(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1842) M. de Villegas procède à l'appel nominal à 2 heures.
Il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est approuvée.
Il fait connaître l'analyse des pétitions suivantes.
« Le sieur Pierre-Alexandre Fournel, négociante Bruxelles, né à Paris, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Les membres du conseil communal de Cortemarcq demandent l’union douanière avec la France. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la convention avec la France.
« Un grand nombre d'habitants de Gand demandent la suppression du droit d'entrée sur le bétail. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des rapports concernant le droit d'entrée sur le bétail.
(page 1843) « Les sieurs Vanderschrieck, propriétaires d'une filature de laine à Anvers, demandent le rejet de la convention avec la France. »
M. Osy. - Messieurs, comme cette pétition se rapporte à l'objet qui est à l'ordre du jour, je demanderai que le secrétaire en donne lecture. Vous verrez, messieurs, que c'est un industriel qui a établi une fabrique auprès d'Anvers, il y a deux ans, en vertu de l'arrêté de 1845, et aujourd'hui on demande déjà une indemnité. Voilà ce qui vous arrivera par la convention avec la France. Je demande la lecture, ainsi que le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet relatif à la convention,
- Cette double proposition est adoptée.
M. de La Coste informe la chambre qu'il ne peut assister à la séance de ce jour.
- Pris pour information.
« M. le doyen curé de SS-Michel et Gudule, fait part à la chambre qu'un service solennel de mort à l'intention de feu Sa Sainteté le pape Grégoire XVI aura lieu en cette église, le mardi 7 juillet à 11 heures. »
- Pris pour information.
« II est fait hommage à la chambre d'une carte du Texas, par M. Maris. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. Vanden Eynde présente le rapport de la commission qui a été chargée de l'examen du projet de loi portant l'abrogation de l'arrêté-loi du 9 septembre 1814, relatif aux jugements rendus et aux contrats passés en France.
- La discussion de ce rapport, qui sera imprimé et distribué, sera fixée ultérieurement.
« Le sieur Henry, propriétaire de hauts fourneaux dans la province de Luxembourg, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir le remboursement des droits sur les fontes qu'il a fait passer par terre dans le Zollverein après l'ordonnance prussienne qui a donné lieu au traité du 1er septembre 1844. »
M. Zoude, rapporteur. - Nos démêlés tarifaires avec la Prusse en 1844 sont encore présents à vos souvenirs.
La chambre se rappellera que par ordre du cabinet prussien, en date du 14 juin 1844, une surtaxe fut établie sur les fers importés dans le Zollverein, et que, par représaille, un arrêté du 28 juillet suivent soumit les navires prussiens à un droit de tonnage dont ils avaient été affranchis jusqu'alors, et que le péage sur l'Escaut cessa de leur être remboursé. Mais, par un nouveau traité du 1er septembre suivant, l'ancien état de choses fut rétabli, et un arrêté royal du 25 juin 1845 ordonne le remboursement du droit de tonnage et de péage qu'avaient acquitté les navires prussiens.
De son côté le gouvernement prussien donna l'assurance que la surtaxe sur les fers serait remboursée ; c'est ainsi que M. le ministre de l'intérieur s'en est expliqué à la chambre.
C'est l’exécution de cette promesse de la part de la Prusse, que le pétitionnaire sollicite ; il joint à l'appui de sa demande, des états délivrés par les autorités du Zollverein, constatant les quantités de fer qu'il a importées alors et le montant de la surtaxe qu'il a acquittée, s'élevant à la somme de 4,963 fr., dont il sollicite le remboursement que le gouvernement seul peut lui faire obtenir, puisque c'est envers lui que la Prusse s'est engagée.
C'est à cet effet que votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des relations étrangères, persuadée, que, dans sa sollicitude pour les intérêts belges, il s'empressera de faire les démarches nécessaires pour que justice soit rendue au pétitionnaire. »
- Ces conclusions sont adoptées.
« Plusieurs propriétaires, cultivateurs, industriels et commerçants de la ville de Diest et des environs, demandent la construction du canal de Vilvorde à Diest. »
M. Zoude, rapporteur. - Une pétition revêtue de la signature de toutes les notabilités de la ville de Diest et de ses environs, demande l'exécution du canal de Diest à Vilvorde, qui avait été décrété et mis en adjudication sous le gouvernement précédent.
Ils réclament le droit acquis, reconnu par le gouvernement lui-même qui leur a réitéré souvent la promesse de s'en occuper d'abord ; mais tout jusqu'ici s'est borné aux promesses ; cependant, disent-ils, il est démontré que les travaux que l'on fait au Denier pour empêcher les inondations ne pourront atteindre le but d'utilité qu'on se propose qu'au moyen du canal qu'ils sollicitent.
Ils exposent les pertes qu'ils essuient par l'état d'isolement auquel ils sont condamnés maintenant et qui ne peut cesser que par la construction du canal de Vilvorde.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département des travaux publics.
M. Vanden Eynde. - Messieurs, la chambre se souviendra sans doute des observations présentées par les honorables MM. de La Coste, de Man et moi, lors de la discussion du budget des travaux publics, an sujet du canal dont on demande la mise en adjudication. Je regrette que M. le ministre des travaux publics ne soit pas présent ; l'honorable ministre avait promis qu'il s'occuperait, immédiatement après l'adoption de son budget, de ce qui concernait ce canal et sa mise en adjudication.
En l'absence de M. le ministre des travaux publics, je dois me borner à demander que le gouvernement veuille bien immédiatement, puisque les travaux préliminaires sont achevés, ainsi que M. le ministre l’a déclaré à cette époque, veuille bien immédiatement, dis-je, mettre ce canal en adjudication.
Je proposerai en outre d’ajouter à la proposition de renvoi une demande d’explication de la part de M. le ministre.
- Les conclusions de la commission, ainsi modifiées, sont mises aux voix et adoptées.
« Le chevalier de Menten de Horne, ancien officier, prie la chambre de statuer sur sa demande, tendant à obtenir la demi-solde de lieutenant de grosse cavalerie. »
M. Zoude, rapporteur. - Le pétitionnaire expose à la chambre qu'il a servi sous l'empire en qualité de lieutenant de cavalerie et d'aide de camp du général Charbonnier ; que, de retour en 1816, il fut admis par le roi Guillaume au traitement d'attente, mais qu'un arrêté de septembre 1817, le désigna pour Batavia et que, dans l'impossibilité où il se trouvait d’entreprendre immédiatement le voyage, à cause de ses infirmités, suite des blessures reçues dans divers combats, il supplia le roi de lui accorder un délai, faveur qu'il lui demanda en personne ; à quoi le roi lui aurait répondu que Batavia était destiné aux rebelles qui avaient été au service d'un tyran, et que sur ses nouvelles instances il reçut une démission honorable de ses services, mais avec cessation de son traitement d'attente.
Le pétitionnaire a réclamé à diverses époques auprès du ministre de la guerre et de la chambre.
Il réitère sa demande pour qu'un traitement d'attente lui soit accordé.
Votre commission vous propose le renvoi de cette pétition au département de la guerre.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Osy dépose le rapport de la section centrale sur le budget de la marine pour l’exercice 1847.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. La chambre en fixera ultérieurement la discussion.
M. Rodenbach. - Je demande la parole.
Messieurs, dans la séance de samedi, j'ai demandé la parole pour exprimer mon opinion, mais la chambre a montré tant d'empressement de voter que je n'ai pas pu terminer mon discours. Cependant immédiatement après M. le ministre des affaires étrangères ayant témoigné le désir qu'on ne fermât pas la discussion, elle a été continuée à la séance d'aujourd'hui.
Remarquez, messieurs, que je représente le district le plus considérable, intéressé dans l'industrie linière ; que les interruptions, les demandés de clôture ne m'ont pas permis de terminer mon discours ; puisque, sur la demande du ministre on n'a pas persisté à vouloir clore la discussion, j'ai le droit de réclamer mon tour de parole. (Interruption.) Je demande que la parole me soit continuée.
Plusieurs voix. - Non ! non ! Vous avez fini.
M. le président. - D'après les notes tenues au bureau, votre tour de parole est passé ; puisque vous réclamez, je vais consulter la chambre.
M. David. - Le discours de M. Rodenbach n'ayant pas été déclaré scindé, il ne peut pas avoir la parole pour le continuer. Que M. Rodenbach se fasse inscrire, je le veux bien. Ce n'est pas après avoir traité aussi cruellement mon collègue de Verviers qu'il peut demander que nous lui accordions un véritable tour de faveur.
M. de Haerne. - Messieurs, rappelez-vous ce qui s'est passé à la fin de la séance île samedi. Il a été impossible à l'honorable M. Rodenbach de se faire entendre. Je sais qu'à la rigueur, il n'a pas le droit de réclamer la parole ; mais si vous considérez ce qui s'est passé, il me semble que vous ne pouvez pas la lui refuser, quant à la proposition de l'honorable M. David, qu'il se fasse inscrire, je ferai observer qu'elle est illusoire, car il y a déjà une dizaine d'orateurs inscrits ; le tour de M. Rodenbach ne reviendrait pas.
M. Dubus (aîné). - On a empêché aussi M. Lys de terminer son discours, il faudrait commencer par lui rendre la parole.
- La chambre consultée décide que la parole ne sera pas accordée à M. Rodenbach à l'ouverture de la séance.
M. Verwilghen. - Messieurs, après les discours si remarquables que vous venez d'entendre de plusieurs membres et notamment celui de M. Dumortier, je ne pourrais que vous répéter les arguments que ces honorables membres ont fait ressortir avec tant de talent contre les nouveaux sacrifices que l'on exige de nous. Je me bornerai donc, messieurs, à ajouter que j'ai la conviction que tous ceux qui ont voté le traité du 10 juillet 1842 doivent reconnaître que les exportations de nos toiles en France pendant ces 4 années répondent peu aux sacrifices que le pays a faits. Vous le savez tous ; nos exportations n'ont pas augmenté et pour conserver cette malheureuse position, que vous demande-t-on ? De nouveaux sacrifices ; non à supporter par la généralité ; mais à immoler l'industrie lainière. Cette industrie, messieurs, a pris de tels développements que depuis l'arrêté protecteur de 1843, nos fabricants et nos filateurs de laine sont déjà parvenus à exclure en grande partie sur le marché intérieur la concurrence étrangère.
Dans le district que j'ai l'honneur de représenter, St-Nicolas, Lokeren, Tamise et Sinay produisent déjà année commune en filature et étoffes de laine 7 millions de francs, grâce à l’activité de nos industriels. Car il est prouvé que si nos fabricants avaient continué à ne faire tisser que les cotonnettes et siamoises, nos tisserands n'auraient pu gagner un salaire suffisant pour nourrir leurs familles.
(page 1844) Messieurs, cette somme de 7 millions vous paraîtra peut-être exagérée, mais j'ai en mains le relevé que la chambre de commerce de St-Nicolas m'a remis. Le voici :
(Note du webmaster : Suit un tableau reprenant ladite production pour les 4 localités précitées. Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
Je ne puis donc donner mon vote pour anéantir une industrie pleine d'avenir. Je voterai contre le traité.
Quant à la prime que M. Osy a proposée, je m'y rallie volontiers. Les considérations de sympathie qu'il a fait valoir pour l'industrie linière, je les partage entièrement. J'ai dit.
M. le président. - La parole est à M. Lesoinne, inscrit hier.
M. Lebeau. - Je demande la parole.
L'honorable M. Lesoinne, inscrit sur, m'a cédé son tour de parole ; mais je veux agir avec la chambre, et avec les honorables collègues inscrits, en toute franchise. J'avais demandé la parole pour ; si je prenais la place de M. Lesoinne, je ne me croirais pas le droit de parler sur le traité. Je ne sais si lorsqu'il s'agit de la discussion d'un traité on exige qu'un amendement soit produit pour qu'on ait le droit de parler sur.
Je fais remarquer quelle est ma position ; la chambre n'oubliera pas qu'une question a été liée à celle du traité ; cette question, nous en avons été saisis par un rapport de la commission des pétitions, par une réponse de M. le ministre des affaires étrangères, et par les explications données en comité secret et reproduites en partie en séance publique.
La chambre comprendra que je veux parler de l'union douanière franco-belge.
Je ne puis laisser ignorera la chambre que j'ai, comme ancien ministre, quelque intérêt sous ce rapport à me mêler à cette discussion.
Ce ne serait certainement pas une raison pour obtenir un tour de faveur. Mais je prie la chambre de remarquer que la discussion va être close sans que cette question ait été sérieusement abordée. La discussion ainsi ébauchée laissera subsister tous les doutes, toutes les illusions, toutes les erreurs, qui existaient à son début, erreurs, car ce n'est rien autre, selon moi, que viennent attester les pétitions qui nous arrivent encore tous les jours et dont l'analyse vient d'être présentée tout à l'heure.
Voilà dans quel sens j'ai pensé, que l'acte de bienveillance de mon honorable collègue pouvait me permettre de prendre la parole.
Si la chambre croit que je ne suis pas dans les termes du règlement, je n'insisterai pas ; j'insisterai d'autant moins qu'il faut avoir du courage pour encourir la défaveur qui s'attache à toute continuation de la discussion. Il faut avoir le sentiment de son devoir et faire le sacrifice complet de son amour-propre. En pareille circonstance, le devoir d'un loyal député est de ne pas hésiter un moment.
Je crois donc devoir déclarer que si la chambre m'autorise à parler en remplacement de M. Lesoinne, je ne me croirai pas le droit de rentrer dans la discussion générale et je ne dirai pas un mot du traité.
(La chambre consultée par M. le président autorise M. Lebeau à prendre le tour de parole de M. Lesoinne.)
M. Lebeau. - J'ai dit tout à l'heure que, malgré ma répugnance à mêler une question personnelle à une si grave question politique, il me serait bien difficile de m'isoler complétement de l'exposé historique de la question qui s'agite devant la chambre. Je tâcherai cependant de m'effacer autant que possible.
Un illustre orateur disait, il y a quelque temps, à la chambre des pairs de France ces mots remarquables, en répondant à l'exposé d'une politique qui lui paraissait peu française : « En Angleterre, monsieur, tout le monde est Anglais. »
J'aime à croire qu'en Belgique tout le monde est Belge. C'est à des Belges, par le cœur autant au moins que par la naissance, que je veux, m'adresser, en essayant d'aborder la grave question qui nous occupe, et dont nous n'aurons pas diminué l'importance, quand, au lieu de la regarder en face, nous baisserons la tête et que nous passerons timidement à côté d'elle.
Que la chambre me permette, par suite de cette nécessité de position à laquelle je faisais allusion tout à l'heure, de rappeler brièvement quelle est la situation de mes amis politiques et la mienne en face de la question des rapports qui doivent exister entre la Belgique et la France.
Je faisais partie du cabinet du Roi, en 1833 ; je n'étais pas chargé de la direction des intérêts commerciaux. Mais je n'ai jamais compris qu'un ministre dût s'efforcer, se concentrer, s'absorber exclusivement dans les attributions de son département.
Je me suis considéré toujours avant tout dans le pouvoir comme un homme politique, avant tout comme un membre du gouvernement, et j'ai été associé à toutes pensées, à tous les actes, à toutes les démarches ce mes collègues de 1833.
Or, quel a été l'un des premiers actes de l'honorable M. Rogier, ministre du commerce en 1833 ? Une démarche solennelle vers la France, l'envoi à Paris d'une députation composée de membres de la législature, de notabilités de l'industrie et du commerce, dans le dessein d'élargir nos relations avec la France, de resserrer les liens d'amitié et de bon voisinage qui nous unissaient à cette grande nation.
La chambre comprend qu'il m'est permis d'insister sur de pareils antécédents, quand le nom de mon honorable collègue et le mien sont depuis plusieurs années livrés en pâture à la crédulité publique, signalés à la colère d’une partie de nos populations, et que nous sommes présentés comme possédés d'une antipathie vraiment ridicule contre la France, comme ayant, par suite de sentiments aussi absurdes, perdu l'occasion de donner du travail et du pain à une population nombreuse et affamée.
Le ministère de 1833, j'ose en appeler à tous les souvenirs du pays, le ministère de 1833 a préparé la voie aux modifications douanières de 1836 en France et aux lois qui ont été promulguées en Belgique dans le courant de 1838.
Nous étions alors, messieurs, membres du gouvernement, mon honorable collègue et moi. Mais lorsque notre position fut changée, lorsque (page 1845) nous fûmes venus nous asseoir sur ces bancs comme députés, quoique nous ne fussions pas liés par une sympathie bien vive avec les hommes qui dirigeaient alors les affaires, nous nous sommes empressés, lorsque la discussion des lois de 1838 fut ouverte, de venir appuyer le gouvernement dans toutes ses tentatives pour faire rentrer la France dans le droit commun de notre tarif, dont elle se plaignait avec raison d'avoir été écartée par les arrêtés du roi Guillaume.
La chambre se rappellera peut-être qu'à cette occasion nous nous sommes séparés de plusieurs de nos amis politiques pour soutenir le principe de la réduction du tarif en faveur de la France ; la chambre se rappellera peut-être que j'ai fait notamment les plus grands efforts pour établir la théorie qu'est venu défendre dans cette enceinte l'honorable M. Dechamps après l'honorable M. d'Elhoungne, savoir, que la prime dite de sortie pour les tissus de laine était un véritable drawback, n'était qu'une prime de restitution ou tout au moins une prime de compensation résultant de l'élévation du prix des laines à l'intérieur, par suite de la surtaxe de 22p. c. dont elles étaient frappées à la douane.
Enfin, messieurs, s'il m'est permis de le dire, lorsque je fus chargé d'une mission diplomatique en Allemagne, en 1839, ma correspondance avec l'honorable M. de Theux atteste qu'alors encore, examinant ce qu'il y avait de possible, d'utile à faire pour nos relations d'outre-Rhin, je n'ai point dissimulé qu'il ne fallait guère songer à une union douanière avec l'Allemagne ; que cette union, qui serait d'ailleurs un acte d'hostilité contre la France, et comme tel très impolitique, ne serait pas même un acte très profitable au point de vue de nos intérêts matériels.
Voilà, messieurs, quelle a été constamment ma position et celle de mes amis politiques en face de la grande question de nos rapports avec la France. C'est assez dire que lorsque la question de l'union douanière franco-belge s'est offerte à nous pour la première fois, nous l'avons abordée sans prévention ; que dis-je ?nous l'avons accueillie d'abord avec un sentiment de joie, avec un sentiment d'espérance très vive ; mais, messieurs, autant, au premier aspect, cette question nous avait éblouis, autant elle nous avait séduits, autant le découragement a succédé à ces premières impressions, lorsque nous nous sommes livrés froidement, attentivement à l'examen des nombreuses difficultés, pour ne pas dire des impossibilités, qui pèsent sur elle. Ce n'était pas pour la première fois, lorsque le ministère de 1840 s'est formé, ce n'était pas la première fois que le gouvernement avait à délibérer sur cette grave question ; elle avait été soumise en 1837, non officiellement, si on le veut et pour parler le langage de M. le ministre des affaires étrangères, mais très explicitement, à notre cabinet. Elle avait été l'objet des délibérations des deux gouvernements, elle avait formé l'objet de communications officieuses, non seulement quant au principe, mais aussi quant aux moyens d'exécution.
Le cabinet de 1837 a examiné attentivement, la question, s'est rendu compte de toutes les conditions, de toutes les précautions dont la France voulait entourer ce grand acte, et a reconnu que ses exigences, qui peuvent être très légitimes, de la part de ceux qui représentent l'intérêt français, constituent une véritable absorption de la nationalité belge sous le triple rapport de l'indépendance parlementaire, de l'indépendance judiciaire et de l'indépendance administrative ; dès lors les ouvertures ont dû être déclinées et elles l'ont été. Quand je rappelle ces faits ce n'est point du tout à titre de reproche ; je dois, au contraire, louer le gouvernement d'avoir tenu cette conduite.
Il y avait, il est vrai, messieurs, en 1837 et en 1838 une fin de non-recevoir très grave contre un projet de cette nature, c'est qu'alors nous n'avions point de traité définitif avec les Pays-Bas ; c'est qu'alors notre indépendance était encore contestée par notre ancien roi ; c'est qu'alors d'un moment à l'autre, nous pouvions avoir besoin de l'intervention des grandes puissances, tout au moins de leur médiation, pour régler nos différends avec l'ancien roi des Pays-Bas.
Mais, messieurs, si l'exception n'avait été que dilatoire, en 1839, après le traité avec les Pays-Bas, dans les premiers jours de 1840, après la reconnaissance formelle du royaume de Belgique par notre ancien roi, cette exception dilatoire avait disparu. Eh bien, vers la fin de l'année 1859, dans les premiers mois de 1840, de nouvelles ouvertures ont été faites au gouvernement belge, pour examiner d'un commun accord avec le gouvernement français la question d'une union douanière. On s'est livré de part et d'autre à l'examen le plus minutieux, le plus consciencieux ; on y a apporté le désir de s'entendre sur un large développement de nos rapports commerciaux avec la France, et le gouvernement belge a persiste à reconnaître qu'il y avait impossibilité morale et pour ainsi dire matérielle à poursuivre l'exécution du projet d'union. Les ouvertures ont donc été pour la seconde fois déclinées, et cette fois après le traité par lequel le roi des Pays-Bas reconnaissait l'indépendance de la Belgique.
Dans le courant de 1840, après la formation du cabinet dont j'ai eu l'honneur de faire partie, en est encore revenu sur cette question ; des ouvertures ont encore été faites officieusement sur cette question ou gouvernement belge, ou plutôt des notes résumant des conversations particulières furent communiquées confidentiellement au cabinet.
Les notes officieuses qui résumaient les projets d'une union douanière et les graves conditions qui devaient lui servir de base, formaient l'objet des délibérations du cabinet de 1840 ; il s'en occupait très attentivement, très consciencieusement ; il avait abordé l'examen de la question avec un désir si vif de pouvoir en trancher les dignités, qu'il s'était dissimulé une partie notable de ces difficultés quand survint un incident.
Je dois dire que les objections qui s’étaient présentées à l'esprit de nos prédécesseurs ne tardèrent pas à s’offrir tout naturellement au nôtre, cependant nous n'avions pas pris de résolution définitive sur cette grande question ; nous en continuions l'examen, chacun de son coté, lorsqu'éclata la crise qu'on appelle la question d'Orient.
C'est surtout, et j'appelle spécialement l'attention de la chambre sur ce point, c'est surtout vers les derniers jours de juillet que l'attention du cabinet de 1840 fut sérieusement appelée sur le projet d'une union douanière ; le cabinet de 1840, comme je l'ai dit, délibérait ; il s'était fait de graves objections, mais il n'était pas encore arrivé à une résolution unanime et définitive, lorsqu'éclata, je le répète, la crise orientale dont nous fumes immédiatement instruits par notre ministre à Londres.
Alors, messieurs, la pensée bien naturelle, pensée pour ainsi dire commune à chaque membre du cabinet, fut qu'il y avait inopportunité, danger extrême à poursuivre l'examen d'une pareille question dans un tel moment.
Cependant les ouvertures, cette fois, à la différence de ce qui s'était passé précédemment, ne furent pas déclinées, et le conseil se borna à exprimer l'idée que ce serait manquer à toutes les lois de la prudence, à tous ses devoirs que de ne pas proposer, dans de pareilles circonstances, un ajournement.
Voici, messieurs, en quels termes j'exposais, au nom du conseil, les motifs de cet ajournement. Le document que je vais lire est de la fin de juillet 1840.
» Les ministres continuaient à faire un examen sérieux des propositions qu'on leur a communiquées, lorsque le bruit d'une rupture entre la France et les autres grandes puissances est parvenu à Bruxelles. La lettre que le comte Lehon m'a adressée, sous la date d'hier, est venue encore accroître nos inquiétudes.
« L'attention du cabinet, jusque-là concentrée dans l'étude des questions que soulève le projet d'un traité de commerce et de douane entre la France et la Belgique, s'est naturellement portée vers ce nouvel et grave incident. Il nous a paru à tous que les objections déjà soumises à l'égard d'un arrangement qui pouvait mettre en question, aux yeux de l'Europe, le caractère de neutralité que les traités assignent à la Belgique, empruntaient aux circonstances actuelles, aux éventualités qui semblent menacer la paix générale, une nouvelle et très grande importance.
« Si des complications politiques viennent à surgir, il est du plus haut intérêt pour le pays, pour sa nationalité naissante, de n'avoir donné à qui que ce soit le moindre motif de méconnaître sa neutralité. Il serait déjà assez difficile de la préserver de toute atteinte dans le cas d'une guerre européenne, sans ajouter à ces difficultés les défiances, l'irritation et les prétextes que ferait naître un acte dont l'effet serait de dessiner la politique belge dans un sens plus ou moins exclusif.
» Si la Belgique n'excite pas encore toute la sympathie, toute la confiance à laquelle lui donnent droit son attachement à son indépendance, sa moralité, ses louables efforts dans l'industrie, le commerce et les arts, cela tient surtout à cette fatale idée, trop généralement répandue encore, qu'elle n'attache pas à sa nationalité un assez haut prix ; que sa neutralité n'est pas assez réelle : ; que ses tendances sont trop exclusivement françaises. Nous prenons la liberté de soumettre nos doutes sur l'effet que produirait en ce moment l'annonce d'une alliance avec la France, de demander si dans de pareilles conjonctures, que chaque jour peut aggraver, cet arrangement ne prendrait pas aux yeux de l'Europe le caractère d'une alliance politique, et s'il ne serait pas, dès lors, d'une grande prudence d'ajourner tout acte susceptible de pareille interprétation et de si dangereuses conséquences ?
« Les événements réservent peut-être à l'indépendance belge une dernière et décisive épreuve. On ne verra, nous osons l'espérer, dans la proposition d'un ajournement que le désir bien naturel de ne pas ajouter, aux difficultés, aux dangers d'une semblable épreuve. Les chances de guerre dont le public se préoccupe si vivement peuvent disparaître d'un moment à l'autre. Il sera temps alors, nous semble-t-il, tout en continuant l'examen des questions de commerce et de douanes déjà traitées entre la France et la Belgique, d'en aborder la solution. Le cabinet y apportera les vues les plus conciliantes, le plus sincère désir d'arriver à un bon résultat.
« Nous concevrions que la France, blessée de l'attitude prise par les grandes puissances dans la question d'Orient, cherchât avec quelque ardeur à poser, à son tour, un fait qui leur parût hostile ; mais devrions-nous céder à ce désir, devrions-nous partager cette impatience ? Y aurait-il là prudence et opportunité, même en nous plaçant au point de vue exclusivement français ? Nous n'avons pas la prétention très déplacée de mieux apprécier les intérêts de la France que le gouvernement français lui-même, mais les situations inattendues ont des entraînements contre lesquels les esprits plus intéressés dans la question se prémunissent peut-être avec moins de peine. »
Messieurs, le contenu de cette pièce vous a déjà fait comprendre que le cabinet se prononça pour un ajournement.
Quelques mois après, le cabinet du 1er mars, avec lequel il y avait eu un échange d'idées sur cette grande question, avait fait place au ministère du 29 octobre qui, sauf deux ou trois mutations, est le même qui dirige encore les affaires de la France.
Messieurs, si, au lieu d'agir avec une prudence à laquelle j'aime à croire que les partisans les plus prononcés de l'union douanière franco-belge rendront hommage, le gouvernement avait apposé sa signature au bas de quelques actes qu'on eût pu considérer comme des préliminaires, des points de départ d'une union douanière, que serait-il arrivé ? Je me sers à dessein de ce mot « points de départ », parce qu'une fois qu'on se serait accordé sur le principe, je pose en fait que des mois, des années peut-être (page 1846) de négociations ne suffiraient pas pour s'accorder sur un code d'exécution qui pût concilier toutes les exigences, toutes les susceptibilités dans les deux pays. Que serait-il arrivé, disais-je, dans quelle situation se serait-on trouvé, trois mois après un acte qui eût été une adhésion politique, évidente, éclatante à la politique de la France, au moment où la France était en face des quatre grandes puissances de l'Europe, au moment où nous étions à la veille d'une conflagration générale ? Quelle eût été la position de la Belgique, lorsque quelques mois après, le ministère du 1er mars avait fait place au ministère du 29 octobre, lequel était venu précisément pour rétablir l'harmonie entre les cinq grandes puissances européennes ? Je le demande, la répudiation éclatante d'un projet d'union douanière n'eût-elle pas été le premier acte qu'eût dû apporter le gouvernement français pour rentrer dans ce qu'on a appelé le concert européen ? Je demande dans quelle position la Belgique se serait trouvée vis-à-vis de l'Europe et vis-à-vis d'elle-même, après avoir donné une adhésion aussi compromettante par son principe que stérile dans ses résultats ?
Messieurs, si ces projets d'une union douanière n'eussent trouvé d'obstacles en 1837 ou 1838 que dans les objections du cabinet de M. de Theux, ou dans les motifs tirés de notre situation vis-à-vis de la Hollande ,ou bien encore dans les scrupules du cabinet dont j'ai eu l'honneur de faire partie, ces projets eussent au moins dû être accueillis par les ministères qui ont succédé à ces divers cabinets.
Les tentatives de 1841, de 1842, de 1843, dégagées des obstacles qui avaient paralysé les tentatives antérieures, eussent certainement abouti. Eh bien, tous les projets, toutes les communications officieuses faites en 1841, 1842 et 1843, ont eu précisément le même résultat que les tentatives antérieures. Il est inutile de le dissimuler à la chambre et au pays, chaque fois que des négociations se sont ouvertes avec la France, on a parlé union douanière ; on en a parlé beaucoup, on a témoigné le désir de s'entendre sur la question et on a toujours en définitive reconnu qu'elle était insoluble.
Messieurs, il y a contre ce projet trois grandes difficultés, que je pourrais qualifier de trois grandes impossibilités. Il y a la difficulté européenne, la difficulté française ; il y a la difficulté belge. Il y a la difficulté européenne, et chaque fois que la question a pris une certaine consistance, les réclamations de tons les cabinets ont été très vives auprès du gouvernement français. Vous concevez facilement qu'il doive en être ainsi.
En effet, comment s'exprimait naguère encore le gouvernement français, par l'organe d'un de ses ministres les plus éloquents, les plus considérables ? Si la Belgique penchait trop vers l'Allemagne, disait M.Guizot, dont on rappelait l'autre jour ici les paroles, à l'instant même la France y pourvoirait et considérerait ce rapprochement trop prononcé vers l'Allemagne comme un acte d'hostilité envers la France, qu'il serait du devoir comme de l'intérêt de celle-ci de réprimer.
Si des susceptibilités de ce genre s'éveillent dans l'esprit du gouvernement français devant la seule perspective d'une tendance de la Belgique vers l'Allemagne, est-ce que l'Angleterre, est-ce que l'Allemagne n'auraient pas à leur tour le droit de montrer la même susceptibilité si la Belgique manifestait des tendances trop exclusivement françaises ? Si la susceptibilité française, que je ne blâme pas, que je reconnais légitime, peut s'éveiller pour le cas où la Belgique se montrerait trop exclusivement allemande, comment cette même susceptibilité, que nous réputons légitime et qui forme un des éléments du sentiment français dans la politique extérieure, pourrait-elle être blâmée lorsqu'elle se produirait au-delà de la Manche et du Rhin à l'aspect d'une tendance trop exclusivement française de la Belgique ? Les mêmes susceptibilités peuvent être manifestées aussi légitimement pour le même fait en Allemagne, en Angleterre comme en France. La neutralité belge importe au même degré à presque toutes les grandes puissances. Elle a été stipulée dans un intérêt européen. C'est assez dire que dans ses actes une tendance exclusivement française est contraire à l’institution même de l'indépendance belge. Cela est fondé d'ailleurs sur les précédents historiques, depuis les luttes contre Louis XIV jusqu'à celles qu'on a soutenues contre l'empire. Ainsi première impossibilité, impossibilité européenne.
La terreur de la guerre est-elle si vive dans l'esprit des cabinets, le besoin de la paix, le développement industriel et commercial enchaînent-ils tellement l'action des cabinets que la guerre soit impossible, que l'Europe prendrait son parti d'une union douanière franco-belge d moment où elle serait accomplie ? Ne poussons pas jusque-là l'optimisme.
Nous sommes aujourd'hui en pleine paix ; mais nous étions aussi en pleine paix en 1840 ; le développement industriel était immense ; vous savez cependant si les hommes qui, en présence de la crise orientale, prédisaient le maintien de la paix, ne passaient pas pour des utopistes. N'avons-nous pas vu les deux grandes puissances le plus intimement unies depuis 1830, celles qui représentent le principe parlementaire, le principe libéral, ne les avons-nous pas vues prêtes à se tirer des coups de canon pour la question de la Syrie ? N'avons-nous pas vu ce conflit prêt à se produire pour la misérable question de Taïti, pour l'affaire Pritchard ?
On voudrait soutenir, en présence de pareils symptômes, que la guerre est devenue impossible, que l'union douanière franco-belge pourrait s'accomplir au mépris de toutes les réclamations, malgré toutes les oppositions des cabinets, que la paix ne serait pas mise en question ! Ce serait là jouer un jeu auquel les hommes prudents de tous les pays et surtout auquel les Belges qui aiment leur patrie ne voudront jamais se livrer.
Quant à la difficulté française, elle est au moins aussi grave que la difficulté européenne dont je viens de donner une idée à la chambre et au pays.
Je dis au pays, messieurs, car je n'hésite pas à dire que c'est surtout pour le pays que je parle en ce moment. C'est pour nous mettre en rapport avec lui, d'ailleurs, que nos séances sont publiques. Je parle pour le pays parce qu'on le trompe depuis trop longtemps, parce qu'on le trompe encore en ce moment, et qu'on n'a pas eu jusqu'ici le courage de le détromper de la part du gouvernement.
Quand même la difficulté européenne ne serait pas péremptoire à elle seule, je dis que la difficulté française suffirait pour rendre ce projet à peu près impraticable.
Je ne veux pas violer le secret du comité général, je ne veux pas vous faire part des conditions à la connaissance desquelles on nous a initiés et que demande la France pour poser seulement les bases, les prolégomènes d'une union franco-belge ; je me bornerai à mettre sous les yeux de la chambre quelques-unes des conditions que les hommes d'Etat français, les plus graves, les plus considérables, les plus estimés, n'ont jamais hésité à réclamer quand il s'est agi d'une telle question ; pour abréger, je ne citerai que l'autorité d'un seul, c'est celle de M. le comte d'Argout, pair de France, gouverneur de la banque, qui a été plusieurs fois ministre et l'a été notamment avec M. Thiers, président du conseil du 1er mars ; de M. le comte d'Argout qui est resté son ami et exprime plus ou moins la pensée, je le crois, sans toutefois pouvoir l'affirmer, de cet homme d'Etal illustre.
Voici comment M. le comte d'Argout s'exprima dans le sein de la chambre des pairs, le 12 janvier 1842, quand le bruit des négociations entre la France et la Belgique tendant à arriver à une union douanière lui parvint. M. d'Argout, c'était dans la discussion de l'adresse, aborda la question dans les termes suivants.
J'abrégerai autant qu'il me sera possible. Il commence par faire notre histoire financière ; il est amené à parler de la Société Générale ; après avoir fait l'historique de la Société Générale, il entre dans les détails de ses statuts ; voici comment il l'examine dans ses rapports avec l'union douanière :
« Loin de moi la pensée de jeter le moindre blâme ou d'élever des soupçons sur la loyauté, la droiture, la probité des chefs titulaires ou réels de la société -, ce ne sont pas les personnes que je censure, c'est l'institution même : pour ma part, je la crois si dangereuse, que si jamais on parvenait à une fusion douanière entre la France et la Belgique, la première condition que votre gouvernement aurait à exiger, ce serait, à mon sens, la suppression immédiate de l'établissement. On comprendra, en effet, que si jamais cet établissement tombait en de mauvaises mains, ses formidables moyens d'action, qui peuvent s'élever à 300 ou 400 millions (en ajoutant à son capital ses moyens de crédit) pourraient, à volonté, attaquer et détruire tour à tour chacune de nos industries, en mettant en pratique certaines manœuvres qu'il est inutile de détailler....
« La Belgique, dit-on, a porté successivement sa pensée sur trois combinaisons diverses : 1° une union douanière avec la France ; 2° une union douanière avec la Prusse ; 5° un traité de commerce avec la France, traité dont le résultat serait de procurer aux producteurs belges tous les avantages qu'ils réclament.
« Examinons successivement ces trois combinaisons :
« Une union douanière avec la France se présente sous un aspect très favorable ; c'est une grande pensée, c'est un noble résultat à atteindre : fondre d'une manière plus intime deux peuples déjà liés par tant d'intérêts communs, reculer la ligne de nos douanes, y comprendre des pays riches et fertiles, faire contrepoids à l'union allemande, accroître l'influence de la France, et par là augmenter sa puissance politique, c'est un projet dont la réalisation ne saurait être trop désirée et qui doit émouvoir fortement tous les cœurs français.
« Malheureusement les conditions de cette union sont très difficiles à régler, et l'exécution présente des obstacles qui approchent de l'impossible.
« Quelles seraient les conditions d'une union douanière avec la Belgique ?
« La première serait une garantie complète, entière, absolue de la conservation des revenus que nous procurent les impôts indirects : ceux de nos impôts indirects qui pourraient souffrir d'une réunion avec la Belgique, si des précautions suffisantes n'étaient prises à cet égard, s'élèvent à 400 millions environ ; une brèche plus ou moins considérable dans ce revenu porterait un coup mortel à nos finances, et la France, à aucun prix, ne peut s'exposer à ce danger.
« Les perceptions qui pourraient souffrir de cette mesure sont les droits de douane, les revenus que donne le monopole du tabac, les droits sur les sucres, sur les sels, sur la bière, sur les esprits et sur quelques autres objets. De là diverses conséquences.
« La perception des droits de douane ne peut être assurée qu'autant qu'elle sera confiée à des agents français.
« Cette perception doit être opérée d'après les mêmes règles et les mêmes principes que ceux qui gouvernent le service des douanes sur nos propres frontières : de là la nécessité de soumettre exclusivement la direction du service sur les frontières belges à l'administration centrale des douanes françaises.
« La perception des droits de douane donne lieu assez fréquemment à des contestations, il ne faut pas que des jurisprudences contraires s'établissent en France d'une part et en Belgique de l'autre : de là l'obligation de faire prononcer en dernier ressort par des tribunaux français, ou du moins de faire juger les pourvois par notre cour de cassation.
« Nous devons conserver la faculté de modifier nos tarifs selon (page 1847) les circonstances ; ces changements doivent être simultanés dans la Belgique et dans la France : de là la nécessité de déposséder la législation belge du droit de prononcer sur ces changements et de transférer ce droit à la législation française.
« Le régime des tabacs est entièrement libre en Belgique, et les tabacs ne sont soumis qu'à un modique droit d'importation : il faut établir le monopole en Belgique, supprimer les fabriques, empêcher qu'il ne s'établisse des fabriques clandestines, prohiber les cultures, ou tout au moins les assujettir aux mêmes formalités que les cultures françaises.
« La fabrication du sucre indigène n'est frappée d'aucun impôt en Belgique ; il faudrait y transplanter le régime français, et le faire exécuter aussi bien qu'il faudrait veiller à la stricte exécution du monopole du tabac : d'où il suit qu'il serait indispensable d'établir des agents français dans l'intérieur du pays, afin de contrôler et de surveiller l'administration belge.
« Ces conditions, qui toutes sont indispensables à la sécurité de nos finances, condamneraient le gouvernement belge à l'abandon de son indépendance administrative, de son indépendance judiciaire et de son indépendance législative. La Belgique consentirait-elle à toutes ces renonciations ? Je le désire, mais il est permis de soupçonner qu'elle éprouvera quelque répugnance, quoique, assurément, ces renonciations n'aient en elles rien qui puisse blesser le sentiment national.
« Je suppose tous ces points obtenus, comment les choses se passeront-elles dans la pratique ? C'est ici que commencent les difficultés d'exécution.
« Les premiers moments seront signalés par une grande allégresse ; mais ce sentiment sera-t-il de longue durée ?
« De quoi s’agira-t-il ? De rétablir un régime que l'empire, dans sa toute-puissance, avait eu grande peine à implanter en Belgique, régime qui avait excité dans cette contrée un profond mécontentement, et qui a été aboli en 1814 aux acclamations de toute la population.
« Les Belges n'ont qu'une ligne de douanes, et nous en avons deux ; dans cette zone, qui offre une largeur de cinq lieues, nos douanes ont le droit de saisir toutes les marchandises qui ne sont pas accompagnées d'expéditions et de pièces requises. Les douaniers ont le droit de visite et de perquisition ; de plus ils ont le droit de poursuite et de saisie, en dehors de cette zone, pour certaines marchandises prohibées à l'importation. En Belgique le rayon n'existe pas, et la législation n'accorde, en aucun cas, le droit de suite et de saisie à l'intérieur. (Briavoine, tome II.)
« N'est-il pas à craindre que le rétablissement de la zone et celui du droit de suite, de visite à l'intérieur et de saisie, ne provoquent des répugnances marquées ?
« S'il y a des conflits entre les douaniers et les contrebandiers, comme cela arrive souvent sur nos frontières, ne doit-on pas redouter que des contrebandiers ne trouvent assistance et appui dans la partie la moins saine de la population ?
« Si de ces combats il s'ensuit mort d'homme, fera-t-on juger des douaniers français par des jurés belges, ou des contrebandiers belges, accusés de meurtre, par des jurés français ? Avec quelque équité que ces jurés fassent leur devoir, leur impartialité ne sera-t-elle jamais soupçonnée ?
« Je ne veux pas m'appesantir sur les conflits auxquels les conséquences de l'établissement du monopole pourraient donner lieu, mais ces conflits sont possibles et même probables.
« Je ne veux pas m'arrêter sur la difficulté d'exercer rigoureusement les fabriques de sucre indigène ; je remarquerai seulement qu'en France, sur notre propre sol, nous n'en avons pas encore trouvé les moyens.
« Je ne rappellerai pas qu'en France, malgré l'énergie d'une administration centralisée, très vigilante et très énergique, des opérations parfaitement légales, comme celles du recensement, ont donné occasion à de mauvais citoyens de provoquer des désordres assez graves en divers lieux, et que, s'il existait jamais en Belgique des ennemis du gouvernement, ils pourraient tenter d'exciter quelques hommes appartenant aux classes les moins éclairées à s'opposer à l'exécution de mesures fiscales qu'ils représenteraient comme étant mises en pratique pour un intérêt français et non pour un intérêt belge.
« Je dirai seulement qu'il serait possible que l'enthousiasme du premier moment fût remplacé par des sentiments d'antipathie et même de haine, et que si, par suite de ces nouvelles dispositions, on arrivait à être contraint à défaire la combinaison et à faire divorce par incompatibilité d'humeur, tout le bénéfice politique de la réunion serait perdue, et qu'en outre notre industrie se trouverait ruinée pour vingt ou trente ans.
« J'avoue que toutes ces difficultés m'effrayent, et que, malgré mon désir ardent de voir la réalisation de cette union douanière, j'ai grande peur qu'il ne faille reléguer ce projet parmi les chimères dorées dont on se berce longtemps, mais que l'on ne parvient jamais à transformer en une réalité. »
Voilà les paroles d'un pair de France qui a été plusieurs fois ministre, paroles qui n'ont rencontré dans la chambre devant laquelle il avait l'honneur de parler aucune réfutation, soit de la part du gouvernement, soit de la part d'aucun membre.
Cela se passait en janvier 1842. C'était vers l'époque où un membre du cabinet était à la tête d'une députation commerciale envoyée à Paris. C'était là l'idée commune à tous les hommes d'Etat de la France ; et c'est lorsqu'on s'est trouvé en contact avec de tels sentiments, avec de pareilles dispositions, communes aux membres du gouvernement français, qu'on peut rapporter de Paris en Belgique l'idée que rien n'est plus facile qu'une union douanière ! qu'on laisse accréditer cette idée, sur laquelle on devrait, ne fût-ce que par humanité, détromper une partie du pays,, livrée, sous ce rapport, à de si déplorables illusions !
Je n'ai pas le courage d'attaquer les absents ; mais des réflexions bien pénibles viennent assaillir l'esprit, en présence d'une pareille conduite ?
Si l'on croit à la possibilité d'une union douanière avec la France, s'il y a des membres du cabinet dissidents sur ce point avec leurs collègues, qu'ils aient le courage de rompre avec un ministère qui est opposé à l'union douanière. Ne doit-on pas en effet se séparer du ministère, quand on n'est pas d'accord avec lui sur une question aussi grave ? Quand même on se tromperait, si du moins on avait le courage de son opinion, si on se séparait d'un cabinet dont on blâme les vues comme désastreuses pour le pays, si on venait prendre ici franchement l'initiative, nous pourrions rendre hommage à la sincérité des convictions.
Laissons de côté, si l'on veut, ces mois de révolution de 1830, d'indépendance, de nationalité, que certains partisans de l'union douanière accueillent peut-être aujourd'hui avec le sourire sur les lèvres ; laissons de côté la question morale, la question nationale, la question politique, pour n'envisager que la question au point de vue matériel.
Vous l'avez entendu, l'opinion de M. d'Argout, qui est celle de tous les ministres français, personne ne me démentira, la première condition, c'est d'abord le monopole du tabac. Vous savez quelle chance ce système a d'être accueilli par la Belgique ; car il a suffi naguère que l'on touchât à l'industrie, au commerce de tabac, quoique ce fût avec des gants et du bout des doigts, pour exciter dans le pays une sorte de révolution.
Il y a ensuite le monopole de la poudre, industrie très considérable en Belgique ; il y a le monopole des armes de guerre, industrie plus considérable encore que celle de la poudre et toutes exercées chez nous avec une entière liberté.
Vous auriez la législation sur les sucres, avec l'égalité des droits, et une surveillance des plus rigoureuses.
Enfin vous auriez la législation sur le sel, qui établit un impôt dont l'assiette et le mode de recouvrement se rapprochent du monopole.
Si maintenant vous examinez la question sous le point de vue maritime, il faudrait défaire toutes nos lois sur cette matière. Je ne vois pas grand mal à devoir donner le coup de mort à notre loi déjà si malade du 21 juillet 1844. Mais il faut aller au-delà ; il faudrait renoncer à vos relations transatlantiques. Evidemment vous ne pourriez importer les produits des pays transatlantiques, quand ils viendraient faire concurrence aux produits coloniaux de la France dont vous seriez une annexe. Tous vos traités de commerce et de navigation avec l'Allemagne, avec les Etats-Unis d'Amérique, avec la Hollande, seraient radicalement impossibles.
Ensuite, plus on pénètre dans les entrailles de la question, plus on est convaincu non seulement qu'il y aurait dans l'exécution des difficultés invincibles, mais qu'il y aurait de nombreuses déceptions sur les avantages qu'on se promet de cette combinaison ; et c'est ce qui constitue, avec les sacrifices demandés à notre indépendance parlementaire, judiciaire et administrative, ce que j'appelle l'impossibilité ou, si l'on veut, la difficulté belge.
Quel est le point de vue où l'on se place pour croire que, le marché français nous étant ouvert par l'union douanière, nous allons immédiatement l'envahir ? On se met à ce point de vue, complétement faux, que nos diverses industries continueront de jouir des avantages qu'elles ont maintenant quand elles se présentent sur le marché français.
Remarquez d'abord qu'il ne serait plus un marché d'exportation, mais un marché intérieur.
Si notre industrie drapière, par exemple, peut lutter contre la France en Italie, en Suisse, en Orient, en Amérique, c'est parce que nous ne payons pas de droits sur la laine, c'est parce que l'on a au contraire facilité l'entrée des laines étrangères en Belgique. La première conséquence de l'union douanière ce serait de substituer à ce régime un droit de 22 p. c. au profit des propriétaires de troupeaux.
Sur le coton, quand on a fait la loi des droits différentiels, on s'est efforcé d'introduire dans la loi les dispositions les plus favorables à l'introduction des cotons en laine. Ces cotons sont frappés en France de droits considérables. A l'instant, cette loi vous serait complétement commune, avec les fabriques de la France.
Toutes les matières tinctoriales, par exemple, l'indigo, sont frappées en France de droits considérables. En Belgique, par suite de ce système libéral, qui consiste à affranchir de tout droit les matières premières, il n'y a pas de droits ou il n'y a que des droits de balance sur ces objets. Les machines sont à meilleur marché en Belgique qu'en France, par ce motif tout simple que le fer est à meilleur marché ici qu'en France.
Ensuite, messieurs, quand vous aurez ainsi nivelé les conditions de la production, au grand préjudice de la production belge, qui produit surtout à bon marché, qui, par là, peut faire un commerce extérieur considérable ; quand vous en serez arrivés là, mais vous aurez non seulement en France, mais dans votre pays, à supporter, à conditions égales, la concurrence pour Verviers et Tournay, avec Elbeuf, avec Louviers, avec Sedan, avec Reims, avec Roubaix avec une foule de localités industrielles ; et il est si vrai, messieurs, que la concurrence, une fois les conditions rendues égales, pourrait être, de la part de la France, très dangereuse pour la Belgique, qu'à Genève, par exemple, où ces fabricats arrivent aux mêmes conditions, la France partage le marché avec la Belgique. Il m'est connu qu'il se place à Genève au moins autant de draps français que de draps beiges.
Pour Gand, messieurs, mais je lui parlerai de Rouen, de Strasbourg, de Colmar, de Mulhouse, etc.
(page 1848) L'honorable M. de Haerne nous disait, dans une précédente séance, que la société commerciale et industrielle de Mulhouse avait couronné un écrivain qui s'était fait l'apologiste de l'union douanière franco-belge.
M. de Haerne. - Et allemande en même temps.
M. Lebeau. - Je le crois bien. Je suis convaincu que toute l'Alsace verrait avec plaisir l'union douanière. Mais j'ai de graves doutes si un an après l'établissement de l'union douanière, la Flandre orientale se féliciterait beaucoup de l'abaissement des barrières.
M. Delehaye. - Gand le demande.
M. Lebeau. - On le demande peut-être parce qu'on sait que c'est impossible. C'est probablement du courage à coup sûr.
M. Delehaye. - Pas du tout. Je demande la parole.
M. Lebeau. - Messieurs, j'ai un regret extrême que M. le ministre des affaires étrangères n'ait pas cru devoir prendre sur la grave question qui nous occupe une attitude plus décidée, non pas, je le répète, pour cette chambre qui n'en a pas besoin, mais pour le pays.
« La question d'union douanière est une question d'avenir. M. Lebeau a bien dit que la question de la réforme électorale était une question d'avenir. » Oui, mais M. Lebeau, dans la circonstance à laquelle vous faites allusion, n'a pas hésité à dire que si l'on proposait en 1840, lorsqu'il était ministre, la réforme électorale, il était tellement convaincu alors de son inopportunité dans un pareil moment, qu'il l'aurait combattue. Avez-vous osé dire que si l'on proposait l'union douanière dans ce moment, vous la combattriez ? Non, dites-le donc si vous le croyez ; puisque vous avez eu la bonté de me citer comme précédent, je vous prie de m'imiter jusqu'au bout.
Mais, messieurs, laissons là les rêves. Savez-vous quel est le possible en fait d'union douanière ? Union douanière ! J'ai tort de me servir de cette expression.
Ce qui est possible, ce qui est désirable, ce qui doit être l'objet des efforts du gouvernement, des chambres, de tous les hommes éclairés de la France et de la Belgique, mais avec une grande prudence, avec de grands ménagements pour ce qui existe, c'est une union commerciale par la liberté, non par le monopole.
Déjà, messieurs, le contrecoup de la grande réforme qui vient de s'effectuer en Angleterre et qui placera peut-être l'homme d'Etat qui l'a accomplie au-dessus des Pitt et des Fox, déjà ce contrecoup se fait sentir en France. Ainsi que les journaux peuvent vous l'attester, déjà la question en France n'est plus qualifiée de rêverie, d'utopie, qualifications oui lui ont été données jusqu'à l'époque où en Angleterre elle s'est résumée en un grand fait.
Déjà des hommes appartenant aux deux chambres, aux notabilités du commerce et de l'industrie, ont associé leurs efforts pour le triomphe en France de cette grande question.
Les chemins de fer, les progrès du gouvernement représentatif, la discussion qui en est l'âme, la publicité, voilà, messieurs, ce qui nous conduira tôt ou tard à une union commerciale avec la France, non, je le répète, en rétrogradant jusqu'à son tarif qui est de toutes les institutions de la France celle qui ne soit pas à la hauteur de sa brillante civilisation, mais en élevant les deux pays jusqu'à la liberté commerciale.
Messieurs, il faudra bien qu'on y arrive. Déjà les objections tombent un peu partout. N'avons-nous pas vu jusqu'à l'honorable M. Eloy de Burdinne et l'honorable M. de Roo, eux, si sincères protectionnistes, se déclarer partisans de la liberté commerciale ? (On rit.)
Messieurs, je vois avec peine que dans un pays qui fait de si grands pas vers les doctrines de liberté, vers le gouvernement parlementaire, je vois avec peine qu'en Allemagne le système protectionniste, chassé de l'Angleterre, trônant encore en France, où cependant on commence à l'attaquer et qui vivra encore assez longtemps en Belgique quoi qu'on fasse, soit en quelque sorte l'objet d'un mouvement ascendant dans quelque Etat de l'union germanique. Osons compter sur l'efficacité du grand exemple donné par l'Angleterre pour arrêter les tendances protectionnelles qui viennent de signaler les dernières réunions de l'union douanière allemande.
La tendance générale, comme le disait naguère un des hommes les pins éclairés de cette chambre, l'honorable M. de La Coste, la tendance générale en Europe, c'est la liberté commerciale. Il faut y marcher avec prudence, avec un grand respect des droits acquis, avec cette sollicitude pour ainsi dire paternelle qui fait administrer à un individu qui a été longtemps malade et qui est convalescent, des remèdes appropriés à son état de faiblesse. Il ne faut rien violenter ; il ne faut pas jeter la perturbation dans ce qui est ; car ce qui est existe en vertu de la législation, en vertu des lois que nous avons faites, et, sous ce rapport, on lui doit le plus grand respect, les plus grands ménagements.
A ce propos, messieurs, je ne puis m'empêcher de déplorer le langage tenu il y a quelques jours par M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre, voulant peut-être (efforts inutiles !) diminuer une partie de l'opposition que son traité devait rencontrer dans cette chambre, a parlé de nouvelles protections, a parlé de nouveaux droits à mettre sur les draps étrangers. Mais, messieurs, y a-t-il bien pensé ? Comment ! l'honorable M. Dechamps nous disait, il y a peu de jours encore, que le système protectionniste était arrivé à son apogée, qu'il était même sur une pente de déclivité ; et M. Dechamps, parlant ainsi, vient dire quelques jours après, promet presque...
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Non ! non !
M. Lebeau. - ... qu'il réformera notre tarif. Ah ! MM. les députés de Verviers, repoussez, repoussez le présent qu'on vous offre. Croyez-le bien ! Si vous obteniez aujourd'hui la promesse et plus tard la réalisation de la promesse d'une protection nouvelle, prenez bien garde que le jour où il faudra renouveler avec la France le traité que nous sommes occupés à discuter aujourd'hui, vous ne fassiez encore les frais du rapprochement. Que l'exemple du passé vous serve pour l'avenir, et répondez au langage de M. le ministre par l'éternel Timeo Danaos, etc.
Les résultats, je devrais dire les bienfaits de la liberté commerciale, c'est évidemment de donner un essor toujours vrai, toujours progressif aux industries nationales qui vivent d'une vie naturelle et puissante ; c'est de rendre les crises commerciales de plus en plus rares ; c'est de restreindre le paupérisme qui résulte des crises commerciales, et qui menace sans cesse les sociétés où l'industrie a pris un développement factice.
La position des gouvernements a tout à gagner à l'admission sagement, lentement, graduellement amenée du principe de la liberté commerciale.
Quand le gouvernement est chargé de régler les intérêts de l'industrie, les relations commerciales, une terrible responsabilité pèse sur lui.
Ainsi supposons que la loi d'aggravation sur les céréales qui nous a été présentée à la dernière session (si j'en parle, ce n'est pas pour faire des récriminations, c'est comme exemple) ait été promulguée lorsque la disette dont nous avons été frappés s'est développée, vainement la législature aurait-elle abaissé la barrière, on n'aurait peut-être pas détruit dans la population la plus facile à égarer, à fanatiser, l'idée que la disette était l'œuvre de la législature.
Il vaut mieux, lorsque de tels fléaux éclatent, lorsque de telles crises se produisent, qu'on n'ait à s'en prendre qu'à la Providence, contre laquelle on ne se révolte pas, devant laquelle on s'incline.
Le principe, si vraiment libéral, si sagement démocratique, si salutaire, de la liberté de commerce, aurait pour résultat de dégager le gouvernement du joug que lui impose l'intérêt local, l'intérêt industriel.
L'influence de l'intérêt local est telle dans certains gouvernements représentatifs, qu'il en résulte une espèce de servage de l'électeur au député et du député au ministère. Nous sommes sous ce rapport exposés à une sorte d'esclavage imposé par la puissance électorale. A son tour le ministère (et le détail des négociations nous en a appris beaucoup sur ce point) se trouve tellement à la merci de cette puissance des intérêts locaux que chaque fois qu'il a une velléité de satisfaire l'intérêt général, il suffit qu'un industriel, un producteur de houille, un propriétaire de carrière, un maître de forge, membre du parlement, ou toute autre influence puissante élève la voix pour qu'à l'instant même on change de système, et que l'intérêt général s'efface devant des préoccupations moins élevées.
La liberté de commerce, dont je ne voudrais pas immédiatement, je ne saurais assez le répéter, aurait encore un résultat précieux, sur lequel j'appelle la plus sérieuse attention de la chambre. Ce serait de faire cesser les périls qui menacent parfois l'unité nationale.
Oui, il est des provinces, des localités, de grandes villes, qui lorsqu'elles se croient frappées par d'autres provinces, sacrifiées à d'autres localités, à d'autres grandes villes, rêvent parfois, dans un moment de colère ou d'abattement, à des projets de séparation.
Ainsi, en France, dans cette France si unie, où la centralisation est portée à un tel degré dans les idées et dans les institutions, on a entendu, il y a quelques années, des cris de séparation s'élever du sein d'une des villes les plus populeuses et les plus éclairées de ce pays. Elle s'est dit : «Nos intérêts, les intérêts du Midi sont sans cesse sacrifiés à ceux du Nord ; faisons nos affaires nous-mêmes, séparons-nous.» C'est de Bordeaux que je veux parler.
Aux Etats-Unis qu'a-t-on vu ? Le système des Etats-Unis a été longtemps d'avoir un tarif modéré, non comme protection de l'industrie, mais comme impôt. Après la guerre que les Etats-Unis eurent à subir contre l'Angleterre du temps de l'empire français, la dette publique s'étant accrue dans une proportion assez considérable, on imagina d'augmenter le tarif ! Et à la faveur de cette aggravation faite dans un intérêt purement fiscal, de nombreuses industries surgirent sur le sol américain. Il en arriva, messieurs, que ces industries demandèrent le maintien du tarif qui fut combattu par les Etats purement agricoles ou commerciaux, par ceux qui produisaient le riz, le coton, le tabac et qui, parce qu'on repoussait les fabricats étrangers, n'avaient plus aucun moyen d'échanger leurs productions naturelles.
Dans cet état de choses, l'Union américaine fut menacée d'une dissolution complète ; la Caroline (je crois que c'était la Caroline du sud) déclara en quelque sorte sa séparation, son indépendance. Elle vota ce qu'on a appelé un bill de « nullification », qui était en souveraine opposition avec un bill du congrès fédéral. Il a fallu les plus grands efforts pour empêcher à cette époque l'Union américaine de se dissoudre.
Mais, messieurs, il ne faut pas aller chercher des exemples si loin : est-ce que chez nous, chaque fois qu'il s'agit de questions agricoles, commerciales ou industrielles, nous ne voyons pas les différentes localités s'attaquer avec la plus grande vivacité, se livrer aux récriminations les plus amères, les plus propres à compromettre l'unité nationale ?
Les questions d'intérêt matériel nous divisent tantôt en Wallons et en Flamands, tantôt en Liégeois et en Anversois ; la liberté commerciale ferait de toutes les provinces une Belgique ; de tous les agriculteurs, négociants et industriels des Belges. Quand une localité se croirait déshéritée d'un avantage industriel, agricole, commercial, je le répète, elle (page 1849) n'accuserait pas les votes de la chambre, elle n'accuserait pas les actes du gouvernement ; elle ne pourrait accuser que la Providence et la Providence on ne l'accuse point, je l'ai dit tout à l'heure. On subit respectueusement la loi.
Si la Suisse, malgré les ferments de discorde qui sont renfermés dans son sein, malgré la faiblesse du lien fédéral entre les Cantons, conserve son unité nationale ; si elle est destinée à voir cette unité survivre aux discussions politiques qui l'agitent aujourd'hui, n'en doutez point, elle le doit en grande partie à la liberté commerciale qui a empêché chez elle ces rivalités, ces haines de canton à canton que la lutte factice des intérêts matériels suscite à un si haut degré.
L'union belge, l'unité belge n'a qu'à gagner à l'établissement graduel, prudent, de la doctrine, de la grande et belle doctrine qui vient de triompher en Angleterre. Notre devoir est d'y tendre sans cesse et d'y marcher toujours.
Quant à une fusion douanière avec la France (et je me hâte de conclure sur ce point ; j'ai trop abusé de l'attention de la chambre), j'ai regret de le dire, avec M. le comte d'Argout, je crois que c'est une séduisante utopie, je crois que les intérêts matériels auraient moins à y gagner en définitive qu'ils ne le pensent, si même les obstacles politiques et administratifs n'étaient pas aussi nombreux, pour ne pas dire infranchissables.
Eh ! messieurs, l'union franco-belge, avec les conditions dont je vous ai fait tout à l'heure l'énumération, ce serait pis pour moi que l'union politique ; ce serait l'union politique avec la franchise, avec la vérité de moins ; avec les exigences dont je vous ai déroulé le tableau, il y aurait une apparence de Belgique, il n'y aurait pour elle qu'une indépendance mensongère et dérisoire. Eh bien, j'aimerais mieux être simplement français, j'aimerais mieux pouvoir dire, quand je verrais la cocarde française au chapeau des officiers de nos douanes : Ce sont nos douaniers, c'est notre cocarde ; ce ne sont pas ceux d'une nation suzeraine dont la Belgique est l'humble vassale.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, la discussion sur l'union douanière est une de ces discussions dont il n'appartenait pas au gouvernement de prendre l'initiative. L'honorable M. Lebeau a porté la discussion publique sur ce terrain ; je regrette de n'avoir pas été présent au commencement du discours de l'honorable membre, où il a parlé des actes qui se sont passés lors de mon premier ministère...
M. Lebeau. - Dont j'ai fait l'éloge !
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je dois d'abord établir qu'en1836, il n'y a pas eu à ce sujet ce qu'en peut qualifier de négociations. En effet, on ne trouvera dans le département des affaires étrangères aucun document relatif à cet objet. Ce qu’il y a de certain, ce que mon attention a été appelée, au mois de novembre 1836, sur cette question, alors que je n'avais que le portefeuille du département de l'intérieur.
J'ai donc examiné la question au point de vue des intérêts commerciaux et à celui de notre organisation politique, constitutionnelle.
Je dirai d'abord qu'au point de vue de notre Constitution, de notre régime politique, j'ai rencontré des obstacles véritablement insurmontables, c'est-à-dire, qu'avec les idées qui alors régnaient à Paris, notre indépendance législative, judiciaire et administrative eût été manifestement compromise, en ce qui concerne le régime de douanes et celui de nos finances. J'aurais pu dès lors m'arrêter à celle simple considération. Mais il y en avait d'autres, et très graves, en ce qui regardait notre système commercial. Il se présentait d'ailleurs une question d'ajournement ; c'est que le traité de séparation d'avec la Hollande n'était pas conclu, et qu'accepter une négociation avec la France sur la question d'union douanière, c'était compromettre l'intérêt même de notre existence.
Au mois de décembre 1839, il y eut une négociation, régulière en quelque sorte, dont l’initiative fut prise à Paris. Toutefois, je dois le dire, cette négociation ne devait pas de prime abord porter sur l'union douanière. Voici l'extrait d'une dépêche dont j'ai pris copie :
« Le maréchal Sault désirs néanmoins que la négociation ait pour point de départ une série de propositions de réductions de tarif que le gouvernement belge ferait au gouvernement français. Il s'agit de réductions larges de nature à faire cesser l'état de souffrance de nos principales industries.»
Messieurs, c'est sur ce terrain que j'ai alors accepté la négociation, et j'ai fait à cet égard les propositions les plus positives, les plus formelles, celles qui eussent assuré à toutes nos industries un grand degré de prospérité ; mais il m'a été facile d'apercevoir que la négociation n'aboutirait à rien, à moins que nous ne prissions l'initiative, pour proposer l'union douanière. Cette initiative, je ne voulais pas la prendre.
En 1839, nous avions encore des motifs d'ajournement, car plusieurs des questions extrêmement importantes que nous avions à résoudre avec la Hollande, telle que celle du règlement définitif de la dette et d'autres questions non moins graves, n'étaient pas arrivées à l'état de maturité. Dans tous les cas, les mêmes considérations politiques qui avaient existé en 1836, quant à notre régime intérieur, quant à notre Constitution, auraient encore subsisté en 1839.
Depuis lors, il ne me semble pas qu'en France on se soit départi de ces idées. En effet, depuis le discours prononcé par l’honorable M. Guizot, ministre des affaires étrangères, nous voyons que la presse à Paris envisage toujours la question de l'union douanière à ce point de vue, que la Belgique devrait introduire dans ses lois de finances et de douane les modifications qui pourraient être faites par le gouvernement français après le traité. Ce n'est pas tout : en France on veut toujours conserver la prépondérance judiciaire et une part dans l'administration des douanes. Ces idées n'ont pas cessé de dominer chez nos voisins. Dès lors, je ne puis pas considérer les paroles de l'honorable M. Guizot au point de vue auquel on les a considérées dans ce pays-ci.
On a supposé ici, qu'il s'agissait d'une union douanière dans laquelle chacun des deux pays conserverait son indépendance politique, ses institutions politiques ; je ne pense pas que telle ait été la pensée de l'honorable M. Guizot.
Messieurs, je dirai que, dans mon opinion, une union douanière, négociée seulement entre deux nations, présente des questions véritablement insolubles. En effet, peut-on, dans un traité, fixer d'une manière définitive et pour toujours l'état actuel de la législation financière, de la législation douanière ? Evidemment, non. Un grand pays comme la France, peut-il soumettre l'immobilité de ses tarifs, de ses lois de finances au bon vouloir de la législature belge ? Non, messieurs, cela ne peut pas être.
En ce qui concerne la question judiciaire, comment le tribunal pourrait-il être composé de manière à assurer une égalité de droits aux deux pays ? Un des deux pays consentira-t-il à ce que l'autre ait la libre administration de la douane à sa frontière, et favorise, par exemple, la fraude au profit de certaines de ses industries, au détriment de ses associés ?
Messieurs, ce sont là des difficultés immenses. En Allemagne, ces mêmes difficultés n'existent pas, parce qu'il y a là plusieurs gouvernements qui se sont unis, et que chacun de ces gouvernements a un délégué près de la commission qui est chargée de régler les intérêts communs.
Mais entre deux pays, là où il n'y a pas d'intermédiaire possible, une association, telle qu'on se la figure dans quelques-unes de nos provinces, est réellement impraticable. Soumettrait-on ces questions à l'arbitrage d'une puissance étrangère ? Assurément non : il ne peut pas s'agir de cela ; et dès lors quel est le moyen de résoudre les difficultés ?
Je pense donc que, dans l'état actuel des choses et aussi longtemps que les négociations ne pourront pas être portées sur un terrain plus large, et s'étendre à d'autres puissances ; je pense, dis-je, que ces négociations n'amèneront aucun résultat ; que dès lors il y aurait eu de l’imprudence, de la part du gouvernement, à s'y engager. Indépendamment de l'inconvénient d'éveiller inutilement les susceptibilités d'autres Etats, c'eût été le meilleur moyen de paralyser les négociations partielles entre la France et la Belgique, les seules négociations au moyen desquelles on puisse aboutir à quelques résultats.
Pour ma part, je n'ai jamais hésité à aborder uniquement cette négociation d'abaissement de tarif sur une base très large ou une négociation restreinte. La négociation que j'ai ouverte en 1839 sur cette base large indiquée par le maréchal Soult a échoué. Nous avons remarqué que le préjugé dont M. Cunin-Gridaine s'est rendu l'organe existait encore. Il suffit de jeter les yeux sur le discours que le ministre a prononcé en 1831 pour voir combien la France redoutait une union commerciale avec la Belgique. On allait si loin que, supposant que la Belgique voulait une réunion politique, on la combattait déjà en disant que pour un avantage politique dont la France n'avait pas besoin, on compromettait ses plus grands intérêts industriels : tel est le résumé de l'opinion de M. Cunin-Gridaine. Je crois que cette opinion est exagérée, je ne pense pas que l'industrie française ait tant à redouter d'un large traité de commerce avec la Belgique, car si la Belgique est à même de faire concurrence à la France sur plusieurs produits, il en est d'autres sur lesquels la France pouvait faire concurrence à notre industrie et la France eût trouvé un avantage très considérable en ce qu'elle eût eu pour elle seule, quant à plusieurs de ces produits, le marché de la Belgique qu'elle partage avec d'autres puissances.
Je pense que le préjugé existant en France n'est pas fondé, mais il suffit qu'il existe pour que le gouvernement français ait reculé devant les conséquences d'une négociation sur une grande échelle.
Messieurs, il faut avoir été au ministère et avoir suivi les diverses phases des négociations entamées avec la France depuis 1830, pour apprécier les difficultés immenses qu'on a à surmonter pour s'entendre, je ne parle pas d'une union douanière, ni d'un traité à large base, mais des traités réduits aux propositions les plus minces.
Ainsi la Belgique a pris l'initiative de lever quelques-unes des mesures exceptionnelles qui avaient été prises par le gouvernement des Pays-Bas, en représailles de mesures prises par la France. Nonobstant l'initiative prise par la Belgique en 1831, pour un rapprochement, le gouvernement français ne répondit pas à nos avances, et demandait qu'avant tout les mesures restrictives prises par le gouvernement des Pays-Bas fussent toutes retirées. C'est devant ces exigences que les commissaires belges, hommes très capables d'ailleurs, connaissant parfaitement nos intérêts, ont échoué en 1834 à Paris. Ce n'est qu'en 1836 que nous avons obtenu l'initiative prise par le gouvernement français. C’est en réciprocité de ces ordonnances que nous avons proposé une loi retirant les mesures exceptionnelles existant encore à l'égard de la France.
On a dit dans une autre séance que la France avait intérêt à conserver son tarif différentiel, favorable à la Belgique, notamment en ce qui concerne les charbons. C'est là une grave erreur, car je puis assurer que nous avons eu à diverses époques beaucoup de peine à maintenir ce tarif différentiel ; le motif était que la France négociait avec l'Angleterre et que l'Angleterre exigeait le retrait de ces mesures exceptionnelles prises en faveur de la Belgique.
En 1840, le gouvernement français a fait une large brèche aux (page 1850) concessions qu'il nous avait faites en 1836. Ce fut au mois d'août 1840 qu'une partie de ces concessions nous fut retirée.
Au mois de mai 1810, le gouvernement français avait déjà été sur le point de prendre les mesures qu'il a prises plus tard, il en avait même déjà été question avant 1840, et ce ne fut que bien difficilement qu'on parvint alors à empêcher ces mesures.
L'historique des dernières négociations et de celles de 1842 est assez présent à nos esprits pour qu'il soit inutile de le retracer. Nous avons une conviction basée sur tous les faits qu'une négociation de quelque étendue avec la France rencontrerait des obstacles qu'on peut considérer comme invincibles.
Il est bon qu'on le sache, qu'on ne se fasse pas illusion à cet égard. Est-ce à dire que nous serons à perpétuité dans cette position ? Nullement ; un grand changement s'est opéré en Angleterre ; en présence de ce changement je ne pense pas que la France conserve longtemps son système douanier ; dès lors nous devons espérer que nos relations à l'avenir prendront plus d'extension avec ce pays.
Je bornerai là mes observations, car sur ce sujet, la discussion pourrait aller à l'infini.
Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !
M. de Villegas. - Je dois de nouveau m'opposer à la clôture, pour le motif que j'ai fait connaître samedi dernier. J'ai une interpellation à adresser à M. le ministre des affaires étrangères.
Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !
M. de Villegas. - Si la chambre m'y autorise, je le ferai. Mon observation concerne le commerce des toiles et l'exécution de la convention du 13 décembre. Elle a un caractère d'importance que la chambre ne méconnaîtra pas.
Le système des types a été établi par la circulaire française du 22 mai 1845. L'application de ce système a donné lieu à des vexations nombreuses et à des saisies arbitraires. M. le ministre des affaires étrangères a dit, samedi dernier, que l'amélioration des échantillons types que nous avons obtenue est très considérable. Je demande à cet égard des explications plus catégoriques et plus précises que celles que le gouvernement nous a déjà données. M. Dechamps entend-il parler des échantillons déposés sur le bureau et dont font mention les notes diplomatiques des 12 et 13 décembre dernier, annexées au rapport de M. Desmaisières ? Mais je lui répondrai dans ce cas qu'il n'y a pas de quoi se vanter des avantages obtenus, puisque les tracasseries douanières n'ont pas discontinué, et que naguère encore elles ont été dénoncées à cette tribune. Si d'autres modifications ont été introduites et si d'autres échantillons types ont été arrêtés et convenus entre les négociateurs belges et français, je demande à les connaître, avec les garanties d'exécution franche et loyale qui auraient été stipulées.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je vais renouveler des explications que j'ai déjà eu l'honneur de donner à la chambre et, autant que possible, je les préciserai davantage.
D'abord je dois faire remarquer à la chambre que, sur l'observation que l'honorable M. Villegas m'a faite, j'ai vérifié que les types déposés sur le bureau ne sont pas ceux que j'avais remis à la section centrale et qui ont été adoptés, pendant la négociation, pour servir de règle à la douane. D'après la circulaire du 22 mai 1845, quatre types avaient été choisis ; un cinquième type intermédiaire a été introduit, entre le premier et le second, pour les toiles de 8 à 9 fils. Je dois dire que le choix de ces types nous a paru favorable, puisque nous n'avons pas trouvé, parmi 60 échantillons de toiles recueillis dans les Flandres, des nuances plus blanches pour chacune de ces cinq catégories.
Ainsi, il a été porté remède à ce qui existait en vertu de la circulaire du 22 mai. Nous avons des types qui nous sont plus favorables et qui nous garantissent contre l'arbitraire de l'administration française. Mais la déclaration de M. le ministre des affaires étrangères de France, annexée au traité, nous donne une garantie de plus. Lorsqu'il sera présenté à la douane des toiles écrues exceptionnelles, non conformes aux types, la commission des experts à Paris, les jugera en vertu du caractère réel de l'écru, comme avant le 22 mai, et non en conformité des types mêmes. Les toiles conformes aux types ne pourront plus être l'objet de contestations en douane ; les toiles écrues qui exceptionnellement n'y seraient pas conformes seront jugées en dehors des types, d'après les mêmes règles qu'avant la circulaire du 22 mai 1845. C'est une amélioration évidente.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Verhaegen. - Je me suis fait inscrire pour parler contre le traité. J'ai pensé que ma conduite ne serait pas justifiable si je posais un acte aussi grave sans faire connaître les motifs de mon vote. Cependant si la chambre prononce la clôture, force me sera de réserver mon vote ; mais je demanderai à la chambre l'autorisation de faire insérer dans le Moniteur les motifs de mon vote. (Oui ! oui !)
M. Anspach. - Je ne conçois pas l'empressement de la chambre à clore cette discussion à laquelle nous n'avons consacré que quatre séances. Il y a des considérations que je voulais faire valoir. Parmi les adversaires du traité, il y a des industriels, des commerçants, des négociants ; parmi les partisans du traité je n'ai entendu personne de cette catégorie, je crois qu'il faudrait qu'un industriel prît la parole pour apprécier les faits avancés par les adversaires du traité, et pour rassurer la chambre et le pays sur les inquiétudes qu'on cherche à propager au sujet du traité.
C'est ce que je me propose de faire. Je demande donc que la chambre m'autorise à user de mon tour de parole qui est arrivé.
M. le président. - M. Dumortier vient de déposer une proposition ainsi conçue :
« Pour le cas où l'article premier serait adopté, je propose un article 2 ainsi conçu :
« Les dispositions des arrêtés du 14 juillet 1843 et du 13 octobre 1844 non abrogés par la loi du 31 décembre 1844, ou par la présente loi, continueront d'avoir force de loi. »
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L'article 2, présenté par l'honorable M. Dumortier, auquel je ne m'oppose pas, ne concerne nullement le traité. Il forme un article spécial. ;
Je ne demande pas la clôture ; je voudrais qu'il me fût permis de soumettre à la chambre quelques observations sur le discours de M. Lebeau, qui m'a accusé à tonde n'avoir pas pris une attitude assez décidée dans la question d'union douanière et qui n'a pas présenté tous les faits sous un vrai jour. Mais je craindrais de ne pouvoir vaincre la fatigue de la chambre, et si la clôture est prononcée sur l'article 1er, on pourrait discuter et voter séparément l'article additionnel proposé par M. Dumortier.
- La chambre, consultée, prononce la clôture sur l'article premier.
- La chambre, statue d'abord sur une proposition de M. Dumortier, ainsi conçue :
« Je propose d'admettre comme modifications de tarif toutes les dispositions de la convention, excepté celles relatives à la laine, et de négocier de nouveau avec le gouvernement français de manière à ne pas comprendre l'industrie lainière dans le traité. »
- Cette proposition est mise aux voix, elle n'est pas adoptée.
La chambre passe à l'article unique du projet de loi, ainsi conçu ;
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut :
« Vu l'article 68 de la Constitution ainsi conçu : « Les traités de commerce et ceux qui pourraient grever l'Etat ou lier individuellement de» Belges, n'ont d'effet qu'après l'assentiment des chambres. »
« Les chambres ont adopté et nous sanctionnons ce qui suit :
« Article unique. La convention de commerce conclue entre la Belgique et la France, et signée à Paris, le 13 décembre 1845, sortira son plein et entier effet. »
L'appel nominal est demandé sur cet article.
M. le président. - Il va être passé au vote par appel nominal.
Plusieurs membres. - Sur la loi ?
D’autres membres. - Non ! non ! Sur l'article premier.
M. le président. - Il faut savoir si cet appel décidera du vote de la loi.
M. Dumortier. - Messieurs, je demanderai la permission d'expliquer en peu de mots l'article 2 que je propose, afin qu'on en comprenne bien la portée.
La chambre est pressée de voter sur l'article premier. Mais je demande tout au moins que l'article 2 soit complétement réservé. Comme cet article est destiné à donner une satisfaction aux industriels, j'espère que la chambre n'hésitera pas, après m'avoir entendu, à l'ajouter à l'article premier.
M. le président. - Il va être procédé à l'appel nominal.
M. Verhaegen. - Sur l'ensemble de la loi ?
Plusieurs membres. - Non ! non !
M. le ministre des finances (M. Malou). - On a clos tout à l'heure la discussion générale confondue avec la discussion de l'article unique du projet du gouvernement. L'appel nominal est réclamé sur cet article unique, la question soulevée par l'honorable M. Osy étant réservée, puisqu'elle est subordonnée au rejet du projet.
Si l'article premier est adopté, il y aura lieu alors d'examiner l'article additionnel présenté par l'honorable M. Dumortier et ensuite de voter sur l'ensemble. (Adhésion.)
M. le président. - Il va donc être procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet du gouvernement.
Voici le résultat de l'appel nominal :
61 membres répondent à l'appel nominal.
37 votent l'adoption.
22 le rejet.
2 (MM. Lesoinne et Delfosse) s'abstiennent.
En conséquence, l'article est adopté.
Ont voté l'adoption : MM. de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dumont, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Sigart, Troye, Van Cutsem, Wallaert, Anspach, Cans, d'Anethan, de Baillet, de Breyne, Dechamps, de Foere, de Haerne, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel et de Mérode.
Ont voté le rejet : MM. de Tornaco, Dubus (aîné), A. Dubus, Dumortier, Fallon, Fleussu, Goblet, Jonet, Loos, Lys, Orts, Osy, Vanden Eynde, Verhaegen, Verwilghen,. Vilain XIIII, Zoude, David, de Bonne, de Corswarem, de Garcia de la Vega et de Meester.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de. leur abstention.
M. Lesoinne. - Je n'ai pas voté pour le traité, parce que j'ai la conviction que les résultats ne seront pas tels que l'espèrent les honorables membres qui ont voté pour son adoption. La misère des Flandres s'est (page 1851) développée sous un régime meilleur que celui qui a été proposé. Le traité n'apportera donc pas de grands soulagements pour l'industrie linière ; ce n'est qu'un répit qu'on lui accorde, et elle doit de toute nécessité chercher des débouchés ailleurs. Je n'ai pas voté contre le traité parce qu'un rejet aurait pu avoir pour résultat de provoquer de la part de la France des mesures de nature à jeter la perturbation dans nos relations avec ce pays, et que je regarde les relations avec les pays limitrophes comme étant celles qui procurent des moyens d'existence au plus grand nombre d'individus.
M. Delfosse. - Je n'ai pas voté pour le traité, parce qu'il y a trop d'inégalité entre les concessions que nous faisons à la France et celles que la France nous fait ; je n'ai pas voté contre, parce que je redoutais pour mon pays et surtout pour les Flandres les conséquences fâcheuses que le rejet du traité aurait pu amener.
Si le traité était encore à signer, je dirais au ministère : Ne le signez pas, soyez moins faible et vous obtiendrez de meilleures conditions. Mais le rejet d'un traité signé par les deux gouvernements, déjà adopté par les chambres françaises, serait une mesure infiniment plus grave que le refus de conclure ne l'eût été.
Il est à regretter, pour le gouvernement français lui-même, que nos ministres n'aient pas montré plus de fermeté dans les négociations ; les exigences auxquelles ils ont cédé ne sont certes pas de nature à fortifier les liens de sympathie qui nous unissent à la France.
M. le président. - Voici l'article 2, proposé par M. Dumortier :
« Les dispositions des arrêtés royaux du 14 juillet 1843 et du 13 octobre 1844, non abrogées par la loi du 31 décembre 1844 ou par la présente loi auront force de loi. »
M. Dumortier. - Je demande la parole.
Plusieurs membres. - On est d'accord.
M. Dumortier. - Si l'on est d'accord, je ne prolongerai pas la discussion.
M. Delfosse. - Je dois faire remarquer à la chambre que le projet de loi destiné à convertir en loi les arrêtés royaux dont il s'agit est soumis à l'examen d'une section centrale qui n'a pas encore fait son rapport. Il convient d'attendre que ce rapport soit fait avant de voter sur la proposition de l'honorable M. Dumortier ; je demande donc l'ajournement.
M. Dumortier. - Messieurs, je prendrai la confiance de faire remarquer à l'assemblée que les dispositions des arrêtés royaux sont différentes en plus d'un point du projet de loi présenté à la chambre.
Ces arrêtés royaux, messieurs nous sont parfaitement connus ; depuis quatre jours ils font l'objet de nos discussions.
Je regarde pour mon compte comme une chose excessivement importante dans l'intérêt des industriels qui. travaillent la laine, de vouloir leur assurer tout au moins la fixité de la législation en ce qui concerne les dispositions non encore abrogées.
Remarquez, messieurs, que ces arrêtés sont en vigueur depuis trois à quatre ans, et que nos industriels réclament fortement cette misérable fiche de consolation de leur voir assurer du moins les parties du marché qui ne sont pas frappées par la loi que nous venons de voter.
M. Lebeau. - S'il est une chose dont une assemblée délibérante doive se garantir, c'est l'entraînement ; c'est pour cela qu'il y a un règlement. Si je n'écoutais que mes sentiments personnels, malgré mon peu de sympathie pour le système protectionniste (ce que j'ai dit tout à l'heure de la liberté commerciale en fait foi), je voterais pour la proposition de l'honorable M. Dumortier.
Cependant est-elle nécessaire ? Je conçois qu'il faille des mesures exceptionnelles ; mais le gouvernement les prendra et personne ne songera à le critiquer de ce chef.
M. Verhaegen. - On pourrait renvoyer la proposition de M. Dumortier à la section centrale, qui présenterait son rapport à la séance de demain.
Plusieurs membres. - Demain, la chambre ne sera plus en nombre.
M. Verhaegen. - Je crois, au contraire, que la chambre sera en nombre. Ces messieurs des Flandres reviendront ; ils ont atteint leur but ; c'est une question de loyauté.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L'honorable M. Dumortier demande que les arrêtés de 1843 et 1844 soient sanctionnés par la chambre en même temps que le traité. Je conçois parfaitement ce qui porte l'honorable membre à faire cette proposition. Il a voulu donner à l'industrie de la laine et du coton la certitude que ces arrêtés ne pourront plus être modifiés ; c'est une sécurité morale qu'on veut accorder à ces industries. C'est là un bien et c'est pour cela que tout à l’heure je n'ai pas voulu m'opposer à l'adoption de cette proposition. Cependant je ferai remarquer que le gouvernement a pris ces arrêtés en vertu de la loi de 1822. Donc il n'est pas loisible au gouvernement de modifier ces arrêtés, sinon pour augmenter le droit. Nous ne pouvons pas les modifier par abaissement du droit. Ainsi l'industrie lainière est à l'abri de toute crainte.
Je reconnais qu'au point de vue de la législature un certain doute peut exister ; mais je crois avec l'honorable M. Lebeau que ce doute n'est pas raisonnable et qu'il est peu vraisemblable que la législature vienne à refuser son approbation à ces arrêtés.
Le gouvernement a présenté un projet de loi pour sanctionner les arrêtés. Si le rapport était présenté, je demanderais l'adoption du projet de loi ; ce serait plus régulier.
Au reste je ne vois pas d'inconvénient grave à l'adoption de la proposition de l'honorable M. Dumortier qui a un côté utile.
M. Manilius. - Puisque M. le ministre des affaires étrangères ne voit pas d'inconvénients graves à ce que l'on sanctionne les deux arrêtés, je crois qu'il y a utilité et nécessité de le faire pour donner leurs apaisements à l'industrie et au commerce.
M. le ministre des affaires étrangères disait tout à l'heure, que d'après la loi de 1822 il n'avait pas le pouvoir de modifier les deux arrêtés ; mais les faits ne prouvent-ils pas que le gouvernement a le pouvoir de modifier de telles mesures ? L'arrêté de 1843 n'a-t-il pas été modifié par celui de 1844 ? En ce qui concerne l’industrie du tissage et le blanchiment des tulles, le gouvernement n'a-t-il donc pas modifié la législation à deux reprises ? Cela suffit pour prouver que le gouvernement s'attribue le droit de modifier les arrêtés ; il le fait par un simple trait de plume, par une disposition prise du jour au lendemain. Si donc vous voulez donner au commerce la sécurité qu'il réclame, une disposition législative est nécessaire. J'appuie la proposition de l'honorable M. Dumortier.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - On a dit tout à l'heure que beaucoup de membres se proposaient de s'absenter demain ; j'engage la chambre à être en nombre, il y a des projets d'une très grande urgence à discuter. (Adhésion.)
M. Delfosse. - Je regrette de devoir insister pour l'ajournement ; j'ai la plus vive sympathie pour les industriels en faveur desquels la proposition est faite ; c'est même là une des raisons qui m'ont empêché de voter pour le traité ; mais il ne faut pas perdre de vue que les arrêtés royaux continueront à être en vigueur jusqu'à ce qu'ils soient convertis en loi.
Demandez un prompt rapport à la section centrale, discutez ce rapport le plus tôt possible, vous donnerez par là une preuve de sollicitude pour l'industrie lainière ; mais ne posez pas un précédent fâcheux, ne suivez pas une marche irrégulière.
Je dois faire remarquer à la chambre que divers industriels ont réclamé contre certaines dispositions des arrêtés que M. Dumortier veut faire convertir en loi à l'instant même ; si l'on n'attend pas le rapport de la section centrale, ces réclamations seront écartées, sans que la chambre en ait même eu connaissance.
M. Manilius. - Il y a plus de dix-huit mois que le projet de loi est présenté. Si le rapport n'est pas encore fait c'est d'après le vœu du gouvernement lui-même exprime à la section centrale.
Le vœu du gouvernement a changé maintenant ; le ministère ne voit plus d'entraves à la sanction des arrêtés parce que nous avons voté l'article premier qui autorise la ratification de la convention ; la sanction des arrêtés ne fait donc plus question.
Quant à la réclamation d'un industriel de Gand, il y a été satisfait en grande partie ; s'il faut faire davantage, le gouvernement est libre de prendre un arrêté nouveau en sa faveur.
L'intérêt général du pays ne doit pas d'ailleurs souffrir des réclamations d'un seul industriel.
M. Dolez. - Je veux faire remarquer à la chambre qu'il y aurait une véritable inconvenance à adopter la proposition qui lui est soumise. La chambre est saisie d'un projet de loi émané de l'initiative du gouvernement. La section centrale a été appelée à délibérer sur ce projet de loi et voici tout à coup qu'à cette proposition, il en est substitué une autre due à l'initiative parlementaire. Je m'étonne que les membres du ministère y donnent leur adhésion, c'est de leur part une véritable abdication de la prérogative royale. C'est au nom de cette prérogative que je crois devoir m'opposer à l'adoption d'une proposition dont le résultat est de ne tenir aucun compte d'un projet dont le Roi nous a saisis, en lui substituant une proposition due à un membre de la chambre.
Je crois, d'autre part, qu'il serait peu convenable, dans la loi relative à la convention conclue avec la France, de traiter un objet étranger à cette convention.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, l'honorable préopinant vient de rappeler que le gouvernement a pris l'initiative du projet de loi, et il s'étonne que le cabinet consente à laisser substituer la prérogative parlementaire à la prérogative royale. Mais, messieurs, la prérogative royale consiste à proposer un projet de loi, et à demander qu'on le discute et qu'on le vote. Le gouvernement consent à ce que la chambre se prononce en ce moment sur un projet émané de son initiative ; M. Dumortier se borne à demander, par son article additionnel, que l'on donne suite à la proposition du gouvernement de sanctionner par une loi les arrêtés du 14 juillet et du 13 octobre.
Messieurs, je reconnais que dans la manière dont on veut procéder au vote il y a quelque chose d'irrégulier.
Mais la position est exceptionnelle ; nous sommes à la fin de la session, et si la chambre n'admet pas aujourd'hui l'article proposé par l'honorable M. Dumortier, il est probable que l'assemblée ne sanctionnera pas dans cette session les deux arrêtés dont il s'agit.
Or, je pense que, pour donner toute sécurité à l'industrie, pour produire l'effet moral que la loi doit apporter, la chambre pourrait aujourd'hui approuver les deux arrêtés qui sont parfaitement connus et sur lesquels a roulé une partie de la discussion actuelle.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, j'appuie l'article 2 proposé par l'honorable M. Dumortier. Cet article ressort de la discussion même de l'article premier. La chambre se rappelle par quels moyens on s'est attaché à prouver que les industries qui sont frappées par le traité, pourraient encore se soutenir. Comment M. le ministre des affaires étrangères, comment les honorables membres, partisans du traité, ont-ils fait cette preuve ?
(page 1852) C'est en présentant les arrêtés dont il s'agit comme des dispositions définitives ; c'est en faisant remarquer que, sauf les modifications introduites par le traité, il résulterait de ces dispositions définitives un avantage suffisant, pour que les industries frappées pussent se soutenir. Et maintenant on voudrait mettre en doute le maintien de ces arrêtés ! J'espère que la chambre voudra bien donner son assentiment à l'article que l'honorable M. Dumortier a proposé.
- La clôture de la discussion sur cet article est mise aux voix, et prononcée.
L'ajournement de l'article est mis aux voix et n'est pas adopté.
L'article est ensuite mis aux voix et adopté.
On procède par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.
59 membres sont présents.
35 répondent oui.
22 répondent non.
2 (MM. Delfosse et Lesoinne) s'abstiennent.
En conséquence, le projet de loi est adopté.
Il sera transmis au sénat.
Ont répondu oui : MM. Anspach, d'Anethan, de Breyne, Dechamps, de Foere, de Haerne, Delehaye, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Roo, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Dolez, Donny, Dumont, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Sigart, Troye, Van Cutsem et Wallaert.
Ont répondu non : MM. David, de Bonne, de Corswarem, de Garcia, de Meester, de Tornaco, Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dumortier, Fallon, Fleussu, Goblet, Jonet, Loos, Lys, Orts, Osy, Vanden Eynde, Verhaegen, Verwilghen, Zoude et Vilain XIIII.
M. Delfosse et M. Lesoinne déclarent s'être abstenus par les motifs qu'ils ont fait valoir à l'article premier du projet de loi.
- La séance est levée à 5 heures et un quart.