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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 20 juin 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Vilain XIIII.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1715) M. Dubus (Albéric) procède à l'appel nominal à midi et quart.

M. Huveners donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus (Albéric) présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Zarren demande l'union douanière avec la France. »

« Même demande de plusieurs habitants de Wetteren. »

- Renvoi au ministre des affaires étrangères avec demande d'explications.


« L'administration communale de Kerkxken présente des observations en faveur du chemin de fer projeté de Bruxelles à Gand par Alost, dont elle demande la construction. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport fait par M. le ministre des travaux publics.


« Les avoués près le tribunal de première instance à Anvers prient la chambre de s'occuper du projet de loi qui modifie les tarifs en matière civile. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Delehaye dépose plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation.

- Il est donné acte à M. le rapporteur de la présentation de ces rapports, qui seront imprimés et distribués.

Projet de loi sur les sucres

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - La discussion continue sur l'article premier. La parole est à M. de La Coste, pour présenter un amendement.

M. de La Coste. - Messieurs, l'amendement que je vais avoir l'honneur de vous présenter, est le complément de celui que j'ai déposé hier.

Le chiffre que nous allons fixer à l'article premier ne décide absolument rien. Ce n'est qu'un point de départ. Car la valeur réelle de ce chiffre ne sera fixée qu'à l'article 5, proposé par M. le ministre.

Messieurs, c'est en partant de ce point de vue que je vous propose, comme complément de mon amendement, un amendement à l'article 5, et il est absolument nécessaire que je vous en donne connaissance pour que vous entendiez pourquoi je propose le chiffre de 28 fr.

Je ne m'opposerais pas, messieurs, au chiffre de 30 fr. si c'était un chiffre définitif. Il y aurait alors compensation. Mais comme ce n'est pas un chiffre définitif, comme ce n'est qu'un point de départ, je pense qu'il faut prendre le point de départ un peu plus bas, non pour rester plus bas, pour arriver même plus haut, niais pour n'y arriver que graduellement.

Messieurs, je suis forcé, mais je serai très court, de dire un mot sur l'article 5, en connexité avec l'article premier.

C'est une idée qui peut séduire jusqu'à un certain point de fixer l'augmentation sur le sucre indigène, en proportion de l'augmentation de la production. Mais cette idée a rencontré des objections tellement fondées, que je crois qu'il est impossible de la prendre pour guide.

D'abord, messieurs, une seule récolte plus favorable qu'une autre, comme celle-ci promet de l'être, peut faire dans la production une différence de 25 à 30 p. c. Eh bien, qu'une circonstance semblable se rencontre, et voilà la production indigène chargée pour l'avenir d'une augmentation considérable, d'une augmentation qu'elle ne pourra pas supporter. Or, il serait injuste que la production restât grevée pour l'avenir, à raison d'une circonstance purement accidentelle.

Il serait encore injuste, messieurs, que la production fût victime de manœuvres qui sont très possibles. Il est possible de supposer ou des imprudences ou des manœuvres qui auraient pour but d'amener un droit plus élevé.

Il y a plusieurs fabriques, messieurs, qui ont suspendu leurs travaux. Ces fabriques sont à la disposition de quiconque en voudra payer un loyer, et on peut augmenter la production, soit par une spéculation imprudente, soit par une spéculation très prudente, dans la vue de détruire ou de limiter considérablement la fabrication indigène. Eh bien, messieurs, un principe qui conduit là, ne peut pas, selon moi, être admis.

Il me semble que l'on pourrait tirer parti de la proposition de l'honorable M. Manilius. Cette proposition procède d'une manière beaucoup trop brusque ; mais en opérant graduellement, la proposition pourrait avoir de l'utilité.

En effet, en liant plus ou moins l'augmentation progressive de l'impôt sur le sucre indigène à l'augmentation du rendement, on rentrerait dans l'idée qui a dicté à M. le ministre les propositions qu'il nous a faites ; les deux industries remonteraient ensemble l'échelle qu'il leur a fait descendre.

Ensuite, l'augmentation graduelle des droits éloignerait l'époque où une nouvelle augmentation serait nécessaire, l'époque où les 3 millions ne seraient plus atteints. Il y aurait donc une base d'accord ; au lien d'intérêts divergents, il y aurait un intérêt commun aux deux industries.

Je pense qu'il faut encore, pour l'intelligence de mon amendement, remarquer ceci : Nous en sommes arrivés maintenant à avoir le rendement de 72 1/2, non plus comme un point de départ, mais en quelque chose comme maximum ; car, si l'on adopte la limite posée par l'honorable M. Mast de Vries, ce sera encore là, à peu près, le maximum. Je ne sais pas trop si l'on pourra admettre cette limite ainsi déterminée ; car ce serait nous mettre dans cette singulière position de faire dépendre notre loi financière des lois financières d'un autre pays. D'ailleurs, il y aurait beaucoup d'incertitude et d'équivoque, car, de quel Etat limitrophe s'agirait-il ?

En France, le rendement est réglé tout autrement qu'il ne l'est en Hollande ; il est soumis à d'autres conditions, car il faut que le sucre soit importé sous pavillon français pour qu'il puisse jouir de la décharge à l'exportation.

Ainsi, sans m'opposer en principe à cet amendement, j'y vois beaucoup de difficultés de forme et de convenance, et je crois qu'après avoir mûrement réfléchi, nous en viendrons peut-être à dire que s'il devient nécessaire d'augmenter encore le rendement, il faudra que la loi intervienne.

Eh bien, je désirerais également que s'il faut porter le droit sur le sucre indigène au-delà d'un certain taux, on ne puisse le faire sans une loi. Au moment où cette loi devrait être votée, nous connaîtrons beaucoup de faits que nous ignorons aujourd'hui ; beaucoup de théories se seront traduites en faits et auront été jugées par les faits.

Je pense, messieurs, que ce que je viens de dire, suffit pour expliquer l'amendement que je vais avoir l'honneur de présenter.

Voici cet amendement :

« Lorsqu'il y aura lieu de modifier la décharge en vertu de l’article 4, le droit d'accise sur le sucre de betterave sera en même temps augmenté d'un franc par chaque franc de réduction que subira la décharge pour autant que la production annuelle de ce sucre, depuis la publication de la présente loi, excède 4,200,000 kilog.

« La production sera calculée d'après les prises en charge pendant une période de 12 mois, commençant avec la mise en vigueur de la loi, et, en moyenne, si plus d'une période semblable est écoulée.

« Le droit ne pourra être porté au-delà de 32 fr. que par une loi spéciale. »

Voilà, messieurs, pourquoi je prends pour point de départ le chiffre de 28 ; c'est pour arriver graduellement au chiffre de 32, qui correspondrait alors au rendement de 72, sauf, lorsqu'on serait arrivé d'un côté au chiffre de 32, de l'autre au chiffre de 72, à consulter de nouveau la législature.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'honorable M. de la Coste a déposé dès à présent un amendement à l'article 5, pour mieux faire comprendre à la chambre dans quelle pensée il avait proposé 28 fr., au lieu de 30 fr., à l'article premier. Je crois ne pas devoir entrer actuellement dans la discussion de cet amendement, parce qu'évidemment au lieu de la discussion d'un article nous entamerions la discussion de tous les articles à la fois. J'attends donc que nous soyons arrivés à l'article 5, pour répondre aux observations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. de La Coste.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je ne m'écarterai pas de l'article premier, auquel je proposerai un amendement. J'espère que cet amendement ralliera mes adversaires, et que nous pourrons nous entendre sur les moyens propres à faire marcher ensemble les deux industries. Voici mon amendement :

« J'ai l'honneur de proposer de frapper d'un droit d'accise de 45 fr. le sucre indigène, et de 60 fr. le sucre exotique (vous voyez, messieurs, que je soigne les intérêts du trésor), lorsqu'ils seront importés par navires belges, des lieux de production ; et de 85 fr. par 100 kilog., lorsque ces sucres seront importés par navires étrangers. »

(Vous voyez, MM. les armateurs, que je vous donne une protection de 25 fr. par 100 kilog. de sucre importé par pavillon national.)

« Quant aux sucres importés d'autres lieux que les pays de production, le droit sera de 70 fr. par 100 kilog., importés par navires belges et de 95 fr. par navires étrangers. »

J'accorde toujours 25 fr. de protection à nos navires.

Je demanderai la permission de développer mon amendement.

Un membre. - C'est votre droit.

M. Eloy de Burdinne. - Si cet amendement n’est pas approuvé par la chambre, j'en ai un autre qui lui conviendra peut-être mieux.

Messieurs, désireux de satisfaire les défenseurs des diverses industries, aussi bien que les intérêts du trésor le permettent, ayant (page 1716) entendu dans diverses occasions la comparaison de la législation belge avec la législation française, ayant aussi inféré des diverses opinions émises par les défenseurs des raffineries de sucre que la loi française serait de leur goût, je crois faire quelque chose de nature à les satisfaire, en vous proposant un amendement qui se rapproche de la législation française. Par mon amendement, j'espère satisfaire mes honorables collègues qui défendent les intérêts de la navigation ; on ne dira plus que je ne veux favoriser que les ouvriers qui travaillent à la bêche ou les petits travailleurs, les pauvres en un mot, à l'exclusion des riches industriels et des armateurs, et en cette circonstance j'espère satisfaire nos honorables collègues MM. Roger et Desmaisières, mon amendement donnant à notre navigation et à nos riches commerçants une prime de 25 fr. par 100 kilog. de sucre qu'ils importeront de pays de production sur l'étranger qui voudrait concourir avec eux.

On veut l’égalité de droit, je le voudrais aussi, si notre position était identique avec la position de la. France et aux mêmes conditions.

En France le droit est égal et sur le sucre de canne et sur le sucre de betterave ; oui, il est égal sur le sucre de canne de provenance française.

Et il est rationnel de traiter l'un et l'autre sucre de la même manière, étant tous deux de provenance du royaume ou de ses colonies auxquelles en impose l'obligation de s’approvisionner en France. Si un jour nous avons des colonies, alors nous frapperons du même droit les deux sucres, aux conditions imposées par la loi française.

Mais la France frappe les sucres de provenance étrangère d'un droit de douane de 60 fr. les 100 kilogrammes importés par navire français, et de 85 fr. importés par navire étranger.

Et remarquez, messieurs, que le Zollverein frappe du droit de 37 30, l’Angleterre de 155 03 et les Etats-Unis de 30 00 les sucres étrangers par 100 kilogrammes.

D’après ce qui précède, on doit reconnaître que les autres nations entendent leurs intérêts beaucoup mieux que la Belgique ; elles savent soigner les intérêts des produits du sol ou de leurs colonies, en même temps que les intérêts du trésor.

L'industrie de la fabrication du sucre indigène s'améliore tous les jours. En premier lieu 100 litres de jus étaient estimés devoir donner 4,000 grammes de-sucre, puis 1,200 ; en 1842 le produit a été porté à 1,230. ; en 1846 il est porté à 1.,400 grammes.

Le progrès de la fabrication du sucre de betterave est la cause de la discussion sur le rendement. On veut que le rendement soit augmenté par le gouvernement, afin d'éviter que le sucre de betterave vienne faire une trop forte concurrence au sucre colonial.

Le droit sur le sucre en France est de 49 30 par 100 kilog., égalité de droit sur le sucre de betterave et colonial indigène.

Le rendement a été fixé à la majorité de 12 voix à 1,400 grammes par 100 litres de jus.

N. B. Le droit de douane sur le sucre étranger est en France de 60fr. par 100 kilog., importé par navire français, et 85 francs par navires étrangers.

Si la proposition que j'ai l’honneur de vous faire ne vous satisfait pas, j'en ferai une subsidiaire.

Je proposerais de supprimer l'accise sur le sucre, et comme M. le ministre veut obtenir 3 millions de recette sur la consommation du sucre, ce qui ne se réalisera pas, d'après son projet de loi, pas plus que la recette de 5 millions que devait donner la loi de 1822, et qui fut réduite à moins de 300 mille francs en 1836.

Et pour obtenir les trois millions que réclame le gouvernement,, je proposerai de frapper les sucres étrangers d'un droit d'entrée de 5 fr. par 100 kilog. importés par navire belge venant des lieux de production, et de 12 fr. par navire étranger ou venant par navire belge d'ailleurs que des pays de production.

Bien entendu, qu'à l'exportation le droit de douane sera restitué à raison de 6 fr. par 100 kilogrammes de sucre exporté ayant éprouvé l'opération du raffinage ou du semblant de raffinage.

Le droit de douane ne rapportera sûrement pas trois millions de francs. L’importation de sucre exotique-sera d'environ 10 millions de kilogrammes de sucre pour complétée l'approvisionnement de la Belgique. Donc 3 millions de fr. au plus par navire belge des lieux de production au droit de 6 francs, le trésor recevra, 180,000 fr.

7 millions seront importés au droit de douze francs par 100 kilos. La recette sera de 840,000 fr.

Ensemble, 1,020,000 fr., chiffre bien supérieur aux recettes de l'Etat en 1840,1841,1842 et 1843, sous l'empire de la loi qui exigeait la retenue d’un dixième.

La recette en 1840 fut de 886 mille fr., en 1841 de 710 mille fr., en 1842 de 741 mille et en 1845 de 863 mille fr. je vous en offre plus d'un million.

M. le ministre ne voudra pas se contenter de 1 million 20 mille francs de recette, il en veut 3 millions ; qui veut la fin doit vouloir les moyens. M. le ministre veut la fin, il veut aussi les moyens, j'aime à le croire, mais je lui prédis que son vouloir ne se réalisera pas.

Si, contre mon attente, la fabrication du sucre indigène peut se soutenir, ce dont je doute, en adoptant la loi qui nous est soumise, l'Etat recevra 1 million 80 mille francs d'impôt sur le sucre indigène ; et sur le sucre exotique ; il ne recevra rien, et ce résultat donnera le démenti le plus formel aux prévisions de nos ministres des finances et du commerce.

Je le démontrerai lorsque nous discuterons l'article 3 du projet.

Mais, nous dira le ministre des finances, nous augmenterons le rendement, c'est-à-dire que vous devrez provoquer une nouvelle disposition législative et recevoir vos anciens administrés, et peut-être vos administrés futurs, qui vous entraîneront à présenter un nouveau projet de loi qui sera de nature à tenir la chambre quinze jours au moins occupée de nouveau à la discuter, et qui, adoptée, donnera lieu à une nouvelle présentation de loi.

Croyez-moi, messieurs, faisons du définitif pour qu'une bonne fois nous en terminions avec ces deux industries qui, selon moi, sont inconciliables ; et sur ce point, je me trouve heureux de me rencontrer avec l'honorable M. Rogier, ci-devant mon ami, mais mon adversaire depuis la loi des céréales qui lui procure le doux plaisir de me mettre en parallèle avec l'honorable sir Robert Peel ; sans doute en vue de faire ressortir la différence qui existe entre un homme éminemment supérieur et un bon campagnard qui, d'après l'opinion de l'honorable député d'Anvers, ne connaît que des intérêts agricoles, et qui veut protéger la presque totalité des classes pauvres du pays au détriment, il est vrai, de quelques marins et de quelque centaines de portefaix attachés au port de mer d'Anvers, à qui l’honorable député d'Anvers a accordé ses sympathies, lui qui, en vue de favoriser le travail de 13 cents à 2 mille ouvriers au plus, veut sacrifier le travail d'un million d'individu de la classe ouvrière appartenant aux communes rurales et aux petites villes ! Sûrement par le motif indiqué par un de ses bons amis que 99 centièmes de l'intelligence doit être attribuées aux habitants des grandes villes !

M. le président. - Vous n'avez pas déposé votre second amendement.

M. Eloy de Burdinne. - Ce n'est que subsidiairement que je présente cet amendement. Si le premier n'est pas adopté, je proposerai le second.

M. le président. - Quand la discussion est close, on ne peut plus présenter d'amendement.

M. Eloy de Burdinne. - Je vais le déposer.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne m'occuperai pas en ce moment des propositions de l'honorable M. Eloy de Burdinne. Si je demande la parole, c'est pour relever une expression que l'honorable membre vient de reproduire pour la seconde fois, et que je considère comme blessante, comme injuste. Il a dit que si le projet était adopté, j'aurais l'occasion de recevoir encore bientôt mes anciens administrés et mes administrés futurs.

Il est vrai que depuis que la question est pendante, j'ai reçu mes anciens administrés, plusieurs d'entre eux du moins ; mais j'y ai reçu au moins aussi souvent, plus souvent peut-être les intéressés à la fabrication du sucre indigène.

Je conçois mes devoirs en ce sens, qu'avant de présenter aux chambres un projet de loi qui embrasse des intérêts compliqués et graves comme celui qui nous occupe, je conçois ainsi les devoirs du gouvernement, il est conforme à l'esprit de nos institutions d'entendre ces intérêts, puisque. le gouvernement constitutionnel, comme on l'a si bien défini ailleurs, n'est que la consultation perpétuelle de tous les intérêts.

Si donc le projet qui vous est soumis ne donnait pas provisoirement une solution définitive à la question, c'est-à-dire si la question devait reparaître plus tôt que je ne le prévois, je recevrai ceux qui ont été mes administrés, et ne le seront très probablement plus, mais j'écouterai avec la même attention toutes les personnes qui sont intéressées à la fabrication du sucre indigène.

M. Loos, rapporteur. - J'avais demandé la parole hier à la fin de la séance, pour m'occuper des amendements présentés. Depuis hier, trois nouveaux amendements viennent d'apparaître. Je vous avoue que je ne sais desquels je dois m'occuper ; car s'il fallait m'occuper de tous, je crois que mes forces seraient insuffisantes. Hier, le sucre de betterave se contentait d'une position modeste. Il venait dire : Rendez-nous cette position prospère, nous ne voulons pas nous étendre ; nous renoncerons même à l'exportation pour que notre position actuelle soit rendue prospère.

Beaucoup de producteurs de sucre de betterave tenaient ce langage, au dire de l'honorable M. de La Coste ; ils renonçaient à l'exportation pourvu qu'on voulût rendre prospère la part qu'ils réclamaient dans la consommation. Depuis lors les idées semblent être bien changées. Aujourd'hui ce n'est plus une part modeste dans la consommation du pays, ce qu'on réclame, c'est une part aussi, large que possible sur le marché, au moyen d'un droit élevé, une protection tellement grande dans la consommation intérieure que bientôt le marché serait entièrement envahi, qu'il n'y resterait plus de place pour le sucre exotique. Dès lors vous comprendrez qu'il ne s'exporterait plus. Cela est évident.

J'étais d'accord avec l'honorable M. de la Coste, dans la section centrale. Quand il s'est agi de la question de savoir si la décharge à la sortie devait être la même pour les deux sucres, j'étais de l'opinion de l'honorable M. de La Coste ; car si vous n'admettez pas le sucre indigène à l'exportation avec la même restitution que le sucre exotique, le sucre indigène devra nécessairement encombrer le marché intérieur.

(page 1717) Le gouvernement propose une protection de 15 fr. ; mais on trouve cette protection insuffisante ; M. de Corswarem demande qu'elle soit élevée à 20 fr. ; M. de La Coste demande qu'elle soit élevée à 17 fr. Enfin l'on ne se borne plus au marché intérieur, avec une production limitée ; mais, en acceptant les conditions du gouvernement, on veut concourir avec le sucre exotique sur le marché extérieur. Tout cela ne tend qu'à un but, la suppression du sucre exotique. La coexistence était admise par quelques-uns. Pour ma part, je l'ai franchement admise. J'invoque à cet égard le témoignage de l'honorable M. de La Coste ; il sait la modération que j'ai apportée à la section centrale. Je crois qu'il est venu lui-même avec des vues de conciliation, mais il s'est produit à la section centrale une proposition qui, j'en suis persuadé, a été envisagée par l'honorable M. de La Coste comme exagérée. Quelle était cette proposition ? On demandait une protection de 20 fr. Un honorable membre de la section centrale est venu faire une proposition de 50 fr. pour le sucre exotique et de 30 fr. pour la betterave.

M. Eloy de Burdinne. - C'est moi qui ai eu cet honneur-là.

M. Loos, rapporteur. - Cette proposition a été envisagée comme exagérée par quelques membres de la section centrale ; et je crois que l'honorable M. de La Coste était du nombre. Il est bien vrai qu'il a voté pour cette proposition ; mais c'est en quelque sorte par l'exagération qu'il prétendait exister dans l'opinion de ses adversaires.

Ce qu'on envisageait comme exagéré dans la section centrale se reproduit aujourd'hui dans cette enceinte. On ne s'en contente même pas.

L'honorable M. de Corswarem propose 20 fr. pour le sucre indigène, alors que le sucre exotique serait frappé d'un droit de 45 fr. Ce n'est donc plus, vous le voyez, la coexistence que l'on veut. Cette coexistence qu'on prétendait ne pas être dans nos intentions, ne se trouve plus dans l'intention de nos adversaires. Si la modération se produit dans cette enceinte, c'est de la part du sucre exotique ; car qu'a-t-il demandé ? Il a dit que l'état des raffineries ne permet pas de produire au-delà de 68 p. c.

En dehors de cela, il n'est pas venu contester le chiffre de l'accise. Il a admis le chiffre de 45 fr. Il n'est pas venu vous réclamer un rendement aussi bas que celui dont il avait joui jusqu'alors. Il est entré dans les vues du gouvernement. Il a cherché à mettre d'accord et les prétentions du gouvernement et la coexistence des deux sucres.

Le gouvernement a déclaré qu'il lui fallait 3 millions. Le sucre exotique, a franchement admis cette prétention du gouvernement. Il lui a dit : L'état de nos raffineries ne nous permet pas de supporter pour le moment un rendement plus élevé que 68, mais nous admettons des perfectionnements, nous admettons que ces perfectionnements pourront entamer une partie de notre revenu, et dans cette conviction nous admettons que vous éleviez le rendement, afin que les 3 millions soient toujours saufs.

. Que disent nos adversaires ? Ils ne tiennent pas compte de la prétention du gouvernement. Le gouvernement croyait qu'il fallait imposer de 38 fr. le sucre indigène ; nos adversaires viennent proposer 25 fr.

Ainsi vous voyez que, du côté de nos adversaires, des trois intérêts qui sont en présence ils n'en admettent qu'un et c'est le leur. Car on veut réduire le chiffre de l'accise pour le sucre indigène à un taux tellement bas que réellement le gouvernement n'atteindrait pas les 3 millions, à moins de tout prendre sur le sucre exotique et de lui contester ainsi son existence.

Messieurs, je vous avouerai franchement que toutes ces exagérations jettent beaucoup de découragement dans mon esprit. Je vois une chose, c'est qu'on tend à supprimer le sucre exotique, et à retirer au commerce à peu près le seul aliment qui lui reste encore. Mais dans ce cas, faites de plus grandes économies. Vous consacrez encore au commerce des sommes plus importantes. Retirez-les-lui, et dites que le commerce vivra comme il pourra.

M. le président. - Voici le second amendement de M. Eloy de Burdinne.

« J'ai l'honneur de proposer de supprimer l'accise sur les sucres et de frapper d'un droit de douane le sucre exotique, de 6 fr. par 100 kil., lorsqu'ils seront importés par navires belges et du lieu de production, et de 12 fr. aussi par 100 kil. lorsque l'importation sera faite par navire étranger ou que les sucres seront importés des lieux autres que des lieux de production. »

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je dirai quelques mots des amendements qui ont surgi dans la discussion. Je restreindrai mes observations exclusivement au chiffre de l'accise, parce que la discussion générale étant close, il faut, si nous voulons terminer la question des sucres, nous restreindre à chaque point, à chaque article. Je laisse donc pour le moment de côté tout ce qui se rattache à l'article 4, et à l'amendement de l'honorable M. Mast de Vries et à l'article 5.

L'article premier, messieurs, concerne deux points : La suppression des retenues et le chiffre du droit d'accise, au vote duquel nous apposons tous une réserve ; nous l'adoptons sauf une disposition quelconque à l'article 5.

La proposition primitive du gouvernement était de porter l'accise à I38 fr. Depuis lors, on a produit, en restant dans le système de la loi actuelle, trois chiffres différents, 25, 28 et 30 fr.

Le chiffre de 30 fr. jusqu'à la séance d'hier, paraissait être accepté à la fois par les partisans de l'industrie du sucre indigène et par les partisans du sucre exotique. Aujourd'hui, les prétentions ont grandi.

Je me demande s'il est nécessaire, pour assurer la coexistence, de donner au sucre indigène une protection de plus de 15 francs ; c'est ce que les partisans de cette industrie (auxquels je m'associerais si leur demande me paraissait modérée) devraient démontrer. Or cette preuve est impossible, en présence de ce qu'ils ont déclaré eux-mêmes être l'état de leur industrie sous la loi de 1843. Je ne veux pas revenir sur toute cette discussion ; mais ils ont déclaré que malgré les retenues, la prime de mévente, le malaise au-dedans et par conséquent l'impossibilité d'exporter, cette industrie avait vécu sous un régime qui lui accordait une protection moindre de 15 fr., moindre de celle que je propose de lui assurer.

Il est démontré à toute évidence qu'avec les conditions nouvelles faites par la loi projetée à l'industrie du sucre indigène, avec un droit protecteur de 15 fr., non seulement cette industrie peut exister, mais que, sans la disposition de l'article 3, elle aurait avant peu de temps envahi le marché intérieur et détruit l'industrie du sucre exotique.

L'honorable M. Eloy de Burdinne vous a soumis plusieurs propositions qui sortent du système de la loi, qui contiennent un système entièrement nouveau.

D'après le premier amendement, le sucre indigène serait frappé d'un droit de 45 fr. Le sucre exotique serait frappé d'un droit de 60 fr., lorsqu'il serait importé sous pavillon belge et d'un droit de 85 fr., lorsqu'il serait importé sous pavillon étranger.

Cette proposition suppose que le sucre indigène serait soumis au régime de l'accise, attendu qu'il est impossible de le soumettre à un droit de douane qui se perçoit à l'entrée ; le sucre exotique serait seul soumis à un droit d'entrée de 60 à 85 fr. (Assentiment de la part de M. Eloy de Burdinne.)

Je crois qu'il ne faudrait pas aller jusque-là pour avoir complétement détruit le sucre exotique. Ce serait d'ailleurs un système entièrement nouveau et assez étrange d'avoir deux industries, soumises, l'une au régime d'accise, l'autre à un droit différentiel de douane, dont on suivrait la distinction, lorsque le sucre serait mis en fabrication.

Je conçois le système français, parce qu'en France il n'y a pas d'exportation ; elle est réduite presque à rien.

En France, la distinction existe pour savoir quelle est la condition du sucre soumis à l'exportation.

La proposition subsidiaire de l'honorable M. Eloy de Burdinne me paraît inadmissible par un autre motif. En supposant que neuf millions soient introduits par navire étranger, nous percevrions seulement 1 million 80 mille fr. ; c'est-à-dire que la proposition de l'honorable membre, dans l'hypothèse de la recette la plus forte, ne produirait que 1 million 80 mille fr. Je vous avoue que mes exigences, comme ministre des finances, vont plus loin, qu'il est nécessaire, indispensable que le sucre contribue aux recettes de l'Etat, pour une somme minimum de 3 millions...

M. Eloy de Burdinne. - Que vous n'aurez pas.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je suppose un instant que l'élévation du rendement soit telle qu'il excède le rendement réel, qu'on porte le rendement à 2 ou 3 p. c. au-delà du rendement réel. Qu'arriverait-il ? Que ce serait l'industrie qui supporterait une aggravation d'impôt. Dans ce cas, non seulement vous percevriez trois millions, mais vous percevriez plus du double.

J'ai cité à dessein un exemple exagéré pour prouver que l'élévation du rendement garantit les intérêts du trésor, que le système du projet qui consacre cette élévation contient une garantie complète, infaillible pour le trésor public.

L'honorable M. Eloy de Burdinne a perdu de vue la disposition de l’article 4 ; il suppose que pour élever le rendement tel qu’il sera fixé, le gouvernement devra reporter la question devant vous.

Veuillez lire l'article 4 ; vous reconnaîtrez qu'il donne au gouvernement le droit d'élever le rendement pour assurer la recette du trésor, de manière qu'il ne doive reproduire devant vous la question des sucres que dans le cas où une autre base faillirait ; car celle-ci ne doit pas faillir.

Plusieurs membres. - La clôture !

M. le président. - M. de Corswarem est inscrit.

M. Dumortier. - Il est indispensable que l'honorable M. de Corswarem puisse répondre aux objections qui ont été faites contre son amendement.

M. Eloy de Burdinne. - Je crois que l'on ne peut prononcer immédiatement la clôture sur des questions aussi graves. Avant que la chambre ne prononçât, il serait désirable qu'elle eût examiné mes amendements et les développements que j'y ai donnés. Il faudrait donc attendre qu'ils fussent imprimés et distribués.

J'aurais désiré répondre quelques mots à M. le ministre des finances qui n'a pas du tout compris le raisonnement que j'ai fait valoir à l'appui de mon amendement.

- La clôture sur l'article premier et sur tous les amendements y relatifs est mise aux voix et prononcée.

Les deux amendements présentés par M. Eloy de Burdinne sont successivement mis aux voix ; ils ne sont pas adoptés.

M. le président. - Je mettrai maintenant aux voix le droit de 38 fr. proposé par la section centrale.

M. Dumortier. - Je crois qu'en réalité le chiffre de 38 fr. n'existe plus. Voici pourquoi. M. le ministre des affaires étrangères et du commerce et M. le ministre des finances avaient proposé d'abord un premier (page 1718) système consistant à mettre sur la betterave un droit d'accise de 38. La section centrale a, de son côté, proposé le rejet de cette disposition...

M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est le contraire.

M. Dumortier. - Pardon ! Tout a été rejeté par la section centrale.

Ainsi, il ne reste que le système du gouvernement.

Mais le gouvernement a modifié son système en réduisant le chiffre de 38 à 30 fr. Par là, il a retiré sa première proposition qui n'existe plus pour aucun de nous. On ne peut donc la mettre aux voix, à moins qu'il ne plaise à M. le ministre des finances, ou à tout autre membre de la chambre de reprendre le chiffre 38 pour lui et de le faire sien ; mais jusque-là il n'existe plus de chiffre 38 à mettre aux voix.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le projet de la section centrale porte : « Art. 1er Comme ci-contre. » C'est-à-dire comme au projet du gouvernement, qui portait 38 francs.

La section centrale a donc adopté et maintenu le chiffre de 38 ; au reste, qu'on mette ou qu'on ne mette pas aux voix ce chiffre, cela m'est assez indifférent, car il sera rejeté.

M. Vanden Eynde. - Messieurs, j'ai été membre de la section centrale, et je suis surpris de ce que vient d'alléguer M. le ministre des finances. M. le ministre sait fort bien que ce qu'il vient de dire n'est pas conforme à la vérité, (Interruption.)

J'ai le droit de me servir de ce terme qui est très parlementaire.

M. le président. - Je vous demande pardon, Monsieur, ce n'est pas parlementaire ; vous n'avez pas le droit de dire qu'un membre de la chambre avance des choses qu'il sait n'être pas conformes à la vérité.

M. Vanden Eynde. - Je maintiens ce que j'ai dit, et si l'on veut bien ne pas m’interrompre, j'expliquerai dans quel sens j'ai employé cette expression. (Nouvelle interruption.)

On m'accuse de m'être servi d'un terme peu parlementaire, on doit donc me permettre de m'expliquer ; j'ai dit et je répète que M. le ministre des finances sait fort bien qu'il a avancé une chose qui n'est pas conforme à la vérité. (Nouvelle interruption.)

Je n'exige pas qu'on m'écoute ; mais je demande qu'au moins on fasse silence et qu'on me laisse parler.

Je dis qu'il résulte des explications, données par M. le ministre des finances, qu'il a lu dans le rapport de la section centrale, le projet du gouvernement et celui de la section centrale, qui est en regard du projet du gouvernement, cela doit me faire croire que M. le ministre a lu le rapport de l'honorable M. Loos, qui précède ces deux projets ; or, dans ce rapport on déclare qu'après que la section centrale avait voté article par article le projet qui se trouve en regard de celui du gouvernement, un membre de la section centrale a demandé qu'on votât sur l'ensemble et que lors du vote sur l'ensemble, le projet a été rejeté ; eh bien, si M. le ministre des finances a lu toutes les pièces qui suivent le rapport de l'honorable M. Loos, il doit avoir pris lecture du rapport même, et j'étais en droit de dire qu'il avait avancé une chose qui n'est pas exacte.

M. le président. - Dans votre opinion, M. le ministre des finances a seulement commis une inexactitude.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, j'aime à supposer que l'honorable préopinant n'a pas su faire la distinction entre une erreur volontaire, ou en d'autres termes un mensonge, et une erreur involontaire. Je déclare très franchement que si je m'étais trompé, je le reconnaîtrais ; mais je n'ai pas voulu faire d'insinuations à l'égard de la section centrale : elle a adopté en détail les articles du projet et ensuite elle les a rejetés par un vote sur l'ensemble ; cela me semblait indifférent ; mais parce que j'ai cité ce fait, que je maintiens être exact, l'honorable membre n'a pas le droit de dire que j'ai sciemment dit une chose qui n'était pas vraie ; cela n'est pas parlementaire. (Adhésion.)

M. le président. - L'incident est terminé.

- La chambre consultée décide qu'on ne votera pas le chiffre 38.

M. le président. - Je mets aux voix le chiffre 30.

- On réclame l'appel nominal. Il est procédé à cette opération.

62 membres répondent à l'appel.

36 répondent oui.

26 répondent non.

En conséquence, le chiffre 30 est adopté.

Ont répondu oui : MM. Cans, David, de Bonne, Dechamps, Dedecker, de Haerne, Delehaye, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Naeyer, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, Dubus (Albéric), Fallon, Henot, Kervyn, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orts, Osy, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Verwilghen et Veydt.

Ont répondu non : MM. Biebuyck, Clep, de Breyne, de Corswarem, de Garcia, de la Coste, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Renesse, de Sécus, de Tornaco, Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Huveners, Lange, Lys, Pirson, Sigart, Simons, Van den Eynde, Verhaegen, Zoude et Vilain XIIII.


M. le ministre des finances (M. Malou). - Il y a lieu maintenant de mettre aux voix le second paragraphe.

M. Dumortier. — J'ai demandé qu'on tînt ce paragraphe en suspens ; il s'agit de la date pour l'exécution de la loi.

L'honorable M. de Corswarem a demandé formellement que cette partie de la disposition fut tenue en suspens jusqu'à la fin de la loi. La date de l'exécution de la loi ne peut être votée que quand la loi elle-même aura été votée.

M. Verhaegen. - Il est impossible de ne pas renvoyer ce paragraphe à l'article 7 ; c'est la question de rétroactivité en plein. Je me suis fait inscrire pour parler contre. Je ne pouvais pas m'attendre à voir enlever la question de rétroactivité par un paragraphe de l'article premier, quand elle se trouve tout entière dans l'article 7. C'est une question de la plus haute importance. Je me propose de démontrer que la rétroactivité s'applique à toutes les dispositions de la loi.

M. le ministre des finances (M. Malou). - La même date du 1er juillet se trouve dans toute la loi, et je démontrerai à la dernière évidence qu'il n'y a pas la moindre rétroactivité dans toute la loi.

Le n°2° de l'article premier a pour but la suppression des retenues, c'est-à-dire, que les comptes ouverts, en ce qui concerne les raffineurs, pourront être apurés entièrement par l'exportation.

M. de La Coste. - L'observation de M. le ministre des finances ne s'applique pas à la question soulevée, car le paragraphe 2 est relatif à la date de l'exécution. Il faudrait que toutes les dispositions de la loi fussent mises en harmonie. Cette date s'applique également à la mise en vigueur des droits d'accise sur le sucre de betterave. Il est naturel de laisser cela en suspens ; j'en aurais fait la proposition expresse si un honorable collègue ne m'avait dit que, sur l'observation de M. de Corswarem, M. le ministre des finances avait déclaré que cela appartenait aux dispositions transitoires. Il ne faut pas agir par surprise, telle ne peut pas être l'intention de M. le ministre

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je ne voudrais pas paraître chercher une surprise. Je consens volontiers à ce qu'il y ait une discussion de plus.

J'admets la distraction de la date, nous discuterons plus tard la date de la mise à exécution de la loi.

- Le n°2°, la date réservée, est mis aux voix et adopté.

L'ensemble de l'article premier est également adopté.

Article2

« Art. 2. Les articles 47, 52 et 67 de la loi du 4 avril 1843 sont abrogés et remplacés par les dispositions suivantes : »

La section centrale propose de réunir les articles 2 et 3.

M. le ministre des finances (M. Malou). - La section centrale a proposé de confondre l'article 2 avec l'article 3. Je demande que l'article 2 soit maintenu, parce que ce n'est pas seulement l'article 3 ,mais encore les articles suivants qui remplacent les articles 47, 52 et 67 de la loi du 4 avril 1845.

- L'article 2 est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. § 1er. Sont admis à l'exportation :

« a. Les sucres raffinés en pains, métis ou lumps blancs, bien épurés et durs, sans teinte rougeâtre ou jaunâtre et dont toutes les parties sont adhérentes et non friables ; et le sucre candi à larges cristaux clairs et secs.

« Les sucres raffinés en pains, mélis et lumps, destinés à l'exportation, pourront être piles ou concassés dans les entrepôts publics désignés à cet effet. La quantité et la qualité des sucres à piler ou à concasser seront vérifiées avant leur admission dans les entrepôts. Ceux qui ne réuniraient pas les qualités spécifiées ci-dessus ne seront pas emmagasinés.

« b. Tous autres sucres raffinés, tels que sucre raffiné en poudre, dit cassonade, sucre candi, dit manqué, à petits cristaux, humides, revêtus de croûtes, et sucre en pains de teinte rougeâtre ou jaunâtre.

« c. Les sirops provenant du raffinage du sucre brut, à l'exclusion des mélasses.

« § 2. Les morceaux dits croûtes, provenant de la fabrication du sucre candi, seront cependant admis dans la catégorie A, pourvu que la quantité ne dépasse pas le tiers de la partie intégrale déclarée à l'exportation, et sous la condition que les croûtes renfermées dans une même caisse soient reconnues provenir d'une même fabrication, et soient d'une même teinte et qualité que le sucre sans croûtes que contient le restant de la caisse.

« § 3. La décharge de l'accise à l'exportation, en apurement des prises en charge résultant de documents délivrés à partir du 1er juillet 1846, est fixée :

« 1° A 62 par 100 kilogrammes de sucre de la catégorie A, provenant de sucre brut de canne ou de betterave ;

« 2° A 45 fr. par 100 kilogrammes de sucre de la catégorie B provenant du sucre brut de canne ;

« A 38 fr. par 100 kilogrammes de sucre de la catégorie B provenant du sucre brut de betterave ;

« 3° A 15 fr. par 100 kilogrammes de sucre de la catégorie c provenant du sucre brut de canne ;

« A 13 fr. par 100 kilogrammes de sucre de la catégorie C provenant du sucre brut de betterave. »

M. le président. - M. le ministre des finances ainsi que M. Manilius et M. de Corswarem, proposent de substituer au 1er du § 3 le chiffre de 66 à celui de 62.

M. de Corswarem. - Je retire mon amendement.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Il y a encore un amendement au n°2° du § 3....

Dans les amendements que j'ai présentés le 10 juin, j'ai proposé de rédiger ainsi le n°2° du § 3 de l'article 3.

« Au montant de l'accise pour les sucres de la catégorie B, provenant de sucre brut de canne ou de betterave. »

(page 1719) Messieurs, dans toutes les lois qui ont été faites depuis 1822, la décharge à l'exportation pour la catégorie B a été fixée au montant de l'accise. Pour maintenir le même principe, j'avais inséré au n°2° du paragraphe 3 de cet article, le chiffre de 38 francs. Pour la catégorie B du sucre indigène, l'on propose un droit d'accise minimum susceptible dans tous les systèmes d'une augmentation quelconque. Il y a donc lieu de substituer les termes généraux, le montant de l'accise à des chiffres, parce que la restitution alors suivra la progression de l'accise qui pourrait être admise ultérieurement.

M. Manilius. - Ce serait donc 45 et 30 pour le moment, sans qu'il y ait variation.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, l'honorable ministre prétend obtenir 3 millions d'accise sur le sucre au taux du rendement proposé. Quant à moi, messieurs, je crois pouvoir garantir que, somme ronde, le gouvernement ne recevra que l'accise qu'il percevra sur le sucre indigène, de manière que le trésor sera privé, comme il l'a été autrefois, de l'accise sur la consommation du sucre étranger.

Pour reconnaître l'exactitude de ce que j'avance, il ne s'agit que de se livrer à quelques calculs. Dans la supposition que l'on raffine du sucre exotique à raison de 30 millions, comme on le prétend, puisqu'on porte même le chiffre du raffinage jusqu'à 45 millions, il en résultera que la prime que l'on obtiendra à la sortie d'une partie de ces sucres, couvrira complétement le droit payé sur l'autre partie, de sorte que celle-ci sera fournie à la consommation indemne de droit, et qu'en somme ronde vous percevrez 1,080,000 fr. environ sur la consommation du sucre indigène, et pas un centime sur le sucre étranger.

Je vous demanderai, messieurs, la permission de vous prouver ceci par des chiffres. Je crois que lorsqu'on aura vérifié ces chiffres, on reconnaîtra qu'ils sont exacts ou à peu de chose près, que très peu de sucre exotique payera l'accise, tandis que le sucre indigène la payera intégralement.

Cependant, messieurs, l'honorable ministre des finances et la majeure partie de la chambre sont bien d'intention de ne pas frapper un droit de consommation sur le sucre indigène et d'en affranchir le sucre exotique. Je crois que personne de nous ne veut cela. Mais, messieurs, quand on veut atteindre un but, il faut examiner attentivement si les moyens que l'on emploie sont de nature à conduire à ce but.

Remarquez, messieurs, qu'en 1836, la consommation du sucre devait produire au trésor 3 millions de francs d'après la loi de 1822 et d'après la consommation présumée.

L'honorable ministre des affaires étrangères a soutenu que le trésor percevrait 3 millions en fixant le rendement à 68. Messieurs, je vais vous démontrer qu'il est dans l'erreur.

Messieurs, l'honorable ministre des affaires étrangères et du commerce a réfuté mes chiffres par d'autres chiffres.

Les chiffres sont élastiques ; pour sortir victorieux de la lutte, il aurait dû prouver l'erreur de mes calculs ; il a trouvé plus commode de faire des calculs sur de fausses bases, afin de prouver que le trésor percevrait trois millions de francs au rendement de 68 kil. de sucre par cent kilogrammes de sucre brut.

Mais l'honorable ministre, pour ne pas avoir commis d'erreur dans ce qu'il a prétendu en me réfutant, ne tient pas compte de l'impôt que doit produire le sucre vergeois.

Au moyen de cette subtilité, que je ne qualifierai pas, il trouve que l'excédant des rendements est de peu d'importance et que la grande partie des sucres fins payeront le droit.

Mon honorable adversaire le ministre ignore san sdoute que les vergeois provenant du sucre blond de la Havane est de nature à être rectifié par une opération peu coûteuse et vendu au consommateur comme sucre lump, et qu'il entre dans la consommation du riche autant que dans la consommation de la classe moyenne, et qu'il serait injuste de renoncer à un impôt sur ce sucre, quand le trésor prélève sur la consommation du sel un impôt de 450 pour cent de la valeur, et on sait que le sel remplace le sucre chez les malheureux, et qu'il est indispensable à la santé.

Je vais chercher à convaincre M. le ministre des affaires étrangères que s'il y a erreur dans nos calculs, ce n'est pas moi qui l'ai commise. Je vais le prouver.

Admettons que la consommation du sucre en Belgique soit de 12 millions de kil. en sucre fin et en vergeoise, dont 3 millions sont du produit indigène. Le sucre indigène ne produit pas de mélasse propre à la consommation comme sucre. Pour obtenir 3 millions de sucre indigène à livrer à la consommation on doit raffiner 3 millions 6 cent mille kil. de sucre brut indigène, chiffre rond, qui frappés de 53 fr. par 100 kil., donneront en recette la somme de 1,080,000, telle sera la recette prélevée sur le sucre indigène sans fraude et sans prime.

Pour compléter l'approvisionnement nécessaire le sucre exotique figurera pour 9 millions de kil. sucre raffiné vergeoise et sirop ; pour obtenir 9 millions de sucre et sirop on devra raffiner 9 millions 2 cent mille kil. de sucre brut qui pris en charge doivent au trésor à raison de 45 fr. par 100 kil. la somme de 4,140,000 fr.

Ajoutons le produit du sucre indigène, soit 1,080,000 fr. Total, 5,220,000 fr. La recette de l'accise devrait être de cinq millions deux cent vingt mille fr.

Mais MM. les ministres se contentent d'une recette de 3 millions quand elle devrait être de fr. 5.220,000 et ils accordent une prime indirecte au commerce de fr. 2,220,000.

Voyons présentement si le trésor percevra, comme le prétendent nos ministres des finances et du commerce ; ce dernier me paraissant mieux traiter les intérêts des Havanais que les intérêts belges en même temps que les intérêts du commerce au détriment de l'industrie nationale, du travail belge et de l'intérêt général du pays.

En somme, je leur déclare que s'ils ne reviennent pas à de meilleurs sentiments, je me trouverai forcé à leur refuser ma confiance.

M. le ministre nous a fait des calculs sur la quantité de sucres exotiques qui, selon probabilité, dit-il, seront raffinés, et il en porte la quantité à 20 millions de kilogrammes, tandis que son collègue croit qu'elle sera portée à 45 millions.

Répondant d'abord à M. le ministre des affaires étrangères, je lui dirai que les raffineries raffineront 30 millions au moins de kilog. de sucre exotique au lieu de 20 millions. Admettons que 30 millions de sucre exotique seront livrés au raffinage qui rendront à raison de 97 p. c. de sucre fin vergeois et sirops à livrer à la consommation, soit la quantité de 20,100,000 kilog.

30 millions ayant produit vingt-neuf millions 100 mille kilogrammes de sucre de toute qualité, exportable ou livrable à la consommation, et le trésor ayant pris en charge ces 30 millions, pour se liquider, le commerce devra exporter à raison de 68 p. c. de la prise en charge, la quantité de 20 millions, 400 mille kilogrammes.

En ayant obtenu 29 millions 100 mille kilog., il en restera à livrer à la consommation indemne de droit par les raffineurs, la quantité de 8,700,000 kilogrammes.

La fabrication indigène en ayant fourni à la consommation la quantité de 3,000,000.

Ensemble, 11,700,000 qui est à peu de chose près la consommation du pays, et en somme le sucre indigène aura payé au trésor, l'accise sur les sucres qu'il a produits et livrés à la consommation pour une prise en charge de trois millions six cent mille kilogrammes, la somme de 1,080,000 fr. Et le sucre exotique 00,000

De manière que les calculs de M. le ministre des affaires étrangères qui croyait recevoir 3 millions sur l'accise des sucres, ne recevra que 1 million 80 mille francs, et cette recette sera perçue à charge du producteur belge, tandis que le sucre exotique, au moyen des excédants, complétera l'approvisionnement du pays sans payer un centime au trésor.

Vous reconnaîtrez avec moi, que l'honorable ministre des affaires étrangères s'est trompé dans ses calculs, et que bien loin de favoriser l'industrie du pays en baissant le rendement, il lui nuit de telle manière, que quand même la fabrication du sucre indigène serait supprimée avec un rendement de 68 p. c. en augmentant la quantité du sucre brut pour le raffinage, il devra en résulter à peu de chose près, l'anéantissement de la recette de l'accise sur la consommation du sucre, comme il est arrivé en 1836.

Sans réserve de deux ou trois dixièmes, le commerce trouvera toujours le moyen de prélever une bonne part de l'accise sur le sucre.

Il parviendra même à la percevoir intégralement, s'il parvient à raffiner 45 à 50 millions de kilog., comme le croient les raffineurs. Les excédants finiraient par suffire à l'approvisionnement du pays, et le trésor ne recevrait rien lorsque la fabrication du sucre indigène serait anéantie.

Et si jusqu'à présent l'Etat a reçu quelque lambeau de l'accise, c'est à la fabrication du sucre indigène qu'il le doit depuis 1843, en même temps qu'à la retenue des quatre dixièmes.

M. le ministre, voulant faire un sacrifice en faveur du commerce, nous dit qu'il se contentera de trois millions de recette.

Curieux de connaître à quel taux le rendement devrait être porté pour obtenir ce résultat, je me suis livré à quelques calculs que je livre à la méditation de nos calculateurs.

Je vais vous les soumettre. En livrant 30 millions de kilog. au raffinage qui ayant produit tant en sucre fin que vergeoise et mélasse la quantité de 29,100,000, la prise en charge ayant été à raison de 45 fr. par 100 kilog. de sucre brut, l'Etat sera crédité d'une somme de 13 millions 500,000 fr., mais les 13 millions seront restitués au moyen d'exportation. Pour que le gouvernement obtienne trois millions ce n'est pas sur un rendement de 68 mais bien sur un rendement de 85 kil. par 100 kil. de sucre brut.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'honorable M. Eloy de Burdinne est revenu sur les calculs et sur les chiffres qu'il vous a déjà plusieurs fois développés. L'honorable membre doute que la recette de 3 millions puisse se réaliser. Il en appelle à l'avenir. J'en appelle à l'avenir, comme lui.

L'honorable membre a confondu encore une fois l’accise et le rendement ou la décharge. J'ai déjà démontré, à la séance d'hier notamment, que l’accise était établie sur le sucre brut, mais que la décharge était établie sur le sucre fin, sur le sucre exportable, d'après la définition du premier paragraphe de cet article de la loi.

Il résulte de là, messieurs, que tous les calculs de l'honorable membre sont viciés, en ce qu'il admet comme éléments de ces calculs, pour apprécier la réduction de la recette par suite de la décharge accordée à l'exportation, environ 4 millions de bas produits qui ne doivent pas y être compris.

C'est là l'erreur fondamentale des calculs de l'honorable membre, et je crois l'avoir démontré de manière à la faire bien saisir, de manière à (page 1720) rendre évidents le système, le mécanisme et le mode d'application de la loi.

L’honorable membre a ajouté, répétant encore l'expression de « ministre brésilien ou havanais », je ne sais de quelle nation nous sommes en ce moment, qu'il se verrait forcé de refuser au ministère sa confiance, si nous n'en revenions à de meilleurs sentiments.

Je tiens à m'expliquer clairement sur la question ainsi posée.

Il y a, messieurs, dans le gouvernement constitutionnel deux ordres de questions bien distinctes : les questions politiques ou de système de gouvernement et les questions d'intérêts matériels.

Dans les questions d'intérêts matériels, non seulement, messieurs, l'action des localités, non seulement les opinions individuelles ont tout leur libre jeu et doivent l'avoir ; mais on comprend même qu'il se fasse chaque jour un fractionnement entièrement différent de celui qui existe, lorsque nous agitons ici des questions politiques.

Messieurs, je fais cette observation dès à présent, parce que j'ai longtemps réfléchi à cette distinction et que je suis convaincu qu'il n'y aurait rien de plus fatal pour l'avenir du pouvoir, pour l'avenir du pays, quels que soient les hommes qui doivent présider un jour à ses destinées, que le système qui consisterait à transformer un dissentiment sur des questions d'intérêt matériel en un dissentiment politique.

Alors, messieurs, vous ne pourriez plus en gérer les destinées au point de vue politique, ni même faire la moindre chose dans l'ordre des intérêts matériels pour la gestion de ces grands intérêts. Vous seriez réduits, non pas à être un gouvernement qui entend tous les intérêts, qui les consulte tous, qui les satisfait tous autant qu'il lui est donné de les satisfaire ; mais vous seriez réduits à être plus impuissants que le despotisme ; vous ne pourriez rien faire, si les questions d'intérêt matériel devaient se transformer ici en dissentiments politiques.

C'est parce que j’ai à cet égard une profonde conviction, que j'aurais regretté que les paroles de l'honorable membre pussent passer sans être contredites.

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, ce n'est pas ainsi que j'entends le refus de confiance envers un ministère ; mais voici comment je l'entends ; et il n'y a rien là de politique.

Un ministre qui fait les affaires du pays de manière à lui nuire, est, selon moi, incapable, ou il n'est pas l'homme de son pays ; et toujours, dans ce cas, je lui retirerai ma confiance.

De quoi s'agit-il dans la question qui nous occupe ? Il ne s'agit de rien moins que de favoriser le sucre étranger au détriment des productions de notre propre pays. Personne ne pourra dénier ce fait. Eh bien, je refuserai toujours ma confiance à celui qui favorisera l'envahissement de notre marché par des produits étrangers, au détriment de nos propres produits.

M. Dumortier. - Messieurs, voilà plusieurs années que la chambre s'occupe de la question des sucres. Vous savez les déficits successifs que le trésor a éprouvés par suite de l'impôt sur cette denrée. Car l'impôt sur les sucres avait d'abord été établi comme droit d'accise et pour amener de bons résultats pour le trésor. Vous savez que de déficit en déficit nous sommes arrivés en quelques années à ce résultat, que le trésor, qui devait prélever chaque année 5 millions d'impôt sur le sucre, n'en recevait plus même 300,000 fr.

Dès lors, messieurs, de grandes discussions se sont élevées dans la chambre. De toutes parts on a réclamé en faveur du trésor public ; de toutes parts on a signalé la nécessité de faire produire au sucre un revenu pour le trésor.

Quel moyen a-t-on toujours indiqué à ces époques ? Un seul, un moyen qui devait dominer tous les autres, la question du rendement. On disait alors et on répétait à satiété à la chambre : C'est parce que le rendement est trop bas que le trésor public se trouve privé des ressources qu'il est en droit d'attendre d'une loi sur les sucres. C'est parce que le rendement est trop bas qu'aujourd'hui encore, nous ne recevons que peu de chose d'une matière d'impôt qui cependant devrait produire beaucoup. Et pourtant, messieurs, la Belgique payait cet impôt ; il figurait dans nos lois et par conséquent il devait être versé dans le trésor public.

A cela que nous répondaient les partisans de la continuation de cet abus ? Car c'est un abus ; vous l'avez reconnu en votant des lois successives pour y porter remède. Ils nous répondaient : Mais nous ne pourrions pas lutter dans notre commerce d'exportation si nous avions un rendement différent de celui de la Hollande.

On ne nous parlait pas de la France. La France, qui avait subi le même régime, n'avait pas laissé venir les choses à la période du désastre ; elles les avait arrêtées en temps.

On ne nous parlait pas de l'Angleterre. Cette grande nation, qui connaît si bien les matières commerciales et les matières d'impôt, s'était bien gardée d'adopter un pareil régime.

Mais on nous parlait de la Hollande. On nous disait : La Hollande suit ce régime, il faut aussi le conserver, si vous voulez lutter avec elle.

Cet argument n'était pas vrai en lui-même, mais il avait quelque chose de spécieux, et le désir de conserver une position analogue à celle de la Hollande a été cause que l'on n'a pas adopté un chiffre plus élevé de rendement.

Mais, de tout temps, dans toutes les discussions, à toutes les époques, il a été reconnu que la question du rendement était celle qui primait la loi, parce que c'était celle qui favorisait les abus qui privaient le trésor d'un revenu auquel il avait droit de prétendre.

A toutes les époques on a formé des vœux, et des vœux unanimes, car les partisans du sucre de canne ne tergiversaient pas à cet égard, pour faire prévaloir les intérêts du trésor, le jour où la Hollande aurait de son côté porté une loi qui élèverait le rendement chez elle. Eh bien, ce moment est arrivé. Par la loi d'avril dernier, la Hollande a élevé le rendement. Elle a en quelque sorte fait droit aux réclamations de la chambre belge ; elle l'a fait pour elle-même, mais nous devions nous attendre à en ressentir les effets.

La Hollande a élevé le rendement qui nous avait fait tant de tort pendant un si grand nombre d'années, et à quel taux l'a-t-elle porté ? Vous savez, messieurs, qu'elle l'a porté au chiffre de presque 73, c'est-à-dire de 72 90/100.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Pour la deuxième année.

M. Dumortier. - Eh bien, je consens aussi à ce que nous n'élevions le rendement que pour la deuxième année.

Maintenant, messieurs, depuis 15 années, tous ceux qui ont parlé ici au nom du trésor public, ministres et députés, tous nous avons appelé de nos vœux le jour où la Hollande modifierait son rendement de manière à nous permettre de fournir au trésor public une ressource efficace dans l'impôt des sucres ; comment donc se fait-il que nous n'acceptions pas le projet qui nous est, en quelque sorte, présenté par la Hollande en faveur du trésor public ?

Comment se fait-il que nous ne comprenions pas que notre industrie, lorsqu'elle se trouve dans des conditions analogues à celles où se trouve l'industrie hollandaise, que, dans cette position notre industrie n'a point à se plaindre, qu'elle n'a point à demander une prime plus élevée que celle dont jouit l'industrie hollandaise et qui est encore considérable ?

Eh bien, messieurs, que nous propose-t-on ? On nous propose de donner aux raffineries belges 5 fr. de prime en sus de ce que la Hollande accorde à ses raffineries. Mais je vous le demande, y a-t-il donc en Belgique une industrie quelle qu'elle soit qui jouisse d'une prime de 5 fr. au-delà des avantages dont l'industrie similaire jouit dans les pays' voisins ? Mais parcourez toutes nos villes manufacturières ; allez à Gand, allez à Liège, allez à Verviers et demandez quelles sont les primes dont jouissent les industries de ces villes !

Eh, messieurs, il n'est aucune de nos industries qui obtienne une prime quelconque à l'exportation ; il n'en est même aucune qui demande une semblable prime. Que demandent nos industries ? C'est que vous ne les tuiez pas, c'est que vous leur accordiez à l'exportation la simple restitution des droits qu'elles ont payés sur les matières premières qu'elles emploient. Voilà tout ce que demandent les industries du pays, et ici l'on vient proposer d'accorder au raffinage du sucre exotique, non seulement la prime dont il jouit en Hollande, mais un surcroît de prime de 5 p. c. par 100 kil., et cela en faveur de quoi ? En faveur du produit du travail des esclaves. (Interruption.) Si nous avions des colonies, je serais le premier à proposer l'émancipation des esclaves et je regrette beaucoup de ne pouvoir concourir à un acte semblable ; mais toujours est-il que nous ne devons pas accorder une prime au produit du travail des esclaves, lorsque nous repoussons si rudement le travail national, le travail des Belges libres, que nous avons rendus libres par la révolution.

Comment, messieurs, l'industrie du raffinage a vécu pendant 15 ans sous le régime hollandais ; depuis la révolution, elle a vécu 15 ans avec le rendement hollandais ; dans cette position, il a été prospère, et aujourd'hui cette position ne lui suffit plus, aujourd'hui il lui faut 5fr. de prime en sus de la prime hollandaise ! Mais, messieurs, pouvez-vous imposer un semblable sacrifice au trésor, alors que chaque jour vous venez imposer de nouvelles charges aux contribuables, alors que l'impôt personnel, cet impôt odieux pèse de tout son poids sur les populations.

Je le répète encore, messieurs, je conçois que la Hollande ait fait des sacrifices en faveur du sucre de canne ; elle l'a fait dans l'intérêt du revenu de ses colonies, elle a sacrifié une partie de son bénéfice pour conserver le reste ; mais nous, nous n'avons aucun bénéfice semblable à conserver, nous n'avons pas de colonies. Pourquoi donc irions-nous accorder au sucre exotique une prime exorbitante, alors surtout que nous traitons avec si peu d'égard les autres industries, que nous leur permettons à peine de vivre. Mais si vous avez des primes à accorder, accordez-en à toutes les industries ; accordez-en à l'industrie linière, accordez-en à l'industrie des laines que vous voulez ; en quelque sorte, anéantir en Belgique ; accordez-en aux industries qui font vivre des millions de Belges.

Vous ne faites rien pour ces industries considérables et vous voulez accorder au raffinage du sucre exotique une prime qui dépasse de 5 fr.la prime hollandaise. Voilà, messieurs, ce que je ne comprends point. Voilà ce que je flétris de tout mon pouvoir.

Je demande, messieurs, que vous adoptiez le chiffre du rendement hollandais. Alors nos raffineurs seront dans une position d'égalité avec les raffineurs de la Hollande ; ils seront dans la position dans laquelle leur industrie a prospéré pendant 15 ans.

Mais, direz-vous, l'industrie, chez nous, n'est pas assez avancée ; ses procédés ne sont pas assez perfectionnés pour qu'elle puisse lutter à armes égales avec l’industrie similaire hollandaise. Eh, messieurs, qu'elle fasse donc ce que tout le monde a fait, qu'elle fasse ce qu'ont fait les manufactures de Verviers, les manufactures de Gand, qui savent bien, elles, soutenir la concurrence étrangère ; qu'elle perfectionne les moyens de travail. Mais si vous adoptiez le système qu'on vous propose, ce serait accorder une prime à la paresse, à l'absence de progrès ; ce serait accorder une prime à ceux qui ne veulent pas mettre leur industrie au niveau de l'industrie de nos voisins, ce serait accorder une prime à l'industrie rétrograde.

(page 1721) Du reste, messieurs, si un délai nous semble nécessaire, s'il faut accorder deux années au raffinage du sucre exotique pour le mettre à même de vivre aux mêmes conditions que les raffineries hollandaises, je consens à lui accorder ce délai ; mais qu'après cela, au moins, notre industrie accepte la position de l'industrie hollandaise, qu'elle accepte une lutte à armes égales, qu'elle renonce à un privilège exorbitant, qu'elle renonce à recevoir, au grand préjudice du trésor public, une prime plus considérable que celle dont jouit le raffinage en Hollande. Encore une fois, messieurs, si nous voulons accorder des primée, ne les accordons pas, par privilège, à l'industrie qui occupe le moins de bras, à une industrie qui ne veut pas faire les progrès nécessaires pour se mettre au niveau de l'industrie des pays voisins ; accordons-les à toutes les industries du pays et surtout aux industries progressives et aux industries qui font vivre des populations nombreuses.

M. le président. - M. Dumortier veuillez faire parvenir votre amendement au bureau.

M. Dumortier. - Je reprends le chiffre primitif du ministre.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la question du rendement, comme l'a fait observer mon honorable collègue des affaires étrangères, est posée entre les deux industries, d'une part, et le trésor public, de l'autre, et je vois avec plaisir que l'honorable membre invoque aujourd'hui l'intérêt du trésor public pour demander l'élévation du rendement.

M. Dumortier. - C'est ce que j'ai fait depuis 15 ans.

M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est, en effet, ce que l'honorable membre a fait depuis 15 ans ; mais il perd de vue qu'aujourd'hui, la question du rendement est changée du tout au tout, en présence de la loi nouvelle. Dans les discussions précédentes, dont l'honorable M. Dumortier a reproduit les traditions, il s'agissait de déterminer un rendement invariable et l'on a discuté très longtemps le chiffre de ce rendement, parce que l'augmentation du rendement semblait alors la seule garantie de l'intérêt du trésor ; mais en présence des propositions soumises à la chambre, je dis que la question du rendement est entièrement changée.

M. Dumortier. - Elles ne sont pas adoptées.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Il est vrai qu'elles ne sont pas adoptées, mais je dois bien raisonner dans une hypothèse quelconque et je n'ai pas entendu que, jusqu'à présent, ni d'une part, ni de l'autre, on ait contesté le principe de l'augmentation possible du rendement ; je suis donc recevable à baser mon argumentation sur l'éventualité de l'augmentation du rendement dans l'avenir.

Je dis que dans le système du projet primitif, le trésor public n'avait pas intérêt à ce que dès à présent le rendement fût porté au maximum tel qu'il existe en Hollande. Le terme a été abrégé, le chiffre a été réduit et, malgré cette réduction la recette de 3 millions est évidemment assurée au trésor public. Dès lors, messieurs, demandons-nous si en présence de la décadence de cette industrie, si, en présence des vicissitudes qu'elle a subies, nous devons exiger d'elle, immédiatement, un revenu déplus de 3 millions.

Je pense qu'en voulant ainsi exiger trop, à l'époque où nous sommes, on risquerait de n'avoir absolument rien. Si vous ne consultiez pas l'état de l'industrie, si vous ne voyiez pas quel temps il lui faut, quels moyens il lui faut pour se reconstituer, pour se mettre au niveau de l'industrie hollandaise et pour reconquérir les marchés étrangers, vous risqueriez fort d'avoir fait une loi qui ne fût point pour elle, une loi dont elle ne put point profiter.

Ce que nous proposons aujourd'hui, c'est déposer un minimum, mais le but final de la loi, le résultat de la loi sera l'élévation du rendement ; et j'espère que les progrès réalisés par l'industrie dans la période de transition, seront assez grands pour que nous arrivions en peu d'années au taux où est aujourd'hui le rendement hollandais.

Maintenant, messieurs, faut-il démontrer encore que la recette est assurée ? Pour qu'elle cessât d'être obtenue, il faudrait que dans l'espace d'une année la mise en raffinage, qui est aujourd'hui de 10 millions, dépassât de beaucoup le chiffre de 25 millions.

J'ai la conviction que, dans l'espace d'une année, on ne pourra pas arriver à ce résultat et dès lors il est mathématiquement démontré qu'avec une consommation de 12,600,000 kilog., qui n'est pas exagérée, nous aurons une recette de 3 millions de fr., que cette recette ne peut pas nous manquer.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Messieurs, j'ajouterai quelques mots à ce que vient de dire mon collègue le ministre des finances.

L'honorable M. Dumortier nous a dit : Je reprends le chiffre primitif du ministre, le rendement de 72, le rendement hollandais. Mais l'honorable membre a soin de ne pas reprendre le chiffre primitif du droit d'accise que le gouvernement avait présenté pour le sucre de betterave.

La chambre a accepté le droit réduit de 30 fr., qui équivaut à une protection de 15 fr., au lieu de la protection de 7 fr. que contenait la proposition primitive du gouvernement. ;

Messieurs, pour reprendre le chiffre de 72, il aurait fallu aussi reprendre le droit de 38 sur le sucre indigène qui avait été fixé par le gouvernement et qui était corrélatif au chiffre du rendement.

Les honorables membres perdent sans cesse de vue le principe fondamental de la loi, c'est que le rendement devra s'élever successivement, si la recette du trésor diminue ; voilà l'un des principes essentiels de la loi. Je crois, pour ma part, et j'ajouterai que je le désire, que le rendement ; s'élèvera, car plus le rendement sera augmenté, plus le mouvement commercial s'étendra ; je suis convaincu que le rendement s'élèvera et ce sera un indice des progrès mêmes de la fabrication.

La question, comme je l'ai déjà dit plusieurs fois, n'est plus que celle de savoir si, pendant l'année à partir de la promulgation de la loi, le chiffre de 3 millions de fr. peut n'être pas atteint.

L'honorable M. Eloy de Burdinne a renouvelé ses calculs précédents. Il ne suffit pas d'exposer à la chambre quelles sont les bases de ses calculs pour démontrer, comme je l'ai déjà fait, du reste, que ces bases sont complétement erronées.

L'honorable M. Eloy de Burdinne a dit : « M. le ministre des finances a supposé une mise en raffinage de 40 millions de kil. ; le ministre des affaires étrangères a supposé un chiffre de 20 millions de kil. ; j'admets la moyenne de 30 millions. »

Messieurs, c'est là une double erreur ; dans les tableaux fournis par mon honorable collègue, M. le ministre des finances, M. Eloy de Burdinne confond le mouvement commercial avec la mise en raffinage ; dans ces tableaux, il s'agit de 37 millions de mouvement commercial, et de 25 millions de mise en raffinage. J'ai déjà eu l'honneur de le dire, comment peut-on supposer, que dans l'état de décadence où se trouve le raffinage du sucre exotique à l'heure où je parle ; comment peut-on supposer, que dans l'année on atteigne le chiffre de 20 à 25 millions de kilog. Qui a été le chiffre maximum atteint depuis dix ans ? Cela est impossible.

M. le ministre des finances vous a démontré tout à l'heure quelle a été la seconde erreur des calculs de l'honorable M. Eloy de Burdinne ; l'honorable membre a compris les bas produits dans ses calculs, tandis qu'il ne devait pas les y comprendre.

La troisième erreur, c'est que l'honorable membre a calculé d'après un rendement réel de 97, c'est-à-dire que, tandis que la raffinerie nationale, la plus perfectionnée de toutes en Belgique, n'a pas atteint en moyenne un rendement réel de 72, tandis que le rendement en Hollande, où l'on aurait raison de l'élever à cause de la position de supériorité où il se trouve, n'est qu'à 75, l'honorable membre prend pour base de ses calculs 97.

Devant de telles exagérations, je demande si l'on peut ajouter la moindre créance aux résultats auxquels l'honorable membre est parvenu.

L'honorable M. Dumortier a dit que dans les discussions de 1838 et en 1843, on avait toujours déclaré que le rendement était trop bas, et il a ajouté que c'était parce que le rendement avait été fixé trop bas, que la recette avait été en diminuant.

Je renvoie l'honorable membre au rapport si lumineux de mon honorable collègue, M. le ministre des finances, à son exposé des motifs dans lequel il démontre que la recette du trésor a été en diminuant par l'effet des retenues forcées bien plus que par l'effet du rendement ; et du reste, veuillez ne pas l'oublier, le rendement n'était pas alors à 68, mais à 57.

L'honorable M. Eloy vous a rappelé qu'en 1836 la recette du trésor était tombée à environ 300,000 francs, mais il a oublié d'ajouter que le rendement était à 55 1/2 ; il s'agit de le fixer aujourd'hui à 68.

Messieurs, les calculs qui ont été présentés par M. le ministre des finances et par moi sont d'une complète exactitude ; il me paraît impossible que la moindre crainte puisse exister à l'égard de la recette de 3 millions que le trésor percevra.

L'honorable M. Dumortier s'est écrié : « Comment vouloir maintenir une prime de 5 francs, eu égard au chiffre de rendement fixé en Hollande ? Y a-t-il en Belgique une industrie qui demande de pareilles primes ? »

Mais, messieurs, comparativement au tarif de douane hollandais, presque toutes nos industries ont, je ne dirai pas une prime, mais une protection très élevée ; car c'est d'une protection industrielle et commerciale dont il s'agit ; que le droit protecteur se perçoive directement ou indirectement sur le trésor, c'est évidemment la même chose. Je demanderai à l'honorable membre si la bonneterie de Tournay, par exemple, eu égard au tarif hollandais, ne jouit pas d'une protection supérieure à ce qu'il a appelé une prime de 5 fr.

Messieurs, en résumé les bases des calculs présentés par les honorables membres pour prouver que la recette du trésor court des risques dans l'année qui va s'ouvrir, ces bases, dis-je, sont tellement exagérées qu'il est évident que les résultats de ces calculs ne peuvent aucunement impressionner la chambre.

- Plus de dix membres demandent la clôture.

M. Desmaisières. - Je demanderai à pouvoir répondre très brièvement à l'honorable M. Dumortier.

M. de Renesse. - Messieurs, j'ai un amendement à présenter ; il résulte du chiffre de 30 fr. que la chambre vient d'adopter ; je demanderai à pouvoir le développer. (Parlez !)

Messieurs, à la séance du 10 juin, M. le ministre des finances a proposé un amendement qui porterait le droit à 30 fr., pour le sucre de betterave, au lieu de celui de 38 fr., primitivement fixé par le projet en discussion ; M. le ministre des finances a pareillement substitué à l'article 3, § 3, n° 1, le chiffre de 65 fr. à celui de 62 ; comme la chambre vient de fixer le droit d'accise de 30 fr. pour le sucre de betterave, il me semble que pour être conséquent avec le premier vote, il faut nécessairement admettre le chiffre de 65 fr. à l'article 3, § 3, n°1 ; ce qui fixerait le rendement à 69 23/100.

J'ai l'honneur de proposer cet amendement, il substituerait 65fr. à 66 pour la décharge de l'accise.

(page 1722) - L'amendement est appuyé.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, la discussion me paraissait avoir suffisamment démontré que le chiffre à la décharge intéresse, non pas au même degré, mais proportionnellement, les deux industries ; je croyais que la discussion avait établi aussi que dans les conditions faites à l'industrie du sucre indigène, elle serait la première qui profiterait de l'exportation.

C'est-à-dire que réellement ou fictivement, directement ou par transfert de droits (et les résultats sont les mêmes quant à l'Industrie), le sucre indigène sera exporté. L'on aura intérêt même à commencer par apurer tous les droits du sucre indigène, c'est-à-dire à exporter tout le sucre indigène qui sera produit.

L'honorable M. de Renesse propose néanmoins un amendement qui préjudicie proportionnellement et à l'industrie du sucre indigène et à l'industrie du sucre exotique ; il ne peut profiter qu'au trésor. Or, en restreignant le terme pendant lequel il peut y avoir de l'incertitude, les intérêts du trésor sont suffisamment garantis.

Il est inutile de demander, dans l'état actuel, plus de trois millions pour le trésor. Tout à l'heure j'étais plus fiscal qu'un honorable membre, cette fois je suis forcé de me montrer moins fiscal que l'honorable préopinant.

Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !

M. Dumortier. - Il serait inouï qu'on entendît trois ministres sans qu'on pût leur répondre. Quant à moi, je tiens fortement à pouvoir présenter des réponses à ce qu'ont dit les ministres. Il ne me sera pas difficile de détruire tout ce qu'ils ont affirmé. La question qui vous occupe est la question fondamentale sous tous les points de vue, sous le point de vue du trésor, sous le point de vue de la raffinerie aussi bien que sous le point de vue du sucre de betterave. Il serait impolitique de prononcer la clôture sur une pareille question après avoir entendu trois ministres.

M. Osy. - Je m'étais fait inscrire pour répondre à l'honorable M. Dumortier. Je veux bien renoncer à la parole si M. Dumortier ne veut pas recommencer, parce que je trouve que c'est recommencer la discussion générale. Mais si l'honorable membre veut continuer cette discussion, je garderai mon tour de parole.

- La chambre consultée ferme la discussion.

M. le président. - Je vais mettre aux voix le chiffre de 66 pour la décharge.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Il y a ici deux séries de chiffres en ordre inverse. Plus le rendement est élevé, plus le chiffre de la décharge est bas. Pour qu'on puisse voter en toute liberté, c'est-à-dire aller du plus au moins, il faut voter, non sur le chiffre de la décharge, mais sur la quantité du rendement. Il faut d'abord mettre aux voix le rendement de 72-58, puis celui de 69-23 si le premier est rejeté, et enfin celui de 68-18 si le second est aussi rejeté.

- Le rendement de 72-58 est mis aux voix.

Il n'est pas adopté.

On passe à celui de 69-23 proposé par M. de Renesse.

Plusieurs membres demandant l'appel nominal, il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

61 membres répondent à l'appel.

32 membres répondent non ;

28 membres répondent oui ;

1 membre s'abstient.

En conséquence la proposition n'est pas adoptée.

Ont répondu oui : MM. Thyrion, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verhaegen, Zoude, Biebuyck, Clep, de Breyne, de Corswarem, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Renesse, de Sécus, de Tornaco, Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Huveners, Jonet, Lange, Lys, Pirmez, Pirson, Sigart, Simons et Vilain XIIII.

Ont répondu non : MM. Verwilghen, Veydt, Anspach, de Bonne, Cans, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Naeyer, de Saegher, Desmaisières, de Smet, de Terbecq, Dubus (Albéric), Fallon, Henot, Kervyn, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Loos, Malou, Manilius, Mast de Vries, Orts, Osy, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Troye.

M. de La Coste. - Messieurs, quant à la question financière, je pouvais m'en rapporter à M. le ministre des finances et à son collègue, qui paraît l'avoir examinée très à fond. Quant à la question commerciale, je m'en rapporte aux déclarations du commerce, qui assure que c'est pour lui une question de vie et de mort. Mais, messieurs, dès le commencement j'ai considéré cette loi comme ne devant pas favoriser exclusivement un des intérêts en cause, et je crains que si M. le ministre des finances persiste dans l'amendement qu'il a proposé à l'article 5, ce ne soit là le résultat de la loi. Dès lors, jusqu'à ce que je connusse davantage les intentions du gouvernement quant à l'article 5, j'ai cru devoir m'abstenir.

- Le chiffre de 68 18/100, proposé par M. Manilius et le gouvernement, est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Je vais mettre aux voix le changement de rédaction proposé par M. le ministre, au n°2 du § 3 de l'article 3. M. le ministre propose de dire :

« Au montant de l'accise, pour les sucres de la catégorie B provenant de sucre brut de canne ou de betterave. »

M. Manilius. - Je demanderai à M. le ministre si dans son opinion, le n° 5 ne devrait pas aussi subir une modification.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, nous avons voté le n°2° de l'article 3. L'honorable M. Manilius met en doute si d'après le changement apporté au n°1 et d'après celui qui est proposé au 2°, il ne faut pas aussi modifier le 3° qui concerne la restitution à faire à l'exportation des sucres de la catégorie C. Je pense que non. Il s'agit ici d'une progression arbitraire et le changement qu'on a fait subir au chiffre des autres restitutions ne peut pas influer sur le n°3°. Du reste j'y réfléchirai encore et, s'il y a lieu, je demanderai une modification au second vote. La chose est d'ailleurs d'une minime importance.

M. Manilius. - S'il est entendu que ce n'est pas un vote définitif, je n'insisterai pas en ce moment.

- Le changement de rédaction proposé par M. le ministre des finances est mis aux voix et adopté.

L'article 3 est ensuite adopté dans son ensemble.

Article 4

« Art. 4. Le gouvernement modifiera, conformément aux dispositions suivantes, le taux de la décharge pour les sucres de la catégorie A, de manière que le produit de l'accise soit au moins de trois millions de fr. par an.

« A cet effet, à l'expiration de chaque semestre, à partir du 1er juillet 1847, la décharge sera réglée par arrêté royal, d'après la recette effectuée pendant les douze mois précédents.

« La décharge, fixée par l'article 3, § 3, ou par le dernier arrêté, sera maintenue, si la recette excède le minimum de 3 millions ; si elle est inférieure de plus de 100,000 francs à ce minimum, elle sera réduite d'un franc par chaque somme de 100,000 fr. composant le déficit. »

M. Mast de Vries a proposé une disposition additionnelle ainsi conçue :

« Sans que le rendement résultant de la décharge réduite puisse être porté à un taux supérieur au rendement moyen qui existera dans l'un des pays limitrophes. »

M. Dumortier. - Messieurs, si j'avais eu l'honneur de pouvoir parler tout à l'heure à la chambre, j'aurais fait remarquer la coïncidence qu'il y a entre cet article et celui que nous venons de voter.

A mes yeux, l'article n'est pas admissible, pas plus que l'amendement ; tous les deux sont inconstitutionnels. De quoi s'agit-il, en effet ? Il ne s'agit de rien moins que de remettre au gouvernement le droit de fixer l'impôt. Ce n'est plus la chambre, ce n'est plus la loi, c'est le gouvernement qui fixe l'impôt, et qui le fixe sans qu'il y ait rien de patent, sans qu'il y ait rien de visible, sans que personne puisse le savoir. Le jour où le gouvernement aurait, par des documents particuliers, par des documents qui n'ont jamais reçu de publicité, pris connaissance d'un fait que lui seul constatera, il y aura augmentation des droits ! C'est là une chose qui me paraît évidemment inconstitutionnelle, et cette disposition fût-elle seule dans la loi, je déclare qu'elle suffirait pour me faire repousser cette loi. Je la repousserais, non pas en vue de l'intérêt de la canne ou de la betterave, mais par respect pour la prérogative parlementaire, par respect pour la Constitution, qui nous ordonne de faire nous-mêmes les lois d'impôt.

Une simple comparaison vous prouvera, messieurs, ce que c'est que ce système nouveau. Que diriez-vous si un ministre des finances venait vous présenter un projet de loi ainsi conçu : «Si l'impôt personnel ne rapporte pas 6 millions, le gouvernement pourra l'élever pour en avoir 7 » ? Que diriez-vous si un ministre des finances venait vous proposer une loi ainsi conçue : « Si l'impôt sur la bière ne rapporte pas annuellement 12 millions, le gouvernement pourra l'élever pour en avoir 15 » ? Mais, messieurs, de pareilles propositions seraient accueillies par un tollé général dans l'assemblée. Tout le monde dirait : Nous ne pouvons point déléguer ainsi le pouvoir législatif. Eh bien, ce qu'on vous propose, c'est la traduction littérale de ce système, c'est-à-dire que le gouvernement est maître de l'impôt. Quant à moi, j'ai toujours montré combien je suis favorable au trésor public ; mais j'ai trop de respect pour la Constitution, je tiens trop aux prérogatives parlementaires pour déléguer ainsi au gouvernement le droit de faire des lois.

On viendra peut-être vous dire, messieurs, que nous avons introduit une disposition de cette nature dans la loi des céréales ; mais il n'y a rien de semblable dans la loi des céréales ; d'après la loi des céréales, le gouvernement se borne à proclamer un fait patent pour tous, le fait des mercuriales ; ce n'est pas le gouvernement, ce sont les mercuriales qui modifient le droit. Ici, au contraire, il s'agit d'un fait occulte, il s'agit du montant de la recette du trésor, qui n'est connu de personne, qui ne peut être prévu par personne. On frapperait les fabricants d'une manière occulte, on les frapperait au moment peut-être où ils s'y attendraient le moins. Mais ce serait là un système monstrueux. C'est un système que l'assemblée ne peut pas admettre.

Mais, messieurs, si vous accordiez aujourd'hui au gouvernement un droit aussi exorbitant, relativement aux sucres, demain il viendrait vous demander la même chose pour telle ou telle autre matière imposable. Ainsi, par exemple, il viendrait vous proposer de dire ; « Lorsque l'impôt sur le sel n’aura pas rapporté une somme de …., le gouvernement pourra majorer cet impôt. » De cette manière MM. les ministres pourraient vous demander successivement le droit d'augmenter tous les impôts.

Il y a d'ailleurs un autre point, messieurs, qu'il ne faut pas perdre de vue : le jour où l'industriel met en fabrication un objet soumis à l'impôt, il doit savoir ce qu'il a à payer de ce chef au trésor. Eh bien, ici, il ne le saura pas ; il ne le saura que 6 mois, un an au plus tard. Je le répète, (page 1723) messieurs, c'est là un système éminemment vicieux, c'est un système monstrueux, et abstraction faite de tout intérêt de la canne ou de la betterave, je dois repousser ce système, parce qu'il est contraire à la Constitution et funeste à l'industrie en général.

Comment ! le négociant, le raffineur aura vendu du sucre raffine sous l'empire de la loi existante, il aura établi ses prix d'après les droits existants ; le fabricant de sucre de betterave aura vendu du sucre en calculant sur l'impôt établi, et le gouvernement viendra lui dire ensuite : « Vous payerez autant de plus. » Mais, messieurs, ce serait ruiner les particuliers, ce serait ruiner les négociants, ruiner les industriels.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Et la prise en charge ?

M. Dumortier. - M. le ministre sait fort bien que la prise en charge n'est payée que longtemps après et lorsque la marchandise est déjà livrée. Il y a des termes de payement ; les payements se font par dixièmes, et la marchandise sera vendue alors que l'impôt ne sera pas encore payé.

Je ne puis pas, messieurs, je le répète, concevoir une semblable délégation du pouvoir législatif. Vous ne pouvez point, messieurs, déléguer ce pouvoir ; vous vous devez à vous-mêmes, vous devez à vos successeurs de le conserver intact, et pour mon compte, n'y eût-il que cela dans la loi, je ne pourrais jamais lui donner mon assentiment.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Je n'ai pas, messieurs, l'intention de traiter devant vous la question de savoir si la chambre peut, dans des cas déterminés, confier au gouvernement une partie du pouvoir législatif, si, en d'autres termes, le pouvoir législatif peut être délégué. Cette question, messieurs, est bien vieille, et elle est résolue par un bien grand nombre de faits. Il y a peu de jours encore, lorsque vous avez voté la prorogation de la loi relative aux subsistances, vous avez délégué au gouvernement une partie du pouvoir législatif. Il y a, messieurs, dans la loi des droits différentiels, dans la loi des céréales, dans la loi qui autorise le gouvernement à modifier les tarifs, dans vingt, trente lois que je pourrais citer, des dispositions qui autorisent le gouvernement à exercer, dans certaines circonstances déterminées, le pouvoir législatif, par délégation.

Je n'ai, du reste, pas besoin, pour justifier l'article 4, de traiter cette question. Elle n'est, en effet, pas comprise dans l'article 4, et je vais établir par le texte et l'application de l'article que le gouvernement, par suite de cette disposition, a exclusivement le rôle essentiel de pouvoir exécutif, qu'il n'a pas à prendre une décision qui soit du domaine de la loi.

Ainsi, messieurs, le gouvernement modifiera. Le gouvernement n'a pas le pouvoir d'examiner s'il lui convient, oui ou non, de modifier. Il doit le faire dans les circonstances déterminées par la loi, conformément aux dispositions qu'elle prescrit.

Voyons si ces dispositions sont assez précises, pour que le gouvernement n'ait autre chose à faire qu'à les appliquer. Voilà réellement la question.

Le gouvernement doit, par arrêté royal, fixer la décharge d'après la recette effectuée pendant les douze mois précédents, c'est-à-dire que le relevé de tous les impôts doit servir de base à la décision du pouvoir exécutif qui constate un fait, qui le constate publiquement ; et ce fait démontré, il n'y a plus à l'arrêté royal qu'à appliquer au fait ainsi démontré le texte delà loi.

L'article 5 indique, non seulement comment il faut constater les faits, comment il faut leur appliquer les dispositions de la loi, mais il indique la quotité suivant laquelle le droit doit être augmenté.

Messieurs, il me paraît évident que tel étant le sens de l’article 4, je n'ai nullement besoin de traiter la question de délégation du pouvoir législatif, attendu que semblable délégation n'est pas faite par l'article 4.

L'honorable membre demande ce que l'on dirait du gouvernement s'il venait demander à la chambre le pouvoir de faire rapporter 6 millions à l'impôt personnel, lorsqu'il ne les rapporterait pas.

Messieurs, si le gouvernement vous faisait une pareille proposition, il y aurait, comme l'a dit l'honorable membre, un tollé général ; et, en effet, cette proposition serait parfaitement ridicule. Mais il n'en est pas de même de la proposition qui vous est soumise. Il n'y a aucune analogie entre ces deux propositions. Il ne s'agit ici que de constater officiellement un fait, un fait qui ne doit pas être occulte et qui ne peut pas être inexact, parce qu'il doit devenir public et qu'il a pour lui la signature du chef du pouvoir exécutif.

Les prérogatives parlementaires, la Constitution, ne sont donc pas en cause, et vous ne risquez pas, en votant l'article 4, de poser un mauvais précédent.

La question de droit ainsi appréciée, vient la question de fait. Pourquoi demandé-je l'article 4 ? Pourquoi cet article est-il indispensable ? Mais, messieurs, c'est pour sauvegarder des intérêts du trésor. Si le principe de l'augmentation, dans des cas rigoureusement déterminés, n’était pas inscrit dans la loi, peut-être dans deux ou trois ans auriez-vous un mouvement commercial considérable. Mais alors aussi votre recette tomberait peut-être au-dessous de ce qu'elle était en 1836. Vous n'auriez pas 3 millions ; mais vous n'auriez peut-être pas même 200 mille francs.

M. Dumortier. - Il fallait élever le rendement.

M. le ministre des finances (M. Malou). - L'honorable membre me dit : Il fallait élever le rendement. Eh bien, messieurs, il est possible qu’en élevant le rendement au chiffre même qui a été rejeté tout à l'heure, au chiffre de 72 fr. 58 c, si nous n'avions pas la faculté de l'élever encore, par suite des perfectionnements, des développements de l'industrie, la recette aurait également disparu en partie.

Ainsi d'une part je pense avoir démontré que l'article en discussion est parfaitement constitutionnel, et qu'il ne confère nullement au gouvernement les prérogatives des chambres législatives. J'ai démontré d'autre part que si cet article n'était pas écrit dans la loi, vous n'auriez plus sous très peu de temps la recette que l'on veut obtenir.

M. Verhaegen. - Messieurs, j'ai demandé la parole parce que j'ai entendu qu'en discutant l'article 4 on parlait de l'article 5 qui en était considéré comme le corollaire.

M. Dumortier. - C'est évident.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Ne mêlons pas des articles différents.

M. Verhaegen. - Je crains que, si nous adoptons l'article 4 sans observation, on ne vienne nous dire, lorsque nous arriverons à l'article 5, que le principe est décidé, que nous voulons bien de ce principe pour la canne, mais que nous n'en voulons pas pour la betterave. Il est donc plus logique de traiter toute la question, alors qu'il s'agit de l'article 4, et c'est à ce point de vue que je prends la parole.

Messieurs, je n'ai pas pris part à cette longue discussion, parce que j'avais pris une part très active à la discussion de 1843 et que mon opinion n'a nullement changé depuis lors. Aussi mes votes vous ont-ils prouvé que je suis resté d'accord avec moi-même. Mais, je n'ai pu me dispenser de prendre la parole lorsque dans le projet de loi et dans les amendements de M. le ministre j'ai trouvé la consécration de principes tellement extraordinaire, que jusqu'à présent peut-être, il n'y a pas d'exemple d'un projet qui renferme autant de violations de principes que celui que nous avons sous les yeux.

En effet, messieurs, dans les articles 4, 5, 6 et 7, je trouve une atteinte aux prérogatives de la chambre, une atteinte à la liberté de l'industrie, et ce qui est le plus monstrueux des principes, la rétroactivité. Ce principe de rétroactivité, messieurs, je le rencontre dans chacune des dispositions que nous allons examiner, je le rencontre dans l'article 4 en discussion, je le rencontre dans l'article 5 comme je le rencontre dans l'article 7. Toutes ces dispositions se lient, et c'est pour cela que je dois dire à l'égard de ces divers articles toute ma pensée.

Messieurs, quel est le résultat du vote que vous venez d'émettre ? Le sucre de betterave est frappé d'un droit de 30 fr. ; le sucre exotique reste frappé d'un droit de 45 fr. Il y a donc aujourd'hui une différence de 15 fr. Le sucre de betterave était frappé autrefois d'un droit de 20 fr. ; il y avait donc une différence de 25 fr.

Si l'article 4 donne au gouvernement la faculté d'élever le rendement quant au sucre de canne, l'article 5 lui donne une faculté exorbitante quant au sucre de betterave, à tel point que le droit sur ce sucre pourra s'élever de 30 à 40 fr.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Devra s'élever.

M. Verhaegen. - Pourra s'élever ou devra s'élever, si les faits sont tels que vous prétendez qu'ils doivent être. Je ne tiens pas aux termes. L'argument n'en reste pas moins le même.

Si les prises en charge inscrites du 1er juillet d'une année au 1er juillet de l'année suivante, dépassent 3,800,000 kilog., le droit d'accise sera augmenté de 2 fr. par chaque quantité de 100,000 kilog., sans que l'accise puisse, en aucun cas, s'élever au-dessus de 40 fr., ce qui veut dire qu'elle pourra s'élever à 40 fr., si les faits sont tels que vous les avez prévus dans votre article nouveau. Ainsi en me servant de l'expression pourra, j'étais dans le vrai.

Voilà, messieurs, ce qui pourra arriver en ce qui concerne le sucre de betterave, et cela du 1er juillet d'une année au 1er juillet de l'année suivante.

M. le ministre, en répondant à l'honorable M. Dumortier, a bien eu soin de s'en tenir strictement au principe écrit dans l'article 4, qui lui présente au premier coup d'œil une échappatoire. Mais les arguments qu'a fait valoir M. le ministre en répondant à M. Dumortier, vont me servir pour le combattre lorsqu'il s'agira de l'article 5, et surtout de l'article 6.

En effet, messieurs, voici comment M. le ministre a raisonné : Le gouvernement n'aura qu'à appliquer les dispositions de la loi. Il constatera un fait, et du moment que le fait sera constaté, les dispositions de la loi telles qu'elles sont écrites dans l'article 4 seront applicables.

Il m'est permis de conclure de cette argumentation que si le gouvernement avait autre chose à faire qu'à constater les faits et à appliquer les dispositions de la loi, la question serait beaucoup plus grave et M. le ministre ne tiendrait plus le même langage. Or, messieurs, voyons l'article 6 :

« Art. 6. Le gouvernement pourra, selon que l'exigeront les changements des procédés de fabrication, modifier les dispositions de la loi du 4 avril 1843, pour assurer la perception intégrale de l'accise sur le sucre de betterave.

« De même, il pourra prescrire un mode spécial de vérification concernant la qualité des sucres et des sirops, présentés à l'exportation avec décharge de l'accise.

« Toute contravention à ces mesures sera punie d'une amende de 50 à 800 fr.

« Les arrêtés royaux, pris en vertu du présent article, seront soumis à l'approbation des chambres dans l'année qui suivra leur mise à exécution. »

(page 1724) Messieurs ; y a-t-il ici des mesures désignées ? Dit-on quelles seront les mesures que pourra prendre le gouvernement ? Les mesures les plus vexatoires, celles dont on n'aurait pas voulu lors des droits réunis, pourront être mises en œuvre par le gouvernement. Tout est laissé à son arbitraire. Je dis, messieurs, qu'il y a là une atteinte évidente portée aux prérogatives de la chambre ; et n'y eût-il que cette disposition dans la loi, je dirai comme l'honorable M. Dumortier, elle suffirait pour que cette loi ne pût obtenir mon assentiment.

Voyez, messieurs, quelles pourront être les conséquences de cet article. Sans que les faits soient constatés, ou tout au moins sans qu'ils soient constatés d'une manière régulière, un simple soupçon du ministre suffira pour qu'il ait recours aux mesures les plus vexatoires, pour faire contrôler ce qui existe dans les greniers, pour exiger que la marchandise soit accompagnée à la sortie. Que sais-je enfin ? Rien n'est déterminé dans la loi, tout est laissé à l'arbitraire. Or, si ces mesures étaient un jour ordonnées par le gouvernement, savez-vous ce qui en résulterait ? C'est que le raffinage direct de la betterave deviendrait impossible.

J'en viens à l'article 5 tel qu'il est maintenant proposé.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Vous examinez tout à la fois.

M. Verhaegen. - Toutes ces dispositions se lient. Je comprends fort bien qu'il convient mieux à M. le ministre de nous combattre l'un avant l'autre, de rencontrer l'observation de l'honorable M. Dumortier sur l'article 4 pour pouvoir venir nous dire, à l'article 5,que le principe est adopté.

Je comprends qu'il est plus adroit pour M. le ministre d'agir ainsi ; mais il nous importe de mettre à nu tout le système du gouvernement ; c'est pour cela que l'honorable M. Dumortier a eu raison d'en examiner l'ensemble, et c'est pour cela aussi que je suis la même marche et que j'ai demandé la parole sur l'article 4, alors que je m'étais fait inscrire sur l'article 5.

Voici comment est conçu l'article 5 :

« Art. 5 (nouveau). Si les prises en charge inscrites du 1er juillet d'une année au 1er juillet de l'année suivante, pour la fabrication du sucre de betterave, dépassent 3,800,000 kilogrammes, le droit d'accise sera augmenté de 2 francs par chaque quantité de 100,000 kilogrammes composant l'excédant, sans que l'accise puisse, en aucun cas, s'élever à plus de 40 francs.

«Le montant total des prises en charge sera, chaque année à l'expiration du premier semestre, constaté par un arrêté royal qui fixera le taux de l'accise et qui sortira ses effets à l'égard des prises en charge inscrites après sa publication.»

Ainsi, messieurs, comme je le disais tantôt, le droit d'accise pourra s'élever jusqu'à 40 fr. du 1er juillet d'une année au 1er juillet de l'année suivante. Or, messieurs, cette disposition emporte déjà avec elle le vice de rétroactivité. Car si du 1er juillet d'une année au 1er juillet de l'autre année, alors que tous les aménagements sont faits, que tous les arrangements des propriétaires ont eu lieu, alors même que les semailles ont eu lieu ; les producteurs du sucre indigène peuvent être frappés d'une augmentation successive de 2 fr. jusqu'à 40 fr. ; ils l'auront été chaque année par les effets de la rétroactivité.

Il y a des propriétaires qui ont semé 200 hectares de betterave ; tel de ces propriétaires peut croire qu'avec le droit de 30 francs, et surtout avec la latitude laissée au gouvernement par l'article 5, la fabrication du sucre indigène est impossible ; ce propriétaire, que fera-t-il de ses betteraves ? Si je ne me trompe, un hectare de betterave vaut à peu près 400 fr. ainsi 200 hectares valent 80,000 fr. ; eh bien, je pose en fait que dans ce cas ces 80,000 fr. se réduiront à une valeur de 6,000 fr.

S'il en est ainsi, la loi n'est-elle pas odieuse ? La loi a un effet rétroactif et cet effet rétroactif se rencontre dans chaque disposition ; la loi porte, en outre, atteinte aux prérogatives de la chambre, surtout dans l'article 6 ; enfin elle consacre une atteinte à la liberté de l'industrie.

M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne me doutais pas que le projet de loi contînt en aussi peu d'articles tant d'énormités ; j'espère pourtant démontrer à l'honorable membre qu'il n'y a aucune violation de principes dans aucun des articles du projet de loi.

Il y a beaucoup d'inconvénient à discuter simultanément quatre dispositions différentes du projet ; cependant, comme l'honorable membre a attaché à une interruption que je me suis permise, une idée de tactique, je veux le suivre un moment sur le terrain des principes, sauf à discuter plus tard, et pour l'article 5 et pour l'article 6, l'application de ces principes aux faits.

L'honorable membre n'a pas insisté sur l'observation que l'honorable M. Dumortier avait présentée quant à l'article 4 ; il y a là une simple application de la loi à faire par le gouvernement, application forcée, parce que, dans toutes les hypothèses possibles, l'action du gouvernement est tracée d'avance.

L'article 5 nouveau, dont je discute simplement le principe, au point de vue de la prérogative parlementaire, on le dirait entièrement calqué sur l'article 4.

Voyez, en effet, quel est le système de l’article 5. Le gouvernement doit constater, par un arrêté royal, un fait qu'il doit connaître, un fait qu'il doit rendre public, et par conséquent publier exact ; il a à faire connaître quelles ont été les prises en charge inscrites, c'est-à-dire quelle a été la production du sucre de betterave pendant la durée d'une campagne.

Que l'honorable préopinant me permette de le lui dire, il a mal lu la première partie de l'article 5. Le gouvernement, d'après la première partie de cet article, est obligé de constater quelles ont été les prises en charge du 1er juillet d'une année au 1er juillet de l'année suivante, c'est-à-dire, de constater le fait de la production pendant une campagne. C'est là un fait qui ne dépend pas du gouvernement, cela résulte de l'exercice du contrôle établi par la loi sur les fabriques du sucre de betterave.

La loi détermine l'action du gouvernement exactement comme à l'article 4, c'est-à-dire qu'elle fixe la quantité à partir de laquelle l'action devra avoir lieu ; qu'elle règle dans quelle proportion elle doit avoir lieu, et qu'elle fixe un maximum. L'analogie est telle qu'en substituant un mot à un autre, vous pourriez faire de l'article 4 l'article 5, et réciproquement.

L'honorable préopinant a parlé du vice de rétroactivité. Je me demande d'où peut résulter ce vice de rétroactivité. On a semé des betteraves à l'heure qu'il est ; plus tard, dès que ces betteraves sont récoltées, on les met en œuvre. Ainsi, messieurs, d'après le système de l'honorable préopinant, si la loi relative à l'industrie du sucre indigène devait attendre une époque où elle n'a aucun intérêt à voir changer le régime qu'elle subit, il faudrait s'abstenir désormais de faire une loi, comme on aurait dû s'en abstenir dans le passé. Ainsi, il y aurait, selon l'honorable membre, rétroactivité parce que les semailles sont faites ; mais au mois de septembre, il y aurait une plus grande rétroactivité, parce que la récolte serait faite ; aux mois de janvier et de février, la rétroactivité serait plus grande encore, puisque déjà la mise en fabrication aurait eu lieu en partie.

Vous seriez donc en 1846, d'après les principes de l'honorable préopinant, dans l'impossibilité de faire une loi sur le sucre indigène ; et quant au sucre exotique, comme il n'y a aucune époque déterminée, vous seriez à tout jamais, sous peine de rétroactivité, dans l'impossibilité d'innover en quoi que ce soit au régime auquel ce sucre est maintenant assujetti. Il s'agit, pour résoudre la question de rétroactivité, de savoir à quelle époque le droit du trésor vient à naître et à l'égard du sucre indigène et à l'égard du sucre exotique.

Est-ce le jour où l'on ensemence un champ ? Est-ce le jour où l'on récolte la betterave, ou le jour où l'on constate la densité du jus dans les fabriques que naît le droit du trésor ? C'est quand la quantité de 100 kilog. de sucre brut vient se constater dans les comptes et crée une dette vis-à-vis du trésor public. C'est là la base qu'on a adoptée dans tous les pays où l'on s'est occupé de la législation sur les sucres. Ayant toujours égard à ce principe, le sucre est reconnu le jour où il est pris en charge pour créer une dette vis-à-vis du trésor. Ainsi, il n'y a pas de rétroactivité, c'est même le seul principe qu'on puisse suivre pour éviter la rétroactivité.

C'est, dis-je, au jour de la prise en charge que naît la dette envers le trésor et que naît dans son entier le régime nouveau de la loi.

D'après les rapprochements entre les articles 4 et 5, pas plus dans l'un que dans l'autre, au point de vue des principes, il n'y a délégation du pouvoir législatif. Le gouvernement prend un arrêté qui constate les faits, et à ces faits il applique les dispositions de la loi. Là encore il n’y a pas la moindre rétroactivité, puisque le droit du trésor ne naît qu'à l'époque de la prise en charge.

Il me reste à dire un mot de l'article 6. Cet article paraît également renfermer une énormité. Veuillez revoir l'article 6 tel qu'il nous est proposé et l'article 67 de la loi que vous avez votée à une grande majorité en 1843 ; vous pourrez alors vous rendre compte de la valeur de l'argument. Vous avez tous l'article 6 sous les yeux, je me bornerai à vous lire l'article 67 de la loi de 1843. Il est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à prendre ou à prescrire d'autres dispositions et formalités que celles prévues par la présente loi, pour assurer la perception du droit d'accise sur le sucre de betterave, sauf à soumettre lesdites mesures aux chambres législatives dans la session qui suivra la campagne pendant laquelle elles auront été mises à exécution.

« Toute contravention à ces mesures sera punie, suivant sa nature, d'une amende de 50 à 800 fr. »

Vous voyez donc que déjà la chambre a admis une disposition analogue à l'article 6 du projet qui vous est soumis. Si je suis forcé de la reproduire, c'est que dans le cours des débats en 1843, mon honorable prédécesseur a fait une déclaration qui l'empêchait de constater les quantités produites par le sucre de betterave. Je m'arrête là, je ne veux pas discuter l'application, je veux seulement justifier l'article en principe en montrant qu'il a déjà été adopté par la chambre. Quand nous viendrons à la discussion, je démontrerai que la mesure est juste, morale et nécessaire.

- La séance est levée à 4 heures.