(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président.)
(page 1743) M. Dubus (Albéric) procède à l'appel nominal à 1 heure et quart. La séance est ouverte.
M. Huveners donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Dubus (Albéric) présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le sieur Guillaume Muller, maréchal ferrant au 2ème régiment de lanciers, né en France, demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Les membres de l'administration communale et plusieurs habitants de Meerbeke demandent l'exécution du chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost. »
- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
« Plusieurs habitants de la commune de Poucques demandent l'union douanière avec la France. »
- Renvoi à M. le ministre des affaires étrangères avec demande d'explications.
« Le sieur Wadeleux, notaire à Brée, présente des observations concernant le projet de loi sur le notariat. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi.
« Le sieur Merville, administrateur et délégué de la compagnie concessionnaire du chemin de fer de Charleroy à Erquelinnes, demande une loi qui autorise la cote des actions aux bourses de Bruxelles et d'Anvers, des compagnies concessionnaires du chemin de fer dont les travaux sont en pleine voie d'exécution. »
M. Osy. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale qui est chargée de l'examen du projet de loi relatif au chemin de fer de Wavre à Manage ; je propose également d'inviter cette commission à faire un rapport avant la discussion du projet.
- La proposition de M. Osy est adoptée.
« Le sieur Peeters, avoué à la cour d'appel de Bruxelles qui a sollicité une pension pour le sieur de Wargny, déclare ne pouvoir accepter un secours en faveur de ce magistrat, comme le propose le rapport de la commission. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport.
« Le sieur P. A. A. Rousseau, avocat à Arlon, né à St-Hilaire (France), demande la naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
M. de Bonne., rapporteur. - « La députation permanente du conseil provincial de Liège, par pétition du 9 mai de cette année, prie la chambre de changer l'époque des élections générales et provinciales, ou celle de la révision des listes électorales. »
Pour justifier la nécessité de ce changement, elle allègue qu'il arrive fréquemment que les divers degrés ouverts à la réclamation ne sont pas épuisés lorsque les élections doivent avoir lieu. C'est ainsi que, quelque soin d'ailleurs, dit-elle, qu'elle ait mis dans cette branche importante du service public, elle n'a pu, en 1844, statuer sur les pourvois dont elle était saisie que l'avant-veille des élections provinciales qui eurent lieu alors.
On comprend, du reste, que la voie de la réclamation contre les listes révisées, étant, aux termes des articles 7, 8 et suivants de la loi électorale, ouverte devant le conseil communal jusqu'au 5 mai et devant le collège de la députation à peu près jusqu'à la fin dudit mois, et les élections provinciales devant se faire le quatrième lundi de mai et les élections générales le deuxième mardi de juin, il n'est guère possible qu'il en soit autrement.
Le recours en cassation, dans de pareilles circonstances, devient donc illusoire, et le but de la loi qui a voulu ouvrir ce degré à la réclamation se trouve manqué.
Votre commission a reconnu la vérité de ces inconvénients et croit devoir vous faire remarquer qu'ils sont d'autant plus graves qu'ils sont généraux et s'étendent à tout le royaume.
C'est pourquoi votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi au ministre de l'intérieur avec demande d'explications.
- Personne ne demandant la parole, ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Dumortier. - Quelles explications M. le ministre pourra-t-il donner ? Il nous dira qu'il exécute la loi.
M. le président. - Il n'y a pas lieu à discuter ; la décision est prise.
M. Delfosse. - Je demande la parole uniquement pour prier M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien donner, dans la présente session, les explications que la commission demande.
M. de Bonne., rapporteur. - J’ai l'honneur de présenter le rapport sur la pétition des habitants de Senonchamps, hameau de l'arrondissement de Bastogne.
Une section de la commune de Longchamps, Senonchamps est une section de Sibret, a été réunie à une section de la commune de Sibret pour en faire une commune appelée Mont-Saint-Etienne.
Des réparations étaient nécessaires à la tour de l'église, mais au lieu de faire ces réparations, le desservant et la fabrique ont décidé d'agrandir l'église.
La dépense est évaluée à 4,585 fr. 50 c. Le conseil communal de Sibret s'y est opposé comme inutile et parce que l'église est suffisante pour la population.
Une commission composée d'habitants de l'autre section, Longchamps, a décidé l'agrandissement.
La part que ce hameau, Senonchamps, doit payer, est de 1,444 francs. Il n'est composé que de 16 habitations.
Si toutes les formalités légales et prescrites par les lois sur la matière ont été accomplies, la chambre ne peut s'occuper de cette pétition, mais cela est à vérifier.
Votre commission vous propose le renvoi au ministre de la justice pour qu'il donne des explications.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Bonne., rapporteur. - J'ai enfin l'honneur de présenter le rapport sur la pétition des secrétaires de diverses communes de la province de Liège qui demandent des modifications aux articles 109 et 111 de la loi communale.
Ils se plaignent que la dissidence d'opinion dans bien des communes fait que les membres de la majorité du conseil retranchent, diminuent tellement les appointements du secrétaire d'une opinion opposée, qu'il lui est impossible de remplir ses devoirs. Ils allèguent ensuite que la proposition d'llIouer 50 centimes par habitant inscrit sur les rôles, sera un correctif à un vice signalé depuis longtemps, savoir :
1° D'avoir un tableau exact des habitants ;
2° D'une répartition plus juste des charges, telles que le contingent pour la milice, pour la garde civique, etc.
Votre commission propose le renvoi au ministre de l'intérieur, avec demande d'explications.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude (au nom de la commission des pétitions). - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter le rapport de la commission, sur la pétition du sieur Castellain, cultivateur à Estaimpuis, réclame le payement de terres expropriées lors de la construction du chemin de fer de Courtray à Tournay.
Par une expression inusitée jusqu'ici, vous avez demandé un rapport immédiat sur la pétition du sieur Castellain qui vous expose que le gouvernement a été condamné, le 2 juin 1845, par le tribunal de Tournay, à lui payer une somme de 5.663 fr., pour emprise de terrain employé à la construction du chemin de fer de Courtray à Tournay, qu'il a été condamné en outre à lui payer les intérêts de cette somme à partir du 15 avril même année.
Cependant que, malgré ses sollicitations réitérées, il n'a rien pu obtenir jusqu'ici et qu'outre le préjudice que lui cause ce retard, il éprouve encore un autre dommage par le défaut d'exécution de travaux qui lui ont été formellement promis pour rendre sa ferme abordable et pour empêcher ses caves d'être inondées.
Votre commission fait remarquer à regret que des plaintes de même nature surgissent assez souvent, et elle croit devoir engager le gouvernement à apporter plus d'empressement à satisfaire aux réclamations, surtout à celles dont la légitimité est reconnue par les tribunaux.
Votre commission a l'honneur de proposer le renvoi de cette pétition au département des travaux publics.
M. Dumortier. - Messieurs, la pétition dont il s'agit est celle dont j'ai déjà eu l'honneur d'entretenir la chambre lorsqu'elle a été présentée ; Il s'agit d'un cultivateur qui a été exproprié de ses terres, lors de la création du chemin de fer de Courtray à Tournay. Indépendamment de cela, la ferme du pétitionnaire a été rendue inhabitable ; pour y remédier, rien n'a été fait jusqu'ici, rien ne paraît devoir être fait. Voici que nous arrivons à la fin de la session, et jusqu'à présent on ne voit pas qu'on veuille payer ces arriérés. Je connais, dans les environs de Tournay, plusieurs propriétaires qui ont été aussi expropriés à l'occasion de la création du chemin de fer, et qui ne sont pas encore payés. C'est là un véritable abus que nous devons regretter. Je propose donc à la chambre de renvoyer la pétition à M. le ministre des travaux publics, en y joignant une demande d'explications. Le gouvernement ne doit pas tarder à satisfaire à ces réclamations ; s'il ne paye pas ces dettes, dettes légitimes puisque le chemin de fer est en possession des terres depuis plusieurs années, la chambre, un jour ou l'autre, pourra être accablée de pétitions de ce genre.
M. de Garcia. - Messieurs, lorsqu'on a discuté la loi de comptabilité générale de l'Etat et celle d'organisation de la cour des comptes, il n'est parti qu'une voix de cette assemblée, pour demander que les créanciers de l'Etat soient payés promptement et sans embarras. J'insiste donc sur (page 1744) les considérations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Dumortier, j'y insiste d'autant plus qu'on nuit au crédit de l'Etat, en différant ces payements.
Si souvent l'on rencontre des obstacles et de mauvaises conditions dans les actes d'expropriation et d'adjudication de travaux faits dans l'intérêt de la chose publique, ces résultats fâcheux doivent être attribués à ce que l'exproprié et l'adjudicataire ne sont pas régulièrement soldés de leurs travaux.
Je convie donc de toutes mes forces le gouvernement à payer ce qu'il doit sans entraves et dans les délais les plus courts possible, ce mode d'agir est dans l'intérêt bien entendu des affaires du pays.
M. Dumortier. - J'entends M. le ministre des finances qui dit qu'il y a des motifs. J'ai appuyé de démarches plusieurs demandes de ce genre de propriétaires des environs de Tournay, il m'a été répondu par M. le ministre des travaux publics que les délais pour prendre sur les emprunts les fonds nécessaires pour ces payements étaient écoulés, qu'il fallait une loi, pour pouvoir opérer ces payements.
Je demande d'autant plus le renvoi, que nous arrivons à la fin de la session, que si la loi n'était pas votée avant la clôture, ces malheureux devraient encore attendre près d'une année. Ces retards portent également préjudice au trésor public qui doit payer les intérêts à raison de 5 p. c. Ainsi, au point de vue de l'intérêt de l'Etat, comme au point de vue de l'intérêt des particuliers, il est urgent de faire cesser de pareils abus.
- La proposition de M. Dumortier et celle de la commission sont adoptées.
M. de Corswarem, rapporteur. - Messieurs, dans votre séance du 19 juin courant, vous avez renvoyé à la commission de circonscription une pétition du bourgmestre, des échevins, des membres du conseil communal, du secrétaire et du receveur de la commune, ainsi que de vingt-six électeurs d'Alken, demandant que cette commune soit distraite du canton de Looz et réunie à celui de Hasselt (Limbourg).
Sur votre invitation de prompt rapport, la commission s'est occupée aujourd'hui de l'examen de cette pétition et vous propose à l'unanimité, de vouloir la renvoyer à M. le ministre de la justice, avec demande de renseignements.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, dès l'origine de ce débat, je crois avoir pris à l'égard des trois intérêts qui sont en cause une position d'impartialité ; c'est même ainsi que je m'explique les accusations de partialité qui sont parties des deux côtés opposés. quelquefois pendant une même séance. Cette position, je désire la maintenir dans l'examen de la question nouvelle soulevée à la séance d'hier par l'honorable M. Verhaegen.
L'honorable membre a demandé si l'industrie du sucre indigène supporterait d'une manière permanente une aggravation d'impôt qui aurait été le résultat d'une cause accidentelle ; en d'autres termes, si, lorsque la production décroît, le droit d'accise serait réduit dans une proportion égale à celle de l'aggravation d'accise qui a lieu lorsque la production augmente. Pour maintenir cette position d'impartialité et la traduire en disposition de loi, tout avantage qu'on accorde à l'une des deux industries appelle une augmentation pour l'autre. Tout ce qui change le système de pondération, puisqu'on conteste le mot avantage, doit amener un contrepoids en faveur de l'autre industrie. Depuis la séance d'hier, j'ai encore examiné s'il est possible de rassurer l'industrie indigène sans fausser le système de la loi.
Si la législation des sucres reposait sur un système gradué en augmentations, et susceptible de varier chaque année en diminution, en ce qui concerne quatre de ses bases, cette législation n'aurait aucune fixité ; il y aurait une instabilité telle qu'aucun intérêt ne serait garanti. Que l'on me permette une comparaison. Ce serait établir un édifice sur quatre piliers, que l'on ébranlerait chaque jour.
Il ne faut pas que toutes les bases puissent sans cesse être remises en question ; qu'il y ait incertitude permanente. Cette incertitude résulterait du jeu simultané de deux gradations ascendantes et descendantes pour chacune des deux industries.
Le projet primitif contenait un rendement de 72-58 et un droit d'accise de 38 fr. La chambre, par son vote, en abaissant le rendement et en abaissant le chiffre de l'accise, a en quelque sorte admis un état transitoire ; elle a voulu que, par le progrès de l'industrie du sucre exotique, le rendement pût être élevé et il le sera : elle a voulu qu'en cas de progrès de l'industrie du sucre indigène, on arrivât à ce résultat définitif qu'il y eût un rendement plus élevé et une différence d'accise notablement réduite.
Si de ces deux termes l'un doit constamment varier, tandis que l'autre ne peut changer, le système de pondération sera détruit. Ainsi, en supposant que chaque année, pour une production en moins de 100,000 kil., l'industrie du sucre indigène obtienne une réduction d'impôt, alors que le chiffre de la décharge resterait invariable, la pondération n'existerait plus.
L'on doit donc chercher ailleurs le remède, ou plutôt le moyen de rassurer l'industrie du sucre indigène contre des craintes que je ne puis du reste partager.
Veuillez remarquer d'abord, que si une augmentation considérable de la production du sucre indigène est un signe certain, incontestable de sa prospérité, une réduction même très forte peut être accidentelle et beaucoup plus accidentelle qu'une augmentation. En effet, ainsi que la remarque en a déjà été faite, une mauvaise récolte a beaucoup plus d'importance en mal qu'une bonne récolte n'a d'influence en bien.
Si une réduction de l'accise était admise en principe, en raison d'une seule récolte, il y aurait une grande instabilité, on prendrait une disposition en vue d'un accident.
Une réduction de prise en charge pour l'industrie du sucre indigène pourrait même être la cause non d'une influence atmosphérique, mais d'un autre fait qui n'aurait aucun rapport avec sa décadence.
Ainsi nous avons un certain nombre de fabriques. Il y en a qui produisent des quantités considérables, un événement quelconque, un décès, une retraite des affaires, pourraient amener la fermeture d'une ou deux fabriques.
Alors, bien que toutes les conditions fussent restées les mêmes, l'industrie obtiendrait un dégrèvement de l'accise, en raison d'un fait qui n'aurait pas changé ses conditions relativement à l'industrie concurrente.
Il y a un troisième motif pour ne pas admettre de changement à la réduction de l'accise, à raison d'une seule récolte ; je veux parler de l'intérêt qu'auraient les fabricants de sucre indigène à se coaliser pour limiter leurs produits.
Ainsi, je suppose qu'ils aient produit 4,200,000 kil. D'après l'article 5 que vous avez adopté hier, ils produiront jusqu'à cette quantité un droit de 38 fr.
En produisant 4,300,000 kilog., ils auraient à payer un droit de 40 fr.
Messieurs, la différence entre ces deux chiffres, relativement aux quantités, est de 124,000 fr. Vous voyez donc que dans cette circonstance les personnes qui fabriquent le sucre indigène auraient un très grand intérêt à ne pas dépasser telle production, parce qu'en dépassant de 100,000 kil. la production, elles devraient payer 124,000 fr. de droits en plus. Là encore il n'y aurait aucune espèce de corrélation entre l'abaissement du droit et l'état réel de l'industrie.
Il ne faut donc pas qu'un accident puisse élever d'une manière permanente le chiffre de l'accise lorsque l'industrie dépérit. Mais il ne faut pas non plus qu'un accident puisse réduire le droit d'accise lorsque l'industrie prospère.
Il m'a paru, messieurs, que pour se tenir à une égale distance de ces deux inconvénients, l'on devrait n'avoir égard, pour l'abaissement du droit, qu'à une décadence bien constatée, qu'à une absence de prospérité résultant de faits certains.
Pour arriver à ce résultat, il faut d'abord qu'il y ait une réduction notable dans la production du sucre indigène ; il faut en second lieu que cette réduction ne porte pas sur une seule année. Ainsi, supposons que pendant deux années consécutives, alors que le droit aurait été porté au-delà de 30 francs, l'industrie du sucre indigène ne soutînt pas sa production, mais que cette production fût au contraire notablement réduite, alors il y a un motif fondé d'abaisser le droit pour rétablir l'équilibre qui aurait disparu dans les faits.
En prenant ainsi un chiffre assez réduit pour les quantités et en le combinant avec le temps ou deux années consécutives, on empêche aussi ces manœuvres dont je parlais tout à l'heure, et qui pourraient avoir accidentellement réduit la fabrication.
Je proposerai donc à la chambre de faire, en ce qui concerne l'industrie du sucre indigène, cette réserve pour le cas où cette production tomberait à un chiffre inférieur de beaucoup à celui qui est indiqué dans l'article 5. La disposition serait ainsi conçue :
« Le droit d'accise augmenté en vertu de l'article 5 sera réduit à 30 fr., si la moyenne des prises en charge inscrites pendant deux campagnes consécutives est inférieure à 3 millions de kil. »
Messieurs, cet amendement, je le répète encore, est une garantie morale donnée à l'industrie du sucre indigène. Les conditions que lui fait cette loi, conditions aujourd'hui reconnues, sont telles que, bien loin d'avoir à craindre sa chute, on doit redouter beaucoup plus qu'elle n'envahisse complétement le marché intérieur. C'est une garantie morale ; ce n'est pas autre chose, je fais la part des préjugés.
Je disais tout à l'heure, messieurs, qu'un avantage accordé à l'industrie du sucre indigène appelait aussi le rétablissement de l'équilibre en faveur de l'industrie du sucre exotique.
Dans l'article 4, que la chambre a adopté, on a admis le principe que toute augmentation du rendement resterait acquise au trésor, c'est-à-dire que si, par exemple, le rendement était porté à 72-58, si le mouvement commercial venait à se restreindre, le trésor pourrait, d'une manière permanente, percevoir, en vertu du rendement ainsi élevé, une recette non pas de 3, mais même de 4 millions. J'ai donc été amené, par esprit de justice et d'impartialité, à admettre aussi, en faveur du sucre exotique, une éventualité dans laquelle le rendement pourrait être réduit, c'est-à-dire la décharge augmentée.
Ici encore, messieurs, l'on ne doit pas s'attachera un fait accidentel, il ne faut pas que l'on puisse dire : le trésor a perçu pendant une année 3,100,000 fr., il a donc reçu 100,000 fr. de trop et il faut et augmenter de 1 fr. le chiffre de la décharge. Ce serait, en ce qui concerne l'industrie du sucre exotique, donner une trop grande instabilité à la loi et produire un mauvais résultat pour l'industrie elle-même. Il y aurait un autre inconvénient encore : au lieu d'avoir le chiffre de 3 millions comme minimum en quelque sorte, on aurait fait contracter par l'industrie envers le trésor public une espèce d'abonnement ; ce serait inscrire dans la législation un très mauvais principe. Ne nous attachons donc ni au (page 1745) fait accidentel, ni à une variation insignifiante, mais attachons-nous aussi à une décadence réelle et constatée. Je fais intervenir, pour constater cette décadence, les mêmes éléments : le temps et une grande augmentation de recette.
Le temps. Je proposerai à la chambre que deux années consécutives doivent aussi avoir donné une forte recette pour qu'il y ait lieu à augmenter le chiffre de la décharge. Il peut paraître étrange, au premier abord, que le chiffre de la recette soit en quelque sorte le thermomètre de la décadence de l’industrie du sucre exotique ; cependant, messieurs, rien n'est plus vrai, plus évident, dans le système de la loi. Plus le mouvement commercial s'étend, plus l'industrie du sucre exotique prospère, plus la recette est vite et fortement entamée. Si donc, dans l'hypothèse donnée, nous réalisons d'une manière permanente une recette très forte, nous devons en conclure que l'industrie du sucre exotique souffre, que le mouvement commercial est notablement restreint.
Supposons donc, messieurs, que la recette de trois millions, minimum, a été dépassée pendant deux années, et d'une somme assez forte, supposons que le mouvement commercial est par conséquent restreint, et que l'équilibre est sur le point d'être rompu ; alors, messieurs, j'adopte dans les mêmes termes, dans le même esprit, dans la même proportion, une disposition qui permettra au gouvernement de rétablir l'équilibre, en vertu de la lot actuelle.
Pour l'industrie du sucre exotique, je proposerai donc à la chambre d'autoriser le gouvernement à rétablir la décharge de 66 fr., lorsque pendant deux années consécutives, les recettes auront été de plus de 3,500,000 fr.
Il y a, messieurs, une autre observation que je dois faire sur ce système.
D'une part, j'accorde à l'industrie du sucre indigène la possibilité d'obtenir un dégrèvement de l'accise, lorsque sa décadence sera bien constatée, lorsqu'il sera démontré par les faits que l'équilibre est rompu. J'accorde la même faveur, quant au rendement ; mais veuillez remarquer, messieurs (et la discussion générale l'a établi à l'évidence), que le rendement est d’un intérêt commun pour les deux industries et proportionnel à leur développement, d'où il suit que par l'amendement, je satisfais, sous deux rapports différents, l'intérêt du sucre indigène, tandis que l'industrie du sucre exotique n'a de dégrèvement à espérer que d'un seul côté.
Qu'on me permette de le redire, je propose cette double atténuation beaucoup moins en vue d'un résultat que je prévois, que pour faire la part des préjugés ou d'une éventualité qui, selon moi, ne se réalisera pas.
J'ai pleine confiance dans l'avenir de la loi, les avantages accordés à l'industrie du sucre indigène sont tels, qu'à moins de circonstances qu'il n'est pas donné à la prudence humaine de prévoir, elle ne décroîtra pas au point d'avoir besoin de ce remède.
Pour l'industrie du sucre exotique, à moins que des circonstances aussi impérieuses ne se produisent, le mouvement commercial le développera et l'éventualité, quant à lui, ne se réalisera pas non plus.
Le système de la loi, tel que je l'ai défini, n'est pas détruit par ces propositions, seulement on prévoit une éventualité, on assure ce système pour cette éventualité quelque éloignée qu'elle soit.
En vous soumettant ces propositions, messieurs, je désire insister de nouveau sur l'esprit dans lequel elles ont été conçues. J'ai cru reconnaître chez beaucoup de membres une appréhension contre les résultats inflexibles qu'aurait pour les deux industries cette élévation qui ne serait jamais compensée, quels que fussent les faits qui vinssent à se produire. J'ai cherché un remède qui ne fût pas destructif de la loi, et je crois l'avoir trouvé.
La disposition qui concerne le sucre exotique est conçue absolument dans les mêmes termes que celle que j'ai proposée dans l'intérêt du sucre indigène. Cette proposition est formulée dans un esprit de conciliation, pour satisfaire à des appréhensions que j'ai vues naître dans l'esprit de quelques membres de la chambre.
M. Dumortier. - Messieurs, je ferai d'abord remarquer qu'on n'a pas mis hier aux voix l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer et qui est le meilleur remède, pour établir cette pondération que M. le ministre des finances vient de prôner si haut. Nous n'avons pas demandé autre chose que cette pondération.
Ce qui me frappe, c'est cette double position que prend M. le ministre des finances. Au sujet de la betterave, il regarde comme dangereux pour le trésor public que l'Etat ne perçoive pas assez de revenus ; et au sujet de la canne, il regarde comme un malheur pour l'Etat qu'il perçoive trop de revenus. Voilà une impartialité d'une nouvelle espèce ; jugez par là tout le système qui a dominé la discussion depuis le commencement du débat ; cette pensée s'est encore fait jour hier ; elle se reflète, dans le discours que vous venez d'entendre, d'une manière trop claire, pour qu'on ait besoin d'avoir des explications ultérieures.
Ainsi, si le droit sur la betterave rapporte trop peu, il faut que le trésor le voie augmenter, on le portera de 30 à 32, de 32 à 34, de 34 à 36 et même à 40. Mais pour la canne, si le produit du droit rapporte les trois millions, ou un peu plus, ah ! messieurs, il faut porter remède à ce grand malheur, il faut à l'instant réduire le bénéfice du trésor public, il faut diminuer considérablement le rendement.
Voilà à quoi se réduit le système de M. le ministre des finances. Vous le voyez ; il y a bien ici deux poids et deux mesures : un poids très favorable et une mesure de faveur pour le sucre exotique, mais toutes les défaveurs, toutes les rigueurs pour le sucre de betterave, pour le produit du travail indigène.
Maintenant M. le ministre des finances est saisi d'un nouveau sentiment de tendresse pour le sucre de betterave ; que propose-t-il ? Il demande que le droit d'accise une fois augmenté, soit réduit à 30 francs, si la moyenne des prises en charge pendant deux campagnes, est inférieure à 3 millions.
Il faudra donc que l'industrie indigène, pour revenir au droit de 30 francs, tombe à 800,000 kil. au-dessous du chiffre autorisé par la loi, puisque vous admettez que la somme de 3,800,000 kil. est le produit limité de l'industrie indigène.
Quand il s'agissait d'appliquer le chiffre de majoration, on disait. : A 3,800,000 kil. vous avez tout ce que vous pouvez désirer. Aujourd'hui quand le droit aura été élevé, on veut que la production tombe à 3 millions de kilog. et cela pendant deux années consécutives pour ramener le droit au taux de 30 fr. Ce n'est qu'à ces conditions impossibles à réaliser, à moins de la ruine de plusieurs établissements, qu'on consentira à remettre le droit à 30 fr.
Je suppose que dans la présente année, avec la situation si heureuse de la température, le sucre de betterave produise 4,200,000 kil., le droit est porté d'emblée à 40 fr., au maximum ; si l'an prochain la production rentre dans ses limites normales de 3,800,000 kil., vous vous imaginez que le droit rentrera aussi dans ses limites ? Non, il reste fixé à 40 fr. ; tant et si longtemps que l'industrie à demi-ruinée ne sera pas tombée au-dessous de trois millions de kil., c'est-à-dire 1,200,000 kil. de moins que ce qui aura donné lieu à la majoration, tant qu'elle n'aura pas réduit sa production de plus du tiers, c'est-à-dire tant qu'une part notable des établissements ne sera pas anéantie, et, deux ans après, elle ne pourra pas obtenir un adoucissement à ses maux. Quoique je n'aie pas l'honneur d'être avocat, j'ai souvent entendu dire : cessante causa, cessat effectus.
Un membre. - Ce n'est pas du droit, c'est de la logique.
M. Dumortier. - Je n'ai pas l'honneur d'être avocat, j'ai souvent entendu des brocards...
Un membre. - C'est de la logique, cela appartient à tout le monde.
M. Dumortier. - Si cela appartient à tout le monde, j'en prendrai ma part, et si c'est de la logique, j'espère que vous comprendrez la nécessité de l'appliquer.
Quand la cause cesse, les effets doivent cesser. Ici pas du tout, la cause qui a occasionné l'augmentation d'accise cesse ; qu'elle cesse pendant dix ans, vous restez frappé comme si vous restiez dans un état constant de prospérité. Mais que dis-je ? Est-ce que l'article 5 repose sur la prospérité de l'industrie ? Non, c'est sur l'impossibilité où se trouveront les sucriers de s'entendre pour ne produire tous ensemble que le chiffre de 3,800,000 kil. On a prononcé le mot « coalition » ; pour moi, j'invite les sucriers à se coaliser pour ne pas dépasser ce chiffre, sans cela leur ruine est certaine ; je sais que cette coalition est difficile ; je pense même qu'elle est impossible ; mais je leur dis du haut de la tribune, que le seul moyen de se sauver, est de se coaliser, de manière à ne jamais dépasser la production de 3.800,000 fr., afin de rester au droit de 30 fr. ; c'est la seule ancre de miséricorde qui leur reste pour éviter le naufrage au milieu de la tempête qui gronde autour d'eux. Vous prêchez, me dit-on, la coalition ! Eh ! messieurs, c'est celui qui présente un système rendant la coalition nécessaire pour échapper à la mort, qui provoque la coalition. Or, le système qui vous est soumis n'est que l'expression de la coalition des intérêts opposés.
On parle du progrès des sucres indigènes, mais tous les progrès consistent-ils dans une plus grande quantité de terre cultivée en betteraves ? Non, messieurs, la quantité de terre cultivée en betterave ne dépend pas de l'industrie. Il en est de même de l'augmentation de la matière sucrée : elle ne dépend pas de l'industrie, mais de la température. Qu'arrivera-t-il si la Providence nous accorde une année favorable ? Par ce seul fait la sucrerie indigène sera perpétuellement frappée ; le bienfait de la Providence sera, grâce au gouvernement, un malheur perpétuel pour la Belgique.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'article 5 est voté.
M. Dumortier. - Je n'en ai pas moins le droit de le critiquer, la loi n'est pas votée. La plus grande critique qu'on puisse en faire, c'est de dire que si la Providence donne une seule année un bienfait à la Belgique, la Belgique sera frappée pendant toute la durée de la loi, par le fait du gouvernement. Or, une loi qui frappe le citoyen par ce fait seul que la Providence jette sur lui un regard favorable est une loi immorale, une loi fatale au pays.
Maintenant ne vous y trompez pas, j'adjure les honorables collègues de bien comprendre cet amendement dicté par une tendresse punique dont on ne peut rien espérer, puisqu'il faut que l'industrie soit ruinée avant de pouvoir obtenir un soulagement.
Voulez-vous une pondération, un moyen de maintenir l'équilibre, je vous en proposerai un qui donnera des ressources au trésor : toutes les fois que le droit sur le sucres indigène est augmenté, qu'il soit augmenté proportionnellement sur le sucre exotique. Laissez les deux industries dans les mêmes conditions d'existence, c'est là ce qu'on vous demande. Si on augmente d'un franc le droit sur le sucre indigène, on augmentera d'un franc le droit sur le sucre exotique,
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est rejeté.
(page 1746 M. Dumortier. - Cela n'a même pas été proposé, je le ferai, voici comment j'ai formulé ma proposition :
« L'augmentation successive sur le sucre indigène, sera appliquée franc par franc à l'accise sur le sucre exotique. »
Par là quand vous augmenterez le droit sur l'un vous l'augmenterez sur l'autre, si vous frappez l'un vous frapperez l'autre, vous conserverez aux deux industries le même degré de protection. Il me semble que M. le ministre a une peur excessive du développement du sucre indigène qui produit des recettes au trésor, et il a une peur excessive du non-développement du sucre exotique qui enlève en primes les recettes du trésor.
On appelle cela des préjugés de notre part. Les préjugés sont dans la bouche du ministre. Le système qu'il présente ne peut pas tenir. Vous voulez 3 millions de recettes, le progrès du sucre exotique et le progrès du sucre indigène. Comment cela peut-il arriver ? Avec 3 millions de recettes vouloir développer l'industrie du sucre indigène et l'industrie du sucre exotique, c'est se bercer de chimères. Les produits seront absorbés par le système de la loi. C'est un fait que les raffineurs de sucre exotique n'oseraient pas contester. Ils connaissent trop bien tous les moyens de tirer parti de la loi pour n'être pas convaincus que le pays ne recevra jamais les 3 millions qu'on lui promet.
On dit qu'on a démontré que la question du rendement était avantageuse aux deux industries. Je maintiens qu'il a été démontré, au contraire, que la question du rendement n'était favorable qu'à une industrie, à celle qui exporte, et que l'autre n'avait rien à en tirer. L'industrie qui livre ses produits à la consommation n'a que faire de votre prime. Je désirerais encore qu'elle fût supprimée.
Tous les orateurs qui ont parlé en faveur du sucre de betterave se sont élevés contre cette prime. Pour moi, quel que soit l'intérêt que je porte à l'industrie du sucre indigène, le jour où cette industrie devra vivre de primes, je lui retirerai mon appui, parce que je ne veux d'aucune industrie qui ne se soutienne que par des primes.
Pourquoi donc a-t-on introduit ce système de primes en faveur du sucre de betterave ? Pour en faire bénéficier le raffinage et parce que c'était le principal grief que la betterave eût contre la canne. On a voulu l'empêcher de se servir à l'avenir de cet argument. Voilà le seul motif de la proposition de primes en faveur de la betterave qui les repousse et n'en veut pas.
C'est là ce que j'ai le droit d'appeler une tendresse punique, parce qu'elle n'est pas vraie, parce qu'elle est un mensonge.
Je le répète donc, si l'on veut la pondération réelle entre les deux industries, comme l'a dit M. le ministre des finances, il n'y a qu'un moyen, c'est d'augmenter ou de réduire simultanément le droit franc par franc sur chaque industrie, en un mot, c'est de faire suivre la même échelle aux deux industries.
Quant à l'amendement du ministre, j'ai démontré qu'il est illusoire. On veut avoir l'air de faire quelque chose pour la betterave ; mais cela ne fait absolument rien, puisqu'il faut une réduction de 1,300,000 fr. pour que le résultat soit obtenu.
Si pareille chose arrivait, la chambre n'attendrait pas longtemps pour modifier une loi qui serait devenue odieuse aux populations.
Cet amendement est sans valeur. C'est un palliatif en vue de satisfaire certains membres. Mais il ne sera jamais efficace, je l'ai démontré à la dernière évidence.
J'insiste donc pour qu'on ne perde pas de vue mon amendement. Il s'applique aux trois systèmes, à ceux de MM. de Corswarem et de la Coste et à celui de M. le ministre des finances. Je désire qu'il soit mis aux voix. J'espère que la chambre n'y refusera pas son adhésion. En effet, il faut que l'industrie, qui est la cause du préjudice porté au trésor, soit seule frappée. C'est le but de mon amendement.
Il serait injuste d'adopter un système différent.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'amendement que j'ai soumis à la chambre est, dit l'honorable membre, une tendresse pour le sucre indigène. Je dois avouer que l'accueil fait à cette tendresse me rendrait une récidive assez difficile. Aussi longtemps que je n'aurai pas pour l'une des deux industries une tendresse exclusive, on m'accusera toujours de vouloir la détruire. Ici l'accusation de partialité se produit sous d'autres termes ; mais c'est toujours la même accusation. C'est celle que j'ai rencontrée dès le début, et que je suis destiné à rencontrer jusqu'à la fin, et même après la fin.
L'honorable M. Dumortier demande deux choses. Il demande d'abord qu'on mette aux voix son amendement. Ensuite, il propose un amendement nouveau.
Le premier amendement de l'honorable M. Dumortier se rattache à l'article 5 qui a été voté hier. Cet amendement, je crois l'avoir démontré, est complétement inexécutable. S'il était admis par la chambre, je prierais l'honorable M. Dumortier de vouloir bien prendre ma place et d'appliquer cet amendement. Il est impossible qu'un ministre des finances, lorsqu'un déficit sera produit, puisse dire laquelle des deux industries en est la cause. Je ne m'oppose pas à ce qu'on mette l'amendement aux voix. Mais je déclare que je ne pourrais l'exécuter.
Je prie la chambre de prononcer la question préalable sur le nouvel amendement.
Il est directement contraire au vote déjà émis. La chambre entière, en votant sur l'article 5, a résolu la question de savoir s'il y aura corrélation entre le déficit et l'augmentation du droit d'accise sur le sucre indigène. Cette corrélation n'a pas été admise.
En faisant cette préposition l'on rouvrirait la discussion qui dure depuis 15 jours.
L'adoption de l'article 5 suppose que la corrélation entre l'aggravation de l'accise a été établie à raison du développement de la fabrication, et non par suite de la diminution des recettes ; or, l'honorable membre veut appliquer le droit franc pour franc (dent pour dent, la peine du talion) lorsqu'il y aura déficit.
L'honorable membre est revenu encore sur l'argument tiré d'une bonne récolte. Je croyais que, dans les discussions précédentes, on avait complétement épuisé cet argument. La production actuelle, je le répète, est tout au plus de 3 millions. L'honorable M. Eloy de Burdinne, si j'ai bien compris, a paru hier encore admettre ce chiffre de 3 millions. Ainsi, même en supposant cette année une récolte extraordinaire, on ne pourrait arriver, par les résultats connus, pour la culture de la betterave, à un droit de plus de 30 fr. Si on le subit plus tard, c'est parce qu'on aura reconnu les avantages de la loi, et parce que la culture se sera étendue.
L'honorable M. Dumortier dit encore que les fabricants feront bien de se coaliser. Depuis longtemps, je pense, ils se sont aperçus de l'intérêt qu'ils ont à limiter leur production à 3,800,000 fr. Si cette limitation est produite, c'est ce que la loi désire ; ce résultat sera atteint sans qu'ils aient à subir aucune augmentation d'impôt. Cette coalition est très naturelle ; je me hâte d'ajouter qu'elle est très légitime.
M. Dumortier. - C'est un acte d'hostilité.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je m'étonne à bon droit de ces interruptions qui rouvrent toute la discussion générale. N'ai-je pas démontré à toute évidence que si l'on veut le système de la coexistence, il faut employer, non une limitation de quantité, mais une limitation de faveur au sucre indigène. La chambre n'a-t-elle pas voté l'article 5 ? Cette interruption ne suppose-t-elle pas que l'article 5 ne serait pas voté ?
M. de Corswarem. - Messieurs, un fait vraiment curieux à observer, c'est l'adresse de M. le ministre des finances à saisir toutes les occasions pour favoriser l'industrie étrangère et nuire à l'industrie nationale. Ce qu'il vient de vous proposer aujourd'hui en est encore une preuve bien palpable. Il avait commencé, messieurs, par proposer une décharge à l'exportation de 62 fr. pour le sucre exotique ; puis il a trouvé une occasion pour porter cette décharge à 65 fr. et enfin pour la porter à 66 fr. et pour augmenter ainsi de 4 fr. par 100 kil. la faveur accordée au sucre étranger. Il avait au contraire commencé par proposer un droit d'accise sur le sucre indigène de 38 fr. ; quelque temps après il l'a porté à 40 fr. en augmentant ainsi de 2 fr. l'impôt sur le sucre produit du sol belge.
Aujourd'hui que fait-il ? Il dit : Dès que les recettes dépasseront 3,500,000 fr.. on augmentera la décharge à l'exportation de 4 fr. par 100 kil. et il prend pour base de ses prévisions une somme de 3 millions. Son raisonnement est donc celui-ci : dès que les 3 millions seront dépassés d'un sixième, la décharge sera augmentée de 4 fr. par 100 kil. en faveur du sucre étranger.
Messieurs, si ce système est admis pour le sucre exotique, il me paraît qu'il devrait aussi être admis pour le sucre indigène. Mais pas du tout, M. le ministre n'admet pas ce système pour le sucre indigène. Il dit : Nous voulons laisser produire au sucre indigène 3,800,000 kil. Par la même raison il devrait dire : Dès que cette production baissera d'un sixième, le droit d'accise sera réduit à 30 fr. Or, la production de 3,800,000 kil. baissant d'un sixième, se trouve réduite à 3,166,666 kil.
Voilà donc encore 166,666 kil. de production que M. le ministre vient soustraire à l'industrie indigène, avant de lui accorder le retour au droit primitif. C'est une nouvelle preuve de cette partialité en faveur de l'autre industrie.
Il est impossible, dit M. le ministre, que l'amendement de l'honorable M. Dumortier puisse être mis en pratique. Hier encore je vous ai dit que cet amendement peut être très facilement mis en pratique.
Il a été établi que pour atteindre le chiffre de 3 millions de recettes, il faudrait que la production indigène montât à 3,800,000 kilog. et la production du sucre exotique à 16,200,000 kil. Eh bien, dès que l'une de ces industries aura dépassé ces quantités, ce sera celle-là qui aura fait diminuer la recette, et le fait sera constaté tout naturellement par les prises en charge.
Cet amendement ne présente donc pas la moindre difficulté dans son application. Je le trouve au contraire très facile à appliquer et je ne vois pas qu'il soit nécessaire que M. le ministre cède sa place dans le cabinet à un autre membre de la chambre pour le mettre en pratique.
L'honorable ministre nous dit aussi qu'une coalition entre les fabricants serait légitime, dès que cette coalition aurait pour but de ne pas dépasser la production de 3,900,000 kil. Mais il ne nous dit pas jusqu'à quel point serait légitime une coalition de raffineurs qui s'entendraient pour établir une fabrique de sucre de betterave, et au moyen des produits que leur procurerait cette fabrique, dépasser la production de 3,900,000 kil. et la porter jusqu'à 4,300,000 kil. pour imposer ainsi à l'industrie nationale le droit maximum de 40 fr. Voilà un point sur lequel M. le ministre ne s'est pas expliqué.
Si ces raffineurs devaient maintenir cet établissement pendant un long espace de temps, uniquement en vue de nuire à leurs adversaires, je conçois que la chose serait fort difficile. Mais ils n'ont qu'à louer une fabrique pour une seule année, à produire pendant cette seule année la quantité nécessaire pour atteindre une seule fois la production de 4,300,000 kil. pour que le droit soit porté à 40 fr. et qu'il reste toujours à 40 fr., jusqu'à ce que la production de l'industrie indigène retombe au-dessous de 3 millions de kilogrammes.
(page 1747) Ainsi vous voyez que si d'un côté il peut y avoir une coalition légitime, d'un autre côté il peut y en avoir une qui ne serait pas légitime du tout.
Je demanderai donc aussi que la chambre vote sur l'amendement que l'honorable M. Dumortier nous a présenté dans la séance d'avant-hier.
Quant à celui qu'il nous a présenté aujourd'hui, je ne le comprends pas très bien. C'est d'ailleurs assez naturel, je n'ai pas cet amendement sous les yeux ; je l'ai entendu lire une seule fois, et l'honorable M. Dumortier lit ordinairement assez vite. Je n'énonce donc pas d'opinion sur cet amendement avant que je n'aie eu le temps de l'examiner plus mûrement.
M. Lebeau. - Messieurs, j'avais demandé en même temps que l'honorable M. Verhaegen, que M. le ministre des finances voulût bien éclairer quelques doutes qui étaient nés dans mon esprit à la lecture de l'article qui a été adopté dans la séance d'hier. Je désirais savoir ce qui en serait, lorsque l'accroissement qui aurait amené une augmentation de droit pour le sucre indigène, aurait cessé.
M. le ministre a compris qu'il y avait quelque chose de fondé dans les doutes que nous avions émis, et c'est pour y donner satisfaction qu'il a présenté aujourd'hui un amendement.
J'avais d'abord pensé, messieurs, que l'on pourrait, pour rester dans les déductions logiques, établir à cet égard une sorte d'échelle ascendante et descendante. Mais je reconnais que la pratique s'accommode fort mal de ce qui peut satisfaire la logique, et que l'inquiétude qu'une semblable disposition jetterait dans la situation des deux industries ferait plus de mal que de bien.
Je suis donc porté à me rallier à l'amendement de M. le ministre, et je crois que c'est surtout le sucre indigène qui doit se féliciter de la présentation de cet amendement. Je pense que si M. le ministre des finances prenait au mot l'opposition très vive que semble rencontrer cet amendement, et s'il le retirait, ce ne serait pas l'industrie du sucre exotique qui serait désappointée, mais l'industrie qui livre à cet amendement les plus violentes attaques.
Je crois que si les défenseurs du sucre indigène se félicitaient du retrait de cet amendement, ceux au nom desquels ils parlent, ne leur sauraient pas beaucoup de gré de leur opposition.
Messieurs, je dirai deux mots en réponse à quelques considérations que vient de présenter l'honorable M. Dumortier.
Cet honorable membre a signalé beaucoup de bizarreries, beaucoup de conséquences singulières dérivant de l'exécution de la loi que nous faisons. Mais, messieurs, c'est que je crois que jamais la législature ne s'est occupée de la recherche du problème qui est posé devant elle.
Que faisons-nous ? Faisons-nous une loi purement fiscale, purement industrielle, purement commerciale ? Non. Nous sommes à la poursuite d'un problème qui peut être est insoluble.
Que voulons-nous ? Nous voulons la coexistence de deux industries qui se disputent le marché du pays. Nous voulons inscrire cette coexistence dans la loi, et nous voulons que tous les développements que les industries intéressées donneront à la loi, laissent debout la coexistence des deux industries. De sorte que non seulement il faut ici veiller à l'intérêt du trésor public, mais il faut encore veiller à ceci, que si une industrie, par les progrès qui lui sont propres, par des circonstances qui tendent à favoriser son développement, menace de tuer l'autre, la loi doit immédiatement intervenir pour rétablir l'équilibre, pour maintenir la coexistence. Voilà, messieurs, comment nous faisons quelque chose de bizarre, parce que le principe même de la loi est bizarre, parce que nous faisons une loi qui est peut-être sans exemple.
Eh bien, messieurs, en partant du principe de la coexistence, vous ne pouvez pas admettre l'amendement de l'honorable M. Dumortier, car si une diminution des revenus du trésor public nécessite l'aggravation des charges de l'industrie, cette diminution peut avoir pour cause la décadence de l'une des deux industries et la prospérité excessive de l’autre, et dès lors il est tout naturel de frapper celle qui jouit de cette grande prospérité et de ménager celle qui souffre. Or l'honorable M. Dumortier voudrait que l'on frappât en même temps celle qui a une santé trop grande et celle qui est atteinte de phtisie. Cela serait absurde.
J'ai dit, messieurs, que tout est bizarre dans la loi dont nous nous occupons. Cela est si vrai que nous débutons par accorder à l'industrie du sucre indigène une protection de 30 p. c. tandis que les autres industries n'obtiennent jamais que 10 p. c. On dit : Non, la protection n'est pas de 30 p. c. ; il faut tenir compte de la moins-value des bas produits. » Mais on ne tient pas compte de pareilles circonstances lorsqu'il s'agit des autres industries.
Lorsqu'il s'agit des draps, des toiles, on ne va pas comparer les conditions de travail de l'industrie nationale à celles de l'industrie étrangère ; on se borne à donner à l'industrie nationale une protection de 10 ou de 15 p. c. Eh bien, ici on débute par une protection de 30 p. c. et cette protection ne paraît pas suffisante.
Je dis donc, messieurs, que s'il y a de la bizarrerie dans certaines dispositions de la loi, il faut s'y résigner parce que ces bizarreries dérivent du principe même de la loi. Nous faisons autre chose qu'une loi fiscale ; nous entrons en quelque sorte dans le règlement des industries, nous posons presque un jalon de l'organisation du travail.
Je voterai pour l'amendement de M. le ministre des finances.
M. Eloy de Burdinne. - M. le ministre des finances en a appelé tout à l'heure à mon témoignage en ce qui concerne le chiffre de la production du sucre indigène ; il a dit que de mon aveu cette production ne s'élevait qu'à 3 millions de kil. Si M. le ministre avait lu ou écouté mes discours, il aurait vu que j'évaluais à 3 millions la production du sucre raffiné, et que j'ai établi que pour obtenir 3 millions de sucre raffiné, il fallait 5,000,000 kil. de sucre brut. Or, messieurs, les bas produits du sucre indigène ne peuvent pas se consommer ; ils ne peuvent servir qu'aux distilleries, et lorsque les distilleries en font usage, ils sont soumis à un impôt ; on en fait de l'alcool, et l'alcool est frappé de droits.
Si maintenant je compare le sucre indigène au sucre exotique, je trouve que ce dernier, pour produire 3 millions de sucre propre à être livré à la consommation, n'a besoin que de 3,060,000 kil. de sucre brut ; car la mélasse et le vergeois du sucre exotique sont propres à la consommation. Il y a donc, sous ce rapport, un déficit de 540,000 kil. sur 3 millions, au préjudice du sucre indigène. Qu'on ne vienne donc pas dire que le sucre indigène jouit d'une protection de 10, de 15 et même de 30 pour cent.
L'honorable M. Lebeau a eu raison de dire que ce projet est tellement compliqué qu'il donne matière à mille et une interprétations, de la part de ceux qui le défendent et de la part de ceux qui l'attaquent.
L'honorable M. Lebeau a dit également qu'on donne ordinairement à l'industrie nationale une protection de 15 p. c. Eh bien, messieurs, qu'est-ce que je vous ai proposé ? J'ai proposé d'assurer au sucre indigène une faveur de 6 fr. sur le sucre étranger importé par navires belges et de 12 fr. sur le sucre étranger importé par navires étrangers.
M. le président. - M. Eloy de Burdinne, vous rentrez complétement dans la discussion générale.
M. Eloy de Burdinne. - J'aurai l'honneur de vous faire observer, M. le président, que je réponds à un argument de M. Lebeau. Si l'honorable M. Lebeau a pu rentrer dans la discussion générale, il me semble que je devrais avoir le droit de le suivre. Mais enfin, puisque cela déplaît à M. le président....
M. le président. - Rien ne me déplaît. Je fais exécuter le règlement.
M. Eloy de Burdinne. - Mais je ne fais que répondre à M. Lebeau.
M. le président. - M. Lebeau s'est borné à indiquer quelques observations sans les approfondir.
M. Eloy de Burdinne. - Je passerai à un autre point, je répondrai à M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances dans chaque discours, je dirai presque dans chaque phrase, nous annonce toujours son impartialité ; il me semble que quand on croit être impartial on ne s'en vante pas si souvent. Je vais, messieurs, vous citer un fait qui vous donnera la mesure de l'impartialité de M. le ministre des finances.
Vous le savez, messieurs, le commerce anversois a été accusé, à tort ou à raison, d'avoir rédigé le premier projet qui nous a été soumis par M. le ministre, ou, au moins, d'y avoir contribué....
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est inexact.
M. Eloy de Burdinne. - Eh bien, dans ce projet on ne demandait pas tout ce qu'on demande maintenant ; le commerce est trop adroit pour dévoiler tout d'un coup toutes ses exigences ; mais à mesure qu'il a obtenu des concessions, il a exigé des concessions nouvelles. C'est ainsi que font les enfants gâtés ; plus on leur donne, plus ils veulent avoir.
M. le ministre dit qu'il n'est pas plus porté pour le sucre exotique que pour le sucre indigène ; or, j'en reviens au bruit qui a circulé, à savoir que le commerce anversois avait rédigé le projet de loi.
Je fus étonné de cette nouvelle ; j'allai trouver M. le ministre des finances, et je lui dis que je le priais de m'accorder une audience, afin que je pusse m'expliquer aussi dans l'intérêt du sucre indigène ; M. le ministre était très pressé en ce moment, j'aime à croire qu'il l'était réellement ; il me dit : « Nous pourrions parler pendant mon déjeuner ; le voulez-vous ? » M. le ministre des finances, vous vous rappelez sans doute ces détails.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Très bien.
M. Eloy de Burdinne. - Or, voici ce qui s'est passé pendant le déjeuner de M. le ministre : nous parlâmes du sucre, je fis valoir l'intérêt du sucre indigène ; M. le ministre me laissa aller très longtemps et ne me répondit rien ; je lui dis alors : « Qu'en pensez-vous ? » Eh bien, messieurs, voilà la réponse que m'a faite M. le ministre des finances ; sur l'observation que je lui fis qu'en 1836, il avait défendu le sucre indigène, il me répondit : « En 1836, j'étais betterave ; en 1846, je suis canne. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la chambre me permettra, je l'espère, de lui expliquer à mon tour l'histoire de mon déjeuner.
Messieurs, depuis que la loi qui vous est soumise a été présentée, j'ai reçu très souvent des personnes intéressées aux deux industries et d'autres personnes, notamment l'honorable M. Eloy de Burdinne ; et presque toujours, messieurs, j'ai pris le rôle d'écouter les observations qui m'ont été faites ; ce qui a pu arriver à l'honorable membre, est arrivé à beaucoup d'autres qui ne s'en sont pas plaints.
Je crois me rappeler que la discussion que j'ai eue avec l'honorable membre a été assez longue, mais je désavoue complétement, ou du moins je ne me rappelle pas avoir tenu ce propos, qu'en 1836 j'étais betterave et qu'aujourd'hui je suis canne ; il y a pour cela plusieurs raisons excellentes ; en 1836 je n'étais pas né à la vie parlementaire, j'étais complétement étranger à la question des sucres : je suis entré à la chambre en 1841.
(page 1748) M. Eloy de Burdinne. - J'ai voulu dire en 1843.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Dans la discussion de 1843, à laquelle je n'ai pas pris part, si ce n'est par mes votes ; dans cette discussion, je le reconnais sans peine, beaucoup de ces votes ont été très favorables à l'industrie du sucre indigène. Je dirai sans détour que l'une des choses qui m'ont le plus impressionné dans la discussion de 1843, était qu'on voulait consacrer dans la loi un principe que je combattrai toujours, le principe d'expropriation d'une industrie sous prétexte d'utilité publique.
Quand les premières émotions seront passées, quand les faits auront fait justice de tant d'exagérations, toute cette discussion démontrera que j'ai été fidèle à mon vote de 1843, que j'ai fait pour l'industrie du sucre indigène plus et mieux que ce qu'elle a aujourd'hui ; je ne répudie donc pas mes votes ; je vous propose aujourd'hui, messieurs, de les consacrer dans la loi.
M. Rodenbach. - L'industrie indigène payera moins que rien !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je remercie l'honorable M. Rodenbach de l'interruption ; d'après le projet, l'industrie du sucre indigène payera moins que rien, c'est-à-dire qu'il apurera toute sa dette, soit qu'il reste dans le pays, soit qu'il soit matériellement exporté.
L'honorable M. Eloy de Burdinne a parlé d'un bruit qui avait couru, à savoir que le projet de loi avait été rédigé par le commerce d'Anvers. Messieurs, il a couru beaucoup de bruits, il en court tous les jours encore, on en met beaucoup en circulation ; mais celui-là ne doit pas avoir obtenu grande créance ; il n'est pas parvenu jusqu'à moi, et les faits qui se sont passés, même postérieurement à la présentation du projet de loi, démontrent combien ce bruit était peu vraisemblable et peu fondé ! En effet, la chambre se rappellera que les premières et les plus vives réclamations contre le projet primitif, sont venues de la part du commerce d'Anvers.
Je n'insisterai pas davantage sur ce point ; je ne sais jusqu'à quel point même il est parlementaire de venir rapporter des bruits à la tribune et de m'obliger à les réfuter.
M. de La Coste. - Messieurs, je serais très fâché de ne pas inviter M. le ministre des finances à rechercher quelques moyens d'adoucir les dispositions de la loi qui frappent le plus fortement sur l'industrie indigène ; je l'adjure même d'y réfléchir encore d'ici au vote définitif de la loi.
Pour moi, le vice que je vois dans la loi, si elle est votée, comme elle vient d'être adoptée provisoirement article par article, ce sont les oscillations trop brusques qui peuvent, certainement contre l'intention du ministre, faire des faveurs qu'il vient accorder à l'industrie indigène une sorte de piège ; et qui doivent amener ces coalitions que M. le ministre des finances semble même avoir approuvées en quelque sorte, lorsqu'il a dit : « Si l'industrie se coalise pour restreindre ses opérations, c'est ce que nous voulons. » Mais vraiment, ce n'est pas là ce que l'on voulait hier ; on disait hier que si l'on mettait aux voix le mot de limitation, tout le monde serait d'accord pour dire non.
Messieurs, si l'on voulait réellement la coexistence, si on voulait le principe que M. le ministre des finances a posé hier, et qui consiste à dire que, quand il est constant que l'industrie se développe, il en résulte qu'elle est en état de supporter un droit plus élevé, et qu'elle a moins besoin de protection ; si l'on était resté sérieusement fidèle à ce principe, j'aurais voté alors pour la loi.
Mais je ne vois pas cela, je vois que la transition sera si brusque, que des circonstances purement accidentelles, qui ne démontrent nullement la prospérité de l'industrie, peuvent faire monter l'échelle tout d'un coup, de manière à rétroagir gravement sur cette industrie. Je suis de l'école d'économie politique et en cela, je suis d'accord avec les plus grands partisans de la liberté du commerce, qui enseignent que quand on ravit à une industrie une protection dont elle a longtemps joui, il faut procéder par gradation. Si le vice que je trouve, sous ce rapport, dans le projet n'est pas corrigé, ce sera pour moi un motif déterminant pour voter contre la loi. Je désire que M. le ministre y réfléchisse mûrement.
Nous nous trouvons placés dans une position difficile ; j'aurais désiré trouver quelque terme moyen, quelque accommodement. Cependant n'étant pas mandataire des industriels, j'aurais craint de poser un principe qu'ils n'auraient pas admis. Je devais me tenir dans une grande réserve. Si on avait admis le chiffre d'un franc pour la gradation, cela devenait très acceptable en mettant une certaine limitation pour éviter une augmentation trop rapide. Je crois qu'en voulant aller trop vite, on a ôté à la loi ce caractère de conciliation que voulait lui donner M. le ministre.
Pour en venir à l'amendement, je sais gré à M. le ministre de cette proposition ; cependant, je suis d'avis qu'il n'y a pas là égalité de traitement pour les deux industries.
Pourquoi ne portons-nous pas, sur-le-champ, le rendement au taux que le ministre avait d'abord eu en vue ? C'est pour céder au vœu du commerce d'Anvers. Mais sur quel motif les réclamations ont-elles été fondées ? Sur le motif que l'industrie des raffineurs n'est pas parvenue à ce point de perfection que les Hollandais ont atteint, qu'elle a plutôt marché à reculons qu'en avant, qu'il fallait quelque temps pour reprendre assez d'essor pour pouvoir lutter avec un rendement plus élevé.
Quand nous serons arrivés au rendement de 72 1/2 ou 73, il sera prouvé que notre industrie est capable de concourir, ; mais pourquoi ne pourra-t-elle pas lutter ? Ce sera parce que la lutte sera devenue impossible, que les marchés étrangers se ferment. Nous voudrons donc alors lutter à force d'argent contre cette impossibilité ! Il y a là une grande disparité avec ce qu'on veut faire à l’égard de l'industrie indigène. On doit reconnaître qu'on s'est trop pressé.
Puisqu'on veut faire une nouvelle faveur à l'industrie du sucre exotique, je ne veux pas m'y opposer. J'ai perdu trop de procès pour vouloir plaider encore longuement. Je demande seulement à M. le ministre s'il ne veut pas rendre la faveur un peu plus réelle pour l'industrie indigène.
Quand nous arrivons à la limite de 3,900,000 kil. et que nous allons jusqu'à 4,300,000, nous sommes au droit de 40 fr. C'est un espace de 400,000 kil. ; ne pourriez-vous pas agir en rétrogradant de la même manière, prendre 400,000 kil. au-dessous de 3,900,000 kil., vous auriez pour limite 3,500,000 kil. Alors il y aurait une sorte de garantie.
Partant de ce point de vue, si toutes les faveurs que vous avez cru accorder au sucre indigène n'ont aucun effet, on ne dépassera pas la limite, puisqu'on en est encore fort éloigné. Ce que nous disons est parfaitement inutile, parce qu'on ne fabriquera jamais 3,900,000 kil.
Nous supposons le contraire, nous supposons que, par les stimulants que la loi renferme, nous aurions atteint le droit de 40 fr., mais qu'il serait prouvé que ce droit écrase l'industrie indigène, si au lieu de la limite de 3,800,000 kilogrammes, nous venions pendant deux années à 3,500,000, ce serait une preuve suffisante que l'élévation du droit est insupportable. Vous avez encore une distance de 400,000 kilog. entre ce terme et celui que vous avez assigné. Il me semble que là il y aurait quelque chose de réel.
M. Osy. - L'honorable M. de la Coste dit qu'il ne comprend pas pourquoi on pourrait diminuer le rendement du sucre exotique. Je vais en dire plusieurs raisons. Si d'ici à quelques années nous avons porté la prise en charge à 30 millions et qu'il arrivât ce qu'on a vu l'année dernière, que le sucre brut montât de 12 à 20 sch., il serait impossible au sucre exotique de lutter avec le sucre indigène. Nous avons encore le marché étranger des villes hanséatiques. Si les villes hanséatiques entraient dans le Zollverein, ce marché nous serait fermé, car aujourd'hui nous ne pouvons pas envoyer nos sucres raffinés, nos lumps dans les Etats du Zollverein.
La Russie, depuis deux ans, admet les lumps au même droit que les sucres de la Havane. Voilà un marché qui nous sera ouvert ; mais dans deux ans, il pourra nous être encore fermé. Vous voyez que si nous pouvons arriver à 30 millions, nous pouvons descendre à 20. Nous avons le même droit pour demander une réduction de rendement, que le sucre indigène pour avoir la réduction de droit que nous lui accordons.
Je trouve que l'opinion manifestée, hier, qu'il fallait chercher une compensation à la réduction de production, doit trouver une entière satisfaction dans l'heureuse combinaison de M. le ministre des finances. Je crois qu'il est très juste de dire que si la production de la betterave tombe à 3 millions de kilogrammes, le droit doit être ramené à 30 francs. Mais il est aussi juste de dire que si la recette tombe au-dessous de 3,500,000 fr., il faut réduire le rendement.
Je trouve que ces deux propositions sont extrêmement justes, et j'y donnerai mon assentiment.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je remercie l'honorable M. de La Coste des observations bienveillantes qu'il a faites sur l'article nouveau que j'ai présenté à la chambre.
Je demanderai à la chambre d'adopter cet amendement au premier vote, tel qu'il a été formulé. Je m'engage, d'ici au second vote, à examiner d'une manière approfondie les deux observations de l'honorable M. de La Coste.
La première, je la considère comme essentielle. Il est évident que, pour l'une comme pour l'autre industrie, nous devons éviter tout ce qui pourrait produire une perturbation, tout ce qui pourrait nous empêcher d'arriver aux résultats que nous voulons tous produire.
Si donc il y avait moyen d'éviter pour le sucre indigène et éventuellement pour le sucre exotique une trop brusque oscillation soit du rendement, soit du droit différentiel de l'accise (je reproduis toujours la question avec les deux termes qui sont réellement connexes), s'il était possible d'éviter tout danger à cet égard, j'en accepterais volontiers les moyens. J'examinerai aussi si l'on peut fixer un chiffre intermédiaire entre 3,000,000 et 3,900,000 kilog.
Une seule pensée me dirige ; je voudrais démontrer par les faits cette impartialité que l'on conteste toujours, je voudrais aider à faire la meilleure loi possible dans les circonstances actuelles.
M. Dumortier. - Je modifie l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer. Comme j'ai vu que cet amendement n'était pas compris, j'ai voulu mettre la chambre à même de voter sur un amendement qui fût compris par tout le monde.
J'ai donc modifié mon amendement en ces termes :
« Le droit d'accise, augmenté en vertu de l'article 5 sur l'industrie du sucre de betterave, sera réduit, lorsque la cause qui avait donné lieu à la majoration aura cessé d'exister. »
Voilà, messieurs, la question posée bien clairement.
On veut, dit-on, établir une pondération ; on veut être juste envers tout le monde. Dès lors il est juste aussi, lorsque le droit aura été majoré en vertu de l'article 5, et que la cause de la majoration aura cessé d'exister, qu'à l'échéance du terme le droit rentre dans les limites primitives. C'est la seule application juste des principes qu'on veut poser.
C'est la seule manière de prouver que l'on n'a pas une sympathie factice en faveur de la betterave.
(page 1479) Si c'est une sympathie réelle, je suis sûr de l'adhésion de M. le ministre des finances ; le refus de cette adhésion prouvera la sincérité de sa sympathie.
Par l'article 5, on augmente le droit sur la betterave lors d'une majoration de production. Mais si l'année suivante, la production rentre dans l'état normal, il est évident qu'il doit alors en être de même pour le droit à percevoir.
Rien de plus clair, de plus intelligible que cet amendement. Si M. le ministre des finances ne l'adopte pas, nous saurons ce que nous devons penser de tous ses élans de tendresse pour le sucre indigène.
M. le ministre des finances, en me répondant tout à l'heure, a prétendu que l'industrie indigène serait le mieux favorisée, que, sous l'empire de la loi actuelle, elle ne payerait rien, moins que rien au trésor. C'est là, messieurs, le démenti le plus formel de cette assertion répétée vingt fois par M. le ministre des finances, qu'au moyen de son système l'industrie du sucre de betterave aurait payé 1,200,000 fr.
J'ai eu l'honneur de faire remarquer quelle sera la condition du sucre de betterave. Elle sera telle que les raffineurs de sucre exotique chercheront à obtenir, fût-ce même à prime, le plus possible de prises en charge de sucre de betteraves pour les appliquer à l'exportation du sucre de canne. Mais qui en profitera ? L'exportateur ; pas le sucre indigène. En réalité le sucre indigène sera consommé dans le pays. Il n'obtiendra pas plus d'avantages, parce que vous aurez fait une mauvaise loi, une loi d'imprévoyance, parce qu'au lieu de supprimer, comme vous le prétendez, la prime de mévente, vous l'avez étendue sur une plus grande échelle.
En réalité le sucre de canne sera seul avantage.
Cela est tellement évident que tous les défenseurs du sucre exotique se lèvent pour appuyer toutes les propositions de M. le ministre des finances. Tout à l'heure encore l'honorable M. Osy, le plus chaud partisan du sucre de canne, vient d'appuyer l'amendement de M. le ministre des finances.
M. Osy. - Qui est également à l'avantage de l'industrie du sucre indigène.
M. Dumortier. - Un avantage ! mais nous n'en voulons pas, car c'est une mystification, c'est un piège tendu à la législature pour paraître porter intérêt à l'industrie que l'on sacrifie. Il est indigne d'un ministre du Roi de se servir de pareils moyens.
M. le président. - M. Dumortier, je vous ai laissé finir votre phrase. Mais je vous engage à ne pas aller plus loin.
M. Dumortier. - Vous avez raison, M. le président. Mais je crois que j'ai eu raison aussi dans ce que je viens de dire.
Il ne faut pas simuler de la tendresse pour une industrie que l'on veut sacrifier.
En effet, c'est l'industrie du sucre exotique qui a reçu depuis plusieurs années des primes s'élevant à plus de 60 millions, c'est cette industrie que vous, ministre des finances, vous entourez de toutes vos tendresses.
Si réellement vous avez un sentiment de justice pour le sucre de canne, vous devez admettre l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer. Car il ne consiste qu'en une seule chose, en l'application du principe que j'ai rappelé tout à l'heure : cessante causa, cessante effectus. Le jour où le préjudice cesse d'être occasionné au trésor, ce jour-là la majoration doit cesser d'exister.
Je m'arrêterai, messieurs, à ce peu de mots. Je vois que la chambre est impatiente d'en finir. Mais je dis que voter la proposition de M. le ministre des finances, c'est voter une mystification pour la betterave, et qu'une pareille mystification n'est pas digne de figurer dans une loi.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai déjà d'avance combattu l'amendement de l'honorable M. Dumortier, dans les explications que j'ai données sur ma proposition. J'ai démontré que le système d'échelle, c'est-à-dire, la délimitation de l'impôt, dans la même proportion que celle de la production, était contraire aux intérêts de l'industrie elle-même.
M. Dumortier. - Cela n'est pas exact.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Dumortier est mis aux voix par appel nominal.
71 membres répondent à l'appel nominal.
23 votent l'adoption.
47 votent le rejet.
1 (M. de Garcia) s'abstient. En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption : MM. Dolez, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Huveners, Jonet, Lange, Savart, Sigart, Simons, Thyrion, Vanden Eynde, Biebuyck, Castiau, Clep, de Baillet, de Breyne, de Corswarem, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Renesse, de Sécus.
Ont voté le rejet : MM. Donny, Dubus (Albéric), Fallon, Fleussu, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Van Cutsem, Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Zoude, Anspach, Cans, Coppieters, d'Anethan, David, de Bonne, Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delfosse, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Naeyer, de Roo, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Tornaco, de Villegas.
Le membre qui s'est abstenu est invité à faire connaître les motifs de son abstention.
M. de Garcia. - Messieurs, les articles précédents ont été adoptés par la majorité. Je n'ai pas voté pour eux. Cependant comme ils existent et que je n'ai pu me rendre compte de la partie de l'amendement de l'honorable M. Dumortier, ni m'assurer s'il ne détruisait pas l'harmonie dans des dispositions admises, j'ai pensé devoir m'abstenir.
- L'article nouveau, présenté par M. le ministre des finances, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Nous arrivons à l'article 5 primitif :
« Art. 5. Le taux de la décharge, réglé conformément à l'article 4, sera appliqué aux prises en charge ouvertes aux comptes au moment de la publication de l'arrêté royal.
« Toutefois, le montant de l'accise à décharger aux comptes du chef des permis d'exportation ou de dépôt en entrepôt, levés avant la date de l'arrêté, sera calculé d'après le taux de la décharge précédente, si l'exportation a été consommée ou le dépôt effectué avant ladite publication. »
- Adopté.
« Art. 6 (ancien). Le gouvernement pourra, selon que l'exigeront les changements des procédés de fabrication, modifier les dispositions de la loi du 4 avril 1843, pour assurer la perception intégrale de l'accise sur le sucre de betterave.
« De même, il pourra prescrire un mode spécial de vérification concernant la qualité des sucres et des sirops, présentés à l'exportation avec décharge de l'accise.
« Toute contravention à ces mesures sera punie d'une amende de 50 à 800 fr.
« Les arrêtés royaux, pris en vertu du présent article, seront soumis à l'approbation des chambres dans l'année qui suivra leur mise à exécution. »
M. de La Coste. - Messieurs, il me paraît que cet article a extrêmement d’étendue. On pourra modifier les dispositions de la loi, c'est-à-dire, que le gouvernement pourra faire une loi nouvelle, pourra établir, un système tout nouveau. Il me semble que la proposition dépasse même de beaucoup les vues que M. le ministre semblait s'être proposées.
M. le ministre des finances a motivé sa proposition à peu près ainsi ; il a dit : Il y a un article semblable dans la loi actuelle. Mais le précédent ministre des finances en a ôté la force par une concession qu'il a faite. Cette concession, messieurs, paraît avoir été faite à la personne qui vous parle. Je ne me rappelle pas au juste dans quels termes cette concession a été provoquée, ni en quels termes elle a été faite, mais il me semble que c'est déjà une preuve assez forte de l'importance des motifs par lesquels elle a été appuyée, que la circonstance que cette concession a été faite par l'honorable M. Smits, défenseur zélé du sucre exotique.
Maintenant, messieurs, je n'ai pas le texte des deux lois sous la main, mais je crois que le projet actuel va beaucoup plus loin que l'ancienne loi, car dans l'ancienne loi il n'est question que des formalités et ici il est question de modifier toute la loi. Ainsi donc, messieurs, on pourra rétablir pour ce sucre le système des droits réunis, on pourra changer les prises en charge, on pourra établir des préférences entre les sucres raffinés, premier jet et les autres. Voilà autant de conséquences contre lesquelles je voudrais que M. le ministre des finances voulût bien nous prémunir.
Messieurs, je m'étonne vraiment que d'honorables membres qui, dans d'autres occasions, sont, par leur position même, les défenseurs des libertés publiques, gardent le silence sur une semblable proposition.
Je puis dire que, dans ma longue carrière et quoique homme du gouvernement depuis longtemps, je n'ai jamais laissé passer une disposition semblable sans la combattre. Je ne puis concevoir que le gouvernement lui-même veuille prendre un pouvoir qui appartient aussi essentiellement à la législature, un pouvoir tellement illimité qu'en France même, dans ce pays dont on invoque l'exemple, ce pouvoir a été déclaré publiquement inconstitutionnel. Voici ce qui s'est passé en France : M. Jolivet, commissaire des colonies, a proposé d'abandonner au gouvernement le droit de fixer la proportion de sucre dans les prises en charge. M. Lestiboudois a fait un long discours dans lequel il a expliqué à combien d'erreurs on était exposé dans ces matières.
Il a expliqué entre autres combien la densité des jus est une base peu sûre, parce que la densité des jus indique non seulement la quantité de parties sucrées qui s'y trouvent, mais aussi les différents acides qui y sont en dissolution. M. le ministre des finances a pris, à son tour, la parole ; il a dit qu'il s'était demandé si le pouvoir qu'on voulait lui faire prendre, on le lui accorderait dans d'autres occasions, si on le lui accorderait pour les brasseries et les distilleries, et il a répondu qu'on ne le lui accorderait point ; que par conséquent, il ne croyait pas pouvoir le réclamer. M. Jolivet, commissaire des colonies, a dit alors qu'il approuvait les scrupules du ministre, qu'il ne voulait pas être moins constitutionnel que le ministre et qu'il retirait sa proposition.
Messieurs, quant à moi, je ne puis pas adopter une proposition qui met le gouvernement à la place des chambres. M. le ministre des finances pourra vous faire le tableau des fraudes qu'il croit exister ; il pourra le rendre tel que la chambre sera persuadée qu'il faut apporter remède à l'état de choses qu'il aura signalé ; mais qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve-t-il qu'il faille y porter remède par arrêté ? Non, cela prouve que : M. le ministre aurait dû venir avec des propositions que nous puissions accepter, et s'il ne le fait pas, il nous permet de croire ou qu'il n'a rien (page 1750) à proposer ou qu'il craindrait de soumettre ses propositions à la sagesse de la chambre.
La proposition qui nous est faite, messieurs, je la repousserais de toutes mes forces, quand elle serait faite dans un intérêt que je défendrais, et je la repousse maintenant bien plus dans l'intérêt des principes, dans l'intérêt des prérogatives de cette assemblée, que dans aucun autre intérêt quelconque.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je n'ai pas l'intention, messieurs, de faire un tableau sombre des moyens de fraude qui pourraient avoir été employés dans les fabriques ou dont l'administration soupçonnerait l'emploi. Je vais justifier l'article 6 par d'autres considérations. La chambre a admis une différence de droit d'accise, elle doit vouloir que cette différence soit réelle, égale pour tous. Du moment, messieurs, que vous laissez subsister une protection de fait, votre loi cesse d'être juste, elle cesse d'être morale. Elle cesse d'être juste et morale, parce que si le contrôle est imparfait, si l'industriel qui est moins sévère envers lui-même, moins soucieux de remplir ses fonctions envers le trésor peut trouver à cela du profit, c'est lui que la loi a favorisé.
Ainsi nous pouvons différer d'opinion sur le chiffre de la différence à établir, mais lorsque la différence est établie, nous devons désirer tous que la différence soit la même pour tous les industriels, qu'il n'y ait pas de protection de fait, et, si nous ne pouvons arriver là, nous devons désirer, au moins, que la protection de fait soit réduite autant qu'il est possible.
Je reconnais qu'il s'agit ici d'une délégation du pouvoir législatif. Il s'agit de confier au gouvernement le droit d'établir des moyens de contrôle, sauf à en référer à la législature. Cette délégation du pouvoir législatif est nécessaire en ce moment comme elle était nécessaire lorsque la loi du 4 avril 1843 a été votée. La loi du 4 avril 1843, semblable en cela à toutes les autres lois d'accise, établit des formalités, des moyens de contrôle, mais elle admet que le gouvernement pourra prendre ou prescrire d'autres dispositions et d'autres formalités que celles qui sont prévues par la loi même. Ainsi, malgré les formalités définies dans la loi, on a compris alors qu'il fallait donner au gouvernement des pouvoirs plus étendus si on voulait que l'accise fut intégralement perçue. On a été beaucoup plus loin : par l'article 70 de la loi de 1843 on a autorisé le gouvernement à établir le chiffre de l'impôt et le régime entier de l'accise pour toutes les autres espèces de sucre qui viendraient à être inventées ans le pays, et c'est en vertu de l'article 70 que l'année dernière, un impôt, dont la quotité a été déterminée par le gouvernement, a été mis sur les glucoses.
La délégation du pouvoir législatif est nécessaire, parce que les moyens de contrôle ne sont pas actuellement tous connus, parce que les procédés de fabrication sont variables. Je vais en donner un exemple.
La loi de 1843 avait voulu deux modes de contrôle : les procédés ont changé de telle manière dans certaines fabriques que le deuxième mode de contrôle est devenu inapplicable, et il a fallu, pour compenser l'absence du contrôle, que le gouvernement contractât un abonnement qui augmentait la prise en charge.
L'industrie du sucre indigène n'a pas encore dit son dernier mot ; il y aura encore des perfectionnements dans les procédés, des changements qui pourraient avoir pour effet d'éluder complétement le régime de la loi, si le gouvernement n'avait pas le pouvoir de mettre ses moyens de surveillance en harmonie avec les procédés nouveaux.
Nous ne voulons pas interdire le progrès ; mais on ne peut pas vouloir non plus que le progrès des procédés devienne une cause d'exemption partielle de l'impôt ; ce qui arriverait inévitablement, si le gouvernement ne pouvait pas suppléer aux dispositions de la loi, s'il ne pouvait pas suivre pas à pas les changements de procédés qui permettraient d'éluder partiellement l'impôt.
Messieurs, veuillez remarquer encore que par l'article 6 cette délégation est limitée. Ainsi le gouvernement peut modifier les dispositions de la loi de 1843 ; mais pourquoi peut-il les modifier ? Uniquement pour assurer la perception intégrale de l'accise. S'il arrivait que les dispositions prises par le gouvernement eussent pour conséquence de détruire ou de compromettre l'équilibre, le gouvernement n'aurait pas fait une application légitime des pouvoirs que nous demandons pour lui, il aurait fait tourner contre l'industrie une disposition qui est exclusivement prise pour protéger le trésor contre les changements éventuels des procédés de la fabrication.
Messieurs, je n'ai pas présents à la mémoire tous les faits qui se sont passés en France ; cependant le vote de la dernière loi que j'ai déjà citée, démontre qu'en France où cette industrie est beaucoup plus ancienne, on a aussi commencé par laisser au régime des ordonnances le soin de fixer le mode de surveillance des fabriques de sucre indigène ; cette loi, en effet, n'est autre chose que la régularisation des dispositions que le gouvernement avait prises, en vertu d'une délégation faite par la loi.
Il y a dans l'article 6 une autre disposition que je considère comme parallèle à celle qui intéresse surtout le sucre indigène. La loi permettra un grand développement d'exportation : il faut donc se prémunir aussi contre les fraudes possibles à l'exportation des sucres, et le gouvernement, à l'égard du sucre exotique, recevra, en vertu de l'article 6, le droit d'empêcher aussi qu'on ne fît passer frauduleusement des sucres d'une catégorie dans une autre.
L'on a déjà parlé plusieurs fois des droits réunis ; l'on a rappelé à la chambre ce qui s'était passé lors de la discussion de la loi des tabacs.
Nous avons en Belgique plusieurs industries qui sont soumises au régime de l'accise, ce régime est d'autant plus sévère que la nécessité en a été même démontrée. Mon but n'est pas d'aller au-delà des nécessités qui seront démontrées, et si le gouvernement allait au-delà, les dispositions qu'il aurait prises et qui doivent être soumises aux chambres, n'obtiendraient certainement pas leur assentiment. Vous avez dans ce recours aux chambres une garantie nouvelle dont l'importance est très grande.
La différence essentielle qui existe entre ce qu'on a appelé autrefois les droits réunis et le régime de l'accise, consiste en ce que l'accise porte sur les industriels à raison de leur profession, tandis que l'impopularité des droits réunis, et l'impopularité que je redoutais, lorsqu'il s'est agi d'établir une accise sur le tabac, consistait à faire peser ce régime sur des populations entières. C'est à ce point de vue que je l'ai combattu et que je le combattrai toujours.
Ici, au contraire, on n'est pas forcé d'être fabricant de sucre de betterave ; mais lorsqu'on exerce cette industrie et que la loi établit un droit de consommation, toutes les opinions, je le répète encore, quelque divergentes qu'elles soient sur d'autres points, doivent vouloir que l'impôt établi par la loi soit réellement et intégralement perçu.
Les faits ont démontré la nécessité de cette délégation. Je ne lirai pas les notes que je possède sur les moyens de fraude, constatés en très petit nombre, soupçonnés en beaucoup plus grand nombre ; je ne les lirai que quand les attaques dirigées contre l'article 6 m'y obligeront.
M. Vanden Eynde. - C'est une menace !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je ne fais jamais de menaces, je donne quelquefois des avertissements ?
Messieurs, si cette délégation essentiellement temporaire m'était refusée, voici la position dans laquelle je me trouverais : Il faudrait, à la session prochaine, lorsque l'expérience serait incomplète, vous apporter les mesures les plus rigoureuses. En effet, lorsqu'il s'agit de consacrer le régime de l'accise par une loi, il faut qu'on soit certain que la loi sera efficace. Si on me contestait cette délégation temporaire, alors que je suis encore occupé de rechercher des moyens moins rigoureux que ceux qu'on a adoptés en France, et avant que j'eusse achevé l'expérience à faire dans la campagne prochaine, on me forcerait de présenter une loi qui contiendrait des moyens efficaces, et, pour avoir ces moyens efficaces, il faut des mesures rigoureuses....
M. Dumortier. - La chambre apprécierait ces mesures !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Oui, la chambre les apprécierait ; mais la question que j'agite dans ce moment est de savoir s'il n'est pas de l'intérêt du sucre indigène que cet examen vienne lorsque le gouvernement aura essayé d'autres moyens moins rigoureux que ceux qui ont été établis en France par la loi du mois de mai dernier.
Ces mesures consistent principalement dans le contrôle des quantités produites ; eh bien, s'il n'est pas démontré à l'évidence par les essais qui seront faits encore, que ce contrôle est le seul moyen d'assurer l'impôt, je serai amendé ou mes successeurs seront amenés, lorsque l'expérience sera complète, à venir présenter, en vertu de l'article 6, pour être converties en lois, les dispositions réglementaires qu'ils auront prises.
L'on disait tout à l'heure à côté de moi : « Les chambres apprécieront. » Mais, messieurs, l'examen des chambres n'est pas exclu par l'article 6, il est, au contraire, formellement réservé ; et de ce que cet examen est réservé, il résulte pour le gouvernement la nécessité de n'user qu'avec ménagement et modération du pouvoir qui lui est accordé.
M. Dumortier. - Vous venez d'entendre M. le ministre des finances, il a déclaré que l'article qu'il propose est une délégation du pouvoir législatif, et l'a déclaré d'une manière formelle. Sous ce rapport il n'a pas biaisé. Ainsi, il est bien reconnu que c'est une délégation du pouvoir législatif qu'on demande à la chambre. Pour justifier cette délégation, on se prévaut de l'article 67 de la loi du 4 avril 1842. Comparez, messieurs, le texte de l'article 67 avec le texte de l'article qu'on vous propose, et vous verrez toute la différence qu'il y a entre l'une et l'autre disposition.
L'article 67 de la loi du 4 avril 1843 porte :
« Le gouvernement est autorisé à prendre ou à prescrire d'autres dispositions et formalités que celles prévues par la présente loi, pour assurer la perception du droit d'accise sur le sucre de betterave, sauf à soumettre lesdites mesures aux chambres législatives dans la session qui suivra la campagne pendant laquelle elles auront été mises à exécution.
« Toute contravention à ces mesures sera punie, suivant sa nature, d'une amende de 50 à 800 fr. »
En vertu de cet article, le gouvernement est autorisé à prendre d'autres mesures, c'est-à-dire des mesures complémentaires ; mais il ne peut modifier aucune des dispositions de la loi. La loi reste telle qu'elle a été votée par le pouvoir législatif, le gouvernement n'est autorisé à la modifier en rien. Que dit-on dans l'article 6 qu'on vous propose ?
« Le gouvernement pourra, selon que l'exigeront les changements des procédés de fabrication, modifier les dispositions de la loi, pour assurer la perception intégrale de l'accise. »
Ainsi, le gouvernement pourra modifier les dispositions de la loi de 1843. Je dis qu'un pareille disposition est contraire à tous les principes constitutionnels ; car le premier principe de droit constitutionnel est que celui-là seul peut changer la loi qui l'a faite. Par cette disposition, le ministre vient déclarer qu'une loi émanée des trois branches du pouvoir législatif, peut être modifiée par une seule branche. Cela est, je le répète, contraire à tous les principes constitutionnels.
Messieurs, si vous aviez la faiblesse d'introduire dans la loi une (page 1751) pareille disposition, vous auriez posé un acte qui, dans l'avenir, peut avoir les plus graves conséquences. Je demanderai aux honorables députés qui ont pris la défense de la loi sur les distilleries ce qu'ils diraient si le gouvernement venait proposer relativement aux distilleries une disposition ainsi conçue ; je lis le texte présenté par M. le ministre : « Le gouvernement pourra, selon que l'exigeront les procédés de fabrication, modifier les dispositions de la loi sur les distilleries. »
Tous et notamment MM. Rodenbach et Desmet se lèveront contre une pareille disposition.,
Si le gouvernement proposait la même disposition à, l'égard des brasseries :
« Le gouvernement pourra, selon que l'exigeront les changements des procédés de la fabrication, modifier les dispositions de la loi sur les brasseries. »
Tous les députés qui ont pris la défense de la loi sur les brasseries se lèveraient contre une pareille disposition.. Nous verrions se lever M. Mast de Vries ? Comment se fait-il qu'il ne se lève pas pour protester contre une disposition qui, si elle était votée, pourrait être étendue aux industries qu'ils ont défendues ?
C'est au reste, on l'a reconnu, une délégation du pouvoir législatif ; or, nous ne pouvons pas, sans manquer à nos devoirs, faire une délégation du pouvoir législatif ; ce serait poser un acte inconstitutionnel, puisque la Constitution veut que les lois soient votées par les chambres, ; la conséquence logique est que les lois ne peuvent être modifiées que par les chambres, que les chambres ne peuvent pas déléguer ce pouvoir.
Il faut avoir une bien grande confiance dans le vote de la chambre, l'escompter d'avance, pour me servir des expressions de M. le ministre, pour présenter à une chambre élue par le peuple une disposition aussi contraire aux principes constitutionnels.
Mais, dit-on, nous voulons des dispositions relatives au contrôle. Pourquoi ne les demandez-vous pas à la législature, ces dispositions ? La législature, qui s'est montrée si dure à l'égard de l'industrie indigène, accordera, ce que vous demanderez de contraire. Mais ce n'est pas un motif pour demander à la législature de se dépouiller de ses droits pour vous en investir. Pourquoi, d'ailleurs, n'établirait-on pas le même contrôle à l'égard des produits de la canne ? Pourquoi ne demandez-vous pas les moyens de contrôler les quantités qu'elle produit ?
M. le ministre des finances (M. Malou). - On ne peut pas le faire !
M. Dumortier. - C'est-à-dire que vous ne voulez pas le savoir, parce que vous voulez lui accorder prime sur prime. Si vous avez un motif pour contrôler le sucre indigène, le même motif doit exister pour contrôler le sucre exotique, afin de savoir le rendement réel, le produit de la décharge à laquelle nous accordons des primes, et ce qui reste de chacun dans le pays. Si donc un contrôle est établi pour l'un, il faut qu'il le soit pour l'autre.
Moi, qui me suis montré l'adversaire des prétentions exagérées du sucre de canne dans cette discussion, si on proposait contre le sucre de canne la disposition dont il s'agit, je la combattrais avec la même chaleur, parce qu'au-dessus du sucre de betterave et du sucre de canne, il y a quelque chose de plus sacré, c'est le pouvoir que nous tenons de la nation ; nous ne devons pas nous en dépouiller en faveur de ministre. La disposition qu'on propose est en opposition formelle avec le texte de la Constitution.
L'article. 67 porte : Le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois, sans pouvoir jamais, ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution.
Vous le voyez, le gouvernement est le pouvoir qui exécute les lois non celui qui les modifie. On demande pour le gouvernement le pouvoir de modifier la loi, quand, aux termes de la Constitution, il ne peut que les exécuter. C'est une violation manifeste de la Constitution, vous ne pouvez y prêter les mains sans abdiquer votre mandat, sans manquer au serment que vous avez prêté en entrant dans cette enceinte. Si des fraudes sont commises, qu'on demande le moyen de les réprimer, mais nous ne pouvons pas déléguer les droits que la Constitution nous a réservés, ni mettre entre les mains du gouvernement un précédent qu'on pourrait étendre à tous les droits d'accise, car le motif qu'on invoque ici peut s'appliquer à tous les droits d'accise ; on viendra vous dire : On fraude dans les distilleries, dans les brasseries, dans les salines ; on finira par demander un blanc-seing pour faire une loi sans l'intervention de la chambre. On dit : La chambre examinera l'année suivante. Mais, ne voyez-vous pas la différence : au lieu de faire la loi, la chambre sanctionnera, elle ne la fera pas ; et encore on dit : La chambre examinera, mais on ne dit pas que si la chambre n'approuve pas, l'arrêté cessera d'être exécuté, que si la chambre rejette le projet de loi, l'arrêté cessera d'être en vigueur ; niais ce n'est pas là la question, la question fondamentale est que la chambre ne peut pas déléguer son pouvoir, l'article 67 de la Constitution s'y oppose, et l'article qu'on nous présente est une violation évidente, manifeste de l'article 67 de la Constitution.
M. de La Coste. - Dans tous les cas, je voterai contre l'article. Il faudrait cependant que M. le ministre des finances fît connaître si nous lui donnons le droit de faire payer quels impôts il jugera à propos.
En France, au mois de mars, quand cette question a été débattue, et que le ministre a élevé la prétention de modifier la base de l'impôt, c'est-à-dire de la prise en charge, on a dit au ministre des finances de France, comme nous pourrions dire au ministre des finances de Belgique : « Nous avons confiance en vous. Mais nous ne connaissons pas vos successeurs, qui pourraient, au moyen de cette disposition, anéantir à leur volonté le sucre indigène. »
Je demande donc si le gouvernement élève jusque-là ses prétentions.
Certainement vous n'admettriez pas cette disposition pour toute autre disposition que celle pour laquelle vous auriez un germe d’hostilité.
Je demande à la chambre de ne pas se prononcer par hostilité et par colère. C'est ainsi que s'obtiennent les plus mauvaises lois.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il s'agit de reproduire en d'autres termes la disposition de la loi de 1843. Il n'y a aucune idée d'hostilité dans cette proposition. J'en ai défini le but, les motifs et le résultat.
Le gouvernement (pour répondre à la question de l'honorable M. de La Coste) n'a pas le droit de détruire l'industrie du sucre indigène, pas même d'aggraver sa condition. Mais il doit prendre toutes les mesures que les faits rendront nécessaires pour qu'une partie de l'impôt ne soit pas éludée.
Telle est la portée de la disposition. Tel est le mandat du gouvernement.
Les industriels doivent tous s'applaudir de voir que le gouvernement a le moyen de neutraliser la protection de fait et d'égaliser les conditions de la concurrence. Il ne faut pas que la déloyauté, la fraude soit un moyen de nuire aux concurrents qui remplissent strictement leurs devoirs envers la loi.
Plusieurs membres. - La clôture !
M. Dumortier. - Véritablement il s’agit ici d'une disposition exorbitante. Je pense que la chambre ne peut clôturer, surtout quand le ministre dit qu'il veut reproduire la disposition de la loi, alors que j'ai démontré que dans la première loi il n'était question que d'une disposition complémentaire, tandis qu'ici il s'agit de modifier la loi tout entière.
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
L'article 6 est mis aux voix par appel nominal. Voici le résultat du vote.
Nombre des votants, 65.
45 membres votent pour l'adoption.
20 votent contre.
La chambre adopte.
Ont voté pour l'adoption : MM. Donny, Dubus (Albéric), Fallon, Huveners, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Van Cutsem, Verwilghen, Veydt, Vilain XIIII, Wallaert, Anspach, Cans, Coppieters, d’Anethan, David, de Bonne, Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Naeyer, de Roo, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq et de Villegas.
Ont voté contre : MM. Dumortier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Lange, Savart, Sigart, Thyrion, Vanden Eynde, Biebuyck, Castiau, Clep, de Breyne, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de la Coste,, de Meester, de Renesse, de Sécus, de Tornaco et Zoude,
« Art. 7. L'apurement des prises en charge aux comptes ouverts pour sucre de canne ou de betterave, résultant de documents délivrés antérieurement au 1er juillet 1846, aura lieu conformément à la loi du 4 avril 4845. n
M. le ministre des finances (M. Malou). - Une question a été réservée., celle de la date d'exécution de la loi. Je propose d'insérer la date du 1er juillet prochain. Cette loi, fût-elle votée par le sénat à une date postérieure, ne serait pas encore rétroactive. D'abord, j'ai déjà eu l'occasion de faire remarquer que le seul point de départ qu'on puisse prendre, en fait de législation sur les sucres, est la date de prise en charge, alors seulement le sucre entre réellement dans le système de l'impôt.
Je citerai un fait qui est tout en faveur de l'industrie du sucre indigène. Depuis que la betterave existe en Belgique, on n'a jamais eu de prise en charge à faire à cette époque de l'année.
Ce fait résulte des registres de l'administration.
En France, messieurs, presque toujours l'on a reporté à la date du 1er juillet les lois relatives à l'industrie du sucre indigène.
Si la question de rétroactivité devait être agitée, je dirais qu'il y a à cet égard un précédent digne de toute l'attention de la chambre.
En 1838, la loi du 8 février a reporté la législation nouvelle au 30 décembre précédent à midi, et la chambre a terminé le vote de la loi seulement au 31 décembre.
En effet, messieurs, il s'agit ici de régler la redevabilité et la résiliation. Or, on conçoit fort bien qu'à une date déterminée, puisse et doive même naître dans son entier le régime de la loi. Toutes les parties en sont tellement liées ensemble qu'il serait impossible de donner deux dates différentes à des ordres différents, à des dispositions diverses.
M. Dumortier. - Messieurs, après ce qui vient de se passer, il me faut beaucoup de courage pour prendre encore la défense du sucre indigène. Mais je remplirai mon devoir jusqu'à la fin et je dirai quelques mots en réponse aux observations de M. le ministre des finances.
Vous savez tous, cela a été constaté dès l'origine des débats, que cette année, par suite des circonstances qui vous ont été indiquées, on a planté beaucoup plus de betteraves que les années précédentes. Ces plantations (page 1752) ont eu lieu ; et il ne peut dépendre de personne que la chose ne soit pas ainsi.
Non seulement les fabricants de sucre qui cultivent leurs propres terres, mais une foule de cultivateurs ont planté des betteraves. Ces derniers ont agi ainsi dans la double perspective de vendre d'une part leurs produits aux sucreries indigènes, et de pouvoir, d'une autre part, si la maladie des pommes de terre avait recommencé, se servir de betteraves pour nourrir leurs bestiaux. C'est là le motif principal pour lequel cette année la betterave a été plantée en beaucoup plus grande quantité que les autres années.
Jusqu'ici, la maladie des pommes de terre ne s'est pas déclarée ; dès lors la betterave devra nécessairement être livrée aux sucreries.
Il me paraît donc incontestable qu'en adoptant la date que propose M. le ministre des finances, vous voterez, dès aujourd'hui, le droit de 40 fr.
M. le ministre des finances (M. Malou). - C’est de l'exagération.
M. Dumortier. - De l'exagération ! Toutes les exagérations sont chez M. le ministre des finances. Les exagérations sont dans la bouche de ceux qui, comme le ministre, viennent le lendemain donner un démenti à leurs paroles de la veille : les exagérations sont chez ceux qui viennent demander à la chambre de se dépouiller de son droit législatif : les exagérations sont dans les erreurs qu'on n'a cessé de faire valoir, dans le système de mauvais avocat qu'on n'a cessé de défendre.
Je vous ai indiqué, messieurs, les motifs pour lesquels la plantation de la betterave a été beaucoup plus considérable cette année que les précédentes.
Si vous voulez tuer la betterave, ayez le courage d'adopter le système de l'honorable M. Smits, que vous avez combattu. Car l'honorable M. Smits, en tuant la betterave, proposait de lui accorder une indemnité. Il rachetait les sucreries de betterave. Mais tuer une industrie sans lui donner d'indemnité, c'est manquer de loyauté. Or, je dis que l'adoption de la date proposée serait manifestement la mort du sucre indigène.
Je voterai donc contre cette date, qui ferait de la loi une véritable loi rétroactive, car les plantations ont eu lieu avant le vote de la loi, et puisqu'elles ont eu lieu, il faut qu'elles puissent servir à leur destination.
M. de Corswarem. - Messieurs, je ne puis que répéter en d'autres termes ce que vous a dit l'honorable M. Dumortier.
Les fabricants de sucre de betterave ne possèdent pas assez de terres pour produire toutes les racines dont ils ont besoin, d'autant plus qu'on ne peut faire produire tous les ans ces racines aux mêmes pièces. Il faut au moins deux années d'intervalle. Ainsi il a été constaté qu'en moyenne on plantait chaque année 1,900 hectares de betterave. Il faudrait donc que les fabricants possédassent 5,700 hectares pour pouvoir retirer de leurs propres terres les produits dont ils ont besoin. Aussi n'en est-il pas ainsi.
Ils font accord avec des fermiers dès le mois de septembre ou d'octobre ; ce sont de vrais forfaits. Ces fermiers s'engagent à fournir dans la saison telle ou telle quantité de betteraves. C'est donc depuis le mois de septembre ou d'octobre dernier qu'on a préparé les terres pour récolter sur le pied des engagements qui ont été pris.
Aujourd'hui, que les fabricants veuillent mettre ou non les betteraves en œuvre, les cultivateurs, qui se sont engagés à les fournir, les obligeront à les prendre, ils en exigeront le payement. Si donc la loi est immédiatement applicable, il est évident qu'elle aura un effet rétroactif, et je propose formellement de reporter la date de la mise à exécution au 1er juillet 1847.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Qu'est-ce qu'il y aura dans l'intervalle ?
M. de Corswarem. - La loi de 1843. La loi en vigueur restera en vigueur. Ceux qui ne voudront plus fabriquer sous le régime de la loi nouvelle ne feront plus d'accord avec les fermiers au mois de septembre prochain. Mais ceux qui ont fait de ces accords au mois de septembre dernier ont cru qu'ils fabriqueraient non seulement sous le régime de la loi de 1843, mais sous le régime d'une loi beaucoup plus favorable, tandis que le contraire est arrivé.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'impôt, quel qu'il soit, atteint toujours des faits existants. Ainsi on parle des betteraves qui sont semées ; mais si, par exemple, un commerçant a acheté des sucres à la Havane et si ces sucres sont en mer, est-ce que vous n'atteignez pas un fait actuel ?
Messieurs, veuillez-vous rappeler ce qui s'est passé pour la loi de 1843. Un navire n'a pu atteindre le port assez tôt, par suite de circonstances de force majeure démontrées, et la chambre à l'unanimité dans les sections a demandé le rejet d'une proposition qui tendait à prendre en considération ces circonstances. Ainsi on a atteint des faits qui s'étaient passés antérieurement à la loi et qui n'avaient pu se réaliser complétement par suite de force majeure.
J'ajoute que la culture, d'après tous les renseignements que l'administration possède, ne s'est pas développée, qu'elle est restée stationnaire et que le régime de la loi nouvelle est plus favorable à la betterave que ce qui existait auparavant.
M. Eloy de Burdinne. - L'honorable ministre des finances est dans l'erreur, messieurs, lorsqu'il soutient que la loi n'aura pas d'effet rétroactif. Elle aura certainement un effet rétroactif, car des engagements sont pris envers les cultivateurs de betterave, à raison de tant par mille kilogrammes, et il en résultera de nombreuses contestations entre les fabricants et les cultivateurs. Il y a plus, messieurs, à l'heure qu'il est, les dispositions sont déjà faites pour la culture des betteraves qui doivent être récoltées en 1847 ; les engrais sont préparés ,et ces engrais sont d'une espèce particulière, c'est un mélange de chaux et de terre qui ne peut servir qu'à la culture de la betterave parce qu'il coûte trop cher pour être employé à une autre culture.
L'honorable ministre dit aussi que les conditions de l'industrie indigène seront meilleures, il trouve que la loi actuelle sera un bienfait pour le sucre de betteraves ; oui, messieurs, elle sera un bienfait, comme c'est un bienfait pour celui qui est en proie à de grandes souffrances, de trouver la mort. (Aux voix ! la clôture !)
- La discussion est close.
L'amendement de M. de Corswarem est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
La chambre décide ensuite que la loi recevra son application à partir du 1er juillet prochain. L'article 7 est mis aux voix et adopté. Il est ainsi conçu :
« Disposition transitoire.
« Art. 7. L'apurement des prises en charge aux comptes ouverts pour sucre de canne ou de betterave, résultant de documents délivrés antérieurement au 1er juillet 1846, aura lieu conformément à la loi du 4 avril 1843.»
M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer le second vote ?
Plusieurs membres. - A demain !
D'autres membres. - A après-demain !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ferai une motion relativement à l'ordre du jour. La chambre a fixé à la suite de la loi des sucres, le projet de loi relatif à la fabrication des espèces d'or ; je demanderai que dans tous les cas la discussion de ce projet ne vienne qu'après le vote définitif de la loi des sucres.
On pourrait utiliser la séance de demain en s'occupant, par exemple, de la loi relative à la vente de biens domaniaux, de la loi relative au transit des cordages et de quelques autres lois de moindre importance.
M. Dumortier. - De rapports de pétitions.
M. le président. - Il y a le rapport concernant le chemin de fer de Bruxelles à Gand par Alost.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il peut donner lieu à une longue discussion.
M. le président. - Nous mettrons en premier lieu le projet relatif à la vente des biens domaniaux, à l'égard duquel il n'y a pas de contestation. (Assentiment.)
M. Desmet. - Si l'on juge convenable de ne pas discuter demain le projet de loi relatif à la fabrication des monnaies d'or, je ne m'oppose pas à ce qu'on diffère cette discussion, mais je ne vois aucun motif pour ajourner la discussion du rapport de M. le ministre des travaux publics sur le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Dans tons les cas, je demande que le second vote de la loi des sucres soit mis à jour fixe ; il est de l'intérêt de toutes les opinions qu'il en soit ainsi ; je désirerais donc qu'il fût entendu que si la discussion dont l'honorable M. Desmet vient de parler, n'était pas terminée demain, on commencerait néanmoins la séance de vendredi par le second vote de la loi des sucres. (Adhésion.)
M. Lejeune. - J'insiste pour la mise à l'ordre du jour du projet de loi relatif aux cordages ; ce projet ne donnera lieu à aucune discussion, et la législation actuelle viendrait à cesser si le projet n'était pas voté avant la fin de la session.
M. Desmet. - Je demande que ce projet ne vienne qu'après la discussion du rapport sur le chemin de fer d'Alost.
- La chambre décide qu'elle s'occupera demain du rapport sur le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand, et ensuite du projet de loi relatif au transit des cordages.
M. Desmaisières. - Messieurs, par suite du mauvais état de la santé de notre honorable collègue, M. d'Elhoungne, je suis chargé de vous présenter le rapport concernant la convention commerciale avec la France.
Des membres. - Quelles sont les conclusions ?
M. Desmaisières. - Le projet a été adopté par cinq voix contre deux.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je demanderai que cet objet soit mis à l'ordre du jour de lundi prochain, en tant toutefois que le second vote de la loi des sucres soit terminé, ce qui me paraît extrêmement probable.
M. de Haerne. - Je désire que l'on commence le plus tôt possible la discussion de la convention conclue avec la France. Cependant je crois qu'il ne serait pas conforme aux antécédents de la chambre d'entamer une discussion aussi importante un lundi. Ordinairement la séance du lundi commence tard, et peu de membres sont présents. Je proposerai de fixer cet objet à mardi. Tous les projets à l’ordre du jour ne seront pas terminés lundi, et dès lors ce que je propose n'entraînerait aucune perte de temps.
(page 1752) M. Rodenbach. - Je crois, messieurs, que nous devons fixer cette discussion a lundi prochain. L'objet est très urgent. L'honorable député de Courtray dit qu'on ne peut pas examiner le traité lundi ; mais, messieurs, la discussion ne sera pas terminée en une seule séance. Il y aura une discussion générale qui sera nécessairement longue ; il y aura même comité secret, car le gouvernement a annoncé qu'il nous ferait des communications diplomatiques. Je demande que la discussion commence lundi prochain à 2 heures.
M. de Tornaco. - Messieurs, je ferai remarquer qu'il est d'usage de ne pas fixer l'ordre du jour, avant qu'on ait pris connaissance du rapport. Nous ne savons pas encore quelles sont les pièces qui sont annexées au rapport ; les membres seuls de la section centrale peuvent en avoir un aperçu. Je désire que la chambre ne s'écarte pas de l'usage qui a été suivi jusqu'à présent. Je demanderai que l'ordre du jour ne soit fixé qu'après que la distribution du rapport aura été faite.
- La chambre n'était, plus en nombre, il n'est pas pris de décision.
La séance est levée à 4 heures 3/4.