(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1302) M. Huveners. procède à l'appel nominal à midi et quart.
- La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners fait connaître l'analyse des pièces suivantes.
« Les sieurs de Posson, Bosquet et le baron Triets demandent que les fonds restés sans emploi et qui font partie de la somme allouée à la Belgique à titre d'indemnité, pour faire face aux remboursements des cautionnements, soient répartis au marc le franc entre les titulaires des réclamations rejetées par la commission de liquidation comme rentrant dans la classe d'achats de places à fonds perdus. »
- Sur la proposition de M. Eloy de Burdinne., renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Le sieur Willot prie la chambre de faire améliorer la position des employés des accises. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Parmentier demande que le projet de loi sur la milice contienne une disposition en vertu de laquelle, chaque année, on serait obligé de désigner la lettre alphabétique par laquelle devrait commencer le tirage au sort. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion relative au vote définitif du projet de loi.
« Le président du bureau de bienfaisance d'Oleye prie la chambre de statuer sur la pétition du bureau de bienfaisance tendant à obtenir remise des droits d'enregistrement et d'hypothèque sur les ventes de quelques parcelles de terre. »
M. Eloy de Burdinne. demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Les sieurs Cogels, Vanden Nest et autres membres du comité des détenteurs de fonds d'Espagne, établi à Anvers, réclament l'intervention de la chambre pour qu'il soit mis des entraves à la négociation, en Belgique, de toute dette espagnole créée postérieurement à la suspension des payements des intérêts de la dette étrangère d'Espagne et qui ne serait pas le résultat de la liquidation des coupons arriérés, jusqu'à ce qu'il ait été fait droit à leurs réclamations. »
M. Osy. - Messieurs, le comité institué à Anvers au nom des détenteurs de fonds espagnols, s'adresse à la chambre pour demander que le gouvernement fasse des démarches à Madrid pour que finalement on paye les créanciers nombreux de l'Espagne. Maintenant surtout que le gouvernement espagnol vient de proposer un nouvel emprunt de 200 millions de réaux, on désire que le gouvernement belge fasse des démarches le plus têt possible.
Je demande donc un très prompt rapport sur cette pétition, pour que nous puissions la renvoyer le plus tôt possible à M. le ministre des affaires étrangères.
- Cette proposition est adoptée.
« Les notaires du canton de Tamise demandent la prompte discussion du projet de loi sur le notariat. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Le sieur Poupart, notaire à Zonnebeke demande que le projet de loi sur le notariat établisse une incompatibilité entre les fonctions de notaire et celles de secrétaire ou de receveur communal dans le lieu de la résidence, et modifie quelques dispositions de la loi du 22 frimaire an VII. »
- Même dépôt.
« Les exploitants de mines de houille du couchant de Mons demandent que la réduction des péages sur le canal de Charleroy ne soit que de 25 p. c. et qu'en compensation, tous droits de navigation soient supprimés sur les canaux de Mons à Condé et de Pommeroeul à Antoing. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui réduit certains péages sur la Sambre canalisée.
« Un grand nombre d'habitants de la ville de Gand prient la chambre de décréter la construction d'un chemin de fer direct de Gand à Bruxelles par Alost.
M. Manilius. - Messieurs, je demanderai que l'on veuille renvoyer cette pétition à la section centrale qui a été chargée d'examiner le budget des travaux publics, avec prière de faire un très prompt rapport avant que nous arrivions à la discussion de ce budget.
Cette pétition est extrêmement importante. Elle est signée par un grand nombre de personnes notables de Gand et des environs ; plus de 500 électeurs l'ont signée. Il me semble qu'elle mérite toute l'attention de la chambre, et c'est ce qui m'engage à faire cette proposition.
- La proposition de M. Manilius est mise aux voix et adoptée.
Par message en date du 10 mars, M. le ministre de la guerre adresse à la chambre les renseignements qui ont été demandés sur la pétition du major pensionné Van Uje.
- Dépôt au bureau des renseignements.
M. Delehaye présente des rapports sur différentes demandes en naturalisation.
- Ces rapports seront imprimés et distribués.
M. de Villegas (pour une motion d'ordre). - Messieurs, à la fin de la séance d'hier, l'honorable M. de Garcia a proposé la disjonction et l’ajournement de l’article 11 du projet de loi. La chambre n'a pris aucune décision sur cette proposition. (page 1303) Je demande, par motion d'ordre, qu'elle s'en occupe avant de voter l’article premier.
Je déclare franchement que si l'ajournement est rejeté, il me serait extrêmement difficile de donner un vote approbatif à l'article premier, malgré mon désir sincère de ne pas repousser une disposition qui a pour but de réprimer les offenses à la personne du Roi.
M. de Garcia. - Messieurs, à la fin de la séance d'hier j'ai fait la proposition de renvoyer l'article 11 aux sections, pour l'examiner et en faire un projet spécial de loi sur la procédure à suivre en matière de délits de presse ordinaires.
Je regrette que le Moniteur n'ait pas reproduit encore la séance d'hier ; je le regrette d'autant plus, que ma proposition a été reproduite de la manière la plus inexacte par beaucoup de journaux. La voici : j'ai demandé que l'article 11 qui tend à appliquer la procédure spéciale établie dans le projet, aux délits commis contre les fonctionnaires et les citoyens, soit renvoyée à l'examen des sections pour le convertir en projet de loi particulier.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, j'adhère à la proposition faite par l'honorable M. de Villegas. La proposition de l'honorable M. de Garcia, telle qu'il vient de la formuler, ne diffère guère de celle qui avait été annoncée par mon honorable collègue le ministre de l'intérieur, dans une séance précédente. M. le ministre de l'intérieur et moi nous avons demandé qu'on s'occupât de la discussion des articles du projet de loi en se réservant, d'examiner, à la fin de cette discussion, la question de savoir s'il fallait voter l'article 11 ou bien le renvoyer aux sections.
Maintenant, d'après la discussion qui a eu lieu dans la séance d'hier, je pense qu'il serait désirable de décider d'abord cette question, et je ne m'oppose pas au renvoi de l'article 11 aux sections, pour qu'elles l'examinent comme projet de loi spécial.
M. Verhaegen. - Messieurs, l'observation que vient de faire l'honorable M. de Garcia a pour but de constater qu'il est d'accord avec M. le ministre de la justice, et je tiens, à mon tour, à constater cette cordiale entente. Si j'ai bien compris l'honorable membre, il demande le renvoi aux sections de l'article 11, et c'est à ce renvoi que M. le ministre de la justice consent.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Avec la disjonction.
M. Verhaegen. - M. de Garcia demande aussi la disjonction.
M. de Garcia. - Oui.
M. Verhaegen. - Vous êtes donc d'accord avec M. le ministre de la justice. Il n'y a aucune différence entre vous et lui, et j'avais raison hier de vous dire que vous lui ménagiez une retraite.
M. Delehaye. - Messieurs, mon honorable ami M. d'Elhoungne prévoyant les difficultés que rencontrerait la discussion du projet de loi avait demandé le renvoi des amendements aux sections ; le gouvernement ne s'est pas rallié à cette proposition ; il aurait été battu s'il y avait eu une voix de plus pour la proposition de M. d'Elhoungne.
Revenant à de meilleurs sentiments, il consent aujourd'hui au renvoi de l'article 11.
Je rappellerai à cette occasion la proposition que j'ai eu l'honneur de faire et qui est en quelque sorte un corollaire de l'article 11. Si cet article est renvoyé aux sections, je demanderai que ma proposition soit renvoyée aux mêmes sections, qui examineront les deux dispositions à la fois.
De cette manière, il sera plus facile à la chambre d'émettre une opinion éclairée.
M. de Garcia. - J'appuie cette proposition, d'autant plus qu'un des motifs qui m'ont engagé à faire celle que vient d'adopter la chambre, a été d'éviter la perte d'un temps précieux et indispensable pour l’examen de plusieurs projets de loi d'un intérêt matériel très important et que chacun connaît aussi bien que moi, au grand détriment des intérêts du pays. Cela ne sera pas possible pourtant, si cette discussion se prolongeait outre mesure.
M. Verhaegen. - Maintenant que par suite de l'interpellation que j'ai eu l'honneur d'adresser à M. de Garcia et de la réponse qu'il m'a faite, il est bien, entendu que ce que propose l'honorable député de Namur est tout à fait conforme à ce que veut en ce moment M. le ministre de la justice, je dois, faire remarquer que le but que l'honorable membre, d'accord avec le gouvernement, veut atteindre, ne sera pas atteint en prononçant le simple renvoi de l'article 11 et même de l'amendement de l'honorable M. Delehaye.
En effet, que voulez-vous ? Vous voulez ne vous occuper pour le moment que d'une loi tout à fait spéciale pour les offenses contre la royauté, et vous vous réservez de faire plus tard une loi contre les offenses en général. C'est bien là votre but. Si tel est votre but, vous auriez dû demander aussi le renvoi de l'article 3 nouveau.
Cet article est ainsi conçu :
« Art. 3. Ajouter à l'article présenté par le gouvernement le paragraphe suivant :
« Ces peines et une amende de 300 à 3,000 francs pourront également être prononcées contre les coupables d'un de délits prévus par la partie non abrogée de l'article 3 du décret du 20 juillet 1831, sans préjudice de la peine déjà comminée par ledit article. »
Eh bien, est-ce que dans le décret de 1831 (art. 3), il n'y a pas d'autre délit prévu que celui d'offense contre la royauté ? Certainement, il y en d'autres.
Plusieurs membres. - Pas dans l'article 3.
M. Verhaegen. - L'article 3 du décret du 20 juillet 1831 porte : « Art. 3. Quiconque aura méchamment et publiquement attaqué soit l'autorité constitutionnelle du Roi, soit l'inviolabilité de sa personne, soit les droits constitutionnels de sa dynastie, soit les droits ou l’autorité des chambres, ou bien, aura de la même manière injurié ou calomnié la personne du Roi, sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans. »
Il y a donc d'autres délits dans la partie non abrogée de l'article 3, que ceux consistant dans les offenses contre le Roi, et ainsi la loi n'est plus spéciale.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Et les chambres ?
M. Verhaegen. - Précisément, c'est aux chambres que je faisais allusion et dont il ne s'agissait pas dans le projet primitif.
Quel est, après tout, le but de mon observation ? C'est de démontrer que votre projet primitif ne pouvait pas tenir, et que vous avez été obligé de le modifier et d'y ajouter des dispositions nouvelles pour le généraliser.
Le système de l'opposition était de combattre le projet au point de vue de son caractère de spécialité. J'ai dit dès le principe qu'il était inopportun, inutile, dangereux même de mettre en évidence la royauté, et un de mes honorables amis a ajouté qu'il était extraordinaire de ne pas s'occuper des chambres quand on s'occupait du Roi. C'est à la suite de ces observations que vous avez changé de système, et ce changement vous n'avez pas osé le maintenir et vous en êtes revenu à votre système primitif ; mais pour être d'accord avec vous-même, vous devriez retirer l'article 3 aussi bien que l'article 11.
M. de Garcia.- Ma proposition est claire ; je demande que la partie de la loi relative à la procédure soit restreinte aux offenses envers la personne du Roi et de la famille royale. Je ne veux pas que cette procédure soit étendue, quant à présent, tous les délits de cette espèce. Pour, appuyer cette manière devoir, je m’appuie des observations de l'honorable M. d'Elhoungne. Qu'a dit cet honorable membre ? Il vous a déclaré, d'une manière bien nette, qu'il concevait que pour les offenses à la personne du Roi, à la famille royale, on établît une procédure nouvelle et toute spéciale parce que ces cas seront fort rares et qu'ils ne pouvaient guère porter d'atteinte à nos libertés, mais qu'il n'en était pas de même pour les injures ou calomnies envers des fonctionnaires ou des particuliers qui pourraient donner lieu à de nombreuses poursuites. A ce point de vue, il faut en convenir, si la procédure nouvelle qu'on propose n'était pas bonne, elle pourrait présenter de graves inconvénients. Ces considérations, déduites par M. d'Elhoungne, démontrent, je pense, que les objections présentées par l'honorable M. Verhaegen contre la disposition de la loi restreinte que nous discutons est sans fondements.
- La discussion est close.
La chambre, consultée, prononce la disjonction de l'article 11 nouveau, présenté par le gouvernement, et de l'amendement proposé par M. Delehaye, et leur renvoi aux sections.
M. le président. - Nous arrivons au vote de l'article premier.
Nous avons l'article proposé par le gouvernement et amendé par lui, et l'amendement de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je pense que la section centrale, par l'organe de son rapporteur, a déclaré qu'il s'était rallié à la rédaction proposée par moi pour l'article premier.
M. Van Cutsem, rapporteur. - J'ai déclaré que l’amendement de M. le ministre de la justice ne changeant pas la pensée émise par la section centrale sur l'article premier, je croyais pouvoir m'y rallier ; cet amendement n'est qu'un changement de rédaction, rien de plus.
M. d’Elhoungne (sur la position de la question. - Messieurs, je ferai remarquer à la chambre que nous n'avons pas discuté-la rédaction de l'article premier, par suite de la précipitation avec laquelle la chambre a fermé la discussion sur cet article...
M. le président. - La clôture est prononcée ; elle ne peut être rouverte que par une nouvelle décision de la chambre.
M. d’Elhoungne. - Quelques paroles ont été échangées entre M. le ministre de la justice et M. le rapporteur qui vient de se rallier à la rédaction nouvelle...
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai demandé à M. le rapporteur s'il s'y était rallié.
M. d’Elhoungne. - La rédaction de M. le ministre tend à appliquer avec plus de rigueur la pénalité comminée par la loi, aux simples gestes.
M. Vanden Eynde. - Cela a été discuté.
M. d’Elhoungne. - Je vous demande pardon, il n'y a pas eu de discussion sur ce point.
M. Le Hon (sur la position de la question). - Messieurs, je ne comprends pas que l'amendement qui s'écarte le plus de la rédaction primitive du projet, ne soit pas celui qu'on fasse voter le premier. Or, l'amendement de la section centrale donne, surtout quant à la publicité des faits offensants, un caractère beaucoup plus précis à la rédaction de l'article, que celui de M. le ministre de la justice ; il m'est facile de le démontrer.
Un membre. - L'amendement de la section centrale est retiré.
(page 1304) M. Le Hon. - Pardon, M. le rapporteur n'a pas pu se rallier à la rédaction de M. le ministre. Il a épuisé sa mission par son rapport, et à moins qu'il n'ait été autorisé par une délibération nouvelle de la section centrale, M. le rapporteur n'a pas qualité pour parler et acquiescer en son nom. (Interruption.)
Je maintiens ici le droit et les usages de la chambre. La rédaction première était plus générale que celle de la commission. Celle-ci s'éloignant du texte de l'article plus que la dernière proposition du ministre doit être mise aux voix avant celle-ci. Je veux la répression des offenses à la royauté ; aussi je voterai pour la rédaction de la section centrale, comme plus conforme à la précision de la législation pénale : mais je serais forcé, par ce motif de préférence, de rejeter celle de M. le ministre.
Je n'ai pris aucune part à la discussion de l'article premier, je n'ai pas besoin devons dire les motifs de cette réserve ; ils vous seront facilement expliqués par vos souvenirs. Mais au moment du vote....
Des membres. - La discussion est close.
M. Le Hon. - Au moment du vote, dis-je, je tiens à expliquer le motif qui le détermine. Je reprends et je fais mien l'amendement de la section centrale, si cela est nécessaire.
Des membres. - Personne ne s'y oppose.
M. Le Hon. - Il faut donc laisser discuter alors.
M. le président. - Pardon ; la clôture est prononcée.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, je crois qu'on ne peut pas mettre aux voix la proposition de la section centrale comme amendement, parce que la proposition primitive a été abandonnée par le gouvernement, dès l'origine du débat ; dès le début de la discussion, le gouvernement s'est rallié à l'article de la section centrale, en le sous-amendant. Si M. le rapporteur de la section centrale n'a pas pu, au nom de la section centrale, adhérer à ce sous-amendement, il n'en résulte pas moins que nous ne sommes plus en présence de l'article premier primitif du projet ; l'article de la section centrale devient la proposition principale, et celui du ministre devient un amendement ; donc l'amendement doit être mis aux voix en premier lieu ; et s'il n'est pas adopté, on mettra aux voix la proposition de la section centrale.
M. Le Hon. - La chambre est saisie d'un projet de loi. Ce projet est amendé par la section centrale. Le ministère s'est rallié à l'amendement, mais en présentant une modification nouvelle et plus générale de l'article. Il prétend que cette modification est un sous-amendement, et qu'à ce titre elle doit avoir la priorité du vote ; cela est impossible.
Remarquez en effet, messieurs, que la rédaction de la section centrale détermine avec plus de précision le caractère de publicité que doivent offrir les discours et les menaces pour être punissables ; que, par conséquent, elle modifie l'article de la loi plus que la proposition nouvelle du ministre, et doit être votée avant celle-ci, conformément aux règles les plus générales des assemblées délibérantes. Le système de la prétention que je combats ne serait pas un système d'amendement ni de sous-amendement ; on pourrait l'appeler d'un autre nom, car enfin il ne suppose pas une adhésion parfaitement sincère à la rédaction de la section centrale, et il révèle de la part du ministre le dessein de conserver la priorité du vote pour la disposition la plus rapprochée de son article primitif, ce qui est contraire à tous les usages comme à toutes les règles.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Les observations de l'honorable membre me prouvent qu'il n'est pas encore familiarisé avec nos habitudes parlementaires. Quand le gouvernement se rallie à un projet de commission ou de section centrale, c'est ce projet qui est en discussion ; maintenant, qu'est-il arrivé ? Le ministre a proposé un sous-amendement ; le sous-amendement doit toujours être voté avant l’amendement.
Il y a deux motifs pour procéder ainsi ; alors même que le projet du gouvernement aurait été maintenu, il faudrait commencer par le vote du sous-amendement qui doit toujours être mis aux voix avant la proposition principale. Je ne comprends pas qu'on ne reconnaisse pas la force logique de cette manière de procéder ; toute autre serait contraire à la logique.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Le Hon dit que le gouvernement s'étant rallie à la proposition de la section centrale, ne peut plus présenter d'amendement pour sous-amender une rédaction à laquelle il s'est rallié.
L'honorable membre a ajouté, ce qui aurait mérité une explication de sa part, que les amendements que j'avais présentés méritaient peut-être une autre qualification. L'honorable membre est dans l'erreur quand il avance que je me suis entièrement rallié à la proposition de la section centrale ; je ne m'y suis rallié qu'en présentant en même temps l'amendement soumis maintenant à la chambre, de manière que l'opinion que j'ai émise sur la proposition de la section centrale était subordonnée aux sous-amendements présentés en même temps que ma déclaration était faite.
M. d’Elhoungne. - Je demande à faire une observation sur la marche illogique qu'on vous propose de suivre. Je suppose que des membres préfèrent la rédaction de la section centrale, qui est moins étendue, à la nouvelle proposition du ministre de la justice, et qu'ils prêtèrent cependant l'amendement de M. le ministre au statu quo. Si vous faites voter d'abord sur la proposition de M. le ministre de la justice, ils voteront contre elle ; si vous mettez ensuite aux voix la proposition de la section centrale, ceux qui voulaient qu'on adoptât la proposition du ministre la rejetteront et vous n'aurez pas de résolution. Il faut voter d'abord sur la proposition la moins étendue.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Dans les questions de chiffres, on commence toujours par le chiffre le plus élevé ; dans les questions de principe, on commence par le principe le plus large ; c'est ce qu'on doit faire ici. Si on commençait par le principe restreint, et si je voulais le principe le plus étendu, comment pourrais-je voter ? Vous voyez que l'argument se retourne contre son auteur.
M. Orts. - Moi je pense qu'il faut commencer par le sous-amendement de M. le ministre. Je raisonne dans l'hypothèse que la section centrale maintienne les mots : Menaces proférées, et je dis que les mots menaces proférées laissent une lacune que le bon sens ordonne de combler. Il y a des gestes menaçants souvent plus injurieux qu'un simple cri ; je défie qu'on atteigne le geste menaçant, à moins qu'on n'ajoute un mot à la rédaction de la section centrale. Je demande qu'on vote d'abord sur le projet du gouvernement, parce qu'il est plus rationnel, qu'il atteint les nuancés par gestes, comme les menaces par paroles, la proposition de la section centrale n'atteint que ces dernières.
- La chambre, consultée sur la question de priorité, décide qu'on votera d'abord sur le sous-amendement de M. le ministre de la justice.
Ce sous-amendement est ainsi conçu : Quiconque, soit dans des lieux ou réunions, publics, par discours, cris ou menaces, soit par des écrits (le reste comme ou projet de la section centrale). »
- Ce sous-amendement est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Je mets aux voix l'article tel qu'il est amendé ; il est ainsi conçu :
« Quiconque, soit dans des lieux ou réunions publics, par discours, cris ou menaces, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, se sera rendu coupable d'offense envers la personne du Roi, sera puni d'emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d'une amende de 300 à 3,000 francs. »
L'appel nominal étant demandé par plus de 5 membres, il est procédé à cette opération.
En voici le résultat :
81 membres ont répondu à l'appel.
60 membres ont répondu oui.
19 membres ont répondu non.
2 membres se sont abstenus.
En conséquence, l'article premier est adopté.
Ont répondu oui : MM. de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, de Villegas, d'Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus (ainé), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lejeune, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Veydt, Zoude, Biebuyck. Brabant, Clep, d'Anethan, de Breyne, Dechamps, de Corswarem, Dedecker et Vilain XIIII.
Ont répondu non : MM. Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Tornaco, Fleussu, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Orts, Sigart, Verhaegen, Anspach, Cans, Castiau et de Bonne.
M. le président invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.
M. Osy. - Tout en déplorant que le gouvernement se soit vu obligé de présenter le projet de loi, et quoique j'aie été d'opinion que le moment était très mal choisi, j'étais décidé à donner un vote approbatif à la loi amendée par la section centrale ; car je veux que la royauté soit respectée et que les outrages contre la personne du Roi et de la famille royale soient réprimés. Mais les amendements présentés par M. le ministre de la justice, et les discussions qui ont eu lieu, me prouvent à l'évidence que le moyen proposé pour couvrir efficacement la Couronne, n'était que le prétexte pour la révision générale de la loi sur la presse, qui est remise en question, et les discours prononcés hier par M. le ministre des finances et par l'honorable M. de Mérode, doivent dissiper toutes les illusions.
Certainement, avant 1830, nous ne pouvions pas nous plaindre de la position du pays, sous le rapport des intérêts matériels, et cependant les réclamations les plus fortes se faisaient jour pour la liberté de la presse et pour l'institution du jury... (Interruption.)
M. Dumortier. - Sera-t-il permis de répondre à l'honorable membre ?
M. Delehaye. - C’est parfaitement vrai.
M. Rodenbach. - Ce n'est pas sous la préoccupation des intérêts matériels qu’on a fait la révolution.
M. Delehaye. - Ce n'est pas non plus pour mourir de faim.
M. Osy. - Je crois avoir le droit de m'expliquer. Je répète qu'avant 1830 nous ne pouvions pas nous plaindre de la position du pays sous le rapport des intérêts matériels, et que cependant les réclamations les plus fortes se faisaient jour pour la liberté de la presse, pour l'institution du jury et contre l'administration d'un autre ministre de la justice. (Interruption.)
Pour moi, je n'ai dans le temps signé aucune pétition, et dans les corps constitués dont je faisais partie, je n'ai fait entendre aucune (page 1305) réclamation, voulant la tranquillité et me contentant de la prospérité du pays.
Aujourd'hui que vous avez obtenu ce que l'on avait réclamé avec tant d'instance, je ne puis donner la main à détruire de nouveau ce qui existe et à soulever de nouvelles passions et mettre de nouveau en question la tranquillité du pays.
J'aurais voté la loi primitive, si M. le ministre de la justice n'était pas venu étendre la loi, dans un autre intérêt que celui de la royauté que je voulais couvrir ; mon vote négatif à la loi entière, provient donc de nouvelles prétentions du gouvernement, et les fautes commises par le ministre me privent de la satisfaction de pouvoir donner une nouvelle preuve de considération pour le Roi et la famille royale. La faute doit donc retomber entièrement sur les nouvelles prétentions de M. le ministre de la justice et je lui en laisse la responsabilité. (Interruption.)
M. Rogier. - J'ai fait connaître, dans la séance d'hier, les motifs qui auraient pu me déterminer à adopter le principe déposé dans l'article premier de la loi, loi dont j'ai d'ailleurs vu la présentation avec un profond regret. Mais telle a été l'étrangeté de la conduite du ministère dans cette discussion, telle a été la portée de certains discours partis des bancs ministériels, que je n'ai pas voulu, au point où en est la discussion, m'engager sur cet article même. Voilà pourquoi je me suis abstenu.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il semblerait résulter de ces deux abstentions que, dans mon discours d'hier, j'aurais attaqué la liberté de la presse. J'en appelle au Moniteur, aussi bien qu'à vos souvenirs : tout mon discours n'a-t-il pas été faveur de la liberté de la presse ?
M. Rogier. - Je demande s'il est d'usage de discuter les motifs d'une abstention.
M. le président. - M. le ministre des finances n'a pas discuté les motifs d'une abstention ; il a relevé un fait personnel.
M. Rogier. - Je demande s'il est conforme aux usages de la chambre qu'un ministre discute les motifs d'une abstention.
Si l'on veut considérer comme non avenue la réponse du ministre, je veux bien ne pas y répliquer. Mais c'est à la condition que sa réponse ne figurera pas dans le Moniteur.
Plusieurs membres. - Non ! non !
M. Rogier. - Alors je demande à répondre.
M. le président. - M. le ministre des finances s'est, je le répète, borné à répondre à un fait personnel. Il n'a pas attaqué l'honorable membre, qui n'a par conséquent pas à répondre à un fait personnel.
M. Rogier. - Je réponds en deux mots : M. le ministre des finances conteste que son discours ait la portée qu'on lui attribue. Je dis que l'impression générale, sur nos bancs, c'est que son discours était empreint d'un esprit d'hostilité contre la liberté de la presse. Dans l'intérêt des travaux de la chambre, je ne veux pas insister. Mais je persiste à penser que ce serait un antécédent fâcheux que celui qui, autorisant à discuter les motifs d'une abstention, pourrait réveiller toute une discussion.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai demandé la parole pour un fait personnel. Je crois qu'il n'y a là aucun précédent fâcheux. S'il y a un fait personnel dans une abstention, le membre de la chambre que ce fait concerne a le droit de le relever. Ce droit, j'en ai usé ; si l'occasion s'en présentait, j'en userais encore.
« Art. 2. L'offense commise par un des mêmes moyens envers les membres de la famille royale sera punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 100 à 2,000 francs. »
M. Orts. - Si je demande la parole, ce n'est pas pour combattre la disposition en elle-même, mais c'est pour en fixer le sens et la portée, afin que le jury ne puisse se tromper.
Je propose de rédiger l'article de la manière suivante :
« Art. 2. Quiconque par un des mêmes moyens se rendra coupable d'offense envers la Reine, les princes et princesses (fils et filles du Roi) ou la reine mère, sera puni (le reste comme au projet). »
Voici les motifs pour lesquels je propose cet amendement.
Lorsque la question a été discutée à la section centrale, on a demandé à M. le ministre de la justice ce qu'il entendait par les membres de la famille royale ? II a répondu qu'il entendait : « La Reine, les princes et princesses, fils et filles du Roi, ou la reine mère. » C'est précisément ce que je propose d'insérer dans l'article.
Si vous n'insérez pas dans la loi ce texte qui ne se trouve que dans le rapport de la section centrale, il n'aura pas force obligatoire, puisqu'il ne fera point partie intégrante de la loi.
Pour faire apprécier la nécessité d'écrire dans le texte même les dispositions d'une loi, qu'il suffise de vous rappeler un fait judiciaire.
Dans une circonstance assez mémorable, la cour de cassation n'a pas tenu compte des observations de la section centrale en termes d'interprétation d'une loi.
Il s'agissait de la loi qui a accordé quatre années aux habitants des parties cédées du royaume pour opter en faveur de la qualité de belge. La section centrale, lors de la discussion de la loi, avait formellement exprimé l'opinion que nos concitoyens appartenant aux parties cédées conserveraient, pendant les quatre ans qu'ils avaient pour faire leur déclaration, la qualité de Belge..
Il arriva qu'un citoyen, appartenant au Luxembourg cédé, fut appelé, avant que les quatre ans n'étaient écoulés, à faire partie du jury dans une affaire criminelle. On demanda l'annulation de l'arrêt de condamnation, parce qu'on prétendit que ce Luxembourgeois n'avait pas encore opté. Ce moyen fut combattu ; mais il fut accueilli par la cour, qui cassa l'arrêt. Cet arrêt est du 20 juillet 1840 ; et dans le recueil où il est rapporté, on trouve indiqué en note : « Il résulte des discussions qui ont précédé l'adoption de la loi du 4 juin 1839, que la volonté expresse de la section centrale, en insérant à l'article premier le mot « conserver » au lieu de « recouvrer » la qualité de Belge, avait été que ceux qui se trouvaient atteints par la loi fussent considérés comme Belges pendant tout le temps qui leur était donné pour faire leur déclaration.
C'était dans l'affaire d'un nommé Donneux, et le juré était un sieur Britz.
Je dis donc que, faisant application de cette jurisprudence et convaincu que non seulement les tribunaux inférieurs, mais même la cour de cassation ne considèrent comme obligatoire que ce qui se trouve textuellement écrit dans la loi, il faut, si vous voulez bien expliquer la pensée du ministre, qu'elle se trouve écrite dans loi. C'est dans ce sens que j'ai l'honneur de proposer mon amendement.
D'un autre côté, comme la section centrale a cru devoir ajouter dans l'article premier au mot d’offense le mot coupable, je ne vois pas pourquoi on ne rédigerait pas l'article 2 dans le même sens ; il y a identité de motifs.
M. Delehaye. - Messieurs, quelques-uns de mes honorables amis ont déjà eu occasion de dire que cette loi a été soumise à la chambre avec précipitation, précipitation telle que le gouvernement n'a pas même eu le temps de bien examiner ce qu'il proposait.
C'est ainsi que la section centrale a été obligée de demander à M. le ministre de la justice ce qu'il entendait par la famille royale. M. le ministre a déclaré qu'il entendait Reine, princes et princesses, fils et filles du Roi et la Reine mère.
Je sais qu'aux termes des lois romaines la désignation de fils comprend aussi les petits-fils, et le ministre, je pense, entend également de cette manière cette désignation. Sans cela, il y aurait une singulière anomalie de la loi. Il en résulterait en effet que l'héritier présomptif pourrait ne pas être compris, dans la loi. Ainsi, le comte de Paris, en France ne' serait pas au nombre des membres de la famille royale dont parle le projet.
Mais je demanderai à M. le ministre quelques autres explications. Que les princes et les princesses du sang soient compris dans l'article 2, il n'y a rien d'étonnant à cela. Mais y resteront-ils compris s'ils viennent à quitter le pays et à s'établir dans un autre royaume ?
Ainsi, je suppose que le comte de Flandre épouse une princesse étrangère, qu'il quitte le pays, qu'il aille à l'étranger, qu'il devienne le chef d'un autre Etat, ne sera-t-il pas permis de blâmer ou de critiquer un acte émanant de cet Etat ? Ce blâme ou cette critique serait-il de nature à entraîner une poursuite et une condamnation quelconque en Belgique ?
D'un autre côté la princesse pourrait épouser un prince étranger, elle perd la qualité de Belge. Eh bien, je suppose qu'un écrivain ait assez peu de générosité pour attaquer la princesse, tombera-t-il encore sous la disposition de la loi actuelle ?
Je désire que M. le ministre veuille bien nous donner quelques renseignements, afin de connaître la portée du vote que nous allons émettre.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, la précipitation avec laquelle, d'après l'honorable M. Delehaye, aurait été conçu et rédigé le projet qui vous est maintenant soumis, ne m'aurait pas permis d'en apprécier la portée. Mais, messieurs, les expressions dont je me suis servi dans le projet sont les mêmes qui se trouvaient déjà dans le décret du 20 juillet 1831. L'article 10 de ce décret porte : « Toutefois les délits d'injures, de calomnies envers le Roi, les membres de la famille royale, les corps ou individus seront punis, etc. »
Ainsi, j'ai pris les expressions dont je me suis servi dans l'article 10 du décret du 20 juillet 1831.
Ce n'est d'ailleurs pas la seule source dans laquelle j'aurais pu puiser ces expressions. Elles se rencontrent encore dans l'article 87 du Code pénal relatif à l'attentat contre le Roi et la famille royale. Cet article porte :
» L'attentat contre la vie ou contre la personne du Roi est puni de la peine du parricide.
« L'attentat contre la vie ou contre la personne des membres de la famille royale est puni de la peine de mort. »
Non seulement, messieurs, ces expressions se trouvent dans les lois que je viens de citer, mais elles se trouvent aussi dans les lois françaises et dans les lois du royaume des Pays-Bas.
Les législateurs qui, avant moi, ont consacré ces expressions, ont-ils donc aussi agi avec cette précipitation que l'on ne cesse de me reprocher ? Et ce reproche ne tombe-t-il pas complètement devant ces faits législatifs que j'invoque ?
L'honorable M. Orts propose une rédaction nouvelle. Il demande d'employer dans l'article 2 l'expression admise dans l'article premier, et au lieu de dire : « L'offense commise par un des mêmes moyens, envers les membres de la famille royale, sera punie, etc., etc. », de dire : « quiconque, par un des mêmes moyens, se sera rendu coupable d'offense, etc., etc. » Je ne fais aucune difficulté à admettre cette première partie de l'amendement de l'honorable M. Orts. En effet, la section centrale ayant changé la rédaction du gouvernement, quant à l'article premier, il paraît conséquent de se servir des mêmes expressions dans l'article 2.
Mais, messieurs, il n'en est pas de même de la seconde partie de l'amendement. L'honorable membre voudrait indiquer en quelque sorte nominativement quelles sont toutes les personnes de la famille royale auxquelles l'article s'applique.
(page 1306) L'honorable M. Delehaye m'a fait à cet égard différentes questions et a demandé si une princesse qui aurait épousé un prince étranger et aurait quitté le pays, serait encore protégée par la législation qui nous occupe.
Je crois, messieurs, qu'il n'est pas nécessaire de trancher dans la loi toutes les questions de cette nature qui peuvent se présenter. Une princesse belge ayant épousé un prince étranger, peut ou quitter ou continuera habiter le pays ; elle peut avoir rompu, en quelque sorte, les liens qui l'attachaient à la Belgique, elle peut les avoir conservés, après avoir quitté le pays, elle peut y revenir. Sa position est susceptible d’être modifiée. Comment veut-on prévoir toutes ces hypothèses et tant d'autres semblables ?
Je pense qu'il faut, à cet égard, s'en rapporter à la sage appréciation des juges.
Ces dispositions, messieurs, n'ont rencontré, que je sache, aucune difficulté sérieuse en France ; elles n'en rencontreront pas davantage chez nous, pas plus que n'en rencontrerait l'application de l'article cité du Code pénal.
L’honorable M. Orts veut néanmoins définir ces expressions. Il veut qu'on mentionne uniquement la Reine, les fils et les tilles du Roi et la Reine mère ; je pense qu'on ne peut pas admettre cette limitation ; il faudrait tout au moins parler de la descendance. Il faudrait aussi comprendre dans la disposition les alliés. Ainsi, dans le cas où une princesse étrangère épouserait un prince de notre famille royale, il est évident qu'on ne pourrait pas se dispenser d'appliquer la disposition à cette princesse.
Un membre. - Sans doute.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Mais elle n'est pas fille du Roi.
En France, messieurs, on s'est demandé aussi : Que faut-il entendre par membres de la famille royale, et voici comment a été traitée cette question :
(Le ministre lit une page du rapport fait en France sur la loi de 1832).
Voilà, messieurs, la manière, dont la disposition a été entendue en France, et, je le répète, je ne pense pas qu'il y ait nécessité de modifier ce qui jusqu'à présent n'a suscité, dans aucun pays, la moindre difficulté.
M. Orts. - Messieurs, le remède serait aussi prompt que l'a été l'indication de la lacune ; il n'y aurait qu'à ajouter les mots : alliés et descendants. En matière de lois pénales, si vous laissez au juge l'interprétation delà loi, vous vous exposez à l'arbitraire, et c'est ce que je désire éviter.
Dans l'exemple que j'ai cité, la section centrale avait énoncé formellement que la loi relative aux habitants de la partie cédée devait être entendue dans tel sens, et cependant la cour de cassation, partant du texte de la loi, a rendu un arrêt tout opposé à cette opinion de la section centrale. Une loi pénale, surtout, n'est applicable que d'après son texte, et si vous voulez qu'on recherche l'intention du législateur dans la discussion, il n'y a plus rien de certain.
En matière de duel, par exemple, lorsque s'est présentée la grande question de savoir si le duel rentrait dans la qualification de l'homicide volontaire,, M. de Monseignat, qui était alors l'organe du corps législatif, a développé l'opinion que le duel rentrait dans l'homicide volontaire, sauf qu'il pouvait être accompagné de motifs d'excuse. Eh bien, messieurs, il a été rendu une foule d'arrêts portant que le duel ne rentrait pas dans la disposition du Code pénal.
Ce que je demande, messieurs, c'est que la disposition de l'article 2 ne soit pas étendue au-delà de nos institutions. Je ne veux pas que la portée de l'article 2 soit restreinte, mais je ne veux pas non plus qu'elle soit étendue. Or, si vous dites : les membres de la famille royale, ces expressions prêtent à une extension beaucoup trop grande ; on peut soutenir que les neveux, les nièces, les oncles, les tantes sont des membres de la famille royale et qu'ils sont compris dans l'article. Eh bien, ce n'est pas ainsi que la disposition a été expliquée par M. le ministre lui-même au sein de la section centrale.
Je pense, messieurs, qu'on fera disparaître toute espèce de difficulté et de doute en employant des expressions qui désignent les descendants en ligne directe et les alliés au même degré.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, la discussion à laquelle vient de se livrer l'honorable M. Orts me suggère une nouvelle objection contre sa rédaction. Je suppose la mort du souverain ; le fils aîné du Roi monte sur le trône, et les autres fils, qui deviennent les frères du Roi, ne seraient plus protégés par l'article 2, tel que M. Orts propose de le rédiger.
Je crois, messieurs, qu'il faut s’en rapporter à la sagesse des tribunaux pour la définition de ce qu'on doit entendre par membres de la famille royale ; les tribunaux puiseront leur opinion dans le texte de la loi et dans la discussion à laquelle elle a donné lieu.
Je le répète, messieurs, lorsqu'une expression se trouve dans les lois depuis 30 ans et qu'elle n'a jamais donné lieu à aucune difficulté, je pense qu'il' est convenable de maintenir cette expression.
M. Vandensteen. - Messieurs, lorsque la section centrale a examiné l'article 2 du projet de loi, elle s'est demandé si le décret du 20 juillet 1831 laissait sans punition les offenses envers la Reine et les membres de la famille royale, et quand elle a acquis la conviction que des offenses de cette gravité demeuraient sans répression, elle a admis à l'unanimité qu'une pareille lacune devait être comblée au plus tôt. Toutefois elle s'est adressée à M. le ministre de la justice pour lui demander à qui devait être appliquée l'expression de famille royale et M. le ministre de la justice ayant répondu qu'on devait entendre par ces mots, membres de la famille royale, la Reine, les Princes, les Princesses, fils et filles du Roi et la Reine mère, elle n'a pas fait d'observation et s'est déclarée satisfaite des explications données par M. le ministre de la justice.
L'honorable M. Orts accepte l'interprétation donnée par M. le ministre de la justice au mot famille royale, mais il voudrait qu'elle fît partie de l'article 2, en ce sens que l'article 2 devrait mentionner les différents membres de la famille royale auxquels les dispositions de l'article 2 seraient applicables ; il croit aussi qu'on devrait faire figurer parmi ces membres les petits-fils du Roi.
D'accord en cela avec la section centrale, je pense, messieurs, qu’il serait dangereux d'indiquer d'une manière spéciale dans l'article 2 du projet de loi les différents membres de la famille royale auxquels cet article serait applicable, parce qu'il serait fort difficile de ne pas commettre quelque omission dans cette nomenclature ; il me paraît qu'il serait prudent d'abandonner à l'appréciation du juge l'interprétation du mot famille royale, comme l’ont fait la loi des Pays-Bas en 1830, les lois françaises du 17 mai 1819, du 9 septembre 1833 et enfin notre Code pénal de 1810, qui, lorsqu'il était même question de l'application de la peine de mort prononcée pour les attentats prévus par son article 87, s'est servi sans autre désignation des mots famille royale, pour indiquer les membres de la famille royale, envers lesquels on ne pouvait commettre d'attentats sans encourir la peine de mort. Par suite de ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire, je ne puis me rallier à l'amendement de l'honorable M. Orts.
M. Delehaye. - Messieurs, l'opinion que vient d'émettre l'honorable rapporteur de la section centrale rend nécessaires de nouvelles explications de la part du gouvernement. M. le ministre de la justice a dit à la section centrale que les expressions employées dans l'article 2 désignaient la Reine, les Princes et Princesses, fils et filles du Roi et la Reine mère....
M. Dumortier. - Et les frères du Roi.
M. Delehaye. - Pas du tout ; dans les explications données par le gouvernement il n'était pas question des frères du Roi.
D'après ce que vient de dire l'honorable rapporteur de la section centrale et d'après l'opinion de l'honorable M. Orts, ce sont les explications données par le gouvernement qui devront guider le jury ou les juges appelés à appliquer la loi. Eh bien, il en résultera que les offenses dirigées par exemple contre une princesse étrangère qui aurait épousé l'héritier présomptif de la couronne ne pourront pas être poursuivies puisque cette princesse n'a pas été mentionnée dans les explications données par le gouvernement.
D'un autre côté, messieurs, le gouvernement n'a pas répondu le moins du monde aux observations que j'ai faites. J'ai demandé, par exemple, ce qu'il ferait si le comte de Flandre venant à épouser l'héritière d'un trône étranger, et venant se placer à côté d'une princesse étrangère, le comte de Flandres dans ce cas ferait-il encore partie de la famille royale ? La loi que nous faisons serait-elle applicable aux attaques qui seraient dirigées contre lui ? (Interruption.)
On me dit : C'est clair. Mais, ce n'est pas clair du tout ; ce serait une anomalie. Comment ! un prince belge se serait placé sur un trône étranger ; en y montant il aura peut-être posé un acte nuisible aux intérêts de la Belgique ; vous, Belge, vous attaqueriez cet acte, et vous seriez poursuivi !
Je crois que nous serions tous d'accord, si nous mettions « offenses envers les membres belges de la maison royale. » Par là, nous exclurons tous les membres de la famille royale qui auront perdu la qualité de Belge.
D'un autre côté, la princesse étrangère qui viendrait épouser le duc de Brabant ou le comte de Flandre, aussi longtemps que son épouse serait Belge, acquerrait et conserverait la qualité de Belge ; et dès lors les attaques dirigées contre elle seraient passibles de la loi que nous discutons.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, ce que vient de dire l'honorable M. Delehaye prouve qu'il est impossible de modifier la rédaction de l'article 2. D'abord, l'honorable membre a supposé des cas qu'on ne peut pas prévoir dans la loi ; on ne peut pas prévoir dans un article de loi qu'un des princes, pour le cas où il occuperait un trône étranger, ne serait plus protégé par la loi. (Interruption.)
L'honorable membre me dit : On ne peut supposer qu'il perd sa Qualité de Belge, et il faut déclarer que la loi ne sera appliquée qu'aux membres de la famille royale restés belges. J'ai exprimé l'opinion tout à l'heure que si une princesse belge épousait un prince étranger et si cette princesse restait en Belgique, elle devrait, bien que, d'après la loi civile, elle eût perdu la qualité de Belge, continuer à être protégée par la loi, puisqu'elle n'en resterait pas moins la fille du Roi, puisqu'elle n'en demeurerait pas moins membre de la famille royale. Je pense donc que la limite que veut poser l'honorable M. Delehaye ne peut pas être admise.
M. Dumortier. - Messieurs, il me semble que la disposition qui a été présentée par le gouvernement, est tellement claire qu'elle ne peut donner lieu à aucune contestation ; dans tous les pays du monde, (page 1307) lorsqu'il s'agit d'une loi destinée à protéger la couronne et tout ce qui s'y rattache, cette loi porte toujours cette expression-ci : « La famille royale » ; c'est l'expression la plus restreinte. Car dans les pays où on s'est servi des mots : « les princes du sang », cette expression s'étendait à toutes les branches collatérales. Le système proposé par le gouvernement est le système le plus restreint.
L'honorable M. Orts a soulevé une question ; il s'est demandé : Qu'est-ce que la famille royale ? Eh bien, je répondrai que ce sont tous les proches parents de celui qui règne.
Ainsi, messieurs, je ne crois pas que ces mots « famille royale » se bornent à représenter les ascendants de la personne qui est sur le trône ; je maintiens que les frères du Roi sont aussi compris dans la famille royale. Je suppose que demain, par un événement qui pourra arriver, le duc de Brabant monte sur le troue ; est-ce que par hasard le comte de Flandre qui, dans le cas où le nouveau Roi n'aurait pas d’enfants, devient l'héritier présomptif du trône, ne se trouvera pas repris dans l'article 2 ? Personne ne peut contester que l'article ne lui soit applicable.
C'est dans ce sens que je disais que l'expression famille royale était tellement claire que personne ne pouvait s'y tromper ; vous voyez par là combien il serait dangereux d'admettre des rédactions qui spécifient les personnes ; dans un pareil état de choses, vous iriez, jusqu'à omettre l'héritier présomptif dû trône !
Messieurs, il faut donc vous borner à adopter la disposition du gouvernement, qui n'est pas une disposition étendue, puisqu'elle exclut les, lignes collatérales. (Interruption.)
On me demande à quel degré ; je ne veux pas ici poser de degré ; je ne veux pas être plus malin que toutes les assemblées délibérantes qui nous environnent ; il y a quelque chose qui a plus d'esprit qu'aucun de nous, ce quelque chose c’est tout le monde ; je m'en rapporte plus volontiers à tout le monde qu’à moi-même. Les tribunaux décideront où la ligne collatérale commence, ou la ligne de la famille cesse d’exister. Mais je le répète, introduire dans la loi des spécifications c'est s'exposer à ne pas voir l’héritier du trône protégé par la loi.
Messieurs, nous faisons une loi qui doit être durable ; je demanderai à M. le ministre si la loi qui nous occupe ne présente pas de lacune pour le vas de régence. Il ne faut pas s'exposer, si cette éventualité se réalise, à devoir renouveler une loi semblable : s'il y a une lacune, il faut la combler.
M. Rogier. - Nous avons encore ici, messieurs, une nouvelle preuve de la légèreté qui a présidé à la conception de la loi, du peu de maturité avec laquelle les dispositions en ont été étudiées.
Dans la section dont je faisais partie, l'on avait demandé l'explication de l'expression famille royale. Cette explication a été fournie en termes formels par M. le ministre de la justice. : La section centrale n’a pas fait entrer la définition dans la loi ; mais elle a cru devoir s’y rallier dans les termes suivants :
(L'honorable membre donne lecture de ce passage :)
Voilà donc quelle était, il y a quelques jours à peine, l’opinion de M. le ministre de la justice sur la portée des mots « famille royale » ; aujourd'hui, M. le ministre vient donner une toute autre définition.
Je demande maintenant à laquelle des deux définitions les juges devront s'arrêter pour faire une équitable application de la loi ? Est-ce celle qui figure au rapport de la section centrale, ou bien celle qui se trouvera dans le Moniteur de demain ? De pareils revirements d'opinion ne prouvent qu'une chose, c'est qu’on prend goût aux lois d'exception. Il ne s'agit plus seulement aujourd'hui de protéger, par des mesures exceptionnelles, la personne inviolable du Roi, la seule que la Constitution déclare inviolable, de protéger la reine, et je le veux bien, de protéger leurs enfants, et je le veux bien encore. Mais allant plus loin, on veut, dans les élans d'un zèle ultra-monarchique, étendre l'exception à tous les parents plus ou moins éloignés du Roi.
Je demande si une pareille loi est digne d'un parlement belge, si de pareilles doctrines sont dignes de membres qui se déclarent défenseurs des principes de l'égalité constitutionnelle ? Qu'arrivera-t-il donc, s'écrie-t-on, si la loi se tait à l'égard de ces membres de la famille royale ? A quels graves dangers ne vont-ils pas être exposés ! Ils seront protégés, répondrai-je à ces esprits alarmés, ils seront protégés par le droit commun ; ils seront dans la situation où se trouve, sans inconvénient, le Roi lui-même depuis 17 ans. Voilà le sort réservé aux frères, oncles, cousins du Roi.
Vous ne faites, pas une loi pour l'année 1847, votre loi régira l'avenir. Quoi donc, dans 15, 20 ans, ne pourra-t-on, sous peine de tomber sous le régime d'une loi exceptionnelle, se livrer à la critique de la conduite de tel prince étranger par cela seul qu'il tiendra par quelque lien de parenté au Roi des Belges !
Ce système n'est pas soutenable ; qu'on étende la loi à la Reine que tout le monde entoure d'hommages et de respect, aux princes et à la princesse auxquels la nation s'intéresse si vivement ; qu'une exception soit faite pour ces personnages qui ont droit à notre sympathie ; rien de mieux ; mais qu'on n'aille pas au delà et qu'on laisse les autres dans le droit commun, c'est-à-dire dans la situation où se trouve le Roi lui-même depuis 17 ans.
Après les explications si diverses données dans cette enceinte, il importe d'être fixé sur la définition des mots : la famille royale, il importe de savoir à quelle interprétation il faudra s'arrêter. . Si c'est à l'interprétation primitivement donnée par M. le ministre de la justice, je pourrais l'accepter ; mais si on veut l'étendre à tous les membres appartenant de loin ou de près à la royauté, je dis qu'une pareille extension de a loi ne ferait qu'ajouter à son vice originel.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Rogier semble s'étonner qu'il y ait quelque différence entre les paroles que j’ai prononcées aujourd'hui et celles qui se trouvent dans le rapport de la section centrale. Je vais donner à cet égard une explication fort simple.
M. le président m'a demandé à la séance de vouloir bien donner des explications sur différents points de la loi ; je me suis empressé de déférer au désir de M. le président, et, séance tenante, j’ai fait une note que je lui ai soumise avec la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous envoyer la note sommaire et rapide que je viens de faire en réponse aux observations des sections. Je n'ai pas eu le temps de la faire plus complète. Je vous prie donc de ne la considérer que comme l’expression d'idées qu'un examen plus approfondi et la discussion pourront modifier. »
Les énonciations contenues dans la note qui accompagnait cette lettre étaient, je le reconnais sans peine, incomplètes. En donnant ces explications, j'avais eu uniquement en vue l'état de choses actuel, et j'avais uniquement voulu indiquer à qui maintenant s'appliquait la loi, pour faire apprécier dans quel sens elle devait être entendue. J'ai omis notamment de parler du frère du Roi ; il n'est pas étonnant que, répondant à la hâte, j'aie pu commettre cette omission. L’honorable M. Orts ne vient-il pas de reconnaître lui-même que son amendement était entaché de la même erreur ?
J’ajoute aux autorités que j'ai citées pour justifier ma proposition, l'autorité de la Constitution, qui dit : Article 87. Aucun membre de la famille royale ne peut être ministre.
Je ne pense pas qu'on ait songé à demander de placer dans la Constitution et les lois antérieures une définition de ce qu'on entendait par les membres de la famille royale, ces expressions se comprennent suffisamment et de plus il serait impossible d'établir toutes les distinctions dont on a parlé aujourd'hui. Rien que la diversité d'opinion qui s'est manifestée, les cas nombreux auxquels on a fait allusion, prouvent qu'il est impossible de donner une définition détaillée, plus satisfaisante que celle admise depuis plus de 30 ans.
M. Verhaegen. - Je ne prends la parole, après le vote que j'ai émis tout à l'heure sur l'article premier, que dans, l'intérêt des principes seulement. Je dis, tout d'abord, qu'il est impossible de procéder comme on veut le faire, sans violer tous les principes en matière de législation pénale. N'oublions pas, messieurs, qu'il s'agit de commuer des peines et de faire une loi d'exception ; n'oublions pas que dans les lois de cette nature, il faut enlever tout arbitraire et que tout doit être défini d'une manière précise.
Il est curieux d'entendre dire qu'il faut rester dans le vague pour ne pas donner lieu aux inconvénients qui seraient attachés à des dispositions claires et précises ; car, a dit l'honorable M. Dumortier, « on ne peut pas tout prévoir, et j'aime mieux m'en rapporter à tout le monde qu'à moi-même. » C'est très modeste, j'en conviens ; mais c'est en même temps très dangereux ; en matière pénale, je ne m'en rapporte à personne, je ne m'en rapporte qu'à la loi.
Que ceux qui ont des principes ultra-monarchiques (je n'y vois aucun inconvénient ; car je respecte toutes les opinions) les fassent traduire dans le projet de lot d'une manière non équivoque, mais qu’ils ne laissent rien à l'arbitraire du jury. S'ils veulent rendre la loi applicable aux offenses contre les frères du Roi, contre ses neveux et nièces, ses cousins et arrière-cousins, qu'ils le disent ; la famille royale n'est pas tellement nombreuse qu'on soit dans l'impossibilité de désigner les membres qui la composent. Pourquoi, M. Dumortier, voulez-vous vous en rapporter à tout le monde, plutôt qu'à vous-même ? Vous en savez cependant assez pour pouvoir nous dire quelles sont les personnes que vous voulez comprendre dans cette loi d'exception.
Il y a encore une autre observation de M. Dumortier, qui ne peut pas rester sans réponse. Cet honorable membre nous a dit que le mot famille exclut la ligne collatérale, tout en prétendant qu'elle comprend les frères ; mais si je ne me trompe, les frères font partie de la ligne collatérale. Et alors qu'on veut les comprendre dans la disposition de la loi, qu'on ne dise pas qu'on exclut la ligne collatérale.
On veut laisser aux tribunaux le soin de déterminer où finit la famille et où commence la ligne collatérale ! J'avoue que je ne comprends rien à un pareil système ; je ne connais, en droit, que la ligne directe et la ligne collatérale. Ceux qui appartiennent à la ligne directe n'appartiennent pas à la ligne collatérale ; ceux qui appartiennent à la ligne collatérale n'appartiennent pas à la ligne directe.
Je demanderai à l'honorable M. Dumortier, qui veut s'en rapporter à tout le monde, s'il consent, par exemple, à comprendre dans la disposition exceptionnelle le mari de dona Maria, le mari de la reine Victoria ? Ce sont certes des personnages très haut placés et qui méritent tous nos égards ; mais quoique appartenant à la famille royale, dans la ligne collatérale, la loi que nous faisons en ce moment ne doit certes pas les protéger.
Tout vague doit disparaître. Encore une fois, je respecte toutes les opinions et quoi que j'en aie dit, que ceux qui veulent comprendre dans la déposition même des parents en ligne collatérale, en fassent la proposition ; mais que les tribunaux et le jury sachent clairement pour quel cas la loi est faite.
Il serait inouï, il serait indigne du parlement belge de faire une loi pénale où régnerait ce vague, qu'on veut y maintenir. Ce serait une monstruosité législative.
(page 1308) M. le président., à la demande de M. le ministre des finances, donne lecture de l'amendement de M. Orts. (Voir plus haut.)
M. le ministre des finances (M. Malou). - S'il y a quelque chose d'inouï, ce serait d'insérer cette disposition dans la loi. Qu'on cite un pays quelconque où la législation ait défini ce qu'on doit entendre par la famille royale. On vous propose, dans le projet de loi, ce qui s'est fait partout. On l'a fait à deux reprises en Belgique, notamment dans la Constitution et dans le décret même du 20 juillet 1831. On l'a fait également dans notre ancienne législation, dans le Code pénal.
Je me demande pourquoi l'on a agi de cette manière. Pour l'expliquer, je n'ai qu'à me prévaloir de la discussion qui a lieu en ce moment même. Est-il aucun de vous qui puisse faire une énumération complète, qui puisse dire quelles sont dans l'avenir les éventualités de la famille royale ?
J'en citerai une.
Je suppose que le Roi arrive à un âge avancé sans avoir d'enfants. Son frère qui, dans ce cas, serait l'héritier présomptif de la couronne, n'est pas compris dans l'amendement de l'honorable M. Orts.
Vous ne pouvez pas prévoir toutes les hypothèses. Je ne verrais qu'un moyen de les prévoir toutes : ce serait de demander au collège héraldique de dresser un arbre généalogique, avec indication des degrés de parenté et d'alliance qu'il convient de comprendre dans la loi, de ceux qu'il convient d'en exclure.
M. Van Cutsem, rapporteur. - Je vous l'ai déjà dit, messieurs, la section centrale n'a pas voulu désigner d'une manière spéciale, dans l’article 2 du projet de loi, les différentes personnes de la famille royale que les dispositions de cet article devraient mettre à l'abri des offenses d'ignobles pamphlétaires ; elle a cru qu'elle ne devait pas se montrer plus difficile et plus minutieuse à cet égard que les législateurs qui s'étaient occupés avant elle de la même matière, et je persiste à soutenir, avec la section centrale, qu'il serait imprudent d'insérer dans la loi la nomenclature des différentes personnes de la famille royale auxquelles l'article 2 serait applicable.
Une fois qu'il est bien établi que les membres de la famille royale doivent être à l'abri des offenses qu'on pourrait leur adresser, le magistrat qui sera appelé à juger les offenses de l'espèce, se pénétrant du but de la loi qui protège les membres de la famille royale contre les offenses qu'on pourrait leur adresser, comprendra facilement que les personnes qui peuvent être considérées, sous le rapport de l'application de l'article 2 du projet de loi, comme membres de la famille royale, sont celles qui ne peuvent être offensées sans que la majesté royale, la majesté du souverain, en souffre.
Ne cherchons donc pas, messieurs, à faire mieux que nos devanciers, et n'oublions pas qu'il n'y a rien de plus dangereux, en matière criminelle, que de vouloir tout comprendre dans une loi pénale.
M. Verhaegen. - Messieurs, je ne comprends réellement pas plus la conduite de MM. les ministres dans cette discussion ; leur persistance ressemble beaucoup à de l'opiniâtreté.
M. Vanden Eynde. - Ils ont raison.
M. Verhaegen. - L'honorable M. Vanden Eynde dit qu'ils ont raison, je voudrais bien qu'il voulût me dire pourquoi.
M. Vanden Eynde. - Je n'ai pas à vous en rendre compte.
M. Verhaegen. - Soit, vous n'avez pas à m'en rendre compte, mais vous auriez pu prêter au ministère l'appui de votre parole.
Je dis, messieurs, que je ne comprends pas cette insistance, car si l'on veut laisser tout dans le vague, on subira les conséquences de ce vague devant le jury. Si la loi n'est pas claire, le jury, usant de son omnipotence, répondra non, et le gouvernement viendra dire ensuite que c'est un acquittement scandaleux. En matière pénale, rien ne peut être abandonné à l'arbitraire, et M. le ministre de la justice a très mauvaise grâce de venir soutenir qu'il faut maintenir le vague du projet, parce qu'il est impossible de donner une bonne définition de la famille ; car cette définition, il l'a donnée à la demande de la section centrale. Si M. le ministre n'a pas parlé sérieusement au sein de la section centrale, il faut qu'il se rétracte ; ce sera une nouvelle palinodie.
Messieurs, la famille, nous la définissions tantôt : elle se compose de la ligne directe et de la ligne collatérale ; et il n'y a aucune restriction à cet égard dans l'article que nous discutons. Et cependant on nous accorde que la ligne collatérale est exclue.
Remarquez bien, messieurs, et c'est une objection qu'on ne m'a pas faite, mais je veux la prévoir ; remarquez qu'il ne s'agit pas ici de ce que nous entendons ordinairement dans le sens vulgaire par les mots famille royale, mais qu'il s'agit du langage légal, qui doit être clair et précis.
Messieurs, l'honorable M. Malou faisait tantôt une supposition pour démontrer la nécessité de conserver à la disposition le vague que je lui reproche. Il vous disait qu'il est impossible de tout prévoir, et qu'il faudrait, pour faire une nomenclature exacte, conférer d'abord avec le conseil héraldique. Je ne suis nullement de cet avis ; je n'ai pas besoin d'établir une généalogie quelconque pour désigner clairement ce qui constitue la famille, et je ne conçois vraiment pas comment M. le ministre des finances a pu nous présenter la supposition qu'il a faite. Il nous a dit : Je suppose que le Roi, parvenu à un certain âge, n'ait as d'enfants. Mais il a un frère et ce frère a des enfants. Ce frère sera héritier présomptif de la couronne ?
Plusieurs membres. - Oui.
M. Verhaegen. - J'aime assez l'interruption, alors qu'il s'agit du texte précis de la Constitution.
Le frère sera l'héritier présomptif de la couronne ? C'est une erreur capitale. Voici ce que porte la Constitution :
« Les pouvoirs constitutionnels du Roi sont héréditaires dans la descendance directe, naturelle et légitime de Sa Majesté, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Lisez l'article suivant.
M. Verhaegen. - L'article suivant permet au Roi, à défaut de descendance mâle, de désigner son successeur, mais avec l'assentiment des chambres.
Plusieurs membres. - Il s'agit du roi futur.
M. Dumortier. - J'ai l'honneur de faire remarquer à l'honorable membre que lorsque le duc de Brabant sera appelé au trône, le comte de Flandre sera le frère du roi, et sera, si celui-ci n'a pas d'enfants, l'héritier présomptif.
M. Verhaegen. - Ce n'est pas l'hypothèse que faisait M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est identiquement la même.
Plusieurs membres. - Il s'agit du roi futur.
M. Verhaegen. - On dit maintenant qu'il s'agit du roi futur.
Mais ce n'est pas là une manière de discuter. (Interruption.) Messieurs, vous voulez tirer d'embarras votre ami M. le ministre des finances ; soit. Mais tout le monde a compris, comme moi, que M. le ministre posait l'hypothèse où le Roi actuel n'aurait pas d'enfants.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Non ! non !
M. Verhaegen. - M. le ministre doit comprendre maintenant qu'il a dit une hérésie ; s'il se rétracte, je n'ai plus rien à dire.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, on ne peut pas dénaturer ainsi mes paroles. Je ne pouvais évidemment parler au présent. Le seul honneur que je demande à l'honorable membre, c'est qu'il veuille bien me supposer un petit grain de sens commun.
Je n'ai évidemment parlé que des éventualités de l'avenir. J'ai dit que si, dans l'avenir, le roi, se trouvant dans un âge avancé, n'avait pas d'enfants, son frère serait l'héritier présomptif de la couronne et devrait être protégé par la loi. Ce que j'ai dit, je le maintiens.
- La clôture est demandée.
M. Delfosse (contre la clôture). - Je n'ai que deux mots à dire. Je demande que la chambre veuille bien m'entendre.
- La clôture est mise aux voix.
L'épreuve étant douteuse, la discussion continue.
M. Delfosse. - Je crois rêver, lorsque j'assiste à cette discussion ; à entendre MM. les ministres et leurs adhérents, les membres de la famille royale, neveux ou nièces, cousins ou cousines, seraient perdus s'ils n'avaient pour se défendre que la loi commune, la loi qui protège les citoyens les plus faibles et les plus humbles ; on ne se doutait guère, en 1830, que nous descendrions en 1847 à ce degré de flatterie et d'adulation. Si la chambre n'était pressée d'en finir, je serais tenté de proposer le renvoi de cette disposition et des amendements à la commission qui sera chargée d'examiner si la tête de Sa Majesté doit être placée à droite ou à gauche, sur les pièces d'or.
- L'amendement de M. Orts est mis aux voix par division.
La chambre adopte la première partie, ainsi conçue : « Quiconque, par un des mêmes moyens, se sera rendu coupable d'offense envers... »
Elle n'adopte pas les mots : «... envers la Reine, les princes et princesses, fils et filles du Roi, ou la Reine mère... »
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'article tel qu'il est proposé par le gouvernement, avec la première partie de l'amendement de M. Orts.
81 membres sont présents ;
57 adoptent.
23 rejettent.
1 (M. Osy) s'abstient.
En conséquence, l'article est adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Biebuyck, Brabant, Clep, d'Anethan, de Baillet, de Breyne, Dechamps, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de la Coste, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, de Villegas, d Hoffschmidt, d'Huart, Donny, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard),Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Kervyn, Le Hon, Lejeune, Maertens, Malou, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Scheyven, Simons, Thienpont, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vilain XIIII.
Ont voté le rejet : MM. Anspach, Cans, Castiau, David, de Bonne, Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Tornaco, Dolez, Fleussu, Jonet, Lange, Lebeau, Lesoinne, Loos, Lys, Manilius, Orts, Rogier, Sigart, Verhaegen, Veydt.
M. Osy. - Messieurs, comme j'ai eu l'honneur de le dire lors du vote pour l'article premier, si la loi primitive était restée dans son entier, j'aurais voté la loi et toutes ses dispositions ; mais à cause des amendements introduits par le gouvernement, je vois que d'une loi spéciale on veut venir (page 1309) à une révision de la loi sur la presse, et par là je me vois obligé de voter contre l'ensemble de la loi, et je me suis abstenu de voter l'article 2, quoique j'eusse désiré voir également entourer la famille royale de toute considération, et la prémunir contre les écarts de la presse.
Article 3
« Art. 3. Le coupable d'un des faits prévus aux articles 1 et 2 pourra, de plus, être interdit de l'exercice, de tout ou partie des droits mentionnés à l'article 42 du code pénal, pendant un intervalle de deux à cinq ans. Il pourra, pendant le même temps, être placé sous la surveillance spéciale de la police. »
La section centrale a proposé la suppression des mots : « Il pourra pendant le même temps, etc. »
M. le ministre de la justice a proposé d'ajouter à cet article le paragraphe suivant :
« Ces peines et une amende de 300 à 3,000 fr. pourront également être prononcées contre les coupables d'un des délits prévus par la partie non abrogée de l'article 3 du décret du 20 juillet 1831, sans préjudice de la peine déjà comminée par ledit article. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je dois déclarer, messieurs, que je ne puis me rallier à la suppression, proposée par la section centrale, de la disposition relative à la surveillance de la police. J'ai de plus proposé une disposition additionnelle qui permet de prononcer cette surveillance ainsi qu'une amende et l'interdiction des droits mentionnés à l'article 42, contre les personnes coupables d'un des délits prévus par l'article 3 du décret du 20 juillet 1831, au moins par la partie non abrogée de cet article. Je pense, messieurs, pouvoir, en peu de mots, justifier cette addition que je propose à l'article en discussion.
Il a été dit à la section centrale qu'il était extraordinaire de comminer des peines plus sévères contre les offenses envers la personne royale que contre les attaques à l'autorité constitutionnelle du Roi ou à celle des chambres. Des membres de la section centrale ont répondu qu'il pouvait résulter de cette observation la nécessité de mettre sur la même ligne les peines pour ces deux espèces de délits ; c'est ce que j'ai fait par mon amendement.
Je pense que ces dispositions se justifient facilement par la nature des faits que ces dispositions sont destinées à réprimer et à punir.
La surveillance de la police, telle qu'elle est organisée par la loi de 1830, donne un seul droit, celui d'interdire le séjour de telle localité à l'individu placé sous cette surveillance. Ainsi, on ne peut pas assigner à cet individu telle ou telle localité comme habitation, mais on peut lui interdire d'habiter un lieu déterminé, le lieu, par exemple, où se trouve la personne qu'il aura offensée.
Si des individus se permettent des offenses graves soit envers le Roi, soit envers les chambres, il est naturel que la loi donne aux tribunaux le droit d'interdire à ces individus le séjour de la localité où se trouve le Roi, et où s'exerce l'autorité des chambres ; alors que la loi de 1831 accorde la faculté de prononcer la surveillance de la police pour les délits d'une moindre importance, il serait extraordinaire de ne pas l'accorder pour des délits aussi graves que ceux qu'il s'agit de punir.. D'ailleurs, cette surveillance, à appliquer comme elle s'applique maintenant, trouve sa justification dans le Code pénal lui-même.
Lorsqu'un individu a insulté un magistrat, un fonctionnaire public, il peut, aux termes de l'art. 229 du code pénal, être condamné à s'éloigner du lieu où siège ce magistral ; trouverait-on extraordinaire d'appliquer cette disposition au délit d'offense envers la personne du Roi, envers les chambres ?
Ces courtes observations me paraissent justifier suffisamment la proposition primitive du gouvernement, que je crois devoir maintenir.
M. Van Cutsem. - Messieurs, quatre de nos six sections ont examiné l'article 3, et l'ont adopté à une grande majorité ; la troisième section l'a même adopté par sept voix contre une. A la section centrale, il n'en a pas été de même pour tout l'article 3 ; sa première partie, celle relative à la faculté donnée aux juges d'interdire au coupable l'exercice de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille, a été adoptée sans observation ; mais il n'en a pas été de même de celle qui veut soumettre à la surveillance de la police les condamnés pour offenses envers le Roi ou la famille royale.
Les membres qui n'ont point voulu que les condamnés pour offenses envers le Roi et la famille royale fussent soumis à la surveillance de la police, ont dit qu'ils repoussaient cette peine accessoire parce qu'il y aurait anomalie à soumettre, à la surveillance de la police, des individus condamnés pour offenses envers le Roi et la famille royale, et lorsque cette peine accessoire n'est pas prononcée contre les auteurs d'attentats plus graves prévus par le décret du 20 juillet 1831 ; ils ont encore repoussé la peine de la surveillance spéciale de la police, parce qu'ils l'ont jugée trop sévère pour réprimer une offense qui pourrait parfois n'être que légère, et parce que son application dans des cas donnés, en éloignant le rédacteur de son journal, supprimerait d'une manière indirecte le journal même.
Les membres qui ont pensé que la faculté de soumettre à la surveillance spéciale de la police les condamnés pour l'un des délits énoncés aux articles 1 et 2 du projet de loi, doit être maintenue dans la loi, disent qu'ils ne voient pas pourquoi il ne serait pas loisible aux tribunaux de prononcer cette peine accessoire, lorsqu'il s'agirait d'offenses envers le Roi et la famille royale ; d'offenses telles qu'elles compromettraient l'inviolabilité du souverain, quand, aux termes de la loi du 31 décembre 1836, le magistrat pouvait soumettre à cette surveillance les condamnés pour coups portés à une personne privée ou pour la destruction de quelques arbres sur une propriété particulière, puisque ces premiers délits peuvent compromettre la sûreté générale de la société, alors que ceux prévus par les articles 311 et 445 du Code pénal ne nuisent qu'à un seul individu.
Ils ajoutent encore que le juge ayant, aux termes du projet de loi, la faculté de prononcer ou de ne pas prononcer la condamnation à la surveillance spéciale de la police contre les individus condamnés pour les délits énoncés aux articles 1 et 2, il n'y a pas lieu de craindre que la peine de la surveillance soit prononcée pour une offense légère envers le Roi ou la famille royale, et ils soutiennent qu'elle ne le sera que lorsque le séjour du condamné pour offenses envers la royauté pourrait devenir dangereux pour la sûreté publique.
L'objection contre la mise sous la surveillance de la police, déduite de ce qu'il y avait anomalie à soumettre à la surveillance de la police les individus condamnés pour offenses envers le Roi ou la famille royale, de même que celle qu'il n'est pas logique de punir d'une peine plus forte les offenses envers le Roi que les attentats envers le Roi viennent aussi à tomber depuis que l'honorable ministre de la justice a proposé un paragraphe additionnel à l'article 3 de son projet, pour rendre l'application de l'amende et de la surveillance de la police commune aux attentats commis contre le Roi et les chambres.
M. Orts. - Messieurs, aux motifs exposés par la majorité de la section centrale, je n'en ajouterai qu'un seul ; j'ai jeté les yeux sur les lois qui ont été votées en France à la suite de l'horrible attentat de Fieschi ; j'entends parler des lois de septembre ; vous le savez, messieurs, il y a dans ces lois un luxe de pénalités ; eh bien, pour aucun des délits prévus par ces lois, la surveillance de la police n'est comminée. Je n'en dirai pas davantage.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, la mise sous la surveillance de la police consiste maintenant à pouvoir interdire à celui qui est placé sous une surveillance, de résider dans tel ou tel lieu déterminé. Par conséquent, si l'on admettait la mise sous la surveillance de la police, pour un individu condamné du chef d'un des délits prévus par la loi, le juge pourrait, il devrait même éloigner de son journal l'écrivain condamne ; on tuerait ainsi le journal dans plusieurs cas. C'est ce que la section centrale n'a point voulu admettre ; c'est ce que la chambre, je l'espère, n'admettra pas non plus.
D'un autre côté, c'est une très grande aggravation de peine que de pouvoir intimer l'ordre au condamné de quitter le lieu où sont ses intérêts, ses affaires, où il a toujours eu sa résidence.
Je demanderai donc qu'on veuille bien opérer la division et mettre aux voix séparément la proposition de M. le ministre de la justice relative à la surveillance.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je serai aussi court que les deux orateurs que vous venez d'entendre. L'honorable M. Orts a dit que les lois de septembre n'étaient pas aussi sévères que celle dont nous nous occupons ; il est vrai que les lois de septembre ne prononcent pas la surveillance de la police pour |es délits de presse déférés aux cours d'assises ; mais l'honorable membre aurait dû lire la loi dans son entier, il se serait aperçu alors que les offenses prévues par les lois de septembre se divisent en deux catégories : les offenses légères, celles-là ne sont pas punies de la surveillance ; mais les offenses graves qui sont qualifiées attentats et qui sont justiciables de la cour des pairs, peuvent être punies de dix années de détention.
M. Orts. - C'est le Code pénal.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je répète que les lois de septembre n'ont pas prononcé la surveillance pour les cas passibles seulement de peines correctionnelles prononcées par la cour d'assises, mais que les offenses graves sont qualifiées attentats et peuvent entraîner la peine de 10 années de détention.
Ainsi, c’est une évidente erreur de prétendre que les lois de septembre, quant aux délits d'offenses, commineraient des peines moins sévères que celles que je propose.
M. Orts. - Je comprends que la loi de septembre renvoie, quand il s'agit de faits qualifiés crimes, aux lois ordinaires, tels sont les faits punis de détention pendant dix ans ; mais dix années de détention, est-ce une peine correctionnelle ? Je maintiens que pour des délits analogues à ceux que vous voulez punir, la loi de septembre ne prononce pas la surveillance.
- La discussion est close.
M. Dubus (aîné). - Je demande la parole sur la position de la question.
La section centrale propose la suppression de la seconde partie du projet primitif ; il en résulte qu'on devra voter par division. La première partie de l'article n'a donné lieu à aucune contestation ; quand on l'aura votée, on en viendra à la deuxième, dont la section centrale a proposé le retranchement, et ensuite à la troisième, qui est l'amendement proposé par M. le ministre.
M. le président. - Je mets aux voix la première partie de l'article 3 qui est ainsi conçue :
« Le coupable d'un des faits prévus aux articles 1 et 2, pourra, de plus, être interdit de l'exercice de tout ou partie des droits mentionnés à l'article 42 du Code pénal, pendant un intervalle de deux à cinq ans. »
- Adopté.
« § 2. Il pourra, pendant le même temps, être placé sous la surveillance spéciale de la police. »
- L'appel nominal étant demandé par plus de cinq membres, il est procédé à cette opération.
(page 1310) En voici le résultat.
75 membres ont répondu à l'appel nominal.
29 ont répondu oui.
46 ont répondu non.
En conséquence, le second paragraphe n'est pas adopté.
Ont répondu oui : MM. de Garcia, de Lannoy, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Roo, de Sécus, Desmet, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, d'Huart, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumortier, Fallon, Henot, Huveners, Lejeune, Malou, Scheyven, Simons, Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Brabant, Clep, d'Anethan, Dechamps et de Corswarem.
Ont répondu non : MM. Delehaye, Delfosse, d'Elhoungne, de Meester, de Mérode, de Renesse, de Saegher, Desmaisières, de Tornaco, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Eloy de Burdinne, Fleussu, Goblet, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Loos, Lys, Maertens, Mast de Vries, Mercier, Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sigart, Verhaegen, Veydt, Anspach, Biebuyck, Cans, Castiau, de Baillet, de Bonne, de Breyne, Vilain XHII.
« § 3. Cette peine et une amende de 300 à 3,000 francs pourront également être prononcées contre les coupables d'un des délits prévus par la partie non abrogée de l'article 3 du décret du 20 juillet 1831, sans préjudice de la peine déjà comminée, par ledit article. »
- Ce paragraphe est adopté.
L'ensemble de l'article, tel qu'il vient d'être amendé, est également adopté.
« Art. 4. Par modification à l'article 261 du Code d'instruction criminelle, les individus renvoyés devant la cour d'assises du chef d'un des délits prévus par la présente loi, seront jugés, si les délais le permettent, dans la session des assises ouverte au moment de la prononciation de l'arrêt de renvoi. »
M. Orts. - Encore une fois, je trouve dans le rapport de la section centrale (page 8), à propos de cet article, l'énoncé d'un principe bien juste.
J'y lis ce qui suit :
« Tout en adoptant cet article, elle (la section centrale) veut qu'il soit bien entendu qu'il ne sera jamais permis au ministère public de faire comparaître l'accusé devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au moment où l’accusé du délit de presse sera renvoyé devant une cour d'assises. »
Le motif est palpable, c'est qu'il faut qu'il soit impossible de faire juger l'accusé par un jury déjà connu du ministère public.
Je propose d'insérer dans la loi le principe énoncé, par la section centrale en ajoutant à la disposition de l'article 4 un paragraphe ainsi conçu :
« Toutefois le ministère public ne pourra faire comparaître l'accusé, à moins que celui n'y consente, devant un jury dont le tirage serait antérieur à l’arrêt de renvoi. »
J’ajoute : « à moins que celui-ci n'y consente » ; c'est conforme à la disposition du Code d'instruction criminelle qui autorise la comparution immédiate devant la cour d'assises, si l'accusé le demande, si le ministère public y consent et si le président l'ordonne.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Ce que propose l'honorable M. Orts me paraît inadmissible. Il vaudrait infiniment mieux maintenir l'article du Code d'instruction criminelle tel qu'il est, que d'adopter cet amendement.
L'honorable membre, en le proposant, ne s'est pas bien rendu compte, je pense, de la manière dont on procède en matière criminelle. Le tirage du jury se fait au moins quinze jours avant l'ouverture des assises ; ordinairement même, il se fait trois semaines avant. Pendant le temps qui s'écoule entre le tirage du jury et l'ouverture des assises, il arrive un grand nombre d'affaires. C'est même en général pendant ce temps qu’arrive le plus grand nombre des affaires au parquet de la cour d'appel.
Aux termes du Code d'instruction criminelle, les accusés qui arrivent à la maison de justice la veille même de l'ouverture des assises, doivent être jugés pendant la session qui va s'ouvrir. Il ne s'agit pas de leur demander dans ce cas leur consentement. Il n'y a un consentement à demander que quand ils arrivent après l'ouverture des assises.
D'après l'amendement, il faudrait que l'arrêt eût été rendu antérieurement aux tirages du jury ; de manière que les individus qui, aux termes du code d'instruction criminelle, doivent nécessairement être jugés dans la session qui va s’ouvrir, devraient, d'après l'amendement de l'honorable M. Orts, être renvoyés à la session suivante. Voilà la conséquence directe et inévitable de l'amendement de l'honorable M. Orts.
Je ne sais si l'honorable membre a parlé de séries ; mais je lui demanderai ce qu'il fera lorsqu'il s'agira de la dernière série.
Que voulons-nous ? Activer autant que possible la procédure, et nous ne croyons pas nécessaire de donner plus de garanties à des individus prévenus d'un délit de presse qu'aux individus accusés de crimes qui peuvent entraîner les peines les plus graves.
Il n'y a donc aucun motif pour modifier ce qui a toujours existé, pour adopter l'amendement de l'honorable M. Orts.
La disposition que je propose est importante au point de vue de la procédure ; c'est même une des dispositions les plus réclamées par M. le procureur général de Bruxelles.
En effet, que se passe-t-il maintenant ? A Bruxelles ordinairement les séries sont nombreuses ; il y en a trois, quelquefois quatre. Dernièrement des individus avaient été renvoyés devant la cour d'assises, pendant la première série d'une session. Aux termes du Code d'instruction criminelle, ils avaient le droit de refuser de se laisser juger pendant aucune des séries de la session. Ils en ont usé, et il en est résulté que le jugement a dû être renvoyé à la session suivante, c'est-à-dire à une époque où le souvenir de leur délit était en quelque sorte effacé.
Voilà ce qui est arrivé à différentes reprises ; voilà l'inconvénient qui m'a été signalé par les procureurs généraux.
Mais, je le demande, surtout depuis qu'il y a plusieurs séries dans la même session, quel inconvénient y a-t-il à adopter la disposition que je propose ? Peut-on permettre aux prévenus de choisir en quelque sorte leur jury ? Peut-on donner aux prévenus le droit de dire après le tirage du jury : Il y a dans le jury tels et tels individus dont je redoute l’impartiale justice ; je ne veux pas être jugé par ce jury, bien que mon affaire soit en état, que l'arrêt de renvoi ait été rendu et qu'il m’ait été notifié.
Est-ce là le moyen d'avoir bonne et prompte justice ? Il ne faut pas permettre au prévenu de choisir son jury ; et qu'on ne dise pas que d'après la disposition que je propose, le ministre public pourrait lui choisir le jury ; puisqu'aux termes du Code d'instruction criminelle dès qu'une affaire est en état, il faut de toute nécessité, que cette affaire, soit jugée pendant la session qui s'ouvre, ; et quant à la fixation des affaires dans les différentes séries qui se succèdent, il est à remarquer qu'elle ne se fait pas, par les procureurs généraux, mais par des magistrats inamovibles, par les présidents des assises.
Je pense, donc, messieurs, que l'amendement de l'honorable- M. Orts ne doit pas être admis, que cet amendement irait précisément contre le but que nous voulons atteindre par le projet de loi, et qu'il modifierait d'une manière désavantageuse pour la promptitude des décisions judiciaires, les dispositions, actuelles du Code d'instruction criminelle.
M. Orts. - Messieurs, je n'aurais certes pas pu prévoir que lorsque la section centrale paraissait déclarer, à l'unanimité, comme une chose bien entendue, qu'on ne pourrait pas faire comparaître l'accusé devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au moment où cet accusé était renvoyé devant une cour d'assises, on viendrait s'élever contre ce que la section centrale regardait comme une vérité de premier ordre.
Les motifs que M. le ministre de la justice a allégués pour combattre la proposition que j'ai faite, ne me paraissent pas concluants du tout ; et voici pourquoi :
Toute session d'assises est divisée, non pas en une, deux ou trois séries, mais en autant de séries que les besoins du service l'exigent. Je conviens qu'en matière de presse, il faut autant que possible accélérer la marche de la procédure. Mais si un accusé était renvoyé devant les assises après le tirage des jurés de la troisième série, rien n'empêcherait le ministère public de faire ce qu'il a fait vingt fois, c'est-à-dire de provoquer une nouvelle série.
Voici, messieurs, quel est l'inconvénient de la proposition de M. le ministre. C'est qu'une fois que le jury sera tiré, l'on pourra faire comparaître l'accusé devant la première, ou la seconde, ou la troisième série, et le moyen pour atteindre ce but est bien simple., Il y a souvent vingt, trente affaires qui se présentent, et dès l'abord il y a de quoi remplir deux, même quelquefois trois séries, de telle sorte que le ministère public peut demander la fixation de l'affaire dans la série qui lui convient.
Il faut, messieurs, que toutes choses soient égales entre le ministère public et l'accusé. Or, voici le cas que je suppose. Quinze jours avant la première série, on tire le jury. La composition du jury est connue ; le ministère public peut traduire l'individu accusé devant ce jury. : Mais le règlement du rôle de la cour d'assises n'appartient pas au prévenir ; il ne pourra donc exiger d'être jugé par ce jury, je dis donc que la position n'est plus égale ; ce n'est pas l'accusé qui forme les séries ; c'est le ministère public, d'accord avec le président ; et c'est ce qui explique pourquoi la section centrale a voulu avec raison qu'il fût bien entendu qu'il ne sera jamais permis au ministère public de faire comparaître l'accusé devant un jury, dont le tirage aurait déjà été fait au moment où l'accusé du délit de presse sera renvoyé devant une cour d'assises. Ce sont les termes mêmes du rapport de la section centrale.
Quels ont été ses motifs ? Elle ne nous les a pas fait connaître ; mats ils ne peuvent être que ceux dont je viens de parler. La section centrale n'a pas voulu qu'on pût forcer l'accusé à comparaître devant un jury dont la composition serait connue ; elle a voulu tenir la balance égale entre l'accusé d'une part et le ministère public et la cour d'assises de l'autre, et je pense que son opinion est parfaitement juste. La seule différence entre la section centrale et moi, c'est que je demande que cette opinion soit formulée en loi, et que la section centrale ne fait pas cette proposition.
Il ne s'agit d'ailleurs pas ici de majorité ni de minorité. Il paraît que la section centrale a été unanime pour émettre l'opinion que Je défends.
M. Vanden Eynde. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour relever une erreur que vient de commettre l'honorable M. Orts.
Cet honorable membre vous a dit que le ministère public fixe les séries dans lesquelles doivent être portées les causes.
M. Orts. - Avec le président.
M. Vanden Eynde. - Vous aviez d'abord dit que c'était le ministère public qui fixait les causes pour la série qui lui convenait. Ensuite l’honorable M. Orts a dit que le ministère public fixait ces causes d’accord avec le président.
Je suis étonné de cette observation de la part de l'honorable M. Orts, (page 1311) qui a présidé lui-même les assises. Il est vrai que c'était à une époque où il n'y avait pas de séries. Cependant l'honorable membre qui a plaidé plusieurs fois devant la cour n'assises, et qui a examiné le Code d'instruction criminelle et les lois du jury portées en 1831, 1832 et 1838, doit savoir qu'il appartient au président de la cour d'assises seul, d'abord en vertu du Code d'instruction criminelle, ensuite des lois qui ont succédé et notamment de celle de 1838, de régler le rôle des affaires pour chaque sérié. Le ministère public n'intervient nullement dans cette opération. C'est le président qui donne ordre d'extraire l'accusé de la prison, s'il y est détenu, et de le faire comparaître devant la cour d'assises. Tout ce que le ministère public a à faire, c'est de venir soutenir devant le jury son acte d'accusation.
Je dirai maintenant un mot de l'amendement de l'honorable M. Orts.
Si j'ai bien compris cet amendement, je pense avec M. le ministre de la justice, qu'il déroge au Code d'instruction criminelle et à la loi de 1838 sur le jury. Car, d'après cet amendement, l'accusé pour délit de presse renvoyé par la chambre des mises en accusation devant la cour d'assises huit jours avant l'ouverture d'une session, ne pourrait plus être traduit dans la première série, si le jury était tiré. Or, d'après la loi de 1838, le jury doit être tiré au moins quinze jours avant l'ouverture de cette série.
Je crois, messieurs, qu'il n'y a aucun motif pour déroger au code d'instruction criminelle et à la loi de 1838, et qu'il serait dangereux d'adopter l'amendement.
Messieurs, si le renvoi du prévenu a eu lieu postérieurement à l'ouverture des assises, il est évident que le président qui fixe son vote chaque fois qu'une série doit être tirée, ne va pas changer son rôle, et pour y intercaler cette affaire de presse, en extraire une autre qui aurait déjà été fixée, pour laquelle, d'après les ordres donnés au ministère public, les assignations auraient déjà été faites, pour que les témoins pussent se rendre à temps à la cour d'assises, et y donner leur déposition.
Je crois donc, messieurs, que tel que le propose le gouvernement, l'article 4 ne peut présenter aucune espèce d'inconvénient, parce que, je le répète, le ministère public, ne peut rien changer à ce qui est dans les attributions exclusives du président et que le président ne peut avoir aucun motif pour extraire de son rôle une affaire qu'il aurait déjà fixée pour une série, et la remplacer par une affaire de presse, qui serait venue postérieurement, et même après l'ouverture des assises.
J'estime donc qu'il y a lieu d'adopter l'article tel que le propose le gouvernement..
M. Van Cutsem. - Messieurs, l'article 4, comme l'article 3, a été adopté à une grande majorité dans quatre de vos six sections, les deux autres ne l’ont pas examiné.
Cet article a pour but d'accélérer la poursuite des délits de presse, en ordonnant, par modification à l'article 261 du Code d'instruction criminelle, que les individus renvoyés devant la cour d'assises du chef d'un des délits prévus par la loi sur la presse, soient jugés, si les délais le permettent, dans le courant de la session ouverte, au moment de la prononciation de l'arrêt de renvoi.
Aujourd'hui, messieurs, que l'article 261 est en vigueur, l'accusé de délit de presse renvoyé devant la cour d'assises, ne doit pas comparaître, s’il ne le veut pas, devant cette cour d'assises ; seulement il peut y être appelé, s'il le demande, avec l'assentiment du procureur général et du président de la cour d'assises.
Que résulte-t-il de cette faculté donnée à l'accusé de délit de presse ? ! C'est que lorsqu'il croyait que le jury lui serait favorable, il venait devant la justice, et que lorsqu'il croyait le contraire, il attendait la session suivante de la cour d'assises ; et comme pendant chaque session de la cour d'assises, il y a deux et trois séries de jurés, il pouvait choisir entre deux et trois séries de jurés celle qui lui convenait le mieux pour pouvoir en espérer un verdict d'acquittement, d'où la conséquence qu'il avait véritablement le choix de son jury.
Si les dispositions de l'article 261 du Code d'instruction, criminelle permettent aux accusés de délits de presse de choisir entre trois séries de jurés celle qui leur convient le mieux, elle leur donnait aussi le bénéfice du temps, qui n'est pas peu de chose en matière d'outrages commis par la voie de la presse ; en effet, le temps rend l'outrage moins sensible, surtout lorsqu'il est dénué de tout fondement, pour celui qui l'a reçu, et le mal que l'injure a fait s'oublie quand plusieurs mois s'écoulent entre la punition de l'injure, et le jour où l'on s'en est rendu coupable.
La section centrale a adopté l'article 4 par cinq voix contre deux, qui n'ont pas voulu de procédure spéciale pour punir les offenses commises envers le Roi et la famille royale.
Un des cinq membres qui ont voté l'article 4 a déclaré qu'il le votait, quoiqu'il désapprouvât différentes autres dispositions du projet de loi, parce qu'il lui paraissait que c'était celui qui produirait le résultat le plus efficace.
La section n'a pas voulu que l'accusé du délit de presse put être appelé par le ministère public devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au moment où l'accusé du délit de presse serait renvoyé devant une cour d’assises, parce que si l'accusé ne devait pas pouvoir choisir le jury devant lequel il aurait à comparaître, le ministère public ne devait pas plus que lui pouvoir faire le choix du jury devant lequel il assignerait l'accusé.
La section centrale, en empêchant la comparution d'un prévenu de délit de presse devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au moment de la prononciation de l'arrêt de renvoi devant la cour d'assises, n'a eu en vue que le jury en fonction après l'ouverture de la cour d'assises ; elle n'a pas voulu étendre cette défense au jury dont le tirage se fait ordinairement une quinzaine de jours avant l'ouverture de la cour d’assises, jury devant lequel comparaissent tous les accusés renvoyés devant la cour d'assises avant son ouverture. Sans cela, elle aurait créé encore une position exceptionnelle pour les accusés en matière de presse.
Lorsque l'article 3 de la loi du 1er mars 1832 était en vigueur, les causes devaient être fixées pour chaque série de la cour d'assises avant le tirage du jury. Depuis l'abrogation de cet article 3 par la nouvelle loi sur le jury, du 15 mai 1838, les accusés comparaissent devant les jurés de chaque série après le tirage, pourvu qu'ils soient à la maison de justice avant l'ouverture de la cour d'assises.
L'observation de la section centrale sur l'article 4 du projet doit donc être comprise de cette manière, que la cour d'assises ouverte, l’accusé ne pourra être appelé devant la série des jurés en fonction, qu'il ne pourra avoir à comparaître que devant la série suivante, alors même qu'on devrait faire un tirage de jurés pour une seule cause.
M. Delfosse. - M. le ministre de la justice vient de dire, en repoussant l'amendement de l'honorable M. Orts, qu'il ne faut pas accorder plus de garanties à ceux qui sont accusés des délits de presse qu'à ceux qui sont accusés des crimes les plus graves.
On pourrait contester cette doctrine, on pourrait soutenir avec fondement que c'est surtout en matière de presse que les mauvais gouvernements ont une tendance à intervenir contre les accusés et qu’il faut, pour cette raison, des garanties plus fortes en matière de presse qu'en toute autre matière.
Mais ceux-là même qui admettent la doctrine de M. le ministre de la justice reconnaîtront que si ceux qui sont accusés de délits de presse ne doivent pas avoir plus de garanties que les autres accusés, ils doivent.au moins en avoir autant ; pourquoi donc veut-on déroger, pour eux, à l'article 261 du Code d'instruction criminelle ?'
Je ne sais si je comprends bien le sens de cette disposition, mais il me semble qu'elle donne aux accusés la double garantie qu'ils ne seront pas traduits, malgré eux, devant un jury dont la composition serait déjà connue et qu'ils auront, dans tous les cas, un délai suffisant pour préparer leurs moyens de défense.
Je ne puis consentir à enlever ces garanties à ceux qui sont accusés d'un délit de presse. Le droit de se défendre est un droit sacré que tous les peuples civilisés respectent, il serait odieux de l'entraver.
M. le ministre de la justice n'a donné qu'une raison pour expliquer la dérogation qu'il propose à l'article 261 du Gode d'instruction criminelle. Il est bon, a-t-il dit, que l'accusé soit juge, lorsque l'offense qu'il a commise est récente, lorsque l'impression qu'elle a produite n'est pas encore effacée.
Je crois, au contraire qu'il serait préférable de mettre moins de précipitation dans le jugement. Le juré appelé à prononcer sur le sort d’un accusé doit, avant tout, être calme, et l'agitation causée pan une offense récente à la personne royale pourrait être de nature à jeter le trouble dans sa conscience.
M. le ministre de la justice est venu nous présenter cette loi sous l'impression d'un sentiment de colère ; voudrait-il par hasard qu'un jury, composé d'hommes dévoués au Roi prononçât son verdict sous la même impression ?
M. le ministre de la justice s'est plaint hier de l'amertume de quelques-unes de mes paroles. Eh bien, je dis qu'il n'y a pas d'expressions assez fortes pour flétrir la conduite et les projets de M. le ministre de la justice ; et si j'éprouve un regret, c'est de n'avoir pas assez d'énergie.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Delfosse m'a dit que je m'étais plaint de l'amertume de son langage ; il est dans l'erreur ; je ne me plains pas plus de l'amertume de :son langage d'hier que de l'amertume de son langage d'aujourd'hui ; je laisse à l'honorable membre le regret de ne point trouver d'expressions assez énergiques pour flétrir le projet de loi, et je lui donne l'assurance que ses expressions, quelque énergiques qu'elles soient, ne parviendront pas à me faire dévier de la ligne de conduite que je me suis tracée, et qui m'a valu l'approbation de la majorité de la chambre.
Il me semble que l'on se rend un compte fort inexact de ce qui existe maintenant. Les honorables membres auxquels j'ai à répondre, ont perdu de vue les dispositions du Code d'instruction criminelle qui régissent maintenant la poursuite des délits de presse.
Je pose des dates pour me faire mieux comprendre. Le jury, est tiré, par exemple, le 1er octobre. Le 8 octobre, une ordonnance de la chambre des mises en accusation renvoie devant la cour d'assises un individu du chef d'un délit de presse. Les assises s'ouvrent le 15 octobre. D'après la loi qui nous régit, l'individu renvoyé le 8 octobre, doit être jugé par la cour d'assises qui s'ouvre le 15. Voilà ce qui existe maintenant ; eh bien, ce qui existe, l'amendement de M. Orts le détruit ; il accorde aux prévenus en matière de presse un véritable privilège, en leur permettant de se faire juger pendant la première session qui s'ouvre après leur renvoi à la cour d'assises. Je dis qu'un semblable privilège ne peut pas se justifier.
L'honorable M. Delfosse prétend que les prévenus en matière de presse devraient avoir au moins autant et peut-être plus de garanties que les autres accusés.
Mais, messieurs, l'honorable membre perd de vue la procédure qu'il faut suivre en matière de presse. S'il y réfléchissait, il verrait que tous ses vœux sont comblés. Car les individus prévenus d'un délit de presse ont beaucoup plus de garanties que tous les autres prévenus : c'est ainsi (page 1312) qu'en matière correctionnelle ordinaire, vous avez l'arrestation préventive, la citation directe à l'audience, et vous n'avez pas la garantie du, jury ; mais en matière de presse, vous ne pouvez citer un individu devant la cour d'assises qu'après que la chambre de conseil et la chambre des mises en accusation ont statué.
L'on peut donc dire qu'en matière de délits de presse, les prévenus ont un véritable privilège dont ne jouissent pas les autres prévenus en matière ordinaire. Eh bien, on veut ajouter à ce privilège, en s'en remettant complètement aux prévenus du soin de choisir leur jury pendant trois ou quatre séries consécutives. Cela est-il admissible ? Est-ce le moyen de faire cesser les inconvénients existants ?
Il faudrait donc pour qu'un individu, d'après l'amendement de l'honorable M. Orts, pût être traduit devant la cour d'assises, que le tirage du jury eût eu lieu postérieurement au renvoi de cet individu devant la cour d'assises. Mais si l'amendement de l'honorable M. Orts était admis, ce serait nous reporter à la loi du 1er mars 1832, loi qui prescrivait d'afficher, 24 heures avant le tirage du jury, l'indication des affaires qui devaient être portées dans la session qui allait s'ouvrir. Les inconvénients très graves qui résultaient de cet état de choses, ont fait adopter la disposition de la loi du 15 mai 1838, qui a supprimé cette affiche préalable. Et savez-vous quels sont les orateurs qui ont le plus insisté pour cette suppression ? Ce sont les honorables MM. Maertens et de Muelenaere.
Je pense donc que la chambre ne reviendra pas à un système qu'elle a condamné avec raison en 1838.
On dit : Mais il faudra, et on le pourra toujours, provoquer une nouvelle série, si l'affaire ne pouvait pas être portée à la dernière série, ou si la session se composait d'une seule série. Cela serait possible, mais occasionnerait des frais inutiles et qu'on éviterait en adoptant l'article que je propose. Toutefois, cette difficulté ne remédierait pas aux inconvénients de l'amendement de M. Orts, qui exige la mise en état avant le tirage, tandis qu'elle n'est exigée maintenant qu'avant l'ouverture des assises ; mieux vaudrait cent fois maintenir les dispositions de l'article. 261 du code d'instruction criminelle, que d'adopter l'amendement de M. Orts.
On semble craindre que les prévenus n'auront pas assez de temps pour préparer leur défense. Mais il y a des délais fixés, et ces délais ont toujours une durée suffisante. Il y aura toujours un temps assez long qui s'écoulera avant le moment où l'individu paraîtra devant la cour d'assises et celui de la notification de l'arrêt de renvoi. En matière de presse, il s'agit d'apprécier la valeur, le sens d'un article ; dans les cas prévus par la loi en discussion, il ne s'agira que d'apprécier si un article est offensant pour le Roi ou pour les membres de la famille royale.
Pour préparer la défense d'un article semblable, il ne faut pas faire un long travail, il ne faut pas faire de bien grandes recherches. En France, où l'on a admis la citation directe, on n'a jamais pensé que la défense fût par là entravée. D'ailleurs, si le prévenu a quelque motif sérieux pour demander une remise, l’article 306 du Code d'instruction criminelle lui en laisse le moyen ; il demandera à la cour que l'affaire soit remise, et le président de la cour, si les motifs allégués sont fondés, s'ils n'ont pas pour but de se soustraire à un jury que l'on redoute, n'hésitera pas à accorder la remise.
Un membre. - Le peut-il ? La disposition est impérative.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'article 306 est général. Le Code d'instruction criminelle disait aussi que les individus arrivés dans la maison de justice seront jugés, et, malgré cette prescription, l'article 306 permet au président de la cour de renvoyer l'affaire à une autre session. Il est évident que les dispositions non abrogées du décret de 1831 et du Code d'instruction criminelle, relatives aux délits dont nous nous occupons, subsistent. Avec les seules dispositions de la loi qui vous est présentée, comment serait-il possible de mettre une affaire sur pied ? Les dispositions que j'ai proposées viendront s'encadrer dans les dispositions du Code d'instruction criminelle. En matière de presse, on procédera comme en matière criminelle. On doit donc suivre les dispositions du Code d'instruction criminelle. J'ai modifié quelques-unes de ces dispositions, mais il est évident que toutes les autres subsistent.
M. Orts. - M. le ministre de la justice a fait grand étalage de ce qu'il appelle un privilège qu'on donnerait aux écrivains. On commence par leur enlever un bénéfice inscrit dans l'article 261. Quel a été le but ? On se trouvait en présence de l'article 261 qui disait qu'un accusé, non constitué avant l'ouverture des assises, pouvait demander son renvoi à une autre session. Comment la section centrale a-t-elle motivé le changement apporté à l'article 261 ? Elle dit :
« Jusqu'aujourd'hui, cet article a été appliqué aux accusés de délits de presse, de telle manière que, lorsqu'ils étaient renvoyés devant la cour d'assises après l'ouverture de celles-ci, il leur était loisible (c'est un loisir qu'on leur enlève), avec l'assentiment du procureur général et du président de la cour, de comparaître devant elle ou de faire remettre la cause à la session prochaine. Cette faculté leur permettait en quelque sorte de choisir leurs juges et leur donnait à coup sûr, en faisant remettre leur affaire à la session suivante, le bénéfice du temps, qui diminue, en général, la gravité de l'offense et qui amène souvent des acquittements. »
Cet article leur permettait de faire remettre la cause, non à une série subséquente de la session commencée, mais à une session prochaine, c'est-à-dire à trois mois. Cette faculté leur permettait, en quelque sorte, de choisir leurs juges, voilà le motif qui a déterminé la section centrale, et leur donnait à coup sûr en faisant remettre l'affaire à la session prochaine, souvent à trois mois et plus, le bénéfice du temps qui diminue la gravité de l'offense et qui amène souvent des acquittements. Maintenant on dit : Nous vous enlevons un bénéfice, nous ne voulons pas qu'on puisse renvoyer l'affaire à une autre session.
En approuvant cette disposition, la section centrale veut qu'il soit bien entendu qu'il ne sera jamais permis au ministère public, de faire comparaître l'accusé devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au moment où l'accusé du délit de presse sera renvoyé devant une cour d'assises. Ainsi, si par exemple le 1er octobre, le tirage du jury amène certains noms et que le 8 vous soyez décrété d'accusation, il est entendu qu'on ne pourra pas vous forcer de vous présenter le 15 devant le jury qui était composé dès le 1er. Vous trouvez juste, aux termes de la loi actuelle, qu'un accusé ne puisse pas demander son renvoi à une autre session ; mais en adoptant ce système qui enlève au prévenu un bénéfice dont il aurait joui en vertu de l'article 261, vous dites qu'il ne sera jamais permis de le faire comparaître devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait.
Décrété d'accusation le 8, on ne pourra pas le faire comparaître devant le jury dont le tirage aurait été fait le 1er pour siéger le 15 ; il devra comparaître devant la seconde série, pourvu que les jurés de la seconde série ne soient pas tirés ; de manière que vous lui donnez cette garantie en quelque sorte comme une compensation de la perte du privilège résultant de l'article 261 qui était la remise à trois mois. Vous lui enlevez un privilège dont jouissent tous les accusés, et vous lui donnez comme fiche de consolation un autre privilège. Qu'ai-je fait ? J'ai trouvé dans le rapport même de la section centrale le texte de l'amendement que je propose en ce moment, comme j'avais cru pouvoir prendre le texte de mon amendement à l'article 2 dans la définition que M. le ministre de la justice avait donnée, des mots famille royale sur les demandes d'explications de la section centrale ; j'ai demandé qu'elle fût insérée dans la loi. M. le ministre paraît avoir changé d'avis. Aujourd'hui, ce n'est plus ce qu'il avait dit à la section centrale. Toutes ces variations, toutes ces fluctuations d'opinion ne prouvent-elles pas qu'il convient d'écrire dans la loi même ce que la section centrale a consigné dans son rapport ? Je suis les mots du rapport et je propose d'ajouter : » Toutefois il ne sera jamais permis à un ministère public de faire comparaître l'accusé devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au moment où l'accusé serait renvoyé devant la cour d'assises. »
M. de Garcia. - Je n'ai que peu de mots à ajouter aux observations faites par M. le ministre de la justice contre l'amendement de M. Orts. L'honorable membre ne disconvient pas que c'est un privilège qu'il établit en faveur des prévenus de délits de presse. Je veux, dit-il, leur donner ce privilège, parce que vous leur enlevez une partie des garanties dont jouissent les accusés ordinaires. Pour moi, je ne pense pas qu'on puisse accorder ce privilège dans les circonstances dont il s'agit. Il faut reconnaître qu'il y a une différence immense entre les prévenu» de délit de presse et les autres accusés.
L'accusé est toujours sous les verrous, dans la prison, tandis que l'individu prévenu d'un délit de presse reste en liberté. A ce point de vue, la différence est grande. Aussi il tarde toujours à l'accusé de paraître devant le jury. Je siège depuis bien longtemps aux assises. J'ai vu souvent des accusés qui avaient le droit de demander le renvoi de leur affaire aux assises suivantes ; jamais je n'en ai vu qui aient fait usage de ce droit. Tout individu qui est prévenu demande prompte justice, demande à être jugé le plus tôt possible, pour être mis en liberté, s'il est déclaré innocent.
Quant à l'individu prévenu d'un délit de presse, jamais il ne demandera à paraître devant le jury ; il est libre.
C'est du reste une erreur de croire que le ministère public pourra choisir le jury. Le jury n'est choisi par personne. C'est le sort qui le désigne.
Il y a trente-six jurés ; douze sont appelés à former le jury de jugement ; c'est là que le ministère public et la défense exercent leur droit de récusation.
On ne peut comparer à la position d'un accusé ordinaire celle d’un individu prévenu d'un délit de presse et qui demande à être renvoyé à la session prochaine pour choisir, lui, son jury, ce qu'il pourrait faire puisqu'il est libre.
Cette différence de position doit amener une différence dans le mode de procédure.
Ce n'est pas que je veuille que les jurés soient animés d'indignation, de colère pour juger. On ne doit jamais supposer les jurés animés de ces sentiments. On ne fait point cette supposition dans des affaires ordinaires, je ne la fais point pour des délits de presse. Si l'on croyait qu'un jury pût être hostile à un accusé, je ne sais pas pourquoi l'on ne demanderait pas le renvoi devant les assises d'un autre province.
M. Delfosse. - Remarquez bien, messieurs, que j'ai pris la parole, moins pour défendre l'amendement de M. Orts, que pour combattre la proposition du gouvernement.
Cette proposition est d'autant plus dangereuse, qu'un délit de presse peut, d'après la jurisprudence établie, être poursuivi non seulement au lieu de la publication, mais même au lieu de la distribution, et vous savez qu'il n'est pas difficile de faire circuler un écrit à l'insu de l'auteur.
Il pourrait donc dépendre du gouvernement de choisir, en quelque sorte, le jury devant lequel l'accusé devrait comparaître ; mon honorable ami, M. Delehaye, a présenté un amendement pour parer à ce danger ; (page 1313) mais il n'est pas sûr que cet amendement obtiendra l'assentiment de la chambre.
M. le ministre de la justice a laissé debout la partie de mon discours qui concerne le droit de défense. Le Code d'instruction criminelle, voulant que l'accusé eût un délai suffisant pour préparer sa défense, lui a laissé le droit de retarder sa comparution devant la cour d'assises. C'est là une disposition importante qu'il est de notre devoir de maintenir ; la chambre s'exposerait à de graves reproches, si elle dérogeait à cette disposition pour les délits de presse.
M. Van Cutsem, rapporteur. - Aux termes de l’article 261 du Code d'instruction criminelle, les accusés qui ne sont arrivés dans la maison de justice qu'après l'ouverture des assises ne peuvent y être jugés que lorsque le procureur général l'a requis, qu'ils y ont consenti, et que le président l'a ordonné.
Pour les accusés en matière de presse, il ne peut être question de l'arrivée à la maison de justice, puisqu'il n'y a pas pour eux de détention préventive.
On met la date de l'arrêt de renvoi sur la même ligne que l'arrivée, à la maison de justice, on dit que si l'arrêt de renvoi est prononcé postérieurement à l'ouverture de la session, l'accusé aura le droit de faire renvoyer son affaire à la session suivante, si le procureur général le requiert et si le président l'ordonne.
C'est cette disposition applicable au délit de presse que la section centrale, par cinq voix contre deux, a voulu enlever aux accusés en matière de délit de presse.
Mais en leur enlevant cette faculté, elle a voulu aussi que quand l'arrêt de renvoi serait prononcé après la session et lorsque le jury serait en fonctions, on ne pût faire comparaître l'accusé devant un jury qui aurait jugé d'autres affaires. Elle a voulu qu'on le fît comparaître devant le jury de la même session, mais d'une autre série.
L'honorable M. Orts n'a pas compris la proposition de la section centrale comme je viens de l'expliquer. D'après cet honorable membre la prononciation de l'arrêt de renvoi après le tirage du jury qui aurait eu lieu avant l'ouverture de la Cour d'assises, devrait faire renvoyer l'affaire de l'accusé de délit de presse, devant une autre série de jurés que celle connue avant l'ouverture de la cour d'assises, par cela seul que les noms de ces jurés seraient sortis de l'urne avant la prononciation de l'arrêt de renvoi ; or, telle n'a pas été la pensée de la section centrale, elle n'a pas voulu mettre, sous ce rapport, les accusés de délits de presse, dans une position plus favorable que les accusés de crimes en matière ordinaire, qui ont à comparaître devant un jury connu lorsqu'ils arrivent à la maison de justice avant l'ouverture de la cour d'assises ; elle n'a voulu qu'une chose, c'est que l'accusé de délit de presse ne pût se voir juger par un jury déjà en fonction à une cour d'assises à la date de l'arrêt de renvoi.
J'ose croire qu'avec ces explications l'honorable M. Orts comprendra à présent de quelle manière doivent être interprétés les mots, il est bien entendu qu'il ne sera jamais permis au ministère public de faire comparaître l'accusé en matière de délit de presse devant un jury dont le tirage aurait déjà été fait au moment où celui-ci sera renvoyé devant une cour d'assises, et qu'il renoncera à l'amendement qu'il avait cru devoir proposer à l'article 4.
M. Orts. - Ce n'est pas formulé dans l'article.
M. Delehaye. - Qu'il me soit permis de citer à la chambre un exemple qui prouvera le danger de la singulière doctrine de M. le ministre de la justice. Il y a quelque temps, un journal critiquait une exécution vraiment scandaleuse, surtout lorsqu'on la comparaît avec certaines commutations de peine. Cette exécution avait soulevé à Gand une indignation générale qui fut partagée par la magistrature tout entière. Un journal avait exprimé l'opinion que tout le monde avait eue à Gand. Le ministère a été sur le point de poursuivre l'auteur de cet article, tellement que je sais pertinemment que des personnes avaient été consultées à ce sujet. Le gouvernement prétend que la loi lui permet de poursuivre un écrivain dans une province autre que celle où son article a été publié.
Je suppose un instant que la doctrine de M. le ministre de la justice soit adoptée. Qu'arrivera-t-il ? On fixe le jury dans une province, à Namur, à Luxembourg, dans le Brabant ou ailleurs. Le ministre trouve que dans une de ces provinces le sort a été favorable à sa manière de voir. Il achète quelques numéros du journal qu'il veut incriminer ; il les fait distribuer dans cette province ; et immédiatement il donne ordre de poursuivre. Ainsi non seulement le gouvernement pourrait renvoyer, devant un jury connu, un homme mis en accusation, mais il pourrait même n'ordonner la poursuite que lorsque le jury serait connu.
En effet, il ne faut pas toujours quinze jours pour entamer et finir une instruction et pour obtenir un arrêt de renvoi. Il en résulterait que, par ce moyen, le gouvernement pourrait faire comparaître l'auteur d'un article devant le jury qu'il croirait partager sa manière de voir, et cela dans une province autre que celle où l'article a été publié, et où le gouvernement souvent n'aurait pas osé poursuivre.
Voilà un danger que je signale, et il n'est pas imaginaire. Car comme j'ai eu l'honneur de vous le dire tout à l'heure, il a été question dernièrement encore de poursuivre l'auteur d'un article publié à Gand. On n'a reculé devant cette poursuite, que parce qu'on a su que la magistrature tout entière partageait l'indignation générale. Partout on a été indigné de voir qu'un homme qui à l'âge de 27 ans, avait, dans un moment d'exaltation, dans un moment de colère, commis un assassinat, était impitoyablement exécuté, alors qu’un homme qui avait empoisonné sa femme et cherché à empoisonner tous ses domestiques, avait obtenu line commutation de peine, alors qu'un homme condamné pour avoir assassiné sa mère par cupidité, pour être libéré d'une rente alimentaire qu'il lui faisait, avait eu une commutation de peine.
Ces faits, messieurs, avaient soulevé une telle indignation qu'un journal avait cru devoir les signaler. L'auteur de l'article a été sur le point d'être poursuivi. Eh bien, d'après la doctrine que vient d'exposer M. le ministre, il aurait pu être poursuivi dans une province où il eût été impossible d'apprécier la portée de l'article incriminé, les circonstances qui l'avaient fait publier.
Voilà le danger que je vous signale. Non seulement vous pouvez profiter d'un jury connu depuis les poursuites, mais encore, tout en arrachant un écrivain à ses juges ordinaires, vous pouvez le poursuivre devant un jury connu au moment de la poursuite.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. Delehaye s'est livré à des considérations tout à fait étrangères au projet de loi en discussion. Il m'a reproché d'avoir laissé faire à Gand line exécution qui aurait excité l'indignation générale. Cette indignation générale aurait été excitée, parce que d'autres individus, plus coupables et moins dignes de grâce, auraient antérieurement obtenu des commutations de peine. Je doute que M. Delehaye connaisse tous les détails de ces affaires et toutes les circonstances qui ont pu postérieurement se révéler.
Messieurs, je l'ai déjà déclaré dans une autre enceinte, je ne crois pas pouvoir accepter de discussion, lorsqu'il s'agit d'expliquer les motifs pour lesquels des exécutions capitales n'ont pas eu lieu. Si l'on critiquait des exécutions capitales qui auraient eu lieu, en s'occupant exclusivement de ces exécutions mêmes, alors je pourrais, dans certaines circonstances, ne pas faire difficulté de justifier la mesure prise, et d'expliquer pourquoi certains individus ont dû payer de leur tète les crimes qu'ils avaient commis. Mais jamais je n'accepterai, et pas plus que moi, je crois, aucun de mes prédécesseurs n'aurait accepté, et aucun de mes successeurs n'acceptera une discussion de la nature de celle dans laquelle l'honorable M. Delehaye voudrait m'engager.
M. Delehaye. - J'ai cité des exemples.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Est-ce que l'honorable M. Delehaye voudrait me convier à venir dire les motifs pour lesquels nuitamment une des deux personnes dont il parle n'a pas été exécutée ?
M. Delehaye. - Je connais les motifs.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si vous connaissez les motifs, il y a d'autres membres de cette chambre qui les connaissent aussi, et je suis persuadé que ces membres auront la loyauté de les déclarer.
M. Verhaegen. - Je demande la parole.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Mais, je le répète, je ne veux pas accepter de discussion sur ce point. S'il s'agissait de soutenir la théorie que j'ai soutenue au sénat, je serais prêt à la défendre encore, et je suis fâché de devoir le dire à l'honorable M. Lebeau, il a bien involontairement sans doute, mais il a complètement dénaturé ce qui s'est passé au sénat.
L'honorable membre a dit : « Au sénat, on a été tellement indigné de la déclaration qui avait été faite dans le Moniteur par M. le ministre de la justice, que cette assemblée a cru devoir protester. »
C'est, messieurs, précisément le contraire qui a eu lieu. Au sénat, un honorable membre avait pensé qu'en matière de grâce, il ne devait pas y avoir de responsabilité ministérielle, et c'est moi qui ai alors pris la parole et qui, d'accord avec un ami de l'honorable M. Lebeau, avec l'honorable M. de Haussy, ai combattu la doctrine de cet honorable sénateur. Ainsi, loin d'avoir dû rétracter les paroles qui se trouvaient dans le Moniteur, je les ai expliquées au sénat, alors qu'on voulait donner à ces paroles une extension qu'elles ne comportaient pas.
Revenant, messieurs, à l'examen de la loi, l'honorable M. Delehaye me prête un machiavélisme du reste impossible à réaliser ; ainsi, l'honorable membre suppose qu'un jury serait tiré à Namur, par exemple, que par une connaissance tout extraordinaire des individus, j'aurais pu à l'instant apprécier les opinions de ce jury, que j'aurais dit :« Voilà un jury qui me convient, » et que j'aurais alors à l'instant fait répandre dans la province de Namur quelques-uns des écrits qui auraient déjà été publics ailleurs pour faire intenter une poursuite ; mais avant de paraître aux assises, il faut y être renvoyé par une ordonnance de la chambre du conseil et un arrêt de la chambre des mises en accusation, et tout cela serait terminé assez à temps pour que ce jury, qui me conviendrait si bien, puisse connaître de l'affaire.
Messieurs, je demande si, en présence des délais nécessaires et que l'honorable M. Delehaye connaît sans doute, il est possible de supposer qu'une pareille manœuvre soit tentée et surtout soit réalisable.
L'honorable M. Delfosse pense, lui, que l'on pourrait choisir un, deux, trois jurys.
M. Delfosse. - Pas à la fois. Vous choisiriez celui qui vous conviendrait le mieux.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Bien. C'est ainsi que j'avais compris ce que vous avez dit.
Ainsi je choisirais dans un, deux ou trois jurys, celui qui me conviendrait le mieux.
L'honorable membre ignore probablement que les chambres des mises en accusation elles-mêmes ont des règles tracées, et qu'il ne dépend pas d'elles, encore moins de moi, lorsqu'un individu est renvoyé devant elles, (page 1314) de choisir le jury et de dire arbitrairement : Vous comparaîtrez devant la cour d'assises de Liège, devant la cour d'assises de Namur, ou devant la cour d'assises du Luxembourg.
M. Delfosse. - Il est évident que le gouvernement peut exercer de l'influence (interruption) sur les poursuites. Il peut exercer de l'influence sur certains magistrats de l'ordre judiciaire ; il peut dire : Poursuivez. (Interruption.) Il ne peut pas dire : Condamnez, mais il peut dire : Poursuivez. (Interruption). Je parle des magistrats sur lesquels le gouvernement exerce de l'influence. Je sais bien que les conseillers des cours d'appel sont inamovibles et indépendants. On ne doit pas dénaturer ma pensée.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne dénature pas la pensée de l'honorable M. Delfosse, niais qu'il me permette de le dire, je tachais de la rendre quelque peu raisonnable. Ce que dit l'honorable M. Delfosse revient absolument à ce que disait l'honorable M. Delehaye : l'influence que nous exerçons, nous ne l'exercerons que sur les membres du parquet ; nous pourrons donc donner l'ordre de poursuivre après que le tirage a été fait. Eh bien, j'ai prouvé tout à l'heure que l'ordre donné après le tirage rendait impossible le renvoi devant la cour d'assises, assez à temps pour que le prévenu pût être jugé par le jury déjà tiré.
J'ai donc le droit de dire, que loin de dénaturer la pensée de l'honorable M. Delfosse, j'avais cherché à trouver à cette pensée une explication raisonnable.
L'honorable membre se plaint toujours de ce que la défense pourrait être entravée. J'ai déjà cité un article qui serait appliqué par la magistrature, dans laquelle l'honorable membre a avec raison grande confiance, qui empêcherait certainement que la défense fût le moins du monde entravée, qui donnerait au prévenu le temps nécessaire pour préparer sa défense.
Quand il s'agit de délits ordinaires, combien de temps donne-t-on au prévenu pour préparer sa défense ? Combien de temps y a-t-il entre le jour de la citation et celui de la comparution ? Trois jours. Mais quand il s'agit de la presse, quand il s'agit d'un individu qui se sera permis de publier un libelle offensant contre le Roi ; oh ! alors il faudra sans doute lui donner bien d'autres garanties, il faudra lui accorder plus de temps qu'on n'en donne même à un accusé qui peut être exposé à porter sa tête sur l'échafaud !
J'ai encore un mot à dire sur l'article 261pour appuyer les observations faites par mes honorables amis, MM. de Garcia et Van Cutsem.
L'article 261 dit, que l'individu renvoyé devant une cour d'assises ne pourra être jugé pendant la session qui était ouverte au moment de son arrivée à la maison de justice, à moins qu'il n'y consente et que le procureur général ne le requière : mais en matière ordinaire, cet article, comme l'a dit l'honorable M. de Garcia, je pense, ne présente aucune espèce d'inconvénient. Vous ne pouvez pas supposer, et le législateur n'a pas supposé que bénévolement un individu demande à rester en prison, à retarder le jour où il sera jugé. S'il ne consent pas à être jugé pendant la session, c'est qu'il a des motifs puissants, pour n'y pas consentir. Mais si vous accordez le même droit au prévenu d'un délit de presse, cet individu, qui est en liberté, qui n'est pas retenu par la crainte de devoir rester en prison, cet individu refusera toujours, et c'est ce qui est, en effet, arrivé, il refusera toujours d'être juge pendant la session, il espérera peut-être mieux d'un jury suivant, il espérera que le souvenir du fait qu'il a posé se sera effacé. Il aura évidemment le plus grand intérêt à retarder le jour où il devra comparaître devant la justice.
C'est, messieurs, je le répète, ce qui existe en fait ; il n'est pas, je pense, un seul prévenu en matière de presse qui ait consenti à être jugé pendant la session ouverte au moment où il a été renvoyé devant la cour d'assises. En matière de crimes ordinaires, le contraire a toujours heu.
Ainsi, messieurs, des inconvénients existent dans l'état actuel des choses, ces inconvénients sont signalés par l'expérience, et il est important de les faire cesser. Je le répète, le procureur général près la cour de Bruxelles, qui a eu plusieurs fois à poursuivre des délits de presse, insiste fortement sur ce qu'il considère comme une des modifications les plus importantes à apporter à la législation.
M. le président. - M. Vanden Eynde propose de finir ainsi l'article 4 :
« Toutefois devant un jury autre que celui qui fonctionne au moment du renvoi. »
M. Vanden Eynde. - Messieurs, j'ai cru devoir proposer un amendement qui, je pense, rentre tout à fait dans les vues de la section centrale. Veuillez bien remarquer que l'article 4 parle du cas où l'affaire est renvoyée devant une cour d'assises déjà en fonctions, et le gouvernement veut que l'accusé ainsi renvoyé puisse encore être juge devant cette cour, contrairement à l'article 261 du Code d’instruction criminelle. Eh bien, messieurs, quel est l'esprit de l'article 261 du Code d'instruction criminelle ? Vous savez tous que sous le régime du Code d'instruction criminelle on ne tirait qu'une seule série, de 30 jurés, qui devait siéger pendant toute la session.
L'accusé qui arrivait ainsi à la maison de justice, alors que le jury était déjà connu, ne pouvait être traduit devant ce jury que pour autant qu'il y consentait. Par la loi de 1832 et ensuite par celle de 1838, on a permis, à raison du nombre des affaires et pour soulager les personnes appelées à remplir les fonctions de jurés, de diviser les affaires portées devant la cour d'assises en plusieurs séries, et que pour chaque série on tirât une liste de 30 jurés devant lesquels seraient portées les affaires que le président fixerait pour chaque série. Eh bien, par mon amendement je rentre entièrement dans le but de l'article 261, qui ne veut pas qu'on puisse traduire, sans son consentement, devant le jury déjà en fonction, un accusé qui arrive à la maison de justice, quand les assises sont ouvertes.
D'après mon amendement, le prévenu d'un délit de presse, renvoyé devant la cour d'assises, après l'ouverture des assises, ne pourra plus être jugé par le jury qui fonctionne au moment de son renvoi. Ce système est parfaitement conforme à celui de l'article 261 du Code d'instruction criminelle. Je pense donc que mon amendement peut très bien remplacer celui de l'honorable M. Orts.
M. Orts. - Je me rallie à l'amendement de M. Vanden Eynde.
M. Verhaegen. - J'ai demandé la parole, messieurs, parce que M. le ministre de la justice a fait un appel à ma loyauté, et cet appel ne m'aura pas été fait en vain.
Messieurs, je suis trop souvent obligé d'attaquer M. le ministre de la justice, pour ne pas me mettre d'accord avec lui, lorsqu'il a raison.
Je n’ai pas à examiner si les grâces qui ont été accordées à Gand l’ont été convenablement ; je n’entre pas dans cette question ; il ‘y a qu’un seul point sur lequel je doive donner des renseignements, parce qu’il m'est en quelque sorte personnel.
On a reproché à M. le ministre de la justice la grâce d'un homme condamné à mort comme convaincu d'avoir empoisonné sa femme. Eh bien, messieurs, je dois dire que si je m'étais trouvé à la place de M. le ministre de la justice, je n'aurais pas une heure de repos, si j'avais refusé cette grâce.
Voici d'ailleurs les faits :
L'homme auquel on a fait allusion, avait été condamné par la cour d'assises de Gand, non seulement pour avoir empoisonné sa femme, mais encore pour avoir tenté d'empoisonner tous ses domestiques.
L'affaire fut portée devant la cour de cassation ; elle me fut recommandée par un de mes amis de Gand, M. Rolin, qui y attachait la plus haute importance, parce qu'il avait la conviction que son client n'était pas coupable ; sa conviction, puisée dans les débats, se fortifiait par le fait que c’étaient les parents de la femme qui l’avaient engagé à se charger de la défense.
Je suis parvenu à obtenir la cassation de l'arrêt et l'affaire fut renvoyée devant la cour d'assises de Bruges. A Bruges, le jury répondit négativement sur la question relative à la tentative d'empoisonnement contre les domestiques, et, de ce chef, l'accusé fut acquitté ; quant à l'empoisonnement sur la femme, le jury répondit affirmativement à la simple majorité de 7 voix contre 5, et la cour se joignit à la majorité du jury. On apprit plus tard qu'un des jurés de la majorité avait perdu la raison !
Eh bien, la main sur la conscience, je vous le demande, messieurs, auriez-vous osé faire exécuter cet homme ? Aucun de vous n'aurait pris sur lui cette responsabilité. Chez moi il y avait plus que du doute, et pour la première fois depuis que M. d'Anethan est au ministère, je m'adressai a lui et je lui démontrai tous les dangers d'une exécution capitale, en lui exposant les phases des deux épreuves criminelles que le condamné avait, subies. M. le ministre a appuyé la demande en grâce, et il a bien fait.
Des membres. - Très bien.
M. Lebeau. - Messieurs, je ne voudrais pas prolonger l'incident qui a été soulevé par M. le ministre de la justice, lorsqu'il a prononcé tout à l'heure mon nom. J'ai dit, et je crois avoir été narrateur fidèle des faits ; j'ai dit que M. le ministre de la justice avait tenu, dans le sein du sénat, un langage tout différent de celui qu'il avait tenu dans le Moniteur.
Je déclarerai tout d'abord que je comprends parfaitement que dans l'exercice du droit de grâce, la discussion, si elle n'est pas toujours impossible, et vous venez d'en avoir la preuve ; si elle n'est pas toujours impossible, est du moins parfois bien difficile, bien dangereuse. Mais ce contre quoi je m'étais élevé, c'est contre cette doctrine, consignée au Moniteur, résultant, sinon de la volonté du rédacteur, au moins du texte même : qu'il y avait telle prérogative qui était inhérente à la personne du Roi et qui dès lors n'engageait pas, après son exercice, la responsabilité ministérielle.
J'aurais compris qu'on dît qu'il y avait certain exercice de la prérogative qui ne pouvait pas convenablement tomber dans la discussion, à l'égard duquel un ministre pouvait, sous sa responsabilité personnelle, à ses risques et périls, décliner tout débat parlementaire. Mais dire, comme on l'a imprimé, et je commence à croire, d'après ce qu'on a énoncé au banc ministériel, qu'on n'a pas rendu la véritable pensée du cabinet ; mais dire qu'il y a des prérogatives inhérentes à la personne royale, en opposition avec les prérogatives de la Constitution, c'était là une doctrine contre laquelle je croyais devoir protester, à l'instar, quoi qu'on en dise, de ce qui a été fait au sénat. Voilà toute la question.
M. Delfosse. - Je n'ai qu'un mot à répondre à M. le ministre de la justice.
La confiance que la magistrature doit inspirer n'est pas suffisante en matière de presse ; le congrès a pensé qu'il fallait en cette matière d'autres garanties que l'inamovibilité et l'indépendance des magistrats ; la Constitution a voulu l'intervention du jury. Je me tiens donc dans l'esprit de la Constitution lorsque je réclame, pour ceux qui sont accusés d'un délit de presse, des garanties qui ne dépendent ni des officiers du parquet, ni des cours d'appel, et je crois n'offenser en cela ni la raison, ni la magistrature.
- La clôture est demandée.
M. Delehaye (contre la clôture). - Je suis, en quelque sorte, dans (page 1315) le cas de pouvoir demander la parole pour un fait personnel. (Interruption.)
Messieurs, celui qui croit avoir à répondre à un fait personnel en est seul juge. Il n'appartient pas au président d'apprécier la question, s'il a été donné lieu oui ou non à un fait personnel. Je dirai donc que je n'ai point blâmé le droit de grâce dont il a été fait usage en faveur d'un individu condamné pour empoisonnement exercé sur sa femme. Je n'ai ni blâmé ni approuvé ce fait. Mon honorable ami Verhaegen n'avait donc nul besoin de se justifier de ce chef. J'ai dit et je persiste à dire que l'exécution d'un homme condamné pour assassinat commis dans un moment d'emportement, était, en présence de la grâce accordée, un véritable scandale.
M. Fleussu (contre la clôture). - Messieurs, j'ai une observation toute nouvelle à présenter ; je veux établir un rapprochement entre la disposition nouvelle et l'article 7 du décret sur le jury. Je voudrais appeler l'attention du gouvernement sur ce point, pour ne pas compromettre le sort d'une disposition existante.
Messieurs, d'après l'article 11 du projet, qui n'est pas retiré par M. le ministre de l'intérieur, mais qui est seulement disjoint de la loi ; il est probable que M. le ministre de la justice reviendra à son opinion, quand on discutera ce projet dans les sections. Alors, si son opinion triomphe, il en résultera que la procédure que vous établissez maintenant, s'appliquera à tous les délits de presse en général. Quand un fonctionnaire se plaindra d'un délit de presse, par exemple, d'après le décret du congrès, le prévenu a le droit de faire entendre des témoins pour établir la preuve des faits qu'il a avancés ; la liste des témoins doit être modifiée, si je ne me trompe, dans le délai de 15 jours à partir du jour de la mise en accusation. D'un autre coté le ministère public et la partie intéressée ont le même délai pour faire une contre-enquête s'ils le jugent à propos. Je demande si avec la disposition du gouvernement on pourra encore observer les délais que je viens de rappeler.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'article porte : Si les délais le permettent.
Un membre. - M. le ministre se rallie-t-il à l'amendement de M. Vanden Eynde ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je m'y suis rallié.
- La clôture est prononcée.
L'amendement de M. Vanden Eynde est mis aux voix et adopté.
M. le président. - L'article 4 se trouverait conçu comme suit :
« Art. 4. Par modification à l'article 261 du Code d'instruction criminelle, les individus renvoyés devant la cour d'assises du chef d'un des délits prévus par la présente loi, seront jugés, si les délais le permettent, dans la session des assises ouverte au moment de la prononciation de l'arrêt de renvoi, toutefois devant un jury autre que celui qui fonctionne au moment du renvoi. »
- L'ensemble de l'article 4 ainsi amendé est également adopté.
La discussion est continuée à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.