(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 527) M. de Villegas procède à l'appel nominal à une heure et quart.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.
M. de Villegas fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.
« Les bourgmestres des communes de Seneffe, Fayt-lez-Seneffe et Morlanwelz prient la chambre d'interpeller le gouvernement sur le point de savoir si le tunnel de Braine-le- Comte ne présente aucun danger, et demandent que la seconde voie sur la ligne du Midi soit établie à ciel ouvert. »
M. Dolez. - Cette pétition ayant trait à l'objet sur lequel M. le ministre des travaux publies donnera tout à l'heure des explications, je demande qu'elle soit déposée sur le bureau pendant cette discussion, pour qu'on puisse y recourir au besoin.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Je donnerai les explications demandées lorsque l'analyse des pétitions sera épuisée.
- La proposition de M. Dolez est adoptée. En conséquence la pétition restera déposée sur le bureau.
« Les membres du conseil communal de Tirlemont et plusieurs habitants de cette ville présentent des observations contre la demande des raffineurs et des chambres de commerce de Gand et Anvers, qui a pour objet d'établir l'égalité de l'impôt sur le sucre exotique et sur le sucre indigène. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Plusieurs propriétaires et cultivateurs de la commune de Wetteren demandent que le gouvernement prenne des mesures pour empêcher les débordements de l'Escaut. »
M. de Terbecq. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée de l'examen du budget du département des travaux publics.
M. Desmet. - J'appuie ce renvoi.
- La proposition de M. de Terbecq est mise aux voix et adoptée.
« Plusieurs habitants de la commune de Bagimont demandent la construction d'une route faisant jonction à la frontière de France, en passant par Bohan et Bagimont. »
M. Zoude. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt) présente un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à exécuter un canal de dérivation des eaux de la Lys, de Deynze à Schipdonck, vers le canal de Gand à Ostende.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi, qui sera imprimé et distribué avec l'exposé des motifs qui l'accompagne.
La chambre en ordonne le renvoi à l'examen des sections.
M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, la commission des pétitions s'est occupée de l'examen des demandes nombreuses qui vous ont été présentées pour qu'une reforme postale et radicale, comme elle a eu lieu en Angleterre, fasse l'objet de vos délibérations pendant la session actuelle.
La discussion qui eut lieu sur cette question a établi qu'il y avait, à cet égard, une grande divergence d'opinion dans la commission.
Trois membres étaient d'avis que, sur une matière qui présente autant de gravité, la commission devait en laisser peser toute la responsabilité sur le gouvernement, qui est seul en position d'en apprécier toute la portée et d'en prévoir les conséquences : c'est pourquoi, ne voulant se prononcer en aucune manière sur le mérite des demandes qui vous sont faites, ils se bornent à en proposer le renvoi aux ministres que la chose concerne ; les trois autres membres reconnaissent l'utilité de la mesure : mais l'un d'eux, qui admet le principe de la réforme et qui engage le gouvernement à présenter un projet de loi pour la mettre à exécution, ne veut pas entrer dans la discussion du chiffre, comme il n'entend pas que le trésor en reçoive la moindre atteinte, et si un déficit quelconque résultait de l'adoption de cette mesure, il veut que ce déficit soit comblé par le commerce, comme il en a pris l'engagement dans une réunion qui a eu lieu à Bruxelles le 25 avril dernier, résolution à laquelle paraissent avoir adhéré les pétitionnaires de presque toutes les villes du royaume.
Les deux autres membres, qui ont également reconnu l'utilité de la réforme, n'ont pas hésité à émettre leur avis sur la hauteur du chiffre qu'il conviendrait d'établir et se sont expliqués de la manière suivante :
La réforme postale opérée en Angleterre, ont-ils dit, a eu un grand retentissement en Europe, et lorsqu'elle fut adoptée par quelques Etats du continent, on s'étonne que la Belgique eût été devancée, elle qui avait suivi de si près l'Angleterre dans la création du chemin de fer et dans l'application du coke à la forgerie.
Mais la Belgique peut s'applaudir de ce retard, parce que, mettant à profit l'expérience de l'Angleterre, elle pourra opérer une réforme qui, sans compromettre l'intérêt du trésor, sera un bienfait pour le pays.
On sait qu'au parlement anglais, lors de la discussion de cette réforme, on a soutenu que les ressources du trésor n'en seraient pas atteintes, au moins après quelques années d'application, et ce ne fut même que sous cette condition qu'il chargea un comité de l'examen de cette question.
Mais six années d'épreuve sont venues détruire ces prévisions de la manière la plus complète.
Cependant l'entraînement à cet égard est tel que toutes les pétitions qui vous sont présentées, répètent les unes après les autres que les résultats obtenus de cette grande mesure en Angleterre démontrent à l'évidence que notre pays peut suivre l'exemple de nos voisins d'outre-mer sans craindre la moindre perturbation dans nos finances.
La moyenne de la taxe en Angleterre était à 70 c, elle est en Belgique de 34 1/2 à 35 ; or, a-t-on dit, en établissant la taxe à 10 centimes, il suffirait qu'en Angleterre le nombre de lettres fût septuplé, et qu'en Belgique il fût trois fois et demie plus élevé, pour que le trésor n'éprouvât aucune perte. Ce calcul, vrai pour la Belgique, où la moyenne est bien celle de lettres payant, puisqu'il n'y existe aucun privilège de franchise, sauf pour les lettres d'administration publique, la moyenne, disent-ils, en Belgique, est une moyenne vraie, tandis qu'il est loin d'en être ainsi en Angleterre, où la franchise avait donné lieu à d'innombrables abus, et où la correspondance administrative, qui y était gratuite avant la réforme, est aujourd'hui soumise à la taxe. On ne peut donc guère juger de l’augmentation du nombre de lettres que par leur produit. Or, celui-ci, après 6 années, ne s'élevait au 5 janvier dernier, qu'à la somme nette de 16 millions de francs, chiffre rond ; tandis que le revenu net, avant la réforme, était de 40 millions.
Cependant on a dit et répété que l'expérience en Angleterre était telle qu'elle ne laissait plus rien aux chances du hasard en Belgique.
Eh bien, si en Angleterre, où l'habitude d'écrire est plus grande que dans notre pays, à tel point qu'on y compte 3 4/5 lettres par habitant, tandis qu'en Belgique ce nombre n'est que 1 3/4 ; si la fraude en Angleterre a du être plus considérable par suite d'une taxe plus élevée, et par l'abus du privilège des franchises ; si ce revenu, après six années d'épreuve, est encore d'un million de francs au-dessous du triplement de lettres, on demande si, sans porter évidemment atteinte au trésor, il ne sera pas téméraire de proposer une taxe uniforme de 10 centimes.
A la vérité, des défenseurs de ce système, dans un écrit adressé aux chambres, conviennent bien qu'il y aura momentanément un déficit, qu'ils proposent de combler par un certain nombre de centimes additionnels provisoires à ajouter aux patentes ; cette classe de contribuables, disent-ils, étant celle qui en sera plus promptement indemnisée par la réduction des frais de correspondance. Il est en d'autres qui proposent de frapper tous les impôts de l'Etat d'un centime additionnel jusqu'à ce que le produit postal ait récupère son chiffre primitif. Mais il est à croire que ces propositions seront repoussées par la chambre comme par le pays.
Cependant un tarif uniforme est commandé, disent-ils, par l'équité ; ils ajoutent que c'est une prescription constitutionnelle qui doit être imposée au gouvernement, comme une réparation envers le pays ; ils s'étonnent même que l'inégalité résultant d'un tarif progressif n'ait pas frappé la chambre, lorsqu'elle a voté la loi de 1835 sur la taxe des lettres, surtout que le principe d'uniformité avait été applique aux journaux, ouvrages périodiques et imprimés de tout genre, quelle que soit la distance parcourue dans le royaume.
Mais quel sera le chiffre de cette taxe uniforme ? Les membres n'hésitent pas à déclarer qu'en présence de la perte énorme que subit le revenu postal en Angleterre, il y aurait une extrême imprudence à proposer la taxe de 10 cent. Ils savent cependant qu'en apportant à la tribune des idées de réforme (page 528) moins radicales, ils ne rencontreront pas les sympathies qui sont toujours acquises aux réductions d'impôt ; mais leur devoir, disent-ils est de présenter leur opinion constante et ils déclarent qu'ils ont la conviction que le chiffre de 10 cent. occasionnerait un déficit, qu'il serait difficile de combler ; ils sont encore d'avis que la taxe de 15 cent, serait insuffisante, mais que le chiffre de 20 cent, pourrait satisfaire à toutes les exigences, alors surtout que le décime rural serait supprimé.
En Angleterre, le comité établi par le parlement pour l'examen de cette taxe s'était d'abord prononcé à la majorité pour celle de 2 pence (20 centimes), et d'après la discussion qui a eu lieu à la chambre des députés en France, il paraît que le chiffre de 20 centimes réunira la majorité.
Par l'adoption d'un tarif modéré, la grande disproportion que l'on remarque dans la quantité de lettres entre le centre et les extrémités du pays disparaîtra en partie, l'excessive élévation des ports étant la principale cause de leur petit nombre.
En Prusse, a-t-on dit, où la réforme n'a eu pour objet que de réduire la taxe de moitié, elle n'a eu pour résultat que de diminuer les recettes du trésor ; mais y a-t-il bien uniformité là où le port varie encore de 1 à 6 gros (12 1/2à 75 c.) ? Et puis il est à observer que la réforme, en Prusse, ne date que du 1er octobre 1844 ; l'expérience est donc loin d'être suffisante pour pouvoir en apprécier les effets. Qu'eût-on dit de la réforme en Angleterre si elle avait été jugée après la première année de sa mise à exécution, lorsque, de près de 1,600 mille liv. st. de revenu, elle est tombée en dessous de 400 mille.
En résumé, les deux membres qui viennent d'exposer leur avis se sont réunis, quant aux conclusions, à celles qui avaient été présentées par les trois membres dissidents, et le quatrième, qui veut la réforme en principe et en exécution, s'y étant également rallié, votre commission, à l'unanimité, a l'honneur de vous proposer le renvoi de toutes ces pétitions à MM. les ministres des travaux publics et des finances.
M. le président. - La chambre vient d'entendre les conclusions de la commission. Quelqu'un demande-t-il la parole ?
M. Manilius. - Je regrette que la chambre n'ait pas prêté toute l'attention désirable à la lecture du rapport que l'honorable M. Zoude vient de faire, sur les nombreuses pétitions adressées à la chambre, en faveur d'une réforme postale. La commission des pétitions conclut, il est vrai, au renvoi des pétitions à MM. les ministres des finances et des travaux publics ; mais la chambre ne peut pas, à l'improviste, statuer sur ces conclusions, sans qu'elle ait pris connaissance du rapport. Je demande donc que la chambre fasse imprimer d'abord le rapport de la commission, avant de prononcer sur les conclusions qu'elle propose.
M. Rodenbach. - L'impression est de droit. Le rapport sera imprimé au Moniteur. Mais je rappellerai que M. le ministre des travaux publics a promis formellement de présenter un projet de loi complet, avant la clôture de la session ; il a fait même entendre que le décime rural serait supprimé. Je pense donc que nous ne risquons rien de renvoyer le rapport détaillé de la commission à M. le ministre des travaux publics ; ce rapport, nous le lirons dans le Moniteur, et tous les jours, nous pourrons renouveler les instances que nous avons déjà faites, pour que le gouvernement veuille présenter le projet de loi, le plus tôt possible.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, à différentes reprises, j'ai eu l'honneur d'annoncer à la chambre que le gouvernement présentera un projet de loi, tendant à réviser notre législation postale. On s'occupe activement de ce projet dans le moment actuel, et je compte pouvoir le présenter dans le courant du mois de mars ; je pense qu'il n'y a aucun motif pour hâter davantage la présentation de ce projet de loi. En effet, la chambre est actuellement saisie d'un grand nombre de projets qui doivent être évidemment discutés et votés avant le projet de réforme postale.
Quant aux conclusions du rapport de la commission, elles ne peuvent pas être contestées ; le gouvernement y adhère bien volontiers ; il pourra puiser et dans les pétitions et dans le rapport de l'honorable M. Zoude, des renseignements utiles ; mais je pense qu'il serait tout à fait prématuré d'engager une discussion sur une question aussi importante. Cette discussion trouvera mieux sa place lorsque la chambre sera saisie du projet de loi, et que l'examen en aura été fait par les sections et par une section centrale.
M. Manilius. - D'après ces explications, je retire ma proposition, tendant à faire imprimer séparément le rapport ; je me contenterai de l'impression au Moniteur. La déclaration de M. le ministre des travaux publics m'est certes bien agréable :il déposera sous peu un projet de loi. Mais je ferai remarquer à M. le ministre qu'il est très actif à promettre des projets : il y a trois semaines, il a promis, ou l'on a promis en son nom (promesse qu'il a confirmée ensuite), qu'il déposerait un projet concernant les inondations...
Un grand nombre de membres. - Le projet de loi a été déposé au commencement de la séance.
M. Manilius. - Ah ! je l'ignorais. Je viens d'entrer.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Vous voyez donc que je remplis mes promesses.
- Les conclusions de la commission des pétitions sont adoptées.
En conséquence les pétitions sont renvoyées aux départements des travaux publics et des finances.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Messieurs, dans la séance d'hier, plusieurs honorables membres de cette chambre en mon absence, ont demandé que le gouvernement donnât des explications sur le tunnel de Braine-le-Comte ; je m'empresse, messieurs, de venir donner ces explications, et je crois qu'elles seront de nature à rassurer complétement les esprits sur les craintes qui ont été exprimées.
Le projet de galerie souterraine de Braine-le-Comte a été dressé par M. l'ingénieur en chef Groelaers et approuvé, sur la proposition du conseil des ponts et chaussées, le 28 mars 1840.
Une première adjudication des travaux ayant eu lieu le 20 avril même année ne fut point approuvée et on procéda à une réadjudication le 3 juin 1840 ; cette réadjudication fut approuvée le 5 du même mois et l'entreprise fut accordée au sieur Joseph Carlier, de Liège, moyennant la somme de 1,008,000 francs.
Les travaux, qui commencèrent immédiatement après la réadjudication, furent exécutés sous la direction générale de M. l'ingénieur en chef Groetaers et sous la surveillance spéciale du sous-ingénieur Denis.
D'après le cahier des charges qui a réglé cette entreprise, la galerie a 5 mètres de largeur à la naissance de la voûte et 5 mètres 50 centimètres de hauteur dans l’axe, depuis la surface de roulage des rails jusqu'à la clef.
La voûte est composée de trois arcs de circonférence et surhaussée de 75 centimètres, et a une épaisseur uniforme de 70 centimètres. Les pieds-droits ont la même épaisseur sur une hauteur de 2 mètres 25 centimètres.
Les matériaux qui ont servi à sa construction sont, d'après le cahier des charges, les suivants, savoir :
Pierres de taille. - Elles ont dû être extraites des bancs les plus pleins des carrières des Ecaussines ou de Soignies.
Briques. - Elles ont été fabriquées sur les lieux avec des terres convenables provenant des tranchées de la route ou de tout autre terrain, le tout à l'agréation de l'administration.
Chaux. - La chaux employée devait provenir de Tournay, Thumeon, Vieuville ou autres fours produisant des qualités éminemment hydrauliques sous l'approbation de l'administration. Elle a été prise en grande partie à Thuméon.
Sable.- Il provient de mine, il a été passé à la claie et lavé.
Messieurs, depuis la construction de ce tunnel, on a procédé à des inspections fréquentes des lieux. Indépendamment de ces inspections particulières, voici la surveillance qui s'exerce journellement en quelque sorte par l'administration.
D'abord, le garde-tunnel, chaque fois qu'un convoi vient de passer, parcourt tout le tunnel avec un falot ; il examine si rien n'a été dérangé, si aucun changement n'est survenu. Le surveillant de cette partie des travaux parcourt tous les jours le tunnel et procède au même examen. Le conducteur, chef de la sectionne parcourt tous les deux jours, et enfin, l'ingénieur, chargé de la division, le parcourt tous les vingt jours.
Malgré toutes les garanties que présentent déjà des inspections si fréquentes, et toutes celles qui ont été spécialement ordonnées, j'ai cru devoir nommer une commission d'enquête, pour examiner particulièrement la situation du tunnel. Je n'ai pas pris cette mesure parce qu'il m'était parvenu des bruits alarmants sur cette situation, mais parce que j'ai pensé que ce serait une garantie de plus pour la sécurité et la tranquillité des voyageurs.
Cette commission a été composée de MM. de Moor, inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées ; Gernaert, ingénieur en chef de première classe, chargé du service de la province du Hainaut ; Willmar, ingénieur en chef de première classe, chargé du service de la province de Brabant ; et Petit-Jean, ingénieur de première classe, attaché à l'administration des chemins de fer en exploitation, et qui a dirigé la construction de tous les tunnels dans la vallée de la Vesdre.
La commission a été nommée le 13 décembre dernier, et j'ai reçu hier le rapport qu'elle m'a adressé sur cette question. Je vais donner à la chambre lecture de ce rapport.
« Bruxelles, le 21 janvier 1846.
« Monsieur le ministre,
« La commission instituée par votre arrêté du 13 décembre passé, n°, à l'effet de vous faire un rapport sur la situation du souterrain de Braine-le-Comte, a procédé à l'enquête dont vous l'aviez chargée, avec tout le soin que réclamait l'importance de l'objet de ses investigations et elle s'estime heureuse de pouvoir vous faire connaître que la situation du tunnel ci-dessus mentionné est telle qu'il n'y a pas lieu de douter de la solidité de cet ouvrage d'art.
« Comme, du reste, le plus ou moins de confiance que mérite le résultat d'une enquête, dépend beaucoup du plus ou moins d'attention et de soins qu'on a mis à y procéder, la commission ci-dessus désignée croit qu'il ne sera pas sans utilité de vous faire connaître avec quelque détail les investigations auxquelles elle s'est livrée et les mesures de tout genre qu'elle a prises pour pouvoir vous faire, relativement à l'objet de sa mission, un rapport auquel vous pussiez entièrement vous fier.
« La commission a commencé par prendre connaissance de votre dépêche à son président en date du 13 décembre dernier, et comme il ne résultait pas de cette dépêche que la détermination que vous aviez prise de faire procéder à l'enquête dont vous l'aviez chargée, eût été provoquée par aucun fait survenu récemment ; que, d'un autre côté, il résultait des déclarations, d’une part, de son président, qui, en sa qualité d'inspecteur de la 3ème division, a mission d'inspecter périodiquement le tunnel dont il s'agit, et, d'autre part, du sous-ingénieur adjoint Leclercq qui est actuellement (page 529) chargé du service de l'entretien de la ligne du Midi des chemins de fer de l'Etat et qu'elle avait jugé à propos d'entendre, que rien ne s'était passé dans ces derniers temps qui put faire concevoir aucune inquiétude par rapport au tunnel de Braine-le-Comte, la commission a compris que l'enquête à laquelle vous aviez résolu de faire procéder n'était qu'une mesure de précaution dictée par une sage prévoyance qui ne voulait pas attendre qu'il y eût sujet de s'inquiéter, pour s'assurer du véritable état des choses.
« La commission a donc jugé qu'il n'y avait rien d'assez pressant dans l’accomplissement de sa mission, pour qu'il y eût lieu à déranger en quoi que ce fût la marche ordinaire des convois, à l'effet de pouvoir se livrer immédiatement et sans délai à ses investigations, et, après avoir pris ses mesures pour pouvoir procéder à une première inspection du tunnel, elle s'est rendue sur les lieux le 23 décembre passé, vers deux heures de l'après-midi, afin de mettre à profit le plus long intervalle qu'il y eut pendant le jour entre les convois.
« Placée sur l'impériale d'un wagon, de manière à pouvoir examiner de très près l'état de la voûte et des parois du tunnel, la commission a ensuite lentement parcouru celui-ci dans toute sa longueur, s'arrêtant partout où la moindre apparence d’irrégularité ou d'altération dans le profil tant longitudinal que transversal du tunnel, attirait particulièrement son attention, sondant ça et là les maçonneries et les faisant fréquemment résonner sous les coups d'un marteau de fer, afin de s'assurer, d'une part, du degré de siccité du mortier, dans les joints entre les briques, et d'autre part, s'il n'existait dans les maçonneries aucun commencement de soufflure qui pût faire craindre quelque écroulement plus ou moins prochain.
« Le résultat général de cette inspection fut de confirmer la commission dans la pensée qu'aucun accident immédiat ni même prochain n'était à craindre, attendu que si, d'une part, une inflexion assez sensible se faisait remarquer dans le profil longitudinal du tunnel, d'autre part, aucune altération appréciable à l'œil ne se manifestait sur aucun point, dans le profil transversal, que les joints longitudinaux formaient des lignes sensiblement droites et régulières et qu'enfin le son parfaitement clair que rendait la maçonnerie, sous la percussion du marteau de fer, devait éloigner complétement toute idée soit de soufflure, soit de toute autre détérioration, pouvant annoncer ou faire craindre quelque écroulement ou quelque rupture.
« Toutefois, ayant remarqué une fissure ou disjonction parcourant la majeure partie du développement de la voûte, transversalement à la longueur de celle-ci et se prolongeant jusques assez bas dans le pied droit de droite du tunnel, bien que du reste la maçonnerie adjacente parût très saine et ne présentât aucun symptôme d'altération ou de détérioration, la commission décida qu'une brèche serait pratiquée dans cette partie du tunnel, afin qu'il fût possible d'apprécier, en parfaite connaissance de cause, le degré d'importance à attacher à cette fissure et de s'assurer si celle-ci devait être attribuée a un mouvement dans le tunnel ou à quelque autre cause qu'il serait possible et nécessaire de neutraliser.
« La commission a remarqué, en outre, quelques dégradations près des arêtes de raccordements de la voûte du tunnel avec quelques-uns des puits : mais un examen attentif de ces dégradations lui a fait reconnaître qu’elles étaient plus apparentes que réelles et, en tout cas, sans importance, au point de vue de la solidité du tunnel.
Jugeant d'ailleurs nécessaire, pour que le but de l'enquête à laquelle elle avait mission de procéder soit pleinement atteint, de s'assurer sur plusieurs points de l'état intérieur des maçonneries et d'en vérifier quelque part l'épaisseur ; considérant enfin que les intervalles entre les passages des convois n'étaient pas assez longs, pour qu'il fût possible de faire ces vérifications pendant le jour, la commission s'est décidée à y consacrer la nuit du 5 au 6 janvier et, en conséquence, elle a donné des ordres à M. le sous-ingénieur-adjoint chargé du service de l'entretien de la ligne, pour qu'il prît toutes les mesures et fit toutes les dispositions nécessaires, afin que rien n'entravât ses opérations, l'autorisant, pour autant que de besoin, à faire toutes les dépenses nécessaires à cet effet, tant en construction d'échafaudages qu'en achat et préparation de matériaux.
« S'étant de nouveau rendue sur les lieux le 5 janvier, à neuf heures du soir, après une inspection minutieuse du tunnel dans toute son étendue et dans toutes ses parties, la commission a désigné trois points pour y être pratiqué des brèches dans la maçonnerie, à savoir, en premier lieu, à l'emplacement de la fissure dont il est fait mention plus haut et à peu près à la hauteur des reins de la voûte, et en second lieu, dans deux autres endroits où l'eau filtrant le plus abondamment au travers des parois du souterrain, il était probable que la maçonnerie se trouverait dans l'état le moins satisfaisant.
« Ces trois brèches furent immédiatement pratiquées, sous les yeux de la commission, qui se trouva ainsi en mesure, d'une part, de pouvoir juger pertinemment du plus ou moins de solidité de la maçonnerie, par le plus ou moins de difficultés que présenterait l'exécution de ces démolitions et, d'autre part, de s'assurer tout à la fois de l'état dans lequel se trouvait le mortier, de la qualité des briques qui avaient été mises en œuvre et de la manière dont la maçonnerie avait été exécutée.
« Le résultat de ses observations, sous ces différents rapports, fut en premier lieu, que la fissure qu'elle avait remarquée dans son inspection du 25 décembre, n'existait que dans le parement et disparaissait complétement à peu de profondeur, dans l'épaisseur de la maçonnerie, et que par conséquent, il n'y avait lieu à y attacher aucune importance ; qu'en général, la maçonnerie construite en bonne liaison, était très difficile à démolir, partant très solide et très consistante ; que les briques qui y avaient été mises en œuvre étaient de bonne qualité ; que le mortier employé dans la construction de la voûte du tunnel avait acquis un degré de dureté fort remarquable ; que s'il n'en était pas absolument de même de celui employé dans la partie des parois du tunnel, tenant lieu de pieds droits, ce qui du reste s'explique par la circonstance qu'il n'a point été composé des mêmes éléments ou ingrédients que celui de la voûte, et que notamment, il n'y a pas été mêlé, au moins dans la même proportion, des cendres d'usines et des tuileaux pulvérisés, il était cependant arrivé à un étal de siccité et avait acquis un degré de dureté tels qu'il n'y avait à cet égard aucune inquiétude à avoir, quant à la solidité des maçonneries et, enfin que, nonobstant les filiations considérables auxquelles celles-ci étaient sujettes, la composition chimique du mortier n'en avait point été altérée, ce qui était, d'ailleurs, confirmé par la limpidité remarquable de l'eau qui filtrait en grande abondance au travers des parois du tunnel.
« L'une des brèches, celle faite dans la partie de la paroi de gauche du tunnel, formant pied droit de ce côté, ayant été pratiquée au travers de toute l'épaisseur de la maçonnerie, la commission s'est assurée que, conformément à ce qui lui avait été d'avance déclaré, à cet égard, par M. le sous-ingénieur Denis, qui avait été chargé de surveiller la construction de tunnel, cette épaisseur était de trois briques, faisant environ 70 centimètres, et que, d'un autre côté, la maçonnerie formant la paroi du tunnel s'appuyait, sans laisser aucun vide ni intervalle, contre une couche de terre glaise dont se compose, à la hauteur de la brèche pratiquée dans la maçonnerie, le sol que le tunnel traverse en cet endroit.
« Jugeant, d'ailleurs, que l'on pourrait mieux s'assurer pendant le jour que pendant la nuit de l'état des puits, la commission a cru devoir faire de l'examen de ceux-ci l'objet d'une inspection spéciale, à laquelle, en effet, il a été procédé le 14 du courant, et qui a eu pour résultat de faire reconnaître que les puits se trouvaient dans un état non moins satisfaisant que le reste du tunnel.
« Dans cet état des choses, la commission croit pouvoir affirmer que le souterrain de Braine-le-Comte se trouve actuellement dans un état tel qu'il n'y a lieu à avoir aucune inquiétude au sujet de cet ouvrage d'art, ni à prendre aucune mesure, si ce n'est de conservation, à l'effet de le maintenir dans l'état où il se trouve.
« Il va de soi-même que l'administration doit veiller avec une vigilance incessante sur un ouvrage aussi important au point de vue de la sûreté publique, et la commission ne croit pas avoir besoin de recommander que des inspections rigoureuses en constatent, de temps à autre, la situation exacte.
« Mais, pour que ces inspections puissent être parfaitement efficaces et pour qu'aucune altération ne puisse avoir lieu dans le profil, soit longitudinal, soit transversal du tunnel, sans que l'on s'en aperçoive ou qu'on n'en soit informé, la commission a jugé utile de faire constater exactement l'état actuel des lieux, par un profil longitudinal et un certain nombre de profils en travers, rapportés à des points de repère invariables, et qu'elle aura l'honneur de vous adresser ultérieurement.
« En faisant constater tous les ans, de la même manière, l'état des lieux, il sera impossible qu'aucun changement y survienne, sans qu'on en ait connaissance et, par conséquent, sans que l'on soit en mesure, non seulement de prévenir tout accident, mais même d'empêcher qu'il y ait aucun accident à craindre.
« (Signé) de Moor, Gernaert, Willmar et Petit-Jean.
« Pour copie conforme :
« Le président,
« (Signé) de Moor. »
Tels sont les renseignements et les faits que j'avais à présenter à la chambre. Ainsi que j'avais l'honneur de le dire en commençant, je crois qu'ils sont d'une nature rassurante et que toute inquiétude doit disparaître maintenant quant à la sûreté de la circulation sous le tunnel de Braine-le-Comte.
M. Delfosse. - Je ne dirai rien du tunnel de Braine-le-Comte, je ne le connais pas, je ferai seulement remarquer que nos experts n'en ont prédit ni la chute immédiate, ni la chute prochaine. Ils se sont bornés à en signaler quelques parties défectueuses,
Je crois devoir communiquer à la chambre un passage de l'interrogatoire de M. Masui relatif au tunnel de Braine-le-Comte :
« On pourrait aussi soutenir qu'il y a du danger dans les tunnels de Braine-le-Comte et de Godarville, car là aussi il y a un écoulement d'eaux ; si un accident imprévu arrivait, on viendrait également dire : Vous avez vu passer les eaux, vous deviez reconnaître qu'il y avait danger et vous avez été très imprudent de laisser circuler les convois. Eh bien, j'ai la conviction qu'il n'existe pas de danger. »
Après cela, M. Masui nous a priés d'ajouter : « en ce moment. »
J'aime à croire qu'il n'y pas de danger en ce moment, je ne conseillerais néanmoins pas d'accoler un second tunnel à celui de Braine-le-Comte.
M. Dumortier. - Ce que vient de dire l'honorable M. Delfosse est exactement ce que contient le rapport que vient de nous lire M. le ministre des travaux publics. Il y a dans ce rapport un passage qui a une grande signification, c'est celui où les commissaires, résumant leurs observations, concluent qu'aucun accident immédiat ou prochain n'est à craindre. Dès lors on reconnaît que des accidents sont à craindre ; seulement ces accidents ne seraient ni immédiats ni prochains ; on reconnaît que le tunnel ne présente pas toutes les garanties que devrait offrir un tunnel. C'est ce que vient de dire l'honorable M. Delfosse.
Nous sommes tous d'accord que nous n'avons pas pour le présent de danger immédiat ou prochain à craindre. Mais pour l'avenir on ne peut répondre de rien.
(page 530) C'est en présence de pareilles déclarations, que je viens dire qu'il est désirable qu'on n'accole pas à Braine-le-Comte un second tunnel au premier et que pour la seconde voie on fasse une tranchée à ciel ouvert.
Voilà ce qu'il faut conclure de ce que nous avons entendu hier et de ce que nous venons d'entendre aujourd'hui. En s'occupant de l'établissement de la seconde voie, par tranchée, j'engagerai le gouvernement à examiner s'il n'y aurait pas moyen d'établir les deux voies dans la même tranchée, car comme nous avons à craindre, non pas un accident immédiat ou prochain, mais médiat et éloigné, le devoir du gouvernement est de prévoir l'accident immédiat ou prochain qui pourrait survenir.
M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Il n'entre nullement dans les intentions de l'administration de placer à Braine-le-Comte un deuxième tunnel à côté du premier. Je crois qu'il est possible d'ouvrir une tranchée à ciel ouvert pour la seconde voie. Un projet m'a été soumis qui fait connaître que cette tranchée peut être établie moyennant une dépense de 400 mille fr. La pente la plus considérable sera de 10 millimètres par mètre. Dès lors, il n'est plus question de la construction d'un nouveau tunnel pour la seconde voie.
Nous aurons à examiner s'il est possible d'établir les deux voies dans la tranchée à ciel ouvert. Quant à l'établissement d'une seule voie à ciel ouvert, la possibilité en est reconnue.
Je pense que l'honorable M. Dumortier n'a pas compris le sens du rapport dont je viens d'avoir l'honneur de donner lecture à la chambre. La commission qui m'a fait ce rapport n'a pas eu l'intention de faire pressentir un certain danger dans l'avenir ; elle n'a eu à exprimer son opinion que sur l'état actuel des choses. Une commission n'ira jamais se charger de prédire l'avenir, n'ira jamais proclamer que d'ici à longtemps il n'y a pas de danger à craindre ; il n'y pas de commission qui voudrait prendre sur elle une pareille responsabilité. Son devoir était d'examiner si dans le moment présent la circulation sous le tunnel de Braine-le-Comte ne présentait pas de danger, et c'est ce qu'elle a fait.
La commission a procédé à cet examen avec toute l'attention désirable et elle a proclamé que l'état des choses ne présentait aucun danger. Il est évident que quand il s'agit d'un travail aussi important et que la sécurité publique est intéressée dans la question, le gouvernement doit prendre toutes les précautions imaginables et prescrire un examen attentif et journalier de la situation du tunnel. C'est ce que je me propose d'ordonner ; non seulement les inspections ordinaires de l'administration continueront, mais tous les trimestres il y aura une inspection de la commission que j'ai instituée. Je crois que cela présente toutes les garanties possibles.
J'aimais à donner ces explications pour rassurer ceux qui pourraient croire que la commission a été d'avis que le tunnel présentait des dangers pour l'avenir. Car il n'en est rien, la commission ne s'étant prononcée que sur la situation actuelle du tunnel.
M. Dolez. - Les explications que vient de vous donner M. le ministre des travaux publics sont de nature à écarter les graves inquiétudes qui régnaient dans nos contrées sur l'état du tunnel de Braine-le-Comte Mais je ne pense pas qu'elles soient entièrement satisfaisantes en tout point. L'honorable M. Dumortier avait insisté pour que le gouvernement prît l'engagement de profiler de l'établissement prochain de la seconde voie, pour remplacer le tunnel de Braine-le-Comte par une tranchée à ciel ouvert. M. le ministre des travaux publics lui a répondu qu'il était dès à présent décidé que la seconde voie serait établie de cette manière, mais qu'on avait encore à examiner s'il y avait possibilité d’établir les deux voies dans la tranchée ou si l'on conserverait, d'une part, le tunnel pour la première voie, et si de l'autre on ouvrirait une tranchée pour la seconde voie.
Je pense qu'il est impossible d'admettre les explications de M. le ministre des travaux publics avec cette portée. Dès l'instant qu'il est reconnu que le tunnel ne présente pas une sécurité absolue, c'est-à-dire une sécurité qui ne soit pas limitée à un espace de temps plus ou moins long, le devoir du gouvernement est d'étendre aux deux voies la décision qu'il a prise, de substituer la tranchée à ciel ouvert au passage souterrain. En agissant autrement, on s'exposerait, soyez-en convaincus, messieurs, à devoir, dans quelques années, recommencer de nouveaux travaux à grands frais.
Dans la construction de nos chemins de fer, il y a eu beaucoup de fautes commises. Le tunnel de Braine-le-Comte est une de ces fautes ; il était complétement inutile, il n'a été qu'un monument élevé à la vanité des ingénieurs. Il faut franchement apporter remède à la faute commise et supprimer le passage souterrain dont l'inutilité est maintenant avouée et dont la solidité n'est garantie par les rapports qui nous ont été lus que d'une manière provisoire. On aura bientôt regagné, par les produits qu'apporteront les voyageurs que la crainte écarte du chemin de fer, de quoi couvrir les frais qu'entraînera l'établissement des deux voies à ciel ouvert. Je prie donc M. le ministre de ne pas borner l'examen auquel il se livre à l'établissement d'une simple voie, mais à prendre pour point de départ nécessaire l'établissement des deux voies à ciel ouvert. Si on établit la seconde à ciel ouvert, c'est qu'on reconnaît que le travail présentera un jour des dangers. Une demie mesure est dès lors impossible. La vie des voyageurs venant vers Bruxelles, n'est ni plus ni moins précieuse que celle des voyageurs allant vers Mons et vers Namur. Le gouvernement ne peut transiger avec le danger que peut courir la vie d'un grand nombre de voyageurs.
Du reste, je me plais à répéter qu'il résulte des explications données que le public peut être rassuré quant à présent sur l'état du tunnel, et je m'en rapporte à la sollicitude de M. le ministre, pour que la sécurité de l'avenir soit également garantie par l'adoption de la mesure que je viens de signaler à son attention.
M. de Mérode. - Je suis persuadé, d'après les renseignements donnés par M. le ministre des travaux publics, que le tunnel de Braine-le-Comte n'offre aucun danger. Il faut éviter d'effrayer le public sur la solidité de semblables ouvrages, qui sont nécessaires dans plusieurs lignes de chemins de fer ; néanmoins puisque l'on se propose de faire une seconde ligne à ciel ouvert dans la direction de Mons, il me semble que le prix d'un travail semblable, ayant la largeur voulue pour une double voie, ne serait pas beaucoup plus élevé que s'il n'était établi que pour une voie simple. En effet, lorsqu'un déblai est à effectuer dans une grande profondeur, il doit offrir infailliblement, dans sa partie supérieure, une largeur très considérable, qui n'est augmentée pour une double voie que de la mesure qu'exige en plus celle-ci dans le fond de ce même déblai et qui est peu de chose, comparée à la mesure indispensable en toute hypothèse à sa sommité.
M. Delfosse. - Je demande à la chambre la permission de lui donner lecture d'une pièce dont je n'ai pu faire hier qu'une mention sommaire, parce qu'elle nous était parvenue trop tard.
Cette pièce est une lettre de M. Stas, membre de l'Académie et professeur de chimie à l'école militaire. M. Stas, après nous avoir communiqué les résultats de l'analyse des mortiers pris sur divers points de l'ancien tunnel de Cumptich, ajoute :
« En cherchant la moyenne des rapports du sable et de la chaux contenus dans le mortier de voûte, on trouve que les corps y sont comme 74. 3 est à 25.7. C'est-à-dire que pour une partie de chaux il y a trois parties de sable. (D'après le cahier des charges il fallait quatre parties de chaux sur trois de sable).
« La même considération n'est pas applicable au mortier des pieds droits, une moyenne entre les chiffres qui diffèrent si considérablement entre eux, est de nulle valeur. Un résultat cependant qui ne doit manquer de frapper ceux qui examineront les analyses, c'est que la quantité de chaux y diminue à mesure qu'on pénètre dans le tunnel et qu'on s'approche de la partie où l'éboulement s'est opéré.
« Une considération qui ressort également des analyses, c'est que le mortier du tunnel ne contient ni pouzzolane, ni briques pilées, ni ciment.
« La chaux employée pour préparer le mortier est-elle hydraulique ? D'après mes recherches, je suis obligé de répondre négativement à cette question.
« La silice combinée que je trouve dans le mortier provient pour la plus grande partie du sable dont on s'est servi pour le faire ; cette silice, dans les différentes analyses, n'est pas, d'ailleurs, en rapport avec la quantité de chaux qu'on y rencontre, mais bien avec la quantité de sable.
° Une occasion toute fortuite m'a permis de résoudre la question par l'analyse. J'ai rencontré dans le mortier de la voûte des fragments de chaux, non mélangés avec le sable. Ces fragments contiennent A. 1,8 p. c. de silice. B. 1,9 p. c. de silice combinée. Cette quantité peut représenter tout au plus 3 p. c. d'argile. Or, les chaux moyennes hydrauliques contiennent au moins 10 p. c. d'argile. »
La lettre que je viens de vous lire, messieurs, prouve de plus en plus que les prescriptions du cahier des charges ont été audacieusement violées ; elle aggrave encore les charges qui pèsent sur de Ridder, Borguet et Stevens.
M. le président. - La chambre est parvenue à l'article 10 ainsi conçu :
« Art. 10. (projet de la section centrale.) Si les délinquants sont déguisés ou masqués, ou s'ils n'ont aucun domicile connu dans le royaume, ils seront arrêtés sur-le-champ, et mis à la disposition du procureur du roi. »
« Art. 10. (projet du gouvernement.) Si les délinquants sont déguisés ou masqués, ou s'ils n'ont pas de domicile connu, ils seront conduits devant le bourgmestre ou le juge de paix, lequel s'assurera de leur individualité. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - D'après le projet de la section centrale, le chasseur qui se trouverait dans l'un des cas prévus par cet article serait mis à la disposition du procureur du roi ; or on ne peut mettre à la disposition du procureur du roi que les individus qu'on peut arrêter. Le procureur du Roi qui aurait à sa disposition un de ces délinquants, devrait le faire mettre immédiatement en liberté. L'intervention du procureur du roi est donc inutile, quand il s'agit uniquement d'un fait de chasse.
D'un autre côté, pour s'assurer de l'individualité du délinquant, mieux vaut assurément le conduire devant le juge de paix ou devant le bourgmestre, que de le faire voyager jusqu'au chef-lieu de l'arrondissement.
Il va de soi que si le délinquant ne justifie pas de son individualité, s'il est étranger ou en étal de vagabondage, les lois sur les passeports et sur le vagabondage lui seront applicables ; et qu'alors le bourgmestre le mettra en arrestation et le fera conduire devant le procureur du roi.
M. Vanden Eynde. - Je suis tout à fait de l'avis de M. le ministre de la justice. Mais pour donner une direction au juge de paix et au bourgmestre, je proposerai d'ajouter « et le fera conduire, s'il y a lieu, devant le procureur du roi. »
Cela exprimera exactement les intentions de M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne m'y oppose pas.
M. Fleussu. - D'après le projet de la section centrale, le délinquant devait être mis à la disposition du procureur du roi. Comme à cette rédaction on en substituait une autre, on aurait pu en conclure par un argument a contrario que le délinquant ne devait jamais être mis à la disposition du procureur du roi. Mais l'amendement proposé par l'honorable M. Van den Eynde fait cesser toute espèce de doute sur ce point.
M. Savart-Martel, rapporteur. - Cet amendement est d'autant plus (page 531) nécessaire, qu'il arrive souvent que des étrangers viennent chasser dans notre pays.
- L'amendement de M. Van den Eynde est mis aux voix et adopté.
L'article 10 est adopté avec cet amendement.
La chambre passe à l'article 11, ainsi conçu :
« Art. 11 (projet de la section centrale). Les employés assermentés des octrois municipaux pourront constater, à l'entrée des communes, les délits prévus par la loi. Leurs procès-verbaux feront foi jusqu'à preuve contraire. »
« Articles 11 à 14 proposés par le gouvernement et destinés à remplacer l'article 11 du projet de la section centrale :
« Art. 11. Les délits prévus par la présente loi seront prouvés, soit par procès-verbaux ou rapports, soit par témoins, à défaut de rapports et procès-verbaux, ou à leur appui. »
« Art. 12. Les procès-verbaux des bourgmestres et échevins, des commissaires de police, officier, maréchal des logis ou brigadier de gendarmerie, gardes forestiers, gardes champêtres ou gardes assermentés des particuliers, feront foi jusqu'à preuve contraire. »
« Art. 13. Les procès-verbaux des employés des douanes et des octrois feront également foi, jusqu'à preuve contraire, lorsque, dans les limites de leurs attributions respectives, ces agents rechercheront et constateront les délits prévus par le paragraphe premier de l'article 5. »
« Art. 14. Dans les 24 heures du délit, les procès-verbaux seront, à peine de nullité, affirmés par les rédacteurs devant le juge de paix ou l'un de ses suppléants, ou devant le bourgmestre ou échevin, soit de la commune de leur résidence, soit de celle où le délit aura été commis. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Le gouvernement a cru indispensable de rédiger ces articles, parce que la section centrale, dans l'article 13, avait proposé l'abrogation de la loi de 1790, et fait ainsi disparaître les règles relatives à la constatation des délits.
M. Fleussu. - Je remarque que l'on n'ajoute foi aux procès-verbaux des gardes forestiers que jusqu'à preuve contraire. C'est une innovation que l'on introduit dans la législation. Je ne sais si c'est par inadvertance ou à dessein que M. le ministre de la justice a fait ce changement. D'après la loi de 1791, les procès-verbaux des gardes forestiers font foi jusqu'à inscription de faux, jusqu'à concurrence de 100 fr. D'après les amendements présentés, ces procès-verbaux ne feraient plus foi que jusqu'à preuve contraire ; il y a danger à changer cette législation à laquelle tout le monde est habitué. Ce changement pourrait avoir ce résultat fâcheux, que les maraudeurs se consulteraient pour établir la preuve négative. Pour la constatation des délits commis à l'ombre des bois, il faut établir d'autres règles que pour les délits qui se commettent au grand jour. Le législateur de 91 a eu raison de donner foi aux procès-verbaux des gardes forestiers jusqu'à inscription de faux. Cette législation n'a présenté, jusqu'à présent, aucun inconvénient ; je demande a M. le ministre de la justice pourquoi il propose de la changer.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Ce n'est pas par inadvertance que la disposition dont il s'agit a été présentée par le gouvernement. Il est vrai qu'aux termes de la loi de 1791, comme l’a dit l'honorable M. Fleussu, les procès-verbaux des gardes forestiers qui constatent les délits, font foi jusqu’à inscription de faux, alors que l'amende ne s'élève qu'à 100 francs, tandis que les procès-verbaux des gardes champêtres, au contraire, ne font foi que jusqu'à preuve contraire. Nous avons pensé qu'il n'y avait aucun motif pour ne pas mettre sur la même ligne les gardes champêtres et les gardes forestiers, attendu que les premiers peuvent, aussi bien que les gardes forestiers, constater des délits de chasse dans les bois des communes, des particuliers et même de l'Etat, lorsque ces bois sont situés dans la commune où les gardes champêtres ont le droit de verbaliser.
Il nous a paru au moins singulier de laisser un pouvoir plus étendu aux gardes forestiers qu'aux gardes champêtres puisque leurs nominations se font de la même manière et qu'ils doivent présenter les mêmes garanties d'honneur et de moralité.
D'après la rédaction proposée, non seulement les gardes champêtres et les gardes forestiers mais encore les bourgmestres, les commissaires de police ont le droit de constater des délits de chasse ; or les procès-verbaux de ces fonctionnaires qui sont dans une position plus élevée que les gardes forestiers, ne font foi que jusqu'à preuve contraire. Comment donner plus d'autorité aux procès-verbaux dressés par des agents inférieurs ?
En France, on avait proposé de maintenir la disposition d'après laquelle les procès-verbaux des gardes forestiers font foi jusqu'à inscription de faux et de l'étendre aux procès-verbaux dressés par les gardes champêtres. Après une longue discussion, cette disposition a été rejetée et l'on a, je pense, bien fait. Il suffit d'accorder foi aux procès-verbaux jusqu'à preuve contraire. Exiger l'inscription de faux pour combattre un procès-verbal, c'est souvent rendre illusoire le droit de défense, et dans tous les cas, c'est obliger à des formalités assez compliquées.
Je ne pense donc pas qu'il y ait lieu de maintenir l'exception existante pour les procès-verbaux des gardes forestiers. Si on l'admettait, je ne comprendrais pas pourquoi on la limiterait à la somme de 100 fr., ni pourquoi on l'écarterait dans le cas de récidive et dans le cas de cumul de peines, alors que l'amende est portée de 100 à 200 fr. Dans ce cas, les agents rie seraient pourtant crus que jusqu'à preuve contraire ; dans le système que veut maintenir l'honorable M. Fleussu, ils seraient crus jusqu'à inscription de faux.
Messieurs, il me semble convenable de faire disparaître cette anomalie, et de mettre sur la même ligne tous les gardes à qui le droit de verbaliser est accordé par la loi. On obtient une garantie suffisante en donnant foi à leurs procès-verbaux jusqu'à preuve contraire.
Voilà, messieurs, les motifs qui ont engagé le gouvernement à vous faire sa proposition, et je ne crois pas qu'il puisse en résulter d'inconvénients.
L'honorable M. Fleussu vous dit avec beaucoup de raison que lorsqu'une disposition est bien comprise et par suite convenablement appliquée par le pouvoir judiciaire, il ne faut pas la changer légèrement et dérouter en quelque sorte les juges. Messieurs, je suis parfaitement de cet avis, mais je pense qu'ici, loin de dérouter les juges, nous leurs facilitons les moyens de rendre bonne justice, en faisant une loi générale d'après laquelle ils pourront juger si les procès-verbaux sont valables, si le fonctionnaire qui l'a dressé était compétent pour le faire, jusqu'à quel point foi est due à l’acte qui leur est présenté.
M. Fleussu. - Vous comprenez, messieurs, que je n'attache pas une grande importance à l'observation que j'ai présentée. J'ai seulement voulu que l’on sût si c'était de propos délibéré qu'on avait fait ce changement à la législation. Mais je demanderai s'il y aura une différence entre les procès-verbaux dressés par les gardes forestiers, lorsqu'il s'agit de délits forestiers, et entre les procès-verbaux dressés par les mêmes gardes pour des délits de chasse. Lorsqu'un garde forestier constate un délit forestier, il est cru jusqu'à inscription de faux. Si les observations de M. le ministre sont fondées, elles doivent l'être aussi bien lorsqu'il s'agit de délits forestiers,, que lorsqu'il s'agit de délits de chasse ; il me semble d'ailleurs que les attributions des gardes forestiers devraient être nettement définies.
Il y a cependant un motif, messieurs, pour faire mettre les gardes forestiers sur une autre ligne que les gardes champêtres ; je l'ai déjà indiqué ; c'est que presque toujours le garde forestier se trouve seul dans une forêt ; qu'il est rare que deux gardes s'y trouvent ensemble, ou qu'il y ait des témoins pour confirmer leurs assertions. De sorte que si les gardes forestiers ne sont pas crus jusqu'à inscription de faux, les braconniers pourront assez facilement s'entendre, se prêter un secours mutuel pour établir des alibi ou échapper par quelque autre moyen à la loi. Les gardes champêtres, au contraire, exercent dans les campagnes ; ils peuvent très souvent appeler des témoins lorsqu'ils constatent des délits, surtout en temps de chasse.
Quoi qu'il en soit, messieurs, je demande, si la disposition présentée par M. le ministre est adoptée, que les procès-verbaux dressés par les gardes forestiers, en matière de délits forestiers, ne soient plus crus non plus que jusqu'à preuve contraire.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je répondrai à l'honorable M. Fleussu par les mots qu'il a prononcés dernièrement ; je lui dirai que les dispositions de la loi ne peuvent s'entendre que pro subjecta materia. Nous ne nous occupons ici que des délits de chasse et nullement des délits forestiers en général ; conséquemment les procès-verbaux dressés pour constater ces derniers délits ne subiront, quant à la foi qui leur est due, aucune modification.
M. Vanden Eynde. - Messieurs, à l'occasion de l'article 12, je me permettrai de faire quelques questions à M. le ministre de la justice.
On met sur la même ligne, pour la constatation des délits de chasse, les bourgmestre et échevins, les commissaires de police, l'officier, le maréchal de logis ou le brigadier de gendarmerie, les gendarmes, les gardes forestiers, les gardes champêtres ou les gardes assermentés des particuliers, et on dit que leurs procès-verbaux feront foi jusqu'à preuve contraire.
Je comprends très bien que les procès-verbaux des gardes champêtres, des bourgmestres, des officiers de gendarmerie, ainsi que ceux des gardes particuliers, fassent foi en justice jusqu'à preuve contraire, parée qu'à l'égard de toutes ces personnes il y a information préalable par la justice sur leurs vie et mœurs, et qu'elles ont été préalablement admises au serment en justice. Mais je ne sache pas qu'il en soit de même pour les maréchaux de logis, pour les brigadiers de gendarmerie et pour les simples gendarmes. Ceux-là n'ont pas serment en justice. Cependant, par sa disposition, le gouvernement veut leur accorder le même droit qu'à un garde assermenté, qu'à un bourgmestre. Je ne sais s'il est très prudent d'établir un pareil principe.
Messieurs, d'après la rédaction présentée par M. le ministre de la justice, non seulement les délits pourront être constatés par deux gendarmes, mais par un seul gendarme, et ce gendarme pourra rédiger un procès-verbal qui fera foi en justice, jusqu'à preuve contraire.
Je dois aussi faire une observation relativement au douanier.
D'après la loi du 22 avril 1820, sur les droits d'entrée, de sortie et d'accises, les procès-verbaux des douaniers fout foi jusqu'à preuve contraire ; mais celle loi exige que ces procès-verbaux soient signés par deux douaniers. Je demanderai a M. le ministre de la justice, s'il veut encore déroger à cette disposition. Veut-il que le procès-verbal signé par un seul douanier fasse foi jusqu'à preuve contraire ? Il y aurait encore là, me semble-t il, une dérogation au système général des lois sur les douanes. Je ne crois pas que les douaniers aient prête serment devant le tribunal de l'arrondissement où ils exercent leurs fonctions. Cela serait cependant nécessaire pour que le procès-verbal constatant un délit fît foi devant la justice.
La même observation s'applique aux employés de l'octroi. Leurs procès-verbaux, en vertu de la loi de 1810, font aussi foi jusqu'à preuve contraire. Il est vrai que cette loi ne dit pas que les procès-verbaux doivent être signés par deux employés de l'octroi. Mais pour que leurs procès-verbaux fissent foi, il faudrait que ces employés eussent serment en justice.
Je désire que M. le ministre de la justice veuille bien s'expliquer sur ces différents points et nous dire les motifs qui l'ont déterminé à présenter la rédaction d'un nouvel article 12.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, les observations de l’honorable M. Vanden Eynde portent sur l’extension d'attributions accordée (page 532) aux gendarmes, aux douaniers et aux employés des octrois communaux.
Messieurs, la question de savoir si des gendarmes ont le droit de constater les délits en matière de chasse a paru douteuse. Des arrêts en sens divers ont été rendus. En France, néanmoins, une ordonnance de 1820 semble leur avoir reconnu ce droit ; chez nous, il serait difficile de la leur contester en présence d'un arrêté de 1814.
On ne doit pas considérer comme une innovation ce que nous proposons en ce qui concerne le droit dés gendarmes de dresser des procès-verbaux en matière de chasse ; mais nous avons cru devoir indiquer d'une manière formelle que ce droit leur appartient et cela nous a paru d'autant plus nécessaire que ce sont presque toujours les gendarmes qui constatent de semblables délits.
Du moment que nous accordions aux gendarmes le droit de faire des procès-verbaux, il fallait bien accorder à ces actes foi jusqu'à preuve contraire ; sans cela ils seraient complétement inutiles.
L'honorable M. Vanden Eynde pense que les gardes champêtres et les gardes forestiers méritent plus de confiance que les gendarmes, parce que les premiers ne sont nommés qu'après une investigation sur leur vie antérieure et sur leurs antécédents. Mais il en est absolument de même des gendarmes. Pour entrer dans la gendarmerie, il faut avoir les certificats les plus honorables ; on n'admet que très difficilement dans ce corps, et l'on peut avoir tout autant de confiance dans les gendarmes que dans les gardes champêtres ou les gardes forestiers.
Certes, messieurs, si un corps mérite la confiance, c'est bien le corps de la gendarmerie ; ce corps rend les plus grands services pour le maintien de l'ordre public et de la protection due aux personnes et aux propriétés, et je suis heureux d'avoir l'occasion de proclamer le zèle et le dévouement dont ce corps fait preuve dans les circonstances difficiles où nous nous trouvons.
La seconde observation de l'honorable M. Vanden Eynde porte sur ce que les gardes champêtres sont assermentés, tandis que les gendarmes ne le sont pas. Cela est vrai ; mais la chambre voudra bien remarquer que nous ne demandons d'ajouter foi aux procès-verbaux qu'après qu'ils ont été affirmés, de manière que le serment sera spécialement prêté par le gendarme quant au procès-verbal dressé par lui, et de même qu'aujourd'hui on accordé foi à la déposition d'un gendarme qui vient donner son témoignage en justice, tout comme à la déposition de tout particulier, de même on peut ajouter foi au procès-verbal dressé par lui, après que ce procès-verbal aura été affirmé sous serment sincère et véritable ; qu'importe que le gendarme ait ou non prêté serment en entrant en fonctions ?
Je pense donc que la disposition qui assimile sur ce point le gendarme au garde champêtre est utile, et qu'elle amènera de bons résultats.
Quant aux douaniers, ils sont mis sur la même ligne que tous les autres fonctionnaires auxquels le droit de constater les délits de chasse est accordé.
Vous remarquerez que les douaniers et les employés de l'octroi doivent constater des délits en quelque sorte matériels, l'existence du gibier en la possession du délinquant. Il ne s'agit pas pour eux de constater si un individu a commis un délit de chasse, d'en établir les circonstances, mais uniquement de savoir si un individu est porteur d'un lièvre ou d'un perdreau ou de tout autre gibier. Je crois que, pour constater un fait semblable, il est inutile d'être deux.
Il y a donc des motifs pour attribuer au douanier et à l'employé de l'octroi, le droit de dresser des procès-verbaux, même lorsqu'ils sont seuls, et cela par dérogation aux lois de douane qui exigent la présence de deux employés, lorsqu'il s'agit de constater des contraventions d'une tout autre importance, relativement à l'introduction dans le pays de marchandises, soit passibles de droit à l'entrée, soit frappées de prohibition.
Messieurs, d'après les observations de l'honorable M. Vanden Eynde, il me paraît utile d'ajouter deux mots à l'article 12.
Cet article porte :
« Les procès-verbaux des bourgmestres et échevins, commissaires de police, officier, maréchal des logis ou brigadier de gendarmerie, gendarmes, gardes forestiers, gardes champêtres ou gardes assermentés des particuliers, feront foi jusqu'à preuve contraire. »
Il faudrait ajouter à l'énumération qui se trouve dans cet article les mois : « employés des douanes et des octrois. » De cette manière, il n'y aurait plus aucune espèce de doute quant à la foi due aux procès-verbaux des employés dont il s'agit et quant à la forme de ces procès-verbaux.
M. Savart-Martel, rapporteur. - Messieurs, la disposition qui porte qu'il est dû foi aux procès-verbaux jusqu'à inscription de faux, lorsqu’il ne s'agit que d'une somme de 100 fr. ; cette disposition concerne les délits forestiers. Or nous nous occupons uniquement ici des délits de chasse, et lorsqu'il s'agira de semblables délits, les juges consulteront la loi que nous discutons, comme ils consulteront d'autres lois spéciales lorsqu'il s'agira, par exemple, de délits forestiers ou de délits en matière de douane.
il me paraît, messieurs, qu'il serait difficile d'introduire dans une loi sur la chasse une disposition relative à la foi due aux procès-verbaux concernant d'autres matières, par exemple, la fraude. Si vous alliez, par certaines dispositions, donner des facilités à la fraude, ce serait un grand mal, car enfin un délit de chasse est une chose insignifiante comparativement à la fraude qui nuit à la fois au trésor public et à l'industrie du pays.
M. Vanden Eynde. - J’avais demandé à M. le ministre de la justice des explications sur le sens que le gouvernement voulait donner à cet article. J'ai cru comprendre qu'il veut accorder des droits absolument égaux à tous les agents dont il est parlé dans l'article, sans avoir égard aux lois particulières qui règlent les attributions de ces divers agents. Je demanderai à M. le ministre si c'est bien ainsi qu'il l'entend ?
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Oui, en ce qui concerne les délits de chasse.
M. Dumortier. - Messieurs, dans les parties du pays qui avoisine la douane et surtout sur la frontière de France» il arrive très fréquemment que quelques jours avant l'ouverture de la chasse, et lorsque la chasse vient d'être ouverte, des braconniers étrangers pénètrent chez nous et y enlèvent en peu de temps tout le gibier. Je demanderai ce que les douaniers devront faire en pareil cas. Je prierai M. le ministre de la justice de bien vouloir nous donner un mot d’explication sur les mesures que le gouvernement prendra pour prévenir cet abus.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ferai d'abord observer à l'assemblée, que d'après l'article proposé, les douaniers n'ont le pouvoir de constater les contraventions que dans les limites de leurs attributions. Ainsi ces agents constateront le fait de l'introduction du gibier étranger, mais ils ne pourront pas constater des délits de chasse proprement dits.
Dans la discussion de la loi française, celle question a été longuement traitée, et elle a été résolue dans le sens que je viens d'indiquer.
Le fait qui a été signalé par l'honorable M. Dumortier est très grave, mais je vois difficilement moyen d'y porter remède, car si un étranger vient dans le pays muni d'un passeport, ayant ses papiers parfaitement en règle, il est impossible de l'arrêter uniquement parce qu’il aura commis un délit de chasse, qui ne peut entraîner qu'une condamnation à l'amende. Le douanier doit donc se borner dans ce cas à constater le délit, mais si l'étranger qui l'a commis revenait dans le pays après une condamnation par défaut, il devra être arrêté en vertu d'une des dispositions du projet soumis à la chambre, et qui permet, après un délai de trois mois, de substituer l'emprisonnement à l'amende.
M. de Garcia. - L'observation de l'honorable M. Dumortier mérite toute l'attention de la chambre : plusieurs fois j'ai entendu des plaintes sur des faits de braconnage exercés sur notre frontière par des étrangers. Il est possible de pourvoir à cet abus.
L'article 10, voté par la chambre, n'est qu'un amendement et dès lors on pourra sous-amender cette disposition au deuxième vote ; Cet article est ainsi conçu :
« Si les délinquants sont déguisés ou masqués, ou s'ils n'ont pas de domicile connu, ils seront conduits devant le bourgmestre ou le juge de paix, lequel s'assurera de leur individualité. »
Je crois, messieurs, qu'on pourrait comprendre les étrangers dans cette disposition. (Interruption.) Il est vrai que, d'après cette disposition, quand ils auront été reconnus, on devra les relâcher ; mais il n'est pas impossible d'introduire dans l'article 10 une disposition plus rigoureuse à l'égard des étrangers. On pourrait dire, par exemple, qu'ils seront provisoirement arrêtés et détenus jusqu'au jugement définitif. Dans tous les cas, je crois qu'il sera facile d'ici au second vote de trouver une disposition qui fasse droit à l'observation de l'honorable M. Dumortier.
M. Dubus (aîné). - Il me semble, messieurs, qu'il faut conclure de explications données par M. le ministre de la justice sur la portée de l'article 13 nouveau, proposé par lui, que cet article se réduit à peu près à rien. « Les procès-verbaux, dit cet article, des employés des douanes et des octrois feront également foi, jusqu'à preuve contraire, lorsque dans les limites de leurs attributions respectives, ces agents rechercheront et constateront les délits prévus par le paragraphe premier de l'article 5. » Mais, messieurs, il n'entre pas dans les attributions que les lois en vigueur donnent à ces employés, de constater les délits de chasse. Ils ne pourront donc pas constater ces délits. Que se passera-t-il dès lors entre ces employés et ceux qui voudront importer du gibier, en temps prohibé, soit dans le royaume, soit dans une ville où il y a un octroi ? Ceux qui voudront importer du gibier dans le pays se présenteront pour acquitter le droit, et que fera l'employé de la douane ? Il percevra le droit ou il ne le percevra pas, mais à coup sûr il ne pourra pas constater de délit. Il ne pourra pas constater un délit contre la loi de douane puisqu'on offre de payer le droit ; il ne pourra pas constater un délit de chasse, parce que cela n'entre pas dans sas attributions. L'employé de l'octroi sera absolument dans le même cas : on se présentera pour acquitter le droit d’octroi : je pense qu'il devra le refuser, car sans cela l'administration municipale se rendrait en quelque sorte complice du délit, mais il ne pourra dresser aucun procès-verbal pour les mêmes motifs qui empêchent l'employé des douanes de le faire.
Il me semble donc, messieurs, qu'il faut ou supprimer l'article 13, ou supprimer les mots : « Dans les limites de leurs attributions respectives. » Quant à moi je demande cette dernière suppression. Je crois que c'est un moyen d'assurer l'exécution de la loi que de permettre aux employés de la douane et des octrois de constater les délits. Ces employés sont précisément placés à l'entrée du royaume ou à l'entrée des villes ; ils peuvent donc arrêter le gibier au passage, et c'est un moyen efficace de prévenir les contraventions.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, l'honorable préopinant pense que la disposition de l'article 13 est inutile avec le sens, selon lui, restrictif que je lui ai donné. Qu'il me soit permis de vous lire une instruction donnée en France relativement à un article analogue qui se trouve dans la loi française ;
« L'article 23, dit cette instruction, porte que les procès-verbaux des employés des contributions indirectes et des octrois feront loi jusqu'à la preuve contraire, lorsque, dans la limite de leurs attributions respectives, ces agents rechercheront et constateront les délits prévus par le paragraphe premier de l'article 4, c'est-à-dire la mise en vente, la vente, l'achat, le colportage et le transport du gibier eu temps prohibé. Les motifs de cette disposition sont évidents. Les infractions dont il s'agit ici ne pourront presque jamais être constatées par les gardes et (page 533) les gendarmes, appelés, par la nature de leurs fonctions, à rechercher plutôt les délits de chasse proprement dits qui se commettent au milieu des champs ; mais les préposés de l'octroi, placés à l’entrée des villes pour surveiller les objets qu'on veut y introduire, les employés des contributions indirectes, obligés, par état, de visiter les auberges et les lieux ouverts au public, pourront, tout en remplissant leur mission, constater sans peine le transport et la vente illicites du gibier. »
Voilà, messieurs, comment cette disposition est comprise en France.
Ainsi, pour me servir de l'exemple donné par l'honorable M. Dubus, un employé de l'octroi voit arriver un individu avec du gibier. Cet individu veut entrer en ville avec le gibier dont il est porteur, et offre d'acquitter le droit établi ; l'employé refuse, car évidemment il ne peut pas recevoir le payement du droit d'octroi sur du gibier en temps de chasse prohibée, ce serait s'associer en quelque sorte au délit qui a été commis. Il refuse donc le payement des droits et l'entrée du gibier, dans l'état actuel de la législature, il devrait se borner là ; mais si vous adoptez la disposition proposée, il devra faire quelque chose de plus ; il devra constater le transport du gibier et même le saisir ; c'est, en effet, dans la limite de ses attributions qu'il acquerra connaissance du délit. Il sera donc compétent pour en dresser procès-verbal ; bien qu'il n'entre pas dans ses attributions habituelles de constater de semblables délits, il suffit qu'il puisse le rechercher et le constater dans l'exercice de ses fonctions ordinaires.
Voilà le sens dans lequel l'article a été proposé. Du reste, si la chambre pense que la disposition laisse quelque doute, quant à l'étendue de la compétence des douaniers et des employés de l'octroi, je ne m'oppose en aucune façon à l'amendement de 1 honorable M. Dubus.
M. de Saegher. - Messieurs, je dois exprimer mon étonnement de ce que M. le ministre de la justice veuille adopter l'amendement présenté par l'honorable M. Dubus ; je pense que son adhésion ne peut être attribuée qu'au temps qui lui a manqué pour examiner la portée de cet amendement.
Que propose l'honorable M. Dubus ? Il propose de rayer de l'article les mots « dans les limites de leurs attributions respectives ; » resterait donc un article ainsi conçu :
« Les procès-verbaux des employés des douanes et des octrois feront également foi jusqu'à preuve contraire, lorsque ces agents rechercheront et constateront les délits prévus par le premier paragraphe de l'article 5. »
La portée de cet article, messieurs, est donc celle-ci : c'est de créer autant de gardes de chasse qu'il y a d'employés d'octroi et de douaniers ; je dis que cela est contraire aux nécessités du service public ; je dis que les employés des douanes doivent s'occuper d'empêcher que les marchandises étrangères ne soient introduites en fraude dans le pays, au grand détriment de l'industrie indigène : telle doit être leur occupation, et ils ne peuvent pas en avoir d'autre. Eh bien, si vous allez leur permettre de constater les délits concernant la chasse, il arrivera bien souvent qu'ils seront plus actifs, surtout dans certains rayons, à exercer leurs nouvelles attributions qu'à surveiller l'introduction en fraude des marchandises étrangères.
Messieurs, il y a un autre motif. Nos frontières sont pour ainsi dire couvertes de douaniers ; pourquoi le rayon de la douane devrait-il être mieux surveillé, quant à la chasse, que toute autre partie du pays ? J'avoue que je ne comprends pas que l'on puisse adopter l'amendement, tel qu'il est proposé par l'honorable M. Dubus.
Ce que je dis des douaniers, doit être dit des employés de l'octroi ; ils ont pour mission d'empêcher que des marchandises n'entrent dans les villes sans payer les droits.
Si nous admettons la suppression proposée, les employés de l'octroi iront faire des recherches même à l'intérieur des villes.
Je comprends très bien la portée de l'article, tel qu'il est proposé par le gouvernement, et cet article, je l'adopte, parce qu'il tend à réprimer efficacement le braconnage. La portée de l'article vous a déjà été expliquée par M. le ministre de la justice ; c'est comme s'il y avait que les douaniers et les employés des octrois pourront constater les délits dont il s'agit, qu'ils rencontreront dans l'exercice de leurs fonctions, c'est-à-dire qu'ils rencontreront accidentellement, pendant qu'ils sont occupées à exercer leurs fonctions habituelles.
Si, par exemple, un employé de l'octroi fait des perquisitions dans une voiture, pour voir s'il ne s'y trouve pas de marchandises sujettes aux droits, et s'il trouve qu'en temps prohibé, cette voiture contient du gibier, sans doute, d'après l'article en question, il devra le constater ; il me paraît qu'il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. D'après ces simples observations, j'ose espérer que la chambre n'adoptera pas l'amendement de l'honorable M. Dubus. Il est difficile de comprendre toute la portée d'un amendement sur lequel on n'a pas eu le temps de méditer ; mais les inconvénients que je viens de signaler me paraissent suffisants pour motiver le rejet que je propose.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je crois que nous sommes d'accord sur le fond de l'article et qu'on ne diffère que sur la forme ; il ne s'agit pas de transformer exclusivement en agents chargés de réprimer le braconnage, soit les douaniers, soit les employés des octrois mais si, dans l'exercice de leurs fonctions respectives, ces employés constatent un délit prévu par la loi actuelle, ils auront le droit de dresser procès-verbal. Vous avez voulu, messieurs, défendre la vente et le transport du gibier, vous devez vouloir par tous les moyens réguliers ou légitimes, empêcher la perpétration de ces délits. Les agents de l'octroi seront, moins encore que les douaniers, exposés au danger de se transformer en fonctionnaires exclusivement chargés de constater les délits de chasse ; en effet, l'exercice de leurs fonctions se renferme dans un rayon très circonscrit, et ils ne peuvent pas quitter la place qui leur est assignée. Je pense donc qu'on peut, sans inconvénient, adopter l'amendement de l'honorable M. Dubus.
M. Fallon. - Je crois rencontrer la pensée de l'honorable M. Dubus en proposant, par sous-amendement, de mettre, au lieu des mots : « dans les limites de leurs fonctions respectives » ceux-ci : « dans le lieu où ils sont autorisés à exercer leurs fonctions. »
- Ce sous-amendement est appuyé.
M. Dubus (aîné). - Messieurs, tout en rendant hommage au zèle que déploie l'honorable M. de Saegher pour que les douaniers et les employés des octrois ne soient pas enlevés à leurs fonctions habituelles, je dois cependant faire remarquer qu'il a donné à l'amendement que j'avais eu l'honneur de présenter et aux observations par lesquelles je l'avais appuyé, une portée qu'ils n'ont pas.
L'honorable membre a déclaré, en effet ,que mes observations étaient inopinées pour lui, et je dois reconnaître, de mon côté, qu'il n'avait pas lu avec attention l'article 13 proposé par M. le ministre de la justice et auquel mes observations s'appliquaient ; s'il avait lu avec attention l'article 13, il se serait aperçu qu'il ne s'agit pas dans cet article de faire des douaniers et des employés de l'octroi des gardes-chasse chargés d'aller constater partout les délits de chasse ; il s'agit uniquement de donner une sanction au paragraphe premier de l'article 5 de la loi.
Or, de quoi est-il question dans le premier paragraphe de l'article 5 ? Il est uniquement question de la défense de vendre, d'acheter, de colporter le gibier pendant le temps où la chasse est fermée. Eh bien, quels sont ceux qui dans l'exercice de leurs fonctions habituelles sont les plus à même de constater les contraventions à la disposition du premier paragraphe de l'article 5 ? Ce sont précisément, d’une part, les agents qui sont placés aux frontières pour empêcher l'introduction frauduleuse des marchandises étrangères dans notre pays, et, d'autre part, ceux qui sont placés aux portes de nos villes, pour empêcher également l'introduction frauduleuse des marchandises qu'on voudrait soustraire aux droits d'octroi établis dans toutes nos villes.
D'après la force de ces mots « dans les limites de leurs attributions respectives, » on aurait pu soutenir que les attributions des douaniers et des employés des octrois n'étant pas changées, ils n’avaient pas le droit de constater les contraventions à la disposition du paragraphe premier de l'article 5. En retranchant les mots que je viens d'indiquer, aucun abus n'est possible, et en même temps on donne à ces agents une véritable attribution de plus. Voilà la portée de mon amendement.
Il est bien entendu, du reste, qu'on n'enlève point par là ces agents à l'obéissance qu'ils doivent aux ordres de leurs supérieurs ; et qu'ils demeurent par conséquent obligés d'exercer leurs fonctions là où on leur donne l'ordre de les exercer ; et sous ce rapport tout doute disparaîtra, si l'on admet le sous-amendement de l'honorable M. Fallon, sous-amendement pour lequel je voterai également.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je ne m'oppose pas au sous-amendement proposé par l'honorable M. Fallon. Je considère cependant cette disposition comme à peu près inutile, car les employés des octrois, pas plus que les douaniers, n'ont le droit de dresser procès-verbal hors des lieux dans lesquels ils peuvent exercer leurs fonctions. Cela est évident.
M. de Saegher. - Messieurs, je persiste dans les observations que j'ai faites en premier lieu, les considérations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Dubus, ne m'ont pas fait changer d'opinion ; il est possible seulement que, dans les expressions dont je me suis servi, je me sois exprimé d'une manière trop générale ; mais il n'en reste pas moins vrai que dorénavant, si vous adoptez l'amendement de M. Dubus, les douaniers seront chargés de surveiller la vente, l'achat, le transport et le colportage du gibier. Il n'en reste pas moins vrai que par là vous allez leur donner des attributions nouvelles et que ces nouvelles attributions vont les distraire trop souvent de leurs devoirs principaux.
Telle n'a pas été l'intention du législateur auquel on a emprunté la disposition qui nous occupe. En France (et c'est la disposition française textuelle que le gouvernement a présentée en premier lieu), en France il a été bien entendu que les douaniers ne constateraient des délits de chasse que lorsqu'ils rencontreraient ces délits dans l'exercice de leurs fonctions de douanier, et qu'il ne leur était imposé aucune obligation nouvelle. C'est à vous de voir, messieurs, si vous pouvez adopter la disposition que propose l'honorable M. Dubus et qui change totalement l'article.
- La clôture est demandée.
Elle est mise aux voix et prononcée.
L'article 11 est mis aux voix et adopté.
« Art. 12 (nouveau). Les procès-verbaux des bourgmestres et échevins, commissaires de police, officier, maréchal des logis ou brigadier de gendarmerie, gendarmes, gardes forestiers, gardes champêtres ou gardes assermentés des particuliers, feront foi jusqu'à preuve contraire. »
- Adopté.
« Art. 13 (nouveau). Les procès-verbaux des employés des douanes et des octrois feront également foi, jusqu'à preuve contraire, lorsque, dans les limites de leurs attributions respectives, ces agents rechercheront et constateront les délits prévus par le paragraphe premier de l'article 5. »
M. le président. - M. Fallon propose de substituer aux mots : « Dans les limites de leurs attributions respectives, » ceux- ci : « Dans les lieux où ils sont autorisés à exercer leurs fonctions. »
M. Dubus, en cas de rejet de cet amendement, propose la suppression des mots ; » dans les limites de leurs attributions respectives. »
- L'amendement de M. Fallon est mis aux voix et adopté.
L'art. 13 ainsi amendé, est également adopté.
« Art. 14 (nouveau). Dans les 24 heures du délit, les procès-verbaux seront, à peine de nullité, affirmés par les rédacteurs devant le juge de paix ou l'un de ses suppléants, ou devant le bourgmestre ou échevin, soit de la commune de leur résidence, soit de celle où le délit aura été commis. »
- Adopté.
(page 534) « Art. 15 (12 de la section centrale). Les poursuites auront lieu d'office ; mais s'il s'agit uniquement d'une contravention à l'article 2, les poursuites n'auront lieu que sur la plainte du propriétaire ou locataire de la chasse. Le plaignant ne sera tenu de se constituer partie civile que s'il veut conclure aux indemnités, dommages et intérêts. »
M. le président. - M. le ministre de la justice a proposé de substituer aux mots : « locataire de la chasse », ceux-ci : « ayant droit. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Il faut également supprimer le mot « indemnités, » par suite du système adopté, qui ne maintient que l'amende.
Le plaignant, disait l'article 12, ne sera tenu de se constituer partie civile que s'il veut conclure aux indemnités, dommages et intérêts.
Il faut laisser uniquement les mots : « s'il veut conclure aux dommages et intérêts. »
M. de Saegher. - J'ai demandé la parole pour faire une observation sur cet article. Le projet portait que dans les cas prévus par la présente loi, les poursuites pourraient se faire d'office. D'après l'article du projet de la section centrale auquel le gouvernement s'est rallié, les poursuites auront lieu d'office, mais quand il s'agirait uniquement d'une contravention à l'article 2, les poursuites n'auraient lieu que sur la plainte du propriétaire ou ayant droit.
Ces deux rédactions pourraient donner lieu à quelque doute. Je pense qu'il est entendu que le ministère public conserve, en cas de plainte, son entière liberté d'action.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - C'est de toute évidence ; on n'a pas voulu enlever au ministère public sa liberté d'action, son droit d'appréciation. D'ailleurs la partie lésée peut saisir directement le tribunal aux termes du code d'instruction criminelle.
M. de Saegher. - J'ai demandé cette explication, parce qu'en France il y a eu des débats très sérieux sur cette question.
- La suppression du mot « indemnités » est adoptée.
La substitution des mots « ayant droit » aux mots « locataire de la chasse » est également adoptée.
- L'ensemble de l'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 16 (13 de la section centrale). Dans tous les cas prévus par la présente loi, le juge prononcera subsidiairement un emprisonnement de dix jours à deux mois contre tout condamné qui n'aura pas satisfait aux amendes prononcées à sa charge dans le délai de trois mois, à partir de la date du jugement, s'il est contradictoire, et à partir de sa notification, s'il est par défaut. »
M. Savart-Martel. - Messieurs, quoique rapporteur de la section centrale, je dois dire que je n'ai pas été d'opinion qu'il fallait laisser un délai avant d'exiger l'exécution de la loi et il m'a paru qu'un délai de trois mois était excessivement long, qu'après ce délai la peine n'aurait plus l'effet que l'on doit en attendre et que dans l'intervalle de la condamnation à l'exécution le même braconnier se livrerait peut-être à des récidives multipliées. Un jugement correctionnel doit s'exécuter autant que possible tout de suite, bien entendu après les délais d'appel, mais dès que le jugement est passé en force de chose jugée. Les peines n'ont d'effet que quand elles suivent le délai du plus près possible. C'est dans les délits de cette nature qu'il faudrait saisir le délinquant, le mettre en prison et lui faire subir sa peine tout de suite. Mais nos mœurs n'admettent pas cette manière de procéder.
Voyez ce qui arrivera si vous laissez le délai de trois mois que propose la section centrale. Le braconnier se moquera de votre jugement. Trois mois, c'est pour lui l'éternité ; il aura pendant ce temps-là le moyen de gagner l'amende à laquelle on l'aura condamné. Je ne dis pas qu'il pourra s'en aller, quitter le pays, car nous n'en serions pas fâchés, nous ne tenons pas à nourrir des braconniers, mais il pourra aller dans une autre partie du pays et s'y livrer de nouveau au braconnage.
En donnant des instructions, on pourrait en partie parer aux inconvénients. Je proposerai le délai de deux mois au lieu de trois, quoique j'eusse désiré qu'il ne fût que d'un mois.
- L'amendement de M. Savart est appuyé.
M. Desmet. - Au lieu d'appuyer un pareil amendement, j'avais demandé la parole pour faire une observation dans nn autre sens, pour attirer, l'attention de la chambre sur la sévérité extrême de cette disposition. Dans le même jugement vous condamnez le délinquant à une forte amende et subsidiairement à la prison, jusqu'à deux mois, sans parler des frais pour lesquels vous avez encore le pouvoir de le retenir en prison pendant cinq ou six mois. Remarquez que cela ne s'applique pas seulement aux braconniers, mais à celui qui aura transporté ou acheté un lièvre ou un perdreau, détruit un nid ou une couvée.
Un père de famille qui aurait eu l'imprudence de détruire une couvée de perdreaux, pourrait être mis en prison pendant six à sept mois, car ceux qui commettent ces contraventions sont hors d'état de payer des amendes comme celles que nous prononçons. Je vous demande si c'est là une peine en rapport avec le fait. Je ne parle pas seulement de faits de braconnage, mais de faits innocents qui peuvent arriver tous les jours, tels que le transport d'un lièvre ou d'un perdreau, sans délit de chasse ; pour ce fait seul on pourrait être mis en prison pour deux mois sans les frais. Je ne propose pas d'amendement, car je suis décidé à voter contre la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - L'honorable préopinant semblé avoir perdu de vue ce qui se pratique et ce qui justifie la proposition, c'est précisément parce qu'il y a ce caractère d'insolvabilité chez les délinquants, qu'ils obtiennent des certificats de mendicité, d'indigence, d'impossibilité de payer, que la loi a été privée de sanction. C'est pour donner une sanction à la loi, pour punir avec certitude le braconnage, que la disposition a été admise.
L'honorable membre voit un inconvénient, un danger dans le fait qu'un citoyen peut être condamné pour le simple fait de transport d'un lièvre. Mais la loi donne au juge une latitude entre le minimum de 6 jours et le maximum de 2 mois. Ce sera au juge à examiner les circonstances du délit et à appliquer dans sa sévérité en prononçant le maximum, ou dans son indulgence en prononçant le minimum de la peine.
M. Desmet. - Si je dévaste un champ, si je cause quelque dommage dans une basse-cour, je suis condamné à trois jours d'emprisonnement et 15 fr. d'amende ; et si j'ai le malheur de prendre un lièvre et même, par suite de l'amendement de M. le ministre, si, croyant tirer un lapin, je tue un lièvre, je puis être jeté en prison pendant six mois.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Le dernier inconvénient que vient de signaler l'honorable préopinant, n'aura pas, pour les citoyens, le grand danger qu'il nous a exposé. Je me propose au deuxième vote, de soumettre à la chambre une modification de rédaction en ce qui concerne les lapins, en conséquence le danger signalé sera complétement écarté.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Savart est mis aux voix et adopté.
L'article ainsi amendé est également adopté.
« Article nouveau (proposé par M. Dumortier). Les amendes comminées à l'article 15 seront réparties, la moitié à l'employé saisissant et l'autre moitié à la caisse qui paye le traitement de cet employé. »
Cet amendement a été développé dans une séance précédente.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'amendement de l'honorable M. Dumortier est contraire aux dispositions que la chambre a déjà votées. Le gouvernement s'est opposé à ce qu'une partie de l'amende soit attribuée aux gardes verbalisants. La chambre a adopté cette opinion, et a rejeté les articles présentés dans ce sens, par la section centrale. Nous pensons que la chambre doit maintenir, en ce qui concerne l'amendement de M. Dumortier, l'esprit de la décision qu'elle a prise.
Nous ne voyons pas de motifs pour s'en écarter dans cette circonstance.
Il me paraît, messieurs, qu'il est en général dangereux d'accorder au garde ou à l'employé qui verbalise, une partie de l'amende prononcée entre la personne à la charge de laquelle le procès-verbal est dressé. Je sais bien, et l'honorable M. Dumortier a, je pense, en développant son amendement, dit un mot à cet égard, qu'ici il s'agit uniquement de contraventions que j'appellerai matérielles, de contraventions constatées à l'entrée des villes, et où l'objet saisi établit jusqu'à l'évidence l'existence de la contravention.
Aussi, là n'est pas le danger, mais il peut naître à l'occasion des autres attributions confiées à ces employés. Car, remarquez-le bien, d'après l'amendement de l'honorable M. Fallon, que vous venez d'adopter, les employés de l'octroi communal pourront non seulement saisir le gibier à la porte de la ville, mais encore le saisir dans la ville sur les individus qui en seront porteurs. Ne serait-il pas dangereux d'exciter trop fortement le zèle de ces employés, en les engageant en quelque sorte à faire des visites personnelle à vexer des citoyens, en cherchant à tout propos à s'assurer si le paquet dont ils sont porteurs ne renferme pas de gibier.
Les dispositions que nous avons votées, messieurs, me paraissent assez sévères, pour que nous n'en augmentions pas encore la sévérité par le zèle exagéré peut-être que nous engagerons les employés de l'octroi à déployer, zèle qui serait excité, c'est le seul but que peut avoir l'amendement de l'honorable M. Dumortier, par l'appât du gain, par le désir de profiter des amendes qui seraient encourues par ceux qu'ils auraient mis en contravention.
Je crois donc par ces raisons devoir maintenir l'opinion que j'ai émise sur un article précédent et qui a été adoptée par la chambre. J'espère que la chambre maintiendra cette opinion et qu'elle rejettera l'amendement de l'honorable M. Dumortier.
M. Dumortier. - Messieurs, je suis vraiment surpris que M. le ministre de la justice assimile la disposition que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre avec celle que vous avez rejetée. Moi-même j'ai été pour le rejet de la disposition que vous avez écartée sur la proposition de M. le ministre de la justice et je comprends parfaitement les raisons qu'il a données à l'appui de son opinion. De quoi s'agissait-il en effet ? Il s'agissait d'employés verbalisant sur des faits qui peuvent toujours disparaître d'un instant à l'autre. Et de quoi s'agit-il maintenant ? Il s'agit de la constatation d'un fait matériel, du fait de l'existence ou de la non-existence du gibier entre les mains du délinquant et cela en temps prohibé C'est là, messieurs, un fait qui ne peut donner matière aux abus auxquels l'article dont a parlé M. le ministre de la justice pouvait prêter. Lorsqu'il s'agit, par exemple, de contraventions pour port d'armes, on conçoit très bien que des abus puissent exister à chaque instant ; mais lorsqu'il s'agit de la saisie d'un gibier à la porte d'une ville, il y a là un fait matériel qui ne permet pas d'abus, ou qui ne permet d'abus que dans des circonstances tellement extraordinaires que si l'on voulait tenir compte de ces circonstances, il faudrait annuler toute la loi.
Mais, dit M. le ministre de la justice, par suite de l'amendement de l'honorable M. Fallon, les employés pourront verbaliser non seulement aux portes, mais dans toute la ville. Messieurs, j'ai voté de grand cœur pour l'amendement de l'honorable M. Fallon ; mais je dois le dire, si cet amendement avait pour effet de devoir faire rejeter celui que j'ai l'honneur de vous présenter et qui est d'une bien autre importance, je déclare qu'au second vote, je viendrais en demander la suppression. Je ne crois pas que (page 535) l'intention de l'honorable M. Fallon ait été de faire chose telle qu'il empêchât une sanction a la loi.
Quelle est, en effet, messieurs, la réalité des choses dans les circonstances actuelles ? C'est que de bonnes et excellentes dispositions sont présentées, mais qu'elles n'ont aucune espèce de sanction ; j'irai plus loin, c'est qu'elles ont même une sanction de non-exécution dans la loi.
Ainsi, l'article 5 interdit le transport, la mise en vente et l'achat du gibier en temps prohibé. C'est là une très bonne disposition. Mais où est sa sanction ? Elle n'existe nulle part. Car il faut bien reconnaître, messieurs, que toutes les fois que vous faites une loi correctionnelle quelconque qui ne concerne pas des faits contraires aux personnes ou aux propriétés, l'agent chargé de réprimer ces faits, n'agit que lorsqu'il y est intéressé. C'est sur ces données qu'ont été basées toutes les lois de douanes, toutes les lois d'octroi, toutes les lois, en un mot, qui attribuent à l’employé saisissant une part dans la saisie.
Si, messieurs, vous ne mettez dans la loi qui vous occupe, aucune sanction, qu'arrivera-t-il ? C'est que l'employé qui verra passer le gibier, se dira : Pourquoi me faire un ennemi de celui qui porte ce gibier ? Laissons-le passer. La morale publique n'est pas intéressée à la répression de ce délit ; la criminalité ne l'est pas non plus ; de sorte que la loi ne sera pas exécutée ; et l'inexécution de la loi est la pire des choses en pareille matière.
Il y a plus, messieurs, et déjà l'honorable M. Dubus vous a signalé cet inconvénient : Les villes ont presque toutes des droits d'octroi sur le gibier. Quel est l'intérêt de ces villes ? C'est qu'il vienne beaucoup de gibier dans la localité pour percevoir le plus de droits possible. Croyez-vous dès lors qu'elles seront bien portées à s'opposer à l'entrée du gibier en temps de chasse ? Nullement ; elles le favoriseront plutôt pour augmenter leurs revenus, et au point de vue de la caisse communale, elles auront raison.
Les villes seront donc intéressées à la fraude de la loi. Elles ne violeront pas la loi, parce qu'il n'y a pas de disposition qui défende aux villes de percevoir ses droits sur le gibier en temps prohibé.
Un membre. - Elles se rendront complices.
M. Dumortier. - Elles se rendront complices, mais complices devant qui ? Irez-vous voir combien de gibier est entré dans telle ou telle ville et quand il est entré ?
Vous voyez donc, messieurs, qu'il n'y a pas de sanction dans la loi. Il y en avait une autrefois, elle a été retirée : c'était la recherche, la visite domiciliaire. Eh bien, ce que j'ai voulu par mon amendement, c'est de remplacer la disposition que le gouvernement a cru dans sa sagesse devoir retirer, par une autre disposition qui donnât une sanction quelconque à l'article 5 de la loi. Car, je le répète, si cet article restait sans sanction, mieux vaudrait ne pas l'avoir introduit dans la loi.
Je pense donc vous avoir démontré que mon amendement n'a pas d'analogie avec celui qui a été l'objet d'une longue discussion dans cette enceinte et qui a été rejeté.
Le gouvernement a eu raison de s'opposer à ce qu'une partie des amendes fût accordée à ceux qui constataient des délits de chasse proprement dits ; mais il n'y a aucune comparaison entre les délits de chasse proprement dits et la saisie du gibier à l'entrée des villes ou à la sortie du pays.
Messieurs, le braconnier ne chasse pas pour son plaisir, mais pour les bénéfices que la chasse lui produit.. Aussi se rend-il toujours au marché de la ville pour vendre son gibier ; ce n'est pas à la campagne qu'il pourrait le vendre favorablement. Dès lors vous devez profiter de la présence des employés de l'octroi aux portes de la ville, et des douaniers sur vos frontières, pour donner une sanction à l'article qui défend la chasse en temps prohibé ; et il n'existe pour cela qu'un moyen, c'est d'accorder une partie des amendes aux douaniers et aux employés de l'octroi ainsi qu'à la caisse qui paye leurs traitements. De cette manière les villes qui ont un droit d'octroi sur le gibier seront intéressées à l'exécution de la loi.
Un membre. - Et les recherches personnelles ?
M. Dumortier. - Messieurs, il est facile d'éviter l'inconvénient que M. le ministre de la justice a signalé. On peut si M. le ministre le désire, dire : « à l'employé de l'octroi placé aux portes de la ville ou à l'employé des douanes se trouvant dans le rayon de la douane. » Mais, je le répète, cette disposition est indispensable, si l’on veut donner une sanction à la loi.
M. de Theux. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier, en terminant son discours, vient d'indiquer en quelque sorte un amendement auquel j'avais moi-même songé. M. le ministre de la justice vous a signalé le danger qu'il y aurait à encourager les employés de l'octroi à faire des perquisitions personnelles dans l'intérieur même des villes. Ce serait effectivement là un grand inconvénient. Ces perquisitions doivent donc être limitées à l'entrée des villes.
Je crois que si l'honorable M. Dumortier voulait formuler son amendement en ce sens que les perquisitions ne pourraient avoir lieu qu'à l'entrée des villes, et en ce qui concerne les employés de la douane, dans le rayon de la douane, il aurait obvié aux principaux inconvénients signales par M. le ministre de la justice.
En ce qui concerne cette espèce d'appât que l'on donnerait aux employés de dresser des procès-verbaux, je ferai remarquer qu'il se trouve déjà dans les lois de douane, puisque l'on donne aux employés une part dans le produit des ventes des objets saisis.
J'engage l'honorable M. Dumortier à modifier son amendement dans le sens de ses dernières observations.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je ferai observer, à l'appui des observations que vient de vous soumettre l'honorable préopinant, qu'il en est pour les employés de l'octroi, dans la plupart des villes, comme pour les douaniers, et qu'ils ont ordinairement un tiers de la valeur dans les saisies.
M. Mast de Vries. - Messieurs, je ferai remarquer en réponse à une observation de l'honorable M. Dumortier, qu'il est des villes où le gibier paye des droits d'octroi, mais qu'il n'en est pas de même dans toutes les villes, et que quant aux premières, l'on pourrait dire que les droits d'octroi ne seront perçus que pendant le temps eu la chasse est ouverte.
M. de Mérode. - Messieurs, une disposition telle que celle-là ne remplacerait pas la sanction que l'honorable M. Dumortier veut donner à la loi, en excitant les employés de l'octroi à saisir le gibier à l'entrée des villes. Si l'on se borne à défendre aux villes de percevoir des droits d'octroi sur le gibier en temps prohibé, et si l'on n'engage pas, par un moyen quelconque, l'employé de l'octroi à saisir celui qu'on présentera aux portes, il le laissera passer ; il n'aura aucune raison pour s'y opposer.
Je ne vois pas ce qu'il y a de si sévère dans la disposition que l'on vous propose. Si vous voulez obtenir un résultat de cette loi dont la discussion a été si longue, vous ne devez pas reculer devant la proposition qui vous est faite ; car enfin qui veut la fin veut les moyens.
Je n'entends pas toutefois appuyer des mesures vexatoires. Mais l'honorable M. Dumortier vient de vous dire qu'il entendait que la visite ne pût avoir lieu qu'à l'entrée des villes et non dans les rues.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, les inconvénients que j'avais signalés et qui me faisaient combattre l'amendement de l'honorable M. Dumortier, ont été également appréciés par l'honorable M. de Theux ; mais du moment où il est possible de faire disparaître ces inconvénients, je ne m'opposerai plus à la partie de l'amendement qui tend à accorder une quotité de l'amende à l'employé ; quant à l'autre partie de l'amendement, je continuerai à la combattre.
L'honorable M. Dumortier pense que les administrations communales seront intéressées à permettre l'entrée du gibier et pourront même, en temps prohibé, continuer à percevoir les droits d'octroi dont il est frappé. Je pense qu'il ne peut en être ainsi. Il est absolument impossible d'admettre que les villes puissent percevoir un droit sur un objet transporté en contravention. Ce serait une espèce de complicité de la part des villes, complicité qui ne pourrait pas, il est vrai, conduire à une comparution devant le tribunal correctionnel ; mais qui n'en serait pas moins une violation flagrante de la loi, violation dont on ne peut supposer la possibilité dans le chef d'une administration communale.
Du reste, si une pareille supposition pouvait être admise, il serait possible de porter une disposition dans le sens indiqué par l'honorable M. Mast de Vries, et que j'avais déjà formulée ; ou pourrait dire, par exemple : « Les droits d'octroi ne pourront être perçus sur le gibier introduit en contravention à l'article 5. » Mais je ne pense pas que cet amendement soit nécessaire.
Messieurs, la chambre a admis, pour les motifs que j'ai développés, que toutes les amendes devaient être perçues au profit du trésor. Je ne pense pas qu'il y ait lieu à revenir à un système contraire et d'attribuer, dans un cas donné, une part de l'amende à la caisse communale. J'ai indiqué dans mes premiers développements les motifs pour lesquels il convient d'attribuer à l'Etat le produit entier des amendes. Lorsqu'il s'agit de faits qui intéressent les communes, celles-ci doivent poursuivre elles-mêmes ; elles sont alors assimilées à une partie civile, et si elles doivent percevoir les amendes, elles avancent aussi les frais ; mais lorsqu'il s'agit d'un délit ordinaire, c'est le trésor public qui poursuit, c'est lui qui fait les frais, et dès lors c'est lui qui doit recevoir les amendes,
M. le président. - Voici la rédaction nouvelle que propose l'honorable M. Dumortier :
« Les amendes comminées à l'article 5 seront réparties, la moitié à l'employé de l'octroi, si la saisie a lieu à l'entrée des communes, ou à l'employé des douanes, si la saisie a lieu dans le rayon des douanes, et l'autre moitié à la caisse qui paye le traitement de cet employé.
« La perception des droits accordés aux villes et communes sur le gibier, est suspendue en temps prohibé. »
M. Dumortier. - Je crois, messieurs, que nous sommes à peu près d'accord avec M. le ministre de la justice. Le débat ne poite plus que sur la seconde partie du premier paragraphe de mon amendement, et je reconnais qu'elle perd beaucoup de son importance du moment que l'on dit que les droits d'octroi sur le gibier cesseront d'exister en temps prohibé. Ce que je voulais éviter, c'est que les villes eussent intérêt à la non-exécution de la loi. Je consens donc à la suppression de la seconde partie du premier paragraphe de mon amendement.
M. le président. - Il faudra alors changer la rédaction de l'amendement et dire : « la moitié des amendes comminées à l'article 5 sera attribuée à etc. »
M. Desmet. - On doit le reconnaître, le système de primes que l'honorable M. Dumortier veut introduire dans la loi, est un moyen excellent pour exercer sévèrement et rigoureusement la police sur la chasse, mais, dans ma manière de voir, je ne peux lui faire de compliment ; et ici je dois attirer l'attention de M. le ministre de la justice, qui ne peut pas vouloir que les agents de police sacrifient tout leur temps et leurs soins à surveiller la chasse seule et négligent les autres délits et méfaits ; cependant cela est à craindre ; on le voit tous les ans, pendant la saison de chasse, les gendarmes, par exemple, sont du matin au soir et même toute la nuit sur pied, pour guetter ceux qui chasseraient sans permis de port d’armes ; l'appât de la prime exerce une grande influence sur leur activité, mais cette activité (page 356) se borne aux chasseurs ; et ils laissent en repos les maraudeurs et ceux qui font du tort ou qui volent les récoltes ou les bois.
(De tous côtés on fait remarquer à l'orateur que l'amendement de M. Dumortier ne porte que sur les douaniers et les gardes ou préposés à l'octroi des villes et non sur les gendarmes, et contre ceux qui transporteront du gibier !)
M. Desmet. - Soit ! ma remarque frappe de même sur les douaniers, et pour faire ressortir l'abus que les primes ou les partages d'amendes vont faire naître, je ne devrais que répéter ce que vous a dit tout à l'heure l'honorable M. de Saegher, en parlant sur l'amendement proposé par l'honorable M. Dubus à l'article 12, si je ne me trompe ; il vous a fait voir que les douaniers, au lieu de surveiller l'entrée en fraude des produits étrangers, préféreront, pour jouir de la prime de chasse, veiller à ce que personne ne transporte du gibier ; l'avenir prouvera combien nous aurons bien prévu !
Mais il y a plus, les douaniers ne fouilleront pas seulement au bureau de la douane, les voitures et les personnes, mais dans l'intérieur du pays, à chaque douanier qu'on rencontrera, vous risquerez d'être visité et fouillé. Vous avouerez, messieurs, que ce ne sera pas trop agréable pour les voyageurs. Il me semble qu'on aurait pu prendre d'autres mesures pour conserver le gibier, mais qu'on n'aurait pas dû pousser si loin la police sur la chasse, qai mécontentera beaucoup de monde.
M. Orban. - Messieurs, je crois qu'il y aurait lieu d'apporter une légère modification à la rédaction de l'amendement.
L'honorable M. Dumortier propose de défendre la perception des droits d'octroi en temps prohibé. J'aurai l'honneur de lui faire observer que la vente et le transport du gibier est encore permise huit jours après la fermeture de la chasse, et qu'évidemment pendant ces huit jours la perception des droits d'octroi doit être permise. Je l'engagerai donc à modifier son amendement dans ce sens que la perception des droits d'octroi sur le gibier sera suspendue lorsque la vente ou le transport en sera défendu.
M. Dumortier. - Je crois que la rédaction proposée remplit complétement le but que veut atteindre l'honorable M. Orban. En effet le temps prohibé pour la vente du gibier dans les villes ne commence que huit jours après la fermeture de la chasse et dès lors ce ne sera qu'après ces huit jours que les droits ne pourront plus être perçus.
M. de Man d’Attenrode. - J'ai demandé la parole pour demander un simple changement de rédaction ; car je compte voter pour l'amendement de l'honorable M. Dumortier.
Cet amendement exprime que la moitié de l'amende sera attribuée à l'employé de l'octroi, si la saisie a lieu à l'entrée de la commune, ou à l'employé de la douane si la saisie a lieu dans le rayon de la douane. Vous avez adopté, il y a un instant, un amendement de l'honorable M. Fallon, par lequel les employés ne sont autorisés à dresser des procès-verbaux que dans les lieux où ils peuvent exercer leurs fonctions. Il me semble qu'en présence de l'adoption de cet amendement, nous ne pouvons admettre celui de M. Dumortier tel qu'il est rédigé, et qu'il faudrait se borner à dire : « la moitié des amendes comminées à l'article 5 sera attribuée à l'employé qui fera la saisie. »
Plusieurs membres. - Cette rédaction est trop vague. Aux voix ! aux voix !
M. de Man d’Attenrode. - Ma rédaction n'a rien de vague à la suite de l'amendement de l'honorable M. Fallon. Mais puisqu'on paraît peu disposé à m'entendre à présent, je reviendrai sur ce changement de rédaction au second vote.
- La clôture de la discussion est prononcée.
M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. Dumortier. Il est ainsi conçu :
« La moitié des amendes comminées à l'article 5 sera attribuée à l'employé de l'octroi, si la saisie a lieu à l'entrée de la commune, ou à l'employé de la douane, si la saisie a lieu dans le rayon de douane.
« La perception des droits accordés aux villes et communes sur le gibier, est suspendue en temps prohibé. »
M. Orban. - J'avais proposé un changement de réduction.
M. le président. - C'est sous réserve de rédaction. On pourra y revenir au fécond vote.
L'amendement est mis aux voix et adopté. Il formera l'article 17.
« Art. 14 (devenant l'art. 18). Toute action pour délit de chasse sera prescrite par le laps d'un mois, à compter du jour où le délit aura été commis. »
- Adopté.
« Art. 15 (devenant l'art. 19). La loi des 22, 23 et 28 avril 1790 est abrogée. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je pense, messieurs, qu'il faudrait ajouter à l'article 15 : « Et le titre 30 de l'ordonnance de 1669. » En effet, ce titre est également abrogé par la loi que vous venez de voter.
M. Vanden Eynde. - Je crois, messieurs, que le titre 30 de l'ordonnance de 1669 traite d'autres choses encore que des moyens de constater les délits de chasse ; il serait donc imprudent de l'abroger. Il me semble qu'il vaudrait mieux dire : « La loi des 22, 23 et 28 avril 1790 est abrogée, ainsi que toutes autres dispositions légales contraires à la présente loi. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Je me rallie à cet amendement.
M. Rodenbach. - Je demanderai s'il résultera de cette rédaction que l'on abroge les dispositions de l'ordonnance de 1669 qui autorisent à donner le fouet. Je déclare moi, que sous ce rapport j'aime mieux la proposition de M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. Rodenbach s'est plaint dans une précédente séance de ce qu'on se permettait des plaisanteries dans cette discussion. Il me semble que l'honorable membre s'expose maintenant au même reproche. En effet, ce n'est pas sérieusement qu'il peut demander si le titre 30 de l'ordonnance de 1669 est abrogé quant aux peines qu’il commine et notamment quant à la peine du fouet.
- L'amendement de M. Vanden Eynde est mis aux voix et adopté.
- L'article 15, ainsi modifié est ensuite adopté.
M. le président. - Nous passons à l'article 19 nouveau, proposé par M. Dumortier. Il est ainsi conçu :
« Les conseils provinciaux sont autorisés à prendre des règlements pour prévenir la destruction des rossignols et des fauvettes. »
M. de Theux. - J'engagerai l'honorable M. Dumortier a modifier sa proposition dans ce sens que le gouvernement puisse faire à cet égard un règlement d'administration générale ; de cette manière on obtiendrait des mesures uniformes pour tout le royaume.
M. Dumortier. - Je ferai droit à l'observation de l'honorable M. de Theux et je proposerai de dire : « Le gouvernement est autorisé, etc. »
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je voulais faire la même observation que l'honorable M. de Theux. On a déjà donné au gouvernement une latitude de ce genre en l'autorisant à prohiber la chasse en temps de neige et à prendre d'autres précautions analogues lorsqu'il le jugera convenable.
- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix et adoptée.
M. Dumortier. - J'avais l'intention de présenter à la chambre un amendement relatif à la chasse au lévrier. Il est bien connu que ce n'est réellement là qu'une chasse de braconnage. Mais j’ai entendu quelques membres dire que cette chasse est prohibée par la disposition relative à la chasse au chien courant. Je me réserve d'examiner la question d'ici au second vote et de présenter alors une disposition si la chose me semble nécessaire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Le gouvernement n'a proposé aucune disposition a cet égard, parce qu'il a considère une semblable disposition comme inutile par suite de la certitude qu'il a acquise que, dans la plupart des provinces du royaume, on a imposé une contribution de 30 fr. au propriétaire de tout chien lévrier. Cette mesure a eu un effet tel que dans une de ces provinces, le nombre des chiens lévriers a été réduit de 80 a 1.
M. de Theux. - Messieurs, je ferai remarquer en outre qu'aux termes de la loi le propriétaire pourra faire dresser procès-verbal à la charge de celui qui ferait la chasse au lévrier sur son terrain, ; c'est là une garantie nouvelle et très grande, celui qui passerait avec des lévriers sur le terrain d'autrui serait passible d'une amende de 50 fr.
M. le président. - Nous arrivons à l'amendement de M.de Garcia, ainsi conçu :
« Les militaires poursuivis à raison des délits prévus par la présente lui, seront soumis a la juridiction ordinaire. »
M. de Garcia. - Messieurs, j'ai présenté cet amendement dans le but de rendre la loi efficace. Si vous ne l’adoptiez pas, les militaires qui auraient commis des délits de chasse, échapperaient à la plupart des peines comminées par la loi ; l'économie de la loi serait complétement renversée. C'est ce qu'il me sera facile de démontrer. Une première observation générale à faire, c'est que le délit de chasse n'a aucun des caractères d'un délit militaire : il n'a aucun rapport avec la discipline, ni avec la subordination de l'armée.
Qu'il me soit permis, messieurs, de vous donner lecture de l'article 24 du Code militaire qui serait appliqué à tout militaire mis en contravention pour un délit de chasse.
Voici ce que porte cet article : (L'honorable membre donne lecture de l'article 24.)
Ainsi, messieurs, lorsque votre loi commine une amende, quelque forte que soit cette amende, elle serait convertie pour le militaire à trois jours d'arrêt ou trois jours de détention ; or, on sait ce que c'est que les arrêts ; c'est une peine insignifiante.
Si donc vous n'adoptez pas mon amendement, messieurs, votre loi n'aurait aucune sanction sérieuse quant aux militaires.
De plus, le système de la loi serait complétement bouleversé. En effet, en cas de récidive vous doublez la peine ; en cas de chasse pendant la nuit vous doublez la peine ; vous rendez le délinquant passible de dommages-intérêts ; tout cela disparaît pour les militaires, si vous n'adoptez mon amendement. Il ne s'agira jamais de doubler la peine, puisque, d’après la disposition du code pénal militaire, toute amende quelle qu'elle soit, est remplacée par trois jours d'arrêts ou par trois jours de détention. Les inconséquences d'un tel ordre de choses s'accumulent si on continue à jeter les veux sur les dispositions de la loi que nous discutons. Parlerai-je de dommages-intérêts ?
Plusieurs membres. - On est d'accord ; il n'y a pas d'opposition.
M. de Garcia. - Si l'on est d'accord, je n'insisterai pas davantage et je terminerai par une seule observation, c'est qu'en France où l'on est certes aussi jaloux qu'en Belgique des prérogatives de l'armée, le système que je détends a toujours existé. Il y existait sous l'empire et il n'a jamais cessé d'y être en vigueur.
M. Pirson. - Je désirerais savoir si le gouvernement se rallie à la proposition de l'honorable M. de Garcia.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Oui.
M. Pirson. - Messieurs, cette discussion ayant déjà été trop longue je ne suivrai pas l'honorable M.de Garcia dans tous les développements (page 537) qu'il a présentés sur les délits militaires et sur la juridiction des tribunaux militaires.
Toutefois je ne puis ne pas vous faire remarquer qu'il y a inopportunité et qu'il pourrait même y avoir danger à restreindre sans un examen bien approfondi de la question, la compétence des tribunaux militaires.
Au premier aperçu, la proposition de l'honorable M. de Garcia paraît fort simple, mais il est très possible que, dans son application, et mise en rapport avec des dispositions du code pénal militaire, elle soulève des questions dont la solution ne serait pas bien définie, et il me semble qu'autant par convenance que par prudence, nous ne devons pas toucher à la juridiction des tribunaux militaires, d'une manière incidente et sans un examen préalable, bien mûri et bien approfondi. Une question aussi importante doit être étudiée avec tout le soin qu'elle comporte, et vous conviendrez avec moi, messieurs, qu'il serait très insolite de la résoudre ainsi isolément et brusquement. Aussi n'ai-je pas été peu surpris d'entendre le gouvernement qui lui, par devoir et par position, devrait être plus circonspect, venir déclarer, par l'organe de M. le ministre de la justice, qu'il se ralliait à la proposition de l'honorable M. de Garcia.
Comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, cette discussion, par les retards qu'elle apporte à l'examen des budgets et d'autres lois très urgentes, commençant à juste titre à impatienter les hommes sérieux, je ne me rendrai pas coupable de la prolonger encore en venant traiter aujourd'hui la question des délits militaires et la compétence des tribunaux militaires. La question de savoir si la compétence des tribunaux militaires doit être définie par la qualité des personnes ou par la qualification des délits, trouvera mieux sa place lorsque nous nous occuperons des modifications du code pénal militaire, et je me réserverai pour cette discussion. Je me bornerai à motiver mon vote sur l'amendement de l'honorable M. de Garcia, et je le ferai, messieurs, en vous présentant une seule observation que, dans l'intérêt militaire, je considère comme très grave et pour laquelle je réclame toute votre attention.
Je voterai contre la proposition de l'honorable M. de Garcia, parce que, nuisible au service militaire, elle pourrait dans certains cas donnés... (Interruption.) Permettez, laissez-moi aller jusqu'au bout. Elle pourrait dans certains cas donnés, compromettre le sort de l'armée, et par conséquent les destinées du pays. Ainsi, messieurs, que l'armée, par exemple se trouve sur le pied de guerre, ou simplement sur le pied de rassemblement, ayant pour mission de veiller à la défense du pays de le protéger contre l’invasion étrangère, peut-être même à la veille de livrer bataille, il faudra que, pour un misérable délit de chasse, un militaire quelconque, même d'un grade élevé, fût-il général, général en chef, aille comparaître au loin devant le juge compétent, devant le juge civil ; le délit pourra avoir été commis par plusieurs militaires à la fois ; il pourra nécessiter l'audition d'un grand nombre de témoins ; eh bien ! encore, quel que soit leur nombre, quelque perturbation que leur absence plus ou moins prolongée apporte dans le service, tous devront abandonner leur commandement ou leur corps pour obéir au mandat de la justice, mandat que les militaires plus que tous autres doivent toujours respecter. Evidemment, messieurs, l'honorable M. de Garcia n'y a pas songé ; car, quelque bonheur qu'il éprouve à la vue d'une perdrix, quel que soit son amour pour la venaison et la conservation du gibier, cet honorable membre, j'en suis persuadé, par un amour pour sa patrie plus grand encore, n'aurait pas voulu proposer une disposition, pouvant avoir pour résultat, dans des circonstances graves, de mettre l'armée en défaut pour un malheureux lièvre. Je n'en dirai pas davantage.
Voilà les motifs qui me portent à voter contre la proposition de l'honorable député de Namur.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je regrette d'abord d'avoir excité chez l'honorable préopinant l'étonnement qu'il doit avoir éprouvé, en apprenant mon adhésion à la proposition de l'honorable M. de Garcia.
Messieurs, le motif pour lequel je me suis rallié à cet amendement est très simple : c'est que je désire, comme l'honorable M. de Garcia, comme la chambre entière, avoir une loi efficace. Or, il résulte jusqu'à l'évidence des considérations présentées par l'honorable M. de Garcia, que la loi n'aurait aucune efficacité, eu ce qui concerne les militaires, si l'amendement n'était pas adopté.
L'honorable M. de Garcia vous a cité des dispositions du code pénal militaire ; ces dispositions sont telles que toute contravention commise par un militaire se réduirait à trois jours d'arrêt.
L'honorable M. Pirson a fait appel à des considérations d'une haute gravité, en disant que la disposition proposée par l'honorable M. de Garcia serait de nature à compromettre, dans certaines circonstances, le sort de l'armée.
Messieurs, si la disposition pouvait avoir une telle portée, le gouvernement se serait bien gardé d'y adhérer, mais qui plus est, l'honorable M. de Garcia ne l'aurait pas proposée.
Messieurs, il me semble qu'en 1806, le chef de l'empire français connaissait un peu quels étaient les besoins d'une armée et les nécessités de la discipline ; cependant en 1806, un avis du conseil d’Etat a attribué aux tribunaux civils la connaissance des délits de chasse commis par des militaires. Qu'il me soit permis, pour calmer les inquiétudes de l'honorable M. Pirson, de donner lecture de cet avis :
« Le conseil d'Etat qui, d'après le renvoi de S. M. I. et R., a entendu le rapport de la section de législation sur celui du ministre de la police générale, tendant à modifier, relativement aux délits pour faits de chasse, l'avis du 17 fructidor an XII, qui déclare que les délits communs commis par des militaires en garnison ou présents à leurs corps, sont de la compétence des tribunaux militaires ;
« Est d'avis que les contraventions et délits pour faits de chasse, intéressant les règles de la police générale et la conservation des forêts, la répression n'en peut appartenir aux tribunaux militaires, même à l'égard des militaires ; que l'avis approuvé par Sa Majesté, le 7 fructidor an XII, ne s'applique point à un tel cas, et que si de pareils délits n'étaient pas prévenus dans les garnisons, par la bonne discipline des corps et par les exemples des chefs, la poursuite en appartiendrait, conformément au droit commun, aux tribunaux correctionnels. »
Voilà ce qui existe en France, et ce qui a existé en notre pays jusqu'en 1814, époque à laquelle fut promulgué le code pénal militaire qui nous régit encore, et où l'on s'est servi des mots «délits commis par les militaires, » au lieu des mots « délits militaires » qui se trouvent dans les dispositions de la loi française ; changement qui explique pourquoi l'avis du conseil d'Etat de 1806 n'est plus en vigueur chez nous.
Mais, messieurs, les militaires ne sont pas toujours soumis à la juridiction militaire ; dès l'instant que des militaires se trouvent compris avec des bourgeois dans une poursuite, ils sont soumis aux tribunaux ordinaires ; pourtant, il n'est jamais entré dans la pensée de personne de dire que cette disposition était de nature à désorganiser l'armée.
En fait de délits de chasse, il ne s'agit pas d'entendre un grand nombre de témoins ; mais uniquement de constater un fait, à l'aide d'un procès-verbal ; ou ne doit nullement craindre qu'un régiment, soit en entier, ou même en partie, obligé d'aller déposer, pour un délit de ce genre, devant un tribunal correctionnel.
Mais, messieurs, si notre armée était en campagne, si elle se trouvait en face de l'ennemi, les officiers et les soldats iraient-ils à la veille d'une bataille, quitter leur position pour se livrer au plaisir de la chasse ? Ils connaissent trop bien leurs devoirs pour agir ainsi ; ils seraient préoccupés de l'idée de gagner la bataille, et non de l'idée de tuer des perdreaux.,
Du reste, ce n'est pas légèrement que le gouvernement s'est rallié à l'amendement de M. de Garcia. Je l'ai fait, d'accord avec mes collègues, et notamment avec M. le ministre de la guerre. J'ai de plus consulté M. l'auditeur général, qui m' a dit n'avoir aucune objection à faire à l'amendement de l'honorable M. de Garcia. (Aux voix ! aux voix !)
M. de Garcia. - Messieurs, je ne veux pas abuser des moments de la chambre. Mon amendement ne me paraît pas devoir rencontrer de difficultés. Je dois cependant un mot de réponse à l’honorable M. Pirson, qui a, messieurs, cette objection me paraît vraiment étrange ! Selon moi, et cela est justifié par les considérations que j'ai déjà développées, ce n'est pas l'amendement qui est inopportun, mais bien l'objection de mon honorable collègue. Comment ! Mais si l'amendement que j'ai l'honneur de vous soumettre n'est pas admis, tous les effets de votre loi s'évanouissent, et, par un privilège inqualifiable, les militaires sont mis au-dessus de la règle commune. Les militaires pourtant sont citoyens avant tout ; et, soyez-en convaincus, ils ne verront rien d'hostile à leur égard dans l'amendement que j'ai soumis à la législature. Ainsi, la disposition que j'ai présentée n'est pas inopportune, elle n'a pas davantage un caractère hostile, et je crois inutile d'insister sur ce point, puisqu'un militaire ne peut cesser d'être citoyen. Au surplus, si cet amendement était rejeté, la loi sera illusoire pour tous ceux qui tiennent à l'armée. Vous voulez des amendes dans votre loi (code militaire pas d'amende) ; en cas de récidive ou de circonstances aggravantes, vous voulez des peines doublées (code militaire, pas de peines doublées, article 24 du code pénal militaire). Vous voulez des peines cumulées ; pas de peines cumulées (article 52 du code pénal militaire). Vous voulez que la partie civile puisse se joindre à l'action publique pour obtenir des dommages-intérêts (devant la juridiction militaire point de partie civile possible). Je le demande de nouveau, si vous n'adoptez pas ma proposition, ne démolissez-vous pas la loi que vous faites ? La chose me paraît évidente.
Sous un autre rapport, M. le ministre de la justice a parfaitement répondu aux observations exprimées par l'honorable M. Pirson, qui craint que mon amendement ne compromette le sort de nos armées, le salut de la patrie.
Suivant l'honorable membre, devant l'ennemi, la veille d'une bataille, un général, une fraction de l'armée, pourrait être arraché à la défense du pays par suite d'un délit de chasse soumis à la juridiction ordinaire. En vérité, messieurs, je ne sais si cette objection est présentée sérieusement, mais s'il pouvait en être ainsi, la juridiction militaire présenterait tous les inconvénients de la justice ordinaire. Je ne puis donc penser qu'à ce point de vue, mon honorable collègue ait voulu faire une objection sérieuse à ma proposition. D'ailleurs croit-on, messieurs, qu'on fait des procès-verbaux de chasse devant l'ennemi et sur les champs de bataille ?
En campagne, ou ne s'amuse pas à faire la chasse aux lièvres et aux perdreaux, ou la fait à ses ennemis, et je suis convaincu que l'armée belge remplirait parfaitement ses devoirs en pareille circonstance.
M. Pirson. - Messieurs, ce que vient de dire l'honorable ministre de la justice, n'a pas, comme il me le faisait espérer, calmé mes inquiétudes. Je ne veux pas contester que dans la loi française ne se trouve la disposition par laquelle les délits de chasse, commis par des militaires, sont soumis aux tribunaux ordinaires ; mais ce n'est pas une raison pour admettre une semblable disposition en Belgique.
Quant à moi, j'avoue que je ne connais pas toute la législation française. Il est très possible que cette législation contienne des dispositions générales et spéciales concernant l'armée, lorsqu'elle se trouve sur le pied de guerre ou sur le pied de rassemblement. La proposition de l'honorable M. de Garcia a été introduite à l'improviste ; il me semble qu'il existait des motifs (page 538) assez graves pour l'examiner à fond ; or, surpris que nous avons été, nous n'avons pu nous livrer à cet examen approfondi.
Quel que soit mon désir d'en terminer, je ne puis cependant ne pas répondre quelques mots à M. le ministre de la justice. Autant que le bruit qu'on faisait autour de moi m'a permis de le comprendre, il m'a semblé que M. le ministre confondait les délits militaires avec les délits commis par des militaires.
Ainsi, en France, depuis quarante ans, les délits, de quelque nature qu'ils soient, commis par des militaires, ont toujours été soumis aux tribunaux militaires.
La loi de pluviôse an II (22 janvier 1794) soumet tous les délits militaires à la juridiction des tribunaux militaires, et voici comment, dans son article 3, titre premier, elle définit les délits militaires :
« Tous les délits militaires de quelque nature qu'ils soient, commis pendant la guerre, à l'armée ou dans les camps, cantonnements ou garnisons qu'elle occupe, par les individus qui la composent ou qui sont employés ou attachés à sa suite. »
Aux termes de cette loi, vous voyez donc que les délits, commis par des militaires, de quelque nature qu'ils soient, doivent être soumis aux tribunaux militaires.
La constitution de l'an VIII et toutes les lois postérieures ont maintenu cette juridiction Ainsi, en France comme en Belgique, si un militaire porte atteinte à la propriété, aux personnes, à la discipline, à la subordination, il est justiciable des tribunaux militaires. Je ne m'explique pas dès lors pour quoi vous feriez une exception pour les délits de chasse, pourquoi, alors que vous n'en faites pas pour les délits contre la propriété, contre les mœurs, vous en feriez une pour les délits de l'espèce dont nous nous occupons en ce moment. Je m'aperçois que la chambre est pressée d'en finir.
Je terminerai, en persistant à repousser l'amendement de l'honorable M. de Garcia, et en exprimant de nouveau le regret d'avoir vu le gouvernement se faire l'associé responsable d'une semblable proposition.
Articles additionnels
M. le président. - Nous arrivons aux articles additionnels proposés par M. Savart.
« Art. 21. Dans le cas de dommage aux champs, fruits et récoltes, occasionné par le fait des chasseurs, leurs chiens ou chevaux, le bourgmestre de la localité constatera, sur la simple plainte de la partie intéressée, la hauteur du dommage ; et dans les 3 fois 24 heures, il remettra au juge de paix compétent son procès-verbal qu'il affirmera sincère et véritable.
« Ce procès-verbal ne sera soumis à aucune autre formalité. »
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Messieurs, je dois combattre tous les amendements proposés par M. Savart. Les uns sont inutiles, parce qu'ils sont la reproduction pure et simple de dispositions qui existent dans d'autres lois ; les autres sont tout à fait inadmissibles.
Quant au premier amendement, je ferai d'abord observer qu'aux termes de l'article 7 de la loi de 1791, ce n'est pas le bourgmestre qui est chargé de constater les dégâts occasionnés aux champs, c'est le juge de paix, qui doit ensuite prononcer sur les dommages-intérêts. Je ne vois pas de motif pour changer cette disposition et obliger les bourgmestres d'aller constater des dommages qu'il n'entre pas dans leurs fonctions ordinaires d'apprécier. Il ne me semble pas qu'il y ait lieu de faire la moindre innovation et de confier désormais aux bourgmestres ce qui jusqu'ici avait été confié aux juges de paix sans inconvénient.
D'après l'amendement de M. Savart, le bourgmestre devra se transporter sur les lieux, dresser procès-verbal du dommage, non d'une manière contradictoire, mais uniquement sur le dire du plaignant, sans connaître les faits, sans savoir qui les a commis, dans quelle circonstance, etc. et cette constatation, veuillez le remarquer, peut avoir les conséquences les plus graves...
M. Savart-Martel. - J'ai demandé la parole pour modifier mon amendement.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Si M. Savart veut modifier son. amendement, il est inutile que je continue.
Plusieurs voix. - On n'est plus en nombre !
- La séance est levée à 4 heures 3/4.