(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 631) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
- La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. A. Dubus communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Corbisier prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à obtenir une indemnité du chef des pertes qu'il a essuyées, en sa qualité de fermier de la barrière d'Henuuyères. »
- Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
« Plusieurs médecins vétérinaires et agriculteurs, à Turnhout, prient la chambre de s'occuper, pendant la session actuelle, des projets de loi sur l’enseignement agricole, sur l'exercice de la médecine vétérinaire et sur l'organisation de l'école vétérinaire de l'Etat. »
- Renvoi aux sections centrales chargées d'examiner les projets de loi,
« Les habitants des communes riveraines de l'Ourthe demandent l'exécution des travaux du canal de Meuse et Moselle et de ceux qui ont pour objet la dérivation et l'amélioration de la Meuse, à partir de la fonderie de canons en aval de Liège, jusqu'à Chokier. »
- Sur la proposition de M. Lesoinne., renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« L'administration communale de Voignelée prie la chambre d'ajourner au 15 mars la discussion du projet de loi qui fixe les limites entre cette commune et celle de Lambusart. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
M. Pirmez. - Messieurs, vous savez qu'il y avait un projet de loi de limitation de commune entre Lambusart et Moignelée. M. le ministre de l'intérieur avait promis que si, au 1er février, il n'y avait pas de rapport de la députation permanente de Namur, on passerait outre. Par la pétition dont on vient de faire l'analyse, on demande un nouvel ajournement. Je voudrais que M. le ministre de l'intérieur donnât quelques explications.
M. d’Huart. - Messieurs, la députation permanente du conseil provincial de Namur a dû s'occuper, dans sa séance d'hier, de l'affaire dont vient de parhr l'honorable M. Pirmez, et arrêter dans la même séance un rapport qui a dû être adressé à M. le ministre de l'intérieur. Ainsi, dès demain M. le ministre pourra vraisemblablement déposer sur le bureau le rapport de la dépuration. Du reste, la chambre a décidé l'ajournement de la discussion jusqu'au 1er février ; par conséquent nous ne sommes pas encore arrivés au point de mettre M. le ministre de l'intérieur en demeure de se prononcer sur cet objet.
M. Pirmez. - Je ferai observer derechef qu'on demande un nouveau délai. C'était pour cela que je voulais interroger M. le ministre de l'intérieur.
« Le sieur J.-B. Dufau, étudiant à l'université de Liège, né à Neuyîe (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Pettens, chef de bureau au commissariat de l'arrondissement de Bruxelles, demande une loi qui autorise le gouvernement à admettre les employés des commissariats d'arrondissement à la pension de retraite. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Leep, inventeur d'un procédé de conservation pour les tableaux, demande que le gouvernement lui confie des toiles pour être soumises à son procédé.»
- Même renvoi.
M. de Renesse demande un congé de six jours.
- Accordé.
M. de Roo, rapporteur. - Plusieurs négociants en bois et entrepreneurs de Bruges et de Liège demandent que le ministre des travaux publics substitue le bois de chêne du pays au bois de sapin du Nord, dans l'avis qu'il a fait publier d'une adjudication de 50,000 billes pour la construction du chemin de fer, fixée au 10 février prochain.
La chambre ayant demandé un prompt rapport sur ces pétitions, notamment avant le 10 février prochain, jour de l'adjudication projetée, c'est ce rapport que j'ai l'honneur de vous faire, messieurs, au nom de la commission des pétitions.
(page 632) La commission est d'accord avec les pétitionnaires qu'il ne faut point chercher ailleurs ce que l'on a beaucoup mieux chez soi. Il est actuellement hors de doute, et prouvé par des essais multipliés, que le bois de chêne est celui qui convient le mieux pour la confection des billes du chemin de fer, parce que c'est celui qui résiste le plus à l'humidité du sol, surtout lorsqu'il se trouve en même temps exposé au soleil et soumis aux vicissitudes des climats ; que le bois de sapin, de quelque origine qu'il soit, n'est de bonne durée que lorsqu'il se trouve enfoui dans la terre, de manière qu'il n'est point en contact avec l'air extérieur. On pourrait fort bien s'en servir, par exemple, pour la formation de pilotis, servant de fondement aux constructions ; mais il ne peut faire le même usage, lorsque d'un côté il se trouve dans l'humidité, et de l'autre côté exposé aux rayons du soleil.
Messieurs, la preuve la plus convaincante en est le rapport de M. l'ingénieur Prisse de novembre 1842, où il dit : que toutes les essences de bois préparées par les procédés de M. Boucherie étaient altérées après un certain temps, tandis que la bille en chêne non préparée s'est parfaitement conservée, aussi bien pour la partie enterrée que pour celle exposée à l'air ; et en résumé de ses observations, que dans certaines circonstances au moins, le bois de hêtre et de peuplier préparé soit par le pyrolignite de fer, soit par des mélanges de pyrolignite et de chlorure, ne résiste pas aussi bien aux causes d'altérations que le chêne têtard bien sain.
Par sa solidité, la bille en bois de chêne est, comparativement à la bille de sapin, préférable et plus profitable au gouvernement en ce sens, que la durée en est triple de celle des billes en bois de sapin du Nord, et que la différence du prix en est tout au plus d'un cinquième ; elle a été adjugée à 5 fr. 23 c. dans la dernière adjudication, de sorte que, d'après les pétitionnaires, trois renouvellements devraient avoir lieu en bois de sapin, dans le même laps de temps que dure la bille de chêne, ce qui constitue une triple dépense de la main-d'œuvre, indépendamment des accidents qui pourraient en résulter.
Ce serait de plus, messieurs, accorder une faveur à une marchandise étrangère au détriment du produit de notre sol ; ce serait, en un mot, se rendre tributaire de l'étranger sans aucune nécessité.
Si le produit manquait, et que l'on ne pût s'en procurer, comme en Angleterre, qu'à des prix très élevés, ce serait autre chose ; mais la dernière adjudication du 9 janvier passé, de 32,000 billes de chêne, en a fait justice, et a prouvé qu'il y en avait suffisamment, puisqu'on on avait soumissionné pour plus de 116,000, et à raison de 7 centimes de moins que l'année passée.
En dernier lieu, messieurs, ce serait interdire à une quantité d'ouvriers, comme l'a dit M. de Baillet, le travail qui est si nécessaire dans les moments actuels, car un nombre assez considérable d'ouvriers s'occupent actuellement au défrichement des bois et à la formation de ces billes ; c'est un commerce qui prend une grande activité et où il y a beaucoup de concurrence ; les adjudications en font foi ; mais s'il est vrai, comme d'ailleurs on l'assure, que le gouvernement aurait interdit à la direction du chemin de fer des Flandres, l'emploi des billes de sapin du Nord, et cela probablement pour éviter les malheurs et favoriser les produits nationaux, je ne conçois pas pourquoi il agirait actuellement dans un sens inverse, en commençant notamment et pour essai par une adjudication de 50,000 billes à la fois.
La commission croit que dans l'intérêt des propriétaires, cultivateurs, commerçants et surtout des ouvriers, ainsi que dans celui du gouvernement même, et de la sécurité des voyageurs, il conviendrait d’employer la bille de chêne au lieu et place des billes de sapin du Nord. En conséquence, elle conclut au renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.
M. de Brouckere. - Messieurs, je suis loin de partager toutes les opinions émises par l'honorable rapporteur ; mais je crois qu'il est impossible de discuter ce rapport aujourd'hui, car cette discussion pourrait nous conduire bien loin. Je demande qu'elle soit remise jusqu'au moment où nous examinerons le budget des travaux publics, car alors il faudra examiner, et examiner mûrement, quel est le meilleur système, en ce qui regarde le renouvellement des billes. Vous verrez que nous serons entraînés dans une dépense très considérable pour le renouvellement des billes, beaucoup plus considérable que le gouvernement ne nous l'a jamais annoncé. C'est une question de la plus haute importance. (Interruption.)
Je sais bien qu'on va me répondre qu'une adjudication est annoncée, et qu'il y a urgence de faire connaître à M. le ministre le contenu de la pétition ; mais M. le ministre connaîtra la pétition, ainsi que le rapport, par l'insertion qui en sera faite au Moniteur ; mais je ne puis pas consentir à un renvoi de la part de la chambre, si ce renvoi implique l'approbation des considérations renfermées dans le rapport. Si l'on veut mentionner au procès-verbal que le renvoi n'implique en aucune manière l'assentiment de la chambre, je ne ferai aucune objection ; mais pour ma part, je m'oppose à ce que la chambre se prononce sur une question aussi difficile, sans une discussion approfondie.
Je demande en définitive le renvoi pur et simple de la pétition à M. le ministre des travaux publics, connue simple renseignement, et sans que ce renvoi puisse impliquer l'assentiment de la chambre.
M. de Garcia. - Je pense que la réserve est complétement, inutile. Chaque fois que la chambre ordonne le renvoi d'une pétition à un ministre, ce renvoi n'implique pas l'approbation des considérants du rapport. Souvent pareille chose a été faite sans qu'on ait cherché à en induire les conséquences que redoute l'honorable M. de Brouckere. Le contraire s'est montré dans beaucoup de nos débats. Le simple renvoi d'un rapport à un département quelconque ne doit donc, sous aucun rapport, être considéré comme entraînant une résolution sur le fond des conclusions.
M. Lebeau. - J'engagerai mon honorable ami M. de Brouckere à ne pas insister sur son observation, car le plus souvent nous renvoyons des pétitions aux ministres sans préjuger les questions qu'elles soulèvent, mais seulement pour éveiller l'attention du gouvernement.
Il s'agit ici d'une double question de solidité et de bon marché ; nous ne pouvons pas la trancher en ce moment ; mais il peut y avoir, dans la pétition, quelque partiale qu'elle puisse être pour une opinion, des renseignements qu'il est bon de mettre sous les yeux du ministre.
L'honorable M. de Brouckere ferait bien de ne pas insister sur l'insertion de la réserve qu'il propose, parce qu'à l'avenir les renvois faits sans l'insertion sembleraient impliquer un préjugé de la part de la chambre.
M. de Brouckere. - Mon but est atteint par les observations des deux orateurs qui ont parlé après moi ; je n'insiste pas.
- Le renvoi à M. le ministre des travaux publics est ordonné.
M. le président. - Cet article a été adopté sous réserve de pouvoir revenir sur l'assimilation des médecins de bataillon de première classe au grade de capitaine de 2e classe.
M. de Garcia. - C'est moi qui ai eu l'honneur de proposer cette réserve à l'article premier.
Je la crois inutile maintenant ; j'avais été induit en erreur par un tableau imprimé qui nous avait été distribué et qui contenait une erreur. C'est cette erreur qui m'avait porté à faire cette réserve.
Dans les explications que j'ai eues avec M. le ministre de la guerre, il m'a déclaré que le traitement des médecins de bataillon de première classe était assimilé à celui des capitaines de deuxième classe du génie.
Je suis donc satisfait.
M. le président. - Le premier amendement adopté est l'article 11 qui est ainsi conçu :
« En temps de guerre il pourra être dérogé, en ce qui concerne les examens, aux dispositions contenues dans les articles 4 et 18. »
M. Sigart. – Il faut ajouter aux articles 4 et 18 l'article 17. S'il ne s'agissait dans cet article que des pharmaciens, on pourrait se dispenser de le mentionner dans l'article 11, mais comme il concerne les vétérinaires qui sont soumis à des examens comme les médecins militaires, il est indispensable de les comprendre dans l'exception établie pour l'article 11. C'est d'ailleurs une faute d'impression ; j'ai revu les épreuves, j'ai corrigé deux ou trois fois et néanmoins l'incorrection est restée.
M. de Man d’Attenrode. - J'ai demandé la parole non pour modifier l'article 11, mais pour demander des explications sur l'article 4, qui est aussi relatif aux examens. En adoptant le deuxième paragraphe de l'article 4, vous avez voulu que l'aptitude des médecins de bataillon pour passer médecin de régiment fut constatée par un examen ; mais aucune disposition n'indique par qui le jury d'examen sera nommé, ni de quels éléments il se composera. Il est incontestable que ce jury doit donner des garanties d'impartialité et surtout de capacité. Il doit surtout donner des garanties de capacité, puisque, d'après l'article 3, on ne peut obtenir le grade de médecin adjoint, on ne peut entrer dans le service de santé sans être docteur en médecine et en chirurgie. Ce jury aura ainsi docteur en médecine et en chirurgie à examiner.
Je suppose donc que M. le ministre de la guerre ne fera aucune difficulté de prendre l'engagement de faire nommer ces jurys par arrêté royal et de ne composer ces jurys que d'officiers de santé, ayant le grade de docteur en médecine et eu chirurgie.
J'attends quelques explications du bon vouloir de M. le ministre.
M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Les membres des commissions d'examen sont nommés par arrêté royal ; les programmes des examens préparés pour les commissions sont soumis à la sanction royale conformément aux règlements. Je puis donc rassurer entièrement l'honorable membre au sujet des craintes qu'il a exprimées.
M. de Man d’Attenrode. - Je prends acte des paroles de M. le ministre. Je suis entièrement satisfait de sa déclaration.
Il en résulte que la commission sera nommée par arrêté royal et composée de docteurs en médecine et en chirurgie, offrant des garanties de capacité suffisantes.
- L'article 11 est définitivement adopté.
La chambre passe à l'article 14 ainsi conçu :
« Art. 14. Le service de santé de la marine est distinct de celui de l'armée jusqu'au grade de médecin de régiment inclus.
« Néanmoins les officiers de santé pourront être admis à passer avec leur grade et ancienneté du service de l'armée de terre au service de la marine et réciproquement. Ces passages se feront de commun accord entre les ministres de la guerre et des affaires étrangères.
« A partir du grade de médecin de régiment, les chirurgiens-majors de première classe seront admis à concourir à l'avancement aux grades supérieurs avec les médecins de régiment de l'armée de terre. »
- Cet article est définitivement adopté avec un changement de rédaction proposé par M. le ministre de la guerre, consistant à rédiger comme suit la dernière phrase du second paragraphe :
« Ces mutations se feront de commun accord entre le ministre de la guerre et le ministre ayant la marine dans ses attributions. »
M. le président. - La chambre n'a pas statué, je crois, sur la modification proposée par M. Sigart, à l'article 11.
M. Sigart. - Non, M. le président. Il s'agit dans cet article de (page 633) dispenser, en temps de guerre, les médecins militaires des examens. Je dis que les médecins vétérinaires sont dans le même cas que les médecins militaires. Et comme on s'occupe de l'examen des vétérinaires dans l'article 7, je crois que la mention de cet article doit être ajoutée dans l'article 11. Il était dans mon intention, lorsque j'ai rédigé l'amendement, d'y comprendre l'article 7. S'il n'y a pas été compris, c'est par la faute de l'imprimeur.
- L'article est définitivement adopté avec la mention de l'article 7.
Les articles 16, 17 et 20, amendés au premier vote, sont définitivement adoptés.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.
56 membres répondent à l'appel nominal.
52 votent l'adoption.
2 votent le rejet.
2 s'abstiennent.
Ont voté l'adoption : MM. Lange, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem, Veydt, Vilain XIIII, Brabant, Cans, Clep, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de Lannoy, Delehaye, d’Elhoungne, de Man d'Attenrode, de Meester, de Naeyer, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de T'Serclaes, d'Huart, Donny, Dubus (Albéric), Dumont, Eloy de Burdinne, Fleussu, Goblet, Henot, Jonet et Kervyn.
Ont voté le rejet : MM. Biebuyck et de Breyne.
Se sont abstenus : MM. Castiau et de Bonne.
M. Castiau. - Messieurs, j'aurais pu accepter quelques-unes des mesures proposées pour améliorer le sort des médecins militaires des degrés inférieurs, mais je ne pouvais adopter celles qui ont pour objet d'augmenter tout à la fois le personnel et les traitements des médecins militaires d'un rang supérieur, c'est-à-dire l'état-major médical de l'armée. Dans la séance d'hier vous avez entendu, messieurs, dans cette enceinte, de belles, de généreuses, de magnifiques protestations en faveur des économies et de la réduction des dépenses. Ces maximes ne sont pas nouvelles pour moi ; je les ai toujours professées et je me suis efforcé constamment de mettre mes votes en harmonie avec mes discours. J'ai constamment repoussé toutes les dépenses stériles qui me semblaient avoir pour effet de sacrifier jusqu'à certain point l'intérêt public à des intérêts individuels. C'est pour rester fidèle à ces précédents que je n'ai pu donner mon vote à la loi que vous venez d'adopter.
M. de Bonne. - Messieurs, les motifs que vient d'exprimer mon honorable collègue, M. Castiau, m'ont également déterminé à m'abstenir, ne pouvant pas diviser mon vote.
M. Lebeau. - Messieurs, je n'avais nul dessein de prendre part à la discussion générale du budget de la guerre. J'ai trop souvent eu l'occasion d'exprimer mon opinion sur l'importance d'une forte organisation militaire, pour ne pas regarder comme inutile la manifestation nouvelle d'un pareil principe. J'ai été amené à demander la parole, lorsque j'ai entendu M. le ministre de la guerre mettre en avant une proposition sur laquelle il importe ici à tout le monde d'avoir une explication catégorique. M. le ministre nous a dit que si les propositions de réduction annoncées par un de mes honorables collègues étaient admises par la chambre, il laisserait à celle-ci la responsabilité de son vote et la déclinerait complétement pour lui-même.
Le sens naturel d'une telle déclaration, bien que je ne croie pas que ce soit celui qu'y attache M. le ministre, c'est qu'il fait du maintien intégral de son chiffre une question le cabinet, car je ne comprendrais pas la situation d'un ministre qui déclarerait répudier la responsabilité de l'exécution d'un budget et qui cependant resterait ministre pour exécuter ce budget.
Ce serait là, qu'il me soit permis de le dire, un abaissement inouï des hautes fonctions ministérielles ; ce serait l'abdication de ses convictions les plus solennellement annoncées ; ce serait accepter un rôle indigne d'un conseiller de la couronne ; c'est assez dire que je crois M. le ministre de la guerre, que je tiens pour un galant homme, incapable d'accepter un pareil rôle. Il y a donc une explication à donner.
La chambre ne peut jamais être responsable de ses votes qu'autant que la majorité n'aurait pas été substituée dans l'exécution de ses décisions à un ministère qui les répudierait. Je pense donc que la chambre, accueillant tout ou partie des propositions de réduction annoncées, non cependant d'une manière absolue, par un de mes honorables amis ; si M. le ministre de la guerre consentait à exécuter le budget ainsi réduit, c'est qu'après mûre délibération il serait convaincu qu'il peut accepter ces réductions, sans exposer au moindre péril aucune des parties de son administration, et particulièrement la sûreté extérieure et intérieure. Nous aurons cependant besoin d'avoir quelques explications sur ce point.
M. le ministre des finances a exprimé hier sa surprise de l'espèce de revirement qui, selon lui, se montrait sur nos bancs à l'égard des dépenses de la guerre. A l'entendre, nous aurions été dispensateurs peut-être trop généreux des deniers du contribuable, chaque fois qu'il s'était agi des dépenses relatives à la guerre. Et aujourd'hui, par une contradiction que M. le ministre des finances ne pourrait pas s'expliquer, nous serions tout à coup passés dans le camp de ceux qui veulent, sous ce rapport, des économies quand même.
Je crois que nous sommes restés parfaitement conséquents, et que nous demeurerions parfaitement conséquents avec nous-mêmes, si, après avoir coopéré de tous nos efforts et de nos votes à établir l'armée sur un pied respectable, nous venions, eu égard à des circonstances toutes spéciales, non pas ébranler par nos votes la base de l'armée, mais ajourner à des temps meilleurs quelques dépenses variables de leur nature, et qui auraient plutôt un caractère d'utilité que de nécessité.
A mon tour, si je voulais manifester quelque surprise de certain revirement, je pourrais aussi m'étonner de la conduite et du langage de l'honorable M. Malou. Un ministre, homme de cœur et de conscience, et qui l'a prouvé en payant de la perle de son portefeuille la fidélité à ses opinions, l'honorable général de Liem, disait, dans une circonstance analogue à celle où se trouve M. le ministre de la guerre actuel, qu'il regardait comme incompatibles avec le bien du service, avec le maintien des cadres de l'armée, avec la sûreté du pays, les réductions annoncées alors par M. le rapporteur de la section centrale ; et malgré les déclarations si consciencieuses et si solennelles de M. le ministre de la guerre de cette époque, qui faisait de son opinion une question de cabinet, l'honorable M. Malou n'a pas hésité à adopter les propositions faites par la section centrale et à abattre du coup le ministre de la guerre.
Je pourrais dire aujourd'hui que les temps sont aussi bien changés, et que c'est M. Malou, aujourd'hui ministre, qui se montre un des plus larges en faveur des dépenses du budget de la guerre.
M. le rapporteur de la section centrale, qui a paru adresser à mon honorable ami une accusation à peu près de la même nature que celle de l'honorable M. Malou, a aussi coopéré, malgré les déclarations solennelles de M. le général de Liem, à lui faire expier sa fermeté à défendre ses opinions, par la perte de son portefeuille.
Ainsi donc si nous faisions descendre la discussion jusqu'à ces récriminations dont je suis fâché qu'un ministre du Roi ait, comme cela arrive trop souvent, donné l'exemple, vous voyez que nous pourrions faire perdre à la chambre beaucoup de temps, et que les avantages seraient tout au moins balancés.
Je vous prie de remarquer que dans les observations présentées par mon honorable ami, dans les réductions qu'il a paru croire possibles, il n'y a rien qui s'adresse à ce qui doit être immuable dans l'armée ; rien ne s'adresse à l'organisation, aux cadres ; tout est respecté, sous ce rapport ; et moi-même, non plus que mon honorable ami, nous n'avons jamais prétendu, et cela ressort évidemment des explications que l'honorable M. Rogier a été appelé à donner hier ; nous n'avons jamais prétendu qu'il fallût, sans égard aux circonstances, fixer immuablement l'allocation de l'armée, comme on a fixé la liste civile.
Je ne suis pas plus de l'avis de ceux qui voulaient fixer le chiffre de l'armée à 25 millions de francs que de l'avis de ceux qui voudraient le porter à 30 millions.
Mais il est désirable qu'une dépense aussi considérable que celle de l'armée ne soit pas sujette à des fluctuations, à moins que les circonstances ne l'exigent impérieusement. Il est certain qu'une institution dont les dépenses sont annuellement débattues, perdrait quelque chose de sa considération, de son respect dans l'opinion par de tels débats. Il est évident que si chaque année nous débattions ici les traitements de la magistrature, des hauts fonctionnaires, de nos agents diplomatiques, il est évident que la considération de toute cette catégorie de fonctionnaires perdrait quelque chose à de tels débats ; il est donc désirable, mais désirable comme des hommes sensés peuvent le vouloir, autant que les circonstances le permettent, que les dépenses de l'armée soient autant que possible renfermées à peu près dans le même cadre.
Messieurs, on vous l'a dit avec raison, s'il y a une dépense peu populaire dans le pays, s'il y a une dépense peu comprise encore, c'est celle qui résulte de l'entretien d'une armée sur un pied respectable. Pour beaucoup d'esprits, il en est encore de l'armée, comme il en est, dans une classe considérable de la population, de la prime d'assurance contre l'incendie. Par cela qu'on a vu pendant de longues années sa maison et celle de son voisin être préservées du sinistre, on s'imagine que ce sinistre ne viendra jamais nous atteindre, et que la prime d'assurance est une véritable déception. Il y a quelque chose de cela dans la manière d'envisager l'existence de l'armée. Le budget de l'armée est la prime d'assurance du pays, et je crois que le pays est encore un peu sous ce rapport comme une partie de la population à l'égard de la prime d'assurance contre l'incendie.
Ainsi donc, les observations de mon honorable ami sont pleines de justesse et témoignent, au lieu de sentiments d'hostilité à l'égard de l'armée, de toute sa sollicitude pour cette institution. Sous ce rapport, je partage ses sentiments.
Il y a pour l'armée, comme pour toutes les autres parties de notre administration générale, ce qu'on peut appeler les dépenses nécessaires, et ce qu'on peut appeler les dépenses utiles. Dans les temps ordinaires, dans les temps de régularité financière, je suis non seulement partisan des dépenses nécessaires, jamais je n'ai refusé de les voter, mais je suis également partisan des dépenses utiles.
Quand l'utilité d'une dépense est évidemment démontrée, il ne faut pas reculer devant les sacrifiées qu'elle entraîne. Mais les dépenses purement utiles, il est insensé de ne pas les ajourner, soit de la part du gouvernement, soit de la part d'un particulier, quand la situation financière l'exige impérieusement. Ainsi donc, il va sans dire, que nous n'entendons pas par les réductions qui pourraient être proposées, toucher à l'existence des cadres, à l'organisation de l'armée, à la partie immuable de l’institution militaire.
(page 634) En effet, comment a-t-on cherché à justifier les réductions qu'on propose ? En indiquant à M. le ministre de la guerre la voie des congés plus nombreux, plus prolongés que dans les années antérieures ; et par ce moyen, je prie la chambre de le remarquer, la réduction pourrait être considérable, parce qu'elle n'atteindrait pas seulement la masse de pain et la masse de fourrage ; mais s'il y avait congé d'une plus grande partie de nos soldats, il y aurait réduction des articles 1 et 2 de la section 2 au chapitre II ; il y aurait réduction de la solde, tant dans l'infanterie que dans la cavalerie. Or, ces articles emportent une somme supérieure à 12 millions de francs.
Je comprends, par les raisons qu'a données hier M. le ministre de la guerre, que la réduction devrait être moins forte sur la cavalerie, bien qu'il ne faille pas perdre de vue à cette occasion les observations de l'honorable M. Osy. Mais pour peu qu'on voulût diminuer l'effectif au-delà de ce qu'on a fait les années précédentes, si le bien du service n'y apporte pas un obstacle insurmontable, pour peu qu'on augmente les congés, une réduction notable pourra être faite sur quatre des plus importants articles du budget.
Quant à la question des garnisons, voyons franchement comment se passent les choses, et avouons que sous ce rapport il y a plus d'un coupable ici, et que surtout le ministre de la guerre n'est pas seul coupable. Il est peu d'entre nous qui n'aient été chargés d'intervenir auprès du ministère de la guerre pour obtenir soit une garnison, soit l'augmentation d'une garnison déjà existante ; il est très difficile de résister toujours à de pareilles obsessions ; de telles réclamations prennent aisément, aux yeux de leurs auteurs, le caractère d'une nécessité publique. Ce serait peut-être un moyen d'expier le tort auquel plusieurs de nous se sont laissés aller avec une trop grande complaisance, que de mettre, par une décision significative, M. le ministre en garde contre le danger de ces obsessions ; je ne suis pas certain que nous n'aurions pas rendu ainsi un grand service à M. le ministre de la guerre, tout en en rendant un très grand à M. le ministre des finances.
J'ai parlé de dépenses nécessaires et de dépenses utiles. Je crois que les dépenses qu'entraîne tous les ans l’établissement d'un camp sont très utiles ; mais sont-elles tellement nécessaires qu'on ne puisse les ajourner d'une année, quand le pays est, sous le rapport financier, dans la situation que vous connaissez ?
Il est une autre question qui a une haute importance et qui est restée depuis 15 ans sans solution. Cependant la décision de cette question peut avoir une influence notable sur notre système de défense, et sur les dépenses de l'armée ; je veux parler de nos places fortes auxquelles se rattachent les dépenses relatives au matériel du génie et de l'artillerie ; et jusqu'à certain point les dépenses du personnel de ces deux armes. Il y a là une très grave question à résoudre. Quelles sont les forteresses que nous garderons ? Garderons-nous toutes nos forteresses ? Questions qui doivent être, qui doivent avoir été l'objet de la sollicitude de tous les ministres de la guerre, questions sur lesquelles aucune solution n'a été jusqu'ici présentée !
Ainsi nous sommes appelés tous les ans à voter des dépenses d'entretien, peut-être des dépenses d'amélioration et à voter la solde des hommes nécessaires pour garder le matériel de ces places fortes ; tous les ans nous sommes appelés à voter, de ce chef, des sommes considérables, et il se pourrait qu'après examen fait au département de la guerre, la plupart des places pour lesquelles nous votons des sommes considérables dussent être démolies. La question même a passé du domaine de l'intérieur dans le domaine de l'extérieur ; la diplomatie s'est occupée de la question des places fortes, le gouvernement belge a pris des engagements solennels à cet égard.
Quand les faits sont venus ainsi à la connaissance de tous, il est plus que temps que le gouvernement vienne exprimer une opinion ; qu'au moins il examine mûrement la question de savoir d'abord s'il est en droit, s'il se croit en droit de conserver toutes les places fortes, ensuite quel est, sous le rapport stratégique, le degré d'utilité qu'il y a à les conserver en tout ou en partie. Jusque-là les chambres seraient exposées à voter en pure perte des sommes considérables. J'appelle sur ce point l'attention la plus sérieuse du gouvernement et de la chambre.
Il est évident, en tous cas, que la question des forteresses, par la manière dont elle sera résolue, exercera de l'influence sur le chiffre et la dépense du personnel et du matériel du génie et de l'artillerie ; cela est évident.
C'est par ces considérations que je voudrais qu'on ajournât encore la plupart des dépenses qui ne sont pas absolument indispensables à la conservation des forteresses.
Puisque je suis arrivé à cette partie du budget de la guerre, je dirai un mot d'une autre dépense qui peut avoir un caractère d'utilité, mais qui n'a pas, à mes yeux du moins, un caractère d'urgence. Je veux parler des travaux projetés pour la forteresse de Diest.
Certainement, au point de vue de la défense extérieure, l'urgence de ces dépenses est très contestable.
Quand même je m'associerais aux prévisions quelque peu sombres de M. le ministre des finances, quand je croirais que l'horizon politique est sur le point de s'obscurcir, que nous sommes à la veille de graves événements, je ne serais pas encore frappé de l'urgence d'établir, d'achever du moins une forteresse à Diest. Ce n'est pas là, je crois, que serait le plus grand danger. C'est plutôt là qu'au jour du péril, il faudrait voir l'allié naturel de la Belgique. Planant au-dessus de l'horizon de quelques passions contemporaines, qui, je l'espère, ont en grande partie cessé d'exister, il faut voir l'intérêt vrai des deux pays ; l'indépendance de l'un doit nécessairement s'appuyer sur l'indépendance de l'autre. C'est là une politique permanente et séculaire.
Il y a une idée de réduction qui n'est pas populaire, et qui serait peut-être combattue par ceux mêmes de mes honorables amis, qui considèrent le budget de la guerre à peu près comme un ruineux hors-d'œuvre. C'est l'idée d'une réduction quelconque sur la solde. J'ai l'habitude, quand une idée se présente à moi, d'examiner ce qu'elle vaut par elle-même ; et, qu'elle soit populaire ou non, je l'appuie, quand je la crois bonne et digne d'être recommandée à l'attention du gouvernement.
J'ai entendu des personnes qui portent un vif intérêt à l'armée, qui ont une sollicitude paternelle pour le soldat, exprimer des doutes sur la nécessité de conserver intacte la solde actuelle ; je leur ai entendu dire qu'il était parfois arrivé de voir, à leur grand regret, le soldat avoir outre ce qu'exigent sa nourriture et son vêtement, de quoi s'enivrer. J'ai entendu dire cela à des généraux dont la sollicitude pour le soldat était, je le répète, vraiment paternelle.
Je ne veux pas insister en ce moment sur cette idée ; mais je la recommande aussi à l'examen impartial et courageux de M. le ministre de la guerre.
Je ne terminerai pas sans adresser à M. le ministre une question que j'ai déjà adressée plusieurs fois à ses honorables prédécesseurs.
Il existe dans le pays une société d'encouragement pour le service militaire, c'est-à-dire une société dont l'objet est de fournir des remplaçants. Je n'ai pas à examiner si elle fait de bonnes affaires, si, en se faisant donner jusqu'à 16 à 17 cents francs pour fournir un remplaçant qu'elle paye d'ordinaire, dit-on, de 7 à 8 cents francs, elle entend bien ou mal ses intérêts en même temps que ceux de l'armée et du public. C'est son affaire ; comme société indépendante, elle échappe à ma censure. Mais je demande s'il est vrai qu'il y ait dans cette société des actionnaires appartenant à l'armée. Je demanderai spécialement à M. le ministre de la guerre s'il est à sa connaissance qu'il y ait des officiers généraux possédant des actions dans cette société ? S'il en était ainsi, je crois que ce serait là un grave abus, parce que, quelle que soit l'impartialité dont on soit doué, le désintéressement dont on soit animé, il n'est pas toujours bon d'être ainsi placé entre son devoir et son intérêt
J'ai entendu dire que, depuis quelques années, presque tous les remplaçants qui sont produits sans passer par l'intermédiaire de la société d'encouragement, alors même qu'ils ont été acceptés par les députations provinciales, sont presque systématiquement renvoyés, quand ils arrivent au corps.
Voilà ce que j'ai entendu dire de diverses parts.
Si ce fait est réel, il ferait planer sur la tête de ceux qui seraient appelés à statuer sur l'admission ou le rejet des remplaçants, des soupçons incompatibles avec la considération dont ils doivent jouir aux yeux de leurs inférieurs. Aux yeux de leurs inférieurs, ils peuvent passer, en quelque sorte, pour des trafiquants de ceux-ci.
J'appelle sérieusement sur ce point l'attention de M. le ministre de la guerre.
Si cet abus existe, je concevrais difficilement que l'on pût donner pour sa justification quelques explications plausibles.
Le fait a existé. J'ignore s'il existe encore. Mais partout il a soulevé une réprobation dangereuse pour la considération de nos officiers supérieurs.
M. le ministre de la guerre (M. Prisse). - Je remercie l'honorable M. Lebeau de m'avoir offert l'occasion de donner quelques explications sur les paroles que j'ai prononcées hier.
Dans cette dernière séance, un des honorables membres de l'assemblée, en interprétant mes paroles, a dit que je semblais menacer l'assemblée. Messieurs, selon moi, en présence d'une assemblée aussi respectable, la menace ne convient, à personne, et bien moins encore à quelqu'un arrivé depuis bien peu de temps devant le parlement, et arrivé aussi tard. Ce serait, de ma part, un parfait ridicule que d'employer la menace. Rien n'est plus loin de mes intentions.
Je voudrais expliquer les paroles que j'ai prononcées hier, et qui, je dois le dire, n'ont pas été favorablement interprétées.
L'honorable M. de Brouckere avait dit : Il faut forcer le ministre de la guerre à des réductions.
Ces réductions, messieurs, devaient porter sur l'effectif de l'année. Or, dans mon opinion, comme dans celle de mes honorables prédécesseurs, cet effectif ne peut être diminué du jour au lendemain. Je ne puis pas dire aujourd'hui que je vais demain diminuer l'effectif de l'armée.
J'ai dit hier, messieurs, et je vais tâcher de m'exprimer d'une manière qui, aujourd'hui, rende plus exactement mes idées ; j'ai dit que si la chambre jugeait à propos de proposer des réductions, je les examinerais, je verrais jusqu'à quel point il m'était possible de les accepter ; mais que parvenu à la dernière limite que je pourrais admettre en mon âme et conscience, si l'on voulait la franchir, je me retirerais ; j'aime mieux me retirer que d'occuper un poste que je ne crois pas pouvoir remplir convenablement. Mais je ne crois pas qu'il y ait là apparence de menace ; je n'y ai pas songé.
Messieurs, à propos de la diminution de l'effectif, je n'ai traité qu'une seule face de la question. On a examiné l'effectif sous le rapport du service (page 635) actuel, du service qu'il est appelé à rendre tous les jours pendant l'année.
Mais il y a, messieurs, un autre service à attendre de l'effectif que nous conservons sous les armes, c'est l'instruction des classes de la milice, que, d'après nos lois, nous devons recevoir tous les ans dans les cadres de l'armée et instruire.
Vous savez, messieurs, que si l'armée devait être mise sur le pied d'observation ou de guerre, il faudrait rappeler huit classes. Or, messieurs, d'après la manière dont notre loi de milice est établie aujourd'hui, nous avons deux classes qui ne sont pas instruites, et c'est précisément pour parer à ce grave inconvénient, à cet inconvénient qui vient affaiblir tout le mécanisme de notre organisation militaire en temps de guerre, que la chambre est saisie d'une loi qui tendrait à nous fournir le moyen de donner l'instruction à toutes les classes de la milice.
Messieurs, je vous le demande, si je consentais à une diminution d'effectif qui pût nuire à l'instruction des classes que l'on recevra dans le courant de l'année, si dans deux ou trois ans ces classes venaient à être appelées sous les armes, et qu'elles ne fussent pas suffisamment instruites pour entrer en campagne, pour faire le service qu'on aurait le droit d'exiger d'elles, tout le monde dirait avec raison : C’'est la faute du général Prisse ; pourquoi a-t-il diminué l'effectif ? On pourrait tout au plus répondre : Il en a conservé assez pour monter la garde ; mais il devait en conserver aussi pour l'instruction.
Messieurs, ce sont ces considérations qui m'engagent à prier la chambre de ne rien changer à ce qui existe.
On dit qu'il faut des économies. Messieurs, je suis dans l'intention de réaliser toutes celles qui seraient possibles. Je comprends très bien qu'on puisse en opérer, comme je l'ai dit hier, en appelant plus tard que d'habitude les miliciens sous les armes, si les circonstances le permettent ; en les renvoyant plus tôt si les progrès de leur instruction le permettent également. Mais je ne puis dire dès aujourd'hui si les circonstances me laisseront cette faculté. Puis-je davantage dès aujourd'hui deviner en combien de temps ils seront instruits. D'un autre côté, si au moment ou ces soldats seront sous les armes, il arrive une implication politique que je ne prévois pas (interruption), alors nous serons là, mais, messieurs, mon budget sera voté.
L'honorable M. de Brouckere disait hier encore : On promet des économies ; mais quand les ministres ont de l'argent, ils le dépensent.
Messieurs, il y a, si j'ai bonne mémoire, quinze jours que le département de la guerre a versé au trésor, sur le budget de la guerre de 1844, 1,055,000 fr. d'économie, et sur celui de 1845 j'espère verser bientôt 350,000 fr. ; eh bien ! réunissez ces deux sommes et vous avez à peu près ce que je suis obligé de vous demander maintenant par suite du renchérissement des denrées alimentaires.
Messieurs, je vous demanderai la permission devons soumettre encore un renseignement.
J'ai décomposé ce matin le chiffre des trois derniers budgets ; les budgets de 1845, 1846 et 1847. Voici les résultats que j'ai trouvés.
Le budget de 1845 est de 28,022,000 fr.
Celui de 1846 de 28,519,000 fr.
Celui de 1847 de 29,400,000 fr.
J'ai déduit de ces sommes les dépenses nécessaires pour la gendarmerie, le pain et les fourrages, et j'ai obtenu les résultats suivants :
Il reste :
Pour 1845, 22,245,115 fr.
Pour 1846, 22,246,790 fr.
Pour 1847, 22,300,296 fr.
De façon que l'augmentation ne serait pour 1847, que de 54,000 fr.
Dans cette augmentation de 54,000 fr. que présente le budget de 1847, figurent une somme de 25,584 pour le service de santé, somme que vous venez d'accorder, et 18,000 fr. pour les vivres de campagne.
Vous voyez donc bien, messieurs, que dans la rédaction du budget qui est soumis à la chambre, j'ai eu égard à toutes les économies qui ont été faites avant moi. Je m'y suis maintenu, et je persiste à croire qu'il n'y aura pas moyen, dans ce moment-ci, que je consente à aller au-delà, dans les prévisions mêmes du budget. Ainsi, par exemple, s'il m'est possible de n'appeler sous les drapeaux, qu'au 1er avril, les miliciens qui doivent venir au mois de mars, il en résultera une économie de 150 à 180 mille francs ; mais dire maintenant que j'accepte une réduction, que j'en détermine le chiffre, cela m'est impossible.
Messieurs, puisque j'ai obtenu la parole, je tiens à donner quelques explications à l'honorable M. de Brouckere, en réponse à l'interpellation qu'il m'a adressée hier.
Hier, à la vérité, je n'avais pas le rapport de la cour des comptes sous les yeux ni présent à la mémoire. J'en ai pris ce matin connaissance.
Dans ce rapport, la cour des comptes adresse des observations au département de la guerre, parce que dans les budgets globaux ou à l'occasion de crédits provisoires, les dépenses ne sont pas réglées par arrêté royal. Il semblerait que dans l'opinion de la cour des comptes tout doit être en pareille circonstance réglé par arrêté royal.
Messieurs, du moment où vous accordez un budget global, c'est, si j'ai bien compris les intentions de la chambre, afin que le ministre puisse opérer des économies en transférant d'un chapitre du budget sur l'autre, l'argent qu'il a pu épargner sur certains articles. Mais si vous n'astreignez pas le ministre à suivre, chapitre par chapitre, article par article, les prescriptions du budget et que la cour des comptes veuille opérer de son côté en exigeant des arrêtés royaux, ce que vous ne faites pas, ce n'est plus un budget global qui est accordé au ministre de la guerre.
Hier je me suis trouvé un moment embarrassé lorsque cette interpellation m'a été faite, c'est parce que je me disais : Ai-je donc oublié, dans une circonstance quelconque, de demander un arrêté royal ? J'ai examiné la question, et je puis maintenant expliquer clairement comment j'ai procédé : je n'ai pas demandé d'arrêtés royaux pour les dépenses réglées par les lois ou les règlements organiques de l'armée ; j'en ai demandé pour toutes les autres. Qu'il me soit permis de faire observer que je suis arrivé au ministère le 31 mars, et que dès le 18 avril j'avais obtenu un arrêté royal pour faire droit aux observations de la cour des comptes ; le 25 du même mois, j'obtenais, dans le même but, un second arrêté royal ; le premier concernait la solde des soldats disciplinaires du camp de Beverloo ; le second, l'indemnité accordée aux officiers instructeurs de l'artillerie.
J'ajouterai qu'en 1846, il a été pris, relativement aux dépenses de la guerre, 21 arrêtés royaux, et que 18 de ces arrêtés m'appartiennent. Je crois donc avoir fait tout ce que la cour des comptes pouvait désirer, et j je regrette de ne pas avoir été informé que cette interpellation me serait adressée ; je me serais mis en mesure d'y répondre immédiatement, et je n'aurais pas fait perdre du temps à la chambre.
L'honorable M. Lebeau m'a demandé ce que je comptais faire quant au camp de Beverloo. Messieurs, si la situation était parfaitement tranquille, je conçois qu'à ce point de vue on admette la possibilité de ne pas réunir les troupes comme on le fait tous les ans au camp de Beverloo. Dans tous les cas, je considère cette mesure comme excessivement nuisible et fâcheuse pour l'armée.
Nous avons tous les ans, messieurs, quelque avancement, autant du moins que l'état de paix peut le comporter ; eh bien, le camp est une excellente école pour les officiers et sous-officiers, et ceux qui ont passé d'un grade à l'autre sont heureux d'aller au camp de Beverloo faire, dans leur nouvelle position, preuve des connaissances qu'ils possèdent ou acquérir celles qui leur manquent. Le camp a surtout cet avantage d'accoutumer le soldat aux pratiques, de lui faire apprécier à peu près ce que peuvent être celles de la guerre.
Le camp est un excellent moyen d'instruction pour l'armée, pour les officiers supérieurs et généreux surtout, et il serait extrêmement regrettable de devoir interrompre sa période habituelle, ne fût-ce que pour un an. D'ailleurs, une fois cet antécédent posé, je ne sais pas où l'on s'arrêterait, car il est très possible que l'année prochaine les circonstances soient encore difficiles.
L'honorable M. Lebeau m'a également demandé quelle était l'opinion du département de la guerre, quant aux forteresses. Il est inutile de faire observer à la chambre quelle est la gravité de cette question. Quant à moi, je demanderais à ne l'envisager que dans les rapports avec mon ministère. Je m'en suis occupé dès le jour même où je suis arrivé aux affaires et je puis certifier que tous les renseignements possibles ont été demandés et recueillis par moi.
La question des forteresses de notre frontière méridionale est restée en suspens depuis seize ans bientôt qu'existe le traité qui les concerne.
La Belgique n'a, quant à présent, aucun intérêt qui puisse l'engager à hâter une décision sur ce point délicat.
Les forteresses dont il s'agit ont été construites à une époque peu éloignée ; elles sont dans une situation telle que le pays n'a pas de dépenses à faire pour en maintenir les fortifications dans un état convenable pour leur défense éventuelle.
C'est là, messieurs, un fait dont la seule inspection du budget peut vous convaincre ; aucune somme n'y est demandée pour l'entretien ou les réparations des fortifications de ces places.
Toutes les sommes demandées pour ces forteresses sont affectées soit à l'entretien des bâtiments militaires qui conserveront leur valeur et leur utilité, même en cas de démolition des fortifications, soit à l'entretien des communications publiques auquel il devrait être pourvu par d'autres moyens, soit enfin aux travaux à faire pour mettre en rapport des terrains dépendant des places, et qui sont ainsi productifs pour le trésor.
Il a été démontré, dans la discussion de la loi d'organisation, que la conservation ou la suppression de ces places ne peut avoir aucune influence sur la force et la composition de l'armée à réunir en temps de guerre.
Il est facile de voir aussi que l'effectif de l'armée sur pied de paix n'est pas affecté non plus par la présence ou l'absence de ces places.
En effet, cet effectif dépend de deux éléments entièrement étrangers à la question qu'on vient de soulever.
Ces éléments sont :
D'une part, la force des levées à réunir annuellement pour l'instruction du contingent de l'armée, qui dépend lui-même de l'effectif normal du pied de guerre et de la loi sur la milice.
D'autre part, de la proportion à observer entre l'effectif du pied de paix et celui du pied de guerre pour que le passage de l'un à l'autre puisse se faire avec la facilité et la célérité nécessaires.
Ainsi donc, la question qu'on soulève n'a, en réalité, aucun rapport ni avec l'effectif de l'armée, ni avec les dépenses à faire pour le matériel de la guerre ; et il n'existe, comme je l'ai déjà dit, pour la Belgique, aucun motif pour prendre aujourd'hui une décision que les divers cabinets (page 636) qui se sont succédé depuis quinze ans ont reculée jusqu'à ce jour. Tandis que les raisons qui ont pu engager le gouvernement à ne pas soulever jusqu'ici un incident qu'il faut aborder avec réserve, ont conservé toute la force, si même elles n'ont pas depuis gagné une force nouvelle.
Après avoir abordé la question des forteresses en général, l'honorable M. Lebeau m'a fait quelques interpellations relativement à la place de Diest. Je demanderai à ne lui répondre que lorsque nous serons arrivés au chapitre des forteresses parce que je ne suis pas seul à devoir traiter cette question.
L'honorable baron Osy m'a demandé hier si nous ne pourrions pas faire ce qui se pratique en Prusse pour les chevaux de l'armée. Messieurs, notre organisation militaire ne ressemble nullement à celle de la Prusse. En Prusse, le gouvernement choisit chez les habitants les chevaux dont il croit avoir besoin pour l'armée ; il paye de ces chevaux un certain loyer pendant qu'il en fait usage ; il les restitue lorsqu'ils ne lui sont plus nécessaires et, quant à ceux qui sont tués ou qui périssent, il rembourse la valeur du dommage occasionné ; chez nous, au contraire, les chevaux de l'armée appartiennent à l'Etat, et je crois que si le gouvernement les plaçait chez nos paysans, on leur ferait très rudement gagner leur nourriture. De sorte que je ne saurais approuver une semblable mesure. Du reste, je crois qu'en Prusse même on y a renoncé depuis l'établissement des grands dépôts de remonte.
En ce qui concerne le remplacement, je suis véritablement fâché d'apprendre ce que l'honorable M. Lebeau vient de nous dire quant à la société qui s'en occupe. J'ai été absent du pays pendant 7 ou 8 ans, et je ne suis pas au courant de ce qui peut s'être passé à cet égard. Je prendrai des renseignements, et si l'abus existe, je serai certainement le premier à employer tous mes efforts pour le faire disparaître.
M. Brabant. - Il paraît, messieurs, que si le budget de la guerre était resté au chiffre de 28,150,000 fr., comme il avait d'abord été proposé par le gouvernement, il aurait éprouvé peu d'opposition de la part d'une certaine partie de la chambre. L'opposition est née particulièrement de l'augmentation proposée en section centrale, et qui s'élève à 1,355,000 fr.
Messieurs, je ne croyais pas qu'en présence des circonstances où nous nous trouvons, du prix excessif auquel les denrées sont arrivées, cette augmentation souffrirait la moindre difficulté. Comme l'indique le rapport et comme le disait hier M. le ministre de la guerre, la ration de pain, primitivement calculée à raison de 16 centimes, est maintenant portée à 21 centimes, et je souhaite que ce prix puisse suffire. Les rations de fourrages sont augmentées peut-être dans une proportion aussi forte.
Mais, messieurs, est-il possible a l'armée, est-il possible à M. le ministre de la guerre de paralyser l'effet de l'intempérie des saisons, d'éviter les fléaux dont la généralité du pays se trouve frappée ? Divers moyens ont été proposés à cet égard, et celui sur lequel on a le plus particulièrement insisté, consiste dans la réduction de l'effectif des troupes.
Messieurs, l'effectif des troupes n'a pour ainsi dire jamais été un objet de contestation dans cette chambre. J'ai été longtemps rapporteur du budget de la guerre ; j'ai fait au budget une guerre sérieuse, et je n'ai pas toujours été vaincu ; mais jamais mes attaques n'ont porté sur les effectifs proposés par le gouvernement ; mes attaques portaient sur l'exagération des cadres à mon point de vue ; et la loi que vous avez votée en 1845 a maintenu ces cadres ; j'ai combattu cette loi, j'ai voté contre, mais je m'y soumets.
Peut-on réduire l'effectif des troupes, tel qu'il est aujourd'hui proposé par M. le ministre de la guerre ?
Et d'abord, messieurs, je le comparerai, en partie du moins, avec les effectifs qui ont été proposés antérieurement et qui ont très peu varié depuis 1840.
L'infanterie vous est proposée pour une force de 19,366 hommes (sous-officiers, caporaux et soldats). Eh bien, messieurs, moi qui faisais une si rude guerre au budget et notamment en 1843, je maintenais, sans compter quelques petits corps, tels que les compagnies de discipline et les compagnies sédentaires ; je maintenais dans les régiments 19,648 sous-officiers et soldats, c'est-à-dire qu'il y avait à peu près 300 hommes de plus que n'en demande M. le ministre de la guerre.
J'ai dressé dans le temps les tableaux de l'effectif d'année en année ; il n'y a eu que très peu de variations, et ces variations devaient être à peu près insaisissables, parce qu'avec les effectifs demandés, nous n'avons que ce qui est rigoureusement nécessaire pour dégrossir en quelque sorte nos miliciens. Adressez-vous aux officiers, et pas un seul qui ne vous dise que la durée du service effectif est trop courte et qu'il est impossible de former un soldat en aussi peu de temps.
Eh bien, messieurs, supposez qu'au moyen d'une réduction sur l'infanterie, on veuille faire disparaître l'augmentation de 1,355,000 fr. qui a été proposée à la section centrale par M. le ministre et qui a été adoptée par elle. Le soldat d'infanterie nous coûte année commune 320 fr. Il est vrai que mon compte est fait sur une ration de pain de 16 c., tandis qu'aujourd'hui elle est de 21 ; la différence ne sera pas bien grande, du reste. J'ai négligé dans les calculs quelques chiffres qui feront compensation.
Je n'ai calculé que sur une augmentation de 1,300,000 fr. ; je divise par 320 fr., et je trouve qu'il faudrait supprimer 4,062 soldats d'infanterie. Voilà quel serait le résultat de cette réduction sur les compagnies.
Nous avons 16 régiments d'infanterie ; 2 régiments ont un effectif un peu plus fort que les autres, mais 14 régiments présentent 44 fusiliers et chasseurs. Eh bien, la diminution de 4,000 hommes réduirait la compagnie à moins de 30 fusiliers ou chasseurs ; et vous auriez alors un cadre de 3 officiers, de 16 sous-officiers, caporaux et tambours pour un effectif de 30 hommes.
Dans le temps (au moins depuis 1840), toute la discussion du budget roulait constamment sur la nécessité d'entretenir des cadres aussi nombreux que ceux que nous entretenions et que le pied de guerre nous avait légués. J'ai rencontré pour adversaire principal l'un des honorables membres qui ont occupé une grande partie de la séance d'hier.
On a été jusqu'à m'accuser d'avoir voulu désorganiser complétement l'armée. (Interruption.) Je suis charmé, M. Rogier, que ma mémoire me trompe ; dans tous les cas, je ne vous aurais pas su mauvais gré de cette accusation ; dans la chaleur de la discussion, il peut nous échapper une parole que nous ne prononcerions pas à tête reposée.
J'aurais donc désorganisé l'armée, si mon système de cadres avait été adopté. Messieurs, il y a deux moyens de désorganisation ; il y a désorganisation en supprimant des cadres nécessaires, ce dont j'ai été accusé ; il y a ensuite désorganisation en rendant inutile ce qu'on laisse exister.
Eh bien, c'est ce dernier genre de désorganisation qu'on amènerait par la réduction qui est proposée.
Messieurs, on n'est pas capitaine, lieutenant, sous-lieutenant ou sous-officier, parce qu'on a l'épaulette ou les galons du grade. On ne rend véritablement les services des grades que quand, par l'habitude constante du commandement et des relations avec la troupe, on se met à même d'employer utilement l'autorité du grade ; et, chez la plupart, cette autorité, cette aptitude ne résultent que de l'exercice constant des fonctions qui sont dévolues au grade.
Eh bien, messieurs, l'aptitude au commandement ne s'acquiert que quand il est exercé sur un nombre d'hommes suffisant ; tous les auteurs militaires que j'ai lus s'accordent à regarder l'effectif, tel qu'il est aujourd'hui, comme un effectif insuffisant. Je suis persuadé que si j'en appelais aux militaires, tant dans cette chambre qu'au dehors, tous diraient qu'une compagnie d'infanterie de 54 hommes est une dérision de compagnie.
Ainsi donc, je vois un très grand danger dans la réduction qui est proposée ; mais, dit-on, à défaut de ce faire, vous grevez le trésor public d'une dépense considérable qui n'est pas en rapport avec vos recettes, vous allez avoir un déficit.
Messieurs, il est une chose qui doit exister à tout prix ; c'est le droit, et le droit, sans la force pour l'appuyer, est une dérision.
M. Lebeau. - C'est vrai !
M. Brabant. - Il faut qu'à côté du droit se trouve la force suffisante pour lui prêter l'appui matériel dont il a souvent besoin.
Ainsi donc le maintien d'une armée est une chose indispensable ; elle doit être maintenue coûte que coûte. On peut différer sur son importance ; on peut différer sur les sommes à lui allouer ; mai j'ai cru longtemps, je crois encore aujourd'hui que notre état militaire a été réglé sur un pied trop fort. J'ai combattu pendant nombre d'années pour le ramener à un chiffre moins élevé que celui d'aujourd'hui ; j'ai été vaincu, je me soumets.
Je prendrai, à tout risque, la responsabilité absolue, la responsabilité unique du travail qui a été proposé en 1843 par la section centrale. C'était moi seul qui l'avais fait ; mes collègues avaient seulement eu la confiance d'y donner leur assentiment. Nous ne proposions pas un budget, mais la somme de 27 millions pour faire face aux besoins du service de l'année 1843, mais cette proposition se trouvait appuyée sur un détail qui se trouvait juxtaposé avec les propositions du gouvernement.
Le budget normal tel que je le concevais, tel que je crois qu'il aurait été suffisant pour les besoins de l'armée, s'élevait à 25,585,000 fr. Ce chiffre avait été établi d'après le prix des denrées d'alors. Certainement, malgré tout mon désir d'économie sur ce service comme sur les autres, je n'aurais pas prétendu que ce fût un dernier mot, qu'on ne pût dépasser en aucune circonstance ; si mes propositions avaient été accueillies par les chambres et sanctionnées par le Roi, vous auriez eu un budget normal de 25 millions 585 mille fr. ; aujourd'hui dans les circonstances fâcheuses où nous nous trouvons, les denrées étant très chères, vous auriez eu besoin, car mon effectif en chevaux et en hommes était à peu près le même que celui que propose le ministre, vous auriez eu besoin de la même augmentation de 1,353,000 fr., ce qui aurait porté votre budget à 26,936,000 fr., mettons 27 millions.
Mais, messieurs, ce budget qu'on a combattu avec ardeur, avec courage, n'a pas passé ; depuis lors, le point sur lequel je me basais particulièrement a été décidé par la loi, il n'y a plus à y revenir, du moins de fort longtemps, car je ne pense pas que des lois qui consacrent la position de citoyens nombreux et respectables puissent être remises tous les jours en question. Et le budget qu'on soutenait avec ténacité s'élevait à 29,453,000 fr.
On ne voulait pas en rabattre un centime ; c'était un budget normal, en ce sens qu'il pourrait éprouver des diminutions ou des augmentations suivant que les denrées varieraient de prix.
S'il avait été adopté, les honorables opposants d'aujourd'hui le soutenant fort et ferme avec conviction, avec talent (ils avaient raison à leur point de vue) ; s'il avait passé, vous auriez eu à une époque où la ration de pain était à 16 centimes et la ration de fourrage à meilleur marché qu'aujourd'hui, vous auriez eu un budget qui aurait surpassé les propositions de la section centrale de 52,600 fr. ; car le budget eût été de (page 637) 29,455,000 fr., tandis que celui qui vous est proposé par la section centrale est de 29,402,400 fr. Différence 52,600 fr.
Maintenant, le budget présenté en 1843 prenait les choses dans l'état où elles se trouvaient alors, la ration de pain à 16 centimes et la ration de fourrage je ne sais plus à quel prix. Ce budget adopté, continué jusqu'aujourd'hui, aurait dû subir les augmentations que nécessitent les fâcheuses circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. L'effectif étant le même pour les hommes et pour les chevaux, le même nombre d'hommes ayant droit à la ration de pain, le même nombre de chevaux devant recevoir la ration de fourrage qu'aujourd'hui, vous auriez eu aussi une augmentation de 1,355,000 fr., et votre budget de 1847 irait à 30 millions 810,000 fr. ; et, en réalité, vous auriez à payer 1,410,000 fr. de plus qu'il ne vous est demandé aujourd'hui par le gouvernement.
Messieurs, la situation financière aujourd'hui peut-elle justifier la réduction qu'on demande ? Certainement s'il y avait des dépenses facultatives il faudrait les retrancher autant que possible, car les voies et moyens sont peut-être au-dessous des dépenses ou ne les excèdent certainement que d'une très petite somme. Mais comparons la situation d'aujourd'hui avec la situation de 1845. Sans l'augmentation qui nous est proposée, il y avait balance lors de la présentation des budgets ; maintenant tous les budgets sont votés à l'exception des budgets des travaux publics et de la guerre ; je les suppose votés tels qu'ils ont été présentés ; vous avez une balance avec un léger boni. Maintenant si vous ajoutez l'augmentation demandée depuis la présentation des budgets, vous aurez peut-être un petit déficit.
Mais quelle était la situation de nos finances en 1843 ? Le budget des voies et moyens présenté par le gouvernement s'élevait au chiffre de 112,816,742 fr. ; pour arriver là on avait proposé une augmentation d'impôt, on avait adopté le système héroïque auquel on conviait hier le ministre des finances : on avait eu recours à ce système héroïque, on avait proposé 16 centimes additionnels nouveaux sur la contribution foncière et 10 centimes additionnels nouveaux sur la contribution personnelle, les patentes, les bières et les vinaigres.
C’était au moyen de cela qu'on arrivait à la somme de 112,816,742 fr. La proposition du gouvernement était tellement impopulaire (cependant les circonstances d'alors n'étaient pas aussi favorables qu'elles le sont aujourd'hui) qu'elle a été rejetée à l'unanimité de la chambre, moins les quatre ministres qui en faisaient partie ; de manière que le budget des voies et moyens s'est trouvé réduit à la somme de 109,159,053 fr. C'est la loi des voies et moyens de 1843.
Les dépenses totales de cette année-là s'élèvent à la somme de 110,522,025 fr. ; les voies et moyens étaient de 109,300,650 fr. 53 c ; il y avait donc un déficit de près de 1,200,000 fr.
Cet état était connu quand on a discuté le budget de la guerre. Le rapport que j'ai eu l'honneur de présenter porte la date du 14 mars ; la discussion a eu lieu eu avril. Toutes les prévisions étaient parfaitement connues, tous les autres budgets étaient réglés ; le budget de la guerre, tel qu'on voulait le faire adopter, donnait lieu à un déficit de près de 1,200,000 fr.
Ce n'est pas tout : il y avait alors aussi des bons du trésor, et il y en avait pour une somme supérieure à celle d'aujourd'hui. Nous avons autorisé le gouvernement par la loi des voies et moyens à émettre une somme de 19 millions maximum de bons du trésor. La loi des voies et moyens de 1845 avait autorisé le gouvernement à en émettre pour un million et demi de plus.
Je ne vois donc pas que notre situation financière d'aujourd'hui puisse déterminer les honorables membres (qui n'ont pas été effrayés de la situation de 1843) à refuser la somme indispensable à assurer le service public le plus important.
Ou a parlé du service des factionnaires, on a parlé des petites garnisons. Je vous avoue que je ne suis pas partisan des nombreux factionnaires. On apprend très peu le métier de soldat à se promener sur un trottoir ou sur une banquette de rempart, mais en supposant qu'on supprime un grand nombre de factionnaires, il ne s'ensuit pas qu'on doive supprimer un nombre correspondant de soldats. Toutefois je ne vous dirai point combien il faut d'hommes pour fournir un factionnaire, ni combien il faut de garnisons pour ce service ; cela est trop minime. Je n'ai jamais été partisan non plus des petites garnisons. Je crois que la troupe ne se forme que quand elle est en troupe, c'est-à-dire en masse.
Je voudrais que nos forteresses ne fussent pas en si grand nombre, je voudrais qu'elles fussent en nombre tel que toutes nos garnisons pussent être d'une brigade sinon d'une division ; cela dispenserait de la dépense du camp qui m'a toujours paru considérable.
Mais pour les petites garnisons, dans les villes ouvertes, dont parlait hier un honorable représentant de Bruxelles, je ne vois pas du tout que la suppression de ces petites garnisons pût réduire en rien le budget de la guerre maintenant soumis à votre examen. Quelles sont les petites garnisons de villes ouvertes ? On en a cité trois ou quatre ; il y a fort longtemps que je n'ai été dans ces parages ; mais je crois qu'à Malines, Tirlemont et Saint-Trond, il y a garnison de cavalerie. Supprimer ces garnisons, ce serait décréter la suppression des régiments ou décider qu'elles reflueront sur des garnisons plus importantes où il y a déjà de la cavalerie.
Eh bien ! la suppression de la cavalerie irait à rencontre de la loi d'organisation. Il est vrai que nous n'avons pas décidé expressément qu'il y aurait 33 ou 35 escadrons de cavalerie ; mais nous l'avons fait tacitement en admettant l'existence de 7 colonels, de 7 lieutenants-colonels et de 33 ou 35 majors.
Ainsi, l'on ne peut supprimer les régiments de cavalerie, quel profit y aurait-il à les agglomérer ? Sous le rapport de l'instruction, il y aurait, je crois, avantage ; sous le rapport de l'économie, ce serait, je crois, tout autre chose. Je n'ai pas sous les yeux le tableau des adjudications, je ne sais pas positivement si les fourrages sont plus chers à Bruxelles qu'à Malines et à Tirlemont. Mais tout me porte à croire qu'il n'en est rien. Au heu d'avoir à payer 1 fr. 56 par ration, ce qu'elle se paye à Malines, à Tirlemont et à St-Trond, vous auriez 1 fr. 70 à payer, et ce ne serait certainement pas le moyen de réduire le chiffre du budget.
Ainsi il ne nous reste que le moyen suggéré par l'honorable M. Lebeau. Il a osé encourir l'impopularité qui s'attache à certaines propositions. Eh bien je n'ai pas craint non plus, dans le temps, d'encourir cette impopularité auprès de personnes avec lesquelles j'étais plus exposé à me trouver en contact que ne l'est M. Lebeau.
Si je combats la proposition de l'honorable M. Lebeau...
M. Lebeau. - Je n'ai pas fait de proposition.
M. Brabant. - Soit, vous avez émis une idée que je combats. En la combattant je proteste expressément contre la supposition que je viserais à la popularité. Je crois que le soldat ne s'occupe guère de nos débats, et je crois qu'il fait bien de ne pas s'en occuper.
Ainsi le soldat ne saura pas que j'ai pris sa défense. En prenant sa défense, messieurs, j'obéirai à mes convictions, et je me contenterai, pour toute récompense, d'avoir fait mon devoir et d'avoir obéi à ma conscience.
Messieurs, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire tout à l'heure, le soldat d'infanterie (et vous ne pouvez guère compter que là-dessus : c'est la masse et vous n'arriverez à des réductions qu'en agissant sur le grand nombre), le soldat d'infanterie nous coûte, année moyenne, 520 fr. Si vous voulez que je vous dise la dépense par jour, un soldat d'infanterie, un soldat du centre nous coûte, lorsque le pain est à 15 c., pour solde et habillement 70 c., pour le pain 15 c. et pour le casernement 5 c., total 90 c.
Ainsi, messieurs, voilà le salaire d'un jeune homme dans toute la force de l'âge, d'un jeune homme que vous avez enlevé le plus souvent, c'est le cas de quatre-vingt-quinze sur cent, à sa famille et à ses habitudes, que vous prenez quand bon vous semble, que vous renvoyez quand bon vous semble et sans vous inquiéter de savoir s'il trouvera à gagner son pain en quittant le vôtre ; qui très souvent ne peut pas trouver d'occupation, parce que celui qui occupe un ouvrier, celui qui occupe un domestique, tient à le garder aussi longtemps qu'il a à s'en louer, et ne veut pas que, du jour au lendemain, il se trouve privé de son travail ou de ses soins.
Quant à moi, messieurs, je ne regarde pas cette journée du travail du soldat comme payée trop cher à raison de 90 c.
Mais, dit-on, plusieurs officiers supérieurs, plusieurs généraux, et de ces hommes qui portent un grand intérêt au soldat, ont dit que la solde était trop élevée. Moi, je l'ai entendu dire plusieurs fois aussi. Il n'y a qu'une chose que je n'ai pas entendu dire, c'est que la solde du général fut trop élevée. Le soldat dirait peut-être cela, s'il disait quelque chose.
Mais, malgré l'autorité de ceux qui ont entretenu l'honorable M. Lebeau et qui m'ont aussi entretenu quelquefois moi-même, je maintiens, et je crois que la chambre sera de mon avis, que 90 centimes par jour ne sont pas trop.
Remarquez même, messieurs, qu'ils sont peut-être insuffisants dans ce moment-ci. Comme je vous le disais tout à l'heure, 5 centimes ou à peu près sont affectés au couchage du soldat. Le gouvernement lui donne le pain ; c'est une somme qui est variable ; mais le soldat a, en tout état de choses, ses trois quarts de kilog. de pain. Il lui reste 70 centimes, dont partie est retenue pour l'avance que le gouvernement lui a faite en l'habillant, et partie sert à lui fournir la viande, les légumes, le sel et ces petits articles d'assaisonnement qui entrent dans la cuisine et qui servent aux soins de la propreté.
Mais il lui reste, dans les temps ordinaires, quelque chose, et on en abuse ; il y a des soldats qui s'enivrent. Je ne crois pas qu'ils s'enivreront cette année, messieurs. Le ménage absorbe presque toute la solde. Mais, pour répondre complétement à l'objection, nous ne nous bornerons pas à l'année 1847, et nous prendrons une année prospère, où la viande est à bon marché, où les légumes le sont davantage encore.
Eh bien, messieurs, si l'on veut éviter l'ivresse du soldat, il y a un moyen très simple, un moyen que le règlement d'administration prescrit d'exécuter en temps de guerre, et qui est par conséquent beaucoup plus facile à exécuter en temps de paix et en garnison : c'est de payer le soldat tous les jours. On paye tous les cinq jours, et il y a des soldats auxquels il revient jusqu'à 85 centimes au bout des cinq jours. Avec 85 centimes, je conçois qu'ils puissent s'enivrer ; mais si l'on avait tous les jours 17 centimes, ce qui est précisément le cinquième de 85 centimes, il est certain qu'on ne saurait pas s'enivrer.
Je prie M. le ministre de la guerre de prendre en très sérieuse considération l'idée que j'émets ici. Elle ne m'appartient pas dans sa généralité. M. le ministre de la guerre et tous ceux qui connaissent le règlement d'administration, savent aussi bien que moi qu'il prescrit de payer tous les jours la solde, lorsqu'on est à la guerre, et ce qui se fait à la guerre peut à beaucoup plus forte raison et avec beaucoup plus de facilité se faire, lorsqu'on est tranquillement dans une garnison.
Messieurs, on a reproché à la section centrale d'avoir purement et (page 638) simplement proposé une misérable économie de 4,000 fr. sur un article du budget. Eh bien ! oui, messieurs, nous n'avons proposé qu'une économie de 4,000 fr. et pour ma part, si je puis me trouver ici quand on arrivera à un certain article du budget, je proposerai une augmentation qui sera a peu près équivalente aux 4,000 fr. de réduction. Il s'agit d'une proposition de M. le ministre de la guerre qui a été rejetée à la section centrale et qui n'a trouvé que moi pour l'appuyer. C'est une augmentation de 2,600 fr., je crois, à répartir entre le petit nombre des professeurs civils de l'école militaire.
Comme je ne suis pas certain de pouvoir me trouver ici lorsqu'on arrivera à l'article Ecole militaire, je vais vous présenter maintenant les considérations que j'aurais à faire valoir à l'appui de l'augmentation réclamée par M. le ministre. ;
Il y a, messieurs, à l'école militaire deux examinateurs permanents et onze professeurs civils. M. le ministre de la guerre a proposé pour la plupart d'entre eux une augmentation qui va de 100 à 300 fr. Inutile de vous dire les détails.
Messieurs, le traitement le plus élevé des examinateurs et des professeurs civils de l'école militaire, est de 4,400 fr., c'est-à-dire un dixième en sus du traitement des professeurs extraordinaires dans nos universités. Mais, messieurs, veuillez prendre garde que grand nombre d'entre eux sont professeurs depuis bien longtemps, dès avant la création légale de l'école, et que suivant toute probabilité, si au lieu d'être attachés à l'école militaire, ils avaient été attachés à une de nos universités, ils seraient maintenant professeurs ordinaires et jouiraient d'un traitement de 6,000 fr.
Veuillez remarquer, en outre, que le travail des professeurs de l'école militaire est beaucoup plus considérable que ne l'est celui des professeurs des universités ; que les professeurs de l'école militaire ne reçoivent aucune rétribution des élèves, tandis que les professeurs des universités, indépendamment de leur traitement, ont encore droit aux trois quarts au moins des minervalia ; que les professeurs des universités sont, en quelque sorte, à tour de rôle, appelés au jury d'examen, ce qui leur procure encore un certain revenu, tandis qu'il est très rare qu'un professeur de l'école militaire fasse partie du jury d'examen.
Ensuite, messieurs, on peut dire qu'un professeur d'université donne à peu près 4 heures de leçons par semaine ; 4 heures de leçons par semaine pendant quarante semaines, c'est par conséquent 100 heures de leçons pour l'année.
Certainement, messieurs, ce n'est pas à cela que se borne le travail d'un professeur d'université. Quelque long temps que l'on ait passé dans la carrière de l'enseignement, le professeur qui attache quelque prix à sa réputation et aux progrès de ses élèves, doit constamment étudier ; il doit tâcher de donner de l'intérêt à ses leçons, en les rajeunissant, en les tenant au niveau des progrès de la science ; mais, messieurs, cette considération s'applique également aux professeurs de l'école militaire ; eux aussi ont des sciences qui sont en progrès, et qui sont généralement plus en progrès que ne l'est, par exemple, la science du droit.
Eh bien, messieurs, il y a des professeurs à l'école militaire qui ont jusqu'à 579 heures de travail à l'école, et celui qui en a le moins en a 230. Je me trompe, il en est un qui n'en a que 118 ; mais aussi on n'a proposé aucune augmentation à son égard.
Ce que je propose, messieurs, est une légère augmentation. Eh ! dira-t-on, quel avantage y a-t-il à accorder à ces professeurs une augmentation de 100 ou 200 fr. ? Si nous considérons le professeur qui recevra cette augmentation, si nous le considérons dans sa vie matérielle, certes l'avantage n'est pas bien grand ; mais si nous le considérons dans sa vie intellectuelle, si nous considérons sa nourriture intellectuelle, cette augmentation de 100, 200, 300 fr. lui permettrait de satisfaire un besoin bien légitime et très pressant pour tout homme adonné à l'étude ; elle lui permettrait d'acheter des livres que maintenant il ne peut, la plupart du temps, se procurer que dans les bibliothèques ; et je suis persuadé, messieurs, que vous conviendrez tous avec moi que l'on étudie avec plus de plaisir et plus de facilité dans ses propres livres que dans ceux que l'on doit emprunter.
Je bornerai là mes observations.
M. de Garcia. - Messieurs, les considérations extrêmement claires, extrêmement justes, présentées par l'honorable M. Brabant, contre les attaques qui ont été dirigées contre la section centrale, me dispensent de parler. Je ne ferais que ternir le discours lumineux qu'il vient de prononcer. En conséquence, messieurs, autant dans les intérêts du sujet que dans l'intérêt des moments de la chambre, je déclare renoncer à la parole.
M. de Tornaco. - Messieurs, dans la séance d'hier, M. le ministre des finances répondant à l'honorable M. Rogier, qui avait émis des considérations fort justes sur la situation financière du pays, s'est attaché à soutenir cette opinion que si la situation financière du pays se présente sous un aspect assez fâcheux, ce fait doit être attribué aux dépenses qui sont occasionnées par les travaux publics. M. le ministre des finances a rejeté sur l'extension qui a été donnée et que l'on menace de donner encore aux travaux publics, la situation financière où se trouve le pays.
Deux fois l'honorable ministre est revenu sur cette pensée et la deuxième fois il a été plus explicite encore que la première : il est allé jusqu'à faire allusion à certains travaux : « On demande, a-t-il dit, trois millions pour travaux à exécuter dans le passage d'une ville ; on demande six millions pour améliorer le cours d'une rivière sur une étendue de 2 lieues seulement ; c'est à ces demandes, s'est-il écrié, qu'il faut résister. » Messieurs, cette allusion de M. le ministre des finances était trop claire pour que je ne la comprisse pas ; elle était trop directement adressée à Liége pour que je consentisse à la laisser passer inaperçue.
Je remercie M. le ministre des finances d'avoir mis autant de chaleur dans son discours ; c'est probablement à cette chaleur que nous devons une déclaration, sinon un aveu. Il est donc bien établi aujourd'hui que M. le ministre des finances est contraire aux travaux qui doivent s'exécuter à la Meuse ; il est bien constaté que M. le ministre des finances s'oppose à ce que les travaux soient entrepris pour la dérivation de cette rivière. Ainsi s'explique le silence étrange qu'a gardé dernièrement M. le ministre des travaux publics lorsque je me suis permis de l'interpeller à ce sujet.
Si, messieurs, ce qu'à Dieu ne plaise, si un jour une partie de la ville de Liège est ravagée par les eaux, est engloutie sous les eaux, si un jour le commerce et l'industrie de la province de Liège viennent à chômer, les Liégeois sauront au moins, le pays tout entier, qui aura de nouvelles plaies à essuyer, à cicatriser, saura à qui il devra s'en prendre.
Je tenais, messieurs, à prendre acte de cette déclaration de M. le ministre. Je ne veux pas non plus laisser passer sans les contredire ses opinions économiques prises dans un sens général.
Messieurs, il est déplorable de voir à la tête des finances d'un pays un ministre qui approuve invariablement les dépenses ordinaires et improductives des budgets, et qui s'oppose aux dépenses extraordinaires et productives, comme celles que nécessitent les travaux publics.
Il y a pourtant, messieurs, une distance prodigieuse entre les dépenses de l'une et de l'autre catégorie.
Les dépenses ordinaires des budgets constituent une rente à charge du pays, une rente perpétuelle, qui ne diminue jamais, qui va plutôt toujours croissant, qui n'est jamais remboursée. Au contraire, les dépenses extraordinaires, telles que celles qui sont imposées au pays pour travaux publics, sont passagères et se remboursent par elles-mêmes, et impriment le mouvement au commerce et à l'industrie en augmentant la richesse nationale.
Dans la catégorie des dépenses improductives, qui pèsent sur le contribuable d'une manière funeste, et sans compensation aucune, je rangerai les dépenses excessives du budget de la guerre, dépenses auxquelles on demande encore un surcroît cette année-ci.
Messieurs, plusieurs honorables membres ont pensé qu'il y avait des moyens d'empêcher que ces dépenses supplémentaires, qui sont provoquées par des circonstances extraordinaires, n'aient lieu. Je partage l'opinion de ceux qui pensent que ce surcroît de dépenses peut être évité par une diminution de l'effectif des cadres.
L'opinion de l'honorable M. Brabant ne m'a pas fait changer d'avis ; je reconnais qu'il y a de la justesse dans les observations qu'a faites cet honorable membre qui, du reste, a étudié particulièrement le budget de la guerre. Mais, il y a ceci à répondre, que si on diminue l'effectif des cadres, cette diminution n'aura lieu que pour une année. Nous ne sommes pas obligés de maintenir toujours les cadres dans cette position-là. Ce qui est essentiel, c'est de ne pas augmenter la dépense dans une année calamiteuse comme celle-ci.
Messieurs, on dira que la dépense qui est réclamée par M. le ministre de la guerre et qui a pour cause le renchérissement des denrées alimentaires et des fourrages ne sera que momentanée.
Cela est vrai ; mais elle n'en établirait pas moins un précédent fâcheux au budget de la guerre. Tout à l'heure M. le ministre de la guerre citait des dépenses qui avaient été faites les années précédentes ; eh bien, dans l'avenir on s'appuiera aussi sur les chiffres proposés, si on les introduit au budget ; il importe que l'augmentation demandée n'entre pas au budget. En effet, tous ceux qui, comme moi, sont partisans des économies, reconnaîtront avec moi que quand une fois un chiffre a été introduit au budget, on a bien de la peine à l'en arracher, à l'en extirper. Une fois que les dépenses ont été votées, qu'un chiffre a été porté au budget, nous ne parvenons jamais à le réduire. L'expérience de chaque année confirme ce que j'ai l'honneur d'avancer.
Messieurs, pour répondre aux observations qui avaient été présentées sur la diminution de l'effectif, M. le ministre des finances a fait allusion à la situation politique du pays. J'ai vu le moment où cet honorable ministre allait entamer la question des mariages espagnols ou même celle de Cracovie.
Je regrette que M. le ministre des finances n'ait pas jugé convenable d'empiéter sur une discussion qui s'ouvre à une tribune voisine. Mais puisqu'il faisait allusion à la situation politique du pays, il me semble qu'il aurait bien dû nous faire connaître ses sujets de crainte. Pour ma part, je n'ai aucune appréhension quant à la situation extérieure du pays. Depuis 1830, nous avons été témoins d'événements beaucoup plus graves que ceux qui se sont passés récemment, et la paix a été conservée.
Ce que je crains beaucoup plus que les conséquences de la suppression de Cracovie, c'est la position déplorable des classes laborieuses de notre pays. Epargnons l'argent du contribuable, pour venir au secours de ces classes laborieuses, pour leur donner du travail qui lui profite et qui profite en même temps au pays.
Messieurs, l'objection qui a été faite encore à la diminution de l'effectif des cadres, a été tirée de la grande quantité de miliciens que réclame la garde de nos forteresses et du matériel qui y est renfermé.
Je crois que c'est celle objection qui a provoqué la question de l'honorable M. Lebeau. La question des forteresses se présentait tout naturellement après une objection semblable. J'insiste pour ma part sur les (page 639) considérations si vraies que l'honorable M. Lebeau a développées. Il me semble que la question des forteresses doit être résolue d'une manière quelconque. Elle est pendante depuis 1831, il est singulier que le gouvernement ne s'en occupe point, non pas d'une manière théorique, mais d'une manière pratique. M. le ministre de la guerre a dit tout à l'heure qu'il importait peu que la question des forteresses reçût une solution dans ce moment. Je ne saurais être de son avis. Il me paraît que cette question devrait être résolue aujourd'hui que nous jouissons de la paix, que les esprits sont calmes, plutôt que dans un autre temps. Nous ne pouvons pas prévoir les circonstances où nous nous trouverons dans l'avenir ; il est prudent de résoudre aujourd'hui une question aussi délicate que celle des forteresses.
D'ailleurs, d'autres considérations militent en faveur de la solution immédiate de la question. La dépense qu'occasionne la conservation des forteresses et du matériel qui s'y trouve, est assez considérable.
Eh bien, si les chambres, d'accord avec le gouvernement, reconnaissaient que quelques-unes de ces forteresses doivent être démolies, il résulterait de cette démolition une économie qu'il conviendrait de réaliser au plus tôt.
De deux choses l'une : ou toutes les forteresses seront conservées, ou quelques-unes seront démolies. Dans le premier cas, il importe que la question soit promptement résolue, pour qu'on apporte à la conservation de ces forteresses tous les soins qu'elle réclame ; dans le second cas, il importe que la démolition ait lieu sans retard, afin que le pays profite au plus tôt de l'avantage qui en résultera.
M. Castiau. - Messieurs, j'avais demandé la parole pour répondre à une opinion exprimée, dans cette enceinte, par un homme dont j'admire le talent autant que j'estime le caractère, par l'honorable M. Lebeau ; c'était à l'occasion des réductions qu'il proposait sur la solde du soldat. Je regrettais de me trouver en dissentiment avec cet honorable membre sur cette question, et je me proposais, pour répondre à son observation, de placer en présence de la solde du soldat, qui est de 5 c. par jour, le traitement d'un lieutenant général qui ne s'élève pas à moins de 16,900 fr., et cependant, l'honorable membre n'avait pas proposé de réduction sur cet énorme traitement.
L'honorable M. Brabant, qui vient de venir en aide à ma mémoire, m'a devancé ; il vous a présenté les observations que j'avais à vous soumettre ; il l'a fait d'une manière si complète, si décisive, si convaincante, que j'ai assez de foi dans l'esprit de haute justice et d'impartialité de l'honorable M. Lebeau, pour penser qu'il abandonnerait en ce moment cette proposition de la réduction de la misérable solde du soldat, quand on respecte le gros traitement de l'officier supérieur.
Il ne me reste maintenant qu'a applaudir aux sentiments exprimés dans la dernière séance. Jamais, en effet, la cause des contribuables n'avait trouvé des défenseurs aussi nombreux, aussi chaleureux ; jamais on n'avait démontré avec tant de force dans cette enceinte la nécessité de renoncer à de vieilles traditions de prodigalité et de rentrer enfin dans un système d'économie et de réduction de dépenses ; j'aurais donc applaudi de tout cœur à la manifestation de ces sentiments ; j'y aurais applaudi surtout quand j'en avais retrouvé la chaleureuse expression dans la bouche de l'honorable M. de Brouckere. C'était de sa part, qu'il me permette de le lui dire sans le désobliger, une sorte de conversion, c'était pour l'opposition tout entière l'occasion d'entrer dans une phase nouvelle et de prouver qu'elle savait défendre la cause des intérêts matériels, la cause des contribuables, comme elle avait su défendre jusqu'ici nos droits et nos institutions.
Mais, si c'est avec bonheur que j'applaudis à ce que j'ai cru pouvoir appeler la conversion de M. de Brouckere, je ne me sens pas disposé à traiter avec autant de faveur la conversion de M. Malou ; c'est tout autre chose que celle dont je viens de parler ; M. Malou est un converti, mais qu'il me permette de le dire, un converti au culte des faux dieux. Quand il était membre de l'opposition, car il a été membre de l'opposition pendant quelques mois, M. le ministre des finances était à la tête des membres qui réclamaient le plus fortement des économies et des réductions de dépenses ; il était intraitable et inflexible en matière de finances ; c'était un radical enfin, une sorte de Brutus financier.
Brutus est devenu ministre ; alors tout a changé ; il vient bien encore se livrer à de chaleureux mouvements oratoires pour défendre la cause des économies ; mais chaque jour les actes donnent aux paroles le plus éclatant démenti. Il est maintenant d'une merveilleuse souplesse ; il semble offrir à qui la veut la clef du trésor ; il prodigue et jette les millions avec la même facilité que ceux dont il déplorait, dont il attaquait jadis la gestion ; on pourrait croire qu'il a trouvé cette fois la pierre philosophale et lui appliquer ce vers connu :
« Sous ses heureuses mains le cuivre devient or. »
Malheureusement il n'en est point ainsi ; quand nous signalons les dangers de notre situation financière, quand nous rappelons l'élévation de la dette flottante et l'élévation de notre budget qui s'est élevé de 30 millions en quinze ans, que fait M. le ministre ? Il détourne les yeux de ce tableau et nous envoie voyager en France et en Hollande.
Vous avez une dette flottante de 25 millions ; la France, nous dit-il, a une dette flottante de 500 millions ; vous vous plaignez de l'élévation de notre budget, mais le budget de la Hollande est plus considérable que le nôtre ! Voilà qui est consolant pour la Belgique.
Est-ce que par hasard l'état de la France et l'état de la Hollande sont des états modèles ? Mais la France se débat dans des embarras financiers dont elle aura de la peine à se tirer. C'est là que les profusions gouvernementales se sont déployées avec une effrayante prodigalité, car le budget de la France, qui était de 900 millions en 1829, ne tardera pas à atteindre le chiffre énorme de 1,500 millions.
La Hollande a un budget plus élevé que le nôtre, et elle a moins de population. Mais vous le savez, c'est son énorme dette qui est la cause principale de l'élévation de son budget, et si elle a moins de population que nous, elle n'a pas, du moins, le quart de sa population porté sur les listes de la bienfaisance publique.
Etrange consolation dans tous les cas, pour nous, que la misère ou les embarras des autres ! Pour toute réponse, j'engage M. le ministre à méditer ces deux vers des Femmes savantes :
« Quand sur une personne on prétend se régler,
« C'est par le beau côté qu'il faut lui ressembler. »
Puisque j'en suis à mes réminiscences poétiques, permettez-moi, messieurs, une dernière citation :
« Quand Auguste avait bu, la Pologne était ivre, » a dit je ne sais quel poète. Quand M. le ministre des finances est confiant, content et heureux, la Belgique doit partager le contentement et le bonheur de M. le ministre.
Plus que jamais M. Malou paraît enchanté de son portefeuille. Le banc des ministres, qui était jadis un banc de douleur, semblerait devenu pour lui un lit de roses ; il s'y prélasse avec délices ; il en savoure avec bonheur toutes les jouissances et toutes les senteurs. Nos plaintes le fatiguent ; nos réclamations l'ennuient. Tout est bien ; nous sommes dans le meilleur des mondes possible, et il n'y a plus lieu de nous occuper de notre situation financière.
Pourquoi donc cette incroyable quiétude ? M. le ministre des finances a résolu le grand, le difficile problème de l'équilibre financier ! Mais comment a-t-on jusqu'ici résolu ce problème ? Par l'établissement d'impôts nouveaux et, il faut le dire, par l'augmentation de l'impôt le plus odieux et le plus immoral qu'il y ait en Belgique, par l'augmentation de l'impôt sur le sel. Mais cet équilibre financier, ce n'est, vous le savez, qu'une illusion, qu'un mensonge, car à la suite du magnifique équilibre de M. le ministre marche un déficit chaque jour grandissant. Il est aujourd'hui de 25 millions, avant la fin de la session il sera de 30 millions peut-être.
Mais qu'importe ! nous disait hier, avec sa confiance ordinaire, M. le ministre des finances ; ce déficit, nous l'éteindrons en partie du moins ; avec les ressources qui nous restent, nous pourrons le diminuer de moitié et le réduire à 15 millions.
Qu'importe ? dirai-je à mon tour. Cette réduction ne sera qu'éphémère, et pour l'obtenir nous aurons épuisé toutes nos ressources. En suivant les mêmes errements, en affichant la même prodigalité, nous en reviendrons au point de départ, et nous nous retrouverons en présence d'un nouveau déficit aussi effrayant.
Oui, messieurs, tels ont été jusqu'ici les résultats pratiques et les plus positifs du gouvernement représentatif, en Belgique comme dans les autres pays. Des déficits, puis des emprunts et des impôts pour les couvrir, puis encore des déficits nouveaux, voilà la voie dans laquelle nous avons marché jusqu'ici. Il semble que ce soit pour ce gouvernement qu'ait été imaginée la fable du tonneau des Danaïdes. Le tonneau des Danaïdes aujourd'hui, c'est la caisse du trésor. On y jette chaque année plus de cent millions ; ces millions disparaissent et s'engloutissent ; c'est à recommencer tous les jours. C'est un travail sans fin, et il en sera ainsi aussi longtemps que la responsabilité ministérielle sera un mensonge. Pour le combler, ce gouffre toujours béant du déficit, il faudrait des exemples ; il faudrait, qu'on me pardonne la métaphore, trouver au ministère un nouveau Curtius pour s'y précipiter, ou appliquer à nos ministres cette loi romaine qui, pour les dommages causés, voulait que le débiteur payât « aut in œre aut in cute ».
Aussi, M. le ministre, malgré l'assurance avec laquelle il nous parlait de notre situation financière, a-t-il dû convenir que les moyens ordinaires ne suffisent pas pour couvrir le déficit. Il a assuré que pour y parvenir il faudrait employer le moyen qu'on vient d'appeler héroïque, l'augmentation des impôts. C'est hier que cet aveu lui est échappé.
Vous vous rappelez, messieurs, que nous avons été privés hier, pendant une partie de la séance, du plaisir de posséder M. le ministre des finances. On le cherchait partout, on ne le trouvait nulle part. Qu'était-il devenu ? Toujours disposé à mal penser des ministres, j'en étais à supposer que M. Malou savourait toutes les douceurs du farniente d'un ministre qui vient d'obtenir son budget. Ingrat que j'étais ! Pendant que je l'accusais, M. le ministre voulait bien s'occuper de nous et du bonheur de la Belgique ! M. le ministre des finances était absorbé dans de profondes méditations ; en proie à toutes les tortures du travail et de la pensée, noyé dans un déluge de documents et de livres de toute nature : il étudiait la grave question des impôts.
Il évoquait devant lui tous les grands ministres du siècle passé ; il se drapait en Colbert, il se posait en Mazarin. Il apprenait de ces grands hommes l'art si difficile de pressurer, d'épuiser le contribuable sans le faire crier, et même en le faisant chanter, ce qui est le sublime du genre et le triomphe, on le sait, qui flattait le plus Mazarin.
Malheureusement, l'on peut pressentir déjà le résultat du travail intellectuel qui absorbe tous les instants du ministre des finances ! Hélas ! nous connaissons son programme en matière d'impôts. Croyez-vous qu'il apporte quelque innovation au détestable système d'impôts qui nous régit ? Mais, il s'est déjà prononcé, à diverses reprises, pour l'immobilité absolue en matière d'impôts. N'attendez donc pas ne lui qu'il (page 649) vienne enfin vous présenter un loyal système d'impôt sur la richesse, sur le luxe, sur le revenu.
Mais il s'est déjà soulevé d'indignation contre la pensée d'un pareil système d'impôt. Il n'est donc plus d'espoir. Soyez-en sûrs, les impôts auxquels il donnera la préférence ne seront pas des impôts sur le superflu, et sur la richesse. Ce seront encore des impôts sur le nécessaire et sur le travail de la classe inférieure, ce seront des impôts aussi iniques qu'immoraux.
Aussi le cœur lui manque-t-il au moment d'apporter à cette tribune le résultat de ses méditations !
Dans son cabinet, il est d'une hardiesse qui va jusqu'à la témérité. C'est le Napoléon des finances, rédigeant avec son regard d'aigle le plan de sa campagne financière. S'agit-il au contraire d'appliquer ses idées et ses plans ? Il hésite, il tremble, et il se réfugie derrière le prétexte commode de l'opportunité. Le moment n'est pas venu de révéler au monde ses sublimes combinaisons ; il faut attendre.
Oh ! je comprends parfaitement ces craintes et ces hésitations : les circonstances sont inopportunes pour la présentation de nouveaux impôts. Oui je conçois parfaitement que si, à la veille des élections, on voulait établir une aggravation des charges publiques, il y aurait soulèvement général de tous les contribuables et que ce soulèvement s'étendrait jusque dans les bourgs-pourris, qui subissent, avec le plus de résignation, l'influence électorale du ministère et de ses partisans.
Puis, qui sait ? quelque assurance qu'il affecte, je doute que M. le ministre ait grande confiance dans l'étoile du ministère. Déjà peut-être il fait en pensée ses préparatifs de départ, et il ne serait pas fâché sans doute de léguer cet immense embarras à ses successeurs.
Ce serait un malheur, un grand malheur pour eux que cette nécessité d'aggraver les charges publiques ; quel que soit, en effet, le parti qui aura le triste courage d'aggraver encore notre détestable système d'impôts, qu'il se nomme catholique ou libéral, il finira, je le crois, par tomber frappé au cœur par l'impopularité et les résistances publiques.
M. le ministre des finances en sait quelque chose, car il a, sur ce point, une érudition toute particulière : il vous a présenté un jour l'historique des nombreux soulèvements populaires, que ces brûlantes questions d'impôt ont excités dans le pays. Il y a là d'éloquentes leçons pour lui, pour son parti, pour tous les hommes politiques enfin. Que tous les partis les méditent donc, ces grandes leçons ! Si l'on n'y prend garde, si l'on augmente imprudemment des charges déjà impopulaires, il viendra un temps où les questions d'impôts reviendront ce qu'elles ont été déjà, des questions de révolutions.
Vous le voyez, messieurs, je parle ici dans toute l'indépendance de mes convictions. Je crois avoir le droit de dire la vérité dans cette enceinte à tous les partis. J'ai cru devoir critiquer avec franchise les écarts de notre régime financier, et ces interminables prodigalités dont les chambres comme les ministères nous ont donné jusqu'ici l'exemple. J'avais le droit peut-être de le faire ; car, depuis que je suis dans cette enceinte, j'ai refusé de m'associer à toutes ces mesures qui, en créant des charges disproportionnées avec nos ressources, ont créé tous les embarras de notre situation financière. J'étais venu à la chambre pour y défendre, autant que possible, une cause trop souvent oubliée, celle des contribuables. Je me suis efforcé de remplir loyalement ce mandat, et de mettre mes votes en harmonie avec mes paroles. C'est ainsi, qu'on me permette de le rappeler, que j'ai repoussé la loi d'organisation de l'armée.
Je l'ai fait, parce que je trouvais que dans un pays, condamné à la loi humiliante de la neutralité, il ne fallait pas donner à nos cadres des proportions exagérées, et affecter à la dotation de l'armée le tiers du revenu de nos contributions.
Je me suis élevé surtout contre cette loi, parce que je prévoyais que ce n'était là qu'une partie du sacrifice qu'on nous demandait pour l'armée, et qu'à un chiffre majoré viendraient encore se joindre de nouvelles exigences.
C'est toujours sous l'inspiration de la même pensée que j'ai repoussé l'augmentation de traitement réclamée pour nous tribunaux et nos cours d'appel. J'ai repoussé la création de toutes les sinécures et l'accroissement exagéré de tous les traitements. Je n'ai cessé de protester contre toutes les dépenses inutiles ; et chaque année, bien régulièrement, je suis venu voter contre tous nos budgets sans exception. Je l'ai fait parce qu'on retrouve dans tous nos budgets cet esprit imprudent de prodigalité qui nous a conduits en quelques années à de perpétuels déficits, et ce qui est aussi grave, à la nécessité d'écraser le contribuable sous le poids de charges nouvelles.
Si je m'élève avec autant de force contre le déplorable système de profusion suivi jusqu'ici, si j'ai toujours voté contre toutes les dépenses improductives qui, pour servir quelques intérêts individuels, retombaient en lourdes charges sur le pays, c'est que je prévoyais qu'après avoir voté si facilement tant de dépenses inutiles, le jour viendrait où la chambre, effrayée de toutes ses concessions, en arriverait au point de devoir refuser les dépenses nécessaires et dont le vote devrait être pour elle l'accomplissement d'un devoir.
C'est ainsi que c'est à peine si j'ose aujourd'hui rappeler à son souvenir une cause bien digne d'intérêt, celle de miliciens victimes de l'ophtalmie militaire. Ils ont contracté l'infirmité au service, ils ont perdu la vue est avec la vue tous leurs moyens de travail et d'existence. Ils ont réclamé et placé leur réclamation sous le patronage de la chambre.
Eh bien ! jusqu'ici l'administration de la guerre s'est montrée impitoyable pour la plupart d'entre eux, et je ne sais s'il existe ,au budget de cette année, une allocation pour venir à leur secours et acquitter la dette de la justice et de l'humanité.
C'est ainsi encore que je ne sais trop comment vous parler aujourd'hui d'une autre pétition qui aurait également obtenu les sympathies de la chambre, celle des réfugiés polonais.
Cette pétition, que tant de faveur environnait d'abord, avait été renvoyée à la section centrale du budget de la guerre, sans doute pour y faire droit.
Cette pétition, qu'est-elle devenue ? On ne nous en a pas présenté le rapport et, en parcourant tout le travail de la section centrale sur le budget de la guerre, je n'y rencontre aucune trace de cette introuvable pétition.
Je me trompe, messieurs ; tout à la fin du rapport, au chapitre des dépenses imprévues, je trouve quelques lignes qui pourraient bien s'appliquer à cette pétition qu'on semble avoir voulu étouffer comme s'il s'agissait d'un manifeste incendiaire. Les voici :
« L'attention du gouvernement comme celle de la section centrale a été attirée sur la hauteur de ce chiffre, par une pétition adressée à. la chambre et renvoyée à l'examen de la section centrale, comme commission spéciale.
« Cette pétition signale quelques circonstances extraordinaires qui peuvent donner lieu à des dépenses imprévues plus considérables que celles de l'an dernier ; elle restera déposée sur le bureau pendant la discussion du budget. »
Il faut convenir, messieurs, qu'on ne peut s'exprimer en termes plus timides, plus réservés et plus diplomatiques. Pendant un instant, j'ai cru que le passage du rapport écrit en style d'oracle avait été rédigé par un des chefs de notre école diplomatique, peut-être par un aspirant à la succession politique de l'honorable M. Dechamps, que je vois là tranquillement assis sur son banc, sans se douter du danger qui le menace.
Et cependant, messieurs, l'honorable rapporteur de la section centrale n'est pas un diplomate ; il n'aspire pas, je crois, à la succession bientôt vacante, j'espère, de M. Dechamps ; c'est un magistrat, il est vrai, mais c'est un magistrat qui auparavant a été soldat et qui, lui aussi, pourrait prendre pour devise : « Non solum toga !» que dis-je ? messieurs, c'est l'un des débris de nos vieilles phalanges ; c'est un guerrier qui a promené les aigles impériales dans toutes les capitales de l'Europe ; c'est un homme enfin qui joint a ses souvenirs de gloire militaire la vaillance chevaleresque du sang castillan qui coule dans ses veines.
Eh bien ! messieurs, c'est le représentant de la gloire de l'empire dans cette enceinte, c'est peut-être un descendant du Cid ou des Abencérages qui n'ose pas, je ne dis pas exprimer une opinion sympathique à la Pologne, mais prononcer ce mot de Pologne et rappeler une pétition en faveur des enfants de cette nation héroïque !
Comment expliquer, comment justifier cet incroyable silence ? L'honorable rapporteur aura craint peut-être, en nous parlant de cette pétition, d'exciter les susceptibilités et la colère des grandes puissances européennes. Qui sait ? il aura peut-être redouté pour la Belgique le sort de Cracovie, car je ne puis croire qu'il ait eu un seul instant la pensée que, par suite de son rapport, la Belgique se verrait forcée de déclarer la guerre à la Russie et d'en faire la conquête !
Ainsi, M. le rapporteur craint l'immense retentissement de notre modeste tribune, quand, chez un peuple voisin, la tribune parlementaire est encore toute brûlante des paroles de feu qui en sont descendues pour stigmatiser des attentats sur lesquels ici l'on voudrait jeter le voile de l'anonyme !
Mais faut-il donc rappeler à M. le rapporteur qu'il ne s'agit ici ni de provocations hostiles, ni même d'une démonstration politique ? Il s'agit purement et simplement de venir au secours de malheureux réfugiés. Est-ce que par hasard la Belgique serait descendue tellement bas qu'elle ne pourrait plus exercer un acte d'humanité sans l'assentiment de l'empereur de Russie ou du roi de Prusse ?
J'insiste donc, en terminant, pour avoir des explications explicites sur cette pétition. Je les demande au nom de la chambre qui l'avait appuyée. J'espère que M. le rapporteur voudra bien me les fournir ces explications et qu'en le faisant, il ne se croira pas exposé au danger de compromettre le salut du pays et de devoir déclarer la guerre aux trois grandes puissances européennes, dont il semble redouter la colère.
M. le président. - La parole est à M. Orban.
M. Orban. - Je me proposais de parler sur la question du remplacement militaire. Pour ne pas interrompre la discussion générale, j'attendrai l'examen de l'article relatif aux primes de rengagement.
M. Manilius. - Messieurs, une circonstance de famille m'a empêché d'assister aux travaux de la section centrale dont j'ai l'honneur de faire partie. Plusieurs des observations que j'ai à présenter auraient pu être faites à cette section. Cependant je ne crois pas pouvoir me dispenser de les présenter.
Messieurs, la question principale que j'avais à soulever est celle relative au complément de l'organisation de l'armée. Lors de la discussion de la loi sur l'organisation de l'armée, j'ai, messieurs, insisté particulièrement sur la nécessité de réviser la loi du recrutement. Je reviens sur cette question.
Il y a, messieurs, une absolue nécessité de faire coïncider la loi sur le recrutement avec celle de l'organisation de l'armée. Il y a aussi une (page 641) nécessité de la faire coïncider avec la loi fondamentale, avec la loi constitutionnelle.
Messieurs, vous vous servez constamment de vos recrues pour l'armée permanente. Eh bien, je vais vous démontrer combien le gouvernement use mal, ou plutôt combien il abuse souvent de la loi sur la milice.
Messieurs, les miliciens, d'après la loi fondamentale, ne devaient d'abord servir que comme auxiliaires. Ils ne devaient servir que pendant cinq ans. L'article 102 de la loi fondamentale est précis à cet égard.
Je sais que la chambre a prolongé la durée du service. Elle a voté une loi qui prolonge cette durée jusqu'à huit ans, pour coïncider avec le retrait d'un huitième tous les ans. Mais, messieurs, cela n'a pas changé le caractère de la loi sur la milice.
La loi sur la milice, comme je viens de le dire, demande une révision ; elle demande une réorganisation, une régularisation.
Je crois que c'est plutôt à M. le ministre de l'intérieur qu'à M. le ministre de la guerre que j'aurai à m'adresser à cet effet ; car c'est au département de l'intérieur que se traitent les questions de milice.
Tout à l'heure, messieurs, on vous a parlé de la société de remplacement. Eh bien, la révision de la loi sur la milice vous donnerait les moyens de parer aux inconvénients dus à cette fatale société de remplacement, de parer à la fatalité du remplacement lui-même.
Car, messieurs, une bonne loi sur l'organisation de l'armée proprement dite, sur le recrutement, parerait à une foule d'inconvénients. Si vous faisiez une pareille loi, vous donneriez beaucoup d'aisance aux communes, de grands bénéfices au trésor et de grandes commodités au département de la guerre ; car il n'aurait plus à s'occuper de remplacements ; la société dont on a parlé n'existerait plus.
Messieurs, je recommande cette question à l'attention de MM. les ministres et je la leur avais déjà recommandée l'année dernière ; il paraît qu'ils ne s'en sont nullement occupés. Mais je le promets, je reviendrai la charge très souvent et jusqu'à ce qu'on s'en occupe.
Une autre observation que j'ai à faire, messieurs, est relative à la dénomination des grades.
Tout à l'heure nous avons voté une loi qui organisait le service sanitaire. Pendant la discussion, j'ai demandé à M. le ministre de la guerre de quelle manière il comptait payer le grade de capitaine qu'il assignait à une certaine classe d'officiers de santé, sans nous désigner la dénomination du grade.
M. le ministre m'a dit qu'ils seraient payés d'après la deuxième classe. Il a dit aussi que le grade de capitaine est suffisant pour qu'on puisse passer de ce grade à celui de major, sans tenir compte de la classification. Je suis heureux d'être d'accord en cela avec M. le ministre de la guerre, mais il est un cas où l'on s'est tout à fait écarté de cette idée ; ce cas, je me hâte de le dire, n'a pas été posé par M. le ministre actuel ; c'est son prédécesseur qui l'a posé.
Lorsque le général Buzen est arrivé au département de la guerre, il a proposé de rendre aux capitaines la solde dont ils avaient joui précédemment et qui avait été réduite, par un acte du congrès, à 1,200 florins ; il a proposé de la rétablir à 1,600 fl. et de fixer à l,490 fl. la solde d'une deuxième classe de capitaines ; ce sont les jeunes capitaines.
Je conçois cette distinction en ce qui concerne le traitement ; mais je ne conçois pas qu'on établisse une différence, quant aux épaulettes, entre des officiers du même grade. En effet, quel que soit le plus ou moins d'ancienneté d'un capitaine, il commande une compagnie, il est responsable de cette compagnie et il a droit à son respect. Eh bien, le prédécesseur de M. le ministre de la guerre a porté atteinte aux marques distinctives de certains capitaines, et je crois être bien informé en disant qu'il l'a fait par une simple circulaire. Un pareil acte devrait au moins faire l'objet d'un arrêté royal ; et je ne crois pas même qu'il puisse être posé en vertu d'un semblable arrêté.
Je le répète, je ne crois pas qu'on puisse, en ce qui concerne les marques distinctives, établir une différence entre des officiers du même grade. Toute la différence qu'on peut établir, c'est de donner à telle classe un traitement plus élevé qu'a telle autre et c'est ce qui existe, par exemple, pour certains généraux, qui ne touchent pas le traitement de leur grade ; il en est ainsi de ceux qui sont gouverneurs d'une province ou commandants place ; ceux-là ne touchent pas le traitement de général ; mais s'est-on jamais avisé de changer leurs épaulettes ?
Le prédécesseur de l'honorable ministre de la guerre a donc posé un acte illégal en portant atteinte à l'épaulette d'une certaine catégorie de capitaines, et sous ce rapport, il a fait un tort immense à l'armée.
En effet, messieurs, si vous voulez une bonne armée, tâchez surtout d'avoir de bons capitaines. Je crois bien que M. le ministre de la guerre n'a pas reçu de plaintes à cet égard ; on ne se plaint pas, on souffre en silence ; mais lorsque nous, représentants de la nation, lorsque nous voyons de pareils faits se produire, il est de notre devoir de les signaler et d'en réclamer le redressement.
J'ai encore une observation à faire, messieurs, relativement aux médecins de bataillon. On a retiré à ces officiers de santé, les fourrages, et je considère cette mesure comme très mauvaise.
En effet, on veut mettre le service de santé sur le même rang que l'arme du génie et on retire la ration de fourrage aux médecins de bataillon, alors qu'on la donne aux officiers du génie d'un grade équivalent, qui n'ont pas même de chevaux et qui n'en ont pas besoin. Mon intention n'est nullement de faire retirer à ceux-ci la ration de fourrage, mais je tiens à ce qu'on la donne aussi aux médecins de bataillon qui ont besoin d'un cheval, puisqu'ils doivent toujours suivre leur corps afin de pouvoir donner de prompts secours à tous ceux qui en auraient besoin. Ce que je demande pour les médecins de bataillon n'est pas un avantage pour eux ; il en résultera plutôt une charge puisqu'ils seront obligés d'avoir un cheval ; mais je le demande dans l'intérêt du service, dans l'intérêt de l'armée, parce qu'il me semble qu'un médecin ne doit jamais être séparé du corps auquel il appartient.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, quelque désir que j'éprouve d'être, en cette circonstance, agréable à l'opposition, il m'est difficile de concilier les vœux contradictoires émis par les membres qui y appartiennent.
Vous entendez d'une part l'honorable M. de Tornaco me déclarer responsable des inondations qui pourraient survenir à Liège ; d'autre part, l'honorable M. Castiau réclame des économies et m'accuser de jeter à qui la veut la clef du trésor. Si j'écoutais l'orateur qui a précédé immédiatement l'honorable M. Castiau, je n'aurais qu'à lui confier pour quelques heures la clef du trésor ; il saurait ce qu'il aurait à en faire, il y puiserait 9 millions pour la dérivation et l'amélioration de la Meuse.
Il ne faut pas, messieurs, s'exagérer le système que j'ai indiqué hier. J'ai dit ,et à cet égard j'ai une conviction profonde, que si nous ne devons pas refuser les dépenses nécessaires, nous devons tous, gouvernement et chambres (car nous sommes tous responsables de la gestion des finances de l’Etat), nous imposer une grande réserve lorsqu'il s'agit de créer des dépenses considérables et qui ne sont pas immédiatement nécessaires. Tel est le système que j'ai indiqué et j'y persiste.
L'honorable M. Castiau disait que pour empêcher cette mauvaise gestion des finances, il faudrait dévouer un nouveau Curtius, jeter dans le gouffre du déficit un ministre des finances quelconque. (Interruption.) Je ne qualifie nullement cette idée de sanguinaire. Mais, existe-t-il en Belgique une seule dépense qui n'ait pas obtenu la sanction préalable des chambres ? S'il s'agissait donc de me précipiter dans ce gouffre, je tâcherais d'y entraîner avec moi quelques-uns de ceux qui sont solidaires du déficit, qui en sont coupables comme moi, plus que moi peut-être.
Si nous ne pouvons pas rejeter des dépenses qui sont nécessaires, inévitables, à raison des circonstances où nous nous trouvons, s'ensuit-il qu'on puisse professer d'une manière absolue la théorie que, dans aucun cas, il n'y aura lieu à augmenter les ressources de la nation ?
Ici encore, j'ai à me défendre contre deux opinions parfaitement contradictoires, venues des mêmes bancs. D'une part, on me conviait d'une manière très directe à créer, dans ce moment, par l'impôt, des ressources nouvelles pour le trésor ; d'autre part, on dit que toute l'amélioration financière doit être trouvée dans les économies.
Lorsqu'à la séance d'hier, j'ai professé une opinion intermédiaire, que je crois la seule vraie, la seule nationale, je venais encore de rechercher, avec le concours notamment de plusieurs de mes honorables collègues, à résoudre la question que j'ai indiquée dans le budget des voies et moyens, c'est-à-dire, de trouver des ressources pour le trésor sans augmenter les impôts qu'on a quelquefois si durement, trop durement qualifiés ; mais en procurant au contraire, en retour d'un sacrifice léger pour tous, un grand, un incontestable bienfait. C'est ainsi que je crois concilier mes devoirs, en m'efforçant d'augmenter les ressources de l'Etat, et en ne faisant pas courir au gouvernement ce grand danger que j'ai plus d'une fois signalé, de froisser le sentiment des populations par de nouveaux impôts, surtout dans des circonstances semblables à celles où nous nous trouvons.
Je n'ajouterai qu'un seul mot sur les attaques personnelles, ou, si l'honorable M. Castiau me permet de le dire, sur les plaisanteries personnelles.
L'honorable M. Castiau me dit que le ministère actuel se trouve sur un lit de roses ; et d'autre part, vous entendez soutenir chaque jour que l'opposition au ministère actuel est tellement formidable, qu'il a si peu l'appui de la chambre et du pays, qu'il devrait abandonner la direction des affaires à la minorité.
J'ai beaucoup de peine à concilier entre elles ces assertions ; je ne croyais pas que l'honorable membre eût si modeste opinion des forces de l'opposition.
M. Castiau. - Je n'ai parlé que de l'opinion que M. Malou se faisait lui-même de sa position et de son incroyable illusion sur la stabilité et les avantages de cette position.
- La séance est levée à 4 heures trois quarts.