(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Dumont, vice-président.)
(page 932) M. de Villegas procède à l'appel nominal à midi et un quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée,
M. de Villegas présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur L.-G. Vimont, armurier à Audenarde, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »
- Renvoi à la commission des naturalisations.
« Le vicomte du Toict, ancien capitaine de maréchaussée, réclame l'intervention de la chambre pour être mis en activité ou à la pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les conseils communaux des cantons de Wellin et de Rochefort, demandent l'exécution de la route projetée de Rochefort à Mézières et Charleville. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget du département des travaux publics.
« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers demande l'adoption du projet de loi sur les sucres, moyennant quelques modifications. »
- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du projet de loi sur les sucres.
« La chambre de commerce et des fabriques de Tournay présente des observations contre la convention de commerce conclue avec la France. »
« Mêmes observations des filateurs de laine et fabricants d'étoffes de laine des villes de Tournay, Renaix, Leuze et Peruwelz. »
M. Dumortier. - Messieurs, je demande que ces pétitions soient insérées au Moniteur et renvoyées à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
- Adopté.
« Les membres du conseil communal de Peruwelz présentent des observations contre le projet de loi sur les sucres. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le conseil communal d'Ostende présente des observations contre le projet de loi sur la dérivation des eaux de la Lys. »
« Mêmes observations du conseil communal de Lapscheure. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
M. Sigart. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de votre commission qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif à la comptabilité des commissions médicales provinciales.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. le président. - A quel jour la chambre veut-elle fixer la discussion de ce projet ?
M. Sigart, rapporteur. - Messieurs, cet objet a du rapport avec d'autres qui sont traités dans le budget de l'intérieur ; je pense qu'il serait utile que les deux discussions fussent peu éloignées ; je pense surtout que la discussion de ce projet devrait précéder celle du budget de l'intérieur.
Je propose, en conséquence, de fixer la discussion immédiatement avant celle du budget de l'intérieur.
- Cette proposition est adoptée.
M. Mast de Vries. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le budget du département des travaux publics.
- Le rapport sera imprimé et distribué. La discussion en sera fixée ultérieurement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le premier article qui doit être soumis à un second vote, porte le numéro 5 ; c'est l'amendement de l'honorable M. Devaux.
Cet amendement se compose de deux parties, l'une permanente et de principe, l'autre transitoire. Je regrette que l'auteur de l'amendement ne soit pas présent, mais je pense qu'il ne s'opposerait pas à ce que la deuxième partie de l'article soit placée parmi les dispositions transitoires. Je proposerai également de faire de la première partie de l'article un paragraphe de l'article premier.
L'article premier se composerait de deux paragraphes ainsi conçus : «Les recettes et les dépenses publiques à effectuer pour le service de chaque exercice, sont autorisées par les lois annuelles de finances, et forment le budget général de l'Etat.
« Le budget est présenté au moins dix mois avant l'ouverture de l'exercice. »
M. Desmet. - M. le ministre des finances a-t-il réfléchi sérieusement à la disposition qui va passer, à savoir qu'un budget devra être présenté au moins dix mois avant l'exercice auquel il s'applique ? Nous allons retomber par là dans l’inconvénient des crédits extraordinaires, et il faudra que le gouvernement vienne demander à tout moment des bills d'indemnité comme la chose a eu lieu pour la British-Queen. Il me semble que la disposition est extrêmement dangereuse.
- M. Dumont est remplacé au fauteuil par M. Liedts.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, il est très possible qu'à la suite de l'exécution de l'article, on doive demander des crédits supplémentaires plus nombreux ; mais si c'est là un inconvénient, la disposition présentée par l'honorable M. Devaux offre, et au point de vue des travaux de la chambre, et au point de vue des intérêts de l'administration» des avantages incomparablement plus grands. Dès le début de la discussion, j'ai reconnu l'utilité de cette disposition, et les réflexions que j'ai faites depuis le premier vote, m'ont convaincu de plus en plus qu'il y avait, sous plusieurs rapports, intérêt à ce que la discussion du budget n'eut pas lieu comme elle a eu lieu jusqu'à présent, la veille de l'ouverture d'un exercice, très souvent même, lorsqu'un exercice était déjà commencé depuis plusieurs mois.
M. Desmet. - Les inconvénients que j'ai signalés n'en subsisteront pas moins. Le gouvernement sera dans le cas, je le répète, d'avoir besoin à tout moment de crédit extraordinaires, et il faudra demander des bills d'indemnité. Je ne comprends pas comment le gouvernement, qui a adopté l'amendement sur lequel il s'agit de voter définitivement, n'a pas voulu de l'amendement de la section centrale, aux termes duquel il aurait pu disposer d'une partie de l'encaisse du trésor dans des circonstances extraordinaires.
- L'article premier, tel que M. le ministre des finances propose de le formuler, est mis aux voix et adopté.
Les deux amendements, qui ont été introduits dans l'article 8, sont confirmés.
« Art. 10. Le trésor public a privilège, conformément à la loi du 15 septembre 1807, sur les biens de tout comptable, caissier., dépositaire ou préposé quelconque, chargé de deniers publics. »
M. Lebeau. - Je ne crois pas qu'on puisse être chargé de deniers publics, à moins qu'on ne les porte dans sa poche ou sur son dos. Il faudrait une autre rédaction.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je conviens qu'au point de vue de la grammaire logique, cette rédaction n'est pas irréprochable ; mais en style de lois de comptabilité, elle est très usitée.
Ainsi, dans l'ordonnance française, les mêmes expressions se trouvent plusieurs fois. Du reste, on peut mettre comme à l'article 8 : « Chargé d’un maniement des deniers publics. »
- L'article 10 ainsi amendé est mis aux voix et adopté.
« Art. 11. Tout comptable est responsable du recouvrement des capitaux, revenus, péages, droits et impôts dont la perception lui est confiée.
« Avant d'obtenir décharge des articles non recouvrés, il doit faire constater que le non-recouvrement ne provient pas de sa négligence, et qu'il a fait en temps opportun toutes les diligences et poursuites nécessaires.
« Quand un comptable a été forcé en recette, et qu'il a payé de ses deniers les sommes dues et non renseignées, il est subrogé de plein droit dans les créances et privilèges de l'Etat à la charge des débiteurs. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'article 11, tel qu'il a été adopté lors du premier vote, exige encore quelques explications. Au premier vote, l'honorable M. de Garcia m'avait demandé si, d'après le dernier paragraphe, le comptable forcé en recette était subrogé, non seulement dans les créances et privilèges de l’Etat, mais même quant au mode de poursuite. Il m'a paru d'abord qu'il était simplement subrogé au droit lui-même, et non quant au mode de l'exercice du droit.
Depuis lors, doutant moi-même d'après les explications de l'honorable M. Mercier, j'ai recherche et les dispositions des lois spéciales et les précédents ; j'ai reconnu que l'interprétation que je croyais devoir être donnée à la disposition n'était pas conforme à ces lois spéciales et aux précédents. En effet, quand on y réfléchit, qu'importe au contribuable si entre l'Etat et le comptable il s'est opéré une espèce de novation. Le contribuable est débiteur de cette somme ; il est débiteur envers l'Etat ; que le comptable soit devenu créancier à l'égard de ce contribuable, cela ne fait aucun tort à ce dernier, puisque le comptable agit comme s'il agissait au nom de l'Etat. C'est ce que portent en termes exprès plusieurs lois spéciales que je crois inutile de citer.
Il est passé à l'article 17.
M. le ministre des finances (M. Malou) propose d'ajouter au dernier paragraphe de cet article, une disposition ainsi conçue : « Sauf les exceptions déterminées par les règlements sur l'administration de l'armée et relatives aux ventes de fumier dans les corps de troupes à cheval, des objets d'habillement et d'équipement hors de service, dans les corps des diverses armes et des approvisionnements sans destination, par suite de mouvements inopinés de troupes sur le pied de guerre. »
Cet amendement est mis aux voix et adopté, ainsi que l'article amendé.
L'amendement introduit au deuxième paragraphe de l'article 18 est confirmé sans discussion.
Les modifications introduites aux premier et deuxième alinéas de l'article 20 sont également confirmées sans discussion.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je demande la parole pour faire une observation sur l'article 23. Le n° 7 de cet article porte :
« Il peut être traité de gré à gré.
(page 933) «7° Pour les matières et denrées qui, à raison de leur nature particulière et de la spécialité de l'emploi auquel elles sont destinées, sont achetées et choisies au lieu de production ou livrées sans intermédiaire par les producteurs eux-mêmes. »
Je pense qu'il ne peut y avoir de doute sur l'application de ce numéro aux poudres et artifices de guerre. Je tenais à faire cette observation parce qu'il y a un grand intérêt public à traiter de gré à gré pour cet objet d'une nature particulière et d'un emploi spécial, et que s'il y avait eu du doute à cet égard, j'aurais proposé une disposition additionnelle.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Je demande la parole pour faire une simple observation sur la rédaction de l'article 24.
L'article primitif du gouvernement a été adopté, je ne demande pas qu'on revienne sur cette décision. Je n'en ai pas le droit. Voici mon observation : la chambre a décidé que les traitements des fonctionnaires seraient payables sans le visa de la cour des comptes et que la cour liquiderait postérieurement aux payements à la fin de l'exercice. D'après la rédaction de l’article 24, les départements feront simplement connaître à la cour des comptes, sans pièces justificatives, le montant des imputations à faire sur chaque article au budget. Il me semble que cette rédaction est vicieuse et contraire à votre intention.
D'après l'article 116 de la Constitution, la cour des comptes est chargée de veiller à ce qu'il ne s'opère pas de transferts. Il résulte de cette disposition que la cour ne peut être obligée à liquider définitivement que sur les pièces justificatives. Lors donc que la loi décide que, pour des services urgents, la dépense se fera sans justification préalable, la cour ne liquide pas, mais elle ouvre des crédits, elle en tient note dans des registres spéciaux. Il lui est ensuite justifié de la dépense au moyen des mandais, et elle ne liquide définitivement que sur les pièces justificatives.
Il résulterait du texte que vous avez adopté que la cour des comptes serait forcée de liquider préalablement sans pièces justificatives. Telle n'a pu être votre intention. Je pense que votre intention, comme celle de M. le ministre des finances, est que la cour des comptes ouvre des crédits, qu'elle en tienne note, et que l'imputation définitive ne se fasse que sur pièces justificatives après la dépense faite. Ce n'est qu'ainsi que l'article 24 peut être exécuté. J'ai tenu à faire cette observation pour que la cour des comptes fût à même de mettre cet article à exécution.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'article dont vient de vous entretenir l'honorable rapporteur a été adopté sans amendement. Cependant |je crois devoir répondre quelques mots aux observations qu'il a présentées. La seule différence entre l'article proposé par la section centrale et celui qui a été adopté au premier vote consiste en ce qu'on devait transmettre les états pour l'année entière, sauf à justifier ultérieurement les dépenses faites, tandis que, d'après l'article adopté, la cour ouvrira des crédits dans les limites du budget, et le ministre ordonnancera sur ces crédits sans devoir réclamer chaque mois le visa de la cour. Ce visa est inutile pour les dépenses de cette nature, et il occasionne une perte de temps considérable. Je le répète, les deux systèmes reposaient sur l'ouverture de crédits et avec justification ultérieure lorsque la dépense a été effectuée.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Je suis satisfait de l'explication que vient de donner M. le ministre des finances ; mais cette explication contredit évidemment la rédaction de l'article ; je tiens à vous le faire remarquer, car la cour des comptes n'aura pas d'imputation définitive à faire en ouvrant les crédits.
Quant à ce qu'a dit M. le ministre des finances, que ce visa préalable est inutile en cette circonstance, je déclare, au contraire, qu'il eût été très utile de mettre sous les yeux de la cour les pièces justificatives qui étaient les états de traitement. En effet, pour les traitements comme pour toute autre dépense, les transferts sont possibles.
Nous voyons aux travaux publics des allocations, destinées à des travaux, servir à payer le personnel. Le cahier de la cour des comptes, concernant l'exercice de 1841, vous signale cet abus ; ce cahier nous apprend qu'aux travaux publics on se sert des fonds destinés à la construction des chemins de fer décrétés, pour faire faire les études des chemins de fer concèdes, études qui devraient être faites par les compagnies ; on s'en sert encore pour payer les frais d'impression du cahier des charges. Ce sont là de véritables transferts non autorisés par la loi du budget. Je dis donc qu'il est fâcheux que la disposition adoptée mette obstacle à ce que la cour puisse mettre obstacle à ces transferts.
A l'avenir elle n'exercera sa surveillance que postérieurement à la dépense ; ceux qui les auront faites contrairement à la loi, en seront responsables.
La chambre passe à l'article 27.
Les modifications apportées à cet article, ainsi que celles introduites dans les articles 32, 34, 38, 42, 44, 45 et 48 sont définitivement adoptées sans discussion.
M. le ministre des finances (M. Malou) propose un amendement à l'article 51. Cet article serait ainsi conçu :
« Sont applicables aux provinces : 1° les règles établies pour la durée des budgets et pour la reddition des comptes des fonds de l'Etat ; 2° les articles 35, 36, 37, 38, 40 et 41 de la présente loi. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, lors du premier vote, plusieurs observations ont été faites pour compléter, en supposant le principe d'assimilation admis, l'article 54 que j'avais eu l'honneur de proposer. On a demandé s'il ne serait pas utile de rendre applicables aux provinces les dispositions de la loi relatives aux prescriptions d'échéances, saisies-arrêts, oppositions. Je n'ai pas eu le moindre doute sur l'utilité de ces dispositions de la loi qui ont pour objet de permettre d'opérer plus vite et mieux la comptabilité de l'Etat. Les motifs sont les mêmes pour les provinces. Je propose donc de rendre applicable aux provinces toutes les dispositions du chapitre 4 qui sont susceptibles d'y être appliquées.
L'honorable M. Veydt a fait une autre observation ; il a demandé s'il ne conviendrait pas de rendre communes à la comptabilité des provinces les dispositions de l'article 10 relatives aux privilèges du trésor public. La question n'existe que pour les provinces qui usent de la faculté de nommer un receveur particulier. Pour les autres, en effet, les recettes sont opérées par les comptables de l'Etat, et les privilèges s'appliquent à l'ensemble de la recette, parce que le décompte entre l'Etat, la province et la commune ne libère pas le comptable à l'égard de l'Etat. Les provinces qui ont un receveur particulier sont aujourd'hui au nombre de deux. La province de Hainaut a fait un contrat avec la caisse des propriétaires et la province de Liège avec la banque liégeoise. Les contrats qui existent aujourd'hui et en vertu desquels les recettes ont été confiées à ces deux institutions ne peuvent pas être modifiés par suite de la loi nouvelle.
Les provinces ont stipulé, d'après la nature des choses, les garanties dont elles ont cru avoir besoin. C'est ainsi que le Hainaut a exigé de son caissier un cautionnement de 100,000 fr.
L'article 114 de la loi provinciale porte :
« Art. 114. Lorsque les conseils établiront des receveurs particuliers pour les fonds provinciaux, ils détermineront les garanties qui seront exigées des comptables.
« Les provinces jouiront des mêmes droits d'hypothèques sur les biens de ces comptables, que ceux établis sur les biens des comptables envers les communes. »
Et l'article 2121 du Code civil porte :
« Art. 2121. Les droits et créances auxquelles l'hypothèque légale est attribuée sont...... ceux de l'Etat, des communes et des établissements publics sur les biens des receveurs et administrateurs comptables. »
Il résulte de ces dispositions que (toute autre considération mise de côté) nous n'avons pas besoin d'insérer dans la loi une disposition qui rende le privilège applicable aux receveurs particuliers des provinces.
En effet, lorsque j'ai eu l'honneur de proposer l'article. 10, ce n'était pas que je misse en doute l'existence obligatoire de la loi de 1807, c'est parce que je voulais généraliser l'application de la loi, l'étendre aux caissiers qui ne sont pas, à proprement parler, des comptables, et notamment à la Société Générale qui, d'après le contrat de 1823, n'est pas rigoureusement dans les termes ordinaires un comptable de l'Etat. Je crois donc qu'il suffit de rendre applicables aux provinces les articles relatifs aux prescriptions, aux déchéances et aux saisies-arrêts.
M. Veydt. - La question relative aux privilèges a été examinée par M. le ministre des finances. C'est ce que je désirais. Mon intention était de proposer que les provinces qui usent du droit que leur donne l'article 144 de la loi provinciale, d'avoir un receveur particulier, jouissent des mêmes avantages que l'Etat. Or, il résulte des observations de M. le ministre des finances que les provinces qui font faire leurs recettes par les comptable» du trésor public, ont, en effet, les mêmes privilèges qui l'Etat, et comme je suis partisan de ce système à tel point que je verrais avec plaisir toutes les provinces lui confier exclusivement leurs fonds, je n'insisterai pas sur ce point.
M. Delfosse. - Mais les provinces qui ont un receveur particulier touchent l'intérêt des fonds déposés chez lui.
M. Veydt. - C'est tout naturel, puisque ce receveur fait emploi de ces fonds. C'est précisément par ce motif que je voulais proposer d'étendre aux provinces les privilèges de l'Etat, afin de leur assurer une plus grande garantie. J'arrive à la question que je voulais principalement traiter.
Si les règles de la comptabilité de l'Etat sont rendues applicables aux provinces, il est nécessaire que les provinces reçoivent des explications de M. le ministre des finances pour faire cesser les doutes qui se sont élevés depuis quelque temps.
A présent les budgets provinciaux sont ouverts pendant trois années. Pendant tout ce temps, trois budgets sont en cours d'exercice. L'administration provinciale impute sur l'un ou l'autre budget, sans s'arrêter à l'année de l'imputation, pourvu qu'il s'agisse de dépenses de même nature.
Ainsi, je suppose, pour exemple, qu'au budget de 1844 un crédit soit encore disponible pour subside aux communes en faveur de la construction d'écoles ; l'administration provinciale accordant un subside à une commune même en 1846, imputera cette dépense sur le crédit non absorbé de 1844. En d'autres termes, elle épuisera les fonds d'un exercice antérieur avant d'entamer l'exercice courant. Cette marche a été suivie pendant de longues années dans la province d'Anvers. Pendant huit ans que j'ai eu l'honneur de faire partie de la députation permanente, l'on n'en a pas suivi d'autre, et aucune opposition ne s'est élevée contre elle.
Mais l'année dernière, la cour des comptes a fait observer que toute dépense doit être imputée sur le budget de l'exercice pendant lequel elle a lieu.
La députation permanente a fait de vives instances auprès de cette cour pour qu'elle ne tînt pas rigoureusement à cette règle, dont l'application serait une source d'embarras et jetterait la perturbation dans la comptabilité ; elle a demandé que la marche adoptée jusqu'ici fût encore suivie, ou du moins, si la cour des comptes persistait dans son opinion, qu'on maintint le statu quo jusqu'à l'adoption de la nouvelle loi sur la comptabilité de l'Etat.
Cela s'est passé pendant que l'honorable ministre des finances était à la tête (page 934) de l'administration de la province d'Anvers. Il a donc une parfaite connaissance de la question.
L'article 2 du projet me semble la résoudre dans le sens de la cour des comptes. Toutefois, afin qu'il y ait à l'avenir une marche uniforme dans toutes les provinces, je prie M. le ministre des finances de nous faire connaître son opinion.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La question que vient d'indiquer l'honorable M. Veydt s'est présentée en effet pendant que je remplissais les fonctions de gouverneur d'Anvers. Je dirai plus, cette question s'est présentée plusieurs fois entre les départements ministériels et la cour des comptes. Il s'agit en d'autres termes de déterminer le droit d'imputation sur un exercice. En 1845 et en 1846 on impute sur l'exercice 1844 (qui d'après les règles actuellement en vigueur reste ouvert pendant trois ans) des dépenses dont la cause et l'origine ne remontent pas à 1844.
La cour des comptes a constamment soutenu que l'exercice reste ouvert pour l'imputation, mais pas pour transférer des dépenses d'un exercice à un autre. En effet, si ce principe n'avait pas été admis, un ministre aurait eu constamment à sa disposition non pas un budget, mais trois budgets.
C'est ainsi, comme vient de le dire l'honorable M. Veydt, que les choses se sont toujours passées dans la province. d'Anvers. Désormais, d'après l'article 2 du projet nouveau, cela ne sera plus possible, ni dans la province d'Anvers, ni quant à l'Etat. En effet l'article 2 porte :
« Art. 2. Sont seuls considérés comme appartenant à un exercice, les services faits et les droits acquis à l'Etat et à ses créanciers pendant l'année qui donne sa dénomination à l'exercice.
« L'exercice commence le 1er janvier et finit le 31 décembre de la même année.
« Toutefois, les opérations relatives au recouvrement des produits, à la liquidation et à l'ordonnancement des dépenses, pourront se prolonger jusqu'au 31 octobre de l'année suivante. »
Il résulte de là que cet exercice reste ouvert non pas pendant trois ans, mais pendant 22 mois.
J'ajouterai que les inconvénients qui se présentent dans la province dont a parlé l'honorable membre seront singulièrement atténués lorsque la durée de l'exercice sera abrégée. En effet, comme l'arriéré sera plus tôt vidé, il y aura des sommes moins considérables momentanément indisponibles entre les mains des provinces.
Il peut se présenter plusieurs autres questions quant aux imputations. Il en est une assez délicate qui me revient à la mémoire. Je suppose qu'une adjudication pour le service des prisons ait lieu le 31 décembre et que l'approbation ministérielle, qui est toujours réservée, ne soit donnée que lorsque l'exercice suivant est ouvert. Une longue correspondance a eu lieu sur cette question avec la cour des comptes.
Je pense que dans des cas analogues à celui-là, le ministre est fondé à imputer la dépense sur l'exercice pendant lequel l'adjudication a eu lieu. L'engagement date de l'adjudication et non de la ratification. En d'autres termes la ratification réagit jusqu'au jour où l'engagement a été pris.
La question, sauf les difficultés, les hypothèses qu'on peut prévoir, est toujours celle-ci. L'engagement contracté pendant une année, le droit ouvert pour ou contre l'Etat, s'appliquent à l'exercice d'où ils datent ; le prolongement de l'exercice a lieu non pour prendre des engagements nouveaux, mais pour accomplir les engagements contractés pendant les divers exercices.
M. Lebeau. - Ce n'est pas pour traiter les questions dont viennent de s'occuper l'honorable M. Veydt et M. le ministre des finances que j'ai demandé la parole.
Je me demande pourquoi l'on n'étendrait pas aux communes le bénéfice des dispositions relatives aux prescriptions et aux déchéances.
En France, si mes souvenirs sont exacts, les communes et les départements sont assimilés à l'Etat. Il y a peut-être plus de raisons pour prendre de telles précautions à l'égard des communes qu'à l'égard des provinces. Sans vouloir jeter la moindre défaveur sur les administrations communales, on peut dire que la composition des administrations provinciales et communales est telle que les intérêts des provinces sont en général mieux gérés que ceux des communes. Or il peut arriver que des créanciers dont les titres seraient à leurs yeux problématiques et qui croiraient avoir bon marché de telle administration communale attendraient, pour faire valoir leurs titres, que l'administration communale fût composée de manière à leur offrir plus de chances de succès.
C'est un des nombreux exemples qui s'offrent à mon esprit. Je pourrais en citer d'autres qui concourraient à prouver qu'il y a variété de raisons, sinon des raisons plus fortes pour que les communes soient mises sur la même ligne que les provinces et l'Etat.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La disposition que j'ai eu l'honneur de proposer est motivée sur ce que les recettes des provinces sont faites en général par l'Etat, sur ce que la comptabilité provinciale est également vérifiée par la cour des comptes. Là, il y a harmonie parfaite entre les deux comptabilités.
Il n'en est pas de même de la comptabilité communale qui est soumise à des règles particulières. Il me serait impossible de déterminer en ce moment quelles sont les garanties que la législation offre aux communes quant aux prescriptions et déchéances, mais la chambre est saisie d'un projet de loi relatif aux finances communales. C'est même à la section centrale chargée de l'examen de ce projet de loi que la section centrale du projet de loi relatif à la cour des comptes, a proposé le renvoi d'une des dispositions du projet du gouvernement. On pourra examiner alors s'il y a lieu de rendre applicables aux communes une partie des dispositions adoptées, en ce qui concerne la comptabilité de l'Etat.
Il y a plus. Je m'engage volontiers à laisser une note pour qu'on examine en son ensemble dans mes bureaux, après moi, la question soulevée par l'honorable M. Lebeau, celle de savoir quelles sont, après l'adoption de la loi nouvelle, les dispositions de la loi sur la comptabilité de l’Etat qui devraient être appliquées aux communes. Cette discussion se présentera lorsqu'on s'occupera de la loi sur la comptabilité communale, laquelle ne soulèvera pas, je pense, les questions qu'ont malheureusement soulevées quelquefois d'autres changements apportés à la loi communale.
M. Delfosse. - Je ne reproduirai pas les observations que j'ai présentées, lors du premier vote, contre l'article 54. Je sais qu'elles n'engageraient pas la chambre à revenir sur sa décision ; mais je tiens à déclarer que je n'ai pas changé d'avis. Je persiste à croire que cette disposition amènera des résultats fâcheux ; c'est ainsi que dans la province de Liège, où l'exercice est clos au mois d'avril, les comptes de l'année antérieure sont soumis au conseil dès l'ouverture de la session. A l'avenir, si l'article 54 est adopté, ces comptes ne pourront être présentés qu'à la session suivante, c'est-à-dire un an plus tard.
M. le ministre des finances a d'ailleurs laissé sans réponse l'objection que l'honorable M. de Brouckere a tirée de l'article 66 de la loi provinciale ; l'honorable M. de Brouckere a dit avec raison, selon moi, que cette disposition de la loi provinciale est inconciliable avec l'article que nous discutons.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je n'insisterai pas non plus beaucoup à cet égard, parce que je crois avoir répondu non seulement à l'observation de l'honorable M. Delfosse, mais encore à l'argument que l’honorable M. de Brouckere a tiré de l'article 66 de la loi provinciale.
Cet article porte :
« Art. 66. Chaque année, le conseil arrête les comptes de recettes et dépenses de l'exercice précédent ; il vote le budget des dépenses pour l'exercice suivant et les moyens d'y faire face.
« Toutes les recettes et dépenses de la province doivent être portées au budget et dans les comptes. »
Comment faut-il entendre le mot « précédent » ? S'agit-il de l'exercice qui précède immédiatement l'exercice courant, ou de l'exercice qui peut être clos ?
Je m'explique :
Dans huit de nos provinces, on a maintenu le système du règlement de 1824. Depuis 1836, chaque année, les conseils provinciaux votent trois comptes : un compte définitif, se reportant à trois ans en arrière, des comptes provisoires concernant les deux exercices suivants. C'est ainsi qu'il est appliqué. Je ne vois donc pas de difficulté, en ce qui concerne l'article 66. Mais y eût-il doute, y eût-il difficulté à lever, pourquoi ne le ferions-nous pas, si l'utilité d'un changement nous est démontrée ? Je pense que cette utilité a été établie au premier vote.
M. Delfosse. - Il paraît que M. le ministre des finances n'a pas bien saisi la portée de mon observation. Je ne demande pas que la durée de l'exercice puisse être plus longue pour les provinces que pour l'Etat, je demande au contraire qu'elle puisse être plus courte. Que dans les provinces où l'exercice a eu, jusqu'à ce jour, une durée de trois ans, cette durée soit restreinte à un an et neuf mois, comme pour l'Etat, rien de mieux, ce sera une amélioration ; mais si une province veut pousser l'amélioration plus loin encore, si elle veut se mettre en mesure de présenter les comptes une année plus tôt, et c'est ce que la province de Liège a fait, pourquoi l'en empêcher ?
- L'article 54 est adopté avec l'amendement de M. le ministre des finances.
« Art. 55. Par dérogation à l'article 8 de la présente loi, le régime de comptabilité du chemin de fer de l'Etat et des postes continuera provisoirement d'être suivi conformément aux arrêtés et règlements.
« L'organisation définitive de la comptabilité du chemin de fer de l'Etat fera l'objet d'une loi spéciale qui sera présentée dans la session de 1846-1847.»
- Cet article est définitivement adopté.
M. le président. - M. le ministre des finances présente la disposition suivante :
« Art. 55 nouveau. Le deuxième paragraphe de l'article premier de la présente loi pourra, si le gouvernement le juge nécessaire, n'être pas appliqué aux budgets des exercices 1847 et 1848. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - C'est la disposition transitoire formulée par l'honorable M. Devaux.
- L'article 55 nouveau est mis aux voix et adopté.
« Art. 56 (qui devient art. 57). Les saisies-arrêts, oppositions et significations de cessions ou transports, et toutes autres ayant pour objet d'arrêter le payement de sommes dues par l'Etat, qui auraient plus de cinq ans de date au jour de la publication de la présente loi, devront être renouvelées dans le délai d'un an, faute de quoi elles seront périmées, et, par suite, rayées des registres dans lesquels elles auront été inscrites. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - M. le ministre des finances propose à cet article l'amendement suivant :
« Art.66. Substituer plus de 4 ans à plus de 5 ans.
Ajouter.
«Celles qui au jour de la publication de la présente loi auraient quatre ans ou moins seront également périmées et rayées lorsqu'elles auront, à compter de leur date, une durée de cinq ans, à moins qu'elles n'aient été renouvelées avant d'avoir cette durée. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je propose à la chambre de revenir sur cet article. Le nouvel examen qui en a été fait a prouvé qu'il présente une lacune.
(page 935) L'article 40 ne s'applique qu'aux saisies arrêts qui seront faites à l'avenir ; ces saisies auront une durée de cinq ans. L'article 56 est transitoire, il dispose à l'égard des saisies-arrêts qui, à la date de la publication de la loi, auraient plus de cinq ans : mais il ne contient aucune disposition à l'égard des saisies-arrêts, actuellement existantes, qui auraient moins de cinq ans.
Après avoir longtemps cherché une rédaction, j'ai pensé qu'on pouvait donner une année pour renouveler les saisies-arrêts qui auraient plus de quatre ans. De cette manière, elles auraient au moins cinq ans de durée.
Quant aux saisies-arrêts actuellement existantes et qui ont quatre ans ou moins de quatre ans, je propose à la chambre de décider qu'elles seront périmées lorsqu'elles auront, à compter de leur date, une durée de cinq ans, à moins qu'elles n'aient été renouvelées avant d'avoir cette durée.
En d'autres termes, une saisie qui date de quatre ans moins un jour sera périmée, si elle n'est pas renouvelée avant un an et un jour, et une saisie faite depuis un an sera périmée, si elle n'est pas faite dans un délai de quatre ans.
- L'article 57 est adopté avec l'amendement de M. le ministre des finances.
« Art. 57 (qui devient art. 58). Les dispositions de l'article 42 seront appliquées aux titulaires actuels de cautionnements, qui n'en auront pas obtenu le remboursement un an après la promulgation de la présente loi. »
- Adopté.
« Art. 58 (qui devient art. 59). Le gouvernement est autorisé à conserver à la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale les fonctions de caissier général de l'Etat jusqu'au 51 décembre 1849.
« Le caissier général de l'Etat fournira en immeubles ou en inscriptions sur le grand-livre de la dette publique, un cautionnement dont le montant sera fixé par arrêté royal.
« Le service du caissier de l'Etat sera organisé par une loi spéciale avant le 1er janvier 1850. »
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Le gouvernement paye une provision de 3/8 p. c. pour encaisser les fonds de l'Etat. Je demanderai à M. le ministre des finances si l'on accorde une provision à la Société Générale pour l'encaissement des emprunts et du produit des bons du trésor.
Je n'ai recueilli rien de certain à cet égard ; nous ignorons ce qui se passe. Je désirerais que M. le ministre des finances voulût nous dire si l'Etat paye une provision à la Société pour l'encaissement des emprunts.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, il n'y a rien de vague dans le règlement des tantièmes ; seulement ma mémoire ne me reproduit pas les chiffres. La section centrale, chargée de l'examen de l'un des trois budgets qui concernent le département des finances, m'a demandé quels étaient aujourd'hui ces tantièmes ; je les ai indiqués ; je vais faire prendre le rapport et je ferai tout à l'heure connaître les chiffres à la chambre.
M. Lebeau. - De commun accord entre le caissier de l'Etat et le gouvernement, le cautionnement a été fixé à 5 millions de francs. Je demande si l'on ne pourrait pas indiquer ce chiffre dans l'article 58, au moins comme minimum. On reconnaît que la matière est assez grave pour faire l'objet d'une loi spéciale ; je ne vois donc pas pourquoi l'une des dispositions les plus importantes ne se trouverait pas insérée dans la loi transitoire.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, le cautionnement établi en 1836 était de cinq millions de francs ; mais voici les dispositions accessoires et voici également l'état des faits à cette époque. La Société Générale, lorsqu'elle a contracté avec mon honorable ami M. d'Huart, était débitrice, envers le trésor, d'une somme de vingt millions de florins, qu'elle a payée aujourd'hui ; la Société Générale a, depuis lors, remboursé à l'Etat ce qu'elle ne lui devait qu'en 1849. Par la même disposition la Société Générale a été dispensée de fournir un cautionnement jusqu'à ce que l'Etat lui eût payé la somme de 4,600,000 fr., dont il était débiteur envers elle, à raison de la Sambre canalisée. J'ai pensé, messieurs, que l'on pouvait, dans cet état des faits, laisser au gouvernement le soin de fixer le cautionnement du caissier général, d'autant plus qu'il ne s'agit que d'une mesure provisoire. C'est ainsi que le gouvernement fixe le cautionnement de tous les comptables et je crois qu'il n'y a pas d'inconvénient à admettre, dans la disposition transitoire, la même règle, en ce qui concerne le caissier général. Les motifs qui existaient pour exiger cinq millions en 1847, n'existent plus entièrement aujourd'hui.
M. Lebeau. - Je n'insisterai pas sur mon observation, mais je ne puis pas cependant accepter comme péremptoires les arguments de M. le ministre des finances. De ce que le gouvernement fixe le cautionnement des différents comptables qui sont sous ses ordres et à l'égard desquels il a des moyens de surveillance tout spéciaux et pour ainsi dire permanents, il ne s'ensuit pas qu'il faille procéder d'une manière identique en ce qui concerne le caissier général. On l'a si bien senti qu'on nous propose de régler, par une loi spéciale, les rapports définitifs du gouvernement avec le caissier de l'Etat ; on a si bien senti qu'il s'agissait ici d'un fait entièrement différent de celui qui se passe entre le gouvernement et les comptables ordinaires, que l'on a soumis à la sanction législative le règlement définitif à intervenir entre le gouvernement et le caissier de l'Etat.
Je ne puis pas non plus trouver très concluante l'argumentation tirée de ce que la Société Générale se serait exonérée envers l'Etat de la somme de 20 millions qu'elle lui devait.
D'abord ce n'est pas envers la Société Générale, comme banque, qu'il s'agit de prendre des précautions ; c'est envers le caissier général, et la chose est bien différente.
Ensuite si la Société Générale s'est liquidée envers l'Etat, d'autre part, des immeubles considérables sont sortis de son actif, et le gouvernement aurait privilège sur ces immeubles, s'ils étaient encore dans les mains de cet établissement.
Je ne puis donc accepter comme péremptoire aucun des arguments présentés par M. le ministre des finances. Mais puisque le gouvernement ne croit pas trop engager sa responsabilité en laissant à l'avenir le soin de fixer le chiffre du cautionnement, en ne voulant pas même accepter un minimum, je n'insisterai pas.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je suis maintenant à même de répondre à l'observation de l'honorable M. de Man. Depuis 1837 la provision a été réduite à 1/5 pour les recettes ordinaires, à 1/8 pour les bons du trésor et à 1/6 pour les emprunts.
- La rédaction adoptée au premier vote est mise aux voix et confirmée par la chambre.
Les amendements introduits dans les articles 59 et 60 (60 et 61) sont successivement mis aux voix et définitivement adoptés sans discussion.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 65 membres présents.
Ce sont : MM. Biebuyck, Cans, Castiau, Clep, d'Anethan, David, de Baillet, de Bonne, de Brouckere, de Corswarem, de Garcia de la Vega, de Haerne, de la Coste, Delehaye, Delfosse, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Renesse, de Saegher, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Tornaco, de Villegas, d'Huart, Dolez, Donny, Dubus (aîné), Dumont, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Henot, Jonet, Kervyn, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Malou, Mast de Vries, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, (erratum, page 981) Savart, Scheyven, Sigart, Simons, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Verwilghen, Veydt, Zoude.
M. le président. - La discussion générale est ouverte.
M. Lebeau (pour une motion d'ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
Messieurs, cette loi est beaucoup plus importante que la loi sur la comptabilité. Elle soulève plusieurs questions graves, parmi lesquelles j'en ai déjà indiqué une dans une séance précédente.
Je crois que l'organisation de la cour des comptes est incomplète. Je crois que le gouvernement a le droit d'être représenté près de cette cour, comme il a le droit d'être représenté près de tous les corps judiciaires, d'une manière qui n'a été contestée par personne.
Je laisse à la délicatesse de M. le ministre des finances la question de savoir si, dans l'état incertain de ses attributions officielles, il se croit l'aptitude convenable à la discussion de cette importante proposition.
Je répète qu'il s'agit ici d'une question très grave, qui a pour elle, messieurs, l'opinion de beaucoup d'hommes recommandables, parmi lesquels des membres même de la cour des comptes, parmi lesquels des membres de l'ancienne commission de comptabilité de la chambre, au nombre desquels je puis citer feu l'honorable M. Angillis, ce qui pourrait être attesté par plusieurs honorables collègues.
M. Donny. - C'est vrai.
M. Lebeau. - D'autres membres de notre magistrature, appartenant également à la chambre et à la commission de comptabilité, professaient la même opinion ; et le congrès national se défiait tellement des impressions sous lesquelles il organisait tous les grands corps de l'Etat, il avait si bien senti qu'il fallait faire la part des idées de réaction contre le pouvoir qui dominaient à cette époque, qu'il a inscrit dans la loi organisatrice de la cour des comptes, la nécessité d'une révision avant la période de deux années, révision que nos travaux et des circonstances dont il est inutile de parler ici ont toujours empêchée, ont toujours reculée.
Je crois, messieurs, qu'il y a ici une lacune évidente, et je me proposerais, si le gouvernement partageait mon opinion, de joindre mes efforts aux siens, pour la combler.
J'ai prouvé dans plusieurs circonstances, je l'ai prouvé tout récemment encore, que je ne suis pas un partisan aveugle, un partisan fanatique du pouvoir gouvernemental. Car dernièrement, d'accord avec l'honorable M. de Man, j'ai proposé de faire passer en partie des mains du gouvernement dans les mains du parlement une prérogative conférée à celui-ci par le Code de commerce. Mais aussi, si je n'entends pas accorder une extension exorbitante au pouvoir royal, quand je crois que cette prérogative a été évidemment méconnue, non seulement dans l'intérêt du pouvoir royal, mais même dans l'intérêt de l'administration, dans l’intérêt général, je suis, dans quelque position que je me trouve, un des premiers à venir à son secours. Je demanderais donc volontiers l'ajournement de la discussion de cette loi. Mais j'insisterai sur cet ajournement, ou je renoncerai à en faire la proposition, selon les explications que M. le ministre des finances voudra bien nous donner.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, à l'une des dernières séances, j'ai déclaré que, dans la position actuelle du cabinet, je me considérais comme étant à la disposition de la chambre pour discuter les lois déjà portées à son ordre du jour et qui concernent le département des finances.
La loi organique de la cour des comptes, soulève, il est vrai, des questions importantes ; et même à mes yeux, au point de vue de l'avenir du pouvoir, puisque cette expression a déjà été employée, la question de l'établissement d'un ministère public a infiniment moins d'importance que la question d'attributions qui doit être résolue.
Cependant je doute qu'il faille interrompre aujourd'hui la discussion de la loi ; j'interviendrai dans cette discussion, j'émettrai mon opinion, et si, (page 936) au moment du vote définitif, rien n'était changé dans la situation actuelle, on pourrait peut-être concevoir la motion d'ajournement ; mais le contraire est possible ; il se peut que les positions, aujourd'hui incertaines, comme vient de le dire l'honorable membre, soient alors dessinées d'une manière ou de l'autre, et que le gouvernement ait sur ces bancs un organe définitif ; la motion serait dès lors devenue sans objet.
Il me semble donc que, pour occuper les moments de la chambre, nous pourrions aborder cette question et les autres qui sont plus importantes encore. Pour répondre plus directement à l'honorable préopinant, je dirai que l'utilité de la création d'un procureur général près de la cour des comptes ne m'est pas démontrée jusqu'à présent. J'indiquerai les motifs de cette opinion, motifs qui sont surtout ceux que la cour des comptes a fait valoir.
M. de Mérode. - Messieurs, il me semble que, relativement à l'objet dont il est question, il y a ici plusieurs anciens ministres qui connaissent parfaitement les nécessités du gouvernement et qui peuvent exprimer leur opinion sur la question de la création d'un procureur général près de la cour des comptes. Un nouveau cabinet ne nous apprendrait rien de nouveau là-dessus. C'est une question que tout le monde peut résoudre suivant ses lumières.
M. Lebeau. - Messieurs, chacun, en fait de délicatesse, est son premier juge ; je crois qu'à la place de M. le ministre des finances, je déclinerais la responsabilité d'une discussion de ce genre. Ceci est une manière de sentir qui m'est personnelle et dont l'expression n'emporte pas, dans ma pensée, la critique d'une autre manière de sentir ; mais avec cette manière de concevoir la position de M. le ministre des finances, il était de mon devoir de soulever la question que j'ai soulevée.
Je dis que cette question est grave. En France, tous les régimes ont conservé l'institution du ministère public auprès de la cour des comptes. Ainsi, si l'origine impériale, si même l'origine du la restauration était suspecte, je citerais la confirmation, dans les premières années ie la révolution de juillet, de l'institution de la cour des comptes sans aucune modification.
Je dirai ensuite que c'est une anomalie sans exemple de voir un corps judiciaire émanant de l'élection, chargé d’appliquer les lois du royaume d'une manière moins générale, il est vrai, que les autres corps de judicature, mais d'appliquer des lois très importantes, de le voir isolé completement.de l'action gouvernementale. Ainsi, à chaque degré de juridiction, dans la magistrature ordinaire, il y a un représentant du gouvernement. Lorsque dernièrement vous avez institué une commission de liquidaton, chargée de répartir les indemnités allouées par une loi spéciale, vous avez cru que le gouvernement avrait droit et intérêt à y être représenté, et un commissaire du Roi a été nommé, sans contestation de la part de personne.
Voyez donc quelle singulière position faite au gouvernement par le décret du congrès national. Les arrêts de la cour des comptes sont susceptibles d'un pourvoi en cassation ; et cela doit être, parce que si la cour des comptes viole la loi, il faut qu'elle y soit ramenée par le corps chargé de veiller à l'intégrité des lois dans l'administration de la. justice. Eh bien ! le pourvoi est laissé... à qui ? Il est laissé au comptable qui a droit de se plaindre. Mais le gouvernement n'a pas le droit d'exercer le pourvoi. (Interruption). Ce droit fût-il écrit, il n'est pas organisé.
Quoi de plus naturel cependant, messieurs, que la conduite du gouvernement expliquée de cette façon ? Un ministre est d'avis qu'une dépense doit être ordonnancée aux termes des lois financières ; la cour des comptes, différant d'opinion avec le ministre, ne croit pas devoir accorder son visa ; la cour des comptes ne peut pas aujourd'hui être tenue de formuler son refus de visa en arrêt ;de manière que, contre sa décision, il n'y a rien à faire de la part du gouvernement dans l’état actuel de la législation. L'obstacle est infranchissable. Rien de plus naturel pourtant, rien de plus logique, de plus nécessaire, si le dissentiment ne cède pas devant une correspondance échangée entre la cour des comptes et le gouvernement, que le commissaire du gouvernement requière arrêt motivé de son refus ; que la cour rende cet arrêt, et que le ministère public, institué près de la cour, se pourvoie contre cet arrêt, il n'y a rien là rien qui puisse porter atteinte à l'indépendance et à la considération de la cour des comptes. Soutenir le contraire, c'est comme si l'on supposait que le procureur général d'une cour d'appel qui se pourvoit contre l'arrêt de cette cour, porte atteinte à l'indépendance de la cour à laquelle il est attaché.
Je pourrais pousser cette argumentation beaucoup plus loin, mais plusieurs considérations m'arrêtent. La première, c'est que je désespère, quand il s'agit de donner une nouvelle prérogative au gouvernement, de la faire accueillir par la chambre, lorsque le gouvernement vient dire lui-même qu'il n'en a pas besoin ; la seconde, c'est qu'une question aussi grave ne peut pas se traiter avec des ministres dont la position est incertaine, et avec une chambre dont, quoi qu'on dise, les préoccupations sont de telle nature qu'elle ne peut pas donner à cette discussion toute l'attention qu'elle mérite.
Je persiste à demander l'ajournement de la loi, ou tout au moins de l'article premier.
M. le ministre des finances (M. Malou). Messieurs, sans doute, en fait de délicatesse, chacun a sa manière de sentir et de s'exprimer. Pour moi, je n'ai ni demandé ni combattu l'ajournement, et, en me prononçant en ce sens, je crois avoir parfaitement apprécié quelle est la position que nous devons prendre dans la situation actuelle du cabinet. Je suis à la disposition de la chambre, si elle désire discuter cette loi, et je ne combats ni ne propose l'ajournement.
L'honorable préopinant invoque l'importance de la question que soulève la création d'un ministère public auprès de la cour des comptes. Eh bien, cette question, je le répète, n'est pas la plus importante du projet ; en discutant celle qui me paraît la plus importante, celle des attributions, j'espère prouver que, quelle que puisse être l'incertitude d'une position ministérielle, j'aurai jusqu'au dernier moment le sentiment des devons, le sentiment des intérêts du gouvernement et de l'avenir du pouvoir.
A part ces deux questions, si l'on comparaît, article par article, les dispositions de la loi qui vous est soumise et les dispositions actuellement en vigueur, l'on verrait qu'il s'agit de modifications fort peu importantes, dont l'expérience a démontré l'utilité.
Un autre motif a été indiqué par l'honorable député de Bruxelles, à l'appui de l'institution d'un procureur général. Il faut que le gouvernement ait le droit de requérir la cour de rendre un arrêt lorsqu'elle ne croit pas devoir viser une ordonnance de payement. C'est là une idée que je combattrai de toutes mes forces au nom de l'intérêt du pouvoir. Les ministres sont justiciables des chambres ; les chambres seules peuvent les renvoyer devant la cour de cassation ; ils n'ont pas plaidé devant la cour de cassation par suite d'un arrêt de la cour des comptes, et on l'a si bien senti, que dans une des dispositions du projet, l'on a introduit le visa, avec une réserve qui transporte la question sur son terrain naturel, au sein de la chambre. Si donc l'institution d'un ministère public auprès de la cour des comptes avait pour but principal de donner au gouvernement un organe pour se pourvoir devant la cour de cassation, je combattrais la proposition par ce nouveau motif, que la disposition intervertirait l'ordre des attributions constitutionnelles de la cour des comptes et des chambres législatives.
Du reste, il me semble que, par le moyen terme que j'ai indiqué, nous concilions tous les intérêts. Que la discussion s'ouvre, et la chambre verra plus tard si les circonstances sont telles qu'il convienne de suspendre le vote définitif du projet de loi.
M. de Muelenaere. - Messieurs, je ne sais si la chambre ajournera ce projet de loi. Quoi qu'il en soit, je me permettrai de soumettre à la chambre une observation sur laquelle je la prie de vouloir bien fixer son attention.
La motion de l'honorable M. Lebeau, relativement à l'institution d'un procureur général près la cour des comptes, soulève une double question. La première question est celle de l'utilité. Je comprends que sur cette question on puisse ne pas être d'accord ; mais elle soulève une question infiniment plus grave : c'est une question constitutionnelle. Vous aurez à examiner ce que c'est que la cour des comptes dans notre organisation constitutionnelle. Si la cour des comptes, ainsi que je le pense, doit être considérée comme une émanation de la chambre, il est évident que, quelle que puisse être l'utilité même d'un procureur général à la cour des comptes, vous n'auriez pas le droit de créer ces fonctions, pas plus que vous ne pourriez établir, auprès d'une section de la chambre, un procureur du gouvernement indépendamment des droits que la Constitution confère aux ministres. Cette question est grave ; je n’ai pas eu le temps de l'examiner ; j'appelle l'attention de la chambre sur ce point.
M. Lebeau. - Je demande l'ajournement de la discussion de la loi d'organisation de la cour des comptes à quinze jours ; ce n'est donc pas an ajournement indéfini. Je ne demande pas non plus l'ajournement de nos travaux ; nous avons d'autres projets à l'ordre du jour, je demande qu'ils y soient maintenus. A défaut du succès de cette motion, je demanderai que la discussion et le vote sur l'article premier soient suspendus, et qu'on passe à l'article 2.
L'honorable M. de Muelenaere est venu en quelque sorte à mon secours car il soutient que la question est très grave, que c'est une question constitutionnelle. Je ne sais s'il faut trancher une question de cette importance après une discussion d'un quart d'heure. Ce serait la trancher que d'accomplir la révision, comme le prescrit le décret du 30 décembre 1830, car on n'y reviendrait plus.
Je demande donc que la discussion de la loi soit remise à quinze jours, et subsidiairement, qu'on ajourne l'article premier, et qu'on passe à l'article 2 et aux autres dispositions de la loi.
M. de Mérode. - L'honorable M. Malou a montré, dans la discussion de la dernière loi, qu'il était parfaitement au courant de la question qu'il avait à traiter. Il a défendu le projet tout aussi bien qu'on aurait pu le faire en toute autre circonstance que celle où nous nous trouvons. Pour le projet actuel, il annonce qu'il est au courant de la question et à même d'en bien soutenir la discussion. Comme nous avons l'expérience de ce qui a eu lieu dans la discussion de la loi précédente, nous pouvons avoir confiance dans ce que vient de nous dire M. le ministre des finances. Je désirerais même que cette loi fût discutée pendant que l'honorable M. Malou est encore au banc ministériel. J’espère qu'il y restera ; mais je désire au moins qu'on discute la loi pendant qu'il y est encore.
Quant aux préoccupations, il faudrait être singulièrement ému pour ne plus être capable de discuter une loi d'organisation de la cour des comptes. Dans le règlement des attributions de cette cour, je ne vois rien d'échauffant, rien qui soit de nature à faire tourner les têtes. La mienne restera fort tranquille pendant toute la discussion.
M. Lebeau. - Tous les lazzi du monde n’enlèvent pas à une question son importance ; ils peuvent quelquefois être fort amusants, mais ils ne résolvent jamais une question.
- La discussion est close.
L'ajournement de la discussion de la loi à quinzaine est mis aux voix et n'est pas adopté.
La proposition d'ajourner l'article premier et de passer à l'article 2 est ensuite mise aux voix. Elle n'est pas adoptée.
(page 937) La discussion générale est close.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Le Moniteur a annoncé que je me ralliais au projet de la section centrale. Je demande que la discussion s'ouvre sur ce projet, mais je dois faire observer qu'il y a quelques dispositions auxquelles je ne pourrais pas me rallier.
« Art. 1er. La cour des comptes est composée d'un président, de six conseillers et d'un greffier.
« Ils sont nommés tous les six ans par la chambre des représentants, qui a toujours le droit de les révoquer.
« Le président et les conseillers doivent avoir au moins l'âge de 30 ans.,
« Le greffier doit être âgé de 25 ans au moins ; il n'a pas voix délibérative. »
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - J'ai demandé la parole sur l'article premier, non pour continuer la discussion soulevée par l'honorable député de Bruxelles, cette question n'étant pas suffisamment mûrie et soulevant une question constitutionnelle très grave, sur laquelle je tiens à ne pas me prononcer pour le moment. Ce serait perdre son temps que de prolonger la discussion à ce sujet.
J'ai demandé la parole pour un autre objet.
J'appelle donc votre attention sur la nécessité, non pas d'adjoindre un procureur général à la cour des comptes, mais simplement un commis-greffier. Cette adjonction a été, en quelque sorte, décidée par la chambre, dans sa séance du 2 février 1835. La chambre discutait le budget des dotations ; ce budget contenait la proposition d'allouer une somme de 500 francs pour un commis-greffier. L'honorable M. de Brouckere ne s'opposa pas à ce que la somme de 500 francs fût allouée, mais il demanda si ce vote préjugeait la nomination de ce commis-greffier par la cour, il rappela que la chambre n'était pas éloignée de l'époque où elle discuterait la loi d'organisation de la cour, et il déclara que cette nomination devait être renvoyée à la discussion de cette loi.
L'honorable M. Dumortier s'exprima à peu près dans les mêmes termes, et le crédit fut voté à condition qu'il n’emportait pas la nomination, mais qu'il servirait seulement à rémunérer quelques travaux de bureau. Pendant l'année 1833, la cour des comptes avait préparé un projet de révision du décret du 30 décembre 1830. Dans l'exposé des motifs de l'article 15 la cour fit ressortir l'utilité, la nécessité de la nomination d'un commis-greffier ; voici comment elle s'exprimait :
« L'utilité d'un commis-greffier est hors de doute, surtout en ce qui concerne les nombreuses expéditions que le service de la cour des comptes exige chaque jour. Pour faire sentir cette utilité, nous dirons même cette nécessite, il suffira que nous fassions remarquer qu'indépendamment des deux assemblées générales ordinaires auxquelles le greffier est tenu d'assister, il doit encore prêter son ministère pour une foule de renseignements et de notes dont les deux sections de la cour ont besoin. Cependant ces deux sections siègent tous les jours, y compris même ceux auxquels ont lieu les assemblées générales ; ces jours-là les sections se réunissent de meilleure heure, pour pouvoir mettre la dernière main aux rapports portés à l'ordre du jour.
« On sent très bien que le greffier ne saurait être à la fois dans l'une et l'autre section, tandis que d'autres renseignements, qu'une foule d'intéressés viennent puiser à son greffe, et que de nombreuses et continuelles signatures absorbent tout son temps. D'un autre côté, le personnel des membres de la cour est très restreint, et c'est un inconvénient grave que de distraire un des conseillers de sa besogne ordinaire, en le chargeant, ainsi que cela existe actuellement, de remplacer le greffier en cas d'empêchement légitime. »
Messieurs, vous savez que le personnel de la cour des comptes ne se compose que d'un président et de six conseillers. Nous n'avons pas en Belgique de procureur général près la cour des comptes, et la chambre ne paraît guère disposée à en introduire un. C'est un des membres de la cour qui remplit les fonctions de ministère public. Quand le greffier est empêché par indisposition ou affaires particulières, car il a aussi quelques devoirs à remplir, c'est un conseiller qui est chargé de la signature ; il ne reste alors que quatre membres ; si l'un d'eux est indisposé, il n'en reste que trois.
C'est ainsi qu'il est arrivé qu'une des sections dont parle la cour, se composait d'un seul membre !
Pour vous donner une idée des travaux considérables, de la grande sujétion des devoirs du greffier de la cour, il suffira de vous dire qu'en 1835 l'emprunt et la conversion ont exigé de sa part 160 mille signatures, ce qui lui a pris, pour cette opération toute matérielle, cinq mois entiers de travail de cinq heures par jour.
Outre ce travail peu attrayant, il avait encore à donner des renseignements à ceux d'entre nous qui se présentaient pour en réclamer, il avait à surveiller le travail des bureaux, il devait assister aux séances des deux sections. Vous conviendrez, messieurs, qu'il est difficile qu'un seul fonctionnaire puisse faire face à tous ces travaux.
Je vous proposerai donc, messieurs, un amendement pour lequel je réclame votre bienveillance. Il y aurait deux manières de proposer l'adjonction d'un commis-greffier, ce serait d'ajouter un mot au premier paragraphe de l'article premier et de dire : « d'un greffier et d'un commis-greffier » ; mais alors vous créeriez une place permanente de plus, il faudrait un traitement permanent, ce serait augmenter les dépenses. Je n'en demande pas autant, je demande que la cour puisse désigner un chef de division pour remplir les fonctions de greffier quand le service l'exige. Si cet amendement est admis, le signataire aura un caractère authentique, il sera satisfait à tous les besoins. Voici l'amendement : « En cas d'empêchement du greffier ses fonctions sont remplies par celui des chefs de division que la cour désigne. Elle lui confère le titre de commis-greffier. »
Le budget renferme une allocation pour élever le traitement du chef de division qui sera chargé des fonctions de commis-greffier une allocation de 500 fr. ; comme il ne s'agit d'augmenter en rien le chiffre du budget, j’espère que cela vous engagera à adopter mon amendement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Une proposition identique à celle qui vient de vous être soumise m'avait été faite ; je ne l'ai pas admise. Je me demande d'abord ce qu'est la cour des comptes. La cour des comptes est une commission de la chambre ; elle a ce caractère, y compris le greffier, qui est également nommé par la chambre. Le règlement d'ordre de la cour qui a été voté par le congrès, et auquel il ne peut être apporté de changement qu'avec l'assentiment de la chambre, a pourvu au cas d'empêchement du greffier. Il porte : « En cas d'empêchement du greffier, il sera remplacé par un des conseillers que la cour désignera à cet effet. »
Je pense, messieurs, qu'il ne faut pas changer, par un amendement improvisé, ce qui est établi dans le règlement d'ordre de la cour des comptes. Ces fondions sont très importantes, et il est intéressant de les conserver exclusivement à celui qui a reçu son mandat de la chambre des représentants.
D'un autre côté, d'après la loi nouvelle il est possible, il est même probable que la cour des comptes vous soumettra quelques changements au règlement d'ordre arrêté par le congrès. Lorsque l'article 31 que je viens de citer, sera mis en discussion, l'on pourra examiner s'il y a lieu de permettre au greffier de déléguer sa signature à un employé qui n'a pas été nommé par la chambre des représentants. Car tel est le sens, le véritable caractère de l'amendement de l’honorable M. de Man.
Je ne pense pas que cette question doive être tranchée en ce moment.
M. Osy. - Messieurs, effectivement le règlement de la cour des comptes, étant un décret du congrès, doit être considéré comme loi. Mais il me paraît que nous pourrions très bien changer l'article 31 de cette loi par une autre loi. Cependant je préférerais, plutôt que d'adopter l'amendement de l'honorable M. de Man, de changer la rédaction qui nous est proposée par la section centrale et par le gouvernement. Je ne voudrais pas laisser la nomination du commis-greffier à la cour des comptes, mais je voudrais la réserver aussi à la chambre.
Messieurs, comme vous l'a dit l'honorable M. de Man, la dépense qui résultera du traitement d'un commis-greffier ne sera pas inutile. D'ailleurs la dépense totale ne sera pas augmentée. Car un chef de division qui, je crois, recevait 3,5000 fr., est mort depuis deux ans et n'a pas été remplacé.
Je propose donc de rédiger le premier paragraphe de l'article en discussion comme suit :
« La cour des comptes est composée d'un président, de six conseillers d'un greffier et à d’une commis-greffier. »
Et le dernier paragraphe comme suit :
« Le greffier et le commis-greffier doivent être âgés de 25 ans au moins ; ils n'ont pas voix délibérative. »
- L'amendement de M. Osy est appuyé.
M. de Brouckere. - Messieurs, la chambre ne paraît pas être disposée à discuter aujourd'hui la question de savoir s'il y a lieu ou non de créer un ministère public près la cour des comptes, et moi-même, je l'avoue franchement, je n'ai pas assez étudié cette question, pour pouvoir la traiter à fond aujourd'hui. Mais comme il est possible qu'elle se représente un jour, je tiens à ce que, dans ce cas, elle se représente entière et qu'elle ne paraisse pas avoir été repoussée aujourd'hui par un scrupule de constitutionnalité.
Messieurs, je liens à déclarer que je ne partage pas les préventions manifestées par l'honorable M. de Muelenaere en ce qui concerne la question de constitutionnalité qu'il a soulevée.
La Constitution, messieurs, a décidé qu'il y aurait une cour des comptes ; mais en arrêt et ce principe, elle a ajouté que la cour serait organisée par une loi, et je ne crois pas que l'on puisse me citer dans la Constitution une seule disposition d'où l'on puisse conclure que le congrès ait eu l'intention d'introduire la création d'un ministère public près la cour des comptes. D'un autre côté, je ne vois non plus aucun pouvoir constitutionnel, qui puisse être lèse par la création de ce ministère public.
Ainsi je tiens à ce que la question reste entière, et à ce que la chambre ne paraisse pas avoir reculé devant les scrupules qui ont été manifestés.
M. de Muelenaere, ministre d’Etat. - Messieurs, évidemment la question reste tout entière. Moi-même je n'ai faii aucune proposition. Je n'ai même exprimé aucune opinion. J'ai soulevé un doute et je pense, messieurs, que ce doute est réellement très grave. Je ne l'ai soulevé que pour appeler sur ce point l'attention de la chambre, car lorsque j'ai fait mes observations, il n'était pas encore décidé que l'on passerait outre à la discussion de la loi.
L'honorable M. de Brouckere nous dit : La Constitution ne dit autre chose, si ce n'est qu'il y aura une cour des comptes et que cette cour sera organisée par la loi. C'est, messieurs, une erreur. La Constitution va plus loin ; elle nous dit qu'il y aura une cour des comptes, que les membres de cette cour seront nommés par la chambre des représentants et qu'ils seront nommés pour le terme de six ans.
Je me demande, messieurs, le procureur général fera-t-il ou ne fera-t-il pas partie de la cour des comptes ? Si le procureur général doit faire partie de la cour, évidemment il devrait être nommé par la chambre elle-même, aux termes de la Constitution.
(page 938) Messieurs, je vous l'avoue, cette question s'est présentée d'une manière inattendue. Moi-même je ne l'ai pas étudiée, mais j'ai pris à la main la Constitution, et je vois que, lorsqu'il s'agit de l'organisation judiciaire, elle dit également par qui seront nommés la plupart des magistrats, mais qu'elle ajoute dans un article : « Les officiers du ministère public près des cours et tribunaux seront nommés par le Roi ». Vous voyez que là tout doute disparaît ; la Constitution dit formellement par qui seront nommés les officiers du ministère public. Eh bien, la question la plus grave ici, serait de savoir par qui serait nommé le procureur général de la cour des comptes. Si la chambre entendait qu'il y aurait à la cour des comptes un procureur général nommé par elle, évidemment, messieurs, la difficulté disparaîtrait. Mais ce ne serait plus alors un procureur du Roi près la cour des comptes, et il est entré dans les intentions de l'honorable M. Lebeau, il s'en est exprimé formellement, que le procureur général, s'il y en avait un, fût nommé par le Roi et non par la chambre.
Messieurs, je le répète, je ne veux pas entrer dans le fond de la question. Je demande qu'elle reste entière, qu'on ne forme aucune opinion, avant de l'avoir mûrement examinée.
M. de Brouckere. - Messieurs, il est très vrai que l'honorable M. de Muelenaere s'est borné à émettre un doute ; mais si personne n'avait répondu à l'honorable membre, on aurait pu en conclure que la chambre partageait ce doute ; or, en ce qui me concerne, je déclare franchement que je ne le partage en aucune manière. Je regarde comme certain qu'il dépend du pouvoir législatif de décider la création d'un ministère public près de la cour des comptes.
J'ai dit, messieurs, que la Constitution se borne à décider en principe, qu'il y aura une cour des comptes et que cette cour sera organisée par une loi. Il est très vrai qu'il s'y trouve quelques autres dispositions que je connaissais et que j'avais sous les yeux au moment où je parlais. L'article-116 dit, en effet :
« Cette cour est chargée de l'examen et de la liquidation des comptes de l'administration générale et de tous comptables envers le trésor public. Elle veille à ce qu'aucun article des dépenses du budget ne soit dépassé et qu'aucun transfert n'ait lieu. Elle arrête les comptes des différentes administrations de l'Etat, et est chargée de recueillir à cet effet tout renseignement et toute pièce comptable nécessaire. Le compte général de l'Etat est soumis aux chambres avec les observations de la cour des comptes. »
Tout cela se trouve dans la Constitution, mais il n'y a rien dans ces dispositions, ni dans aucune autre, dont on puisse induire que la création d'un ministère public près de la cour des comptes est interdite.
L'honorable M. de Muelenaere se dit : « Mais le procureur général fera-t-il partie de la cour ? » L'honorable M. de Muelenaere, ancien magistrat, sait aussi bien que moi et mieux que moi, que le ministère public près d'une cour ne fait pas partie de cette cour. Voilà donc cette première difficulté levée.
Maintenant par qui le procureur général sera-t-il nommé ? Mais, messieurs, par qui doit être nommé l'officier du Roi ? Il me semble que poser la question c'est la résoudre. Je ne pense pas qu'il puisse entrer dans une tête bien organisée l'idée de faire nommer l'officier du Roi par un pouvoir populaire ; ce serait le comble de l'absurdité et je ne crois pas que M. Lebeau ni aucun membre de cette chambre ail pu concevoir une idée pareille. L'honorable M. Lebeau s'est clairement exprimé à cet égard, il a dit clairement ce qu'il voulait, c'est un officier du Roi chargé de défendre les intérêts du gouvernement près d'un corps ayant une origine populaire. Ainsi cette deuxième difficulté n'existe pas ; si l'on crée un ministère public, il doit être nommé par le Roi.
On a dit que la Constitution a décidé positivement que le ministère public près des cours et tribunaux serait nommé par le Roi et qu'elle n'a rien décidé de semblable quant à la cour des comptes. Mais, messieurs, la Constitution a réservé l'organisation tout entière de la cour des comptes à une loi, et dès lors elle ne devait pas dire qu'il y aurait un ministère public nommé de telle ou de telle manière.
Du reste, messieurs, je le répète, mon seul but a été de déclarer à la chambre que je ne partageais pas le doute manifesté par l'honorable M. de Muelenaere, afin que la question demeure entière jusqu'au moment où l'on jugera convenable de la discuter.
M. de Garcia. - Messieurs, l'honorable préopinant n'a aucun doute sur le point de savoir si la création d'un procureur général près de la cour des comptes constituerait une inconstitutionnalité ; il est convaincu qu'il n'y aurait à cela aucune espèce d'inconstitutionnalité ; eh bien, moi je suis convaincu du contraire. Pour justifier sa manière de voir, l’honorable M. de Brouckere a lu l'article 116 de la Constitution, mais il a omis de lire le premier paragraphe qui décide nettement, selon moi, la question, et qui est conçu comme suit :
« Les membres de la cour des comptes sont nommés par la chambre des représentants pour le terme fixé par la loi. »
Eh bien, messieurs, de deux choses l'une : ou le procureur général ferait partie de la cour, ou il n'en ferait pas partie ; s'il en fait partie, la Constitution s'oppose à ce qu'il soit nommé par le Roi ; ce serait alors la chambre qui devrait le nommer.
S'il ne fait pas partie de cette cour, il ne doit pas figurer dans son organisation. Il est vrai que pour combattre cette opinion l'honorable député a dit que les procureurs du Roi et les procureurs généraux près des corps judiciaires.ne font pas partie de ces corps, et qu'il en serait ainsi du procureur général près de la cour des comptes. La prémisse de cet argument est complétement fausse, et constitue une grave erreur. Les procureurs du Roi et les officiers du ministère public en général, font partie intégrante des corps judiciaires auxquels ils sont attachés.
Si les attributions du juge et celles du ministère public sont distinctes, et si ces magistrats se trouvent sous des principes hiérarchiques différents, il n'en reste pas moins vrai et incontestable que dans leur ensemble ils constituent le corps et le pouvoir judiciaire, et que l'on ne peut concevoir ce corps fonctionnant sans la présence des deux éléments dont il se compose. Il faut donc nécessairement reconnaître que le procureur général près de la cour des comptes ferait partie de cette cour, et que s'il devait être créé un fonctionnaire de cette espèce, aux termes du paragraphe premier de l'article 116 de la Constitution, il devrait être nommé par la chambre. Il y aurait inconstitutionnalité évidente à conférer cette nomination au Roi ou au gouvernement.
M. de Brouckere. - Je demanderai à l'honorable M. de Garcia de vouloir bien dire s'il considère la nomination du greffier de la cour des comptes comme une inconstitutionnalité ? Or je le défie de trouver un seul mot du greffier dans la Constitution.
M. de Garcia. - Il est nommé par la chambre.
M. de Brouckere. - Il est nommé par la chambre en vertu de quoi ? En vertu de la loi qui autorise la cour des comptes. Eh bien, si la loi a pu établir un greffier, elle peut établir un procureur général. Il me semble que cette observation fait tomber l'argumentation de l'honorable M. de Garcia.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je conçois l'importance et en même temps la difficulté de toutes les questions qui touchent à l'interprétation de la Constitution ; mais il me semble que, dans cette circonstance, avant de donner suite à la question de constitutionnalité, il faudrait voir s'il est utile d'établir près de la cour des comptes un agent du gouvernement ; car si l'inutilité en était démontrée, je pense que tout débat serait clos.
Eh bien, messieurs, d'abord il y a près de la cour des comptes un ministère public en vertu de la loi et en vertu d'un règlement ; mais les fonctions de ce ministère public sont limitées à la demande de condamnation à l'amende et à la mise en demeure des comptables pour qu'ils aient à produire leurs comptes. Tel est l’objet des articles 19, 20 et 21 du règlement d'ordre intérieur. Les affaires entre la cour des comptes et les ministres ou les comptables se traitent toutes par écrit. On envoie à la cour des comptes les pièces à viser, on correspond avec elle, d'après un article de la loi actuelle et d'après une disposition du projet soumis à la chambre, et la cour statue également par écrit.
Eh bien, messieurs, si cette forme est maintenue, et il me semble qu'elle doit l'être, je demande où sera l'utilité de l'institution d'un procureur général ? Ce serait ajouter un rouage de plus à une machine déjà compliquée, ce serait prolonger encore des correspondances déjà quelquefois très longues. Les ministres auraient à correspondre à la fois et avec le ministère public et avec la cour des comptes ; tandis qu'aujourd'hui la cour des comptes correspond exclusivement avec eux et statue sur les demandes qu'ils lui adressent. C'est ainsi que la cour des comptes en a jugé elle-même lorsqu'elle a fait le travail déjà cité tout à l'heure par l'honorable rapporteur de la section centrale. Les observations sont un peu longues. Je demanderai cependant à la chambre la permission d'en donner lecture, car la question a une certaine importance, et puisque la discussion est commencée, je désire au moins qu'elle ait une issue et qu'elle ne se reproduise pas dans quelques jours ou dans quelques mois. Voici ce que dit la cour des comptes :
« La question, s'il convient ou non d'attacher un procureur général auprès de la cour des comptes, a déjà été agitée dans le sein de la commission spéciale chargée de présenter un projet de loi au Congrès national pour l'organisation de cette cour ; les renseignements obtenus alors, la considération que le ministère public n'aurait que peu de chose à faire, et l'absence d'un procureur général à la chambre des comptes à la Haye, bien que celle-ci eût, comme la cour des comptes à Bruxelles, le droit de prononcer des amendes à la charge des comptables retardataires, convainquirent cette commission que les fonctions du ministère public pourraient être convenablement remplies par un des conseillers, membre de la cour. Cependant l'exemple de la France, où il existe un procureur général attaché auprès de la cour des comptes de ce pays, pourrait faire penser à quelques personnes qu'une fonction de ce genre est indispensable ou au moins utile en Belgique. Nous ne savons pas jusqu'à quel point l'immense étendue de la France peut y rendre cet emploi nécessaire ; mais l'expérience de près de trois années est venue démontrer qu'une place de procureur général, auprès de la cour des comptes en Belgique, serait une véritable sinécure. On compte à peine quelques affaires dans lesquelles le ministère public a dû intervenir. Pour qu'un procureur général eût quelque chose à faire, il faudrait qu'on lui attribuât des fonctions étrangères à celles dont les ministères publics auprès des cours des comptes en France et en Belgique sont investis. Mais de quoi pourrait-on le charger ? Nous l'ignorons absolument ; car il nous est impossible de reconnaître en quoi son intervention pourrait être utile et efficace, autrement que dans des attributions semblables à celles qui incombent actuellement au ministère public ; tandis qu'il serait à craindre, que, par une extension de ses attributions, on portât préjudice, sinon à l'indépendance de la cour, au moins à la marche régulière et rapide de ses travaux. »
L'utilité d'un ministère public près de la cour des comptes consisterait-elle en ce que les ministres pourraient se pourvoir en cassation ? J’ai déjà fait remarquer que c'était confondre les attributions et du gouvernement et de la cour des comptes. Je tiens à les définir dès le début de la discussion. Voici comment il me semble que ces attributions doivent être (page 939) comprises. La cour des comptes est une commission émanée de la chambre et chargée de surveiller tous les actes des ministres qui se rapportent aux recettes et aux dépenses de l'Etat, ainsi que de rendre compte à la chambre pour qu'elle statue définitivement. Le ministre, comme tel, n'est pas justiciable de la cour des comptes. Le ministre, comme ici, n'est pas non plus justiciable immédiatement de la cour de cassation, en ce sens qu'il devrait se pourvoir devant elle contre un arrêt qui aurait été porté par la cour des comptes. Je dis : Le ministre, comme tel, parce que si le ministre ou tout autre fonctionnaire était comptable, en cette qualité il devrait être justiciable de la cour des comptes, et qu'alors, aussi en cette qualité, il aurait le pourvoi devant la cour de cassation, afin de faire réformer les décisions de la cour de comptes.
Cette question est véritablement la plus importante, j'allais presque dire la seule importante du projet. Il s'agit non seulement de notre prérogative, mais il s'agit des plus chers intérêts du pays, parce que le gouvernement, si son action était restreinte, s'il n'était plus libre, ne serait plus réellement, sérieusement responsable et que les intérêts dont il a la garde pourraient souvent être compromis par les refus qu'il rencontrerait.
Je n'insisterai pas sur ce point maintenant, puisqu'il concerne un autre article du projet. Je voulais seulement faire ressortir que l'institution d'un ministère public près de la cour des comptes telle qu'elle existe en Belgique n'aurait pas pour le gouvernement l'utilité qu'a paru y attacher tout à l'heure l'honorable M. Lebeau.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - J'avais demandé la parole à la suite de ce que nous a dit l'honorable M. Osy, concernant les commis-greffiers. Je n'ai pas demandé à prendre part à la discussion incidente qui s'est élevée relativement au procureur général, puisqu'aucune proposition n'est faite, et qu'une proposition concernant cette grave question, serait inopportune puisqu'elle n'est pas suffisamment mûrie. Maintenant que la discussion concernant cet objet est terminée, je réclamerai à mon tour un instant votre attention.
D'après l'amendement que j'avais déposé il y aurait eu un commis-greffier plus ou moins temporaire d'après les besoins du service, nommé par la cour des comptes. Quelques honorables collègues semblent croire qu'il serait plus régulier que le commis-greffier fût nommé par la chambre, et l'honorable M. Osy a fait une proposition dans ce sens. Je ne pense pas qu'il puisse en résulter une augmentation de dépense et dès lors je me rallie à l'amendement de l'honorable M. Osy. Il remplit complétement le but que je m'étais proposé d'atteindre.
M. Veydt. - Il ne me semble pas, messieurs, qu'il y ait lieu de nommer un commis-greffier permanent. L'honorable M. de Man d'Attenrode nous a dit d'où résultait la grande besogne du greffier de la cour des comptes ;elle a été accidentelle. D'un autre côté, l'honorable M. Osy nous apprend qu'il y a un chef de division dont l'emploi est resté vacant depuis bientôt deux ans. La besogne n'est donc pas tellement forte qu'il y ait nécessite de nommer un commis-greffier. Je pense, d'ailleurs, que les fonctions de greffier de la cour des comptes sont tellement importantes qu'il ne peut pas y avoir à côté de lui un commis-greffier, ayant également la signature. Dans les députations permanentes, lorsque le greffier est absent c'est un membre de la députation qui le remplace ; il doit en être de même à la cour des comptes, et il faut maintenir sous ce rapport ce qui existe à présent.
M. Desmet. - Il ne s'agit pas encore, messieurs, de savoir par qui le commis-greffier sera nommé ; il s'agit d'abord de savoir si un commis-greffier est nécessaire. Je pense, moi, qu'il ne doit y avoir qu'un greffier, afin qu'il y ait une responsabilité unique et non pas une responsabilité collective. Ce n'est pas pour le travail, c'est seulement pour les signatures, et lorsque deux personnes ont la signature, il est certain que la responsabilité n'est pas aussi grande. Je pense, dès lors, qu'il faut s'en tenir à ce qui a été établi par le congrès et qu'il faut repousser l'amendement de l'honorable M. Osy.
M. de Man d’Attenrode. - Je crois, messieurs, avoir donné d'excellents motifs pour démontrer la nécessité de doter la cour d'un commis-greffier, et il me semble que si l'honorable M. Desmet avait bien voulu m'écouter, il ne viendrait pas soutenir que cette fonction est inutile.
L'honorable membre dit qu'il s'agit d'une grande responsabilité ; mais, messieurs, en Hollande le greffier de la chambre des comptes est aidé d'un commis-greffier.
En France il y a près la cour des comptes un greffier en chef, et non pas un mais plusieurs commis-greffiers lui viennent en aide, et cette situation n'affecte en rien la responsabilité du greffier en chef.
Je viens, messieurs, d'établir que le greffier était incapable de supporter le fardeau dont il est chargé, et que lorsque le greffier ne pouvait remplir ses fonctions, ce personnel déjà si peu nombreux était encore réduit, puisqu'un conseiller devait être distrait de ses fonctions pour le remplacer. Je crois donc la nomination d'un commis-greffier utile et nécessaire. Encore un mot concernant la question de responsabilité. Il y a des commis-greffiers près de tous nos tribunaux, et la responsabilité des greffiers près ces tribunaux est tout aussi grande, et peut être plus grande que celle du greffier de la cour des comptes ; eh bien ! l'existence des commis-greffiers près des tribunaux nuit-elle à la responsabilité des greffiers ?
Je ne crois donc pas que rien s'oppose a la nomination d'un commis-greffier. Je ne comprendrais pas qu'en Belgique seule on ne pût donner un aide au greffier de la cour des comptes.
M. Delehaye. - Messieurs, si l'on écoutait les employés de l'Etat en général, on devrait croire qu'ils ont tous trop de besogne. Il semble que, dans quelque carrière que ce soit, le travail est trop fort pour celui qui doit le remplir.
Qu'arrive-t-il pour la cour des comptes ? Ce corps fonctionne et fonctionne parfaitement bien avec un seul greffier. Je dirai plus, c'est que depuis deux ans une des principales places près la cour est vacante ; elle pouvait y nommer et elle ne l'a pas fait. Si elle était si surchargée de travaux, elle n'aurait certainement pas laissé cette place vacante.
Si la cour des comptes a pu se passer depuis deux ans d'un chef de division, si depuis quinze ans un greffier lui a suffi, faut-il aujourd'hui lui donner un commis-greffier ?
Je crois que si l'on considère les travaux de la cour des comptes et si l'on tient compte de la position qu'elle a, on ne peut lui adjoindre ce fonctionnaire.
Du reste, comme l'a fait observer l'honorable M. Veydt, si un commis-greffier devait être adjoint à la cour des comptes, il devrait être nommé par la chambre. Mais je ne pense pas que cette création soit nécessaire ; et, rien n'empêche que, lorsque le greffier doit s'absenter, un membre de la cour le remplace comme le propose d'ailleurs l'honorable M. de Man lui-même.
Je ne pourrai donc appuyer la proposition qui nous est faite.
M. Desmet. - J'ai demandé la parole pour répondre quelques mots à l'honorable rapporteur, qui, pour apprécier son amendement qui a pour but de créer une nouvelle fonction auprès de la cour des comptes, celle de commis-greffier, vous a dit que la cour des comptes en France a plusieurs commis-greffiers. Mais l'honorable rapporteur doit savoir que la cour de France est divisée en plusieurs chambres, et chacune a besoin d'un greffier qui assiste à leurs délibérations. Mais vous n'avez pas cette pluralité de chambres dans la cour des comptes que nous organisons en ce moment ; s'il y a deux sections dans notre cour, elle n'a pas besoin de deux greffiers, car le greffier n'assiste qu'aux assemblées générales et non pas à la réunion des sections.
Mais pourquoi l'honorable M. de Man insiste-t-il autant pour avoir un commis-greffier près de la cour des comptes ?Il me semble que c'est pour le grand travail dont est surchargé le greffe de la cour ; mais quand c'est pour le travail, il me semble qu'il y a moyen d'y porter remède par l'aide des employés ; si c'est pour donner au greffier un second qui puisse l'aider aux signatures des pièces qui passent au greffe, mais, messieurs, le projet y pourvoit ; si pour des motifs le greffier ne peut par lui-même donner toutes les signatures, un membre de la cour est désigné pour aider ou remplacer le greffier, et quand le décret du congrès n'a pas trouvé nécessaire d'établir de commis-greffier, il a, je crois, très sagement agi, car quand on considère la responsabilité du greffier de la cour des comptes, on ne peut pas hésiter à déclarer que la création d'un commis greffier serait contre la nature de cette responsabilité.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Delehaye s'est fondé, pour s'opposer à mon amendement, sur ce que la cour des comptes marche parfaitement, bien que depuis deux ans un employé supérieur près de cette cour n'ait pas été remplacé ; le personnel est donc suffisant, d'après cet honorable membre. Mais, messieurs, veuillez-le remarquer, cet employé n'était d'aucune aide pour le greffier. En effet, il n'avait pas qualité pour alléger le fardeau dont est chargé le greffier, il ne pouvait pas le remplacer.
L'honorable M. Desmet nous dit qu'à la cour des comptes de France, il y a plusieurs chambres. Messieurs, il n'y a pas à la cour des comptes de Belgique cinq ou six chambres, comme à celle de France, mais il y en a deux, et il suffit qu'il y en ait deux, pour qu'un commis-greffier soit nécessaire. J'insiste donc pour que la chambre adopte mon amendement.
L'honorable M. Delehaye nous dit encore que depuis longtemps le greffier de la cour des comptes remplit parfaitement ses fonctions. Messieurs, cela est exact, personne ne le contestera. Mais comment remplit-il bien ses fonctions ? C'est en travaillant avec une assiduité qu'il est impossible d'exiger longtemps d'un homme, sans abuser de ses forces et de son dévouement aux intérêts du pays.
Je pense, messieurs, que si nous perdions ce fonctionnaire, nous aurions beaucoup de peine à trouver à le remplacer convenablement et qu'il y aurait réellement inconscience à exiger la continuation d'un travail semblable à celui auquel il est assujetti.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, si la nécessité de nommer un commis-greffier était si évidente, n'est-il pas probable que la cour des comptes même l'eût fait connaître, qu'elle en eût fait la demande ?
M. Osy. - Elle en a fait la demande.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Elle en a fait la demande en 1833, mais depuis lors, l'honorable M. Dumortier a proposé un projet d'organisation de la cour des comptes ; depuis lors, en 1842, le gouvernement a fait une proposition analogue, et lorsqu'elle a été mise à l'ordre du jour, je n'ai pas eu de demande pour la nomination de ce commis-greffier, si ce n'est cependant d'une manière indirecte et de la part du greffier lui-même.
Abstraction faite de la question d'utilité, il faut considérer quelle est l'origine et la nature de la cour des comptes et quelles attributions lui sont conférées ; à ce point de vue surtout, la nomination d'un commis-greffier ne pourrait être justifiée que par une nécessité parfaitement démontrée. Les attributions du greffier sont d'ailleurs définies dans le règlement de la cour des comptes. D'après ce règlement, la cour se divise en deux sections ; mais d'après l'article 22, le greffier n'assiste qu'aux assemblées générales, et d'après le même règlement, il y a deux séances en assemblée générale par semaine.
La comparaison que l'on fait avec les institutions qui existent en France (page 940) et dans d'autres pays encore, pèche par la base, parce que ces institutions émanent directement du gouvernement, et dès lors on conçoit une organisation entièrement différente de celle qui doit exister en Belgique.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Osy, auquel l'honorable M. de Man s'est rallié est mis aux voix et rejeté.
L'article premier, rédigé comme le propose la section centrale, est adopté.
« Art. 2. Les membres de la cour des comptes ne peuvent être parents on alliés entre eux jusqu'au quatrième degré inclusivement, ni, à l'époque de leur première nomination, être parents ou alliés au même degré d'un ministre, chef d'administration générale.
« Ils ne peuvent être membres de l'une ou de l'autre chambre législative, ni remplir aucun emploi auquel est attaché un traitement ou une indemnité sur les fonds du trésor, ni être directement ou indirectement intéressés ou employés dans aucune entreprise ou affaire sujette à comptabilité envers l'Etat.
« Ils ne peuvent délibérer sur les affaires qui les concernent personnellement, ou dans lesquelles leurs parents, ou alliés jusqu'au quatrième degré inclusivement, sont intéressés. »
- Adopté.
« Art. 3 (nouveau). Il est interdit, sous peine d'être réputé démissionnaire, à tout membre de la cour des comptes, d'exercer, soit par lui-même, soit sous le nom de son épouse, ou par toute autre personne interposée, aucune espèce de commerce, d'être agent d'affaires, ou de participer à la direction ou à l’administration de toute société ou établissement industriel. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, à l'époque où la section centrale a fait son rapport à la chambre, cette disposition n'était encore qu'à l'état de projet. Depuis lors, elle a passé dans la loi du 14 juin 1845 sur les traitements de la cour des comptes. De plus, comme l'article 19 du même projet reproduit l'article premier de la loi du 14 juin, je pense que cet article pourrait être reporté dans la loi que nous votons, de même que l'article sur les traitements, et alors je proposerai dans le dernier article, d'abroger, non seulement le décret de 1830, mais cette loi du 14 juin 1845.
En procédant ainsi, cette loi d'organisation sera plus complète. Ces articles appartiennent naturellement à la loi d'organisation de la cour des comptes.
M. Delehaye. - Messieurs, cet article est à peu près le même que celui que j'avais eu l'honneur de proposer lorsqu'il s'est agi des traitements de la magistrature.
Je saisis l'occasion de la présence de M. le ministre de la justice pour lui témoigner mon étonnement de ce que, lorsqu'une disposition aussi formelle a été adoptée par la chambre, on voit encore très souvent que des magistrats remplissent des fonctions qui leur sont interdites par la loi.
J'appelle l'attention de M. le ministre sur ce point.
Il paraît, messieurs, que ce n'est pas la seule loi que l'on perde de vue et que l'on ne fasse pas exécuter. Quand nous en viendrons à la discussion du projet de loi sur les ventes à l'encan, on verra que l'on ne tient aucun compte des dispositions relatives au déballage.
Je voudrais que M. le ministre tînt la main à ce que les lois fussent respectées.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je n'ai aucune connaissance des faits dont parle l'honorable membre. Je n'ai pas appris que des membres de l'ordre judiciaire remplissent des fonctions incompatibles avec celles de la magistrature.
M. Delehaye. - Lisez les journaux. Cela se voit tous les jours.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne pense pas que ce soit dans les journaux que nous devions aller chercher les faits relatifs à des magistrats.
Si des magistrats s'écartaient de leurs devoirs, les procureurs généraux et le premier président sauraient s'y opposer, et m'en donneraient sans doute connaissance.
Aucune plainte ne m'est parvenu. Si des faits m'étaient signalés, je m'empresserais de les faire cesser, en les dénonçant aux corps judiciaires qui, d'après la loi, sont seuls appelés à appliquer les peines disciplinaires.
- L'article est mis aux voix et adopté.
«Art. 4. La présence de la majorité des membres de la cour est requise pour arrêter ou clore les comptes. »
- Adopté.
« Art. 5. cette cour est chargée de l'examen et de la liquidation des comptes de l'administration générale et de tous comptables envers le trésor.
« Elle veille à ce qu'aucun article des dépenses du budget ne soit dépassé, et à ce qu'aucun transport n'ait lieu.
« Elle arrête les comptes des différentes administrations de l'Etat, et est chargée de recueillir, à cet effet, tous renseignements et toutes pièces comptables.
« La cour a le droit de se faire fournir tous états, renseignements et éclaircissements relatifs à la recette et à la dépense des deniers de l'Etat. »
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à celle rédaction.
M. d’Huart, ministre d’Etat. - Je répondrai, au nom de M. le ministre des finances, qu'il se rallie à cet amendement, et qu'il propose d'ajouter à la fin du dernier paragraphe, après les mots : « des deniers de l'Etat », ceux-ci : « et des provinces ».
On conçoit que la comptabilité des provinces devant être soumise à la cour des comptes, il est indispensable que les états, renseignements et éclaircissements relatifs à la recette et à la dépense des provinces, soient communiqués à cette cour.
- L'article 5 est adopté, avec la modification proposée par le gouvernement.
« Art. 6. La cour correspond directement avec les diverses administrations générales ; elle correspond de même avec les députations permanentes des conseils provinciaux pour la comptabilité des provinces, et avec les comptables pour ce qui concerne la reddition de leurs comptes. »
- Adopté.
Article 7
« Art. 7. Dans les cas exceptionnels, tels que démissions, décès, déficit des comptables, la cour fixe les délais dans lesquels leurs comptes doivent être déposés à son greffe, sans préjudice de toutes les mesures d'ordre et de surveillance qui sont prescrites par les chefs d'administration.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je me rallie à l'article.
- L'article 7 est mis aux voix et adopté.
« Art. 8. La cour prononce contre les comptables retardataires, entendus ou dûment appelés, une amende qui n'excède pas la moitié de leurs traitements, remises ou indemnités : elle peut aussi provoquer, le cas échéant, leur destitution ou suspension.
« Quant à ceux qui ne jouissent ni de traitements, ni de remises ou indemnités, la cour peut prononcer à leur charge une amende qui n'excède pas 2,000 francs.
« Le tout sans préjudice du droit qu'elle a de prescrire la reddition d'office du compte de tout comptable interpellé, qui ne l'a point rendu dans le délai fixé. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je me rallie à l'article.
M. Jonet. - Messieurs, on est assez généralement d'accord que la cour des comptes n'est pas un corps judiciaire, et, comme on l'a déjà dit plusieurs fois, c'est une commission de la chambre des représentants. Mais si cela est vrai, comme je le pense, je me demande comment, en présence de l'article 116 de la Constitution, on est parvenu à donner à la cour des comptes le droit de condamner les comptables retardataires à des amendes, de les condamner par arrêt à payer leur débet.
Condamner quelqu'un à une amende, c'est juger. Une amende est une peine correctionnelle. Si infliger une amende, c'est juger, il me semble qu'une commission de la chambre des représentants n'a pas ce droit, ne doit pas l'avoir, d'après la Constitution ; et par la même raison, il me paraît difficile de concilier ce principe avec le droit qu'on donne à la cour des comptes, de condamner le comptable par arrêt a payer son débet.
Cela est-il bien constitutionnel ? Je le demande sérieusement, l'art. 94 de la Constitution à la main, lequel porte :
« Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie en vertu d'une loi. »
Il s'agit, il est vrai, de conférer un droit à la cour des comptes par une loi. Mais remarquez que la Constitution ajoute :
« Il ne peut être créé de commissions, ni de tribunaux extraordinaires, sons quelque dénomination que ce soit. »
Eh bien, quand vous donnez à la cour des comptes le droit de condamner à des amendes, le droit de condamner les comptables à payer leur débet, ne donnez-vous pas à cette commission de la chambre des représentants ce que l'article 94 de la Constitution vous défend de lui donner ?
A cette disposition il faut joindre l'article 116 de la Constitution ; j'ai lu avec beaucoup d'attention cet article qui fixe les attributions de la cour des comptes, et je n'y trouve pas un mot dont on puisse conclure que la cour des comptes a le droit de juger, de condamner à des amendes, etc.
On m'objectera sans doute que le décret de 1830 donne ce droit à la cour des comptes. Cela est vrai ; mais prenons y garde ; le décret de 1830 n'est qu'une loi, ce n'est pas la Constitution ; le décret de 1830 a été porté avant la Constitution ; et quand le décret a été porté, il pouvait être porté ici qu'il est aujourd'hui ; le congrès en avait le droit ; le congrès aurait pu également mettre dans la Constitution ce qu'il avait mis dans le décret ; mais il ne l'y a pas mis. Il résulte donc des termes de l'article 94 de la Constitution, combiné avec l'article 116, que le décret de 1830 est contraire, dans quelques-unes de ses dispositions, à ces dispositions constitutionnelles. S'il y est contraire, j'en tire la conséquence toute simple que toutes les dispositions du décret de 1830, qui sont contraires à la Constitution, sont abrogées, depuis le jour où la Constitution a été déclarée exécutoire.
Il résulte donc des dispositions constitutionnelles que j'ai citées, que vous ne pouvez pas à l'avenir établir de commission, à moins qu'on ne me prouve que la cour des comptes est un corps judiciaire, et je ne pense pas qu'on puisse établir cette preuve ; car, pour être corps judiciaire, il faudrait que les membres de la cour des comptes fussent nommés comme les autres membres de l'ordre judiciaire ; il faudrait qu'ils fussent nommes par le Roi, qu'ils fussent inamovibles ; il faudrait admettre la procédure, l'opposition aux jugements, les plaidoiries des avocats, etc.
Ici rien de semblable. C'est une commission qui statue sans forme de procès ; et vous voulez lui donner les mêmes attributions qu'aux corps judiciaires Mes doutes sont tellement grands à cet égard, que je regarde comme contraire à la Constitution les articles 8 et 10 du projet de loi qui est en discussion.
M. Dumortier. - Messieurs, il me paraît facile de répondre aux scrupules constitutionnels, soulevés par l'honorable préopinant.
D'abord, la cour des comptes n'est pas une commission ; le congrès n'a pas voulu faire de la cour des comptes une commission proprement dite ; il en a fait une cour (article 116 de la Constitution) ; elle est chargée non pas d'une juridiction extraordinaire, mais d'une juridiction ordinaire, en matière de comptabilité. Voilà la vérité des faits.
(page 941) Or, comment est-il possible qu'une cour qui a une juridiction ordinaire, en matière de comptabilité, puisse remplir le mandat que lui donne non pas la loi, mais la Constitution elle-même, si vous ne lui accordez pas le droit de juger ?
La cour est chargée de l'examen et de la liquidation des comptes de tous les comptables envers le trésor public. Comment se fait cette liquidation ? C'est par un jugement. Dès lors, il faut que la cour des comptes ait le droit de juger.
L'honorable préopinant pense encore à tort que la Constitution a été faite après le décret qui organise la cour des comptes. Je lui ferai remarquer que le décret et la Constitution ont été faits simultanément. On s'occupait au congrès de l'élaboration de la Constitution, quand on a mis en délibération le décret organique de la cour des comptes ; on a suspendu les débats sur la Constitution, pour discuter et voter le décret ; il aurait été surprenant que le congrès eût voulu consacrer dans la Constitution, quant à la cour des comptes, des principes opposés à ceux qu'il venait de poser dans le décret organique. Je pense que puisque le congrès l'a voulu ainsi, nous devons nous soumettre et respecter son œuvre.
Si la cour des comptes n'avait pas le droit de juger les comptables, de comminer des amendes, pour forcer les retardataires en recette, il en résulterait que le congrès national, en instituant la cour des comptes, n'aurait créé qu'une institution vaine. Encore une fois, ce n'est pas une commission proprement dite, c'est au figuré une commission de la chambre des représentants, mais en réalité c'est une cour.
Si c'est une cour, dit-on, pourquoi n'est-elle pas inamovible ? la réponse est bien simple : Parce que le congrès national ne l'a pas voulu. Le pouvoir constituant était maître de choisir le mode d'organisation qu'il jugeait convenable pour la cour des comptes. Il a voulu qu'elle fût toujours dépendante de la chambre des représentants, qui a l'initiative du vote de toutes questions financières. C'est enfin une garantie populaire que le congrès a voulu donner à cette institution, et rien de plus.
M. de Garcia. - Messieurs, l'observation qui a été présentée par l'honorable M. Jonet mérite toute l'attention de la chambre. Il est vrai que la cour des comptes constitue en quelque sorte un corps judiciaire. Mais les attributions de ce corps sont renfermées dans le cercle tracé par l'article 116 de la Constitution. Pouvez-vous sortir de ce cercle ? Je ne le pense pas ; et s'il en est ainsi, il faut nécessairement reconnaître que la disposition attaquée est inconstitutionnelle. Cette inconstitutionnalité devient plus palpable et se démontre encore davantage si on jette les yeux sur les dispositions ultérieures du projet de loi présenté par le gouvernement.
Le rapprochement de l'article en discussion avec l'article 12 prouve à l'évidence ce que j'ai l'honneur de vous avancer, et prouve qu'une fois qu'on s'écarte des vrais principes, l'on ne s'arrête plus.
L'article 12 est ainsi conçu :
« Art. 12. La députation du conseil provincial exerce, à l'égard des comptages des communes et des établissements publics, les attributions conférées à la cour des comptes par la présente loi à l'égard des comptables de l'Etat. »
Voilà que vous créez un nouveau pouvoir judiciaire dans le conseil provincial. Vous investissez ce corps des mêmes attributions que la cour des comptes et vous lui donnez le droit de prononcer des peines. Pourra-t-on ici trouver même une apparence de justification de la mesure qu'on propose pour la cour des comptes ? Poser la question, c'est la résoudre, et comme je le disais à l'instant, l'on voit qu'une fois qu'on sort des principes constitutionnels, cet écart n'est pas le seul où vous soyez conduit par les principes posés dans l'article 8 ; il en est un autre non moins grave. Le voici : le paragraphe 2 de l'article 12 du projet ministériel, porte ce qui suit :
« Dans le cas où un comptable communal ou d'établissement public se pourvoit contre un arrêté de la députation permanente du conseil provincial, soit pour violation de la loi, soit pour cause d'erreur, omission, faux ou double emploi, dans les trois mois à compter de la notification de l'arrêté, le pourvoi est porté devant la cour des comptes. »
Ici le projet de loi établit la cour des comptes juge de la violation de la loi. Or, je le demande, en présence d'un grand nombre de dispositions de notre Constitution, est-il possible de prétendre que la cour des comptes puisse jamais être juge de la loi ? Je ne puis croire que personne défende une pareille doctrine.
J'ai cru devoir rapprocher ces trois dispositions pour démontrer que la disposition que nous discutons contient le germe d'un principe inconstitutionnel, et qu'on doit prendre en sérieuse considération les observations de l'honorable M. Jonet, et changer, dans le sens de ces observations, la disposition actuelle.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'honorable préopinant ne s'est pas borné à vous parler de l'article en discussion, il vous a entretenus aussi des articles 11 et 12 du projet. Quant à l'article 12, je déclare que je me rallie à la suppression proposée par la section ; j'en dirai les motifs plus tard, s'il y a lieu.
La question constitutionnelle, soulevée par l'honorable M. Jonet, me paraît reposer sur une confusion d'idées. Certainement, aux termes de la Constitution, il ne peut être établi aucune commission, aucun tribunal extraordinaire. Que résulte-t-il de là ? Qu'on ne peut pas distraire les citoyens de leurs juges naturels ; on ne peut pas les enlever à la juridiction ordinaire pour les traduire devant une juridiction extraordinaire.
Il ne résulte pas de là que toute autorité, toute hiérarchie ait disparu dans l'administration elle-même. En d'autres termes, l'autorité administrative, pour faits administratifs, a sur ses agents une action parfaitement constitutionnelle, parfaitement légale. Il s'agit de faire juger des faits administratifs par une administration supérieure, par un corps qui émane du pouvoir législatif lui-même. Pour préciser cette idée, en matière de comptabilité, de contributions et une foule d'autres matières, les tribunaux sont incompétents à raison de la matière, comme de la personne.
La question a été soulevée pour la comptabilité communale. Est-ce une question de droit civil, s'est-on demandé, qui doit être décidée par les tribunaux ordinaires, que celle que soulève la reddition de compte du receveur communal ?
L'on a eu quelque peine à faire prévaloir la distinction que je viens d'indiquer.
L'administrateur, comme tel, à raison de ses fonctions, est sujet de ses supérieurs administratifs. La Constitution interdit de soumettre les particuliers comme tels à des tribunaux ou commissions extraordinaires. Je me borne à ces observations. L'honorable M. Dumortier, posant d'ailleurs la question sur un autre terrain, me paraît avoir très bien répondu à la question d'inconstitutionnalité.
- L'article 8 est mis aux voix et adopté.
« Art. 9. Toute condamnation à des amendes est prononcée sur le réquisitoire du plus jeune des conseillers faisant fonctions du ministère public. »
- Adopté.
« Art. 10. La cour règle et apure les comptes de l'Etat et des provinces. Elle établit par des arrêts définitifs si les comptables sont quittes, en avance ou en débet.
« Dans les deux premiers cas, elle prononce leur décharge définitive, et ordonne la restitution des cautionnements, et, s'il y a lieu, la main levée des oppositions et la radiation des inscriptions hypothécaires existant sur leurs biens, à raison de leur gestion.
« Dans le troisième cas, elle les condamne à solder leur débet au trésor, dans le délai qu'elle prescrit.
« Dans tous les cas, une expédition de ses arrêts est adressée, pour exécution, au ministre des finances, si le compte intéresse le trésor public, et à la députation permanente du conseil provincial, si le compte concerne les deniers provinciaux.
« Trois ans après la cessation de ses fonctions, le comptable aura une décharge définitive, s'il n'a été autrement statué par la cour des comptes. »
M. Veydt. - Le paragraphe premier de cet article consacre-t-il le retour à ce qui se pratiquait avant la promulgation de la loi provinciale ? Alors les comptes provinciaux étaient arêtes provisoirement par les conseils provinciaux et ensuite définitivement par la cour des comptes. Désormais en sera-t-il encore ainsi ? Les mots « règle et apure » me laissent des doutes que je voudrais voir dissipés.
M. le ministre des finances (M. Malou). - L'analogie entre les comptes provinciaux et ceux de l'Etat est parfaite. La cour des comptes arrête les uns et les autres, le pouvoir législatif général ou provincial statue quand les comptes ont été apurés par la cour. C'est ainsi que les choses se sont passées jusqu'à présent et qu'elles continueront à se passer après le vote de la loi nouvelle. Le conseil arrêtera quand la cour aura réglé et apuré les comptes.
M. Veydt. - La cour a refusé d'examiner et d'arrêter les comptes provinciaux, depuis l'introduction de l'article 66 de la loi provinciale, qui dit que chaque année le conseil arrête les comptes de recettes et dépenses de l'exercice précédent etc. Ce droit ne peut lui être ôté : la cour en a jugé ainsi en se déclarant incompétente pour statuer en dernier ressort sur les comptes provinciaux. Elle se borne au visa des ordonnances de payement que les députations sont tenues de lui soumettre.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Dans la situation actuelle, la comptabilité des provinces se concentre dans celle des directeurs du trésor qui soumettent leurs comptes qui se combinent avec ceux de l'Etat à la cour des comptes, de sorte qu'en règle générale, la cour arrête, au moins sommairement, les comptes des provinces ; mais l'article 114 de la loi provinciale ayant donné aux provinces la faculté de nommer des receveurs particuliers, deux provinces, celles de Liège et du Hainaut, ont usé de cette faculté, et ont nommé des receveurs particuliers ; les comptables de ces provinces ont échappé jusqu'ici plus ou moins à la surveillance de la cour de comptes.
La loi du 25 mai 1838, fut présentée par M. d'Huart, pour remédier à cet état de choses. Son article 5 porte que, quand les provinces nomment des receveurs particuliers, ces receveurs sont obligés de soumettre leurs comptes à la cour. L'article 10 ne fait que donner une sanction nouvelle à ce qui a été consacré par la loi que je viens de citer pour la comptabilité provinciale.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La cour règle et apure les comptes de l'Etat et des provinces.
Voilà ce que porte la disposition. L'honorable membre demande comment elle sera exécutée. Le règlement et l'apurement n'exclut pas le vote des comptes par les conseils provinciaux, et je dis plus, il ne peut pas l'exclure, car la Constitution elle-même a déféré aux conseils provinciaux et communaux le règlement définitif des intérêts provinciaux et communaux. Conçoit-on, dans l'administration de la province ou de la commune, un acte ayant plus d'importance que le règlement définitif des comptes et des budgets ?
Je crois que ces expressions n'ont d'autre portée si ce n'est que la cour des comptes aura, quant aux comptables, à apurer les comptes, et que cet article se concilie très bien avec la disposition de la loi provinciale que l’honorable membre a citée. La cour préparera le travail et le conseil statuera ; il pourra statuer sur ses affaires intérieures, régler d'une autre manière, s'il trouve des motifs pour le faire.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 11. La cour, nonobstant un arrêt qui a définitivement jugé un compte, peut, dans le même délai de trois ans, à partir de la date de l'arrêt, procéder à la révision, soit sur la demande du comptable, appuyée de pièces justificatives recouvrées depuis l'arrêt, soit d'office, pour erreur, omissions, ou dont le emploi reconnu par la vérification d'autres comptes.
« Il y aura lieu, même après le délai fixé ci-dessus, à la révision de tout compte qui aura été arrêté sur la production de pièces reconnues fausses. »
- Cet article est mis aux voix et adopté.
« Art. 12 (nouveau). Si, dans l'examen des comptes, la cour trouve des faux ou des concussions, il en est rendu compte au ministre des finances, et référé au ministre de la justice, qui font poursuivre les auteurs devant les tribunaux ordinaires. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je me rallie à cet article.
- Cet article est mis aux voix et adopté.
« Art. 13. Les arrêts de la cour contre les comptables sont exécutoires ; ils peuvent être déférés à la cour de cassation pour violation de la loi.
« Dans le cas où un comptable se croit fondé à attaquer un arrêt pour violation de la loi, il doit se pourvoir, dans les trois mois pour tout délai, à compter de la notification de l'arrêt. Le pourvoi est jugé sur requête et sans plaidoirie.
« Si l'arrêt est cassé, l'affaire est renvoyée à une commission ad hoc, formée dans le sein de la chambre des représentants, et jugeant sans recours ultérieur, selon les formes établies par la cour des comptes. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je remarque que dans l'article du projet du gouvernement auquel la section centrale s'est ralliée, on a modifié la disposition quant aux causes, aux motifs du pourvoi.
Je pense qu'il faudrait rétablir dans les deux premiers paragraphes, de l'article, les mots qui se trouvent dans le décret de 1830, « pour violation des formes ou de la loi ».
- L'article ainsi amendé est adopté.
M. le président. - La section centrale a proposé la suppression de l'article 12 du projet du gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je me rallie à cette suppression.
- La suppression de l'article est adoptée.
« Art. 14. Aucune ordonnance de payement n'est acquittée par le trésor qu'après avoir été munie du visa de la cour des comptes.
« Lorsque la cour ne croit pas devoir donner son visa, les motifs de son refus sont examinés en conseil des ministres.
« Si les ministres jugent qu'il doit être passé outre au payement sous leur responsabilité, la cour vise avec réserve.
« Elle rend compte de ses motifs dans ses observations annuelles aux chambres. »
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, l'article 14 soulève une question très importante.
Faut-il que la cour des comptes puisse connaître de l'utilité des dépenses publiques ordonnancées, de la légalité de l'application de certaines dépenses ? C'est là, messieurs, une question qui depuis 1830 fait, si je ne me trompe, l'objet d'une correspondance presque non interrompue entre la cour des comptes et tous les ministres qui se sont succède aux affaires.
Le paragraphe 2 du projet du gouvernement a pour objet de résoudre cette question, et de la résoudre dans le sens des véritables principes.
La cour des comptes est instituée pour surveiller la régularité de la comptabilité publique, mais elle n'est pas et ne peut pas être un pouvoir supérieur à celui du gouvernement. Elle ne peut pas avoir un droit de veto sur les actes que l'administration croit devoir poser.
Ce serait cependant, messieurs, ce qui arriverait si la cour des comptes pouvait être juge de l'utilité des dépenses que les ministres ou d'autres croient devoir faire et si elle pouvait juger en même temps de la légalité des actes du gouvernement.
S'il en était ainsi, messieurs, tous les pouvoirs seraient intervertis. Ce ne seraient plus les ministres qui devraient être responsables devant les chambres et devant le pays ; ce serait la cour des comptes, puisque la responsabilité suppose la liberté d'action, et que là où le ministre serait soumis à un veto absolu de la part de la cour des comptes, on ne concevrait pas qu'une responsabilité restât encore à découvert, lorsque la cour des comptes aurait statué.
Il en résulterait encore, messieurs, un autre déplacement, un autre renversement d'attributions essentielles.
Ainsi je prends un exemple. Un arrêté royal liquide une pension d'après des états de service. Toutes les bases légales doivent être insérées dans l'arrêté royal. Si le pouvoir de la cour des comptes va jusqu'au point de pouvoir déclarer que tels ou tels services reconnus, admis par le gouvernement, ne peuvent pas servir de bases légales à la fixation de la pension, alors l'administration, en ce qu'elle a de plus essentiel dans son action, se trouve transférée à la cour des comptes.
Voyons, messieurs, quelles sont les dispositions constitutionnelles qui ont organisé ce pouvoir.
La cour des comptes veille à ce qu'aucun article de dépenses du budget ne soit dépassé et qu'aucun transfert n'ait lieu. Tel est le mandat de la cour. Mais la Constitution n'a pas établi la cour des comptes comme un pouvoir supérieur au pouvoir royal lui-même, c'est-à-dire comme pouvant, par un refus, paralyser l'exécution des arrêtés royaux. Le système constitutionnel est parfaitement bon ; car un acte abusif ou erroné ne devient cependant pas irrévocable. La Constitution a voulu que la cour des comptes vînt en référer, toutes les fois qu'un pareil différend aura existé, à la chambre des représentants, lorsqu'elle lui envoie ses observations. Tel est son droit et son devoir, et le passé nous a assez démontré qu'elle sait le remplir consciencieusement.
En insérant dans l'article du projet de la section centrale, à la suite du premier paragraphe, le deuxième paragraphe du projet primitif, on aura résolu, dans le sens des véritables principes que je viens d'exposer, la question d'attributions si délicate et si importante qui s'agite depuis quinze ans. Pour qu'elle soit nettement résolue, j'ai défini moi-même, dès le début de la discussion, quel sens me paraît devoir être attaché au deuxième paragraphe du projet primitif, et pour ce motif, je demande à la chambre de l'insérer à la suite du premier paragraphe de l'article 14.
Ce paragraphe est ainsi conçu :
« Ce visa est accordé lorsque la réalité de la créance est justifiée et que la cour a reconnu la régularité de l'imputation. »
De cette manière, la cour des comptes reste dans l'intégrité de ses pouvoirs constitutionnels, et le gouvernement, l'administration et les chambres restent aussi dans la plénitude de leur action.
On me demande, messieurs, si j'accepte les autres paragraphes de l'article. Je ferai remarquer à la chambre que la section centrale n'a fait que déplacer les paragraphes du projet primitif. Ils forment, en grande partie, l'article 15 nouveau auquel je me rallie.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, l'honorable ministre des finances a cherché à vous indiquer que ce serait une atteinte portée à la responsabilité ministérielle que de donner la faculté à la cour des comptes de juger de l'utilité et de la légalité des dépenses. Tous ceux, messieurs, qui ont lu le rapport de la section centrale auront pu voir que l'intention de cette section n'est pas de donner ce pouvoir à la cour des comptes. La section centrale n'entend pas que la cour des comptes vienne entraver la marche du gouvernement ; elle n'entend pas que la cour des comptes neutralise le moins du monde sa responsabilité.
En effet, messieurs, nous ne demandons pas que la cour juge des dépenses de l'administration. Aussi n'ai-je pas bien saisi la portée des efforts de M. le ministre des finances ; il a combattu un système qui n'a été proposé par personne.
L'honorable ministre vous demande, messieurs, de placer après le premier paragraphe de la section centrale, le second paragraphe du projet du gouvernement. Que dit ce paragraphe ? « Ce visa est accordé lorsque la réalité de la créance est justifiée et que la cour a reconnu la régularité de l'imputation. »
Messieurs, ce mot « réalité » a été emprunté à la législation française, législation que M. le ministre des finances a combattue si souvent quand il s'agissait d'améliorations. Maintenant M. le ministre veut chercher à nous faire admettre une rédaction qui risque de porter atteinte à l'intégrité du contrôle de la cour des comptes. Il voudrait, en quelque sorte, que la cour fondée en Belgique en 1830, fût ramenée au régime de la cour établie en France en 1807.
J'espère, messieurs, que tel ne sera pas le résultat de cette discussion et que vous maintiendrez à la cour des comptes le rôle que lui a assigné le congrès national.
Je viens de dire, messieurs, que l'intention de la section centrale n'était pas de donner à la cour des comptes le jugement de l'utilité, de la légalité des dépenses. Que désire la section centrale ? Elle désire que la cour des comptes examine, qu'elle puisse demander des renseignements, et déjà par l'article 5 que vous avez voté, vous avez admis le principe que la cour des comptes avait le droit de se faire fournir tous états, renseignements et éclaircissements relatifs à la recette et à la dépense des deniers de l'Etat. Eh bien, en adoptant cette disposition, vous avez voté tout ce que nous désirons accorder à la cour des comptes. Nous voulons qu'elle puisse examiner la valeur des demandes du gouvernement, qu'elle puisse vérifier si, lorsqu'un ministre ouvre une dépense, cette dépense est conforme à nos lois de finances
La cour des comptes n'est pas fondée à s'opposer à une dépense, mais son devoir est de demander les moyens de s'éclairer, de faire même des observations aux ministres, quand elle juge que leurs demandes de dépenses s'écartent de l’esprit des lois de crédit. Ce sera quelquefois gênant pour ceux-ci, je le comprends, mais, d'un autre côté, cela est fait pour les éclairer ; cette faculté ne peut que leur être utile, ainsi qu'aux intérêts du pays. C'est tellement vrai, messieurs, qu'il est arrivé maintes fois que des chefs de département ministériel se sont désistés de certaines dépenses sur les observations de la cour des comptes.
Je pense que, si les attributions de la cour des comptes sont renfermées dans des limites comme celles-là, loin d'entraver la responsabilité ministérielle, elles auront pour résultat de faire prendre au gouvernement des engagements plus grands encore.
C'est ainsi que par une disposition que d'ailleurs le gouvernement a présentée lui-même et dont je ne comprendrais pas la portée, si la cour des comptes ne pouvait examiner le fond de la dépense, c'est ainsi que le gouvernement, afin de faire cesser les conflits qui existent, a présenté une disposition en vertu de laquelle, lorsqu'il y a conflit entre un ministre et la cour des comptes, la proposition du chef du département ministériel qui désire ouvrir la dépense, est déférée au conseil des ministres, et si l'avis du conseil est conforme à celui du ministre, la cour vise avec réserve. Le gouvernement est parfaitement libre d'agir, mais alors au moins non seulement le ministre qui a fait la dépense a assumé une plus grande responsabilité, mais cette responsabilité pèse sur le cabinet tout entier.
Sous le gouvernement des Pays-Bas, il existait, messieurs, quelque chose de semblable. Il arrivait aussi quelquefois que des conflits surgissaient (page 943) entre les ministres et la chambre des comptes. Qui mettait fin à ces conflits ? C'était la couronne, c'était le Roi. Aujourd'hui cela n'est plus possible avec la responsabilité ministérielle, et ce sera sur l'avis du conseil des ministres que l'on passera outre à la dépense.
Je vois, messieurs, le plus grand danger à vous désister de ce système. Si la cour des comptes ne peut plus examiner le mérite des dépenses, si elle ne peut plus entrer dans le fond, qu'arrivera-t-il ? C'est que cette cour ignorera les abus, les illégalités résultant d'actes de dépenses que pourra poser le gouvernement. Quand ensuite arrivera le compte, vous le renverrez à la commission des finances et celle-ci n'en saura pas davantage. De sorte que vous devrez voter les comptes de confiance.
Je pense, messieurs, qu'il est suffisamment démontré qu'il est indispensable que le gouvernement soit obligé de donner à la cour des comptes tous les renseignements qu'elle croit nécessaires, et je vous avoue que je suis étonné que le gouvernement d'un pays, dont les institutions sont aussi avancées, semble chercher à entraver ces garanties.
Voici, messieurs, comment s'exprimait, concernant la cour des comptes, le ministre d'un gouvernement qui certes n'était pas aussi libéral que le nôtre, dont la Constitution n'était pas aussi avancée. M. de Villèle terminait un rapport daté du 9 juillet 1826, en ces termes :
« Le vœu de la loi du 27 juin 1819, qui n'aurait jamais pu s'accomplir par le seul concours de la législature et de la cour des comptes, sera entièrement satisfait par l'empressement que le gouvernement mettra lui-même à expliquer à des juges inamovibles l'application qu'il a faite, dans ses comptes, des recettes et des dépenses de ses préposés, et l'interprétation qu'il a donnée à toutes les dispositions légales et réglementaires. Cette cour, ainsi associée au travail intérieur du ministère, pourra facilement reconnaître sur les pièces et sur les comptes individuels l'emploi qui a été fait dans les comptes publics de tous les résultats matériels dont elle a la preuve sous les yeux. Il n'échappera pas un seul fait à ses investigations ; elle n'en recevra pas un seul sous une expression obscure ou infidèle ; point de réticence ni de dissimulation qui ne doive être aussitôt découverte et révélée. A aucune époque et chez aucun peuple l'administration ne se sera livrée elle-même à une épreuve aussi difficile, si elle n'était pas le meilleur témoignage de la loyauté de ses principes et de la régularité de son action.
« A chaque session législative, une première déclaration générale de la cour des comptes, prononcée en séance solennelle, établira la conformité de ses arrêts avec les comptes ministériels publiés pour l'année précédente ; et par une seconde déclaration, cette cour certifiera, sous la foi des mêmes garanties, la concordance des résultats de ses jugements avec ceux du règlement légal du dernier exercice expiré. Les chambres pourront ainsi procéder avec une entière confiance à la discussion des comptes généraux dont l'exactitude leur sera si authentiquement démontrée, et faire reposer les bases définitives de chaque loi de finances sur des résultats irrécusables et à l'abri de toute critique. »
La section centrale n'en demande pas davantage. Elle ne veut pas entraver le gouvernement, elle désire seulement que le gouvernement prenne une responsabilité plus grande.
Vous voyez, messieurs, que sous la restauration, le gouvernement ne craignait pas que la cour des comptes demandât des renseignements, qu'elle se fait rendre compte des motifs de la dépense pour éclairer son contrôle.
Le gouvernement de la restauration s'était déjà bien relâché des restrictions de la loi de l'empire de 1807.
Cette loi se ressentait de l'époque où elle avait été promulguée. Le gouvernement impérial ne s'accommodait pas de la publicité. Cette loi stipulait, par exemple, que la cour des comptes ferait des observations, mais ces observations étaient faites au chef de l'Etat sous le sceau du secret ; elles n'étaient pas communiquées à la législature, si tant est qu'il en existât une à cette époque.
Depuis la restauration les chambres françaises n'ont cessé de faire des réclamations contre cet état de choses, et depuis quelques années les cahiers d'observations de la cour des comptes lui sont communiqués.
Ensuite, messieurs, sous le régime de cette loi de 1807 les payeurs étaient obligés de payer sans pièces justificatives, quand ils en recevaient l'injonction des ordonnateurs. Cela a encore été changé depuis. Le gouvernement, encore sur les réclamations des chambres, a adopté des nomenclatures de pièces qui établissent quelles sont celles que les payeurs ont droit de se faire produire. Ces payeurs sont comptables de la cour des comptes et ils n'obtiennent décharge de cette cour que pour autant qu'ils ont justifié suffisamment de la sortie des fonds de leur caisse.
Messieurs, ces nomenclatures ont encore soulevé les réclamations de la cour des comptes de France, et voici en quels termes elle s'en exprimait dans ses observations concernant les comptes de 1838.
« Les formes de la comptabilité publique sont toujours adaptées à celles du gouvernement ; ses garanties se restreignent ou s'étendent suivant les principes et le but des institutions politiques. L'ordre constitutionnel fondé en 1814, sur le vote et le règlement législatif des recettes et dépenses de l'Etat, devait conduire à les mettre en évidence dans les budgets et dans les comptes annuels, et à procurer, par la clarté et la vérification facile de leurs résultats, toute la sécurité nécessaire sur la régularité de la perception et de l'emploi des deniers du trésor.
« Cette grande réforme du régime administratif était la conséquence de celle qui venait de s'opérer dans l'organisation de l'empire. La loi du 16 septembre 1807, qui a réglé l'action de la cour des comptes, avait conformé le rôle qu'elle devait remplir à l'esprit général des institutions de cette époque, en donnant aux observations de son rapport annuel le caractère d'une communication confidentielle réservée aux regards du souverain, cl surtout en interdisant à ce corps de magistrature la faculté d'exiger de ses justiciables d'autres pièces que celles que les ordonnateurs auraient prescrit de joindre à leurs mandais sur les caisses des payeurs.
« Une semblable combinaison ne laissait subsister aucune des garanties qui doivent protéger la fortune publique ; mais ces garanties devaient renaître aussitôt que la représentation du pays serait reconstituée par l'indépendance des pouvoirs politiques. Il n'était plus possible alors de contester à la cour l'action libre et complète de son contrôle sur le maniement de toutes les ressources de l'Etat, et de conserver aux administrateurs qui disposent des deniers publics le droit exclusif d'accorder ou de refuser à nos vérifications les justifications de leurs dépenses. Ce double pouvoir, réuni dans la même main, d'ordonnancer les crédits du budget et de fixer arbitrairement les preuves de leur bon emploi, était trop destructif de toute sécurité pour n'avoir pas provoqué, dès l'origine des débats parlementaires, de vives réclamations auxquelles il importait de satisfaire sans retard et sans réserve.
« Aussi l'administration, répondant au vœu des chambres, exprimé par la loi du 27 juin 1819, s'est-elle empressée, dès 1822, de renoncer d'elle-même, et par une simple ordonnance, ainsi qu'elle en avait le droit, à la faculté exorbitante que l'article 18 de la loi du 16 septembre 1807 laissait aux ordonnateurs. Elle a prescrit aux comptables de n'acquitter que des dépenses appuyées des titres et documents propres à démontrer la réalité et la légalité de la dette de l'Etat, et les a obligés à les soumettre à notre jugement. C'est après avoir été mis en possession des moyens d'assurer et de constater la libération du trésor, que nous avons pu recevoir, de l'ordonnance du 9 juillet 1826, l'importante mission de prononcer une déclaration publique pour attester, chaque année, l'exactitude et la régularité de toutes les opérations comprises dans les comptes de nos justiciables, et dans ceux qui sont rendus par les ministres de tous les départements.
« Il est, dès lors, devenu évident, pour tous les esprits, que l'administration ne se reconnaissait plus comme exclusivement appelée à régler elle-même les titres et documents qui doivent éclairer la libre vérification de ses actes, et qu'elle a voulu que la dette de l'Etat fût toujours démontrée par des preuves suffisantes pour être admises par la responsabilité du payeur chargé de son acquittement, et par la conscience du juge qui doit prononcer sur son exactitude et sa légalité. L'ordonnance du 14 septembre 1822 a indiqué les bases des justifications à produire ; et des nomenclatures méthodiques de ces pièces, concertées entre les ordonnateurs et le ministre des finances, ont bientôt dirigé la gestion des payeurs et secondé nos propres vérifications. Mais c'est pour faciliter et non pas pour restreindre l'exercice des attributions respectives qu'elles ont été préparées ; et, en effet, quoique se prêtant moins à l'arbitraire que la fixation spéciale, par l'ordonnateur, des pièces à produire sur chaque mandat, la détermination absolue, par l'administration elle-même, des justifications de ses propres actes offrirait quelque chose d'incompatible avec sa position, et affaiblirait la confiance dont elle a tant d'intérêt à les entourer. Utiles aux ordonnateurs, aux comptables et à la cour, les nomenclatures n'affranchissent aucune autorité des devoirs qu'elles ont à remplir dans les cas où elles sont muettes ou seulement incomplètes. L'ordonnance du 31 mai, dont l'objet a été de rassembler et de coordonner les dispositions antérieures plutôt que d'en introduire de nouvelles, n'a rien changé, sous ce rapport, aux principes établis par l'ordonnance du 14 septembre 1822 et consacrés par une pratique non interrompue et non contestée de près de vingt ans. C'est seulement dans un sens indicatif et non limitatif que doit être entendu l'article 65 de la première de ces ordonnances. »
Messieurs, si une limite pouvait être posée aux renseignements, aux pièces justificatives que la cour est en droit de réclamer, il me semble que le résultat inévitable serait le système de nomenclature des pièces qu'elle pourrait exiger ; et ce système serait destructeur de tout contrôle des actes du gouvernement.
Messieurs, j'ai été chargé par la commission des finances d'examiner les comptes des premières années de notre indépendance. Si la commission était privée des renseignements de la cour des comptes, cet examen serait impossible et vous ne pourriez voter avec quelque sécurité les comptes de l'Etat. Or, pour que la cour des comptes puisse procurer des renseignements à vos commissions, il est indispensable qu'elle ait la faculté de connaître le fonds de la dépense, qu’elle puisse en apprécier le mérite.
Je crois donc, messieurs, que nous ne pouvons admettre le mot « réalité ». Car comment faut-il expliquer la portée de ce mot que M. le ministre des finances tient tant à introduire dans l'article ? Voici comment j'en explique la portée. La cour des comptes aura à examiner si bien réellement un ministre a ouvert une dépense, si pour cette dépense il y a un créancier réel et s'il existe une allocation pour payer le service. A cela se bornera son rôle. Elle ne pourra s'enquérir de la légalité de la dépense, si elle est conforme aux intentions de la législature, aux lois des finances. Dès lors, messieurs, vous ne seriez plus vous-mêmes instruits de rien et il ne vous restera plus qu'à voter les comptes de l'Etat, les yeux fermés.
M. le ministre des finances nous a dit un mot des pensions et il a appliqué les mêmes principes à la liquidation des pensions. Je sais, messieurs, que tel est le système de M. le ministre des finances. Avant d'être au pouvoir, il a été rapporteur du projet de loi sur les pensions et il a cherché à établir, à ce propos, une espèce de contrôle direct par les chambres, et l'honorable M. Verhaegen a cherché à étendre ce contrôle relativement aux pensions accordées pour infirmités ; cet honorable membre a obtenu que les certificats de médecins fussent portés au Moniteur.
Je conçois très bien, messieurs, que l'on cherche à établir un contrôle (page 944) au moyen de la publicité, quant aux pensions accordées pour infirmités. La cour des complus elle-même ne peut apprécier la valeur d'une pension accordée pour infirmités : elle ne peut aller tâter le pouls aux fonctionnaires qui demandent leur retraite. La publicité seule peut faire justice des pensions de cette nature qui seraient accordées sans motifs suffisants. Mais pour les autres pensions, leur liquidation exige une quantité innombrable de pièces. Cela est tellement vrai qu'à propos de la discussion sur les pensions, l’honorable M. Malou vous a dit qu'il était impossible que toutes ces pièces fussent imprimées au Moniteur. On sait que toutes ces pièces forment souvent des volumes, a-t-il dit. Or, ces pièces sont indispensables pour apprécier la légalité d'une pension.
Eh bien, messieurs, malgré cela, M. le rapporteur de la loi de 1844 a prétendu établir un contrôle direct par les chambres sur la collation des pensions ; l'expérience a prouvé que ce contrôle était impossible. En effet, je crois pouvoir assurer qu'il n'est pas arrivé une seule fois qu'un membre de cette chambre soit parvenu à découvrir quelques chose au moyen du contrôle organisé par la loi de 1844 ; tous les renseignements que nous obtenons nous viennent de la cour des comptes.
Messieurs, la cour a cru pouvoir contrôler la liquidation des pensions, parce que le principe en était déposé dans l'exposé des motifs du décret de 1830, dont l'honorable M. de Muelenaere a été rapporteur.
Certains départements se sont conformés aux désirs de la cour et ont consenti à liquider les pensions de concert avec elle ; mais d'autres s'y sont refusés et il en est résulté un grave dissentiment.
La section centrale a voulu faire cesser cette situation et elle vous propose d'établir le contrôle des pensions par la cour des comptes, dans la loi.
Quand nous en serons à l'article qui concerna cette question, je dirai mon opinion personnelle à cet égard. Car l'article proposé par la majorité de la section centrale n'a pas été voté par moi. J'avais proposé une disposition qui rentrait davantage dans le système de la loi. le ne voulais pas que la cour pût entraver la liquidation des pensions ; je désirais seulement, et M. le ministre des finances rendra sans doute, dans ce cas, justice à ma modération, je me suis borné à émettre le vœu que la cour des comptes pût éclairer le gouvernement et nous éclairer nous-mêmes. J'ai reculé devant le système qui consiste à entraver l'action gouvernementale.
Messieurs, je n'en dirai pas davantage, pour le moment, quant aux pensions. J'attendrai que nous soyons arrivés à l'article spécial qui les concerne.
Pour me résumer, messieurs, voici comment j'admets la compétence de la cour des comptes, comment je définis ses attributions.
La cour des comptes, selon moi, connaît de tous les actes qui affectent le trésor public ; elle entre dans le fond de ces actes, afin que nous puissions être instruits par elle. Car, comme on vous l'a dit plusieurs fois, la cour des comptes est une commission de la chambre ; dès lors, le gouvernement n'est pas fondé à lui refuser des renseignements. Car nous avons établi cette commission pour faire un contrôle journalier auquel nous ne pouvons nous livrer nous-mêmes. Je dis donc, messieurs, que la cour des comptes connaît tous les actes qui affectent le trésor public. Ces actes procèdent ou des comptables ou des ordonnateurs. Les actes des comptables ne présentent qu'un caractère matériel ; les actes des ordonnateurs ont un caractère moral, affectent leur responsabilité, tiennent à l'ordre politique.
La cour juge les actes des premiers ; elle se borne à contrôler ceux des seconds, à les déférer à la législature, à laquelle est réserve le droit de les juger par le règlement des budgets.
C'est à la chambre seule à juger ces actes ; mais pour pouvoir les juger elle doit les connaître et elle ne peut les connaître que par le contrôle de la cour des comptes.
Je bornerai là pour le moment mes observations.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, il importe de bien définir le dissentiment qui existe, à mon grand regret, entre la section centrale et le gouvernement. Je ne propose à la chambre ni de revenir sur l'article 5 du projet, ni de déclarer que l'on pourra refuser de donner des éclaircissements à la cour des comptes sur un acte quelconque du gouvernement. A cet égard, j'abonde entièrement dans les idées Que vient d'émettre l'honorable rapporteur. Je crois que le gouvernement doit donner à la cour des comptes tous les renseignements dont elle a besoin pour remplir sa mission ; mais ce que je ne puis admettre, c'est la prétention qui s'est révélée depuis 15 ans, qui a été constamment soutenue par la cour des comptes, et constamment combattue par tous les ministres qui se sont succédé aux affaires. Cette prétention consiste à arrêter l'action du gouvernement en refusant le visa, et surtout à l'arrêter, à raison de l'illégalité prétendue d'une dépense faite d'ailleurs dans les limites des crédits accordés par la législature. Ainsi, messieurs, je propose de déclarer dans la loi, non pas que la cour des comptes accordera son visa lorsque réellement le ministre a ordonné une dépense, mais qu'elle accordera son visa lorsqu'on lui aura démontré la réalité de la créance, ce qui est tout autre chose.
L'honorable rapporteur me dit : « Vous bornez donc le contrôle de la cour des comptes à apprécier si le ministre a réellement ouvert telle dépense. » Non, messieurs, la cour des comptes aura à juger si celui qui est porte comme créancier de l'Etat est réellement créancier de l'Etat, et c'est là sa garantie constitutionnelle. Il y a donc une distinction essentielle à faire entre la réalité d'une dépense, qui peut être un fait abusif, et la réalité d'une créance qui repose sur un droit à charge de l'Etat. J'ajoute, messieurs, que la cour vise, lorsqu'elle a reconnu la régularité de l’imputation. Ces mots ont un sens bien précis, la régularité de l'imputation, c'est qu'il n'y ait pas de transfert, c'est que la dépense rentre dans la spécialité de celles pour lesquelles le crédit a été ouvert. La régularité de l'imputation, c'est encore que ce crédit présente la somme disponible nécessaire pour faire face à la dépense.
Ainsi, messieurs, le seul point du dissentiment est celui-ci : je ne puis pas admettre que la cour des comptes, d'après nos institutions, car je n'invoque pas ici l'exemple de la France, que la cour des comptes, dis-je, d'après nos institutions, sainement entendues, puisse avoir le droit de dire au ministre : Telle dépense que vous voulez ordonner n'est pas utile, telle dépense ne me paraît pas légale. Je dis que la cour des comptes, dans ce cas, doit viser la dépense, et que le seul droit que la Constitution lui ait conféré, c'est le droit de dénoncer, de faire connaître le fait aux chambres dans ses observations.
Messieurs, je reviens encore sur cette idée : Si la cour des comptes avait ainsi le droit d'empêcher les ministres de poser tel ou tel acte, pourquoi les ministres seraient-ils responsables ? Vous auriez, contrairement à toutes les idées d'attributions, à toutes les idées essentielles qui régissent les pouvoirs en Belgique, déplacé et la responsabilité du gouvernement et le contrôle de la législature. Je conçois fort bien ce qui se passe en France et ce que l'honorable rapporteur invoque dans un autre ordre d'idées, mais en France le visa préalable n'existe pas ; en France la cour des comptes émane du gouvernement. Ici, veuillez bien le remarquer, messieurs, lorsque vous avez une cour des comptes établie comme commission de la chambre, émanant du pouvoir parlementaire, vous devez prendre garde aussi de ne pas exagérer dans l'application le pouvoir déjà si grand qu'elle tient de son origine, de ne pas l'exagérer de manière à faire disparaître complétement l'action du gouvernement.
Ce que je repousse donc, c'est le principe d'après lequel la cour des comptes pourrait, dans des circonstances différentes et très variables, s'opposer à un acte que le gouvernement croirait devoir poser. Ce que je repousse, c'est ce déplacement de tous les pouvoirs, et c'est au nom de l'intérêt publie bien entendu que je le repousse.
Remarquez bien, messieurs, qu'on ne peut pas abuser de ce pouvoir. En effet, la cour des comptes, dans les observations qu'elle vous soumet chaque année, signale tous les faits...
M. de Man d’Attenrode. - Elle ne le pourra plus.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Mais encore une fois, messieurs, je déclare que je ne reviens pas sur l’article 5, que la cour des couples devra recevoir toutes les pièces qui lui sont nécessaires pour exercer son action, mais que seulement elle ne pourra pas opposer un veto aux actes du gouvernement. Elle pourra donc très bien continuer à remplir comme elle a rempli jusqu'à ce jour la mission qui lui est confiée, d'assurer la régularité des dépenses et de soumettre aux chambres le jugement des questions contentieuses qui s'élèvent entre elle et le gouvernement.
Quant aux pensions, messieurs, la section centrale a proposé un article spécial auquel je ne me rallie pas, et je pense qu'il vaut mieux réserver les observations que j'aurai à présenter en ce qui concerne les pensions, jusqu'à ce que nous soyons arrivés à l'article 17.
M. de Man d’Attenrode. - D'après ce que vient de dire M. le ministre des finances, le dissentiment qui existe entre lui et la section centrale consisterait en ce qu'il ne veut pas que le contrôle de la cour des comptes puisse arrêter l'action du gouvernement. Je ferai remarquer à M. le ministre qu'il perd toujours de vue le dernier paragraphe de l'article 15 proposé par le gouvernement et admis par la section centrale, paragraphe d'où il résulte qu'il n'y a plus de conflits possibles, ou au moins, que les conflits qui s'élèveraient seront résolus par le conseil des ministres. Malgré cette disposition que l'on semble prendre plaisir à perdre de vue, M. le ministre persiste à dire que nous voulons porter atteinte à la responsabilité ministérielle ; je lui ai déjà fait remarquer que nous voulons, au contraire, engager encore davantage cette responsabilité en lui laissant toute sa liberté d'action.
Mais, pour que les ministres puissent être rendus responsables, il faut que les faits qu'ils posent soient connus. Les chambres, pour mettre cette responsabilité en jeun doivent connaître tout ce qui se rattache à ces faits. Je ne comprends pas qu'après les déclarations faites, M. le ministre des finances insiste encore sur ses premières observations.
L'honorable ministre auquel je réponds, a prétendu que c'était parce que la cour des comptes de Belgique avait peu d'analogie avec celle de France, parce que la cour belge avait une origine toute différente, qu'il était convenable de restreindre en quelque sorte ses attributions, qu'il fallait que le gouvernement lui assignât des limites.
Il me semble que cette argumentation n'est pas logique, il me semble que c'est précisément parce que la cour belge est une émanation de la législature, que le gouvernement n’est pas fondé à vouloir limiter son action.
Cette action, messieurs, le gouvernement n'a nullement à la redouter, elle n'est pas constitué de manière à entraver sa liberté d'égir. La section centrale ne veut en aucune manière gêner cette liberté ni porter obstacle à sa responsabilité.
D'ailleurs, messieurs, si vous voulez jeter un coup d'œil sur l'article 116 de la Constitution, vous verrez que ce que nous demandons est indispensable. En effet, le dernier paragraphe de cet article porte :
« Le compte général de l'Etat est soumis aux chambres avec les observations de la cour des comptes. »
Eh bien, pour que cette disposition constitutionnelle ne soit pas une lettre morte, il faut que la cour puisse examiner au fond les dépenses, (page 945) qu'elle puisse en apprécier le mérite ; sans cela ses observations n'auraient aucune valeur, n'éclaireraient en rien les chambres.
M. le ministre des finances a fait une distinction : d'après lui la cour des comptes ne peut apprécier que le mérite du payement ; elle ne peut apprécier le mérite de la dépense ; elle doit se borner à examiner si le ministre a réellement ouvert la dépense, si celui auquel il s'agit de faire un payement est en effet créancier de l'Etat. C'est là en quelque sorte un contrôle purement matériel.
Je crois que la trésorerie serait aussi apte à remplir cette mission, que la cour des comptes. Il faut plus à une cour des comptes nommée directement par la législature ; il faut plus à une cour des comptes indépendante, et des prérogatives de laquelle la chambre, à juste titre, se montre fort jalouse.
M. de Garcia. - Je désire voir remettre à demain la discussion de cet article. Il est le plus important de la loi et il mérite une discussion plus approfondie que celle qu'on lui a donnée.
Si la chambre ne juge pas convenable d'accéder à ma proposition, je me verrai dans la nécessité de provoquer des explications sur son amendement dont je ne puis comprendre la portée. Mais à raison des principes qu'il s'agit d'établir dans la disposition actuelle, principe qui constitue en quelque sorte toute la loi, je demande instamment que la discussion soit continuée à la séance de demain.
M. Vanden Eynde. - Je demanderai à M. le ministre des finances si, d'après son amendement, la cour des comptes peut refuser son visa dans le cas où le gouvernement, alors par exemple qu'il aurait mis un fonctionnaire à la pension, refuserait de produire le certificat des médecins qui sert de base à la mise à la pension. D'après la loi sur les pensions, les fonctionnaires peuvent être mis à la retraite lorsqu'il y a un certificat des médecins, constatant que le fonctionnaire ne peut plus remplir ses fonctions. Eh bien, je demande s'il résulte de l'amendement de M. le ministre des finances que la cour des comptes ne peut pas refuser son visa alors même que le gouvernement refuserait de produire ce certificat où lorsque le certificat ne serait pas conçu dans les termes prescrits par la loi.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je m'étais abstenu tout à l'heure de parler de ce qui concerne les pensions, parce que l'article 17 proposé par la section centrale soulève cette question tout entière, et que l'on pourra mieux l'aborder à l'occasion de cet article. Il y a, je pense, une distinction à faire en ce qui concerne la question posée par l'honorable M. Vanden Eynde, mais pour que la discussion ne s'égare pas, je demande qu'elle soit renvoyée à l'article 17.
M. Vanden Eynde. - Dans mon opinion, il faudrait alors remplacer le mot « réalité » par le mot « légalité », dans le paragraphe du projet du gouvernement, dont M. le ministre des finances demande le maintien.
M. Donny. - Je demande que la discussion de cet article soit continuée à demain, parce que la question n'a point encore été suffisamment débattue.
D'un côté, l'honorable rapporteur a prouvé que, sous le système de la section centrale, la cour des comptes n'aura pas la faculté d'arrêter les dépenses par un veto ; et cependant M. le ministre n'a combattu ce système qu'en basant son argumentation sur l'hypothèse de la possibilité de ce veto.
D'un autre côté, M. le ministre n'a cessé de répéter que, par suite de l'adoption de l’article 5, la cour des comptes continuera à recevoir tous les renseignements qu'elle jugera nécessaires : et, cependant, l'honorable rapporteur ne lui répond qu'en alléguant que la cour ne recevra plus ces renseignements, si le système ministériel est adopté par la chambre.
Vous voyez, messieurs, qu'on est loin d'être d'accord sur la portée des dispositions entre lesquelles vous devez faire un choix et qu'ainsi il y a nécessité de continuer la discussion.
- La chambre consultée remet à demain la suite de la discussion sur l'article 14.
La séance est levée à 4 heures et demie.