(Annales parlementaires de Belgique, session 1846-1847)
(Présidence de M. Dumont, vice-président.)
(page 133) M. Huveners procède à l’appel nominal à 1 heure.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Bernard, appelé aux fonctions d’inspecteur de l’enseignement moyen, prie la chambre d’accepter sa démission des fonctions de bibliothécaire de l’assemblée. »
- Pris pour notification.
« Le sieur Verrycken, sous-bibliothécaire de la chambre des représentants, demande la place de bibliothécaire. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Le sieur Théodore Juste, secrétaire de la commission centrale d’instruction primaire, premier commis au ministère de l’intérieur, demande la place de bibliothécaire de la chambre. «
« Mêmes demandes du sieur Jacques Eritz, docteur en droit, en philosophie et lettres, et chef de bureau au ministère de la justice ; du sieur Troisfontaine, docteur en philosophie et lettres, agrégé à l’université de Liége. »
- Même dépôt.
« Le sieur Hubert, greffier de la cour des comptes, demande la place de conseiller, vacante à cette cour. »
« Même demande du sieur Jean Engler, inspecteur du trésor, et du sieur Adolphe Fétis, receveur de l’enregistrement et des domaines, à Namur. »
- Même dépôt.
M. de Breyne demande un congé de cinq jours.
Accordé.
M. le président. - La discussion générale est ouverte. La parole est à M. le ministre les affaires étrangères.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, conformément à la décision qui a été prise hier pour le département des finances, il y aura lieu à modifier la rédaction du chapitre premier du budget du ministère des affaires étrangères, par un transfert à opérer en vertu de l’arrêté organique qui a été pris pour le département des affaires étrangères.
Il faudra libeller l’article 2 du chapitre premier ainsi qu’il suit :
« Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service, sans que le personnel de l’administration centrale puisse être rétribué sur d’autres fonds alloués par la loi du budget. «
C’est la rédaction qui a été adoptée hier.
Voici les transferts divers à opérer :
Une somme de 2,824 fr. étant aujourd’hui prélevée sur l’article 6 du chapitre premier (Matériel) pour le salaire :
1° D’un traducteur, fr. 1,000
2° D’un boutefeu : fr. 750
3° De deux femmes de peine : fr. 1,94
Total, fr. 2,824
Il y a lieu à diminuer l’article 6 d’une pareille somme, ce qui réduit le chiffre de 37,000 fr. à 34,176. fr., ou en nombres ronds fr. 34,100.
A porter à l’article 2, fr. 2,900.
Un second transfert doit être fait. Il est prélevé aujourd’hui sur l’article 3 du chapitre VI (Commerce)
Pour traitement d’un deuxième commis, fr. 1,400
Pour traitement d’un troisième commis, fr. 1,200.
Pour le salaire d’un concierge et d’un boutefeu, fr. 436 87
Total : fr. 3,036 87 c.
L’article 3 du chapitre VI, qui est de fr. 23,000 doit être dès lors réduit à fr. 19,963 13 c., ou en nombres ronds, fr. 19,900.
A porter à l’article 2, chapitre premier, fr. 3,100.
Le chiffre définitif de l’article 2, chap. premier, doit donc être fixé à fr. 81,500.
M. Osy. - Messieurs, la proposition que vient de faire M. le ministre des affaires étrangères est la conséquence des arrêtés qui nous ont été remis, à notre entrée en séance. Il me semble qu’il aurait été plus régulier de soumettre les divers amendements à la section centrale, pour qu’ils pussent être examinés. Il est impossible, eu égard à la marche que l’on suit, que les hommes les plus laborieux de la chambre puissent faire un examen attentif des dispositions qui sont prises par arrêté royal.
Messieurs, d’après le désir de la section centrale, j’ai, comme rapporteur de cette section, fait déposer sur le bureau l’état des dépenses faites par les divers chapitres du budget des affaires étrangères pour 1845, et celui des dépenses faites jusqu’aujourd’hui sur les chapitres 4, 5 et 7 du budget de 1846.
Messieurs, lors de la session dernière, après les pertes douloureuses que nous avons faites à Rome, j’avais demandé au gouvernement de se hâter de nommer un ministre auprès du saint-père ; et pour l’économie de nos budgets, j’avais exprimé le vœu qu’on nommât un titulaire définitif et non un intérimaire. Le gouvernement a fait précisément le contraire de ce que nous avions demandé ; il a nommé un intérimaire, et au lieu de renvoyer le plus tôt possible à son poste, nous avons vu par les journaux qu’il n’y était arrivé, qu’il y a peu de jours. Cependant, je vois d’après les états qu’on a déposés que le traitement, qu’on a appelé indemnité, court depuis le 16 août. Dans cette nomination, on a encore une fois éludé l’article 36 de la Constitution. Cet article porte : « Les membres de l’une ou de l’autre des deux chambres nommés à un emploi salarié, sont soumis à la réélection ». Je demande si, quand on donne une indemnité de 450 fr. par jour, ce qui fait 46,800 fr. par an, à un envoyé extraordinaire et intérimaire, ce n’est pas éluder l’article 36 le la Constitution, que de ne pas le soumettre à la réélection. Je suis persuadé que ce n’est que pour éluder la loi du congrès qu’on nomme provisoirement un envoyé extraordinaire, pour ne pas consulter ses commettants sur la question de savoir si cette nomination leur est agréable, car c’est à cette fin qu’on a adopté l’article 36 de la Constitution. On a voulu que les électeurs fussent consultés sur la question de savoir si l’absence du député de leur arrondissement pouvait leur convenir, s’ils ne trouvaient pas que leurs intérêts fussent compromis par cette absence.
Je crois que nous pouvons encore dire que c’est une inconstitutionnalité que M. le ministre des affaires étrangères a commise.
Je crois que cette dépense va augmenter le budget. Nous votons pour notre ambassade à Rome une somme de 40 mille fr., dont 32 pour le ministre et 8 pour le chargé d’affaires. Tous les ministres qui ont occupé ce poste ont pris un congé de six mois. D’après les règlements, pendant leur absence les agents diplomatiques perdent un tiers de leur traitement ; au lieu de 16 mille fr. ils ne touchent que 11 mille fr., de manière que le traitement du ministre n’est en définitive que de 27 mille francs.
D’après l’indemnité allouée à l’envoyé extraordinaire intérimaire, ce traitement se trouvera élevé à 46,800 fr.
M. le ministre me dira : Mais il faut donner une indemnité d’aller et de retour. Je lui répondrai, que si nous donnions cette indemnité à un ministre définitif, on ne lui donnerait que 9,000 fr., ce qui est le maximum des indemnités qu’on peut accorder en pareil cas, d’après l’arrêté consigné au Moniteur. On lui devrait la même indemnité au retour qui n’aurait lieu qu’après plusieurs années.
Vous le voyez, la nomination d’un intérimaire est onéreuse au trésor. Dans quelque temps il faudra de nouveau payer les mêmes frais de voyage d’aller et de retour ; de plus ces intérims ne sont pas favorables à nos relations avec l’étranger.
Pour ce qui est de la constitutionnalité, j’attendrai ce que diront mes honorables collègues et la réponse que fera M. le ministre des affaires étrangères. Je demanderai à cette occasion, à M. le ministre, comment il est possible qu’il y ait une aussi grande différence pour les frais de voyage telle qu’indiquée dans le tableau annexé à l’arrêté royal ; car je vois que l’on peut accorder à nos envoyés les frais de déplacement ci- après.
« Résidence des envoyés (minimum, maximum)
« Rome : min. : 4,000 fr. ; max. : 9,000 fr.
« Constantinople : min. : 5,000 fr. ; max. : 10,000 fr.
« Valparaiso : min. 7,000 fr. ; max. : 12,000 fr.
« Singapore : min : 6,000 fr. ; max. : 14,000 fr. »
« Copenhague : min : 2,000 fr. ; max. : 4,000 fr.
« Vienne : min : 3,000 fr. ; max. : 5,000 fr. »
Je comprends qu’un diplomate marié obtienne une indemnité un peu plus considérable qu’un diplomate célibataire. J’aurais compris une légère différence ainsi motivée. Mais avec des différences aussi considérables, sans aucun motif, il y a évidemment abus.
J’ajourne à l’article 6 du chapitre III les observations que j’ai à présenter relativement au commerce.
Je crois qu’il convient de vider dans la discussion générale la question de constitutionnalité que j’ai soulevée.
M. Verhaegen. - Je partage à tous égards l’opinion de mon honorable collègue M. Osy, quant aux observations qu’il vient de vous soumettre. Mais j’attendrai, pour prendre part à l’incident, que M. le ministre des affaires étrangères nous ait donné des explications sur ce point important.
Messieurs, j’ai demandé la parole, dans la discussion générale, pour demander au gouvernement des explications sur un autre point non moins important.
Nous nous occupons aujourd’hui, au sujet du budget des affaires étrangères, des traitements des ambassadeurs, ministres plénipotentiaires, chargés d’affaires, etc., et à cette occasion je voudrais savoir, j’en ai le droit, comment nos ministres à l’étranger soignent nos affaires d’intérêt matériel, et surtout quelle part ils prennent à la conclusion des traités de commerce ; car, il ne faut pas se le dissimuler, nous avons malheureusement plus d’un exemple de négligence et d’impéritie, dont nous subissons aujourd’hui les conséquences.
Messieurs, ce qui s’est passé dans une des dernières séances du conseil communal de la ville de Bruxelles, est digne de fixer votre attention ; il s’agit encore du traité avec la France, du 16 juillet 1842. Il semble qu’après avoir fait fautes sur fautes le gouvernement ne trouve plus d’autre moyen de se tirer d’affaire que de défendre chaleureusement les intérêts de nos voisins, et de fouler aux pieds les intérêts nationaux, et spécialement, dans l’occurrence, les intérêts de la ville de Bruxelles.
La ville de Bruxelles, messieurs, avait jugé à propos d’augmenter les droits d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères. C’était une mesure sage qui lui permettait d’alléger d’autres fardeaux trop pesants pour la classe nécessiteuse. Eh bien, le gouvernement vient de lui faire connaître qu’il ne peut pas sanctionner cette augmentation parce que ce serait contrevenir aux dispositions de la convention du 16 juillet 1842, et notamment à l’article 7.
L’article 7 de cette convention interdit aux communes de la Belgique toute augmentation de droits d’octroi ou autres qui altérerait pour la France le bénéfice des stipulations contenues dans les articles précédents. Or dans aucun des six premiers articles de la convention qui précèdent l’article 7, il n’est question d’eaux-de-vie ; il y est question d’objets de toute autre nature.
Messieurs, le conseil communal de Bruxelles avait depuis longtemps exprimé l’intention d’augmenter le droit d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères. Il y avait même eu à cet égard une correspondance entre l’administration et le gouvernement, au mois de juillet dernier. M. le ministre de l’intérieur, qui avait consulté sur ce point son collègue des affaires étrangères, avait déclaré à la régence de Bruxelles en termes explicites, qu’il n’y avait aucun inconvénient à augmenter les droits d’octroi attendu que la disposition de l’article 7 ne s’applique pas aux eaux-de-vie.
Mais le gouvernement changea tout d’un coup d’avis. Par dépêche du 14 novembre, M. le ministre de l’intérieur, qui avait fait connaître au mois de juillet son opinion conforme à celle de la régence, déclara à celle-ci que l’augmentation de droits d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères porterait atteinte à la stipulation de l’article 7 du traité, et que par conséquent le gouvernement n’autoriserait pas l’augmentation.
Je ne comprends réellement pas, messieurs, cette conduite du gouvernement. Quoi ! Dans un moment où la question n’a pas même encore été soulevée, au moins que je sache, par la France, le gouvernement, après avoir donné un avis favorable aux prétentions de la ville de Bruxelles, change tout à coup d’opinion, défend chaleureusement les intérêts de la France et sacrifie les intérêts belges !
Je ne comprends pas d’ailleurs comment M. le ministre de l’intérieur ait pu changer ainsi d’avis ; et, il faut bien le reconnaître, messieurs, les ministres ne sont pas heureux dans ces mouvements de volte-face, et le ministre des finances nous en a encore fourni la preuve hier dans la discussion soulevée par l’honorable M. Osy.
C’est, je le répète, l’article 7 du traité qui défend aux communes belges toute augmentation de droits qui altérerait pour la France le bénéfice des stipulations contenues dans les articles précédents.
Or, dans les articles précédents, il n’est pas question d’eau-de-vie, et si vous appliquez l’article 7 avec l’extension qu’il ne comporte pas, prenez-y garde, alors tous les produits, sans exception, arrivant de France obtiendront la même faveur ; aucun ne pourra être frappé de droits d’octrois par les villes ou communes de la Belgique.
Cette question, messieurs, a une portée immense, et je ne conçois pas que le gouvernement se permette ainsi, sans aucun motif, de la trancher contre l’intérêt du pays.
Savez-vous, messieurs, ce qu’on allègue pour justifier une pareille décision ? On nous dit : « Oui le texte paraît formel, mais il faut voir l’esprit dans lequel le traité a été conclu et dans l’esprit des parties contractantes, il est évident que les eaux-de-vie étrangères ne fussent pas frappées de droits d’octrois qui pussent diminuer pour la France le bénéfice de stipulations du traité. »
Eh bien, messieurs, pour être logique, il faudrait appliquer ce raisonnement non seulement aux eaux-de-vie étrangères, mais. à tous les produits français quelconques ; et voyez quelles en seraient les conséquences.
Messieurs, ce n’est pas toujours ainsi qu’ont raisonné nos diplomates et le ministère : dans d’autres circonstances ils ont rejeté l’esprit pour ne se tenir qu’à la lettre, mais c’était lorsque l’intérêt de l’étranger l’exigeait ainsi. Vous vous rappelez, messieurs, cette anomalie, Cette chose tellement absurde, tellement ridicule, que lorsque j’en ai parlé la première fois, mon observation a excité l’hilarité sur tous les bancs de la chambre. Eh bien, messieurs, là l’esprit était évident, mais on a rejeté l’esprit et l’on a invoqué le texte, parce que, je le répète, l’intérêt de l’étranger l’exigeait ainsi. Il s’agissait encore là de la France ; il s’agissait des droits d’entrée sur les vins en bouteilles. Je vous disais alors que, d’après le traité, 400 bouteilles de vin, de vin de première qualité, de Champagne mousseux ou de Lafitte, par exemple, allaient payer deux francs, et que cent bouteilles payeraient huit ou neuf francs.
Quand je suis venu, messieurs, vous faire cette observation, on s’est écrié : « Mais c’est absurde, c’est ridicule, c’est impossible ! » Et le ministre d’alors m’a répondu par une dénégation formelle. Je répliquai que les faits viendraient bientôt confirmer mes paroles. On me répondit par une nouvelle dénégation, et cependant quelques jours après je suis arrivé avec une preuve authentique ; j’ai prouvé que pour 400 bouteilles de vin de Champagne on n’avait payé à la douane que deux francs, tandis que pour 100 bouteilles vides on avait payé huit francs et des centimes. Cette fois convaincu de son erreur, le ministère s’est écrié : « C’est malheureux ; oui vous avez raison, mais le texte du traité est là ». Je répondis : « Mais cela n’a pas le sens commun ; il ne peut pas être entré dans la pensée des négociateurs d’établir une pareille anomalie ; le texte ne peut pas tuer l’esprit. » J’eus beau dire et insister, messieurs, le ministère soutint qu’il fallait s’en tenir à la lettre du traité, et qu’on devait se résigner.
Vous croyez, sans doute, messieurs, qu’on a fait attention à mes observations lorsqu’on a renouvelé la convention avec la France ? C’était, certes, le moment de faire disparaître cette anomalie, de corriger le texte, alors que l’esprit n’était pas douteux. Eh bien, messieurs, on n’en a rien fait ; on est resté dans la même ornière, et la stipulation dont il s’agit a été reproduite dans le nouveau traité. Je ne comprends pas comment un ministère qui se respecte a pu maintenir une pareille absurdité Car, aujourd’hui encore, malgré tous nos avertissements, d’après le traité avec la France, 100 bouteilles de bon vin payent 2 fr., et 100 bouteilles vides payent 8 ou 9 fr.
Ainsi, messieurs, tantôt c’est le texte qu’on invoque lorsque l’intérêt de l’étranger l’exige ; tantôt c’est à l’esprit que l’on s’attache, bien entendu encore lorsque l’intérêt de l’étranger est en jeu.
C’est ainsi qu’aujourd’hui, pour contrarier le projet si sage de la ville de Bruxelles, qui veut augmenter le droit d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères, on nous oppose l’esprit du traité et on rejette le texte, alors que pour les droits d’entrée sur les vins en bouteilles on invoquait le texte et on rejetait l’esprit.
En terminant, j’énonce le vœu que MM. les ministres de l’intérieur et des affaires étrangères nous donnent des explications catégoriques sur leur changement d’avis, car au mois de juillet, ils étaient d’une opinion conforme à l’avis de la régence de Bruxelles, et diamétralement contraire à leur opinion d’aujourd’hui.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l’honorable M. Osy s’est mépris sur la proposition que j’ai faite au commencement de la séance, d’opérer certains transferts qui étaient devenus nécessaires par suite de l’arrêté organique pris pour l’administration centrale du département des affaires étrangères ; il a cru que proposition dérivait d’un autre arrêté qui a paru au Moniteur et qui est relatif aux traitements, aux retenues, aux dépenses remboursables et aux frais de voyage et de séjour de nos agents diplomatiques et consulaires à l’étranger ; c’est là une erreur : la proposition que j’ai soumise à (page 135) la chambre est conforme à la décision que l’assemblée a prise hier, lors de la discussion du budget du département des finances : c’est une simple régularisation.
Messieurs, l’honorable M. Osy, tout en approuvant, au point de vue personnel, la nomination de M. le prince de Chimay comme envoyé extraordinaire à Rome, a blâmé cette nomination, comme inconstitutionnelle, sous le rapport du caractère temporaire dont cette mission a été revêtue et qui a dispensé le prince de Chimay d’être soumis à une réélection.
Quelques observations suffiront pour démontrer que la nomination dont il s’agit est parfaitement régulière, et qu’elle ne soulève aucune question de constitutionnalité.
Messieurs, une mission extraordinaire doit avoir un but spécial et temporaire ; c’est l’avènement ou le mariage d’un souverain à l’étranger ; c’est la nécessité de se faire reconnaître dans un pays où on ne l’est pas, d’ouvrir une légation nouvelle.
Depuis 15 ans, de nombreux précédents de même nature ont été posés par le gouvernement, sans contestation de la part des chambres. J’en citerai quelques-unes. C’est ainsi que le comte Duval de Beaulieu a été envoyé en mission extraordinaire en 1831 à Berlin. Le général Goblet en 1836 (et il était membre de la chambre) a été envoyé en mission extraordinaire et temporaire en Portugal. Le comte Henri de Mérode, membre du sénat, a rempli deux missions extraordinaires pour l’avènement de Ferdinand V, et pour son couronnement à Milan. En 1839, l’honorable M. Lebeau a été accrédité à Francfort comme envoyé extraordinaire en mission spéciale. En 1840, le baron de Stassart, membre du sénat, a reçu une mission temporaire pour Turin.
Messieurs, je pourrais multiplier ces citations, je pense que la chambre reconnaîtra que celles-ci suffisent pour démontrer que des précédents nombreux existent et que la jurisprudence de la chambre est fixée au point de vue de la question constitutionnelle qui a été soulevée.
La mission temporaire pour Rome est justifiée, d’ailleurs, par des circonstances exceptionnelles et toutes particulières. Il y a eu à Rome une coïncidence de plusieurs faits qui expliquent la conduite adoptée par le gouvernement.
Ainsi la mort du pape Grégoire XVI, qui a été précédée de la perte si regrettable que nous avons faite de notre ministre à Rome, a été suivie de la perte non moins regrettable du secrétaire de la légation. Un quatrième fait a été l’avènement du nouveau pape, de Pie X. Or, vous savez que l’avènement du nouveau pape a été entouré de circonstances politiques qui ont attiré l’attention de toutes les puissances. C’est ainsi que la Sardaigne a envoyé son ministre des affaires étrangères, pour complimenter le nouveau pape, c’est ainsi que le Portugal a envoyé un ministre avec le titre d’ambassadeur, pour remplir la même mission de courtoisie auprès du souverain pontife.
Messieurs, la légation de Rome ne pouvait donc pas rester plus longtemps sans titulaire, et d’un autre côté l’avènement d’un nouveau pape indiquait une mission extraordinaire et temporaire, de la même nature que celles qui ont été confiées depuis 1831 à des membres de la chambre et du sénat.
J’ajoute que les raisons qui justifiaient une mission temporaire sont plus fortes, pour le cas actuel, que pour toutes les autres circonstances que j’ai rappelées.
Mais on me dira : S’il y avait des raisons pour ne pas laisser longtemps vacante la mission de Rome, comment se fait-il que le gouvernement ait autorisé M. le prince de Chimay à séjourner en France et à retarder son arrivée à Rome ? Cela est vrai, et il eût été désirable, en effet, que le séjour du prince en France eût pu être moins long ; mais ici vient se placer un fait que je soumets à l’appréciation de la chambre et qui démontrera que le départ immédiat de M. le prince de Chimay a été rendu impossible.
Messieurs, le gouvernement aurait donc pu charger M. le prince de Chimay, en vertu de tous les précédents, d’une mission extraordinaire de courtoisie, pour complimenter le nouveau pape ; mais le gouvernement a voulu joindre à cette utilité politique de la mission une utilité commerciale : il a donc chargé M. le prince de Chimay d’une négociation commerciale près du royaume de Naples. La chambre sait que Naples, qui est un des centres les plus importants du commerce dans le Levant, était lié par des traités anciens avec l’Angleterre et la France, de manière à ne pouvoir en conclure avec d’autres puissances.
Depuis l’année dernière, Naples s’est dégagée de ces liens exclusifs avec la Grande-Bretagne et avec la France ; elle a conclu déjà plusieurs traités et je sais qu’elle en négocie d’autres. Un traité avec Naples est d’une haute utilité pour la Belgique. Cette négociation, c’était le moment de la nouer.
Le prince de Chimay a reçu des instructions dans ce sens ; mais il y avait, préalablement à l’ouverture de cette négociation, une position à régulariser entre la Belgique et Naples.
A deux reprises le gouvernement belge avait accrédité près du roi de Naples un ministre plénipotentiaire ; mais par des circonstances que je n’ai pas besoin de faire connaître à la chambre, le gouvernement de Naples n’avait pas usé de réciprocité vis-à-vis du gouvernement belge.
Le gouvernement a cru qu’il était convenable que la mission du prince de Chimay, accrédité près du gouvernement de Naples, coïncidât avec l’envoi d’un ministre de Naples à Bruxelles. Le gouvernement a cru, d’après les indications qu’il possédait, que cette négociation préliminaire devait avoir lieu à Paris.
Le prince de Chimay est donc entré en pourparlers, à Paris, avec le duc de Serra Capriola, qui a dû s’enquérir des intentions de son gouvernement. Ces pourparlers n’ont pu avoir lieu en quelques jours, la chambre le comprendra sans peine.
Je répète donc que le gouvernement aurait pu confier une mission de courtoisie au prince de Chimay, comme on l’a fait pour Francfort, pour Turin et pour Lisbonne ; mais qu’il a voulu y joindre, dans l’intérêt du pays, une mission d’utilité commerciale. C’est à cause de cette mission d’utilité commerciale que l’arrivée du prince de Chimay à Rome n été retardée. Ces retards ne peuvent être imputés ni à notre gouvernement, ni à notre ministre à Rome. Du reste, j’ajoute que le séjour du prince de Chimay à Paris rendra la mission en Italie plus temporaire qu’elle ne l’aurait été.
Messieurs, l’utilité, la convenance de la mission temporaire une fois constatées, et je pense l’avoir fait, l’objection constitutionnelle vient évidemment à tomber. J’ai suivi les précédents suivis depuis quinze ans. Quand le général Goblet a été envoyé à Lisbonne, l’honorable M. Lebeau à Francfort et le baron de Stassart à Turin, la même objection aurait pu être soulevée ; elle ne l’a jamais été ; les chambres n’ont pas attaqué ces nominations au point de vue de la question constitutionnelle. Si on voulait considérer une indemnité accordée pour une mission temporaire, comme un traitement affecté à un emploi salarié, il faudrait aller plus loin ; il faudrait aussi considérer comme emplois salariés toutes les missions extraordinaires qui ont été confiées à des membres de cette chambre.
Je pourrais citer des exemples nombreux. Les missions commerciales confiées, à diverses époques, à MM. Smits, de Muelenaere, Liedts, Mercier, les missions acceptées par MM. Fallon, Donny, Rogier, de Brouckere dans les commissions d’Utrecht et d’Anvers, nommées pour l’exécution des traités de 1839 et de 1842. Ces honorables membres ont été chargés de fonctions temporaires avec indemnités, sans traitement fixe ; jamais la chambre n’a considéré ces fonctions comme devant entraîner la réélection.
L’honorable baron Osy a trouvé que l’indemnité et les frais de voyage alloués au prince de Chimay pourraient constituer une charge assez considérable pour le trésor public. Le chiffre de cette indemnité a été fixé un taux excessivement modéré.
Il est hors de doute qu’elle ne pourra pas suffire au prince de Chimay, pour couvrir toutes les dépenses auxquelles il sera astreint. Le général Goblet, pendant sa mission à Lisbonne, a reçu une indemnité de 160 fr. par jour ; l’honorable M. Lebeau, pendant sa mission à Francfort, a reçu une indemnité de 130 francs par jour ; et M. le baron de Stassart une pareille indemnité à Turin.
Vous le voyez, j’ai choisi le chiffre minimum ; il y aurait peut-être eu des raisons qui auraient permis d’élever le chiffre ; le prince de Chimay a accepté le minimum des indemnités de ce genre accordées précédemment.
Ainsi, je crois que le chiffre de l’indemnité est à l’abri de toute objection fondée.
J’aborde maintenant une autre question qui a été soulevée par l’honorable M. Verhaegen, je veux parler des observations qui ont été transmises au conseil communal de Bruxelles, par mon honorable collègue, le ministre de l’intérieur, relativement à un nouveau tarif d’octroi, particulièrement en ce qui concerne le droit sur les eaux-de-vie venant de France.
Messieurs, ce tarif nouveau, qui avait été soumis à l’acceptation du ministre de l’intérieur au mois de novembre, n’a pas été approuvé par lui, non seulement à cause de la question de l’octroi sur les eaux-de-vie, mais pour d’autres modifications que renfermait le tarif nouveau.
Le gouvernement belge s’est borné à faire connaître au gouvernement français la décision qu’il avait prise de ne pas approuver le nouveau tarif.
Le gouvernement français avait fait des réclamations, cela est vrai, non pas en s’appuyant sur le droit que le traité du 13 décembre pourrait lui conférer, car il est évident que le traité ne lui donne aucunement ce droit, mais sur la raison de convenance de ne pas altérer, sans nécessité, les rapports existants entre la Belgique et la France.
Quand un traité lie deux nations, il ne suffit pas de ne pas l’enfreindre ouvertement, il ne faut pas se permettre toutes les mesures que le traité n’interdit pas, mais il est prudent encore de tenir compte, en dehors du traité, du statu quo existant au moment où le traité a été conclu.
Le gouvernement belge avait le droit d’approuver le nouveau tarif d’octroi de la ville de Bruxelles, cela n’est pas contesté. Mais a-t-il dû, doit-il faire usage de ce droit ? Là est la question. S’il ne fait pas usage de ce droit, ce n’est pas pour satisfaire les exigences d’un intérêt étranger, mais pour satisfaire à ce qu’exige l’intérêt belge.
Depuis que la convention du 13 décembre a été conclue, le gouvernement belge a dû reconnaître de bons procédés de la part de la France dans l’exécution du traité. Ainsi dans la question des toiles grisâtres dont la chambre s’était préoccupée, la France a fait droit aux réclamations de la Belgique, quoique cependant elle eût pu s’armer du texte du traité pour ne pas le faire. La France a accueilli favorablement la réclamation du gouvernement belge, par des raisons de convenance et de bon voisinage, et non en obéissant aux prescriptions du traité.
Ainsi, le gouvernement français avait pris l’initiative des bons procédés ; le gouvernement belge ne doit-il pas le suivre dans cette voie ?
Il existe un autre fait sur lequel j’appellerai l’attention de l’honorable M. Verhaegen et de tous les membres de cette chambre.
(page 136) Personne n’ignore (ce fait a déjà été révélé à la tribune) que le gouvernement français s’occupe de la révision de son tarif. Je n’ai pas besoin d’indiquer combien d’intérêts majeurs en Belgique se trouvent attaché à cette révision. En première ligne, je mentionnerai la question du maintien des zones pour la houille et pour la fonte. La garantie du maintien des zones n’est pas écrite dans la convention de 1845 ; mais que diriez-vous, que dirait l’honorable M. Verhaegen, si la France abolissait les zones pour la houille et pour la fonte, au détriment de la Belgique, en faisant valoir ce motif que rien dans le traité ne l’oblige à les maintenir Nous répondrions que si la France ne viole pas le traité, elle altère essentiellement les relations existantes entre la Belgique et la France.
Au moment où la France va réviser son tarif et où elle se préoccupe de la question du maintien des zones, comment le gouvernement irait-il risquer de compromettre des intérêts de premier ordre, en se refusant à donner satisfaction à une réclamation de minime importance ?
Que la chambre ne l’oublie pas, la question du droit d’octroi sur les eaux-de-vie de France n’est, pour la ville de Bruxelles, qu’une question de 12,000 fr., si je ne me trompe, sur un budget de 2 à 3 millions.
Le gouvernement aurait fait une grande imprudence s’il avait sacrifié à un intérêt aussi minime des intérêts aussi majeurs.
M. de Brouckere. - Le petit nombre d’opérations que j’ai à présenter concernent principalement le budget des affaires étrangères en lui-même ; et si de ces observations résultait la preuve que M. le ministre des affaires étrangères manque un peu de franchise à notre égard, j’avoue que j’en aurais regret, parce que si la franchise est convenable partout, elle est obligatoire dans les relations des ministres avec les représentants de la nation.
Vous avez entendu tout à l’heure, de la bouche de M. le ministre des affaires étrangères, l’aveu que de l’allocation que la législature lui accordait pour le matériel de son administration, M. le ministre des affaires étrangères a de sa pleine autorité, sans nous en avoir jamais donné connaissance, distrait une somme de 3, 000 fr. qu’il emploie à salarier le personnel de son administration. Assurément un semblable transfert n’était pas licite ; car un ministre ne peut pas transférer d’un article à un autre la plus petite partie de l’allocation votée, sans l’assentiment de la chambre ; et pour que ce transfert ait lieu, il a fallu que le ministre induisît en erreur la cour des comptes elle-même.
Du reste, messieurs, cette irrégularité n’est pas d’une très grande importance, je veux bien le reconnaître moi-même.
Mais ce qui est plus important, c’est que tandis que vous votiez une somme de 23,000 fr., avec la stipulation bien formelle que ces 23,000 fr. devaient servir à encourager le commerce, M. le ministre des affaires étrangères a encore une fois de son plein gré et de sa propre autorité, distrait une somme de plus de 3,000 fr. qu’il a employée à payer des boutefeux et des concierges. Je vous demande si ce n’est pas manquer à la chambre, que de méconnaître ainsi sa volonté au sujet de cette allocation ?
Si vous vous reportez aux chapitres suivants, vous trouvez le même manque de franchise.
Ainsi l’on porte, pour la Turquie, un ministre résident ; eh bien, je me trompe fort, ou nous avons à Constantinople un ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire. Indiquer au budget un simple ministre résident est donc ne pas dire la vérité.
A l’article Etats-Unis, on nous demande un traitement de ministre résident, et je me trompe fort si depuis plusieurs années nous n’avons pas dans l’Amérique du Nord autre chose qu’un simple chargé d’affaires.
Dans ce chapitre II, vous ne voyez pas figurer un chargé d’affaires en Suisse ; or nous avons un chargé d’affaires en Suisse. Comment est-il payé ? On prélève une partie de l’allocation du chapitre III destiné au traitement des agents consulaires.
Depuis 1840 nous avions un agent consulaire en Suisse, et cet agent consulaire avait été autorisé à prendre le titre de chargé d’affaires. Mais ce n’était qu’un titre honorifique ; sa mission était toute commerciale ; c’était un consul général ayant le titre de chargé d’affaires.
Aujourd’hui les choses sont changées ; nous avons un agent diplomatique en Suisse ; c’est un ancien chargé d’affaires qui vient d’être envoyé avec la même qualité en suisse.
D’ailleurs, messieurs, si c’était un agent commercial que nous eussions en Suisse, serait-ce bien à Berne qu’il devrait résider, et ne conviendrait- il pas plutôt de fixer sa résidence dans une des villes commerciales de la Suisse, à Genève, à Bâle, à Zurich, par exemple ? Si je suis bien informé, des démarches ont été faites dans le temps par le commerce de la Belgique pour qu’il en fût ainsi, mais on n’a fait aucun cas de ces démarches et on a préféré avoir un agent diplomatique dans la ville où siège le gouvernement.
Laissant les chiffres du budget de côté, je dirai quelques mots relativement au sujet qu’a traité l’honorable M. Verhaegen ; et ici, messieurs, je regrette de devoir le dire, c’est encore une fois le même défaut de franchise.
La ville de Bruxelles avait majoré ses droits d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères. Le gouvernement a refusé d’autoriser cette augmentation, et pourquoi ? Parce qu’elle pourrait porter une atteinte réelle à l’esprit de la convention avec la France. On démontre aujourd’hui au gouvernement que cette augmentation ne porte aucune atteinte au traité avec la France, et voilà que le gouvernement convient que pas un seul article dans le traité du 16 juillet 1842 ne s’oppose à ce que cette majoration puisse avoir lieu ; mais c’est par des raisons de convenance que le gouvernement a refusé l’autorisation qu’on lui demandait.
Je pourrais d’abord trouver singulier que le gouvernement belge s’établisse le protecteur des intérêts français, et s’en établisse le protecteur, pour se prononcer contre une demande faite par la capitale du royaume.
Mais enfin, s’il devait en être ainsi, pourquoi le gouvernement ne s’explique-t-il pas catégoriquement vis-à-vis de la ville de Bruxelles ? Pourquoi commence-t-il par s’appuyer sur les dispositions d’un traité, pour reconnaître ensuite que les dispositions de ce traité ne pouvaient pas lui servir de point d’appui dans son refus ?
Messieurs, je dois dire que ces procédés ne sont pas de nature à inspirer grande confiance dans les assertions de MM. les ministres, et je serais bien aise de voir que M. le ministre des affaires étrangères pût détruire une partie du raisonnement que je viens de présenter à la chambre.
M. Dumortier. - Messieurs, je n’avais demandé la parole que pour répondre quelques mots à une objection qui a été faite tout à l’heure par un honorable collègue, relativement à la position actuelle dc l’honorable député de Thuin, M. le prince de Chimay.
On a soulevé, à ce sujet, une question très importante, celle de savoir si cet honorable membre devait être soumis à la réélection, et l’on a invoqué à son égard la Constitution.
Déjà, M. le ministre des affaires étrangères a répondu en partie aux objections qui ont été faites ; mais il ne me paraît pas avoir connu les précédents primitifs de la chambre, précédents qui tranchent la question d’une manière bien claire et bien nette.
La question de savoir si un membre de cette chambre envoyé à l’étranger en mission extraordinaire et temporaire, est soumise à réélection, n’est pas neuve ; elle a été traitée dans cette chambre à diverses reprises, et elle a été résolue par la chambre elle-même dans le même sens que le gouvernement la résout aujourd’hui.
Dans les premiers mois de 1832, peu de temps après l’acceptation des 24 articles, le traité primitif fut soumis aux ratifications des puissances.
La France et l’Angleterre ratifièrent le traité pour le terme convenu, mais les ratifications des trois autres puissances, de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, se firent longtemps attendre. Enfin, dans les premiers jours de mai, nous reçûmes communication des ratifications de ces trois puissances, ratifications qui étaient faites avec des réserves en faveur de la Hollande.
Cette communication donna lieu dans cette enceinte à de très vives discussions ; une adresse fat faite au Roi contre les réserves des puissances. Il fallut donc désavouer notre ministre plénipotentiaire à Londres qui avait accepté ces ratifications ; il fut momentanément rappelé, et l’honorable général Goblet, alors membre de cette chambre, et seulement membre de cette chambre, fut envoyé à Londres pour désavouer M. Van de Weyer.
M. Lebeau. - Non ! non !
M. Dumortier. - Vous n’avez qu’à lire la note qui a été signée par les ministres ; elle est bien claire. Cela se trouve du reste dans les protocoles.
L’honorable général Goblet, dis-je, fut envoyé à Londres pour désavouer M. Van de Weyer et dire que la Belgique ne consentirait pas à de nouveaux sacrifices.
Alors pour la première fois la question de savoir si un membre de cette chambre, nommé temporairement à une mission diplomatique extraordinaire, devait être soumis à réélection, fut examinée dans cette enceinte. Et qu’est-ce que la chambre a décidé ? Elle a décidé que l’honorable général Goblet ne devait pas être soumis à réélection, et en réalité il n’y fut pas soumis, parce que sa mission n’était que temporaire, qu’il ne s’agissait pas de fonctions définitives et que la chambre ne croyait l’article de la Constitution, que l’on vient d’indiquer, applicable qu’au cas d’acceptation de fonctions définitives.
Je cite ce précédent, messieurs, parce qu’alors on n’était qu’à six mois du Congrès et que par conséquent toutes les traditions de cette assemblée étaient encore présentes à l’esprit des membres qui siégeaient dans cette enceinte.
Messieurs, ce fait n’est pas le seul.
En 1832, le ministère dont l’honorable M. de Muelenaere était le ministre des affaires étrangères, et M. le Theux le ministre de l’intérieur, se retira et fut remplacé par un ministère composé de M. Lebeau, ministre de la justice, de M. Rogier, ministre de l’intérieur, de M. le général Goblet, ministre des affaires étrangères, de M. Duvivier, notre défunt collègue, que nous regrettons tous, ministre des finances. Il n’y avait que deux de ces honorables membres, M. Lebeau et M. Rogier, qui eussent des fonctions définitives ; les deux autres n’étaient chargés de portefeuilles qu’ad interim. La question de réélection fut de nouveau soumise à la chambre, et comme il ne s’agissait que de fonctions temporaires, M. le général Goblet et M. Duvivier ne furent pas soumis à réélection.
M. Goblet. - J’avais le titre de ministre d’Etat et j’avais été nommé ministre des affaires étrangères par interim. La question de réélection a été soulevée à la chambre et la chambre a décidé que comme tel, bien que je ne reçusse pas de traitement, je devais être soumis à réélection.
M. Dumortier. - C’est plus tard que ce fait a eu lieu ; ce n’est que plus tard que MM. Duvivier et Goblet se sont soumis à réélection ; je vois encore bien notre honorable collègue, M. Duvivier, se lever de son banc pour déclarer qu’il se soumet à la réélection.
Ensuite, messieurs, l’honorable comte de Mérode a remplacé M. le général (page 137) Goblet, comme ministre d’Etat, et comme ministre ad interim sans traitement ; eh bien, M. de Mérode n’a pas été soumis à réélection.
Voilà, messieurs, comment les choses se sont passées, et ces précédents prouvent à l’évidence que le prince de Chimay ne doit point être soumis à réélection du chef de la mission purement temporaire qu’il remplit, mission à laquelle aucun traitement fixe n’est attaché.
Je pourrais, messieurs, citer beaucoup d’autres faits semblables à ceux que j’ai rappelés. Ainsi M. de Stassart a été envoyé à Turin, M. Lebeau a été envoyé à Francfort et dans plusieurs Etats de l’Allemagne, M. Henri de Mérode a été envoyé en Autriche, nos honorables collègues MM. Fallon et Donny ont été envoyés en Hollande, l’honorable M. Mercier a été envoyé également en Hollande, et aucun de ces honorables sénateurs et représentants n’a été soumis à réélection.
Je ne vois pas pourquoi l’on irait aujourd’hui suivre une autre jurisprudence ; il me semble que tous ces antécédents ont une valeur réelle et qu’il ne peut pas être question le moins du monde de soumettre le prince de Chimay une réélection, alors que la chambre, dans des cas absolument identiques, s’est toujours prononcée contre ce système, depuis les premiers temps de sa constitution, depuis le lendemain de la cessation des travaux du congrès.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Vous aurez remarqué, messieurs, en ce qui concerne l’incident des eaux-de-vie étrangères, que le gouvernement n’a craint en aucune manière la publicité et qu’il a agi vis-à-vis de la régence de Bruxelles avec la plus entière bonne foi. Si le gouvernement avait craint la publicité, s’il n’avait pas agi avec bonne foi, il se serait borné à refuser sa sanction aux propositions de la régence en ce qui concernait le droit d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères ; mais le gouvernement ne trouvant pas dans la proposition elle-même de motif pour refuser sa sanction, s’est expliqué ouvertement à la régence et lui a fait connaître que ce qui le déterminait à ne point sanctionner cette proposition, c’était le désir de maintenir de bonnes relations commerciales avec la France.
Il n’est point nouveau, messieurs, que, entre gouvernement, on invoque l’esprit des traités ; cela se fait de part et d’autre et très fréquemment ; quand il s’agit d’apporter des modifications à des dispositions existantes, les gouvernements font très souvent remarquer les uns aux autres que telle proposition s’écarte de l’esprit de conciliation, de l’esprit de rapprochement qui a présidé à la conclusion des conventions commerciales intervenues entre les deux Etats. De semblables observations se font, je le répète, très fréquemment, et elles sont très utiles au maintien du système de concessions réciproques qui amène les traités de commerce avantageux.
M. Orts. - Messieurs, si mon honorable collègue et ami M. Verhaegen n’avait pas touché la question des eaux-de-vie étrangères en rapport avec le tarif de l’octroi de la ville de Bruxelles, je n’aurais pas cru, moi-même, devoir en parler en ce moment, par le motif que l’administration communale a fait à cet égard de nouvelles réclamations auprès du gouvernement. Remarquez, messieurs, qu’il s’est placé un fait nouveau entre le refus que nous avons essuyé de la part du gouvernement et l’époque où nous nous trouvons maintenant. Le conseil a discuté et arrêté le la tarif de l’année prochaine. Au mois de juillet dernier le ministre transmit à l’administration communale une dépêche par laquelle il reconnaissait, ce que le conseil communal avait soutenu lors de l’adoption de son tarif pour 1846, que les eaux-de-vie n’étaient pas comprises dans la convention avec la France. Depuis, nous avons reçu une instruction qui semblait nous présager que le gouvernement n’approuverait point une majoration du droit d’octroi sur les eaux-de-vie étrangères.
Cependant, messieurs, l’année dernière nous avions fait valoir à cet égard une considération extrêmement forte, indépendamment de celle qu’une semblable majoration ne portait aucune espèce d’atteinte au traité avec la France ; cette considération était appuyée sur ce fait important, que la ville de Bruxelles, en augmentant les droits sur les spiritueux de fabrication indigène, avait maintenu un équilibre tel, entre les eaux-de-vie étrangères et les eaux-de-vie indigènes, que la France ne pouvait absolument rien perdre par suite de l’augmentation dc droits, puisqu’il devait résulter de notre combinaison qu’on n’aurait pas consommé dans la ville de Bruxelles moins d’eau-de-vie de France auparavant. Je n’entrerai pas, messieurs, dans des détails pour prouver l’exactitude de cette assertion, parce que je ne crois pas pouvoir entretenir longuement la chambre d’un objet qui est d’intérêt exclusivement communal, mais rien ne me serait plus facile que de démontrer la vérité de ce que j’avance.
Tout en reconnaissant que, d’après le droit international, et d’après le texte du traité, la France n’aurait à se plaindre en rien de la mesure dont il s’agit, M. le ministre des affaires étrangères dit que des motifs de convenance s’opposent à l’adoption d’une semblable mesure ; et ces motifs de convenance il les fait résulter de ce que la France serait disposée à nous faire d’autres concessions. Je désire, messieurs, que ces autres concessions que nous ferait la France soient d’une importance un peu plus grande que ne le serait la pitoyable augmentation à résulter de la majoration de notre tarif, car M. le ministre vous a dit lui-même qu’il ne s’agissait que d’une affaire de 12,000 fr. Je n’ai pas présent à la mémoire le chiffre exact, mais j’admets l’assertion de M. le ministre et je dis : Si une somme de 12,000 fr. n’est rien pour la ville de Bruxelles (et je ferai voir tout à l’heure que c’est beaucoup pour elle), croyez-vous que ce soit une chose importante pour la France ? Quoi ! 12,000 fr. ne sont rien pour la ville de Bruxelles, et cette somme exercerait une influence importante sur le résultat de la balance commerciale avec la France !
D’ailleurs, messieurs, comme j’ai eu l’honneur de le dire, la France n’y perdra rien, puisque la consommation de ses eaux-de-vie ne doit diminuer en rien par suite de la majoration du tarif.
Il est certain, messieurs, que pour la ville de Bruxelles cette somme de 12,000 fr. est une chose très importante, et je vais vous en dire la raison. Qu’on ne croie pas que si on a augmenté le droit sur les eaux-de- vie étrangères, il n’y ait pas eu de compensation. La ville de Bruxelles a dégrevé certains objets servant à l’alimentation des classes peu aisées ; ce que la ville de Bruxelles perd d’un côté, elle doit le regagner d’un autre. Toute la question est donc celle-ci : La ville a-t-elle fait acte de bonne administration, tout en cherchant à maintenir l’équilibre dans les recettes, lorsqu’elle a proposé de dégrever certains objets alimentaires à la portée de nos concitoyens pauvres, et d’imposer un peu plus un objet qui n’est consommé que par les riches. Les eaux-de- vie de France ne sont pas à la portée du prolétaire ; mais les objets alimentaires qui constituent ses besoins, ceux-ci ont fait dans les délibérations du conseil communal l’objet de sérieuses discussions, et il y a eu des diminutions.
Maintenant, il y a une autre considération, c’est que les vinaigres de vin sont bien dans la convention avec la France ; eh bien, dans le tarif de 1847,on a diminué le droit sur les vinaigres de vin, tout en réclamant le maintien de l’augmentation sur les eaux-de-vie de France comme sur les autres eaux-de-vie indigènes.
Je n’en dirai pas davantage pour le moment ; le nouveau tarif a été délibéré, il a été accepté par le conseil communal, il est soumis au gouvernement et il y aura des observations formulées à l’appui de la résolution du conseil communal et qui, je n’en doute pas feront revenir le ministère de son opinion et rendront à la dépêche ministérielle du mois de juillet 1846 toute sa force ; et l’on finira par voir que non seulement en strict droit la France n’a rien à réclamer, mais que même, sont le rapport des convenances, il n’y a rien à dire à la mesure proposée, parce que l’intérêt français n’est pas engagé dans le cas actuel. D’ailleurs, et je termine par là, l’intérêt de la capitale, comme celui de toutes les communes du pays, doit toujours être placé au-dessus d’intérêts étrangers, lorsque l’on n’est pas obligé, aux termes des traités, de satisfaire à ces intérêts.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je ne reviendrai pas sur la question des octrois. Je pense que les observations que j’ai présentées, et celles de M. le ministre de l’intérieur, ont suffi pour détruire complétement les objections qui viennent d’être reproduites par l’honorable M. Orts. Il ne s’agit pas ici de sacrifier un intérêt belge à un intérêt étranger ; j’ai démontré au contraire qu’il s’agissait de défendre des intérêts généraux du pays contre un intérêt que j’ai appelé minime. L’honorable M. Orts dit que si cet intérêt est minime, si la différence qui résulte de l’octroi sur les eaux-de-vie de provenance française ne s’élève qu’à 12,000 fr. sur un budget de 2 à 3 millions, c’est un motif pour que la France ne se préoccupe pas d’un si mince résultat.
D’abord, je ferai remarquer que cette considération, puisée dans le défaut de préjudice qui résulterait de cette mesure pour la France, a été présentée par le gouvernement belge au gouvernement français ; le gouvernement peut encore insister dans l’avenir sur cette considération, s’il la croit juste ; mais le gouvernement français conteste les calculs sur lesquels cette allégation repose.
J’appuie sur une seule considération : c’est que le gouvernement français, depuis le traité du 13 décembre, a pris l’initiative des bons procédés à notre égard, et que dans le moment où je parle, il est question de la révision du tarif qui se rattache aux plus grands intérêts de l’industrie belge ; je dis qu’il serait d’une très haute imprudence de satisfaire légèrement à une prétention de minime importance, élevée par la ville de Bruxelles, et de compromettre peut-être ainsi des intérêts infiniment plus considérables.
Je n’ai demandé la parole que pour répondre quelques mots à un reproche que l’honorable M. de Brouckere m’a adressé au début de son discours. L’honorable membre nous a dit que si j’avais manqué de franchise dans les rapports que le ministre a eus avec la chambre, il le regretterait infiniment ; je ne l’aurais pas moins regretté moi-même, messieurs, mais je suis bien aise de pouvoir lui dire que le reproche de manquer de franchise qu’il m’a adressé passe au-dessus de ma tête pour aller atteindre mes prédécesseurs, contre l’intention sans doute de l’honorable membre.
Ainsi, parmi les faits que l’honorable membre a énoncés, un seul concerne mon administration ; l’honorable membre a dit que c’était manquer de franchise d’avoir opéré, contrairement au vœu de la Constitution, les transferts que j’ai opérés et dont je propose moi-même la régularisation. Messieurs, vous le savez tous, non seulement au département des affaires étrangères, mais encore, et surtout dans les autres départements, on avait payé, sur des crédits spéciaux, certains traitements pour des employés et des gens de service ; c’est un tort, et c’est parce que c’est un tort que le gouvernement a pris lui-même l’initiative de faire disparaître cet abus dans les arrêtés organiques qui ont été publiés.
Notre ministre en Turquie, dit l’honorable M. de Brouckere, figure au budget sous le titre de ministre résident, et dans sa lettre de créance près la cour ottomane, il a le titre de ministre plénipotentiaire. Pour les Etats-Unis, le contraire à lieu : c’est un chargé d’affaires, tandis que dans le budget figure le titre de ministre résident.
Le fait relatif à la Turquie est antérieur à mon administration, et pour les Etats-Unis, M. de Baulieu a le titre de ministre résident, de manière que l’abus signalé par l’honorable membre n’existe plus. J’ai posé un (page 138) acte analogue, c’est celui qui concerne la Suisse. L’agent qui représente la Belgique en Susse a dans le budget le titre de consul général. Il est donc rétribué sur les fonds des consulats, mais il a en Suisse le rang de chargé d’affaires.
Messieurs, ce principe a été admis par tous les gouvernements. Il arrive très souvent qu’un agent diplomatique a dans son pays un rang diplomatique inférieur à celui qu’il possède à la cour près de laquelle il est accrédité, et cela dans l’intérêt de l’influence qu’il a à exercer.
Un chargé d’affaires près de certaines puissances ne peut pas avoir de rapport direct avec le chef du gouvernement. Il est donc de l’intérêt belge que ce rang lui soit parfois accordé, quand ce titre n’entraîne aucune conséquence pour le budget, afin que son influence soit plus grand auprès de la cour où il remplît ses fonctions.
C’est ainsi qu’en Suisse notre consul général avait une position d’infériorité blessante dans le corps diplomatique ; c’est pour cela que tout en lui conservant dans le budget le rang de consul général, nous lui avons donné, dans le pays où il est accrédité, le rang de chargé d’affaires.
Messieurs, les circonstances politiques ont fait de la Suisse, depuis quelque temps surtout, un centre politique sur lequel toutes les puissances ont les yeux attachés. Il est évident que si nous n’y avions pas un chargé d’affaires, il faudrait en nommer un.
Je n’ai pas besoin de dire que tous les événements qui peuvent amener un conflit entre les puissances, intéressent la Belgique au plus haut point.
La mission de Berne a une importance d’autant plus grande que nous n’avons pas de légation à Munich. Dans cette zone qui s’étend de Genève à Munich, nous ne pouvons être sans représentant des intérêts belges. Le gouvernement a concilié l’économie avec les intérêts du pays, en conservant à son agent le traitement de consul général et en lui donnant dans ses lettres de créance le titre de chargé d’affaires.
M. Veydt. - Quels que soient les motifs exposés par M. le ministre pour essayer de justifier les actes qu’il a posés, je ne suis pas moins frappé de la singulière logique qu’il a employée dans cette discussion. Si elle ne rencontrait pas de contradicteurs, notre loi fondamentale finirait par disparaître sous de vaines et subtiles distinctions.
Je ne connaissais pas les antécédents dont vient de nous entretenir l’honorable député de Tournay, je n’avais fait attention qu’au texte de la Constitution. Les mots « emploi salarié » y sont entendus dans le sens le plus large : que l’employé soit ambassadeur, envoyé extraordinaire, consul, c’est un fonctionnaire du gouvernement ; dès qu’il reçoit un salaire, sous la dénomination d’indemnité ou de traitement, ce fonctionnaire tombe, suivant moi, d’après l’esprit et la lettre, sous l’application de l’article 36 de la Constitution.
Cependant je n’insisterai pas davantage sur ce point, puisqu’il y a, me dit-on, plusieurs précédents où l’article 36 de la Constitution a été interprété autrement par la chambre.
Il est un second point sur lequel je désire appeler votre attention. messieurs : c’est sur l’article 68. Cet article porte que les articles secrets d’un traité ne peuvent être contraires aux articles patents, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas en aggraver les conditions expresses. Ici, ce ne sont pas des articles secrets qu’on invoque. Sur la demande qui lui en fut fait en section centrale, M. le ministre a déclaré qu’il n’en existait pas. Mais ce sont « des raisons de convenance ». Voilà où nous en sommes réduits. Ces raisons de convenance, que M. le ministre apprécie tout seul, produisent le même effet ; elles viennent ajouter aux conditions onéreuse, d’un traité conclu.
Et pourquoi faire ? Pour empêcher que la France ne fasse ce qu’elle déjà fait précédemment, pour empêcher qu’elle ne paralyse, qu’elle ne nous enlève les stipulations favorables dont nous avons acheté le maintien au prix de concessions réelles en sa faveur. Ce n’est pas en agissant ainsi, M. le ministre, que vous défendrez efficacement les intérêts de la Belgique. Le traité est à peine conclu. Faut-il que déjà nous soyons alarmés pour le maintien du système des zones, qui favorise l’importation de nos fontes et de nos houilles en France ? A l’époque de la conclusion du traité et de son examen par les chambres, non seulement il n’existait aucune crainte à ce sujet, mais nous avions l’espoir d’obtenir des avantages plus grands pour nos houilles, et cet espoir n’a été ravi aux négociateurs belges que peu de jours avant la signature.
Aujourd’hui que la convention est un fait accompli, est-il vrai que le maintien de ce qui existe ne nous est plus garanti qu’au prix de concessions nouvelles, motivées sur des raisons de convenance, qui mettent obstacle à ce qu’une grande ville impose un peu plus la consommation des eaux-de-vie, ce qu’aucun article du traité ne lui interdit ; car sur ce point nous sommes à présent tous d’accord.
Suivant moi, messieurs, ce n’est pas en montrant une pareille condescendance, une pareille faiblesse que le gouvernement pourra sauvegarder nos droits. Une conduite franche et ferme serait d’une bien meilleure politique.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant est encore revenu sur la question relative à notre envoyé extraordinaire à Rome. Je ferai observer que la chambre est toujours omnipotente pour décider toutes les questions de ce genre qui peuvent se présenter. Cependant je pense que la chambre ne pourrait pas, sans renier ses précédents, décider que le prince de Chimay a perdu la qualité de représentant. Aussi aucune proposition n’a été faite en ce sens. Maintenant ce qui a été dit aura l’avantage d’appeler l’attention du gouvernement, des chambres et des intéressés sur cette question, et de prémunir contre le danger de convertir des emplois permanents en emplois temporaires, pour donner des traitements sous le nom d’indemnités. C’est une question de bonne foi toujours appréciable par la chambre, de sorte qu’il n’y a pas lieu de craindre de voir la Constitution violée en pareille circonstance.
Quant au traité avec la France, je dirai qu’il n’y a pas d’articles secrets. Il ne s’agit que de maintenir les bons rapports qui existent entre la France et la Belgique, et de les étendre autant que possible ; Voilà le sens des observations présentées par mon collègue des affaires étrangères.
M. Verhaegen. - J’avais voulu attendre, pour parler sur l’incident, que MM. les ministres eussent présenté leurs observations. Ces observations, vous venez de les entendre. Elles me donnent de plus en plus la conviction que mon honorable ami M. Osy avait raison. En effet, en quoi se résument les observations de MM. les ministres ? L’honorable M. de Theux vient de vous le dire : La question qu’on soulève, quant aux missionnaires extraordinaires est une question de bonne foi que la chambre apprécie. Eh bien, s’il faut apprécier la question à ce point de vue, l’examen ne tourne pas à la faveur du ministère. Pour moi, je vois, d’après toutes les circonstances, que la mission dont est chargé l’honorable prince de Chimay est une mission définitive, qui restera définitive aussi longtemps qu’il le jugera à propos, et que la mission temporaire n’est qu’un prétexte. Voyons donc les choses de près, puisqu’il s’agit d’une question de bonne foi. M. le ministre des affaires étrangères nous l’a dit tantôt, la mission du prince de Chimay serait une mission de courtoisie ; il aurait été envoyé à Rome pour complimenter Pie IX ; il arrivera un peu tard ; tous les pays, et les pays hérétiques même, ont déjà fait leur compliment ; et la petite Belgique catholique, la plus catholique de tous, arrivera après tous les autres.
Mais enfin, on va pour complimenter le pape et on reste deux mois à Paris, pourquoi ? Pour négocier un traité avec Naples. Si c’est réellement une question de bonne foi, je vous le demande, à qui fera-t-on accroire ce qu’on vient débiter quant à cette mission prétendument temporaire ? Serait-il vrai qu’on a fait des réflexions un peu tard ? Et que si Pie IX n’avait montré à son avènement des dispositions différentes de celles de Clément XIV, par exemple, on se serait pressé davantage pour arriver à Rome ? Toujours est-il que ce n’est qu’un prétexte vis-à-vis de la chambre, et que la mission temporaire est définitive.
Voilà comment vous devez résoudre la question de bonne foi.
Je n’ai pas été fâché de saisir cette occasion de dire mon petit mot là-dessus.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L’honorable M. Verhaegen a complétement abandonné l’argument relatif à la constitutionnalité ; il ne l’a pas reproduit ; il a reconnu qu’il n’y a ici qu’une question de bonne foi, soumise à l’approbation de la chambre, ce qui est vrai.
L’honorable membre a déclaré que la mission de M. le prince de Chimay n’est pas sérieusement temporaire, mais qu’elle sera définitive. Eh bien, c’est là une erreur, une allégation tout à fait gratuite. L’intention du gouvernement a été de confier à M. le prince de Chimay une mission temporaire, et c’est ainsi que le prince l’a acceptée.
Mais j’ai reconnu dans la discussion qu’à un certain point de vue, il était regrettable que le départ du prince de Chimay pour Rome n’ait pas été immédiat. J’ai dit la raison qui y avait mis obstacle ; cette raison est sérieuse et ne peut être appelée un prétexte.
Par des considérations dont le gouvernement a l’appréciation, la négociation préalable, dont j’ai parlé, et qui était nécessaire pour régulariser nos relations avec Naples, a dû avoir lieu à Paris plutôt qu’ailleurs.
L’honorable membre n’a détruit aucune des considérations que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre.
M. Lejeune. - Dans la séance de lundi, j’ai fait quelques observations concernant l’exécution du traité du 5 novembre 1842, conclu avec la Hollande. L’honorable ministre des affaires étrangères n’était pas présent alors. Je ne répéterai pas ces observations ; mais je profiterai de cette discussion pour les rappeler.
Il s’agit des travaux que la Hollande s’est obligée à exécuter à la gauche du canal de Terneuzen, pour l’asséchement d’une partie du territoire belge. Nous payons, du chef de ces travaux, une somme annuelle à la Hollande ; mais cette somme ne doit être payée complétement que lorsque les ouvrages seront en état de satisfaire complétement à leur destination.
Des ouvrages sont exécutés ; il va sans dire que la Hollande prétend que ces ouvrages sont suffisants. De notre côté nous nous apercevons malheureusement trop bien qu’ils sont insuffisants, et, qu’aux termes du traité, nous ne devons pas payer la somme tout entière. Il faut absolument, dans l’intérêt du territoire pour lequel le gouvernement belge a traité, ou bien que le traité soit exécuté de manière à ce que les ouvrages répondent à leur destination, ou bien qu’on cherche un autre moyen d’arriver au même but. Ainsi le gouvernement doit obtenir de la Hollande l’exécution efficace des ouvrages que cette puissance avait pris à sa charge ; ou bien (j’ai indiqué ce moyen) on pourrait peut-être arriver au même but, en ouvrant une nouvelle négociation sur cette base. La Belgique pourrait renoncer, de son côté, au bénéfice de ces ouvrages ; et la Hollande pourrait de son côté consentir à la diminution de la rente annuelle, diminution qui devrait servir à soulager d’une autre manière les territoires du chef desquels la rente est payée.
Je me bornerai à ce peu de mots. Du moment que l’attention de M. le (page 139) ministre des affaires étrangères a été éveillée, je suis persuadé qu’il fera un examen de cette question. Il voudra bien au besoin recourir aux renseignements donnés dans la discussion de lundi. (M. le ministre des affaires étrangères fait un signe d’assentiment.)
Pendant que j’ai la parole, je demanderai la permission de dire un mot sur un autre point.
Dans une circonstance, j’ai parlé de la marque d’origine obligatoire. Alors encore j’ai parlé en l’absence de M. le ministre des affaires étrangères et du commerce, que cet objet regarde plus spécialement. Cette idée de la marque d’origine obligatoire est née, comme vous le savez, sur le sol belge, et il paraît qu’elle y est abandonnée et négligée, tandis qu’on la cultive beaucoup mieux sur un sol étranger.
Je serais curieux d’apprendre de M. le ministre du commerce s’il n’a absolument rien à nous dire, au sujet de cette question.
Traite-t-on toujours cette idée comme irréalisable, comme une utopie ? Veut-on échapper ainsi à toute espèce d’étude, à tout examen ? Selon moi, l’on n’y réussirait pas.
Lorsque cette proposition fit sa première apparition, on a été tenté de se demander si c’était une plaisanterie ou une chose sérieuse. Ce doute provient peut-être de ce que l’auteur de la proposition était plus connu comme publiciste, par son originalité, sa causticité, son esprit moqueur, que par d’autres ouvrages, car il a fait preuve d’un rare talent. Aujourd’hui ce doute n’existe plus.
Le temps a marché, et l’idée que le directeur du Musée de l’industrie belge continue à développer avec une louable persévérance, a attiré l’attention de plusieurs assemblées ; elle a d’abord attiré l’attention des assemblées scientifiques. Je ne citerai pas l’autorité des assemblées scientifiques comme concluante, ces assemblées se plaçant souvent à un point de vue beaucoup trop élevé pour que l’on puisse immédiatement mettre leurs résolutions en pratique.
Je passerai donc légèrement sur l’approbation donnée à l’idée de la marque d’origine obligatoire par le congrès scientifique de Reims. Depuis, beaucoup de notabilités parlementaires en France en ont fait l’objet de leurs études et lui ont donné leur approbation.
Mais, messieurs, il y a quelque chose de plus grave aujourd’hui. Récemment le conseil général des manufactures a également émis un avis favorable sur la proposition dont je parle. il y a quelque chose de plus fort encore, et c’est sur ce point que je veux attirer l’attention de notre ministre des affaires étrangères et du commerce ; c’est que le ministre du commerce en France a consulté la société d’encouragement de Paris, et que cette société d’encouragement a approuvé, à l’unanimité, je crois, la marque d’origine obligatoire.
Si en France on se préoccupe tant de cet objet, devons-nous rester absolument les bras croisés ? Nous nous laissons devancer ; mais profitons du moins des études et des travaux qui se font chez nos voisins et tâchons de marcher de front.
Messieurs, je ne me suis pas proposé de discuter le fond de la question, de développer les motifs qui militent en faveur de la marque d’origine obligatoire, ni de m’étendre sur les moyens d’exécution ou sur les effets qu’elle doit produire. Mon but unique est d’attirer sur ce point l’attention de M. le ministre, et de faire, en quelque sorte, une interpellation pour savoir si quelque examen de la question se fait dès à présent.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, c’est une question que j’examine à la direction de l’industrie ; mais le simple énoncé de cette question prouve combien elle est vaste et combien elle est hérissée de difficultés ; et, à coup sûr, ce n’est pas une question qui puisse être portée devant la chambre dans la présente session. Car, si l’on a fait déjà un grief au gouvernement d’avoir apporté à la chambre un trop grand nombre de propositions, à coup sûr celle-ci soulèverait un reproche réel, car il serait impossible d’arriver à sa solution.
En attendant, messieurs, on suit aussi l’examen et les études qui se font dans d’autres pays. C’est une question sur laquelle on se réserve de faire ultérieurement des propositions, s’il y a lieu, comme également sur le travail dans les manufactures. Mais ce sont la d’immenses questions dont la solution demandera un temps beaucoup plus long que nous n’en avons dans la présente session.
M. Lejeune. - Je ferai remarquer que mon intention n’a nullement été de provoquer un projet de loi dans la session actuelle, et que je n’ai pas trouvé qu’il y eût lacune dans le discours du Trône, parce que la solution de cette question n’y était pas promise. Au contraire, j’aurais trouvé moi-même cette annonce très-prématurée.
La question est sans doute excessivement vaste ; elle est immense, et c’est pour cette raison qu’on ne doit pas en négliger l’étude. J’apprends avec plaisir qu’on s’en occupe.
Du reste, quant à l’immensité de la question, il en est souvent ainsi de beaucoup de questions, lorsqu’elles ne sont qu’à l’état d’idée ; mais, lorsqu’on en vient à les mettre en pratique, il arrive souvent aussi qu’on trouve le moyen de l’appliquer, sinon dans toute sa généralité, au moins en partie, à certains cas spéciaux. C’est ce que j’attends des études que fait faire le gouvernement. Pour le moment il me suffit que l’on s’occupe de la question, et je me déclare satisfait.
- La discussion générale est close.
La chambre passe à la discussion des articles
« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »
- Adopté.
« Frais de représentation (pour mémoire).
« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 75,500. »
M. le président. - M. le ministre des affaires étrangères a proposé d’ajouter au libellé de cet article, les mots « sans que le personnel de l’administration centrale puisse être rétribué sur d’autres fonds alloués par la loi du budget », et de porter le chiffre à 81,500 fr. »
M. Osy, rapporteur. - Messieurs, comme rapporteur, je viens vous expliquer, en peu de mots, les amendements qui ont été présentés par M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre propose, en changeant le libellé de l’article 2, d’augmenter le chiffre de cet article de 6,000 fr. Mais il nous propose de réduire l’article. 6 du chapitre premier de 2,900 fr., et l’article 3 du chapitre VI de 3,100 fr., ce qui fait la somme de 6,000 fr.
M. le ministre ne propose donc plus à l’article 6 du chapitre premier que le chiffre de 34,100 fr. Mais je dois faite observer, comme rapporteur de la section centrale, que nous proposions d’accorder sur cette somme 3,000 fr. comme charges extraordinaires.
Je demanderai à M. le ministre s’il se rallie à cette proposition, c’est-à-dire s’il consent à ce que la chambre vote le chiffre de 31,100 fr. comme charges ordinaires et le chiffre de 3,000 fr. comme dépenses extraordinaires.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je consens à cette proposition.
M. de Brouckere. - Je ferai remarquer que dans la loi de budget, cette distinction en charges ordinaires et en charges extraordinaires ne sera pas établie. Je demanderai s’il ne conviendrait pas mieux de faire ce qu’on a fait hier pour le budget des finances, c’est-à-dire de mettre un littera B « travail extraordinaire ». De cette manière les budgets seraient rédigés d’après un mode uniforme.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je ferai remarquer qu’en admettant l’observation que vient de faire l’honorable M. de Brouckere, on s’écarterait au contraire de la marche qui a toujours été suivie. Toujours on a indiqué au budget les charges ordinaires et les charges extraordinaires dans deux colonnes distinctes. La proposition de l’honorable M. Osy tend seulement à régulariser les chiffres du budget.
- L’article 2, tel qu’il a été proposé par M. le ministre, est adopté.
« Art. 3. Frais de commissions d’examen : fr. 2,000. »
- Adopté.
« Art. 4. Pensions à accorder à des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 44,024. »
- Adopté.
« Art. 5. Secours à des fonctionnaires et employés ou à leurs veuves, qui, sans avoir droit à la pension, ont des titres à un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 1,000. »
M. de Brouckere. - Il faudra mettre ici la rédaction qui a été admise hier pour l’article correspondant du budget des finances, et dire : « Secours à d’anciens fonctionnaires, etc. »
- L’article est adopté avec ce changement de rédaction.
« Art. 6. Matériel. »
M. le président. - M. le ministre a proposé une réduction de 2,900 fr., de sorte que le chiffre est maintenant de 54,100 h. dont 3,000 h. de dépenses extraordinaires.
M. Mast de Vries. - Je dois rappeler l’attention de M. le ministre sur une observation que j’ai faite l’année dernière, à laquelle il avait promis de faire droit et qui avait obtenu l’assentiment de la chambre.
Il y a deux ans, messieurs, on nous a distribué un recueil renfermant les tarifs des douanes de la Belgique et des pays étrangers ; depuis lors beaucoup de modifications ont été apportées à ces tarifs, surtout en Angleterre, de sorte que ce recueil, dans l’état où il se trouve actuellement, est devenu tout à fait inutile. Pour lui rendre son utilité il faudrait que M. le ministre voulût bien nous faire distribuer tous les ans quelques feuilles du même format contenant les changements qui ont été introduits dans le cours de l’année soit en Belgique, soit dans les autres pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je ferai droit à la demande de l’honorable membre.
- L’article est adopté.
« Art. 7. Achat de décorations de l’ordre de Léopold : fr. 10,000. »
M. de Tornaco. — Messieurs, lors de l’examen du budget des affaires étrangères dans la dernière session, plusieurs sections avaient critiqué la multiplicité des nominations dans l’ordre de Léopold ; elles étaient allées jusqu’à proposer de réduire le crédit de 10,000 fr. demandé pour dépenses relatives à ces nominations. C’était là, messieurs, un avis donné au ministère, avis dont il aurait bien fait de profiter. Il n’en a point été ainsi, les nominations dans l’ordre de Léopold ont été extrêmement fréquentes, elles ont été faites dans certains cas avec beaucoup de précipitation et avec imprudence.
Il s’est passé des faits, messieurs, qu’il est inutile de rappeler aujourd’hui et qu’il me serait même pénible de rappeler. On a abusé de l’ordre (page 140) Léopold non seulement dans l’intérieur du pays mais aussi à l’extérieur Vous devez vous le rappeler, messieurs, d’après un tableau qui nous a été soumis l’année dernière, les nominations faites à l’extérieur ont été à peu de chose près aussi nombreuses que les nominations faites dans le pays. Je ne pense pas, messieurs, qu’il soit conforme à l’esprit de l’institution d’un ordre, de le faire servir à décorer des poitrines étrangères La multiplicité des nominations pouvait se légitimer jusqu’à un certain point pendant les premiers temps qui ont suivi la révolution : il s’agissait alors en quelque sorte, pour le gouvernement, de faire prendre position à son ordre ; il avait aussi besoin de tous ses ressorts dans les circonstances difficiles où il se trouvait ; mais depuis cette époque le gouvernement aurait dû, me semble-t-il, être plus réservé qu’il ne l’a été et ne pas déprécier, comme il l’a fait, ce moyen de gouverner.
Le ministère n’a pas profité de l’avis qui lui a été donné à cet égard l’année dernière. Dans la discussion de l’adresse, messieurs, un honorable membre nous a déjà fait observer ce fait.
Je vous citerai, à l’appui de cette observation, quelques-uns des exemples qui m’ont le plus frappé et dont j’ai tenu note.
C’est surtout M. le ministre des affaires étrangères qui s’est montré prodigue de l’ordre de Léopold ; il ne s’est pas contenté de distribuer le décorations dans l’intérieur du pays, il en a distribué aux quatre points cardinaux. Les Français surtout ont été les objets de ses attentions généreuses en peu de temps, il a fait 39 nominations en France ; je crois que le gouvernement français lui-même ne décore pas autant de personnes en si peu de temps ; car c’est dans l’espace de 2 ou 3 mois que ces 39 nominations ont été faites. Après M. le ministre des affaires étrangères, M. le ministre de la guerre s’est chargé à son tour de remplir le Moniteur de nominations dans l’ordre de Léopold, toujours au profit des Français.
Vingt-sept nominations ont eu lieu en fort peu de temps. Sans doute que la plupart des personnes qui ont reçu ces distinctions, sont parfaitement dignes de les porter ; mais, je le répète, l’Ordre n’a pas été établi pour être prodigué à des étrangers, militaires ou autres.
C’est principalement à des officiers français que la décoration a été accordée ; il y a entre autres un arrêté du 23 septembre qui porte à lui tout seul 17 nominations ; elles sont motivées sur ce que les officiers français ont fait bon accueil aux officiers belges qui s’étaient rendus en Algérie pour y achever leur instruction.
Ce motif m’a paru bien futile ; la Belgique a envoyé 7 ou 8 officiers en Algérie, ils y ont été bien reçus ; s’il convenait de donner un témoignage de reconnaissance à ce sujet, au moins il n’était pas nécessaire de nommer pour cela un grand cordon, 9 commandeurs, 3 officiers et 4 chevaliers. On ne s’explique vraiment pas une semblable prodigalité. Il faut suivre attentivement les arrêtés dans le Moniteur pour comprendre comment les choses se passent ; il y a une espèce de succession d’arrêts : les uns donnent, les autres reçoivent ; pour me servir d’une expression familière, je dirai que MM. les ministres sèment tout simplement pour récolter ; mais ils diffèrent en ceci des autres semeurs ; ces derniers sèment ordinairement leurs propres semences, MM. les ministres sèment les semences du pays, et récoltent à leur profit personnel.
Tandis que le gouvernement prodigue ainsi les décorations, surtout à des étrangers, il oublie des nationaux qui avaient droit à de semblables distinctions ; ainsi l’on voit rarement décorer des agronomes. Il se trouve en Belgique quelques agronomes distingués, justement estimés à l’étranger, que l’étranger vient visiter, chez lesquels il vient chercher des conseils et de l’instruction. Eh bien, je ne vois pas que le gouvernement s’empresse de donner des distinctions à de tels hommes ; ils rendent cependant de grands services à l’agriculture, au pays tout entier ; mais comme ils font peu de bruit, on les oublie.
On oublie aussi certains hommes distingués par leur courage et leur dévouement, et qui, pour appartenir aux classes inférieures de la société, ne devraient pourtant pas demeurer inaperçus du gouvernement. Je citerai entre autres un fait qui est à ma connaissance. Il doit se trouver dans la province de Liége un homme qui a d’abord été militaire, et qui, pendant qu’il était au service, a sauvé la vie à son capitaine. Cet homme, depuis qu’il a quitté les drapeaux, a encore sauvé la vie à cinq ou six personnes. Des demandes nombreuses, m’a-t-on dit, ont été faites, pour qu’il fût décoré ; ces démarches n’ont abouti à rien.
Il est à regretter qu’il en soit ainsi ; pour ma part, je verrais avec plaisir briller la décoration sur la poitrine d’un homme tel que celui auquel je viens de faire allusion.
Pour me résumer, messieurs, il est à désirer que le gouvernement soit en général moins prodigue de décorations, surtout à l’égard des étrangers ; qu’il soit fort scrupuleux dans les choix, et ne les accorde qu’à des personnes d’un caractère honorable. Il est à désirer aussi que le gouvernement, quand il distribue les décorations, n’oublie pas autant les hommes qui rendent des services à l’agriculture, et qu’il ne dédaigne pas non plus les hommes de cœur, que des actes de dévouement à leurs semblables ont signalés à l’estime et à la reconnaissance publiques.
M. Osy, rapporteur. - Messieurs, plusieurs sections avaient manifesté l’année dernière le désir de voir imprimer à la suite du rapport la liste des décorations qui avaient été accordées dans le cours d’une année. Ce tableau a été en effet imprimé. Cette année-ci on n’a plus demandé un pareil tableau, et voilà pourquoi la liste des décorés pour l’année 1846, ne se trouve pas jointe au rapport sur le budget de 1847. Je crois qu’il serait utile que chaque année, le tableau fût inséré dans le rapport et si l’année prochaine, on me fait encore l’honneur de me nommer rapporteur pour le budget des affaires étrangères, je prends l’engagement demander le tableau dans le sein de la section centrale, et si celle-ci l’autorise, je le ferai imprimer à la suite du rapport.
Comme l’honorable M. de Tornaco, je dois m’élever contre la prodigalité avec laquelle on distribue les décorations d’un ordre qui dans le principe ne devait être que militaire. Ce n’est qu’à une voix de majorité que l’ordre civil a été adopté. C’est un avertissement qu’on ne doit donner la décoration qu’aux personnes qui la méritent sous tous les rapports.
La loi veut que les arrêtés qui confèrent les décorations soient motivés. Depuis quelque temps, dans un grand nombre de ces arrêtés, que voyons-nous ? « Voulant donner une marque de bienveillance, etc. » Sont-ce là des motifs ? C’est pour des services rendus au pays que nous avons institué l’ordre civil. Je désire que l’on rentre dans la légalité, que les arrêtés soient désormais réellement motivés dans le sens que nous avons attaché à l’octroi de la décoration civile.
Je ne citerai, au sujet des décorations, qu’un fait qui m’a frappé l’année dernière ; j’ai lu, dans le même numéro du Moniteur, six décorations, dont cinq d’officiers et une de chevalier, accordées à des peintres de Munich. Aucun de ces peintres ne doit avoir envoyé quoi que ce soit à l’une de nos expositions des beaux-arts. Vous donnez donc d’un coup cinq croix d’officiers à des artistes étrangers ; et, bien que nous ayons sans aucun doute des artistes indigènes fort remarquables dans toutes les branches des beaux-arts, je ne pense pas qu’il y ait un seul artiste belge qui ait la croix d’officier.
Je citerai encore un autre fait. Chaque fois qu’un journal étranger prend la défense, non pas de la Belgique, mais de nos ministres, on lui envoie la décoration. Je concevrais une décoration donnée au rédacteur d’un journal étranger qui ferait consciencieusement l’éloge de la Belgique, qui signalerait les progrès qu’elle a faits en tout genre ; mais les décorations ne tombent que sur les journaux étrangers qui font l’éloge de nos ministres. Je citerai l’Epoque ; j’ai vu un article, en faveur de nos ministres, dans ce journal, dont le rédacteur a été décoré par notre gouvernement. Or, ce choix a été malheureux, car le journaliste en question est allé, avec la décoration, s’asseoir sur les bancs du tribunal de police correctionnelle. Il est plus que temps que le gouvernement s’arrête dans la marche qu’il suit à cet égard, car les décorations n’ont plus aucune valeur, et le temps viendra bientôt où l’on sera plus honoré de mettre sa décoration dans sa poche qu’à sa boutonnière.
M. Rodenbach. - Messieurs, je pense, avec divers orateurs qui viennent de prendre la parole, qu’on a trop prodigué les décorations. Cette observation s’applique surtout aux décorations qu’on a données à l’extérieur. Il est des nominations, faites à l’intérieur, et que l’on peut citer avec éloge. Je rappellerai une de ces nominations qui a excité l’approbation générale et qui sera sans doute accueillie avec la même faveur dans cette chambre : je veux parler de la décoration accordée, dans la Flandre occidentale, à un vieillard de 80 ans, qui est bourgmestre depuis 50 ans, et qui est en même temps conseiller provincial. Je pourrais citer encore d’autres décorations aussi bien placées que celle-là.
Je trouve cependant qu’on néglige, quant aux distinctions de ce genre, les personnes qui s’occupent de l’humanité souffrante. Il est, près des bureaux de bienfaisance, des hommes qui exercent des fonctions purement gratuites, dans l’intérêt de la classe pauvre ; il arrive que ces personnes remplissent cette mission de dévouement pendant 30, 40 et même 50 ans ; un zèle si persévérant et si désintéressé pour le bien public ne doit pas être oublié dans les distinctions que l’on accorde, et j’appelle sur ce point l’attention du gouvernement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je ferai d’abord une remarque. C’est que si l’administration de l’ordre de Léopold appartient au département des affaires étrangères, ce n’est pas sous sa responsabilité que toutes les décorations sont proposées et accordées ; je ne veux cependant pas en conclure que je trouve un inconvénient à me charger de la responsabilité de ce qui a été fait ; mais je fais cette observation pour faire comprendre à la chambre que je suis dans l’impossibilité de justifier, par des considérations de détails, les décorations accordées par les divers départements ministériels.
Quant aux nominations faites par le département des affaires étrangères, on m’avait reproché d’avoir jeté la croix de Léopold à profusion à l’étranger.
Je ferai connaître des faits et des chiffres qui démontreront que c’est une erreur qu’on a accréditée et que le gouvernement n’a pas usé de plus de profusion cette année que dans les années antérieures et sous les ministères précédents.
Messieurs, il ne faut pas perdre de vue que la Belgique est un Etat nouveau, que ses relations avec les puissances étrangères sont encore de date assez récente ; de là est venue la nécessité non seulement de conclure des traités politiques, comme ceux de 1839 et de 1842, mais des conventions de commerce, de navigation.
De là sont nés les échanges de décorations qu’il est d’usage d’attacher à la conclusion de ces divers traités. La Belgique pouvait-elle se soustraire à cet usage universellement adopté parmi les Etats monarchiques ? Je dis que la Belgique ne pouvait pas, n’avait pas intérêt à se soustraire à cette obligation. Si des échanges de décorations n’avaient pas eu lieu à propos de la conclusion des traités de commerce et de navigation, n’aurait-on pas pu croire à l’étranger que cette exception à l’égard de la Belgique était le fait des gouvernements étrangers et pouvait être attribuée au défaut de bienveillance de leur part envers la Belgique ?
(page 141) Le gouvernement belge est-il donc tellement ancien, son influence en Europe est-elle tellement enracinée, qu’il puisse fièrement renoncer à l’usage des échanges de décorations que d’autres nations, plus vieilles, ont conservé ?
La chambre ne doit pas oublier que la Belgique n’a pas les mêmes ressources que les autres gouvernements. Dans la plupart des autres pays, au lien de décorations, on emploie les cadeaux diplomatiques ; vous n’ignorez pas ensuite qu’il existe presque partout plusieurs catégories d’ordres d’importance différente, ce qui dispense ainsi d’accorder trop souvent l’Ordre de première classe.
La Belgique manque de ces deux ressources. Elle n’envoie pas de cadeaux diplomatiques et elle n’a pas à conférer plusieurs Ordres d’importance inégale.
Pour les traités de commerce et de navigation, toujours des décorations ont été échangées. Il n’en a pas été toujours de même, pour les conventions d’extradition et d’abolition de droits d’aubaine. Quand un échange a eu lieu pour ces dernières conventions, c’est quand c’était le premier acte diplomatique qui intervenait entre la Belgique et les Etats avec lesquels ces conventions étaient faites.
D’ailleurs, les décorations accordées aux étrangers ne doivent pas être considérées au même point de vue que celles accordées à des Belges. Quand des décorations sont accordées à des étrangers, on est sous l’empire de considérations qu’il est difficile d’énoncer dans un arrêté.
La chambre doit comprendre qu’il est difficile de motiver d’une manière complète les décorations accordées à des étrangers ; souvent c’est en considération de l’influence dont jouit la personne décorée, de la position qu’elle occupe, des services qu’elle a rendus ou qu’elle peut rendre, de la recommandation expresse faite par le souverain. Toutes ces raisons qui souvent motivent cette distinction honorifique, accordée à un étranger, ne peuvent être mentionnées dans un arrêté.
Messieurs, on a dit que j’avais, moi surtout, prodigué les décorations à l’étranger. J’aurais d’abord une réflexion à vous soumettre, si le fait était exact, c’est que depuis deux ans des traités nombreux ont été conclus. Mais le fait n’est pas exact. J’ai le relevé des décorations accordées par mes prédécesseurs ; je citerai quelques chiffres qui démontreront que, malgré les traités plus nombreux conclus sous mon administration, je suis resté dans des bornes plus restreintes. Sous le ministère du comte de Briey, dans l’espace d’un an et huit mois, 11 décorations ont été données à des Belges et 86 à des étrangers ; sous l’administration du général Goblet, pendant deux ans et trois mois, 19 décorations ont été données à l’intérieur et à 141 à l’étranger ; sous mon administration, dans l’intervalle d’un an et quatre mois, il a été accordé 13 décorations l’intérieur et 85 à l’étranger. Or, je le répète, depuis deux ans, la chambre le sait, il a été conclu plus de conventions commerciales que sous les administrations précédentes. Je ne veux aucunement blâmer mes prédécesseurs.
Je crois que, dans l’intérêt du pays, ils ont obéi à la nécessité de conférer ces décorations ; je ne leur fais donc pas un reproche, mais je me défends, et je veux faire remarquer qu’en présence de faits qui autorisaient à donner plus de décorations à l’étranger, j’ai été plus sobre.
Il ne faut pas non plus oublier que dans les échanges de décorations, l’initiative ne vient pas toujours de la Belgique. J’ajouterai qu’elle est venue rarement de la Belgique.
Lorsque l’initiative vient de gouvernements étrangers, comment la Belgique ferait-elle pour refuser sou assentiment ? Evidemment un tel refus, qui serait blessant pour le pays auquel il s’adresserait, ne saurait être justifié.
Je ne veux pas suivre l’honorable baron Osy sur le terrain des questions personnelles. Je puis défendre à cette tribune des principes, justifier des actes poses au nom d’un principe ; mais il est impossible de discuter ici des questions de noms propres. L’honorable baron Osy a reproché au gouvernement d’avoir accordé une décoration à un journaliste français. On n’a jamais critiqué le gouvernement d’avoir décoré des publicistes étrangers, en France et en Allemagne, lorsque ces publicistes appartiennent à la presse quotidienne ; je pourrais rappeler plusieurs noms et des plus honorables.
Le fait auquel l’honorable M. Osy a fait allusion ne l’autorise pas à jeter des paroles flétrissantes dont il aurait dû s’abstenir. Mais je ne veux pas entrer dans un débat de noms propres ; la chambre certainement ne l’attend pas de moi.
Relativement à des décorations accordées à des peintres étrangers, je crois que ces décorations sont parfaitement justifiées. Les relations que nous avons avec la Bavière sont en grande partie artistiques. Le gouvernement a cru pouvoir accorder cette marque de haute distinction à des artistes de premier mérite et développer ainsi les relations d’amitié avec cette nation sympathique.
Le gouvernement bavarois a accordé aussi des décorations par réciprocité, et récemment l’un de nos peintres les plus distingués a reçu de la Bavière cette marque honorifique.
M. Osy, rapporteur. - Vous savez, messieurs, que quand je soulève une question, j’ai l’habitude d’arriver à une conclusion. J’ai donc l’honneur de proposer un amendement ; je vais le motiver. M. le ministre des affaires étrangères vous demande, à l’article 7, 10,000 fr. pour l’ordre de Léopold. Je viens de parcourir les états déposés sur le bureau ; je trouve qu’au chapitre VII du même budget, on impute encore, outre les 10,000 fr., diverses dépenses pour le même ordre. Vous croyez voter 10,000 fr., vous votez beaucoup plus ; en voici la preuve.
Je trouve au chapitre VI, « Missions extraordinaires », exercice 1846 : Dépenses imprévues : A M. Allard pour livraisons de croix, plaques et rubans de la décoration civile et militaire de l’ordre de Léopold (c’est, comme vous allez voir, pour des affaires très importantes), par suite de la convention avec le duché de Parme et la Hesse électorale (je ne sache pas qu’on ait conclu des traités de commerce avec ces pays) : fr. 1,396
Il y a peut-être dans les divers ministères des dépenses de même nature.
Ceci me prouve que les chiffres que nous votons sont dérisoires.
Je propose donc d’ajouter à cet article : « Sans qu’on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d’autres articles. «
La cour des comptes, ainsi avertie, veillera à ce qu’on ne dépasse pas les 10,000 fr.
M. de Corswarem. - Mon honorable ami M. Rodenbach a signalé tout à l’heure les membres des administrations de bienfaisance, comme ayant des droits à obtenir la décoration. Effectivement ils y ont un droit réel ; car il existe un décret impérial, aux termes duquel tout membre des administrations de bienfaisance et des hospices a droit à la Légion d’honneur, après trente ans de services gratuits. On fera bien d’exécuter ce décret qu’on a laissé tomber en désuétude. Parmi les personnes récemment décorées, il y a un homme très distingué, M. Nicolai, qui a reçu cette distinction pour ses actes de générosité et de bienfaisance. Je ne sache pas qu’aucune décoration ait été mieux accueillie dans le pays que celle-là.
M. de Mérode. - Messieurs, je considère les décorations nomme un excellent moyen d’émulation, et qui est de nature à produire de très bons fruits par des récompenses qui ne coûtent que bien peu aux contribuables.
Je reconnais cependant que l’on en fait abus de deux manières : d’abord par trop de facilité à les accorder en certains cas, ensuite par trop de restriction dans l’application en d’autres circonstances.
Ainsi, nous apprenons souvent que des hommes ont sauvé la vie à plusieurs individus, se sont exposés d’une manière admirable pour sauver leurs semblables des plus grands dangers, en s’y exposant eux-mêmes, et j’ai vu fort rarement ces personnes-là décorées.
Ce sont, à la vérité, des hommes du peuple ; mais s’il est vrai qu’il y a dans le peuple des individus qui font preuve d’un grand courage et qui manquent de conduite, il en est qui mènent une vie honorable ; et quand on n’a rien à leur reprocher sous le rapport de la conduite, quand on est sûr qu’ils ne compromettront pas leur décoration, je ne vois pas pourquoi on ne leur accorderait point cette récompense, après de grandes preuves de dévouement.
M. Rodenbach. - Appuyé !
M. de Mérode. - Il est une autre observation que je désirais représenter depuis assez longtemps. Des soldats français ont été décorés, lors du siège d’Anvers, à l’occasion de blessures graves, reçues alors pour la cause belge, ou comme ayant fait preuve d’un courage particulier. Ils ne reçoivent pas la gratification de 100 fr., assurée par la loi aux sous-officiers et soldats décorés de l’ordre de Léopold.
Cependant aucun article de la loi ne fait d’exception à l’égard des soldats étrangers ; or si l’on décore par courtoisie des officiers supérieurs étrangers, on ne décorera jamais des soldats qui n’auront rien fait pour le pays. Dès lors je ne vois pas pourquoi le petit nombre de soldats français qui ont reçu et mérité l’ordre de Léopold ne recevraient pas la gratification annuelle de 100 fr. qui, aux termes même de la loi, leur est due, puisqu’elle ne fait pas d’exception.
Ou se plaint de ce qu’on a décoré des journalistes qui, selon les honorables membres qui se livrent à ces critiques, ne l’auraient pas mérité ; mais ceux qui se montrent aussi sévères à l’égard de ces décorations, ne seraient-ils pas être plus jaloux de l’honneur du pays à propos des étrangers qui le ridiculisent par toutes sortes d’attaques sans fondement ?
Je voudrais qu’on s’appliquât à soi-même la sévérité que l’on montre envers le gouvernement.
M. Lebeau. - Qui donc ?
M. de Mérode. - On cite avec complaisance des journalistes qui nous représentent comme courbés sous le joug monacal, comme des rétrogrades, comme des éteignoirs, qui représentent la Belgique de la manière la plus contraire à la vérité.
M. Lebeau. - Sont-ils décorés ?
M. de Mérode. - Ils ne sont pas décorés, mais on répète et on exalte leurs articles.
Au surplus, M. Sue a bien été honoré d’une magnifique médaille, pour avoir inventé « Couche-Tout-Nu. » (Hilarité générale.)
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, on a parlé d’un grand nombre de décorations qui avaient été accordées surtout à l’étranger, et même à l’intérieur. A côté de cette observation, il s’en est présenté d’une autre nature, c’est-à-dire qu’on a signalé à l’attention du gouvernement des classes nouvelles de personnes qui rendent des services au pays et qui, dans l’opinion des honorables membres, mériteraient également des décorations, notamment les administrateurs des bureaux de bienfaisance et les personnes qui ont porté secours à autrui dans des circonstances périlleuses.
Messieurs, il est à remarquer que, relativement aux catégories très nombreuses de personnes, telles que, par exemple, celles des administrateurs des bureaux de bienfaisance, il faut user de beaucoup de sobriété, sinon il faudrait multiplier les décorations à l’infini et hors de toutes proportions avec le chiffre du budget.
Il en est de même des administrations communales rurales qui rendent de grands services au pays, et cependant on a toujours été sobre de décorations à l’égard des membres de ces administrations.
La même observation s’applique aux personnes qui donnent des preuves de dévouement et d’humanité, en portant secours à autrui. Pour cette dernière catégorie, il existe un article tout spécial au budget de l’intérieur, intitulé « médailles et récompenses pour actes de dévouement ».
Je conviens, messieurs, que dans quelques circonstances extraordinaires une décoration peut être donnée à des individus de cette catégorie. Mais je dis encore que ces décorations doivent être très rares ; sinon, elles devraient être extrêmement multipliées. Car, je dois le dire à l’honneur du pays, les actes de courage et de dévouement sont très nombreux. Il suffit de jeter les yeux sur la liste publiée tons les ans avec le budget du département de l’intérieur pour s’en convaincre. A la seule inspection de cette liste on voit combien il serait difficile d’accorder des décorations à cette classe de personnes sans s’exposer à devoir les étendre trop.
Messieurs, on a parlé de décorations nombreuses ; mais j’ose le dire, si le gouvernement éprouve une satisfaction à reconnaître les services importants rendus au pays, d’un autre côté, messieurs, il est souvent très pénible de résister à une foule de demandes de décoration qui sont faites aux ministres, et ici le gouvernement doit prendre sous sa responsabilité tout aussi bien le refus que l’octroi d’une décoration. C’est une partie très délicate, et il n’est pas possible de discuter chacun des actes en particulier qui sont posés, parce que ces discussions mèneraient beaucoup trop loin, qu’elles prendraient beaucoup trop de temps, et que souvent elles auraient un caractère d’inconvenance qui ne peut exister dans nos discussions.
Du reste, messieurs, le gouvernement ne demande pas mieux que de faire fruit des observations qui se produisent dans les discussions ; c’est en même temps un avertissement au public. Mais je dois dire que dans la discussion actuelle il s’est présenté des observations évidemment exagérées en tant qu’on a critiqué l’octroi qui a été fait des décorations.
On a parlé de certaines décorations à l’étranger, mais il est des faits qu’on ignore quelquefois. Ainsi un ministre étranger, organe de son gouvernement, sollicite pour un individu une décoration. Il la sollicite quelquefois d’une manière très pressante, et alors c’est un acte de bon rapport international d’accéder à une semblable demande. De manière que quelquefois on attribue une décoration à des motifs complétement étrangers à ceux qui ont dirigé le gouvernement dans l’octroi qu’il en a fait.
Il est essentiel de s’appesantir sur cette observation parce qu’elle tend à réfuter plusieurs critiques qui ont été faites dans cette chambre.
M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je vais mettre l’article aux voix.
Plusieurs membres. - Il y a un amendement de M. Osy.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Si j’ai bien compris, cet amendement se rapporte au chapitre VII.
M. Osy, rapporteur. - Non, il se rapporte à l’article 7 du chapitre premier.
J’ai l’honneur de dire que j’avais découvert dans les tableaux déposés sur le bureau, que sur le chapitre VI, on avait fait entre autres une imputation de 1,300 fr. pour donner des décorations à quelques employés du duché de Parme et de la Hesse électorale, de sorte que lorsque nous croyions voter 10,000 fr. pour les décoration nous votions de fait 11 ou 12,000 fr. Or, pour éviter cet abus, j’ai demandé qu’on ajoutât à l’article en discussion, ces mots : « sans que l’on puisse augmenter ce chiffre par des imputations sur d’autres articles ».
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, je ne m’oppose nullement à cet amendement. C’est un principe admis déjà hier et qui est écrit dans les arrêtés organiques dont on a parlé. Mais je ferai une observation, c’est que si je ne me trompe, le crédit de 10,000 fr. est déjà absorbé. Il est absorbé non pas par le fait de l’administration actuelle ; mais depuis 1832 le crédit a presque toujours été dépassé, à tel point, que devant accepter le legs qui m’a été laissé par mes prédécesseurs, je serai amené à proposer à la chambre un crédit supplémentaire.
Du reste, l’observation que je fais ne doit pas avoir pour conclusion de repousser l’amendement de l’honorable M. Osy, qui n’est qu’une régularisation d’imputation.
M. Osy, rapporteur. - Messieurs, d’après les explications de M. le ministre des affaires étrangères, il accepte mon amendement ; mais il fait la réserve de venir demander des crédits supplémentaires pour les années écoulées. Messieurs, à cette occasion je demanderai à M. le ministre de vouloir, lorsqu’il présentera un projet, nous dire combien on a dépensé tous les ans en sus du crédit de 10,000 francs qui a été voté.
Quant au crédit supplémentaire annoncé par M. le ministre, nous l’examinerons ; mais je savais depuis longtemps qu’il y avait un déficit, etj e ne serais pas étonné que ce déficit s’élevât à 20,000 fr.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai oublié, messieurs, de répondre à une interpellation faite par l’honorable M. Osy. Il a demandé si des imputations relatives à l’ordre de Léopold n’avaient pas été faites sur l’autres budgets ; je puis déclarer que jamais un centime n’a été imputé sur le budget d’un autre département que celui des affaires étrangères.
- L’article 7 est adopté avec l’addition proposée par M. Osy.
La séance est levée à 4 heures et demie.