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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 14 décembre 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 287) M. A. Dubus fait l’appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Van Cutsem lit le procès-verbal de la séance de samedi ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Dubus présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« L’administration communale de Bickelvenne prie la chambre de voter les fonds nécessaires pour subvenir aux besoins de la classe nécessiteuse. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant des crédits pour mesures relatives aux subsistances.


« Le sieur Arens, directeur de l’école primaire supérieure de l’Etat à Virton, prie la chambre de considérer comme non avenue sa demande tendant à obtenir la place de bibliothécaire de l’assemblée. »

- Pris pour notification.


« Le sieur Eemans prie la chambre de statuer sur sa demande tendant à ce que sa pension de réforme soit convertie en pension de retraite. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le secrétaire communal de Saint-Remy-Geest prie la chambre d’améliorer la position des secrétaires communaux. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Tubise, de Clabecq, d’Oisquercq et de Virginal présentent des observations contre la demande tendant à réunir en un seul les deux cantons de justice de paix de Nivelles. »

- Renvoi à la commission des circonscriptions cantonales.


« Plusieurs fabricants de toiles demandent que les étoupes de lin et de chanvre soient prohibées à la sortie. »

M. Dedecker. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission spéciale qui a été chargée d’examiner le projet de loi sur l’exportation des étoupes.

M. David. - J’ajouterai que la commission est en train d’examiner la question, et que les pétitionnaires peuvent déjà en recevoir l’assurance par la déclaration qu’en fait à la chambre un membre de la commission.

- La proposition de M. Dedecker est mise aux voix et adoptée.


M. Cans. - Messieurs, à la séance de samedi dernier, il a été présenté une pétition du conseil communal de Bruxelles ; cette pétition a été déposée au bureau des renseignements. Je demande qu’elle soit renvoyée à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


M. de Sécus demande un congé de quelques jours, motivé sur le décès de son beau-frère, M. le baron Joseph d’Hooghvorst.

- Accordé.

Rapports sur des petitions

M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, plusieurs membres du conseil communal de Merchtem demandent que le bourgmestre de cette commune soit tenu de rendre un compte détaillé d’une somme de 13,000 fr., destinée à des travaux publics, et que la décision contraire de la députation permanente du conseil provincial soit annulée.

Les pétitionnaires, qui sont trois conseillers communaux de Merchtem, province de Brabant, donnent à la chambre le détail des démarches qu’ils ont faites pour forcer leur bourgmestre à rendre compte d’une somme de 13,000 francs mise à sa disposition pour l’exécution de divers travaux d’utilité publique ; que le bourgmestre leur aurait répondu qu’il avait rendu ce compte à l’ancien conseil communal et qu’il n’avait plus à en rendre sur cette affaire aux nouveaux conseillers ; sur ce refus, les pétitionnaires se sont adressés d’abord à la députation permanente du conseil provincial du Brabant ; que celle-ci ne leur ayant pas donné de réponse, ils ont porté leur plainte au conseil provincial même, qui n’a pas répondu davantage ; qu’à la fin ils se sont adressés à M. le gouverneur pour connaître les motifs du silence gardé jusqu’alors à leur égard ; que, pour réponse, le collège échevinal leur a écrit que la députation permanente avait décidé que le conseil communal n’avait pas le droit de se faire rendre compte du résultat de cette affaire.

Les pétitionnaires adressent à la chambre leur réclamation contre cette décision, comme contraire à l’article 69 de la loi communale, qui dit qu’aucune pièce ne peut être soustraite à l’examen des membres du conseil, contraire encore aux articles 75 et 137 de la même loi.

Ils demandent, en conséquence, la chambre, l’annulation de la décision de la députation permanente, ainsi que l’exécution de la loi communale.

Votre commission a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de l’intérieur.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.


M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, les pharmaciens des diverses villes et communes du pays demandent une loi sur la réorganisation de la pharmacie.

Messieurs, par une pétition revêtue d’un nombre considérable de signatures, les pharmaciens exposent à la chambre que, depuis la loi du 12 mars 1818, qui régit l’exercice de l’art de guérir, leur position est tellement malheureuse qu’elle est devenue insupportable, parce que, disent-ils, sous l’empire de cette loi, presque tous les médecins et chirurgiens du plat pays tiennent eux-mêmes officine et fournissent les médicaments à leurs malades. C’est de cette loi que les pétitionnaires demandent la révision, et ils la demandent depuis nombre d’années.

En effet, messieurs, à chacune de vos sessions, et même plusieurs fois par session, la commission des pétitions vous a présenté des rapports sur les demandes des pharmaciens qui réclament une nouvelle loi qui leur accorde la vente exclusive des médicaments, tant pour l’usage de la médecine humaine que de la médecine vétérinaire.

C’est pour légitimer cette prétention, c’est pour que les pharmaciens fournissent à la société la garantie qu’elle a droit d’exiger, que les pétitionnaires proposent de n’admettre à l’avenir pour l’exercice de la pharmacie que ceux qui, après avoir obtenu la candidature en sciences, auraient subi un examen public devant un jury central et auraient obtenu le grade de docteur en pharmacie.

Mais les médecins du plat-pays ont réclamé à leur tour, non seulement dans l’intérêt des malades eux-mêmes, mais encore comme un droit qui leur est garanti par la loi de 1818, de pouvoir continuer à vendre des médicaments. Sans cette garantie, disent-ils, il n’est aucun d’eux qui serait venu s’établir à la campagne ; une loi nouvelle, sans rétroagir, ne peut leur enlever ce droit, dont l’existence constitue d’ailleurs leur principale ressource, sans laquelle ils ont déclaré ne pouvoir subsister ; et puis, comme ils le disent, dans la plupart des campagnes, ce n’est pas la visite que paye le paysan, c’est la bouteille que le médecin leur fournit.

Leur enlever la vente des médicaments serait les forcer à abandonner le plat-pays, qui resterait alors sans médecin, et que feront à leur tour les pharmaciens lorsqu’ils n’auront pas d’ordonnances à exécuter, à moins qu’ils ne fassent aussi excursion dans le domaine de la médecine ?

Par ces quelques considérations, on voit que les prétentions des uns et des autres soulèvent de graves difficultés. D’un côté, on exige des études approfondies pour obtenir le diplôme de pharmacien ; dès lors on doit pourvoir au moyen de leur procurer une existence honorable ; de l’autre, il s’agit de respecter le droit que la loi a garanti aux médecins.

Déjà M. le ministre de l’intérieur a promis à la chambre d’apporter à l’examen de cette question toute l’attention dont elle est susceptible.

Votre commission a l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de l’intérieur.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées.

Projet de loi relatif à la répression de la désertion dans la marine marchande

Retrait

Projet de loi contenant le code disciplinaire de la marine marchande

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, M. le ministre des affaires étrangère et moi, nous avons été chargés par le Roi de retirer le projet de loi sur la désertion des gens de mer, qui a été déposé l’année dernière, et de présenter un code disciplinaire complet sur la marine marchande.

- Il est donné acte à M. le ministre de la justice de cet arrêté royal, il sera imprimé et distribué ; il en est de même du projet de loi, ainsi que de l’exposé des motifs qui l’accompagne.

- La chambre renvoie ce projet de loi à l’examen des sections.

Projet de loi sur la réorganisation des monts-de-piété

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je suis également chargé de présenter un projet de loi sur l’organisation des monts-de-piété.

- Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce projet de loi, qui a imprimé et distribué, ainsi que l’exposé des motifs qui l’accompagne.

La chambre ordonne également le renvoi aux sections.

Projet de Loi de crédits au département de l'intérieur pour mesures relatives aux subsistances, pour aider au perfectionner de l'industrie et pour mesures relatives aux irrigations

Discussion générale

(page 288) M. Eloy de Burdinne. - J’aurais bien désiré m’abstenir de prendre part à cette discussion. Nul de nous ne révoque en doute l’urgence et la nécessité de venir au secours des classes pauvres.

Ce n’est pas par des discours que nous soulagerons la misère publique mais bien par des actes.

Posons des actes pour soulager les classes indigentes, votons des subsides pour venir à leur secours, en leur donnant de l’ouvrage.

Pour le moment nous ne pouvons que pallier le mal, nous ne pouvons en faire disparaître la cause. Donnons au gouvernement nos idées, afin de provoquer des moyens curatifs pour l’avenir.

En suivant la ligne de conduite que nous adoptons pour deuxième fois, nous ne ferons pas cesser le mal entièrement. S’il est possible, enlevons la cause et les effets cesseront. On me dira que faire cesser la cause n’est pas chose facile ; et j’en conviens ; mais je crois qu’il n’est pas impossible de la faire disparaître, si pas entièrement, au moins en partie. Soutenir l’industrie linière, la filature à la main, est, selon moi, chose impossible au moins en grand.

L’anéantissement de cette industrie est due à l’invention de filer à la mécanique ; ce mal, si c’en est un, est sans remède.

Cet anéantissement a aussi pour cause l’usage que l’on fait des toiles de coton pour chemises, draps de lit, nappes, blouses, etc., etc., et cette toile remplace les toiles de lin, de chanvre et d’étoupes.

La misère est aussi le résultat de la cherté des vivres occasionnée par le déficit des récoltes, et nous n’en pouvons rien. Il est incontestable que la principale cause de la misère des Flandres sur une plus grande échelle que dans les autres provinces, doit être attribuée à l’anéantissement de l’industrie linière.

La même misère régnerait dans les provinces wallonnes si les industries métallurgiques se trouvaient dans la même position que l’industrie linière. Ce n’est donc pas à l’incurie des habitants des Flandres qu’on doit la fâcheuse position dans laquelle elles se trouvent. Il y a peut-être moins d’incurie dans les Flandres que dans bien d’autres localités, et j’ai été souvent à même de reconnaître cette vérité.

J’ai entendu avec peine les discours qui peuvent avoir pour résultat des divisions entre nous.

Nous sommes une petite nation qui, si elle était unie, serait forte, mais qui, désunie, finirait par cesser d’exister comme nation.

Flamands ou Wallons, nous sommes Belges, nous sommes frères, donnons-nous la main, aidons-nous les uns les autres, c’est le seul moyen de rester ce que nous sommes (une nation indépendante). Ne perdons pas de vue notre devise : l’union fait la force.

On soutient que l’industrie linière ancienne peut se soutenir. Je répondrai : oui, en petit et non en grand ; remplaçons, pour la plus grande partie, l’industrie linière par d’autres industries où les mécaniques ne puissent remplacer la main-d’œuvre en grand.

La fabrique de sucre indigène vous offre le moyen de donner à vivre à plus de vingt mille familles, etc.

En encourageant cette industrie, elle est appelée à remplacer en partie l’industrie linière.

Messieurs, je vous signalerai une industrie qui pourrait jusqu’à un certain point occuper les bras oisifs par suite de l’anéantissement de l’industrie linière : c’est de l’industrie sucrière que je veux parler. (Interruption.) Oui, cette industrie, protégée en Belgique donnerait de l’ouvrage à 20,000 familles ! En effet, n’est-il pas ridicule de notre part de donner de l’ouvrage à l’étranger, pour produire le sucre brut, quand nous pouvons le produire nous-mêmes et quand nous n’avons pas d’ouvrage pour fournir du pain à notre classe indigente ?

Avant de me rasseoir, j’ai à répondre à quelques observations faites sur la distribution des deux millions, votés pour subsistances en septembre dernier.

D’après les discours de quelques-uns de nos collègues, il paraîtrait que la province à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir a été favorisée. Je vais démontrer l’erreur dans laquelle on est tombé, et prouver que les subsides distribués à la province de Liége ont dû produire plus d’effet que dans bien d’autres provinces, dans l’intérêt général du pays.

Voyons la répartition de la somme de 1,880,720 fr. sur l’allocation de 2 millions votés par les chambres et, faisons des comparaisons :

A Anvers :

Sommes distribués pour chemins vicinaux : 28,900 fr.

Sommes distribuées comme secours : 146,433 fr., et 12,310 fr. pour Lillo

Total : 158,743 fr.

Au Brabant :

Sommes distribués pour chemins vicinaux : 16,000 fr.

Sommes distribuées comme secours : 147,040 fr.

Total : 163,040 fr.

A la Flandre occidentale :

Sommes distribués pour chemins vicinaux : 15,463 fr.

Sommes distribuées comme secours : 406,003 fr.

Total : 418,466 fr.

A la Flandre orientale :

Sommes distribués pour chemins vicinaux : 43,933 fr.

Sommes distribuées comme secours : 484,982 fr.

Total : 528,915 fr.

Au Hainaut :

Sommes distribués pour chemins vicinaux : 28,538 fr.

Sommes distribuées comme secours : 84,983 fr.

Total : 113,521 fr.

A Liége :

Sommes distribués pour chemins vicinaux : 143,384 fr.

Sommes distribuées comme secours : 21,550 fr.

Total : 164,934 fr.

Au Limbourg :

Sommes distribués pour chemins vicinaux : 47,917 fr.

Sommes distribuées comme secours : 53,810 fr.

Total : 101,727 fr.

Au Luxembourg :

Sommes distribués pour chemins vicinaux : 59,462 fr.

Sommes distribuées comme secours : 91,605 fr.

Total : 151,067 fr.

A Namur :

Sommes distribués pour chemins vicinaux : 42,000 fr.

Sommes distribuées comme secours : 38,250 fr.

Total : 80,310 fr.

N. B. La province de Liége a obtenu pour la restauration des chemins vicinaux beaucoup plus que les autres provinces ; mais par contre en secours elle a obtenu seulement 21,550 fr. quand Anvers a reçu en subsides la somme de 117,5333 fr., les deux Flandres près de 900 mille francs.

Il eût été à désirer que la plus grande partie des fonds alloués eussent été distribués et employés pour donner du travail aux classes pauvres, comme cela a eu lieu dans la province de Liége.

Les 143,384 francs lui délivrés ont donné pour résultat une dépense aux communes et à la province de plus d’un million qui a été distribué aux classes ouvrières en 1845 et 1846.

Rien que la chaussée romaine a nécessité pour la restaurer une dépense de 100 mille francs à la province. Cette restauration eût dû être à la charge de l’Etat comme monument.

En résumé, c’est du travail que nous devons donner ; c’est au moyen de subsides accordés aux communes pour la restauration des chemins que l’on parviendra à procurer du travail à la classe ouvrière.

En distribuant un million, on provoquera une dépense de plus de cinq millions en travaux utiles.

De son côté, que le gouvernement fasse construire des routes.

Plusieurs sont décrétées ; qu’elles soient mises en adjudication immédiatement ; il n’y a pas de moments à perdre. La misère réclame cette sollicitude à grands cris.

Je prie M. le ministre des travaux publics de ne pas perdre de vue la route décrétée de Hannut à Landen.

Les classes ouvrières de la Hesbaye sont aussi dans le besoin ; elles réclament leur part dans les secours que nous voterons. Elles ne demandent pas la charité, mais bien de l’ouvrage.

Il est déjà arrivé des pétitions qui réclament avec instance la construction de cette route, pour donner du travail à la classe pauvre ; car au canton de Landen, pas plus que dans les Flandres, nous n’avons d’industrie pour donner du travail aux malheureux. Là aussi sévissent la misère et la faim.

Par ces motifs, je recommande à M. le ministre des travaux publics de ne pas différer la mise en adjudication de la route de Hannut à Landen.

M. Orban. - De même que l’honorable préopinant, j’aurais voulu me dispenser de prendre part à ce débat. Je pense, en effet, qu’un vote immédiat et sous discussion, semblable à celui que nous avons émis l’année dernière, eût été de beaucoup préférable. L’on sait, en effet, que le haut prix des subsistances dans les années calamiteuses est dû, moins encore à leur rareté, qu’aux craintes presque toujours exagérées auxquelles se laisse aller l’opinion publique et qui réagissent sur les spéculations commerciales. La discussion à laquelle on s’est livré dans nos deux dernières séances n’est pas certainement de nature à calmer cette crainte et à rétablir la confiance.

Cependant, force m’est bien d’imiter l’exemple de mes honorables collègues appartenant à la province qui, après les Flandres, souffre et doit le plus souffrir de la cherté des denrées alimentaires ; je ne puis laisser s’accréditer l’opinion que les Flandres seules réclament des soulagements et doivent participer à la distribution des ressources extraordinaires que la chambre est appelée à voter.

Peu de mots me suffiront pour faire connaître la situation spéciale du Luxembourg. Vous savez que la crise des subsistances, due l’année dernière au fléau de la maladie des pommes de terre, est due, cette année, à la mauvaise récolte du seigle ; or, trois arrondissements sur cinq, dans cette province, ne produisent, en fait de céréales, que du seigle ; de sorte qu’aucune partie du pays n’est plus directement frappée que la population de ces trois arrondissements et du Luxembourg en général, par la crise actuelle des subsistances.

Pour comble de malheur, il n’existe chez nous aucune ressource, aucune occupation industrielle dont le produit puisse suppléer à la perte de tout ou partie de la récolte. Chaque habitant dans les Ardennes, à peu d’exceptions près, produit, soit au moyen de l’essartage ou de la culture de quelques ares de terre, de quoi subvenir, tant bien que mal, à l’alimentation de sa famille pendant toute l’année ; de sorte que si cette récolte vient à manquer, il ne leur reste à peu près aucun moyen d’y suppléer et de se procurer par le produit de leur travail les denrées alimentaires qui leur sont nécessaires.

Je n’essayerai pas de mettre sous vos yeux le tableau de la misère qui résulte d’une pareille situation ; le gouvernement, qui est le meilleur juge des besoins de chacun, saura l’apprécier.

Je me bornerai à indiquer en peu de mots quel est le genre de secours que nous attendons plus spécialement de la sollicitude du gouvernement.

Nous ne réclamons point pour le Luxembourg des secours gratuits, quoique dans quelques localités ces secours pourront être exceptionnellement nécessaires. Ce que nous demandons surtout, c’est du travail pour notre population sobre et laborieuse. Et le meilleur moyen de procurer ce travail, c’est d’accorder largement des subsides pour la construction des chemins vicinaux ; à la différence des sommes employées à la construction de routes ordinaires qui se dépensent sur des points isolés, éloignés des populations ouvrières, ces subsides sont appliqués dans chaque localité et sont infiniment plus profitables.

Lorsque les ouvriers doivent se déplacer pour travailler, ils sont obligés de consacrer le montant presque intégral de leurs salaires à pourvoir à leur propre subsistance, et les familles souvent nombreuses de ces ouvriers se trouvent privées des secours qui pouvaient résulter pour elles de cette main-d’œuvre.

Messieurs, en accordant à la province de Luxembourg une large part dans les sommes destinées aux chemins vicinaux, vous ferez droit aux exigences de la position toute particulière où elle se trouve pour ses chemins vicinaux.

(page 289) La province du Luxembourg est, sous le rapport du territoire, la plus étendue du pays, et, sous celui de la population, elle est la moins considérable. Sur une étendue de 400,000 hectares, elle n’a qu’une population de 180,000 habitants environ. Il résulte de là que pour pourvoir à l’exécution de ses chemins vicinaux, ses ressources sont en raison inverse de ses obligations. Elle doit relier ses villages au moyen de lignes étendues et avec les moyens d’exécution les plus modiques. Ces quelques mots prouvent combien est nécessaire une large intervention de l’Etat dans ces sortes de travaux.

Il est un second point que j’indiquerai à M. le ministre de l’intérieur comme méritant particulièrement de fixer son attention. C’est la nécessité de prendre les mesures nécessaires pour que les arrivages des grains puissent s’effectuer régulièrement et à peu de frais sur les différents points du Luxembourg.

Le commerce des grains n’existe pour ainsi dire pas dans cette partie du pays. Comme j’ai eu l’honneur de le dire, chaque individu, chaque localité, dans les temps ordinaires, pourvoit à sa subsistance par sa production. On ignore ce que c’est que s’approvisionner au marché, et moins encore ce que c’est que de faire venir des grains de points éloignés, du marché d’Anvers par exemple. Il en résulte que souvent, tandis que les mercuriales du chef-lieu de la province et des grands marchés du pays indiquent des prix modérés, ces prix s’élèvent à un taux fabuleux dans certaines localités. L’année dernière, sans la sage prévoyance des administrations communales qui se sont faites en quelque sorte marchands de grains et ont pourvu à l’approvisionnement local, une partie de la population aurait subi une véritable famine. Ce sont ces mesures si sages dont il incombe au gouvernement de recommander et de généraliser l’emploi.

Je prierai cependant M. le ministre de l’intérieur de bien vouloir éviter l’écueil dans lequel l’administration est tombée l’année dernière. On avait signalé au gouvernement le renchérissement extrême des grains et on l’avait prié de consacrer quelques capitaux à l’achat de grains sur le marché d’Anvers. Or, ces grains, messieurs, étaient surtout nécessaires dans la partie ardennaise de la province. Eh bien, au lieu de les faire vendre dans cette partie de la province, on leur a fait traverser les Ardennes et on les a conduits, en passant par Bastogne, centre de la province, sur le marché d’Arlon, qui en est à l’extrémité, c’est-à-dire à 15 ou 16 lieues de la plupart des localités à approvisionner.

Il est évident, messieurs, qu’on a pris le contre-pied de ce qui devait se faire. Si vous voulez la preuve de ce que j’avance, vous n’avez qu’à voir la manière dont les subsides ont été distribués entre les divers arrondissements, et vous verrez que celui d’Arlon, qui est le plus faible en population et le moins nécessiteux, a reçu des subsides infiniment plus considérables que ceux de Bastogne, de Neufchâteau et de Marche, où les besoins sont évidemment plus considérables.

J’espère, messieurs, que ces courtes observations préviendront le retour d’une pareille erreur.

Je bornerai là mes observations, persuadé que le gouvernement appréciera les motifs de ma réserve, qu’il saura faire une équitable appréciation de tous les besoins et qu’il ne cherchera point dans l’étendue des discours la mesure des secours à distribuer.

M. Desmaisières, rapporteur. - Messieurs, nous sommes tous d’accord, que s’il y a des souffrances à soulager dans les autres provinces du royaume, le mal est beaucoup plus intense dans les deux Flandres. Nous sommes tous d’accord aussi, à l’exception d’un seul des honorables d’orateurs qui ont parlé jusqu’ici, sur les causes des souffrances extrêmes qui affligent ces deux dernières provinces.

Je ne fais, parmi tous les orateurs qui ont parlé avant moi, qu’une seule exception, et l’honorable membre auquel je fais allusion me permettra de lui dire que son discours était plus philosophique et théorique que pratique et exact ; car, messieurs, c’est vouloir se poser en homme qui ne connaît ni l’histoire ancienne ni l’histoire contemporaine du pays, que de prétendre que les habitants des provinces flamandes, qui se sont toujours distingués par leur grande moralité, leur esprit religieux, leur catholicisme, ne se sont pas distingués aussi par le génie éminent dont ils ont fait preuve aussi bien dans les arts que dans les sciences, et surtout en fait d’industrie et d’agriculture.

Messieurs, tout le monde le reconnaît ; le paupérisme poussé malheureusement au plus haut degré, qui règne dans les Flandres, est avant tout dû à la crise terrible qui, depuis plusieurs années, est venue atteindre dans leurs moyens de travail et d’existence les travailleurs de l’ancienne industrie linière ; et à cette cause particulière aux Flandres, est venue se joindre ensuite depuis l’année dernière une cause commune à tout le au pays, l’excessif renchérissement des denrées alimentaires.

Je ne vous retracerai donc pas, messieurs, le tableau qui vous a déjà été fait par des voix, d’ailleurs beaucoup plus éloquentes que la mienne, le tableau, dis-je, de la misère qui règne dans ces provinces autrefois si riches, si heureuses et qui devaient tout à leur travail et à leur génie industriel et agricole.

Messieurs, nous sommes encore généralement d’accord sur les remèdes qu’il faut opposer à un état de choses si calamiteux ; nous différons seulement sur l’organisation, si je puis m’exprimer ainsi, de ces remèdes, mais, je le répète, nous sommes, au fond, tous d’accord, je me crois autorisé à le dire, d’après les discours qui ont été prononcés jusqu’ici, pour adopter les crédits demandés par Je gouvernement et proposés par la section centrale, avec le système de secours à donner sur le crédit de fr. 1,500,000 et celui des mesures et garanties à prendre dans l’emploi des 300,000 fr. qui sont spécialement destinés au perfectionnement de l’industrie linière.

Nous vous avons dit, messieurs, dans le rapport que nous avons eu l’honneur de vous présenter, qu’il paraissait à la majorité de la section centrale que le gouvernement et la législature doivent surtout s’appliquer et exiger même que les secours pécuniaires accordés au moyen du fonds de roulement de fr. 300,000, soient employés :

1° Au perfectionnement de la filature ancienne, que nous ne pouvons pas négliger, aussi longtemps que ses produits trouvent de nombreux consommateurs ;

2° A fournir à nos ouvriers un nouveau contingent de travail par le filage à la mécanique, afin de pouvoir satisfaire aux demandes de toiles et de tissus de lin de toute espèce ;

Et 3° à perfectionner le tissage à la main, lequel n’a pas eu à lutter jusqu’à ce jour contre le tissage mécanique, quel que fût le genre de fil qu’il mît en œuvre.

Cette opinion, chez moi, n’est pas nouvelle ; lorsque l’industrie linière à la mécanique n’était en quelque sorte qu’à sa naissance, en 1834, j’ai eu l’honneur d’exprimer cette opinion dans le rapport que j’ai fait alors au nom de la section centrale, sur les propositions faites en faveur de l’industrie linière par nos honorables collègues, MM. Rodenbach, de Foere et Desmet.

Jamais, messieurs, je n’ai professé une opinion exclusive en ce qui concerne les deux industries linières. Tout en reconnaissant qu’il pouvait arriver, soit comme pour l’industrie drapière et l’industrie cotonnière, que l’industrie linière mécanique parvienne à se substituer entièrement à l’industrie linière à la main, soit comme pour l’industrie dentellière (car on sait que les dentelles à la main l’emportent aujourd’hui de beaucoup dans la consommation sur les dentelles ou tulles mécaniques), que l’industrie linière à la main réussisse à vaincre l’industrie linière mécanique, tout en reconnaissant que l’une ou l’autre de ces hypothèses pouvait venir à se traduire en fait dans l’avenir, j’ai toujours pensé qu’aussi longtemps que les produits de l’une et de l’autre des industries linières trouvaient des consommateurs, il fallait que nos ouvriers ne négligeassent de s’exercer ni à l’une ni à l’autre.

Permettez-moi de vous donner lecture d’un passage de mon rapport de 1834 ; il vous démontrera que déjà, à cette époque, je professais cette opinion qui est, en tous points, d’accord avec les conclusions de la majorité de la section centrale actuelle.

Veuillez remarquer, messieurs, que les produits de l’industrie mécanique étaient alors encore très imparfaits. Ils n’avaient pour eux absolument que le bon marché apparent, et ne pouvaient soutenir, pour les bonnes qualités et même pour le bon marché réel, aucunement la concurrence des toiles à la main auprès des marchands et des consommateurs expérimentés. Voici donc le passage de mon rapport de 1834 dont je viens de parler :

« Mais nous l’avons déjà dit, non, messieurs, la fabrication étrangère n’est pas meilleure que la nôtre ; il y a seulement dans la première meilleur marché, en tant que l’on considère les chiffres des prix d’une manière abstraite ; mais dès que vous faites entrer dans la balance, comme on doit le faire, et le prix et la qualité, ou si vous considérez la qualité isolément, c’est nous qui fabriquons à meilleur marché et c’est nous qui fabriquons le mieux.

« Toutefois, nous l’avons déjà dit aussi, et c’est un malheur aujourd’hui pour la bonne fabrication, les consommateurs entendent assez mal leurs intérêts pour se jeter avec avidité sur les produits à bon marché, qui n’ont en leur faveur cependant qu’une certaine apparence de bonne qualité, au moyen de préparations chimiques et mécaniques.

« On est déjà revenu en partie de cette mauvaise espèce de bon marché, on en reviendra même tout à fait plus tard ; mais en attendant le mal existe, et le goût du consommateur, pour cette espèce de marchandise existe assez pour que nos fabricants, sans pour cela cesser entièrement leur bonne fabrication actuelle qu’il est du plus haut intérêt pour le pays de conserver, s’étudient à fabriquer aussi en partie ces mêmes espèces que, contre ses intérêts bien entendus, le consommateur demande, mais qu’il demande ; car avant tout, si le fabricant veut pouvoir vendre, il faut que ses fabricats soient faits de manière à satisfaire le consommateur, quelque baroques, quelque bizarres, quelque contraires à ses intérêts même que soient ces goûts. Qui sait d’ailleurs ? L’industrie belge est parvenue à fabriquer mieux les fils et les toiles que celle de tous les autres pays du monde à l’aide des machines ordinaires et primitives ; elle parviendra peut-être aussi à fabriquer non seulement mieux que tous les autres pays, mais encore mieux qu’elle-même actuellement, à l’aide de l’emploi des nouvelles machines inventées en Angleterre. C’est un essai qu’il est digne de nos industriels de tenter. Mais empressons-nous de le reconnaître, il faut avant tout que ces industriels puissent se procurer la matière première, qu’ils puissent se la procurer au meilleur marché possible, et qu’ils soient assurés de la consommation intérieure.

« Les Anglais nous donnent en cela de bons exemples à suivre. Tous les moyens ont été mis en usage chez eux pour se fournir de la matière première et s’en fournir à bon marché. Un système de douanes prohibitif et rigoureusement exécuté à l’égard des fabricats étrangers a été établi chez eux, parce que leur fabrication ne prenant en quelque sorte que naissance, il leur eût été impossible sans prohibition de réussir à lui donner une vie durable. Pour nous, nous n’avons pas besoin de prohibition contre les fabricats étrangers, parce qu’à l’égard des consommateurs qui connaissent leurs intérêts, notre bonne fabrication et le bon (page 290) marché relatif suffisent, et qu’à l’égard des consommateurs avides le bon marché apparent, des droits modérés à l’introduction de ces marchandises suffiront pour détromper nos propres consommateurs de cette espèce, et assureront par là la consommation intérieure à notre fabrication, qui ainsi sera mise à même de faire les progrès qu’on lui demande, non pas parce que ce sont réellement des progrès (nous avons démontré le contraire), mais parce que l’intérêt bien entendu du fabricant l’oblige à suivre les goûts du consommateur, sauf à lui, fabricant, de ne pas abandonner entièrement pour le moment sa bonne fabrication, pour qu’elle puisse reprendre son ancienne splendeur, lorsque l’expérience aura enfin dessillé les yeux du consommateur. S’il en arrivait autrement, si le consommateur persistait dans son mauvais goût, ou si la nouvelle fabrication faisait des progrès tels en perfectionnement que ses produits acquièrent une supériorité réelle sur l’ancienne fabrication, alors, mais seulement alors, il serait de l’intérêt du fabricant d’abandonner entièrement son ancien système ; et au moins, ayant déjà adopté en partie le nouveau système, ayant même contribué peut-être à le perfectionner, il se serait ainsi mis à même de pouvoir, sans secousse violente aucune, sans éprouver de pertes réelles et probablement avec avantage même, en tirer complétement dans le nouveau système de fabrication. »

Vous le voyez, messieurs, l’opinion que j’ai émise en qualité de rapporteur de la section centrale en 1834 est conforme à celle que j’émets dans mon rapport fait au nom de la section centrale actuelle, Jamais je n’ai varié sur cette question ; qu’on relise tous les discours relatifs à l’industrie linière que j’ai prononcés, dans cette enceinte et ailleurs, et l’on verra que j’ai toujours professé la même opinion.

Messieurs, à l’heure qu’il est, ce sont encore les toiles produites par l’ancienne industrie linière que l’on consomme en plus grande quantité dans le pays ; ce sont les mêmes produits que l’on nous demande le plus en France, en Espagne, en Hollande et dans les colonies de ces diverses nations. Cela est tellement vrai, que nous exportons encore annuellement en France pour une valeur de 12 millions de francs en toiles ; que toutes ces toiles sont tissées à la main, et que le fil des neuf dixièmes est filé à la main.

Pourquoi donc irions-nous abandonner entièrement l’ancienne fabrication ? Pourquoi donc ne nous livrerions-nous pas aussi à l’exercice de la nouvelle fabrication, dont les produits se sont perfectionnés aujourd’hui et sont voulus par d’autres consommateurs nombreux ? Il y aurait de la stupidité à abandonner entièrement l’ancienne industrie linière, et il y en aurait également à ne pas s’exercer à la nouvelle.

Si j’ai toujours pensé qu’il fallait pratiquer les deux industries, j’ai toujours été d’opinion, d’un autre côté aussi, qu’il fallait nous efforcer de perfectionner le plus possible notre travail, aussi bien en ce qui concerne l’industrie linière à la main, qu’en ce qui touche l’industrie mécanique. J’ai toujours pensé qu’en présence de cette nouvelle industrie, pour laquelle nous ne pouvions pas espérer d’exercer le monopole que nous exercions quant à l’ancienne, il fallait faire de grands progrès, et que les premiers progrès à réaliser c’étaient la réorganisation du travail en général, celle de la fabrication et du commerce des fils et toiles de lin en particulier.

Voici ce que j’ai dit sur ce point dans mon rapport de 1834 :

« L’industrie linière, vous le savez, messieurs, est dans notre pays entre les mains d’une foule de petits cultivateurs fabricants. Le chef de la famille est aussi le chef-ouvrier de la fabrique, et les femmes et enfants sont les ouvriers. Ces fabricants, isolément, ne sont pas riches ; ils doivent leurs progrès et le maintien en activité de leurs fabriques à leur génie industriel, à leur moralité, à leurs goûts sobres et surtout à leur grand amour du travail. Vous pensez bien que ces hommes n’ont pas le moyen d’acheter la matière première au comptant. Ils l’achètent donc pour n’en payer le prix que lorsqu’ils ont eux-mêmes perçu le prix de leur travail, c’est-à-dire lorsqu’ils ont vendu la toile ou le fil dans lequel ils l’ont transformée. Aussi longtemps que la prohibition ou des droits élevés ont existé, les cultivateurs ne pouvant vendre qu’à eux n’ont jamais fait difficulté de leur vendre de cette manière ; mais depuis 1815, depuis que le gouvernement précédent a permis la libre sortie des lins, il s’en est bientôt suivi que les étrangers sont venus accaparer nos lins, et comme ils payent au comptant, nos grands cultivateurs se sont peu à peu désisté de leur système de vente à crédit à nos fabricants du pays, et ainsi ceux-ci se trouvent aujourd’hui dans l’impossibilité de concourir avec les étrangers pour l’achat des matières premières. Nos marchands de toiles ne sont en quelque sorte que les commissionnaires et ne s’occupent nullement de la fabrication : ce sont tous des hommes plus ou moins fortunés. Nous pensons que s’ils entendaient bien leurs intérêts, ils achèteraient eux-mêmes la matière première et suivraient en cela l’exemple des marchands de dentelles d’Ypres et de Gand, qui achètent les fils nécessaires et ont à cet égard un compte ouvert avec les ouvrières. Celles-ci travaillent chez elles, et ont en quelque sorte, comme les fileuses et tisserands de toiles, leurs fabriques établies chez elles en famille.

« En outre de cet exemple des marchands de dentelles à suivre, les négociants en toiles ne pourraient-ils pas former entre eux une société d’industrie linière qui s’occuperait des achats de matière première, du placement des fabricats à l’extérieur, de l’introduction des nouveaux procédés perfectionnés de fabrication, de la surveillance des peignes de tissage et métiers, et de l’indication aux tisserands et fileurs des qualités qu’ils doivent s’attacher à donner à leurs toiles et fils commue aussi des mesures et manières d’agglomérer par lots, qu’ils doivent suivre, s’ils veulent que le marchand belge puisse trouver le placement de leurs fabricats chez le marchand étranger, qui tient souvent par-dessus tout à ces mesures et modes d’agglomérations, par cela même que les consommateurs de son pays ne croient acheter de la bonne marchandise que lorsqu’elle est agglomérée par lots, poids et mesures conformément à leurs habitudes d’achats ?

« Mais encore une fois, nous devons le dire, pour que ce mode de protection en faveur de l’industrie linière puisse se réaliser, il faut que la législature ait préalablement fourni aux négociants de toiles les moyens indispensables qui consistent dans les droits, tant à la sortie des lins qu’à l’entrée des fabricats étrangers, modérés et en rapport avec les avantages qui, chez le fabricant étranger, balancent celui de la production de la matière première dans notre pays ; et même ce ne sont pas encore là les seuls moyens que nous ayons pour soutenir cette belle et productive industrie. Il en est encore d’autres qui ne doivent pas être négligés, mais qui incombent plus particulièrement au pouvoir exécutif. Nous ne parlerons pas de secours pécuniaires à donner aux introducteurs des nouveaux procédés de fabrication, ni des primes d’exportation ; il n’est malheureusement que trop prouvé que l’intrigue seule profite le plus souvent de ce genre de secours ; mais il est du devoir du gouvernement de prendre de bonnes mesures administratives en fait de douanes : c’est à lui d’empêcher que la fraude n’ait lieu sur une aussi grande échelle et d’une manière aussi scandaleuse qu’elle se pratique encore maintenant, malgré les nombreuses réclamations de la législature ; c’est à lui de négocier et d’envoyer des agents près des gouvernements étrangers, pour nous procurer des débouchés à l’extérieur ; c’est à lui qu’incombe le devoir de chercher à renouer directement avec l’Amérique ci-devant espagnole les relations du commerce des toiles que nous avions indirectement avec elle avant qu’elle ne se fût soustraite à la domination du pays métropolitain ; c’est à lui à tâcher de réparer, au bénéfice du pays, la faute commise par l’ex-gouvernement, qui laissa l’Angleterre s’emparer de ces nouveaux débouchés sans chercher à rivaliser avec elle ; c’est à lui encore à couvrir, s’il le faut, de son égide tutélaire la société dont nous venons de parler ; c’est à lui aussi à s’assurer d’abord des souffrances réelles de cette industrie intéressante, à en sonder les plaies et à étudier, pour les mettre bientôt après en pratique, quels sont les autres moyens nouveaux qui peuvent apporter remède à ses souffrances ; c’est à lui enfin à faire en sorte que les mesures décrétées par la législature soient rigoureusement observées et exécutées. »

Ainsi, messieurs, il demeure prouvé que les remèdes que tout le monde reconnaît aujourd’hui devoir être mis en œuvre, si l’on veut pouvoir venir en aide efficacement à nos nombreux et malheureux travailleurs de l’ancienne l’industrie linière, j’en ai déjà conseillé et recommandé l’emploi depuis plus de 12 ans.

Mais je ne veux pas vous faire illusion ; la plaie que nous devons nous efforcer par tous les moyens de guérir aussi complètement que possible est plus difficile aujourd’hui à cicatriser qu’on ne le pense peut-être généralement. C’est une plaie grave et profonde, pour la guérison de laquelle il faut employer beaucoup de temps et beaucoup d’efforts et remèdes de toute espèce.

D’après les documents publiés au Moniteur du 13 mai I845, il existait alors dans la Flandre occidentale 98,805 fileuses de lin et d’étoupes.

D’après un état statistique formé à l’aide de renseignements obtenus des comités industriels et des administrations communales et de bienfaisance de la Flandre orientale, il y en a 117,813 dans cette province, c’est-à-dire ensemble 216,618 pour les deux provinces.

Vous voyez, messieurs, combien nous devons nous féliciter de ce que les produits de l’ancienne industrie linière trouvent encore de nombreux consommateurs ; vous voyez que, s’il n’en était pas ainsi, il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de procurer du travail à ces 216,000 fileuses.

Il sera même déjà très difficile d’en procurer à celles qui ne pourront plus en trouver dans l’exercice de l’industrie linière.

Cependant des efforts ont déjà été tentés et couronnés de quelque succès dans ce dernier but, et par le clergé, et par les comités industriels, et par une foule de personnes charitables et honorables qui ont bien voulu joindre leurs efforts à ceux du clergé et des comités industriels.

Déjà 160 écoles manufacturières dans la Flandre orientale se trouvent organisées aujourd’hui. On y instruit les jeunes filles des communes rurales à la fabrication des dentelles, à la couture, au tricot, à la ganterie, à la broderie, etc.

Dans celles qui sont instituées depuis plusieurs années, on est déjà parvenu à former 10 à 12,000 jeunes filles à la fabrication des dentelles.

Ces jeunes filles, qui sans cela seraient devenues des fileuses, sont aujourd’hui dentellières. Comme fileuses elles n’auraient peut-être jamais pu gagner plus que leurs devancières, c’est-à-dire plus de 40 à 60 centimes par jour, et comme dentellières, elles gagnent de 40 centimes à 1 franc et plus selon leur habileté et leur degré d’instruction.

Dans les environs de Ninove et de Sottegem, des filles gagnent aujourd’hui, par la couture des gants, de 60 à 80 centimes par jour.

On a aussi introduit dans différentes localités de la province, et plus particulièrement dans l’arrondissement d’Alost, le tissage d’étoffes de soie.

Les métiers à la Jacquart ont été répandus le plus possible dans les campagnes, et il y a aujourd’hui dans les communes rurales de la Flandre (page 291) orientale 12,642 métiers en activité pour le tissage d’étoffes autres que des toiles.

Je ne puis vous donner des renseignements précis quant à la Flandre occidentale, mais il est à ma connaissance que des faits analogues ont eu lieu dans cette province.

Un honorable ecclésiastique, qui est en même temps membre de cette chambre et qui préside si honorablement le comité cantonal de Courtray, a introduit dans l’arrondissement de Courtray la filature du fil avec lequel on fait les batistes ; déjà les fileuses qu’on a réussi à former en assez grand nombre, gagnent de 40 à 50 centimes par jour, et les tisserands qui font, avec les fils produits par ces fileuses, des toiles dites batistes, gagnent de 2 fr. à 2 fr. 50 c. par jour.

L’atelier modèle de Gand a été institué en 1841, et déjà la méthode perfectionnée de tissage à la navette volante y a été enseignée à 2,569 tisserands.

Il est vrai que jusqu’en 1844, époque à laquelle il a été procédé à une nouvelle organisation de cet atelier, on n’y faisait pas faire aux tisserands qui y étaient admis un assez long apprentissage pour qu’ils continuassent, à leur retour dans leurs communes respectives, à faire usage de la méthode de tissage à navette volante et des métiers et outils perfectionnés qu’on leur livrait.

Aussitôt que j’ai été appelé en 1843, par la confiance du Roi, au gouvernement de la Flandre orientale, j’ai fait une tournée dans les cantons liniers les plus souffrants de la province, et j’ai eu la douleur de constater par moi-même, que sur ce grand nombre de tisserands qui avaient été instruits à l’atelier modèle de Gand, il n’y en avait pas 25 qui faisaient usage des outils et des métiers perfectionnés qui leur avaient été donnés.

J’ai donc cru devoir recommander aux administrations communales et aux comités industriels d’employer tous leurs efforts pour parvenir à ce que non seulement les tisserands fissent usage des outils et des métiers perfectionnés qu’on leur avait donnés, mais encore à ce qu’ils s’appliquassent à s’instruire, à se former, à se perfectionner dans la pratique de la nouvelle méthode de fabrication. Nous avons formé en 1845 et 1846, dans l’atelier modèle de Gand, un certain nombre de tisserands pris et désignés par les comités industriels, parmi les meilleurs de leurs ressorts respectifs, et nous leur avons donné une instruction assez forte, en y consacrant le temps nécessaire, pour qu’ils pussent servir d’instructeurs dans les communes auxquelles ils appartiennent.

Aujourd’hui, grâce aux efforts du comité central et des comités industriels, ainsi que des administrations communales, il y a dans la Flandre orientale 6,608 tisserands qui travaillent d’après la nouvelle méthode, à la navette volante. Tous les faits que je viens de vous rapporter, messieurs, démontrent que si ces comités industriels ont été d’un grand secours alors que les circonstances les ont forcés à venir en aide aux bureaux de bienfaisance, leurs efforts joints à ceux du clergé ont produit déjà beaucoup de bien aussi pour le perfectionnement de l’industrie linière, et cela bien qu’ils aient eu peu de ressources pécuniaires à leur disposition. Les comités industriels auraient produit beaucoup plus de bien encore s’ils avaient été secondés, comme j’ai toujours pensé qu’ils devaient être secondés par la société d’exportation qu’il s’agit aujourd’hui, enfin, de créer, dont l’institution a été demandée depuis longtemps, et dont j’ai provoqué, moi-même, la création dans mon rapport de 1834.

Messieurs, il est bien d’autres questions que l’on pourrait traiter à cette occasion ; il est même différentes opinions plus ou moins erronées qui ont été émises dans cette discussion et qui devraient être combattues ; mais je ne crois pas ces questions et les erreurs commises assez essentielles pour que j’aie besoin de m’en occuper quant à présent ; l’urgence de venir au secours de nos populations souffrantes est trop grande pour que je puisse consentir à prolonger cette discussion par l’examen de questions qui ne sont pas maintenant susceptibles de solution, et à retarder ainsi le moment où ces populations souffrantes pourront recevoir les secours que tous nous sommes disposés à leur donner.

Je termine donc ici, messieurs, la courte réponse que j’avais à faire en ma qualité de rapporteur de la section centrale aux orateurs qui ont, non pas combattu, mais critiqué seulement quelques points de détail du rapport et des motifs présentés à l’appui de ces conclusions.

Projet de loi qui ouvre divers crédits au budget du département des travaux publics (canal de Zelzaete et de Schipdonck, etc.)

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, j’ai l’honneur de déposer sur le bureau un projet de loi qui tend à ouvrir au gouvernement des crédits extraordinaires à concurrence de deux millions, Ces crédits sont destinés à la continuation des travaux du canal de Zelzaete, au canal de Schipdonck et à l’amélioration du régime des eaux du sud de Bruges. Dans cette proposition, le gouvernement s’est attaché à préparer l’exécution immédiate de travaux d’une utilité incontestable, à proximité des localités où les populations sont les plus souffrantes.

L’exposé des motifs sera complété d’ici à deux ou trois jours. J’ai cru devoir déposer dès aujourd’hui le projet de loi pour que la proposition du gouvernement fût connue.

M. de Brouckere. - Comment ces deux millions seront-ils couverts ?

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Par des bons du trésor.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu’il vient de déposer. Ce projet et ses motifs seront imprimés, distribués aux membres et renvoyés à l’examen des sections.

Projet de Loi de crédits au département de l'intérieur pour mesures relatives aux subsistances, pour aider au perfectionner de l'industrie et pour mesures relatives aux irrigations

Discussion générale

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je demanderai à la chambre si elle de serait pas disposée à prononcer la clôture de la discussion générale et à aborder la discussion des articles. Voilà plusieurs jours que la discussion générale dure ; on pourrait la prolonger indéfiniment.

M. David. - J’avais quelques observations à présenter. Plusieurs d’entre nous voulaient s’expliquer sur les travaux à exécuter ; moi-même j’avais à indiquer quelques travaux utiles. Ce ne sont pas des travaux nouveaux, mais des travaux déjà décrétés, dont on pourrait s’occuper prochainement. J’espère qu’à l’occasion des articles, nous pourrons présenter nos observations.

M. de Brouckere. - Je suis inscrit pour parler dans la discussion générale. Je renonce à la parole, mais je demande à être inscrit sur l’article premier.

M. David. - Je le demande également.

M. d’Elhoungne. - Je viens appuyer la clôture, mais une clôture définitive qui porte sur toutes les considérations générales ; je dois faire remarquer que la seule question dont nous devions maintenant nous occuper est celle du crédit, sur lequel tout le monde est d’accord. Les considérations présentées dans la discussion générale se rapportent aux trois numéros de l’article premier ; il en sera de même de celles qu’on va présenter. Si nous entamons encore une discussion à propos de l’article premier, et soit sous la forme de discussion générale, soit sous la forme de discussion des articles, nous retarderons le vote des crédits quand nous avons nos concitoyens qui meurent de faim et de froid.

M. Verhaegen. - J’avais aussi demandé la parole pour dire quelques mots sur la question et pour défendre un de mes honorables amis dont le discours a été interprété d’une manière étrange. Je ne veux pas cependant prolonger la discussion ; je demanderai la permission d’insérer dans le Moniteur la réponse que j’avais à faire aux attaques dont l’honorable M. Sigart a été l’objet. Quant à ce que j’ai à dire sur la question en elle-même, je serai court : je me réserve de prendre la parole sur les articles.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je regrette de devoir m’opposer à la demande de l’honorable membre ; je crains de voir poser un précédent dangereux en autorisant l’insertion de certains discours dans le Moniteur.

Un membre. - Cela s’est fait souvent.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Cela s’est fait, sans doute, mais rarement. L’honorable M. Verhaegen aura plus d’une occasion de dire à la chambre ce qu’il désire faire insérer au Moniteur.

M. Verhaegen. - Non ! non !

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Si l’honorable M. Sigart avait demandé la parole pour un fait personnel, je l’aurais compris, car l’honorable membre n’a pas besoin de défenseur. Mais si M. Verhaegen répond pour lui, plusieurs membres pourront demander à répliquer, et la discussion ne finira pas. Le plus simple serait de donner la parole à. M. Sigart, s’il la demande, pour exprimer sa pensée.

M. Verhaegen. - J’ai pensé que la question étant urgente, je ne pouvais pas m’opposer à la clôture. Mais il est des choses qui ne peuvent pas rester sans réponse : le discours de l’honorable M. Sigart a fait éclater plus d’un orage ; on a été jusqu’à dire que l’honorable M. Sigart ne connaissait pas même l’histoire ancienne. Je voulais répondre sur l’histoire ancienne, et cependant je me bornerai à demander qu’oa insère cette réponse dans le Moniteur. Quant au reste, je m’expliquerais sur l’article premier.

M. Sigart. - Je n’ai pas à demander la parole pour un fait personnel ; car je sens peu le besoin de me défendre de ne pas connaître l’histoire, et que sais-je encore ? d’être athée. Je crois que ce sont à peu près les reproches qu’on m’a faits. Je les relèverais pourtant si j’avais la parole. Mais je voudrais exprimer ma pensée, relativement à l’opinion qu’on m’a prêtée sur les Flamands.

M. le président. - M. Sigart est inscrit sur l’article premier, il pourra alors s’expliquer.

M. de Mérode. - Si l’honorable M. Sigart parle, il pourra s’expliquer lui-même. Il n’a pas besoin d’être défendu. Je ne vois pas pourquoi on insérerait dans le Moniteur des discours de défenseurs officieux. Un autre y répondra. Si l’on veut terminer cette discussion, il faut la terminer tout de bon. Il ne faut pas remplir le Moniteur de discours ; il est bien assez long comme cela. (On rit.)

M. Verhaegen. - J’insiste pour être autorisé à insérer mon discours dans le Moniteur.

M. Delfosse. - Cela s’est déjà fait.

M. de Foere. - Il est bien entendu que les orateurs pourront émettre leur opinion sur l’art.icle premier, sans entrer dans la discussion générale, mais en traitant le côté pratique de la question.

M. Verhaegen. - Et que ceux qui sont inscrits dans la discussion générale conserveront leur tour de parole dans la discussion de l’article premier. (Réclamation).

M. le président. - Sur l’article premier, il y a 16 orateurs inscrits.

- La chambre consultée sur la question de savoir si M. Verhaegen sera autorisé à faire insérer dans le Moniteur la partie de son discours relative à M. Sigart, résout cette question négativement.

(page 292) - La discussion générale est close.

Discussion des articles

La discussion est ouverte sur l’article premier ainsi conçu :

Article premier

« Art. 1er. Il est ouvert au département de l’intérieur :

« 1° Un crédit de quinze cent mille francs (1,500,000) pour mesures relatives aux subsistances ;

« 2° Un crédit de trois cent mille francs (300,000) pour aider au perfectionnement de l’industrie linière ;

« 3° Un crédit de cinq cent mille francs (500,000) pour mesures relatives aux défrichements, aux irrigations et à la colonisation dans la Campine et ailleurs, s’il y a lieu. »

M. le président. - La parole est à M. Rodenbach pour développer l’amendement qu’il a présenté au premier paragraphe de cet article.

M. Rodenbach. - J’ai, conjointement avec plusieurs de mes honorables collègues, déposé sur le bureau un amendement tendant à augmenter de 500,000 fr. le chiffre proposé par la section centrale, auquel le gouvernement se rallie. C’est-à-dire que je propose un subside de deux millions. Je dois justifier ce chiffre. Je pense que ce ne sera pas bien difficile.

Le gouvernement paraît avoir l’intention de distraire des 1,500,000 fr., 500,000 fr. pour les chemins vicinaux. Restera donc un million. Sur ce million plusieurs honorables orateurs ont demandé, pour leur province, des subsides qui pourront s’élever à 300,000 fr. Il resterait donc pour les Flandres, 700,000 fr. seulement.

Cependant il y a un million de malheureux qui demandent de l’ouvrage, 500,000 bouches qui demandent du pain. Un subside de 700,000 fr. n’est-il pas évidemment insuffisant lorsque la misère est à son comble ?

Je me permettrai de comparer ce qui se fait ici avec ce qui se fait ailleurs.

Vous savez qu’en Irlande, pays plus malheureux que les Flandres, le gouvernement anglais s’est empressé d’envoyer des subsides dans les différentes baronnies. On a réuni les grands propriétaires, et on leur a accordé des subsides pour la classe malheureuse. Il paraît que ces subsides s’élèvent jusqu’à 12 millions par mois. Trois ou quatre cent mille ouvriers sont occupés. On dépense par jour jusqu’à 400,000 fr. en travaux publics.

D’après les calculs que j’ai faits, les Flandres recevraient pour tout l’hiver, 700,000 fr. C’est à peu près deux jours de travail en Irlande. Voilà cette somme énorme dont on parle ! Cette somme est tout à fait insuffisante. Lorsque je demande une augmentation de 500,000 fr., il m’est très facile de la justifier.

On a dit : Vous pourrez encore travailler aux chemins vicinaux. Mais c’est une erreur : les communes des Flandres sont ruinées par les emprunts, par les sacrifices de toute nature qu’elles ont dû faire. L’année dernière, alors que d’autres provinces recevaient jusqu’à 440,000 fr., les Flandres ne recevaient que 15,000 fr. Les communes ne pouvant donner de subsides, le gouvernement n’a rien donné, il en sera de même cette année. Nous ne recevrons rien du tout, ou peu de chose, pour les chemins vicinaux.

Des demi-mesures, des quarts de mesures ne peuvent guérir le mal qui est immense. Quand le mal est aussi intense, il faut des remèdes héroïques.

Je crois avoir suffisamment prouvé que la somme qu’on veut allouer est insuffisante.

Il est impossible qu’une population aussi exubérante continue d’exister, en manquant de travail.

L’année passée 500,000 pauvres ont reçu 5 millions. Je ne parle pas des dons particuliers, des immenses sacrifices qu’ont fait les particuliers. Mais on a donné officiellement 5 millions pour les 500,000 pauvres des Flandres, et aujourd’hui on veut venir à leur secours, avec 700,000 fr. ; car en définitive, comme je l’ai expliqué, le secours se réduirait à cette somme ; et il y a un million d’individus sans ouvrage ; il y en a 500,000 qui attendent du pain.

Messieurs, il paraît que la chambre est pressée de voter. Je m’arrêterai là. Mais je demanderai l’appel nominal sur mon amendement, afin qu’on puisse du moins reconnaître, dans nos Flandres, que nous avons employé tous nos efforts pour ne point laisser mourir de faim la population. Car je ne crois pas qu’une portion de la société puisse en laisser mourir une autre de faim.

M. Delfosse. - Je comprends et je partage l’impatience de la chambre d’arriver au vote ; je me bornerai donc à présenter de très courtes observations.

Il ne faut pas croire, messieurs, que la misère ne sévit que dans les Flandres ; il y a, dans les autres provinces, une foule de malheureux qu’il serait aussi de notre devoir de secourir.

Ce n’est pas l’aumône que la plupart d’entre eux demandent, c’est du travail.

L’inaction du département des travaux publics dans les circonstances actuelles est vraiment incompréhensible et déplorable.

Permettez-moi, messieurs, de vous lire quelques passages d’une lettre que j’ai reçue hier.

« M. le ministre des travaux publics a enfin décidé, après de longues hésitations, que la route de Liége à Maestricht passerait par Berneau ; il y a déjà quelque temps que cette décision a été prise, mais il n’est question ni d’adjudication ni d’aucune formalité relative aux terrains à édicter.

« On ne travaille pas non plus, et on ne paraît pas se préparer à le faire à la route de Tongres à Visé.

« Mon cher ami, la misère est à son comble ; les malheureux ont devant les yeux un hiver qui commence vite et qui menace d’être rigoureux. Que deviendront-ils si on ne leur vient en aide.

« Le travail, c’est du pain ! »

Je conjure vivement M. le ministre des travaux publics de porter sa sollicitude sur toutes les provinces, et de mieux utiliser le nombreux et coûteux personnel qu’il a sous ses ordres.

L’exécution de travaux publics, entrepris sur divers points du pays, serait le moyen le plus sûr et le plus moral de secourir les classes ouvrières.

On leur donnerait par là immédiatement du travail, et on leur en assurerait pour l’avenir. La construction de routes et de canaux, l’amélioration des voies de communication existantes contribue, plus que toute autre chose, à développer l’agriculture, le commerce et l’industrie, et par conséquent à élever les salaires.

Le gouvernement, je l’ai déjà dit et je ne cesserai de le répéter, devrait surtout se préoccuper des travaux qui concernent le régime des eaux et les voies navigables.

Il ne se passe presque plus d’année sans que les inondations fassent essuyer au pays des pertes irréparables.

Le chômage des établissements industriels qui se trouvent sous les eaux, prive une quantité d’ouvriers de travail dans la saison la plus rigoureuse, dans le moment où ils en auraient le plus besoin.

Il y a dans le même moment et par suite de la même cause, des milliers de familles exposées à toutes sortes de dangers et de privations.

Ce n’est là que l’effet ordinaire des inondations ; mais ce qui vient de se passer dans un pays voisin, dans la vallée de la Loire, ne nous a que trop appris qu’elles peuvent amener des maux bien plus redoutables, des maux auxquels on ne peut penser sans frémir.

Un gouvernement qui comprendrait son devoir, qui serait à la hauteur de sa mission, n’aurait pas un instant de repos avant d’avoir conjuré cette cause de ruine.

Il est bien de soulager la misère, mais il vaut mille fois mieux prendre à temps des mesures pour la prévenir.

M. le ministre des travaux publics nous disait, il y a quelques jours, qu’il était trop ministre des travaux publics, pour ne pas être un peu ministre des finances ; eh bien je l’engage à être encore un peu plus ministre des finances, je l’engage à peser davantage sur son collègue et à lui faire sentir que les difficultés d’un emprunt ne sont rien en comparaison des désastres qu’il s’agit d’empêcher.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Messieurs, l’honorable préopinant m’a accusé d’inaction : j’ai la conscience que ce reproche n’est pas mérité. Je puis affirmer que je n’ai négligé aucun soin pour activer l’exécution des travaux dans toutes les parties du pays. Je puis dire notamment que la route de Visé à Berneau est à la veille d’être mise en adjudication, et je suis à peu près certain que l’annonce de cette adjudication paraîtra dans le Moniteur de demain.

M. Delfosse. - C’est quelque chose ; c’est un commencement.

M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - J’ai activé également, de tous mes moyens, la construction de la route de Tongres à Visé. Mais, messieurs, les affaires éprouvent parfois des retards qui leur sont inhérents, quelle que soit la diligence qu’on mette à les expédier.

Je puis dire que j’apprécie autant que personne combien il importe de venir au secours de toutes les populations du pays, par du travail surtout. Je comprends que c’est là un des points importants de ma mission, et je puis donner de nouveau l’assurance que je ne négligerai aucun soin pour remplir cette mission de la manière la plus complète.

M. Verhaegen. - Messieurs, plusieurs questions nous sont soumises.

Il en est une de la plus haute urgence, et sur laquelle nous ne pouvons discuter longuement : ceux qui ont faim doivent avoir du pain. Ainsi examinons l’amendement de l’honorable M. Rodenbach, et après que le gouvernement nous aura fait connaître son opinion sur cet amendement, votons immédiatement sur le crédit pour les subsistances.

Mais il est un autre point qui se rattache à des mesures pour l’avenir, à des mesures permanentes. Là il ne s’agit plus d’aumônes ; il ne s’agit plus d’employer l’argent sans savoir ce qu’on en fera. A ce point se rattachent des questions de la plus haute importance qui ont déjà été touchées quelque peu, telles sont celles du droit au travail, de l’organisation du travail. Ces questions méritent d’être mûrement examinées.

Je demande donc que nous votions sur la première partie du projet de loi, que nous la distrayons du projet pour en faire une loi complète et que la discussion sur l’autre partie du projet soit renvoyée à demain.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je regrette de ne pouvoir adhérer à l’amendement de l’honorable M. Rodenbach. Je crois que nous ne devons pas, du moins pour le moment, voter au-delà du crédit de 1,500,000 fr., proposé par la section centrale et auquel j’ai donné mon assentiment par les motifs que j’ai expliqués dans une séance précédente.

Messieurs, il résulte du tableau de l’emploi qui a été fait du crédit de millions voté l’année dernière, que par suite des mesures prises par le gouvernement, par les communes et de la part que les particuliers ont prise à ces mêmes mesures, qu’une somme de 5,418,000 fr. a été dépensée à raison des circonstances extraordinaires dans lesquelles le pays se trouvait.

(page 293) Voici, messieurs, dans quelle proportion ces subsides ont été employés :

Province d’Anvers : fr. 321,522 ;

Province de Brabant : fr. 290,737 ;

Province de la Flandre occidentale : fr. 2,355,614

Province de la Flandre orientale : fr. 1,377,341

Province de Hainaut : fr. 222,598 ;

Province de Liège : fr. 388,343 ;

Province du Limbourg : fr. 161,452 ;

Province du Luxembourg : fr. 178,143 ;

Province de Namur : fr. 122,788. »

Voilà, messieurs, ce qui a été employé à la connaissance du gouvernement, et ici nous ne pouvons faire aucune appréciation d’une infinité de dons manuels ni de tout ce qui a été donné en dehors des souscriptions officielles.

De manière que nous pouvons dire, messieurs, que le chiffre alloué l’année dernière a été énorme à raison de ces circonstances, et je ne doute nullement qu’il n’en soit de même cette année. Les 300,000 francs portés au budget pour les chemins vicinaux, ont, en outre, donné lieu à une dépense de 1,600,000 francs par le concours des provinces, des communes et des particuliers, et nous aurons encore la même ressource cette année pour les chemins vicinaux.

Maintenant, messieurs, indépendamment des 1,500,000 francs, des 300,000 fr. pour l’industrie linière, non compris la dépense qui doit résulter de la constitution d’une société linière, dans laquelle le trésor interviendra pour une part très large, indépendamment de cela, nous avons encore les 150,000 fr. pour les irrigations, auxquels la chambre a déjà donné, en quelque sorte, anticipativement son adhésion. Nous aurons en outre les 350,000 f r. à voter ultérieurement avec la loi sur les défrichements. M. le ministre des travaux publics vient de nouveau de nous soumettre une demande de crédit de 2 millions à dépenser exclusivement dans les deux Flandres.

Maintenant, messieurs, il faut aussi tenir compte de la situation du trésor. Le trésor ne peut pas tout prendre à sa charge. Il faut, surtout en matière de secours, l’intervention des localités, l’intervention des particuliers.

Veuillez remarquer que si l’on majore imprudemment le chiffre des 1,500,000 fr., on risque de tarir dans une proportion beaucoup plus considérable les efforts locaux et les efforts individuels. Oui, messieurs, je ne crains pas de le dire, l’expérience a prouvé qu’en beaucoup de matières, lorsque l’on compte trop sur le trésor, on paralyse tous les efforts locaux, tous les efforts individuels. Vous seriez étonnés, messieurs, de voir déjà la nature des demandes qui m’ont été adressées depuis la présentation du projet de loi : il est telle petite commune d’une province et que je n’ai pas besoin de citer qui a déjà demandé 10,000 fr. de secours ! Vous voyez dans quelle proportion l’on risque de provoquer des demandes. Vous porteriez 5 millions au budget, que les demandes s’élèveraient dans la même proportion.

L’honorable M. Rodenbach s’est livré à des calculs ; il a dit que 500,000 fr. seraient employés pour les chemins vicinaux et que 300,000 fr. de subsides seraient distribués à d’autres provinces que les Flandres. Messieurs, nous n’avons pris aucune espèce d’engagement relativement à la répartition, parce que nous ne pouvons pas la faire d’avance : nous devrons tenir compte, dans le courant de l’hiver, de l’intensité du mal, de l’urgence des besoins ; voilà les points dont nous devrons surtout tenir compte ; mais nous mettrons tous nos soins à approfondir la réalité des faits, à vérifier si les besoins sont tels qu’on nous les expose, à empêcher que des communes qui n’auraient pas les mêmes titres, obtiennent les mêmes secours.

D’ailleurs, messieurs, si contre notre attente la situation devenait plus grave et que nous eussions acquis la conviction que les divers moyens proposés par le gouvernement sont insuffisants, nous regarderions comme le premier et le plus impérieux devoir de venir demander un supplément de moyens à la législature. Mais, messieurs, ne mettons pas en avant, dans l’incertitude où nous sommes encore quant à l’étendue réelle de tous les besoins, ne mettons pas en avant des moyens trop extraordinaires, n’engageons pas trop la situation financière.

Messieurs, je ne veux pas rentrer ici dans les considérations qui ont été présentées sur l’emploi des crédits. Cependant je dois un mot de réponse à l’honorable M. Orban ; son discours ferait croire que le subside de 50,000 fr. accordé à la province de Luxembourg, n’a pas amené une baisse dans le prix des céréales, qu’il aurait été mal employé. Ce subside, messieurs, a été employé principalement pour agir sur le marché d’Arlon, parce que c’est le marché régulateur de la province. C’est lui qui détermine en général les prix des denrées dans toute la province. Cependant on a eu égard aussi au marché de Bastogne ; mais si l’on n’avait pas porté spécialement son attention sur le marché d’Arlon, les 50,000 fr., distribués dans la province, n’auraient produit aucun résultat. C’est, du reste, après en avoir conféré avec les hommes les plus éclairés et les plus compétents du Luxembourg, que j’ai soumis à Sa Majesté l’arrêté relatif à ces 50,000 fr. et j’ai lieu de croire qu’il a produit des résultats très utiles. Ce subside, messieurs, a été accordé à titre de prêt à la province, de manière que ce qui rentrera cette année pourra être employé aux mêmes fins. Ceci n’empêche aucunement que de nouveaux secours soient accordés à cette province ; il est connu qu’il y existe réellement des besoins particuliers.

Je demande donc que la chambre veuille s’en tenir exclusivement aux propositions du gouvernement, y compris les 300,000 fr. de majoration auxquels nous avons adhéré en section centrale, surtout à raison de l’hiver précoce. (Aux voix ! aux voix !)

M. le président. - M. le ministre consent-il à la division proposée par M. Verhaegen ?

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Tous les crédits demandés sont également urgents ; celui qui est destiné à l’industrie linière est urgent parce qu’il faut se hâter de commander les instruments de travail à distribuer aux ouvriers ; celui qui concerne les irrigations est urgent parce que c’est du travail immédiat.

- La clôture est demandée.

M. de Brouckere (sur la clôture). - Messieurs, je m’étais fait inscrire pour parler dans la discussion générale, et par un sentiment de discrétion que vous saurez apprécier, je ne me suis, à dessein, fait inscrire qu’après les députés des Flandres parce qu’il me semblait qu’il fallait leur laisser l’avantage d’avoir les premiers la parole. Tout à l’heure on a fermé la discussion générale en disant que nous pourrions parler sur l’article premier et voici que, arrivés à l’article premier, on demande la clôture avant qu’aucun orateur n’ait été entendu.

Je trouve moi-même que la loi est urgente, et il me serait pénible d’en retarder le vote ; mais il me semble cependant que si quelque orateur voulait parler sur la manière d’employer le subside demandé pour l’industrie linière, ce temps ne serait pas perdu. Pour moi, par exemple, je ne comptais parler que d’une chose, de la manière dont il fallait employer les 300,000 fr. qu’on réclame pour l’industrie linière, parce que, selon moi, si le gouvernement (et ceci ne s’adresse pas plus aux ministres actuels qu’à ceux qui les ont précédés), si le gouvernement avait été plus sage et plus prévoyant, s’il avait donné aux fonctionnaires sous ses ordres des instructions convenables, on aurait en grande partie prévenu la crise dans laquelle les Flandres se trouvent aujourd’hui. Je crains une chose, c’est qu’on ne persévère dans cette voie ; et voulez-vous, messieurs, me permettre une seule observation ? Je tire du discours même de l’honorable M. Desmaisières, que le gouvernement ne sortira pas encore d’une manière positive et formelle de la voie vicieuse dans laquelle il se traîne depuis dix ans.

Voilà sur quel point je voulais parler ; du reste, si la chambre croit que l’urgence soit telle qu’on ne puisse pas remettre la discussion à demain, je ferai volontiers le sacrifice des observations que je voulais présenter.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) (sur la clôture). - Messieurs, je propose à la chambre de voter d’abord sur le n°1° ; si quelques membres désirent ensuite s’expliquer sur le crédit de 300,000 fr., ils pourront le faire ; je désire moi-même répondre en quelques mots aux observations qui ont été faites par l’honorable M. de Brouckere, mais j’attendrai que d’autres orateurs aient parlé.

M. de Foere (sur la clôture). - Messieurs, j’avais demandé la parole, uniquement pour réclamer la division que M. le ministre de l’intérieur vient de proposer ; si la chambre adopte cette proposition, je n’ai plus rien à dire.

M. Orban (sur la clôture). - Messieurs, on pourrait clore la discussion sur tous les points. Quelques orateurs désireraient faire entendre leur opinion sur la question linière ; mais je crois que l’occasion de la produire pourra se présenter à l’occasion de la discussion du budget de l’intérieur où se trouve un crédit affecté à l’industrie linière ; moi-même, j’avais à faire quelques observations sur cet objet, mais j’ai renoncé à la parole, parce que je me propose d’entretenir la chambre de cette question, lors de la discussion du budget. (Aux voix ! aux voix !)

M. Sigart (sur la clôture). - Il me semble que la chambre était tout à l’heure disposée à m’entendre ; est-elle maintenant disposée à revenir sur son opinion ? (Interruption). Si l’on ne veut pas m’entendre, il ne fallait pas se livrer à des accusations contre moi !

Est-ce que j’aurai du moins la permission de faire insérer mon discours au Moniteur ?

M. le président. - Je le demanderai tout A l’heure à la chambre ; la chambre prononcera.

M. Verhaegen (sur la clôture). - Messieurs, on est revenu à la proposition que j’ai faite tout à l’heure et dont on ne voulait pas d’abord : on veut commencer par voter le n°1 de l’article premier. Comme on a un besoin immédiat de ces fonds, et que nous ne voulons pas retarder d’une minute la décision de la chambre, nous sommes tous d’accord ; mais si nous allions discuter le second numéro, sans que le premier eût déjà force le loi, vous n’arriveriez à aucun résultat ; il faut donc disjoindre ces numéros.

M. Dumortier (sur la clôture). - Messieurs, s’il s’agissait ici de voter des moyens permanents, je serais de l’avis de l’honorable M. Verhaegen ; mais nous ne faisons qu’une loi provisoire, nécessitée par les circonstances. Or, l’observation qu’a faite tout à l’heure l’honorable M. Orban, est très juste ; l’industrie linière figure à un poste permanent au budget de l’intérieur ; ce budget est à l’ordre du jour de demain, nous pourrons présenter nos observations à l’occasion de ce budget, et d’ici là il ne s’écoulera pas un long retard. Mais votons immédiatement la loi qui est d’une urgence extrême.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) (sur la clôture). - Je persiste à demander que la chambre ne disjoigne pas le crédit de 300,000 fr. demandé pour l’industrie linière ; ces fonds pourront recevoir immédiatement une application utile. La disjonction que l’on propose ferait déjà un mauvais effet moral dans les provinces où l’industrie linière est exercée. (page 294) Je sais très bien que l’on pourrait faire, à l’égard de ce crédit, l’observations que l’on a faite à l’égard du crédit concernant les défrichements ; mais alors même on a senti qu’en présence de besoins si pressants, il ne fallait pas faire de disjonction. Je demande donc qie la chambre demeure conséquente avec sa première résolution. (Aux voix ! au voix !)

- La chambre, consultée, décide d’abord que M. Sigart est autorisé à faire insérer dans les Annales parlementaires le discours qu’il proposait de prononcer aujourd’hui.

Elle ferme ensuite la discussion sur les trois numéros de l’article premier et sur les amendements qui s’y rapportent.

L’amendement de M. Rodenbach tendant à élever à 2 millions le chiffre du premier paragraphe de l’article premier est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

Le chiffre de 1,500,000 fr. pour le paragraphe premier est mis aux voix et adopté.

L’amendement tendant à élever de 300,000 fr. à 600,000 fr. le chiffre du paragraphe 2, est mis aux voix ; il n’est pas adopté.

Le chiffre de 300,000 fr. pour le deuxième paragraphe est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Il est entendu que le chiffre de 150,000 fr précédemment adopté, sur la proposition de M. Orban, sera porté au troisième paragraphe (Adhésion.)

M. Orban. - Il faudrait changer le libellé du dernier paragraphe de l’article par suite de la décision de la chambre, et dire « aux irrigations » seulement.

- L’article premier est adopté avec cette modification.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Les crédits formeront les articles 1, 2 et 3 du chap. XXIII du budget de l’exercice 1846. »

- Adopté.


« Art. 3. Ces crédits seront couverts au fur et à mesure des besoins par une émission de bons du trésor qui sera effectuée selon les conditions de la loi du 16 février 1833. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. Les rentrées à opérer sur le fonds spécial déterminé aux articles 2 et 3, pourront être employées aux mêmes fins pendant une période de cinq années. Il sera rendu compte annuellement aux chambre des dépenses et des recettes, faites tant en vertu de la présente disposition, que des n°2 et 3 de l’article premier. Il sera rendu un compte spécial avant le 1er janvier 1848, de l’emploi du crédit mentionné au n°1° du même article. »

M. de Brouckere. - Messieurs, cet article 4 contient une dérogation aux principes généraux en matière de comptabilité. Vous savez que du moment où des fonds sont rentrés dans le trésor public, le gouvernement ne peut plus en disposer. D’après cet article, il y aurait un caisse spéciale dans laquelle on placerait ce qui rentrerait de deux des crédits que nous avons votés, et le gouvernement pourrait, sans aucun mesure de précaution préalable, tirer ces fonds de cette caisse pour le remettre en circulation, et cela pendant cinq ans. Voilà le sens de l’article 4. Je le répète, c’est là une dérogation, et une dérogation tout nouvelle à tous les principes de comptabilité. Je demanderai au gouvernement s’il présentera au moins quelques mesures, afin de prévenir l’abus qu’une semblable dérogation pourrait faire naître ; car donner au gouvernement des sommes très fortes avec la faculté de les dépenser, les faire rentrer et de les dépenser encore une fois, en un mot, avec faculté entière et sans contrôle d’en disposer comme bon lui semble pendant cinq ans, cela me paraît exorbitant. Pourtant, je ne m’oppose pas à ce que la mesure soit adoptée, mais je voudrais que la loi stipule quelques garanties, quant aux fonds que nous abandonnons pendant cinq ans à la disposition du gouvernement ; je voudrais qu’il fût stipulé qu’un receveur spécial sera chargé de la recette et tenu de donner un cautionnement, qu’une commission sera chargée de surveiller tout qui concerne ce fonds roulant qui ne devrait pas être abandonné entièrement à la direction du gouvernement.

Je désire que M. le ministre de l’intérieur veuille bien s’expliquer.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - ll est évident que le gouvernement ne pourra employer de nouveau les deux crédits portés sous les numéros 2 et 3, après les avoir employés une première fois, qu’en les appliquant aux mêmes fins. Voilà la condition essentielle. Il est certain qu’il y aura quelques mesures de régularisation à prendre ; elles seront prises par un arrêté royal publié au Moniteur.

Je pense maintenant que quand des mesures de régularisation auront été prises par arrêté royal et publiées par la voie du Moniteur, on aura toute espèce de garantie pour ce fonds spécial.

Si le gouvernement avait demandé ces deux sommes à titre de subsides, comme on le fait d’ordinaire au budget, c’eût été au détriment du trésor et de deux branches de la richesse publique qu’on veut encourager.

En effet, toutes les personnes qui interviendront dans les propositions à faite au gouvernement en faveur de l’industrie linière seront les premières à stipuler le remboursement partiel et successif de la part des individus qui seraient en état de faire ce remboursement, car ce fonds étant remis de nouveau à la disposition du gouvernement pour encourager l’industrie linière, on pourra venir en aide à quatre ou cinq personnes au lieu de n’en aider qu’une seule.

Il en est de même pour les irrigations ; le gouvernement aura intérêt à stipuler la rentrée la plus immédiate des fonds de première mise alloués pour des irrigations, pour les employer à d’autres travaux d’irrigation, de manière qu’avec des sommes peu importantes on peut obtenir de grands résultats. Je crois que ce système est très bien combiné. J’avoue que c’est un système que j’ai mis en avant, après avoir réfléchi aux avantages de la mise en usage répétée de la même somme. Le gouvernement serait engagé à employer ces sommes sans retour, sans remboursement, si vous n’autorisez le remploi aux mêmes fins. C’est dans l’intérêt du trésor et dans l’intérêt de l’industrie linière et des irrigations que ce système a été adopté.

Les mesures d’exécution seront prises par arrêté royal.

M. de Brouckere. - Messieurs, vous avez pu remarquer que je n’ai pas condamné l’article 4. Je ne me suis pas prononcé, j’ai dit qu’il renfermait une innovation. En effet, je défie qu’on me cite un exemple de latitude aussi grande donnée au gouvernement.

Ne croyez-vous pas qu’il est parfaitement juste, sage et logique, que nous prenions au moins quelques mesures de précaution vis-à-vis du gouvernement ? On me dit qu’un arrêté royal déterminera ces mesures de précaution. Mais il me semble que c’est à celui qui alloue les fonds à prendre ces mesures.

Nous avons consacré deux jours à la discussion générale, je ne le regrette pas, cette discussion générale a été très intéressante ; mais il est à regretter qu’arrivé à la discussion des articles, à la discussion pratique, on veuille enlever le vote en un instant. Cet article 4 mérite qu’on y réfléchisse. On demande 300 mille francs pour l’industrie linière. Comment ces 300 mille francs seront-ils employés ? D’après l’annexe, voici comment on les emploiera :

« La mesure proposée pour le perfectionnement de l’industrie linière est le complément de celles qui résultent de la Société d’exportation pour les produits de cette industrie.

« Les opérations de la Société d’exportation ont pour objet de créer de nouveaux débouchés à nos toiles, d’en faciliter la vente, de provoquer la fabrication des tissus de lin de tout genre, soit en fils à la main, soit en fils mécaniques, tissus unis ou façonnés, écrus ou blanchis qui trouvent un facile écoulement sur les marchés transatlantiques ; ces opérations ont surtout pour objet l’organisation du travail. Les mesures pour lesquelles on demande un crédit de 300,000 francs, ont pour but de faciliter, d’accélérer cette organisation, cette transformation, si on peut s’exprimer ainsi, d’une méthode de travail, irrégulière et incompatible avec les nouvelles habitudes du commerce, en une méthode uniforme et rationnelle qui doit faire de nos toiles une marchandise courante, susceptible d’un commerce régulier et continu. »

Voilà les explications données par l’annexe. M. le ministre, dans l’exposé des motifs, donne une explication tout à fait contraire. Il s’exprime en ces termes :

« Le crédit de 300,000 fr., relatif au perfectionnement de l’industrie linière, est, en réalité, destiné à soulager les ouvriers qui ne trouvent point dans cette industrie une rémunération suffisante de leur travail ; il a pour objet de leur procurer un meilleur salaire. »

Voilà donc deux manières toutes différentes, toutes contraires d’expliquer l’emploi des 300,000 fr. ; et ces 300,000 fr., nous les abandonnons au gouvernement pour en faire une espèce de fonds de roulement, pendant 5 ans, sans aucun contrôle de la part des chambres !

Cela me paraît tellement exorbitant que je n’hésite pas à dire lorsque la chambre sera revenue de cette espèce de presse où elle est aujourd’hui, elle regrettera d’avoir donné au gouvernement toute la latitude qu’il réclame.

J’ai fait mes observations. Si la chambre désire voter immédiatement sans discuter des observations d’une aussi haute importance, j’aurai rempli ce que je regarde comme un devoir de conscience.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le gouvernement n’a ni le moindre désir, ni le moindre intérêt à soustraire cette partie de la comptabilité au contrôle des chambres. La meilleure preuve, c’est qu’il propose, à l’article 4, de « rendre compte annuellement aux chambres des recettes et des dépenses, faites en vertu des numéros 2 et 3 de l’article premier, » qu’il s’agit de constituer en fonds de roulement.

Mais déterminer les mesures de comptabilité dans une loi spéciale est chose dangereuse et très difficile.

La meilleure garantie pour la chambre, c’est que les mesures de comptabilité à prendre en application de cet article seront déterminées par arrêté royal, et qu’un compte sera rendu annuellement aux chambres.

De cette manière, il n’y a aucun inconvénient.

S’il était possible d’improviser un système de comptabilité pour ce crédit, je ne demanderais pas mieux ; car il est plus commode pour le gouvernement d’avoir une comptabilité dont les règles sont invariablement posées. Mais il s’agit d’un fonds spécial. Je craindrais qu’une mesure législative étant prise, sans qu’on ait pu prévoir toutes les circonstances qui peuvent survenir, on se trouvât arrêté dans l’application de la mesure. Ce ne peut être l’intention de la chambre.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je dois expliquer comment la loi en discussion se lie à la loi de comptabilité. Cette dernière loi non seulement admet des fonds spéciaux, maïs contient des dispositions qui supposent que de pareils fonds pourront être constitués.

Ainsi, toute personne chargée du maniement des deniers publics doit fournir un cautionnement. Voilà un principe qui donne une garantie.

La généralité des termes de cet article indique même que la création de fonds spéciaux pourra avoir heu, lorsque la législature l’aura décidé.

Nous avons emprunté une grande partie de la loi de comptabilité à la (page 295) loi française ; et personne n’ignore que, d’après les lois de ce pays, il existe des fonds spéciaux.

Je n’ai pas sous les yeux les termes de la loi de comptabilité ; mais je puis garantir à l’honorable membre que, par l’application des principes de la loi, on pourra donner toute sécurité peur la gestion du fonds spécial, indépendamment du contrôle réservé à la législature.

Je me félicite que cette discussion se soit élevée, parce que ce serait une erreur de croire qu’en votant la loi de comptabilité on se soit interdit de constituer des fonds spéciaux.

- L’article 4 est mis aux voix et adopté.

Article 5

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je proposerai d’ajouter un article 5 ainsi conçu :

« Art. 5. La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. »

Vote sur l’ensemble du projet

- La chambre, après avoir décrété l’urgence, adopte le projet de loi à l’unanimité des 70 membres présents.

Ce sont : MM. Mercier, Nothomb, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Sigart, Simons, Thienpont, Troye, Vanden Eynde, Vandensteen, Verhaegen, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Anspach, Biebuyck, Cans, Castiau, Clep, d’Anethan, David, de Baillet, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delannoy, Delfosse, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Renesse, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, Devaux, de Villegas, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumortier, Fallon, Goblet, Henot, Huveners, Jonet, Kervyn, Lejeune, Liedts, Loos, Lys et Malou.

Ordre des travaux de la chambre

M. Delfosse. - Messieurs, nous devions procéder aujourd’hui à la nomination d’un membre de la cour des comptes et de notre bibliothécaire. Je pense que nous ferions bien de procéder demain à ces nominations, et de ne commencer que mercredi la discussion du budget de l’intérieur.

M. le président. - Les nominations seront à l’ordre du jour de demain. Mais la discussion du budget de l’intérieur a aussi été fixée à demain.

M. Verhaegen. – Je demande que le budget de l’intérieur ne soit pas discuté demain. Nous avons pris tout notre temps pour traiter la question palpitante d’intérêt sur laquelle vous venez de prendre une décision. Il est vrai qu’on a jugé à propos de ne pas nous entendre ; mais il n’en est pas moins vrai que nous ne nous attendions pas à ce que la discussion du budget de l’intérieur commençât demain, et que nous n’avons pu nous préparer.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). -S’il y a quelques petits projets à mettre à l’ordre du jour de demain, je ne m’oppose pas à ce que la discussion du budget de l’intérieur soit renvoyée à mercredi.

M. Dumortier. - Je ferai remarquer que les scrutins pour les deux nominations prendront déjà passablement du temps ; car il est très douteux que ces nominations se fassent toutes deux au premier tour de scrutin. On pourrait s’occuper de quelques projets peu importants pour terminer la séance.

Un membre. - Des naturalisations.

M. Dumortier. – Ah ! je ne suis pas fort pour les naturalisations. (On rit.)

M. Huveners. - On nous a fait rapport sur un projet relatif à la délimitation de quelques communes du Limbourg ; ce rapport sera distribué ce soir. Nous pourrions nous en occuper demain.

- La chambre met ce projet à l’ordre du jour de demain.

M. de Garcia. – Je demanderai, cependant, qu’on mette aussi les naturalisations à l’ordre du jour de demain. Plusieurs de ces naturalisations nous sont demandées depuis quatre, cinq et six ans, et la plupart de ces demandes nous sont faites par des personnes qui occupent des emplois.

M. Dumortier. - C’est un tort.

M. de Garcia. - Je vous prie de ne pas m’interrompre. Cette position est fausse ; il faut que la chambre les rejette ou les accepte ; mais on ne peut laisser plus longtemps ces personnes en suspens.

Je demande donc que les naturalisations soient mises à l’ordre du jour de demain.

M. Loos. - Il a aussi été fait rapport sur un projet de loi relatif au transit ; sa discussion ne prendra que peu de temps.

- La chambre décide que ce projet ainsi que les naturalisations seront mis à l’ordre du jour de demain.

La séance est levée à 5 heures.