(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1045) M. Van Cutsem fait l'appel nominal à midi trois quarts.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Van Cutsem présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
«.« L'administration communale d'Alost présente des observations contre le projet de loi de répartition des représentants entre l'arrondissement d'Alost et celui de Termonde. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« L'administration communale de Gand demande que la réduction des péages sur la Sambre canalisée, qui a été réclamée par l'association charbonnière du bassin de Charleroy, soit appliquée aux transports destinés à la consommation intérieure, comme à ceux destinés à l'exportation. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réduction de certains péages sur la Sambre canalisée.
« Plusieurs propriétaires des cantons de Seraing-sur-Meuse, HoIlogne-aux-Pierres et du canton sud de la ville de Liège demandent la prompte discussion du projet de loi sur le notariat. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« Le sieur Henry, propriétaire des forges de Lasoye, près Virton, se plaignant des retards que l'on met dans l'expédition des lettres venant de France en destination du Luxembourg et de leur tarification élevée, demande qu'il soit conclu une convention postale entre la Belgique et la France. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Dumoulin demande une loi qui permette de se libérer du service militaire moyennant une prime à payer à l'Etat et fixée annuellement par le pouvoir législatif. »
- Même renvoi.
« Le sieur Ad. Raikem présente des observations sur le projet de loi qui apporte des modifications au décret du 20 juillet 1831 et au Code d'instruction criminelle. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
« Le sieur Chantraine réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le décompte de la somme qu'il a versée à la caisse du régiment après l'incorporation du remplaçant de son domestique. »
M. Lesoinne. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Les bourgmestres du canton d'Oordegem prient la chambre de leur faire obtenir du gouvernement un nouveau crédit pour mesures relatives aux subsistances. »
M. Desmet. - Ce sont quelques communes du district d'Alost qui s'adressent à la chambre pour demander que le gouvernement leur accorde un second subside pour entretenir leurs pauvres.
Je propose le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« M. Jules Heger fait hommage à la chambre d'un exemplaire des « Fastes historiques de la Belgique », par M. le chevalier Marchal.
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le président. - La chambre a chargé le bureau de nommer une commission pour l'examen du projet de loi qui autorise le gouvernement à dispenser d'une partie des examens universitaires les élèves de l'université de Bologne. Le bureau a désigné pour faire partie de cette commission, MM. Orts, Dubus (aîné), de Brouckere, Scheyven et Lys.
M. le président. - La parole est à M. le ministre de l'intérieur pour la présentation d'un projet de loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - M. le président, c'est moins un projet de loi qu'une addition à la demande de crédits supplémentaires présentée pour le département de l'intérieur.
Dans la discussion du budget de l'intérieur, j'ai annoncé qu'il y aurait un déficit sur les fonds de 1846 ; ce déficit s'élève à 54,493 fr.
D'autre part, en déposant le rapport sur l'emploi des fonds de deux millions, j'ai annoncé également que les primes pour l'importation des pommes de terre ayant dépassé le chiffre que l'on avait supposé, il y aurait de ce chef un déficit. Ce déficit est de 62,000 fr.
Ce sont donc deux crédits qu'il faudrait couvrir. Je demande que cette proposition soit renvoyée à la commission chargée de l'examen des autres demandes de crédits pour le département de l'intérieur, pour en faire l'objet d'un seul et même rapport.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces demandes de crédits ; elles seront imprimées et distribuées.
Elles sont renvoyées à l'examen de la commission indiquée par M. le ministre de l'intérieur.
M. Le Hon. - Messieurs, le projet de loi qui vous est soumis touche à la base de nos institutions, à l'intérêt le plus grave du pays. A ce titre, il mérite de fixer l'attention de la chambre.
Les orateurs qui m'ont précédé, l'ont envisagé sous différents aspects. Le premier d'entre eux a examiné, avec un soin particulier, les règles de la répartition des représentants et des sénateurs entre les provinces et les arrondissements. Je dirai quelques mots, à ce sujet, tout à l'heure. Je m'attache d'abord à une question qui m'a paru plus grave : c'est la portée constitutionnelle des articles 49 et 53 de la Constitution. Je ne les ai pas vus mentionnés dans les préliminaires du projet de loi ; ils me semblent y avoir été complètement omis.
Pour juger d'un point de vue élevé les considérations qui se rattachent à cette question, il importe de se rendre bien compte de la pensée qui dominait dans le congrès, lorsqu'il organisa notre nouvel état politique. Quelques années avant les commotions de 1830, un dissentiment profond avait éclaté entre le pouvoir royal et les états généraux des Pays-Bas.
Malgré les principes d'une constitution réputée libérale pour ce temps-là ; malgré des lumières et une expérience que l’on ne saurait méconnaître, le chef de l'Etat persistait à dénier le caractère représentatif des institutions, la responsabilité ministérielle et le droit de refuser les subsides. Ces prétentions avaient donné naissance à une sorte de gouvernement personnel, amalgame confus des idées, des principes et des actes les plus contraires. Une lutte s'engagea entre le pouvoir et les forces vives de l'opinion publique, lutte dont le dénouement appartient désormais à l'histoire. C'est sous l'impression de ces souvenirs, que le congrès, en élevant l'édifice de notre monarchie, s'attacha particulièrement à le fonder sur les bases les plus larges et dans les conditions les plus complètes du gouvernement représentatif. Il plaça dans l'élection directe la source de tous les pouvoirs : il institua deux chambres électives ; il décréta la règle du rapport proportionnel entre la représentation nationale et la population du pays.
Les articles 49 et 53 portent, en effet, que la loi électorale fixera le nombre des députés et des sénateurs, d'après la population. Ils ajoutent que ce nombre ne pourra excéder un député par 40,000 habitants ; un sénateur, par 80,000. Des doutes se sont élevés sur la portée exacte de ces dispositions. M. le ministre de l'intérieur, si j'ai bonne mémoire, m'a paru les partager dans votre session dernière. J'en retrouve même des traces dans un passage du rapport de la section centrale, qui avait échappé à mon attention, lorsque j'assistais à sa lecture. Ce passage est ainsi conçu :
« Cependant la population s'était accrue depuis la révolution, et bien que la Constitution ne fît pas un devoir d'augmenter le chiffre des membres des chambres, cette augmentation fut réclamée : comme elle était justifiée par la diminution du nombre des membres du parlement à la suite des événements politiques de 1839, un recensement fut ordonné dans le but de réviser le tableau des représentants et des sénateurs. »
J'avoue, messieurs, que si je comprends bien cette énonciation, elle veut dire que vous êtes appelés à procéder aujourd'hui à l'augmentation du nombre des membres des chambres, parce qu'en 1839 on lui a fait subir une réduction ; en d'autres termes, votre loi serait une mesure spéciale, exceptionnelle, qui aurait sa cause, non dans la Constitution, mais dans un fait isolé.
Ce n'est pas ainsi que j'ai conçu et la loi qui vous est présentée et le sens propre des articles qu'il s'agit d'appliquer. Assurément, le congrès n'a pas fait comme la plupart des constitutions américaines ; il n'a pas dit, comme celle du Tenessée, que l'assemblée générale (c'est ainsi qu'on appelle en Amérique les assemblées législatives) serait renouvelée tous les sept ans ; qu'à l'expiration de chaque période septennale, on ferait un dénombrement de tous les habitants soumis aux taxes, et qu'à cette époque, d'après le résultat du dénombrement, le nombre des députés serait de nouveau fixé.
Une disposition aussi précise n'est compatible qu'avec un renouvellement intégral, et ce n'est pas notre système.
En pesant bien la rédaction des articles 49 et 53, telle qu'elle est conçue, on arrive à se convaincre qu'elle était la seule convenable pour mettre la composition des chambres en harmonie régulière avec la population progressive du pays, sans amener la nécessité de recensements et de révisions à époques fixes.
En effet, messieurs, il n'y avait que trois manières de formuler ces articles : ou d'assigner une limite maximum à l'application du principe proportionnel qu'on avait posé ; ou, dire en termes impératifs, qu'il y aurait un député par 40,000 habitants, ce qui eût obligé à une révision annuelle, sous peine de voir invalider les actes du pouvoir législatif ; ou bien, adopter cette proportion pour minimum, et c'eût été abandonner (page 1046) à la législation future l'extension indéfinie des membres delà représentation nationale.
Le système de rédaction qu'on a adopté, m'a paru, après l'avoir examiné avec soin, le seul peut-être qui pût tout à la fois rendre l'idée d'une limite appliquée à la règle de proportion et laisser une latitude aux législateurs pour l'appréciation des circonstances dans lesquelles l'équilibre rompu pourrait être établi.
Au reste, messieurs, mon opinion a pour elle l'autorité d'un témoignage irrécusable ; c'est celle du rapport qu'a présenté M. Raikem sur l'article 49 de la Constitution dans la séance du congrès du 24 décembre 1830.
Voici comment il s'exprimait :
« Le travail des sections a donné lieu aux trois questions suivantes :
« 1° Le nombre des députés sera-t-il fixé par la Constitution ?
« 2° Déterminera-t-elle le maximum ?
« 3° Etablira-t-elle le principe que le nombre de députés sera calculé sur la population ?
« La section centrale a résolu négativement les deux premières questions.
« Elle a donné une résolution affirmative sur la troisième. »
Dans la séance du 6 janvier 1831, le congrès a adopté l'article 49 sans discussion.
Devant ce commentaire officiel, le doute me semble impossible.
Il y avait donc, messieurs, plus que convenance et utilité de réparer par une compensation le vide qu'avait fait dans vos rangs la loi de 1839 ; il y avait nécessité constitutionnelle. Je vais plus loin ; la nécessité était urgente. En effet, aucun recensement de la population n'avait eu lieu depuis 17 ans.
En 1839, on avait réduit le chiffre de la représentation nationale, sans égard aux accroissements successifs qu'une série de dix années avait apportés à la population.
Enfin le recensement de 1846 constate l'existence de 4,335,000 habitants et, dans ce nombre, 565,000 n'étaient pas représentés. A quelles provinces appartenaient ces derniers ? Aux plus industrieuses, aux plus commerçantes, aux plus agricoles du pays : au Brabant pour 130,000, au Hainaut pour 115,000, à la province de Liège pour 92,000, à la Flandre orientale pour 71,000. Ainsi les provinces qui ont le plus d'intérêts engagés dans toutes les questions de finances, d'impôt et de législation douanière, n'avaient pas, dans la représentation et dans la discussion de ces intérêts, la part que la Constitution leur a faite.
Le pays avait manifesté ses sentiments sur cette situation anormale ; depuis trois ans les conseils provinciaux de plusieurs provinces avaient réclamé par des vœux unanimes l'augmentation du nombre des membres des chambres et leurs voix avaient eu de nombreux échos dans cette enceinte. Le ministère n'a pas ambitionné l'honneur de l'initiative ; mais je dois le reconnaître, il a cédé d'assez bonne grâce aux pressantes impulsions qu'il a reçues de toutes parts.
Le projet de loi apprécié du point de vue où je viens de me placer, et considéré non comme une mesure exceptionnelle, mais comme l'exécution régulière, obligatoire des articles 49 et 53 de la Constitution, articles dont je regrette l'absence dans les considérants de la proposition ministérielle, le projet de loi, dis-je, me semble satisfaire, à beaucoup d'égards, à l'attente du pays.
Je vois, en effet, un rapport exact établi entre le nombre des députés et des sénateurs, et le chiffre de la population. La règle de répartition adoptée est celle de 1831. On supprime toutefois les alternats qui avaient, j'en conviens, d'assez graves inconvénients.
Mais quel est le système de 1831 ? On ne paraît pas sur ce point tout à fait d'accord. Est-ce le système des compensations alternatives entre les déficits et les excédants, ou bien est-ce la règle d'un droit relatif attribué aux fractions les plus fortes ?
Quant à la répartition entre les provinces, aucune compensation ne me paraît avoir été nécessaire ; on a appliqué la règle des excédants. Sur 108 députés, 104 seulement, par suite de l'inégale population des provinces, ont pu être répartis entre toutes sur le pied d'un député par 40,000 habitants ; les quatre restants ont été attribués au Hainaut, à la Flandre orientale, au Luxembourg et au Limbourg, qui présentaient les excédants les plus forts.
Mais, messieurs, la difficulté est plus grande entre les arrondissements, et c'est là que M. le ministre de l'intérieur vous propose l'expédient d'un système de compensation en faveur des arrondissements de Verviers et de Termonde.
J'avouerai que je n'ai pas pu me rendre compte de ces deux exceptions à un système dont je vois l'application dans presque tous les articles de la loi. C'est ainsi qu'attribuant un député de plus à Soignies à raison d'un faible excédant constaté par le dernier recensement, on n'a eu aucun égard à la supériorité de population qu'avait conservée le district d'Ath pendant 20 ans, jusqu'en 1845, ni aux objections sérieuses qu'il avait faites au gouvernement sur l'exactitude des résultats de 1846.
Quand on applique aussi rigoureusement une règle, il faut de très graves motifs pour y déroger.
Dans les observations que M. le ministre de l'intérieur a opposées au système de l'honorable M. Lebeau, il a fait valoir les considérations d'équité. C'est aussi l'équité que j'invoque, moi, contre la proposition ministérielle. Car, si vous proclamez le droit relatif des excédants, il faut que ce droit produise quelque chose et qu'il ne soit pas neutralisé par une concession faite à des chiffres plus faibles. Eh bien, si un district se trouve en excédant tout à la fois dans la colonne des députés et dans celle des sénateurs, il est évident que son intérêt comme son droit est d'avoir et un députe et un sénateur supplémentaires, pour être efficacement représenté dans l'une et l'autre chambre ; sinon quel est donc le profit que votre équité accorde à la fraction la plus forte, si alors que vous lui donnez le représentant, vous attribuez le sénateur à une autre fraction plus faible ? en un mot, si l'on peut défaire au sénat ce que l'autre aura fait à la chambre ? L'équité et la justice recommandent donc le système que je viens d'exposer et repoussent celui du projet de loi.
Les considérations dans lesquelles je suis entré, vous font pressentir que j'adhère à l'amendement de l'honorable M. Lebeau. J'y adhère sans aucun intérêt de localité, mais par respect pour la règle établie et pour les droits qu'elle a créés.
J'ai remarqué, à la suite du rapport de la section centrale, un résumé général qui m'a fait impression ; et comme il pourrait la produire sur d'autres esprits, j'ai voulu savoir ce qu'il y avait d'exact dans la combinaison des chiffres présentés. J'ai vu que les villes ont un électeur sur 68 habitants en moyenne ; et que les campagnes n'en compteraient qu'un sur 109. Il serait naturel d'induire de là que les campagnes sont moins représentées que les villes.
Il n'en est rien, et bien loin de là, j'ai trouvé la preuve que les intérêts des campagnes ont une part de représentation plus forte que ceux des villes.
Je laisse de côté l'usage des républiques américaines, où l'on n'a jamais égard, pour déterminer le nombre des députés, qu'à celui des contribuables, c'est-à-dire des habitants soumis aux taxes. Nous avons des principes plus libéraux dans notre Constitution. La population tout entière est comptée. C'est donc un avantage réel pour la population pauvre et pour celle qui ne paye pas le cens.
Mais en appréciant les faits dans leur réalité, j'arrive au résultat suivant : Deux éléments doivent être combinés pour déterminer le degré de représentation relative, la population et le nombre des électeurs. Ce dernier élément, on peut le dire, est le principal. Eh bien, j'ai vérifié que sur 29,673 électeurs les campagnes obtiennent 80 députés ou 2 69/100 par mille, tandis que les villes, pour 15,711 électeurs, n'ont que 28 députés ou 1 18/100 par mille. L'avantage, on le voit, est pour les intérêts des campagnes, et il ne faut pas oublier que le cens électoral de ces dernières n'est en moyenne que de 25 florins, lorsqu'il s'élève à 60 florins dans les villes. Nous produisons ces chiffres comparatifs, non dans la vue de provoquer un changement immédiat au système actuel, mais pour prévenir les erreurs que le résumé général publié pourrait accréditer au dehors. Je ferai remarquer, en passant, comme complément de mes calculs, que la proportion d'un député par 40,000 habitants répond à celle d'un député par 420 électeurs.
Messieurs, ce n'est pas tout d'obéir à la lettre de la Constitution, il faut encore en vivifier l'esprit. L'élément matériel du nombre n'est pas le seul qui donne au parlement le caractère représentatif ; il a pour complément nécessaire un élément moral, la vérité de l'élection. Elle seule assure aux chambres leur indépendance et leur considération, conserve au gouvernement sa force et sa dignité, forme les mœurs politiques et fortifie le sentiment national.
Je crois ne pas m'écarter du sujet de cette discussion en vous résumant quelques réflexions sur les moyens de compléter aussi la partie morale de notre système représentatif.
Je ne veux citer les faits que dans leurs rapports avec les principes ; je ne parlerai du passé que comme enseignement de l'avenir ; c'est vous dire assez qu'en entrant ici j'ai rejeté loin de moi tout souvenir qui pourrait obscurcir ou passionner mon jugement sur les hommes ou sur les choses ; c'est à ce point de vue que je vous prie d'interpréter mes intentions et mes paroles.
En Belgique, trois forces sociales sont en présence dans les élections : les partis, le pouvoir, le clergé. Vous voyez que je une tourne pas la difficulté ; je l'aborde de front. En général on m'a paru se former une fausse idée parmi nous de ce qu'on appelle les partis. Dans les Etats libres, le pouvoir n'est autre chose qu'un système politique qui a l'appui d'une majorité parlementaire.
Tout autre système, toute opinion considérable qui compte de nombreux adhérents dans le pays, s'élève à l'état de parti ; de minorité qu'elle est d'abord, elle aspire à devenir majorité ; c'est son droit ; la lutte qui s'engage entre les systèmes contraires, jette de vives lumières sur les questions et de politique intérieure et d'intérêt social. Le pays qui offre les exemples les plus dignes d'être imités, en ce genre, soit dans les actes, soit dans les mœurs, c'est assurément l'Angleterre. Eh bien, messieurs, c'est aux partis, c'est à l'opinion courageuse, ferme et persévérante qui les constitue, qu'elle a dû, depuis le commencement de ce siècle, les grands actes politiques qui ont eu le plus de retentissement eu Europe. La réforme politique de 1832, l'émancipation des catholiques, l'abolition de la législation aristocratique des céréales, et le changement complet de son système commercial, ont été l'œuvre de la persévérance des partis.
Aussi, les hommes éminents de cette nation, whigs ou torys, s’honorent-ils d'appartenir à un parti et d'y être fidèles. Je les ai vus de près à l'étranger, et je puis dire que j'ai trouvé entre eux ces relations d'estime (page 1047) et de bienveillance qui doivent exister entre tous les hommes qu'anime un égal amour du bien public, quoiqu'ils soient divisés sur les moyens de l'accomplir. Après ces explications sur l'acception saine du mot dans les Etats constitutionnels, je puis dire, sans blesser aucune prévention, que deux grands partis divisent la Belgique ; l'un s'appelle le parti libéral, l'autre... j'éprouve comme l'honorable M. Castiau, quelque embarras de le nommer ; il paraît être à la recherche d'un nouveau nom ; mais jusqu'à ce qu'il soit fixé, il me permettra de lui donner celui qu'il se glorifiait de porter en 1830.
Le libéralisme belge a une signification particulière généralement inconnue en Europe : toutes les libertés qu'attendent encore les autres peuples étant consacrées d'une manière absolue par notre droit public, il ne veut, lui, que la Constitution, toute la Constitution, avec la juste et saine application de ses principes à tous les intérêts et à tous les droits. N'ayant rien à conquérir, sa mission est de conserver, et à ce titre, il s'appellerait plus exactement le parti constitutionnel. Le parti catholique a un égal attachement pour nos institutions et leurs principes ; mais il diffère essentiellement du parti libéral, quant au mode et à la mesure de leur application. Il admet l'intervention indirecte du clergé dans le domaine civil, soit comme agent modérateur de l'esprit de liberté, soit comme un soutien qu'il croit nécessaire à la faiblesse du pouvoir.
Je respecte, au même degré, ces deux opinions dès qu'elles sont sincères. Il n'y a là rien que de légitime, que d'honorable. Mais il faut les avouer hautement et les professer avec franchise, pour qu'elles prennent dans le parlement la place qu'elles ont dans le pays.
En effet, ne vous le dissimulez pas : on aura beau vouloir fermer les portes de cette enceinte aux hommes indépendants qui ont l'ambition d'y venir défendre les intérêts publics : l'opinion qu'ils représentent, si elle est considérable, saura bien les leur ouvrir ; et c'est là un des bienfaits de nos institutions ; car il importe à l'Etat que les opinions puissantes soient représentées ici, dans la crainte qu'elles ne le soient plus tard et plus activement ailleurs.
Quand les partis sont livrés à leurs forces respectives, ils apportent dans les luttes électorales un concert et des efforts proportionnés à leurs chances probables de succès. Mais s'il arrive que le pouvoir descend dans l'arène, et que, s'alliant à l'un d'eux, il le soutient par les immenses moyens dont il dispose ; alors, dans l'autre parti, les rangs se serrent, la force se discipline, l’action s'organise, et il se forme, ce que vous avez vu, des associations.
C'est là une des conséquences de la liberté générale ; c'est, de plus, une manifestation légale, instructive, imposante quand elle éclate sur tous les points du pays ; dans les circonstances actuelles, c'est le contrepoids que l'énergie d’une grande opinion oppose à deux forces hiérarchiques coalisées.
Si quelque chose m'a étonné, c'est la surprise du ministère devant ces associations. Elles sont l'ouvrage du pouvoir : la cause ne peut pas protester contre ses effets. Puisque la lutte est engagée entre les deux systèmes qui partagent le pays, les résultats prouveront bientôt lequel a pour lui les plus grandes forces de l'opinion. Je ne saurais, d'ailleurs, m'associer aux craintes que semblent inspirer les associations formées en vertu d'un droit constitutionnel, au grand jour, et livrant leurs délibérations et leurs actes à la publicité. Pour vous rassurer, 'je vous rappellerai que deux révolutions ont éclaté naguère en des pays où des réunions politiques et même littéraires, de plus de vingt personnes, ne pouvaient se former sans l'autorisation du gouvernement. Je vous ai dit que les ministères ne sont que les représentants d'un système qui peut être combattu par les organes d'un système contraire.
Il suit de là que l'institution du gouvernement est en dehors des attaques dirigées contre un cabinet. Celui-ci a pour juge de ses tendances et de ses actes la majorité des chambres, et cette majorité est jugée à son tour au tribunal suprême des électeurs.
Je demande comment cette juridiction politique dont le sens est clair et le but bien déterminé nous offre à chaque élection un spectacle qu'on a peine à comprendre. On ne croirait pas que c'est un grand jury qui s'assemble pour prononcer sur l'usage qu'on a fait d'un mandat ou sur la direction qu'on a imprimée aux affaires. Il semble que ce soit un combat à outrance ou toutes les violences, toutes les ruses, toutes les manœuvres de l'intimidation et de la corruption sont permises pour réussir.
Ce n'est pas ainsi que les ministres promettaient d'appliquer nos institutions et de respecter la liberté de l'électeur, lorsqu'en 1842 on vint, parmi vous, dénoncer des fraudes électorales. J'ai lu avec une grande attention, la discussion qui s'ouvrit à ce sujet.
La loi répressive présentée à cette époque avait reçu ce titre imposant : Pour assurer l’exécution régulière et uniforme de la loi de 1831. J'ai trouvé dans les discours ministériels de fort belles maximes sur la sincérité du gouvernement représentatif, sur la spontanéité des votes ; j'ai remarqué surtout le respect profond que le ministre qui a pris le plus de part à ces débats, déclarait professer pour la liberté électorale.
Eh bien, quand j'ai comparé les discours de 1843 aux faits électoraux de cette même année et des années suivantes, j'ai trouvé que ce qu'on avait appelé l'exécution régulière et uniforme de 1851 n'était autre chose, en pratique, qu'un système plus complet de manœuvras et de fraudes. Je n'ai jamais assiste à des luttes plus vives, plus passionnées, plus violentes même.
Je sais que les habiles du genre prennent en pitié les scrupules sur les moyens et visent par-dessus tout au succès. Ils adorent la théorie des faits accomplis : mais de plus habiles qu'eux ont péri à l'œuvre, et c'est le pays qui toujours finit par payer les frais de leur ambition et de leur audace. J'ai vu les joies du gouvernement des Pays-Bas quand une loi de funeste mémoire, la loi-moulure, fut adoptée dans les états généraux à la majorité d'une seule voix. Une décoration fut attachée aussi sur la poitrine du Belge qui, se séparant, dans ces circonstances, de ses collègues du Midi, avait voté avec les députés du Nord. Je vous le demande, un tel service n'a-t-il pas été plus fatal à ce gouvernement que n'auraient pu l'être les plus vives attaques de l'opposition et de la presse ?
En 1828, d'innombrables pétitions en redressement de griefs furent adressées à la seconde chambre. Je proposai, de concert avec un député d'Amsterdam, de les transmettre au Roi en leur donnant notre appui. Cette proposition ayant été accueillie par la seconde chambre, on la fit rejeter par la première ; on croyait sans doute enterrer les griefs avec les plaintes ; l'opinion publique méconnue et dédaignée se vengea cruellement de ce mépris. C'est là où conduit la théorie des petits succès quand même et des majorités de fait.
Je parle de ces abus dans l'intérêt du pouvoir lui-même, car il ne faut pas qu'il croie se fortifier par de tels moyens. Le pouvoir a le droit d'exercer une influence légitime sur l'esprit des électeurs. Mais cette influence a ses bornes. Il ne faut pas qu'on prétende repousser des candidats par des violences que l'on emploierait à peine si on avait à défendre son bien contre des malfaiteurs qui tenteraient de l'envahir. Le pouvoir est un dépôt dans les mains des ministres, il n'est pas une propriété ; ils doivent le défendre comme une conviction, non comme un intérêt.
On a parlé de ce qui se passe dans quelques Etats voisins qui nous ont précédés de longtemps dans la carrière représentative, en Angleterre et en France ; je sais qu'on y peut trouver des actes scandaleux de corruption ; mais on ne m'a pas dit encore qu'en Angleterre, par exemple, ces odieuses manœuvres aient été en usage à l'état de système, 17 ans après la révolution de 1688, ou seize ans après l'avènement de Guillaume III. C'est ce à quoi on devrait réfléchir.
Je ne crois pas que les jeunes nationalités doivent imiter les anciennes en s'empressant d'adopter leurs vices. Je pense que nous avons mieux à faire, que nous pouvons emprunter à l'Angleterre et à la France des exemples utiles et féconds.
Je ne fais, croyez-le bien, aucun rapprochement d'époque et de circonstances, mais je viens dire que rien n'est plus dangereux que de méconnaître la voix de l'opinion publique.
Le pays veut dans le pouvoir civil l'indépendance, la moralité et la justice, seules bases de sa force. La dépendance du pouvoir l'humilie, l'immoralité et l'injustice l'irritent, la faiblesse l'inquiète. Il est vrai que chaque ministère a la prétention d'être indépendant, moral et juste ; mais il devrait l'être un peu moins dans l'intention et beaucoup plus par les actes.
D'ailleurs un ministère a tout à gagner dans la voie que je lui ouvre. Un homme d'Etat qui succombe dans une lutte honorable se relève souvent plus grand, plus fort après sa chute ; il est au contraire des succès qui renversent sans retour et tuent les plus hautes capacités politiques. C'est assez vous dire que quand les ministres resteront dans les voies que trace la Constitution, qu'ils respecteront la vérité de l'élection sans laquelle il n'y a pas de gouvernement représentatif, quel que soit le simulacre de délibérations parlementaires, ils seront assez forts, assez influents pour n'avoir pas besoin de rechercher dans une autre sphère, dans un autre domaine, des appuis et des auxiliaires. Ceci me mène à vous élire quelques mots du clergé.
Assurément aucun sentiment hostile ne me porte à vous en parler ici. Nous savons tous ce que méritent d'égards et de respect les ministres d'une religion qui est dans toute société humaine le principe et la base de l'ordre moral. Nous avons été en communauté de principes et d'idées avec beaucoup de ses membres. Mais le clergé ne peut ignorer qu'il vit au milieu de populations restées fidèles à la foi et au culte de leurs pères ; que, dès le premier jour de son indépendance, la nation a consacré dans le code de son droit public, les droits, les libertés, les franchises, en un mot l'indépendance du sacerdoce spirituel ; qu'elle a placé ces libertés sous la garantie inviolable de la constitution du pays ; qu'on ne peut pas y porter atteinte sans bouleverser toutes les institutions, sans attaquer les droits de l'Etat lui-même ; et si pareille violation était commise, soyez-en sûrs, messieurs, le clergé trouverait sur ces bancs, à cette époque comme jadis, d'énergiques défenseurs.
Mais les garanties inviolables qui lui sont acquises par nos institutions de 1831, le clergé en jouit, les possède à une condition. L'indépendance du domaine spirituel a pour corrélation constitutive, pour condition fondamentale l'indépendance du domaine du pouvoir civil. On ne peut franchir et confondre ces limites sans bouleverser nos institutions.
Les empiétements du clergé sur le domaine de la puissance publique doivent rencontrer en nous, dans toutes les circonstances, des adversaires fermes et résolus. Nous ne sommes pas suspects quand nous lui tenons ce langage ; car nous lui avons prêté appui dans ces temps où ses libertés étaient compromises.
Qu'il me soit permis de rappeler un fait qui est pour moi un souvenir officiel.
Le 27 janvier 1828, dans cette enceinte, sur ces bancs, où siégeaient (page 1048) alors des adversaires de la cause belge, un député du Nord, dans la discussion des griefs de nos provinces, fît appel aux députés libéraux du Midi. L'union catholique-libérale, leur disait-il, est une alliance mensongère dont vous serez les dupes ; les réformes, que vous poursuivez comme un but de liberté générale, vos alliés les veulent comme un moyen de domination exclusive.
Je répondis alors en ces termes, qui ont été recueillis par les journaux du temps :
« La conscience d'un commun danger explique les vœux qu'ont fait entendre de concert des hommes jusque-là de principes opposés. Il y a donc eu rencontre de citoyens d'une même patrie dans la voie large de la vraie liberté ; c'est là un événement heureux, s'il est durable ; et pourquoi ne l'espérerait-on pas ?
« Lors même que tous, comme on persiste à le soutenir, ne marcheraient pas au même but sous la bannière constitutionnelle, pour qui serait le péril au jour de la défection ? La liberté si forte, si redoutable à ses ennemis déclarés, serait-elle alors impuissante contre ses faux amis ?»
Voilà quelle fut ma réponse aux soupçons exprimés sur la bonne foi du parti catholique. Nous avons agi comme nous avons parlé. Je laisse à d'autres le soin d'apprécier si les conjectures du député néerlandais étaient erronées ou prophétiques. La pensée que je manifestais en 1828 est devenue aujourd'hui pour moi une conviction profonde ; j'ai la confiance que la liberté opposera une résistance invincible à tous les faits qui pourraient tendre à l'opprimer.
La chambre me pardonnera les développements que j'ai donnés à cette seconde partie de ma discussion. Je tenais à la compléter par la preuve de cette proposition, qu'il ne peut exister de véritable représentation parlementaire sans la vérité de l'élection ; et qu'il n'y a pas d'élection sincère et libre, si les partis n'ont pas leur action spontanée, si le clergé, sauf l'exercice de ses droits de citoyen, ne reste pas, comme corps, en dehors des luttes politiques ; enfin, si le pouvoir ne se renferme pas dans les seuls moyens de légitime influence, nécessaires à la justification de ses actes qui doivent, par conséquent, conserver le caractère d'une défense loyale et honorable.
Je termine ici les considérations que je vous ai soumises sur le projet, sous le double rapport de sa question matérielle et de son intérêt moral ; je crois avoir rendu au pouvoir un des services qu'il demande le moins ; je lui ai dit la vérité. Je n'ai été qu'un faible organe de l'opinion sérieuse et modérée du pays sur la gravité de la situation.
Après avoir payé ailleurs ma dette à l'indépendance de la Belgique, je me ferai toujours un devoir de donner ici des gages de fidélité et d'attachement à ses institutions.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, il était assez naturel que l'honorable préopinant saisît la première occasion importante pour nous expliquer sa position actuelle, son passé et, en quelque sorte, son avenir.
Nous n'avons point, messieurs, l'intention de le suivre sur ce terrain. C'est là ce que j'appellerai le terrain personnel.
Nous n'avons point non plus, messieurs, l'intention d'entamer de nouveau un grand débat politique ; déjà la chambre en a retenti, je le dirai, à satiété. Aussi je me bornerai à très peu d'observations.
Nous avons, messieurs, entendu réclamer la nécessité de l'indépendance du pouvoir civil, de sa moralité, de sa justice.
Nous sommes, messieurs, parfaitement d'accord avec l'honorable préopinant sur tous ces points et, comme il l'a dit, jamais il ne s'est présenté de ministère qui ne s'appuyât sur ces bases. Maintenant, c'est aux chambres, c'est au pays qu'il appartient d'apprécier jusqu'à quel point les divers ministères restent fidèles aux principes qu'ils proclament.
L'honorable membre, messieurs, a fait l'éloge des associations politiques et électorales. Nous n'avons point à blâmer ces sortes d'associations ; la Constitution les autorise ; nous n'avons donc point à nous en occuper aussi longtemps qu'elles restent dans le cercle que la Constitution a tracé. Aussi le gouvernement ne s'en est-il mêlé en aucune manière ; la seule mesure qu'il ait prise, c'était d'interdire aux employés de l'Etat d'en faire partie, ou, au moins, de faire partie de celles qui avouaient un caractère d'hostilité à son égard. Mais, messieurs, je demanderai à l'honorable membre, a-t-il bien réfléchi à toutes les conséquences de ses éloges, et si un jour un ministère venait à se former sous l'influence du triomphe de ces associations, dont plusieurs ont pris pour base les mandats impératifs, un semblable ministère réunirait-il les qualités d'indépendance, de moralité et de justice, dont l'honorable membre a reconnu et proclamé la nécessité ?
L'honorable membre, messieurs, jetant un regard sur l'histoire du royaume des Pays-Bas, nous a signalé diverses erreurs du gouvernement de cette époque. Sans doute c'était pour appeler également notre attention sur les dangers que courrait le gouvernement s'il suivait de semblables errements. Le conseil est bon, messieurs, mais j'aurais voulu aussi que l'honorable membre appelât l'attention du pays sur les dangers que divers Etats ont courus par suite de l'extension du principe d'association, et là, les enseignements historiques n'auraient également point fait défaut.
L'honorable membre veut, messieurs, que le clergé, comme tel, se renferme dans son action spirituelle. C'est aussi l'opinion du gouvernement. Mais les membres du clergé, comme citoyens, ont aussi des droits politiques à exercer, et personne ne peut leur en contester l'usage.
J'aborde maintenant la discussion spéciale du projet de loi qui nous occupe.
L'honorable membre regrette que nous n'ayons point fait précéder le projet de loi de la mention des articles 49 et 53 de la Constitution, parce que, dans son opinion, il y avait une obligation constitutionnelle à réviser la loi électorale. Déjà, messieurs, nous l'avons dit dans plusieurs occasions, nous ne partageons point cette opinion. Nous croyons que le congrès a rempli la prescription de la Constitution en faisant lui-même la loi électorale, en établissant la répartition des représentants et des sénateurs d'après la base de la population. Voilà, messieurs, tout ce que dit l'article 49 de la Constitution, voilà tout ce que dit l'article 53. On aurait beau y chercher davantage, on ne l'y trouverait point. Ainsi l'on n'y trouve point la prescription que, lorsque la population a augmenté, il y a nécessité de réviser la loi électorale.
On ne trouve aucune indication à cet égard ni dans le texte de la Constitution ni dans les discussions dont son adoption a été précédée ou suivie. C'est donc à tort que l'on invoque le rapport fait par mon honorable ami M. Raikem, sur le titre des Chambres lorsqu'il disait que la section centrale du congrès n'avait voulu adopter comme base de la répartition des représentants et des sénateurs, que la population. Sans doute, messieurs, mais comme nous l'avons dit, il a été satisfait à cette prescription. J'irai plus loin, je dirai que si dans la nouvelle répartition le gouvernement avait voulu se départir de la base adoptée par le congrès dans la première répartition, il se serait mis en opposition avec le texte de la Constitution ; c'est-à-dire que, aujourd'hui encore, en faisant une nouvelle loi de répartition, nous sommes obligés de prendre pour base la population.
Mentionner les articles 49 et 53 de la Constitution. c'était donc, à notre avis, messieurs, une erreur, parce que la Constitution ne porte point cette prescription. C'eût été mentionner une chose inutile, parce qu'il suffit que l'on satisfasse au vœu exprimé par les localités intéressées, qui était d'obtenir l'augmentation de représentation que leur population devait leur faire espérer.
J'en viens, messieurs, au discours de l'honorable M. Lebeau.
J'avais dit dans l'exposé des motifs que le congrès avait pris pour système d'accorder des compensations lorsqu'il y avait des excédants de population, soit dans diverses provinces, soit dans divers districts. L'honorable M. Lebeau a contesté cette assertion. Eh bien, messieurs, qu'il me soit permis de donner lecture d'un passage du rapport que j'ai présenté au congrès, au nom de la commission chargée de préparer le projet de loi électorale. Voici ce que porte ce rapport :
« Observations sur la répartition des représentants et des sénateurs.
« La population de la Belgique étant de 4,052,536 âmes, la commission a fixé le nombre des représentants à cent, et celui des sénateurs à cinquante ; l'article 25 de la Constitution défend d’excéder la proportion d'un représentant sur 40,000 habitants, et l'article 30 fixe le nombre des sénateurs à la moitié de celui des représentants : pour se tenir dans ces limites, il a fallu négliger les fractions.
« La province de Luxembourg a 311,508 habitants, elle a un déficit de 8,392 habitants pour ses huit représentants, mais elle a un excédant de 71,608 habitants pour ses trois sénateurs.
« La province de Namur a 210,192 habitants ; elle a un déficit de 29,808 habitants pour ses trois sénateurs, mais elle a un excédant de 10,192 habitants pour ses cinq représentants.
« On voit qu'à l'égard des sénateurs, la province de Namur est mieux partagée que celle de Luxembourg ; mais il y aurait eu de l'inconvénient à laisser nommer un sénateur alternativement par ces deux provinces, surtout vu la division de celle de Luxembourg en huit districts.
« La province de Liège a 369,917 habitants ; pour ses quatre sénateurs, elle a un excédant de 49,917 habitants, mais elle a un déficit de 30,803 pour ses dix représentants.
« La province de Limbourg a 338,095 habitants ; pour ses neuf représentants, elle a un déficit de 21,095 ; sur ses quatre sénateurs, elle a un excédant de 18,095.
« Le Brabant méridional a 556,045 habitants ; il a un déficit de 4,000 pour ses quatorze représentants, et de 8,000 pour ses sept sénateurs.
« Le Hainaut a 596,559 habitants ; pour les quatorze représentants, il a un excédant de 36,559, et par contre, pour les huit sénateurs, il a un déficit de 43,341.
« La Flandre orientale a 717,057 habitants, ce qui donne un excédant de 27,087 pour dix-sept représentants, et un déficit de 2,913 pour neuf sénateurs.
« La Flandre occidentale a 603,214 habitants ; elle a quinze représentants et sept sénateurs.
« La province d'Anvers a 349,748 habitants ; pour cinq sénateurs, elle a un déficit de 50,258, et pour huit représentant, elle a un excédant de 19,748.
« Quant à la sous-répartition entre les districts d'une même province, elle a été également faite sur la même base ; les fractions qui existent en plus ou en moins pour les représentants ou les sénateurs, ont été compensées de manière à attribuer l'élection des sénateurs au district du chef-lieu, et celle du député à l'autre district. La plus grande facilité qu'a le chef-lieu de choisir un bon sénateur justifie celle répartition.
« Lorsque la population de deux districts doit être réunie pour fonder le droit à l'élection d'un sénateur, il a paru convenable de combiner leurs votes ; cette combinaison est plus favorable à un bon choix ; et d'ailleurs, une élection alternative laisserait un district pendant huit années sans représentation au sénat.
« Au contraire, lorsque les fractions de population de deux districts (page 1049) exigent un représentant de plus, il a paru convenable de leur accorder l'élection alternativement, à cause des difficultés d'exécution que présenterait l'élection simultanée. »
Maintenant, messieurs, je ferai remarquer qu'à l'époque où le tableau de répartition a été présenté, le gouvernement n'était pas muni des documents officiels sur la population de tous les districts ; mais comme il y avait urgence de procéder, il fallait communiquer le travail de la commission, d'après les données qu'elle avait pu obtenir du département de l'intérieur de cette époque.
J'ai dit quelle avait été la pensée de la commission chargée par le congrès de préparer le projet de loi électorale. L'honorable M. Lebeau faisait partie de la commission ; lui et M. Jottrand se sont réunis à moi pour examiner le rapport, avant la présentation au congrès, car les autres membres de la commission faisaient défaut. Dans le congrès, l'on ne trouve aucune trace d'un débat d'où il serait résulté que la base que nous avions présentée n'était pas susceptible d'être adoptée.
Au contraire, quoique le tableau de répartition ait subi plusieurs amendements, parce qu'on avait découvert qu'au lieu de 4,032,000 habitants, l'on pouvait admettre le chiffre de la population à 4,100,000 habitants ; par conséquent, on a admis le chiffre de 102 représentants et celui de 51 sénateurs. Mais tout en faisant une nouvelle répartition, on a suivi la même base.
C'est ainsi qu'une compensation fut admise de province à province entre les Flandres et le Limbourg, et de district à district entre ceux de Bruges et de Courtray.
L'honorable M. Lebeau a assigné au hasard, ou en quelque sorte, à la distraction du congrès, ou à je ne sais quelle influence, l’attribution d'un neuvième représentant à la province de Limbourg, tandis qu'un dix-neuvième représentant aurait dû être attribué à la Flandre orientale. Eh bien, messieurs, loin de trouver dans ce fait une distraction du congrès, un indice d'une influence, nous y trouvons la confirmation du principe énoncé dans notre rapport, c'est-à-dire le système de compensation.
Et en effet, messieurs, les deux Flandres étaient envisagées comme n'ayant en quelque sorte qu'un seul et même intérêt, la province de la Flandre occidentale ne fut distraite de l'ancienne Flandre que lors de la division du territoire, opérée par le gouvernement français après la conquête. Jusque-là les deux Flandres avaient toujours été réunies, et depuis la séparation, l'on peut dire que ces deux provinces ont toujours été considérées comme ayant une communauté d'intérêts.
Eh bien, la Flandre occidentale avait obtenu, quant aux sénateurs, l'excédant de représentation, à raison de 43,000 habitants. Le congrès recula devant l'attribution d'un représentant à la Flandre orientale, parce qu'encore là, il aurait fallu attribuer un excédant de représentation. Et que fit le congrès ? Il attribua le représentant à la province de Limbourg, province qui avait un excédant de population de 18,000 habitants quant à sa représentation au sénat, et qui aurait eu également le même excédant de population pour sa représentation à la chambre, si on ne lui avait attribué un neuvième représentant.
L'honorable M. Lebeau pense que si nous avions suivi notre système de compensation, nous eussions dû allouer un député de plus à la province de Namur. D'abord, l'honorable membre devra reconnaître que si, pour allouer un député à la province de Namur, on l'eût retranché à la province de Limbourg, il y aurait eu une inégalité beaucoup plus choquante, parce que la province de Limbourg se serait trouvée en déficit de représentation quant à la chambre et au sénat pour un chiffre très considérable. Si aujourd'hui elle a un avantage quant à la représentation à la chambre, elle a un désavantage quant à la représentation au sénat.
Les mêmes circonstances se présentent pour le Luxembourg, qui n'a que 2 ou 3,000 habitants de plus que la province de Limbourg.
Si donc une compensation avait dû être établie pour Namur de province à province dans le nouveau projet, elle aurait dû exister entre la province de Namur et la Flandre orientale ; c'est-à-dire qu'il aurait fallu enlever le député que nous attribuons à Gand, pour le donner à Namur.
Mais, messieurs, il n'était pas possible d'admettre ici le système de compensation, parce que la différence de la population réelle qu'aurait dû avoir la Flandre orientale, pour ses 20 représentants, est trop minime, pour que la chambre s'y arrêtât, et qu'elle établit une compensation avec la province de Namur. En effet, la Flandre orientait a une population pour 19 79/100 de représentants ; il ne lui manquait donc que 21/100 de population pour avoir un strict droit aux 20 représentants.
Quant à la province de Namur, comme elle n'a qu'un excédant de 23,000 âmes, il lui manquait une population de 17,000 âmes pour avoir droit à un représentant en plus. Ce n'était donc pas le cas d'opérer la compensation entre la province de Namur et la Flandre orientale.
Du reste, la représentation que nous avons proposée n'est pas critiquée, en ce qui concerne les provinces entre elles ; les critiques n'ont porté que sur les districts d'une même province ; ainsi, par exemple, entre Alost et Termonde, entre Liège et Verviers. Voyons si ces critiques sont fondées à cet égard.
L'honorable M. Le Hon vient de dire que j'invoque uniquement la justice distributive ; eh bien, il me suffît, messieurs, d'invoquer ce principe, pour obtenir, j'espère, votre assentiment au projet de loi, parce que, quand vous ne vous trouvez pas en opposition avec les prescriptions constitutionnelles, c'est la justice distributive que vous devez prendre pour base de vos décisions.
Mais, dit l'honorable membre, il eût été plus juste cependant de donner la double représentation au district qui à l'excédant le plus considérable ; car par votre système de compensation, dit-il, vous faites détruire par le représentant de Termonde ce que le sénateur d'Alost peut édifier au profit de son district.
Eh bien, messieurs, c'est équilibrer les forces parlementaires là où il y a équilibre de population. Le système que voudraient y voir substituer les honorables MM. Le Hon et Lebeau, serait un système d'injustice, car ce serait donner tous les avantages à l'un et laisser tout le détriment à l'autre.
Car, messieurs, si l'on trouve un inconvénient à ce que les intérêts d'Alost et de Termonde s'équilibrent, est-ce qu'il n'y aurait pas un inconvénient bien autrement grave, si un des deux arrondissements avait une prépondérance sur l'autre quand sa population ne lui en donne pas le droit ?
Messieurs, voici les chiffres qui se présentent pour les districts concurrents. Alost pour ses deux sénateurs un déficit de 21,789 habitants ; pour la chambre, au contraire, Alost a un excédant de 18,211 habitants, d'où il suit qu'aujourd'hui sa représentation au sénat et à la chambre un déficit de 3,578 habitants.
Voyons pour Termonde. Termonde a un excédant de population pour un sénateur de 26,848 habitants et un déficit pour un troisième représentant de 23,152 habitants, de sorte que Termonde conserve un excédent de 3,6960 âmes non représentées. A Alost il y a un sénateur de plus et à Termonde un représentant. Vous voyez qu'Alost n'a aucun motif de se plaindre.
Voyons pour Liège. Liège pour avoir trois sénateurs a un déficit de 16,979 habitants, et pour cinq représentants un excédant de 15,581 habitants ; elle reste encore en déficit de 1,399.
Verviers a un excédant de 19,643 habitants pour un sénateur et un déficit de 19,857 pour avoir trois représentants. Verviers présente donc un déficit de 114 habitants pour la représentation que lui accorde le projet de loi du gouvernement.
Mais nous n'avons pas encore dit à la chambre que si on faisait abstraction de la population flottante qui a été comptée dans le dénombrement, qui n'appartient pas s un district plutôt qu'à un autre, telle que la garnison, les voyageurs, la population des prisons ; si on faisait cette distraction, le système que nous défendons recevrait encore un nouveau renfort.
J'ai fait établir la représentation sur la population de fait ; quand on la réduirait à la population légale, cela ne changerait rien à l'ensemble du projet ni aux détails ; nous n'avons donc pas à nous en occuper, la proposition ne tient pas à cette distinction de population de droit ou de fait, mais je dis qu'elle recevrait un nouvel appui si on déduisait la population volante en quelque sorte. Ainsi, pour Liège il y aurait à déduire 7,541 habitants ; pour Verviers il n'y en aurait que 500 Voilà encore un argument très puissant pour Verviers. La même chose existe pour Alost et Termonde, Ath et Soignies. Ainsi pour Alost il y aurait à retrancher 2,387 habitants et à Termonde 1,272 seulement. A Ath la population flottante est de 1,006, à Soignies elle n'est que de 397. Ainsi en quelque manière qu'on envisage les chiffres, la proposition du gouvernement doit demeurer debout.
Je disais, messieurs, que le congrès avait établi aussi la compensation d'arrondissement à arrondissement, dans la même province. Il en existe une preuve flagrante dans la province de la Flandre occidentale ; c'est ainsi que Bruges a obtenu un représentant en plus, et Courtray un sénateur en plus, négligeant l'excédant de population pour un représentant, comme à Bruges on avait négligé l'excédant de population quant aux sénateurs.
L'honorable M. Lebeau a dit, messieurs, que nous étions en contradiction avec nous-même dans notre projet en ce qui concerne Malines et Turnhout. Voilà le seul argument qui soit resté debout. Je vais expliquer pourquoi la représentation a été ainsi établie entre Malines et Turnhout. D'abord, messieurs, il ne pouvait pas être question d'enlever un représentant à Malines pour le donner à Turnhout. Il ne pouvait donc être question que de l'attribution d'un sénateur à Turnhout plutôt qu'à Malines. Eh bien, Malines avait quant au sénat 0.44 de population et Turnhout avait 1.26.
Force était donc d'attribuer un sénateur à Malines ; car à mon avis rien n'aurait justifié l'attribution d'un sénateur à Turnhout qui n'avait que 26 p. c. de la population exigée pour ce sénateur, tandis que Malines en avait 44 p. c.
L'honorable M. Lebeau a parlé d'Ath et de Soignies. Messieurs, il était impossible d'ôter le représentant à Soignies et de le donner à Ath ; car Soignies a un excédant de population quant aux sénateurs aussi bien qu'Ath, mais un excédant plus fort, et si l'on avait donné le représentant à Ath, on aurait établi une véritable injustice.
Je dis donc, messieurs, que si à Malines il y a une légère différence, elle était commandée par les faits existants, quant à ce district ; que le sénateur seul restait en cause et qu'on ne pouvait attribuer le sénateur à Turnhout qui n'avait qu'un excédant de population de 26 p. c, tandis que Malines en avait un de 44 p. c.
M. Delfosse. - Vous avez deux poids et deux mesures. Vous appliquez à Liège une règle de compensation que vous n'appliquez pas à Malines.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Pas du tout ; je n'ai pas deux poids et deux mesures.
D'abord, messieurs, pour opérer ce que l'honorable membre aurait voulu, il aurait fallu dissoudre la chambre ; car les représentants de (page 1050) Malines ne sont pas rééligibles cette année, et je ne pense pas qu'il y eût là un motif suffisant pour amener forcément la dissolution de la chambre.
M. Delfosse. - Ce que je vois de plus clair dans votre projet, c'est que vous aimez mieux Malines que Liège.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable membre me dit : Vous aimez mieux Malines que Liège. Mais Malines n'est pas en concurrence avec Liège, elle ne se trouverait en concurrence qu'avec Turnhout, et je ne connais aucun motif de préférence entre Malines et Turnhout. Le conflit gît entre Liège et Verviers ; et je ne vois pas où l'honorable membre doit trouver un motif de préférence entre ces deux localités.
Je pense, messieurs, avoir réfuté victorieusement toutes les objections qui ont été faites au projet du gouvernement, et en avoir établi d'autre part le fondement sur l'exposé des motifs du projet soumis au congrès et sur le vote même de cette assemblée.
Je ne répondrai pas, messieurs, à cet argument présenté par l'honorable M. Castiau, que les représentants élus dans les districts dont la représentation ne doit pas être renouvelée cette année, n'auront qu'un mandat de deux années, tandis que la Constitution donne aux représentants un mandat de quatre années. Cette difficulté, messieurs, se présente dans plusieurs circonstances, et notamment elle se présenterait, si le gouvernement, accédant aux vœux de l'honorable membre, venait à dissoudre la chambre. Car alors la moitié de la chambre des représentants ne siégerait que pour deux années et une moitié du sénat ne siégerait que pour quatre années. Vous voyez donc que l'honorable membre veut établir en grand ce qu'il ne veut pas tolérer en petit.
M. Castiau. - La Constitution a prévu le cas de dissolution.
M. Desmet. - Messieurs, je ne m'arrêterai pas sur le terrain que vient de parcourir un honorable préopinant, je me garderai bien de toucher à la question politique et de froisser quelque opinion. Ce n'est pas le moment, pour moi, de le faire. Car je viens, messieurs, plaider une cause près de vous ; je me présente devant votre tribunal pour obtenir un jugement en faveur de mes commettants, qui se plaignent du projet qui vous est présenté. J'attends avec tranquillité votre arrêt ; je compte sur votre impartialité, sur vos sentiments de justice et d'équité.
M. le ministre de l'intérieur vous a dit hier : Mon projet est juste ; mon travail est basé sur l'équité, sur l'impartialité ; pour qu'on puisse bien gouverner, il faut être juste, il faut être impartial. M. le ministre a raison ; si l'on veut conserver la tranquillité et l'ordre dans l'Etat, il faut être impartial, il faut être juste, il faut être très scrupuleux sur la justice distributive.
Mais peut-on dire que toujours on a été impartial et juste envers toutes les parties du pays ? L'a-t-on été, je vous le demande, envers le district d'Alost, envers ses habitants ? N'ont-ils pas été traités comme les enfants bâtards de la patrie ? N'ont-ils pas été traités comme des parias ? A-t-on fait quelque chose pour ce district, pour ces habitants ?
Non seulement, messieurs, on n'a rien fait en leur faveur, mais on a fait tout ce qu'on a pu pour leur causer du tort.
Messieurs, vous me permettrez de saisir cette occasion pour vous énumérer les griefs dont se plaint ce district.
Depuis plusieurs années, 300,000 habitants de la Flandre orientale, du district d'Alost et du district de St-Nicolas se plaignent que la justice se distribue difficilement chez eux, que pour obtenir justice il faut se déplacer à grands frais ; enfin ils demandent une meilleure circonscription judiciaire, ils demandent un quatrième arrondissement, ils prouvent au gouvernement que la circonscription de la Flandre orientale en quatre arrondissements donnerait un immense avantage à la moitié de la population de cette province et que le trésor y trouverait de même un certain profit dans la dépense annuelle des frais de justice. Nous avons eu beau frapper aux portes de différents cabinets, jamais nous n'avons été écoutés ; on préférait laisser pâtir 300,000 justiciables que de déplaire à une petite ville.
Partout, messieurs, on a dépensé beaucoup d'argent depuis la révolution ; votre dette publique vous le prouve. Eh bien, on n'a pas dépensé une obole dans le district d'Alost. Tout y est en souffrance. La rivière n'est presque plus navigable ; aucune route n'y a été faite. Voulez-vous un fait qui prouve plus particulièrement encore combien ce district a été maltraité ? Une route partant d'Audenarde à Vilvorde a été déclarée provinciale jusque près d'Alost, et à Alost et une lieue et demie au-delà jusqu'aux limites du Brabant elle n'est plus provinciale ; arrivée sur le Brabant, elle redevient encore provinciale. Eh bien, cette lacune que la province n'a pas voulu payer, la ville d'Alost a été obligée de le faire de ses propres deniers. On ne voudrait pas le croire, cependant le fait est exact : une route provinciale a une partie au milieu qui n'est pas provinciale ou du moins que l'on n'a pas voulu comme telle aujourd'hui, car anciennement elle l'a toujours été.
Messieurs, depuis quelques années il s'est fait une telle révolution dans le système des voies de transport, que l'on peut dire que si une contrée n'a pas sa part dans le nouveau système, c'est une contrée perdue. Eh bien, tout le monde a eu son chemin de fer ; tout le monde a eu sa part dans cette grande entreprise ; il n'y a aucune députation dans cette assemblée qui n'en ait pas sa bonne part ; Alost seul fait encore une fois exception.
Il y a plus, un agent du gouvernement prouve qu'un chemin de fer qui peut être utile au district d'Alost, sera aussi favorable pour le gouvernement. Que fait-on ? On prépare une espèce de combat de vote en champ clos, et on choisit tellement les champions qu'on est certain de la défaite du district d'Alost.
On a réussi. Mais il faudra bien reconnaître que ce combat n'a pas de portée ; il est impossible que le gouvernement puisse accueillir un avis d'une commission où tous les intérêts n'étaient pas représentés. On ne pourrait mettre en doute que les villes de Grammont et Ninove ont un grand intérêt dans cette route. Eh bien, ni Grammont ni Ninove n'y ont eu leurs représentants. On ne peut non plus mettre en doute que le commerce et l'industrie y avaient aussi un grand intérêt local ; cependant on n'a vu figurer dans la commission d'enquête, ni commerçant ni industriel de Bruxelles ou d'Alost. Je n'en dirai pas plus sur celle affaire ; mais je soutiens que le résultat de la réunion de cette commission n'apprend rien au gouvernement, et nous sommes curieux de voir s'il persévérera à laisser souffrir le district d'Alost et consommer sa ruine.
Je bornerai là mes citations, quoiqu'il y ait encore bien d'autres que l'on pourrait articuler. Mais qui peut contester que mes commettants peuvent dire qu'il existe des griefs à leur égard ?
Pourquoi notre révolution a-t-elle réussi, a-t-elle pour ainsi dire réussi providentiellement ? Parce que les griefs contre l'ancien gouvernement étaient fondés, que notre cause était juste.
Eh bien, si vous voulez consolider notre révolution, ne laissez pas subsister des griefs comme ceux dont le district d'Alost a à se plaindre.
Quel est donc le crime de ce district ? Est-ce qu'Alost n'a rien fait pour la révolution ?
Je pense au contraire qu'il y a peu de districts qui aient tant fait. Je ne vous citerai qu'un fait. Quand vous avez eu une invasion hollandaise du côté du Limbourg, la même invasion se faisait dans la Flandre orientale du côté de St-Nicolas ; eh bien, qui a sauvé le pays de ce côté ? C'est le district d'Alost et le district d'Alost seul, je n'hésite pas à le dire. L'honorable M. Rodenbach qui était alors commissaire de district à St-Nicolas et dont nous pleurons aujourd'hui la mort, écrivit au commissaire de district d'Alost qu'il y avait une invasion sur les limites de son district ; eh bien ! en 24 heures de temps tout le district d'Alost était sous les armes et marchait vers St-Nicolas. (Interruption.) Nous sommes arrivés à Termonde toute la garde civique, et à Termonde on ne se doutait pas seulement du danger, Termonde était étonné de nous voir arriver à son secours. J'en appelle ici au témoignage de l'honorable M. de Meester ; et il vous dira, messieurs, que nous avons sauvé son village de la dévastation et de l'incendie, que c'est grâce à nous que les scènes de Calloo ne s'y sont pas renouvelées.
Eh bien, messieurs, malgré ces services rendus au pays, toujours on a cherché à nuire au district d'Alost. Voici une preuve de la partialité du gouvernement contre nous : Pour que la garde civique du district d'Alost, qui était dans le district d'Alost, ne fût pas à charge des habitants de ce district, les communes de notre district y avaient envoyé des vivres. Les voitures qui les transportaient, passant à la barrière d'Audeghem, près de Termonde, furent requises à payer les droits de barrière : les voituriers communiquèrent les documents dont ils étaient nantis pour constater leurs chargements. On n'eût aucun égard à leurs papiers. On verbalisa contre eux, la cause vint au tribunal, et les voituriers perdirent leur procès et furent condamnés aux amendes prescrites.
Ce n'est pas tout, j'ai réclamé auprès du gouvernement, j'ai en quelque sorte fait une demande en grâce ; je n'ai rien obtenu ; nous avons dû payer. Croirez-vous, après avoir rendu un si immense service au pays, qu'on ait encore dû subir une telle condamnation ?
Je le répète, messieurs, je ne sais pas quel est le motif pour lequel nous sommes ainsi repoussés par le gouvernement. Est-ce que la députation d'Alost n'est pas gouvernementale ? Est-ce qu'elle ne partage pas l'opinion du cabinet ? Est-ce elle qui dit que le cabinet est un anachronisme ? Est-ce elle qui dit aux membres du cabinet : « Allez-vous en ; ce n'est pas là votre place ? »
Eh bien, messieurs, si vous acceptez le projet de loi qui vous est présenté vous commettrez une nouvelle injustice envers le district d'Alost. Il est un fait constant, c'est que le district d'Alost, qui a 138,000 habitants, n'obtient que trois représentants, tandis que le district de Termonde, qui n'a que 96,000 habitants, obtient également trois représentants. Vraiment il faut chicaner pour chercher à justifier une pareille proposition ; et pour la faire il faut avoir l'intention de nuire à un arrondissement par tous les moyens possibles.
On a ri hier, messieurs, parce que l'honorable M. Castiau disait qu'il aurait voulu pour tout le pays un scrutin unique. Eh bien oui, si cela était possible ce serait le meilleur système. Alors au moins toutes les localités seraient représentées. Mais puisque le scrutin unique n'est pas possible, il faut au moins chercher à ce que les scrutins séparés produisent autant que faire se peut cet avantage d'une représentation équitable de toutes les parties de la population du pays.
Nous avons la souveraineté nationale ; eh bien que chacun ait une juste part dans cette souveraineté, que chacun soit traité avec justice, qu'il n'y ait point d'enfants bâtards, qu'il n'y ail point de parias !
Je dois faire une autre observation. Pour consommer, pour consolider l'injustice, la partialité à notre égard, ou supprime l'alternat. C'était par les alternats qu'on obviait aux inconvénients résultant des difficultés auxquelles donnaient lieu les excédants de population ; aujourd'hui l'alternat est supprimé.
Tout à l'heure l'honorable M. de Theux disait : « Mais le système de la loi électorale, c'est le système des compensations.» Il a cité une partie, non pas de son discours, mais du discours de l'honorable M. Nothomb (page 1051) pour nous faire comprendre qu'il avait suivi ce système des compensations. Mais, messieurs, le rapport dont M. le ministre nous a donné lecture, ce rapport a été fait avant la discussion ; et dans la discussion, sur tous les points de rencontre, on a mis ce système-là de côté.
L'on a dit : « Tâchons que toute la population soit représentée à la chambre des représentants. »
Des exemples peu veut encore être cités. Le projet de 1831 donnait cinq représentants à Anvers. Eh bien, à cet égard, il y a une espèce de faveur pour Anvers et de défaveur pour Malines. Sur la proposition de M. Ooms, membre de cette chambre, l'on a attribué le cinquième représentant à Anvers, et l'on a fait alterner Turnhout et Malines. On me dit que ceci a été modifié par la suite ; cela est possible, mais je vais vous citer d'autres exemples, qui certainement ont existé jusqu'à ce jour.
Dans la province de Hainaut, le district de Mons avait, dans le projet présenté par le gouvernement, pour une population de 125,507, 4 représentants et un sénateur, qui présentait pour le quatrième représentant un déficit de 36,493 habitants, et pour un seul sénateur un excédant de 43,507.Quoique les deux chiffres donnassent un droit à un sénateur de plus, on n'a pas trouvé bon de faire usage du système de compensation, et la chambre a préféré, sur la proposition de M. Charles de Brouckere, de donner un représentant de plus à Thuin et à Charleroy, et de faire alterner ces deux districts, parce que l'ensemble d'excédants pour la chambre des représentants formait un chiffre suffisant pour avoir un représentant de plus dans cette chambre. Ceci est une preuve suffisante pour vous faire voir le cas que l'on faisait dans la première loi, pour que toute la population soit représentée à la chambre des représentants.
Vous avez eu la même chose dans la province de Liège. Le projet du gouvernement avait proposé pour le district de Liège, sur une population de 171,256 habitants, 5 représentants ; il y avait un déficit de 28,744 habitants pour le cinquième représentant ; il y avait un excédant pour le deuxième sénateur. On aurait pu compenser ; mais comme le district de Huy avait un excédant, pour un représentant à la première chambre, de 24,803, on a préféré faire alterner avec Liège, et, à ce sujet, la proposition de l'amendement est passé à la chambre.
Dans le Limbourg, sur une population de 139,075, le district de Maestricht avait trois représentants, avec un excédant de 19,075 ; le district de Hasselt avait une population de 93,029 ; le gouvernement, dans son projet, avait proposé trois représentants et un sénateur ; il y avait un déficit pour le troisième représentant de 26,971 et un excédant pour le sénat. Comme Hasselt avait trop peu pour trois représentants et Maestricht trop, et quoiqu'il y eût des excédants pour le sénat, on n'a pas songé à faire agir la compensation, mais on a dit : Comme Hasselt n'a pas droit à un troisième représentant en entier, et Maestricht non plus, et afin que la représentation soit complète autant que possible, on fera alterner Hasselt avec Maestricht. Cet amendement passa en ce sens à la chambre, et vous serez étonné quand je vous dirai que cet amendement fut présenté par MM. de Theux et Vilain XIIII.
Chose remarquable que ce sont presque les deux chiffres de Termonde et d'Alost. Hasselt avait 93,029, Termonde a 96,000 ; Maestricht avait 139,000, Alost en a 138,000.
Alors M. de Theux ne voulait pas que Hasselt eût trois représentants, pour ne pas faire tort à la représentation de Maestricht, et aujourd'hui il veut que Termonde ait trois représentants et qu'Alost soit lésé dans la représentation à la chambre ! Comment expliquez-vous ceci ?
Je dirai maintenant quelques mots sur cette compensation que l'on voudrait faire accepter pour mieux arranger la répartition.
La compensation que l'on veut à toute force faire prévaloir entre la chambre des représentants et le sénat est, d'après moi, impossible si l'on veut rester dans l'esprit de notre Constitution. Ces deux corps, ces deux représentations ne sont pas les mêmes, elles diffèrent radicalement. L'une chambre n*a pas le pouvoir de l'autre ; la chambre haute est bien moins populaire que la chambre des représentants, son pouvoir n'est pas si étendu, sa représentation est bien plus restreinte ; la chambre des représentants a le pouvoir, le grand pouvoir, le plus important qui existe dans le peuple, celui de prendre l'initiative pour tout ce qui regarde l'établissement de l'impôt ; le sénat ne l'a dans aucune occasion. Cependant on ne peut pas méconnaître que cette différence de pouvoir est immense, la tarification douanière y est aussi comprise.
La chambre des représentants embrasse dans sa représentation toute la population du pays. Tous les Belges peuvent être élus à la chambre, tandis que pour le sénat, il n'y a qu'une partie de la population qui peut y entrer.
Le gros cens de 1,000 florins que l'on doit payer pour être éligible restreint cette représentation à un tel point que l'on peut dire avec raison que ce n'est qu'une minime partie aristocratique qui peut concourir à cette représentation, et qui, par conséquent, ne représente pas la nation d'une telle manière que la chambre des représentants ; et quoique le sénat soit aussi un corps électif, à cause du cens élevé qui est exigé pour pouvoir y mettre le pied, il n'a pas le degré de représentation qu'à la chambre des représentants ; et l'on doit reconnaître qu'il n'est qu'une espèce de corps intermédiaire, le pouvoir modérateur entre le pouvoir gouvernemental et la première chambre.
Une preuve que le cens agit beaucoup sur cette représentation et la restreint si fortement, c'est que le nombre des éligibles est presque partout si petit que l'on peut dire qu'il n'y a pas de choix, que l'on est très souvent obligé d'élire des sénateurs étrangers au district qu'ils représentent. C'est ce qui se présente dans les deux districts qui sont en ce moment en contestation. Si toute la nation en cela pouvait concourir à décider cette question, j'ai la certitude que la décision serait dans notre sens, et j'en laisse juges ceux qui défendent les compensations. A qui donneraient-ils la préférence dans leur district, à un représentant au sénat ou à un à la première chambre ? Je crois qu'ils partageraient tous ma manière de voir !
J'en ai dit assez sur le projet présenté par le gouvernement et l'opinion du ministre. Vous me permettrez quelques mots sur l'opinion qu'a émise à ce sujet la majorité de la section centrale.
La minorité de cette section disait alors : « Il ne manque que 21,789 habitants pour avoir droit à 4 représentants, tandis que Termonde se trouve manquer de 23,132 habitants pour avoir droit à 3 représentants, que pour être conséquent avec le principe, Alost doit l'emporter et obtenir le représentant attribué mal à propos à Termonde. De sorte qu'Alost devrait avoir 4 représentants. »
Que répond la majorité ? « qu'Alost ni Termonde n'avaient droit à un représentant de plus, puisque le premier district n'a que 45 p. c. et le second 42 p. c. au-dessus du chiffre de ses représentants. Par conséquent, dit le rapporteur, ce qu'on leur accordait en sus, ils ne le tirent pas de leurs propres droits, mais bien des excédants des autres districts de la province.
Je ne comprends pas bien ce langage, car ce n'est pas une règle générale et qui a lieu partout pour ce qui concerne l'attribution des excédants ; pourquoi donc faire cette observation pour ces deux districts, tandis que pareille remarquent pas été faite pour les districts de Soignies et d'Ath, dont je vais vous parler dans le moment ? « Mais laissons continuer l'honorable rapporteur, qui dit :« Attribuer à Alost, qui n'a qu'un excédant de 3 p. c. au-dessus de Termonde, un représentant et un sénateur au-dessus de ce qui est son droit, ce serait faire injustice évidente à Termonde. Il y a donc lieu d'attribuer le représentant à l'un et le sénateur à l'autre, et puisque Alost est aujourd'hui en possession, par excédant, d'un sénateur que l'on ne pourrait pas déplacer, il faut bien attribuer le représentant à Termonde. » C'est là une logique difficile à comprendre. Ainsi parce que j'ai plus de droit qu'un autre, je dois donc obtenir moins ! Alost a plus de droit que Termonde, a un plus grand excédant, et encore il doit avoir une moindre représentation !.....Ici la majorité de la section centrale ne fait aucun cas du plus grand excédant ; mais quand il s'agit de la répartition à régler entre les districts d'Ath et de Soignies, elle tient amplement compte de la supériorité de l'excédant ; et l'on ne fait pas ressortir, comme pour Alost et Termonde, que ce district a besoin de l'aide de l'autre district pour compléter le chiffre nécessaire à un représentant, tandis que nous avons 87/100 et que Soignies et Ath n'ont que 75/100. Comme, dit-on, le district d'Ath ne présente qu'un excédant de 13,679 habitants et que Soignies en a 16,549, il est évident que ce dernier district a le droit d'avoir un représentant de plus. » Ici le droit est clair et aucunement douteux, la supériorité de l'excédant doit l'emporter pour le représentant ; mais quand il s'agit d'Alost, comme il n'y a que 3 p. c. en excédant plus que Termonde, il n'a pas droit à un représentant de plus et il devra se contenter du sénateur, avec lequel il doit avoir tous ses apaisements. Mes commettants ne comprendront pas cette logique, et je pense qu'ils seraient bien disposés à vous céder le sénateur, pour conserver le représentant, comme tout le monde ferait en Belgique.
La manière dont on traite le district d'Alost est d'une partialité choquante. Quoi qu'on en ait dit, l'injustice dont ce district est victime, reste debout. Il est impossible de soutenir qu'Alost n'a pas plus de droit à avoir un représentant en plus que Termonde.
Messieurs, le district d'Alost est vraiment, traité en paria. On sait bien venir le trouver, quand il s'agit d'y lever des contributions, quand il s'agit de lui appliquer la loi de la milice ; Alost n'a que les charges de l'association ; quand il s'agit de la distribution des bienfaits de l'association, le district d'Alost est comme s'il n'existait pas. C'est là un grief sérieux, et tant qu'on ne l'aura pas fait disparaître, nous ne cesserons de réclamer avec énergie dans cette enceinte.
Une preuve des pertes que subissent les malheureux habitants d'Alost, c'est l'émigration qui se fait en ce moment de plusieurs industriels. Nous avions antérieurement dans notre district la fabrication du fil tors ; eh bien, encore une fois, pour pouvoir conclure un traité avec l'Allemagne, on a sacrifié cette industrie ; 20 à 30,000 pauvres qui y trouvaient leur pain quotidien seront mis sur le pavé en peu de temps.
Je fini, mais je me flatte que l'amendement présenté par M. Lebeau sera favorablement accueilli, et qu'au moins on accordera l'alternat entre les deux districts pour le représentant qui se trouve en litige. Vous éviterez du moins la consommation d'une injustice. J'ai dit.
M. Lys. - Messieurs, le projet de loi soumis actuellement à la chambre a pour but de mettre en harmonie la composition de la représentation nationale avec le chiffre de la population du royaume ; il n'y a qu'une voix sur la justice du principe de la loi que vous êtes appelés à voter.
Il n'entre donc pas dans ma pensée de vous entretenir de la nécessité de voter la loi proposée ; tout le monde est d'accord à cet égard. Je ne veux m'occuper que d'un seul point : c'est de prouver qu'il y a justice et équité à suivre le système de compensation, admis par la section centrale et par le gouvernement, entre les districts électoraux qui présente des fractions de population au-delà de l'unité prise pour base de tout système représentatif.
(page 1052) Le congrès national a adopté pour base le chiffre de 40,000 habitants pour un représentant et le chiffre de 80,000 pour un sénateur ; mais il est impossible d'avoir toujours des nombres ronds, sans excédants. Lorsque les divers districts électoraux d'une province présentent ensemble un excédant de population, qui donne lieu à une nomination de plus, soit d'un représentant, soit d'un sénateur, il y aurait injustice à ne pas reconnaître ce droit, parce que l'excédant de population est réparti entre deux districts d'une même province ; mais à quel district doit-on attribuer la nomination ? Deux systèmes se présentent : ou il faut admettre l'alternat, ou bien il faut attribuer la nomination du sénateur à un district et la nomination du représentant à l'autre.
Les inconvénients de l'alternat sont trop nombreux et se sont tellement fait sentir, que le gouvernement a proscrit avec raison la consécration nouvelle d'un système qui expose à des tiraillements continuels ; reste donc le système de compensation, consistant à donner à un district la nomination du représentant et à l'autre district la nomination du sénateur.
Quelles objections fait-on contre ce système ? On soutient qu'il faut favoriser le district dont la fraction de population est la plus élevée, parce que, par l'adoption de cette base, on aurait pour tous les districts les représentants en nombre double des sénateurs, et parce qu'enfin c'est le système admis par le congrès.
Nous ne pouvons, messieurs, partager cette manière de voir. En effet, il est d'abord impossible d'avoir toujours en fait, dans chaque district, un nombre de représentants double de celui des sénateurs. Le tableau actuel de la représentation nationale, voté par le congrès, en est la meilleure preuve.
Le district de Malines avait 3 représentants et 1 sénateur.
Le district de Bruxelles, 7 représentants et 3 sénateurs.
Le district de Nivelles, 3 représentants et un sénateur.
Le district de Bruges, 3 représentants et 1 sénateur.
Le district de Courtray, 3 représentants et 2 sénateurs.
En voilà assez pour prouver qu'en fait le système d'avoir un rapport double, exact entre le nombre des sénateurs et des représentants, est impossible.
Les exemples que nous venons de signaler à la chambre, ont encore l'avantage de prouver clairement que le congrès national n'a pas posé de règle absolue sur le mode de répartir, entre les districts d'une même province, les représentants et les sénateurs en plus.
Il n'est donc nullement exact de dire que le congrès n'a pas voulu de compensation, que le chiffre le plus élevé donnait toujours droit à avoir le représentant et le sénateur, le contraire est prouvé par ce qui existe aujourd'hui, comme je viens de le démontrer.
Cette prémisse posée, recherchons si le système que nous combattons n'est pas contraire à tous les principes de justice et d'équité.
Le district de Liège n'a pas la population déterminée pour obtenir un sixième représentant. Le district de Verviers n'a pas non plus un excédant de population suffisant pour faire attribuer à lui seul un troisième représentant à ce district. Il suit donc de là que, strictement, les districts de Liège et de Verviers n'ont, ni l'un ni l'autre, le droit d'obtenir le représentent et le sénateur en plus. Ce droit ne peut leur être attribué qu'en faisant profiter ces districts, des excédants de population qui existent.
Verviers a un manquant de 19,857 habitants pour avoir droit à un troisième représentant.
Liège a un manquant de 16,879 habitants pour avoir droit à un sixième représentant.
Il y a ainsi, entre les populations des deux districts, une différence de 2,978 habitants.
Une différence aussi minime ne peut avoir pour conséquence nécessaire, d'attribuer au district de Liège la nomination du sénateur et la nomination du représentant en plus. Ce serait faire absorber, par le district de Liège, un excédant de population dépassant la moitié du nombre requis pour avoir droit à une nomination.
Quel est le but du système représentatif ? Le but du système représentatif c'est d'arriver à une garantie convenable de tous les intérêts, c'est d'attribuer à chacun une part proportionnelle d'influence dans la direction de l'Etat. Or ! Y a-t-il justice, y a-t-il équité, à confisquer tous les avantages au profit d'un district, au détriment d'un autre district également important ? Poser cette question, c'est la résoudre.
Vous repousserez donc, messieurs, un système qui aurait pour résultat immédiat de faire consacrer un principe injuste. La règle de la majorité, en matière de population, n'a rien d'absolu, lorsqu'il ne s'agit pas d'un excédant, formant à lui seul le chiffre pris pour base de l'organisation des chambres législatives. Ce n'est plus dans ce cas, à titre de faveur, mais par application d'une règle d'équité, que l'on peut arriver à faire profiter un district, des excédants de population qui se trouvent dans les autres.
Nous ne doutons pas un seul instant, messieurs, que vous ferez application de ces principes ; vous répartirez, avec équité, entre des districts également importants, les nominations en plus qui doivent avoir lieu, et ainsi que la section centrale l'a parfaitement démontré, il est impossible de ne pas accueillir le système proposé, si on additionne, pour chacun des districts, les fractions centésimales, obtenues lors du recensement. Nous avons la conviction que vous accueillerez la proposition du gouvernement, parce que le système que l'on vous convie de consacrer, tend à concilier tous les intérêts, et à donner, à chaque partie du pays, une part égale dans les avantages. Vous repousserez le système contraire, parce qu'il est imprudent de sacrifier une localité à une autre, parce que c'est donner lieu à un antagonisme souvent dangereux et toujours nuisible à la chose publique.
Ce serait, d'ailleurs, s'associer à un système que repoussent la raison et l'équité, deux bases sur lesquelles repose le projet de loi.
Il n'y avait aucun système de compensation sous la loi de 1831, nous disait-on hier ; M. le ministre de l'intérieur a déjà fait justice de cette observation.
La loi de 1831, comme il vous l'a démontré, a établi au contraire une véritable compensation ; moi je fais abstraction des preuves qu'il vous a données, je suppose qu'il n'y ait pas eu de compensation positive dans la loi de 1831, mais cette loi contient une mesure qui est une véritable compensation, c'est l'alternat. C'est précisément parce que dans la distribution nouvelle vous supprimez l'alternat qu'une compensation devient nécessaire. C'est ce qu'a fait le gouvernement ; l'alternat étant supprimé, il fallait établir une compensation entre les districts. Cette compensation est mathématiquement établie entre les districts de Liège et de Verviers. Il suffit de lire ce qu'en dit le rapport pour en être convaincu.
« Quant à Liège et Verviers, ces deux districts ont au contraire l'un et l'autre la fraction favorable, puisqu'indépendamment de ce qui leur revient de plein droit, Liége a une fraction de 58 p. c. et Verviers un excédant de 50 p. c. Accorder à la fois deux nominations de plus au district de Liège, dont l'excédant ne dépasse celui de Verviers que de 2,978 habitants, ce serait accorder à ce faible chiffre un représentant et un sénateur, en absorbant, au profit de Liège, la fraction favorable que Verviers a acquise par le recensement. D'ailleurs la justice de la répartition du projet de loi est évidente si l'on additionne, pour les sénateurs et les représentants de chacun des districts coalisés, les fractions centésimales, obtenues en vertu du recensement par chacun de ces districts. »
Il faut remarquer que par la loi proposée, on accorde à Liège un demi-représentant de plus qu'il n'a aujourd'hui : car maintenant il alterne avec Huy, pour le cinquième représentant. Or, la loi lui donne cinq représentants. Liège n'a maintenant que deux sénateurs, la loi proposée lui en attribue trois.
Pour Verviers,
Représentants, 2 50/100
Sénateurs, 1 25/100
Soit 3 75/100
Pour Liège,
Représentants, 5 58/000
Sénateurs, 2 79/100
Soit 8 37/100
Remarquez ici que pour repousser la prétention, en ce qui concerne Liège, il suffit de faire observer à la chambre que, d'après la loi proposée, Liège n'a que 37/100 de population en plus, tandis que Verviers a 75/100 en plus de population. Ainsi Liège, pour avoir droit au sixième représentant, ne fait valoir que 57/100, il lui manque donc le deux tiers ; Verviers, pour avoir droit au troisième représentant, fait valoir 75/100. Il ne lui manque que 25/100, c'est-à-dire un quart. D'après les propositions de l'honorable M. Lebeau, vous donneriez à Liège un représentant pour 37/100, et vous le refuseriez à Verviers pour 75 ; vous donneriez à qui manquent deux tiers, et vous priveriez celui à qui ne manque qu'un quart.
Ce serait une injustice. Je crois que, d'après les principes de justice et d'équité, il faut admettre les bases établies par le gouvernement et la section centrale, pour les nominations à faire par les districts de Liège et de Verviers, à la représentation nationale.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, le principe du projet de loi n'a été contesté par personne ; cependant il a été, selon moi, l'objet dans la séance d'hier d'une critique assez grave, puisqu'on a prétendu que le projet viole la Constitution, au moins dans l'article qui limite à deux années le mandat des députés qui appartiennent à la série qui doit sortir en 1849. On a soutenu qu'il n'y avait qu'un moyen constitutionnel d'augmenter le nombre des membres des deux chambres ; que c'était la dissolution des deux chambres, que cela résultait de l’article 51 de la Constitution qui porte que les membres de la chambre des représentants sont élus pour quatre ans.
Je crois, messieurs, qu'on n'a pas fait une application judicieuse de cet article 51, qu'il faut lire tout entier et qu'il faut combiner avec les lois portées pour son exécution .Cet article, après avoir dit que les membres de la chambre des représentants sont élus pour 4 ans, ajoute : « Ils sont renouvelés par moitié tous les deux ans, d'après l'ordre des séries déterminé par la loi électorale ».
Ainsi il n'est pas vrai que les membres de la chambre des représentants doivent nécessairement être tous élus pour quatre ans, puisque dans le cas d'une élection intégrale, la moitié de ces membres n'est élue que pour deux ans ; ce sont ceux qui appartiennent à la série qui sort deux ans après l'élection, selon l'ordre qui devait être déterminé par la loi électorale.
Quel est cet ordre ? L'article 54 de la loi électorale a renvoyé lui-même à une autre loi. Cet article se borne à stipuler que la chambre des représentants et le sénat sont renouvelés par série de députés, dans l'ordre qui sera déterminé par une loi spéciale. Cette loi spéciale a été faite ; c'est celle du 10 avril 1835. Elle a formé deux séries composées l'une des (page 1053) provinces de Brabant, d'Anvers, de la Flandre occidentale, du Luxembourg et de Namur, et la seconde des provinces de la Flandre orientale, de Hainaut de Liège et de Limbourg. Un tirage au sort a fait connaître laquelle des deux séries devait sortir la première. D'après ce tirage, c'est la seconde série qui est sortie en 1835.
Ainsi selon la province dans laquelle un député est élu, il appartient à l'une ou à l'autre de ces deux séries ; dès lors en vertu de l'article 31 de la Constitution, il est compris dans le renouvellement par moitié, et doit voir finir son mandat au jour qui est déterminé pour la sortie des députés de la série dont il fait partie. Il en sera ainsi des députés élus en vertu de la loi que nous discutons. Il ne peut, selon moi, être fait d'objection sérieuse sur ce point. Si la section centrale a introduit une disposition spéciale dans le dernier article de la loi, c'était pour lever au besoin tout doute, pour avertir les électeurs de certaines provinces que le mandat qu'ils allaient donner n'était qu'un mandat de deux années.
Mais il n'y a rien dans cette disposition que de conforme à l'article 51 de la Constitution et aux lois qui ont réglé l'exécution de cet article.
Je crois donc, messieurs, que vous ne vous arrêterez pas à la difficulté constitutionnelle qui a été soulevée.
Les autres critiques qu'a subies le projet de loi sont des critiques de détail. On a proposé des amendements. On a soutenu qu'en ce qui concerne les districts d'Alost et de Termonde d'une part, les districts de Liège et de Verviers d'autre part, le gouvernement n'avait pas été fidèle, quant à la répartition des députés et des sénateurs, à la règle qu'il s'était posée et qu'il avait suivie pour les autres districts.
Je pense, messieurs, que le gouvernement a obéi à la règle de faire une répartition équitable et aussi rapprochée que possible d'une division rigoureusement exacte. Je dis aussi rapprochée que possible. Car ce n'est pas chose facile que de répartir 108 représentants et 54 sénateurs entre un grand nombre de districts de populations différentes, alors qu'il faut, pour le nombre des représentants, diviser le chiffre de ces populations par 40,000, et pour le nombre des sénateurs, diviser ce même chiffre par 80,000. Car en résultat vous obtenez un très grand nombre de fractions plus ou moins considérables et vous êtes exposés, si vous négligez la plupart de ces fractions, à commettre des injustices relatives, à faire représenter un district dans une proportion beaucoup plus forte qu'un autre district.
On a soutenu, messieurs, qu'il fallait dans tous ces cas appliquer une règle absolue, invariable, celle d'attribuer toujours le représentant ou le sénateur qui se trouve en plus après la première division, à la fraction la plus élevée ; de manière que si vous aviez, à la fois, à attribuer de cette manière un représentant et un sénateur, vous les donneriez l'un et l'autre à cette fraction la plus élevée, et vous ne donneriez rien à une autre fraction considérable aussi, quand même elle suivrait de très près.
Evidemment, messieurs, si vous appliquiez cette règle d'une manière absolue et avec cette rigueur, vous commettriez de véritables injustices.
Mais, dit-on, c'est ainsi que le congrès a procédé. Non, messieurs, le congrès n'a pas procédé ainsi. Le congrès a senti tout ce qu'il y aurait d'inique dans l'application trop rigoureuse de cette règle, et il ne l'a appliquée qu'avec des tempéraments.
On avoue cela pour certains tempéraments ; on le nie pour un autre. On dit : Oui, le Congrès avait tempéré la rigueur de la règle dans plusieurs cas, en admettant l'alternat de la nomination entre deux districts qui avaient une fraction à peu près équivalente, ou en faisant concourir ces deux districts pour l'élection en commun du représentant ou du sénateur à leur attribuer.
Messieurs, ce n'est pas là le seul tempérament que le congrès avait admis. Il avait admis aussi celui de la compensation. Quoiqu'on l'ait nié, messieurs, cela résulte des chiffres mêmes que l'on a mis sous vos yeux. Seulement, quand on a rencontré de ces chiffres, on s'est tiré de difficulté en disant : C'est une erreur. Mais au lieu de dire : C'est une erreur, je dis, moi : C'est une application du tempérament dont je viens de parler.
Ainsi, dans ce système, si l'on prend en considération d'une part la fraction de population, à laquelle il n'est pas satisfait par la représentation accordée dans l'une des chambres, on a égard au déficit de population qui peut se présenter pour le même district, d'après la représentation qu'on lui a donnée dans l'autre chambre.
Et en effet, parcourez le tableau qui vous a été distribué, vous remarquerez qu'un très grand nombre de districts sont représentés d'une manière inégale dans les deux chambres, sont représentés dans une proportion plus forte dans l'une, dans une proportion moins forte dans l'autre ; et si vous prenez garde aux motifs qui ont déterminé à agir ainsi, vous remarquerez tout de suite qu'il y a toujours la compensation ; que la représentation dans l'une des chambres excède ce qu'aurait rigoureusement prescrit le chiffre de la population, tandis que dans l'autre elle est au-dessous de ce qu'aurait exigé ce chiffre.
Il en est ainsi pour la représentation attribuée, après une première opération, aux provinces ; il en est ainsi pour celle qui a été attribuée ensuite par sous-répartition aux districts.
Plusieurs provinces ne sont pas représentées dans l'une et l'autre chambre de la même manière. Ainsi la province d'Anvers, qui a 9 représentants, n'a que 4 sénateurs ; la province de Liège, qui a 9 représentants, a 5 sénateurs. Ces deux provinces ont donc le même nombre de représentants ; mais l'une a un sénateur de plus que l'autre. Or, cela provient précisément de l'opération dont je viens de parler ; c'est que Liège avait un excédant auquel il fallait satisfaire, et qu'il n'en était pas ainsi de la province d'Anvers.
La province de Limbourg, à laquelle on voulait attribuer d'abord 8 représentants et quatre sénateurs, aurait eu un excédant de population assez considérable, approchant de très près la moitié du chiffre nécessaire pour exiger un représentant, puisqu'il excédait 18,000. Cet excédant de 18,000 se présentait et quant au nombre de nominations qu'on lui accordait pour la chambre des représentants, cl quant au nombre qu'on lui accordait pour le sénat.
On a trouvé qu'ici l'application de la règle aurait été trop rigoureuse ; qu'il fallait tenir compte des deux fractions, les additionner en quelque sorte, et d'après leur total faire droit à ce que l'équité commandait. La répartition qui n'attribuait à cette province que 8 représentants et 4 sénateurs était proposée dans la supposition qu'il n'y aurait que 100 représentants et 50 sénateurs. On a élevé le nombre des représentants à 102 et on en a attribué un de plus à la province de Limbourg.
Un honorable membre n'a vu là qu'une erreur du congrès, ou même l'effet du hasard, et de la manière dont il s'est expliqué, il semble que le congrès n'avait pas les éléments nécessaires pour apprécier ces questions, qu'il ne connaissait pas le véritable chiffre de la population. Mais tout cela est complètement inexact, d'autant plus qu'il y a eu une discussion toute spéciale sur ce point. La question de la représentation du Limbourg a fait l'objet d'une discussion particulière ; c'est pour satisfaire à cet intérêt du Limbourg et à celui du Luxembourg, province à laquelle il fallait aussi accorder un représentant de plus, que l'on a élevé de 100 à 102 le nombre total des représentants, après s'être auparavant assuré que la population générale du royaume permettait, aux termes de la Constitution, de porter à 102 le nombre des représentants. Je fais cette observation, parce que, je le répète, on a insinué que le congrès n'avait pas été mis à même de connaître la population véritable. On a même fait imprimer dans les notes du tableau qui nous a été distribué et qui se trouve maintenant au Moniteur, que c'était sur la simple assertion de mon honorable ami M. de Theux que le congrès avait bien voulu croire que la population du royaume permettait de porter le nombre des représentants à 102. Eh bien, les tableaux de répartition des députés et des sénateurs, soumis au congrès, et ce que nous avons conservé, dans les journaux, des discussions de cette assemblée, prouvent que tous les chiffres de la population étaient bien connus ; ces chiffres étaient même portés sur les tableaux en marge de l'indication de chaque district ; on y avait fait ressortir jusqu'aux excédants et déficit de la population de chacun d'eux, excédants et déficit qui étaient le résultat des propositions qui étaient faites ; personne ne pouvait donc s'y tromper et ce n'est pas M. de Theux seulement qui a déclaré que la population totale du royaume excédait 4,080,000 habitants ; le premier orateur qui prit la parole pour répondre à l'interpellation faite sur ce point, fut l'honorable M. Nothomb, rapporteur de la commission spéciale nommée pour faire le travail de la répartition entre les divers districts, et il déclara que la population était de plus de 4,080,000 habitants ; ensuite M. Beyts, M. Charles de Brouckere, puis enfin M. de Theux, sont venus non pas articuler mais (selon les journaux) prouver que la population excédait 4,080,000 habitants. Aussi la proposition d'élever le nombre des représentants à 102 a-t-elle été votée au congrès à une immense majorité, bien que l'on eût commencé par soulever le scrupule constitutionnel et par dire qu'auparavant il fallait qu'il fût constant que le chiffre total de la population le permettait.
Ainsi, messieurs, il n'y a point eu erreur en ce qui concerne le Limbourg, et le congrès a su parfaitement ce qu'il faisait. Il a appliqué là une règle d'équité que nous devons encore appliquer aujourd'hui.
J'ai dit, messieurs, qu'il en a été de même, quant à la sous-répartition entre les districts. En effet, nous remarquons aussi qu'un grand nombre de districts ne sont pas représentés dans la même proportion, dans l'une et dans l'autre chambre. Ainsi, tandis que le district d'Alost n'avait que trois représentants, il avait deux sénateurs ; tandis que le district de Courtray n'avait que trois représentants, il avait également deux sénateurs ; tandis que le district d'Ypres n'avait que deux représentants, il avait un sénateur et, au moyen de l'alternat, un demi-sénateur ; or pour être représenté dans la même proportion dans les deux chambres, il aurait dû avoir trois représentants. D'autre part, tandis que le district d'Audenarde avait trois représentants, il n'avait qu'un sénateur ; il en était de même du district de Ruremonde et du district de Courtray. Le district de Tournay avait quatre représentants ; il n'avait qu'un sénateur et, au moyen de l'alternat, un demi-sénateur. Dans tous ces cas, il y avait fraction en excédant d'un côté, fraction en déficit de l'autre, et au moyen de la compensation cette répartition devient tout à fait équitable.
Mais je vous ferai particulièrement remarquer ce qui concerne le district de Courtray et le district de Bruges. D'après les propositions qui étaient faites au congrès, le district de Bruges, pour une population de 100,833 habitants, obtenait 3 représentants et un sénateur ; et le district de Courtray, pour une population de 140,852 habitants, obtenait aussi 3 représentants, mais obtenait 2 sénateurs. Or, il faut observer que le district de Courtray, d'après le nombre de représentants qui lui est assigné, se trouve avoir un excédant de population de 20,852 habitants ; tandis que si on lui avait donné le représentant qui a été attribué comme troisième représentant au district de Bruges, l'excédant du district de Bruges eût été inférieur ; il n'aurait été que de 20,833 habitants. Si donc on avait appliqué la règle rigoureuse dont parlait l'honorable M. Lebeau, dans la séance d'hier, on aurait attribué au district de Bruges 2 représentants et 1 sénateur seulement, et le district de Courtray aurait obtenu 4 représentants et 2 sénateurs. Alors le district de Bruges se serait trouvé (page 1054) avoir, tant pour l'une que pour l'autre chambre, un excédant de population de 20,833 habitants, et le district de Courtray, tant pour l'une que pour l'autre, un déficit de 19,148. Ce résultat eût été injuste ; mais il n'eût été que la conséquence nécessaire de l'application rigoureuse de la règle que l'on invoque comme une règle inflexible.
Ce n'est pas ainsi que le congrès l'entendait : il a donné le sénateur au district de Courtray, mais il a donné le représentant au district de Bruges, et il a appliqué le tempérament équitable de la compensation. Pour l'un et pour l'autre district, il y a, d'un côté, un excédant de population, qui est compensé par un déficit de l'autre. En un mot, de la même manière que par l'alternat ou par le concours, on partage en quelque sorte un représentant ou un sénateur entre deux districts, de la même manière, lorsqu'après la répartition faite entre les districts, à raison d'un représentant par 40,000 habitants et d'un sénateur par 80,000, il reste à la fois un représentant et un sénateur pour lesquels concourent deux districts ayant l'un et l'autre un excédant de population considérable, on opère le partage, en attribuant le sénateur à l'un et le représentant à l'autre. C'est tout à fait la même règle d'équité. Il est évident qu'elle a été appliquée ainsi au district de Courtray et à celui de Bruges.
L'honorable député de Bruxelles auquel je réponds a encore dit quel c'était une erreur… (Interruption). .Il ne l'a peut-être pas dit hier, mais il l'a fait imprimer en marge des chiffres de son tableau. C'est, d'après l'honorable membre, une erreur qui a été commise en ce qui concerne les districts de Bruges et de Courtray ; mais le congrès, selon lui, n'a pas eu l'intention d'appliquer cette règle d'équité.
Si c'est une erreur, elle était bien volontaire. Car la proposition a été faite par une commission spéciale composée de 9 membres, dont un était pris dans chaque province. Cette commission, en présentant le tableau de son travail, avait indiqué tous les chiffres de population, fait ressortir tous les excédants et les déficits, de manière qu'il suffit de prendre connaissance de ce tableau pour que cette comparaison saute aux yeux.
Mais il y a plus : il y a eu une réclamation contre les propositions de cette commission. Cette réclamation a été faite par les députés de Courtray qui ont prétendu que leur district était lésé. Le congrès a donc été appelé à se prononcer ; et, remarquez-le, ces députés n'ont pas osé demander que tout à la fois le représentant et le sénateur leur fussent attribués. Cela aurait paru tellement inique qu'ils n'auraient pas eu l'espoir de l'obtenir du congrès. Ils n'ont pas été jusque-là ; ils se sont bornés à demander que le représentant ne fût plus nommé alternativement par les deux districts de Bruges et de Courtray. Mais la réponse était que Courtray avait déjà son intérêt satisfait en quelque sorte, parce qu'on lui avait attribué le sénateur ; qu'ainsi il n'y avait pas de raison pour partager encore avec lui le représentant. Et l'amendement a été repoussé par le congrès. Mais l'ensemble de la loi électorale ayant été rejeté, et la même loi avec quelques modifications ayant été reproduite, comme la proposition qui concernait Bruges et Courtray se trouvait reproduite aussi, les députés de Courtray ont alors renouvelé leur réclamation devant le congrès. Et cette fois, pour répondre d'avance à l'objection qui leur avait été faite, ils ont demandé que tout à la fois le représentant et le sénateur alternassent entre Bruges et Courtray.
Ici, le congrès a reculé devant les difficultés de l'opération. Car un alternat qui se fût appliqué à la fois au représentant et au sénateur, alors que ces mêmes districts avaient d'autres représentants et d'autres sénateurs à élire, et alors que les sénateurs et les représentants étaient nommés par scrutins séparés, tout cela aurait nécessité quatre scrutins successifs, non compris les scrutins éventuels de ballottage. Aussi, on a combattu l'amendement, en faisant ressortir les inconvénients qui résulteraient de ce système d'alternat, s'appliquant à la fois au représentant et au sénateur. L'amendement fut de nouveau rejeté.
Je tenais à vous rappeler cette double réclamation qui a été faite au congrès, parce qu'elle répond à l'assertion de l'honorable député de Bruxelles, à savoir, que c'est par erreur que le congrès a procédé comme il l'a fait. Mais, bien loin qu'il ait procédé par erreur, il y a eu un travail motivé d'une commission spéciale ; il y a eu ensuite une double discussion et un double vote.
Il est donc bien établi que le congrès a appliqué cette règle d'équité qui est encore invoquée aujourd'hui. Et indépendamment de la preuve qui résulte des chiffres qui ont été mis sous vos yeux, je puis aussi m'appuyer sur des témoignages. Car des membres du congrès qui ont assisté à ces discussions existent encore, et se souviennent des principes qui ont servi de base au travail de cette assemblée. J'invoquerai notamment ici le témoignage de M. le comte Le Hon qui faisait partie du congrès, et qui s'est expliqué sur ce point, le 25 juillet dernier, au conseil provincial du Hainaut, dans les termes suivants :
« On s'est alors (en 1831} si étroitement attaché au chiffre de la population comme base de la représentation légale, que l'on a souvent compensé les déficits dans le nombre des habitants, pour les députés, par les excédants qu'il offrait pour les sénateurs et vice-versa. »
Ainsi la règle que j'invoque, que la majorité de la section centrale invoque, on reconnaissait, au mois de juillet dernier, qu'elle avait été appliquée par le congrès. Cette règle, on la conteste aujourd'hui. La chambre décidera si l'équité exige encore qu'on l'applique.
Mais est-il survenu quelques raisons pour recourir à ce moyen de rétablir l'équilibre proportionnel entre les arrondissements électoraux pour leur représentation dans les chambres ? Tout au contraire. Le congrès, comme je l'ai dit, usait de différents tempéraments pour amener cette égalité proportionnelle ; or, il y a de ces tempéraments auxquels vous renoncez aujourd'hui, à cause des inconvénients auxquels ils donnent lieu. Mais alors l'équité vous commande de tenir d'autant plus au seul tempérament qui vous reste, car sans cela vous consacreriez une véritable injustice et vous la consacreriez sans remède. C'est précisément parce qu'il faut renoncer à l'alternat, au concours (excepté dans les cas où il est absolument nécessaire de donner une représentation quelconque à un district), c'est précisément pour cela que vous devez tenir à cette règle de compensation, qui vous fera éviter des injustices criantes dans la répartition.
On a dit que les cas d'application de cette règle d'équité qu'on rencontre dans le projet de loi sont des exceptions. Eh bien, je voudrais qu'on articulât d'autres cas spéciaux où l'équité commande de l'appliquer aussi ; je voudrais qu'on citât le district auquel il faudrait ôter un représentant ou un sénateur pour le donnera un autre district.
Il me suffit, quant à moi, de démontrer que la règle est applicable dans les deux cas pour lesquels on a proposé des amendements. L'un concerne les districts d'Alost et de Termonde. Il y a un représentant de plus qui doit être alloué à l'un de ces deux districts. Remarquez que chacun a un excédant de population, mais la différence entre les deux districts est insignifiante ; elle n'est pas même de deux mille âmes ; l'excédant de population est de 16,848 habitants pour Termonde, et pour Alost, il est de 18,211 ; de sorte que sous ce premier rapport les deux districts sont à peu près sur la même ligne ; mais voici qui établit une grande différence entre eux ; c'est qu'Alost, outre ses trois représentants, a deux sénateurs, et que pour atteindre la population qui lui donne le droit d'avoir cette représentation dans le sénat, il lui manque 21,789 habitants. Alost n'a donc pas à se plaindre, d'après cette règle de compensation dont je parlais, au moyen de trots représentants et de deux sénateurs, Alost n'éprouve pas de préjudice, tandis que Termonde n'ayant qu'un sénateur et deux représentants, est représenté d'une manière insuffisante à la chambre et au sénat.
Ainsi le principe d'équité commandait, vu surtout la faible différence d'excédant de population entre les deux districts, l'équité indiquait qu'on devait attribuer ce représentant à Termonde.
Si, en effet, vous prenez dans l'un des tableaux qui accompagnent le projet de loi, les chiffres résumant la représentation qui appartient d'après la population à ces deux districts, vous trouvez qu'Alost a droit dans la chambre des représentants à un nombre de députés exprimé par le chiffre 3 et une fraction qui est 45/100, et dans le sénat à un nombre qui est représenté par le chiffre 1 et une fraction de 75/100 ; le total donnait 5 avec une fraction très faible qui n'est que 18/100. Evidemment cinq nominations satisfont à ce qu'exige la population d'Alost ; avec trois représentants et deux sénateurs, Alost obtient cinq nominations.
Vous remarquerez en même temps que c'est au deuxième sénateur qu'Alost a véritablement droit, puisque sa fraction est 75/100. D'ailleurs Alost a aujourd'hui ses deux représentants dans le sénat, sa situation actuelle est d'avoir 5 représentants et deux sénateurs ; la question est de savoir si Alost peut réclamer quelque chose de plus. Il est évident que non.
Quant à Termonde, le chiffre de sa population est 2-42 pour les représentants, et 1-21 pour les sénateurs, ce qui fait 3-63 ; vous avez là une fraction très forte qui donne lieu à une quatrième nomination. Les chiffres démontrent donc le droit du district de Termonde.
Mais, dit-on (on a parlé dans ce sens dans la séance d'aujourd'hui), qu'importe d'avoir deux sénateurs ? Ce n'est pas le sénat qui représente le pays, le sénat n'est qu'un corps intermédiaire. Dire cela, c'est se mettre en opposition avec la Constitution. Il est vrai qu'on avait proposé un sénat qui aurait eu ce caractère ; mais cette institution a été repoussée par le congrès ; le sénat, comme la chambre des représentants, est un corps électif, une assemblée représentative. La Constitution ne dit pas que les membres de la chambre des représentants représentent la nation mais que les membres des deux chambres représentent la nation.
Ce n'est pas sans motif que la Constitution s'est énoncée ainsi. Il faut tenir compte de la représentation dans le sénat, comme de la représentation dans l'autre chambre.
Je pense qu'il ne restera pas de doute dans vos esprits en ce qui concerne l'amendement qui aurait pour but de donner à Alost quatre représentants au lieu de trois, tandis que Termonde n'aurait que deux représentants et un sénateur, de façon qu'Alost aurait une représentation telle qu'il y aurait déficit de 21,789 habitants, tandis que Termonde aurait une représentation qui présenterait un excédant de 16,848.
Je viens à l'amendement qui concerne les districts de Liège et de Verviers. Le district de Liège, ainsi que vient de le faire remarquer un honorable député de Verviers, a quatre représentants et un alternat avec Huy, c'est-à-dire un demi-représentant ; et il a deux sénateurs. Le projet de loi lui donne cinq représentants et trois sénateurs. Le résultat du projet de loi est que si d'une part pour cinq représentants le district de Liège offre un excédant de 23,121 habitants, pour le sénat il présente un déficit de 16,869 habitants. Quant au district de Verviers, il a deux représentants et un sénateur, de sorte qu'il n'est suffisamment représenté ni dans l'une ni dans l'autre chambre. Ici encore le chiffre qui forme l'excédant la fraction dépasse la moitié.
Déjà, en 1831, le district de Verviers avait un excédant, mais beaucoup moins considérable. Cependant ses députés ont fait alors beaucoup d'efforts pour obtenir une représentation plus considérable au moyen d'un alternat, et le congrès n'ayant pas admis cette prétention, ils ont tous voté en masse contre l'ensemble du projet de loi électorale.
(page 1055) Mais alors l'excédant formait une fraction que l'on pouvait négliger sans manquer à l'équité. Aujourd'hui qu'elle est de plus de vingt mille habitants et qu'elle se présente à la fois, en ce qui concerne l'une et en ce qui concerne l'autre chambre, il me paraît qu'on ne peut la négliger sans manquer à l'équité. Car en fait, comme on vient de le faire remarquer, la population actuelle de Verviers suppose une représentation dans les deux chambres, qui est rendue par le chiffre de 3.75. Cela doit donc lui donner quatre nominations en bonne justice ; tandis que la population de Liège suppose une représentation dans les deux chambres qui est exprimée par le chiffre de 8.57. La fraction est ici inférieure à la moitié ; donc 8 nominations satisfont à tout ce qu'on peut exiger.
Je me bornerai, messieurs, à ce peu de mots, en ce qui concerne les districts de Liège et de Verviers, puisque cette question vient d'être traitée à l'instant même par un honorable député de Verviers.
Un troisième amendement avait été annoncé. Il n'a pas encore été déposé. J'attendrai, pour le rencontrer, qu'il ait été produit sur le bureau.
Cet amendement a pour but de faire concourir les districts d'Ath et de Soignies à l'élection du représentant en plus, que le projet attribue au district de Soignies.
Je ferai toutefois une observation en ce qui concerne cet amendement ; c'est que s'il est produit et s'il est adopté par la chambre, je demanderai alors que la chambre en adopte un semblable en ce qui concerne le district de Turnhout.
En effet, messieurs, le district de Turnhout, qui a une population qui excède maintenant 100,000 âmes, n'a que deux représentants et un sénateur ; de sorte qu'il y a aussi là un excédant de plus de 20,000 âmes quant à la représentation dans l'une et dans l'autre chambre. Il se trouve donc véritablement lésé.
Mais quand je mets le chiffre qui concerne Turnhout en regard de ceux qui concernent le district de Malines et le district d'Anvers, je ne vois pas de moyen de demander pour Turnhout un représentant attribué à l'un ou à l'autre de ces districts. Quant au district de Malines qui a trois représentants, cela suppose une population de 120,000 âmes. Il en a déjà 116,215, de sorte qu'a une bagatelle près, c'est le chiffre complet que suppose cette représentation.
Malines a deux sénateurs, et sa population ne suppose pas deux sénateurs. Mais Turnhout, qui a deux représentants, ne peut pas penser à avoir deux sénateurs, c'est-à-dire à avoir dans le sénat une représentation hors de toute proportion avec sa population.
Mais il me semble que si l'on adopte le système du concours, il y aurait toute justice à ce que Turnhout concourût avec Anvers pour le représentant qu'on a donné en plus à ce dernier district. En effet, l'excédant de Turnhout qui est d'au-delà de la moitié en ce qui concerne la représentation dans la chambre, se rapproche de beaucoup de l'excédant d'Anvers. Turnhout a un excédant de 20,466 ; Anvers en a un de 29,677. 11 est vrai qu'Anvers n'est pas suffisamment représenté dans le sénat ; mais Turnhout n'est pas non plus suffisamment représenté dans le sénat. Ainsi il se trouve à peu près dans la même situation, et en le faisant concourir, comme l'arrondissement d'Anvers est plus populeux, il conserverait toujours de l'avantage dans le concours.
De sorte que tous les motifs d'équité qu'on peut faire valoir pour le concours entre les districts d'Ath et de Soignies, je puis les faire valoir également pour le concours entre les districts de Turnhout et d'Anvers. Et il y a même ici un motif déplus ; c'est l'élévation du chiffre de la fraction à laquelle il n’est pas satisfait ; tandis qu'en ce qui concerne Ath, la fraction est de beaucoup inférieure à la moitié, puisqu'elle n'est que de 13 à 14,00u habitants, ici elle est de 20,466.
Je me réserve donc de déposer l'amendement que j'ai annoncé pour le cas où la chambre adopterait celui qui a été annoncé par un honorable député du Hainaut.
- La séance est levée à heures et demie.