(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Dumont, vice-président.)
(page 916) M. Huveners procède à l'appel nominal à 1 heure moins un quart. La séance est ouverte.
M. Van Cutsem donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Roelens, ancien receveur de l'enregistrement, prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir la place de garde-magasin contrôleur du timbre ou celle de surveillant aux ventes publiques. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les meuniers de Poperinghe demandent que l'administration des douanes retire la décision en vertu de laquelle tout meunier qui circule avec du grain ou de la farine pour les besoins des habitants est tenu de se pourvoir d'un acquit-à-caution. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vanonackeren demande un droit de sortie de 20 à 25 p. c. sur le lin et propose des mesures pour encourager et améliorer la culture de cette plante. »
M. de Haerne. - Messieurs, je demanderai que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport. Il ne faut pas confondre cette pétition avec celles qui ont été adressées à la chambre, il n'y a pas longtemps, et qui n'ont pas reçu de la chambre un accueil très favorable. On propose, dans cette pétition, de combiner la mesure qui est sollicitée depuis longtemps, quant à la restriction de la sortie des lins, avec d'autres mesures qui seraient favorables à l'agriculture, de telle manière que, d'après l'exposé de la pétition, le cultivateur, loin d'en souffrir, y gagnerait.
Entre autres mesures, on propose que la société se charge de l'achat de la graine de Riga de bonne qualité et la distribue gratuitement aux agriculteurs qui voudraient ensemencer les terres en lin. Le prix de la graine serait remboursé par le revenu des droits.
Une autre mesure, également favorable à l'agriculture, consisterait à garantir, dans certaines localités, aux petits fermiers le prix des lins vendus aux tisserands, afin que, soit par l'intermédiaire des comités, soit par celui des administrations communales, les fermiers et surtout les petits fermiers ne fussent pas exposés aux pertes qu'ils essuient ce moment, pertes qui sont quelquefois considérables et qui sont très nuisibles à l'agriculture.
Autrefois, dans ces localités, le tisserand achetait à crédit le lin sur pied et le travaillait lui-même. Aujourd'hui il n'a plus de crédit et ne peut plus se procurer convenablement la matière première. Il résulte de là que les cultivateurs sont obligés de travailler eux-mêmes le lin ; ils reculent, surtout les petits, non seulement devant les dépenses et l'emploi d'un grand nombre d'ouvriers, mais aussi devant les difficultés de ces opérations, auxquelles ils ne sont pas habitués dans les localités dont je parle. Pour ces motifs, quelques-uns abandonnent, d'autres restreignent la culture du lin.
Tel est, messieurs, l’ensemble des mesures qui sont exposées dans la pétition. Vous voyez donc que cette requête diffère essentiellement de celles qui ont été analysées précédemment. Je suis, en conséquence, autorisé à dire que la pétition mérite toute l'attention de la commission des pétitions, (page 917) et c'est pour ce motif que je demande que la commission fasse son rapport dans le plus bref délai possible.
M. Rodenbach. - Messieurs, la requête dont on vient de parler est l'analyse d'une brochure qui a été distribuée hier à tous les membres de la chambre. Je crois qu'au lieu de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions, comme le demande l’honorable M. de Haerne, il vaudrait infiniment mieux la soumettre à l'examen de la commission permanente de l'industrie. La commission se livrera d'autant plus utilement à cet examen que la pétition, je le répète, n'est que l'analyse de la brochure dont je viens de parler, et comme cette brochure est entre les mains de tous les membres de la chambre, nous connaîtrons déjà en partie la question, quand nous serons saisis du rapport de la commission permanente de l'industrie.
M. Desmet. - Messieurs, des pétitions de même nature ont déjà été renvoyées à la commission permanente de l'industrie ; il y a lieu de renvoyer également celle-ci à la même commission. L'objet est loin à fait agricole : il s'agit de favoriser la culture du lin. Je demande donc avec l'honorable M. Rodenbach que la pétition soit renvoyée à la commission permanente de l'industrie, avec prière de faire un très prompt rapport.
M. Delehaye. - Messieurs, j'ai lu la pétition à laquelle on vient de faire allusion, et je puis dire que la plupart des propositions énoncées dans la pétition sont frappantes de vérité. Cette pétition a bien traité la question du lin ; tous ceux qui ont fait une étude un peu spéciale de cette affaire, reconnaîtront avec moi que jamais on n'a jeté plus de lumières sur une question hérissée de tant de difficultés.
Messieurs, j'avais demandé la parole pour modifier la proposition de l'honorable M. de Haerne, qui demandait le renvoi à la commission des pétitions avec invitation défaire un prompt rapport. Cette pétition est digne de la plus haute attention de la chambre. Comme nous avons une commission spéciale chargée de l'examen des questions qui concernent l'industrie, je demander, avec l'honorable M. Rodenbach, que cette pétition lui soit renvoyée.
M. de Haerne. - Je ne m'oppose pas au renvoi à la commission d'industrie ; il est possible que ce soit préférable ; je n'ai aucune opposition à faire à cet égard. Mais je dois faire une remarque sur une observation de M. Rodenbach. Cet honorable membre a dit que la pétition dont il s'agit est l'analyse d'une brochure qui a paru dans le Nouvelliste des Flandres ; je viens de lire cette brochure, qui m’a paru très remarquable ; mais, pour prouver que la pétition n'en est pas seulement l'analyse, je dirai qu'il est question, dans la pétition, de certaines mesures dont la brochure ne fait pas mention. La pétition va plus loin que la brochure ; elle propose plusieurs mesures, tandis que la brochure ne parle que d'une seule. La pétition, je le réputé, mérite une attention toute spéciale, mais rien n'empêcherait que la commission d’industrie s’occupât en même temps de la brochure qui est de nature à jeter plus de lumière sur la question.
M. Dumortier. - Messieurs, la pétition dont il s'agit soulève une question très grave ; les pétitionnaires demandent qu'on frappe d'un droit la sortie du lin. Puisqu'on revient avec tant d’insistance sur cette demande, je ne veux pas laisser passer celle pétition sans faire remarquer toute l'importance de la question qu'elle soulève. Je suis de ceux qui sont disposés à faire tous les sacrifices possibles en faveur de l’industrie linière. J'en ai donné des preuves en votant tous les projets avantageux pour les Flandres qui ont été présentés. Mais parce qu'il y a des malheureux à secourir, faut-il augmenter le nombre des malheureux ? C'est ce qui arrivera le jour où vous mettrez un droit sur les lins à la sortie, car cette mesure aura pour effet de diminuer la culture du lin et par conséquent de rendre le lin plus cher qu'il n'est aujourd'hui. (Interruption.)
Quand on insiste pour faire adopter une mesure d'une aussi grande portée, il est nécessaire que ceux qui la croient mauvaise fassent connaître leur opposition.
Je répète que cette question est très grave, et j'engage la commission d'industrie à en examiner toutes les faces avec la plus grande attention.
M. de Haerne. - D'après les observations de l'honorable M. Dumortier, je pense qu'il n'était pas présent quand cette discussion a commencé, car sans cela, il aurait trouvé tous ses apaisements dans l'analyse que j'ai donnée de la pétition ; il se serait convaincu que les pétitionnaires avaient autant de sollicitude pour l'agriculture que l’honorable membre, car ils proposent de concilier les intérêts de l'industrie avec ceux de l'agriculture. C'est pourquoi j'ai dit que cette pétition était très intéressante et méritait de fixer toute l'attention de la commission.
Il serait bon qu'elle s'en occupât au plus tôt, et fît promptement un rapport.
- Le renvoi à la commission d'industrie, avec invitation de faire un prompt rapport, est ordonné.
« Le conseil communal de Furnes demande le maintien du concours des arrondissements de Dixmude, Ostende et Furnes, pour l'élection des sénateurs, et l'établissement du bureau principal à Furnes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la nouvelle répartition des représentants et des sénateurs.
« Plusieurs propriétaires de la province de Namur demandent que la chasse à la bécasse dans les bois, au sujet de laquelle l'arrêté d fermeture de la chasse n'a pas fait d'exception, soit permise jusqu'au 15 avril. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs cultivateurs de Langdorp, Beggynendyck, Betecom et Gelrode, prient la chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des projets de loi sur l'enseignement agricole, sur l'exercice de la médecine vétérinaire et sur l'organisation de l'école vétérinaire de l'Etat. »
- Sur la proposition de M. de Renesse, renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi, avec demande d'un prompt examen de ces projets de loi en section centrale.
« Le sieur Spinnael, ancien lieutenant au 16ème régiment de réserve, demande le remboursement des retenues qui ont été opérées sur ses appointements en 1840. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Waulers, ancien sous-officier, demande un secours. »
- Même renvoi.
« Les bourgmestres des communes du canton de Glons demandent que le chef-lieu de ce canton soit transféré à Fexhe lez-Slins. »
- Sur la proposition de M. Fleussu., renvoi à la commission des circonscriptions cantonales, avec demande d'un prompt rapport.
« Plusieurs maîtres tonneliers à Anvers demandent une réduction du droit d'entrée sur les douves. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
M. de Garcia demande un congé de quelques jours pour cause d'indisposition.
- Le congé est accordé.
Il est procédé à la nomination, par scrutin de liste, des membres des jurys d'examen pour les grades académiques.
Voici le résultat du scrutin :
61 membres sont présents ;
21 membres ont déposé des bulletins blancs ;
40 prennent part au scrutin.
Sont proclamés membres des jurys d'examen :
Doctorat en droit.
Titulaire, M. Bruyn, professeur à l'université de Louvain, a obtenu 37 suffrages.
Suppléant, M. Schollaert, professeur à l'université de Louvain, a obtenu 37 suffrages.
Candidature en droit.
Titulaire, M. Derote, professeur à l'université de Gand, a obtenu 36 suffrages.
Suppléant, M. Molitor, professeur à l'université de Gand, a obtenu 36 suffrages.
Doctorat en médecine.
Titulaire, M. Michaux, professeur à l'université de Louvain, a obtenu 36 suffrages.
Suppléant, M. Haan, professeur à l'université de Louvain, a obtenu 37 suffrages.
Candidature en médecine.
Titulaire, M. Langlet, professeur à l'université de Bruxelles, a obtenu 37 suffrages.
Suppléant, M. de Roubaix, professeur à l'université de Bruxelles, a obtenu 37 suffrages.
Sciences.
Titulaire, M. Kickx, professeur à l'université de Gand, a obtenu 36 suffrages.
Suppléant, M. Valerius, professeur à l'université de Gand, a obtenu 36 suffrages.
Philosophie et lettres.
Titulaire, M. Bormans, professeur à l'université de Liège, a obtenu 36 suffrages.
Suppléant, M. Loomans, professeur à l'université de Liège, a obtenu 37 suffrages.
Les amendements apportés aux articles 3 et 4 sont définitivement adoptés.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je demanderai à la chambre de revenir, pour un simple changement de rédaction, sur l'article 5 qui n'a pas été amendé. C’est la conséquence d’un amendement adopté au premier vote et que la chambre vient de confirmer en supprimer à l’article 4, deuxième paragraphe, les mots : « qui sont soumis au visa préalable de la cour des comptes. »
La même suppression doit être faire au paragraphe 3 de l’article 5, et ce paragraphe rédigé comme suit :
« Cette opération se fait au moyen d’une ordonnance de payement imputable sur l’allocation compétente du budget. »
- Ce changement de rédaction est mis aux voix et adopté.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j’ai à soumettre à la chambre une proposition de même nature, en ce qui concerne l’article 6.
Le dernier paragraphe obligerait le gouvernement à publier au Moniteur (page 918) les numéros des obligations sorties ou annulées. Depuis que le tirage au sort a cessé d'être un mode d'amortissement pour nos emprunts, on se borne à insérer au Moniteur et dans les journaux étrangers, conformément au contrat de certains emprunts, non pas les numéros des obligations, mais un extrait du procès-verbal d'annulation. C'est, en effet, la seule chose que le publie ait intérêt à connaître.
Je proposerai donc de remplacer le dernier paragraphe de l'article 6 par celui-ci :
« Un extrait de cet acte est immédiatement inséré au Moniteur. «
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
L'article 7 amendé au premier vote est définitivement adopté.
L'article 8 forme amendement ; il a été adopté dans les termes suivants :
« Les cours, tribunaux et administrations publiques ne pourront ordonner ou autoriser des consignations que dans la caisse des dépôts et consignations. Tout dépôt ou consignation fait ailleurs sera nul et non libératoire. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je proposerai de supprimer les mots : « dépôt » ou et de dire : « Toute consignation faite ailleurs sera nulle et non libératoire. » Il ne s'agit pas, en effet, de dépôts de tout genre ; il ne s'agit que des consignations proprement dites.
- L’article 8, modifié comme le propose M. le ministre des finances, est mis aux voix et définitivement adopté.
Les amendements introduits dans l'article 10 sont adoptés sans discussion.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 56 membres présents.
Ce sont : MM. Thienpont, Van Cutsem, Vanden Eynde, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Biebuyck, Brabant, Cans, de Bonne, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de Foere, de Haerne, de La Coste, de Lannoy, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meester, de Mérode, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Serclaes, d’Hoffschmidt, Dubus (aîné), Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Mercier, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Scheyven et Sigart.
M. le président. - La parole est à M. Anspach.
M. Anspach. - Messieurs, comme je suis à peu près dans la même position que l'honorable M. Osy pour pouvoir apprécier les effets de la loi que nous discutons, je serai nécessairement amené à répéter quelques-unes des considérations qu'il a fait valoir ; mais c'est une nécessité, et je prie la chambre de la supporter avec indulgence.
Je dois cependant déclarer que, contrairement à l'opinion d'un honorable membre qui hier s'est adressé surtout à ses amis politiques, je m'adresserai principalement à ceux de mes honorables collègues qui siègent sur les bancs opposes. Je tiens à le faire, parce qu'il est plus difficile de les persuader, à cause de la tendance pleine de bienveillance qu'ils ont pour les propositions du ministère, et c'est en ce sens surtout que je les prie de bien vouloir m'accorder leur attention.
Cette question des monnaies est bien plus importante qu'elle ne le paraît au premier coup d'œil ; elle demande, pour être appréciée, non seulement la connaissance des principes de l’économie politique, mais des connaissances spéciales, des connaissances qu'on n'acquiert que par la pratique ; il faut connaître les opérations de banque, le commerce des métaux précieux, les arbitrages auxquels donnent lieu les mouvements des changes, les circonstances qui amènent ces mouvements.
Peu de personnes, messieurs, se trouvent et peuvent se trouver dans cette position. J’en conclus, même avant d'entrer eu matière, que lorsqu'il n’y a pas de nécessite absolue d'apporter des changements à une position qui n'est pas mauvaise, il ne faut pas le tenter ; il faut attendre que cette nécessité se fasse sentir.
La commission instituée par M. le ministre des finances a fait un rapport sur la position actuelle des monnaies d'or et d'argent, et a proposé des changements à introduire dans la loi du 5 juin 1832.
Nous voyons, par le compte rendu des délibérations de cette commission, que deux de ses membres n’ont pu absolument pas adopter les principes et les conséquences qui ont été acceptés par la majorité.
Sans vouloir rien dire de désagréable à personne, je dois cependant faire observer que, dans certaines délibérations, il y a certains noms qui pèsent plus que d’autres à cause des connaissances spéciales qu'on sait qu'ils possèdent, et j'aime à me rencontrer avec eux, même dans la position de minorité ou ils se sont trouvés.
Avant d'aborder le rapport de la commission, je dois présenter quelques considérations générales sur les monnaies.
L'or et l'argent, considères comme métaux, sont marchandise ; comme monnaie courante, ce sont des moyens d'échange, mais ils cessent de n'être que des moyens d’échange dès que, par diverses circonstances, ils sont au-dessus ou au-dessous de leur valeur ; alors ils redeviennent marchandise ; ces considérations, messieurs, sont importantes, et leur importance ne vous échappera pas, dès que nous descendrons dans les faits pour faire évanouir les craintes chimériques qu'on manifeste de voir disparaître notre numéraire.
Pour qu'une monnaie soit bonne, soit utile, pour qu'elle remplisse toutes les conditions exigées d'elle comme moyen d'échange, il faut qu'elle représente fidèlement sa valeur nominale, moins les frais de fabrication, car personne ne peut exiger que l'Etat fasse fondre, ajuster, essayer et mettre une empreinte à une pièce, sans qu'il en soit rétribué.
Il faut que, comme moyen d'échange, elle puisse rendre cet office dans le plus d'espace possible, car si l'on pouvait établir une monnaie qui aurait cours partout, celle-là rendrait tous les services qu'on pourrait exiger d'elle.
Il faut, quant à nous qui avons le système décimal, que la coupure de nos pièces rentre complètement dans ce système, car on ne doit pas croire que les coupures actuelles de 5 francs, de 2 fr. et d'un fr. aient été arbitrairement adoptées et sont les seules qui fonctionnent et qui puissent fonctionner, réunissant toutes les facilités pour faire les comptes soit en détail, soit sur des masses ; la différence de leur diamètre, de leur poids est tout aussi raisonnée ; elle fait qu'on peut les reconnaître sans les regarder, au toucher seulement. Un caissier, par la manière dont ces pièces s'empilent, toujours dans le système décimal, reconnaît les plus fortes sommes, avec rapidité, sans aucune chance d'erreur, point de fraction, toujours des sommes rondes.
Ceci pose, j'arrive aux arguments de la commission. Sur la première question, la moralité du fait d'un changement dans la monnaie, relativement aux créanciers de l'Etat, j'avoue que je ne partage pas les scrupules de la minorité ; d'un autre côté, le raisonnement de la majorité, que ce qui est légal est par conséquent équitable, est complètement faux. N’avons-nous pas vu, il y a déjà quelques années, payer en assignats, n'ayant aucune valeur, des dettes contractées sous un régime antérieur ? C'était légal, était-ce équitable ? Je vous le demande ! Indépendamment de l'article 1895 du Code civil, que cite la commission, le bon sens indique que lorsque l'on jouit d'une prime, comme c'est le cas actuellement, il ne peut pas être facultatif au créancier de désigner à son débiteur l'espèce de numéraire dans lequel il veut être remboursé, celui-ci ayant la liberté de le faire en or ou en argent ; si l'or vaut plus, il le fera en argent et le changement ne touchant pas au franc, soit 5 grammes d'argent au titre de 900/1000 de fin, base du système, le créancier n'a absolument rien à dire.
Remarquez, messieurs, que mon raisonnement est fondé sur la fabrication d'une monnaie qui aurait sa valeur réelle, telle que je l'ai définie plus haut, car si vous fabriquez de l'or qui n'ait pas sa valeur, et qu'avec cet or vous remboursiez un créancier, il est évident que vous le frustrez d'une partie de ce que vous lui devez ; mais je n'admets pas qu'on puisse fabriquer une pareille monnaie, et je vous en dirai plus loin les motifs. La commission dit, et cela est reconnu par tout le monde, que la proportion de l'argent à l'or, de 15 1/2 à 1, système français actuel, est inexacte et de plus qu'il est impossible de la fixer d'une manière permanente. Dans cette position, elle propose de fabriquer :
Des pièces d'or de 25 fr.
Et des pièces d'argent de 2 fr. 50 c.
De fixer pour les premières le prix du kilo d'or fin à 3,515 fr. faisant au titre 9/10 de fin, fr. 3,163 50. A ce prix il y a une différence en plus au kilo, à la prime moyenne de 12 p. mille ; de fr. 19. 36 ; c'est donc cette somme que votre monnaie aura en valeur réelle de moins que sa valeur nominale et dont vous tromperez vos administrés, ayant déjà ajouté les frais de commission, de change et de fabrication.
La commission donne pour motifs de la création de cette pièce de vingt-cinq francs et de celle de deux francs cinquante centimes que cette monnaie n'ayant pas cours à l'étranger, elle restera dans le pays et que nous n'aurons pas à craindre de manquer de numéraire, comme cela nous est arrivé plusieurs fois. Ce raisonnement, fondé sur la crainte de manquer de numéraire, pèche par sa base ; cette crainte est tout à fait chimérique, et le cas ne s'est jamais présenté -depuis que nous formons un Etat séparé ; il ne peut même pas se présenter et cela est bien simple.
Dès que par l'élévation d'un change, celui de Paris par exemple, je cite Paris, parce que cette ville est maintenant la première place de change, et celle avec laquelle nous avons le plus de relations, je dis donc que dès que par l'élévation du cours sur Paris, il convient d'envoyer des espèces, c'est-à-dire, des pièces de 5 fr., la demande de ces pièces, si elle se prolonge, fait naître un agio de 1/2, de 1, de 1/2 pour mille suivant les besoins, et aussitôt vous voyez ces mêmes pièces refluer de toutes parts, et le pair se rétablir. On a parlé de la crise de 1838, mais l'exemple est mal choisi et ne prouve absolument rien ; le numéraire n'a pas été exporte, car à cette époque l'argent n'avait aucun agio ; mais le crédit s'est resserré, alors on a fait changer en argent les billets de banque qu'en temps ordinaire on gardait dans sa caisse, on a demandé aux caisses d'épargnes des remboursements considérables aussi en écus, de là le besoin de faire venir de Paris des pièces de 5 fr., et les grands sacrifices dont on parle se sont bornés au port des espèces qui est de 1 pour mille, et les grands embarras à la mise en sac de ces mêmes pièces. Comme le dit avec raison la minorité, nous avons été très heureux d'avoir cette conformité de monnaie avec la France ; les faits sont là pour l'affirmer, et ce n'est pas avec des suppositions, des peut-être, qu'on prouve qu'ils n'existent pas.
Prenons un exemple plus récent. La crise qui a frappé l'Angleterre, la France, l'Allemagne et qui, nous l'espérons, est près d'être à sa fin, avait fait craindre de voir le numéraire devenir rare en Belgique ; qu'avons-nous fait ? Nous avons fait venir de Paris plusieurs millions en pièces de 5 fr. Les craintes se sont calmées, et maintenant l'élévation du change fait (page 919) qu'elles y retournent. Vous voyez donc que cette faculté de se servir du numéraire étranger comme du sien est un grand avantage, loin d'être un inconvénient. Voyez ce qui serait arrivé si les monnaies hollandaises avaient été tarifées chez nous suivant leur valeur, c'est-à-dire les florins à 2 fr. 10 c. et les 10 florins à 21 fr., voyez ce que nous aurions pu faire ! Au lieu de nous adresser à un étranger pour placer six misérables millions de bons du trésor à un prix excessif, nous nous serions adressés à nos banquiers qui les auraient pris à bon marché puisque l'escompte était à Amsterdam de 3 1/2 à 4 p. c. et qu'ainsi cette opération leur eût été facile.
Cette prétendue crainte de manquer de numéraire n'a pu avoir été dans le temps qu'un prétexte qui n'existe plus depuis que le gouvernement s'est chargé de la fabrication de l'or. Tout le monde sait que dès qu'il y a une petite marge dans les cours de change, les banquiers s'empressent aussitôt d'en tirer parti et que la différence qui peut exister entre une place et une autre disparaît bientôt par les arbitrages auxquels elle a donné lieu.
D'ailleurs, avec la rapidité des communications, dans vingt-quatre heures vous pouvez satisfaire à tous les besoins, à toutes les nécessités du moment. Ainsi donc ne parlons plus de la crainte de manquer de numéraire.
Reste la convenance d'avoir une pièce d'or belge. Moi aussi je désire que nous ayons notre monnaie d'or, mais je pense que notre Roi serait peu flatté de voir son effigie mise sur une pièce de mauvais aloi. Je vous le demande, faut-il pour une considération si légère, je dirai, si futile, adopter, comme le propose la commission, une pièce de mauvais aloi, une pièce d'une mauvaise coupure et, pour brocher sur le tout, une pièce qui ne pourra servir qu'en Belgique ?
Cette dernière condition appliquée à une monnaie me paraît une idée si singulière, si antilogique, que ce ne doit être que sous le poids d'une énorme préoccupation qu'elle a pu entrer dans l'esprit de quelqu'un.
Comment, messieurs, une des plus précieuses qualités d'une monnaie, la plus nécessaire, celle de pouvoir servir de moyen d'échange dans le plus de circonstances possible, dans le plus de pays possible, vous l'en privez bénévolement, de votre plein gré, sans y être forcés ! Mais en vérité, c'est à ne pas y croire.
J'ai accusé la pièce de 25 fr. d'être de mauvais aloi ; plus haut j'ai dit qu'à 2 pour mille, moyenne de la prime, le kilo d'or donnerait en plus fr. 19-36 : ce sera d'autant, que la valeur nominale dépassera la valeur réelle et dont on trompera le public.
Un gouvernement qui se respecte ne peut pas adopter une pareille mesure ; c'est manquer à tous les principes, c'est manquer à la bonne foi, c'est tout simplement un emprunt forcé qu'il ferait à ses administrés avec l'intention avouée de ne pas le rembourser.
Comme coupure, elle sort du système décimal ; c'est donc décider implicitement qu'elle est mauvaise ; sur 1000 elle a pour diviseur, multipliée par 10, elle donne un nombre fractionnaire de 100 soit 250. Sous ce rapport la pièce de 2 fr. 50 en argent a le même défaut, elle en a même un autre de plus, c'est qu'elle manque cette de différence de diamètre et de poids qui fait que la confusion est impossible ; on la distinguerait avec peine de la pièce de 2 fr. et ce serait une source d'embarras et d'erreurs dans les comptes ; au reste, je ne pense pas qu'on tienne à cette pièce d'argent, elle avait été imaginée dans la crainte que l'or étant tarifé trop haut, l'argent ne s'exportât ; alors cette excellente pièce de 2 fr. 50, ne pouvant aller qu'en Belgique, n'en serait pas sortie ; la pièce de 25 fr. en or n'étant pas décrétée, comme je l'espère, on abandonnera facilement la pièce qui n'en était que la conséquence.
Il est une autre présomption contre cette loi, c'est l'opinion unanime de tous les banquiers pour la blâmer ; or, comme les banquiers sont, par état, obligés de s'occuper des questions de monnaie d'or et d'argent, du commerce de ces métaux, qu'il connaissent les effets des variations de valeur sur ces objets, il est rationnel de penser que cette opinion est éclairée et qu'elle doit être prise en sérieuse considération.
D'après ces considérations, je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu de fabriquer des pièces d'or de 25 fr. et d'argent de 2 fr. 50, et comme il est probable que dans la présente session, en France, on s'occupera d'un projet de loi sur la monnaie d'or, je prie MM. les ministres de s'entendre avec ce gouvernement afin de marcher de concert dans une affaire aussi importante, ce qui sera avantageux aux deux pays.
Messieurs, voilà le discours que j'avais préparé ; mais j'ai lu dans le Moniteur, qui malheureusement n'est pas complet, le discours de M. le ministre des finances. Je profile de la parole, que j'ai, pour répondre à quelques-uns des raisonnements que M. le ministre des finances a fait valoir. Je regrette que le discours de M. le ministre des finances ne se trouve pas en entier dans le Moniteur de ce matin.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il a été remis avant dix heures.
M. Lebeau. - Cela arrive presque tous les jours.
M. Anspach. - Quoi qu'il en soit, je répondrai à la partie du discours que j'ai à la main, me réservant, s'il y a lieu, de répondre plus tard à l'autre.
Dans sa réponse à l'honorable M. Osy, M. le ministre des finances nous dit qu'il ne veut pas se prononcer sur la question de savoir s'il faut adopter son système ou l'autre, c'est-à-dire la base de l'argent ou celle de l'or, comme point de départ.
Mais il ne s'agit nullement de cela ; il s'agit de fabriquer, dans des conditions que je définirai tout à l'heure, une monnaie auxiliaire, comme il en existe une dans presque tous les autres pays.
Le mot « auxiliaire », dans cette occurrence, me paraît inexact ; on ne peut pas dire que la monnaie d'or soit une monnaie auxiliaire ; je comprendrais plutôt que l'argent fût une monnaie auxiliaire, relativement à l'or, parce qu'il peut se fractionner et qu'il sert aux usages habituels de la vie.
Mais je fais cette distinction, parce que, dans la position où nous sommes, je pense que la monnaie d'or n'est pas une monnaie auxiliaire.
Je dis que la monnaie d’or est simplement une monnaie de luxe, et qu'elle ne sert qu'à donner plus de facilité aux personnes qui tiennent à avoir dans leur poche une certaine somme sous un petit volume. Dans l'étal actuel de nos relations commerciales, la monnaie d'or n'est pas nécessaire ; c'est, comme je l'ai dit, une monnaie de luxe et non pas une monnaie auxiliaire.
M. le ministre des finances continue : « Il est évident, en effet, que si vous établissez, comme monnaie auxiliaire une monnaie dont la valeur intrinsèque ne correspond pas à la valeur légale, et si vous ne limitez pas les quantités, notre monnaie auxiliaire, par la force des choses, devient monnaie principale. »
M. le ministre des finances nous a habitués à trouver dans ses raisonnements une saine logique ; ses conséquences sont pour l'ordinaire rigoureusement déduites ; mais il me permettra de lui dire que, dans cette occasion, il sort un peu de ses habitudes ; il me semble que le raisonnement de M. le ministre combat positivement son système. (Interruption.)
Vous dites que la monnaie d’or remplacera la monnaie d'argent ; que, sans cela, la monnaie d'or sera bientôt expulsée et que nous n'aurons que de l'or. Je vous demande, M. le ministre, quelle est la raison pour laquelle nous n'aurions que de l'or ? « Parce que cette monnaie valant moins que l'argent, cette monnaie sera celle qui sera employée.»
Or, en donnant cette indication, M. le ministre prouve lui-même que cette monnaie n'est pas bonne, parce que ce sera telle qui sera employée pour les transactions commerciales. Qu'arrivera-t-il ? Il arrivera que cette monnaie d'or n'ayant pas sa valeur nominale, tous les objets que nous avons à acheter avec cet argent, non seulement ne baisseront pas, mais ils augmenteront de toute la différence qui se trouvera entre la valeur réelle et la valeur nominale que vous aurez fixée ; en sorte que, loin de gagner à cette affaire, vous ferez descendre le change de plus d'un p. c ; vous aurez un bénéfice de.....sur les 25 millions que vous aurez à émettre ; mais le change sur la Belgique étant diminué d'un p. c, toutes les affaires de la Belgique, qui se montent à plusieurs centaines de millions, se ressentiront de cette perte ; de manière que le bénéfice que vous ferez sur ces 25 millions, ne sera rien en comparaison de la perte que vous aurez fait éprouver sur la totalité de nos affaires à l'étranger.
Ainsi donc, quant à l'utilité de cette monnaie, je crois que toutes les personnes qui sont dans le commerce, peuvent dire qu'elle se réduit à peu de chose et que son apparition deviendra la source d'immenses pertes.
L'honorable M. Osy avait dit qu'à Birmingham, on avait fabriqué des pièces de 20 francs ; M. le ministre des finances a répondu que le droit des gens ne permettait pas une semblable affaire. Quoi qu'il en soit de cet argument, je dois dire que le fait qui a été avancé par l'honorable M. Osy est parfaitement vrai. A l'époque dont il s'agit, la loi anglaise défendait de fabriquer des pièces anglaises, mais elle se taisait complétement sur les pièces étrangères. Eh bien, c'est grâce à ce silence de la législation anglaise, qu'on a fabriqué, à Birmingham, peut-être pour 20 à 25 millions de pièces d'or avec cette effigie si biscornue de Louis XVIII que nous avons vue dans le temps. Nous avions commencé par refuser ces pièces parce que nous les croyions fausses, mais les ayant fait essayer et ayant reconnu que le titre et le poids étaient justes, nous les avons acceptées. Le fait est parfaitement vrai.
« Quant au change, continue M. le ministre, quant au change, l'honorable membre admettra sans doute qu'une fabrication de 25 millions d'or, ou même d'une somme plus considérable ne peut avoir de l'influence sur le change, notamment sur le payement de nos emprunts. Je le répète, dans la limitation de la quantité se trouve la réfutation des conséquences que l'honorable membre a assignées à la mesure proposée. »
Je suis fâché de trouver encore ici M. le ministre sortant de ses habitudes ; car cette comparaison prouve que M. le ministre ne connaît pas les affaires de banque et de change. Non seulement la somme de 25 millions est suffisante pour opérer telle différence dans les changes, mais il suffirait d'un seul million pour produire cet effet. Qu'est-ce qui arrivera ? Le million en or, dût-il se renouveler dix fois par jour, servira à payer toutes les transactions, fussent-elles dix fois plus considérables qu'elles ne sont. Dès qu'il y aura avantage à se servir de ce million d'or, on reviendra dix lots à la charge pour lui faire remplir son office d'échange. Ainsi, n'y eût-il qu'un million d'or comme celui qu'on veut frapper, le change ne diminuerait pas moins d'un à un et demi pour cent. Les 25 millions sont dix fois plus considérables qu'il ne faut pour produire l’effet que nous signalons.
« Eh bien, messieurs, on ne trouve pas étrange que nous acceptions cette monnaie, et je dois ajouter, on ne trouve pas étrange que nous l'acceptions à un taux plus élevé qu'on ne l'accepte en Hollande.
« J'insiste sur ce point : la pièce de 10 fl. vaut en Hollande 21 fr., elle vaut en Belgique 21 fr. 16 c ; on ne trouve pas du tout mauvais que nous continuions à recevoir les pièces de 10 fl., mais on trouve mauvais que nous fabriquions, je le répète, dans des conditions analogues, de la monnaie à l'effigie du Roi des Belges. »
M. le ministre se trompe complétement ; nous n'avons pas trouvé (page 920) étrange qu'on prît ces pièces pour 21 fr. 16 c. ; mais, au contraire, nous avons réclamé plus de vingt fois. La première fois on a répondu qu'on ne pouvait pas démonétiser ces pièces, parce que l'on ferait du tort au pays si on lui ôtait ce moyen d'échange. Nous avons admis cette considération ; mais nous avons demandé qu'on réduisît sa valeur à 21 fr., ce qui est la véritable valeur de cette pièce. Nous avons demandé ensuite qu'on la démonétisât complétement ; ce n'était pas mon avis ; je désirais seulement qu'on ne la reçût qu'à sa valeur réelle.
Il est donc bien étrange que M- le ministre vienne présenter la circulation de la pièce de 10 florins en Belgique, comme une preuve que nous étions satisfaits de cette pièce. La base du raisonnement étant fausse, les conséquences tombent.
« J'invoque un autre argument pratique. Si la loi décrétait qu'on accepterait pour 25 fr. une certaine quantité d'or qui ne vaudrait, par exemple, que 25 fr., il est certain que, dans ce cas, la loi aurait vainement décrété que cette pièce vaut 25 fr. ; cette pièce disparaîtra, ou elle ne sera tarifée que d'après sa valeur réelle. »
Je demanderai, dans le cas où la supposition que fait M. le ministre se réaliserait, comment vous qualifieriez l'acte par lequel votre loi décréterait qu'une pièce de 25 francs en vaut 28. M. le ministre a dit qu'il n'y avait pas de question de moralité dans cette affaire. Je n'applique pas la question de moralité aux personnes, mais je dis qu'il est de la moralité d'un gouvernement de ne pas émettre de monnaie qui n'ait pas sa valeur. Nous avons défini cet acte à peu près comme l'honorable M. Osy, d'accord avec la première commission ; cette commission a dit que c'était un dol ; l'honorable M. Osy a dit à peu près la même chose, il a parlé de spoliation ; moi je l'ai qualifié d'emprunt forcé, avec l'intention avouée de ne pas le rembourser, de sorte que nous sommes assez d'accord sur le fait et sur le nom qu'il mérite.
« Mais, lorsqu'au lieu de forcer ainsi la valeur dans une proportion que j'exagère à dessein pour mieux faire comprendre ma pensée, vous établissez entre la valeur légale et la valeur réelle moyenne une très faible différence, l'expérience de tous les temps, l'expérience que nous faisons tous les jours atteste que cette pièce peut continuer à faire pendant de longues années les fonctions de monnaie auxiliaire. »
M. le ministre se rapproche ici un peu de notre façon de penser. Il trouve cependant que le mot emprunt forcé est encore un peu trop fort ; mais, dit-il, diminuez un peu ce que nous prenons de trop, de manière que cela ne fasse pas trop crier, nous pourrons nous arranger. J'avoue qu'une transaction pareille ne me sourirait pas du tout, d'autant moins que vous n'arriverez pas à un résultat utile, car je doute que le gouvernement bénéficie sur la fabrication.
« Ainsi, lorsque la pièce de 10 fl. a été créée en 1816, elle n'avait pas non plus proportionnellement la valeur commerciale de l'or, on pouvait y appliquer aussi les raisonnements qu'on applique aujourd'hui au projet de loi ; et cependant vous pouvez vous convaincre que depuis vingt ans cette pièce est un utile agent de la circulation monétaire.
« Des critiques ont eu lieu, me dit-on ; il serait bien singulier, en effet, que la loi de 1816 n'eût provoqué aucune critique ; toute loi est l'objet d'une discussion et d'une critique ; mais il n’en est pas moins vrai que la loi de 1816 est devenue une loi de l'Etat et que nous l'avons laissée subsister en 1832. Je n'ai pas relu les discussions de 1816 ; mais s'il y a eu des critiques à cette époque, le temps en a fait justice jusqu'à un certain point. »
M. le ministre aurait pu ajouter que, si le temps en a fait justice, les balanciers de la monnaie de Lille y ont bien contribué, car ils ont absorbé toutes les pièces d'argent de 5 florins et de 1 florin créées en vertu de cette loi. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je n'ai pas parlé de la monnaie d'argent, mais bien de la monnaie d'or.
M. Anspach. Je dis que cette loi était tellement mauvaise, que les Hollandais eux- mêmes l'ont refaite et qu'ils ont changé la valeur des florins qui a été réduite à 2 fr. 10, et comme l'argent est la base de leur système, ils ont réduit par le fait la pièce de 10 fl. à 21 fr.
« Il me paraît que si vous voulons lui assigner quelque durée, nous devons établir, entre la valeur réelle et la valeur légale, si pas une différence considérable, au moins une différence qui permette à ces pièces de durer de 20 à 25 ans. Si l'on trouve, en calculant la moyenne de la prime de l'or, si l'on démontre, dans le cours de cette discussion, qu'on peut diminuer cette différence, j'entendrai toutes les observations qui seront faites, et j'en ferai mon profit dans l'intérêt du pays. »
M. le ministre n'est donc pas absolument résolu à faire la pièce comme il le propose ; je serais charmé qu'il pût être convaincu par quelques-unes des raisons que nous lui avons données, parce que je suis persuadé que s'il trouvait que cette loi n'est pas favorable au pays, à moins de quelque grande résistance, il s'empresserait de la retirer. Je pense que ce serait faire quelque chose d'utile au pays
Les Annales parlementaires ne vont pas plus loin. Mais je me rappelle que M. le ministre a parlé de l'utilité de la monnaie d'or (utilité que je conteste), parce que ce serait une réserve que le pays aurait, une augmentation du capital roulant, qui nous servirait dans les moments de crise, et qui nous empêcherait de vendre, à des prix trop réduits, les valeurs que nous devrions donner en payement.
Si nous augmentons notre capital roulant de 25 millions, c'est-à-dire d'une somme qui n'est pas nécessaire pour les transactions commerciales, si nous regardons cela comme une poire pour la soif, ce sera un acte de prudence qui nous coûtera annuellement 1,250,000 fr. d'intérêt.
Mêlions qu'une crise soit possible, en moyenne, tous les 15 ans. Voilà donc 19 millions que nous coûtera la prudence de M. le ministre pour parer à une crise éventuelle. C'est une prudence qui nous coûterait fort cher. Je ne sais pas prévoir les malheurs d'aussi loin.
Je répondrai à la fin du discours de M. le ministre, quand il aura paru dans les Annales parlementaires.
M. Sigart. - Messieurs, aucun des orateurs qui ont pris la parole jusqu'à présent ne conteste cette vérité élémentaire : qu'il est impossible de maintenir le rapport entre deux valeurs. Cela provient de ce que le rapport entre l'offre et la demande, source de la valeur, est incessamment variable.
Personne ne conteste, dans l'espèce, qu'il ne soit impossible de maintenir le rapport entre la valeur de l'or et celle de l'argent.
La raison en est facile à concevoir : il suffit de quelques mines découvertes ou de procédés nouveaux d'extraction introduits, pour abaisser le prix d'un métal sans agir sur l'autre ; il suffit d'usages plus étendus donnés à un seul métal pour que son prix s'élève, sans que le prix de l'autre en soit affecté.
Il est donc impossible d'établir deux étalons de la valeur, puisque ces deux étalons seraient immédiatement dissemblables.
Aussitôt le rapport rompu, la monnaie qui a le plus de valeur n'est plus livrée qu'avec agio et bientôt disparaît soit en se fondant dans le creuset des orfèvres, soit en allant à l'étranger. C'est ce qui est arrivé pour les napoléons de France et les pièces de 3 fl. de Hollande.
Si l'on fabrique encore quelques pièces de 20 fr., c'est que pour le jeu, pour certains voyages quelques personnes consentent à les acheter à la Monnaie à un prix au-dessus du taux nominal. On les paye, je crois, 20 fr. 30 c.
On conçoit que la meilleure monnaie disparaisse, si la plus mauvaise peut faire le même office, c'est que les métaux précieux ont d'autres usages que celui de monnaie : ils peuvent servir à usage de vaisselle, bijoux, ornements divers
Cela posé, il s'ensuit qu'il ne devrait exister qu'une monnaie. Mais la monnaie sert des besoins divers : la monnaie d'argent est quelquefois plus utile, quelquefois c'est la monnaie d'or. Il serait désirable de satisfaire à ces divers besoins. Quel moyen y a-t-il de le faire ? C'est, à côté d'une véritable monnaie, d'en fabriquer une ou plusieurs autres, mais qui ne soient qu'auxiliaires.
Deux monnaies d'or auxiliaires sont possibles, comme je l'ai exposé dans une autre circonstance. Je crois que l’une et l'autre peuvent exister concurremment puisqu'elles répondent à des besoins différents. L'une est la monnaie lingot pour le grand commerce et l'autre la monnaie que le gouvernement et la commission nous proposent pour les échanges usuels.
La monnaie-lingot : ce seraient des pièces de 10, 20 ou 25 grammes d'or à 9/10 de fin, ayant d'ailleurs la forme de nos pièces, et l'effigie du prince. Ces pièces seraient bien reçues à l'étranger, et leur sortie du pays n'aurait pas d'inconvénient puisqu'on pourrait les remplacer par d'autres avec bénéfice de fabrication. Il n'y aurait aucun danger dans l'émission de cette monnaie, aucune précaution ne devrait être prise. Seulement on attendrait que le public en demandât pour en fabriquer. Cette monnaie est celle qui a le plus mes sympathies, peut-être en proposerai-je l'adoption par un amendement. Malheureusement elle révolte les préjugés parce qu'elle est incessamment variable dans sa valeur.
La seconde monnaie pour les échanges usuels est celle que nous propose la commission. On peut l'adopter sans doute : elle offre certains avantages, mais aussi elle présente de graves dangers qu'il faut prévenir par des précautions. Nul doute qu'elle ne puisse circuler sans nuire à aucun intérêt ; en veut-on la preuve ? Je n'ai qu’à la prendre dans ce qui se passe sous mes yeux actuellement : depuis bien des années les guillaumes circulent en Belgique sans dommage pour personne. Que quelqu'un doive me payer une certaine somme et vienne me demander si je désire de l'argent, de l'or ou des billets de banque, il est possible, probable que je demanderais des guillaumes qui ne valent pas l'argent français, ou même des bank-notes qui sont sans valeur intrinsèque. Pourquoi ? Parce que cela répondra mieux à mes besoins : par exemple, parce que cela sera d'un transport plus facile et que je me croirai sûr de pouvoir sans perte échanger l'un contre l'autre.
Quelles sont les sources de la valeur de la monnaie ? D'abord c'est celle qui provient de la quantité de métal précieux qu'elle contient, c'est ensuite celle qui découle du besoin d'échange auquel elle satisfait. Supprimez toute monnaie, faites du papier ; et ce papier, en le limitant convenablement, vous pourrez lui donner une valeur qui ne descendra jamais au-dessous du pair. Certaines lettres de change ne peuvent s'obtenir au pair. On aime mieux payer un quart pour cent afin d'obtenir un billet qui permet de s'acquitter au loin sans autres frais que d'y envoyer des écus qui coûtent 3/4 p. c. pour le transport.
A plus forte raison est-il facile de donner une plus grande valeur à une monnaie métallique en bornant son émission. Mais cette réserve dans l'émission est une condition rigoureuse. La monnaie subit le sort de toute marchandise. Sa valeur dépend de sa rareté, tout est là ; la chose la plus utile pour la satisfaction des besoins de l'homme est sans valeur si elle nous arrive à profusion. Ainsi l'eau, l'air, si nécessaires pourtant ne se payent pas d'ordinaire ; mais quel prix n’acquiert pas l'eau parfois au milieu d'un désert !
Rien ne peut empêcher votre monnaie de s'avilir par l'abondance : (page 921) vous ordonneriez sous peine de mort de la recevoir à un taux plus élevé que vous n'en seriez pas plus avancés. Alors les craintes de la minorité de la commission se réaliseraient : alors ce serait comme au moyen âge où les gouvernants altéraient les monnaies pour dépouiller les gouvernés ; alors toute la monnaie d'argent sortirait de la circulation, il n'y resterait plus que de la monnaie d'or. Le prix des marchandises s'élèverait juste d'autant que cette monnaie serait en dessous de sa valeur intrinsèque. Ce serait, sur une plus petite échelle, ce qui est arrivé du temps des assignats : temps heureux où l'on a payé jusqu'à 10,000 fr. la paire de bottes !
Alors il y aurait banqueroute de l'Etat envers ses créanciers pour une partie de leur créance.
Les transactions entre particuliers seraient altérées au profit des débiteurs par une violence inique de notre part. La majorité de la commission n'a-t-elle pas belle grâce de venir dire qu'en pareil cas le payement serait légal, donc équitable ! Sans doute, le payement serait légal, sans doute on devrait obéir à la loi. Mais c'est une idée drôle que de soutenir que la loi est toujours juste. La loi est un acte de la volonté du plus fort, et le plus fort se croit trop souvent dispensé d'être juste !
Moi qui ne me crois pas le droit d'être injuste, j'estime qu'une limite à poser est indispensable et qu'elle doit être infranchissable. Mais quelle doit-elle être ? Peut-on adopter celle du gouvernement ? Faudrait-il prendre des précautions contre lui, contre ses agents, contre les étrangers qui imiteraient notre monnaie ?
Pour fixer la limite, il faudrait certaines données. J'en ai en vain cherché, dans les divers rapports que l'on nous a distribués. Ce gouvernement en a-t-il ? Je les demande. Par exemple : Quel est le minimum de la monnaie circulant dans le pays ? Qui 1 est le rapport actuel entre les monnaies de cuivre, d'argent et d'or ? Qu'est-ce qui justifie le chiffre de 25 millions ?
Je suppose la limite tracée en connaissance de cause, qui nous garantit que le gouvernement ne la franchira pas. Sa bonne foi. Je ne viens pas ici la mettre en doute. J'ai bien assez à penser sur le compte des ministres pour aller justement croire qu'ils veulent devenir faux-monnayeurs (et franchir la limite ce serait cela). Mais supposez des circonstances difficiles, que le gouvernement ne puisse ni recourir à l’emprunt ni augmenter l'impôt, que le gouvernement se trouve dans un grave embarras. J'ai l'habitude de me défier fort des hommes qui se trouvent dans l'embarras. Je ne vois pas de raison pour faire une exception en faveur des ministres.
Mais, dira-t-on, le profit à tirer de cette infidélité serait trop peu important pour tenter le gouvernement ; la différence entre la valeur intrinsèque et la valeur nominale est trop faible, et le gouvernement, qui ne balancerait pas pour commettre une grande injustice, aura trop de conscience pour en commettre une petite. Cela est vrai, mais il faut remarquer que la tendance de l'or à élever sa valeur, tendance constante depuis assez longtemps, peut très bien rétrograder, et qu'alors chaque pièce d'or frappée donnant un grand bénéfice, la tentation pourrait devenir irrésistible.
D'ailleurs ce qui ne tenterait pas le gouvernement pourrait bien tenter ses agents (soit dit sans attaque contre ses agents actuels)
Il pourrait donc être nécessaire d'établir une sanction pour garantir que la limite ne sera pas franchie.
L'honorable M. Osy a fait remarquer que, si nous respectons nous-mêmes les limites tracées, l'étranger pourrait bien ne pas être aussi scrupuleux.
A la prime moyenne de 13 pour mille le bénéfice sur chaque pièce de 25 fr. serait, si j'ai bien calculé, de 22 c. 59. Un pareil bénéfice est bien fait pour tenter l'étranger.
L’honorable M. Malou répond que le droit des gens nous protège.
J'aimerais mieux d'autres garanties un peu plus positives. On aura beau dire que ma défiance est romanesque ; je crois, moi, que c'est la confiance qui est romanesque.
Est-il possible de distinguer les pièces qui seraient frappées à notre monnaie de celles qui seraient frappées par les étrangers. Si cela est impossible, je crois que la discussion devient inutile.
Je passe à un autre ordre d'idées.
J'ai demandé quel était le minimum de monnaie circulant dans le pays.
Cette quantité doit varier beaucoup. Elle dépend, les affaires restant les mêmes, des oscillations du crédit. Mais il est des époques où le crédit éprouve des fluctuations telles que des perturbations graves ont lieu dans le pays ; ce sont des espèces de tempêtes d'argent ; on les nomme crises financières. La monnaie ayant une valeur indépendante de celle qu'elle tire ne son usage, ne pouvant être possédée qu'au prix de l'intérêt de l'argent, on n'en garde que ce qui est nécessaire aux besoins ; si le crédit se développe, on se sert de papier qui ne coûte rien ; alors l'argent disparaît en partie ; si le crédit était infini, l'argent disparaîtrait complétement. A Londres, où le crédit est très développé, on prétend que c'est un phénomène que de voir dans la rue un homme portant un sac d'écus. Qui sait jusqu'où ira le crédit ? On a vu ce qui a eu lieu pendant que florissait le système de Law ; on a vu ce qui a eu lieu aux Etats-Unis. En pareil cas, la première monnaie qui sortirait de chez nous serait la meilleure, serait celle d'arpent ; mais si le crédit se développait davantage, tout l'argent de France étant sorti, qu'arriverait-il pour l'or que nous voulons frapper ? Resterait-il en circulation ? La commission de 1837 dit non ; la commission de 1846 dit oui. Voici ce qui me semble la vérité, c’est que sa tendance à l'émigration serait un peu arrêtée : pour se débarrasser de l'or excédant les besoins, il faudrait se résigner à une perte, attendu que ni l'orfèvre ni l'étranger ne prendraient notre or au pair ; mais comme cet or coûtant encore plus que les billets, il finirait par disparaître.
La monnaie de mauvais aloi n'est qu'une faible garantie contre les crises d'argent. C'est la dernière qui disparaît, il est vrai, mais qu'importe ? la masse de numéraire ne diminue pas moins et si, tout à coup, le crédit se retire, le besoin d'argent, pour combler le déficit qui s'est creusé, ne se fait pas moins sentir. Alors ce n'est pas notre fabrication d'or qui nous sauverait, elle serait trop lente. Ce sont les pièces de cent sous de France qui nous arriveraient par fourgons, comme en 1828. Notre niveau financier se rétablirait parce que nous irions puiser dans l'immensité du réservoir français, laquelle est telle que le vide causé par nous ne serait même pas sensible.
Il est assez curieux d'examiner le mouvement ordinaire des monnaies. Voici, par exemple, quelles sont ses migrations de France en Belgique et de Belgique en France. La Belgique, comme on le sait, fournit bien plus de marchandises à la France que la France n'en fournit à la Belgique. Il y a donc tendance de la monnaie française à se précipiter chez nous pour combler la différence. Malgré les opérations de banque, qui répriment cette tendance en ce qui concerne les gros payements, la monnaie n'entre pas moins tout le long de la frontière par infiltration constante, et pour qu'elle ne dépasse pas le niveau des besoins, chaque jour il faut en transporter à Paris d'assez fortes sommes par le chemin de fer. Ces sommes servent à acheter des lettres sur l'Angleterre et d'autres pays pour le payement des marchandises que nous en lirons.
Après cette digression, je reviens à mon sujet.
Suppose-t-on que la crise prenne naissance ailleurs, et que nous en souffrions consécutivement ; suppose-t-on que la France ressente une crise (ce qui n'est guère à craindre, car en France le crédit est presque nul), les pièces de cinq francs s'en iraient d'abord, notre or hésiterait un peu, j'en conviens ; car la France ne pourrait nous le soutirer sans sacrifice, peut-être même s'adresserait-elle de préférence à la monnaie d'un autre pays ; mais même en s'arrêtant là le mal serait fait pour nous.
En effet, que la cause de la disparition de l'argent soit en Belgique ou en France, la monnaie de France sortie et nous réduits à notre monnaie d'or en tout ou en partie, quelle serait notre situation ? C'est que la monnaie d'or n'ayant plus la valeur de la monnaie d'argent contre laquelle on ne pourrait plus l'échanger au pair, on tomberait dans tous les inconvénients si graves signalés plus haut : banqueroute partielle de tous les débiteurs, élévation du prix de toutes les marchandises.
La monnaie nouvelle ne pourrait donc atténuer une crise d'argent qu'à condition d'être fort mauvaise, fort abondante et par conséquent sans les inconvénients les plus graves.
La seule manière convenable d'empêcher les crises d'argent, c'est d’empêcher le développement exagéré du crédit. Ce n'est pas le moment d'en indiquer les moyens.
Il est à remarquer qu'il y a d'autres crises financières que les crises d'argent, il ne faut pas confondre, par exemple, les crises d'argent avec les crises de capitaux. La crise actuelle est une crise de capitaux. On a immobilisé dans les chemins de fer plus de capitaux que l'épargne ne le permettait. Il en résulte qu'on doit enlever au commerce et à l'industrie une partie de leur fonds de roulement. De là le malaise qui ne cessera qu'après le rétablissement de l'équilibre. C'est la situation d'un homme qui achète plus de biens que ses ressources ne le lui permettent.
En résumé, je puis accepter le système du gouvernement, mais à la condition :
1° Qu'il justifie la limite qu'il a tracée ;
2° Qu'il prouve qu'elle ne sera franchie par qui que ce soit, indigène ou étranger.
Si je n'ai pas mes apaisements, je voterai contre la loi.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je donnerai en réponse au discours que vous venez d'entendre, les explications qu'il me sera possible de fournir.
Dans aucun pays du monde, on ne peut dire exactement quelle est la valeur monétaire en circulation. On sait ce que les hôtels des monnaies ont fourni, mais on ne sait pas réellement quelle est la valeur en circulation d'or ou d'argent, à une époque donnée.
Ainsi l'on évalue, la circulation en numéraire en France, de trois milliards et demi à quatre milliards de francs.
On croit qu'en Angleterre la circulation du numéraire est seulement de 1,200,000,000, c'est-à-dire, à peu près du tiers de la circulation française. Mais d'un autre côté la circulation des billets en Angleterre est beaucoup plus forte qu'en France.
Nous avons frappé, en Belgique, depuis 1830, 21 millions de monnaie d'argent. Nous n'avons pas frappé d'or. Mais nous avons reçu, en quantités qu'il m'est impossible de définir, de l'or hollandais.
Quel peut être approximativement la circulation monétaire en Belgique ?
(page 922) Si l'on calcule le mouvement général des affaires, en Belgique, et si l'on déduit la circulation des billets, et sous ce rapport, il faut bien le dire, nous sommes très loin de l'Angleterre, nous sommes bien loin même d'atteindre proportionnellement la circulation française ; car les billets de banque en émission en Belgique ne dépassent pas 21 à 22 millions, je crois que l'on peut évaluer approximativement la circulation monétaire en Belgique au moins à 200 millions. (Interruption.)
Je sais que cela n'est pas mathématiquement exact. Personne ne peut garantir l'exactitude d'une telle évaluation ; ainsi vous voyez que pour la France on ne varie que de 500 millions. Rien que cette petite différence !
Si, dis-je, la circulation monétaire en Belgique est de 200 millions et celle des billets à peu près de 20 millions, quelles peuvent être les conséquences de l'émission de 25 millions de monnaie d'or ? Pour l'apprécier, je puiserai un fait dans les données de la statistique anglaise.
En Angleterre on a frappé :
De 1810 à 1829 : en monnaie d’or : 45,387,423 liv.st. et en monnaie d'argent : 9,149,411 liv. st.
De 1816 à 1840 : en monnaie d’or : 59,764,480 liv. st. et en monnaie d’argent : 11,108,265 liv. st.
Ainsi, en prenant séparément ces deux périodes, qui rentrent en partie l'une dans l'autre, vous voyez qu'en Angleterre, où la base du système est l'or et où la monnaie d'argent n'est qu'une monnaie d'appoint, on a mis dans la circulation à peu près le cinquième en monnaie d'argent, relativement à la monnaie d'or.
Je donne cet exemple tout en reconnaissant que l'analogie n'est pas complète ; car la monnaie d'argent n'a pas en Angleterre, comme en Belgique, un cours forcé ; ce n'est qu'une monnaie auxiliaire. On ne peut faire en monnaie d'argent les payements qui excèdent deux liv. st.
Si donc, en Angleterre la monnaie d'argent n'est que du cinquième, relativement à l'or, il n'y a pas exagération à fixer le chiffre de la monnaie d'or à 25 millions, somme qui n'est que le dixième de notre circulation monétaire présumée.
Je crois, messieurs, qu'il est impossible à tout le monde, dans tous les pays, de donner des renseignements autres que ceux que je viens d'indiquer, d'après ce que j'ai pu trouver dans les économistes et dans les statistiques des pays étrangers.
L'honorable membre demande en second lieu si nous avons une garantie contre le gouvernement, contre ses agents, contre l'étranger.
Messieurs, je ne pense pas que contre le gouvernement et contre ses agents on puisse trouver d'autres garanties que la loi et le mode d'exécution de la loi.
Lorsqu'on limite dans la loi la fabrication à 25 millions, il est impossible que le gouvernement, pût-il jamais le vouloir, eût le moyen de dépasser cette limite. Ainsi il faudra que la fabrication soit autorisée par arrêté royal, que cet arrêté royal soit publié, que le contrôle de la commission des monnaies s'exerce, et, veuillez bien remarquer ceci, messieurs, il faudra que le contrôle de la législature s'exerce sur les époques et sur le résultat de la fabrication.
A moins de dire qu'il n'y a pas dans nos institutions de garantie pour la gestion de la fortune publique, on doit donc reconnaître que contre le gouvernement et contre ses agents, s'ils doivent être mis en suspicion en cette matière, on a une garantie complète.
Avons-nous, messieurs, la même garantie contre l'étranger ? Assurément, à une époque de guerre, j'allais presque dire de mauvaise guerre, il arrive qu'une nation ennemie altère les monnaies ou crée du papier représentatif des monnaies. C'est ainsi que l'on a vu, à l'époque de la grande révolution française, le littoral de la France inondé de masses considérables de faux assignats.
En 1814 et en 1815, et alors, messieurs, les circonstances étaient bien différentes, on a vu créer dans un pays étranger à la France une monnaie réellement française, en ce sens qu'elle était exacte, qu'elle était parfaitement conforme à la monnaie qui eût été frappée en France. La seule chose qui lui manquât, c'était la garantie du souverain.
Mais dans quelle circonstance ce fait s'est-il produit ? Il s'est produit, si mes renseignements sont exacts, à l'époque des cent jours ; c'est-à-dire que le gouvernement français réfugié en Belgique, ayant besoin de ressources pour continuer la guerre, s'est procuré de la monnaie française frappée en Angleterre.
Voilà, messieurs, le fait cité par l'honorable M. Osy.
J'ai recherché quelle était actuellement la législation anglaise. Voici, messieurs, en matière de monnaie le bill le plus récent qui ait été rendu. Il est de la deuxième année de Guillaume IV, du 23 mai 1832. Je ne traduirai pas ce bill ; mais il en résulte à toute évidence, notamment des articles 10 et 11, qu'il est défendu à tout le monde, non seulement de fabriquer de la monnaie anglaise, mais même de posséder aucun outil propre à la fabrication d'une monnaie quelconque.
Telle est la législation anglaise ; et s'il pouvait y avoir des doutes sur la portée des articles 10 et 11, l'article 21 les lèverait en se servant d'une expression spéciale pour la monnaie ayant cours légal en Angleterre, pour la monnaie nationale de ce pays.
Messieurs, j'ai réfléchi encore depuis hier aux principes du droit des gens, et je persiste plus que jamais à dire qu'il ne peut pas en être autrement chez aucune nation civilisée. Que l'on appelle le droit de battre monnaie un droit régalien ou un droit de souveraineté, il n'est pas moins vrai que la monnaie n'est pas seulement légale lorsqu'elle a le titre, le poids et l'effigie, mais parce qu'elle est émise sous la foi et avec la garantie des autorités établies par la loi du pays dont elle porte l'effigie.
Ainsi, on aurait fabriqué en Angleterre ou ailleurs une monnaie à l'effigie du roi des Belges, exactement au poids et au titre voulu par la loi belge, que ce serait encore, d'après le principe du droit des gens, de la monnaie fabriquée, aussi longtemps que cette monnaie n'aurait pas été garantie, essayée, reçue par les autorités que la loi belge institue.
Tel est, dans toute sa vérité, le principe du droit des gens.
Voyez encore, sous un autre rapport, messieurs, si ce principe n'est pas de nécessité, n'est pas essentiel entre toutes les nations civilisées. Je suppose qu'on puisse frapper ainsi à l'étranger de la monnaie belge. Mais quelle est donc la garantie, si l'on peut frapper cette monnaie ? Est-elle soumise à un essai ? Si on peut la frapper au titre et au poids légal, peut-on aussi la frapper à un titre altéré ? On le peut évidemment, puisque les lois étrangères ne peuvent établir aucune formalité pour garantir la bonne fabrication de la monnaie étrangère.
Je passe des principes aux faits.
On nous dit que notre monnaie serait plus mauvaise, c'est l'expression que l'on emploie, que les pièces de 10 fl.
Mais, messieurs, il faut toujours comparer les faits d'une même époque. Il est évident qu'à certaine époque on aurait eu plus de bénéfice, on eût eu une tentation plus vive de fabriquer à l'étranger des pièces de 10 fl., si cela avait été permis par le droit des gens, qu'on en aurait aujourd'hui, eu égard à la valeur réelle de l'or, de fabriquer de la nouvelle monnaie belge ; et cependant on ne l'a pas fait.
On cite un fait exceptionnel, un fait dont j'ai assigné les motifs historiques en quelque sorte, et on en conclut que dans toutes les circonstances on pourrait fabriquer de la monnaie belge.
Examinez encore quelle serait la conséquence du droit de fabriquer de la monnaie d'un autre pays. Si l'Angleterre, par exemple, permettait que l'on fabriquât sur son territoire de la monnaie belge sur laquelle il y a 3/4 pour cent de différence, c'est-à-dire 75 centimes par 100 liv., l'Angleterre par la loi de réciprocité qui est la grandi : loi des nations entre elles, devrait admettre qu'en Belgique nous aurions le droit de fabriquer de la monnaie d'argent d'Angleterre qui est surtaxée de 8 p. c. : vous voyez donc que ce principe ne peut exister. S'il existait, en d'autres termes, si l'Angleterre pouvait permettre que sur son territoire, un de ses nationaux créât de la monnaie belge véritable et fît un bénéfice de 75 cent, sur 100 fr., en vertu du même principe le gouvernement belge pourrait permettre que l'on fît en Belgique de la monnaie d'argent anglaise qui est surtaxée de 8 p. c.
M. Osy. - Vous ne pourriez placer la monnaie d'argent anglaise.
M. le ministre des finances (M. Malou). - On me dit : Vous ne pourriez placer de cette monnaie. On la placerait sans peine. D'ailleurs qu'importe ? Il ne s'agit pas de savoir si l'on pourrait placer de la monnaie d'argent en Angleterre, mais nous discutons le principe du droit des gens, il s'agit de savoir si cela serait permis. Or, la conséquence logique que j'indique me paraît irrésistible.
Messieurs, je ne reviendrai pas en ce moment sur toute la discussion. Je voulais seulement rappeler quelques faits et lever autant qu'il était en mon pouvoir quelques-uns des doutes de l'honorable M. Sigart.
M. Rodenbach. - Messieurs, lors de la discussion du budget des finances, j'ai souvent fait des observations critiques à propos des allocations demandées pour l'hôtel de la monnaie. J’ai dit souvent que la monnaie nous coûtait énormément cher, qu'il y avait des traitements d'agents à payer, qu'il y avait tous les ans, des coussinets, des coins à payer, enfin que la dépense était énorme à proportion de l'argent que l'on battait.
Messieurs, qu'avons-nous battu depuis treize ans que la monnaie existe ? Nous avons battu en tout 26 millions dont 22 millions en argent et 4 millions en cuivre. On n'a pas battu d'or, sauf quelques pièces pour modèle. Ainsi, messieurs, nous avons battu environ 2 millions par an.
En France combien bat-on ? On bat jusqu’à 80 millions par an. A la monnaie de Lille seule, on bat jusqu'à 300,000 fr. par jour, tandis qu'en Belgique nous avons battu par semaine pour 40,000 fr. Il est vrai qu'à Lille on bat plus qu'à Paris même.
Messieurs, j'ai dit que toute la question est de savoir si l'on veut avoir une monnaie d'or à l'effigie de notre souverain. Si vous voulez en avoir une, il ne reste que deux systèmes à suivre. Au taux actuel de l'or, il y a impossibilité, sans modifier la loi, de battre de l'or. Ce qui le prouve, c'est qu'en France on ne bat plus d'or, par suite de l'augmentation de prix qu'a subie ce métal.
Voyons les faits, messieurs. On a parlé théorie, on a cité des opérations de banque ; on a dit qu'il fallait être banquier pour pouvoir porter une opinion sur la question qui nous occupe. Cependant, messieurs, je me permettrai d'émettre une opinion. Mais je ne jugerai que sur des faits ; car les faits valent souvent la théorie.
Sous le gouvernement hollandais, en 1816 et en 1817, on a battu des pièces de 10 florins. Quelle était alors la valeur intrinsèque des pièces de 10 florins ? Cette valeur était de 20 fr. 85 cent. Les pièces de 10 florins étant reçues dans la circulation au taux de 21 fr., il en résulte qu'il y avait 15 cent. de surévaluation.
On a dit, messieurs, que si le projet en discussion était adopté, on battrait en Angleterre des pièces belges de 10 et 25 fr. Mais alors pourquoi, en 1816 et en 1817, n'a-t-on pas battu des pièces de 10 florins en Angleterre ? Est-ce que la différence de surévaluation sera donc si grande ? D'après l'opinion de l'honorable M. Osy lui-même, il n'y aura entre la valeur réelle et la valeur légale de la pièce de 25 fr. qu'une différence de (page 923) 19 centimes. Cette différence, sur la pièce de 10 florins, était de 15 centimes. Je vous demande si c'est pour la minime différence de 4 centimes qu'on battra des pièces de 25 fr. à Birmingham.
Ainsi c'est ici un fait : c'est que sous le roi Guillaume on n'a pas battu des pièces de 10 florins à Birmingham. D'ailleurs, comme M. le ministre vous l'a dit, il y a des lois en Angleterre, puisqu'on ne peut pas même avoir dans les maisons des instruments propres à fabriquer de la monnaie. Il y a même d'anciennes lois en Angleterre, des lois du temps d'Elisabeth, qui défendent de contrefaire les monnaies étrangères. Je crois, messieurs, que les arguments présentés par M. le ministre des finances sont de nature à vous convaincre qu'on ne pourra pas contrefaire notre monnaie d'or en Angleterre.
Je comprends, messieurs, que les grands établissements financiers, les maisons de banque, les banquiers, soient tout à fait contraires au projet : les 25 millions de monnaie d'or qu'il s'agit de fabriquer remplaceront en grande partie les billets de banque. L'honorable député de Bruxelles a dit que l'or est une monnaie de luxe. Eh bien, je crois qu'on préférera peut-être cette monnaie de luxe aux billets de banque. Je pense donc qu'il y aura moins de billets de banque en circulation lorsqu'il y aura 25 millions d'or, cela diminuera les opérations des banquiers et dès lors il est tout naturel que les banquiers trouvent le projet de loi détestable.
On a dit aussi, messieurs, que nos pièces de 25 fr. et de 10 fr. ne seraient pas acceptées en France. Je trouve que c'est là un argument extrêmement hardi, et quant à moi, je pense, au contraire, qu'on ne refusera pas en France nos pièces de 25 fr. dont la valeur réelle n'est que de 19 centimes inférieure à leur valeur légale ; je crois que les pièces d'or qu'il s'agit de fabriquer, circuleront en France, en Italie, et partout.
L'honorable député de Bruxelles a dit encore que les caissiers trouvent mauvais qu'on anéantisse le système décimal, qu'ils n'auront plus autant de facilité pour compter les espèces. Je demanderai, messieurs, ce qu'on fait en Angleterre, où le système décimal n'existe point ? Il est vrai qu'en Angleterre il y a beaucoup de billets ; mais comme vient de nous le dire, M. le ministre des finances. Il y aussi beaucoup d’or, et cependant je n'ai jamais entendu dire que les caissiers anglais ne compte ni pas aussi vite que ceux de France, par exemple, ou de notre pays. Je dois que l'on s'habilitera à compter les pièces de 25 flancs comme on s'est habitue à compter d'autres espèces ; cela devient une affaire de routine. Je le répète, en Angleterre, il n'y a pas de système décimal et l'on y compte aussi bien que partout ailleurs.
Je me résume, et je dis : puisque nous avons un hôtel de monnaies qui nous coûte immensément cher, puisque nous voulons battre monnaie et que cela est d'ailleurs convenable, nous devons être conséquents et admettre l'un des deux systèmes qui peuvent nous permettre de fabriquer de la monnaie d'or. L'un de ces systèmes, c'est de mettre plus d'alliage, au lieu d'un dixième comme en France, d'en mettre un neuvième comme en Hollande ; mais il paraît que la commission a écarté ce moyen et dès lors il faut accepter l'idée, qui consiste à diminuer le poids et à le diminuer très faiblement puisque la valeur légale ne dépasserait la valeur réelle que de 75 c. pour cent fr., c'est-à-dire de 19 centimes par pièce de 25 fr.
On a dit qu'on la refuserait partout ailleurs. Je ne crois pas que ce fût là un si grand malheur ; dans un moment de crise, les pièces d'or qui seraient restées dans le pays, serviraient à faire des échanges avec les billets de banque.
D'ailleurs, les faits que nous avons cités et que nous sommes allés puiser en France, en Allemagne, en Hollande, sont là : ils doivent donner la conviction que le projet de loi en discussion peut être exécuté, et qu'il ne fera pas le mal que l'honorable député de Bruxelles a prédit. Au contraire, tout le pays verra avec plaisir la fabrication d'une monnaie d'or nationale. Je crois qu'il est de la dignité du pays d'avoir une monnaie d'or, non pas à l'effigie d'un souverain étranger, mais bien à l’effigie d’un souverain étranger que la Belgique a choisi pour présider à ses destinées.
M. Pirmez. - Messieurs, je ferai remarquer que dans la séance d'hier, M. le ministre des finances nous a dit qu’en théorie les deux étalons ne pouvaient pas exister simultanément ; mais que dans la pratique il n’en était pas toujours ainsi.
Il est vrai que dans les temps antérieurs, lorsque les relations entre les peuples et les individus étaient très restreints, lorsque les arts n’avaient pas fait beaucoup de progrès, que la science économique n’existait pas, on pouvait soutenir que les deux étalons pouvaient exister simultanément. Mais maintenant cela n’est plus possible.
Les exemples que M. le ministre des finances a donnés hier sont extrêmement malheureux. Il nous a cité l’Angleterre ; il nous a dit que les deux monnaies existent en Angleterre ; que la monnaie d’or était la principale et que la monnaie d’argent était la monnaie auxiliaire, et en prononçant ce mot, dont on a critiqué tout à l’heure l’emploi, M. le ministre a donné à cette expression le même sens qu’il donne à la monnaie d’or qu’il veut créer en Belgique.
Mais ce n’est pas la même chose : en Angleterre, il n’y a réellement qu’une seule monnaie ; c’est la monnaie d’or ; l’autre n’est pas une monnaie forcée. Ainsi vous ne pouvez comparer cette monnaie avec la monnaie d’or que vous voulez créer et que vous forcerez tout le monde à prendre. Et là est toute la question.
Si vous voulez faire une monnaie d'or à l'effigie de notre souverain sans que vous nous forciez de la prendre pour toutes les transactions, nous vous la laisserons faire. Mais ne venez pas dire que les deux étalons existent en Angleterre ; cela n'est pas exact.
L'autre exemple qui a été cité par M. le ministre des finances, c'est la France. Eh bien, cela n'existe pas non plus en France : dans ce pays, la monnaie d'or est aujourd'hui purement une marchandise.
Ainsi les deux exemples, que M. le ministre des finances a allégués pour prouver que les faits allaient à l'encontre de la théorie, prouvent, au contraire, que les faits sont d'accord avec la théorie ; que les deux étalons ne peuvent pas exister simultanément.
M. le ministre des finances a dit ensuite qu'on examinerait quel système convenait le mieux à la Belgique. Il me semble, messieurs, que cette question a déjà été longuement examinée ; dans toutes les commissions qui ont été instituées, il a été reconnu que ce qui convenait le mieux à la Belgique, est ce que nous avons maintenant, je veux parler du système français. On a développé fort au long les raisons qui devaient faire donner la préférence à ce système, et s'il fallait recommencer cet examen, on reproduirait les raisons qu'on a fait valoir a cet égard. Avant de présenter un projet de loi, pour faire de la monnaie d'or, ce qui est un premier changement au système actuel, il fallait examiner à fond ce système.
Quant à la limitation, on a déjà répondu en grande partie aux objections ; je ne m'arrête qu'à celle à laquelle on n'a pas encore répondu.
On a parlé de l'entrée des pièces de 10 florins. On a dit qu'il était étrange qu'on critiquât la fabrication d'une nouvelle monnaie d'or, et qu'on ne critiquât pas l'entrée des pièces de 10 florins.
On a critiqué l'entrée des pièces de 10 fl. ; mais de ce qu'il est étrange qu'on laisse entrer les pièces de 10 fl., il ne s'ensuit pas qu'il ne soit pas étrange qu'on fasse une nouvelle monnaie d'or. Et qu'arrivera-t-il à l'égard des pièces de 10 fl., quand vous aurez votre nouvelle monnaie d'or ? Il arrivera que les pièces de 10 florins seront transformées en nouvelle monnaie.
L'honorable M. Sigart a dit tout à l'heure avec raison que les pièces de 5 fr. avaient leur cours naturel vers ce pays-ci. En effet, nous ne sommes séparés de la France que par une ligne de convention ; nous livrons à la France une plus grande quantité de marchandises que la Belgique n'en livre à la Fiance ; les pièces de 5 fr. doivent donc toujours affluer vers la Belgique ; les pièces de 10 fl., tant qu'elles ne valent pas les pièces de 5 fr., doivent naturellement venir s'échanger contre les pièces de 5 fr.
Eh bien, on se procurera toujours une assez grande quantité de pièces de 10 florins dans ce pays-ci ; or, avec la monnaie d'or du projet de loi, vous pouvez, avec l'amendement de M. le ministre des finances, et en rognant les pièces de 10 florins, obtenir un bénéfice de 302 f.. par 10 kilog. Pour cette opération, il ne sera pas besoin d'acheter de l'or en lingots.
On a parlé de la nécessité de conserver la monnaie dans le pays ; on a prouvé tout à l'heure que c'était une erreur ; je ne reviendrai pas là-dessus.
On a fait observer aussi que, dans le moment actuel, nous ne manquions pas de monnaie ; cela est très vrai ; nous manquons de richesse, nous manquons de choses utiles, nous manquons de grains, etc. ; c'est là la cause du mal qui existe. Ce point a été très bien développé par un des honorables préopinants.
On a dit que toute la question est de savoir si toute pièce est échangeable.
La question n'est pas là. Si toute la question était là, la France agirait autrement qu'elle ne le fait. La France est un pays très riche où les transactions ne sont pas aussi nombreuses, où les voies de communication ne sont pas aussi perfectionnées qu'ici. Comment se fait-il que dans ce pays on n'ait pas pris la mesure qu'on nous propose ? J'entends dire : On la prendra ; mais il faudrait attendre que les Français la prissent avant de la prendre nous-mêmes, il faudrait attendre que la France fût entrée dans cette voie, pour n’avoir pas un franc en or belge, et un franc en or français.
Il y a aussi ici une question d'équité. Cette question d’équité a été traitée dans la discussion ; j’ai entendu, je pense, l’honorable M. Anspach dire que les fonds publics n’étaient pas intéressés dans la question.
Il y a eu une discussion entre la minorité et la majorité de la commission. Voici, d’après le rapport, une des propositions de la majorité :
« L'opinion de la minorité, en ce qui concerne les deux propositions ci-dessus, est basée sur ce que la loi française du 7 germinal an XI, adoptée par le Belgique en 1832, établit comme unité monétaire le franc, au poids de 5 grammes et au titre de 900/1000 d’argent fin ; c’est la base du système ; l’or n’y figure que comme auxiliaire et dans la proportion de 15 1/2 à 1, c’est-à-dire qu’un kilogramme d’or monnayé au titre de 900/1000 de fin est tarifé à 3,100 fr., et vaut autant que 15 1/2 argent monnayé au même titre.
« Altérer le poids ou le titre du franc en argent, tout en lui conservant nominalement la même valeur faciale, ce serait, d’après le système de la minorité, retomber dans les erreurs et les iniquités du moyen âge, par suite desquelles on était parvenu, en France, à réduire successivement le poids de la livre tournois de manière qu’à la fin du XVIIIème siècle, elle n’avait plus le dixième du poids légal de 1103.
« La minorité ajoute que lorsque l’Etat consacre un emprunt, lorsqu’un particulier contracte une dette remboursable de 100,000 fr., il s’engage à remettre à son créancier cent mille fois cinq grammes argent, ou la quantité proportionnelle en or, au titre fixé par la loi. Dès lors, (page 924) permettre au débiteur de se libérer avec une quantité moindre d'argent, soit, par exemple, au moyen de 495,000 grammes argent au titre de 900/1000 c’est évidemment réduire la dette d'un pour cent ; permettre au débiteur de se libérer moyennant une quantité d’or dont la valeur vénale se trouverait réduite dans les mêmes proportions, ce serait porter au créancier le même préjudice.
« La minorité, déterminée par ces motifs, a émis l'avis que, sans sortir des bornes de l'équité, la première question ne saurait être résolue d'une manière affirmative. »
Je reconnais que le rapporteur a exactement donné dans le rapport le sens de l'opinion de la minorité.
Je ne sais pas si l'honorable M. Anspach n'admet pas cette proposition de la minorité. Mais la majorité la combat. Voici comment elle s'exprime :
« Il n'est pas besoin de dire, M. le ministre, que les membres composant la majorité n'ont pu se rallier à ces motifs.
« Ils ne méconnaissent pas qu'il est des cas où des changements brusques, irréfléchis, au système des monnaies, peuvent être nuisibles aux créanciers de l'Etat et aux particuliers ; mais ils sont convaincus que les abus pratiqués autrefois, et que les deux membres dissidents présentent sous des couleurs si noires, ne peuvent plus se reproduire en présence du système qui prévaut aujourd'hui et d'après lequel la valeur intrinsèque des monnaies doit se rapprocher autant que possible de la valeur nominale. »
Je ne comprends pas ce que c'est que la valeur intrinsèque d'une monnaie qui se rapproche de la valeur nominale. Si on comparaît par exemple l'argent à l'or, on pourrait se servir de cette expression ; mais en parlant de la monnaie en général, cela ne peut présenter aucun sens. Et la suite du rapport fait voir qu'on parle de monnaie en général et non des rapports entre l'or et l'argent.
En effet, l'honorable M. Anspach a fait remarquer la singularité de cette idée, que ce qui est légal est juste ; et le sens étrange qu'on donne à l’article 1895 du Code civil, qui autoriserait et légitimerait l'altération légale des monnaies.
C'est ce système que la minorité de la commission a combattu. Ses observations ne sont pas aussi inutiles qu'on pourrait le croire. Après avoir mis l'or en relation avec l'argent, pourquoi ne mettriez-vous pas l'argent en relation avec l'or, et en continuant ainsi à quoi se réduirait notre monnaie ? Cela est impossible, direz-vous, mais cela a été fait en Hollande.
On a trouvé un inconvénient à la création de la pièce de 10 florins qui valait moins que 10 florins d'argent ; les florins d'argent disparaissaient ; on s’est dit : Nous n'avons pas fait l'or assez haut, relativement à l’argent ; nous allons diminuer la pièce d'argent pour la ramener au niveau de la pièce d'or ; il n’y a pas de raison pour qu'on ne continue pas ainsi ; la question soulevée par la minorité de la commission, en présence de ce qui s'est passé en Hollande, n'était pas aussi oiseuse qu'on voulait le croire. N'en déplaise aux Hollandais dont je reconnais que la bonne foi est proverbiale, mais à moins que j'aie été mal instruit, je dois voir là une espèce de banqueroute, car ils ont diminué leur dette de toute la quantité de métal qu'ils ont ôtée au florin. Il est vrai que cela n’est pas considérable. Est-ce là ce que nous devions imiter ? Je pense que, jeune nation, nous ne pouvons, sans compromettre notre crédit, nous engager dans une pareille voie.
Cette opération de la Hollande a été motivée sur la nécessité de fondre des pièces rognées ou hors de coins ; nous n'avons pas une excuse semblait sur laquelle nous puissions nous appuyer.
Quant à la seconde question traitée par la commission, est-il dans l'intérêt général d'apporter des modifications à la loi du 5 juin 1832 ? Le rapport dit qu'il est de notre dignité d'avoir de la monnaie d'or, que tous les peuples civilisés en ont. Mais il me semble que la première dignité est de ne pas altérer les monnaies.
Je vois d'ailleurs que, chez certains peuples civilisés, l'hôtel de la monnaie est accessible pour tous les citoyens qui peuvent faire battre monnaie, en y apportant des lingots.
Je crois même qu'en Angleterre il n'y a pas de tantième à payer pour la fabrication.
La commission a parlé de l’embarras où l'on s'est trouvé en 1838, qu'elle présume venir de notre système monétaire. Un honorable préopinant lui a répondu, a montré la nécessité où l'on s’est trouvé d'aller chercher du numéraire en France, et il a prouvé que si nous n'avions pas eu le système français, nous aurions été dans un très grand embarras. Cette vérité avait déjà été démontrée plusieurs fois dans cette enceinte, je n'y reviendrai plus. Je voterai contre la loi.
M. de Corswarem. - Ce n'est pas sans quelque regret que j'ai entendu, à la séance d'hier, l'honorable M. Osy venir en quelque sorte faire une question politique, une question de parti, de la question du monnayage qui nous occupe. Il nous a dit qu'il pouvait nous donner l'assurance que tous ses amis politiques voteraient avec lui le rejet de la loi. Cette déclaration m'a mis dans un certain embarras. Je tiens, messieurs, à faire, à cette occasion, une confession sincère à la chambre.
Il m'est arrivé bien souvent de voter des dépenses que je n'approuvais pas, parce que chaque fois, sans considérer si elles étaient utiles ou non, l'opposition en faisait des questions politiques, des questions ministérielles. Alors, il ne m'a plus été possible de m'attacher uniquement à la question d'économie ; car je pense qu'il vaut mille fois mieux pour le pays payer quelques centaines de mille francs de plus que de subir une crise ministérielle. Comme je sais combien les crises ministérielles sont préjudiciables au pays, entre deux maux j'ai dû choisir le moindre, et j'ai souvent voté des dépenses que je n'aurais pas votées si l'on n'en avait pas fait uniquement une question politique, une question d'existence pour le cabinet.
C'est donc avec une véritable satisfaction que j'ai entendu l'honorable M. Anspach déclarer que la question en discussion n'était pas du tout politique pour lui. C'est du moins en ce sens que j'ai cru le comprendre. Plusieurs membres de l'opposition ayant parlé après lui et aucun ne l'ayant contredit, je suis autorisé à croire qu'ils partagent son opinion. Je pense par conséquent que nous sommes libres d'envisager la question qui nous occupe comme dégagée de toute couleur politique.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je n'en fais pas une question de cabinet.
M. de Corswarem. - Arrivant au projet en discussion, je crois messieurs, que nous devons avoir une monnaie d'or, et même que cela est nécessaire pour la consolidation de notre nationalité.
J'ai entendu souvent, plusieurs d'entre vous auront entendu comme moi, des campagnards et autres personnes mettre en doute que le Roi eût le droit d'exercer toutes les attributions de la souveraineté, parce qu'il ne pouvait battre de la monnaie d'or. Ils savaient que la Constitution donne au Roi le droit de battre la monnaie ; mais ne pouvant s'expliquer pourquoi il ne battait pas de la monnaie d'or, ils s'imaginaient que cela n'entrait pas dans ses attributions, qu'il n'en avait pas le pouvoir.
Je vois ici une question de nationalité. Si donc nous pouvons avoir de la monnaie d'or, nous ne devons pas hésiter à en frapper, pour prouver à ceux qui en doutent encore que notre souverain est en droit d'exercer toutes les prérogatives possibles attribuées à un souverain constitutionnel.
D'après l'honorable M. Anspach, la monnaie d'or n'aurait été inventée que pour la facilité des personnes qui désirent avoir en poche une somme assez forte, sons un petit volume. Ce n'est pas là le seul emploi de la monnaie d'or : elle facilite aussi les transactions commerciales en permettant de transporter une somme considérable sous un petit volume réduit à un petit poids.
Supposez qu'on ait à transporter 40 à 50 mille francs ; si c'est en monnaie d'argent, quel poids, quel embarras ! Celle somme forme un énorme volume que l'on ne peut déplacer qu'ostensiblement ; tandis que la même somme, en or, est transportée sans aucun embarras, et sans que le public soit mis dans la confidence.
Je partage l'avis de l'honorable M. Rodenbach, que les banquiers sont surtout opposés à l'émission de la monnaie d’or, parce qu'ils craignent qu'elle ne restreigne la circulation des billets dont ils retirent les profits d'escompte. Je crois qu'en nous indiquant cette circonstance, l'honorable membre a mis le doigt sur un des principaux motifs d'opposition au projet.
Pour ce qui est de la question du droit des gens, je partage entièrement l'opinion de M. le ministre des finances, que personne ne peut contrefaire l'argent de son souverain ni d'un souverain changer.
Il est vrai qu'il y a des monnaies de convention. Il en a toujours existé en Hollande ; ce sont les ducats.
Anciennement les particuliers pouvaient faire battre de ces ducats. Aujourd’hui ils le peuvent encore ; mais ils doivent les faire battre à la monnaie royale, en donnant à leur or le titre voulu par la loi et en n'émettant les pièces qu'après qu'elles ont été essayées et vérifiées par les agents du gouvernement. C'est ce qu’on appelle de l'argent de convention : Ad legem imperii.
Autrefois lorsque les colonies appartenaient aux compagnies des Indes orientales et occidentales, les compagnies faisaient aussi battre une monnaie exceptionnelle ; mais cette monnaie était également battue, essayée, contrôlée à la monnaie de l'Etat.
Aujourd’hui que les colonies appartiennent à l’Etat, c'est le gouvernement qui fait battre une monnaie spéciale pour les colonies.
En Angleterre, la monnaie pour les colonies est battue pour le compte des compagnies, mais par la monnaie royale où elles envoient leurs lingots ayant le titre prescrit par la loi. Toutes ces monnaies spéciales sont donc en réalité des monnaies royales, puisqu'elles sont frappées à la monnaie royale, et qu’elles ne sont mises en circulation qu'après qu'elles ont été essayées et contrôlées par les agents de l'autorité.
J’approuve complétement le titre auquel on propose de battre les pièces d'or dans notre pays. Le titre de 9/10 est un très bon titre. Les pièces battues à ce titre ont un bel aspect. Ce sont des pièces comme on en fait en France et en Hollande.
Mais je ne suis plus d'accord avec M. le ministre des finances quant au poids qu’il propose de leur donner. Je crois qu'il veut les rendre un peu trop légères, et j'entrerai à ce sujet dans quelques calculs.
Les pièces de 25 fr. étant au poids de 7 grammes 874 milligr., comme le propose M. le ministre, seraient à la taille de 127 au kilog. d'or à 9/10 de fin, et donneraient par kilog. 3,175 fr.
Les pièces de 10 fr. étant au poids de 3 gram. 149 6/10 milligr., comme le propose M. le ministre, seraient à la taille de 317 1/2 au kilog.. qui donneraient également 3,175 fr.
Or, les pièces de 10 fl. des Pays-Bas étant au poids de 6 gram. 729 mill., sont à la taille de 148 81/100 au kilog., donnant dans notre pays, au taux de 211 ft. 64 c. pour 100 fl., 3,145 fr. 18 c.
M. le ministre propose donc de donner à notre monnaie d’or une valeur inférieure à celle des pièces de 10 fl. de près de 30 fr. par kilog. d’or à 9/10 de fin.
(page 925) Les pièces de 20 fr. étant à la taille de 155 au kilog., donnent 3,100 fr. par kilog. d'or à 9/10 de fin.
M. le ministre propose donc de donner à notre monnaie d'or une valeur inférieure à celle des pièces de 20 fr. de 75 fr. au kilog.
C'est-à-dire qu'il propose de pouvoir tirer d'un kilog. à 9/10 de fin, 29 fr. 82 c. de plus qu'on n'en tire en Hollande, et 75 fr. de plus qu'on n'en tire en France.
Il me paraît que le moindre poids qu'il soit possible de donner à notre monnaie d'or, est de 7 grammes 936 5/10 millig. pour les pièces de 25 fr., qui seraient alors à la taille de 126 au kilog., et pour les pièces de 10 fr. de 3 gram. 174 6/10 millig., qui les mettrait à la taille de 315 kilog. Alors nous tirerions du kilog., à 9/10 de fin, 3,150 fr., faisant 4 fr. 82 c. de plus qu'on n'en tire en Hollande et 56 fr. de plus qu'on n'en tire en France. Mais les pièces hollandaises de 10 fl. étant déjà trop légères, il ne serait pas moral, me paraît-il, de rendre notre monnaie d’or plus légère encore.
Il me paraît donc qu'il serait plus équitable de donner à nos pièces de 25 fr. nu poids de 7 grammes 921 5/10 milligrammes, et à celles de 10 francs un poids de 3 grammes 184 6/10 milligrammes, ce qui mettrait les premières à la taille de 125 6/10 et les secondes à la taille de 314 par kilogramme, de manière que nous retirerions d'un kilogramme à 9/10 de fin, 40 francs de plus qu'on n’en retire en France, et 5 fr. 18 de moins qu'on n’en retire en Hollande.
Ce poids serait inférieur à celui que l'honorable baron d'Huart proposait de donner à notre monnaie en 1837. Cet honorable membre proposait de donner aux pièces de 25 francs un poids de 7 grammes 969 milligrammes, ce qui les mettait à la taille de 125 1/2 au kilogramme, donnant 3,137 fr. 50 c., tandis que je voudrais retirer du kilogramme à 9/10 «de fin, 3,140 fr., ou 2 fr. 50 c. de plus, équivalant à peu près à 80 c. par 1,000 fr.
L’Etat retirerait alors un bénéfice assez honnête pour pouvoir très utilement battre de la monnaie d’or, et cette monnaie aurait une valeur intrinsèque, telle qu’on l’accepterait en France ; mais qu’on ne l’accepterait que pour nous la rendre ; qu’on ne la refondrait pas en Hollande et qu’on ne la contreferait pas à Birmingham ni ailleurs. On ne l’accepterait en France que pour nous la rendre à la première occasion, parce qu’elle voudrait 40 fr. de moins au kilogramme que les pièces de 20 fr. ; on ne la refondrait pas en Hollande, parce qu’elle ne vaudrait que 5 fr. 18 de plus au kilogramme que les pièces de 10 fl., tandis que les frais de fabrication de ces dernières montent à 10 fr. le kil., et on ne la contreferait pas à Birmingham ou ailleurs, parce qu’on aurait un bénéfice plus élevé de 5 fr. 18 c. par kilogramme, en contrefaisant les pièces de 10 fl., qu’on ne contrefait déjà pas aujourd’hui.
Je dois vous le déclarer, messieurs, lorsque nous en viendrons à l’article 3 du projet de loi, je vous présenterai probablement un amendement dans l’un ou l’autre sens. Jusqu’ici, je ne suis pas encore complétement décidé à cet égard ; j’attendrai la continuation de la discussion pour m’éclairer autant que possible avant de faire une proposition. Je désire surtout que M. le ministre nous fasse connaître quelle serait, selon lui, la portée de l’un ou de l’autre système que je viens d’exposer.
M. le ministre des finances (M. Malou). – Messieurs, quoique la séance soit déjà bien avancée, je réclamerai quelques instants l’attention de la chambre.
On peut révoquer en doute s'il faut en Belgique une loi qui permette la fabrication de l’or. Si l'on admet qu’il est de l’intérêt du pays (je laisse de côté la question de dignité et de convenance) de fabriquer de la monnaie d’or, il reste à voir dans quelles conditions la loi doit autoriser cette fabrication, et lorsque la loi aura prononcé, personne ne pourra dire que la Belgique a altéré sa monnaie.
D’honorables préopinants me paraissent verser dans une singulière erreur. Si l’on consulte le tableau qui indique le titre et le poids des monnaies de tous les pays du monde, on voit que partout il y a une double monnaie d’or et d’argent, et que partout il y a entre ces deux monnaies une relation, un rapport différent ; que partout notamment les poids de l’une et de l’autre monnaie comparés ensemble diffèrent essentiellement.
Que résulte-t-il de là ? Que si, par exemple, au lieu de conserver, comme je crois que nous devons le dire, le titre monétaire de 9/10 de fin, nous abaissions le titre ; ou si, comme dans certains pays de l’Europe, nous produisions de la monnaie au titre de l’argent fin, c’est-à-dire sans aucun alliage, nous n’aurions pas, dans un cas, augmenté la valeur de la monnaie, comme nous ne l’aurions pas altérer dans l’autre. Seulement nous aurions créé une monnaie dont la valeur à l’intérieur et dont la valeur au-dehors s’établiraient par des considérations différentes.
Permettez-moi de m'arrêter un instant à l'idée mère en quelque sorte de la circulation des monnaies. Il y a, nous disent toutes les personnes qui s'occupent de cette matière, il y a un change intérieur, et ce que j'appellerai un change international. La monnaie d'un pays a une fonction différente pour le change intérieur, comme agent des échanges dans le pays même, et il a une autre fonction pour le change d'une nation à l’autre.
Assurément, messieurs, une nation qui aurait établi très bas le titre de sa monnaie, n'aurait pas altéré cette monnaie. Mais en l’échangeant avec une autre nation, elle aurait nécessairement à supporter dans le change une perte égale à la différence de la valeur légal à l’intérieur et de la valeur réelle.
Voilà quel est naturellement le change d'une monnaie considérée comme un objet d'échange de nation à nation.
Mais les monnaies ont aussi une autre fonction et c'est précisément à cette fonction que nous croyons qu'est destinée la monnaie auxiliaire, ou la monnaie accessoire, comme on voudra, je ne tiens pas aux mots que nous proposons de fabriquer.
Pour que la monnaie puisse remplir ses fonctions d'aide de la circulation à l'intérieur, d'instrument des échanges, que faut-il ? Il faut que la valeur légale de cette monnaie soit assez rapprochée de la valeur réelle pour qu'elle soit généralement acceptée, pour qu'elle reste dans la circulation.
Encore une fois, messieurs, c'est sur ce point et exclusivement sur ce point que le débat doit porter. Si nous admettons la proposition soumise à votre examen ou celle de la majorité de la commission en 1846, nous aurons à voir si une telle monnaie, non pas d'après des théories, mais d'après l'expérience que nous faisons tous les jours, peut devenir un utile agent des échanges à l'intérieur.
Je disais tout à l'heure qu'on pouvait contester s'il était nécessaire, s'il était utile de créer une monnaie d'or en Belgique, mais que, l'affirmative résolue, la loi doit être conçue de telle manière que cette monnaie puisse exister. Nous avons aujourd'hui une loi qui permet la fabrication de la monnaie d'or, c'est la loi française de germinal au XI, reproduite dans la loi de 1832. Mais nous sommes dans l'impossibilité de fabriquer de la monnaie d'or, parce que la loi n'a pas tenu compte des faits. Il faut donc, si nous voulons avoir une monnaie d'or, établir les conditions légales de telle manière que d'après la valeur moyenne de l'or constatée chaque jour, nous puissions au moins de temps en temps fabriquer de la monnaie.
Ainsi, par exemple, l'honorable M. Osy, dans la conférence à laquelle il a fait allusion hier, m'indiquait comme un moyen de conciliation de fabriquer de la monnaie d'or en Belgique dans les mêmes conditions que la pièce de 10 florins. Eh bien, que résulterait-il de là, d'après les faits actuels ? Que nous aurions renouvelé ce qui s'est fait en 1832, que nous aurions nominalement pour le gouvernement la faculté, en d’autres termes, le devoir de battre de la monnaie d'or et que nous l'aurions mis presque constamment dans l'impossibilité d'en fabriquer ? Et en voici la preuve : Ce n'est, en effet, et ici je n'indiquerai que l'idée, ce n'est que lorsqu'une récolte désastreuse en Angleterre ou d'autres circonstances comme celles que nous subissons aujourd'hui, amène très bas l’échange sur Londres, que nous pourrions faire usage de la loi, si elle était formulée en ces termes.
M. Osy. - Il faut profiter des circonstances.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il faut, dit-on, profiler des circonstances. Oui ; niais si vous faites une loi qui vous permette une fois tous les cinq ou six ans de faire de la monnaie d'or pendant quinze jours, ce n'est pas la peine de faire une loi ; c'est encore une fois une loi nominale qui ne pourra recevoir d'exécution.
L'honorable M. de Corswarem vient d'indiquer d'autres limites. Dans ces termes, je le crains, les mêmes conséquences, quoique à un degré moindre, se feraient sentir, c'est-à-dire que d'après le prime moyenne de l'or, il y aurait impossibilité de fabriquer de la monnaie d’or en Belgique.
Il faut, je le répète, ou bien ne pas faire de loi qui autorisé le gouvernement à fabriquer de l'or, ou bien le faire dans des conditions telles que la fabrication soit possible.
Il peut subsister, dans l'esprit de quelques membres, une crainte sur la réaction qu'une émission d'une certaine quantité d'or opérerait e ce qui concerne la circulation des billets de banque. Si j’avais admis le système proposé en 1837 par mon honorable ami M. d’Huart, cette crainte serait sérieuse. Alors, messieurs, il s’agissait de fabriquer des pièces de 10, 25, 50 et 100 francs. Or, si l’on n’avait pas supprimé les deux dernières espèces de pièces, comme nous établissements de crédit émettent des billets de 50 et de 100 francs, il est évident qu’une émission de monnaie d’or de 50 et de 100 francs aurait pu exercer un effet fâcheux sur la circulation déjà trop restreinte des billets de banque. C’est le motif principal qui m’a porté à supprimer dans mes propositions les pièces de 50 et de 100 francs.
Messieurs, la question que nous agitons aujourd’hui doit se décider par le raisonnement et non pas par l’autorité. Ce n’est pas une matière de foi, c’est une matière de pur raisonnement. Aussi ai-je déjà été assez étonné, je l’avoue, d’entendre l’honorable M. Osy, dans la séance d’hier, et l’honorable M. Anspach, dans la séance d’aujourd’hui, invoquer l’autorité unanime de tous les banquiers et des établissements de crédit, qui sont réellement les grands banquiers en Belgique. Dans la dernière commission qui avait adopté, à la majorité de 5 voix contre 2, le système présenté, nos deux grands établissements de crédit se trouvaient représentés l’in, le plus grand, par son chef ; l’autre, par un de ses administrateurs qui s’est toujours occupé des questions de monnaie.
Messieurs, il ne m’appartient pas sans doute de nommer les membres de la minorité, s’il ne l’avaient fait eux-mêmes. Mais le discours de l’honorable M. Pirmez me permet de dire qu’il était de la minorité, et le rapport que mon honorable ami M. Cogels a fait précédemment sur la question, me permet encore de dire, sans violer aucun secret, qu’il était le second membre de la minorité. Eh bien, vous pourrez voir, puisqu’il s’agit e ce moment de la question d’autorité, en consultant les noms des membres de la commission, dans le rapport qui vous a été distribué, que pour le système de la commission, je ne manque pas d’autorités très respectables en Belgique.
Je dis, pour le système, parce que pour la question de la proportion, de la différence à établir entre la valeur réelle et la valeur légale, a commission (page 926) a été divisée ; j’ai pensé, pour que la loi pût recevoir une exécution dans les circonstances ordinaires, qu'il y avait lieu de proposer à la Chambre l'opinion rejetée par 4 voix contre 3, mais le principe avait été admis par la commission de 1846, où, je le répète, se trouvaient des autorités très respectables en matière de banque et de monnaie.
M. Osy. - Sont-ils venus ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - Ils sont venus et ils ont voté. La preuve en est que la commission était de sept membres, et que le vote a eu lieu par 4 voix contre 3.
L'honorable M. Pirmez disait tout à l'heure qu'en citant l'Angleterre et la France, j'avais choisi des exemples malheureux. Mais, messieurs, je puis prendre au hasard tous les pays du monde et vous verriez que partout, je le répète encore, on a établi deux monnaies dont l'une a été admise comme type, et l'autre comme auxiliaire ou comme accessoire, je le dis de nouveau, je ne tiens pas au mot. Mais, messieurs, en parlant d'exemples malheureux, ne puis-je pas appliquer cette expression au discours de l'honorable M. Pirmez ? Il y a quelques années, en Hollande, on a fait, pour une monnaie existante, déjà émise, ce que nous proposons de faire aujourd'hui à l'égard d'une monnaie à émettre, et nous-mêmes si nous ne décrétions pas l'émission d'une monnaie d'or belge, nous serions amenés par la force des choses, par les impérieuses exigences des intérêts nationaux, à faire pour l'or hollandais ce que la Hollande a fait pour l'argent hollandais ; nous ne continuerions pas à admettre l'or hollandais pour une valeur supérieure à sa valeur réelle, pour une valeur supérieure à celle pour laquelle il est admis en Hollande même. Eh bien, qu'est-ce que cela, sinon réduire la valeur d'une monnaie qui est dans la circulation ? Nous serions amenés là, et l'on nous reproche aujourd'hui de vouloir émettre une monnaie qui continuera à circuler pour sa valeur légale, si nous ne l'exagérons pas, qui continuera à être reçue au moins dans le pays, et c'est spécialement à l'intérieur qu'il faut voir la monnaie, si on veut la voir dans sa véritable action. En citant l'exemple récent de la Hollande, l'honorable M. Pirmez m'a donc fourni un argument de plus.
Une autre réflexion m'a frappé : Pourquoi les monnaies d'or peuvent-elles disparaître ? A quelle époque disparaîtront-elles ? Nous créons aujourd'hui, aux termes du projet, une certaine quantité de monnaie d'or, combien cette monnaie durera-t-elle ? Elle durera jusqu'à ce que l'écart de valeur entre l'argent et l'or soit tellement augmenté qu'il y ait bénéfice à la refondre. Telle doit être sa durée.
Eh bien, messieurs, il est un fait économique constaté à la dernière évidence, c'est que malgré quelques variations de détail, l'écart de valeur entre l'or et l'argent s'augmente sans cesse. Il serait facile d'en dire les raisons. Je n'en indiquerai qu'une seule, la production de l'argent dans tout l'univers, est au moins 40 fois plus grande que celle de l'or ; l'or a au moins autant d'utilité que l'argent pour les usages de luxe ou d'industrie indépendamment de ses fonctions comme monnaie. S'il est vrai que les gîtes d'argent fournissent infiniment plus que les gîtes d'or, l'écart de valeur doit de plus continuer à s'accroître à mesure que l'exploitation de l'un et de l'autre métal s'accroîtra. (Interruption.)
J'ai reconnu qu'il peut y avoir des perturbations accidentelles, mais je raisonne sur plusieurs siècles, je dis que surtout depuis la découverte du nouveau monde, l'écart de valeur entre l'or et l'argent a été sans cesse en s'augmentant et que les conditions dans lesquelles se trouvent les gîtes connus (je ne parle pas de ceux qu'on pourrait découvrir) tendent à rendre cette augmentation de plus en plus considérable.
Eh bien, messieurs, je suppose que nous émettions aujourd'hui une pièce de 25 fr. qui vaudrait 10 centimes de moins comme valeur intrinsèque si on la passait au creuset, qu'elle a de valeur légale ; plus l'écart entre la valeur de l'or et celle de l'argent s'augmenterait, plus la valeur intrinsèque de cette pièce se rapprochera de sa valeur légale ; et lorsqu'une monnaie va disparaître, lorsqu'elle doit cesser de faire ses fonctions d'agent des échanges, c'est parce que la valeur légale et la valeur réelle se sont rencontrées.
Aussi, vous ne pouviez pas me dire que dans ce système j'ai réellement fait un dol à qui que ce soit. Je reprends cet argument en d'autres termes. (Je demande pardon à la chambre, si à cause de l'insuffisance de ma parole, il présente quelque obscurité.) Vous émettez aujourd’hui une monnaie qui n'a pas sa valeur réelle, vous l’émettez à un taux légal supérieur ; mais l'écart des deux valeurs continuant, la valeur légale et la valeur réelle de la pièce se rapprochent de plus en plus ; et lorsque la pièce sort de la circulation, c'est parce que la valeur réelle et la valeur légale se sont confondues.
- La séance est levée à quatre heures trois quarts.