que la position du prévenu soie pire que celle d'un témoin qui est appelé devant la justice, pour y remplir un devoir. Ce devoir le prévenu doit le remplir aussi bien qu'un témoin. Tout citoyen est tenu de venir s'expliquer devant la justice sur les faits qui lui sont imputés au nom de la société. Je ne vois pas une chose si insolite, si extraordinaire dans l'application d'une amende, dans le cas où le prévenu ne comparaîtrait pas. Les motifs que je viens d'énoncer me détermineront à adopter l'article qui inflige cette amende.
Je dirai maintenant un mot sur les amendements proposés d'abord par la section centrale et ensuite par M. le ministre de la justice à l'article 5.
La section centrale d'abord propose de dire que pour le cas où le prévenu ne comparaît pas ou se retire avant la prononciation de l'arrêt définitif, on lui infligera une amende et on décernera une prise de corps. M. le ministre propose de remplacer l'amendement de la section centrale par un premier amendement qui viendrait après les mots : si le prévenu ne comparaît pas. Il porterait « ou s'il se retire avant l'ouverture des débats » ; puis un deuxième amendement qui deviendrait un paragraphe additionnel : si le prévenu se retire après l'ouverture des débats, l'affaire sera continuée comme s'il était demeuré présent, et l'arrêt sera définitif.
Messieurs, ces amendements ne répondent pas au principe qui a dirigé le législateur du Code d'instruction criminelle. Les rédacteurs de ce code ont voulu d'une manière bien positive, qu'il ne put pas dépendre du fait de l'accusé de rendre la formation du jury de jugement inutile, illusoire. Aussi d'après les dispositions existantes du Code d'instruction criminelle, en matière criminelle ordinaire, ce fait est impossible : l'accusé se trouve sous mandat de prise de corps dans la maison de justice, il est extrait de la maison de justice par ordre du président, il assiste à la formation du jury de jugement, il est gardé à vue à la cour d'assises par la force publique jusqu'à ce que l'arrêt définitif puisse être prononcé.
Impossibilité par conséquent, en matière criminelle ordinaire, pour l'accusé de se soustraire au jugement, de rendre la formation du jury de jugement illusoire. C'est important. Vous savez combien sont onéreuses les fonctions de juré imposées aux citoyens, combien les citoyens cherchent à s'y soustraire, chaque fois qu'ils sont appelés à remplir ces fonctions. Il ne faut pas que ces citoyens viennent au chef-lieu de la province pour se rendre à la cour d'assises, y passent inutilement leur temps par le fait d'un prévenu qui les empêche de remplir leurs devoirs et les retient loin de leurs foyers.
La section centrale a voulu par son amendement empêcher que la formation d'un jury de jugement fui rendue illusoire. Elle n'a pas atteint ce but, pas plus que M. le ministre de la justice par son premier amendement. En voici deux raisons : vous savez que d'après le Code d'instruction criminelle l'affaire commence par la formation du tableau du jury de jugement, avant que le président constate l'identité de l'accusé, et que l'on procède en présence du procureur général et de l'accusé.
Le jury de jugement étant formé, on passe à l'interrogatoire des accusés, des prévenus et ensuite à l'audition des témoins. Alors il arrivera très souvent que le prévenu d'un délit de presse se retirera lorsqu'il verra que le jury de jugement est composé de manière à lui être défavorable.
Il importe que la loi empêche que pareille chose ait lieu. Le seul moyen qui soit en notre pouvoir en présence des dispositions du décret sur la presse, c'est de transcrire dans notre loi les dispositions de la loi française relatives à la procédure devant la cour d'assises en matière de (page 1320) presse. Là le prévenu est censé être présent au débat alors même qu'il se retirerait après la formation du jury de jugement.
Je crois qu'en présence de la disposition du décret sur la presse qui accorde au prévenu d'un délit de presse de rester libre jusqu'au jugement définitif, il n'y a pas d'autre moyen de rendre l'exécution de la loi régulièrement possible, d'empêcher que la formation du jury de jugement devienne illusoire.
Ainsi j'ai l'honneur de proposer d'amender la disposition de l'article 8 proposée par le gouvernement en ces termes :
Après les mots : si le prévenu ne comparaît pas, on ajouterait : ou s'il se retire avant que le tirage au sort du jury soit commencé.
On ajouterait à l'article une disposition finale ainsi conçue :
« Si le prévenu se retire après que le tirage au sort sera commencé, l'affaire sera continuée comme s'il était resté présent, et l’arrêt sera définitif. »
Je crois avoir suffisamment justifié cet amendement.
M. Van Cutsem, rapporteur. - D'après les différents discours qui ont été prononcés à l'occasion de l'article 5 du projet de loi, je crois inutile de produire de nouveaux arguments pour établir que, lorsque l'honorable M. Verhaegen nous disait à une séance précédente qu'il ne pouvait dépendre d'un accusé en matière de presse condamné par contumace ; de rendre illusoire l'arrêt de condamnation prononcé contre lui, il versait dans une grande erreur. Tous les orateurs qui ont parlé à la séance d'aujourd'hui ont admis comme constant qu'aux termes de l'article 476 du Code d'instruction criminelle mis en corrélation avec l'article 9 du décret du 20 juillet sur la presse, il était impossible d'exécuter contre un individu condamné par contumace l'arrêt porté contre lui, parce que, aux termes de l'article 470 du Code d'instruction criminelle, l'arrêt par contumace vient à tomber du moment que l'individu est arrêté ou se constitue prisonnier. Si, aux termes de l'article 9 du décret du 20 juillet 1831, il est permis ou possible d'emprisonner un individu condamné par contumace pour délit de presse, il est évident qu'aussitôt qu'il est inscrit sur le registre d'écrou d'une prison, l'arrêt venant à tomber, il doit être mis immédiatement en liberté. L'article 9 dit qu'on peut arrêter un individu condamné par contumace, mais cette arrestation n'est jamais que provisoire, en présence de l'article 476 du Code d'instruction criminelle.
Ces doctrines n'ont pas besoin d'être développées ultérieurement ; elles ont été admises par l'unanimité de la section centrale, et je les ai établies d'une manière incontestable dans le discours que j'ai prononcé dans la discussion générale.
C’est parce que la section centrale a admis qu'il était impossible d'exécuter les arrêts prononcés par contumace contre les accusés de délits de presse, qu'elle a approuvé l'article 5 du projet de loi.
En effet, si l'arrêt rendu par contumace ne peut être exécuté contre l’accusé d'un délit de presse, cela ne provient que d'une seule circonstance, c'est qu'il n'y a, en matière de délit de presse, ni détention préventive, ni ordonnance de prise de corps. Il fallait cependant trouver y le moyen de faire respecter les arrêts de justice. La seule mesure qui put se présenter, c'était de délivrer une ordonnance de prise de corps contre l'individu qui, assigné à comparaître en matière de presse, ne se rend pas devant la justice.
L'honorable M. d'Elhoungne a été d'accord sur ce point avec nous ; il pense aussi qu'une ordonnance de prise de corps doit être décernée contre l'accusé en matière de presse qui se permet de ne pas comparaître devant son juge.
A mon tour je dois dire avec cet honorable représentant qu'une fois qu'on aura trouvé le moyen de remplacer par une ordonnance de prise de corps l'arrestation préventive, on aura assez fait pour assurer le cours régulier de la justice. En effet, on aura fait rentrer les accusés de délits de presse dans le droit commun ; on aura rendu la loi exécutable. La disposition de l'article 465 du Code d'instruction criminelle, qui permet au président de la cour d'assises de rendre une ordonnance portant que le prévenu sera tenu de se présenter dans un délai de dix jours, cessera d'être illusoire et deviendra applicable.
Pour ce qui concerne l'amende dont l'honorable représentant de Gand a demandé la suppression, je pense, quoique la section centrale l'ait adoptée, qu'elle devient inutile lorsqu'il y a une ordonnance de prise de corps contre l'accusé de délit de presse qui ne comparaît pas en justice, parce qu'avec cette ordonnance il reste en prison, si le jugement de contumace tombe par son arrestation comme les accusés de crimes ordinaires, et qu'assurant par cette détention la punition à infliger à son délit, il est inutile d'employer d'autres moyens de rigueur pour arriver à ce résultat.
La section centrale s'est demandé si, lorsqu'un prévenu comparaît un instant devant la cour d'assises, et qu'ensuite il se retire, si, dis-je, on peut continuer l'instruction devant la cour d'assises.
Si nous parcourons les différentes dispositions légales sur la matière, nous voyons que, depuis sa comparution (article 310 du Code d'instruction criminelle), jusqu'à la prononciation de l'arrêt définitif (article 374), l'accusé doit rester présent à tous les débats qui précèdent sa condamnation.
Pouvons-nous, par cela seul qu'un individu aura comparu un moment devant ses juges, le considérer comme s'il avait été présent à tous les débats de sa cause ? Agir de cette manière serait, je crois, se mettre en opposition flagrante avec les dispositions du Code d'instruction criminelle, qui ont voulu, pour qu'un individu pût être condamné contradictoirement, qu'il restât jusqu'à la fin des débats pour faire valoir ses moyens de défense.
Ces considérations ont déterminé la section centrale à ajoutera l'article 5 les mots : « ou se retire avant la prononciation de l'arrêt définitif », parce qu'elle a cru qu'en matière criminelle l'arrêt ne pouvait être contradictoire que lorsque l'accusé s'était défendu jusqu'à la fin du procès.
La section centrale a préféré rendre inutile le déplacement des jurés quelque pénible qu'il pût être pour eux, que d'enlever aux accusés la garantie que leur donne le Code d'instruction criminelle. Mais peut-être la section centrale a-t-elle été trop loin. Peut-être conviendrait-il de substituer aux mots : « la prononciation de l'arrêt définitif » ceux-ci : « la clôture des débats ». S'il se retire après la clôture des débats, il a fait valoir toutes ses moyens de défense ; on ne peut dire qu'il a été condamné sans être entendu. Il ne convient pas alors qu'il puisse, par sa seule volonté faire annuler un verdict du jury. Ces considérations me portent à dire que l'opinion de la section centrale serait mieux exprimée, si l'on faisait à l'article 5 la modification que je viens d'indiquer, c'est-à-dire, de permettre l'arrestation de l'accusé qui ne comparaît pas en matière de presse devant la cour d'assises ou se retire avant la clôture des débats ; une fois les débats terminés, sa condamnation serait définitive.
M. Orts. - Je viens appuyer fortement la suppression de l'amende comminée par l'article 5, et fixée à 100 francs minimum et à 1,000 francs maximum.
En réponse aux raisons qui ont été données pour appuyer cette recrudescence de mesure pénale, je ferai observer qu'il est assez étrange qu'en matière de presse, et lorsque, par la disposition qui précède, on a déjà enlevé aux prévenus la faculté qu'ils avaient, aux termes de l'article 261 du Code d'instruction criminelle, de demander le renvoi à la session suivante, lorsqu'en outre on a décidé qu'il faudrait que le jury d'une série fût déjà en fonction pour que l'affaire pût être, à la demande de l'accusé, renvoyée à la série suivante, on aggrave encore la position du prévenu en le condamnant, dans le cas prévu par l'article 5, à une amende de 100 à 1,000 fr., outre l'emprisonnement préventif par suite de l'ordonnance de prise de corps ; l'amende est ici une superfétation, un luxe de pénalité dans une matière où il ne faut pas que la mesure des peines soit plus étendue que dans les matières ordinaires.
Voyez où nous allons ! Lorsqu'un témoin ne comparaît pas, le maximum de l'amende, tel qu'il est fixé par les articles 89 et 355 du code d'instruction criminelle ne s'élève qu'à 100 francs. Et ici le minimum de l'amende serait 100 francs, le maximum 1,000 francs, et l'on tient le prévenu puisqu'il y a une ordonnance de prise de corps. Il n'y a dont plus de danger qu'il s'échappe. Pourquoi cette amende ? Peut-on comparer la conduite du témoin qui ne se rend pas à la citation qu'il a reçue et la conduite d'un accusé qui s'abstient de comparaître pour ne pas être jugé ? II n'y a point là de délit proprement dit, c'est une conduite souvent toute naturelle. Rappelez-vous, messieurs, ce mot d'un ancien magistrat français : « Si l'on m'accusait d'avoir volé les tours de Notre-Dame, je commencerais par prendre la fuite. »
L'article suivant porte :
« Le prévenu ainsi condamné, qui, lors de sa comparution devant la cour d'assises, produira des excuses légitimes, pourra être déchargé de l'amende, il pourra aussi obtenir sa mise en liberté provisoire sous caution. »
Ainsi voilà un individu arrêté en vertu de l'ordonnance de prise de corps qui aura été condamné à une amende de 1,000 francs dont il ne pourra se faire relever que le jour de sa comparution devant la cour d'assises en produisant des excuses légitimes, et qui devra en attendant fournir caution de 1,000 francs au moins pour être mis en liberté provisoire. Il y a ici un tel luxe de pénalité qu'on croirait qu'il s'agit, non pas de simples délits politiques ou de presse, mais de crimes. Je pense que l'ordonnance de prise de corps est une mesure plus que suffisante et que l'amende de 100 à 1,000 francs doit disparaître.
Si, contre toute attente, le principe de l'amende était admis, je proposerais d'en fixer le chiffre, comme pour les témoins défaillants, c'est-à-dire au maximum de 100 francs.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, si l'on maintient l'amende, il faut maintenir une amende qui puisse inspirer au prévenu quelque crainte, et qui puisse le déterminer à rester présent. Ainsi, une amende semblable à celle dont parle l'honorable M. Orts, serait évidemment une peine qui n'amènerait aucun des résultats que nous voulons obtenir.
Messieurs, voici quel a été mon but en proposant une amende. Je me suis dit : Si l'on admet que le prévenu puisse se retirer, avec faculté de faire défaut après l'ouverture des débats, après qu'il a pu apprécier les dispositions du jury, il faut nécessairement une amende pour l'obliger à rester, ou tout au moins pour le punir s'il se retire.
Mais l'amende, je le reconnais avec l'honorable M. d'Elhoungne, ne serait pas aussi nécessaire, bien qu'elle aurait toujours un certain caractère d'utilité, si l'on admet tous les amendements que j'ai proposés. Elle pourrait ne plus être utile si on admettait que le prévenu ne peut plus faire défaut après que le tirage du jury a commencé, et dans ce cas, je ne ferais aucune difficulté d'abandonner l'amende. Mais dans le cas contraire, si l'on adoptait notamment la rédaction que propose la section centrale, ou même celle que propose l'honorable M. Van Cutsem, en un mot, si l'on pouvait admettre que le prévenu pût se retirer et faire tomber tous les débats, en se retirant, alors qu'il a pu apprécier la tournure, et prévoir la suite des débats, il faudrait nécessairement une disposition qui l'obligeât à rester, ou du moins l'y contraignît par la crainte d'une peine.
(page 1321) M. Verhaegen. - J'ai à répondre quelques mots à l'honorable rapporteur de la section centrale et en même temps aussi à l'honorable M. Vanden Eynde.
Messieurs, je maintiens ce que j'ai dit dans une séance précédente, à savoir que l'article nouveau de M. le ministre est parfaitement inutile, si nous versons réellement dans une matière de contumace. Et en effet, messieurs, s'il y a des moyens suffisamment coercitifs contre celui qui ne comparaît pas, il est inutile d'en créer d'autres, et surtout d'en créer de la nature de ceux dont il s'agit.
Mais je ne crois pas, et ceci servira tantôt de réponse aux observations de l'honorable M. Van den Eynde, que nous versions dans la contumace proprement dite.
Je dis que, s'il faut maintenir la contumace en matière de presse, la mesure nouvelle est inutile, parce qu'il y en a déjà beaucoup trop dans, le Code d'instruction criminelle, et ici je réclame toute l'attention de la chambre.
D'après l'opinion qu'on veut faire prévaloir, toutes les dispositions du Code d'instruction criminelle en matière de contumace resteraient en vigueur, car la loi nouvelle n'en abroge aucune.
Or, messieurs, voyez le luxe de formalités, l'exorbitance des mesures pour un simple délit de presse !
« Lorsque l'acte de renvoi aura été notifié, et lorsque l'accusé ne se présentera pas dans les dix jours de la notification, le président rendra une ordonnance portant : qu'il sera tenu de se présenter dans un nouveau délai de dix jours, faute de quoi il sera déclaré rebelle à la loi. » (Art. 465 du Code d'instruction criminelle.)
« Cette ordonnance est publié à son de trompe et de caisse le dimanche suivant et affichée à la porte du domicile de l'accusé et de la maison commune du lieu de ce domicile. » (Art. 466.)
Ce n'est pas grand' chose, dira-t-on, le son de trompe et de caisse ne fait aucun mal à l'accusé ! Soit, mais ce n'est pas tout.
« Après les 10 jours, il est procédé au jugement de la contumace. » (Art. 467).
« Aucun conseil ne peut se présenter pour défendre l'accusé.» (Article 468.)
« Si le contumace est condamné, ses biens sont mis sous séquestre.» (Art. 471.)
Ce n'est pas tout encore : « L'extrait de l'arrêt de condamnation est affiché par l’exécuteur des hautes œuvres dans les trois jours de la prononciation, à la diligence du procureur général, à un poteau qui sera planté sur une des places publiques. » (Art. 478.)
Enfin, le contumax est toujours condamné aux frais, récupérables par la voie de la contrainte par corps, même s’il se représentant ensuite, il venait à être acquitter car ces frais sont considérés comme préjudiciaux. (Art. 478.)
Ainsi condamnation aux frais dans tous les cas, contrainte par corps, séquestration des biens, mise au pilori par la main du bourreau ; et tout cela ne suffit pas à M. le ministre !! Il lui faut des garanties nouvelles...
On objecte l'article 476 du Code d'instruction criminelle. D'après cet article, dit-on, une fois que le prévenu se présente, l'arrêt tombe. Mais, messieurs, l'article 476 prouve précisément, comme je l'ai dit déjà, que nous ne sommes pas ici dans la vraie matière de la contumace. En effet, si on veut raisonner de l'article 476, il faut bien l'appliquer tel qu'il est ; or, d'après cet article, pour faire cesser la force de l'arrêt par contumace, la première condition c'est que l'accusé se constitue prisonnier.
J'entends déjà qu'on m'objecte qu'en matière de presse, il n'y a jamais d'emprisonnement préalable ; cela est vrai. Mais, s'il n'y a pas d'emprisonnement possible, il n'y a pas non plus de termes habiles à l'application de l'article 476 ; car, encore une fois, la condition sine qua non pour que l'arrêt tombe, c'est que le contumace se constitue prisonnier.
Un membre. - L'arrêt est une lettre morte.
M. Verhaegen. - L'arrêt est une lettre morte ou l’arrêt tombe, cela est synonyme. Toujours est-il que je défie mes interrupteurs de me citer aucun article autre que l'article 476 qui soit relatif à la représentation du condamné par contumace et aux conséquences attachées à cette représentation.
L'honorable M. Vanden Eynde a cité le décret sur le jury ; il porte dans son préambule :
« Considérant que la nation doit jouir du bienfait de l'institution du jury et qu'en attendant la révision des Codes, il y a lieu de le rétablir sans s'écarter de l'instruction criminelle actuellement suivie, etc. »
Sans s'écarter de l'instruction criminelle actuellement suivie, cela ne veut pas dire : sans s'écarter des principes en matière criminelle, mais bien sans s'écarter des principes du Code d'instruction criminelle.
Or, nous avons dans le Code d'instruction criminelle des règles établies pour la procédure correctionnelle, et d'autres règles établies pour la procédure criminelle.
Maintenant, quand la procédure est-elle criminelle ? Quand est-elle correctionnelle ? Elle est correctionnelle, au moins quant au fond, lorsqu'il s'agit d'un délit puni d'une peine correctionnelle ; elle est criminelle quand le fait est puni d'une peine criminelle, en d'autres termes d'une peine affective et infamante. Il est vrai qu'en matière de presse le jury seul étant compétents l'affaire doit être portée devant la cour d'assises. (Interruption.)
Puisqu'on veut faire du nouveau, il convient de faire disparaître ces bigarrures, et le seul moyen d'arriver à ce but c'est d'admettre le système de l'honorable M. Jonet.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Verhaegen est revenu complètement sur l'opinion qu'il avait émise dernièrement. Et en effet, comme le lui avait observé mon honorable ami M. Van Cutsem, il aurait été difficile de soutenir l'opinion qu'il avait primitivement énoncée.
L'honorable M. Verhaegen dît néanmoins qu'en matière de presse, il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de véritable contumace ; que le seul article à citer est l'article 476 du Code d'instruction criminelle, et que cet article ne peut pas être appliqué en matière de presse, puisque l'individu ne peut pas être détenu préventivement.
En effet, on ne peut invoquer que l'article 476 pour établir qu'un arrêt par contumace tombe de plein droit, quand le condamné se présente. Et tout à l'heure quand l'honorable M. Verhaegen a parlé de cet article, je l'ai interrompu, en disant : L'arrêt sera donc toujours une lettre morte.
D'après l'honorable membre, l'arrêt ne tombera pas, parce qu'on ne peut pas arrêter préventivement en matière de presse. Mais si on ne peut pas détenir le condamné, que devient l'arrêt ? Il n'est qu'un chiffon de papier, car si vous voulez exécuter votre arrêt, vous devez arrêter l'individu, et l'arrêt tombe à l'instant.
L'honorable M. Van Cutsem avait donc raison quand il disait qu'il y avait une lacune dans la loi qui nous régit.
L'honorable M. Verhaegen, dans ce qu'il vous a dit, s'est borné à faire le procès au décret de 1831. Ce n'est pas la loi qui vous est présentée qui a renvoyé au Code d'instruction criminelle, c'est le décret ; il porte que lorsqu'il s'agira de délits de presse ou de délits politiques, il sera procédé comme en matière criminelle, d'après les prescriptions du Code d'instruction criminelle.
Maintenant les différents articles dont a parlé l'honorable membre, et qui seraient en effet très sévères, sont à la rigueur applicables, mais ils n'ont jamais été, je pense, appliqués ; ces articles ont été rendus applicables par le décret de 1831 aux faits qu'il prévoit, parce que ce décret ayant été fait rapidement, on n'a pas eu le temps d'organiser une procédure nouvelle en matière contumacielle ; on s'est rapporté à ce qui se pratiquait pour les matières criminelles ordinaires.
Mais malgré la séquestration des biens, l'affiche au pilori, il n'en reste pas moins vrai qu'on ne peut pas exécuter les arrêts ; or c'est à l'exécution des arrêtés que nous avons voulu arriver, et nous y arriverons à l'aide des dispositions présentées. Elles n'ont rien d'exorbitant, puisqu'elles n'ont pour objet que de donner force à une ordonnance rendue par la justice.
Je reconnais que, pour les cas dont il s'agit, ces mesures rappelées par M. Verhaegen ont quelque chose d'exagéré et d'extraordinairement rigoureux ; lorsque nous aurons à examiner la procédure générale en matière de presse, si l'on rend, comme je l'espère, générales les dispositions spéciales adoptées pour les offenses au Rot et aux chambres, alors il sera nécessaire de réviser toutes les dispositions dont vient de parler l'honorable M. Verhaegen.
On ne peut pas maintenir l'exposition en effigie d'un homme condamné pour un délit correctionnel. Mais ce n'est pas le moment de faire cette révision, surtout à propos de la loi spéciale qui vous est présentée. En matière de presse, toutes les dispositions du Code d'instruction criminelle sont applicables ; si elles subsistent pour toutes les matières non prévues par la présente loi, il ne faut pas les supprimer pour un délit, qu'on considère comme plus grave que les autres délits prévus par le décret de 1831. Il ne faut pas s'occuper des dispositions maintenues par le décret. Plus tard quand nous réviserons la procédure générale en matière de presse, nous examinerons les dispositions indiquées par M. Verhaegen comme ne pouvant pas être maintenues. Mais il faut les combiner avec les autres dispositions du Code ; il y a une étude à faire qu'on ne peut pas improviser dans ce moment.
Je désire maintenant dire encore un mot de l'amendement de M. Vanden Eynde, de celui de M. Van Cutsem et des miens, pour que la chambre comprenne bien le motif pour lequel j'ai demandé et je demande encore, dans la supposition de l'adoption de l'amendement de la section centrale ou de celui de M. Van Cutsem, le maintien de l'amende. En matière correctionnelle ordinaire, il n'est pas nécessaire d'ériger en délit la non-comparution ; cela n'est pas nécessaire, parce que dans cette matière un prévenu n'a pas intérêt à être jugé dans 15 jours plutôt qu'aujourd'hui ; les mêmes juges seront sur leur siège. Mais en matière de presse qui est jugée par le jury, il est important qu'un prévenu ne puisse pas dire : Je ne veux pas être jugé par tel jury, je m'en défie, j'espère mieux du jury suivant. La position n'est pas la même pour les délits de presse jugés par le jury, que pour les délits correctionnels ordinaires.
La différence est sensible. D'un côté, vous avez toujours les mêmes juges, il n'y a pas d'intérêt à faire défaut ; en matière de presse, quand il s'agit de jugement par le jury, on peut avoir intérêt à ne pas comparaître devant un jury plutôt que devant un autre.
Si la chambre admet donc, avec la section centrale, que le prévenu peut se retirer, jusqu'à la prononciation de l'arrêt définitif, alors qu’il a été déclaré coupable par le jury, ou avec M. Van Cutsem, que le prévenu peut faire défaut jusqu'à la clôture des débats, il faut, à côte de cette faculté exorbitante, une disposition que vous appellerez, si vous voulez, exorbitante aussi, mais qui permette au moins de frapper l'accusé d'une amende assez forte pour l'engager à rester devant le jury.
Voilà les motifs pour lesquels je demande le maintien de l'amendement (page 1322) pour le cas où on admettrait la disposition proposée par la section centrale ou celle de M. Van Cutsem. Mais si la chambre admet le principe inscrit dans mon amendement, et surtout celui que propose l'honorable M. Vanden Eynde, je puis renoncer à l'amende, parce qu'il n'y a pas le même danger qu'avec les autres systèmes ; car dans le système de M. Vanden Eynde le prévenu ne peut pas se retirer après avoir vu la physionomie que prennent les débats et apprécié les chances de condamnation ou d'acquittement qu'il peut avoir, les choses ne sont plus les mêmes, et je renoncerai à l'amende si ma proposition ou celle de M. Vanden Eynde est adoptée. Mais si c'est l'opinion de la section centrale ou de M. Van Cutsem qui prévaut, il faut maintenir la possibilité de condamnation à l'amende.
M. Vanden Eynde. - M. le ministre de la justice vient de répondre pour moi à l'honorable M. Verhaegen. Je ne reprends la parole que pour démontrer que l'amendement que j'ai proposé à l'article 5 doit être préféré, et à celui présenté par la section centrale, et à celui présenté par M. le ministre, et à celui déposé par M. Van Cutsem. Je viens d'établir que si on accepte l'amendement de M. le ministre, qui dit que si l'accusé se retire avant l'ouverture des débats, c'est-â-dire après que l'audition du premier témoin a commencé, il pourra être condamné à une amende de cent à mille fr., que dans ce cas le jury de jugement est formé, qu'il siège ; il arrivera ce que disait M. le ministre, que l'accusé aura pu apprécier si le jury lui convient.
C'est ce qu'a voulu éviter le législateur français, pour les délits de presse comme pour toutes les autres affaires soumises au jury ; nous aussi nous devons empêcher que le prévenu, qui doit être jugé par le jury, choisisse son jury, car le Code d'instruction criminelle a voulu que les jurés fussent désignés par le sort.
(page 1331) M. Fleussu. - Il se passe quelque chose que j’ai peine à comprendre, c’est qu’en faisant une loi spéciale, on fasse toujours appel aux principes généraux. Je crois qu’il faudrait s’en tenir à la loi spéciale que nous discutons; c’est la marche que je vais suivre dans les observations que je vais avoir l’honneur de vous présenter.
Je pense que ce qui fait la difficulté c’est que, poursuivant un individu prévenu d’un délit la justice, ne peut pas faire main basse sur lui. Il comparaît dans un autre état que ceux qui comparaissent ordinairement devant elle. Il est vrai de dire qu’il y a une véritable lacune en ce qui concerne les délits de presse : le prévenu comparait ou ne comparaît pas à sa volonté, tandis que ceux qui comparaissent devant la cour d’assises ordinairement sont entourés de la force publique ; il ne dépend pas de leur volonté d’être là ou de ne pas y être.
Voilà donc la grande différence qui existe.
Maintenant, pour que le pouvoir ne puisse pas abuser de cette liberté que la loi lui a laissée, il est évident qu’il faut prendre quelques précautions. Ces précautions, le congrès national y avait pensé puisqu’il avait ordonné que dans un cas semblable il y eût une ordonnance d’amener. Il y avait donc un arrêt de comparution, et l’on avait pensé que cela suffisait. Lorsqu’à un deuxième jour fixé par le jury le prévenu ne comparaissait pas, on pouvait le faire prendre chez lui et le faire amener à la cour d’assises. Mais si son intention était de ne pas y venir, il se mettait de côté et il échappait ainsi au mandat de comparution.
Il faut donc autre chose. Mais je crois qu’au lieu de nous maintenir dans le système trop libéral du congrès, nous allons peut-être entrer dans un système tout contraire, et qu’il y a dans le projet actuel un vrai luxe de moyens coercitifs. Ainsi, ou ne se contente pas de décerner une ordonnance de prise de corps, on veut encore que pour ne pas s’être rendu à l’appel de la justice, le prévenu soit condamné à une amende de 100 à 1,000 fr.
Je dis, messieurs, que dès que la loi donne au gouvernement le moyen de s’assurer qu’il n’y aura pas une seconde fois défaut de la part du prévenu, la loi fait tout ce qu’elle doit et que le gouvernement a en sa possession tous les moyens qui lui sont nécessaires. Remarquez, messieurs, comme on me le fait observer, que lorsque le prévenu a une fois fait défaut, qu’il se trouve sous la main de la justice et qu’il comparait pour la seconde fois, il paye déjà les frais de son absence; car les frais du premier défaut sont supportés par lui, bien entendu lorsqu’il y a condamnation.
Messieurs, cet article soulève une autre question, c’est celle de savoir ce qu’il faut entendre par « le prévenu ne comparaissant pas ».
Lorsqu’il fait entièrement défaut, la chose est facile. Mais lorsqu’il se présente au commencement de l’audience, par exemple, et qu’il se retire, fait-il encore défaut ? Je pense, messieurs, que du moment qu’il vient décliner ses nom et prénoms, qu’il répond ainsi à l’appel de la justice, il accepte le débat, et cela par une raison toute spéciale, c’est que cet homme peut se retirer quand il veut. On ne constate pas le moment de son absence; de manière que lorsqu’il a décliné ses nom et prénoms, il est censé rester tout le temps de la séance, à moins qu’il ne fasse constater qu’il s’est retiré à telle époque.
Vous voyez que j’abonde tout à fait dans le sens de l’amendement de M. le ministre de la justice.
Mais une grande difficulté se présente. On sait bien quand les débats sont clos, mais on ne sait pas quand ils commencent. Je crois que si je demandais à tous les jurisconsultes de cette chambre quand les débats sont ouverts, nos avis seraient très divisés. Je pense, messieurs, que ce n’est pas par le tirage du jury que les débats sont ouverts ; car le tirage du jury se fait dans la chambre du conseil, en présence de l’accusé. Est-ce au moment qu’on ouvre la séance de la salle d’assises? Il est encore possible que non. Est-ce quand on a entendu le premier témoin ? C’est l’opinion assez générale ; il est assez généralement entendu que les débats ne s’ouvrent que par l’audition des premiers témoins.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - La loi le dit positivement.
M. Fleussu. - Bien. Nous serons donc d’accord. Il y aura un point fixé pour l’ouverture des débats, et le prévenu saura que s’il se retire après ce point, l’affaire sera continuée comme s’il était présent.
M. Vanden Eynde. - Après que le tirage du jury aura commencé.
M. Fleussu. - Mais d’après, la loi le jury devrait être tiré dans la salle du conseil en dehors de la procédure. Je sais bien qu’en général, du moins c’est ainsi dans le ressort de la cour de Liége, le jury se tire au grand joui dans la salle d’audience. Je crois que l’amendement de l’honorable M. Vanden Eynde tend à déterminer l’époque après laquelle le prévenu ne pourra plus se retirer, lorsque le premier juré est tiré.
M. Vanden Eynde. - Lorsque le tirage du jury a commencé.
M. Fleussu. - C’est ainsi que je l’ai compris. Mais il était indispensable que l’on s’expliquât, parce qu’il y a une double procédure en matière de presse. Lorsque le jury est tiré, et avant qu’on ne passe à la question de culpabilité, on pose la question d’auteur. Avant qu’on ne procède comme envers les autres accusés, il faut que le jury déclare que le prévenu est l’auteur, pour qu’on puisse relâcher l’imprimeur et ceux qu’on pourrait supposer les complices.
Il était donc nécessaire qu’on précisât le terme après lequel le prévenu ne peut plus se retirer sans que l’affaire continue contradictoirement.
(page 1322) M. Vanden Eynde. - Il paraît qu'on n'a pas bien compris mon amendement. Voici ce que je propose : « Si le prévenu ne comparaît pas, ou s'il se retire avant que le tirage au sort du jury soit commencé, etc. »
Vous savez, messieurs, que d'après le Code d'instruction criminelle, la première opération, lorsqu'une affaire commence, c'est de procéder à la formation de la liste du jury de jugement, ce qui se fait en présence du procureur général, de l'accusé ou du prévenu pour délit de presse. Après cette opération, on constate l'identité de l'accusé ou du prévenu. Ou lui demande ses nom et prénoms, et le président de la cour pose, s'il s'agit d'un délit, de presse, la question de savoir si le prévenu est l'auteur du délit, parce qu'avant de pouvoir procéder, comme l'a dit l'honorable M. Fleussu, à l'examen de la question de culpabilité, il est nécessaire de constater si le prévenu est l'auteur de l'article incriminé.
Si, messieurs, vous acceptez l'amendement de M. le ministre de la justice, ou celui de l'honorable M. Van Cutsem, ou celui de la section centrale, il arrivera que le jury aura siégé peut-être pendant un certain temps, que l'accusé ou le prévenu aura pu apprécier si ce jury lui convient et qu'ensuite il se retirera et forcera ainsi le ministère public à le traduire devant un nouveau jury.
Je dis, messieurs, qu'il ne faut pas rendre la formation d'un jury illusoire. C'est là le but de mon amendement, et je crois que vous apprécierez la nécessité de l'adopter.
- La discussion est close.
M. le président. - M. d'Elhoungne a demandé que l'article fût mis aux voix par division.
M. d’Elhoungne (sur la position de la question). - Je demanderai à la chambre de ne voter sur l'amende qu'en dernier lieu ; M. le ministre de la justice ayant témoigné l'intention d'y renoncer, si les autres dispositions qu'il propose sont admises.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je demanderai qu'on vote sur les amendements que j'ai présentés. Si ces amendements sont adoptés, comme le dit l'honorable M. d'Elhoungne, je déclare renoncer à la disposition relative à l'amende.
M. le président. donne une nouvelle lecture des divers amendements.
M. Van Cutsem, rapporteur. - Je retire mon amendement.
- L'amendement de M. Van den Eynde est mis aux voix et adopté.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je retire la disposition relative à l'amende.
- L'article, tel qu'il est amendé par M. Vanden Eynde, est mis aux voix et adopté.
M. Maertens. - Messieurs, avant de passer à l'article suivant, je voudrais, demander une explication.
La chambre vient de décréter l'arrestation préventive du prévenu. Par l'article dont nous allons nous occuper, il pourra obtenir sa mise en liberté provisoire sous caution, en attendant qu'il comparaisse devant la cour d'assises. Mais que sera-ce s'il n'a pas obtenu ou s'il n'a pas demandé cette mise en liberté provisoire et si, au moment du jugement, se trouvant en état d'arrestation, il vient à être condamné et veut se pourvoir en cassation ? Pourra-t-il encore demander et obtenir sa mise en liberté, et à qui devra-t-il s'adresser pour la demander ? Je suppose, par exemple, que son pourvoi soit accueilli, que l'arrêt qui le condamne soit cassé, et que, renvoyé devant un nouveau jury, il soit acquitté. Trois mois se seront écoulés entre les deux arrêts. Le prévenu devra-t-il pendant tout ce temps rester en état d'arrestation ? Je voudrais que l'on examinât s'il n'y a pas quelque disposition à introduire à cet égard dans l'article 6.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, vous avez d'abord l'article 6 qui permettra la mise en liberté sous caution ; mais vous savez, d'un autre côté, que, lorsqu'il y a pourvoi en cassation, d'après la jurisprudence, il faut que les prévenus se mettent en état. Ainsi, la disposition ne modifie en rien la position des condamnés.
M. Vanden Eynde. - Comme le dit fort bien M. le ministre de la justice, l'article 6 permet la mise en liberté sous caution ; et ensuite lorsque le condamné se pourvoit en cassation, il est de jurisprudence, et il a été décidé plusieurs fois par la cour d'appel de Bruxelles qu'il peut obtenir sa mise en liberté sous caution, quand il s'agit simplement d'un délit correctionnel ; or,, les délits dont il s'agit ici ne sont que des délits correctionnels, bien qu'on les poursuive criminellement.
Ainsi, messieurs, l'observation de l'honorable M. Maertens devient, il me semble, sans objet.
M. Maertens. - Je dois cependant faire remarquer que l’article 6, que nous allons maintenant discuter, ne parle que du prévenu, que d'après cet article ce n'est que le prévenu seul qui pourra obtenir sa mise en liberté provisoire sous caution. Or, celui à charge de qui un arrêt vient d'être prononcé, n'est pas un prévenu, c’est un condamné. C'est là ce qui, à mon avis, pourrait donner lieu à un doute ; et, certes sous le rapport de la position il y a une grande différence entre l'un et l’autre. Toutefois comme il s'agit ici d'une procédure tout à fait nouvelle, tout à fait extraordinaire, j'ai voulu éclaircir la question, c'est la seule chose que j'ai eue en vue.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Maertens est dans l'erreur. L'individu qui est condamné et qui se pourvoit n'est pas détenu en vertu de l'arrêt de condamnation, mais bien en vertu de l'ordonnance de prise de corps antérieure à l'arrêt. L'exécution de l'arrêt ne peut avoir lieu qu'après l'arrêt de cassation.
M. Maertens. - Soit.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le projet de loi sur les irrigations et sur l'écoulement des eaux des terrains marécageux, dont j'ai annoncé la présentation pendant la discussion du projet de loi sur les défrichements. La chambre désire-t-elle que je donne lecture de ce projet ?
Plusieurs membres. - L'impression !
La chambre décide que le projet sera imprimé et distribué et la renvoie à l'examen des sections.
M. Osy dépose le rapport sur le projet de loi qui tend à accorder des crédits supplémentaires, aux départements des affaires étrangères et de la marine.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion du projet.
M. le président. - « Art. 6. Le prévenu ainsi condamné qui, lors de sa comparution devant la cour d'assises, produira des excuses légitimes, pourra être déchargé de l'amende ; il pourra aussi obtenir sa mise en liberté provisoire sous caution, en s'adressant, soit à la cour d'assises, soit à la chambre des mises en accusation, si la session des assises, est close ; la caution à fournir, qui sera débattue contradictoirement avec le ministère public, ne pourra être moindre de 1,000 francs. »
La section centrale propose d'ajouter : « ni supérieure à 3,000 fr. »
M. d’Elhoungne. - Messieurs, je pense qu'on doit maintenant modifier la rédaction de cet article et dire : « Le prévenu arrêté en vertu de l'article précédent, etc. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'est juste.
M. Orts. - Messieurs, je ferai sur cet article une observation de la même nature que celle que j'ai déjà faite sur un article précédent. Je ne vois pas pourquoi l'on porte à 1,000 francs le minimum de la somme qui sera exigée de celui qui demande sa mise en liberté sous caution. Cela est contraire à une disposition du Code d'instruction criminelle qui déclare, article 119, que le cautionnement ne peut être au-dessous de 500 francs et ce cautionnement de 500 francs au minimum est applicable à toute espèce de délits quelle qu'en soit la gravité, à l'escroquerie par exemple. Les délits prévus par le projet de loi sont répréhensibles, sans doute ; mais sont-ils donc plus graves que tous les délits quelconques prévus par le Code pénal ?
Considérez d'ailleurs, messieurs, qu'il est facultatif au jury de refuser la mise en liberté provisoire sous caution, car le Code d'instruction criminelle et l'article 6 en discussion laissent à l'arbitrage du juge le point de savoir si la mise en liberté provisoire sous caution sera accordée ou sera refusée.
Il se présente une autre considération, c'est que, pour tout ce qui n'est pas dérogation au Code d'instruction criminelle, les prévenus des délits dont il s'agit dans le projet tombent sous l'application de ce Code. Or, l'article 115 du Code d'instruction criminelle déclare que deux classes d'individus ne peuvent jamais obtenir la liberté provisoire sous caution : ce sont d'abord les vagabonds, et ce n'est pas à ceux-là que je fais allusion ; mais ce sont ensuite les repris de justice. Or, le Code ne définit pas ce qu'il entend par repris de justice, et cette expression peut aussi bien s'appliquer à ceux qui ont été condamnés en matière correctionnelle qu'à ceux qui ont subi une condamnation criminelle.
A défaut de définition dans le Code, les auteurs sont assez d'accord que l'on ne peut pas appeler repris de justice celui qui a été condamné (page 1323) pour une contravention de simple police, mais que cette qualification s’applique à tous ceux qui ont été l'objet d'une condamnation correctionnelle.
Eh bien, messieurs, vous savez tous que s'il est des délits extrêmement graves, des délits qui affectent l'honneur d'un homme, il en est aussi dont on peut malheureusement s'être rendu coupable sans cesser d'être honnête homme ; ces délits, vous les apprécierez tous comme moi.
Ainsi, messieurs, celui qui aura été condamné correctionnellement pour un délit de presse, si une deuxième fois il se rend coupable d'un délit de même nature, ne pourra obtenir sa mise en liberté provisoire sous caution. Pour qu'il en fût autrement, il faudrait déclarer qu'il y a dérogation à la disposition de l'article 115 que j'ai cité tout à l'heure ; si vous ne dites rien à cet égard, il est évident que le juge, avec la meilleure volonté, ne pourrait pas accorder la mise en liberté provisoire sous caution d'un individu qui une seule fois aurait été condamné pour un délit de presse, quelque léger qu'il fût, puisque cet individu serait considéré comme repris de justice, et qu'on devrait forcément lui appliquer la disposition de l'article 115.
Ces considérations, messieurs, sont fort graves, et vous reconnaîtrez, je pense, que je n'ai pas tort d'y insister, alors surtout qu'il n'est pas un seul article du projet de loi qui n'aggrave d'une manière considérable la position des prévenus. Pourquoi donc, c'est par là que j'ai débuté et c'est par là que je finirai, pourquoi, contrairement au droit commun, tel qu'il est établi par le Code d'instruction criminelle, qui fixe le minimum du cautionnement à 500 fr., porter le minimum au double de cette somme ?
Un membre. - Vous ne parlez pas du maximum.
M. Orts. - Le maximum ne fait rien à l'affaire. J'approuve beaucoup l'amendement de la section centrale qui réduit le maximum à 3,000 fr., mais ce n'est pas là la question.
Ce que je critique, c'est que dans aucun cas le juge ne pourra accorder la mise en liberté provisoire sans qu'il y ait là une somme de mille francs au moins, sans autre motif que parce qu'il s'agit d'un délit prévu par le projet de loi.
Je propose, messieurs, de supprimer les mots « ne pourra être moindre de 1,000 fr. » On rentrera ainsi dans les règles ordinaires en ce qui concerne le minimum.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Orts demande les raisons pour lesquelles le gouvernement propose de fixer le minimum du cautionnement à 1,000 fr., tandis que par le code d'instruction criminelle il n'est fixé qu'à 500 fr. Messieurs, la différence est bien sensible, et je m'étonne qu'elle ait échappé à la perspicacité de mon honorable contradicteur. En matière correctionnelle ordinaire, à qui accorde-t-on la mise en liberté sous caution ? On l'accorde à l'individu qui a été arrêté préventivement, mais auquel on ne peut pas reprocher d'avoir cherché à se soustraire à la justice ; dans le cas dont nous nous occupons (et l'exposé des motifs l'explique) le cautionnement et plus fort parce que l'individu a été arrêté comme rebelle à la justice, parce qu'il a été arrêté alors qu'il n'avait pas comparu sur une première citation qui lui avait été signifiée.
Il y a donc une énorme différence entre les deux cas ; dans le premier, le prévenu n'a pas désobéi à la justice ; dans l'autre, il a refusé de comparaître ; il y a donc bien plus de motifs de défiance à son égard qu'à l'égard du premier. L'ordonnance de prise de corps dans le cas de l'article 5 peut être considérée comme une espèce de peine à laquelle le prévenu veut se soustraire par la demande de mise en liberté provisoire. Si on voulait assimiler les deux cas, il en résulterait qu'il ne faudrait pas réduire le maximum à 3,000 fr. puisque l'article 119 du Code d'instruction criminelle dit que le cautionnement peut être fixé au double de l'amende et que dès lors il pourrait être, dans le cas de l'article premier, fixé à 6,000 fr., et dans le cas de l'article 2, à 4,000 fr.
M. Orts. - On a fait appel à ma perspicacité en ce qui concerne les motifs de l'élévation du minimum du cautionnement. On dit qu'on a voulu punir la rébellion à la justice, motif que je n'aurais pas eu le bonheur d'entrevoir.
Mais je ferai remarquer, messieurs, que dans l'article 5 on avait déjà proposé deux mesures contre cette rébellion ; la première c'est l'ordonnance de prise de corps, la deuxième c'est l'amende. L'amende vient, à la vérité, de disparaître, mais on a maintenu l’ordonnance de prise de corps. Or, n'est-ce pas assez pour punir la rébellion dont il s'agit, que de rendre une ordonnance de prise de corps contre un individu qui souvent n'a pas 500 fr. ? Si cet individu finit par être acquitté, sa rébellion, par suite de l'ordonnance de prise de corps préalable, aura été punie d'un emprisonnement qui pourra avoir été très long ; s'il est condamné, il subira en outre l'emprisonnement qui aura été prononcé contre lui. Je conçois qu'on punisse une fois la rébellion aux ordres de la justice, mais il me semble qu'on ne doit pas infliger une double peine à un individu parce qu'il aura craint de se présenter devant les juges. Je suis loin d'approuver le refus d'obéir aux ordres de la justice, mais je dis que quand on punit une fois ce rebelle à une citation devant une cour d'assises, et quand on le punit aussi sévèrement par la mesure d'une ordonnance de prise de corps, je dis que c'est assez de rigueur ; je dis que soumettre la liberté provisoire à la condition d'une caution double en valeur, 1,000 fr. au lieu de 500, c'est aggraver le sort d'un homme, uniquement parce qu'il sera prévenu d’un délit de presse, d'un délit prévu par le projet de loi soumis la discussion, plutôt que d'un délit ordinaire. Je le demande, sont-ce là les principes de la justice distributive, les principes d'une bonne législation ?
M. d’Elhoungne. - Je demanderai si, dans la pensée de M. le ministre de la justice, on pourra accorder la mise en liberté provisoire au contumace qui viendra se constituer prisonnier.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Sans doute.
M. Delfosse. - Messieurs, je crois que l'on ferait bien de fixer le minimum de la caution à 500 francs, comme en matière correctionnelle. M. le ministre de la justice nous dit qu'il y a une raison de différence, qu'il y a ici rébellion à la loi. Je prie M. le ministre de la justice de remarquer que celui qui est accusé d'un délit de presse peut fort bien avoir de légitimes excuses à faire valoir. La partie de la disposition qui a été abandonnée, par suite de l'adoption d'un amendement, dispensait de l'amende celui qui aurait eu des excuses légitimes à présenter. Je ne vois pas pourquoi on exigerait dans ce cas une caution de mille francs. Je ne vois pas pourquoi on se montrerait plus sévère qu'en matière correctionnelle. Laissons à la cour d'assises le soin de juger s'il y a des circonstances qui permettent l'indulgence. Il n'y a pas le moindre inconvénient, à admettre le minimum de 500 francs proposé par l'honorable M. Orts.
M. Van Cutsem, rapporteur. - Messieurs, quand le législateur du Code d'instruction criminelle a permis de mettre en liberté provisoire sous caution l'individu prévenu de l'un ou de l'autre délit, il a eu en vue d'assurer au fisc la rentrée des frais faits pour parvenir à la condamnation de cet individu, ainsi que la rentrée des amendes à prononcer contre lui pour le cas où il se soustrairait par la fuite aux condamnations qui pouvaient l'atteindre.
Pour faire condamner un individu prévenu d'un délit correctionnel, il y a beaucoup moins de frais à faire que pour parvenir à la condamnation d'un individu sous la prévention d'un délit de presse. Dans ce dernier cas, il y a une instruction préalable à faire ; il y a une citation devant la cour d'assises ; les jurés ont été appelés, des témoins ont été cités ; tous ces actes ont entraîné des frais plus considérables que ceux à faire pour obtenir une condamnation correctionnelle.
L'amende est aussi plus considérable qu'en matière correctionnelle ordinaire. Si les frais de justice sont plus élevés, si l'amende est plus forte, il est évident que la somme à fournir pour obtenir la mise en liberté provisoire, sous caution, doit être plus élevée qu'en matière correctionnelle, puisque les sommes à recouvrer dans ce cas éventuel de condamnation sont plus considérables.
S'il en est ainsi, vous comprendrez facilement que ce sont ces motifs qui ont engagé la section centrale à proposer le chiffre de 1,000 fr. au lieu de 500, et que ces raisons sont suffisantes pour combattre la proposition de l'honorable M. Orts, qui veut porter la somme à 500 fr. seulement.
- L'amendement de M. Orts, tendant à réduire le minimum à 500 fr. au lieu de 1,000 fr., est mis aux voix et n'est pas adopté.
L'article 6, avec l'addition des mots « ni supérieure à 3,000 fr. » (proposée par la section centrale), est mis aux voix et adopté.
M. le président. - L'article 7 est supprimé.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan) propose un article 7 nouveau ainsi conçu :
« Les articles 293, 294, 296 à 299 du Code d'instruction criminelle ne sont pas applicables aux délits prévus par la présente loi.
« Le prévenu, à dater de la signification de l'arrêt de renvoi, aura trois jours francs, outre un jour par trois myriamètres, pour déclarer son renvoi en cassation au greffe de la cour qui aura rendu l'arrêt. Dans les trois jours qui suivront la déclaration du pourvoi, le procureur général transmettra les pièces au ministre de la justice ; la cour de cassation statuera, toutes affaires cessantes. »
M. Verhaegen. - Messieurs je pense qu'il convient d'adopter une disposition nouvelle qui remplacerait l'article 294. Cette disposition serait ainsi conçue :
« Si le prévenu n'a pas choisi un conseil, le président de la cour d'assises, avant le tirage au sort du jury, lui en désignera un parmi les avocats ou avoués de la Cour royale ou du ressort, à moins que l'accusé n'obtienne du président la permission de prendre pour conseil un de ses parents ou amis. »
Ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire, en matière criminelle, plus qu'en toute autre, la défense a toujours été considérée comme sacrée. Lorsqu'un accusé n'a pas le moyen de se faire défendre par un avocat de son choix, on lui a toujours désigné un défenseur d'office ; je ne vois pas pourquoi, en matière de presse, on mettrait de côté cette garantie donnée à tout accusé.
On me dira peut-être que les écrivains peuvent se défendre par eux-mêmes ; cela n'est pas toujours vrai ; d'ailleurs la poursuite a lieu aussi contre des imprimeurs, des éditeurs, qui n'ont pas les connaissances nécessaires, et qui dès lors doivent être défendus par d'autres ; je ne vois donc pas pourquoi, messieurs, M. le ministre de la justice s'opposerait à ce qu'on désignât un avocat d'office au prévenu d'un délit de presse, si celui-ci n'a pas le moyen d'en prendre un à ses frais.
Je me suis demandé, messieurs, à quelle époque cet avocat devrait être choisi ; l'article 294 présentait un inconvénient, je le sais, au point de vue de la procédure spéciale ; mais la disposition nouvelle que je propose vient parer à cet inconvénient. Je demande que l'avocat soit nommé avant le tirage au sort du jury. J'ose croire, messieurs, que M. le ministre de la justice ne combattra pas ma proposition.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je ne m'oppose pas à l'amendement de l'honorable M. Verhaegen. L'honorable membre a très bien senti pourquoi j'avais demandé l'abrogation de l’article 294 du (page 1324) Code d'instruction criminelle. Je n'avais pas proposé une disposition semblable à celle dont l'honorable membre vous a entretenus, parce qu'en matière correctionnelle ordinaire, les présidents des tribunaux ne nomment pas d'avocats d'office aux individus cités devant ces tribunaux.
Je reconnais cependant qu'il y a ici une différence ; lorsqu'il s'agit d'une affaire portée devant le jury, il est nécessaire que la défense soit plus complète que devant les tribunaux correctionnels, ou du moins que jamais un accusé ne paraisse sans défenseur.
Je regrette que l'on ne puisse pas fixer une autre époque où le président puisse désigner le défenseur. Mais, reste toujours la disposition qui permet au président de remettre à une autre série l'affaire, s'il juge que la défense n'a pas pu être suffisamment préparée.
- La discussion est close.
L'article 7, avec l'addition proposée par M. Verhaegen, est mis aux voix et adopté.
« Art. 8. Les poursuites à raison des faits prévus par la présente loi seront intentées d'office. »
- Adopté.
« Art. 9. Est abrogée la disposition de l'article 3 du décret du 20 juillet 1831 ainsi conçue : « ou bien aura de la même manière injurié ou calomnié la personne du Roi. »
La section centrale ajoute :
« L'article 463 du Code pénal est applicable aux délits prévus par la présente loi. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, d'après les amendements que j'ai proposés, j'ai admis l'application de l'article 463, mais j'ai placé la mention de cet article dans celui qui décide que la poursuite sera prescrite par le laps de trois mois, à partir du jour où le délit aurait été commis, et du dernier acte judiciaire.
J'avais pensais que l'article premier étant substitué aux dispositions du décret de 1831, la prescription dudit décret et l'article 463 seraient applicables de droit. La section centrale ayant cru que l'article 463 devait être mentionné, il me semble qu'il faut dès lors fixer aussi dans la loi le délai de la prescription. Je maintiens donc l'article 9 que j'ai présenté et je propose un article 10 déterminant le délai passé lequel les poursuites seront prescrites, et mentionnant l'application de l'article 463 aux délits prévus par la présente loi.
- L'article 9, proposé par le gouvernement, est mis aux voix et adopté.
Article 10 proposé par M. le ministre :
« La poursuite des délits prévus par la présente loi sera prescrite par le laps de trois mois à partir du jour où le délit a été commis ou de celui du dernier acte judiciaire.
« L'article 463 du Code pénal sera applicable auxdits délits.
- Cet article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Il nous reste deux articles additionnels ; l'un, présenté par M. Verhaegen est ainsi conçu :
« Les articles 471 et 472 du Code d'instruction criminelle ne recevront pas d'application dans les cas prévus par la présente loi. »
M. Verhaegen. - Maintenant que le gouvernement vient d'obtenir le moyen dont il croyait avoir besoin, pour que force restât à la loi, il n'y a plus lieu de maintenir ces mesures exorbitantes du Code d'instruction criminelle que je signalais tantôt à votre attention, et je ferai la proposition formelle de les abroger.
L'article 471 met sous le séquestre les biens du condamné par contumace ; l'article 472 ordonne que l'arrêt de condamnation par contumace soit affiché par la main du bourreau, ni plus ni moins, à un poteau placé sur l'une des places publiques. C'est là ce qu'on appelle l'exécution par effigie. Ces deux mesures certes sont exorbitantes et odieuses ; les appliquer à des écrivains poursuivis pour délits de presse, c'est le comble de l'exagération.
Le gouvernement paraît d'accord avec moi sur ce point, et dit que ces mesures n'ont jamais été appliquées et qu'elles ne le seront jamais en matière de presse. Pourquoi dès lors ne pas le dire dans la loi ?
Ce qu'on n'a pas fait jusqu'ici, on pourrait le faire un jour, car les mauvaises passions et surtout les passions politiques rendent quelquefois possible ce qu'on déclarait impossible dans des temps ordinaires. N'a-t-on pas vu l’évêque de Gand, monseigneur de Broglie, exposé en effigie sur une des places publiques de Gand ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Comme je l'ai déjà déclaré, je pense qu'il sera convenable, dans une loi générale sur la presse, de faire disparaître les dispositions que l'honorable membre veut supprimer. Mais on ne peut pas se dissimuler que les articles du Code d'instruction criminelle ont des relations les uns avec les autres. Les articles dont M. Verhaegen demande la suppression sont en quelque sorte nécessaires pour l'exécution des articles 465 et 476 ; si on supprimait donc les articles 471 et 472, les articles 465 et 476 resteraient en partie sans exécution possible. Je pense qu'il serait préférable de renvoyer cet amendement aux sections comme celui de l’honorable M. Delehaye ; on pourra alors coordonner le tout. Je propose donc le renvoi aux sections, pour ne pas faire quelque chose d'anormal, pour ne pas rendre inexécutables des dispositions existantes encore.
Je pense donc qu'il est préférable de renvoyer cet amendement aux sections, qui l'examineront en même temps que celui de l'honorable M. Delehaye et le mien.
Il serait extraordinaire, veuillez bien le remarquer, de supprimer cette disposition relativement aux délits d'offenses contre la personne du Roi, tandis qu'elle serait maintenue pour le délit d'injure contre un particulier.
M. Verhaegen. – Il est vrai, comme on vient de le faire remarquer, que mon amendement, s'il était adopté, ne s'appliquerait qu'aux délits d'offense envers le Roi, et que les autres délits de presse resteraient, en attendant une révision générale, soumis aux conséquences des articles 471 et 472 ; et cela ne serait pas juste. Je crois aussi qu'il convient de renvoyer ma disposition additionnelle à l'examen des sections, mais j'y ferai un changement, de manière à la rendre applicable à tous les délits de presse.
J'espère que d'ici là on n'appliquera pas les articles 471 et 472 à des prévenus de délits de presse.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non !
M. Verhaegen. - J'espère aussi que ma proposition sera bientôt mise à l'ordre du jour des sections.
M. Delfosse. - Puisque l'honorable M. .Verhaegen consent au renvoi de sa proposition aux sections, je l'engage à étendre cette proposition à tous les délits de presse.
M. Verhaegen. - D'après cette observation, je modifie le commencement de ma proposition comme suit : « En matière de presse. »
- La chambre consultée renvoie cette disposition à l'examen des sections.
(page 1331) M. Fleussu. - C’est aussi pour vous proposer une disposition additionnelle que je demande la parole. Cette disposition serait ainsi conçue : « Par dérogation au paragraphe de l’article 3 du Code d’instruction criminelle, l’action civile, en matière de délit de presse, est poursuivie devant les mêmes juges et en même temps que se poursuit l’action publique.
« Néanmoins en cas de défaut, la cour d’assises prononce sur l’action civile, s’il y a lieu. »
Je me permettrai de vous développer, en très peu de mots, les motifs de cette disposition que la chambre fera bien, je pense, de renvoyer à l’examen des sections.
Un publiciste a dit, en parlant de la liberté de la presse, qu’elle ressemble à la sensitive, qui se relire aussitôt qu’on y touche. Votre intention, je le crois, vous l’avez déclaré assez formellement, n’a pas été de restreindre la liberté de la presse; mais je crains que ce ne soit l’effet de votre loi. C’est comme compensation que quelques honorables amis et moi avons cru devoir proposer une mesure qui assure l’exécution de la volonté de la Constitution en matière de presse. La Constitution (article 98) stipule expressément que : « Le jury est établi en toute matière criminelle et pour délit politique et de la presse ».
La loi qui a été faite peu de temps après la Constitution pour régler la liberté de la presse renferme également quelques dispositions qui font assez connaître que l’intention du congrès était que tous les délits de presse fussent soumis au jury.
Je vous citerai d’abord l’article 7 qui établit une protection en faveur des écrivains poursuivis par des fonctionnaires qui se croient injuriés ou calomniés dans un écrit rendu public.
Vous savez, ainsi qu’on l’a dit hier, que dans la quinzaine le prévenu de délits de presse doit faire connaître au ministère publie et à la partie les faits sur lesquels il veut faire entendre des témoins. Vous voyez qu’on n’entend pas par là faire entendre et comparaître les témoins comme en matière civile ordinaire. Je reviendrai tantôt sur ces observations.
A l’article premier, il y a encore une disposition qui prouve que, dans l’esprit de la loi, tous ces délits doivent être jugés par le jury.
Cet article porte : « Dans tous les procès pour délits de la presse, le jury, avant de s’occuper de la question de savoir si l’écrit incriminé renferme un délit, décidera si la personne présentée comme auteur du délit l’est réellement. L’imprimeur poursuivi sera toujours maintenu en cause, jusqu’à ce que l’auteur ait été judiciairement reconnu tel.
Vous voyez que pour attraire quelqu’un du chef d’un délit de presse, avant d’infliger une condamnation, il faut une mesure préalable, il faut que le jury déclare que le prévenu est réellement l’auteur de l’article.
A l’article 18, vous avez encore une preuve que l’intention du législateur constituant était que tous ces délits fussent jugés par le jury.
Cet article porte : « Jusqu’au 1er octobre prochain, époque à laquelle la loi sur le jury sera obligatoire, les délits prévus par le présent décret seront jugés par les tribunaux et les cours. »
Ce qui dit assez qu’après cette époque les délits de presse devaient être nécessairement jugés par le jury.
Malgré ces dispositions formelles, qu’arrive-t-il? Il arrive que, dans la pratique, on ne les observe nullement, tout importantes qu’elles soient, on parvient à les éluder. Voici comment : Aux termes de l’article 3 du Code d’instruction criminelle, celui qui se prétend lésé par un fait quelconque peut réclamer des dommages-intérêts. Il peut intenter l’action civile en même temps et devant les mêmes juges que l’action publique, il peut aussi l’intenter séparément. On a fait aux délits de presse l’application de cette disposition.
Un fonctionnaire public (car ce sont presque toujours des fonctionnaires publics attaqués en raison de faits dans l’exercice de leurs fonctions qui intentent des poursuites à l’occasion de délits de presse), un fonctionnaire, dis-je, au lieu de porter plainte, agit directement devant les tribunaux civils. Là, pour un délit de presse, il obtient des dommages et intérêts, sans se conformer aux dispositions solennelles prescrites par la Constitution pour les poursuites en matière de presse.
Cet état de choses qui fait violence aux lois politiques, a longtemps occupé la presse française et y a jeté une certaine divergence. C’est au point qu’on ne sait plus comment faire pour exécuter la loi, Il y a trois, sinon quatre systèmes. Le premier est celui dont je viens de vous parler qui consiste à intenter à l’auteur du délit dc presse une action en dommages-intérêts; et même on admet que l’on peut dans ce cas faire entendre des témoins pour prouver la vérité des faits allégués et ce en vertu de la disposition des lois sur la presse que je viens de citer. On dit : Dès (page 1332) qu’on peut attraire devant le juge civil, il faut entendre des témoins comme si l’on était devant le jury.
Ici une première difficulté se présente. On ne sait comment ces témoins doivent être entendus, si c’est par enquête, comme dans les affaires civiles, ou si c’est à l’audience ; si c’est par enquête, les formalités, ou, si l’on veut, les formalités pour l’audition des témoins disparaissent ; car on ne connaît leur déposition que par le rapport du juge qui a présidé à l’enquête, ils ne comparaissent pas à l’audience.
Je sais bien que, pour les affaires sommaires, on peut entendre les témoins à l’audience; mais celui qui a porté plainte a un moyen fort simple pour que son affaire cesse d’être sommaire, c’est d’élever son chiffre, et alors il n’y a plus que l’enquête et la contre-enquête, espèce de témoignage dont, à coup sûr, la loi n’a pas voulu.
Un autre système, en France, c’est celui que je vous présente en ce moment, c’est celui qui tend à joindre l’action civile à l’action publique.
Un troisième système enfin, messieurs, c’est celui qui est sur le point peut-être de triompher, si un arrêt de la cour de cassation continue dans les derniers errements qui ont été posés à l’instance de M. Dupin.
Ce troisième système serait de faire déclarer d’abord la culpabilité de l’écrit par le jury, et ensuite de se pourvoir devant les tribunaux civils pour obtenir des dommages-intérêts.
Vous voyez, messieurs, dans quel labyrinthe on est jeté à raison d’une loi spéciale que l’on veut faire concorder avec les principes généraux. Je pense qu’alors que nous faisons une loi qui modifie la législation sur la presse, il serait bon de se fixer sur toutes ces difficultés.
Il est évident qu’avec l’amendement que j’ai l’honneur de présenter, et qui a l’avantage d’être appuyé de l’opinion de M. Dupin, Faustin, Hélie et d’autres publicistes français qui ont écrit sur la matière, tous ces inconvénients viennent à disparaître.
Cependant je dois vous mettre en garde contre une chose : c’est que mon projet restreindrait le délai de l’exercice de l’action civile. - Mais je crois que le délai de six mois pour celui qui se prétend outragé dans un écrit suffit, qu’après ce délai, il y a une espèce de renonciation qui résulte de son silence. Je vous préviens donc du danger et je crois que j’y ai trouvé la réponse.
Il m’a paru cependant, messieurs, qu’il était bon de faire une exception. Je dis que les deux actions ne peuvent être séparées, voilà mon système. Si cependant le prévenu ne comparaissait pas, il ne faut pas que, par le fait de son absence, celui qui a été offensé, qui a droit à des dommages-intérêts puisse souffrir de la faute de son adversaire, et je crois que dans ce cas la cour d’assises pourrait condamner le défaillant, à moins qu’il n’y eût une cause légitime d’absence, si par exemple le prévenu était malade, s’il était en voyage, ou s’il avait tout autre empêchement. Je pense que dans ce cas la cour pourrait ne pas le condamner.
C’est pourquoi j’ai ajouté : « Néanmoins, en cas de défaut, la cour d’assises prononce sur l’action civile, s’il y a lieu. »
Les circonstances seront examinées par les magistrats formant la cour d’assises, et il est évident que s’il y a une cause légitime qui empêche le prévenu de se présenter, la cour y aura égard et renverra l’action civile avec l’action publique.
(page 1324) M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je ne m'oppose pas au renvoi aux sections de la proposition de l'honorable M. Fleussu. Mais je déclare que je suis loin de m'y rallier ; je la considère comme contraire aux véritables principes en matière de dommages-intérêts. Je dois dire que le système de l'honorable M. Fleussu est tout en faveur du calomniateur et contre le calomnié.
- La proposition de M. Fleussu est renvoyée à l'examen des sections.
M. Orts. - Messieurs, plusieurs honorables membres vous font des propositions qui, dans tous les cas, n'auront d'autre sort que d'être renvoyées aux sections. J'aurai aussi à en faire une.
Je me place ici au point de vue général de la presse et j'ai surtout en vue les intérêts de la presse sérieuse.
Voici la proposition que je dépose : « Avant la condamnation, toute saisie de publications incriminées est interdite, sauf la faculté pour le juge d'instruction de saisir le nombre d'exemplaires nécessaires comme pièces de conviction. »
Les motifs de ma proposition sont ceux-ci : II peut arriver que, dans une publication importante, il y ait telle chose qui paraisse répréhensible aux yeux du ministère public, et qui en définitive finisse par donner lieu à un verdict d'acquittement.
Si l'on saisit préventivement tous les exemplaires, et cela à une époque où le prévenu est présumé innocent, il peut en résulter dans certaines circonstances un préjudice tel, que la saisie équivaille à une véritable confiscation.
Je soumets donc en toute confiance cet amendement aux lumières des sections qui seront chargées de son examen. Elles l'adopteront, ou y apporteront telles modifications, telles restrictions qu'elles jugeront utiles.
- Le renvoi aux sections de la proposition de M. Orts est ordonné.
M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer le second vote du projet ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je proposerai de le remettre à la séance de demain, ainsi que le second vote de la loi sur la milice. La chambre pourra ensuite statuer sur les vacances.
- La proposition de M. le ministre est adoptée.
M. Delfosse. - Les amendements qui viennent d'être déposés seront imprimés ?
M. le président. - Ces amendements seront imprimés et distribués avant l'examen en sections.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je demanderai qu'on mette aussi à l'ordre du jour de demain le projet de loi relatif au matériel du chemin de fer, à moins que la chambre ne veuille s'en occuper aujourd'hui.
- Ce projet est mis à l'ordre du jour de demain.
M. Mercier. - Je demanderai que la chambre veuille bien mettre à la suite des objets qui se trouvent déjà à l'ordre du jour, le projet de loi tendant à adjoindre un nouveau membre au tribunal de Nivelles. L'urgence de cette mesure a été reconnue unanimement par la cour d'appel et par la section centrale.
M. Delfosse. - Je ne vois pas pourquoi Nivelles serait plus pressé que Mons et Louvain.
M. Mercier. - Les rapports ne sont pas faits pour Mons et Louvain.
M. Delfosse. - Je crois que vous êtes dans l'erreur.
- A la demande de plusieurs membres, M. le président fixe la séance de demain à onze heures.
- La séance est levée à 4 heures et demie.