(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 661) M. Huveners procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. A. Dubus donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Massart, cultivateur au Trieu de Salzinne, prie la chambre de lui faire obtenir le complément de l'indemnité qui lui revient à titre de pertes essuyées par suite des événements de guerre de la révolution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal des Awirs demande que le chemin de fer de Liège à Namur soit établi sur la rive gauche de la Meuse ».
- Sur la proposition de M. Thyrion, renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
(page 662) « Dépêche de M. le ministre de l'intérieur accompagnant l'envoi de l'état détaillé des dépenses pour l'instruction primaire. »
- Pris pour notification.
M. le président. - Notre vice-président, M. Vilain XIII, m'annonce qu'il a eu la douleur de perdre un de ses enfants ; il me charge de demander pour lui un congé à la chambre.
- Le congé est accordé.
M. de Garcia. - La section centrale du budget de la guerre était présidée par l’honorable M. Vilain XIIII. Elle n'a pu jusqu'ici avoir qu'une séance ; elle avait demandé des renseignements qui viennent de lui parvenir. Il est, je crois, urgent qu'elle termine son travail, sans quoi la chambre n'aurait rien à son ordre du jour. Je demande que M. le président avise à faire présider cette section centrale.
M. le président. - J'aurai l'honneur d'en conférer avec M. le ministre de la guerre.
M. Delehaye, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les ventes à l'encan, dépose le rapport sur ce projet de loi.
- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer) présente deux projets de loi, le premier relatif à la comptabilité des commissions médicales ; le second, relatif à une délimitation de communes.
- La chambre donne acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation de ces projets de loi, en ordonne l'impression et la distribution, et les renvoie à l’examen de commissions à nommer par le bureau.
M. de Renesse. - Je demanderai à l'honorable ministre de l'intérieur s'il ne compte pas présenter bientôt à la chambre un projet de loi de crédit supplémentaire pour le service de l'école vétérinaire de l'Etat, service qui n'a été assuré que pour dix mois. Le prédécesseur de M. le ministre de l'intérieur avait promis de faire une enquête sur la situation de cet établissement. Je demande si M. le ministre de l'intérieur compte déposer bientôt ces documents et si nous en aurons connaissance avant la discussion du budget de l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je me serais déjà empressé de faire à la chambre le rapport que mon prédécesseur lui avait promis, si je n'avais pas résolu de subordonner la demande de crédit à la présentation d'un projet de loi. Je présenterai sous peu à la chambre, et en même temps, la demande de crédit, le rapport et le projet de loi.
M. le président. - La parole est à M. de Haerne sur l'ensemble du budget.
M. de Haerne. - Dans la séance d'hier, un honorable membre s'est élevé contre les observations que j'avais faites, précédemment, sur la question qui nous occupe. Il m'a mis en quelque sorte dans la nécessité de relever ses paroles, quoique cependant, je l'avoue, je ne le fasse qu'avec un grand regret, parce que je trouve que cette question est un hors-d'œuvre pour la législature.
D'abord l'honorable membre auquel je réponds m'a fait un reproche, en disant que je me mettais en quelque sorte au-dessus des lois. Généralisant la pensée qu'il m'attribue, il a prétendu que je voulais placer au-dessus des lois un corps tout entier. L'honorable membre (je suis persuadé que la chambre ne s'est pas fait illusion à cet égard, qu'elle n'a pas pris le change) n'a pas exposé ma pensée telle que je l'avais exprimée ; il n'a pas tenu compte de mes paroles, telles que je les avais présentées ; pour le dire en un mot, il a tronqué mes paroles.
Il est vrai que j'ai dit que nous n'avions pas à nous occuper, dans cette question, du concordat et des articles organiques, qui sont abrogés en ce qu'ils présentent de contraire à la Constitution ; mais je n'ai pas dit que je les rejetais en tous points. J'ai dit que, dans le débat actuel, nous devions nous en tenir à la Constitution qui suffit pour apprécier la question de la révocabilité du succursaliste. Je n'admets ici que la Constitution.
J'ai écarté toute autre considération. J'ai dit en un mot que la discussion devait se renfermer dans la question constitutionnelle, et loin de m'opposer à la loi, je me suis appuyé au contraire sur la loi des lois, sur la Constitution. J'insiste sur ce point pour qu'on ne tronque plus ma pensée.
On m'a fait aussi une espèce de reproche, en disant : Vous ne parlez pas des lois canoniques ; vous ne parlez pas du concordat ; vous oubliez les articles organiques. Eh bien, oui, j'ai passé tout cela sous silence à dessein, parce qu'il me semble que ce n'est pas là la question, que nous devons nous renfermer dans le pacte fondamental, dont l'article 16 est clair comme le jour, pour résoudre la difficulté qu'on a soulevée.
Je vous avoue, messieurs, qu'il me répugnait de me placer sur ce terrain, d'entamer une discussion canonico-politique de la nature de celles auxquelles j'ai pris part au congrès où elles se présentaient naturellement à propos des principes constitutionnels à arrêter, mais qui ne se sont plus renouvelées depuis lors dans cette enceinte, parce qu'elles offrent un non-sens en présence de la liberté des cultes telle qu'elle est admise en Belgique. Il me répugnait de relever les objections tirées des lois canoniques, de venir ici vous parler latin, de fatiguer vos oreilles par un langage baroque. (On rit.)
Oui, messieurs, ce serait un latin baroque. Cela n'a rien de personnel pour les honorables membres qui ont parlé de la sorte, mais cela se rapporte aux paroles latines qu'ils ont cru devoir prononcer et que j'aurais dû reproduire fidèlement. Cette discussion n'aurait même pas pour vous un agrément littéraire. Ainsi je n'ai pas voulu braquer canons contre canons. Cette guerre ne serait pas de votre goût. Je n'ai pas voulu ériger en quelque sorte la chambre en concile. Je le répète, les lois canoniques ne devaient pas être invoquées.
Mais enfin puisqu'on veut que j'en parle, puisqu'on veut que nous touchions un mot du droit canon, j'y consens. Je fais mes réserves en répétant que la question est toute constitutionnelle, mais j'ajouterai que puisqu'on veut invoquer le droit canon, à propos de l'inamovibilité des succursalistes, le droit canon est encore contre ceux qui prétendent que celle inamovibilité, dans l'état actuel des choses en Belgique, doit exister. Je le démontrerai, de même que pour ce qui regarde le concordat, sans même examiner la question de savoir si le pape peut réformer les canons, ce qui nous ferait faire un mouvement rétrograde jusqu'à 1682.
Je dirai d'abord que l'inamovibilité est admise en principe, au point de vue canonique, qu'elle est conforme à l'esprit de l'Eglise, à la discipline ecclésiastique générale, et que les catholiques doivent la désirer pour autant qu'elle est possible, non seulement pour les cures proprement dites, pour les cures cantonales, mais encore pour les succursales. Je dis que cela est dans les vues, dans l'esprit de l'Eglise. Mais pour présenter la question au point de vue canonique, il faut bien remarquer que l'inamovibilité exige un titre, une condition qui est la condition du bénéfice, à prendre le droit canon seul. Le bénéfice doit être inamovible par lui-même, immobile ; le bénéfice canonique pris en général consiste dans la dîme ou dans un établissement de mainmorte, et je ne pense pas que l'honorable membre qui a invoqué ce moyen de défense pousse le zèle pour le droit canon jusqu'au point d'admettre ces conséquences pour la Belgique.
Cependant il devrait aller jusque-là. au point de vue canonique.
M. le président. - J'engage l'honorable membre à se renfermer dans l'objet de la discussion et à abandonner le débat sur le droit canon, qui relativement à la chambre est réellement oiseux.
M. de Haerne. - Je n'ai fait que répondre à l'objection qui m'était faite. Je m'étonne que notre honorable président n'ait pas interrompu l'honorable membre qui est entré dans tous ces détails. J'ai commencé par dire que c'était avec le plus grand regret que je traitais cette question. Je demande à la chambre qu'il me soit permis de répondre à l'objection qu'on m'a adressée. Je serai aussi court que possible.
On a parlé du concordat, On a dit que je devais me placer au poiut de vue du concordat et des articles organiques.
Cette question vous paraîtra, je pense, messieurs, un peu plus intéressante.
J'espère que la chambre me permettra d'exposer mes idées à cet égard.
On a donc prétendu qu'en vertu du concordat, en vertu des articles organiques, postérieurs au concordat, qui ont été portés contrairement à l'esprit du concordat, on a prétendu, dis-je, qu'on devait admettre l'inviolabilité des succursalistes.
Je vous demanderai la permission de lire l'article du concordat qui a trait à l'institution des cures. Nous avons dans le concordat les articles 9 et 10, où il est dit :
« Art. 9. Les évêques feront une nouvelle circonscription de paroisses de leurs diocèses, qui n'aura d'effet que d'après le consentement du gouvernement. »
J'appuie sur ces derniers mots, parce qu'ils sont décisifs dans la question.
« Art. 10. Les évêques nomment aux cures. Leur choix ne pourra tomber que sur des personnes agréées par le gouvernement. »
L'article ne fait aucune distinction entre les cures et les succursales. Je vous prie de remarquer que, quoique la deuxième partie de l'article soit abrogée par la Constitution, elle n'est pas inutile dans la question qui nous occupe. C'est un point que je devrai invoquer pour en tirer parti.
Ensuite nous avons, pour ce qui regarde les articles organiques, l'article 31 et l'article 63 qui ont été invoqués à plusieurs reprises dans cette discussion.
L'article 31 dit : « Les vicaires et desservants exerceront leur ministère sous la surveillance et la direction des curés.
« Ils seront approuvés par l'évêque et invoqués par lui. »
L'article 63 dit : « Les prêtres desservant les succursales seront nommés par les évêques. »
Messieurs, voilà les articles du concordat et de la loi organique, qui, seuls, peuvent être invoqués dans cette discussion. Voyons jusqu'à quel point on peut en argumenter pour soutenir ce que l'on a avancé.
Je dirai, en passant, que la signification du mot desservant, d'après l'origine du mot, et le sens canonique qu'on lui a toujours donné, se rapporte à ces ecclésiastiques qui desservent provisoirement un emploi. Telle est la définition qu'on en voit dans le droit canon.
Quant aux desservants nommés par les curés et dont a parlé l'honorable députés de Bruxelles, qui a pris la parole après M. de Bonne, je dirai qu'ils n'existent que dans l'imagination de l'honorable membre.
Il est donc dit dans le concordat, à l'article 9, qu’il sera érigé des paroisses d'après une nouvelle circonscription qui devra être approuvée par le gouvernement.
Je vous prie, messieurs, de bien faire attention à ce point ; c'est le point capital. Notez aussi que toutes les paroisses, de quelque dénomination (page 663) qu'elles fussent, étaient supprimées avant cette circonscription. Cette circonscription a eu lieu par la suite, et elle était cantonale, c'est-à-dire, qu'il y avait une paroisse, une cure par canton ; de sorte que, d'après le concordat, on n'a considéré comme curés que les prêtres qui appartenaient à cette circonscription cantonale, et que toutes les autres cures qui avaient existé précédemment et qui venaient d'être supprimées, sont restées supprimées et ont été envisagées comme des vicaires dépendant des cures primaires établies dans chaque canton.
Voilà le véritable sens de l'institution des cures. C'est ainsi qu'on l'a toujours entendu ; on n'a qu'à voir le concordat, l'histoire de l'exécution du concordat et les articles organiques pour s'en convaincre.
Voulez-vous, messieurs, une preuve frappante que la chose a toujours été entendue dans ce sens, et que jamais on n'a considéré les desservants ou succursalistes comme des curés proprement dits et inamovibles ? C'est que dans l'article 10 du concordat que je viens de lire, il est dit que les présentations qui seront faites pour les cures par les évêques devront être agréées par le gouvernement. Or, il est de fait, et vous le savez, que ni en France, ni sous l'ancien royaume des Pays-Bas, jamais le gouvernement n'a exigé le droit d'agréation pour les ecclésiastiques nommés aux succursales. Il n'a exigé ce droit que pour ce qui concerne les nominations aux cures cantonales.
Tel est donc le droit établi par le concordat. Je pourrais citer d'autres preuves ; mais je crois que celle de l'agréation du gouvernement est suffisante pour faire voir à toute évidence qu'il n'y avait de cures aux yeux du gouvernement, et par conséquent aux yeux du saint-siège, que les cures cantonales qui seules avaient un titre en guise de bénéfice.
Plus tard, messieurs, je le sais, la nécessité a forcé le clergé à transformer en quelque sorte en cures les succursales pour les besoins du service, parce que vous comprenez qu'il était impossible de suffire au service ecclésiastique avec une seule cure par canton.
Messieurs, lorsqu'on a conclu le concordat, on n'avait pas songé à cet inconvénient, et je dois dire aussi que, de la part du gouvernement français, il n'y a pas eu grande sincérité, il n'y a pas eu grande loyauté vis-à-vis du saint-siège. Napoléon disait qu'il était à cheval sur les quatre articles du culte gallican. Mais il s'est mis à cheval sur les 77 articles organiques, et en agissant ainsi, il a déchiré d'un coup de botte le concordat.
On s'était attendu, quant à cette circonscription dont on faisait mention dans le concordat, à une circonscription beaucoup plus étendue. On avait pensé que les anciennes cures auraient presque toutes été rétablies, d'après les besoins du culte. Mais il n'en a rien été ; on s'est contenté d'instituer le cures cantonales.
Je suis même porté à croire que le gouvernement avait cette intention lorsque, dans les articles organiques, il a affecté de placer les desservants après les vicaires. C’était, je pense, pour faire ressortir la position secondaire des desservants ; et ceci peut servir de réponse à l'honorable membre qui a cru qu'il s'agissait là d'une catégorie spéciale de desservants, nommés par les curés, catégorie qui, comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, n'a jamais existé.
En d'autres termes, on trouve quelquefois le mot vicaire placé avant le mot desservant : c'était, je crois, avec intention pour annuler en quelque sorte ces places, qui auparavant étaient de véritables cures. Ceci entrait dans les vues secrètes que l'on avait d'amoindrir les effets du concordat, et, il faut bien le dire, de jouer le saint-siège.
Messieurs, la question de l'inamovibilité se présente encore sous une autre face, et je dois nécessairement traiter ce point. Car je sens l'objection que l'on va me faire et que l'on serait fonde à me faire. Si l'on ne faisait pas attention au point que je vais toucher, on me dirait : Vous prétendez que, d'après le droit canon l'inamovibilité est inhérente au bénéfice, bénéfice qui lui-même est immobilisé, qui est une institution de main morte ou bien la dîme. Cependant vous devez reconnaître, me dirait-on, que d'après le concordat, les cures primaires entraînent l'inamovibilité, sauf le cas de révocation par jugement canonique. Oui, messieurs, mais je vais vous en donner la raison. Cela est également conforme à tout ce que je viens de vous dire sur le concordat et sur les articles organiques.
Pourquoi les cures primaires emportent-elles la condition de l'inamovibilité ? Parce que le traitement conféré aux cures primaires est aussi immobile, parce qu'il dépend de la circonscription stipulée dans un contrat synallagmatique, savoir le concordat, et que par là il est assimilé aux institutions de mainmorte ou à la dîme, que le droit canon regardait comme des bénéfices. Mais il n'en est pas de même pour les succursales. Car les succursales n'étaient pas comprises dans les cures établies par la circonscription, les succursales étaient considérées comme de simples vicairies. Le traitement attaché à ces places n'était pas stipulé par le concordat et par conséquent il dépendait de la législature ; il n'avait rien d'immobile, il pouvait être modifié, supprimé par la loi.
Voilà pourquoi l'inamovibilité n'a pas été annexée à ces places que l'on appelle succursales. Si quelques exceptions ont été admises, quant à ces places, ce n'a été qu'en les faisant entrer dans la catégorie de celles qui appartenaient à la circonscription arrêtée par le concordat, en les soumettant à la condition de faire agréer par le gouvernement les titulaires nommés à ces places.
Telles sont, messieurs, les observations à faire, lorsqu'on veut se placer au point de vue du droit canon, du concordat et des articles organiques, point de vue auquel on n'aurai pas dù se placer. Mais, je le répète, j'ai été forcé de suivre mes adversaires sur le terrain où ils m'ont conduit.
Messieurs, il me reste un dernier mot à dire par rapport à des attaques, à des suppositions malveillantes que j'ai trouvées ce matin, à mon adresse, dans certains journaux, et qui résultent, je pense, de certaines insinuations qui avaient été faites hier dans cette discussion.
On a fait entendre que je m'opposais à ce que les succursalistes devinssent inamovibles à l'avenir, et on m'a attribué à cet égard je ne sais quelles intentions. Messieurs, il n'en est rien. Je proteste de toutes mes forces contre une telle supposition. Je désire et je désire vivement que cette inamovibilité puisse avoir lieu. Car je crois, comme je l'ai déjà dit, qu'elle est dans l'esprit de l'Eglise, qu'elle est conforme au droit canon antérieur au concordat et que ce n'est que par la force des circonstances, par les malheurs des temps que cette discipline a été changée. Mais je n'ai pas cru devoir entrer dans cet ordre d'idées hier, parce que je ne pensais pas que personne pût se tromper à cet égard, que personne pût prendre le change sur mes intentions.
L'honorable M. Lebeau a demandé à M. le ministre de la justice s'il ne serait pas possible, par une intervention officieuse près des dignitaires ecclésiastiques, près du saint-siège, d'arriver à cette inamovibilité en ce qui concerne les succursales. Au point de vue ecclésiastique, au point de vue religieux, je dois vous avouer que je ne trouverais pas le moindre inconvénient à ce que cette intervention officieuse eût lieu. Pour ma part, j'y souscrirai de grand cœur.
Mais si je ne vois point d'inconvénient au point de vue religieux, je trouve qu'il y en a beaucoup au point de vue politique. Je vous dirai, à cet égard, toute ma pensée. Voici les difficultés que je crois qu'on rencontrerait au point de vue politique, et c'est ce qui m'a engagé hier à garder le silence sur ce point. Je pense que si les succursalistes devenaient inamovibles, il en résulterait, comme vous l'a dit l'honorable M. Lebeau, de grands changements. Ainsi il faudrait songer à une augmentation de traitement, et l'honorable M. Lebeau lui-même a dit hier que si l'état de nos finances le permettait, il croirait qu'il faudrait améliorer la position du clergé secondaire sous ce rapport.
Voyez, messieurs, la conséquence qui résulterait de l'établissement de l'inamovibilité pour les succursales. Du moment que vous admettez cette inamovibilité pour les succursales, vous en faites des cures ; vous faites une, nouvelle circonscription de cures, et. par conséquent, vous rentrez dans le concordat. Dès lors les succursalistes sont placés sur le même rang que les curés cantonaux. Or, alors les lois, les règlements, en ce qui concerne les traitements, leurs deviennent applicables et vous devez leur accorder le traitement de curé.
Je sais, messieurs, qu'il y a des membres de cette chambre qui ne reculeraient pas devant cette difficulté, devant cette augmentation de dépenses mais la chambre entrerait-elle dans cette voie ? J'en doute beaucoup, surtout lorsque je vois l'état de nos finances, et Dieu sait quand nos ressources financières seront assez grandes pour songer à une pareille amélioration.
Remarquez encore un fait. Il y a une foule de succursales qui sont au moins aussi importantes, qui sont même plus importantes que des cures proprement dites, que des cures primaires. Dès lors quel motif y aurait-il de ne pas placer ces desservants dans la position où se trouvent les cures proprement dits ?
Vous voyez donc que vous arrivez à une grande augmentation de dépenses, de quelque manière que vous vouliez prendre la question. Car j'espère bien qu'en ce qui concerne les curés vous ne prétendez pas qu'il faut diminuer leur traitement et donner aux dispositions établies à cet égard un effet rétroactif. Seulement vous pourriez dire que pour l'avenir on y songerait, que l'on établira une moyenne. Mais quelle que fût cette moyenne, elle entraînerait nécessairement une grande augmentation de dépenses à cause du grand nombre de succursales qui existent, comparativement au nombre des cures proprement dites. C'est là, messieurs, une très grande difficulté dans l'état actuel de nos finances.
Il est une autre difficulté, messieurs, toujours au point de vue politique. D'après le droit ecclésiastique et disciplinaire existant aujourd'hui, les curés inamovibles sont l'exception et les autres forment la règle ; si l'inamovibilité était appliquée à toutes les cures, il en résulterait de grands embarras pour les cas où l'autorité supérieure devrait agir dans l'intérêt de la discipline ; aujourd'hui ces cas sont infiniment rares, mais ils pourraient se multiplier par les circonstances des temps, des opinions, des doctrines nouvelles.
Pour que cette inamovibilité pût être établie d'une manière générale et régulière, il faudrait une autre organisation de l'état ecclésiastique ; il faudrait des moyens propres à prévenir les inconvénients qui pourraient résulter de ce nouvel état de choses. Il faudrait alors reconstituer ce qu'on appelle dans l'état ecclésiastique les officialités, c'est-à-dire les tribunaux ecclésiastiques qui coexistaient autrefois avec le principe de l'inamovibilité.
Or d'après le droit canon, encore une fois, ces tribunaux doivent pouvoir requérir en tout temps le bras séculier pour l'exécution de leurs décrets. Je dis que c'est là une difficulté grave au point de vue politique, et qui certes mérite bien qu'on y fasse attention. Je dis que c'est là une chose fort délicate, et c'est pour cela qu'on a considéré les cures succursales non pas comme de véritables cures, mais seulement comme des espèces de vicairies d'un ordre supérieur, mais entraînant la condition de la révocabilité. C'est pour cela aussi que l'autorité supérieure ecclésiastique n'a pas encore touché à cette question.
Messieurs, je termine en disant de nouveau que je suis loin de m'opposer à l'inamovibilité, que je désire, au contraire, qu'elle puisse se réaliser, parce que je suis persuadé qu'elle est conforme à la discipline de l'Eglise. Mais cette question peut faire surgir des difficultés vis-à-vis du pouvoir civil, et je crois qu'on aurait mieux fait de ne pas la traiter, parce que ce débat est complétement oiseux. Ce qui est certain, c'est que dans cette question, nous (page 664) n'avons qu'à invoquer la Constitution qui est claire, qui, dans son article 16, interdit l'intervention de l'Etat dans la nomination des ministres du culte. Comme j'ai eu l'honneur de le dire hier, il s'agit ici de nominations qui sont toujours conditionnelles, et on ne peut pas empêcher l'autorité ecclésiastique de faire les nominations de cette manière, puisqu'on ne peut intervenir sous quelque rapport que ce soit dans ces nominations. Quant au droit canon, au concordat et aux articles organiques dont mes honorables contradicteurs veulent absolument s'étayer, je crois, messieurs, vous avoir démontré qu'ils y trouvent la réfutation complète de leurs doctrines.
M. Wallaert. - Vous me permettrez, messieurs, d'observer d'abord que les desservants ne se plaignent pas d'être révocables. Je ne connais pas de plaintes de cette nature, et d'ailleurs nos évêques administrent leurs diocèses avec trop de prudence pour que des plaintes puissent être faites raisonnablement. Je ne crois pas non plus que les desservants se croient plus malheureux à cause de leur amovibilité que les curés allemands, espagnols ou italiens, etc. ; au moins je n'en ai jamais entendu parler par les desservants mes amis et mes anciens confrères.
Je ferai observer, en second lieu, que c'est une question très sérieuse que celle de savoir s'il est plus avantageux à la religion, dans notre pays, que les desservants soient amovibles ou inamovibles. Les meilleurs esprits et les personnes le mieux intentionnées ne sont pas d'accord là-dessus. Nous devons laisser au souverain pontife et au corps épiscopal belge le soin de cette question et ne pas nous en occuper à la chambre, parce que la chambre est incompétente, selon moi, sur ce point.
La religion catholique, messieurs, comprend : 1° le dogme, c'est-à-dire les points de la doctrine catholique, et qui ne change pas ; 2° la morale qui détermine le bien ou le mal des actions humaines, qui ne change pas non plus ; 3° la discipline qui est le règlement des cérémonies religieuses, des personnes ecclésiastiques, et le gouvernement de l'Eglise, pour autant qu'il n'est pas déterminé par l'Ecriture sainte et les traditions apostolique, et cette discipline peut changer et a changé assez souvent dans quelques points lorsque certaines circonstances l'exigeaient.
J'arrive maintenant, messieurs, à l'amovibilité des desservants, et je dis que toute cette question dépend uniquement du concordat de 1801, et de la nouvelle circonscription qui a été faite des évêchés et des paroisses en conséquence de ce concordat. Par ce concordat étaient supprimés non seulement tous les évêchés, mais encore toutes les paroisses de la France et des pays conquis. Une nouvelle circonscription fut faite des évêchés et des paroisses. Chaque chef-lieu de canton fut érigé en cure proprement dite. Furent érigés en cures de première classe les chefs-lieux de canton qui avaient au-dessus de 5,000 âmes de population, et en cures de deuxième classe les chefs-lieux de canton qui avaient au-dessous de 5,000 âmes. Les titulaires des chefs-lieux de canton furent nommés par les évêques, avec l'agréation du premier consul et portaient le titre de curé proprement dit, le parochus du concile de Trente. Les autres communes ou parties de commune furent érigées en succursales en annexes de la cure primaire ou secondaire, et les délégués de ces communes ou parties de commune furent nommés par leurs évêques respectifs et furent désignés sous le nom de desservants pour les succursales, et sous celui de chapelains pour les annexes, avec mission et juridiction temporaires révocables par les évêques, usque ad revocationem. Cette clause fut et est encore insérée dans leurs lettres de nomination et d'institution, lettres lues devant le peuple le jour de l’installation du desservant et, dans cette cérémonie, le desservant promet, devant les autels, obéissance à son évêque.
Je pense, messieurs, que par cet exposé, vous comprendrez facilement que le concordat de 1801, et la nouvelle circonscription des paroisses faite en exécution de ce concordat, ont change complétement la discipline, et que l'ancienne discipline touchant l'inamovibilité des curés, ne peut pas être applicable aux desservants.
Cette discipline a pour preuve de son existence et de son introduction la convention du saint-siège avec le premier consul et la nouvelle circonscription des paroisses, l'application de cette discipline par les évêques pendant plus de 40 ans, sans réclamation et du consentement du saint-siège. Par notre séparation d'avec la France en 1814, rien n'a été changé sous ce rapport-là, et par notre révolution de 1830 non plus.
Cette discipline de l'amovibilité des desservants existe donc pour la Belgique. Les évêques nomment donc, d'après cette discipline, les desservants avec mission et juridiction temporaires usque ad revocationem. Le révoqué perd, avec sa mission, son droit au traitement. L'évêque nomme donc un autre à la place du révoqué d'après la discipline de l'Eglise. La chambre donc n'a rien à y voir d'après les articles 14 et 16 de la Constitution. et quant au révoqué, comme il l'a été par l'autorité compétente et dans les limites du pouvoir de cette autorité, ni le ministre, ni les chambres, ni les tribunaux ne sont compétents dans ces affaires. Au surplus, messieurs, d'après la liberté des cultes qui existe en Belgique et la non-intervention de l'Etat dans la nomination ou dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, je pense, messieurs, que la discussion sur l'amovibilité ou l'inamovibilité des desservants, etc., n'est pas du ressort des chambres législatives, et que la législature ferait bien de laisser ces questions à l'autorité compétente, c'est-à-dire au saint-siège et à nos respectables évêques belges.
L'Etal n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination, ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque.
M. Dumortier. - Voilà trois jours que nous discutons une question qui n'est pas de la compétence de la chambre. Je pense qu'il est temps enfin d'en venir à des objets plus sérieux pour nous. Nous ne sommes point ici pour traiter des questions théologiques ; on ne peut pas transformer la chambre en concile. Faisons des lois, c'est là notre mission ; tâchons de donner du pain et des pommes de terre au peuple, ce sera mieux occuper notre temps que de le gaspiller en discussions qui ne peuvent conduire à aucune espèce de résultat.
Je demande qu'on mette fin à ce débat, et qu'on aborde la discussion du budget.
M. le président. - Vous venez d'entendre la motion de M. Dumortier. Elle tend à ce que dans la discussion générale il ne soit plus parlé je ne dirai pas de l'incident, car ce n'en est pas un, mais de la question soulevée par M. de Bonne.
M. de Haerne. - Je pense que la motion de l'honorable M. Dumortier doit être prise comme un simple avertissement. Moi-même j'ai répété, à différentes reprises, que je n'entrais qu'à regret dans cette discussion, que je le faisais uniquement parce que je croyais devoir répondre à certaines observations qui avaient été faites ; mais si des membres veulent traiter la question soulevée par l'honorable M. de Bonne, je pense qu'on ne peut pas les en empêcher.
M. Dumortier. - Je prie mon honorable collègue, M. de Haerne, de croire que je n'ai pas voulu faire allusion à lui. Il a répondu aux discours qui avaient été prononcés ; c'était son droit, c'était même son devoir, mais, je pense que nous devons tous désirer la fin de ce débat qui ne peut nous mener à rien. Je demande donc qu'on prononce la clôture de la discussion et qu'on en vienne enfin à voter les budgets. Nous voilà arrivés à la mi-février et nous avons à peine entamé la discussion des budgets. Je dis que nous ne sommes pas ici pour traiter des questions théologiques. Je dis qu'on transforme le parlement en concile lorsqu'on lui soumet des questions de la nature de celle qui nous occupe depuis trois jours et que la Constitution défend, non seulement de résoudre, mais même d'examiner. Car nous faisons partie de l'Etat et, aux termes delà Constitution, l'Etat ne peut intervenir d'une manière quelconque dans la nomination des ministres du culte.
Un grand nombre de membres. - La clôture ! la clôture !
M. de Bonne. - Je n'insiste pas devant la chambre pour pouvoir réfuter les arguments des honorables membres qui ont cru devoir répondre au discours que j'ai prononcé dans l'avant-dernière séance ; mais je déclare à l'honorable M. Dumortier, que dans toutes les sessions, chaque fois qu'il sera question du budget de la justice, comprenant le chapitre des cultes, je reproduirai mes observations jusqu'à ce qu'il y soit fait droit.
M. Delehaye. - Je crois, messieurs, que vous ne pouvez pas prononcer la clôture à cause de l'incident qui s'est soulevé....
M. le président. - Il n'y a pas d'incident.
M. Delehaye. - S'il n'y a pas d'incident, il n'en est pas moins vrai que jusqu'à présent on n'a pu traiter aucune question se rattachant directement au budget de la justice. On voudrait donc fermer la bouche aux membres qui voudraient examiner ces questions.
M. Dumortier. - Non, non.
M. Delehaye. - Ce n'est pas l'intention de l'honorable M. Dumortier, mais ce serait la conséquence de sa proposition.
Je le répète, messieurs, il n'est pas possible de clore en ce moment la discussion générale.
M. Dumortier. - Ce qui est certain, messieurs, c'est que depuis trois jours nous discutons de manière à ne pouvoir arriver à aucune espèce de résultat. Les discours s'enchevêtrent de la manière la plus étrange : on prononce un discours sur la question théologique, puis un discours sur l'augmentation du personnel du tribunal de Louvain. C'est vraiment la confusion des langues, c'est la tour de Babel. Je demande que la discussion générale soit close ; et si des membres ont des observations à présenter sur le budget, ils en trouveront l'occasion dans la discussion des articles, d'autant plus que, suivant les habitudes de la chambre, si un seul membre le désire, on ouvre une discussion générale sur tel ou tel chapitre du budget.
Du reste je ne m'oppose pas même à ce que la discussion générale continue, pourvu qu'on termine la discussion sur l'incident.
M. Lebeau. - Il n'y a pas d'incident.
M. Dumortier. - Sur la motion si vous l'aimez mieux.
M. Lebeau. - Il n'y a pas de motion.
M. Dumortier. - Eh bien ! sur les interpellation.
M. Lebeau. - Il n'y a pas d'interpellations.
M. Dumortier. - Il n'y a donc rien !
Je dis, messieurs, qu'il y a des interpellations, et il est si vrai qu'il y a des interpellations que M. le ministre de la justice y a répondu. Eh bien, si la réponse de M. le ministre ne convient pas aux honorables membres qu'ils usent de leur droit d'initiative, qu'ils présentent un projet de loi et alors au moins nous saurons ce que nous discutons.
Certes le discours ou plutôt le mémoire de l'honorable M. de Bonne est très remarquable à son point de vue ; mais ce n'est pas une raison pour que la chambre consacre 8 jours à la discussion d'une question à laquelle elle ne peut donner aucune espèce de solution.
M. Dubus (aîné). - Je dois faire observer à la chambre qu'il y a un véritable incident. L'honorable M. de Bonne a adressé des interpellations à M. le ministre de la justice, et c'est à l'occasion de ces interpellations, c'est pour faire comprendre ces interpellations à M. le ministre et à la chambre, qu'il a prononcé ce discours ; M. le ministre lui a répondu et c'est sur ce seul point que la discussion s'est établie et a continué hier et aujourd'hui. Il me semble donc qu'il y a lieu de prononcer la clôture sur l'incident et d'aborder enfin la discussion générale du budget, qui n'a pas même commencée.
(page 665) Je disais hier que probablement personne n'avait rien à dire dans la discussion du budget parce qu'aucune membre n'avait abordé cette discussion..
Aujourd'hui des membres ont demandé la parole à cet effet ; eh bien, je demande qu'ils soient entendus et qu'on mette fin au débat soulevé par les interpellations de M. de Bonne.
M. le président. - M. Dubus propose de clore la discussion relative à la question soulevée par M. de Bonne.
M. Fleussu. - Je partage l'opinion qui a été exprimée tout à l'heure par M. le président, qu'il n'y a pas d'incident ; il y a, si vous le voulez, une question spéciale dans la discussion générale ; c'est là le véritable caractère qu'il convient de donner à l'objet de ce débat. Eh bien, je demande à la chambre s'il lui appartient de m'imposer silence sur cette question spéciale ? Il y a des points dans cette question qui n'ont pas été suffisamment traités et sur lesquels j'ai, moi, des observations à présenter. Ainsi, par exemple, M. le ministre de la justice a traité la magistrature d'une manière que je trouve un peu cavalière et qui m'étonne beaucoup de la part d'un ministre de la justice. Il a formellement méconnu l'autorité de la chose jugée. Vous m'empêcherez donc de répondre sur ce point à M. le ministre ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non ! non !
M. Fleussu. - C'est cependant à l'occasion de la question spéciale que vous avez émis la doctrine dont je viens de parler, et si la clôture est prononcée sur cette question, il est évident que je ne pourrai pas vous répondre.
Je demande que nous restions libres ; les cultes sont dans les attributions de M. le ministre de la justice ; que chacun fasse ses observations comme il l'entend ; nous perdons plus de temps à élever des incidents de clôture que l'examen de la question spéciale n'en demanderait ; car je ne pense pas qu'il soit dans l'intention de beaucoup de membres de traiter cette question qui, j'en conviens, a occupé assez longtemps l'attention de la chambre et du pays.
M. le président. - Je mets aux voix la clôture sur la question spéciale traitée par M. de Bonne.
- Il y a doute : la discussion continue.
M. le président. - La parole est à M. de Bonne.
M. de Bonne. - Messieurs, le discours remarquable de M. Lebeau qui a examiné en véritable homme d'Etat les questions constitutionnelles qu'ont soulevées mes interpellations, et les réponses de mon honorable collègue et ami, M. Verhaegen, qui a réfuté victorieusement, me semble-t-il, les objections faites aux principes que j'ai exposés, on rendu ma tâche légère et facile.
J'avoue que je ne me suis pas attendu à ce que mes observations prendraient une aussi grande étendue : je ne les regrette pas, si elles peuvent éveiller l'attention du gouvernement et l'engager à s'occuper de régulariser un état de choses qui pourrait par la suite lui donner de graves embarras.
Je me range donc à l'opinion de cet honorable collègue, M. Lebeau, pour les mesures qu'il conseille de prendre par le gouvernement. Je le remercie de tout ce qu'il a dit de flatteur pour moi, et je n'ai plus rien à ajouter à ce qu'il a adressé à M. le ministre de la justice, dont j'avais senti le peu de politesse dans la réponse qu'il m'a faite ; je me tiens pour satisfait. Je n'abuserai pas des moments de la chambre, je n'ai que peu de chose à ajouter. M. le ministre de la justice nous a dit que l'interprétation de l'article 31 de la loi organique, n'avait pas été la cause du voyage à Rome de M. l'évêque de Liège, cela est possible, quoiqu'il me reste quelque doute, car la raison que M. le ministre a donnée me semble bien faible ; il est de règle de discipline canonique, a-t-il dit, que tout évêque fasse un voyage à Rome et cela tous les deux ans.
Quoique je sois un bien petit canoniste, ignorant même, je crois que cette règle, si elle existe, est bien moderne et presque inconnue.
Un évêque peut être appelé à Rome, alors il est de son devoir de s'y rendre.
Lorsque la barrette ou le chapeau de cardinal lui est donné, il est d'usage d'aller le recevoir. Mais cela n'est pas de rigueur.
Je passe à d'autres points. Je maintiens ce que j'ai dit : que les desservants de succursales sont de véritables curés, qu'ils ont charge d'âmes et qu'ils sont inamovibles autrement que par jugement, et cela tant d'après le droit canonique ancien que par celui introduit par la loi organique, que je considère comme abrogée. M. l'abbé de Haerne, nous a dit que la réponse du Saint-Père avait dissipé tous les doutes ; que maintenant c'était un principe nouveau, déclaré.
A cela je répondrai avec tout le respect que je dois et que j'ai pour les décisions de notre saint père qu'un principe, qu'une loi canonique de l'Eglise ne peuvent être changés, modifiés que par un concile. Aussi, le saint-père n'a-t-il pas changé ce principe, il suffit de lire sa réponse avec attention : et annuit ut nihil immutelur donec aliter stalulum fuerit ; qu'il acquiesçait à ce que rien ne fût changé jusqu'à ce qu'autrement il fût statué.
Ces paroles ne comportent pas un sens aussi absolu, aussi positif qu'on le prétend : elles ont la signification d'éviter tout trouble provisoirement ; elles indiquent que le saint-père s'attend à ce que ce différend ou cette question douteuse soit réglée et fixée d'une manière régulière, parce qu'en général la règle de l'Eglise, c'est l'inamovibilité des pasteurs à charge d'âmes.
Et cela avec autant plus de raison que l'inamovibilité des pasteurs n'a pas seulement été établie en faveur de ceux-ci, mais également en faveur des fidèles. Les mutations fréquentes empêchent les bons rapports, éloignent la confiance et rendent le pasteur et ses ouailles étrangers l'un à l'autre.
La deuxième observation qu'on a faite a été l'article 16 de la Constitution ; le gouvernement ne peut s'immiscer dans rien, il n'a aucun droit d'examen, a-t-on dit.
Si l'on eût continué la lecture de cet article jusqu'à la fin, on eût pu voir que ce raisonnement est bien défectueux, pour ne pas dire obstatif à ce principe ; le gouvernement n'a droit, etc., ni de défendre de publier leurs actes, sauf en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.
Je me demande : Comment le gouvernement pourra-t-il jamais réprimer une atteinte quelconque, portée à ses droits en matière de presse et de publication, s'il n'a pas le droit d'examen ? Cette fin de non-recevoir anéantirait toute poursuite ; une bulle, une encyclique qui délierait les Belges de la fidélité qu'ils doivent au souverain, pourrait être publiée sans que le gouvernement pût y mettre le moindre obstacle.
Réfléchissez, messieurs, et prononcez. Une troisième objection de M. l'abbé de Haerne faite à la séance d'hier a été, qu'à la vérité, la cour de Rome n'avait pas reconnu la loi organique, mais plus tard sentant l'utilité, la nécessité de rendre les desservants amovibles, cela avait fait ou pouvait avoir fait l'objet d'articles secrets.
M. de Haerne. - Je n'ai pas parlé d'articles secrets ; j'ai dit qu'il pouvait y avoir eu une action secrète du gouvernement.
M. de Bonne. - Si cela a véritablement existé, cet état de choses a dû cesser depuis 1831, époque de la publication de la Constitution.
L'article 68 porte : dans aucun cas les articles secrets d'un traité ne peuvent être destructifs des articles patents.
Ou l'amovibilité des desservants était clairement exprimée dans la loi organique et dans ce cas, pas de nécessité d'articles secrets.
Ou bien elle ne l'était pas et il a fallu des articles secrets et dans ce cas ils sont devenus caducs, par suite de l'article 68 que j'ai invoqué.
Je crois difficile de sortir de ce dilemme.
On nous a accusés hier de vouloir porter atteinte à ces libertés qui font l'honneur de la Belgique, qu'on cite en France, en Angleterre, dans tous les pays enfin.
Ces imputations sont graves, et si je n'écoutais que mon indignation, j'y répondrais avec toute la sévérité qu'elles méritent. Je préfère les repousser avec le calme et la dignité que je veux m’imposer dans toutes les discussions auxquelles je prendrai part.
Eh bien ! messieurs, vous penserez que revendiquer la liberté légale en faveur de 3 ou 4 mille de nos concitoyens placés sous le joug, sous une espèce d'épée de Damoclès, c'est là porter atteinte à nos libertés ! C'est renverser les principes de la Constitution ! s'est-on écrié. Cela serait vrai si celle-ci pouvait contenir l’asservissement de tout le clergé inférieur au profit, à la domination de l'épiscopat. et c'est ce qui n'est pas. C'est là tout à fait intervertir les rôles, c'est une manière de raisonner fort peu logique, mais fort adroite, j'en conviens. Je désavoue donc formellement cette interprétation de mes paroles et de mes intentions.
Ce que j'ai fait et ce que j'ai dit l'a été par conviction : et je continuerai à le faire tant et aussi longtemps que la liberté canonique et constitutionnelle ne sera pas accordée au clergé secondaire.
J'ai agi sans arrière-pensée, je ne cherche ni ne veux rien. Lorsqu'à mon âge on accepte, plutôt par devoir que par goût, le mandat que mes concitoyens m'ont fait l'honneur de me confier, on le veut remplir avec conscience et loyauté.
Je dois des remerciements aux honorables collègues et amis qui me sont venus en aide, mais j'ai foi dans l'avenir : le temps c etla réflexion sont des auxiliaires en qui nous devons» mettre nos espérances.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable M. de Bonne vient de dire que je lui ai répondu avec peu de politesse ; j'en appelle avec confiance à la chambre ; je défie l'honorable membre de trouver dans tout mon discours une seule expression, un seul mot qui puisse blesser les susceptibilités les plus délicates. La chambre sait la convenance que je mets toujours dans mon langage, elle décidera si je me suis cette fois écarté de mes habitudes et des usages parlementaires.
Je n'ai qu'un mot à répondre au nouveau discours de l'honorable membre. La discussion soulevée par son premier discours me paraît épuisée ; mais il vient de donner à l'article 16 de la Constitution une interprétation qu'il est impossible d'admettre ; et c'est à cette occasion que j'ai demandé la parole.
« Si le gouvernement, dit-il, ne se réserve pas le droit d'examen, relativement à la publication des bulles, par exemple, il sera loisible d'afficher une bulle qui délierait les citoyens du serment de fidélité, et les appellerait à la révolte ». Je n'hésite pas à dire qu'une semblable bulle pourrait être affichée sans que le gouvernement pût l'empêcher ; mais celui qui l'aurait affichée ou publiée serait responsable des délits qui pourront être commis à la suite de cette publication ; il serait responsable de cette publication même, si par son contenu elle constituait un crime ou un délit.
Voilà comment il faut entendre l'article 16 de la Constitution qui a voulu faire disparaître les dispositions de l'article 1 des articles organiques, qui exigeaient que les bulles fussent munies d'une autorisation du gouvernement, avant de pouvoir être publiées.
M. Fleussu. - Messieurs, si je demande la parole dans la discussion générale, ce n'est pas pour prendre part à l'examen de la question qui se traite depuis deux jours. J'avoue qu'en cette matière je suis, tout à fait incompétent, et que si j'avais à me prononcer entre un régime qui existe depuis quarante ans et les lois qui l'ont précède, je me trouverais fort embarrassé. Je dirai que des questions de cette nature ne sont pas de mon goût, et voici pourquoi : Je n'aime pas que le clergé se mêle des affaires politiques, je n'aime pas son intervention dans les affaires temporelles ; (page 666) mais par la même raison, je crois que le gouvernement ni les chambres ne doivent pas non plus se mêler du spirituel. La Constitution a tracé la ligne qui sépare le spirituel du temporel, et j'avoue que ce ne sera jamais qu'avec répugnance que j'aborderai des questions de la nature de celle qui occupe la chambre depuis trois jours.
Messieurs, j'ai demandé cependant la parole pour répondre quelques mots à ce qu'a dit hier M. le ministre de la justice sur l'autorité de la chose jugée, si une décision judiciaire intervenait en cette matière.
M. le ministre de la justice a dit que s'il se trouvait en Belgique un tribunal qui pût déclarer qu'un desservant révoqué a le droit de conserver ses fonctions, et par conséquent de continuer à toucher son traitement. M. le ministre a dit que dans ce cas, il ne respecterait pas la décision de ce tribunal, alors même que la décision aurait passé par les épreuves d'une cour d'appel, voire même de la cour de cassation.
Messieurs, il m'est impossible de ne pas protester contre une semblable doctrine. Si elle était admise, il n'y aurait plus de pouvoir judiciaire en Belgique, son existence ne serait plus que nominale. (Interruption.)
Je sais qu'il y a un antécédent, mais cet antécédent me paraît très fâcheux. Le chambre, me dit-on, s'est prononcé dernièrement contre une décision de l'ordre judiciaire ; je crois qu'elle a eu grand tort, et voyez, messieurs, le ministre de la justice veut déjà imiter ce mauvais précédent dans la sphère de ses attributions. Je conçois que lorsqu'il s'est agi ici des toelagen, vous ayez pu vous laisser induire en erreur par cette considération, que cet objet avait fixé l'attention de la chambre pendant six ou sept sessions, que vous avez tenu en suspens la question des toelagen, et qu'alors que vous en étiez saisis, le pouvoir judiciaire devait se déclarer incompétent ; c'était au moins là un prétexte spécieux pour expliquer votre décision récente ; mais on ne peut pas invoquer ce prétexte dans l'espèce.
Quoi ! M. le ministre de la justice vient dire qu'il n'exécutera pas une décision judiciaire ! Mais qu'il me fasse le plaisir de me montrer une seule disposition qui l'autorise à tenir en suspens les décisions de la magistrature, je le défie de pouvoir se prévaloir d'une seule disposition législative qui fasse exception à la règle générale. Je vais plus loin : je le défie de me montrer une doctrine quelconque, dans quelque auteur que ce soit, qui lui permette de faire cette exception.
Mais, messieurs, s'il était permis de faire des exceptions à ïa chose jugée, où iriez-vous ? Ce que M. le ministre de la justice s'attribuerait, un particulier pourrait se l'attribuer aussi ; il dirait : « Cette décision est évidemment erronée ; voilà la preuve de l'erreur des juges ». Et alors, il lui serait libre de former opposition à la chose souverainement jugée contre lui ? Mais alors même qu'il aurait la preuve qu'il y a eu erreur, le particulier ne pourrait pas suspendre l'exécution de la chose jugée.
Et de quel droit M. le ministre de la justice viendra-t-il, de son autorité privée, se mettre au-dessus de tous les corps de la magistrature ? Je dis qu'il n'y a plus de pouvoir judiciaire, si on admet une semblable doctrine.
Je vais plus loin, et je dis à M. le ministre de la justice : « Y eût-il erreur et erreur démontrée, vous devez encore exécuter la décision judiciaire. Et pourquoi ? parce que les décisions judiciaires sont toujours supposées conformes à la vérité, res judicata pro veritate habetur. » (Interruption).
C'est une fiction légale, je le sais, mais détruisons cette fiction, et il n'y a plus de stabilité ni de fin possible aux procès.
Toute décision est fondée sur cette présomption légale qu'elle a réputée conforme à la vérité, pro veritate habetur ; on ne dit pas que la décision est l'expression de la vérité, mais qu'elle est censée conforme à la vérité. Il faut bien admettre cette présomption légale ; sinon, je le répète, il n'y aurait plus du fin aux procès, on pourrait toujours s'inscrire contre la chose jugée. Et voilà pourquoi, lorsqu'un tribunal aurait déclaré, même en contrevenant à une loi, qu'un desservant révoqué doit être conservé dans la possession du presbytère et dans la jouissance de son traitement, le ministre devrait respecter cette décision, comme ayant acquis l'autorité de la chose jugée, autorité qui par elle-même confère un titre à celui qui gagne son procès.
Mais voyez jusqu'où conduit le système de M. le ministre de la justice. Il dit : « Quand un tribunal sort de sa compétence, je ne puis plus respecter sa décision. » Mais qui donc règle la compétence des tribunaux ? En France, c'est le conseil d'Etat, quant aux confins d'attributions ; mais chez nous, c'est la cour de cassation ; donc, d'après la doctrine de M. le ministre de la justice, lorsqu'un conflit sera élevé, qu'une question d'incompétence aura été présentée devant les tribunaux, et que la cour de cassation aura décidé que les tribunaux doivent rester saisis de l'affaire, M. le ministre de la justice pourra ne pas respecter l'arrêt de la cour de cassation. Mais il s'elèverait alors contre la Constitution même qui veut que les conflits d'attributions soient réglés par la cour de cassation ; c'est en matière de compétence que M. le ministre prétend cependant avoir le droit d'examiner les décisions judiciaires ; mais il n'en a pas le droit ; il renverse la hiérarchie judiciaire et même le pacte constitutionnel. (Interruption.) C'est le contraire, me dit l'honorable M. Van den Eynde ; j'attends qu'il veuille bien me fournir la preuve du contraire, et je m'assieds en attendant.
Puisque l'honorable M. Vanden Eynde ne veut pas me répondre à l'instant même, je reprends la parole.
Si M. le ministre de la justice déclare qu'il ne respectera pas la décision des tribunaux en cette matière, si elle est contraire à son opinion, pourquoi alors venir plaider devant les tribunaux ? C'est un hommage hypocrite que vous rendez au pouvoir judiciaire. Comment ! vous êtes décidé à ne pas respecter les décisions du tribunal, si elles vous contrarient, et vous venez cependant demander qu'il se déclare incompétent ; mais par cela seul que vous avez accepté le débat devant le pouvoir judiciaire, vous devez respecter sa décision, quelle qu'elle soit, quand elle a acquis l'autorité de la chose jugée.
Je ne conçois pas un pouvoir qui vient dire à un tribunal : « Je vous demande telle chose, mais je vous déclare que si vous ne me l'accordez pas, je détruirai moi-même votre jugement. » Avec de tels principes, il n'y a plus de pouvoir judiciaire en Belgique ; il n'y a plus que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Messieurs, on a toujours réclamé l'indépendance de la magistrature comme un grand bienfait. Je sais qu'il y a aujourd'hui en Belgique beaucoup de personnes qui envient à la magistrature son indépendance. Je sais bien que, si la chose était encore à faire, on ne lui accorderait plus ce bienfait, qu'on avait cependant réclamé si vivement en sa faveur.
Mais, messieurs, maintenant, parce qu'on n'a plus d'influence sur la magistrature, on se met au-dessus d'elle, on la subjugue ; si un pareil état de choses vous accommode, pour moi, je proteste contre une doctrine qui ne peut avoir pour effet que de déconsidérer la magistrature.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne pense pas, messieurs, qu'il existe quelqu'un en Belgique qui veuille porter atteinte à l'inamovibilité de la magistrature. Tout le monde, dans cette chambre, comme en dehors, reconnaît que cette inamovibilité, constitutionnellement prononcée, est un bien, est une garantie indispensable pour le citoyen.
Je ne considère pas les paroles que vous venez d'entendre comme l'expression d'une opinion quelconque en Belgique ;tout le monde est d'accord, je pense, sur la nécessité de maintenir l'inamovibilité de la magistrature.
L'honorable M. Fleussu a trouvé exorbitante la doctrine que j'ai avancée hier. Il a dit qu'il fallait en toute circonstance, dans tous les cas, respecter la chose jugée ; que même s'il était prouve qu'un tribunal s'est trompé on devrait exécuter sa décision si elle était passée en force de chose jugée ; il vous a cité l'adage connu : res judicata pro veritate habetur.
Messieurs, je n'ai pas combattu la doctrine qui enseigne qu'il faut respecter la chose jugée ; cette doctrine, je la professe au contraire ; mais à côté de cette doctrine il en existe une autre tout aussi respectable, celle qui consacre la division des pouvoirs.
Messieurs, chaque corps, comme je le disais dans une autre occasion, est juge de sa compétence ; il me paraît de toute évidence que l'autorité judiciaire ne peut pas en s'attribuant et en retenant la connaissance d'une affaire, restreindre les prérogatives de la chambre et amener pour conséquence que le pouvoir législatif soit dépouillé d'un droit. Or, la doctrine que j'ai soutenue tend uniquement à conserver intacts ces droits de la législature et à maintenir ainsi la division des pouvoirs consacrée par la Constitution.
L'honorable M. Fleussu me dit ensuite : Qui vous autorise à faire une distinction entre les différentes espèces de choses jugées ? Si vous vous croyez le droit de faire cette distinction, un simple particulier s'arrogera le même droit, et dès lors il n'y aura plus rien de stable. Quant à la première objection, elle trouve sa solution dans les pouvoirs mêmes de la chambre, qui pourra toujours apprécier s'il lui appartient de décider la question soumise aux tribunaux ; et quant à la seconde objection, je dis qu'un particulier ne peut avoir le même droit qu'un corps politique auquel des prérogatives sont reconnues par la Constitution ; si le particulier perd son procès, il doit se soumettre ; il ne peut revendiquer le droit de se rendre justice à lui-même. Mais si un jugement a décidé une question que le pouvoir législatif considère comme rentrant dans ses attributions, je demande comment ce jugement peut avoir pour conséquence de dépouiller le pouvoir législatif du droit de décider.
Pour revenir à la question qui a fait naître le débat, si un jugement maintient un desservant révoqué dans sa cure, s'il ordonne au gouvernement de lui payer son traitement, ce jugement devra-t-il être exécuté ?
Le gouvernement, en faisant exécuter cette décision, violerait de la manière la plus formelle l'article 16 de la Constitution ; il maintiendrait dans sa place un desservant n'ayant plus ni titre ni qualité, il s'immiscerait ainsi dans la nomination d'un ministre du culte ; il n'y a pas, en effet, pour la même place, deux traitements dans le budget ; il résulterait donc du maintien du desservant révoqué l'impossibilité de payer le traitement de celui qui aurait été nommé à sa place. Que deviendrait alors l'article 16 de la Constitution ? Il serait violé de la manière la plus évidente ; voudrait-on que le gouvernement se rendît complice de cette violation ?
Le ministre de la justice, de son autorité privée, comme le disait l'honorable M. Fleussu, ne viendra pas mettre de côté une décision judiciaire ; il se bornera à dire à la chambre que, malgré l'arrêt rendu, il ne croit pas devoir demander des fonds pour y satisfaire, attendu qu'il entrait dans les attributions de la chambre de refuser ou d'allouer l’allocation. Quant à la chose jugée, elle restera ce qu'elle est ; seulement un autre pouvoir, également indépendant, refusera d'y prêter son concours.
En portant la question sur un autre terrain, je dirai : Qu'un fonctionnaire soit destitué de ses fonctions et qu'un tribunal par impossible aille déclarer que le gouvernement a eu tort de le destituer, que le fonctionnaire révoqué doit être maintenu en fonctions et que ses appointements doivent lui être continués ; de quelle manière serait accueillie la demande d'un ministre qui viendrait demander à la chambre les fonds nécessaires pour satisfaire à un pareil jugement ? Il ne se trouverait pas une voix, je pense, pour voter les fonds nécessaires à l'exécution d'un semblable jugeaient. Satisfaire à une décision de celle espèce, ce serait confondre tous les pouvoirs, et substituer virtuellement le pouvoir judiciaire au pouvoir législatif.
En soutenant cette opinion, je soutiens le principe de la division des pouvoirs, je défends les droits du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir (page 667) exécutif. Il existe en effet des circonstances où le pouvoir exécutif seul doit refuser d'obéir aux décisions judiciaires.
Je suppose, messieurs, un arrêté d'expulsion. L'individu qu'on veut expulser s'adresse aux tribunaux. Les tribunaux défendent d'exécuter l'arrêté d'expulsion. Eh bien ! je déclare que si un pareil jugement était rendu, je n'hésiterais pas un instant à mettre ce nonobstant l'arrêté royal à exécution ; et en le faisant, j'agirais conformément à mes devoirs. Maintenant ce que le pouvoir exécutif seul pourrait faire, soutiendra-t-on que le pouvoir législatif, revendiquant sa compétence et la plénitude de ses attributions ne pourrait pas le faire ?
On ne peut sans doute admettre que le pouvoir judiciaire prime tous les autres pouvoirs. Le pouvoir judiciaire quand il reste dans la limite de ses attributions, rend des décisions qui doivent être exécutées et dont personne ne peut contester la force obligatoire.
Mais on ne peut pas faire absorber tous les pouvoirs par le pouvoir judiciaire. Le système que vient de soutenir l'honorable M. Fleussu entraînerait pourtant cette conséquence ; sous la forme de jugements, le pouvoir judiciaire poserait de véritables actes législatifs et les chambres devraient se soumettre ; il contrôlerait les actes de l'administration, et celle-ci devrait obéir !
L'honorable M. Dolez lui-même, quand on s'est occupé de toelagen, a dit qu'il y avait des cas dans lesquels le pouvoir législatif pourrait ne pas considérer un acte émané des tribunaux comme un véritable arrêt. Si par impossible, a-t-il dit, les tribunaux jugeaient par voie réglementaire, faisaient ce qu'on pourrait appeler une véritable loi, alors l'acte ne serait plus un jugement, et la chambre ne devrait pas le respecter.
Cette opinion seule me suffit ; c'est en effet reconnaître que dans cette circonstance, la chambre pourrait examiner l'acte qui lui serait soumis bien qu'il fût revêtu de toutes les formalités d'un jugement, pourrait le considérer comme n'étant pas une décision judiciaire, et par suite comme n'étant pas obligatoire.
Je ne veux pas d'autre argument à l'appui ; en m'appuyant sur l'opinion de l'honorable M. Dolez, je crois avoir prouvé que je n'ai pas avancé un système exorbitant, mais au contraire un système basé sur les véritables principes.
M. Dumortier. - Je demande à la chambre la permission de dire quelques mots en réponse à l'honorable préopinant, car l'allusion qu'il a faite, paraissait s'adresser si directement à celui qui vous parle, que je regarde comme une nécessité pour moi de pouvoir y répondre.
L'honorable M. Fleussu a dit que beaucoup de personnes semblaient porter envie à l'inamovibilité de la magistrature.
M. Fleussu. - Vous prenez cela pour un fait personnel ?
M. Dumortier. - Si vous vouliez m'adresser ce reproche, vous auriez dû avoir le courage de le faire directement.
M. Fleussu. - Je me suis adressé à l'opinion qui regrette l'inamovibilité de la magistrature.
M. Dumortier. - Vous n'avez pas le droit d'imputer une pareille pensée à une opinion. Le règlement interdit toute insinuation malveillante ; celle que vous avez faite méritait un rappel à l'ordre, car votre insinuation était une accusation calomnieuse. Personne ne veut porter atteinte à l'inamovibilité de la magistrature. Votre accusation ne repose sur aucun motif, je la repousse de toutes les forces de mon âme.
Je respecte la magistrature et je veux le maintien de son inamovibilité ; il n'y a pas ici de magistrats ; nous sommes députés et notre devoir est de maintenir les prérogatives parlementaires et la division des pouvoirs, sans laquelle tout est confusion dans le pays. Vous préconisez ce système de confusion en nous présentant comme voulant porter atteinte aux prérogatives de la magistrature, comme voyant avec regret son inamovibilité. C'est là une supposition que nous ne pouvons trop repousser, c'est une injure gratuite qu'on nous adresse.
Pourquoi ai-je pris le premier la parole pour maintenir la division des pouvoirs, pour insister sur cette grande vérité de l'Esprit des lois, qu'il n'y pas de gouvernement possible, sans la division des pouvoirs ? Parce que j'ai vu que le pouvoir judiciaire empiétait sur le pouvoir législatif, allait l'absorber, en s'arrogeant le pouvoir de faire des lois. Je ne pouvais pas souffrir, je ne pouvais pas consentir à ce que le pouvoir judiciaire s'intronisât au-dessus de tous les autres pouvoirs. Membres du pouvoir législatif, nous avons reçu de nos concitoyens un mandat que nous devons transmettre pur et sans tache à nos successeurs, quels qu'ils soient.
Nous ne devons pas souffrir que le pouvoir judiciaire emptièe sur nos prérogatives. Cela ne mérite ni les superbes dédains de l'honorable préopinant, ni ses insinuations Que je me trompe, c'est possible ; mais tout le monde reconnaîtra qu'il y a quelque chose de grave dans cette question. Oui, la question est grave, car c'est la Constitution entière qui est en jeu ; en effet, la Constitution repose sur une unique base : la division des pouvoirs ; sans cette division, il n'y a plus ni administration, ni chambre, ni royauté. Ce que nous voulons avant tout, c'est le maintien de la division des pouvoirs. C'est pourquoi nous sommes venus nous poser comme barrière à cette invasion du pouvoir judiciaire et demander qu'on le renferme dans les limites tracées par la Constitution.
Mais, dit-on, il n'y a plus d'ordre judiciaire possible si vous ne respectez pas la chose jugée. La meilleure manière de faire respecter la chose jugée, c'est que les tribunaux ne sortent pas de leurs attributions. Je sais qu'il y a une lacune dans notre législation et que cette lacune entraîne des abus ; mais ces abus ne dureront plus longtemps. M. le ministre nous a présenté un projet de loi sur les conflits qui nous manquait depuis 15 ans. Quand nous en viendrons à la discussion de ce projet, je présenterai un amendement que j'ai dans mon pupitre depuis la discussion de la question des toelagen. Par cet amendement on prévoira dans quels cas les tribunaux peuvent intervenir dans les questions où le trésor public est engagé, et dans quels cas ils ne le peuvent pas. Voilà ce qu'il faut faire ; alors le conflit cessera. Ce sera un bonheur pour le pays. Mais en attendant devons-nous nous incliner devant tout jugement quel qu'il soit ?
Devons-nous accepter comme chose jugée tout acte émané du pouvoir judiciaire ? Ce serait une abdication du pouvoir du peuple ; nous ne pouvons y consentir. Le pouvoir de juger n'est pas celui d'administrer, de faire des lois. Il faut établir cette différence. Les tribunaux doivent comprendre qu'ils ne doivent pas sortir des limites que la loi leur assigne. Lorsqu'un tribunal veut décider une question que le parlement est appelé à résoudre, il empiète sur les prérogatives parlementaires, sur les droits du peuple.
Rappelez-vous ce qui s'est passé dans la grave question des lits militaires. N'avons-nous pas soutenu avec les hommes les plus éminents de l'ordre judiciaire que les tribunaux étaient incompétents pour juger l'action que l'entrepreneur des lits militaires voulait intenter au gouvernement, parce que la convention avait été exécutée en dehors des sommes allouées par le budget ?
La chambre repoussa donc le contrat passé avec l'entrepreneur des lits militaires. Si l'entrepreneur avait attrait le gouvernement devant les tribunaux, et que ceux-ci l'eussent condamné, prétendra-t-on que les chambres, en vertu du principe res judicata pro veritate habetur, auraient dû allouer le crédit qu'elles avaient rejeté ? Non, sans doute ; car, je le répète, ce serait abdiquer la prérogative parlementaire, la prérogative du peuple, la plus sainte de toutes. C'est une question immense pour l'avenir de la patrie.
Quant aux insinuations de l'honorable préopinant, j’insiste sur la réponse que j'y ai faite. Nul ne conteste au pouvoir judiciaire les prérogatives que nous lui avons données à la révolution, que nous lui donnerions de même à présent, s'il s'agissait de le constituer. Mais nous ne voulons pas qu'il excède les limites que nous lui avons posées, qu'il empiète soit sur le pouvoir exécutif, soit sur le pouvoir législatif.
M. Verhaegen. - Je constate de nouveau ce que j'ai constaté hier. M. le ministre de la justice ne veut pas admettre que l'on doive respect à la chose jugée dans tous les cas.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Non, certainement !
M. Verhaegen. - La question relative à l'autorité de la chose jugée a été soulevée à propos de la révocation des desservants, et voici comment cette question est résolue par M. le ministre de la justice : « Un desservant, dit-il, se trouvant révoqué par l'évêque, soutient que sa révocation est illégale, contraire aux lois canoniques, aux lois civiles en vigueur ; le desservant révoqué intente une action au gouvernement pour obtenir le payement de son traitement : eh bien, le gouvernement excipera de l'incompétence des tribunaux. Mais si les tribunaux se déclarent compétents et si le gouvernement est condamné, le gouvernement n'obtempérera pas à la condamnation. »
D'abord, avec cette séparation de pouvoirs dont vous avez argumenté pour répondre à l'objection de mon honorable ami, comment se fait-il que vous reconnaissiez les tribunaux pour juger la question d'incompétence, ? Car si : vous prétendez être omnipotents, vous ne devriez pas vous présenter devant les tribunaux pour une question qui, d'après vous, sort de leurs attributions.
Il y a là une contradiction flagrante.
Vous reconnaissez l'autorité des tribunaux par cela seul que vous plaidez devant eux la question d'incompétence. Les tribunaux ne seraient-ils donc compétents que pour le cas où ils vous donneraient gain de cause ! Mais si vous vous présentez devant un tribunal, vous devez bien supposer que ce tribunal peut vous condamner. Direz-vous que vous ne respectez sa décision que quand vous gagnez votre procès ? Je ne comprendrais pas ce langage ; je ne le comprendrais pas surtout dans la bouche d'un ministre de la justice, sorti des rangs de la magistrature.
Mais vous ne demanderiez pas d'allocation. C'est là le grand point.
Il y a deux choses, quand il s'agit de ai révocation d'un desservant : un desservant révoqué illégalement demandera (je vous donne l'assurance que la question se présentera) la continuation de son traitement, parce qu'il soutiendra que sa révocation est illégale. Ensuite il demandera la continuation de la jouissance du presbytère. Ces questions seront soumises aux tribunaux. Vous exciperez d'incompétence. Soit ! Mais les tribunaux, je l'espère, reconnaîtront leur compétence et statueront au fond ; ils vous condamneront à payer le traitement, et maintiendront le desservant dans la jouissance du presbytère.
La cour d'appel, la cour de cassation, je le suppose, accueilleront ce système. Cette décision, à ce double point de vue, aura acquis l'autorité de la chose jugée. Le ministre ne demandera pas d'allocation pour le traitement ; il n'obtempérera pas à la justice. Le respect pour l'autorité de la chose jugée n'existe que dans les mots. Mais quand il s'agit des faits, la magistrature n'est rien. N'est-ce pas donner un déplorable exemple ? N'est-ce pas rendre la magistrature impuissante à maintenir la paix publique ? Quelle garantie en effet aurez-vous à cet égard, quand, par exemple, vous aurez appris au peuple à ne plus respecter la magistrature ?
Mais que ferez-vous, je vous prie, de la petite formule qui termine les jugements et arrêts ? Elle est ainsi conçue : « Mandons et ordonnons à nos procureurs généraux et à tous les officiers de la force armée de prêter main forte à l'exécution du présent arrêt. » C'est au nom du Roi que cet ordre est donné. Si donc vous envoyez des gendarmes pour expulser du presbytère le desservant illégalement révoqué, il trouvera des gendarmes qui seront requis, au nom du Roi, de le maintenir en possession du presbytère. (page 668) Voilà le conflit ! Voilà où l'on arrive, lorsqu'on méconnaît le principe de l'autorité de la chose jugée.
L'honorable M. Dumortier nous a dit qu'il attendait avec impatience la loi sur les conflits ; il l'a dit surtout en réponse à ce qu'il a appelé des insinuations de la part de l'honorable M. Fleussu. Nous savons tous à quoi nous en tenir sur ce point. Depuis longtemps on trouve la magistrature trop indépendante, c'est pour cela qu'on veut une loi sur les conflits. Veut-on faire renaître un des griefs qu'on avait contre le gouvernement d'alors ? Veut-on aller plus loin que sous le gouvernement précédent ? Je n'en sais rien. Mais l'amendement qu'on a dans son tiroir et qu'on nous annonce, est bien loin de nous rassurer. Il prouve tout au moins qu'il est médité depuis longtemps, et qu'on s'est entendu sur ce point.
Quoi qu'il en soit, ce qui me rassure, c'est que vous avez dans la Constitution une petite disposition aux termes de laquelle la cour de cassation est juge suprême en matière de conflits.
Toutes vos lois, y compris l'amendement de l'honorable M. Dumortier, ne prévaudront pas contre cet article de la Constitution.
M. Dolez. - Je suis entré dans la chambre au moment où M. le ministre de la justice faisait appel à une opinion que j'ai eu l'honneur d'exprimer devant vous il y a quelque temps. Il m'a paru que M. le ministre de la justice ne reproduisait pas cette opinion avec la véritable portée que je lui ai donnée.
Voici, messieurs, le résumé de ce que j'ai eu l'honneur de dire dans la discussion à laquelle on a fait allusion, celle des toelagen.
J'ai toujours pensé (je pense plus que jamais, après le débat qui a surgi dans cette occurrence) que l'autorité de la chose jugée devait être la même pour le gouvernement que pour les particuliers. Toutes les fois qu'un arrêt passe en force de chose jugée existe contre l'Etat, le gouvernement doit s'y soumettre en aveugle, et lorsqu'on nous demande des crédits pour faire face aux condamnations prononcées par un tel arrêt, nous devons les voter sans contrôle.
Mais, ajoutai-je, si, par impossible, par une hypothèse que pour mon compte je n'admets pas, il pouvait se présenter une occasion dans laquelle l'adhésion à la chose jugée put avoir pour le pays des conséquences dangereuses ; alors le gouvernement, les chambres obéissant à la loi suprême qui domine toutes les autres, celle du salut de l'Etat, pourraient méconnaître l'autorité de la chose jugée. Mais, je le disais et je le répète aujourd'hui, ce serait un coup d'Etat, un grand acte national en dehors des règles ordinaires. Voilà l'opinion que j'ai émise. Cette opinion, je la crois encore fondée, c'est la seule dont j'accepte la responsabilité.
Je ne puis taire d'ailleurs mon regret d'avoir vu se reproduire ce débat dans vos deux dernières séances et surtout d'avoir vu M. le ministre de la justice consentir à le suivre, en répondant à des questions purement hypothétiques.
Je ne conçois rien de plus dangereux que des discussions sur la limite séparative des grands pouvoirs, basées sur des hypothèses. Ce n'est qu'en présence des faits accomplis qu'il faut discuter ces doctrines. Je regrette donc que le gouvernement ait accepté depuis hier cette discussion dangereuse et inutile.
Toutefois, messieurs, puisque cette discussion hypothétique a été acceptée, puisqu'elle a été l'occasion de revenir à des attaques imméritées contre la magistrature, qu'il me soit permis de m'en expliquer en quelques mots.
On a demandé si les tribunaux pouvaient être compétents pour connaître de la validité de la révocation d'un desservant. Je réponds qu'il est mille fois évident que les tribunaux sont incompétents. Je réponds ainsi, non seulement parce que c'est ma conviction intime, mais encore parce que les précédents posés par notre magistrature m'y autorisent. Toutes les fois que de telles questions se sont produites devant nos tribunaux, ils ont fait une distinction.
S'agissait-il de réclamer le payement d'un traitement dû à un fonctionnaire pour le temps où il exerçait ses fonctions, les tribunaux se déclaraient compétents.
S'agissait-il de savoir si le fonctionnaire avait le droit de contester la révocation dont il était l'objet, les tribunaux étaient incompétents et se déclaraient tels.
C'est ainsi, si je ne me trompe, que quand le général portugais Lecharlier a voulu attraire le gouvernement belge en justice pour entendre dire qu'il avait droit à conserver le rang et le traitement de major dans l'armée belge, les tribunaux ont déclaré qu'ils ne pouvaient connaître de cette présentation.
Voilà la distinction que les tribunaux ont suivi, et elle est tout à la fois un témoignage de la haute sagesse qui préside à leurs arrêts et de leur respect pour la séparation des grands pouvoirs de l'Etat. Quant aux toelagen, je persiste à croire que la décision de la chambre a été non seulement contraire à ce même respect, mais malencontreuse et d'un déplorable exemple, qu'elle a produit dans le pays et surtout dans la magistrature tout entière, la plus fâcheuse impression. Il ne s'agissait pas là d'un cas où le salut du pays fût intéressé. La seule chose que la chambre eût à faire, c'était de voter les fonds demandés pour satisfaire aux condamnations judiciaires.
On vient de faire des vœux pour la présentation d'une loi des conflits. Sans doute cette loi est nécessaire, elle est urgente, par cela seul que la Constitution en a décrété la nécessité. Mais, comme l'a fait observer l'honorable M. Verhaegen, pour vous conformer à la Constitution vous serez obligés de laisser cette matière dans les attributions de l'autorité judiciaire la plus élevée, la cour de cassation, et dès lors c'est encore au pouvoir judiciaire que vous devrez aboutir, pour la décision de ces graves questions.
Quelles conséquences faut-il en tirer ? C'est que la Constitution a voulu que cette autorité fût souveraine, que ses arrêts fissent loi pour les différents pouvoirs de l'Etat.
La chose jugée a de tout temps été considérée comme ce qu'il y avait de plus respectable, de plus sacré.
C'est surtout dans un pays où il règne beaucoup de liberté qu'il faut avoir soin que la justice soit forte, honorée, respectée, car elle peut être souvent appelée à protéger l'ordre public même contre les dangers qu'entraîne parfois l'abus de la liberté.
Si mes souvenirs ne me trompent, lorsque le plus grand génie des temps modernes, lorsque Napoléon vit s'écrouler son immense empire, l'un des griefs les plus graves qui furent élevés à sa charge au moment où l'on décréta sa déchéance, ce fut d'avoir méprisé l'autorité de la chose jugée. Oui, messieurs, au moment où cet acte si solennel était formulé, ce fut un de ses motifs les plus graves pour justifier la déchéance de l'empereur, que d'avoir une ou deux fois dans son règne glorieux méprisé cette autorité de la chose jugée que, dans notre temps de calme, dans notre temps de tranquillité, vous avez si peu respectée il y a quelques mois.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je crois avoir très fidèlement rendu le sens des paroles prononcées par l'honorable M. Dolez dans la discussion relative aux toelagen. L'honorable membre ne nous parlé que de la dernière partie de son discours, tandis que j'avais fait attention à la première. Voici comment s'exprimait l'honorable M. Dolez ; il pourra s'assurer que j'ai rendu à peu près textuellement ses paroles.
Parlant des tribunaux, il disait : « S'ils ont procédé par voie réglementaire, par voie générale, alors ils ont agi en dehors de leurs attributions absolues, ils ont été sans pouvoir et leurs arrêts ont été sans force. En pareil cas, si jamais il pouvait se produire, les chambres pourraient et devraient dire : Ce n'est pas un arrêt qu'on me présente, c'est une loi sous forme d'arrêt, et cette loi nous ne pouvons l'accepter, parce qu'elle émane d'un pouvoir absolument incompétent. »
Messieurs, j'ai invoqué ces paroles de l'honorable M. Dolez, dans le but d'établir que l'honorable membre reconnaissait lui-même que, dans certaines circonstances, la chambre pouvait examiner quelle était la valeur d'une décision judiciaire ; que la chambre avait, dans certains cas, le droit de dire : Je ne me soumets pas à un jugement ; je ne considère pas comme tel l'acte qui est produit. Le pouvoir qui l'a rendu est sorti de ses attributions absolues. J'ai invoqué l’opinion de l'honorable M. Dolez, pour prouver que, d'après cet honorable membre lui-même, il y avait des cas où des arrêts pouvaient ne pas avoir force devant le parlement.
Je sais bien que l'honorable M. Dolez avait ajouté qu'il y avait encore d'autres circonstances où la chambre pourrait ne pas obéir aux ordres de la justice, qu'il avait cité le cas où le salut de l'Etat exigerait qu'il en fût ainsi, en qualifiant de coup d'Etat ce refus d'obéir à une décision judiciaire. Mais c'était là une seconde hypothèse dont a parlé l'honorable membre, et je n'ai voulu faire allusion qu'à la première.
Messieurs, l'honorable M. Dolez vous a dit que, d'après lui, j'aurais bien fait de me refuser à répondre aux interpellations qui m'avaient été adressées, que la discussion qui était soulevée était dangereuse, et même inutile. Messieurs, je n'ai certes pas provoqué cette discussion ; elle a eu lieu à l'occasion du premier discours que vous avez entendu et des interpellations qui m'ont été adressées plus tard par l'honorable M. Lebeau.
Cet honorable membre ne m'avait pas demandé (et je n'aurais pas accepté une discussion semblable) ce que je pensais en théorie de la force de la chose jugée. Mais il m'avait dit : Il y a eu révocation d'un desservant ; vous allez être attrait devant les tribunaux, si vous ne l'êtes déjà ; que ferez-vous si vous êtes condamné ? Messieurs, à une interpellation semblable, force m'était bien de répondre, et comme la Constitution dictait ma réponse, je n'ai pas hésité un instant à faire connaître ma décision. La chambre a pu remarquer que la discussion ne s'est pas égarée dans de vaines théories ; elle a porté, non sur la chose jugée en général, mais uniquement sur ce fait, considéré par l'honorable M. Dolez comme impossible, à savoir, que les tribunaux condamneraient le gouvernement à maintenir, contre la décision de l'évêque, un desservant dans son presbytère et à lui payer son traitement. L'honorable M. Dolez a regardé une semblable décision comme impossible, et je suis complétement de son opinion.
Je professe, comme l'honorable membre, le plus grand respect pour la magistrature et pour ses décisions. J'ai la plus grande confiance dans les lumières et dans l'impartialité des corps judiciaires, aussi je n'hésite pas à le dire, je n'ai pas la moindre crainte sur l'issue du procès que je soutiens. Mais je dois en même temps déclarer à la chambre, que si le gouvernement était frappé d'une condamnation, je croirais ne pas devoir demander à la législature une allocation pour faire droit au jugement.
Cette déclaration m'amène à répondre à une observation de l'honorable M. Verhaegen : Vous êtes tout à fait inconséquent, me dit-il, vous reconnaissez le pouvoir de l'autorité judiciaire, puisque vous soutenez un procès devant elle ; comment donc pouvez-vous refuser d'obéir à la décision qui interviendra ? Ses arrêts ne sont-ils donc bons que lorsque vous gagnez votre procès ? Comment accepter le débat devant les tribunaux alors que vous êtes décidé à ne pas respecter leur sentence ?
Je crois, messieurs, qu'il n'y a aucune inconséquence de la part du gouvernement dans cette conduite. ;
Le gouvernement, attrait devant les tribunaux, doit nécessairement accepter le débat judiciaire ; ne pas paraître en justice, ce serait montrer peu de confiance dans l'autorité judiciaire ; ce serait négliger d'employer tous les moyens pour faire triompher en justice les véritables principes ; de plus, le gouvernement doit agir ainsi pour couvrir sa responsabilité devant les chambres. S'il n'acceptait pas le débat judiciaire, s'il venait dire (page 669) à la chambre : J'ai été attrait devant les tribunaux, mais je me suis laissé condamner parce que, d'après mon opinion, les tribunaux étaient incompétents ; il s'attirerait le reproche de ne point avoir défendu les intérêts de l'Etat et d'avoir fait naître l'obligation de ne pas exécuter une décision judiciaire.
Ainsi, nous pensons qu'appelés devant les tribunaux, nous devons y défendre les droits de l'Etat, et qu'il n'y a aucune inconséquence à venir dire ensuite à la chambre : Nous avons épuisé tous les moyens de défense, nous avons été condamnés, mais nous croyons que les tribunaux ont empiété sur les attributions du pouvoir législatif, et nous ne croyons pas que celui-ci doive allouer des fonds pour faire droit à la condamnation.
Messieurs, l'honorable M. Dolez a parlé d'attaques imméritées contre la magistrature. Je ne pense pas que l'honorable membre ait voulu faire allusion à aucune de mes paroles. Jamais je ne me suis permis un mot qui puisse blesser la magistrature, pour laquelle je professe le plus profond respect. L'honorable M. Dolez doit même se rappeler que l'année dernière et cette année encore, lorsque des expressions, d'après moi, peu convenables, ont été employées à l'égard de la magistrature, j'ai été le premier à les relever ; j'ai été le premier à proclamer combien la magistrature doit être respectée et combien elle est digne de respect par la manière consciencieuse avec laquelle elle remplit la haute mission qui lui est confiée.
Enfin l'honorable M. Verhaegen a dit qu'on donnerait au peuple un très mauvais exemple en ne respectant pas la chose jugée. Je crois que cette pensée émise d'une manière générale est parfaitement juste. Je crois que le respect de la chose jugée est véritablement une des bases les plus solides de l'édifice social ; mais donnerions-nous un mauvais exemple en faisant avant tout respecter la division des pouvoirs, que le système de M. Verhaegen tendrait précisément à bouleverser ?
L'honorable membre, faisant une supposition que l'honorable M. Dolez considère comme impossible, a demandé ce que ferait le gouvernement dans le cas où un tribunal, ou une cour d'appel, le condamnerait à maintenir dans sa cure un desservant qui aurait été révoqué.
M. Verhaegen. - Je n'ai pas dit : condamnerait le gouvernement à maintenir le desservant ; j'ai dit : maintiendrait le desservant.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Mais, il est probable que le jugement aurait été rendu contre quelqu'un, et ce ne pourrait être que contre le gouvernement.
M. Verhaegen. - Ce serait contre le nouveau desservant.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Ce serait donc l'ancien desservant qui aurait attrait son successeur devant les tribunaux pour être maintenu dans sa cure.
M. Verhaegen. - L'ancien desservant est en possession et le nouveau l'aurait attaqué.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Cela n'existe pas. Ce sont des suppositions gratuites que l'honorable M. Dolez lui-même a déclarées impossibles, et je profiterai du conseil que cet honorable membre m'a donné en ne répondant pas à cette nouvelle supposition de l'honorable M. Verhaegen.
M. de Theux. - L'honorable M. Verhaegen, ne pouvant point détruire les observations de M. le ministre de la justice, en ce qui concerne l'allocation du traitement, a porté son argumentation sur une autre hypothèse ; il a transféré la discussion sur le terrain du presbytère. Ici, messieurs, j'avoue que la question se présente d'une toute autre manière, puisque pour déposséder un desservant du presbytère il faudrait agir contre la chose décidée par le tribunal, tandis que pour le traitement ce serait le gouvernement et le pouvoir législatif que l'on soumettrait en quelque sorte aux tribunaux. J'aime à croire, comme l'honorable M. Dolez, que le cas ne se présentera pas de telle manière que le législateur soit obligé d'intervenir ; mais s'il y avait une lacune à cet égard dans la législation, il faudrait la combler, car il est évident, comme l'a dit M. le ministre de la justice, qu'aux termes de l'article 16 de la Constitution, la nomination des ministres du culte est en dehors des pouvoirs de l'Etat et quand la Constitution s’est servie du mot « Etat », elle a compris non seulement le pouvoir exécutif, mais aussi le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, c'est-à-dire qu'aucun pouvoir public ne peut intervenir dans la nomination des ministres des cultes. Si donc il s'établissait une jurisprudence contraire à l'opinion de l'honorable M. Dolez, il y aurait lieu de pourvoir aux moyens d'arriver à l'exécution de l'article 16 de la Constitution.
Voilà, messieurs, la réponse que je crois devoir faire à l'honorable M. Verhaegen. La question soulevée est très délicate, et je n'entreprends pas du tout de la traiter ici ex abrupto. Je regrette avec l'honorable M. Dolez que l'on ait traité ainsi une infinité de questions de théorie qui n'ont pas besoin d'une solution immédiate, mais l'initiative de cette discussion a été prise par l’honorable M. de Bonne ; cet honorable membre a été suivi par plusieurs orateurs qui ont étendu encore le cercle du débat. Evidemment nous avons perdu beaucoup de temps sans qu'il soit possible d'obtenir un résultat quelconque.
La meilleure manière de procéder c'est, comme le dit l'honorable M. Dolez, de se borner aux difficultés qui se présentent et, lorsqu'il y a nécessité de prendre une décision, de prendre celle qui convient le mieux. En ce qui concerne l'indépendance des pouvoirs, nous aurions beau discuter, nous n'arriverions à aucun résultat. Il est évident que nous ne pouvons pas dicter les décisions des tribunaux. Les tribunaux sont libres de prendre les décisions qu'ils croient justes suivant leur opinion ; mais d'un autre côté il est évident aussi que les tribunaux ne peuvent pas lier le pouvoir législatif, qui est tout aussi indépendant dans sa sphère que le pouvoir judiciaire, de même que le pouvoir exécutif est également indépendant dans le cercle de ses attributions. Je pense que dans l'occurrence chaque pouvoir saura maintenir ses prérogatives.
En ce qui concerne le respect de l'indépendance de la magistrature, je crois que, dans aucune circonstance, je ne m’en suis écarté, et je ne m'en écarterai jamais parce que l'indépendance de la magistrature est la sauvegarde de toutes les opinions ; mais il n'en est pas moins vrai que cette indépendance peut, dans certains cas, présenter des questions difficiles à résoure, des questions relatives aux rapports entre les divers pouvoirs de l'Etat. Eh bien, la sagesse du législateur saura toujours y pourvoir suivant les circonstances ; et sans empiéter sur les pouvoirs donnes aux tribunaux, le législateur saura toujours faire respecter les siens.
M. le président. - Je prierai la chambre de ne pas prolonger cette discussion qui ne repose que sur des théories et des hypothèses.
La parole est à M. Fleussu.
M. Fleussu. - Mais, M. le président, si la chambre fait droit à votre observation, je n'aurai plus rien à dire. Je n'ai demandé la parole que pour répondre à M. le ministre de la justice.
M. Dolez. - Je désire donner une simple explication.
M. Fleussu. - Je cède volontiers la parole à M. Dolez.
M. Dolez. - M. le ministre de la justice n'a pas pu croire que mes paroles s'adressaient à lui lorsque j'ai fait allusion aux attaques dirigées contre la magistrature. Je n'ai pas pu indiquer quels étaient ceux de nos collègues auxquels je reprochais ces attaques ; cela n'est pas dans nos habitudes et ce serait, je pense, peu parlementaire.
M. Dumortier. - Personne n'a attaqué la magistrature.
M. Dolez. - Pas même ceux qui ont dit que le dernier des paysans raisonnerait mieux que la cour suprême... ?
Je répète, messieurs, qu'il n'est pas dans mes habitudes et qu'il serait peu parlementaire de spécialiser l'allusion que j'ai dû faire tout à l'heure et qui était tellement fondée que M. le ministre de la justice vient de rappeler qu'il s'était joint à moi, il y a quelque temps, pour répondre aux attaques dont j'ai parlé.
Quant à l'opinion que j'ai émise dans la question des toelagen et à laquelle M. le ministre vient de faire un deuxième appel, j'ai posé deux hypothèses dans lesquelles les actes émanés des corps judiciaires pouvaient ne pas être respectés par le gouvernement et par la législature ; tout à l'heure je vous ai parlé de l'une d'elles, la seconde était celle où l'acte présenté ne serait pas réellement un acte judiciaire ; les tribunaux ne peuvent pas statuer par voie réglementaire et toutes les fois qu'on présenterait un acte de l'autorité judiciaire qui ne serait pas un arrêté, vous n'y obéiriez pas, non que vous vous placeriez au-dessus de la chose jugée, mais parce que l'acte présenté ne serait pas constitutif de la chose jugée, parce qu'il manquerait d'un des éléments nécessaires à cet effet.
Voilà, messieurs, ma première hypothèse, et je pense qu'elle ne pouvait pas venir en aide à l'argumentation de M. le ministre de la justice.
Je me borne, messieurs, à cette simple observation. La chambre comprendra que dans une matière aussi grave, aussi délicate, il m'importait de laisser à mon opinion toute son exactitude.
M. Fleussu. - Je voulais seulement faire observer, messieurs, qu'il y a une singulière réaction depuis le congrès. A l'époque du congrès, toutes les garanties étaient mises sous la sauvegarde de l’ordre judiciaire. C'est tellement vrai qu'aux termes de la Constitution elle doit s'abstenir de prêter main-forte à l'exécution de mesures que le pouvoir exécutif aurait prises en dehors du cercle de ses attributions. Le pouvoir judiciaire a donc par cela même le droit de contrôler jusqu'à un certain point les actes du pouvoir exécutif. cette attribution exceptionnelle est une preuve de la confiance que le législateur constituant plaçait dans les tribunaux.
Eh bien, messieurs, je dis que l'on avait raison de placer ainsi toutes les garanties constitutionnelles sous la sauvegarde de l'ordre judiciaire, car enfin, on parle d'absorption par la magistrature, mais remarquez que la magistrature ne peut rien absorber : il faut qu'on vienne à elle ; elle ne va pas au-devant des affaires, il faut qu'on les lui défère et lorsqu'un pouvoir est renfermé dans cette limite il est impossible qu'il absorbe. L'ordre judiciaire ne peut jamais prononcer que sur des cas spéciaux. On vous a parlé de décisions prises par voie réglementaire ; mais, comme vous l'a dit l'honorable M. Dolez, de pareilles ordonnances bien qu'elles émaneraient des cours et tribunaux, n'auraient pas l'autorité de la chose jugée. Si les tribunaux disaient, par exemple : « Dans tous les cas semblables à celui qui s'est présenté dans telle occasion, nous prononcerons de telle ou telle manière », ce ne serait plus là un jugement, et cela est interdit par l'article 5 du code civil. Lorsqu'il y a lacune dans la loi, les tribunaux doivent y suppléer, mais ils ne peuvent le faire que pour le cas spécial qui leur est déféré et ils ne peuvent pas dire que dans tous les cas semblables ils prendront la même décision. S'ils le faisaient, évidemment une telle ordonnance n'aurait pas l'autorité de la chose jugée ; évidemment ce n'est pas là une sentence entre parties contendanles.
Mais, a dit M. le ministre de la justice, si je refusais d'exécuter le jugement qui aurait déclaré que l'ancien titulaire a le droit de rester en possession du presbytère, qu'il a le droit de toucher le traitement attaché à la cure dont il a été révoqué, en ne respectant point cette décision, je sauvegarderais l'article 16 de la Constitution ; mais M. le ministre de la justice perd de vue une chose, c'est que dans les débats judiciaires la partie adverse du desservant révoqué aurait bien eu soin d'invoquer l'article 16 de la Constitution et que probablement le tribunal aurait eu quelques raisons particulières pour décider que cet article n'était pas applicable dans la circonstance. Il serait impossible qu'une semblable question n'aurait pas été examinée par le tribunal.
(page 670) Eh bien, je suppose que par erreur le tribunal décide qu'il n'y a point atteinte à l'article 16 de la Constitution, je dis que dans ce cas le tribunal aura, lui aussi, témoigne de son respect pour la Constitution ; seulement il aura mal apprécié les choses, mais cela ne peut pas vous donner le droit de ne pas obéir à la chose jugée, parce que, comme je le disais tantôt, la décision du tribunal n'a pas une portée générale ; elle ne concerne que le cas spécial qui lui était soumis, et alors il faut s'en tenir à l'adage res judicata pro veritate habetur.
Le tribunal aura examiné la question constitutionnelle, il aura examiné le droit ancien, le droit canonique, l'usage établi depuis 40 ans....
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Et il se sera mis à la place de l'évêque.
M. Fleussu. - Il ne se sera pas mis à la place de l'évêque ; il aura examiné le fait de l'évêque, et il aura examiné l'état de la législation.
Mais, dit-on, ce n'est pas le pouvoir exécutif seul qui anéantira la décision ; il en référera à la législature ; et, ajoute t-on, la chose jugée restera ce qu'elle est. Mais dans ce cas, la décision judiciaire est réduite à rien ; car vous l'anéantissez.
Savez-vous, messieurs, comment on parvient à vous effrayer ? En faisant des suppositions chimériques, en créant des hypothèses, qui feraient honte à l’intelligence des magistrats.
Il devrait être impossible que jamais il y eût conflit entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif. En effet, il n'y a qu'en Belgique que des conflits semblables se sont présentés ; savez-vous pourquoi ? C'est parce que vous avez annulé des actes du pouvoir judiciaire ; que, sous prétexte de conserver intacts tous les pouvoirs, vous avez ébréché le pouvoir judiciaire. Quel est le point de contact entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire ? Le voici : c'est que vous faites des lois et que les tribunaux doivent les appliquer ; mais vous ne pouvez, après une décision prise par un tribunal, faire une loi pour un cas spécial ; c'est alors que vous sortez de vos attributions.
Messieurs, on dit que le pouvoir exécutif lui-même n'a pas craint, dans une certaine circonstance, de prendre sur lui de ne pas respecter une décision judiciaire, et l'on vous a parlé d'un cas d'expulsion. En effet le ministère, à cette époque, s'est mis au-dessus d'une interdiction prononcée par un président de tribunal prononçant en référé. Or, croyez-vous que cet acte ait passé sans protestation ? Sur tous les bancs de la chambre, on a réclamé avec force contre cet acte...
M. de Theux. - La majorité n'a pas été appelée à se prononcer.
M. Fleussu. - Il n'y a pas eu de vote, il est vrai ; mais il n'en est pas moins incontestable qu'un grand nombre de membres de la chambre, et l'honorable M. Ernst, qui fut depuis ministre de la justice, ont réclamé avec énergie contre l'acte qui était dénoncé à la chambre.
Je bornerai là mes objections. J'avais demandé la parole, principalement pour faire remarquer que le pouvoir judiciaire ne pouvait rien absorber ; qu'il ne pouvait, pas aller au-devant des affaires ; qu'on devait toujours venir à lui, et qu'il ne pouvait point dès lors alarmer les autres pouvoirs.
M. de Breyne. -Messieurs, dans les discours du Trône, à l'occasion de l'ouverture de la session des chambres, le gouvernement a annoncé que des changements à la loi organique du notariat nous seront proposés.
J'attends avec impatience la proposition de ce projet de loi, dans l'intérêt des notaires, et surtout dans l'intérêt de la société tout entière, qui a droit d'exiger que des fonctions aussi importantes soient exercées par des personnes probes, conciliantes, capables et à la hauteur de leur mission.
Parmi les nombreux changements que la législature devra apporter à la loi organique du notariat, se trouve la fixation définitive des résidences.
D'après les dispositions en vigueur, le gouvernement a le droit de désigner le lieu de la résidence ; et cette faculté laissée au pouvoir, donne souvent matière à de graves abus.
C'est ainsi que l'on voit, d'après le désir d'un titulaire ou de son protecteur ; d'après le désir d’un ministre ou de tout autre agent du gouvernement, qui croit devoir récompenser un acte de dévouement ou punir un acte de résistance à sa volonté, que l'on voit, dis-je, les résidences des notaires transférées de commune en commune, sans consulter les intérêts des administrés, sans consulter les autorités judiciaires dont les notaires relèvent immédiatement.
C'est là, messieurs, un abus grave, que nous devons faire disparaître ; abus dont le pouvoir n'use que trop largement.
Pour prouver ce que j'ai l’honneur de vous dire, je crois devoir citer un fait qui vient de se passer récemment dans l'arrondissement judiciaire que j'habite, dans l'arrondissement de Furnes.
Lors de l'organisation du notariat, cinq résidences de notaire furent désignées pour le canton de justice de paix de Furnes, savoir : deux au chef-lieu de l'arrondissement, une à Alveringhem, une à Wulveringhem et une à Leysele.
Quelques années plus tard, par suite d'un acte de faveur, la résidence de Leysele fut transférée à Alveringhem, quoique la position topographique du canton prouve que la première désignation fût le seule équitable, la seule régulière.
Cet état de choses resta ainsi jusqu'en 1832, époque du décès de l'un des deux titulaires d'Alveringhem.
Le gouvernement transféra alors la résidence vacante d'Alveringhen dans la ville de Furnes, sur les vives instances de l'administration communale de celle ville, et y établit, de cette manière, une troisième résidence de notaire.
Cette mesure, prise dans l'intérêt du public, fut généralement approuvée.
C'est au chef-lieu d'un arrondissement que se font le plus grand nombre de transactions, c'est donc là que l'on doit trouver le plus grand nombre d'officiers publics. Mais M. le ministre de la justice me semble ne pas partager cette opinion, ou bien il doit avoir été induit en erreur ; et voici ce qui vient à l'appui de ma supposition.
Vers l'automne de l'année dernière, une des trois résidences de notaire à Furnes, étant devenue vacante par le décès du titulaire, la troisième résidence du chef-lieu de l'arrondissement vient, par arrêté royal du ... de ce mois, d'être transférée une seconde fois à Alveringhem : c'est-à-dire que l'on enlève une résidence à une ville de cinq mille âmes, à un chef-lieu d'arrondissement judiciaire et administratif, où trois notaires passent, année commune, neuf cents actes, pour la fixer dans une commune d'une population de trois mille âmes, sans autre industrie que l'agriculture, qui n'est pas même chef-lieu de canton, et où le notaire, qui est un homme honorable et considéré sous tous les rapports, ne passe pas au-delà de 150 actes par année. J'ajouterai que M. le ministre de la justice ne peut pas invoquer les besoins des habitants des communes voisines, puisque quatre résidences de notaire se touchent ; car Alveringhem n'est qu'à trois quarts de lieue de Loo, résidence d'un notaire ; une lieue de Wulveringhem, résidence de notaire et une lieue et demie de Furnes.
Comme cet acte, que je m'abstiendrai de qualifier, a jeté de la consternation chez les uns et de l'indignation chez les autres, je prierai M. le ministre de la justice, dans l'intérêt bien entendu du gouvernement, de vouloir donner sur le fait dont je viens d'entretenir la chambre, quelques explications qui puissent rassurer les esprits d'une partie notable de la Flandre occidentale. Car si je m'en rapportais au bruit public qui signale ce même acte comme une vengeance pour cause d'opposition au candidat du gouvernement, lors des dernières élections, je serais forcé, à mon grand regret, de qualifier le transfert dont je parle, de mesure impolitique, pour ne pas me servir d'expressions plus sévères et plus énergiques.
M. Clep. - Messieurs, je dois une courte réponse aux observations faites par l'honorable député de Dixmude, contre le rétablissement, rétablissement fait tout récemment, de la deuxième résidence de notaire à Alveringhem, district de Furnes.
La commune d'Alveringhem est la plus belle et l'une des plus grandes communes du Furnes-Ambacht ; elle est traversée par un chemin pavé de la première classe de l'Etat et par le canal navigable de Loo, conduisant respectivement à plusieurs villes, et de plus, par un chemin gravier passant par l'aggloméré et reliant entre elles ces deux grandes voies de communication. Elle est située précisément entre les riches communes du plat pays et la partie plantée du Furnes-Ambacht ; cette situation avantageuse, la facilité de ses communications et l'aisance de ses habitants, comme aussi l'aisance des communes voisines, est cause que cette intéressante commune d'Alveringhem a été, depuis les temps les plus reculés, favorisée d'un marché hebdomadaire, d'une foire mensuelle de bestiaux des plus considérables de la province, et de deux résidences notariales. Il y avait même, sous la domination autrichienne, encore deux partageurs jurés, et chacun de ces quatre fonctionnaires publics trouvait une honnête existence dans l'exercice de ces honorables fonctions parce qu'ils étaient utiles et commodes non seulement pour la commune d'Alveringhem, mais aussi pour les huit communes avoisinantes, où il n'y a aucun notaire.
Cet état de choses utile et commode pour le public, a continué jusqu'à la fin de 1834, époque à laquelle est arrivé le décès de l'un des deux notaires à Alveringhem, et qu'il a été remplacé en 1835 avec le transfert de cette résidence à Furnes.
La décision de ce transfert de résidence de notaire était véritablement injustifiable ; aussi lorsque la nouvelle en fut connue dans nos localités, c'était une véritable stupéfaction, un étonnement général, parce que le remplacement de la deuxième résidence de notaire à Alveringhem était indispensable dans l'intérêt du public, tandis que le transfert de cette résidence créait une troisième résidence de notaire audit Furnes, qui y était une véritable superfluité.
Ce troisième notaire à Furnes, malgré toute la considération dont il jouissait, n'avait pour ainsi dire rien à faire ; il y est décédé en 1845, et comme son décès remettait les choses exactement dans le même état qu'à l'événement du décès du deuxième notaire arrivé a Alveringhem en 1834, le conseil communal de cette commune, ainsi que les conseils communaux des sept communes adjacentes se sont empressés de saisir le moment opportun pour réclamer le rétablissement de la deuxième résidence de notaire à Alveringhem.
Le gouvernement vient d'accueillir favorablement ces réclamations, et quiconque connaît bien ces localités, devra convenir avec moi que le gouvernement n'a fait que rendre bonne et équitable justice à ces intéressantes communes.
L'on vous a dit encore, messieurs, que le notaire qui est resté seul à Alveringhem depuis 1834, ne passe annuellement que 150 actes. Je crois cette assertion exacte ; mais ce notaire en passait annuellement tout autant,, alors qu'il y avait deux résidences notariales sur cette même commune, de sorte que le rétablissement de la seconde résidence notariale ne lui enlèvera probablement aucune clientèle, mais sera d'une grande utilité pour le public d'Alveringhem et des communes adjacentes qui, comme avant 1835, préférera d'avoir choix à Alveringhem plutôt que de devoir se rendre à Furnes, qui est de deux à trois lieues plus loin ; à Furnes il y a toujours eu deux notaires, et par conséquent choix pour le public.
M. Delehaye. - Messieurs, il faut bien que le grief, articulé à charge de M. le ministre de la justice, par l'honorable M. de Breyne, ait de l'importance, puisque l'honorable M. Clep est venu prononcer un discours (page 671) écrit, en réponse au discours de l'honorable M. de Breyne qui ne l'avait pas communiqué a son collègue.
Il y a dans cet acte, comme dans la plupart des nominations qui émanent du même département, des considérations politiques qui ne devraient jamais guider le ministre. Je dois dire que, dans ma province, on assigne à la plupart des nominations faites par le département de la justice, et entre autres, aux nominations de notaires, des motifs qui ne sont pas puisés dans les titres réels et le mérite des personnes nommées.
Un de mes honorables amis a dit hier qu'il trouvait étrange que M. le ministre de la justice eût enlevé aux chambres de notaires et aux magistrats le droit de présentation M. le ministre a répondu d'une manière qui ne peut satisfaire personne. Le ministre se borne maintenant à demander l'avis des magistrats ; en apparence c'est la même chose ; mais voici comment en réalité la position n'est plus la même. Quand les magistrats présentent des candidats, il y a convenance et même nécessité, de la part du gouvernement, de se conformer à cette présentation ; mais quand les magistrats donnent simplement un avis, le gouvernement peut s'écarter de cet avis, quelque favorable qu'il soit à un candidat, et il peut nommer d'autres candidats. On conçoit dès lors que si le gouvernement a enlevé aux magistrats le droit de présentation, c’est, il faut bien le dire, pour mieux se soustraire à l'obligation de ne consulter que la justice et le mérite dans les nominations.
Je puis l'affirmer à la chambre, il y a dans ma province une foule de nominations de notaire, qui ne sont motivées que sur des considérations politiques. Des considérations de même nature donnent lieu à des abus d'un autre genre. L'année dernière, la chambre a voté le projet de loi dont j'ai été rapporteur, et qui a augmenté les traitements des membres de l'ordre judiciaire ; une des considérations qui ont surtout engagé la chambre à améliorer le sort des magistrats, c'est qu'il ne convenait pas que le magistrat exerçat des professions étrangères à ses fonctions judiciaires.
Pensez-vous, messieurs, que M. le ministre de la justice se mette en devoir de faire respecter la volonté de la législature ? Pas le moins du monde. Dans une province, il existe un individu qui est à la fois juge de paix, instituteur, clerc de village et boutiquier. Ce fait a été signalé maintes fois ; mais l'individu n'en a pas moins continué à cumuler toutes ses places. Je sais qu'il y a eu une époque où le ministre a voulu faire droit aux réclamations, mais il ne fut pas donné suite à cette intention, grâce à l'intervention d'un certain personnage qui aujourd'hui a perdu toute son influence. (Interruption.) On pourra me démentir, je n'ai pas de preuves écrites du fait de l'intervention de ce personnage, mais j'affirme la chose.
Dans la Flandre occidentale, il se trouve un juge de paix qui, indépendamment de ses fonctions, exerce celles de secrétaire communal....
M. de Muelenaere. - Le fait a cessé.
M. Delehaye. - Je suis heureux de l'apprendre. Mais pourquoi le fait a-t-il cessé ? Remarquez que l'autorité communale avait vainement protesté contre ce cumul. On a voulu maintenir cet homme en place lors des élections communales, parce qu'on espérait que, grâce à son influence, il parviendrait à faire réélire les membres du conseil communal qu'il protégeait. Cet homme avait inspiré une telle indignation dans la commune que tous ceux qu'il avait appuyés, ont été éliminés du conseil communal.
Je le répète, messieurs, presque toutes les nominations, faites par le département de la justice, sont dictées par des considérations autres que le mérite même des candidats nommés. Les rares nominations qui ne sont pas entachées de ce vice, et qui sont à ma connaissance, ont été, en quelque sorte, arrachées à M. le ministre de la justice.
Je me proposais, messieurs, de vous présenter mes vues sur l'ensemble du budget de la justice ; mais comme la chambre paraît fatiguée, à la suite du débat spécial qui l'a occupée pendant trois jours, je me réserve de présenter mes observations lors de la discussion des articles.
Il est cependant un point que je dois toucher dès aujourd'hui. Tous les ans, l'allocation demandée pour les traitements des ministres du culte, augmente d'une manière considérable. Je voudrais que le gouvernement imitât l'exemple que lui donnent certaines communes. Je sais qu'on demande des vicaires avec une légèreté inconcevable. C'est ainsi qu'à Gand le conseil communal est saisi de la question de savoir s'il convient d'augmenter encore le nombre des vicaires de l'église Saint-Michel.
Cette église a aujourd'hui un nombre de vicaires égal à celui qu'elle avait avant la révolution ; eh bien, par suite des couvents qui se sont établis à Gand depuis la révolution, le service de l'église de St-Michel est presque réduit à rien. Cela n'empêche pas que l’on ne vienne demander de nouveaux vicaires. Si des demandes aussi peu fondées se font dans une ville comme Gand, on conçoit qu'on doit les faire avec beaucoup plus de légèreté dans les communes rurales, où il ne se trouve personne pour contrôler les demandes. Je crois donc que le gouvernement ne doit donner la main à la nomination de nouveaux ministres du culte que quand le besoin s'en fera sentir impérieusement. Par là, on mettra fin à ces accroissements annuels de dépenses, et aux discussions, toujours désagréables, que ces augmentations provoquent. J'appelle donc sur ce point toute l'attention de M. le ministre de la justice.
M. de Muelenaere. - Messieurs, je regrette que les paroles assez acerbes qu'a prononcées l'honorable député de Dixmude, tombent sur un acte du pouvoir exécutif qui n'est pas de nature à pouvoir être apprécié convenablement par vous. Pour connaître l'utilité ou la nécessité du transfert d'une résidence de notaire, il faut avoir une connaissance parfaite des localités, ainsi que des besoins des administrés. Je me borner donc à vous dire quelques mots pour justifier la mesure dont il s'agit.
Ainsi que vous l'a fait connaître l'honorable député de Furnes, il y avait eu de tout temps deux notaires dans la résidence d'Alveringhen, qui est une des communes les plus importantes de l'arrondissement de Furnes. Cette résidence avait été transférée, en 1834,de la commune d'Alveringhem dans la ville de Furnes, et depuis lors, il ne restait plus qu'une seule résidence de notaire à Alveringhem.
Le notaire qui fut nommé à cette époque, à la troisième résidence de Furnes, est le même notaire qui vient de décéder. Qu'est-il arrivé ? C'est que ce notaire, qui était un homme fort recommandable par lui-même, qui avait des relations très nombreuses à Furnes, qui avait été avoué près le tribunal de première instance de cette ville, n'était jamais parvenu à se faire une clientèle dans la ville de Furnes ; il ne passait que des actes assez peu importants et en nombre très restreint. J'ai fait la vérification de son répertoire, la moyenne de ses actes pendant un certain nombre d'années ne s'élevait guère à plus de soixante et quinze par an. Sa clientèle était tellement insuffisante pour satisfaire à ses besoins et à ceux de sa famille, qu'il avait un commerce d'épiceries dans la ville de Furnes. Voilà les faits.
A la mort du titulaire de cette résidence, on a soulevé la question de savoir s'il fallait conserver la troisième place de notaire à Furnes où elle était établie depuis 1831, ou la constituer de nouveau à Alveringhem où, de temps immémorial, elle avait existé jusqu'à cette époque.
Les communes les plus riches de ce canton se sont adressées au gouvernement pour qu'il rétablît la résidence de notaire dans la commune d'Alveringhem. Je ferai remarquer que les deux résidences d'Alveringhem passaient pour les meilleures de l'arrondissement de Furnes. Les notaires d'Alveringhem à l'époque où ils étaient deux trouvaient dans leur clientèle des moyens extrêmement honorables d'existence. On a examiné avec soin s'il convenait de rétablir cette résidence. La responsabilité de la décision qui a été prise ne doit pas peser sur M. le ministre de la justice. C'est moi que M. le ministre a chargé d'instruire cette affaire ; après l'avoir examinée sans préoccupation, j'ai cru que dans l'intérêt des habitants il convenait de rétablir la seconde résidence d'Alveringhem, c'est sur ma proposition que M. le ministre de la justice a bien voulu déférer à la demande des communes environnantes qui sollicitaient ce rétablissement. Je n'ai aucun grief contre le notaire de cette commune. Il n'est cependant pas exact de dire qu'il jouit au même degré de la confiance de tous les habitants de son canton.
L'honorable député de Gand a parlé d'abus qui existeraient dans la Flandre occidentale, il a signalé un juge de paix qui cumulait ses fonctions avec celles de secrétaire communal. Cet abus a cessé ; mais il faut le dire, ce secrétaire communal avait été nommé juge de paix depuis peu de temps. On vous l'a présenté comme un magistrat jouissant de peu de considération. C'est là une erreur grave.
Le titulaire de ce poste est un homme honorable, personnellement connu de plusieurs membres de cette assemblée, et qui, dans son canton, l'un des plus importants de l'arrondissement de Courtray, possède l'estime de ses administrés.
Il a été, en effet, juge de paix pendant qu'il desservait encore comme secrétaire une commune voisine. Mais ce cumul n'a été toléré momentanément que pour qu'il pût terminer toutes les affaires administratives de la commune ; il en était secrétaire depuis un temps immémorial et il tenait à transmettre les affaires de la commune à son successeur, quel qu'il fût, en parfait état.
C'est pourquoi on n'a pas insisté pour qu'il donnât immédiatement sa démission. Mais cela peut-il être considéré comme un abus ?
Doit-on en pareil cas remplacer un fonctionnaire du jour au lendemain ? Quand il a longtemps dirigé les affaires, ne convient-il pas de lui laisser au moins un temps moral pour la mise en bon ordre de ses archives ?
Je pense que ces explications sur la deuxième résidence de notaire rétablie à Alveringhem ne laisseront aucun doute dans vos esprits sur la justice de la mesure prise par le gouvernement,
Quant à l'autre objet, celui dont a parlé l'honorable député de Gand comme le prétendu abus dont il s'est plaint a cessé, je pense que l'honorable membre n'insistera pas davantage.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - J'ai peu d'explications à ajouter à celles que vient de vous donner l'honorable comte de Muelenaere relativement au rétablissement de la seconde résidence de notaire à Alveringhem. Ce rétablissement a été demandeur sept communes importantes du Furnes-Ambach, après le décès du notaire résidant à Furnes. Je ne me suis pas contenté de cette demande, j'ai pris des renseignements qui ont établi qu'un très grand nombre d'actes passés à Furnes, l'étaient par des individus appartenant à ces communes qui avaient réclamé le rétablissement d’une seconde résidence à Alveringhem, et comme ces communes sont plus rapprochées d'Alveringhem que de Furnes, j'ai reconnu qu'elles avaient intérêt à ne pas devoir aller jusqu'à Furnes pour traiter leurs affaires. Ces explications et celles de l'honorable comte de Muelenaere suffirent pour justifier cet acte, qu'a cru devoir critiquer M. de Breyne.
J'ai quelques mots à répondre aux observations de l'honorable M. Delehaye. Déjà M. de Muelenaere a répondu qu'un des abus signalés par l'honorable membre avait cessé et que, par conséquent, tout grief de ce chef venait à disparaître. Quant à l'autre grief consistant dans ce qu'un juge de paix de la Flandre orientale exercerait différentes fonctions incompatibles avec les fonctions judiciaires, ce qui constituerait un fait contraire à la loi que vous avez votée l'année dernière, je crois que l'observation porte non sur un titulaire définitif mais sur un suppléant, qui remplit provisoirement les fonctions de juge de paix et qui m'a été signalé comme exerçant diverses fonctions.
Messieurs, une enquête a été faite par suite de la dénonciation qui m'a été adressée, et je crois me rappeler que les faits avancés n'ont pas été établis. (page 672) Je ferai, du reste, observer qu'il s'agit d'un juge suppléant, auquel on ne peut pas appliquer les interdictions de la loi, et qu'un titulaire définitif n'a pas encore été nommé, parce que la justice de paix doit être supprimée d'après la loi dont la chambre est saisie.
Messieurs, je ne puis pas accepter le reproche que m'a adressé l'honorable M. Delehaye, de céder uniquement, dans les nominations que je fais, à des considérations politiques. C'est, dit-il, une opinion généralement admise dans les Flandres. Si telle est l'opinion, je le déplore, mais je ne crains pas de dire que cette opinion est des plus injustes, et je proteste avec énergie contre cette supposition. Je considère toujours et avant tout, le m rite etles titres des candidats : je prends en sérieuse considération les observations des fonctionnaires que je consulte ; je puis me tromper, sans doute, mais les choix que je fais sont toujours consciencieux.
Un mot encore relativement au culte. L'honorable membre a signalé des demandes de vicaires faites pour des paroisses où de nouveaux vicaires ne seraient pas nécessaires. Mais l'honorable membre sait bien que les demandes de cette nature sont faites par les évêques, et que le gouvernement doit adresser ces demandes aux gouverneurs, qui consultent les conseils communaux. Le gouvernement ne peut pas se dispenser de suivre cette marche ; mais je puis donner l'assurance qu'aucune création de vicaire, de succursale ou de chapelle n'est faite sans qu'il y ait eu accord préalable entre l'évêque et la députation permanente. Des demandes que des conseils communaux ont combattues n'ont pas été accueillies quand il a été reconnu que l'opposition était fondée ;et pour le cas que l'honorable membre a signalé, si la demande n'est pas justifiée par la nécessité, elle ne sera pas admise.
Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
D’autres voix. - La clôture ! la clôture.
M. de Breyne. - Je demande à répondre.
M. Delehaye. - Puisqu'on dit qu'un des griefs que j'ai articulés est venu à cesser, mes observations tombent. Cependant, on me permettra d’en faire une seule, c'est que la commune elle-même avait adressé à la chambre une pétition contre l'abus que j'ai signalé. Cette pétition vous a été adressée à la session dernière ; et c'est seulement après les élections que l'abus a cessé. Le juge de paix secrétaire communal est resté dans sa place de secrétaire jusqu'après les élections, pour lesquelles on l'y avait maintenu.
Quant au suppléant de Waerschoot, je dirai qu'il remplit les fonctions de juge de paix depuis nombre d'années. Quant aux fonctions incompatibles qu'il cumule, je suis plus à même de les apprécier que le gouvernement. Si les renseignements qu'il a pris sont contraires à ce que j'avance, c'est qu'il est mal informé, car à ma connaissance, il est en même temps clerc, boutiquier, juge de paix et instituteur. Vous voyez qu'il remplit là des fonctions incompatibles. Parce qu'il n'est que juge suppléant, vous le maintenez, mais, dites-vous, vous ne le nommerez pas juge de paix titulaire.
Qui est-ce qui empêche le gouvernement de nommer définitivement à cet emploi ? C’est, dit-on, la suppression probable de ce canton. Mais depuis bien longtemps, il est question de modifier la circonscription cantonale. La chambre a depuis longtemps manifesté son opinion à cet égard. Récemment encore, une commission s'est prononcée pour le maintien du statu quo. Comment, en effet, ne reculeriez-vous pas devant ces modifications, qui entraîneraient nécessairement des modifications aux lois communale et provinciale ?
Il est donc de l'intérêt du gouvernement et des administrés que cet abus vienne à cesser.
Quant à la nomination des vicaires, il est vrai, comme l’a dit M. le ministre de la justice, que les conseils communaux sont consultés ; mais souvent ils ne savent pas résister à l'influence de l'autorité supérieure.
Une demande de cette nature a été faite à Gand ; le conseil a décidé qu'il n'y avait pas lieu d'y faire droit. Des membres du clergé eux-mêmes ont trouvé étrange que l'on voulût augmenter le nombre des vicaires de l'église de Saint-Michel, où le casuel, dont le nouveau vicaire prendrait sa part, est déjà si peu considérable.
Je voudrais que le gouvernement n'accueillît ces demandes de nominations de vicaires, que quand le besoin en est constaté.
M. de Breyne. - Je demande une seconde fois la parole, moins pour répondre au discours écrit par lequel mon honorable collègue n'a détruit aucune de mes assertions, que pour relever certains faits et certaines expressions échappées à M. le comte de Muelenaere.
Qu'ai-je voulu démontrer à la chambre, en lui donnant connaissance des circonstances qui avaient donné lieu au transfert d'une résidence de notaire ? Sinon que des considérations politiques et non l'intérêt du service public avaient prévalu dans l'acte de transfert que j'ai critiqué, et à l'égard duquel je n'ai été que l'organe de l'opinion publique ?
Malgré ce qu'en pense M. le comte de Muelenaere, mes observations sont restées debout, et je persiste à croire que l'on a cédé à des influences électorales.
L'intérêt public exigeait-il, en effet, qu'un second notaire fût nommé à Alveringhem, lorsque le titulaire actuel ne passe que cent cinquante actes, année commune, tandis que les trois notaires de Furnes en passent de huit à neuf cents ?
L'intérêt public exigeait-il qu'une résidence fût supprimée dans le chef-lieu de l'arrondissement judiciaire pour la transférer dans une simple commune dont la principale, pour ne pas dire la seule industrie, est l'industrie agricole ?
Fallait-il créer cette seconde résidence lorsque les autorités locales et judiciaires étaient à même d'en constater l'inutilité, si tant est qu'elles aient été consultées ?
Je le répète, c'est dans un intérêt entièrement étranger au service public que ce transfert de résidence a été provoqué.
M. le comte de Muelenaere a dit que le notaire qui est décédé en dernier lieu à Furnes jouissait de toute la considération publique, et que malgré cela il ne passait que 60 ou 70 actes par année, et que sa femme était obligée de tenir un magasin d'épiceries.
Je veux bien admettre quelques-unes de ces assertions ; mais je dis que sous le rapport du nombre des actes l'honorable membre se trompe, puisque je tiens la preuve à la main, qu'en 1814, le notaire en question a passé près de cent actes. D'ailleurs ces assertions ne prouvent rien contre ce que je soutiens, savoir que neuf cents actes passés dans une ville doivent procurer plus de chances de clientèle à trois notaires, que cent cinquante actes n'en présentent à deux notaires résidant dans une commune.
Je m'arrêterais ici, si je ne voulais pas relever les paroles prononcées à l'instant par l'honorable gouverneur de la Flandre occidentale. (Interruption.)
M. le président. - Il n'y a pas ici de gouverneurs, mais des députés.
M. de Breyne. - Soit, M. le président, je dirai : par l'honorable comte de Muelenaere.
L'honorable membre a dit, que le notaire d'Alveringhem ne jouit pas de la considération du public. (Interruption.)
M. de Muelenaere, ministre d’Etat. - Je n'ai pas dit que le notaire d'Alveringhem ne jouissait pis de la considération publique. J'ai commencé par déclarer que je ne voulais pas entrer dans des considérations de personnes, que je n'avais aucun grief contre lui, mais qu'il était assez connu que ce notaire ne jouissait pas de la confiance de tous les habitante. Ce qui le prouve, c'est que le nombre de ses actes n'est pas augmenté depuis qu'il est notaire à Alveringhem. Une partie des habitants se transportent dans d'autres communes pour passer leurs actes. On peut être un homme fort honorable, fort estimable, sans jouir de la confiance de tous les habitants Ce qui prouve qu'il jouit de la confiance d'un certain nombre d'habitants, c'est qu'il passe annuellement 180 actes ; mais le nombre de ses actes n'est pas augmenté, depuis qu'il est le seul notaire de la résidence.
M. de Breyne. - Messieurs, je proteste de toutes mes forces contre les paroles étranges qui sont sorties de la bouche de l'honorable membre, et j'ai droit de m'en étonner. Je proteste, au nom de tous les habitants des arrondissements de Furnes et de Dixmude, qui connaissent le notaire d'Alveringhem, et je déclare que cet honorable fonctionnaire jouit à juste titre de l'estime du public, et que personne n'a le droit de la mettre en doute dans cette enceinte. Je n'en dirai pas davantage à ce sujet, le pays appréciera cette manière d'agir à d'égard d'un fonctionnaire.
Pour prouver que dans cette déplorable affaire j'ai été plus gouvernemental que M. le ministre de la justice, je me suis rendu chez lui, et après un entretien que j'eus avec ce haut fonctionnaire, relativement aux intrigues que l'on mettait en œuvre pour obtenir une seconde résidence à Alveringhem, M. le ministre me remercia, en me serrant affectueusement la main, des renseignements que je lui avais donnés. Je croyais de bonne foi que tout étail dit ; mais quel ne fut pas mon étonnement, lorsque je lus dans le Moniteur le transfert que je viens de critiquer !
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne pense pas devoir suivre l'honorable préopinant dans la discussion dans laquelle il veut nous entraîner. Comment discuter devant la chambre le degré de confiance que méritent des notaires, comment venir apprécier ici l'importance des acles qu'ils passent ? La chambre ne peut pas entrer dans toutes ces considérations. J'ai posé un acte que je crois juste et utile, j'en ai dit sommairement les motifs : à la chambre, je ne puis pas entrer dans plus de détails.
L'honorable membre a cité, je ne sais pourquoi, une conversation qu'il a eue avec moi. Je lui aurais dit, en lui serrant la main : « Je vous remercie de vos renseignements. » Je me rappelle que j'ai eu l'honneur de recevoir M. de Breyne, et il est possible que je l'ai remerciée des renseignements qu'il a bien voulu me communiquer. Mais ces remerciements entraînaient-ils pour moi l'obligation de me rapporter exclusivement aux renseignements obtenus de l'honorable M. de Breyne ? Personne, sans doute, ne le soutiendra.
Des renseignements ultérieurs que j'ai recueillis m'ont fait penser que je ne devais pas faire droit à la demande de l'honorable M. de Breyne, ils m'ont prouvé qu'il était juste et utile de placer à Alveringhem une deuxième résidence de notaire.
Les faits sont maintenant suffisamment connus de la chambre pour qu'elle puisse juger si j'ai bien ou mal agi dans cette circonstance.
M. Clep. - Je dois rectifier l'erreur où est tombé l'honorable député de Dixmude. Il demeure à deux lieues et demie de la commune d'Alveringhem ; je suis surpris qu'il ne connaisse pas mieux les localités. D'après lui il y aurait des notaires dans toutes les couoinu.es voisines ; or dans sept communes adjacentes à Alveringhem (Nieuw-Capelle,Oude-Capelle, Oosterke, Lampermisse, Eggewaerts-Capelle, Oeren et Saint-Ricquiers), il n'y a pas un seul notaire.
- La discussion générale est close.
La séance est levée à cinq heures.