(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 859) M. Van Cutsem procède à l'appel nominal à 1 heure.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. Van Cutsem présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Les notaires cantonaux de l'arrondissement judiciaire de Furnes présentent des observations sur le projet de loi relatif au notariat, et prient la chambre de le discuter pendant la session actuelle. »
« Mêmes observations des notaires de l'arrondissement d'Arlon. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
« Le sieur Godenne, lieutenant-colonel pensionné, demande le remboursement des retenues qui ont été opérées sur ses appointements de major. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs propriétaires de Bruges demandent que les petites propriétés bâties occupées par la classe ouvrière jouissent généralement de l’exemption de la contribution personnelle accordée par l'article 27 de la loi du 28 juin 1822 en faveur des maisons d'une valeur locative annuelle moindre de 20 florins. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Henckels, négociant, à Muno, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir remise de l'amende qu'il a encourue du chef de la négligence des voituriers de remettre aux employés de la douane les acquits de payement des droits de sortie sur les bois de chauffage et de construction qu'il faisait exporter. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Grammont propose des mesures pour relever l'ancienne industrie linière. »
M. de Villegas. - Je propose le renvoi de cette requête à la commission permanente d'industrie, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs fabricants et teinturiers à Verviers demandent que le natron d'Egypte ne soit pas assimilé au sel de soude fabriqué, et que l'ancien droit de 2 p. c. ad valorem soit rétabli. »
M. Lys. - Messieurs, les fabricants et teinturiers du district de Verviers se plaignent de ce que le natron d'Egypte, qui n'était imposé qu'à deux francs, soit maintenant assimilé au sel de soude fabriqué et soit imposé à plus de 6 fr. C'est une augmentation d'impôt qui est extrêmement nuisible à l'industrie verviétoise, d'autant plus que celle de nos voisins reçoit ce natron, qui n'est pas un produit industriel, mais un produit naturel, à des droits beaucoup plus modérés.
Je demanderai que cette pétition soit renvoyée à la commission permanente d'industrie avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs habitants de Pepinster demandent que ce hameau soit érigé en une commune distincte de celle de Theux dont il fait partie.
M. Lys. - Messieurs, depuis longtemps j'ai déposé, de la part de cette section de commune, une pétition accompagnée de pièces, pour obtenir la séparation. Il a été fait rapport sur cette pétition qui a été renvoyée à M. le ministre de l'intérieur.
La requête dont on vient de faire l'analyse, n'étant que la reproduction de la première, j'en demande également le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Cette proposition est adoptée.
« Le sieur Alexandre Guyot, né à Paris, faisant partie de l'armée depuis le mois d'octobre 1830, prie la chambre de décider si la qualité de Belge lui est acquise. »
M. Fleussu. - Je demanderai que cette requête soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport, Il s'agit de la qualité d'une personne. Le pétitionnaire ne sait s'il est Belge ou Français.
- La proposition de M. Fleussu est adoptée.
Par message en date du 20 février, le sénat informe la chambre qu’il a adopté le projet de loi qui modifie les droits de douanes sur les sabots et déchets de sabots de bétail et de chevaux.
- Pris pour notification.
Par message en date du 19 février, le sénat informe la chambré qu’il a pris en considération plusieurs demandes de naturalisation ordinaire.
- Renvoi à la commission des naturalisations.
Par message, en date du 22 février, M. le ministre de la justice transmet à la chambre huit demandes de naturalisation ordinaire, avec renseignements relatifs à chacune d'elles.»
- Renvoi à la commission des naturalisations.
M. le président. - La discussion continue sur l'article nouveau proposé par M. d'Hoffschmidt et ainsi conçu :
« La faculté accordée au gouvernement par les articles premier et 7 ne pourra s'appliquer qu'au tiers seulement des terrains incultes appartenant à chaque commune ou section de commune. L'aliénation des deux autres tiers ne pourra s'opérer qu'avec l'assentiment du conseil communal. »
M. de Garcia. - Messieurs, l'amendement présenté par l'honorable M. d'Hoffschmidt aurait mon assentiment, peut-être, s'il était présenté à un point de vue général ; mais, dans l'étal où il se trouve, je crois devoir le combattre. En voici les motifs.
D'après cet amendement, la loi où vous avez voté un grand principe, que pour ma part je n'admets pas, la loi serait singulièrement entravée dans son exécution. L'amendement forcerait le gouvernement à borner le défrichement au tiers des biens communaux situés dans chaque commune et même dans chaque communauté ; or, il est évident que dans cet ordre d'idées vous ne pourriez atteindre le but de la loi. cette proposition écarte virtuellement l'appréciation de l'utilité du défrichement.
En effet, dans telle commune où le défrichement serait utile et praticable, le gouvernement sera arrêté, tandis que dans telle autre commune, où le défrichement est impraticable, il conviendra de ne rien exproprier du tout.
Je pourrais peut-être admettre cette proposition si elle portait que le gouvernement ne pourra faire l'expropriation forcée que jusqu'à concurrence du tiers des biens communaux du pays. Au moins alors l'action du défrichement serait libre dans un cercle donne et pourrait se faire utilement. Mais, tel qu'il est conçu maintenant, l'amendement frapperait la loi de stérilité, au point de vue qu’on se propose. Je le répète, je n'admets pas le principe de la loi ; j’ai voté contre l'article premier, et je voterai contre l'ensemble du projet ; mais puisque la majorité de la chambre admet ce projet, il faut bien ne pas en entraver l'exécution.
Il suffit, d'ailleurs, messieurs, des arguments qu’a fait valoir l'honorable M. d'Hoffschmidt, pour prouver que sa proposition est inutile. Il vous a démontré, en effet, que d'ici à 20 ans vous n’aurez pas exproprié le tiers des bruyères qui appartiennent aux communes. En effet, la force des choses sera toujours un obstacle à ce que le gouvernement puisse aller trop vile.
Eh bien, messieurs, dès que vous admettez le principe de la loi, il ne faut pas empêcher le gouvernement de l’appliquer d'une manière utile, c'est-à-dire de procéder sans limites au défrichement dans les communes où il est utile d’y procéder de cette manière.
Messieurs, comme l'a fort bien dit l'honorable M. d'Hoffschmidt, en citant, à l'appui de son opinion, les avis de toutes les députations permanentes et des commissions d'agriculture ainsi que les pétitions adressées à la chambre, le défrichement n'ira que lentement, et, quant à moi, je ne pense pas qu'on pourra défricher 500 hectares par an. Je n’excepte que la Campine, où l'on pourra peut-être, au moyen de subsides à fournir par l'Etat, procéder d'une manière plus large au défrichement ; mais quand il s'agira de livrer le défrichement aux particuliers, je n'hésite pas à dire qu'il n'ira pas à 500 hectares.
On ne se doute pas de ce une c'est que le défrichement : le défrichement ne donne guère de résultat que 5, 7,10 ans après qu'il a été entrepris et vous pouvez même vous estimer heureux lorsque vous arrivez à une culture régulière et satisfaisante 10 ans après que vous avez commencé le défrichement. Il est donc évident que, par la force des choses, le gouvernement ne pourra pas aller trop rapidement ; mais je le répète, l’adoption de l’amendement de M. d’Hoffschmidt entravera non seulement l'action du principe de l'article premier, mais portera encore préjudice aux (page 860) intérêts communaux. Quant à moi, je voterai contre la loi parce que son principe porte atteinte au droit de propriété ; mais puisque la majorité admet ce principe, je désire que le but d'utilité générale soit atteint autant que possible.
M. Mast de Vries, rapporteur. - Messieurs, je viens combattre la proposition de l'honorable M. d’Hoffschmiddt. En effet, si vous admettez cette proposition, rendez-vous compte de ce qui arrivera : Il arrivera, par exemple, que lorsque le gouvernement aura soumis certains terrains à l'irrigation et les aura ainsi convertis en prairies, les communes refuseront de vendre d'autres terrains susceptibles d'être convertis en terres labourables. Cela pourra se faire parce que certains membres influents de la commune y auraient intérêt. Si une commune peut obtenir que 2 ou 300 hectares de ses terrains incultes soient convertis en prairies, cela va profiler considérablement à ses habitants et ils auront intérêt à ce que d'autres producteurs ne viennent pas les entraver ; ils feront donc ce qui sera possible pour qu'il n'y ait point de nouveaux cultivateurs qui leur feraient concurrence.
Vous voyez, messieurs, d'après ceci, que la proposition de l'honorable M. d'Hoffschmidt porterait la plus grande perturbation dans les propriétés des communes.
Ainsi, d'après ma manière de voir, la proposition de l'honorable M. d'Hoffschmidt fait tomber le projet de loi ; car son adoption détruirait tous les bons effets que l'on attend de la loi la plus populaire qui ait été discutée dans cette enceinte.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre mérite toute son attention. Jusqu'à présent les objections qui ont été soulevées contre cet amendement ne m'engagent pas le moins du monde à le retirer. Je reste convaincu que cet amendement ne peut entraîner les inconvénients que l'on vient de signaler, et qu'il peut, au contraire, offrir de grands avantages. Si la chambre veut bien m'écouter, je pense que je le lui démontrerai facilement.
D'abord, je dois dire que c'est avec quelque surprise que j'ai vu le premier orateur qui a pris la parole aujourd'hui, lui qui était contraire au principe de la loi, comme présentant du danger ; que j'ai vu avec surprise cet orateur, dis-je, combattre mon amendement qui tend à restreindre ce principe ; et il le combat, a-t-il ajouté, parce que la loi ne pourrait pas recevoir son application. J’avoue que je ne m'attendais pas à une semblable opposition, et à la sollicitude de l'honorable M. de Garcia en faveur de l'application la plus étendue de l'article premier de la loi contre lequel il s'est prononcé.
Le principal argument qu'on oppose à ma proposition, c'est qu'il peut se présenter que dans certaines communes, par exemple, on devrait exproprier plus du tiers des terres incultes, tandis que, dans d'autres, il ne serait pas nécessaire d'en exproprier là plus faible partie. Eh bien, je voudrais qu'au moins on eût appuyé cette assertion par quelques faits ; mais jusqu'à présent, dans cette discussion, nous marchons en quelque sorte dans le vague ; on ne cite aucune commune où ces inconvénients pourraient exister.
Mais voyons, d'après les documents que nous avons en mains, comment cet amendement pourra être appliqué, soit dans le Luxembourg, soit même dans la Campine.
Dans le Luxembourg, le rapport de la députation permanente nous apprend que les communes possédent, terme moyen, de 300 à 1,800 hectares de terres incultes. Eh bien, je dis qu'il n'y aura pas la moindre nécessité à dépasser le tiers, dans la presque totalité de ces communes ; je crois que si on allait plus loin on ferait une opération mauvaise, on aurait un prix inférieur à celui qu'on doit obtenir pour indemniser les communes, on n'obtiendrait aucun résultat. Remarquez une chose sur laquelle la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg appelle votre attention, c'est que si vous voulez que votre loi soit efficace, vous ne devez vendre que les biens communaux à portée des habitations et des biens déjà cultivés. Il suffit de lire ce que dit la députation à cet égard. Voici comment elle s'exprime : (Voir le rapport de la députation, page 78.)
Ainsi, messieurs, mon amendement est tout à fait conforme à l'opinion que la députation a émise dans le cas où l'on en viendrait à l'aliénation des biens communaux, c'est-à-dire qu'il faut d'abord se borner au tiers de ces biens ; que sans cela on fera une opération mauvaise, dangereuse même pour les communes.
Dans la Campine, que disent les documents statistiques qui nous ont été communiqués ? Dans le Limbourg, il y a 72,223 hectares de terres communales incultes, dont 52,120 non susceptibles d'être cultivés, et 20,093 seulement pouvant être mis en culture. Dans la province d'Anvers, il y a 23,700 hectares de terres incultes dont 2,555 non susceptibles d'être cultivés, et 21,145 qu'on peut livrer à la culture. Ainsi dans la Campine il y a 41,238 hectares de terres incultes susceptibles d'être cultivés. Eh bien, le droit d'exproprier le tiers des biens des communes, s'appliquera à la totalité des biens incultes, c'est-à-dire aux 96 mille hectares déterres incultes de la Campine, et le gouvernement pourra exproprier 32 mille hectares ; il appliquera la loi à la partie qui peut être soumise à la culture, elle n'est que de 41 mille hectares. Je vous demande s'il n'a pas un champ large devant lui. En outre, parce que dans l'article, vous diriez que le gouvernement ne peut exproprier que le tiers des biens des communes, il ne s'ensuivrait pas que la vente est interdite pour le restant ; vous aurez la vente volontaire qui viendra s'ajouter à l'expropriation si c'est nécessaire. Vous aurez d'ailleurs la plupart du temps le concours des administrations communales de la Campine, puisqu'on n'y demande qu'à vendre d'après les documents qui nous ont été remis.
On nous a distribué le tableau des aliénations volontaires faites depuis un certain temps dans la Campine. Ce tableau nous indique la quantité de ces terrains qui a été vendue depuis 1821. J'ai été frappé de voir combien d'hectares on a vendus seulement sur la proposition des administrations communales.
Il résulte de ce tableau que dans la province d'Anvers, depuis 1832 inclusivement, ont été demandées et autorisées des aliénations des bruyères communales, etc., jusqu'à concurrence de 510 h. 31 ares, en moyenne par année, et que cette moyenne, qui n'a guère été dépassée avant 1842, l'a été notablement, depuis cette époque, et notamment dans les années 1842, 1843 et 1844. La plus grande partie des terres aliénées a été convertie en bois de sapin ; quelques parcelles ont été cultivées ; d'autres sont restées en friche.
Il en est de même dans la province de Limbourg.
Depuis 1832 jusqu'à 1845 inclusivement, on a demandé et autorisé, dans le Limbourg, l'aliénation de 7,770 hectares de bruyère, ce qui fait, en moyenne, 555 hectares par an. Cette moyenne a été notablement dépassée dans ces derniers temps, et notamment dans les années 1844 et 1845. La plupart des bruyères aliénées ont été converties en sapinières ; une partie a été cultivée ou transformée en prairie : peu de parcelles sont restées en friche. »
Comment, en présence de ces faits, est-il possible que l'on pousse la défiance envers les administrations communales du Limbourg et de la province d'Anvers au point de vouloir leur ôter l'initiative, en matière d'aliénation des biens communaux, réduite au deux tiers de ces biens, initiative qui leur appartient aux termes de la Constitution, lorsqu'il est constaté qu'elles ont provoqué elles-mêmes l'aliénation d'une aussi grande quantité de terrains incultes ?
Lorsque cette quantité viendra se joindre à celle que le gouvernement a le droit d'exproprier, d'après mon amendement, n'aura-t-on pas une étendue assez considérable à mettre dans le domaine privé ? Est-il nécessaire d'augmenter cette quantité ?Evidemment non. Je suis convaincu que ma proposition n'est nullement nuisible même au système de la loi appliqué de la manière la plus large.
Mais j'admets qu'une commune résiste, et que, comme le dit l'honorable M. de Garcia, il se présente des cas où il y aurait utilité publique à vendre plus du tiers.
Je suppose donc qu'une commune résiste, qu'elle ne veuille pas céder plus du tiers. D'abord on aura les moyens de persuasion que possède l'autorité supérieure sur les administrations communales, elle aura la distribution des subsides, l'influence des autorités provinciales.
M. Kummer dit, dans son rapport, qu'ayant éprouvé pendant un certain temps des difficultés, il a suffi de l'influence d'un membre de la législature et d'une autorité provinciale, pour vaincre ces résistances. Ainsi, ces résistances ne sont pas tellement absolues qu'il faille les redouter comme paralysant nécessairement l'effet de toute la loi.
D'ailleurs, est-ce que nous devons supposer que les communes auront toujours tort, que le gouvernement aura toujours raison ? Les résistances ne peuvent-elles pas être légitimes, être puisées dans des intérêts plus grands que ceux qu'on voudrait faire prévaloir ?
Vous savez comment on peut faire des propositions de défrichement. Elles peuvent être faites, dans de bonnes intentions sans doute, par des hommes à projets ou dans les bureaux du ministère. Le gouvernement les accueillera avec facilité. On arrivera ainsi à l'expropriation. Si cependant l'administration voit dans la vente d'une trop grande étendue de biens communaux une cause de misère pour les classes nécessiteuses, ne convient-il pas de donner, par la loi, au conseil communal le moyen de résister ?
C'est au nom de l'intérêt public que vous voulez exproprier les communes, en vertu de l'article 11 delà Constitution ! Mais dans tous les avis qui vous ont été donnés, on déclare que si l'on va trop loin, au lieu qu'il y ait utilité publique, ce serait en quelque sorte une calamité publique. On redoute partout des ventes trop considérables. Si le législateur a la même conviction et il doit l'avoir, pourquoi ne placerait-il pas la limite dans la loi ?
Songez, messieurs, que l'article premier n'est pas le seul moyen que possédera le gouvernement pour arriver au défrichement ; il aura d'autres moyens très puissants. Dans la dernière séance vous avez voté l'article 7 qui donne déjà au gouvernement le droit d'exproprier dans la limite des crédits qui lui seront ouverts ; et d'après le crédit qu'il nous demande, c'est-à-dire 500,000 fr., il pourra exproprier des milliers d'hectares.
Indépendamment de ce moyen, vous aurez probablement celui que propose l'honorable M. d'Huart, moyen qui consiste à forcer les communes à louer leurs terrains.
Ainsi location forcée de terrains communaux ; vente sans limite, lorsque le gouvernement l'exigera, dans l'intérêt des irrigations surtout ; après cela expropriation forcée du tiers des bruyères communales ; vente volontaire qui va jusqu'à mille hectares annuellement dans la Campine. En vérité, si votre loi est paralysée avec de semblables moyens, nous sommes en droit de dire que celle loi est dans tous les cas inefficace.
Remarquez, messieurs, que dans la loi vous allez à l'encontre de toutes les dispositions qui ont été prises jusqu'à présent par les législatures concernant les biens des communes. Le législateur a toujours tenu à mettre une barrière onexiente trop facile de ces biens. C'est pourquoi (page 861) tant de formalités sont exigées, tant de précautions sont prises ; c'est pourquoi l'approbation de l'autorité supérieure est requise. C'est ce que tous remarquez dans toutes les lois qui ont régi les biens des communes, sauf peut-être ce décret de l'empire, décret qui, comme vous le savez, a soulevé la plus vive réprobation, qui a été un des griefs contre le despotisme de cette époque.
En France, par exemple, où il y a peut-être plus de 4 millions d'hectares de terres incultes, est-ce que vous voyez qu'on adopte des mesures telles que celles qu'on nous propose ? Cependant croyez-vous que la France soit aveugle sur les intérêts de son agriculture ? Mais en France il y a les institutions les plus brillantes en matière d'instruction agricole ; dans toutes les parties du pays on a établi des comités d'agriculture ; à Paris il y a un congrès agricole qui est composé des plus grandes capacités de France en matière d'agriculture. Eh bien ! que vous dit ce congrès ? Au lieu de se montrer favorable à l'aliénation des biens communaux, il a émis le vœu que le partage de ces biens fût interdit, et que les communes ne fussent autorisées à les vendre que dans les cas de nécessité absolue. Cependant dans plusieurs départements de la France, dans le département des Landes, dans le département de la Gironde, dans le département des Basses-Pyrénées, vous avez des bruyères d'une immense étendue qui appartiennent encore aux communes.
Messieurs, je conçois qu'en présence de la grande majorité qui a voté le principe de l'article premier, il n'y a pas très grande chance de succès pour mon amendement ; car le propre des fortes majorités, c'est de se laisser entraîner quelquefois trop loin. Cependant la cause de cette grande majorité, où la trouvons-nous ? Je pense que le discours d'un de mes honorables amis a puissamment contribué à former cette majorité, en rattachant l'intérêt des Flandres au défrichement. Il paraît que l'on pense que dans le défrichement on pourrait trouver des moyens de faire disparaître le paupérisme des Flandres, de débarrasser ces provinces de leur excédant de population. Je crois, messieurs, que c'est là une véritable erreur.
Plusieurs membres. - C'est la discussion générale.
M. le président. - Revenons à l'amendement.
M. d’Hoffschmidt. - Je n'ai pas entendu l'interruption.
M. le président. - On fait remarquer que vous rentrez dans la discussion générale.
M. de Mérode. - Il faut pourtant bien qu'on appuie l'amendement !
M. d’Hoffschmidt. - Je ferai remarquer que mon amendement rentre un peu dans la question de principe, dans la discussion générale de l'article premier, puisqu'il s'agit de le restreindre. Du reste je serai très bref.
Dans mon opinion, c'est une profonde erreur de croire que les moyens qu'on propose dans la loi puissent être d'une grande utilité pour faire disparaître la plaie du paupérisme des Flandres.
Je conçois fort bien la colonisation sur des terres riches et fertiles, sur une terre féconde qu'il suffit seulement de remuer pour faire produire de riches moissons. Mais transporter de nombreuses populations sur les terres des Ardennes et de la Campine, ce serait vouloir les plonger dans la plus grande misère ; elles ne pourraient y subsister qu'au moyen des secours continuels du gouvernement. Il faudrait entretenir les pauvres dans les Ardennes au lieu de les entretenir dans les Flandres.
L'honorable M. de Garcia, qui a de très grandes connaissances en agriculture, vous le disait tout à l'heure : on ne peut obtenir le défrichement complet des terres incultes qu'au bout de neuf ou dix ans. Quand on a obtenu un résultat satisfaisant au bout de dix années, on doit s'en féliciter ; et si vous voulez faire attention aux détails que donne la députation permanente du Luxembourg, vous voyez combien d'efforts, combien de dépenses et de persévérance il faut pour obtenir le défrichement d'un hectare de bruyère.
Ainsi placez des populations pauvres sur un semblable terrain, que deviendront-elles ? Je suis persuadé que si le gouvernement ne les y entretient pas, ne vient pas sans cesse à leur secours, secours qui devront s'accroître avec l'augmentation de la population, elles y seront plus malheureuses que dans les Flandres. Dans les Flandres il y a de grandes industries qui leur donnent du travail, il y a des personnes riches et puissantes qui peuvent venir à leur secours. Elles ne trouveront cet avantage ni dans les Ardennes, ni, je pense, dans la Campine. Si donc c'est là le motif où l'on a puisé son opinion en faveur du projet de loi, je dis que plus tard il sera démontré que c'était une véritable illusion.
Il me semble aussi, messieurs, que dans une question pareille, on doit aussi un peu écouler les organes des provinces qui sont le plus vivement intéressées dans la question ; et quand je parle des organes de ces provinces, je n'entends pas seulement les députés qui siègent dans cette enceinte, mais aussi les députés provinciaux et les députations permanentes. Or, jusqu'à présent on n'a tenu aucun compte des observations cependant si lumineuses, si détaillées du conseil provincial et de la députation permanente du Luxembourg ; cette députation est d'avis que l'aliénation forcée ne devrait pas aller au-delà du tiers des bruyères communales ; et cependant vous voulez aller au-delà.
Eh bien, je dis que vous allez beaucoup trop loin.
Dans mon amendement, quoi qu'on en dise, il n'y a aucun empêchement à l'application efficace de la loi. Il y a au contraire ceci : c'est qu'on écarte une éventualité fâcheuse qui pourrait se présenter ; on rassure également les populations, les administrations communales sur une vente trop étendue de leurs propriétés. Ce sont là des avantages qui ne devraient pas être dédaignés et que la majorité devrait au contraire s'empresser d'adopter.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, je viens m'opposer à l'amendement de l'honorable député de Bastogne, que, je considère comme tout à fait inadmissible. Pour combattre l'amendement.je ne suivrai pas l'honorable membre dans toutes les considérations qu'il vient de présenter, car il a renouvelé la discussion générale : ce n'est point son amendement qu'il a discuté, c'est l'article premier, déjà adopté par la chambre, à une très grande majorité. Il me semble qu'on doit considérer cet article premier comme définitivement adopté et que dès lors on ne doit plus s'occuper que de la question de savoir s'il est vrai, comme l'a dit l'honorable préopinant, que son amendement n'entraverait en aucune manière l'exécution efficace de l'article premier, et c'est en cela, suivant moi, que devraient consister les développements de la proposition ; ces développements devraient tendre uniquement à faire voir qu'en adoptant un amendement semblable on n'entraverait pas le gouvernement dans l'exécution de l'article premier ; enfin, pour me servir des expressions par lesquelles l'honorable membre a terminé son discours, que de cet amendement ne résulterait aucun empêchement à l'exécution efficace de la loi.
Eh bien, messieurs, je dis, moi, que cet amendement apporterait de véritables entraves à l'exécution de la loi, entraves nuisibles en beaucoup de circonstances.
Par cet amendement, messieurs, on établit une règle absolue et l'honorable membre, pour fonder ses calculs, n'a pris que des généralités : il a dit qu'il y a, dans telle province, tant de bruyères propres à la culture et tant de bruyères impropres à la culture ; ce n'est pas ainsi qu'il faut raisonner ; il faudrait appliquer ce raisonnement à chaque commune et dire : Dans telle commune il y a tant de bruyères propres à la culture, et dans la même commune il y a tant de bruyères qui ne peuvent pas être mises en culture ; par conséquent le gouvernement n'éprouvera aucune entrave si l'on restreint la mise en culture au tiers des terrains de chaque commune. Ce raisonnement, appuyé sur des quantités générales, devient vicieux en tant qu'il s'applique à l'amendement qui, au lieu de restreindre le gouvernement au tiers des terrains incultes de tout le pays, le restreint au tiers des terrains incultes de chaque commune. Il suffit qu'il y ait une commune où il soit utile, nécessaire même, de mettre en culture tout ce qu'il y a de terrains incultes ; il suffit qu'il existe en Belgique une seule commune qui soit dans cette position, pour que l'on doive repousser l'amendement.
Mais, dit l'honorable membre, on n'a cité l'exemple d'aucune commune qui se trouverait dans un cas semblable. Eh, messieurs, quand on ne pourrait citer aucun exemple, devrait-on en conclure qu'aucune commune ne se trouve dans ce cas ? L'honorable membre n'a pas prouvé que l'amendement n'entravera le gouvernement dans aucune de toutes les communes de la Belgique, où il y a des bruyères. Il faudrait qu'il fît la démonstration pour chaque commune ; sinon il n'a pas justifié l'assertion qu'il a mise en avant, que l'amendement n'apportera aucun empêchement à l'exécution efficace de la loi.
D'ailleurs, messieurs, je citerai un exemple, puisque le fait s'est révélé dans la discussion. Il existe, non pas une commune, mais une section de l'ancienne seigneurie de Wynendaele, qui possède 338 hectares ; c'est ce qu'on appelle le vry-geweyd ; eh bien, si vous admettez l'amendement, le gouvernement ne pourra exiger la mise en culture et la vente que du tiers du vry-geweyd ; il sera obligé de réserver les deux autres tiers pour l'usage commun des habitants
Or, messieurs, il est reconnu par tous les membres de la chambre qui connaissent le vry-geweyd, qu'il y a nécessité absolue de changer le mode de jouissance de cette propriété tout entière, d'y pratiquer un système d'irrigation et d'asséchement, d'en faire en totalité des terres labourables et des prairies. Cela est reconnu par tout le monde. Il y a même un motif de salubrité publique pour en agir ainsi, car il est reconnu par un rapport de la commission médicale de Bruges que d'après la situation actuelle de ces terrains, il y a des miasmes très dangereux qui occasionnent des fièvres ; chaque année il y a des fièvres endémiques dans les communes de Ruddervoorde et de Swevezeele occasionnées par la situation actuelle du vry-geweyd. Les écrits distribués à la chambre mettent ce point de fait élans la plus grande évidence. Eh bien, messieurs, si vous adoptez l'amendement, le gouvernement ne pourra ordonner le défrichement que de 100 et quelques hectares du vry-geweyd ; les 200 et quelques autres hectares devront être réservés à l'usage commun des habitants, puisque l'amendement établit en règle générale que dans chaque commune et dans chaque section de commune, l'article premier de la loi ne pourra être appliqué qu'au tiers des terrains incultes ; c'est là, messieurs, le vice principal de cet amendement.
Du reste, messieurs, remettant en quelque sorte en discussion l'article premier, on demande si les communes auraient toujours tort dans leur opposition, si le gouvernement aurait toujours raison, alors que, contre la volonté des commîmes, il voudrait les contraindre à mettre en culture leurs terrains incultes. Mais, messieurs, on perd de vue qu'il y a une disposition dans l'article premier qui répond à cette question, c'est qu'il faut l’avis conforme de la députation permanente. Or, je crois qu'on peut tenir pour certain que lorsque le gouvernement, d'une part, et la députation permanente, de l'autre, reconnaîtront la nécessité, dans une commune déterminée, d'aller au-delà du tiers, c’est que cette nécessité sera évidente, comme elle l'est, par exemple, pour la section de commua appelée vry-geweyd.
Je crois, messieurs, qu'il suffit de ces motifs pour faire repousser l'amendement.
(page 862) M. de Garcia. - Messieurs, je tiens à répondre à une contradiction que l'honorable membre a cru trouver dans mes observations. Je crois qu'il me sera facile de démontrer que cette contradiction n'existe pas. J'ai déclaré d'une manière bien nette que je ne pourrais donner mon adhésion au principe de l'expropriation forcée, parce que je regarde ce principe comme très dangereux ; il porte atteint au respect de la propriété. J'ai protesté contre ce principe ; mais alors même que nous adopterions l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt, le principe de l'expropriation n'en resterait pas moins dans la loi. Je puis donc, sans être en contraction, repousser à la fois et le principe de l'expropriation et l'amendement de M. d'Hoffschmidt qui laisse subsister ce principe.
Ce que vient de dire l'honorable M. Dubus me dispenserait en quelque sorte de répondre aux observations que l'honorable M. d'Hoffschmidt a présentées pour appuyer son amendement ; je crois pourtant devoir y ajouter quelques mots.
Si vous bornez le gouvernement à ne pouvoir, dans chaque communauté, exproprier qu'un tiers de cette communauté, vous entravez la partie la plus utile de la loi, celle qui faisait l'amendement de l'honorable M. de Mérode et qui, si je ne me trompe, a été consacré par l'article 4. Avec l'amendement proposé, s'il était adopté, je crois qu'on pourrait, en quelque sorte, défier le gouvernement de pratiquer d'une manière large et utile le système d'irrigation, qui, selon moi, est la seule partie importante de la loi.
Il est une autre considération. Si vous divisez les biens communaux, en en prenant un tiers, vous portez préjudice aux communes elles-mêmes. Qu'arrivera-t-il lorsque vous aurez à choisir un tiers des biens communaux d'une commune ou d'une communauté ? Il arrivera souvent que vous diviserez ces biens de manière à écarter les amateurs, ou que vous diminuerez notablement le prix des deux tiers qui seront laissés. A cet égard, je pense qu'il faut laisser la plus grande latitude au gouvernement, et j'ajouterai que cette latitude sera aussi favorable aux intérêts généraux qu'aux vrais intérêts des communautés.
L'honorable M. d'Hoffschmidt a en quelque sorte défié les orateurs qui ont combattu son amendement, de citer des exemples de communes où l'application de son amendement présenterait des inconvénients. Quant à moi, je n'aime pas à abriter une discussion derrière des questions de clocher. Sans doute je pourrais citer des exemples à l'appui de mes observations, mais cela ne peut me convenir.
Il faut examiner les principes généraux d'une loi sans s'attacher trop minutieusement à voir quels seront ses effets sur telles ou telles localités déterminées.
Marcher dans une voie aussi étroite c'est perdre du temps, c'est égarer la discussion ; et malheureusement la discussion actuelle n a déjà que trop souvent reposé sur des circonstances locales, sur des exigences de clocher qui ne devraient jamais se faire jour dans nos délibérations.
Nous devons apprécier les principes des lois au point de vue général, et être ici pénétrés qu'il n'existe aucun principe de loi nouvelle, quelque utile qu'il soit, qui ne froisse quelque intérêt particulier. Il faut voir le but des lois dans leur ensemble et ne pas s'attacher à de trop petits détails.
Je crois devoir me borner à ces observations qui me semblent démontrer que la chambre doit rejeter l'amendement en discussion.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs J'ajouterai quelques nouvelles objections à celles que j'ai présentées, parce qu'il semble qu'on n'a pas bien compris la portée de mon amendement. L'honorable M. Dubus s'y oppose parce qu'il craint que le gouvernement n'ait pas toute la latitude désirable pour les irrigations, ou bien pour le dessèchement des marais. Or, mon amendement ne s'oppose pas à ce que le gouvernement applique la loi à tout ce qui concerne les irrigations, car je crois que l'article du projet qui s'applique spécialement aux irrigations, c'est l'article 7 que vous avez voté dans votre dernière séance. C'est en vertu de cet article que le gouvernement pourra exproprier les terrains communaux, pour les soumettre à un système d'irrigation. Mon amendement ne s'oppose donc pas à cette application de la loi ; je désire même que cette application soit aussi générale que possible ; car je l'ai déjà dit, la seule chose qui ait été démontrée dans la discussion, c'est l'utilité d'un système d'irrigation pratiqué d'après le mode employé par M. Kummer. Ainsi, si mon amendement n'était pas suffisamment clair à cet égard, je ne verrais pas la moindre difficulté à le rendre plus explicite.
Quant au desséchement des marais, il y a une loi spéciale sur cet objet. Ainsi, le gouvernement ne peut pas craindre d'être le moins du monde entravé par mon amendement. L'amendement ne s'applique qu'à ce point-ci : D'après l'article premier, le but du gouvernement est n'exproprier, au besoin, les terres appartenant aux communes pour les faire passer dans le domaine privé. Après cela, le particulier qui aura acheté une certaine portion du terrain communal, la défrichera comme il l'entend, et selon toute probabilité, dans la Campine, il y créera des sapinières.
Maintenant, on nous allègue toujours la garantie que l'on trouve, d'abord dans le gouvernement lui-même, puis dans l'avis conforme de la députation permanente. En effet, à mes yeux, l'avis conforme de la députation est une garantie, et je regrette qu'on n’ait pas voulu l'appliquer à l’article 7. Cependant, on ne doit pas se contenter dans la loi d'une garantie qui ne repose que sur la volonté des hommes qui sont au pouvoir ; cette volonté peut se modifier par un changement, de personne : alors, la garantie que vous avez cru trouver doit complétement disparaître, et les communes peuvent se trouver à la merci d'une députation qui, se laissant séduire par des utopies, voudra peut-être le défrichement en grand en portant la perturbation dans les communes.
Messieurs, remarquez bien ceci : vous voulez exproprier les communes au nom de l'utilité publique, et vous reconnaissez cependant que pousser trop loin ces expropriations, ce serait sortir de l'utilité publique, ce serait faire beaucoup plus de mal que de bien ; et lorsque vous reconnaissez cela, vous ne voulez pas mettre une limite dans la loi ! On dit que cela aura des inconvénients ! Mais ces inconvénients seront insignifiants. Vous ne faites pas attention que vous avez beaucoup d'autres moyens d'arriver au défrichement. Dès lors, laissez aux communes la faculté de s'opposer à la vente des deux tiers des biens communaux, ne les dépouillez pas entièrement de leurs prérogatives. Rassurez-les au contraire, et c'est à cela que se borne mon amendement.
Il ne s'oppose pas formellement à la vente des 2/3 des biens communaux ; ces 235 pourront se vendre de la même manière qu'on vend maintenant mille hectares chaque année dans la Campine. Quand l'intervention du gouvernement aura porté ses fruits, et que, comme il le pense, des terrains incultes auront fait place à des terres fertiles, on doit supposer que les administrations communales ne feront pas uns résistance déraisonnable. Aussi je suis intimement convaincu que l'amendement n'entravera nullement l'efficacité dont la loi est susceptible, que partout elle pourra être appliquée de la manière. la plus utile.
Ensuite, si au bout d'un certain nombre d'années, lorsque vous aurez placé dans le domaine privé 50 à 60,000 hectares de bruyères communales, lorsque vous aurez déjà agi par le défrichement sur les terres qui sont dans le domaine privé, si vous avez parfaitement réussi dans l'application de la loi, rien ne s'opposera à ce que l'on vienne en demander une application plus large.
Je crois donc que les arguments qu'on a opposés à mon amendement ne sont pas de nature à faire impression sur l'assemblée ; je consens du reste à modifier ma proposition dans ce sens qu'elle ne s'appliquerait pas aux terrains susceptibles d'irrigation.
Voici comment mon amendement serait modifié :
« La faculté accordée au gouvernement par l'article premier, ne pourra s'appliquer qu'au tiers des terrains incultes appartenant à chaque commune ou à chaque communauté d'habitants. L'aliénation des deux autres tiers ne pourra s'opérer qu'avec l'assentiment du conseil communal, à l'exception toutefois des terres incultes susceptibles d'être avantageusement soumises à l'irrigation et de celles situées dans la Flandre occidentale connues sous le nom de vry-geweyd. »
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je dois combattre l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt, que je considère d'une part comme inutile, d'autre part comme dangereux. Je dis que cet amendement est inutile, d'après les démonstrations que l'honorable membre a essayé de faire. En effet, il vous a dit que les terrains communaux ne pouvaient être livrés à la culture que lentement et successivement, que ce serait une spéculation déplorable, en quelque sorte impossible, si on voulait tenter cette culture en grand. Dès lors vous avez la meilleure garantie que les ventes n'auront pas lieu en masse, puisque la vente ne peut se faire qu'avec la condition de culture et que la loi commine une peine en cas d'inexécution de cette condition. Personne ne voudrait acquérir de semblables terrains dont il ne pourrait tirer aucun parti.
D'autre part, l'honorable membre a dit qu'il y a une si grande opposition de la part des conseils communaux et des autorités provinciales. Quelle crainte peut-il rester dans son esprit quand la loi a consacré, d'une part, une enquête de commodo. et incommodo où les habitants de la commune sont appelés à faire connaître leur opinion, en second lieu la délibération du conseil communal, en troisième lieu l'avis conforme de la députation permanente, et en dernier lieu la décision du gouvernement ? Voilà quatre garanties, indépendamment du défaut d'amateurs.
Je ne conçois pas comment des craintes sérieuses peuvent encore exister dans l'esprit de l'honorable membre.
Mais, dit-on, le gouvernement pourra peut-être entraîner des députations à lui donner des avis conformes contre l'intérêt des communes. Ainsi, pour motiver ses craintes, l'honorable membre doit supposer que le gouvernement et les députations se laisseront entraîner à des mesures qui n'auraient pas pour but l'intérêt général, et qui en même temps seraient nuisibles aux communes.
Nous sommes en présence d'un autre inconvénient ; adopter l'amendement, c'est renverser l'article premier qui a été voté à une grande majorité, c'est détruire une grande partie du résultat qu'on en espérait. Pourquoi ? L'honorable membre veut écouler de préférence la répugnance de quelques conseils communaux guidés par des préjugés et par la routine plutôt que par l'intérêt général, ce qui existe dans les délibérations de quelques conseils communaux, ce fait ne peut pas être contesté ; ce serait donner la préférence à l'autorité locale sur la députation et le gouvernement qui ne peuvent avoir en vue que l'intérêt général combiné avec l'intérêt communal qu'ils doivent sauvegarder d'après leur mission.
Je dis qu'il est dangereux au point de vue des intérêts que l'honorable membre défend. Si vous entourez la loi de trop d'entraves, le gouvernement viendra exposer que la loi n'a pas pu recevoir d'exécution, parce qu'elle n'était pas suffisamment large, qu'il en est résulté de nombreux inconvénients. Alors on donnera au gouvernement pleins pouvoirs, on ne limitera plus son action, comme on fait dans la présente loi. Une deuxième discussion dans cette chambre, je n'en doute pas, irait à rencontre des intérêts que l'honorable M. d'Hoffschmidt croit défendre.
(page 863) Messieurs, vous avez encore une autre garantie contre les aliénations excessives, c'est l'amendement de l'honorable M. d'Huart, que la section centrale a admis et auquel je me rallie, qui permet au gouvernement de donner les biens communaux en location à long terme, à condition de culture. Sans doute que dans beaucoup de circonstances on donnera la préférence à la location par baux à long terme sur la vente. Dans ce cas la commune restera propriétaire, mais propriétaire d'un sol productif tant au point de vue de l'intérêt général qu'au point de vue de l'intérêt communal.
Ainsi qu'on l'a dit, l'amendement est de nature à soulever une foule d'objections et de difficultés pratiques. S'il est admis, souvent l'intérêt communal éprouvera des préjudices dans l'exécution de la loi. C'est ici une question d'appréciation éminemment du ressort de l'administration centrale ou de l'autorité provinciale. Ce n'est pas une chose qui doive être réglementée par la loi. La loi pose les principes, c'est ensuite à l'autorité administrative à en faire l'application.
Je dois porter à la connaissance de la chambre un avis que j'ai reçu de la commission d'agriculture de la province de Luxembourg. J'avais dit que des graines de sapin avaient été envoyées dans le Luxembourg pour faire des essais. Par lettre du 30 novembre j'avais demandé au gouverneur du Luxembourg de me faire connaître le résultat des semis faits. M. le gouverneur et la commission d'agriculture m'informent que les essais faits en 1844, 1845 et 1846 ont donné des résultats tels qu'il est hors de doute que tout le sol du Luxembourg peut être boisé par semis de sapin, à l'exception des terrains argileux qui se soulèvent à la gelée, ce qui fait périr les jeunes plants.
La commission d'agriculture s'applaudit de cette circonstance, parce que le semis de sapin constitue une grande amélioration du sol, en même temps que la croissance des semis donne une grande valeur au bout de quelques années ; quand le premier semis de sapin a été abattu, le sol est considérablement amendé ; une quantité considérable de terrains non susceptibles de culture à cause du refroidissement, de l'humidité, peuvent ainsi devenir susceptibles de labour.
C'est aussi ce que l'expérience a constaté depuis très longtemps dans la Campine. C'est ainsi que, dans le Brabant, nous avons vu disparaître une masse de bois de sapin, pour faire place à la culture des céréales. Cela se voit également dans la Campine anversoise et limbourgeoise.
Je pense donc qu'il n'y a pas lieu de s'arrêter à l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt, et que la chambre doit s'en tenir à son premier vote. Du moment que vous avez reconnu qu'il est dans l'intérêt du pays que les terrains en friche soient défrichés, vous ne devez y apporter aucune entrave, aucune limite. Cette limite ne peut être apportée que d'après l'avis de l'autorité locale, l'avis de la députation permanente et du gouvernement lui-même. Ce n'est pas la loi qui doit apprécier l'utilité d'autoriser telle étendue plutôt que telle autre.
M. de Mérode. - Je ne doutais pas, d'après les précédents de la discussion, que l’on ne viendrait encore opposer à l'amendement de l'honorable M. d'Hoffschmidt la confiance illimitée que l'on doit avoir dans les députations permanentes et dans le gouvernement. Si ces autorités sont infaillibles, il est inutile de prendre désormais à leur égard de précautions par les lois.
A la page 76 du rapport sur le défrichement, fait au nom du conseil de la province de Luxembourg :
« Les bruyères communales fournissent aux familles peu aisées des émoluments qui leur procurent des moyens d'existence, garantie d'ordre intérieur, de tranquillité publique qu'il importe de maintenir.
« Mais, dit-on, par la distribution des terrains communaux ces familles deviendront propriétaires elles-mêmes. Qui pourrait assurer que ces propriétés, elles les cultiveront, elles les conserveront ? La culture, telle qu'elle devrait être, est difficile et coûteuse, et puis l'homme préfère un avantage actuel moindre à un bénéfice plus considérable à venir. Ces familles, dans le but d'obtenir un peu d'argent, vendront une portion de terrain aujourd'hui, demain une autre ; il se trouvera des personnes pour profiler di leur détresse, pour acheter à vil prix, et peu d'années suffiront pour que le dépouillement soit complet. »
Voilà, messieurs, des considérations qui ne permettent pas de traiter légèrement la propriété communale, même peu fertile, par une loi qui, sans restriction, la met quant à l'aliénation dans la main du gouvernement, avec la simple formalité de l'approbation d'une députation permanente, et, je le demande, après ce que nous démontre la situation des Flandres, n'est-ce pas risquer de réduire au pénible niveau de leur population celle du Luxembourg, et je dirai même de la Campine ?
Messieurs, quand on combat un principe aussi franchement et largement arbitraire et compromettant pour le droit légitime de propriété que celui qui est la base de la loi que nous discutons, on doit faire tout ce qui est possible pour restreindre, au moins dans son application, ce principe si fâcheux. M. d'Hoffschmidt vient de vous dire avec infiniment de raison, que l'on ne doit pas supposer que la résistance des communes à l'expropriation sera toujours sans fondement et que le gouvernement, muni de l'approbation de la députation provinciale, aura toujours raison : en vérité c'est là un système tout nouveau admis dans nos habitudes ! En toute circonstance on entoura le pouvoir de barrières, on prend garde de lui laisser un champ trop libre. Dans la semaine même où nous entrons, les chambres vont participer largement à la nomination des membres du jury d'examen, précisément par la crainte que le pouvoir exécutif ne soit pas suffisamment impartial et éclairé. on va même ici jusqu'à considérer comme un pouvoir excessif la faculté parfaitement constitutionnelle en vertu des termes formels de la Constitution, la faculté attribuée à l'autorité royale de nommer un bourgmestre qui n'est pas du conseil, et certains membres qui partagent cependant cette préoccupation pour la liberté communale, votent hardiment une extension bien autrement grave de l'autorité au préjudice de la liberté communale.
Messieurs, permettez-moi de vous le dire, les parties du pays intéressées à la conservation des propriétés communales ont très peu de représentants dans cette enceinte, parce que malheureusement les communes de l'ensemble de nos provinces ont très peu de biens. Celles qui en jouissent encore n'ont donc pas ici la force de se défendre.
- La discussion est close.
L'amendement de M. d'Hoffschmidt est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
« Art. 9. Le gouvernement pourra aliéner par adjudication publique les biens acquis en vertu de l'article précédent. »
- Adopté.
« Art. 10. Le gouvernement pourra ordonner le partage, entre les communes, des biens qu'elles possèdent par indivis ; le partage pourra également être ordonné entre les hameaux appartenant à diverses communes et possédant des biens indivis.
« Il sera procédé à ce partage de la manière indiquée à l'article 151 de la loi du 30 mars 1836, paragraphe 2 et suivants. »
- Adopté.
M. le président. - Article nouveau proposé par M. d'Huart :
« Le partage, entre les habitants, des terrains communaux incultes : bruyères, saris et vaines pâtures, pourra être ordonné par arrêté royal, sur l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial, après avoir entendu le conseil de la commune intéressée, où ce mode sera reconnu propre à assurer la culture de ces terrains, sous les conditions et dans les délais déterminés par le même arrêté royal.
« Une redevance annuelle sera stipulée au profit de la commune ; toutefois, chaque copartageant pourra s'en affranchir à volonté et obtenir liberté entière de disposer de son lot, en versant à la caisse communale une somme équivalente à vingt fois le montant de cette redevance. »
La section centrale propose le rejet de cet article.
M. d’Huart, ministre d’Etat. - La section centrale n'a pas admis le partage d'office entre les habitants, parce que, selon elle, cette mesure serait inconstitutionnelle. La section centrale donne pour motif que la commune serait dépossédée sans une juste et préalable indemnité. Voilà le seul motif qu'elle donne. Or ce motif ne me paraît pas exact ; la commune n'est pas dépossédée sans une juste indemnité. Il n'est dit nulle part que l'indemnité à donner à la commune doit consister nécessairement dans le montant total du prix de la propriété. L'indemnité peut être juste, peut être préalable, sans renfermer à l'instant même la totalité du prix. La représentation du prix peut être considérée, dans certains cas, comme une juste indemnité. L'intérêt du prix, en un mot, peut aussi être considéré comme une juste et équitable indemnité.
Je crois d'autant plus qu'il n'y a pas lieu d'écarter mon amendement pour motif d'inconstitutionnalité que, comme je l'ai dit dans la discussion générale, le propriétaire l'est ici d'une manière toute particulière. Vous avez, d'une part, la commune proprement dite et, d'autre part, les habitants qui jouissent de la propriété communale. On n'a tenu aucun compte de cette distinction qui est cependant essentielle.
Rien n’empêchait d'appliquer à l'homologation du partage les dispositions adoptées pour l'homologation des ventes, d'autant plus que le partage, dont il s'agit ici, est une véritable vente entre les habitants de la commune.
Quoi qu'il en soit, puisque la section centrale s'oppose à ma proposition, et que M. le ministre de l'intérieur a déclaré ne pouvoir s'y rallier, que d'ailleurs en présence des dispositions que vous avez adoptées pour les ventes, et que vous adopterez, j'espère, pour les locations à long terme, le but sera rempli, sans que ma proposition soit écrite dans la loi.
Il est évident en effet qu'à l'avenir beaucoup de communes demanderont spontanément le partage entre les habitants. Le gouvernement et l -députation auront dès lors non à ordonner le partage mais à examiner et à décider si ce mode de défrichement est le moyen le plus avantageux au pays en général et à la commune en particulier.
Je ne veux pas prolonger cette discussion. Je considérerais mes efforts comme inutiles à côté des conclusions de la section centrale et du peu d'appui que je trouverais dans l'assemblée, alors que les honorables membres qui avaient, avec moi, demandé le partage ne sont pas présents. Je suis persuadé que si une indisposition ne retenait pas chez lui l'honorable M. Castiau, il aurait soutenu cette disposition.
Mais enfin, je ne ferai pas perdre inutilement du temps à la chambre. Je vois que ma proposition n'a pas en ce moment de chances d'être adoptée et je la retire, et j'attendrai la discussion sur l'article suivant, qui, je n'en doute pas, sera adopté et qui avec l'article premier, conduira au but.
M. d’Elhoungne. -Je ne voudrais pas reprendre l'amendement.
Je voudrais demander au gouvernement si, en vertu des dispositions existantes, il croit pouvoir autoriser les partages.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne fais aucun doute à cet égard.
Il y avait une loi française qui ordonnait le partage ; elle n’a pas été publiée en Belgique. Mais je ne trouve dans la loi communale aucun obstacle au partage.
Il y a même l'article 76 qui appelle le Roi à statuer sur les demandes en (page 864) partage. Il y a donc là autorisation implicite. Toutefois, je déclare que, dans mon opinion, il est d'une bonne administration, en règle générale, sauf des exceptions très rares, de stipuler un prix pour le partage, parce que la génération actuelle ne doit pas en quelque sorte manger le patrimoine des générations futures.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, je déclare reprendre l'amendement de l'honorable M. d'Huart, en substituant aux mots « pourra être ordonné », ceux-ci : « pourra être autorisé ».
Il faut, messieurs, qu'il n'y ait pas de doute, qu'il n'y ait pas de contestations. M. le ministre de l'intérieur vient bien de nous faire connaître quelle est son opinion ; mais la chambre a dû comprendre, par les explications mêmes dans lesquelles M. le ministre est entré, que c'est là une question susceptible de controverse ; et ce n'est pas au gouvernement que la question sera déférée, ce sera à l'autorité judiciaire ; il y aura des procès.
Pour éviter toute difficulté, je propose que l'on puisse autoriser les communes qui le demanderont, à faire un partage, entre les habitants, des terrains incultes, sur l'avis conforme de la députation permanente et moyennant la stipulation d'une juste redevance au profit de la commune.
Il me paraît, messieurs, que cette disposition doit rencontrer d'autant plus de sympathie dans la chambre, que d'après les renseignements qui vous ont été soumis, le partage est le mode généralement invoqué par les communes qui désirent que la non-culture de leurs biens vienne à cesser.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, ma mémoire ne me faisait pas défaut. L'article 76 de la loi communale s'exprime en ces termes :
« Néanmoins, sont soumises à l'avis de la députation permanente du conseil provincial et à l'approbation du Roi, les délibérations du conseil sur les objets suivants :
« 1° Les délibérations, transactions, échanges de biens ou droits immobiliers de la commune ; les baux emphytéotiques, les emprunts et les constitutions d'hypothèques, le partage des biens immobiliers indivis. »
J'entends dire à côté de moi que cet article n'entend parler que de partage de commune à commune, ou de partage entre les communes et les particuliers. Mais la disposition est générale, elle ne distingue pas. Elle fait mention des partages en termes généraux. Je ne pense pas qu'il y ait rien de restrictif dans la loi.
La loi dit au contraire que le conseil communal est apte à délibérer sur tout ce qui est d'intérêt communal ; seulement ces délibérations sont soumises à l'approbation soit de l'autorité provinciale, soit du Roi ; il n'y a donc pas incapacité pour la commune pour délibérer sur un partage plutôt que sur une autre manière de disposer de ses biens. Je pense que si une pareille restriction avait été dans l'intention du législateur, la loi s'en serait exprimée.
M. de Garcia. - Messieurs, si la faculté que vient d'indiquer M. le ministre de l'intérieur existe, il serait fort inutile d'insérer dans la loi l'article que vient de reprendre l'honorable M. d'Elhoungne ; mais si elle n'existait pas, j'appuierais la proposition en tant qu'elle autorise le partage des terres incultes entre les habitants de la commune.
Il n'y a qu'un point sur lequel je ne suis pas d'accord avec l'honorable M. d'Elhoungne ; c'est lorsqu'il veut imposer aux habitants une redevance au profit de la commune.
Je trouve, messieurs, qu'on a commis de graves erreurs à propos des idées qu'on a émises sur les communautés de biens. Ces communautés de biens appartiennent à des communautés d'habitants et non à la commune en masse. Ainsi vous avez des communes divisées en quatre sections ; dans trois de ces sections, il n'y a plus de communaux, parce qu'ils ont été partagés ; dans une seule section, il y a encore des communaux. Si vous allez ôter à une partie de la commune la propriété dont elle jouit ou si vous faites payer à ses habitants une redevance au profit de toute la commune, vous commettez une injustice à son égard. Ainsi il arrive, et il en est ainsi, dans la plupart des communes du Luxembourg, que des communautés d'habitants ont seules la jouissance de certaines propriétés, et cela sans rien payer. Pourquoi, lorsqu'ils partageront ces propriétés pour les cultiver, voulez-vous leur imposer une redevance ?
Ce système me paraît aussi injuste que despotique. L'ordonnance de Marie-Thérèse était infiniment plus sage et plus propre à atteindre le but qu'on se propose. Lorsque, pour favoriser le défrichement, elle prescrivit le partage des biens communaux, loin d'imposer des redevances aux copartageants, elle les dispensa du payement de toute taille, même de la dîme. Non seulement les habitants, entre lesquels on faisait le partage, ne devaient rien payer, mais on leur donnait des avantages. On faisait remise, pendant trente ans, de tout impôt, et, pendant les trente ans à suivre ultérieurement, on n'était encore soumis qu'à la moitié des impôts ordinaires.
C'est par des mesures semblables, messieurs, qu'on peut favoriser la mise en culture des bruyères. Mais en imposant des redevances, non seulement vous allez contre le but, mais vous commettez une injustice. Car enfin, ces communautés d'habitants devront, d'après vous, verser à la caisse commune une redevance pour des biens dont elles jouissent seules aujourd'hui sans rien payer. Signaler les conséquences des principes qu'on veut écrire dans la loi, c'est, selon moi, en démontrer l'injustice autant que la stérilité.
M. Lebeau. - Messieurs, si le système de l'honorable M. de Garcia pouvait rencontrer faveur de la part de l'administration supérieure, je pense que vous ne tarderiez pas à voir dans l'administration des communes les plus déplorables résultats.
Je comprends très bien que la plupart des conseils communaux demandent le partage des propriétés communales. Mais je comprends aussi que les députations provinciales aient constamment regardé comme le premier de leurs devoirs de résister à de pareilles demandes.
Rien, messieurs, n'est plus fait pour exciter la convoitise des habitants d'une commune que le partage des biens. En règle générale, des instances nombreuses, des instances réitérées sont faites auprès des députations permanentes. J'en sais quelque chose par mon expérience personnelle. Mais les députations se sont presque systématiquement opposées à de pareilles demandes.
La raison en est bien simple. C'est que le produit de ces biens, c'est que le revenu de ces biens, lors même que les habitants en ont recueilli des fruits considérables par eux-mêmes, forment la plus grande partie des ressources communales ; c'est le premier article du budget des recettes d'une commune. Supposez le partage des biens, sans redevance surtout, comme le ferait l'honorable M. de Garcia, savez-vous ce qui arriverait ? C'est que les communes ne pourraient plus vivre que par des capitations ou par les secours du gouvernement et de la province ; il n'y aurait plus une administration communale qui pût marcher sans la ressource extrême et extrêmement impopulaire de la capitation, ce qu'on appelle la taxe personnelle, ou sans les subsides combinés de la province et de l'Etat.
Voilà où l'on en arriverait avec un pareil système.
Messieurs, je ne sais pas si la loi communale, malgré la généralité de ses expressions, a compris le partage entre les habitants comme une faculté laissée à la commune. J'avoue qu'à cet égard j'ai des doutes très graves et je désire qu'on ne tranche pas la question d'une manière légère.
Déjà, messieurs, le conseil supérieur d'agriculture, interrogé spécialement sur cette question par le gouvernement, n'a pas hésité à qualifier de mesure désastreuse le partage entre les habitants. Ce n'est pas, messieurs, aux habitants que les biens ont été donnés, c'est à l'être moral. Il serait aussi logique de prétendre que les pauvres d'une commune, que les habitants d'un hospice ont droit à demander le partage des biens à l'aide desquels ils sont alimentés, que de soutenir que les habitants d'une commune ont droit à s'approprier, sans aucun souci des générations futures, les biens que vous laissez non pas à tel ou tel habitant, mais à la commune tout entière.
L'honorable M. d'Huart me dit qu'il voulait le payement d'une redevance. Cet honorable membre est administrateur trop expérimenté pour ne pas avoir compris qu'il ne faut pas enlever cette ressource à la commune sans lui donner un équivalent.
Mais, messieurs, dans certaines communes des Ardennes, où, en l'absence de communications qui se feront, mais qui ne sont pas encore faites, l'hectare se vend 40 ou 50 fr. Quelle redevance pourriez-vous imposer aux habitants, dans le cas où vous autoriseriez le partage ? Pour amener la mise en culture de ces terrains, il faut surtout des voies de communication pour le transport de la chaux et des engrais de toute espèce ; si le partage avait lieu maintenant dans beaucoup de communes des provinces de Liège, de Namur et de Luxembourg, la redevance serait insignifiante et lorsque les terrains auraient acquis une plus-value considérable par l'effet des routes à construire et des divers autres moyens que le gouvernement peut employer pour amener le défrichement des terres incultes, les communes se verraient privées des propriétés considérables, devenues très productives entre les mains des particuliers, tandis que la redevance purement nominale, imposée à ces particuliers, ne suffirait pas à couvrir le dixième des frais communaux.
Je demande donc, messieurs, qu'il ne soit rien innové ; je demande qu'on soit d'accord avec la section centrale et, je dois le dire, avec l'honorable M. d'Huart lui-même, pour repousser complétement l'amendement et pour rester dans les termes de l'article 76 de la loi communale, que je ne considère pas, moi, comme très explicite en fait de partage, mais dont provisoirement je ne voudrais pas changer les termes d'une manière incidente et alors que nous ne sommes pas préparés à le faire en connaissance de cause.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, j'ai repris l'amendement, parce que j'ai remarqué que la question du partage est d'une grande importance dans la discussion. Je croyais que la section centrale n'avait pas repoussé l'amendement de M. d'Huart et que le gouvernement ne s'y opposait point. Maintenant, je le répète, la question a beaucoup d'intérêt. M. le ministre de l'intérieur trouve, à la vérité, que l'article 76 de la loi communale autorise le gouvernement à permettre le partage des biens communaux entre les habitants de la commune quand le conseil communal, de l'avis de la députation permanente, le demande ; mais, messieurs, il est très douteux que l'article dont il s'agit, ait cette portée ; il me semble même que les expressions de cet article s'appliquent plutôt aux partages ordinaires, c'est-à-dire aux partages de biens dans lesquels la commune, comme être moral, aurait une copropriété, et qu'elle devrait partager avec des tiers propriétaires au même titre qu'elle. Voilà, messieurs, comme j'ai toujours compris l'article 76, et remarquez que le département de l'intérieur l'a compris de la même manière, car dans le rapport de la députation permanente du conseil provincial du Luxembourg on cite une dépêche de M. le ministre de l'intérieur où cette opinion se trouve exprimée. Voici en effet ce que porte cette dépêche :
(L'orateur donne lecture d'un passage de cette dépêche.)
Vous voyez donc, messieurs, que la question de savoir si le gouvernement peut autoriser le partage des biens communaux entre les habitants de la commune, que cette question n'est pas aussi clairement résolue par la loi communale que vient de le dire M. le ministre de l'intérieur. Je (page 865) voudrais cependant, messieurs, voir cette question décidée et je vous proposerai en conséquence d'en renvoyer l'examen à la section centrale, qui pourrait nous faire son rapport à l'ouverture de la séance de demain. Cette question est d'une certaine importance ; un grand nombre de communes demandent le partage et le présentent comme le moyen le plus sûr d'arriver au défrichement ; nous ne pouvons donc pas faire une loi sur le défrichement et laisser cette question indécise.
On me dira peut-être que la section centrale a déjà examiné l'amendement de M. d'Huart. Mais je ferai remarquer qu'elle s'est occupée exclusivement du point de savoir s'il serait constitutionnel de donner au gouvernement le droit d’ordonner le partage ; elle ne s'est nullement prononcée, au moins que je sache, sur la question qui est soulevée maintenant et qui est celle de savoir si le gouvernement pourrait autoriser le partage dans le cas où il serait demandé par la commune, d'accord avec la députation permanente. Il ne faut pas perdre de vue que le gouvernement a déjà refusé des partages parce qu'il ne se croyait pas le droit de les autoriser.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la question, telle qu'elle est posée par l'honorable M. d'Elhoungne, devient une question de loi communale. Dès lors, cette question devrait faire l'objet d'un projet de loi spécial, s'il était reconnu qu'une loi fût nécessaire.
L'honorable membre a cité une dépêche du ministère de l'intérieur, datée du 27 janvier 1844. En effet, messieurs, j'avais connaissance d'une dépêche ; je me la suis fait produire, et je me suis fait donner des explications à cet égard. Il est résulté de ces explications que le département de l'intérieur n'avait pas du tout entendu trancher la question telle qu'elle est posée par l'amendement de l'honorable M. d'Huart. Il s'agissait d'une demande de partage pur et simple, comme entre copropriétaires ; mais il ne s'agissait point d'un partage avec stipulation d'une redevance au profil de la commune, et dès lors je pense qu'on a bien fait de répondre qu'en règle générale les propriétés communales appartenant à l'avenir comme au présent, une génération ne pouvait pas se les approprier exclusivement ; mais la question est restée intacte en ce qui concerne les partages qui auraient le caractère d'une aliénation à titre onéreux. A ce point de vue, en admettant même que le n° 1er de l'article 76 n'eût pas le sens que je lui ai donné, il reste vrai qu'aux termes généraux de l'article 75, tout ce qui est d'intérêt communal est de la compétence du conseil communal, sauf l'approbation de l'autorité supérieure ; et pour que les partages dont je viens de parler fussent exclus de cette règle, il faudrait une disposition spéciale qui les en exceptât formellement.
Maintenant, sous le rapport pratique, j'apprécie parfaitement l'observation faite par la députation permanente du Luxembourg et par le conseil d'agriculture, que le partage fait sur une grande échelle entre les habitants des communes irait à rencontre du but qu'on se propose, c'est-à-dire le défrichement, parce que dans chaque commune il existe un certain nombre d'habitants dépourvus des moyens nécessaires pour se livrer au défrichement ; mais cela n'empêche pas que dans certaines circonstances particulières un partage pourrait avoir une utilité réelle, une utilité supérieure même à celle de la location à long terme, puisque celui qui est propriétaire peut faire des dépenses énormes, par exemple, dans les pays de roche, d'extirper la roche, de retourner le sol à une très grande profondeur, choses que ne peut pas entreprendre celui qui est simplement locataire, fût-ce même pour un terme fort long. De sorte, messieurs, qu'au point de vue de l'utilité pratique, on doit plutôt se déterminer d'après des circonstances toutes locales, toutes particulières, que d'après un principe général.
Sous le rapport des principes en général, je crois que le partage entre les habitants de la commune sera nuisible au point de vue des finances communales ; mais dans des limites très restreintes, je pense que le partage peut avoir une utilité très réelle.
M. Desmet. - Messieurs, l'article 76 de la loi communale n'est pas douteux. Il ne peut pas être appliqué au partage des biens communaux. Les biens communaux n'appartiennent pas seulement aux habitants de la commune qui en profitent actuellement, mais ils appartiennent à la commune pour toujours. Si j'accepte donc la faculté de partage, c'est uniquement dans le cas où il serait absolument nécessaire d'y recourir pour arriver au défrichement, où il n'y aurait pas d'autre moyen de parvenir à ce résultat.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, à mon avis la question n'est pas douteuse. Et en effet, la commune a le droit d'aliéner, non seulement en hausse publique, mais aussi à main ferme. Or, personne ne peut contester à la commune le droit d'aliéner telle ou telle parcelle de propriété communale au profil de tel ou tel habitant, sauf l'approbation de la députation permanente, quand l'objet est d'une valeur inférieure au dixième des revenus de la commune ; et sauf l'approbation de l'autorité supérieure, quand cet objet est d'une valeur supérieure. Maintenant, que la commune vende à un seul, ou qu'elle vende à tous ses habitants une portion déterminée de propriétés communales, moyennant l'approbation de l'autorité supérieure, vous arrivez au même résultat. Ainsi, la législation actuelle fournit évidemment les moyens nécessaires. Mais ce qu'on peut soutenir, c'est qu'il faut toujours un prix convenable à l'objet à céder soit à tous les habitants, soit à quelques-uns d'entre eux. La commune peut aliéner ; eh bien, le partage à titre onéreux n'est rien autre qu'une aliénation. Il est impossible de contester cela. Evidemment les administrations ont tous les droits dont elles ont besoin dans la loi communale.
M. de Garcia. - Messieurs, je considère le partage des biens communaux comme le moyen le plus efficace d'arriver au défrichement. Je partage, à la vérité, l'opinion de M. le ministre de l'intérieur, c'est qu'il faut que ce partage soit renfermé dans des limites très restreintes. Dès lors, je crois que l'amendement de l'honorable M. d'Huart, qui a été repris par l'honorable M. d'Elhoungne, doit être l'objet de l'attention de la chambre et qu'il y a lieu de l'adopter, si toutefois les lois existantes nous consacrent déjà le droit qu'on veut conférer au gouvernement. A cette occasion, je dois quelques mots de réponse aux observations de l'honorable M. Lebeau.
J'avoue que j'ai été quelque peu étonné des idées émises par l'honorable membre sur le partage des biens communaux et sur les redevances qu'on veut y attacher. On a raisonné comme si toutes les communautés de biens faisaient un revenu communal, et un revenu communal applicable à toutes les charges communales. Selon moi, c'est une erreur grave.
L'honorable M. Lebeau, qui a présidé à l'administration de la province de Namur, doit savoir que quand il y a une fraction de commune qui a une communauté de biens qui lui appartient, ce revenu n'entre pas dans la caisse communale ; il reste au profit de la communauté d'habitants ; on ne prend dans ce revenu spécial que pour la contribution de la section dans les charges communales. Quand l'honorable M. Lebeau présidait à l'administration de la province de Namur, il a dû avoir cent exemples de communes qui ont distingué les revenus des biens communaux, lorsqu'ils n'étaient pas la propriété de la commune en totalité. J'en appelle à cet égard à l'honorable M. d'Huart, gouverneur actuel de la province de Namur. Continuant, l'honorable M. Lebeau a affirmé que l'application du système de partage des biens communaux sans redevance serait la ruine des communes. C'est encore une erreur, car l'honorable membre ne peut ignorer que la plupart des communes en Belgique n'ont pas de biens communaux et que pourtant elles pourvoient, comme celles qui en possèdent, à toutes les nécessités de leur administration. Si vous faites servir les communautés des biens à pourvoir aux charges générales de la commune, vous posez une injustice, en ce que vous faites supporter par la partie de la population la moins aisée des dépenses générales faites surtout dans l'intérêt des classes plus aisées.
Ce mode d'agir, on doit le reconnaître, est des plus injustes. Une autre observation présentée contre le partage des biens communaux, consiste à dire que ce partage ne peut avoir lieu, par le motif que ces biens n'appartiennent pas exclusivement à la génération présente, mais encore aux générations futures. Cette objection me paraît plus spécieuse que solide. On n'a pas été si scrupuleux sous Marie-Thérèse ni sous l'empire ; on ne faisait pas alors ces distinctions d'être moral et de particuliers, et, selon moi, c'était avec raison. Toujours la législature a pu modifier les droits de l'avenir ; son domaine ne s'arrête qu'aux droits acquis. S'il pouvait en être autrement l'on n'aurait pu et l'on ne pourrait modifier les principes de succession, consacrés par les lois. C'est ainsi encore qu'on n'aurait pu supprimer les fidéicommis ni les majorats.
Ces simples considérations, je crois, démontrent toute la fausseté et le peu de fondement des objections qu'on présente à ce point de vue contre le partage des biens communaux.
Je pourrais citer des abus qui ont résulté du système que les observations de l'honorable M. Lebeau tendent à consacrer. Lors de l'impôt-mouture, les communes pouvaient s'en affranchir par un abonnement ; eh bien, qu'est-il arrivé dans certaines communes par l'application de cette doctrine ? C'est que la classe malheureuse a presque exclusivement supporté cette charge. C'était une injustice révoltante en pratique, mais elle sera encore plus révoltante si l'on consacre en principe dans la loi ce qui ne constituait, selon moi, qu'un abus dans l’administration.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, je crois qu'une partie des difficultés de la discussion actuelle provient de ce que l'expression de partage est introduite dans le débat, parce qu'elle se trouve dans l'amendement de l'honorable M. d'Huart, et que cette expression est tout à fait impropre et inexacte.
Il ne s'agit pas de partage proprement dit, par conséquent la disposition de l'article 76 de la loi communale où le mot partage est employé, serait inapplicable à l'espèce. Dans l'article 76 il est question de partage de biens immobiliers indivis ; le partage a lieu entre propriétaires ; le partage est déclaratif et non attributif ; il déclare et détermine à une part divise le droit de la propriété préexistante qui s'étendait indivisément à l'immeuble tout entier, et fixe ainsi la part de chacun ; il est donc la déclaration du droit de chacun des copropriétaires d'un immeuble, mais il est inouï qu'il attribue un droit de propriété distincte à des individus qui n'avaient dans l'immeuble aucun droit de copropriété auparavant. De sorte que la disposition du n° 1 de l'article 76 de la loi communale, où il est parlé du partage, serait ici tout à fait inapplicable ; il n'y a pas de copropriétaires par indivis, aucun individu ayant un droit préexistant ; par conséquent, personne à qui on puisse attribuer un lot dans cette propriété commune.
Mais la section centrale, quand elle a examiné l'article proposé par l'honorable M. d'Huart, a bien reconnu le caractère de cette proposition ; elle y a vu non un partage, mais une aliénation (son rapporteur s'en est expliqué) ; elle y a vu une vente par la commune à ses habitants d'une propriété inculte distribuée entre eux moyennant une redevance rachetable, une rente à payer par chacun.
C'était donc une vente, une véritable aliénation à titre onéreux ; cette aliénation-là, du moment où la commune voudrait la faire, serait, aux termes du même article 76 de la loi communale, soumise à l'avis de la députation et à l'approbation du Roi.
(page 866) Mais au moyen de l'approbation du Roi, cette aliénation serait possible ; elle serait autorisée comme vente. Mais si cette attribution aux habitants d'un lot dans la bruyère commune était faite sans charge de redevance, gratuitement, au lieu d'une vente ce serait une donation. Je ne pense pas que les communes puissent ainsi se dépouiller de leurs biens en faveur des habitants au moyen d'actes à titre gratuit, de donations qui priveraient ces communes sans compensation de leur droit incontestable de propriété et ne leur laisseraient aucune ressource dans l'avenir : si les conseils communaux se déterminaient à faire de pareilles libéralités, l'autorité supérieure, dans mon opinion, ne devrait pas les approuver. Je pense que l'approbation serait refusée à juste titre.
Il faut bien remarquer que les habitants qui exercent certains droits d'usage sur les bruyères n'y ont pour cela aucun droit de copropriété ; c'est comme habitants de la commune qu'ils exercent ces droits, parce que c'est le mode de jouissance adopté par la commune. Une commune jouit par ses habitants exerçant ces droits d'usage, comme elle jouit par les preneurs à bail qui cultivent ses propriétés quand elle les a données à bail. C'est ainsi que nous voyons les communes jouir de leurs bois communaux, tantôt en faisant vendre les coupes, tantôt en les faisant distribuer entre les habitants.
On voit ce mode de jouissance varier pour le même bien : une année on fait vendre les coupes, une autre année on les fait distribuer. L'habitant n'a pas plus de droit de copropriété quand on distribue les coupes que quand on les fait vendre aux enchères publiques. Quel que soit le mode adopté, c'est la commune qui jouit exclusivement.
Les habitants n'ayant pas de droit de copropriété, ils ne peuvent devenir propriétaires d'un lot qu'en payant un prix, une redevance à la commune ; que cette redevance soit calculée d'une manière équitable, le gouvernement peut encore donner son assentiment à la mesure ; mais il faut cependant qu'elle soit telle que l'acte revête le caractère d'une vente véritable et ne puisse être envisagé comme une libéralité.
Comme vente, le gouvernement peut l'autoriser ; il n'est pas nécessaire pour cela d'introduire un nouvel article dans la loi actuelle ; sans cela on pourrait supposer qu'il y a sur le pouvoir du gouvernement, à cet égard, un doute sérieux. Or, je ne pense pas que ce doute existe ; je pense, au contraire, qu'il résulte des dispositions générales de l'article 76, notamment du mot aliénations qui s'y trouve, que le gouvernement pourrait donner son approbation à une aliénation faite pas la commune au profil des habitants au moyen d'une rente ou redevance rachetable, en divisant entre eux les propriétés incultes de la commune.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Ce qui donne lieu à la discussion, c'est une confusion de mots. Voici ce qui se pratique : les conseils communaux, les députations permanentes proposent au gouvernement soit des baux à long terme, soit des aliénations sous le nom de partage, parce que dans le fait ce mode revêt toutes les formes d'un partage ; ainsi on tire au sort les lots cédés à perpétuité ou temporairement. Mais du moment qu'il y a une redevance stipulée au profit de la commune pour la jouissance soit à long terme soit à perpétuité, il y a un caractère d'aliénation. Sous ce rapport la loi communale donne toute les garanties nécessaires.
L'honorable M. de Garcia a exprimé des doutes sur les droits des sections de communes qu'il craint de voir compromettre. La loi laisse intacts les droits de la section de commune ou de la commune comme corps entier ; rien dans le projet ne tranche cette question. Si une section de commune a un droit particulier à l'immeuble vendu, il y aura à examiner si le produit sera remployé au profit de la section ou de la commune entière. Voilà la question posée par l'honorable membre, mais qui n'est pas tranchée par le projet de loi.
M. d’Elhoungne. - Lorsque l'honorable M. d'Huart a retiré son amendement, relatif au partage des biens communaux, j'ai interpellé M. le ministre de l'intérieur pour lui demander s'il croyait que le gouvernement eût le pouvoir d'autoriser le partage. M. le ministre de l'intérieur a répondu qu'il croyait pouvoir l'autoriser en vertu de l'article 76 de la loi communale, qui, s'il était applicable au partage, permettrait de l'effectuer purement et simplement entre les habitants de la commune comme entre des propriétaires indivis. Ne pouvant admettre que l'article 76 fût applicable (nous sommes tous maintenant d'accord qu'il ne l'est pas), j'ai repris l'amendement de l'honorable M. d'Huart, pour que le gouvernement pût autoriser le partage.
Maintenant on est d'accord que le partage n'est pas possible, que tout ce qu'on peut faire, c'est un partage qui est une véritable aliénation, puisqu'en même temps qu'il y aura répartition entre les habitants, il y aura payement du prix à la commune, au moyen d'une rente constituée. Il n'est donc plus besoin de l'amendement de l'honorable M. d'Huart. Le gouvernement a le droit d'autoriser toute aliénation : or, toute difficulté cesse dès que tout le monde est d'accord que les partages, sous réserve d'une rente pour la commune, sont de simples aliénations et non des partages dans le sens légal du mot.
En conséquence, je relire l'amendement ; mais la discussion qu'il a soulevée me paraît avoir eu cela d'utile que désormais le doute n'existe plus sur l'étendue des prérogatives du gouvernement en cette matière.
M. Lebeau. - Je craindrais que les paroles de M. le ministre de l'intérieur, si elles passaient sans observation, ne fussent mal interprétées dans beaucoup de communes. M. le ministre de l'intérieur paraît donner aux communes (assurément contre son intention) le moyen d'éluder la loi qui s'oppose à ce que les habitants (dont la convoitise est au reste toute naturelle) mettent la main sur les propriétés communales, en disant qu'on peut arriver au partage sous la forme d'aliénation.
J'espère que les députations permanentes continueront, comme elles l'ont fait jusqu'aujourd'hui, à repousser de telles prétentions, sous quelque forme qu'elles se présentent. Si des partages étaient demandés sous la forme d'aliénations, avec une redevance dérisoire, j'espère que les députations permanentes et le gouvernement repousseraient de pareilles prétentions.
Avant de me rasseoir, je désire dire un mot, en réponse à l'honorable M. de Garcia. Il a cité une opinion qui n'est pas la mienne, et qu'il m'a prêtée très gratuitement. C'est par suite d'une erreur que l'honorable M. de Garcia a cru pouvoir faire la guerre à ce que j'ai dit. Je n'ai jamais dit que les biens d'une section dussent profiter à une autre section. Les revenus d'une section doivent d'abord contribuer aux frais généraux. S'il y a un excédant, c'est au profit de la section ; mais cela n'entre pas dans la poche des habitants. C'est une distinction que l'honorable M. de Garcia ne saisit pas. Ces revenus entrent dans une caisse spéciale, sont l'objet d'une convention spéciale. Il n'est pas permis d'en distraire un centime, si ce n'est pour le compte de la section.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je dois expliquer mes paroles. J'ai dit qu'en règle générale j'étais opposé à ce que les biens communaux fussent partagés, sans rétribution suffisante au profit de la commune. Mais j'ai dit que la cession à long ternie ou à perpétuité de la jouissance des biens communaux moyennant une redevance, loin d'être condamnée par l'administration, avait reçu l'approbation de plusieurs dépurations provinciales, qui demandent qu'on encourage le défrichement par ce partage entre les habitants, pourvu qu'ils aient réellement le moyen de mettre ces terrains en culture. Voilà la restriction. Cela s'est pratiqué fréquemment.
Il y a quelques jours, le gouvernement, sur la proposition d'une députation permanente, a autorisé un partage, avec jouissance pendant 30 années, d'une certaine étendue de terrains incultes répartis par la voie du sort.
On a fait aussi de tels partages avec la clause de jouissance à perpétuité.
Mais on a exigé une rétribution au profil de la commune, ou de la section de commune qui y avait droit.
C'est ainsi que l'on a concilié l'intérêt des communes et l'encouragement à donner aux défrichements.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 11 (proposé par M. d'Huart). La location des terrains communaux incultes : bruyères, sarts et vaines pâtures, pourra être ordonnée par arrêté royal, sur l'avis conforme de la députation permanente du conseil provincial, après avoir entendu le conseil de la commune intéressée sous la condition que ces terrains seront mis en culture dans les délais déterminés par le même arrêté royal.
« Les baux, réglés à longs termes, stipuleront une redevance annuelle au profit de la caisse communale, et réserveront qu'à leur échéance, les preneurs auront la faculté de continuer respectivement la culture des mêmes parcelles, sauf à payer à la commune une redevance annuelle telle qu'elle sera fixée alors en vertu d'un arrêté royal porté de la même manière que celui ci-dessus, eu égard à la valeur des produits du sol et aux besoins financiers do la commune. »
« Art. 11 (proposition de la section centrale).
«§ 1er (Comme à la proposition de M. d'Huart).
« § 2. Les baux n'excéderont point le terme de trente ans, et stipuleront qu'à leurs échéances les anciens preneurs pourront les renouveler aux prix qui seront alors fixés par arrêté royal, porté de la manière indiquée au paragraphe précédent et eu égard à la valeur du produit du sol. »
M. d’Huart, ministre d’Etat. - J'ai lieu de croire que les modifications apportées au deuxième paragraphe de mon amendement résultent des explications que j'ai données à la section centrale ; car j'ai déclaré là que j'entendais par baux à long terme, des baux ne dépassant pas le terme de 30 ans ; or, c'est ce que propose la section centrale. Elle demande en outre, comme moi, qu'à l'échéance des premiers baux, les preneurs aient la faculté de continuer respectivement la culture des mêmes parcelles, sauf à payer à la commune une redevance annuelle telle qu'elle sera fixée alors en vertu d'un arrêté royal, eu égard à la valeur des produits du sol et aux besoins financiers de la commune.
Mais la section centrale propose la suppression de la partie finale de cette disposition, eu égard aux besoins financiers de la commune. Je crois qu'elle n'a pas fait connaître les motifs de ce retranchement ; toutefois et jusqu'à ce qu'elle ait produit ses objections, je considérerai cette disposition comme utile ; car, si l'on ne s'attache plus tard qu'à supputer la valeur des produits du sol, les administrations communales exigeront toute cette valeur ; or, telle ne doit pas être l'intention du législateur. Si les besoins de la commune ne le réclament pas, il serait peu raisonnable d'exiger des locataires la valeur de tout le produit du sol. Il me semble, qu'il ne faut pas astreindre les autorités communales à s'en tenir systématiquement à cela ; il convient au contraire qu'elles puissent tenir compte de la situation financière de la commune. Si ses finances sont en bon état, si son administration n'a pas besoin de la totalité du rendage rigoureusement calculé, il est essentiel qu'elle ait la faculté de ne pas l'exiger totalement. Je voudrais laisser cela à l'appréciation de l'autorité communale, de la députation permanente et du gouvernement.
J'attendrai donc ce que va dire le membre de la section centrale qui vient de demander la parole pour expliquer les motifs de la suppression dont je viens de parler.
M. de Corswarem. - C'est moi qui, dans la section centrale, a (page 867) proposé la suppression de la dernière partie de l'amendement de l'honorable M. d'Huart, parce que, si on l'eût laissée subsister, les terres de même valeur eussent été louées beaucoup plus cher dans une commune que dans une autre. Dans les communes qui ont des dettes (et presque toutes en ont), on devrait payer toute la valeur du produit du sol. Dans d'autres, qui sont dans une situation plus prospère, on ferait des largesses aux dépens de la commune.
Il m'a paru que cela ne devait jamais pouvoir se faire.
Puisque l'on a retranché la fin de l'article, on devrait également supprimer les mots : « eu égard à la valeur des produits du sol ». J'en fais la proposition. Cette disposition est inutile, puisque l'arrêté royal fixera le prix.
M. de Garcia. - Je crois que nous sommes maintenant d'accord. On conserve la rédaction première de l'honorable M. d'Huart, sauf qu'on retranche les mots eu égard à la valeur des produits du sol, et on conservera ceux-ci : « eu égard aux besoins financiers de la commune. »
M. de Corswarem. - Non, on supprime aussi ces mots.
M. de Garcia. - Je ne sais pas si l'honorable M. d'Huart admet cette suppression.
M. d’Huart, ministre d’Etat. - Oui, parce qu'on pourra toujours avoir égard aux besoins financiers de la commune.
M. de Garcia. - Dès qu'on s'entend sur la portée de l'article et que cette interprétation est admis, je n'ai plus rien à objecter.
M. Delfosse. - Je désire adresser à M. le ministre de l'intérieur une question sur le sens qu'il attache au paragraphe 2 de cet article. Ce paragraphe porte que les baux de trente ans pourront être renouvelés par arrêté royal. Le gouvernement aura-t-il la même faculté à l'expiration des baux renouvelés ; en un mot, n'y aura-t-il qu'un seul renouvellement ou y en aura-t-il plusieurs ? La rédaction laisse du doute sur ce point.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - D'après les explications qu'a données l'honorable M. d'Huart, et la manière dont j'ai moi-même compris l'article, il ne peut y avoir qu'un seul renouvellement.
- Le retranchement des mots « eu égard aux produits du sol » est mis aux voix et adopté.
- L'ensemble de l'article est adopté.
M. le président. - M. Eloy de Burdinne a proposé un article ainsi conçu :
« Une surtaxe annuelle progressive de dix centimes sur l'impôt foncier sera perçue pour chaque hectare de bruyère qui sera reconnue par le gouvernement et susceptible d'être défrichée et propre à produire des graminées, des fourrages ou du bois.
« Cette surtaxe cessera d'être perçue sur cette partie de bruyère que le gouvernement reconnaîtra être en état de produire, par suite du défrichement, des céréales, du fourrage ou du bois.
« Les bruyères qui seront défrichées dans les trois annexes à partir de la promulgation de la présente loi seront exemptées de l'impôt foncier pendant les trente-deux années qui suivront le défrichement. »
La section centrale propose de ne pas admettre les deux premiers paragraphes et rédige le troisième en ces termes :
« Par extension à l'article 112 de la loi du 3 frimaire an VIII, la cotisation îles terres vaines et vagues depuis 15 ans, qui seront mises en culture, autres que celles désignées dans les articles 113 et 114 de la même loi, ne pourra être augmentée pendant les vingt premières années après le défrichement. »
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je crois que cette discussion a traîné assez longtemps pour que je ne la prolonge pas davantage. N'ayant pas l'espérance de voir adopter mon opinion, je me rallierai à l’amendement de la section centrale.
Cependant je dois vous faire remarquer une chose. Dans les développements de mon amendement, j’ai eu l'honneur de vous faire voir combien les bruyères défrichées appartenant à de petits particuliers étaient frappées d'impôts, alors que des terres de même valeur restées en friche ne payaient qu'un centime. J'appellerai à cet égard l'attention de. M. le ministre des finances, et je lui conseillerai de provoquer une expertise de la part de l'administration du cadastre, afin d'établir une distinction entre les bruyères qui sont susceptibles de produire et celles qui ne peuvent rien rapporter. Car il existe de très bons terrains qui sont considérés comme des landes, comme devant n'être imposés qu'à raison d'un revenu d'un centime, tandis qu'il est notoire que ces bruyères donnent au propriétaire un revenu annuel d'environ douze francs.
Voilà un fait que je signale à l'attention de M. le ministre des finances et du gouvernement tout entier.
J'ajouterai encore quelques mots. La section centrale n'a pas jugé convenable d'adopter l'impôt progressif, par la raison, a-t-elle dit, que les communes qui possèdent beaucoup de bruyères, pourraient être chargées d'un impôt assez élevé. Mais, messieurs, quel est le but de la loi en discussion ? Ce but est de forcer les communes à vendre leurs biens, lorsqu'elles ne les mettent pas en produit.
On veut les exproprier. Mais j'aurais préféré donner aux communes l'alternative de payer ou de vendre. Il me paraissait qu'une semblable disposition était moins irritante que le droit d'expropriation donné au gouvernement. Je conçois que lorsque les communes se seraient refusées à tous les moyens de mettre leurs bruyères eu produit, on les eût expropriées ; mais j'aurais voulu que tous les autres moyens eussent d'abord été tentés, et je crois en avoir indiqué plusieurs. Mais la chambre est fatiguée ; elle votera de guerre lasse le projet. Quant à moi, je ne pourrai que m'abstenir parce que je ne veux pas contribuer à une disposition législative qui me répugne, je le dis franchement.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ferai observer à l'honorable préopinant que l'impôt de 10 centimes pour les terrains incultes est l'impôt minimum ; mais que dans certaines localités où les terrains incultes ont une valeur supérieure, ils sont plus fortement taxés. Dans tous les cas le gouvernement ne peut rien faire à cet égard, si ce n'est à l'époque de la révision du cadastre. Lorsqu'il y aura eu une nouvelle impulsion donnée au défrichement on pourra apprécier la valeur réelle des terrains restés incultes.
Quant à l'exemption proposée par la section centrale, c'est celle que' j'ai indiquée dans la discussion générale, sauf que j'avais indiqué le terme de 15 ans au lieu de celui de 20 ans. Mais, d'accord avec M. le ministre îles finances, nous nous rallions au terme de 20 ans proposé par la section centrale.
- L'article, tel qu'il a été proposé par la section centrale, est adopté. Il formera l'article 12.
« Art. 13 (proposé par la section centrale). Tous bâtiments et habitations nouvellement construits sur des terres vaines et vagues, appartenant aux communes, ne seront point soumis à la contribution foncière, durant les 15 premières années à compter de l'époque de leur construction ; la même exemption sera accordée aux possesseurs des terres vaines et vagues, ayant appartenu aux communes et dont l'aliénation aura lieu postérieurement à la présente loi. »
- Adopté.
« Art. 14. Par dérogation aux dispositions de l'article 1536 du Code civil, les bourgmestre et échevins des communes intéressées peuvent, se rendre adjudicataires des biens mis en vente en exécution des articles 1 et 3 de la présente loi.
« Ils peuvent également se rendre adjudicataires, soit des terrains incultes, soit des terrains préparés au défrichement, en vertu de l'article 6 de la présente loi, et mis en vente par les communes.
« L'adjudication des lots au profit des bourgmestre et échevins sera soumise à l'approbation de la députation permanente du conseils provincial. »
M. Mast de Vries, rapporteur. - Il faudrait changer les mots « article 3 » ; ce sera l'article 7.
M. le président. - On pourra changer cela au deuxième vote.
M. Orban. - Je ne chercherai pas, messieurs, à combattre la disposition nouvelle qui permet aux bourgmestres d'acquérir les biens communaux, car je crois que ce serait inutile ; on a successivement amoindri les garanties accordées aux communes, et tous les efforts que nous avons faits pour nous opposer à cette tendance, n'ont eu aucun résultat. Je dois cependant signaler M. le ministre de l'intérieur une conséquence de la disposition qu'il propose.
Le projet de loi que nous discutons a pour but de vaincre la résistance des conseils communaux à l'aliénation de leurs biens. Eh bien, par la faculté (pie vous accordez aux bourgmestres de se rendre acquéreurs des biens communaux, vous donnez aux communes le moyen d'éluder la loi. En effet, du moment où les bourgmestres, les échevins et les membres du conseil communal peuvent se rendre acquéreurs des biens mis en vente, qu’arrivera-t-il ? Il arrivera nécessairement que quand le conseil communal sera opposé à la vente des bruyères, le bourgmestre se rendra acquéreur à des prix extrêmement élevés, de manière à écarter les acquéreurs sérieux, et quand la vente sera ensuite soumise à la ratification du conseil communal, celui-ci refusera de ratifier.
Il s'établira entre le bourgmestre et le conseil communal une connivence dans le but de rendre la vente impossible ; car celle-ci n'étant définitive qu'après l'approbation du conseil communal, le conseil refusera la ratification toutes les fois que le bourgmestre se sera rendu acquéreur.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Et le tribunal ?
M. Orban. - M. le ministre des finances m'objecte que le tribunal y obviera. Il est possible que je me trompe, et, dans ce cas, M. le ministre de l'intérieur pourra rectifier mes paroles. Mais j'ai raisonné dans la supposition que l'approbation de la vente par le conseil communal était indispensable toutes les fois que le bourgmestre se sera rendu acquéreur. Et il est incontestable que les choses étant ainsi, l'inconvénient que je viens de signaler à la chambre se produirait inévitablement.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'observation de l'honorable M. Orban serait parfaitement juste si l'approbation du conseil communal était indispensable pour rendre la vente définitive ; mais à défaut de cette approbation le gouverneur poursuivra l'homologation devant le tribunal et cette homologation sera accordée si le prix est suffisamment élevé. Dès lors cette manigance est impossible.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 15 (qui devient l'art. 14). Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de trois cent cinquante mille francs (350,000 fr.), qui, avec le crédit de 150,000 fr., voté par la loi du 20 décembre 1846, formera une somme de 500,000 fr., pour mesures relatives aux défrichements, aux irrigations et à la colonisation de la Campine, et ailleurs, s’il y a lieu. »
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, le crédit dont il s'agit dans cet article pourra être employé à des mesures relatives aux défrichements, aux irrigations ou à la colonisation. Je désirerais savoir si M. le ministre de l'intérieur a déjà ses idées arrêtées sur l'emploi à faire de ce crédit, s'il sait déjà comment le crédit sera réparti ; combien, par exemple, il appliquera aux irrigations, combien à la colonisation ? C'est ce qui ne (page 868) nous a pas été indiqué dans l'exposé des motifs, et je désirerais que M. le ministre de l'intérieur voulût bien nous dire s'il a déjà un plan formé, un projet arrêté quant à l'application des sommes qu'il demande, et dans quelles provinces il compte en faire usage ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il n'existe point encore de projet pour la disposition de ces fonds. Le gouvernement les emploiera de la manière la plus prompte et la plus utile. Ce que je puis dire, c'est que dès le moment actuel une très grande quantité de terrains peuvent être disposés pour l'irrigation. Quant à la colonisation, j'ai déjà indiqué que jusqu'à présent aucun projet n'est arrêté ; ce sera une affaire à examiner très soigneusement, et c'est seulement après cet examen qu'une décision pourra être prise.
A l'occasion de cet article on a demandé, messieurs (et c'est M. d'Huart qui m'a adressé tout à l'heure cette question), on a demandé si le boisement était aussi compris dans l'article. Cela est évident puisque le boisement est un mode de défrichement.
M. Pirson. - Et les chemins vicinaux ?
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Pour les chemins vicinaux, messieurs, il a été ouvert un crédit spécial au département de l'intérieur. Cependant s'il est nécessaire de faire un chemin à travers une grande étendue de terrains communaux pour rendre le défrichement plus facile, ce ne serait plus là un chemin vicinal proprement dit, ce serait un chemin fait exclusivement dans l'intérêt du défrichement, et dès lors la dépense à en résulter pourrait être imputée sur le crédit en discussion.
M. d’Huart. - Un des moyens qui concourra efficacement pour amener le défrichement, c'est-à-dire pour rendre productive la majeure partie des bruyères, c'est de les boiser, d'y opérer des semis, d'y faire des plantations. J'avais toujours compris, comme vient de le dire M. le ministre de l'intérieur, qu'en parlant dans la loi d'appliquer les fonds en mesures relatives aux défrichements, on entendait considérer comme l'une de ces mesures l'envoi gratuit aux communes de graines de sapin, de mélèzes et d'autres espèces d'arbres, dans le but de faciliter la plantation d'une certaine partie de bruyères qui en sont susceptibles Or, M. le ministre de l'intérieur nous l'a dit tantôt, à propos d'une dépêche qu'il vient de recevoir de la province de Luxembourg, une grande partie des bruyères de cette province est susceptible de porter très avantageusement des arbres résineux.
L'explication que vient de donner M. le ministre de l'intérieur était nécessaire parce que plusieurs personnes, plusieurs même de mes honorables collègues, manifestaient des doutes sur le point de savoir si le gouvernement pourrait employer une certaine partie de fonds que nous allons voter pour stimuler le boisement. Il sera donc bien entendu que le gouvernement va avoir les moyens de pousser à cette culture et qu'avec une partie peu importante de la somme portée dans l'article en discussion on stimulera très efficacement le boisement dans les provinces de Luxembourg, de Namur et de Liège, ainsi que dans la Campine.
M. Orban. - Il est bien entendu, messieurs, que les mesures relatives aux défrichements dans lesquelles sont compris les encouragements au reboisement, s'étendront à toutes les parties du pays auxquelles elles sont applicables. Dès lors je crois qu'il y aurait lieu de retrancher les expressions finales de l'article, « s'il y a lieu » ; car dans tous les cas il y aura lieu de prendre des mesures en faveur du défrichement, ailleurs que dans la Campine. Je proposerai donc de supprimer les expressions dont il s'agit, qui étaient convenables lorsqu'il s'agissait uniquement d'irrigations, mais qui ne le sont plus lorsqu'il s'agit en général de mesures relatives au défrichement.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, les mots « s'il y a lieu » ne sont pas obstatifs à ce que les mesures auxquelles doivent pourvoir les crédits demandés, aient lieu partout où l'emploi de ces mesures peut se faire utilement. L'on a indiqué la Campine en premier lieu, parce que c'est là évidemment que doivent se faire en premier lieu les irrigations et les essais de colonisation. Les mots, « s'il y a lieu », indiquent uniquement que le gouvernement n'a pas de renseignements tels qu'il soit à même d'affirmer que ce moyen peut être employé partout.
Du reste, je ne vois pas le moindre inconvénient à ce qu'on retranche les mots « s'il y a lieu ».
M. Orban. - M. le ministre semble hésitera retrancher les mots « s'il y a lieu », par suite de l'observation qui lui est faite, que cette suppression ferait naître l'obligation d'établir ses irrigations partout. Je lui ferai observer qu'il n'en est rien ; cette expression se référant aux défrichements aussi bien qu'aux irrigations, il sera satisfait à la disposition du moment où l'on prendra des mesures pour encourager soit les défrichements soit les irrigations.
- La suppression des mots « s'il y a lieu » est mise aux voix et adoptée. L'article 14, ainsi modifie, est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 16 (devenant l'art. 15). Ce crédit formera l'article 3 du chapitre XXIII du budget de l'intérieur de l'exercice 1846. »
- Adopté.
« Art. 17 (devenant l'art. 16). Ce crédit sera couvert, au fur et à mesure des besoins, par une émission de bons du trésor, qui sera effectuée selon les conditions de la loi du 16 février 1833. »
- Adopté.
« Art. 18 (devenant l'art. 17). Les rentrées à opérer sur le fonds spécial déterminé à l'article ci-dessus, pourront être employées aux mêmes fins, pendant une période de cinq années. Il sera rendu compte annuellement aux chambres des dépenses et recettes faites en vertu de la présente disposition. »
- Adopté.
M. le président. - Voici l'article nouveau proposé par M. Orban et qui a été développé dans une séance précédente :
« Les sommes provenant des ventes faites en vertu de la présentée seront placées en rentes sur l'Etat ou en obligations du trésor, par les communes intéressées, à moins qu'elles ne soient affectées au payement des dettes, à des travaux d'utilité publique, ou à l'acquisition d'immeubles.
« En cas de refus, le gouvernement y pourvoira d'office, sur l'avis de la députation permanente du conseil provincial. »
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je me rallie à l'amendement de l'honorable M. Orban, mais je crois qu'il doit subir de légères modifications.
La pensée de l'auteur de l'amendement est celle-ci : ordinairement, les aliénations se font par suite d'une nécessité communale, et l'emploi des fonds à provenir de la vente est indiqué en même temps que s'accorde l'autorisation de la vente ; ici, il pourra y avoir des ventes ordonnées par le gouvernement, abstraction faite des besoins des communes ; il faut donc veiller au placement des fonds provenant de ces ventes ; c'est ce à quoi tend à pourvoir la nouvelle rédaction que je propose et qui est ainsi conçue :
« Les sommes provenant des ventes faites en vertu de la présente loi seront placées soit sur hypothèque, soit en inscriptions de rentes sur l'Etat ou d'obligations du trésor, à moins que les sommes ne soient affectées au payement des dettes, à des travaux d'utilité publique, à l'acquisition ou à l'amélioration d'immeubles.
« En cas de refus, la députation permanente du conseil provincial pourvoira d'office au placement des fonds, »
M. de Corswarem. - Messieurs, tel que l'amendement de l'honorable M. Orban était rédigé en premier lieu, il avait évidemment pour but d'empêcher l'argent provenant de la vente d'une partie des bruyères de servir à défricher l'autre partie. J'ai fait observer à l'honorable membre que, d'après son amendement primitif, lorsqu'une commune vendait une partie de bruyères, elle ne pourrait pas employer cet argent à défricher l'autre partie des terrains qui lui restaient encore. Sur mon observation, l'honorable membre a consenti à modifier son amendement dans ce sens que l'argent pourrait être aussi employé à l'amélioration des terrains restants. Mais il y avait encore l'exclusion des placements sur hypothèques. Aujourd'hui, M. le ministre de l'intérieur propose d'ajouter également ce mode de placement. Presque partout les véritables défricheurs, ceux qui convertiront les terres incultes en terres arables, ce seront les cultivateurs proprement dits. Or, lorsque ces cultivateurs auront acheté une certaine partie de terrains incultes, il pourra très bien arriver qu'il leur manquera de l'argent pour défricher ; si ce sont des individus qui présentent toutes les garanties désirables, ils pourront s'adresser à la commune, et la commune, d'après la modification à l'amendement proposée par l'honorable ministre de l'intérieur, pourra leur bailler une partie des fonds dont ils auront besoin pour défricher.
Mais avec la rédaction telle que M. le ministre la propose aujourd'hui, il reste encore une lacune : il n'est pas dit dans quel délai les communes devront utiliser l'argent qu'elles auront à leur disposition.
Cela restera-t-il attribué à la députation ? Dans les termes généraux dans lesquels l'article est conçu, je ne m'y opposerai pas ; cependant il me semble qu'il aurait autant valu ne pas spécifier à quoi les fonds seraient employés et dire seulement : Les sommes provenant de la vente des propriétés communales devront être appliquées ou utilisées dans le délai de.... Avec cette rédaction on n'aurait rien à craindre, car les conseils communaux ne peuvent dépenser qu'avec l'autorisation de la députation ou du Roi, suivant les cas. Mais je ne tiens pas à cette rédaction ; l'article est conçu en termes assez généraux pour que nous puissions l'adopter sans inconvénient.
M. Delfosse. - Je regrette que M. le ministre de l'intérieur ait cru devoir adhérer à l'amendement de l'honorable M. Orban. Les conseils communaux ne peuvent, aux termes des lois en vigueur, faire de dépense qu'avec l'approbation de la députation permanente ; cette intervention obligée de la députation permanente est une garantie qui doit suffire.
Il peut fort bien arriver qu'une commune ait besoin d'employer ses fonds autrement qu'en renies sur l'Etat, qu'en placements sur hypothèque, qu'en acquisitions ou améliorations d'immeubles.
Supposons qu'elle ait construit une salle d'école et qu'elle doive la meubler ; pourquoi voudrait-on l'empêcher d'affecter une partie du prix de la vente forcée de ses biens incultes à l'achat du mobilier de l'école ? Je cite une dépense utile, je pourrais en citer d'autres. Les placements en rentes sur l'Etat ou sur hypothèque, l'acquisition ou l'amélioration d'immeubles, sont de fort bonnes choses ; mais il peut y avoir mieux pour une commune ; cela dépend des circonstances, laissez-en l'appréciation à la députation permanente.
Si la députation permanente ne peut pas autoriser une commune à employer le prix d'une vente d'immeuble à l'achat d'un mobilier pour l'école ou à toute autre dépense utile, il faudra donc, si la commune n'a pas d'autres ressources, qu'elle contracte des dettes pour couvrir ces dépenses, et comment paiera-t-elle ces dettes si ce n'est en retirant plus tard les fonds dont elle aura été obligée de faire le placement en exécution de votre loi ?
Je répète que nous devons trouver des garanties suffisantes dans l'intervention obligée de la députation permanente pour l'emploi des fonds communaux.
(page 869) M. le ministre des finances (M. Malou). - Généralement, quand les communes reçoivent des capitaux, les députations les obligent à les réemployer, et on ne les autorise pas à les affecter aux dépenses courantes. Ces capitaux doivent être employés soit à des achats, soit à des remboursements de dettes. La loi actuelle est à l'égard des communes une mesure exceptionnelle, justifiée par la nature de la propriété communale ; il est important d'exiger que les capitaux provenant de la vente des biens incultes soient réemployés, non seulement pour la génération actuelle, mais pour les générations futures en les affectant aux intérêts permanents de la commune. Tel est, si je ne me trompe, le motif de l'amendement de l'honorable M. Orban et de celui de mon honorable collègue de l'intérieur qui n'est qu'un changement de rédaction, car le principe est le même. On ne veut pas qu'on puisse affecter aux dépenses courantes le produit des aliénations dont on veut tirer une utilité permanente.
M. Orban. - L'honorable M. Delfosse trouve inutile l'article nouveau que j'ai eu l'honneur de proposer ; il pense qu'on aurait pu s'en rapporter aux dispositions de la loi communale pour forcer les conseils communaux à tirer parti des sommes qui seraient mises à leur disposition par suite des ventes forcées des terrains incultes. L'honorable membre aurait dû citer les dispositions qui donnent aux députations l'autorité qu'il leur suppose. Quant à moi, je pense qu'il n'en existe aucune. La députation dont j'ai fait partie pendant longtemps s'est quelquefois trouvée dans le cas de faire usage de pareils moyens de contrainte à l'égard des communes, mais elle a toujours été arrêtée faute de dispositions légales suffisantes pour les autoriser. C'est évidemment une lacune qui existe dans la législation.
En règle générale, quand on autorise une commune à percevoir des impositions, à réaliser des fonds, c'est toujours pour faire face à dos dépenses déterminées ; les députations peuvent donc en général contraindre le conseil à se dessaisir des fonds qui sont en caisse, parce qu'elles peuvent contraindre les conseils communaux à acquitter les dépenses effectuées. De même quand il s'agit d'aliénation, le conseil ne l'autorise qu'avec la condition d'un emploi déterminé. Dans les cas auxquels donnera lieu la loi que nous discutons, lorsque la vente des biens communaux ne sera pas nécessitée par l'obligation de réaliser des ressources, les fonds qui seront réalisés par suite de ces ventes, se trouvant sans destination, pourraient rester dans les caisses communales, ou même en être détournés, si l'autorité supérieure n'est point investie du droit de lui ordonner le placement à intérêt. Sous ce premier rapport, la disposition est donc indispensable.
Un honorable membre trouve qu'on n'aurait pas dû déterminer les dépenses auxquelles ces sommes seraient utilisées. Si on s'était bornée dire cela, on aurait pu employer ces sommes aux dépenses ordinaires. Or, il faut de toute nécessité que ces fonds soient réemployés ou placés d'une manière sûre, de manière à empêcher que la communauté ne s'appauvrisse et que son avoir ne soit dissipé au profit de la génération présente et au préjudice de l'avenir.
Je ne fais du reste en cela que donner une sanction aux principes suivis par les administrations provinciales dans la gestion des affaires des communes, principes en vertu desquels il n'est jamais permis d'affecter à des dépenses ordinaires et courantes le produit d'immeubles vendus.
M. le ministre a cru devoir faire à l'article nouveau que je propose une addition que je regrette. Je regrette qu'il ait créé la faculté de placer sur hypothèques, alors que j'aurais voulu rendre obligatoire le placement en fonds publics. Ces placements sont généralement la chose la plus abusive du monde. Quand quelqu'un ne peut trouver d'argent nulle part, c'est à la commune qu'il s'adresse pour en obtenir, et trop souvent on trouve dans les administrations des gens disposés à placer les fonds de la commune à tel individu auquel ils ne confieraient pas les leurs. Le meilleur placement sur hypothèque offre toujours d'immenses difficultés, lorsqu'il s'agit de revendiquer la disposition des sommes placées, et il n'offre aucune garantie quant au payement régulier des intérêts. Aussi mon intention bien formelle, en ne mentionnant pas les placements sur hypothèque, était de les exclure.
J'aurais voulu qu'on plaçât les sommes dont il s'agit uniquement sur l'Etat et en fonds publics ; quelle mesure plus sage et plus patriotique que d'établir une sorte de solidarité entre les communes et l'Etat ? d'associer les unes à la fortune bonne ou mauvaise de l'autre ? Si l'Etat court des risques, la commune, qui est un des membres de l'Etat, peut en courir également. En forçant toutes les communes à ce genre de placement, je ne fais que resserrer le lien qui existe entre l'Etat et les communes et rendre les commotions et par conséquent les risques plus rares.
J'ai cru devoir saisir la première occasion qui s'est présentée de faire application de ce principe et de l'insérer dans une disposition de loi.
Mais je le trouve susceptible d'une application beaucoup plus générale et je crois qu'il serait bon d'en faire une règle et d'astreindre les administrations communales à faire du trésor public l'unique dépositaire des fonds qu'elles peuvent avoir disponibles. Il est bon que tout le monde, les administrations comme les individus, se familiarise avec les notions de crédit public
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L'honorable membre craint les placements sur hypothèque. C'est l'état actuel. Si l'expérience a démontré les inconvénients de ce mode, personne n'en est meilleur juge que les députations permanentes ; or elles ont toujours la faculté de refuser leur approbation à de pareils placements.
L'honorable M. de Corswarem a fait ressortir avec beaucoup de vérité que, dans certaines circonstances, un tel placement est nécessaire pour atteindre le but de la loi. La commune peut avoir intérêt à prêter sur hypothèque à l'acquéreur des biens communaux. Ce serait un moyen de faire hausser le prix en vente publique et un encouragement à la culture.
Il n'y a donc aucun inconvénient, du moment que la députation est maîtresse de ne pas approuver le placement.
M. Delfosse. - M. le ministre des finances vient de nous assurer que l'honorable M. Orban a eu une bonne intention en présentant son amendement. Je n'ai pas prétendu le contraire, je suis prêt à rendre hommage à l'intention de l’honorable M. Orban, mais cela ne m'empêche pas de croire qu'il y aurait du danger à adopter son amendement.
M. le ministre des finances nous dit que les députations permanentes n'autorisent jamais les conseils communaux à faire emploi de fonds provenant des ventes d'immeubles ou de remboursements pour couvrir des dépenses courantes. Je ferai remarquer à M. le ministre des finances que je n'ai pas parlé de dépenses courantes ; l'entretien du mobilier d'une école est une dépense courante, mais l'achat de ce mobilier est une dépense extraordinaire ; d'autres dépenses extraordinaires pourraient aussi être utilement faites au moyen du produit de la vente de terrains incultes ; et rien, dans la législation actuelle, n'empêcherait la députation permanente d'autoriser cet emploi.
L'honorable M. Orban prétend que la législation actuelle ne donne pas à la députation permanente le droit de forcer une commune à placer ses fonds d'une manière déterminée, par exemple, en rentes sur l'Etat. Si c'est là le but que l'honorable M. Orban veut atteindre, il devrait se borner à demander que ce droit soit attribué à la députation permanente pour les fonds à provenir de la vente des terres incultes ; je pourrais souscrire à un amendement qui aurait cette portée ; mais l'amendement va plus loin : il placerait la députation permanente dans l'impossibilité absolue d'approuver une dépense utile que la commune croirait devoir faire, au moyen de ces fonds ; à ce point de vue, l'amendement, loin d'être utile, me paraît dangereux.
M. Veydt. - Il faudrait pouvoir forcer les communes à faire un emploi déterminé des fonds provenant de la vente des biens communaux, dit l'honorable M. Delfosse, si je l'ai bien compris. Mais, messieurs, les députations permanentes n'en ont pas le pouvoir ; elles n'ont pas d'initiative ; elles sont réduites à approuver ce qui leur est soumis. Il n'y a donc pas de garantie sans injonction expresse de la loi.
Un autre motif qui n'a pas pris dans cette discussion le rang qu'il mérite d'y avoir, c'est qu'aux termes d'un décret de thermidor an XI, décret spécial à la Belgique, les biens n'ont été rendus aux communes dans les départements, que sous la condition qu'elles seraient chargées du payement de leurs dettes.
Si l'honorable M. Orban n'avait pas présenté son amendement, qui a une portée plus générale, j'en aurais probablement présenté un pour assurer aux créanciers des communes qui aliéneront tout ou partie de leurs terrains vagues, le droit d'être payés sur le produit de ces ventes. Ce motif seul me suffit pour approuver l'amendement.
Ce n'est pas le moment de discuter la question, qui a été touchée en passant, du mode de placement des fonds communaux. Je pense avec l'honorable membre que ces fonds seraient très utilement placés en rentes sur l'Etat (inscriptions nominatives), et je préfère ce placement à tout autre.
Je ne suis pas fâché de saisir cette occasion de faire connaître mon opinion à ce sujet.
M. Delfosse. - Je vois que l'honorable M. Veydt ne m'a pas compris. J'admets que la députation permanente puisse forcer les communes à placer ses fonds provenant des ventes d'immeubles de la manière indiquée par l'honorable M. Orban et par M. le ministre de l'intérieur. Mais je ne veux pas que ce mode de placement soit prescrit par la loi, de telle sorte qu'il serait impossible de faire un autre emploi de ces fonds, alors même que le conseil communal et la députation permanente seraient d'accord pour trouver cet emploi utile.
Je propose de rédiger l'article comme suit : « La députation permanente pourra exiger, etc. »
Le reste de l'article, tel qu'il est modifié par M. le ministre de l'intérieur, serait maintenu, sauf rédaction.
M. de Corswarem. - Plus la discussion se prolonge sur l'amendement, plus je le trouve insuffisant.
Aujourd'hui, les communes trouvent un grand avantage à placer leurs fonds à la caisse d'épargne, parce que là elles peuvent retirer les sommes dont elles ont besoin.
Je suppose qu'une commune place ses fonds en obligations sur l'Etat, en bons du trésor, elle devra attendre certaines époques pour retirer ses fonds, tandis qu'à la caisse d'épargne elle peut retirer telle partie de ses fonds qu'elle juge convenable. Pourquoi donc faut-il exclure les caisses d'épargne des placements que les communes sont autorisées à faire ?
Je demande que l'on s'explique là-dessus. Si l'on peut me démontrer qu'il y a des inconvénients, j'adopterai l'article. Mais s'il n'y a pas d'inconvénients, je demande que les placements à la caisse d'épargne soient également autorisés.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'amendement me paraît avoir précisément pour objet d'exclure la caisse d'épargne, et je crois qu'en effet il doit en être ainsi.
Aujourd'hui quel est le débiteur qui présente le plus de garanties en (page 870) Belgique ? C'est évidemment le trésor public, cela soit dit sans faire tort à personne. Or, qu'arrive-t-il ? C'est que les communes laissent souvent -pendant longtemps des capitaux à un faible intérêt, parfaitement bien placés, je le reconnais, mais qui en fonds publics réalisables du jour au lendemain, offriraient pour les communes la même mobilité et un intérêt beaucoup plus élevé.
Je ne parle pas des autres considérations de crédit public. Je reconnais que la discussion, telle qu'elle s'engage, mérite les honneurs d'un débat spécial. Seulement je tiens à faire remarquer que le véritable principe en matière d'administration est de forcer les communes à placer les fonds provenant de l'aliénation d'immeubles. Sans cela il arrive que la commune qui, comme l'Etat, a des besoins sans cesse renaissants et de plus en plus considérables, est tentée d'affecter à ses dépenses courantes très utiles sans doute, car presque toutes les dépenses sont utiles, les capitaux qu'elle relire de ses immeubles.
L'honorable M. Delfosse dit : Vous les autoriserez à contracter un emprunt, et vous devrez ensuite les autoriser à la vente de leurs titres. Non, messieurs, il en est de la commune comme de l'Etat. On ne doit pas lui permettre de recourir à l'emprunt pour les dépenses courantes, et on doit surtout lui interdire, c'est là la force, c'est le résultat de l'amendement, d'affecter aux dépenses courantes un capital provenant d'immeubles. Ces dépenses courantes doivent être couvertes par l'impôt, comme nous le faisons ici depuis que nous avons l'équilibre entre nos recettes et nos dépenses.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Delfosse est mis aux voix et rejeté. L'article, rédigé comme le propose M. le ministre de l'intérieur, est adopté.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter un projet de loi qui tend à proroger la loi de 1835 relative aux tarifs du chemin de fer. Cette prorogation aura lieu jusqu'à la mise en vigueur d'une loi définitive sur la matière et au plus tard jusqu'au 1er mars 1848.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. Il sera imprimé et distribué.
Il est renvoyé à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai l'honneur de présenter à la chambre un projet de loi tendant à approuver une convention faite avec la Société Générale pour la pension des employés attachés à la forêt de Soignes.
Ce projet n'ayant pas une grande importance et les sections ayant beaucoup de travaux, je pense qu'il suffirait de le renvoyer à une commission spéciale.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi.
La chambre en ordonne l'impression et la distribution, ainsi que le renvoi à l'examen d'une commission qui sera nommée par le bureau.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je demanderai que la chambre veuille bien mettre à la suite de son ordre du jour la discussion sur le projet de loi de crédit supplémentaire pour lequel l'honorable M. Osy a fait rapport il y a quelque temps.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - M. d'Huart a présenté un article final ainsi conçu :
« La présente loi cessera d'être exécutoire le 1er janvier 1850, si elle n'est renouvelée avant cette époque. »
M. d'Huart insiste-t-il ?
M. d’Huart. - Non, M. le président.
- Cette disposition est mise aux voix, elle n'est pas adoptée.
Le vote définitif du projet est renvoyé à mercredi.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.