(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 1209) M. A. Dubus procède à l'appel nominal à deux heures.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.
M. A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Le collège des professeurs de l'école d'agriculture et de médecine vétérinaire de l'Etat demande une loi d'organisation définitive de cette école et présente un projet sur cette matière. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation de l'école vétérinaire.
« Le sieur Carlier-Gilain, directeur gérant de la société en commandite pour le tissage et filature de laine, sous la raison Carlier-Gilain et comp., présente des observations sur la convention de commerce conclue avec la France. »
« Plusieurs fabricants de coutils à Turnhout demandent le rejet de cette convention. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la convention et insertion au Moniteur.
« Le conseil communal d'Oyghem prie la chambre de sanctionner la convention de commerce conclue avec la France. »
- Même décision.
« Plusieurs usiniers à Malines réclament l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité à raison du chômage auquel ils ont été condamnés par suite des mesures prises dans l'exécution des travaux destinés à empêcher les inondations de la vallée du Demer et de la Dyle. »
M. Henot. - Les pétitionnaires possèdent tous des usines sur la rivière la Dyle à Malines ; ils se plaignent à leur tour des ouvrages exécutés d'une manière si irrationnelle à Werchter, et d'un chômage de près de trois mois auquel ces travaux ont condamné leurs établissements ; comme les pertes qu'ils ont essuyées de ce chef ne sont pas les résultats du régime naturel de cette rivière, mais la conséquence de travaux exécutés d'une manière vicieuse, ils demandent la réparation du tort qu'ils leur ont causé.
Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics, et qu'après cette discussion elle soit envoyée au chef de ce département.
M. Scheyven. - Il est un autre point dont les pétitionnaires se sont occupés dans la pétition dont on vient de faire l'analyse. Ils demandent que la Dyle soit endiguée entre Malines et Muyzen. En appuyant la proposition de mon honorable collègue M. Henot, je crois devoir appeler l'attention de M. le ministre des travaux publics sur cet objet, car il est constant que, par suite des travaux faits en amont à la Dyle et au Demer, des inondations fréquentes ont eu lieu et qu'il est impossible de préserver les propriétés riveraines de la Dyle dans la suite, si l’on ne s'occupe pas de faire endiguer la Dyle entre Malines et Muyzen.
- Le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics et le renvoi au ministre de ce département sont ordonnés.
« Le sieur de Laveleye, ingénieur civil, présente des observations contre les demandes en concession de chemins de fer et prie la chambre de ne point sanctionner de nouvelles concessions avant d'avoir arrêté un plan qui assure les revenus des lignes de l'Etat. »
M. Rodenbach. - Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion ; je demande ensuite qu'on la renvoie aux sections centrales chargées d'examiner les divers projets de loi de demandes en concession. Cette pétition est assez importante pour qu'on ordonne ce renvoi.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J’ai l'honneur de présenter deux projets de loi de crédits supplémentaires.
Le premier concerne l'école vétérinaire de l'Etat, pour laquelle les traitements des professeurs n'ont pas été votés pour l'année 1845 entière.
Ce projet est ainsi conçu :
« Sur la proposition de nos ministres de l'intérieur et des finances, nous avons arrêté et arrêtons :
« Notre ministre des finances est chargé de présenter en notre nom à la chambre des représentants le projet de loi dont la teneur suit :
« Art. unique. Le budget des dépenses du département de l'intérieur, pour l'exercice 1845, fixé par la loi du 13 mars de la même année (insérée au Moniteur du 18 mars 1845), est augmenté de la somme de 24,000 fr., destinée à payer les dépenses de l'école de médecine vétérinaire et d'agriculture de l'Etat, pendant les mois de novembre et de décembre 1845.
« Cette allocation formera le chapitre XXIV, article unique, du budget du ministère de l'intérieur de l'exercice susmentionné. »
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture.
Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés et distribués aux membres.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je propose de renvoyer ce projet à l'examen de la section centrale qui a examiné le budget de 1845.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai l'honneur de présenter un projet de loi de crédit supplémentaire pour le département des affaires étrangères.
Ce projet est ainsi conçu :
» Sur la proposition de Nos Ministres des affaires étrangères et des finances,
« Nous avons arrêté et arrêtons :
« Notre Ministre des finances présentera, en Notre nom, à la chambre des représentants le projet de loi dont la teneur suit :
« Article unique. Il est ouvert au département des affaires étrangères un crédit supplémentaire de 39,618 fr. 08 c. destiné à couvrir des dépenses arriérées de 1845. Cette somme sera ajoutée à l'allocation votée pour le chapitre VI, article unique, du budget de 1845, intitulé : Missions extraordinaires, traitements d'agents politiques et consulaires en inactivité et dépenses imprévues. »
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture.
Ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés et distribués.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je propose de renvoyer ce projet à la section centrale qui a examiné le budget des affaires étrangères de 1845.
- Cette proposition est adoptée.
M. Eloy de Burdinne demande un congé de trois jours.
- Accordé.
M. de Tornaco. - Messieurs, votre commission des pétitions m'a chargé de vous faire rapport sur cinq pétitions que vous avez renvoyées à son examen et qui concernent le tracé du chemin de fer de Liège à Namur, mais seulement dans la partie qui doit s'étendre de Flémalle à Huy.
A l'exception d'une seule, qui vous a été adressée par le comité des charbonnages liégeois, les pièces dont il s'agit émanent de conseils de communes riveraines de la Meuse. Ce sont les communes des Awirs, de Saint-Georges et d'Amay, situées à la rive gauche, et de la Neuville-sous-Huy, située à la rive droite de la Meuse ; la plus ancienne en date des pétitions qui nous occupent est du 27 janvier, la plus récente est du 4 mars dernier. Toutes indistinctement, qu'elles soient l'expression des vœux d'habitants de la rive gauche ou d'habitants de la rive droite, tendent au même but, c'est-à-dire la construction du chemin de fer sur la rive gauche. Bien qu'elles ne portent aucune trace de concert entre ceux qui les ont signées, elles renferment cependant l'indication des mêmes besoins, des mêmes intérêts, des mêmes faits. La pétition de la commune de Saint-Georges a pourtant cela de remarquable, qu'elle vous est adressée de la localité même où paraissait avoir pris naissance l'opposition au tracé sur la rive gauche. Il résulte évidemment de cette particularité que l'opposition manifesté dans une question d'intérêt général n'avait pas seulement atteint la hauteur d'un intérêt communal.
Les pétitionnaires font ressortir en faveur du tracé par la rive gauche la supériorité numérique et industrielle des populations. Tandis que le tracé par la rive droite ne rencontrerait qu'une population de 2 à 3,000 âmes et seulement deux fours à chaux, deux carrières de pierres et une poudrière ; le tracé par la rive gauche traverserait des communes dont la population s'élève de 14 à 15,000 âmes et possédant de 60 à 70 établissements industriels. Parmi ceux-ci il en est beaucoup d'une grande importance, des exploitations de charbon, des fabriques de zinc, des distilleries.
Tout est pour ainsi dire industrie commerciale et manufacturière sur la rive gauche, pendant que l'agriculture seule occupe la rive droite. Le chemin de fer qui activerait l'industrie d'un côté prendrait, à l'autre côté de la rivière, d'excellentes terres que l'agriculture tient à conserver. Ici le chemin de fer ferait du mal, on le repousse ; là il ferait du bien, on le demande.
Les habitants de la rive gauche, depuis longtemps en possession du mouvement commercial de la vallée, en seraient privés par suite de l'établissement du chemin de fer sur l'autre rive. Nul doute que cet établissement n'amenât la suppression des messageries et d'une grande partie des moyens de transport dont jouissent aujourd'hui les habitants de la rive gauche ; nul doute qu'il ne résultât de ce changement une profonde perturbation dans leurs intérêts.
Ainsi l'adoption du tracé du chemin de fer sur la rive droite, au lieu d'être, comme elle le serait sur la rive gauche, une source de satisfaction, de richesse, de prospérité pour tous les riverains de la Meuse, serait au contraire pour tous un sujet de plaintes, d'appauvrissement, de ruine.
Tel est en peu de mots le résumé des observations que vous ont adressées les pétitionnaires.
(page 1210) Votre commission a reconnu toute la justesse de ces observations, elles s'accordent parfaitement avec le contenu des pièces qui furent soumises à la chambre lorsqu'elle vota la loi de concession du chemin de fer dont il s’agit.
Les vœux des pétitionnaires sont également d’accord avec la pensée qui a présidé à la présentation et au vote de la loi. Le rapport de M. l'ingénieur Magis, qui a servi de base au projet de loi, l'exposé des motifs à l'appui de ce projet, le rapport de la section centrale, sont autant de pièces qui peuvent servir de fondement à cette opinion.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi des pétitions à M. le ministre des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DU DEPARTEMENT DES TRAVAUX PUBLICS POUR L’EXERCICE 1846
Discussion des articles
Chapitre III. - Chemin de fer, postes
Première section. - Chemins de fer
M. le président. - La discussion continue sur le chapitre III, article premier.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la chambre les pièces relatives à la concession du chemin de fer de Wavre à Manage, dont l'honorable M. Osy a demandé la production dans une précédente séance. Ces pièces se composent :
1° D'une demande de concession de M. Al. Vifquain du 22 avril 1845, avec plan à l'appui ;
2° D'une lettre du 6 mai 1845, de M. le comte de Hompesch ;
3° D'une lettre de M. le ministre des travaux publics du 8 mai 1845.
Plusieurs voix. - Donnez-en lecture !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Comme c'est à moi que l'interpellation, que la demande de renseignements a été adressée, la chambre me permettra de donner lecture des pièces que mon honorable collègue vient de déposer sur le bureau.
Voici la lettre de M. Alexandre Vifquain du 22 avril 1845, qui accompagnait le dépôt du projet déposé sur le bureau :
« M. le ministre,
« J'ai l’honneur de vous adresser ci-joint le plan et le profil d'un chemin de fer parlant de Manage et se dirigeant d'une part vers Lobbes (sur Sambre), par l'Olive, Bascoup, Anderlues, et d'autre part, sur Nivelles, Genappe et Wavre, en suivant la vallée de la Dvle.
« La première partie de ce chemin de fer serait évidemment la voie la plus convenable pour exporter les charbons du district du centre vers la Sambre française, l'Oise et le marché de la Seine. La seconde rattacherait les importantes villes de Nivelles et Genappe au réseau des grandes communications du pays et satisferait ainsi à un vœu si souvent manifesté par nos populations wallonnes. Considéré sous ce double point de vue, le railway projeté présente un caractère d'utilité publique tellement évident, que d'autres développements deviendraient inutiles. Le railway de Manage, district du centre, à la haute Sambre et à Wavre sera d'une longueur de 62 kilomètres et l'estimation détaillée pour le chemin de fer à double voie, y compris le matériel d'exploitation, ainsi que les frais de négociation de fonds, s'élève à 20 millions de fr.
« Les intérêts de ce capital d'établissement seraient d'ailleurs parfaitement couverts par les revenus, des calculs statistiques ayant démontré que le produit net annuel, même dans l'hypothèse la plus modérée, atteindrait le chiffre de 1,200,000 fr
« Les immenses avantages que présente cette nouvelle voie de communication ayant été appréciés par une compagnie financière, je viens en son nom, M. le ministre, vous prier de nous en faire accorder la concession par les chambres législatives, nons soumettant dès à présent à toutes les clauses et conditions des marchés contractés avec d'autres compagnies et soumis aujourd'hui à la chambre des représentants.
« J'ai également l'honneur de vous prier, M. le ministre, de vouloir bien charger un ingénieur de l'Etat de vérifier le projet en question, afin qu'il puisse acquérir un caractère plus convenable par la sanction de votre département. »
Voici la lettre de M. le comte de Hompesch du 6 mai 1845 :
« M. le Ministre,
« Par suite de droits de priorité acquis à M. l'ingénieur Vifquain, pour le chemin de fer de Wavre à Manage et Nivelles et de la cession que ledit sieur Vifquain m'a faite de ces droits, je viens, M. le ministre, vous prier de m'accorder une convention provisoire pour la concession de cette ligne, qui a fait l'objet des études déposées à l'appui de sa demande, par M. Vifquain et en comprenant dans cette convention l'extension éventuelle de Manage à la frontière de France, par Thuin, Beaumont et Chimay, ainsi que l'embranchement de Nivelles à Braine-le-Comte, dont les études seront incessamment complétées. Je m'engage en même temps, M. le ministre, à vous présenter, dans un bref délai, une compagnie financière pour l'exécution de ces lignes, et qui offrira au gouvernement toutes les garanties nécessaires. »
Voici la réponse que j'ai faite à cette lettre de M. le comte de Hompesch :
« M. le comte,
«Vous avez, depuis longtemps, appelé mon attention sur le projet de chemin de fer étudié par M. A. Vifquain, et qui, en parlant de Wavre, à la jonction du chemin de fer de Louvain à Jemeppe, se dirige par Nivelles d'un côté vers la station de Manage, et de là vers Thuin et Chimay et la frontière de France, et de l'autre côté vers la station de Braine-le-Comte.
« Votre intention et celle de M. Vifquain est de former une compagnie pour l'exécution de ce projet, qui, d'après vos vues, devrait être prolongé de Wavre vers Tervueren, dans le cas où le chemin de fer direct de Louvain à Bruxelles par Tervueren serait décrété.
« Vous me demandez, M. le comte, avant de constituer cette société, une convention provisoire ou tout au moins un droit de priorité, qui vous appartient en vertu du dépôt des projets remis par M. A. Vifquain.
« Les études de l'avant-projet de Wavre par Nivelles à la station de Manage et à celle de Braine-le-Comte m'ayant été soumises avant la publication d'un arrêté qui va paraître sur les demandes en concession et étant assez avancées pour que je me forme une opinion mûrie sur l'utilité de cette ligne et sur la possibilité de son exécution, je puis vous accorder ce droit de priorité dans le cas où la compagnie dont vous m'annoncez la formation donnerait au gouvernement toutes les garanties qu'il est en droit d'exiger.
« Ce n'est qu'après l'accomplissement de ces conditions que je pourrai passer une convention provisoire avec la Compagnie, qui devra se conformer au tracé admis par le gouvernement. Les conventions et les cahiers des charges, adoptés par les chambres dans cette session, serviront de bases générales à cette convention.
« Relativement au prolongement du chemin de fer de Manage vers la frontière de France, les études n'en sont pas faites, et ce n'est qu'après leur achèvement et l'accomplissement des formalités exigées, que je pourrai prendre une décision à cet égard. Toutefois, dans le cas où le gouvernement croirait pouvoir concéder cette ligne, et après examen des droits éventuels que la compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse pourrait faire prévaloir sur cette branche, je ne fais aucune difficulté de vous promettre d'accorder pour son exécution une préférence à votre compagnie. »
Messieurs, ces pièces dont je viens de donner lecture, confirment pleinement les faits tels que je les ai présentés à la chambre dans la séance de samedi, tels que mes souvenirs me les rappelaient.
Vous voyez que je n'accordais ni privilège, ni concession, ni promesse de concession, ni convention provisoire, soit à M. Alexandre Vifquain, soit à M. le comte de Hompesch, mais un droit de priorité de concession ; et encore ce n'était que dans le cas où la société qui n'était pas formée, dont on organisait la formation, donnerait des garanties de probité, de solvabilité, de bonne exécution, que ce droit de priorité devait avoir une valeur quelconque.
La dépêche du 8 mai est un accusé de réception contenant un double refus. Ces messieurs demandaient au gouvernement une convention provisoire, non seulement pour le projet de Wavre aux stations de Braine-le-Comte et de Manage, mais pour un chemin de fer vers la frontière de France et Tervueren qui n'était pas étudié.
Ma lettre contient un double refus de toute convention provisoire avant la formation de la société et le versement du cautionnement, refus de droit de priorité pour les parties qui n'étaient pas parfaitement étudiées.
Le projet de M. Alexandre Vifquain n’était pas une étude sur le papier, mais une étude sur le terrain. M. le ministre des travaux publics vient de me faire connaître que l'ingénieur Dandelin, chargé de la vérification du projet, n'y a apporté que de légères modifications, ce qui démontre que c'était un projet parfaitement étudié.
M. Rogier. - Y a-t-il d'autres études que ce morceau de papier ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Ce sont des études faites sur le terrain.
Ces études étaient faites sérieusement, puisque la vérification de l'ingénieur Dandelin n'a apporté que de très légères modifications.
Ainsi ma lettre n'accordait aucun droit que les concessionnaires ne possédaient déjà ; c'est un simple récépissé. Le dépôt de leur demande leur aurait accordé les mêmes droits que la lettre que je viens de lire.
Pour ce qui s'est passé ensuite, pour la valeur attribuée à la cession de leurs droits, lors de la formation de la compagnie, ce fait ne peut pas concerner le gouvernement, c'est en dehors de sa compétence ; le gouvernement n'avait aucun moyen quelconque pour empêcher les abus, si abus il y a. Du reste, je dois le déclarer, sans vouloir apprécier ou justifier cette cession, je la crois parfaitement légitime. Ainsi, lorsqu'un auteur de chemin de fer, un inventeur d'une mine ou l'auteur d'une découverte pour laquelle un brevet est accordé, fait cession de ses droits à une compagnie financière qui se forme pour l'exploiter, la cession de ses droits de priorité est parfaitement légitime.
Mais, je le répète, je ne veux nullement apprécier la valeur à laquelle ce droit de priorité a été cédé. C'est une question qui a dû être débattue entre les cessionnaires et la compagnie, et sur laquelle le gouvernement n'a aucun contrôle à exercer.
M. Osy. - Pour ne pas confondre les différentes observations relatives au chemin de fer, je crois que nous ferions bien de terminer cet incident.
Ce qui m'a frappé le plus dans la lettre adressée à M. Hompesch, c'est qu’on y dit que, nonobstant le projet de prendre un arrêté qui a été pris en effet quelques jours après pour empêcher qu'il ne fût accordé des concessions illusoires, on lui a néanmoins accorde un droit de priorité. Cela est inconcevable, quand le gouvernement voulait changer de système pour éviter les abus.
Dans toutes les autres concessions, un cautionnement était déposé d'avance ; le gouvernement avait une garantie ; ici il n'a rien reçu. C'est donc un cadeau qu'on a voulu faire.
Cela est vraiment regrettable, parce que les actionnaires anglais sont en droit de nous reprocher les sacrifices qu'ils ont été obligés de faire pour racheter ce droit de priorité. Pour le chemin de fer de Jemeppe à Louvain, ils ne l'ont pas payé moins de 42,000 liv. st.
J'espère que de tels abus ne se renouvelleront pas ; je regrette ceux qui ont eu lieu ; car cela ne fait pas honneur à la moralité belge.
(page 1211) M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai écouté avec attention la discussion de samedi et celle d'aujourd'hui. Il me semble que les observations de l'honorable M. Osy vont plus loin qu'il ne pense, et qu'elles tendent à modifier profondément les principes de notre législation, en ce qui concerne la propriété des œuvres de l'esprit, de l'intelligence.
Il est reconnu (c'est un principe de notre législation) que l'inventeur a un droit qui se résout en d'autant plus d'argent que l’invention est plus utile. Si ce principe n'existait pas, il faudrait l'inventer.
Mais qu'est-il arrivé dans cette circonstance, notamment pour le chemin de fer de Jemeppe à Louvain ? Un ingénieur a étudié sur le terrain (comme le prouve le plan) une ligne qu'il croyait utile. En déposant ce plan, cette idée formulée ainsi, il a acquis, d'après les principes de notre législation, un droit de préférence indépendant de toutes les décisions que le gouvernement aurait pu prendre.
Ce droit de priorité acquis, il s'est entendu avec des capitalistes pour réaliser son idée. Rien de plus légi ime. C'est ce qui se fait, c'est ce qui devait se faire.
Un ingénieur civil a fait des études, des plans, des mémoires sur un projet de chemin de fer de Louvain à la Sambre. Les capitaux se sont portés un jour sur les chemins de fer, et l'ingénieur qui avait fait les travaux, qui avait étudié toute la ligne, a vendu son droit de priorité 42,000 liv. sterl. Qu'importe ? S'il avait valu 50,000 liv. st., il aurait pu le vendre 50,000 liv. st. Ce que l'honorable membre devrait prouver, c'est que cette concession ne valait pas, au profit de celui qui a fait les études, une somme de 42,000 liv. sterling.
Cette preuve faite, vous n'aurez encore rien établi, quant à la responsabilité du gouvernement. Vous aurez prouvé ainsi que les capitalistes n'ont pas bien apprécié la valeur de l'entreprise ; à cet égard ils sont parfaitement libres. Personne d'ailleurs ne peut apprécier d'avance la valeur de l'entreprise ; personne ne peut dire que le chemin de fer de Louvain à la Sambre ne vaut pas le coût d'exécution et les 42,000 liv. st. payées volontairement à l'ingénieur créateur du projet. Cette transaction, je le répète, est conforme aux principes de notre législation.
J'ai fait ces observations, uniquement pour faire ressortir que, d'après l'esprit de nos lois, l'auteur d'une invention, d'une découverte, d'une œuvre intellectuelle, dans quelque branche des connaissances humaines que ce soit et qui veut en retirer un profit, peut le réaliser sous la forme de concession d'ouvrage d'utilité publique, ou sous telle autre forme que ce soit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L'honorable M. Osy se trompe, lorsqu'il nous parle de faveur accordée et de garanties que le gouvernement n'aurait pas stipulées.
Le gouvernement n'avait besoin d'aucunes garanties, parce qu'il ne concédait rien. Il s'agissait d'un droit de priorité que le gouvernement n'avait pas le droit d'enlever, et que notre législation leur accordait.
Ma dépêche du 8 mai n'était simplement qu'un accusé de réception, dont le but était plutôt de refuser la convention provisoire et une promesse de concession pour la partie de la ligne qui n'était pas encore étudiée.
M. le ministre des finances vient de le dire avec raison, ce droit de priorité accordé à l'auteur d'un projet ou d'une découverte est conforme aux principes de notre législation et aux usages administratifs.
D'après la loi sur les concessions de péages, l'auteur d'un projet ne peut être évincé que si le rabais sur le montant des péages dépasse 5 p. c. En cas d'éviction, une indemnité est accordée à l'auteur du projet. L'auteur d'un projet de communication, l'inventeur d'une mine, possèdent une propriété dont le gouvernement ne peut s'emparer qu'en l'expropriant pour cause d'utilité publique et avec indemnité.
Tel est le principe ; ce n'est donc pas une faveur qui a été accordée dans la question qui nous occupe, c'est un droit qui a été reconnu.
L'honorable M. Osy m'a fait l'observation que j'étais sur le point de prendre l'arrêté du 21 mai. Dans la lettre même je déclare que si je ne soumets pas le projet du chemin de fer de Wavre aux formalités que je me préparais à prescrire, c'est parce que ces études m'ont été soumises avant que cet arrêté n'ait été pris. Mais c'est précisément à cause de faits de cette nature, qui tendaient à se produire, que j'ai pris l'arrêté du 21 mai. J'ai senti la nécessité pour le gouvernement de s'armer contre les obsessions.
A la fin de la session il y avait cent demandes de concessions déposées au ministère des travaux publics. J'ai pris cet arrêté, afin de suspendre l'instruction de ces projets et de les soumettre aux prescriptions sévères déterminées dans l'arrêté de 1835, afin que, si des concessions étaient demandées dans la suite, elles ne le fussent qu'en vue d'une exécution sérieuse.
Mais, je le répète, la présentation du projet de Wavre et Nivelles était antérieure à l'arrêté du 21 mai qui ne devait donc pas lui être applicable.
M. Rogier. - Cette discussion se renouvellera probablement lors de la discussion du projet de loi relatif à la concession du chemin de fer de Manage à Wavre récemment présenté. Je me réserve de faire alors mes observations en réponse à M. le ministre des affaires étrangères.
M. le ministre des travaux publics (M. de Bavay). - Je désirerais donner quelques explications au sujet du chemin de fer de Louvain à la Sambre, dont il vient d'être question. La concession a été demandée par M. Tarte qui, dès 1833, a publié une brochure et qui depuis en a publié d'autres à ce sujet. Il était en instance depuis longtemps, lorsque le projet de concession a été apporté dans cette chambre. L'idée de ce chemin de fer doit même son origine à un projet de canal de Louvain à la Sambre présenté par cet ingénieur en 1829.
M. Tarte s'est rendu à Londres où il a fait des démarches pour former une société financière. Quelques-unes des personnes avec lesquelles M. Tarte a été en rapport à ce sujet se sont adressées à M. Van de Weyer, notre ambassadeur à Londres. Celui-ci en a référé à M. le ministre des affaires étrangères qui, à son tour, a écrit à son collègue des travaux publics dans les termes suivants :
« Bruxelles, le 28 janvier 1845.
« M. le ministre,
« La compagnie qui s'est formée pour la construction d'un chemin de fer à double voie, de Louvain à Jemeppe sur Sambre, vers Namur et Charleroy, a envoyé un mandataire en Angleterre, à l'effet de solliciter le concours des capitalistes anglais pour l'exécution de cette entreprise. Quelques-uns de ceux-ci se sont adressés à M. Van de Weyer, afin de connaître les dispositions du gouvernement du Roi relativement à cette affaire. Ils demandent s'il est vrai que, moyennant le versement d'un cautionnement d'un million de francs, la concession serait accordée, avec les conditions suivantes, à ratifier par les chambres :
« 1° Concession directe et sans concurrence du droit de péage pour un terme de 90 années ;
« 2° Engagement par le gouvernement de payer les intérêts de la somme d'évaluation du coût du chemin de fer et de ses dépendances, matériel compris, à raison de 4 p. c. l'an, et cela pendant l'exécution des travaux seulement, travaux dont la durée sera fixée à trois années ;
« 3° Application du tarif du chemin de fer de l'Etat ;
« 4° Exécution des travaux sous la surveillance immédiate des agents du gouvernement ;
« 5°A l'expiration de la concession, le chemin de fer et ses dépendances devenant la propriété de l'Etat, l'administration publique reprendra le matériel d'exploitation au prix qui sera déterminé par des arbitres nommés de commun accord entre le gouvernement et les intéressés.
« Je vous prie, M. le ministre, de vouloir bien me mettre à même de donner à. M. Van de Weyer les renseignements qui lui ont été demandés. On a désiré savoir également si la composition de la compagnie présentait toute garantie à ceux qui associeraient leurs capitaux à l'entreprise ; je pense qu'il ne peut y avoir de doute à cet égard.
« Le ministre des affaires étrangères,
« Comte Goblet. »
Voici quelle a été la réponse du ministre des travaux publics à cette communication :
« Bruxelles, le 12 février 1845.
« M. le ministre,
« J'ai l'honneur de vous faire connaître, en réponse à votre lettre du 25 janvier dernier, litt. B, n° 1624, que, dans ma pensée, la concession du chemin de fer de Louvain à Jemeppe-sur-Sambre aurait des chances d'être accordée par la législature, en considération de sa haute utilité pour la ville de Louvain et pour la vallée de la Dyle et du débouché nouveau que cette communication ouvrirait aux produits pondéreux de la Sambre.
« Je crois également que les chambres seraient disposées à concéder cette entreprise aux conditions indiquées dans noire lettre précitée, sous les n 1, 3, 4 et 5, moyennant le dépôt préalable d'un cautionnement d'un million de francs.
« Quant à la condition n°2, aux termes de laquelle le gouvernement payerait les intérêts du coût d'évaluation, pendant l'exécution des travaux, je la regarde comme moins acceptable et de nature à soulever une difficulté sérieuse au sein des chambres.
« Je pense, du reste, que le moyen le plus sûr de garantir les intérêts des capitalistes qui auraient l'intention de s'associer à l'entreprise, consisterait à formuler la demande en concession au nom des principaux d'entre eux, sauf à prendre des arrangements équitables avec les auteurs du projet.
« Le ministre des travaux publics,
« A. Dechamps. »
(page 1215) Nous reproduisons ici la fin du discours prononcé dans la séance du 4 mai par M. le ministre des travaux publics p. 1211.
Messieurs, à la suite de cette communication, M. l'ingénieur civil Tarte est parvenu à se stipuler des avantages qui peuvent paraître exorbitants.
Mais peut-on dire que la responsabilité d'un pareil fait doive atteindre en aucune façon l'administration ? L'administration avait-elle à intervenir dans un règlement semblable entre un demandeur primitif des capitalistes qui s'associaient à lui ? Evidemment non. Evidemment le cahier des charges, déjà soumis à l'appréciation des chambres, était rédigé dans un tout autre ordre d'idées, et supposait que l'administration resterait en dehors de tout arrangement financier, à tel point que l'administration interdisait toute cote et toute négociation d'actions dans le pays avant l'ouverture de la voie de communication.
(page 1211) M. Lys commence un discours que nous reproduirons en entier dans le compte rendu de la prochaine séance.
La séance est levée à 4 heures et demie.