(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M*.* Liedts.)
(page 163) M. Huveners procède à l’appel nominal à 2 heures et quart.
La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Le sieur Philippe de Goer, ancien membre de la première chambre des états généraux, demande la place de conseiller vacante à la cour des comptes. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Le sieur Furnémont, ancien professeur, demande la place de bibliothécaire de la chambre. »
« Même demande du sieur de Prez-Mahauden, directeur du journal le Chemin de fer belge. »
- Même décision.
« Les membres du conseil communal et plusieurs habitants d’Assenede réclament l’intervention de la chambre pour obtenir l’exécution pleine et entière de la convention du 20 mai 1843, entre les gouvernements belge et néerlandais, relativement à l’écoulement des eaux de la wateringue Saint-Albert. »
Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Muccon, Gillard, Faessen et Benoît, commissaires de l’association des bateliers de la Meuse, prient la chambre de voter les crédits nécessaires pour le prolongement du canal de la Campine de Herenthals à Anvers.
- Sur la proposition de M. Lesoinne, renvoi à la section centrale chargée d’examiner le budget des travaux publics.
« Le sieur de Leuvel, secrétaire de la commune d’Eeeloo, demande une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Lejeune. - Plusieurs pétitions de cette espèce ont déjà été envoyées à la chambre. Je demande qu’elles soient réunies et que la commission des pétitions soit invitée à en faire à la chambre un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. le président. - La discussion continue sur l’article 6, Pêche maritime : fr. 100,000, et sur l’amendement de M. Donny, tendant à élever le chiffre de cet article à 200,000 fr.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, à la fin de la dernière séance, l’honorable M. Donny a proposé de doubler la somme destinée aux primes pour encourager la pêche maritime et d’en porter le chiffre de 100,000 à 200,000 francs.
L’honorable membre croit ce remède nécessaire pour atténuer les effets fâcheux du traité conclu avec les Pays-Bas.
Messieurs, mon intention n’est pas de contester que le traité n’ait imposé à la pêche nationale un sacrifice pénible. Ce sacrifice, nous avons dû y consentir en échange des avantages que nous avons obtenus, comme la Hollande a dû faire de son côté des sacrifices, pour acheter les concessions qui lui ont été accordées. C’est la condition de tout traité.
Mais ce que je ne crois pas, c’est que le traité conclu avec les Pays-Bas doive avoir pour résultat d’amener la ruine de la pêche nationale, comme l’honorable M. Donny l’affirme.
Je désire qu’on ne tire pas des faits que je vais citer et de la réponse que je vais faire à M. Donny, la conclusion que le gouvernement a pris son parti, a fait son deuil de la pêche belge.
Le gouvernement est convaincu qu’au mal signalé par l’honorable membre, il y a des remèdes possibles. Mais je diffère avec l’honorable membre sur la nature même des remèdes.
Je ne suivrai pas l’honorable membre dans les considérations générales qu’il a renouvelées, et qui ne sont au fond que la reproduction de celles qu’il a émises dans la discours du traité. Je pourrais, en réponse, reproduire le discours que j’ai prononcé au sénat, et dans lequel, à l’aide de chiffres et de faits, j’ai voulu établir par quelles raisons, je ne puis partager les prévisions exagérées de l’honorable membre. Je ne rentrerai pas dans un tel débat.
Veuillez remarquer que l’honorable M. Donny ne vous a parlé avant-hier que des résultats futurs qu’il craignait de voir sortir du traité avec la Hollande, bien plus que des résultats actuels. C’est de l’avenir que M. Donny nous a parlé.
L’honorable M. Donny m’a fait des concessions très larges ; il a reconnu que le produit de la pêche du hareng avait été placé avec avantage depuis le traité, que les prix pour les poissons frais avaient été en général avantageux.
Messieurs, vous savez que la pêche nationale est composée de trois branches, la pêche du hareng, la pêche du poisson de marée et la pêche de la morue.
L’honorable membre m’a donc fait cette large concession, selon moi, de reconnaître que la pêche du hareng et la pêche du poisson frais n’avaient pas été jusqu’ici atteintes d’une manière défavorable par le traité conclu avec la Hollande.
Il ne nous a parlé que de la pêche de la morue et des résultats que déjà le traité, selon lui, avait produits.
L’honorable M. Donny a prétendu que ce traité avait exercé une influence nuisible sur la pêche nationale, avant même qu’il n’existât, par la raison, a-t-il dit, que dans la prévision de la conclusion du traité, les poissonniers ont attendu le moment où il serait conclu pour opérer leurs achats et dans le but de voir les prix réduits par la concurrence de la pêche hollandaise.
Messieurs, je citerai à la chambre quelques chiffres d’où il résulte que pour la morue notamment, depuis le traité du 29 juillet, les prix n’ont pas été réduits, mais se sont au contraire relevés.
Ainsi pour la morue du Doggersbank, les prix ont été pour le landorium, en juin, juillet et août, c’est-à-dire avant le traité, de 41 et de 42 francs-par tonneau. Depuis le traité, c’est-à-dire, en septembre, octobre et novembre, les prix ont monté à 46, 47 fr. 50 c. et 50 fr. 50 c. la tonne.
Pour les grands poissons, qui forment la consommation la plus considérable, les prix étaient en juin, juillet et août, de 31, de 33 et de 36 fr. la tonne. Ils se sont élevés en septembre, octobre et novembre, à 34, 39 et 48 fr.
Pour le petit poisson, les prix, avant le traité, étaient de 27 à 29 fr. ; depuis le traité, ils ont été de 27, 33 et 39 fr.
Pour la morue de Feroë, les prix sont restés à peu près les mêmes.
Je ne veux pas tirer de ces chiffres d’autres conclusions que celle-ci : C’est que l’influence nuisible, exercée par le traité, d’après M. Donny, n’a pas agi jusqu’ici. Si cette influence avait existé, les prix auraient dû baisser successivement jusqu’à l’approche des ventes d’hiver, alors que la concurrence des pêcheurs hollandais doit surtout s’exercer. Or, le contraire a lieu ; à mesure que nous approchons du moment où cette concurrence doit avoir lieu, les prix se relèvent.
Messieurs, l’honorable M. Donny a supposé deux choses que je ne puis admettre, pour cette année au moins, dans les calculs qu’il a soumis à la chambre, calculs destinés à prouver que, pour dédommager la pêche des pertes qu’elle va essuyer, il faudrait une somme de 200,000 fr. au minimum.
Il a supposé, dans ces calculs, pour la morue, une moyenne de 40 fr. par tonne. Or, messieurs, c’est là une erreur. Les chiffres officiels n’indiquent qu’une moyenne de 32 fr.
L’honorable membre a supposé aussi que les chiffres des quantités à importer aux droits réduits de 5,000 tonneaux pour la morue et de deux millions de kilog. pour le poisson frais, seraient atteints dès la première année. Or, messieurs, je doute fort que ces chiffres de limitation soient atteints de sitôt, et je me permettrai de rappeler à l’honorable membre que pendant les négociations les intéressés mêmes ne craignaient pas que la limite fût atteinte ; c’était la raison pour laquelle ils croyaient la limitation inutile et illusoire.
Je n’ai pas sous les yeux les chiffres de l’importation par bureau, pour morue, mais je possède ces chiffres pour les introductions de poisson frais venant de la Hollande. Vous savez, messieurs, que la Hollande peut introduire dans l’année deux millions de kilogrammes de poisson frais. Or, depuis le 25 août jusqu’au 31 octobre, c’est-à-dire en deux mois et jours, la Hollande n’a introduit par les bureaux d’Anvers, de Gand, d’Ostende et de Westwezel, que 44,543 kilog. de poisson frais. Si je calculais sur les bases de cette proportion, j’arriverais à ce résultat que la Hollande n’introduirait par année que 264,000 kilog. de poisson frais, lieu de 2 millions de kilog. Je ne veux pas tirer cette conséquence, mais je pense, messieurs, qu’il y a erreur aussi de la part de l’honorable membre, à supposer que les chiffres de la limitation seraient atteints pendant la première année.
J’ai dit tout à l’heure, messieurs, que je partageais l’opinion de l’honorable membre sur l’intérêt que mérite la pêche nationale ; que l’intention du gouvernement n’était pas de l’abandonner ; qu’il voulait lui continuer la sollicitude dont il l’a entourée depuis quelques années ; mais j’ai ajouté que je ne partageais pas la manière de voir de l’honorable membre sur les remèdes à apporter au mal qu’il craint de voir se développer par suite de la conclusion du traité du 29 juillet.
Je m’empare du raisonnement qui fait la base du discours, prononcé par l’honorable M. Donny, dans la séance de samedi dernier, et je démontrerai en peu de mots que le remède n’est pas où l’honorable membre (page 164) croit l’avoir trouvé, c’est-à-dire dans l’augmentation des primes. En effet, messieurs, qu’a dit l’honorable membre ? Il a constaté un fait, c’est qu’en 1846, la production de la pêche nationale a été plus considérable et que la vente a rapporté une somme moindre qu’en 1845, d’où il a tiré la conclusion qu’il y a eu baisse dans les prix. Quel remède propose l’honorable M. Donny ? C’est d’augmenter les primes, c’est-à-dire d’encourager davantage les armements, d’encourager davantage la production déjà exubérante. Eh bien, messieurs, le remède, selon moi, est ailleurs. Ce qui manque à la pêche, c’est une consommation plus étendue. C’est la consommation qu’il faut accroître, élargir, et non pas la production Je suis convaincu qu’à l’aide de divers moyens que j’indiquerai rapidement tout à l’heure, on peut doubler peut-être la consommation intérieure du pays et développer dans une forte proportion les exportations vers l’Allemagne. Or, n’oubliez pas, messieurs, que, d’après le traité, la Hollande ne peut introduire en Belgique qu’une quantité déterminée de morue et de poisson frais ; par conséquent, si nous pouvons parvenir à augmenter la consommation intérieure et l’exportation vers l’Allemagne, tout cet excédant sera exclusivement acquis à la pêche nationale.
Messieurs, les moyens pour élargir la consommation et l’exportation, ces remèdes sont faciles à indiquer. Ils ont déjà été signalés. Le premier mal c’est que le prix du poisson dans l’intérieur est à un taux exorbitant partout ; de manière que l’usage du poisson est interdit non seulement aux classes inférieures, mais même aux classes moyennes dans les villes.
Les causes de ce renchérissement dans le prix du poisson, sont diverses ; d’abord, je crois que l’organisation de la vente du poisson à l’intérieur n’existe pas, ou du moins elle est bien défectueuse. Nous avons des marchés de poisson à Anvers, à Bruxelles, à Gand ; nous n’en avons pour ainsi dire pas ailleurs ; à Liége, à Mons, à Charleroy, etc., l’usage du poisson est très restreint, à cause de la rareté du poisson et du haut prix auquel il se vend.
Une autre cause a été assignée à ce résultat, le régime des octrois et celui de la vente à la minque. Je ne veux pas traiter la question difficile du régime des octrois : cette discussion serait prématurée ; mais la question fait l’objet d’un examen approfondi de la part de mon honorable collègue le ministre de l’intérieur.
L’honorable M. Donny a parlé de la morue ; eh bien, je citerai, par exemple, l’octroi qui a été récemment introduit par le conseil communal de Bruxelles. Le droit par tonne de morue vendue à la minque à Bruxelles est de 8 fr. 50 ; ce prix a été maintenu. Or, ce taux équivaut à plus de 25 p. c. de la valeur moyenne de la morue, sans compter les frais mêmes de la minque qui sont assez élevés.
Il eût été désirable que ce droit fût réduit de moitié, la morue étant un aliment des classes moyennes. La ville aurait probablement fait une recette plus forte à l’aide d’un droit plus modéré, en permettant à la consommation de s’accroître.
Mais, messieurs, on a maintenu un droit bien plus élevé pour la morue vendue en dehors de la minque. Ce droit est encore de 8 centimes par kilogramme, ce qui fait 50 p. c. de plus que le droit de 8 francs 50 centimes pont la morue vendue à la minque. En effet, le droit de 8 francs 50 centimes par tonne de 150 à 160 kil. équivaut 8 centimes par 1 1/2 kilog. Le contraire aurait dû avoir lieu pour rendre la vente en dehors de la minque plus accessible.
D’autres mesures peuvent être prises et ont déjà été prises en partie pour augmenter la consommation du poisson à l’intérieur. Ces mesures concernent les tarifs des chemins de fer. Ces tarifs sont établis d’après une base de charges complètes et incomplètes. On paye beaucoup plus pour des charges minimes que pour des charges entières. Or, comme le poisson ne se transporte que par petites quantités, il en résulte que le tarif du chemin de fer a frappé jusqu’ici les transports de poisson des droits les plus élevés. M. le ministre des travaux publics a déjà satisfait à cette première réclamation du commerce d’Ostende.
Une autre question est soumise à mon honorable collègue, c’est celle de savoir si l’on ne pourrait pas établir, relativement à l’Allemagne, pour l’exportation du poisson, un droit uniforme, indépendamment des distances, pour mettre sur la même ligne les ports du pays, Ostende, Anvers, Blankenberg, Nieuport. Cette question, je le répète, est examinée par le département des travaux publics, et si elle est résolue en faveur des réclamations d’Ostende, on peut prévoir qu’Ostende retrouvera dans ses exportations vers l’Allemagne une très large compensation de dommage que le traité hollandais pourra lui causer.
Messieurs je ne puis donc pas me rallier à l’amendement proposé par l’honorable M. Donny, non pas parce que le gouvernement renonce à protéger la pêche nationale, niais parce qu’il pense que les remèdes à apporter au mal indiqué par l’honorable membre se trouvent ailleurs que dans une augmentation du crédit porté au budget pour cet objet.
Cependant je proposerai de porter le crédit de 100 à 120 mille fr. Je vais exposer les raisons de cette augmentation. Le crédit de cent mille francs est insuffisant pour allouer intégralement les primes telles qu’elles sont fixées par les règlements existants.
L’insuffisance augmente à mesure que le nombre des armements augmente lui-même. Déjà en 1846 la chambre a augmenté le crédit alloué qui n’était que de 95 mille francs en 1845.
Par suite de l’insuffisance de l’allocation, il n’a été alloué que 78 à 80 p. c. du montant intégral des primes. Il aurait fallu, en 1844 112 mille fr. ; en 1845, 116 mille fr. ; en 1846, 120 mille fr., pour satisfaire aux prescriptions des règlements existants. Ce que je propose n’est donc pa une augmentation réelle des primes ; je demande seulement qu’on alloue une somme suffisante pour payer intégralement les primes accordées par les règlements.
Je propose donc de porter à 120,000 fr. au lieu de 100,000 le chiffre de l’article 6.
M. Anspach. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour répondre au discours de l’honorable député d’Ostende ; il a avancé des faits qui sont en opposition avec la cherté du poisson, il a avancé des doctrines qu’il importe de combattre.
L’honorable député déplore le traité avec la Hollande en ce qui regarde la pêche ; il nous dit que cette industrie en Belgique fait de mauvaises affaires, que les fonds qui y sont employés ne rapportent rien, malgré les chances très hasardeuses auxquelles ils sont exposés. Je dois cependant lui faire observer qu’avant comme après le traité, le poisson est resté cher, très cher, qu’il a toujours manqué sur tous les marchés, qu’une quantité double aurait été absorbée avec une grande facilité, que la consommation, pour ce qui regarde le poisson frais, a augmenté dans une très forte proportion, à cause de la rapidité des moyens de transport, qui augmente le rayon dans lequel cette denrée peut être demandée.
Comment donc se fait-il que la pêche nationale ne soit pas dans un état brillant ? Une industrie qui vend tout ce qu’elle peut produire et à des prix très élevés, doit nécessairement faire d’immenses bénéfices ; s’il en est autrement, c’est qu’elle est mal conduite ; et alors, loin d’avoir droit à une protection, c’est un blâme. qu’elle doit encourir, pour ne pas savoir tirer parti de ce moyen qui devrait concourir à la prospérité du pays ; mais j’aime à croire qu’il n’en est pas ainsi.
Voilà les observations que le discours de l’honorable député a fait naître dans mon esprit, relativement à la pêche nationale.
Mais il est un autre point de vue sous lequel on a évité de vous le présenter, et qui a une importance infiniment plus grande, c’est celui du consommateur.
Que veut l’honorable député ? A quoi aboutissent ses doléances ? Il regrette que le poisson étranger puisse entrer. Quel en serait le résultat pour le consommateur ? Moins de poisson et des prix plus élevés ; et c’est dans ce moment, où toutes les denrées alimentaires sont à des prix excessifs, qu’on vient regretter des mesures qui auraient pu contribuer à faire baisser une denrée qui est d’obligation pendant un ou deux jours ! L’honorable député n’y a sans doute pas pensé ; s’il est permis de prêcher pour sa paroisse, il faut que ce soit en temps opportun, il faut surtout éviter de le faire dans des circonstances aussi désastreuses que celles où nous nous trouvons, et alors que ce que l’on demande serait au détriment des malheureux. Je vote contre l’amendement de l’honorable député.
Messieurs, j’ai saisi cette occasion pour commencer l’attaque que je me propose de faire contre toutes les mesures, soit fiscales, soit protectionnistes, qui tendraient à mettre des droits sur toute espèce de denrées alimentaires. Tous les raisonnements doivent cesser, toutes les considérations doivent se taire devant l’inexorable nécessité du moment. Lorsque nous serons revenus à une situation normale, nous aurons à démontrer que ce que nous faisons aujourd’hui, à cause de la cherté des vivres, devra encore se faire alors même que cette cherté aura disparu, parce que la nourriture à bon marché des producteurs est la base de la prospérité de toutes les industries, et par conséquent de la prospérité des Etats.
Enfin, messieurs, je terminerai en priant M. le ministre de voir si le moment n’est pas venu de faire usage de la faculté qui lui a été laissée de déclarer le bétail libre de tous droits d’entrée. Le prix excessif de la viande me dispense d’avoir à prouver l’opportunité de cette mesure.
M. Rodenbach. - Messieurs, malgré ce que vous ont dit M. le ministre des affaires étrangères et l’honorable préopinant, il n’en est pas moins vrai que la Hollande introduira annuellement en Belgique 5,000 tonnes de morue et 2 millions de kilogrammes de poisson frais. (Interruption.)
J’entends dire : tant mieux. Je ne conteste pas, messieurs, que nous ayons besoin du poisson étranger, mais il est certain que l’importation des Pays-Bas ne pourra avoir lieu qu’au détriment de notre pêche nationale.
Messieurs, cette introduction de poisson étranger rapportera au trésor un revenu de cinq cent mille francs. Car les droits sont de 10 fr. par tonne de morue, de 9 fr. par 100 kil, sur le poisson frais de première qualité, et de 5 fr. sur celui de seconde qualité. Mais les bénéfices qu’aurait pu faire la pêche nationale seront diminués. C’est là un fait incontestable.
Messieurs, on dit que le poisson est cher. C’est vrai, mais je ne partage pas l’opinion que, pendant l’hiver, il se vende à un prix élevé, en présence surtout des quantités que pourront introduire chez nous nos voisins.
Le poisson, messieurs, ne se vend pas cher dans les villes de débarquement. Son prix n’augmente que par suite de circonstances indépendantes de la volonté de nos pêcheurs.
Et d’abord, comme vous l’a dit l’honorable ministre des affaires étrangères, le poisson doit être transporté par le chemin de fer. M. le ministre vient de nous parler d’un arrêté qui diminue les prix de transport. Depuis longtemps, messieurs, on aurait dû réduire ces prix. Car le poisson, transporté par petites quantités, est soumis au tarif le plus élevé.
M. le ministre nous a aussi parlé d’exportations à l’étranger. Mais ce (page 165) n’est là qu’un simple espoir pour nos pêcheurs, et rien ne nous assure qu’il se réalisera.
Le gouvernement nous a enfin promis d’employer ses efforts à faire réduire les tarifs des octrois et la minque. Mais jusqu’à présent nous ne voyons pas les effets de ces promesses.
On vous a dit qu’à Bruxelles et dans beaucoup d’autres villes, la morue est à un prix très élevé. Cependant, messieurs, les 11,000 tonnes de ce poisson qui ont été vendues à Ostende et à Nieuport, n’ont été payées qu’à raison de 11 à 12 c. le kil. On vous a dit encore, et je le reconnais, que les classes moyennes ne pouvaient manger du poisson frais. Mais il ne faut pas attribuer cet état de choses aux bénéfices que font nos pêcheurs ; les causes sont ailleurs.
Ainsi, il y a à payer à Bruxelles et dans d’autres villes un droit d’octroi qui s’élève jusqu’à 8 fr. 50 par tonne de morue, et jusqu’à 18, 20 et 25 pour cent sur le poisson frais. On conçoit qu’un pareil droit élève considérablement les prix et par suite restreigne la consommation.
Messieurs, on vous a dit aussi que les pêcheurs d’Ostende et du littoral avaient pour eux les deux tiers des produits de la pêche, et qu’un tiers était pour les armateurs. Eh bien, messieurs, si vous ne continuez pas à accorder la prime, si même vous ne l’augmentez pas, cette industrie deviendra périclitante comme beaucoup d’autres industries des Flandres.
Peut-être l’honorable député d’Ostende a-t-il été un peu loin en vous demandant une augmentation de 100,000 fr. Cependant M. le ministre vient de vous dire qu’il lui manquait 20,000 fr. pour allouer la prime telle qu’elle est fixée par les règlements, et il vous demande d’augmenter le crédit de cette somme. Je vous proposerai, messieurs, de porter l’augmentation à 50,000 fr. ; elle ne sera en réalité que de 30,000 fr., puisque 20,000 fr. sont nécessaires pour parfaire la prime qui est due à nos pêcheurs.
Messieurs, quoi qu’on en dise, le traité que nous avons fait avec la Hollande, en faveur d’une foule d’autres industries, sera fatal à l’industrie de la pêche. Il ne peut y avoir de doute sur ce point, et les chiffres le prouvent.
On nous a dit que les prix de cet été tendaient à établir le contraire. Messieurs, on n’a pu juger encore des effets du traité. A peine l’hiver commence, et le poisson ne manque pas dans cette saison. Lors même que les droits étaient fort élevés, il nous arrivait du poisson de la Hollande. Aujourd’hui que les droits sont réduits, vous ne pouvez douter qu’on ne nous importe les 5,000 tonnes de morue et les 2 millions de kilogrammes de poisson frais fixés par le traité.
Je crois, comme l’honorable M. Anspach, que le gouvernement doit aviser aux moyens d’augmenter les exportations, mais c’est un motif de plus pour augmenter la pêche et la prime. Si vous élevez d’une trentaine de mille francs le crédit qui vous est demandé par M. le ministre, vous procurerez à nos pêcheurs le moyen de donner quelques développements nouveaux à leur industrie et de nous fournir plus de poisson. Si au contraire vous ne venez pas à leur secours, nos armateurs, ne pouvant plus soutenir la concurrence avec les Hollandais, devront restreindre leurs opérations d’année en année ; vous finirez par ne plus avoir de pèche, industrie qui, quoi qu’on en dise, avait considérablement prospéré depuis la révolution ; par suite nos pêcheurs seront privés des deux tiers de bénéfice qu’ils reçoivent aujourd’hui, et plusieurs centaines de familles viendront grossir la foule de malheureux que renferment nos Flandres.
J’espère donc, messieurs, que nos honorables collègues voudront bien donner leur appui à ma proposition.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Donny. - Messieurs, je ne serai pas long. Je sens que la chambre est fatiguée de cette discussion, et je suis plus fatigué qu’elle ; car j’ai de la peine à faire sortir les sons de ma poitrine.
Je répondrai d’abord deux mots à l’honorable M. Anspach, et je lui dirai que son discours me prouve que je n’ai eu le bonheur d’être écouté par lui, ni dans la discussion du traité hollando-belge, ni dans ce que j’ai eu l’honneur de dire à la chambre samedi dernier.
Dans la discussion du traité hollando-belge, j’ai moi-même dit et répété que le poisson était cher, était exorbitamment cher et qu’il fallait trouver les moyens de faire baisser les prix. J’ai indiqué les causes de cette cherté. J’ai dit que ces causes ne disparaîtraient pas par le traité et qu’elles ne provenaient pas des pêcheurs, attendu que ceux-ci ne vendaient pas leur poisson trop cher, et j’en ai donné la preuve. Après avoir établi que le pêcheur vendait la morue à raison de 11 centimes la livre, le poisson frais, suivant les qualités, à raison de 13, de 10, de 7, de 4 1/2 centimes la livre, je vous demandais alors, messieurs, si ces prix étaient trop élevés.
Cette demande que je faisais alors à la chambre, je me permets aujourd’hui de l’adresser à l’honorable M. Anspach, et je suis persuadé d’avance qu’il répondra négativement. Le poisson se vend à Bruxelles le décuple de ce que le producteur en retire à Ostende.
Je dis que l’honorable M. Anspach n’a pas écouté ce que j’ai dit dans la séance de samedi dernier. Car il saurait que ce que je demande, ce n’est pas qu’on empêche le poisson étranger d’entrer, mais qu’on empêche la pêche nationale de périr, et cela sans doute est bien dans l’intérêt du consommateur. Car si la pêche devait disparaître de notre pays, vous seriez exploités par la Hollande, et vous seriez obligés de payer le prix qu’elle fixerait pour son poisson.
L’honorable M. Dechamps a trouvé que je lui avais fait de grandes concessions. La seule concession que je lui aie faite, c’est d’ajouter foi à des chiffres qu’il avait bien voulu me communiquer.
L’honorable ministre des affaires étrangères vous a cité des chiffres desquels il résulte que les prix de la morue ont été très faibles avant le traité, et que ces prix se sont considérablement relevés depuis. Messieurs, si l’on pouvait conclure quelque chose de ces faits très simples, mais qui paraissent étranges au premier coup d’œil, on ne pourrait en tirer qu’une conclusion absurde. Car les faits posés de cette manière, et sans autre explication, ne peuvent permettre d’autre conclusion que celle de dire que le traité hollando-belge est très favorable à la pêche nationale, puisque depuis ce traité le poisson a augmenté de prix. Or cela sans doute serait absurde.
Mais, messieurs, je puis vous expliquer d’une manière très simple et en peu de mots la hausse des prix de la morue depuis le traité.
Vous savez tous et M. le ministre des affaires étrangères mieux que personne que dans la première partie de l’année 1846, on s’est attendu de jour en jour à recevoir l’avis que le traité était conclu : or, l’on savait par la presse, par les documents officiels qu’on avait publiés, par ce qu’on disait constamment à tout le monde, par les paroles que M. le ministre des affaires étrangères avait lui-même constamment à la bouche, que le traité ne pouvait être conclu que moyennant de grands avantages pour la pêche hollandaise et de grands sacrifices pour la nôtre.
Il est résulté de là que ceux qui devaient s’approvisionner de morue (non pas les consommateurs ordinaires, comme vous l’a dit M. le ministre des affaires étrangères, mais les grands marchands) ont ajourné le plus qu’ils ont pu ces approvisionnements et n’ont acheté aux pêcheurs belges que le strict nécessaire.
Le traité a ensuite été conclu lorsque la flotte hollandaise était à pêcher, non pas de la morue, mais du hareng ; alors qu’en Hollande il n’y avait pas de morue ou qu’il n’y en avait que très peu ; alors qu’on ne pouvait pas nous en envoyer ou qu’on ne pouvait nous en envoyer qu’en très petite quantité. Qu’en est il résulté, messieurs ? C’est que les gros marchands, qui jusque-là avaient ajourné leurs approvisionnements, ont dû se résigner à s’approvisionner de morue belge ; et de là est provenue cette augmentation de prix qui n’est que le simple fait d’une concurrence survenue tardivement.
Au reste, dans mon premier discours, j’ai fait voir qu’en combinant les prix antérieurs au traité et les prix postérieurs à cet acte, l’ensemble était défavorable à notre pêche, malgré l’augmentation signalée par M. le ministre et par moi-même tout le premier.
M. le ministre trouve aujourd’hui que 40 fr. par tonne de morue est une moyenne trop forte. C’est précisément ce que je lui ai dit lors de la discussion du traité hollando-belge ; ce chiffre de 40 fr. était celui fixé par M. le ministre lui-même dans son exposé des motifs, et je l’ai accepté dans la discussion parce que j’acceptais alors les chiffres de tous ceux qui soutenaient l’opinion contraire à la mienne. En cela je faisais d’abord acte de loyauté, et, en second lieu, je cédais en quelque sorte à une nécessité ; car vous aurez peut-être gardé le souvenir, messieurs, que j’ai parlé pendant plus de deux heures ; et si j’avais dû contester les chiffres de toute espèce que l’on mettait en avant, j’en aurais eu pour plus de deux jours, et vous eussiez refusé de m’écouter. Il m’a donc fallu accepter les chiffres de tout le monde, et ces mêmes chiffres j’ai continué à les prendre pour base de mes raisonnements.
M. le ministre dit que la Hollande n’importera pas les 5,000 tonnes de morue et les 2 millions de kilog. de poisson frais qu’elle peut importer aux termes du traité. Chose singulière, la conviction de M. le ministre à cet égard est aujourd’hui diamétralement opposée à ce qu’elle était au mois de juin dernier… (Interruption). Je vais le prouver.
Un membre. - Ce n’est pas singulier.
M. Donny. - Quand vous m’aurez entendu, vous trouverez que c’est singulier.
Messieurs, dans les négociations qui ont amené le traité, le système de la Hollande était celui-ci. Elle disait au gouvernement belge : « Je vous présente deux alternatives ; vous choisirez entre ces alternatives : ou bien vous admettrez mon poisson à un droit plus élevé, mais sans limitation de quantité ; ou bien vous admettrez mon poisson à des droits moins élevés, mais alors la quantité que je pourrai importer à ces droits sera limitée. » M. le ministre a consulté les armateurs ; il leur a dit : « Vous avez le choix entre deux coups ; quel est celui qui vous blessera le moins ? » Les armateurs ont déclaré à plusieurs reprises et très formellement qu’ils préféraient un droit plus élevé sans limitation de quantité, à uu droit moins élevé avec limitation de quantité. Eh bien, messieurs, qu’a fait M. le ministre ? M. le ministre, après avoir entendu les armateurs, après avoir entendu toutes leurs raisons, a fait non pas ce qu’ils demandaient, mais le contraire, c’est-à-dire qu’il a admis le droit moins élevé avec limitation, et pourquoi ? Parce qu’il avait la conviction que la Hollande importerait jusqu’à la limite et que si la limite n’existait pas, la Hollande importerait au-delà. Eh bien, messieurs, aujourd’hui M. le ministre vient soutenir tout à fait l’opposé. Je dis qu’il y a là quelque chose de fort singulier.
« Mais, a dit M. le ministre, les armateurs eux-mêmes ont soutenu que la limite ne serait pas atteinte. » Il y a ici, messieurs, quelque chose à rectifier en ce qui concerne la morue, les armateurs ont dit que dans les temps les plus favorables, la Hollande n’en plaçait dans notre pays que 4,000 tonnes, et que dès lors ils espéraient, qu’après le traité, les importations de morue hollandaise n’atteindraient pas le chiffre de 5,000 tonnes, ou tout au moins que ce chiffre ne serait pas dépassé, ce qui leur faisait regarder la limitation comme quelque chose d’assez illusoire. Quant au (page 166) poisson frais, les armateurs ont dit à M. le ministre que, dans certaines conditions, conditions qu’il serait imprudent d’indiquer au public, dans certaines conditions qui dépendaient de la Hollande, celle-ci n’aurait pas importé plus de 2 millions de kilog., pas même autant ; mais que, dans d’autres conditions dépendant également de la Hollande, ce et aurait importé, non j’as seulement 2 millions de kilog., mais une masse beaucoup plus considérable. Eh bien, messieurs, les armateurs voulaient courir cette chance pour obtenir une augmentation de droits, augmentation qu’ils n’ont pas obtenue.
« Mais, dit encore M. le ministre, vous signalez vous-même l’exubérance de la production, et vous demandez une augmentation de primes ; en d’autres termes, vous demandez qu’on pousse encore à l’augmentation de la production. » C’est là, messieurs, une grave erreur : mon amendement ne demande pas d’une manière expresse une augmentation de primes, une augmentation de production ; mon amendement demande simplement que le chiffre porté au budget soit majoré de 100,000 francs. Or, comment ce chiffre est-il libellé ? Y a-t-il au budget : « Primes » ? Non, messieurs, il y a : « Pêche maritime ». Rien n’est donc décidé quant à l’emploi du crédit, ct ce serait à M. le ministre des affaires étrangères à voir ce qu’il conviendrait le mieux de faire pour maintenir la pêche nationale sur pied.
Je vais même vous indiquer un excellent moyen d’encourager la pêche, sans augmenter l’excédant de la production et même en diminuant cet excédant. Pour atteindre ce but, il n’y aurait qu’à encourager les exportations, soit vers l’Allemagne, soit vers le Levant.
Je crois, messieurs, avoir répondu et à M. le ministre et à M. Anspach. Je bornerai donc ici mes observations.
- La clôture est demandée.
M. Dumortier (contre la clôture). - Il me paraît, messieurs, qu’il est difficile de prononcer la clôture sur une question si importante pour toute la région maritime du pays. Cette région a été frappée mortellement par le traité avec la Hollande, et puisqu’il se présente aujourd’hui une occasion de porter remède aux maux que nous avons occasionné nous-mêmes, il est juste d’examiner au moins les propositions qui nous sont soumises dans ce but. Quant à moi, je désire prononcer quelques mots pour appuyer l’amendement de M. Donny ou tout au moins celui de M. Rodenbach.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
Les amendements de M. Donny, de M. Rodenbach et de M. le ministre des affaires étrangères sont successivement mis aux voix et rejetés.
Le chiffre de 100,000 francs, proposé primitivement au budget, est ensuite mis aux voix et adopté.
« Article unique. Missions extraordinaires, traitements d’agents politiques et consulaires en inactivité, et dépenses imprévues : fr. 40,000. »
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, j’ai demandé la parole pour vous engager à déterminer enfin la nature des dépenses imprévues auxquelles est destiné le crédit compris dans cet article sous le libellé de « dépenses imprévues ». Il me semble qu’il est devenu indispensable prendre une décision à cet égard, surtout après la discussion qui a eu lieu relativement à l’article : « décorations de l’ordre de Léopold ». Vous vous rappelez, messieurs, que, dans cette discussion, un honorable député d’Anvers a proposé un amendement ainsi conçu : « Sans qu’on puisse augmenter le chiffre par des imputations sur d’autres articles. » Cet amendement, qui a été adopté, me semble offrir certains dangers parce qu’on pourrait en inférer, que le gouvernement est autorisé à dépasser les crédits, dont le libellé n’est pas accompagné d’une semblable disposition. Je pense donc, messieurs, qu’il est urgent de déterminer la nature des dépenses que le gouvernement est en droit d’imputer sur le crédit destiné aux dépenses imprévues. Cela me paraît d’autant plus urgent qu’il semblerait que la cour des comptes a manqué à son devoir.
Je tiens à ce que cette induction ne se répande pas parmi nous, car elle ne serait pas fondée. En effet, messieurs, la cour des comptes a toujours été dans une dissidence complète, quant à l’interprétation à donner à la partie du libellé intitulée : « dépenses imprévues ». Voici maintenant comment il se fait que depuis 2 ou 3 ans, si je ne me trompe, la cour des comptes a cru pouvoir liquider sur l’article des dépenses imprévues des dépenses qu’elle ne croit pas pouvoir être imputées sur ce crédit. La cour des comptes, après avoir fait toutes les remontrances imaginables au gouvernement, après avoir entretenu pendant plusieurs années correspondance la plus active avec les divers départements ministériel, après avoir signalé cette dissidence d’opinion dans la plupart de ses cahiers d’observations à la législature, afin de provoquer une décision de notre part, la cour voyant qu’aucune interprétation suffisante n’intervenait dans le parlement à la suite de ses observations, a cru pouvoir, de guerre lasse, admettre au moins provisoirement les prétentions de l’administration.
En effet voici, messieurs, ce que nous lisons dans le cahier relatif au compte définitif de l’exercice 1840 :
« Il a été émis dans les chambres et ailleurs tant de doctrines différentes sur le point de savoir ce qui pouvait ou ne pouvait étre considéré comme dépense imprévue, qu’il est devenu presque impossible à la cour d’assigner à ces sortes de dépenses un véritable caractère ; aussi est-elle devenue moins rigoureuse à ce sujet, en attendant qu’une définition dans les budgets ou dans la loi de comptabilité vienne poser des règles et des limites, que la cour s’est vainement efforcée de poser elle-même. » (page 29.)
Ainsi donc, messieurs, la cour des comptes, ne voyant intervenir aucune décision, a cru pouvoir mollir à cet égard ; C’est ainsi que pour l’ordre de Léopold elle a cru pouvoir liquider une dépense de 1,200 fr. environ au-delà du crédit alloué.
L’administration croit donc pouvoir augmenter les dépenses prévues au budget au moyen du crédit des dépenses imprévues ; telle est l’opinion qu’elle n’a cessé de chercher à faire prévaloir dans ses correspondances avec la cour, elle croit pouvoir dépasser ainsi la limite des crédits votés par les chambres.
La cour, dans le nième cahier concernant l’exercice définitif de 1840, définit de la manière suivante les prétentions diverses des départements ministériels. :
« En général, dit-elle, pour ce qui concerne ces sortes de dépenses, c’est le cas de dire : tot capita tot sensus ; ici on veut en faire l’appoint des crédits absorbés ou insuffisants’, là on veut les faire servir à solder des dépenses arriérées ; on a été même jusqu’à demander des fonds à charge de rendre compte pour faire face au payement de dépenses imprévues déjà effectuées à l’époque de la demande de fonds ; enfin, lorsque toutes les allocations du budget sont épuisées, et que l’on se trouve dans l’embarras, le chapitre des dépenses imprévues est la panacée universelle. »
Vous voyez, messieurs, que le gouvernement entend qu’il peut disposer des crédits accordés sous le titre de dépenses imprévues pour augmenter des dépenses prévues, dont le chiffre a été arrêté par la loi des crédits, et c’est ce que la cour des comptes n’admet pas. Elle pense que ce crédit n’est destiné qu’à subvenir à des dépenses qu’il n’a pas été donné au gouvernement de prévoir dans les divers libellés du budget, qu’il a lui-même proposés.
Messieurs, si le gouvernement pouvait ainsi dépasser les crédits fixés à la suite des discussions parlementaires par la loi, ce serait une violation réelle de l’article 116 de la Constitution ; cet article porte que les crédits ne peuvent pas être dépassés, que le gouvernement ne peut pas faire de transfert d’un article sur un autre. En présence d’une disposition aussi formelle, il me semble que l’amendement qui n été proposé par l’honorable M. Osy, est inutile et même dangereux. Il semblerait bien que les transferts sont possibles, que les crédits peuvent être dépassés partout où un libellé semblable n’existera pas.
Je concevrais qu’un semblable libellé accompagnât, par exemple, les articles concernant les brevets d’invention et le service de santé. En effet, il avait été statué par le décret du 6 décembre 1830, quant aux brevets, que la dépense du personnel pourrait être imputée sur le crédit affecté au service du matériel. Il en a été de même pour le service de santé. Mais quant aux autres services, je pense que l’article 116 de la Constitution est suffisant pour empêcher qu’on ne fasse de transferts.
J’espère donc qu’à propos de cet incident, la chambre jugera à propos de statuer de quelle manière le gouvernement peut user du crédit des dépenses imprévues. Je vais en conséquence avoir l’honneur de proposer un amendement pour arriver à ce but. Le chapitre 7 est destiné aux missions extraordinaires, aux traitements d’agents politiques et consulaires en inactivité et aux dépenses imprévues.
Je proposerai de faire deux articles, l’un pour les dépenses imprévues 7,000 fr., l’autre pour les missions extraordinaires, etc., 33,000 fr.
Si la chambre adopte ma proposition, la cour des comptes saura que votre intention est que le gouvernement ne peut imputer sur le chapitre des dépenses imprévues que les dépenses non prévues par les articles du budget, et qu’il ne peut pas l’employer à augmenter le chiffre affecté par la chambre aux dépenses prévues. S’il n’en était pas ainsi, mais à quoi servirait-il de discuter quelquefois pendant une séance entière sur le chiffre d’un crédit demandé par le gouvernement ? Je suppose que le gouvernement nous propose, pour une construction quelconque, un crédit de 60,000 fr. ; après une longue discussion, nous réduisons le chiffre à 50,000 fr. ; je suppose encore que ce même budget contienne un crédit de 10,000 fr. pour dépenses imprévues ; eh bien, le gouvernement pourra ne tenir aucun compte du vote de la chambre, et dépenser les 60,000 fr., bien que la chambre eût réduit le chiffre spécial à 50,000 fr.
Messieurs, vous ne permettrez pas que l’on porte la moindre atteinte aux formes salutaires voulues par la Constitution, en faveur de nos finances. Vous mantiendrez la spécialité des articles, vous donnerez à la cour des comptes la force nécessaire pour qu’elle puisse veiller à ce que les crédits ne soient pas dépassés, mettre obstacle à ce qu’il ne s’opère aucun transfert.
- L’amendement de M. de Man d’Attenrode est appuyé.
M. Osy, rapporteur. - Messieurs, jusqu’à présent la cour des comptes et la chambre ont toujours entendu que le chapitre des dépenses imprévues ne pouvait être appliqué qu’aux dépenses non prévues au budget ; mais dans différents ministères, et surtout au ministère des affaires étrangères, on ne l’entend pas ainsi : on y impute des dépenses prévues sur le chapitre des dépenses imprévues. L’amendement de l’honorable M. de Man devra donc être appliqué en ce sens que la cour des comptes ne pourra liquider sur le chapitre des dépenses imprévues, aucune somme se rapportant à l’une des dépenses prévues au budget Cette discussion aura pour résultat que la cour des comptes sera armée de toutes pièces pour refuser son visa à une semblable imputation ; si, à la suite d’une décision du conseil des ministres, le gouvernement persiste à demander l’imputation, la décision sera relatée dans le cahier d’observations de la cour des comptes, et alors la chambre aura à examiner si le conseil (page 167) des ministres n’a pas outrepassé, en cette circonstance, les chiffres que nous avions votés au budget.
Nous ne tenons pour le moment qu’au principe de l’amendement de l’honorable M. de Man ; si M. le ministre pense qu’il faille 8,000 francs pour l’article spécial des dépenses imprévues, je ne m’y opposerai pas, mais je le répète, il faut adopter le principe et diviser le chapitre en deux. Je propose de sous-amender la proposition de l’honorable M. de Man, ainsi :
« Chapitre VII.
« Art. 1er Missions extraordinaires et traitements d’agents politiques et consulaires en non activité : fr. 32,000.
« Art. 2. Dépenses imprévues : fr. 8,000. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je regrette que l’honorable M. de Man n’ait pas cru devoir m’avertir de l’amendement qu’il voulait proposer ; car n’ayant pas sous les yeux tous les chiffres des dépenses effectuées sur ce crédit pendant les exercices antérieurs, j’éprouve de la difficulté à déterminer dans quelle proportion il est possible de partager le chiffre dont on propose la division.
Messieurs, je ne m’oppose pas au principe même de l’amendement. Le chapitre VII comprend plusieurs objets, les missions extraordinaires, les traitements des agents politiques et consulaires en non activité, et les dépenses imprévues. L’honorable membre veut définir les dépenses imprévues ; il est fort difficile de définir l’imprévu. (Interruption.) C’est un fait (lue la cour des comptes examinera chaque fois, si l’imputation concerne réellement une dépense imprévue.
Je dis donc que je ne m’oppose pas au principe de la division de l’article en deux chiffres distincts ; mais je n’ai pas les éléments d’appréciation pour répartir les chiffres entre les deux catégories que l’on veut former.
Messieurs, je ferai une observation relativement aux dépenses imprévues du département des affaires étrangères. Ce crédit a été sans cesse diminué depuis 1840. Il était alors de 70 mille francs. On l’a réduit d’abord à 50, puis à 40 mille francs. Qu’est-il arrivé depuis qu’on a réduit cette allocation à 40 mille francs ? Le gouvernement a été amené à présenter chaque année à la chambre une demande de crédit supplémentaire pour les dépenses imprévues. Or, je vous le demande, quel profit y a-t-il pour la chambre de réduire le crédit alloué pour les dépenses imprévues, quand le gouvernement est forcé de demander un crédit supplémentaire ? S’il justifie que les dépenses ont dû être faites et sont régulièrement liquidées, la chambre ne peut se refuser à accorder les fonds nécessaires pour payer ces dépenses.
Je constate ce fait que depuis la réduction de l’allocation le gouvernement a été amené à présenter en l845 un crédit supplémentaire ; en 1846 il sera obligé à en présenter un autre ; la chambre aura à l’examiner.
La chambre est maîtresse de réduire encore, si elle veut, le chiffre du crédit ; mais cela ne peut aboutir à d’autre résultat que celui de créer des crédits supplémentaires.
Messieurs, j’ai dit que je ne m’opposais pas au principe posé par l’honorable M. de Man. Il m’importe peu que l’allocation portée au chapitre VII soit divisée en deux articles ; cependant en adoptant un chiffre pour les dépenses imprévues, je crains de le fixer au hasard, parce que les éléments me manquent actuellement pour faire cette appréciation. J’ai bien le chiffre pour 1846, mais je ne sais s’il correspond avec celui des années antérieures. J’accepterai celui de 10 mille fr. qui me paraît suffisant.
M. de Brouckere. - M. le ministre des affaires étrangères ne conteste pas le principe de l’amendement proposé par l’honorable M. de Man. La discussion ne peut donc tomber que sur le chiffre qui sera affecté à chacun des deux articles qui composeront à l’avenir le chapitre VII. Il me semble qu’il n’y a aucune difficulté à adopter pour les dépenses imprévues le chiffre proposé par l’honorable M. de Man, pourvu qu’il soit entendu que M. le ministre pourra, au second vote, demander qu’on modifie ce chiffre s’il croit qu’il y ait nécessité de le faire ; si cette nécessité est démontrée, la chambre ne refusera pas d’adopter sa proposition.
Le but principal que s’est proposé l’honorable M. de Man, d’accord avec l’honorable M. Osy, est d’empêcher qu’on n’abuse de l’allocation portée au budget sous le libellé « Dépenses imprévues » ; car l’abus est constaté ; je crois qu’il n’est nié par personne. M. le ministre répond : Comment voulez-vous donner à la cour des comptes une règle de conduite ? Il est impossible de définir ce qu’on doit entendre par dépenses imprévues. Rien n’est plus facile que de trouver cette définition. Les dépenses imprévues sont celles qui ne sont pas prévues au budget. Voilà la définition la plus simple et la plus vraie. C’est en cela qu’il y a eu abus ; on a appliqué à des dépenses prévues une partie de l’allocation portée au budget sous le titre : « Dépenses imprévues ».
Ainsi il doit être bien entendu, c’est l’opinion de la chambre, que l’on ne peut prélever aucune partie quelconque de la somme portée dans le libellé « Dépenses imprévues », pour des dépenses qui sont prévues au budget, car alors ce n’est plus une dépense imprévue ; il faudrait changer le libellé de l’article et dire : « Supplément pour toutes les dépenses prévues au budget ». Ce ses-ait précisément le contraire de ce que vous voulez.
Je demande donc qu’il soit bien entendu, - quant au chiffre, je m’en rapporterai à ce que M. le ministre proposera à la chambre, - je demande qu’il soit bien entendu qu’aucune partie de la somme que nous votons pour dépenses imprévues ne pourra être affectée à des dépenses prévues au budget.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je n’admets pas d’une manière aussi absolue le principe posé par l’honorable préopinant. D’après les précédents posés et admis par la cour des comptes, on peut parfois imputer sur le chapitre des dépenses imprévues des frais relatifs à des allocations du budget, mais résultant de circonstances tout à fait imprévues.
Ainsi, des voyages nécessités par une négociation peuvent constituer un fait imprévu, quoique se rattachant à un chapitre du budget. Une circonstance peut se produire qui nécessite une dépense plus grande que celle prévue au budget ; il faut alors demander un crédit supplémentaire ou imputer cette dépense extraordinaire sur les dépenses imprévues.
La théorie de l’honorable M. de Brouckere ne peut être admise d’une manière trop absolue ; la cour des comptes n’a jamais été aussi loin. Elle a souvent considéré comme dépenses imprévues les dépenses nées de circonstances imprévues.
M. de Brouckere. - C’est un abus !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Si c’est un abus, il existe dans tous les départements et il a existé depuis 15 ans. Ainsi pour revenir au fait signalé par l’honorable M. Osy et qui a motivé son amendement, voici comment les choses se sont toujours passées : au budget se trouve un crédit ; au commencement de l’année l’orfèvre adjudicataire pour les fournitures des décorations pendant l’année, confectionne le nombre de plaques, boîtes, etc., jusqu’à concurrence de la somme fixée au budget,, et c’est dans ce dépôt que l’on puise pendant l’année les décorations accordées par les divers ministères.
Si un fait extraordinaire a lieu, la conclusion d’un traité par exemple, et l’échange de décorations qui en résulte, le crédit étant épuisé, on a toujours imputé cet excédant de dépenses sur les frais imprévus.
Lorsque je me suis rallié à l’amendement de M. Osy, ce n’est pas parce que je reconnaissais que des abus avaient existé, mais je m’y suis rallié parce qu’il était inutile, comme l’a remarqué l’honorable M. de Man, parce que nous avions nous-même posé en principe, dans l’arrêté organique du 21 novembre, que l’on ne pourrait plus désormais changer l’ordre des imputations du budget. L’honorable M. de Man a posé le même principe ; il a proposé un amendement pour le faire consacrer, et nous n’y avons vu aucun inconvénient.
M. de Man d’Attenrode. - Je trouve étonnant, messieurs, que l’honorable ministre des affaires étrangères, après avoir déclaré qu’il se ralliait au principe que j’ai défendu, persiste à croire qu’il pourrait continuer à imputer des dépenses prévues au budget, sur le chiffre des dépenses imprévues. Il me semble que j’avais exposé assez clairement le principe auquel M. le ministre s’est rallié pour qu’il ne fût pas possible de l’interpréter de cette manière.
M. le ministre vient de dire que l’honorable M. de Brouckere est en quelque sorte plus exigeant que la cour des comptes. Voici l’interprétation qu’il convient de donner, d’après son cahier d’observations concernant le compte définitif de 1838 (page 10), aux mots « dépenses imprévues » : « Ces mots désignent les dépenses pour lesquelles aucune autre allocation n’existe au budget. Il est clair, ajoute-t-elle, qu’un événement imprévu peut contribuer à augmenter les dépenses du matériel nécessaire à une administration, au point que l’article destiné à les solder devienne insuffisant ; mais, dans ce cas, il est plus rationnel de demander à la législature de pouvoir augmenter cet article d’une somme à prendre sur tel autre article du budget, qui offre un excédant de crédit.
Cela est bien clair, messieurs, la cour des comptes entend par dépenses imprévues celles qui ne sont point prévues dans les libellés des divers articles du budget.
On ne dira plus que l’honorable M. de Brouckere pousse les exigences plus loin que la cour des comptes. Je pense que son opinion est à peu près conforme à celle de la cour.
Mais, messieurs, si la chambre permettait au gouvernement de marcher dans cette voie, la Belgique entrerait quelque peu dans le système des crédits supplémentaires français. Vous savez, messieurs, qu’en France, lorsque le gouvernement trouve insuffisants les crédits accordés par la loi, il les augmente par ordonnance royale. Or, tous ceux qui se sont occupés du système financier de la France, savent que c’est là la véritable plaie des finances de ce pays, malgré l’admirable système qui tend à les régulariser. J’espère, messieurs, qu’on ne permettra jamais au gouvernement du pays d’entrer même de la manière la plus imperceptible dans une voie semblable.
M. le ministre des affaires étrangères a déclaré que les crédits pour dépenses imprévues avaient été souvent insuffisants, que celui que je viens de proposer le serait encore.
Je pense, messieurs, que si un crédit était dépensé comme il devrait l’être, il ne serait jamais entièrement épuisé. Si chaque année le budget était parfaitement rédigé, les divers libellés proposés par le gouvernement devraient en quelque sorte prévoir toutes les dépenses, et il ne devrait y avoir lieu à se servir de l’article qui termine tous nos budgets, l’article des dépenses imprévues, que dans des cas rares et extraordinaires impossibles à prévoir. Mais si le gouvernement croit devoir faire usage de cet article pour augmenter les crédits que nous avons votés, pour dépasses les limites posées par notre vote, alors il n’est pas étonnant du tout que le crédit des dépenses imprévues n’est pas suffisant et que le gouvernement nous annonce d’avance qu’il est obligé de demander un crédit supplémentaire pour augmenter le chiffre alloué pour ces dépenses.
(page 168) Ce n’est pas là, messieurs, la marche qu’il faut suivre. Si le gouvernement trouve que tel ou tel chiffre du budget est insuffisant, qu’il demande un credit supplémentaire pour augmenter ce chiffre, mais non pas pour augmenter le crédit des dépenses imprévues.
Je pense, messieurs, que pour donner une sanction véritable à mon amendement, il faudrait le modifier de cette manière :
« Dépenses imprévues et non libellées au budget. »
J’ai l’honneur de vous proposer cette modification à l’amendement que j’ai déposé il y a quelques instants.
M. le ministre des finances (M. Malou). – Messieurs, je ne crois pas, à raison de la faible allocation qui figure à tous les budgets des départements ministériels pour les dépenses imprévues, qu’on puisse redouter les inconvénients que l’honorable membre attache au pouvoir accordé au gouvernement français, d’ouvrir des crédits supplémentaires. Fallût-il admettre un abus de l’article des dépenses imprévues, même jusqu’à concurrence de 10,000 fr., il ne pourrait pas compromettre gravement notre système financier. La question a donc, en elle-même, fort peu d’importance.
Il est impossible de résoudre en ce moment les questions relatives aux faits divers qui peuvent se présenter et qui se présentent en effet tous les jours relativement aux imputations sur le budget. Ces faits doivent être appréciés par le gouvernement et par la cour des comptes.
D’honorables membres pensent que dans aucune hypothèse une somme quelconque ne peut être imputée sur les dépenses imprévues pour un objet auquel s’applique l’un des libellés du budget. Si la cour des comptes partage cette opinion, le gouvernement ne pourra pas faire de semblables imputations ; mais, dans l’intérêt de la chambre et du gouvernement, ne posons pas ici des règles tellement absolues que jamais, alors même que la cour des comptes reconnaîtrait la nécessité d’une imputation, elle devînt impossible.
Je crois, messieurs, que l’on peut séparer au budget des affaires étrangères, comme aux autres, ce crédit pour les dépenses imprévues ; mais ce vote doit être entendu seulement dans ce sens qu’il n’est pas permis, sans nécessité absolue, d’imputer une dépense prévue sur ce crédit.
M. de Brouckere. - Messieurs, les explications que j’ai données sur la manière dont il faut entendre le libellé : « dépenses imprévues », ces explications me semblent tellement claires que je suis persuadé que je n’aurais pas eu M. le ministre des affaires étrangères pour contradicteur, si M. le ministre des affaires étrangères n’était entraîné par la longue habitude de ce qui s’est fait jusqu’ici dans plusieurs départements ministériels ; car je reconnais moi-même que dans plusieurs départements ministériels on a souvent donné à la qualification de dépenses imprévues la même interprétation que lui ; mais c’est parce que je pense qu’il est temps d’en finir, que je me suis expliqué à cet égard.
Messieurs, appliquer une partie de l’allocation destinée aux dépenses imprévues, à des dépenses prévues au budget, c’est faire un véritable transfert, c’est transférer de l’article destiné aux dépenses non prévues une partie de l’allocation à des dépenses qui sont prévues, qui figurent à certains articles du budget. Eh bien, messieurs, nous sommes parfaitement d’accord, l’honorable M. de Man et moi, nous sommes parfaitement d’accord avec la cour des comptes. La cour des comptes entend les mots « dépenses imprévues » comme nous, et si quelquefois elle a cédé aux instances de MM. les ministres, c’est, je suppose, parce que, en présence du silence de la chambre, la cour n’a point voulu trancher cette question d’une manière absolue. Mais quand la cour des comptes aura notre appui, elle rentrera dans la ligne de conduite dont, moi, j’aurais voulu qu’elle ne fût jamais sortie, c’est-à-dire qu’elle n’autorisera plus les transferts.
Messieurs, si l’honorable M. de Man n’avait pas pris la parole avant moi, voici l’amendement que je comptais proposer :
« Sans qu’aucune partie de l’allocation puisse être appliquée à des dépenses portées au budget. »
Mais je trouve que le libellé de l’honorable M. de Man est suffisant, et je déclare me rallier à cet amendement qui porte : « Dépenses imprévues et non libellées au budget ».
M. Osy. - M. le ministre des affaires étrangères a commencé par se rallier à la proposition de l’honorable M. de Man.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Pardonnez-moi.
M. Osy. - Vous vouliez vous y rallier, mais vous avez énoncé une opinion contraire à la nôtre. Quant à la nature de ce qu’on devait appeler dépenses imprévues, et de la manière dont M. le ministre s’est expliqué la seconde fois, je crois qu’il est de toute nécessité que nous adoptions l’amendement tel que l’honorable M. le Brouckere vient de vous en donner lecture. Nous pensons que le chiffre des dépenses prévues ne peut être grossi au moyen du chiffre des dépenses imprévues, tandis que M. le ministre des finances et M. le ministre des affaires étrangères pensent le contraire.
Messieurs, je dois deux mots de réponse à M. le ministre des affaires étrangères. Il vous a dit qu’il y a quelques années le chiffre du chapitre VII était de 70,000 fr., qu’il avait été réduit à 50,000 fr., et qu’aujourd’hui il n’était plus que de 40,000 fr.
Messieurs, lorsque l’honorable général Goblet était ministre des affaires étrangères, nous avons reçu les états de dépenses, et jamais celles-ci ne se sont montées, pour le chapitre VII, à 40,000 fr. Aussi l’honorable général Goblet a-t-il consenti à réduire le chiffre à 40,000 fr.
Voilà la seconde année que nous votons le même chiffre, et certainement il peut suffire si le gouvernement veut agir avec quelque économie, si, par exemple, il ne paye plus pendant plusieurs mois de grosses indemnités à un envoyé qui n’est pas à son poste. Car je dis que c’est à tort que l’on a payé depuis le mois d’août un envoyé qui n’est arrivé à son poste qu’au commencement de novembre.
Les motifs que M. le ministre des affaires étrangères a donnés pour expliquer ce retard, n’ont convaincu personne car si c’était à Paris qu’on devait négocier avec Naples, il était inutile de dépenser 7,000 fr. pour indemnités à un envoyé extraordinaire ; notre ambassadeur à Paris pouvait se charger de cette négociation, et l’envoyé qui avait pour mission d’aller complimenter le pape pouvait se rendre immédiatement à son poste ; vous ne vous seriez pas rendus ainsi coupables d’un manque d’égards envers le saint-père.
- La discussion est close.
L’amendement de M. de Man d’Attenrode, quant au libellé de l’article pour les dépenses imprévues, est mis aux voix et adopté.
Le chiffre de 40,000 fr., auquel s’était rallié M. le ministre, est ensuite adopté.
M. le président. - L’article premier sera ainsi conçu :
« Art. 1er. Missions extraordinaires, traitements d’agents politiques et consulaires en inactivité : fr. 30,000. »
- Cet article est adopté.
La chambre décide qu’elle procédera immédiatement au vote définitif du budget.
Le projet de loi est ainsi conçu :
« Article unique. Le budget des affaires étrangères est fixé pour l’exercice 1847 à la somme d’un million trois cent treize mille cinq cent vingt- quatre francs (1,313,524 fr.), conformément au tableau ci-annexé. »
- Ce projet est adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l’ensemble du budget.
55 membres répondent à l’appel nominal.
50 membres votent l’adoption.
4 membres votent le rejet.
1 (M. de Garcia) s’abstient.
En conséquence, le budget est adopté ; il sera transmis au sénat.
Ont voté l’adoption : MM. Pirson, Rodenbach, Rogier Sigart, Simons, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Vandensteen, Veydt, Vilain XIIII, Zoude, Anspach, Cans, Clep, d’Anethan, David, de Brouckere, Dechamps, de Corswarem, Dedecker, de La Coste, d’Elhoungne, de Man d’Attenrode, de Mer de Moorsel, de Meester, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Dolez, A. Dubus, B. Dubus, Dumortier, Fleussu, Goblet, Huveners, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Lys, Malou, Orban, Orts, Osy et Pirmez.
Ont voté le rejet : MM. Verhaegen, Castiau, Delfosse et de Bonne.
M. le président. - Le membre qui s’est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. de Garcia. - Je me suis abstenu parce que je n’ai pas assisté à la discussion.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) présente un projet de loi tendant à séparer trois hameaux de la commune de Vielsalm, et à les ériger en commune distincte.
- Acte est donné à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; il sera, ainsi que les motifs qui l’accompagnent, imprimé et distribué aux membres de la chambre.
La chambre le renvoie à l’examen d’une commission qui sera nommée par le bureau.
La séance est levée à quatre heures.