(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 800) M. Huveners procède à l'appel nominal à une heure et quart ; le même secrétaire lit ensuite le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée ; il présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Poorters, colporteur à Overpelt, demande qu'il soit pris des mesures pour empêcher un genre de fraude, en matière de douanes, qui se pratique par les femmes, sur la frontière du Brabant septentrional. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Dens, brigadier de douanes, pensionné, demande exemption du droit d'enregistrement pour l'acte de naturalisation qui lui a été accordé. »
- Même renvoi.
« Le sieur Victorin-Louis Gilone prie la chambre de statuer sur sa demande par laquelle il sollicite sa nomination dans l'administration des accises. »
- Même renvoi.
« La chambre de commerce de la ville de Bruges présente des observations contre le projet de loi sur la dérivation des eaux de la Lys. »
M. Rodenbach. - Ainsi que je l'ai fait hier pour la pétition du conseil communal de Bruges, je demande le renvoi de la pétition de la chambre de commerce de la même ville, à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi dont il s'agit ; j'en demande également l'insertion dans le Moniteur. La dernière requête appuie fortement le mémoire qui nous a été remis hier.
- La double proposition de M. Rodenbach est mise aux voix et adoptée.
« Le sieur Slevens, ingénieur des ponts et chaussées, présente des objections sur les faits exposés dans le rapport de la commission d'enquête, chargée de rechercher les causes de l'éboulement du tunnel de Cumptich. »
- Dépôt au bureau des renseignements.
« Il est fait hommage à la chambre par la société anonyme du chemin de fer de Louvain à la Sambre de 100 exemplaires de la carte de ce chemin de fer, offrant le tracé qui a motivé la présentation du nouveau projet de loi. »
- Dépôt à la bibliothèque, et distribution entre les membres de la chambre.
M. le président. - Hier la chambre a chargé le bureau de nommer la commission qui sera chargée d'examiner le projet de loi interprétatif de l'article 442 du Code de commerce, projet de loi qui a été renvoyé amendé par le sénat.
Le bureau a composé la commission ainsi qu'il suit : MM. de Muelenaere, Cans, Dubus (aîné), Fleussu, Van Cutsem, Vanden Eynde et Maertens.
M. Dubus (aîné). - Je ferai observer que j'ai fait partie d'une des commissions antérieures.
M. le président. - Je ferai remarquer à mon tour que le bureau a précisément eu en vue de conserver autant que possible les membres de la commission primitive ; elle s'est bornée, en conséquence, à remplacer les membres qui manquaient dans le sein de cette commission.
M. Dubus (aîné). - Lorsqu'on a nommé la seconde commission, on l'a composée de membres nouveaux ; je crois qu'on devrait en faire encore de même aujourd'hui.
M. le président. - Les membres sont nommés par le bureau ; je ne puis pas changer la nomination qui a été faite. On a adjoint M. Dubus aîné à la commission, parce que le système qui a été adopté par le sénat, se rapproche de l'opinion professée par l'honorable membre. M. Dubus aîné a remplacé M. Dedecker, comme M. Cans a remplacé M. Coghen.
M. Fallon (au nom de la commission des circonscriptions cantonales), donne lecture du rapport ci-après, sur la pétition de plusieurs habitants de la commune de Lichtervelde (Flandre occidentale).
Le projet de loi déterminant la circonscription des cantons de justice de paix, fut proposé à l'adoption de la chambre, dans la séance du 22 février 1834.
L'exposé des motifs qui l'accompagne énonce les diverses considérations qui lui servent de base.
La pensée qui avait provoqué principalement cette entreprise entourée d'obstacles difficiles à surmonter, c'était que, dans l'intérêt de l'administration de la justice, il fallait agrandir le ressort des cantons, où le juge de paix ne trouvait pas, dans l'exercice de ses fonctions, la source d'une existence convenable ; que ce projet avait l'avantage d'améliorer leur position, et que c'était dans ce but que la suppression d'un certain nombre de cantons était proposée.
C'est aussi en vue de relever l'institution des justices de paix, de leur donner plus d'importance, de pouvoir faire de meilleurs choix et de mieux salarier ces magistrats sans augmenter les charges du trésor, que votre commission procéda à son travail, en posant le principe qu'il fallait chercher plutôt à agrandir qu'à resserrer le cercle des circonscriptions, alors qu'il ne pouvait en résulter aucun inconvénient réel pour les besoins des localités et les exigences d'une bonne administration de la justice.
Dans le courant de la même année (1834), votre commission déposa ses rapports, en exprimant le désir qu'avant de les livrer à la discussion, ils fussent communiqués aux conseils provinciaux, afin qu'entourée de renseignements locaux plus précis, la chambre pût statuer en plus ample connaissance de cause.
Le gouvernement déféra à ce désir. Les avis des conseils provinciaux, et de leurs députations permanentes, furent provoqués ; mais autant votre commission avait mis d'empressement à terminer son travail, autant le résultat de cette enquête se fit attendre, tellement que ce n'est qu'après quatre ans d'intervalle, en sa séance du 7 février 1838, que le résumé en fut remis à la chambre.
Voire commission ne tarda pas à se livrer à la reprise de ses travaux, mais plusieurs circonstances vinrent successivement l'entraver.
Depuis la présentation du projet primitif, les principales bases du premier travail de votre commission se trouvaient renversées ; l'extinction des circonscriptions que comportaient les attributions alors existantes, et qui offrait le moyen d'argumenter les traitements des juges de paix par l'accroissement du casuel, était une considération qui avait dominé ses combinaisons, et cette considération disparaissait en présence de la loi sur la compétence civile qui était venue augmenter les attributions des juges de paix ; il en fut de même de la loi qui vint ensuite améliorer et fixer définitivement leurs traitements.
D'un autre côté, l'enquête administrative avait fait surgir de nouvelles difficultés. Successivement les populations se sont accrues ; de nouvelles voies de communication se sont ouvertes, et de nouveaux centres d'industrie se sont formés là même où des suppressions de cantons avaient d'abord paru n'offrir aucun inconvénient.
Ajoutons à ces circonstances la nécessité de prendre égard, dans son travail, aux perturbations que le transfert de communes d'une province à l'autre, d'un arrondissement judiciaire à une autre circonscription judiciaire ou administrative, produit nécessairement dans les archives des dépôts des hypothèques, de l'état civil et du cadastre ; la connexité intime de ce travail avec le notariat et le régime électoral dans tous ses degrés ; la masse de réclamations parvenues à la chambre depuis le projet primitif et surtout postérieurement aux avis des conseils provinciaux ; la difficulté de réunir pendant le temps des sessions, où chacun se trouve distrait par les autres travaux incessants de la chambre, la majorité d'une commission composée de dix-huit membres, et l'on ne sera pas étonné que depuis d'abord douze ans, votre commission ne soit pas parvenue encore à se mettre d'accord sur la circonscription cantonale d'une seule province.
C'est dans cet état de choses que plusieurs habitants de la commune de Lichtervelde dans la Flandre occidentale se sont adressés à la chambre afin d'obtenir le maintien de la circonscription des deux cantons de justice de paix de Thourout, et la fixation des deux chefs-lieux, l'un à Thourout, et l'autre à Lichtervelde.
Dans la séance du 23 janvier dernier, la chambre a renvoyé cette pétition à votre commission, avec demande d'un prompt rapport.
Voici, en ce qui regarde ces deux cantons, quelles sont les phases de l'instruction.
Dans le projet primitif, le gouvernement a proposé de réunir ces deux cantons en un seul, en y ajoutant même la commune d'Eerneghem à provenir du démembrement du canton de Ghistelles.
Votre commission, dans son rapport du 14 juillet 1834, a adopté la proposition du gouvernement, en y ajoutant en outre la commune de Zwevezeele à provenir du canton d'Ardoye.
La commission du conseil provincial a donné un avis diamétralement contraire ; elle demande la conservation des deux cantons, et elle transfère le chef-lieu du second canton, de Thourout à Lichtervelde.
Quant au conseil provincial il s'abstint de tout avis sur la circonscription cantonale de cette province, en déclarant, dans sa séance du 19 octobre 1836, qu'il en ajournait l'examen jusqu'après le vote sur le projet de loi de compétence des juges de paix, dont la chambre se trouvait alors, saisie.
Après avoir pris connaissance de la pétition des habitants de Lichtervelde, votre commission a considéré que le renvoi qui lui en était fait par la chambre avec demande d'un prompt rapport, comportait naturellement la question de savoir s'il y avait lieu de disjoindre de son travail sur l'ensemble de la circonscription cantonale des justices de paix de la Flandre occidentale, les deux cantons de Thourout pour en faire le sujet d'un rapport séparé, et cette question en souleva une autre, dont je vais rendre compte, et qui était de nature a être préalablement résolue.
Les obstacles dont votre commission se trouve entourée, et que j'ai précédemment signalés ; les nombreux changements survenus dans l'état des (page 801) choses et dans les convenances des localités, tel qu'il existait en 1834, changements qui nécessiteraient une toute nouvelle instruction ; l'époque prochaine d'un recensement général de la population qui s'est accrue considérablement depuis lors ; et enfin une expérience acquise dans le sein de votre commission, ayant suffisamment démontré qu'un travail d'ensemble se ferait encore longtemps attendre, si même on peut espérer de le voir terminer un jour, ont déterminé votre commission à s'occuper d'abord de la question de savoir s'il ne serait pas opportun de proposer à la chambre, par forme de motion d'ordre, de ne plus s'occuper provisoirement d'un travail d'ensemble, même par province, en se bornant à délibérer, et à lui faire rapport, sur les cas spéciaux qui pourront se présenter, soit de la part du gouvernement, soit à la demande des parties intéressées par voie de pétition.
Cette question ayant été mise en délibération a été résolue affirmativement à l'unanimité, et c'était la préjuger.
La première question posée était celle de savoir s'il y avait lieu de disjoindre du travail sur l'ensemble de la circonscription cantonale de la Flandre occidentale les deux cantons de Thourout pour en faire l'objet d'un rapport spécial. En conséquence la pétition des habitants de Lichtervelde fut livrée à l'examen et à la discussion.
On fit observer, dans ce débat, que nonobstant que, dans son projet primitif, le gouvernement avait proposé la réunion des deux cantons de Thourout en un seul, proposition que votre commission avait adoptée, il avait été pourvu récemment à la nomination de titulaires à ces cantons, ce qui devait faire supposer que le gouvernement avait eu des motifs de ne pas persister dans la demande de réunion, et que, d'un autre côté, le conseil provincial s'était réservé de donner son avis à cet égard après l'adoption ou le rejet de la loi de compétence civile.
Ces observations amenèrent pour conséquence la nécessité de se borner, quant à présent, à proposer à la chambre le renvoi de la pétition au ministre de la justice avec demande d'explication et de complément d'instruction.
Par ces diverses considérations la commission, à l'unanimité, propose à la chambre :
1° Par forme de motion d'ordre, de décider que, jusqu'à ce qu'il en soit autrement disposé, la commission des circonscriptions cantonales ne s'occupera plus d'un travail d'ensemble, même par province, et se bornera à délibérer, et à lui faire rapport, sur les cas spéciaux qui pourront se présenter, soit de la part du gouvernement, soit à la demande des parties intéressées pas voie de pétition.
2° De renvoyer la pétition des habitants de Lichtervelde au ministre de la justice avec demande d'explication et de complément d'instruction.
- Le rapport sera imprimé et distribué.
La chambre fixera ultérieurement le jour de la discussion.
M. de Bonne. - Messieurs, beaucoup de projets de loi, comme celui dont on vient de parler, datent de 1834 ; la plupart de ces projets ont déjà donné lieu à des rapports ; les membres nouveaux ne les ont pas, et ne peuvent pas les avoir, parce que les exemplaires sont épuisés. Pour examiner le projet dont il s'agit, et voter avec connaissance de cause, il faudrait réimprimer les pièces.
M. le président. - Je prie M. de Bonne de vouloir bien reproduire sa demande, lorsque la chambre votera sur les conclusions du rapport dont il vient d'être donné lecture.
M. de Bonne. - Bien, M. le président.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, à l'occasion de cette demande, je rappellerai qu'on a réimprimé tous ces projets de loi, il y a deux ou trois ans, dans un travail qui a été présenté par M. le ministre de l'intérieur. Je crois qu'il doit encore exister des exemplaires de cette réimpression.
M. le président. - D'ici au jour de la discussion des conclusions de la commission, je ferai prendre des informations.
M. Fallon. - S'il était question d'une réimpression, il ne suffirait pas de réimprimer le travail présenté par M. le ministre de l'intérieur, mais il faudrait encore y joindre les documents fournis par M. le ministre de l'intérieur, parce qu'il y a entre l'un et l'autre travail certaines contradictions.
M. de Corswarem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner la proposition de la loi qui a été faite par M. Verhaegen, et portant modification des droits d'enregistrement relatifs aux donations entre vifs à titre gratuit.
- Le rapport sera imprimé et distribué.
La chambre en fixera ultérieurement la discussion,
M. le président. - La chambre est arrivée à l'article 2 du projet.
M. Devaux propose de modifier ainsi qu'il suit la rédaction du dernier paragraphe.
« Toutefois, les opérations relative au recouvrement des produits, à la liquidation et à l'ordonnancement des dépenses, pourront se prolonger jusqu'au 31 octobre de l'année suivante. »
M. Delfosse propose de substituer dans le second paragraphe la date du 30 septembre à celle du 31 octobre.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je me suis rallié hier à l'amendement proposé par l'honorable M. Devaux ; cet amendement contient une rédaction meilleure ; il n'a pas été combattu jusqu'à présent ; je ne m'en occuperai pas davantage.
L'amendement de l'honorable M. Delfosse restreint d'un mois la durée que le projet de la section centrale, auquel le gouvernement s'est rallié, assignait à l'exercice pour achever les opérations.
Je ne crois pas pouvoir me rallier à cet amendement. Il est dans l'esprit du projet de loi que les créances, à charge d'un exercice, soient, autant que possible, payées sur cet exercice, avant la clôture, et que les reports soient exceptionnels. Si nous restreignons trop la durée de l'exercice, les reports deviendront beaucoup plus considérables, et au lieu d'avoir fait chose utile pour la comptabilité de l'Etat, pour la clarté de la situation, nous aurons produit un résultat diamétralement contraire.
J'ai déjà fait remarquer hier comment étaient échelonnés les divers délais portés dans le projet de loi. La durée de l'exercice est l'année. Il y a dix mois pour achever certaines opérations ; les 10 mois écoulés, le département des finances doit préparer le compte général de l'administration des finances. Ce projet est soumis à la cour dans le premier trimestre de l'année suivante. Ainsi, le compte des finances commence à se faire, lorsque l'exercice est clos ; mais pour que ce compte produise le résultat qu'on a en vue, il faut qu'il approche autant que possible de la situation définitive ; en d'autres termes, il faut que les reports soient tout à fait exceptionnels.
Ce serait une erreur de croire qu'en limitant ainsi la durée de l'exercice, l'on puisse, en vertu de la loi actuelle, soumettre immédiatement à la chambre la situation de l'exercice. Cette situation doit être arrêtée seulement dans le premier trimestre de l'année suivante. En effet, lorsque la loi donne la faculté d'imputer sur l'exercice, jusqu'au 31 octobre, il reste à accomplir ensuite par la cour des comptes la formalité du visa et c'est seulement lorsque le délai est expiré pour soumettre la situation générale des finances à la cour des comptes, que l'on peut remettre aux chambres un état provisoire de la situation, c'est-à-dire au mois de mars suivant, d'après l'article 44 du projet de la section centrale.
Je persiste donc à demander que le projet de la section centrale, en ce qui concerne la prolongation de l'exercice, soit adopté.
J'ai mûrement réfléchi, par suite de la discussion qui a eu lieu hier, sur les propositions faites par les honorables MM. Devaux et Rogier. Ces honorables membres désirent qu'on parvienne à voter, en une année deux budgets. Je pense que nous arriverons à ce résultat, en répartissant sur deux années l'excédant de travail que suppose le vote de deux budgets. Voici comment on peut réaliser cette idée.
Ainsi que je l'ai annoncé à la chambre, j'ai prié mes collègues de préparer leurs budgets respectifs pour 1847 ; je me suis informé auprès d'eux de l'état d'avancement de ce travail, et je pense que nous pourrons avant la séparation ordinaire de la chambre, vers l'époque de Pâques, ou immédiatement après sa rentrée, lui soumettre, non pas tous les budgets, mais les budgets dont la discussion pourrait vraisemblablement avoir lieu avant la fin de la session ; tels sont le budget de la dette publique qui est devenu, en quelque sorte, normal, les budgets des finances, des non-valeurs, etc., qui doivent ne présenter que peu de changements, le budget de la justice qui n'est en grande partie que l'application de lois existantes ; enfin le budget de la marine et celui des affaires étrangères.
Si, dans le courant de la session actuelle, la chambre avait examiné ces budgets, il resterait, pour la session prochaine, à voter en double les trois autres budgets, de la guerre, des travaux publics et de l'intérieur.
L'on disait tout à l'heure que les budgets que je proposais de discuter cette année étaient ceux qui donnaient ordinairement lieu aux discussions les moins prolongées. Cependant notre expérience même des sessions antérieures et de celle-ci démontre que le vote de ces budgets prend un temps assez long. L'on aurait beaucoup gagné en ne léguant à la session prochaine que le double vote de trois budgets. J'ajouterai que depuis le vote de la loi d'organisation de l'armée, le vote du budget de la guerre prendra probablement peu de temps.
En procédant ainsi, en répartissant le travail sur deux sessions, nous arrivons à gagner une année, à entrer dans la même voie que les chambres françaises, et à voir le budget d'un exercice présenté au moins 14 mois avant l'ouverture de cet exercice. Une fois entré dans cette position normale, on y resterait forcément, comme nous sommes malheureusement restés dans la position où nous nous trouvons aujourd'hui.
Le gouvernement prenant l'engagement de présenter les budgets que j'ai indiqués, il est satisfait, ce me semble, au vœu de l'honorable auteur de la proposition ; et même il y sera satisfait plus tôt qu'il ne le demande ; car veuillez remarquer que, d'après la proposition de l'honorable M. Devaux, il est fait exception pour les exercices de 1847 et 1848, de sorte qu'il se peut, il est même probable qu'en 1849, nous nous retrouvions encore dans la position où nous sommes actuellement. C'est pour en sortir d'une manière pratique que j'indique à la chambre la marche qui me paraît la meilleure.
M. le président. - D'après les observations que vient de présenter M. le ministre, la discussion porte à la fois sur l'article 2 et les amendements qui s'y rattachent, ainsi que les articles 3 nouveaux proposés par MM. Rogier et Devaux.
M. Rogier. - Il m'est impossible d'accueillir les observations de M. le ministre des finances. Nous avons de lui la promesse que trois des budgets seront présentés d'ici à peu de temps, de manière que la chambre puisse les examiner et les voter dans le cours de la session. Il y a une fin de non-recevoir qui s'oppose au projet de M. le ministre. La Constitution ne suppose pas la présentation de deux ou trois budgets isolés. L'article 115 de la Constitution veut que chaque année les chambres votent le budget de l'Etat, ce qui comprend l'ensemble de ses voies et moyens et de ses (page 802) dépenses. Sous ce rapport il ne me semble pas que nous entrerions dans une voie régulière en admettant la présentation de quelques budgets isolés.
Nous ne pouvons pas d'ailleurs nous prononcer sur les budgets de quelques départements sans connaître l'ensemble de toutes les dépenses ; c'est sur la connaissance de cet ensemble que la chambre doit se baser pour introduire des économies dans les divers services et les mettre en harmonie les uns avec les autres.
Si la promesse de M. le ministre recevait son exécution, nous ne serions pas plus avancés qu'aujourd'hui. En effet, il propose de présenter cette année les budgets qui, d'ordinaire demandent le moins de temps, ceux qui à différentes sessions ont été votés quelquefois en une séance, notamment le budget des finances. Ce n'est pas à ces budgets-là, mais à ceux qui donnent lieu à de plus longs débats, sôit dans les sections, soit dans la section centrale, qu'il faut attribuer la situation anormale où nous nous trouvons.
Quand nous aurions voté les budgets des finances, de la justice, des affaires étrangères et de la marine à la fin de la présente session, il ne s'ensuivrait pas que l'intervalle du mois de novembre au mois de janvier suffirait pour examiner et voter les budgets de l'intérieur, des travaux publics et de la guerre. Ainsi, nous n'aurions fait qu'ajourner la difficulté, déguiser les embarras sans y porter remède. Je ne comprends pas l'opposition de M. le ministre à ma proposition qui est toute dans l'intérêt du gouvernement, car il n'est pas indifférent pour l'Etat d'être longtemps à l'avance en possession de ses moyens d'action, et de ne pas se trouver dans la nécessité de demander des crédits provisoires, ce qui nécessairement enchaîne sa marche.
On a fait observer que ma proposition ne pouvait pas recevoir d'effet dans cette session, parce que je ne proposais la présentation du budget que six mois avant l'ouverture de l'exercice. Mais je laisse au gouvernement la faculté de présenter les budgets neuf mois, dix mois à l'avance. On a dit que s'ils étaient présentés en juillet il n'y aurait pas possibilité de les examiner et de les voter avant la fin de la session. Je crois que la chambre, en présence de cette nécessité reconnue par tous de sortir de l'état anormal où nous nous trouvons, n'écouterait ni les conseils de la paresse, ni le désir de se donner des vacances ; et si elle voulait consacrer un mois ou deux, en dehors du temps ordinaire de ses sessions, à ces graves intérêts, tout serait régularisé pour cette année et pour l'avenir.
Si donc la chambre voulait prendre sur elle cette résolution qui ne demande de sa part ni un grand courage ni un immense travail, de voter en juillet et août les budgets de 1847, tout en rentrant dans son devoir, elle rendrait un service au pays et à l'administration.
Voilà quel est le but de mon amendement et quels seraient ses résultats. Je ne demande pas à la chambre un effort surnaturel en l'engageant à siéger deux mois de plus pour voter le budget de 1847. Si on craignait de siéger pendant les mois d'été, eh bien ! que les budgets soient présentés plus tôt et qu'on les examine sans retard ; on pourra alors se donner des vacances, si tant est qu'on puisse y songer, quand on se trouve dans une situation financière irrégulière, qu'il est indispensable de faire cesser.
La proposition de M. le ministre est impuissante pour arriver à ce résultat, c'est un vain palliatif ; car sa promesse ne porte que sur des budgets relativement insignifiants, et qui ne donnent pas lieu à longue discussion. Elle n'apporte pas remède aux abus. C'est pourquoi je persiste dans ma proposition.
M. Delfosse. - Nous nous trouvons en présence de trois systèmes pour la clôture définitive de l'exercice : le projet du gouvernement fixe cette clôture au 31 décembre de l'année qui suit celle de l'exercice, la section centrale propose de substituer l'époque du 31 octobre à celle du 31 décembre. D'après mon amendement, l'exercice serait définitivement clos le 30 septembre.
M. le ministre des finances vient de déclarer qu'il ne peut pas se rallier à mon amendement, parce qu'il donnerait lieu à un trop grand nombre de reports d'un exercice à l'autre ; les reports doivent, selon lui, être l’exception.
Pour être conséquent, M. le ministre des finances aurait dû repousser l'amendement de la section centrale comme le mien ; il est évident qu'il y aura moins de reports si l'exercice n'est définitivement clos que le 31 décembre au lieu de l'être le 31 octobre, comme la section centrale le propose.
Pourquoi la section centrale n'a-t-elle pas admis la proposition primitive du gouvernement ? Pourquoi, au lieu de fixer la clôture de l'exercice au 31 décembre, l'a-t-elle fixée au 31 octobre ? Pourquoi le gouvernement s'est-il rallié à cet amendement, bien qu'il doive en résulter un plus grand nombre de reports d'un exercice à l'autre ? C'est probablement pour que l'exercice soit définitivement clos avant l'ouverture de la session ordinaire des chambres, c'est afin que l'on puisse communiquer aux chambres les résultats définitifs de cet exercice. Si c'est là le but que la section centrale a eu en vue, il ne suffit pas, pour l'atteindre, que la clôture de l'exercice ait lieu quelques jours avant l'ouverture de la session ; il faut un délai utile, il faut que le gouvernement ait un délai proportionné à l'importance du travail auquel il doit se livrer.
Si la section centrale, en présentant son amendement, et le gouvernement, en s'y ralliant, n'ont pas eu le but que je viens d'indiquer, il était fort inutile d'abréger l'exercice de deux mois ; il était, au contraire, préférable de ne le clôturer qu'au 31 décembre, comme le gouvernement le proposait ; les reports, que M. le ministre des finances considère comme un mal, auraient été moins nombreux.
Je sais, et je l'ai dit hier, que la section centrale, en fixant l'époque du 31 octobre, a voulu faire passer dans notre législation une disposition des lois françaises ; mais la section centrale n'a pas tenu compte de la différence qu'il y a entre les deux pays. En France, la session s'ouvre à la fin de décembre. Il y a en France, entre la clôture de l'exercice et l'ouverture de la session, un intervalle d'environ deux mois. En Belgique, où la session s'ouvre au commencement de novembre, l'intervalle ne sera que de quelques jours.
La section centrale et le gouvernement devraient bien tenir compte de cette différence.
Ma proposition n'est pas seulement fondée sur les considérations que je viens de développer, elle est fondée aussi sur l'article 32 du projet de la section centrale. Cet article porte :
« Art. 32. La présentation du projet de loi spécial pour le règlement définitif du budget du dernier exercice clos, a lieu à l'ouverture de la session ordinaire des chambres.
« La cour des comptes soumet à la même époque, avec ses observations, le compte général de l'Etat du même exercice et les documents à l'appui. »
La section s'ouvre au commencement de novembre. Aux termes de l'article que je viens de lire, on devra présenter aux chambres, à l'ouverture de la session d'après le projet de la section centrale, et dans le mois de l'ouverture d'après le projet du gouvernement, la loi relative au règlement définitif du budget du dernier exercice clos. Quel est ce budget ? Evidemment celui de l'exercice clos le 31 octobre. S'il en est autrement, si l'on entend parler d'un exercice antérieur à celui-là, il faut changer l'article ; si on ne change pas l'article, l'exercice au sujet duquel une loi devra être présentée sera l'exercice clos le 31 octobre, c'est-à-dire, quelques jours avant ; ce n'est pas en quelques jours que le gouvernement pourra se mettre en mesure de présenter un projet de loi aussi important, qui doit être appuyé d'une masse de pièces. Il faut pour cela plus de quelques jours, il faut au moins les dix à onze semaines que je propose d'accorder.
Ma proposition tend à faciliter l'accomplissement d'une obligation qui incombera au gouvernement en vertu de la loi.
Si elle est adoptée, il y aura un peu plus de reports ; mais le gouvernement ne trouve pas sans doute que ces reports présentent de graves inconvénients ; sans cela aurait-il accueilli la proposition de la section centrale, qui donnera lieu à beaucoup plus de reports que la proposition primitive ?
Le gouvernement pourra d'ailleurs parer aux inconvénients, s'il y en a, en mettant plus de diligence dans ses actes, en pressant les opérations ; il dépend de lui que les reports ne se multiplient pas trop.
Il n'y a qu'un moyen de repousser ma proposition, c'est de modifier l'article 32, c'est de dire que l'exercice clos, dont cet article parle, n'est pas celui qui aura été clos quelques jours avant l'ouverture de la session, mais l'exercice antérieur.
Si, comme je le prévois, le gouvernement propose de modifier l'article 32 dans ce sens, il y aura, au moment de la présentation et de l'examen des budgets, deux exercices dont les résultats seront encore inconnus : l'exercice clos le 31 octobre précédent, et l'exercice en cours d'exécution ; c'est trop d'un ; ce retard dans la présentation des comptes empêchera la chambre et le pays d'apprécier convenablement la situation financière. Il y aura là une cause permanente d'abus.
J'attendrai, avant de présenter d'autres observations, que M. le ministre des finances se soit expliqué sur la portée de l'article 32.
M. Desmet. - Tous les ans nous sommes frappés des inconvénients que présente la discussion des budgets ; jamais le sénat n'a le temps nécessaire pour les examiner sérieusement. C'est un fait qui existe depuis quinze ans, malgré la prescription formelle de la Constitution. Que doit-on désirer ? Que l'on puisse discuter et voter les budgets à l'époque la plus voisine de l'exercice pour lequel ils sont faits. Je crains que l'amendement proposé par l'honorable M. Rogier ne puisse pas obvier à l'inconvénient qu'on signale.
Il voudrait qu'on présentât les budgets dix mois avant l'ouverture de l'exercice ; mais alors, comme on ne connaît pas exactement quels pourront être les besoins, on est obligé d'avoir recours ensuite aux crédits supplémentaires et complémentaires, c'est-à-dire d'avoir deux budgets. On cite l'exemple de la France ; mais qu'arrive-t-il en France ? Il y a une foule de crédits qui s'ouvrent par ordonnance. Voilà ce que nous ne voulons pas. La proposition de M. le ministre ne remédie pas non plus au mal. Le seul moyen, selon moi, de voter les budgets avant l'ouverture de l'exercice, c'est de changer l'époque de l'ouverture de l'exercice, de la porter au 1er mars, au lieu du 1er janvier.
D'après la Constitution, en vous réunissant au mois de novembre, vous pourrez voter les budgets avant le commencement de l'exercice. Si on ne prend pas cette mesure, il n'y aura pas moyen de faire cesser les retards qu'éprouve le vote des budgets. Je ne fais pas de proposition ; si cependant cette mesure ne devait pas rencontrer d'opposition, j'en ferais l'objet d'un amendement. Qu'arriverait-il ? Que, pour la première année, vous auriez un exercice de 4/5 de l'année.
Je demanderai donc à M. le ministre des finances s'il y aurait des inconvénients à substituer dans l'article le 1er mars au 1er janvier.
M. le président. - M. Desmet vient de déposer l'amendement suivant au paragraphe 2 de l'article 2.
« L'exercice commence le 1er mars et finit le dernier jour de février de l'année suivante. »
- Sur la proposition de M. Osy, la chambre décide qu'avant de s'occuper des articles 3 nouveaux proposés par MM. Devaux et Rogier, elle s'occupera exclusivement de l'article 2.
(page 803) M. le président. - La parole est à M. le ministre des finances sur l'article 2.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Il ne me paraît pas nécessaire, pour atteindre le résultat que nous avons tous en vue, de changer l'époque du commencement de l'année financière. cette question a été déjà discutée plusieurs fois. Mais je crois que l'on doit respecter les habitudes, les précédents, à moins qu'une nécessité évidente ne soit démontrée. L'on peut arriver au résultat que nous désirons sans contrarier ces habitudes. En effet, nous allons, d'une manière ou d'une autre, arriver avant trois ans à gagner une année pour le vote des budgets. Alors, nous serons rentrés dans la voie normale où l'on se trouve en France, et où l'on n'a pu entrer jusqu'ici à cause des circonstances que le pays a traversées depuis 1830. Il y a donc lieu, à mon avis, de maintenir l'exercice du 1er janvier au 31 décembre.
Mais je crois aussi devoir persister dans la proposition de la section centrale, en ce qui concerne la prolongation de l'exercice. L'honorable M. Delfosse croit qu'il n'y aurait pas d'inconvénient à ce que l'exercice fût clos plus tôt. Mais il est ici une limite que nous n'avons pas arbitrairement créée ; nous l'avons puisée dans l'expérience d'une nation voisine. Le délai de dix mois existe en France depuis longtemps. Si le terme n'est pas assez long, on aura amené le désordre, au lieu de simplifier la comptabilité.
Pourquoi, dit l'honorable membre, retrancher deux mois ? Toutes les dispositions se lient et s'expliquent. On a retranché deux mois de la durée de l'exercice, pour pouvoir retrancher trois mois à la durée accordée au ministre des finances, pour la formation du compte, en vertu de l'article 44.
On a abrégé le délai, pour que les comptes puissent être votés par les chambres dans un délai plus rapproché.
L'honorable membre invoque constamment l'époque de la réunion ordinaire des chambres. Mais toute l'argumentation tombe du moment que le gouvernement convoquerait les chambres quelques mois plus tôt, ce qui est arrivé, ce qui peut arriver encore.
M. Delfosse. - Il faut raisonner d'après la règle et non d'après l'exception.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Sans doute. Mais lorsque vous posez un principe, en vue d'un résultat certain, il m'est permis de faire observer que depuis 1830 les chambres ont été convoquées avant le mois de novembre et que dans ce cas le résultat n'est pas obtenu.
Il y a plus ; l'honorable membre ne se rend pas compte de la portée des articles 32 et 44.
L'article 32 oblige le gouvernement à présenter le projet de loi spécial pour le règlement définitif du budget du dernier exercice clos, soit à l'ouverture de la session, comme le propose la section centrale, soit dans le mois d'ouverture de la session, comme j'ai l'honneur de le proposer.
Mais quel est le compte qu'il s'agit de régler alors ? Ce n'est pas le compte de l'exercice clos le 31 octobre. C’est le compte de l'exercice précédent.
M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - C'est cela !
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je dis, messieurs, que c'est le compte de l'année précédente ; il faut en effet se demander, d'après toutes les dispositions du projet, à quelle époque l'exercice esl clos, de manière à ce que la loi de règlement puisse être soumise aux chambres. Ce n'est pas à la date du 31 octobre que l'exercice est clos et arrêté, mais c'est lorsque les opérations ou le contrôle de la cour des comptes ont pu être terminées pour former la loi de règlement des comptes.
Voici ce qui se passe. L'exercice est clos le 31 octobre, en ce sens qu'on ne peut plus imputer sur cet exercice. Mais alors seulement doivent être accomplies les formalités du visa, de la liquidation de la cour des comptes pour les demandes de payement qui lui ont été transmises avant la clôture de l'exercice. Alors seulement commence le délai de cinq mois accordé au ministre des finances pour rédiger le compte général qui doit être soumis à la cour des comptes. Au mois de mars seulement de l'année suivante commence le délai accordé à la cour des comptes, pour examiner cette situation. Après la liquidation, et après l'examen par la cour des comptes de cette situation qui lui a été remise, le gouvernement est en mesure, d'après l'ensemble de la loi, de soumettre a la législature la loi de règlement des comptes.
Il ne faut pas, messieurs, changer la rédaction de l'article 32 parce que (il me paraît presque inutile d'énoncer un principe élémentaire) un article de loi ne doit pas s'interpréter seul, mais tous s'expliquent les uns par les autres. Il faut donc voir quel est le dernier exercice clos, non pas en s’attachant à toutes les formalités à accomplir pour arriver à la clôture de l'exercice, et c'est ce que l'honorable membre a complétement perdu de vue.
Je vais rendre encore une fois l'application de la loi sensible par un exemple. D'après l'article 2, en supposant toujours le délai de dix mois, le 31 octobre, le gouvernement peut imputer sur le budget de l'exercice précédent, pour une obligation contractée à raison de cet exercice, une dépense de deux millions. Qu'arrive-t-il alors ? Cette demande est envoyée à la cour des comptes, et cette cour doit avoir donné son visa avant que l’on puisse charger cet exercice clos de la dépense légalement contractée. Qu'arriverait-il si la situation était donnée à la date du 31 octobre ? Cette situation n'aurait aucune signification, aucune valeur.
Je le répète encore, messieurs, il faut pour expliquer l'article 32, prendre la loi dans son ensemble, et voir quelles sont réellement les formalités à suivre pour la clôture du budget et la présentation de la loi des comptes.
Au reste, messieurs, lorsque nous en viendrons à l'article 32, nous discuterons encore cette question. Mais alors j'espère que l'honorable membre voudra bien rencontrer l'objection que je viens de faire.
M. le président. - La parole est à M. le rapporteur.
M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - M. le ministre vient de présenter les observations que je voulais faire. Il me paraît inutile de répéter ce qu'il vous a si bien expliqué.
M. Desmaisières. - J'avais demandé la parole pour parler a la fois sur l'amendement de l'honorable M. Rogier et sur celui de l'honorable M. Delfosse. Par suite de la motion que vous avez adoptée sur la proposition de l'honorable M. Osy, je me trouve forcé à ne parler pour le moment que de ce dernier amendement.
Messieurs, après les observations que vient de présenter M. le ministre des finances, j'ai peu de choses à dire sur l'amendement de l'honorable M. Delfosse. J'ajouterai seulement que nous ne devons pas perdre de vue que nous discutons dans ce moment un projet de loi qui est destiné à former en quelque sorte la constitution, la loi constitutionnelle des finances de l'Etat, que par conséquent cette loi doit avoir, avant tout, un caractère permanent, qu'il faut prendre garde d'y insérer des dispositions qu'il faudrait modifier après quelque temps d'expérience. Déjà, messieurs, vous remarquerez que le projet de loi, tel qu'il a été rédigé par la section centrale et admis par M. le ministre des finances, change considérablement l'état actuel des choses. Car actuellement un exercice dure trois années, et vous allez le réduire à une année, en accordant seulement dix mois pour certaines liquidations.
Messieurs, en pareille matière, c'est surtout l'expérience qui doit nous servir de guide. Cette disposition ayant pour but de réduire l'exercice a une année, en accordant dix mois pour parfaire certaines liquidations, est empruntée à la loi française. Déjà depuis un grand nombre d'années, messieurs, cette disposition a été soumise en France à l'expérience des faits et nous n'avons pas vu qu'il en soit résulté d'inconvénient. La preuve qu'il n'en est résulté aucun, c'est qu'on la maintient. Dès lors, et jusqu'à ce qu'on m'ait signalé les inconvénient qui pourraient se présenter, je crois devoir voter pour la fixation de la durée à dix mois de la période de liquidation à ajouter à l'exercice d'une année.
M. Delfosse. - On m'oppose continuellement l'exemple de la Franc, et l'on ne tient aucun compte de ce fait que j'ai signalé, que la session s'ouvre en France à la fin de décembre, c'est-à-dire six ou sept semaines plus tôt que chez nous.
Je persiste à croire qu'il faut ou adopter mon amendement ou modifier l'article 32. Cet article impose au gouvernement l'obligation de présenter, dans le mois de l'ouverture de la session des chambres, le projet de loi spécia1 pour le règlement définitif du budget du dernier exercice clos. Le dernier exercice dont il est ici question est évidemment celui qui aura été clos le 31 octobre précédent.
La chambre se réunissant au mois de novembre, le bon sens indique que l'article 32 doit recevoir l'interprétation que je viens d'indiquer, je vous démontrerai tantôt que cette interprétation résulte encore d'un autre article du projet ; s'il en est ainsi, et si vous adoptez la proposition de la section centrale, le gouvernement n'aura pas assez de temps pour préparer et présenter à la chambre dans le mois de l'ouverture de la session, le projet spécial mentionné à l'article 32 ; les dix à onze semaines que je propose de lui accorder seront à peine suffisantes pour ce travail.
M. le ministre des finances me dit que les mots « exercice clos » qui se trouvent dans l'article 32, ne doivent pas s'entendre de l'exercice clos au 31 octobre, mais de l’exercice antérieur à celui-là, et pourquoi ? Parce que l’exercice clos le 31 octobre, dit M. le ministre des finances, n'est réellement clos que lorsque toutes les opérations de la cour des comptes seront terminées. C'est là une erreur. L'exercice est clos à l'époque indiquée par la loi.
L'interprétation que je donne à l’article 32 résulte d'ailleurs de l'article 39, qui est devenu l'article 44 du projet de la section centrale. On y lit : « Dans le premier semestre de chaque année, le ministre des finances transmet à la cour des comptes le compte général des finances, comprenant l'exercice clos et la situation provisoire du l'exercice suivant avec les document à l'appui. »
Vous voyez bien que dans cet article, par exercice clos, on entend l'exercice clos au 31 octobre précédent ; c'est l'année suivante qu'on transmet le compte de cet exercice à la cour des comptes. Vous ne pouvez donner aux mots « exercice clos » un sens dans l'article 32 et un autre sens dans l'article 39.
Modifiez l'article 32. je le veux bien ; alors mon amendement n'aura plus le même degré d'utilité. Mais si vous adoptez l'article 32 tel qu'il est, vous devez admettre mon amendement, sous peine de mettre le gouvernement dans l'impossibilité de remplir les obligations que la loi lui imposerait.
Faut-il, messieurs, modifier l'article 32 ? Si on le change dans le sens indiqué par M. le ministre des finances, il y aura, à l'époque de l'ouverture des chambres et de la présentation du budget, deux exercices encore soumis à des éventualités. Au lieu de présenter alors le compte de l'exercice antérieur à celui qui sera en cours d'exécution, on ne présentera que le compte d'un exercice plus ancien ; il y aura encore une grande obscurité dans notre situation financière.
Je regrette que M. le ministre des finances ne veuille pas entrer franchement dans une autre voie. M. le ministre objecte quelques difficultés ; il nous dit qu'il y aurait trop de reports. Mais je suis peu touché de ces difficultés, lorsque je vois que dans la province de Liège l'exercice est clos au mois d'avril. L'administration provinciale de Liège n'a que trois ou quatre mois pour terminer ses opérations. Je propose d'en donner neuf au gouvernement.
M. de Man d'Attenrode. - Je demande la parole.
M. Delfosse. - L'honorable rapporteur va me dire qu'il y a des difficultés dans la province de Liège, qu'il y a beaucoup de reports d'un exercice à l'autre. Mais c'est justement pour qu'il y ait moins de reports que je (page 804) propose d'accorder neuf mois au gouvernement. D'ailleurs, le système suivi dans la province de Liège n'a pas fait naître d'inconvénient sérieux, tandis qu'il présente cet avantage très grand qu'on peut d'un coup d'œil, en inspectant un seul budget, apprécier toute la situation financière de la province.
Je voudrais qu'il en fût de même quant aux finances de l'Etat. Il est fâcheux que les comptes ne nous soient présentés qu'après que les ministres, qui ont posé les actes, ne sont plus aux affaires. En général, la durée d'un ministère est de deux ans ; c'est la moyenne. Les ministres n'étant plus aux affaires lorsqu'on examine les comptes de leur gestion, la responsabilité ministérielle devient en quelque sorte illusoire.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je demande de nouveau ce que devient l'amendement de l'honorable M. Delfosse, pour les années où le gouvernement croira devoir convoquer les chambres le 10 octobre ou même le 29 septembre.
Je ferai une seconde question.
Le gouvernement convoque les chambres le 29 septembre. Quel est l'exercice clos ? L'exercice recule donc d'une année, parce qu'on a convoqué les chambres un jour avant le 30 septembre.
Messieurs, la loi ne peut s'entendre ainsi, parce qu'il est impossible que le gouvernement, même avec le mois de plus que lui donne généreusement l'honorable M. Delfosse, puisse arrêter les comptes pour l'ouverture de la session. Le budget est clos quant aux imputations nouvelles à faire postérieurement au 31 octobre. Mais le budget n'est pas arrêté, parce qu'il est clos. L'on doit alors remplir toutes les formalités nécessaires pour arriver à la clôture réelle de l'exercice.
Je voudrais, comme l'honorable membre, que du jour au lendemain la comptabilité pût être arrêtée, la situation d'un budget put être définie, de manière que dans l'espace de six semaines la chambre pût être saisie du compte définitif.
Mais, messieurs, nous ne devons pas nous régler d'après ce que nous voudrions voir exister ; nous faisons des lois pour ce qui est possible ; or il est impossible de terminer avant un délai de plusieurs mois des opérations si longues, si compliquées. Par la force des choses, les chambres ne pourront jamais être saisies que du compte de l'avant-dernière année.
M. Desmet. - Messieurs, l'honorable ministre des finances est dans l'erreur lorsqu'il pense que la question du changement de l'ouverture de l'année financière a déjà été discutée. Une proposition a été faite par l'honorable M. Verdussen ; cette proposition a été développée ; mais elle n'a jamais été mise en discussion.
Je crois, messieurs, que le seul moyen de parer aux inconvénients qui ont été signalés, c'est de changer l'époque du commencement de l'année financière. Ou nous oppose ce qui se fait en France ; mais j'espère bien que nous n'entrerons jamais dans le régime français, qui aboutit à créer un budget supplémentaire par ordonnance.
Si ma proposition était adoptée, le gouvernement aurait quatre mois pour préparer le compte du dernier exercice clos et nous discuterions les budgets à une époque rapprochée de l'ouverture de l'exercice auquel ils doivent s'appliquer. Nous serions ainsi à même de connaître avec exactitude les besoins de cet exercice. Il me semble que ma proposition satisfait à tous les besoins, et à moins que M. le ministre ne déclare qu'elle est inexécutable, que des difficultés pratiques rendent son exécution impossible, je suis forcé d'insister pour qu'elle soit adoptée.
M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Il est fâcheux, messieurs, que nous passions sans cesse d'une idée à une autre : nous venons de discuter la question de savoir si le délai de dix mois proposé par la section centrale, doit être réduit à neuf mois, comme le demande l'honorable M. Delfosse, et voilà que l’honorable M. Desmet vient nous proposer de changer l'époque de l'ouverture de l'année financière.
M. Desmet. - Faites une motion d'ordre,
M. de Man d'Attenrode. - Eh bien, je fais la motion formelle de terminer la question soulevée par l'honorable M. Delfosse avant de passer à une autre ordre d'idées.
Un membre. - C'est décidé ainsi.
M. de Man d'Attenrode. - J'aborderai donc le fond de la question.
Depuis longues années, messieurs, les comptes sont présentés d'une manière extrêmement tardive ; et pour parer, autant que possible, aux inconvénients de cet état de choses, le gouvernement nous présente, à l'ouverture de chaque session ce qu'on est convenu d'appeler la situation du trésor. Quant a moi, je n'attache que très peu d'importance à ce document qui ne renferme, en définitive, que des appréciations qui n'ont rien d'officiel.
Je sais que certains membres y attachent plus d'importance que moi, et j'ai déjà remarqué plusieurs fois que l'honorable M. Delfosse en faisait une étude approfondie pour les discussions des budgets. Maintenant cet honorable membre voudrait que le compte du dernier exercice clos, put aussi servir de renseignement dans l'examen des budgets.
Je le voudrais également, si la chose était possible, mais il faut tenir compte de certaines exigences de l'administration ; il est impossible que le gouvernement examine les comptes en quelques semaines.
Comme rapporteur de la section centrale, j'ai examiné cette question à fond ; je l'ai discutée avec des hommes qui s'entendent parfaitement en administration, et nous avons reconnu d'abord que le délai de dix mois est indispensable, que si on fixait un délai plus court il y aurait des reports extrêmement nombreux, ce qui compliquerait beaucoup la comptabilité La province de Liège depuis plusieurs années a adopté un délai de quatre mois seulement, mais qu'en résulte-t-il ?
C'est qu'il y a des reports tellement nombreux que la comptabilité de la province de Liége donne à la cour des comptes presque autant de besogne que lui en donnera la comptabilité de l'Etat, si nous admettons le délai de dix mois, quant à la besogne des reports d'un exercice à un autre.
La section centrale a proposé de réduire le délai d'un an à 10 mois, et pourquoi ? C'est pour hâter l'envoi du compte à la cour des comptes. Le gouvernement avait d'abord proposé de ne faire cet envoi que dans le semestre ; nous avons demandé qu'il eût lieu dans le premier trimestre, et le gouvernement s'est contenté de ce délai ; il aura arrêté les mois de novembre, décembre, janvier, février et mars, pour rédiger le compte et c'est à la fin de mars qu'il sera à même de le transmettre à la cour.
Celle-ci devra alors les examiner à son tour ; elle devra confronter le compte général avec les comptes individuels, rédiger ses observations, et ce travail lui demandera bien aussi cinq ou six mois. Nous avons donc proposé que la cour des comptes renverrait les comptes, avec ses observations, à l'ouverture de la session des chambres.
D'après cela, messieurs, il serait donc absurde de supposer que les comptes de l'exercice clos au 31 octobre pussent être présentés aux chambres dans les premiers jours du mois de novembre suivant.
Je ne veux pas taxer d'absurdité ce qui a été dit par M. Delfosse. Cet honorable membre a trop de logique pour que je puisse adresser une semblable qualification à ses paroles ; mais il n'aura pas assez approfondi les difficultés inhérentes à la formation du compte, et cela est fort simple, puisqu'il ne faisait pas partie de la section centrale. Il se sera attaché trop exclusivement à l'article 32.
Ce qui est certain, c'est que, dans la pensée de la section centrale, l’article 32 n'a en vue que le compte de l'exercice pénultième. Il suffit d'examiner les diverses dispositions du projet pour se convaincre qu'il n'en saurait ère autrement
Je bornerai là mes observations pour le moment.
M. Delfosse. - Je ne puis voir dans les lois que ce qu'on y met. Quand je vois dans une loi : « le dernier exercice clos» je dois supposer qu'il s'agit de l'exercice qui a été clos le dernier. Si l'on veut que ce soit celui qui a précédé, soit ; mais alors il faut le dire ; je ne puis pas lire les lois autrement qu'elles ne sont écrites.
Je maintiens ce que j'ai dit tantôt, vous devez adopter mon amendement ou changer la rédaction de l'article 32 M. le ministre des finances m'a objecté que le gouvernement peut convoquer les chambres avant l'époque ordinaire. Je répondrai à M. le ministre des finances que nous faisons des lois pour les cas ordinaires et non pour les cas exceptionnels. Mais il y a un moyen bien simple de parer à l'éventualité indiquée par M. le ministre des finances ; au lieu de dire dans l'article 32 que le gouvernement présentera les comptes du dernier exercice clos, dans le mois de l'ouverture des chambres, il n'y a qu'à mettre qu'il présentera ces comptes au plus tard le 15 décembre.
M. Veydt. - Pour éclaircir la question soulevée par l’honorable M. Delfosse, je demanderai quel sera le compte qui servira de point de départ au budget de 1847, par exemple ?
Un membre. - Celui de 1845.
M. Veydt. - Cela ne me paraît pas résulter du projet en discussion.
M. Delfosse. - D'après M. le ministre des finances, ce serait le compte de 1844.
M. Veydt. - D'après moi aussi, ce serait le compte de 1844. Je désire que M. le ministre nous donne des explications à ce sujet.
J'avais surtout demandé la parole pour combattre l'amendement présenté par l'honorable M. Desmet.
Déjà M. le ministre des finances a dit, avec raison, qu'il faudrait une nécessité absolue pour introduire une semblable innovation. Il n'y a dans les habitudes administratives du pays aucun exemple d'un exercice qui commence, soit au mois de mars, soit au mois de juillet : tous les comptes provinciaux et communaux, les comptes de tous les établissements publics, cadrent avec l'année ordinaire, et si l'on suivait une autre marche pour les comptes de l'Etat, il en résulterait de graves inconvénients. Ainsi, les crédits votés par les conseils provinciaux ou par les conseils communaux pour des objets d'utilité publique auxquels concourt également l'Etal, ces crédits ne se rapporteraient plus à la même période que les subsides alloués par les chambres du même chef. Je partage entièrement l'opinion de M. le ministre des finances, qu'il faudrait une nécessité absolue pour adopter la proposition de l'honorable M. Desmet. Il faudrait qu'il n'y eût pas d'autre moyen de sortir de la situation vicieuse qui a été signalée tant de fois. Or, il n'en est pas ainsi, car, à mon avis, il n'y a aucun motif sérieux qui s'oppose à l'adoption de l'amendement de M. Devaux.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Voici, messieurs, comment les choses se passeront d'après le projet qui vous est soumis. Je prendrai pour exemple l'exercice de 1844. Cet exercice sera clos le 31 octobre 1845, c'est-à-dire qu'après le 31 octobre 1845, le gouvernement ne pourra plus faire aucune imputation sur l'exercice de 1844. Tel est le sens de l'article 2 que nous discutons. D'après l'article 44 du projet de la section centrale, le gouvernement devra, immédiatement après le 31 octobre 1845, s'occuper de rédiger le compte de l'exercice 1844, qui devra être remis à la cour des comptes avant le 1er avril 1846. Ce compte de 1844 sera donc soumis à l'ouverture de la session de 1846-1847. Voilà, messieurs, le seul sens que l’on puisse donner, selon moi, aux dispositions du projet de loi. Je voudrais qu'on pût abréger ces délais, mais nous devons tenir compte des impossibilités matérielles qui s'y opposent II est matériellement impossible de rédiger les comptes d'un exercice dans un délai de six semaines ou de deux mois ; le gouvernement devra y mettre la plus grande activité pour arrêter (page 805) ses comptes endéans le délai de cinq mois que lui accorde le projet de la section centrale, et il faudra pour cela que la cour des comptes renvoie dans un délai très rapproché les mandats qui auront été émis dans les derniers jours avant la clôture de l'exercice.
Il n'est donc pas possible de soumettre à la chambre, dans les premiers jours de novembre le compte de l'exercice qui aurait été clos même le 30 septembre ; je n'indique pas ici une préférence pour tel ou tel système, je signale une impossibilité de fait.
M. Delfosse. - Pourquoi serait-il impossible de régler les comptes d'un exercice dans l'espace de deux mois et demi ? Si l’on voulait travailler sérieusement, ce délai suffirait.
- La discussion est close.
Le sous-amendement de M. Delfosse est mis aux voix et n'est pas adopté.
Le dernier paragraphe de l'article, tel qu'il a été proposé par l'honorable M. Devaux, est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Je mets aux voix l'amendement proposé par M. Desmet au paragraphe 2.
M. Desmet. - Je prie M. le ministre des finances de me dire si la disposition que je propose doit rencontrer un obstacle absolu dans la pratique.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, il y a fort peu de choses tout à fait impossible en matière de comptabilité. La chambre ici doit se décider par un autre motif : le changement proposé n'est pas nécessaire, et en le faisant, on amènerait uns perturbation, non seulement dans toutes les habitudes, mais dans toutes les comptabilités. Je pense qu'il faudrait une nécessité démontrée, à l'évidence, pour introduire ce changement. Ici, au contraire, l'honorable membre voudrait l'introduire, par cela seul qu'il n'y aurait pas impossibilité absolue. Il vaudrait mieux laisser la disposition telle qu'elle est aujourd'hui.
M. Desmet. - Je n'avais d'autre but que de faire discuter en temps utile les budgets. Toutefois, d'après les observations de M. le ministre des finances, je crois devoir retirer mon amendement.
M. le président. - La chambre passe à l'article 3 nouveau présenté par M. Rogier :
« Le budget des recettes et celui des dépenses seront présentés aux chambres, neuf mois au moins avant l'ouverture de l'exercice auquel ils se rapportent. »
M. Devaux a présenté un article nouveau ainsi conçu :
« Les budgets des dépenses et des voies et moyens seront présentés à la chambre des représentants, au moins dix mois avant l'ouverture de l'exercice.
« La présente disposition ne sera point applicable aux budgets des exercices de 1847 et 1848. »
M. Devaux. - Messieurs, par mon sous-amendement, j'ai eu pour but de modifier celui de l'honorable M. Rogier en deux points. Je pense d'abord qu'il faut écrire dans la loi que le budget sera présenté dix mois avant l'ouverture de l'exercice, c’est-à-dire au mois de mars. L’expérience prouve qu'il faut trois mois pour terminer la discussion des budgets ; or, de deux années l'une, nous avons des élections au mois de juin ; il faut donc que le budget soit présenté au mois de mars pour être voté avant la fin de mai.
Je modifie encore la proposition de l'honorable M. Rogier, en stipulant qu'il pourra y avoir deux années transitoires. Je dis que la loi ne sera pas applicable pour les budgets des exercices 1847 et 1848. Toutefois, d'après les observations qui ont été faites, on a semblé croire que je voulais interdire au gouvernement la faculté de présenter les budgets plus tôt pendant ces deux années. Telle n'a pas été mon intention. Si le gouvernement pense pouvoir présenter un second budget, soit dans la session actuelle, soit dans la session prochaine, ou s'il peut aviser à tout autre mesure transitoire pour faciliter l'application définitive du nouveau système, je ne m'y oppose pas. Je proposerai donc de changer la rédaction de mon amendement, et de dire que l'exécution de la présente disposition pourra être suspendue, si le gouvernement le juge nécessaire, jusqu'aux budgets des exercices 1847 et 1848 ; de manière que le gouvernement aura pleine liberté, quant à la transition. M. le ministre des finances veut la même chose que ce que je demande, seulement il ne veut pas comme moi, qu'on l'écrive dans la loi. Il vaut mieux, je pense, l'écrire dans la loi, surtout si on ne rend la mesure impérative que dans deux ans. C'est une garantie contre toutes les éventualités. D'ici à la semaine prochaine, il peut venir d'autres événements, d'autres préoccupations, et l'utilité de la mesure peut être oubliée. Aujourd'hui que nous nous occupons de la comptabilité, cet objet est très important à nos yeux, mais plus tard cette importance peut être perdue de vue comme elle l’a été depuis 16 ans, si le gouvernement adopte une mesure transitoire, il faul éviter aussi que cette mesure soit appliquée pendant longtemps ; il ne faut pas que pendant sept ou huit ans, on suive, par exemple, le système de nous présenter une partie des budgets dans une session, et une autre partie dans une session suivante. Pour empêcher cet inconvénient, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est d'insérer une disposition formelle dans la loi. De cette manière nous entrerons sûrement au but que nous sommes presque tous d'accord, et qui est d'entrer dans un mode plus régulier, plus gouvernemental en quelque sorte.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, d'après les explications qui viennent d'être données, et dès qu'il est entendu que pendant la période de transition nous pouvons présenter, même partiellement, successivement, les mesures nécessaires pour passer cette transition, je crois pouvoir me rallier à la proposition qui vient d'être faite. En effet, il n'y a de dissentiment que sur le période de transition. En principe, il est à désirer, pour sauvegarder tous les intérêts, que les budgets pussent être votés quelque temps avant l’ouverture de l'exercice ; c'est le principe posé dans l'amendement de l'honorable M. Devaux. Ce qui nous préoccupait, c'était la question de savoir si, pendant les deux années qui sont assignées, nous pouvons atteindre le résultat désiré ; j'avais indiqué un mode, j'examinerai encore si c'est le meilleur pour arriver à ce résultat.
Je me rallie donc à la proposition de la nouvelle rédaction du paragraphe 2.
M. le président. - M. Devaux suppose de modifier son amendement de la manière suivante :
« L'exécution de la présente disposition, pourra, si le gouvernement le croit nécessaire, être suspendue jusqu'aux budgets des exercices 1847 et 1848. »
M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Messieurs, je n'ai rien à dire sur l'amendement, puisque M. le ministre des finances s’y est rallié. Mais j'ai à présenter une observation qui m'a été suggérée par la lecture du dernier rapport de la cour des comptes. La chambre aura remarqué par le travail de la section centrale, qu'il a été question, dans le sein de cette section, d'un délai pour la présentation des budgets, mais que la section centrale n'a pas adhéré à cette idée. On a également soulevé une autre question ; on aurait désiré voir écrire en quelque sorte dans la loi les différentes conditions que devait présenter la rédaction des budgets ; on avait demandé, entre autres, que les allocations destinées au personnel, fussent entièrement distinctes de celles qui étaient affectées au matériel. Je ne ferai pas d'amendement à cet égard, mais je pense que la commission qui sera chargée d'élaborer les dispositions réglementaires, pourra prévoir les cas indiqués dans les observations de la cour des comptes. Ainsi, au ministère des travaux publics selon l'aveu même du chef de ce département, on a imputé sur les fonds destinés à la construction du chemin de fer, jusqu'à concurrence de 100,000 fr. pour traitements.
Dans sa réponse à la cour des comptes, M. le ministre des travaux publics justifie cette manière de procéder, par cette considération que la chambre n'avait jusqu'ici rien trouvé à redire à cela. Je désire, pour ma part, que M. le ministre des finances s'engage en quelque sorte à rédiger les budgets, de manière qu'il y ait une distinction entre les crédits destinés au matériel, et les crédits affectés au personnel.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, cette question a été examinée par la section centrale qui a jugé à propos, et avec raison ce me semble, d'en renvoyer l'examen aux dispositions réglementaires qui devront faire le complément de la loi actuelle.
M. Mast de Vries. - Messieurs, on a aussi examiné cette question dans le sein de la section centrale du budget du département des travaux publics ; cette section ne vous proposera pas de changer ce qui existe actuellement. En voici la raison : Le montant des traitements imputés sur les fonds de construction du chemin de fer s'élève annuellement à 80,000 fr. : d'ici à un an ce chiffre aura disparu, si on continue à l'imputer sur les mêmes fonds ; si, au contraire, on le transférait au chapitre du personnel de l’administration centrale, on augmenterait d’une manière permanente le crédit du personnel d'une somme de 80,000 fr.
- La discussion est close.
M. Rogier. - Je me rallie à l'article 3 nouveau, proposé par M. Devaux.
- Cet article 3 nouveau est adopté.
« Art. 3. Les recettes de chaque exercice sont opérées conformément aux lois annuelles ou spéciales des voies et moyens.»
- Adopté.
« Art. 4. Tout versement ou envoi en numéraire et autres valeurs, fait dans les caisses de l'Etat pour un service public, donne lieu à la délivrance d'un récépissé à talon, avec imputation de versement.
« Ce récépissé est libératoire, et forme titre envers le trésor public, à la charge toutefois par la partie versante de le faire viser et séparer de son talon dans les 24 heures, par les fonctionnaires et agents administratifs à désigner à cet effet. »
M. Lebeau. - Quand on fait des versements dans les caisses de la société générale, du caissier de l'Etat, il n'y a pas aujourd'hui d'imputation. J'appelle l'attention de la chambre sur l'importance du passage de l'article 4 qui prescrit l'imputation du versement, parce qu'il me semble que vous touchez à un système, que vous y touchez d'une manière incidente, Le gouvernement peut sans doute exiger des formalités de cette nature, quand il a des receveurs de province et d'arrondissement à lui.
Je ne sais si vous pouvez imposer un nouveau travail aux agents de la société générale. Aujourd'hui, il n'y a pas d'imputation ; c'est un mal ; et je reconnais qu'en l'introduisant on fait une amélioration ; mais je ne sais pas si cette amélioration peut être introduite, car c'est une innovation qu'on apporte aux rapports du gouvernement avec le caissier général de l'Etat. Je pense même qu'il ne donne pas de récépissé à talon. Ce sont là des mesures anciennes qui étaient excellentes, car elles donnaient au gouvernement un moyen de contrôle ; mais je ne sais, je le répète, si leur rétablissement est conciliable avec les rapports qui existent entre le caissier de l'Etat et le gouvernement.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Quand un versement est fait entre les mains du caissier de l'Etat, il en est donné récépissé sans imputation, sans talon. La disposition qui vous est soumise aura pour effet, cela est très utile comme l'a dit l'honorable préopinant, de prescrire la délivrance de quittances à talon, d'organiser un moyen de contrôle qui manque aujourd'hui et de forcer de donner une imputation aux versements.
(page 806) La chambre est saisie de plusieurs amendements que j'ai eu l'honneur de lui soumettre en ce qui concerne le caissier de l’Etat.
Les observations qui viennent d'être faites, m’engagent à définir dès à présent quel peut être le rapport de la loi actuelle avec le caissier de l'Etat. Si nous ne pouvions conserver le caissier général, qu'en laissant intactes toutes les formes actuelles, nous ne pourrions pas faire de loi. Cette loi contient des formalités nouvelles auxquelles le caissier général se conformera, comme il s'est conformé aux règlements qui ont été faits ; l'on n'altère pas les rapports qui existent, en vertu du contrat, entre le caissier et le gouvernement, en changeant des formes qui ont pour objet la justification des recettes de l'Etat, sans rien changer à l'essence du contrat.
M. Lebeau. - Cette disposition est très importante ; si vous prescrivez pour tout versement la délivrance d'un récépissé à talon avec imputation du versement, vous allez multiplier les écritures des agents de la banque, vous les transformez en receveurs d'arrondissement ; je le répète, je ne vois aucun mal à cela ; mais vous doublez, triplez le travail de ces fonctionnaires ; l'imputation des versements les obligera à avoir des comptes avec les employés des administrations fiscales ; il faudra ouvrir un compte à chaque receveur de contributions. Véritablement aussi il faudra développer les livres auxiliaires et le grand livre autrement qu'aujourd'hui. Maintenant il n'y a que des chiffres, vous aurez autant d'imputations qu'il y a de branches de revenus, des imputations pour les contributions directes, les douanes, les accises, l'enregistrement, vous aurez une comptabilité très étendue.
Le caissier de l'Etat se prêtera-t-il à ces changements ? Je ne sais si le gouvernement veut conserver le caissier général, question sur laquelle je ne veux pas me prononcer ; peut-être l'article 4 pourra-t-il ne pas rencontrer de difficulté ? Je ne sais ; mais comme on touchait à une grande question, j'ai voulu qu'elle ne passât pas inaperçue.
M. Osy. - Les observations de l'honorable M. Lebeau sont très justes. Jusqu'à présent les versements entre les mains du caissier général ont été faits sans imputation ; l'article qui vous occupe prescrit à l'avenir l'imputation ; avant de le voter, il faudrait savoir si le gouvernement est d'accord avec le caissier de l'Etat sur l'introduction de cette mesure. Je pense que nous ferions sagement de réserver cet article jusqu'à ce que nous en soyons arrivés à l'article 57. D'ici-là M. le ministre aura pu s'entendre avec le caissier de l'Etat et nous dire si on peut lui imposer l'obligation qui résulte de l'article 4. Je crois qu'il serait possible que cette disposition donnât lieu à quelque difficulté dans le cas où il en résulterait, pour le caissier de l'Etat, beaucoup d'écritures à faire. Mais si on se bornait à faire envoyer tous les mois les talons à l'administration des finances, le caissier n'aurait pas plus d'écritures à faire que par le passé ; seulement il aurait à inscrire au talon la quittance donnée au comptable.
Quoi qu'il en soit, je pense qu'on ferait bien de réserver l'article 4 jusqu'à ce que nous en soyons arrivés à l'article 57.
M. le ministre des finances (M. Malou). - La mesure dont il s'agit existe en France. Voici comment les choses se passent :
Un comptable vient verser chez le receveur de l’Etat une somme provenant des contributions directes, En Belgique on donnera une simple quittance portant reçu sans indication d'origine ; en France le receveur délivre une quittance à talon indiquant que la somme versée provient des contributions directes. Nécessairement, les mêmes indications se trouvent sur le talon et sur la quittance délivrée. Des fonctionnaires administratifs sont désignés pour détacher le talon de la quittance, et le talon est envoyé à la trésorerie ou à une autorité qui le remet à la trésorerie.
Il s'établit un contrôle par la quittance qui est entre les mains du comptable et revient à la trésorerie, et par la production du talon qui arrive par une autre voie. C'est ainsi que les choses se passeraient. Il n'est pas nécessaire, comme le pense l'honorable M. Lebeau, que les agents du caissier tiennent une comptabilité de tous les produits des revenus de l'Etat ; ils donneraient seulement un récépissé et un talon portant la même mention. Ces talons détachés par des agents administratifs désignés par la loi arriveraient à la trésorerie et serviraient à contrôler les récépissés.
Je ne pense pas qu'il puisse y avoir de difficulté quant aux relations du gouvernement avec le caissier de l'Etat. La société générale m'aurait sans doute fait des observations avant la discussion de la loi, si elle avait cru que les formes de comptabilité existantes dussent rester invariables. Je conçois que le contrat ne puisse pas être changé par l'une des parties, quant à son essence ; mais le gouvernement a le droit de prescrire les formalités nouvelles qu'il croit nécessaires pour établir le contrôle de ses recettes.
M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Les explications dans lesquelles vient d'entrer M. le ministre des finances, doivent donner toute espèce d'apaisement aux honorables membres. Cependant, je crois devoir en ajouter quelques-unes pour démonter l'urgente nécessité d'adopter ce nouvel article. Depuis 1824, les comptables qui font des versements entre les mains du caissier général reçoivent de simples quittances de versement sans imputation, sans aucune formalité exigible pour leur donner date certaine et un caractère authentique, sans aucun terme assigné à leur reproduction à la trésorerie. Qu'en résulte-t-il ? C'est que des débiteurs ou agents qui versent des fonds pour le compte de l'Etat et qui n'appartiennent pas à l'administration des finances, se figurent quelquefois qu'ils ont satisfait à toutes leurs obligations au moment où ils ont versé dans les mains du caissier ce à quoi ils étaient tenus, et qu'ils peuvent conserver par devers eux ces récépissés et ne les envoient pas par conséquent à l'administration du trésor.
Il en résulte que la trésorerie ignore pour quel objet telle somme a été versée, ou pourrait même ignorer le versement, si elle n'était prévenue par le caissier général lui-même.
C'est ce que la cour des comptes a démontré dans son cahier concernant l'exercice définitif de 1839. Des difficultés très graves sont résultées de ce mode de procéder, entre la province de Liège et M. le ministre. La province de Liège avait réclamé une somme de 428,496-83 ; le ministre écrivit à la cour des comptes qu'il croyait que cette somme ne lui était pas entièrement due, que les prétentions de la province étaient exagérées, qu'il était probable qu'elles devaient être réduite, au moins de 115,470 fr. 32 c. La plus grande incertitude existait sur le solde créancier de la province de Liège.
D'où provenait cette incertitude inqualifiable ? Elle est provenue de ce que l'administration des finances ne reçoit pas régulièrement les récépissés, de ce qu'elle est dépourvue des moyens de se les faire produire.
En rendant le récépissé à talon obligatoire, toutes ces difficultés disparaîtront ; et vous serez tous d'avis, messieurs, qu'il est de la plus grande urgence de les faire disparaître.
La cour des comptes a signalé encore un autre fait, que je tiens à rappeler ici.
Le receveur des feux du phare d'Ostende avait versé une somme de 31,947 fr. 41 c, à la société générale ; il avait négligé d'envoyer son récépissé ; le trésor n'ayant pas reçu ce récépissé ignorait que la somme eût été versée et ne l'avait pas, en conséquence, inscrite dans ses comptes. C'est par hasard que ce receveur, se trouvant à la cour des comptes, fit connaître qu'il était porteur du récépissé en question. On lui fit observer qu'il avait abusivement conservé devers lui cette pièce importante, et ce ne fut qu'à la suite de cette circonstance, que la quittance de versement fut transmise à la trésorerie. Sans cette circonstance, le gouvernement aurait ignoré à tout jamais que cette somme avait été versée.
Je pense, messieurs, que quand bien même la mesure qu'on vous propose occasionnerait quelque embarras au caissier de l'Etat, vous ne devriez pas hésiter à l'adopter, car c'est le seul moyen de mettre quelque ordre dans nos finances, de faire connaître quelles sont les sommes qui, versées au trésor, appartiennent aux communes, aux provinces et à l'Etat.
Après ces explications je pense que vous n'hésiterez pas à adopter l'article en discussion.
- La discussion est close.
L'article 4 est mis aux voix et adopté.
L'art. 5 est mis aux voix et adopté dans les termes suivants :
« Art. 5. Toute entrée de fonds dans les caisses publiques, quel que soit le service auquel ils appartiennent, a lieu pour le compte du département des finances, qui en centralise le montant dans les livres et la comptabilité de la trésorerie générale. »
Le deuxième paragraphe de l'article est, sur la proposition de M. le ministre des finances, transféré à l'article 16.
« Art. 6. La perception des deniers de l'Etat ne peut être effectuée que par un comptable du trésor, et en vertu d'un titre légalement établi. »
- Adopté.
« Art. 7. Les fonctions d'ordonnateur et d'administrateur sont incompatibles avec celles de comptable.
« Tout agent chargé d’un maniement de deniers appartenant au trésor public est constitué comptable, par le seul fait de la remise desdits fonds sur sa quittance ou son récépissé ; aucune manutention de deniers ne peut être exercée, aucune caisse publique ne peut être gérée, que par un agent placé sous les ordres du ministre des finances, nommé par lui ou sur sa présentation, responsable envers lui de sa gestion, et justiciable de la cour des comptes. »
M. le président. - Deux amendements sont présentés à cet article : l'un par M. le ministre des finances, consistant à ajouter au commencement du deuxième paragraphe les mots : « Sauf les exceptions établies par la loi, » l'autre par M. de Bonne, consistant à modifier le commencement da deuxième paragraphe en ces termes : « Tout agent du gouvernement est constitué comptable par le seul fait de la recette des fonds de l'Etat et justiciable de la cour des comptes. »
M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Cet amendement n'est que la reproduction de la disposition de l'article de la section centrale.
M. de Bonne. - Pas exactement ; en effet la disposition de la section centrale tend a constituer comptable, par le seul fait de la remise des fonds sur sa quittance ou son récépissé, tout agent chargé d'un maniement de deniers appartenant au trésor public ; mais l'amendement que j'ai l'honneur de proposer, a pour but de constituer comptable et justiciable de la cour des comptes l'agent même du gouvernement qui n'est pas chargé de la recette des deniers de l'Etat, celui qui par fraude, par escroquerie, ou de toute autre manière indirecte, aurait reçu des deniers appartenant à l'Etat.
C'est un moyen de sauvegarder les intérêts du trésor.
Si mon amendement n'est pas adopté, le gouvernement devra, dans le cas que je viens d'indiquer, poursuivre son agent devant les tribunaux ordinaires ; j'ai confiance dans cette juridiction ; mais son action est lente. En attendant, l'intérêt du gouvernement peut être compromis. Il n'en est plus ainsi, si l'agent est justiciable de la cour des comptes, l'instruction qui se fera devant cette cour étant plus prompte et plus facile.
Mon amendement n'a rien d'anormal ; il se trouve dans la législation française. J'ai pensé qu'il convenait de l'insérer dans notre loi.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Parmi les dispositions transitoires que j'ai eu l'honneur de proposer, se trouve l'article 54 qui déroge temporairement à l'article 7 de la section centrale.
En principe, j'adhère volontiers à la proposition de la section centrale. Mais pour cette disposition très bonne en elle-même, comme pour plusieurs autres, il faut une période de transition. C'est ainsi, qu'en Belgique, plusieurs (page 807) services seraient compromis si l'on appliquait immédiatement tous les principes de la loi de comptabilité. On aurait désorganisé avant d'avoir organisé.
La régie du chemin de fer a déjà été l'objet de longues discussions dans la chambre. Au moment où nous réglons les principes fondamentaux de la comptabilité publique, je pense qu'il faut laisser en dehors de cette question déjà assez vaste les questions relatives aux services spéciaux. Il faut admettre une période de transition, en réservant d'une manière expresse l'examen dans un délai déterminé par les chambres législatives.
Faut-il rattacher au département des finances les postes, les recettes du chemin de fer ? Ce sont deux questions qui ne sont pas intimement liées aux principes généraux que nous allons poser. Il peut y avoir utilité, nécessité même de distraire du département des finances certaines parties de l'administration. Plus l'action du gouvernement s'étend, plus cette nécessité se fait sentir, et en Belgique, eu égard à l'étendue du pays et comparativement avec les autres nations, l’action du gouvernement est beaucoup plus large. C'est ainsi que le chemin de fer seul pourrait former une espèce de ministère, et que si l'action du gouvernement soit pour l'exploitation directe des voies de communication, soit dans un autre ordre d'idées, avait plus d'extension encore, il y aurait impossibilité d'exécuter le principe d'ailleurs très bon de l'article 7 de la section centrale.
Cette question pourrait donc être réservée en ce sens qu'un délai serait fixé pour que la chambre fût saisie d'une proposition complète, à l'occasion de laquelle on examinera jusqu'à quel point l'action du ministre des finances sur les services spéciaux doit être accordée ou refusée.
L'article 54, dont je viens d'indiquer le but, est ainsi conçu :
«Art. 54. Par dérogation à l’article 7 de la présente loi, les recettes du chemin de fer de l'Etat et celles des postes continueront provisoirement d'être faites conformément aux arrêtes et règlements en vigueur.
« L'organisation définitive du service des recettes du chemin de fer de l'Etat fera l'objet d’une loi spéciale qui sera présenté avant le 1er juillet 1847. »
Ainsi avant un an et quelques mois, la question élaborée dans son ensemble, question qui a longtemps préoccupé les départements des finances et des travaux publics, vous sera soumise avec un projet complet.
M. Osy. - J'approuve la proposition de M. le ministre de finances. C'est à l'article 54 que nous délibérerons sur ce qu'il y aurait à faire, par exception à la loi, pour le chemin de fer, etc.
Mais la question soulevée par l'honorable M. de Bonne doit être résolue.
L'honorable rapporteur dit que l'amendement se trouve tout à fait dans l'article 7. Cela pourrait s'y trouver si le gouvernement nous donnait une explication, s'il déclarait que les receveurs seuls ont le maniement des fonds de l'Etat. Mais au ministère de l'intérieur et au ministère des affaires étrangères il y a des employés qui reçoivent des sommes très importantes et qui les conservent en caisse pendant longtemps. Je demande si ce sont des receveurs. Sinon, ils ne tomberont pas sous l'application de l'article 7. Si ces employés ne sont pas considérés comme receveurs, il est évident que l'amendement de l’honorable M. de Bonne doit être adopté.
Dans le dernier cahier de la cour des comptes, nous avons vu qu'il se fait de très grandes dépenses, et que les employés ne rendent leurs comptes que trois ou quatre ans après. Ils conservent chez eux, ou déposent à la caisse d'épargne cet argent qu'ils n'emploient pas de suite pour le service de l'Etat.
Je prie M. le ministre des finances de vouloir bien dire comment les choses se passent à cet égard.
M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Je pense que dès qu'on touche les fonds de l'Etat on devient comptable. Il suffit pour cela, comme le dit l'article 7, que l'on vous ait remis les fonds de l'Etat.
L'honorable M. Osy vient d'indiquer un assez grave abus. Il est des ordonnateurs secondaires, à qui on ne remet pas des fonds, mais auxquels on ouvre des crédits. Par une tolérance coupable, ces agents se sont cru permis de convertir ces crédits en espèces et ainsi ils sont devenus ordonnateurs et comptables.
L'article 7 tend à prévenir ce grave abus. Voici quel est son premier paragraphe :
« Les fonctions d'ordonnateur et d'administrateur sont incompatibles avec celles de comptable. »
Dès que la chambre aura voté ce paragraphe, il ne sera plus possible qu'un ordonnateur secondaire transforme son crédit en argent sur lui-même, se crée une caisse. Comme vous l'a fort bien dit l'honorable M. Osy, il est résulté de graves abus de cet usage, et ces abus existent encore a présent. On ne peut en douter lorsqu'on a vu le régisseur du chemin de fer transformer des crédits sur sa propre caisse, détenir des millions sans en rendre comptent cela pendant quatre ou cinq ans. Le dernier cahier de la cour des comptes vous apprend qu'on a profilé de cet abus pour faire des transferts qui sont, selon moi, extrêmement condamnables, pour dépasser même les crédits accordés.
L'honorable M. de Bonne est convenu que l'article 7 atteignait les personnes auxquelles on remettait les fonds de l'Etat ; mais il veut atteindre ceux qui les détiennent indûment, et je crois qu'il a surtout voulu atteindre ces ordonnateurs secondaires qui transforment des crédits sur leur propre nom au lieu d'user de ces crédits en faveur des créanciers de l'Etat.
Je pense, messieurs, que si ces graves abus se renouvelaient, s'il était des personnes qui détinssent illégalement les fonds de l'Etat, elles seraient justiciables non pas de la cour des comptes, mais des tribunaux correctionnels ou de la cour d'assises.
Je crois, messieurs, en avoir dit suffisamment pour vous faire comprends ce que la section centrale entend par un comptable.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, l'article 7 a été introduit dans le projet par la section centrale. Je conçois qu'il y ait quelques explications à demander sur la portée du second paragraphe de cet article.
Déjà l'honorable M. Osy vous a signalé que, dans les ministères, un employé était chargé de payer les menues dépenses. On met à la disposition de cet employé, sur le visa mène de la cour des comptes, 3 ou 4,000 fr., il paye pendant l'année les menues dépenses, et au bout de l'exercice, il justifie près de la cour des comptes de l'emploi de la somme qui lui a été allouée.
D'après l'article 7, s'il était entendu comme le dit M. Osy, cet état de choses ne pourrait plus continuer. Car cet employé devrait être un agent du ministre des finances, puisqu'il est dit : « Aucune manutention de deniers ne peut être exercée que par un agent placé sous les ordres du ministre des finances. »
Mais il est un autre cas beaucoup plus important, selon moi, qui se présente quant au département de la guerre. Les chefs de corps sont aussi chargés de la manutention des fonds pour payer la solde de l'armée. Si l'on interprétait l'article 7 comme on vient de le dire, il ne pourrait plus en être de même à l'avenir. Mais il est évident, messieurs, que telle n'est pas la portée qu'a voulu lui donner la section centrale.
M. le rapporteur a touché la question du régisseur comptable du chemin de fer. Nous pourrons entrer dans de plus grands développements sur cette question, si la discussion nous y amène. Mais je dois déclarer dès maintenant qu'il n'est pas exact de dire qu'il y a des millions dans la caisse du régisseur du chemin de fer, qui est plutôt un agent payeur qu'un régisseur. Les fonds ne font en quelque sorte que transiter chez le régisseur comptable, et il n'y a jamais dans sa caisse que des sommes extrêmement minimes, qui lui viennent de remboursements. Jamais il n'est arrivé qu'il y eût des millions, et surtout c'est ce qui n'arrive pas maintenant.
M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Je ne pense pas avoir dit qu'il y avait des millions dans la caisse du régisseur du chemin de fer. Car j'ignore l'étal de sa caisse ; je ne l'ai pas vérifié ; la cour des comptes elle-même ne pourrait me donner aucune lumière à cet égard, puisqu'il n'est pas considéré comme comptable, justiciable de la cour.
On lui ouvre des crédits, et en le faisant on le considère comme ordonnateur secondaire. Mais qu'arrive-t-il ? Il mandate sur sa propre personne. On dit qu'il n'a pas des millions dans sa caisse ; mais ce qui est certain, c'est que les millions passent par sa caisse, car je suis persuadé qu'ils n'y restent pas ; car je crois pouvoir assurer qu'on ne se borne pas à lui faire payer les ouvriers, mais qu'on lui fait faire des avances jusqu'à des deux et trois cent mille francs à des entrepreneurs.
On s'est servi de cette irrégularité très grave pour dépasser les articles du budget et pour opérer des transferts. C'est ce que la cour des comptes déclare dans son dernier cahier d'observations. Je vous demanderai la permission d'en lire un passage. Voici ce que dit la cour des comptes :
« Telles sont, M. le ministre, les conséquences auxquelles entraînent les crédits ouverts au directeur de la régie ; elles conduisent, comme vous le voyez, à un désordre réel dans la comptabilité, qui fausse le résultat des budgets et des comptes. La comptabilité, qui devrait être claire et simple, se trouve plongée dans un chaos pour ainsi dire impénétrable, et ce n'est qu'à l'aide d'opérations fastidieuses et peu intelligibles pour toute personne peu familiarisée avec ces matières, ainsi que cela se voit par les calculs qui précèdent, que l'on parvient à rétablir la vérité des faits.
« Cet inconvénient sans doute est grave, puisqu'il s'ensuit que les allocations des budgets ne sont point respectées ; mais un inconvénient plus grave encore, qui résulte de cet état des choses, c'est que les dépenses mandatées par le directeur de la régie ne sont ni apurées ni régularisées dans le terme de l'exercice ; aujourd'hui encore, que l'exercice 1841 a reçu l'épreuve de 5 années ; que depuis 2 ans il est légalement clos, n’est-il pas étrange que les dépenses grevant ce budget ne soient point définitivement justifiées et régularisées ? Par suite il arrive que les chambres législatives sont chaque année dans l'impossibilité d'arrêter les comptes avec une connaissance parfaite des dépenses effectuées, et que les comptes eux-mêmes pèchent dans leurs résultats, en ce qui concerne la sortie des fonds des caisses publiques et la situation réelle du trésor.
« La cour terminera ses observations sur les irrégularités causées par les dépenses payées par voie de crédit ouvert au directeur de la régie, en vous présentant la récapitulation de la partie des dépenses soldées par ce mode, qui n'ont pu être justifiées et régularisées sur les budgets, non seulement à la clôture des exercices, mais encore à l'époque de l'établissement des comptes généraux, à partir de 1836 jusqu'à 1841 inclusivement.
« Les comptes rendus par le département des finances accusent des dépenses de l'espèce pour lesquelles les fonds sont sortis des caisses publiques, mais qui n'avaient point été justifiées, savoir :
« Sur l’exercice 1836 : 166,872 03
« Sur l’exercice 1837 : 51,245 81
« Sur l’exercice 1838 :639,685 65
« Sur l’exercice 1840 : 6,618,209 17
« Sur l’exercice 1841 : 118,799 60
« Total des mandats du directeur de la régie, sur lesquels les fonds sont sortis des caisses publiques, sans justification d'emploi, en fin d'exercice et à la clôture de 1841 : fr. 7,594,810 26.
(page 808) « La cour n'ajoutera rien à ce qui précède, le chiffre de fr. 7,594,810 26 c. est assez important à lui seul pour justifier ses réclamations contre un tel état de choses, qui compromet la régularité des comptes de cinq exercices, porte la perturbation dans la comptabilité, et peut exposer sérieusement les intérêts du trésor.
« Elle aime à croire, M. le ministre, que reconnaissant avec elle les dangers d'une telle situation, vous prendrez des mesures pour la faire cesser à l'avenir. »
Je crois, messieurs, qu'il y a un moyen de faire cesser ces abus ; l'article 7 y pourvoira, si vous l'adoptez, comme je l'espère.
Je suis peu partisan des dépenses en régie ; je n'aime pas les avances. J'avoue cependant qu'il est des circonstances où il est impossible d'éviter ce mode. Ainsi il est impossible de l'éviter pour le payement de la solde des troupes, pour acquitter les traitements de la douane. Nous sommes encore obligés de l'admettre pour cette armée d'ouvriers qui travaillent sur notre chemin de fer. Mais je crois qu'il ne faut y recourir que lorsque cela est strictement nécessaire ; je pense que l'administration a abusé des facilités que lui donne l'établissement d'une régie des travaux du chemin de fer. Elle en a abusé pour le payement des travaux de la construction de la ligne de la Vesdre, elle en a abusé dans d'autres circonstances encore : que ce fonctionnaire cesse d'être ordonnateur, administrateur, qu'il revête franchement le caractère de comptable, de payeur, qu'il soit le justiciable de la cour des comptes, qu'il donne un cautionnement ; et il sera dans les termes de la loi que nous discutons.
Messieurs, qu'arrive-t-il pour l'armée ? Et en général la comptabilité militaire est une des mieux tenues aussi bien en Belgique qu'en France. Eh bien, que se passe-t-il dans ce département ? La cour des comptes ouvre des crédits aux intendants militaires. Ceux-ci ne transforment pas ces crédits sur eux-mêmes, mais ils mandatent au fur et à mesure des besoins sur le conseil d'administration des régiments. Les fonds sont déposés dans une caisse à trois clefs. Il y a responsabilité, il y a contrôle.
Mais ce qui se passe au département des travaux publics, je l'ai, depuis plusieurs années condamné d'une manière un peu sévère, et je m'applaudis d'en avoir agi ainsi, car tout ce que je vois en examinant les comptes prouve que mes observations étaient fondées.
J'ai vérifié pendant cet été le compte de 1834 ; j'ai eu l'honneur de déposer le rapport de la commission des finances.
Eh bien, qu'avons-nous remarqué dans ce compte ? Nous y avons trouvé une « dépense » de 26,000 portée parmi les restes « à payer ». L'administration n'est parvenue à la comprendre dans le compte que de cette manière anormale. La somme est peu considérable, mais ce fait a de la gravité à cause du principe. Voici quelle en a été la cause ; un chef de département demande l'ouverture de ce crédit, la cour délivra ce moyen de service, et elle ne le délivre que pour des dépenses urgentes qui ne souffrent pas le délai du visa préalable. Eh bien, que fit l'ordonnateur secondaire au nom duquel ce crédit fut ouvert ? Dès le lendemain de l'ouverture il le transforma en écus sur lui-même, et au lieu de payer des dépenses soi-disant urgentes, il se créa une caisse, garda les espèces pendant 2 à 3 ans, et on ne parvint pas à lui faire rendre compte avant la clôture d'un exercice de 5 ans. Que sont devenues ces valeurs pendant ce long espace de temps ? je l'ignore. Mais voilà ce qui se dit, c'est que dans des circonstances semblables les fonds sont déposés à la caisse d'épargne, et je ne vous dirai pas non plus qui en a recueilli les intérêts.
Du reste, messieurs, il faut bien le reconnaître, nous vivons depuis trop longtemps au milieu de nombreux abus. On y est tellement habitué que cela paraît tout naturel. J'entends répéter sans cesse : Nous ne pouvons faire ici comme dans les autres pays, nous avons contracté telles habitudes, nous ne pouvons y déroger. Nos habitudes sont le laisser-aller, le sans-gêne. Je le dis à regret. Eh bien, quand on veut avoir une nationalité et un gouvernement, quand on veut être pays, il faut pour en être digne, pour savoir conserver ce bienfait inappréciable, savoir s'assujettir à certaines gênes.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, je ne puis donner à l'article 7 une portée qu'il n'a pas. Cet article pose un principe adopté depuis longtemps en France ; il correspond à l'article 67 de l'ordonnance générale de 1838. Cependant, messieurs, jamais dans ce pays, cette disposition n'a reçu une application tellement absolue, que, par exemple, on ait fait nommer les comptables militaires par le ministre des finances. Je déclinerais, quant à moi, l'honneur ou la charge de nommer les administrations des régiments. Si l'article 7 devait avoir cette conséquence, loin de m'y rallier, je m'y opposerais.
Rendons-nous compte du mode d'autorisation des dépenses. Ou les dépenses sont créées sur visa préalable de la cour des comptes, ou elles sont créées par crédits ouverts. Lorsqu'un crédit est ouvert, il y a un comptable et l'article que nous discutons s'applique à ce comptable, à celui qui est chargé du maniement des deniers publics, et qui devient, d'après la disposition, comptable par ce seul fait.
La question de savoir dans quelles limites doit se restreindre l'ouverture des crédits, a préoccupé aussi la section centrale et elle fait l'objet notamment de l'article 15 du projet de loi relatif a l'organisation de la cour de comptes, projet qui est à l'ordre du jour après celui dont nous nous occupons.
Je ne suivrai pas l'honorable rapporteur dans l'examen des divers faits qu'il a cités. Il est tel de ces faits qui est soumis à la discussion de la chambre. Ainsi la question relative à une somme de 27,000 fr., qui figure au compte de 1834, a été soulevée par la commission des finances ; lorsque nous discuterons le projet de loi relatif au compte de cet exercice, nous examinerons quelles peuvent avoir été les circonstances spéciales qui justifient le fait signalé par l'honorable membre. (Interruption.) Je fais seulement observer qu'il serait prématuré d'examiner maintenant une question dont la chambre devra s'occuper dans la discussion des projets de lois relatifs aux comptes. Si je parle de ce fait, c'est seulement parce que le silence du gouvernement en cette circonstance pourrait être considéré comme un acquiescement tacite aux paroles de l'honorable membre.
Quant aux recettes du chemin de fer, j'ai déjà fait remarquer qu'il ne suffit pas de poser dans l'article 7 un principe absolu, que l'application de ce principe doit être l'objet d'une organisation qui ne peut pas être immédiate, mais que dans le délai très rapproché que j'ai fixé, je concilierai les faits actuels avec le principe posé par la section centrale et qui est un principe vrai et utile.
Je dirai un mot de l'amendement de l'honorable M. de Bonne. Dans cet amendement, comme dans celui qui se rapporte à l'article 23, l'honorable membre paraît avoir perdu de vue quel est l'objet spécial de l'institution de la cour des comptes. La cour des comptes vérifie et arrête les comptes de l'Etat et des provinces, mais là se borne sa juridiction constitutionnelle. Si quelqu'un se constitue détenteur de deniers de l'Etat, se donne en quelque sorte à lui-même la qualité de comptable qu'il n'a pas, alors il y a deux actions à exercer ; l'action judiciaire et l'action à exercer envers le vrai comptable. Cette dernière action peut seule appartenir à la cour des comptes et les articles suivants du projet sont conçus de telle manière que le vrai comptable serait forcé en recette à raison des sommes qui auraient été détournées. L'honorable M. de Bonne suppose un délit et déclare, si je comprends bien son amendement, que ce délit sera jugé par la cour des comptes, et c'est ce qui ne peut pas être ; la cour des comptes n'a pas d'action en matière répressive.
M. de Bonne. - Ce n'est pas là le sens de mon amendement.
(page 821) M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Je dois ajouter quelques mots à ce qu'a dit mon honorable collègue, M. le ministre des finances, en réponse aux observations de l'honorable M. de Man. A entendre l'honorable membre, on dirait réellement que la régie du chemin de fer est une source d'abus. Eh bien, messieurs, il n'en est rien ; tout se passe, dans la régie du chemin de fer, avec la plus complète régularité.
Du reste, messieurs, je crois qu'il est très possible de concilier le principe de l'article 7 avec le système de la régie, et je ne ferai pour le moment aucune observation sur l'application de ce principe.
Je n'entrerai pas non plus dans l'examen de la question de savoir si la perception des recettes du chemin de fer doit passer au ministère des finances. Je crois que la chambre adoptera la proposition faite par le gouvernement, et dès lors il est préférable de réserver cette discussion pour l'époque où un projet de loi spécial sera présenté sur cette matière. Je n'entrerai donc dans l'examen de cette question que si j'y suis amené par des discours que l'on prononcerait ultérieurement.
Quant aux dépenses du chemin de fer, elles sont de deux natures ; les premières se payent par suite d'un contrat ; elles font l'objet de demandes soumises au visa préalable de la cour des comptes, et rentrent par conséquent dans les principes ordinaires de la comptabilité. Mais il est des dépenses d'une autre nature, ce sont les dépenses urgentes ; celles-là, il est (page 822) impossible qu’on les soumette aux lenteurs inséparables du visa préalable. C'est ainsi, par exemple, que l'honorable rapporteur reconnaît lui-même, et la cour des comptes le reconnaît également, que pour la solde de l'armée il faut un autre mode de payement que pour les dépenses faites en vertu d'un contrat. Eh bien, messieurs, il en est identiquement de même en ce qui concerne le payement des ouvriers du chemin de fer ; il est impossible de ne pas opérer ces payements d'une manière régulière aux époques fixées et d'attendre les formalités assez longues qui devraient être remplies pour obtenir le visa préalable.
C'est ce qui sera reconnu par tout le monde. Il est donc nécessaire d'avoir un agent chargé de faire ces payements, et cet agent est le régisseur comptable du chemin de fer. Je dois encore répéter ici qu'on ne peut pas trop s'attacher à cette dénomination de régie, car elle n'est pas exacte, puisqu'il s'agit seulement d'un agent de payement ; c'est l'exploitation du chemin de fer tout entière qui est un véritable régie.
Maintenant, ce mode de payement n'offre-t-il point de garantie ? Remarquez, messieurs, qu'il y a ici également un grand nombre de formalités à remplir et que la cour des comptes elle-même exerce un double contrôle sur les opérations. D'abord le ministre des travaux publics doit demander au département des finances qu'il soit ouvert un crédit au directeur de la régie ; ce crédit n'est ouvert qu'après le visa de la cour des comptes ; ensuite les dépense faites par la régie ne sont liquidées qu'en vertu de l'autorisation du ministre des travaux publics, et les mandats sont visés préalablement par le ministre.
Puis toutes les pièces relatives à la dépense font l'objet d'une demande de régularisation adressée par le département à la cour des comptes, et la cour des comptes, après due vérification, accorde la décharge au directeur de la régie. C'est alors seulement que l'opération est terminée.
Ainsi vous voyez, messieurs, que tout ce système, auquel cependant on pourra apporter encore quelques modifications, présente déjà toutes les garanties désirables. Réellement, je ne crois pas qu'on puisse signaler, dans l'état actuel des choses, un seul abus réel qui serait la suite de ce système.
Supposons maintenant que l'on abandonne le système que je viens d'indiquer ; quel serait celui par lequel on le remplacerait ? Voudriez-vous, messieurs, revenir à celui que la régie a fait disparaître ? C'est alors qu'on pourrait dire, avec vérité, que des abus seraient possibles. Avant l'établissement de la régie, c'étaient les ingénieurs qui avaient la mission de payer leurs ouvriers, ainsi que toutes les dépenses urgentes. Les sommes nécessaires à cet effet étaient mises à leur disposition. Ils étaient donc véritablement administrateurs et comptables en même temps, et c'est précisément ce qu'on ne veut pas. Or, c'est pour faire cesser ce système que l'on a cru devoir charger un agent, tout à fait en dehors de l'administration ordinaire, qui n'a rien de commun avec l'ordonnance de la dépense, de faire les payements.
Des membres. - On n'est plus en nombre.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Il ne s'agit pas de voter, on peut continuer la discussion.
M. Rogier. - C'est un des articles les plus importants de la loi.
M. le président. - On peut toujours entendre la suite du discours de M. le ministre. (Adhésion.)
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - On a prétendu que l'emploi des sommes dépensées par la régie n'était pas justifié. Messieurs, quant aux dépenses normales, celles que paye la régie actuellement, il n'existe aucun retard ; la justification en est toujours présentée et au département des travaux publics et à la cour des comptes, dans le courant de l'année ; il y a, à la vérité, quelques dépenses arriérées dont la justification n'est pas encore complétement terminée ; mais dans l'état actuel des choses, la justification, je le répète, a toujours lieu dans le courant de l'année.
Je bornerai là mes observations, puisque la chambre n'est plus en nombre, et que l'on paraît désirer de lever la séance.
(page 808) M. Rogier. - J'ai à parler assez longuement sur cet article, qui est un des plus importants de la loi, et je me réserve de prendre la parole dans la séance de demain. Mais je dois protester dès à présent contre les paroles désobligeantes prononcées par M. le rapporteur, en ce qui concerne le directeur de la régie. Je tiens cet employé pour un parfait honnête homme, au-dessus de tout reproche, au-dessus surtout de toute espèce de soupçon. Cet employé a été nommé par l'honorable M. Nothomb, je l'ai trouvé en place lorsque je suis arrivé au ministère des travaux publics et mes successeurs l'ont maintenu. Tous les ministres, à partir de M. Nothomb, ont reconnu cette fonction comme indispensable, et il sera facile de démontrer que si la régie des chemins de fer n'existait pas, il faudrait l'inventer. Il ne faut pas se méprendre sur la nature de cette fonction.
Le directeur de la régie, c'est l'officier payeur des employés du chemin de fer payés par quinzaine. En principe ce n'est que cela. C'est du moins sa principale attribution. Maintenant le ministre lui a-t-il donné l'ordre de faire des payements en dehors de ses attributions courantes ? Cela est possible, mais ce fonctionnaire n'est nullement responsable des ordres qu'il a pu recevoir et auxquels il a dû se conformer. Aujourd’hui, je pense que tout est rentré dans l’ordre et que les fondions du régisseur du chemin de fer consistent principalement à payer le salaire des ouvriers. Or, ces fonctions-là sont semblables à celles des officiers payeurs de l'armée ; on ne signale pas d'abus dans cette opération, tandis qu'il y en avait avant la création de l'emploi dont il s'agit. Je crois devoir défendre ici et les fonctions, dont l'utilité est incontestable, et le fonctionnaire, que je connais particulièrement et dont je réponds personnellement.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Je n'avais pas compris que l'honorable rapporteur de la section centrale eût attaqué personnellement le directeur de la régie ; sans cela je serais venu joindre ma protestation à celle de l'honorable préopinant. Je puis aussi déclarer que ce fonctionnaire est un des hommes les plus honorables que je connaisse.
M. de Man d'Attenrode. - Ce que vient de dire M. le ministre des travaux publics nie dispenserait jusqu'à un certain point de prendre la parole. M. le ministre n'a rien vu dans mes paroles qui fût une attaque contre le directeur de la régie, et en effet je n'ai nullement eu l'intention de l'attaquer ; je ne le connais pas, je ne lui ai jamais parlé ; je crois que ses fonctions sont utiles ; mais ce que j'ai attaqué c'est l'abus qui consiste à réunir sur un même homme les fonctions d'ordonnateur et de comptable.
Je n'ai pas voulu attaquer la personne, je suis persuadé qu'elle est parfaitement intègre ; j'ai seulement voulu attaquer un vice de comptabilité, et cet abus résulte, non de la faute des hommes, mais de l'absence d'une règle, d'une loi de comptabilité.
L'honorable M. Rogier a demandé que quelques pièces fussent jointes comme annexes au rapport de la section centrale. Je m'associe à ce vœu, et je prie la chambre de vouloir bien ordonner l'impression de ces pièces qui sont : 1° l'arrêté du 30 mars 1843, par lequel le gouvernement a prorogé le privilège de l'ancienne banque jusqu'en 1853 ; 2° l'arrangement fait par le gouvernement avec le caissier général ; 3° les statuts de la banque de France.
M. le président. - Veuillez, M. de Man, reproduire cette proposition à l'ouverture de la séance de demain, ; la chambre n'est plus en nombre.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.