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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 26 janvier 1846

(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)

(Présidence de M. Liedts.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 489) M. de Villegas procède à l'appel nominal à deux heures un quart.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Villegas fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre

« Les membres de l'administration communale et du bureau de bienfaisance de Quiévrain, et les habitants notables de cette commune demandent que, lors de la révision de la loi du 4 avril 1813, on écarte les prétentions exagérées des raffineurs de sucre exotique et qu'on accorde des moyens de vitalité aux producteurs de sucre indigène. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Jean-Thomas de Rungs, sergent à la deuxième compagnie sédentaire, prie la chambre de statuer sur sa demande en naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


Par dépêche en date du 22 janvier, M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 100 exemplaires d'un volume renfermant les documents relatifs à la réorganisation de l'Académie des sciences, lettres et beaux-arts de Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.

Projet de loi sur la chasse

Discussion des articles

Article 4

La discussion continue sur l'article 4 et les amendements qui s'y rapportent.

M. le président. donne lecture d'un nouvel amendement déposé par M. Clep, et conçu comme suit :

« Il est également interdit en tout temps de chasser, de quelque manière que ce soit, en temps de neige, les différentes espèces de gibier mentionnées dans l'article 5 ci-après.

« Le procès-verbal de contravention devra faire mention et en outre être appuyé d'une attestation de la régence du lieu, déclarant que la neige était assez épaisse pour faciliter la recherche ou la destruction du gibier sus-énoncé.

« Toute contravention de cette nature sera punie d'une amende de 100 fr. »

M. Savart-Martel. - Messieurs, une circonstance indépendante de ma volonté ne m'a point permis d'assister aux premières discussions ; je remercie mes honorables collègues de la section centrale, MM. Vanden Eynde et Thyrion, de m'avoir remplacé, et d'avoir soutenu mes opinions mêmes. Avant d'exprimer mon vote sur le point actuellement soumis à vos délibérations, permettez-moi de vous en donner les raisons ; car dans le projet toutes les dispositions se lient les unes aux autres.

Quant aux articles déjà votés, je réserve mes observations s'il y a lieu, lors du second vote.

La section centrale, dont j'ai eu l'honneur de vous soumettre le rapport très motivé, il y a 9 à 10 mois, ne s'est point dissimulé que quelles que fussent les propositions, elles seraient nécessairement l'objet de nombreux contredits.

Comment pourrait-il en être autrement lorsque, sur les mots mêmes, le Dictionnaire de l'Académie ne s'accorde point avec le Dictionnaire des chasseurs ; lorsque certain gibier abonde dans quelques localités de notre pays, tandis qu'il est presque inconnu dans d'autres localités ; lorsque nos provinces différent singulièrement quant au terrain et à la température même ; lorsque là sont des bois et des montagnes, tandis qu'ici sont des terrains propres uniquement à la véritable culture ? Il fallait s'attendre à ce que chacun de nous se présenterait avec ses habitudes, ses connaissances locales.

Ce que nous avions prévu est arrivé. Ce n'est point un mal ; la loi, appropriée autant que possible à chacune de nos provinces, n'en sera que meilleure.

Mais ce que nous n'avions point prévu, c'est qu'on verrait dans notre projet une tendance à la réaction, une tendance à des privilèges qui sont loin de nous, et qui, Dieu aidant, ne seront jamais rétablis en Belgique. Ce serait une tache ineffaçable, un crime politique que de rétablir, en faveur de l'aristocratie financière, des privilèges arrachés à l'aristocratie nobiliaire, qui avait pour elle au moins une longue possession.

Si telle était la tendance du projet, non seulement j'aurais refusé d'en être le rapporteur, mais j'en aurais repoussé avec force toutes les dispositions.

Messieurs, nous n'avons point entendu faire une loi politique, mais une loi de police, ayant pour but la conservation du gibier et l'intérêt de l'agriculture. Nous avons voulu prévenir des crimes et délits dont la chasse est devenue l'occasion, et qui, depuis plusieurs années, ont désolé notre belle patrie ; telle a été, je n'en doute point, la pensée du gouvernement même, et quand le projet aurait eu pour but la jouissance des chasseurs qui payent un impôt à l'Etat pour se livrer au plaisir de la chasse, il y aurait encore là justice. Mais l'article 4 qui vous est soumis, comme l'ensemble des dispositions du projet, attestent qu'il s'agit d'une loi de police ; et si nous avons été jusqu'à vinculer le droit de propriété, si nous proposons à sa charge des sacrifices qu'on ne lui avait point demandés jusqu'ici, cette remarque aurait dû suffire pour repousser jusqu'au soupçon qu'il s'agirait de favoriser la propriété.

Ces restrictions, nous pouvions les demander en vertu de l'article 537 du code civil qui statue que si les particuliers ont la libre disposition de leurs biens, c'est sous les modifications que peut y apporter la législation. Je le déclare franchement, on me trouvera prêt à adopter tous les amendements qui, proposés dans l'intérêt du cultivateur, pourront s'accorder avec le but de la loi ; mais j'adjure mes honorables collègues de ne point perdre de vue la nécessité de réprimer le braconnage, dont il n'a été question que transitoirement jusqu'ici dans la discussion. Le braconnage en Belgique est devenu un véritable brigandage. Le braconnier, frappe d'une simple amende, est assuré de l'impunité par son insolvabilité même ; et il est alléché par la prime qu'on lui accorde de vendre même sur les marchés publics et sous les yeux de la police, les produits de ses vols.

On vous l'a dit, messieurs, les délits de braconnage ont augmenté considérablement de 1841 à 1846. Ainsi, il y a 4 ans, 200 délits ont été constatés ; 2 ans ensuite, ils atteignaient le chiffre de 641 ; et dans l'espace de 1841 à 1845, ils se sont élevés à plus de 4,000. Mais comme la plupart de ces délits restent impunis à défaut de constatation, et que le braconnier nocturne surtout ne peut guère être saisi, vous ne pouvez douter que les faits du braconnage sont très considérables, veuillez jeter un coup d'œil sur le rapport que j'ai eu l'honneur de vous soumettre, et vous verrez que dans 6 de nos villes seulement il a été introduit ostensiblement, pendant le mois de février 1845, plus de 4,600 lièvres.

Mais ce que nous n'avons point vu, c'est la statistique des crimes commis à l'occasion de la chasse prohibée.

Le braconnier de profession n'hésite plus à braver et menacer ; il assassine même l'agent qui le poursuit. La vie d'un garde ou d'un gendarme, il la sacrifie impitoyablement, plutôt que de souffrir une amende de 50 fr. ; et comme le braconnier est ordinairement la terreur de la commune, rarement le crime peut être atteint.

Cependant nous devons une protection toute particulière aux agents de la force publique qui, jour et nuit, veillent à la sûreté générale et qui souvent n'ont d'autres amis, d'autres protecteurs que la magistrature et la loi.

Et quand parfois, l'un ou l'autre de ces assassins sont traduit en cour d'assises, on croit avoir beaucoup fait si deux hommes sont morts pour un lièvre ou une perdrix ; avec une mesure préventive, cela ne serait point arrivé. Or, toutes les dispositions qui vous sont soumises en ce moment, sont essentiellement préventives ; c'est à ce point de vue qu'il faut les examiner. Quant à moi, je ne ferai jamais de politique à propos d'un lièvre ou d'un lapin ; je veux une loi précise, une loi forte, rigoureuse même, précisément pour ne pas avoir à punir. Et quoique mes sympathies n'appartiennent pas aux braconniers de profession, je crois qu'en les forçant à renoncer à ce dangereux métier, je leur serai plus utile qu'en maintenant le statu quo.

Je supplie mes honorables collègues de ne point affaiblir la loi par des amendements qui empêcheraient d'atteindre le but proposé.

La proposition actuellement en discussion sur l'article 4 s'éloigne du projet de la section en ce que la section interdisait de porter des filets, lacets, etc., hors du domicile, tandis que la nouvelle rédaction du gouvernement n'applique la pénalité que contre celui qui serait trouvé hors voies et chemins sur le terrain d'autrui et sans en avoir le droit, muni ou porteur desdits filets, lacets, etc.

C'est, si je ne me trompe, permettre le port sur les voies et chemins publics ; car je n'ai aucune observation à faire, quant au domicile, qui doit toujours rester sacré et inviolable.

L'honorable M. de Breyne propose d'interdire la chasse pendant la nuit en dehors des bois et forêts.

M. Orban propose de supprimer le mot lacets dans le paragraphes 2.

L'honorable M. Rodenbach s'enquiert si l'on pourra chasser dans son clos.

Notre honorable collègue, M. de Villegas, propose de généraliser la défense porté articles 4 et 5, ou tout au moins de tendre aux bécassines et jacquets.

L'honorable M. de Garcia demande si le port d'un filet ne sera puni qu'autant que ce filet serve directement à prendre les oiseaux de l'espèce mentionnée à l'article 5. Il demande, avec raison, une explication qui puisse servir de règle aux tribunaux.

Sur ce dernier point, je dirai d'abord que la réponse faite par M. le ministre de l'intérieur, me paraît conforme à l'esprit de la loi et aux intentions de la section centrale.

« La loi interdit l'emploi de toute espèce d'engins propres à détruire le gibier. » On sent, en effet, que si l'on admettait l'exception proposée, c'est-à-dire, l'emploi des engins ou des filets à plusieurs usages, l'exception tuerait le principe ; mais il est bien entendu, par suite de l'amendement proposé par M. Desmet, et adopté par la chambre, que, puisqu'on peut chasser dans ses enclos, on peut y faire usage de filets et de lacets.

Je pense qu'il sera bien entendu dans l'article 5 (qui est la disposition la plus importante du projet), que la défense de vendre, d'acheter, de (page 490) transporter ou de colporter, pendant le temps, où la chasse n'est point permise, s'applique au gibier tué dans un enclos ; sinon la loi manquerait son but. C'est là une espèce de privilège en faveur de la grande propriété. Et si l'on me demande ce que feront les possesseurs d'enclos, je répondrai qu'ils mangeront le gibier chez eux ; et, au besoin, leurs amis leur viendront en aide.

La défense de chasser en dehors des bois et forêts, pendant la nuit, me paraît aussi une mesure sage, et qui rentre dans les intentions du projet, quoiqu'elle puisse nuire à certaine chasse. C'est là un léger sacrifice auquel doivent se résigner les chasseurs. J'attendrai cependant d'ultérieures observations avant de me prononcer définitivement.

Il en est de même de l'amendement qu'a proposé l'honorable M. de Villegas, amendement qui me semble corroborer les principes mêmes de la loi.

Au surplus, messieurs, mon intention est d'obtenir en faveur de l'agriculture que la réparation du dommage causé par la chasse soit enfin une vérité.

Je proposerai un amendement formant des articles additionnels ; je le dépose sur le bureau dès ce moment, afin que la chambre puisse l'apprécier en temps utile.

M. le président. - L'amendement de M. Savart est ainsi conçu :

« Art.... Dans le cas de dommage aux champs, fruits et récoltes, occasionné par le fait des chasseurs, leurs chiens ou chevaux, le bourgmestre de la localité constater, sur la simple plainte de la partie intéressée, la hauteur du dommage ; et dans les trois fois 24 heures, il remettra au juge de paix compétent son procès-verbal qu'il affirmera sincère et véritable.

« Ce procès-verbal ne sera soumis à aucune autre formalité.

« Art.... Le juge de paix déclarera la somme ainsi évaluée exécutoire à la charge du chasseur, par une simple ordonnance à la suite de la minute dudit procès-verbal ; il y fera mettre par son greffier le mandat exécutorial.

« Art.... Il pourra déclarer son ordonnance exécutoire nonobstant opposition pour les frais, comme pour le principal, si le plaignant lui paraît solvable, ou consigne au greffe une somme triple de l'évaluation du dommage.

« Art.... En cas d'opposition, elle sera notifiée au plaignant, dans les trois jours de la signification de l'ordonnance, outre le délai de distance, avec indication d'un domicile d'élection dans le chef-lieu du canton de la justice de paix compétente ; sinon, l'opposition ne sera plus recevable, et l'exécution sera continuée sans qu'il faille la faire ordonner.

« Art.... L'opposition emportera de plein droit citation à la première audience du juge de paix, où il sera procédé, s'il y a lieu, et prononcé comme de droit.

« Ce jugement, fût-il par défaut, ne sera susceptible d'aucune opposition.

« Aucune critique ni opposition ne seront admises contre l'évaluation faite par le bourgmestre, parties entières dans tous leurs autres moyens.

« Art.... Si le dommage n'est pas évalué au-delà de 50 francs, le procès-verbal d'estimation, ainsi que tous les actes judiciaires et extra-judiciaires, jusques et y compris la notification de la sentence, pourront se faire sans formalité de timbre ou d'enregistrement.

« Art.... Il n'est point innové par la présente aux diverses dispositions du code pénal et du code d'instruction criminelle. »

- Cet amendement sera imprimé et distribué.

M. de Tornaco. - Messieurs, je vous proposerai la suppression de quelques mots qui se trouvent dans le paragraphe 2. Ce paragraphe est ainsi conçu :

« Sera puni de la même amende celui qui sera trouvé, hors voies et chemins, sur le terrain d'autrui et sans en avoir le droit, muni ou porteur desdits filets, lacets, bricoles ou autres engins. »

Il résulte de là que si un chasseur était trouvé sur le terrain d'autrui, lorsqu'il en aurait le droit, il ne pourrait pas être poursuivi, que l'amende ne pourrait pas lui être appliquée. Je crois que cela donnerait lieu à de nombreux abus. Pour bien me faire comprendre je citerai des faits.

Je suppose qu'un propriétaire vende du bois. Celui qui a acheté le bois, doit venir nécessairement le trouver ; cet acquéreur de bois a par conséquent le droit d'aller dans la forêt où se trouve le bois qu'il a acheté. Dans ce cas-là, l'acquéreur de bois, qui serait porteur de lacets, ne pourrait pas être poursuivi en vertu de la disposition du paragraphe 2.

Il y a encore beaucoup d'autres cas où le même inconvénient se présenterait. Par exemple, on donne la permission d'aller chercher des feuilles dans un bois ; un braconnier abuse de cette permission ; il pose un acte d'ingratitude, et profile de l'occasion, pour prendre des lièvres, pour mettre des bricoles et des lacets : ce qui se voit malheureusement trop souvent. Dans ce cas-là, le porteur de lacets ne pourrait pas être poursuivi, parce qu'il aurait réellement le droit d'aller dans la propriété où il serait trouvé.

Je ne pense pas devoir en dire davantage ; la chambre comprendra parfaitement les inconvénients du maintien de ces mots qui sont, du reste, fort inutiles.

M. de Villegas. - Messieurs, l'honorable M. Orban vous propose la suppression du mot lacets, qui se trouve et dans le projet du gouvernement et dans l'article 4 amendé par la section centrale. Je dois m'opposer de tous mes moyens à la suppression de ce mot, car elle équivaudrait a la suppression totale du gibier dans les boqueteaux que l'on rencontre dans les contrées où, comme chez nous, la propriété est fort morcelée. En effet, je suppose qu'un individu soit porteur de lacets quelconques ; il dira, soit au garde champêtre, soit au garde particulier chargé de verbaliser, que le lacet dont il est porteur est destiné à prendre des grives, tandis que le même lacet est propre à prendre des perdreaux.

Je désire donc. que l'honorable auteur de cet amendement s'explique sur la portée de sa proposition ; car s'il y attachait un sens absolu, je ne pourrais lui donner mon adhésion.

M. Orban. - Messieurs, mon intention était en effet de faire disparaître entièrement de la loi le délit qui consiste à être trouvé porteur de lacets, hors voies et chemins. Le motif de ma proposition, c'est qu'on ne peut pas considérer comme délit un fait qui peut n'avoir rien d'illicite ni en soi, ni dans le but que se propose son auteur. Or, d'après la loi, il est parfaitement licite de se servir de lacets pour prendre la grive et la bécasse. Comme j'ai déjà eu l'honneur de le faire observer avant-hier, on ne peut pas donner une autre interprétation à la combinaison des articles 4 et 5 du projet de loi.

Pour mieux faire saisir ma pensée, vous me permettrez, messieurs, de vous remettre sous les yeux ces dispositions de la loi.

L'article 4 porte : « Il est interdit en tout temps, à peine d'une amende de cent francs, de faire usage de filets, lacets, etc., propres à prendre ou à détruire le gibier, dont fait mention l'article 5 ci-après. »

L'article 5 est ainsi conçu.

« Art. 5. Dans chaque province ou partie de province, il est défendu d'exposer en vente, de vendre, d'acheter, de transporter ou de colporter,, pendant le temps où la chasse n'y est point permise, et à compter du huitième jour après la clôture de la chasse, des faisans, perdrix, cailles, râles, coqs de bruyère, gelinottes, lièvres, chevreuils, cers et daims.

« Le gibier sera saisi et mis immédiatement à la disposition de l'administration communale du lieu où la contravention aura été constatée.

« La recherche du gibier ne pourra être faite que chez les marchands de comestibles, et dans les auberges ou autres lieux ouverts au public.

« Chaque infraction aux dispositions du présent article sera punie d'une amende de 16 à 100 francs, aussi au profit de la commune où le délit aura été constaté. »

Ainsi, dans l'énumération de ce second paragraphe, auquel se réfère l'article 4, n'étaient comprises ni les bécasses, ni les grives. Il en résultait que l'emploi des lacets pour la chasse de ce gibier n'était pas considéré comme un délit par la loi. Mais les choses étant ainsi, il est évident qu'il était impossible de laisser subsister dans le paragraphe 2 la disposition ainsi conçue :

« Sera puni de la même amende, celui qui sera trouvé, hors de son domicile, muni ou porteur desdits filets, lacets, bricoles et autres engins. »

L'on ne peut, en effet, faire un délit d'une manière absolue du port de lacets, leur emploi étant permis dans certains cas.

Dans l'économie de mon amendement, qui consistait à supprimer dans le paragraphe 2 de l'article 4 le mot lacet, l'emploi de lacets pour prendre des perdreaux restait un délit, mais le fait d'en être porteur cessait d'être prohibé.

La loi ainsi conçue était irrationnelle. On laissait subsister le délit dans la loi, mais on la dégageait de ce surcroît de précautions exceptionnelles, exorbitantes, qui consistent à poursuivre la répression du délit jusque dans les moyens préparatoires les moins significatifs que peuvent l'amener. Il est presque sans exemple, en effet, que l'on ait fait un délit du transport des objets qui peuvent servir à le commettre. J'ajouterai qu'il est d'autant plus dangereux de créer un délit de cette nature dans la matière qui nous occupe, que lorsqu'un individu sera porteur de lacets, ces lacets seront presque toujours cachés, et pour en constater l'existence, il faudra se livrer à des visites personnelles, visites qui offrent toujours les plus graves inconvénients, et qu'on ne permet que difficilement dans des matières bien plus importantes.

Déjà en matière de chasse, on a formellement défendu de désarmer le chasseur, parce que l'on prévoyait les collisions et les inconvénients qui pourraient résulter de cette autorisation. Pourquoi donc introduire une faculté analogue et bien moins justifiée, en ce qui concerne d'autres instruments de chasse ?

Voilà donc dans quel sens j'avais conçu avant-hier mon amendement. Toutefois, j'ai trouvé chez ceux de mes honorables collègues qui s'en sont entretenus avec moi, un tel désir de conserver dans toute sa force la disposition tendant à prohiber la destruction des perdreaux, au moyen de lacets, avec toutes les précautions extraordinaires dont elle est accompagnée, que j'ai craint qu'en proposant mon amendement tel que je l'avais présenté, je n'obtienne pas dans la chambre l'appui dont j'ai besoin. J'ai donc pris la résolution de le modifier, de manière à ne faire cesser le délit prévu à l'article 2, qu'en ce qui concerne les lacets aux grives, lacets qui diffèrent d'une manière appréciable de ceux qui sont destinés à prendre des bécasses et des perdreaux. Les premiers, en effet, sont composés d'un nombre de crins moins considérable, et offrent une résistance moins forte.

Ainsi, sous ce rapport, ma nouvelle disposition serait conçue dans les termes que je vais indiquer ; elle constituerait une addition à l'article 4.

« Ne sont pas compris dans la disposition de cet article, les lacets aux grives, formés de trois crins et plus. »

A cette disposition j'en ajouterai une autre analogue, en ce qui concerne les filets aux alouettes et autres oiseaux de passage.

Il n'entre pas plus dans l'intention de la chambre de supprimer la tenderie aux alouettes, qui se fait au moyen de filets, que de supprimer la tenderie aux grives. La tenderie aux alouettes est dans les habitudes des habitants de la campagne, elle leur est chère, et j'ose dire qu'elle doit être respectée autant que quelque genre de chasse que ce soit.

Aussi, messieurs, il n'est pas non plus entré dans l'intention des auteurs de la loi de prohiber cette chasse. Je ferai à cet égard la même observation que j'ai faite pour la tenderie aux grives, c'est que de la combinaison des articles 4 et 5, il ne résulte pas que l'emploi des filets pour prendre des alouettes soit prohibé.

Il est donc nécessaire d'étendre la disposition exceptionnelle que je vous propose aux filets destinés à ce genre de tenderie.

Maintenant, j'avouerai qu'en vous proposant cette disposition, dans le but de faire disparaître de la loi une contradiction qu'elle renferme et de consacrer aussi, d'une manière formelle, le droit de tendre aux grives et aux alouettes, qui pouvait être mis en doute ; je sacrifie, en quelque sorte, (page 491) l'usage des lacets pour prendre les bécasses, qui pouvait être considérés comme permis, d'après le projet de loi tel qu'il était présenté, car la bécasse ne se trouve pas comprise parmi les espèces de gibier énumérées à l'article 5.

Mais je le déclare encore ici, je n'ai obéi, en agissant, ainsi qu'au désir d'assurer l'adoption de mon amendement, et j'ai pris en considération l'opposition que j'ai rencontrée chez d'honorables collègues qui craignaient qu'en autorisant la tenderie aux bécasses, on n'autorisât en même temps la tenderie aux perdreaux. Cependant je ne vous cacherai pas que c'est avec regret que je renonce à cette disposition ; car renoncer à prendre les bécasses de cette manière, c'est renoncer à voir ce gibier figurer dans le commerce et dans la consommation ; les seules bécasses qui soient livrées au commerce, sont prises au moyen de lacets ; les bécasses tuées par le chasseur sont généralement consommées dans sa famille.

Vous comprendrez, du reste, qu'il serait impossible de livrer à la consommation, sans un renchérissement de prix extraordinaire, les bécasses qui devraient être tuées au fusil exclusivement. L'on sait que ce genre de chasse présente trop de difficultés et demande trop d'adresse pour être un métier ou une industrie lucrative. Si l'on ne pouvait acheter d'autres bécasses que celles qui auraient cette origine, elles deviendraient fort rares et se vendraient à un prix accessible à bien peu de personnes. Pourquoi, je vous le demande, priver le pays d'un objet alimentaire aussi précieux et aussi important ? Ce serait là un sacrifice parfaitement inutile, puisqu'en définitive, en renonçant à vous approprier cet oiseau de passage, il n'en est pas moins perdu pour nous.

Maintenant pour être entièrement franc, je vous dirai aussi pourquoi je me suis résigné à ne pas les comprendre dans mnu amendement, c'est parce que je suis convaincu que, quelle que soit la disposition que vous introduisiez dans la loi, elle n'aboutira jamais à supprimer une tenderie dont personne n'apercevra jamais les inconvénients.

Dans la province du Luxembourg, par exemple, l'habitude de prendre la bécasse au lacet existe de temps immémorial, et je suis persuadé que quoi qu'il advienne, l'on continuera à les prendre de cette façon. On n'y trouvera jamais de garde disposé à exécuter une disposition de la loi qui ne lui paraîtra pas motivée sur un dommage quelconque. Les gardes ne violeront pas la loi, mais ils lui donneront une interprétation telle que cette chasse puisse être continuée. Voilà pourquoi j'ai renoncé à la seconde partie de la disposition que je voulais introduire dans l'article.

Pour me résumer, mon amendement consiste à permettre le port de lacets destinés à la tenderie aux grives et de filets propres à la tenderie aux alouettes et autres oiseaux de passage. Il est ainsi conçu : « Ne sont pas compris dans la disposition de cet article les lacets aux grives formés de trois crins au plus, ni les filets destinés à la tenderie aux alouettes et autres petits oiseaux. »

Cette disposition serait ajoutée à l'article 4.

Plusieurs voix. - Ce genre de chasse serait-il permis en tout temps ?

M. de Villegas. - Mon amendement ne change rien à cette partie de la loi. Il n'y a de chasse permise, de quelque espèce que ce soit, qu'en temps non prohibé. La disposition de l'article premier de la loi est formelle à cet égard.

M. le président. - Cet amendement est-il appuyé ? (Oui, oui.)

M. de Tornaco propose de supprimer au deuxième paragraphe de l'article, les mots : et sans en avoir le droit.

- Cet amendement est également appuyé.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, l'honorable M. Orban a parfaitement compris l'esprit de la loi et des dispositions comparées des articles 4 et 5.

L'énumération de l'article 5 est, en effet, limitative. Les auteurs de la loi ont eu l'intention de ne prohiber l'emploi de filets, lacets, bricoles, appâts et autres engins que quand ils étaient destinés à la destruction des gibiers dont l'énumération est faite à l'article 5.

Or, tous les autres gibiers qui ne sont pas énumérés dans l'article 5 se trouvent donc ainsi, par la combinaison des deux articles, dans les termes généraux de la loi. Ainsi la tenderie au filet n'est pas interdite par la disposition de l'article 4, attendu que les grives et les bécasses ne sont pas comprises dans l'énumération de l'article 5. Il est donc bien entendu que, dans l'esprit des auteurs de la loi, tous les oiseaux, grives, alouettes, pinsons, et dont l'énumération n'est pas à l'article 5, peuvent, quand la chasse n'est pas prohibée, être pris au filet, lacet, etc. Il en résulte aussi que les porteurs de ces filets destinés à prendre les oiseaux dont je viens de parler, ne seront pas exposés à être mis à contravention pour délit. Si je comprends bien la nature de ces engins, d'après les termes mêmes de l'amendement, les lacets destinés à prendre les grives ont une construction différente des autres. Ce fait seul, ce fait matériel rapproché des dispositions de la loi, prouve que le port de ces lacets de construction particulière n'est pas un délit, et qu'il n'expose pas le porteur à un procès-verbal. Je pense donc que si la loi est comprise dans ces termes généraux, si elle est interprétée comme l'entend le préopinant, son amendement serait plus limitatif que la disposition. Nous avons proposé de considérer comme légitime l'emploi de tous les filets et lacets pour chasser les animaux non compris dans l'énumération de l'article 5.

L'amendement proposé aurait pour effet de limiter cette disposition et de ne permettre de chasser ainsi que les grives, les alouettes et les oiseaux de passage. Je pense que l'explication que j'ai donnée et l’interprétation légale qui résultera de l'adoption de la disposition après l'explication fera cesser l'inconvénient que craignait l'honorable membre et disparaître la contradiction qu'il a cru rencontrer. Une latitude plus grande est laissée par la proposition du gouvernement que par l'amendement.

M. de Theux. - Il vaut mieux retirer tous les amendements.

M. de Villegas. - Je demanderai si M. le ministre n'a rien à dire sur mon amendement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - La bécassine et le jacquet sont des oiseaux de passage, des oiseaux d'eau, chassés ordinairement au bord des marais. Pour cette chasse particulière, le gouvernement qui s'est réservé la faculté de déterminer les époques d'ouverture et de fermeture des chasses, avait donné pour ces oiseaux une latitude plus grande que l'amendement restrictif de l'honorable préopinant. En conséquence, je ne vois pas trop l'utilité d'ajouter les bécassines. Au reste, je crois que l'amendement doit être renvoyé à l'énumération de l'article 5.

Quelle que soit la résolution de la chambre sur cet amendement, il serait plus régulier de le présenter à l'article 5 qu'à l'article 4, car l'article 5 a pour objet d'interdire la vente du gibier dont la chasse est interdite à des époques à déterminer par le gouvernement.

M. de Villegas. - M. le ministre de l'intérieur vient de vous dire que, d'après la combinaison des articles 4 et 5, la chasse aux bécassines et aux jacquets devait être permise, attendu que c'est un oiseau de passage. Ainsi que je l'ai fait remarquer dans la séance de samedi dernier, ce n'est pas un oiseau de passage dans la véritable acception du mot, puisqu'il fréquente nos marais au moins pendant trois ou quatre mois de l'année. J'ai fait observer en outre que c'est à peu près l'unique ressource du chasseur régulier de notre contrée.

M. le ministre de l'intérieur, en rencontrant cet amendement, vous dit que les porteurs de filets pour tendre au gibier non énuméré à l'article 5, ne peuvent pas être condamnés. Cela est vrai, mais je demande que les mots bécassines et jacquets soient compris dans l'énumération du gibier à l'article 5. Remarquez qu'il est extrêmement difficile de distinguer le filet au perdreau du filet à la bécassine. Si un individu porteur de cette espèce de filet est rencontré hors voies et chemins par un agent du pouvoir, il lui dira que le filet est destiné à prendre des bécassines, tandis qu'en réalité il est propre à prendre d'autre gibier.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Les tribunaux apprécieront !

M. de Villegas. - Je crois que cette appréciation sera très difficile, ou pour mieux dire sera impossible.

Du reste, j'engage M. le ministre de l'intérieur à ne pas s'opposer à l'adoption de mon amendement, proposé dans l'intérêt des chasseurs des Flandres.

M. de Saegher. - Les observations de l'honorable M. de Villegas prouvent combien j'avais raison de dire dans une séance précédente que l'élasticité de l'article 3 pourrait donner lieu à des inconvénients, même à des vexations sans nombre. En effet, je le répète avec l'honorable M. de Villegas, comment pourra-t-on distinguer si un filet ou un lacet est destiné à prendre une caille, une alouette ou un perdreau ? Il est certain que c'est là un inconvénient grave qui mérite toute notre attention. Quoiqu'il en soit, je remercie l'honorable ministre de l'intérieur de l'explication qu'il a bien voulu donner. Il en résulte qu'en temps de chasse non prohibée, il sera permis de prendre toute espèce d'oiseau non énumérée à l'article 5.

Je tenais à cette explication ; je l'avais provoquée il y a quelques jours, parce que la loi française qui contient à peu près la même disposition est interprétée autrement par la jurisprudence. En France, il n'est permis de prendre aucune espèce d'oiseau. Sans cette explication de M. le ministre, les tribunaux belges auraient pu interpréter la loi dans le même sens qu'en France. Ce n'est pas du reste que ces explications me satisfassent entièrement, car je conçois difficilement qu'il soit nécessaire, même en temps de chasse prohibée, de défendre la tenderie aux petits oiseaux.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - L'explication que j'ai donnée pour la bonne intelligence de la loi, n'était pas tellement nécessaire que la loi eût pu être entendue autrement, si je ne l'avais pas donnée. En effet, vous avez entendu l'honorable M. Orban dire qu'il était impossible, en rapprochant les dispositions des articles 4 et 5, d'entendre la loi autrement que je ne le fais.

L'honorable préopinant a cité l'exemple de la France où il est interdit d'employer toute espèce de filet, engin. Il oublie une autre circonstance, c'est qu'il n'y est même pas permis à l'oiseleur de faire usage d'un filet quelconque, sans être porteur d'un permis de chasse, ce qui n'existe pas ici. Quant à la nature des filets, il faut qu'une loi soit conçus en termes généraux et laisse à l'appréciation du juge la question de savoir si un filet est destiné à la destruction du gibier ou si c'est un filet qu'on pouvait légitimement employer.

La nature des filets est tout à fait différente. L'honorable préopinant vous a dit que les filets destinés à prendre des alouettes peuvent être employés à prendre une autre espèce de gibier.

Je vois de tous côtés des signes négatifs qui me démontrent qu'il n'en est point ainsi.

M. de Saegher. - J'ai dit que les filets ou les lacets, avec lesquels on prendrait les alouettes, pourraient être employés à prendre d'autre gibier.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'ai déjà eu l'honneur de dire à la chambre qu'en fait de chasse au filet, au lacet, comme en fait de chasse au fusil, je manquais d'expérience pratique. Mais il est une expérience qu'on acquiert sans être chasseur, pour peu que l'on observe ce qui se fait dans le monde. Or, des conversations que j'ai entendues, il m'est resté cette observation, que jamais une alouette n'a été prise dans un lacet.

M. Orban. - En présence des explications données par M. le ministre de l'intérieur sur la manière dont doivent être interprétés les articles 4 et 5 de (page 492) la loi, explications qui diffèrent essentiellement de celles qui ont été données à la fin de la séance d'hier, je déclare que je m'empresserai de retirer mon amendement, si la chambre adhère aux paroles de M. le ministre. L'on m'accorde en effet de cette manière tout ce que je désirais sans oser le demander, et si aucune réclamation ne s'élève contre cette interprétation, il sera bien entendu que l’emploi de lacets ne sera prohibé que quand il aura pour objet de prendre l'un ou l'autre des gibiers déterminés à l'article 5, que les grives et les bécasses n'étant pas comprises dans cette énumération, le fait d'avoir employé des lacets pour les prendre ne constituera pas un délit. Il en résultera également que le fait d'avoir transporté les lacets ne tombera pas sous l'application de la loi ; qu'en un mot le paragraphe 2 de l'article 4 ne devra être entendu que selon la signification que lui donne l'article 5 combiné avec le paragraphe premier de l'article 4.

M. Vandensteen. - Je préfère, messieurs, de beaucoup l'amendement présenté par l'honorable M. Orban à l'interprétation que vient de donner M. le ministre, car s'il était adopté, on ne pourrait faire usage que de lacets à trois fils. S'il n'est pas admis, on pourra faire usage de lacets à 4 ou 5 fils, propres à prendre non seulement des grives, des bécasses, mais aussi des perdreaux.

M. Vanden Eynde. - Je proteste contre l'extension donnée par l'honorable M. Orban à l'interprétation de M. le ministre de l'intérieur. J'admets cette interprétation, mais non l'insinuation de M. Orban. Cet honorable membre a interprété l'interprétation de M. le ministre de l'intérieur de manière à exempter de toute peine l'individu qui aurait l'intention de prendre des grives avec des lacets propres à prendre des perdreaux ; ce serait éluder la loi. Je pense que ni M. le ministre de l'intérieur, ni la chambre ne voudront admettre cette interprétation.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Après avoir donné la seule interprétation qu'on puisse donner aux articles 4 et 5 combinés, la chambre comprendra que, dans l'application, le juge appréciera l'intention du délinquant. Il est impossible que le législateur substitue son action à celle du juge. Toutes les fois qu'il y a une question d'intention, c'est au juge qu'il faut en laisser l'appréciation.

M. de Mérode. - D'abord il y aura un élément d'appréciation pour le juge, c'est lorsqu'on tendra des lacets susceptibles de prendre des perdreaux à une époque où il ne passe pas de bécasses.

M. de Tornaco. - Mais les bécasses passent pendant tout l'hiver.

M. de Mérode. - Il paraît qu'on n'est pas d'accord sur ce point. Quant à moi, je crois que les bécasses passent au printemps et à l'automne. Il est évident que celui qui tendra des filets propres à prendre les bécasses au moment où il n'en passe pas, devra être considéré comme ayant voulu prendre des perdreaux.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il y a un fait qui fera peut-être disparaître les doutes qui peuvent s'élever à l'occasion de l'interprétation et de l'application des articles 4 et 5.

Le juge pourra d'autant mieux apprécier la nature du délit, qu'il aura sous les yeux l'élément matériel qui le constitue, c'est-à-dire les lacets mêmes ; il décidera si ce sont des moyens propres à la destruction du gibier ou destinés à la tenderie aux grives.

M. Lesoinne. - Est-il bien entendu qu'il sera défendu de prendre les bécasses au lacet ? (Non ! non !)

Si, dans les lacets placés pour les bécasses, il se prend un perdreau, celui qui les aura posés encourra-t-il une peine ?

M. Vandensteen. - Examinons comment s'est présentée cette question. L'honorable M. Orban a demandé si l'on voulait empêcher le port des lacets propres à prendre des grives et des bécasses que, d'après lui, on ne pouvait pas, puisque dans l'article 5 les grives et les bécasses ne se trouvaient point comprises Evidemment non, telle n'est l'intention d'aucun membre de cette chambre, quant aux grives. Mais il ne peut en être de même pour les lacets à la bécasse, qui sont positivement les mêmes que ceux employés pour prendre les perdreaux, gibiers expressément compris dans l'article 5. C'est donc pour ce motif que l'honorable M. Orban, dans la crainte de voir son amendement rejeté, a abandonné la faculté qu'il avait sollicitée en premier lieu, c'est-à-dire, de pouvoir se servir de lacet pour prendre les bécasses, et qu'il n'a plus demandé que le droit de pouvoir faire usage du lacet à 3 fils, uniquement destiné à prendre les grives. Telle était la portée de l'amendement de l'honorable M. Orban, lorsque M. le ministre est venu donner l'interprétation que vous venez d'entendre et qui a engagé M. Orban à retirer son amendement.

Aussi c'est pour ce motif que je maintiens ce que j'ai dit en commençant, c'est-à-dire que je préfère l'amendement de M. Orban à l'interprétation de M. le ministre et que je déclare repousser cet amendement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je reconnais toute la supériorité de l'honorable préopinant dans les questions de chasse, d'application de filets et d'engins. Il me permettra cependant de lui faire observer que les bécasses ne se prennent ni dans les mêmes lieux, ni à la même époque que les perdreaux. (Dénégations de la part de MM. Vanden Eynde et de Tornaco.)

Je vois sur ces bancs d'honorables membres qui ont, en fait de chasse, des connaissances théoriques et pratiques, et qui reconnaissent la justesse de mon observation, à savoir que la bécasse ne se chasse pas dans les mêmes lieux et à la même époque que le perdreau.

Dans cet état de choses, je crois qu'il importe de laisser à l'appréciation du juge la question de savoir quel est le lacet employé, et la question de savoir quelle est l'intention de celui qui l'emploie.

Dans tous les délits, il y a une question intentionnelle que le juge apprécie. La jurisprudence s'établira ; elle pourra varier dans certaines localités suivant certains usages. Après un certain nombre de décisions, on saura dans quelles limites, avec quelles restrictions les lacets peuvent ou, non être employés.

M. de Mérode. - Les bois, en général, appartiennent à des propriétaires qui tiennent à conserver leur chasse ; ils ne permettront pas qu'on pose dans leur bois des lacets pour prendre les perdreaux. On ne peut mettre des lacets sur la propriété d'autrui, sans être passible de la peine comminée par la loi. L'amendement est donc inutile.

M. Dumont. - Je ne crois pas fondées les appréhensions de l'honorable M. Orban au sujet des tenderies aux grives. Pour moi, si j'avais une tenderie de ce genre, je n'établirais de lacets que dans une propriété où j'aurais le droit de chasser. Pour m'y rendre, j'aurais soin de suivre les chemins. Avec ces précautions, je ne serais nullement inquiété.

Eh bien, messieurs, en s'y prenant comme je viens de le dire, je ne vois pas que le tendeur aux grives ou aux bécasses puisse être le moins du monde inquiété. Dès qu'il met ses lacets dans la propriété où il a le droit de chasser et qu'il se rend à cette propriété par les chemins, il ne sera pas répréhensible. De sorte que l'amendement de l'honorable M. Orban n'aurait pour effet que de donner à ce tendeur le droit de passer sur la propriété d'autrui, et je crois que telle n'est pas l'intention de l'honorable M. Orban.

Les filets, lacets, bricoles, etc., ne sont interdits que pour la chasse du gibier indiqué à l'article 5. Or, comme ni les grives ni les bécasses ne font partie de l'énumération faite à l'article 5, il est évident que je puis faire la chasse à ces oiseaux à l'aide de lacets. Je crois au moins que l'honorable M. Orban avait compris ainsi l'article, que ses observations ne s'appliquaient qu'au fait d'être porteur de lacets, et non au fait de faire usage des lacets pour prendre les grives et les bécasses.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je n'ajouterai qu'une considération aux observations très justes de l'honorable préopinant. (Rumeurs.) Messieurs, si j'ai bien saisi la portée des observations de l'honorable préopinant, elles rentraient dans le sens de l'explication que j'avais donnée moi-même, à savoir qu'il était permis en temps de chasse de chasser au lacet et au filet des gibiers non compris dans l'énumération faite à l'article 5. C'est ainsi que j'avais qualifié de justes les observations de l'honorable membre.

M. Vanden Eynde. - Cela n'est pas exact.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - L'honorable M. Van den Eynde me dit que cela n'est pas exact. Est-ce à dire que je n'entends pas le véritable sens des articles 4 et 5 ?

M. Vanden Eynde. - Oui.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, il est cependant important que la chambre, que le législateur sache ce qu'il doit faire et ce qu'il fait. Le gouvernement vous présente une loi où deux articles se trouvent combinés. En vertu de l'article 4, des peines seront comminées contre l'emploi et le port de certains engins destinés à détruire le gibier. Dans l'article 5 on fait l'énumération des gibiers que l'on ne peut pas détruire à l'aide de ces engins. Il en résulte évidemment, clairement, logiquement que toutes les espèces de gibier qui ne sont pas énumérées à l'article 5, retombent dans l'usage général et qu'on pourra, à l'égard de ces espèces de gibier, employer des engins, des lacets, des filets.

Voilà, si je m'explique bien, le sens que la chambre elle-même veut donner aux articles 4 et 5, et c'est le sens qui attache le gouvernement.

Quant à l'application de ce principe, messieurs, je répéterai en quelques mots les courtes observations que j'ai faites tout à l'heure, à savoir que le délit se composant et de l'intention et du fait, le juge sera appréciateur de la nature du délit. Il en sera l'appréciateur d'autant plus naturel et l'appréciateur d'autant plus capable de décider la question, que cette question elle-même pourra varier suivant les localités, ainsi que cela arrive fréquemment en France.

En France, messieurs, bien que, par la dernière loi, l'emploi général de tout engin soit interdit, il y a cependant dans différentes localités certains engins dont l'emploi a été autorisé suivant les usages locaux. On n'a pas considéré comme un fait de braconnage l'emploi de ces engins, parce que depuis un temps immémorial la chasse, dans ces localités, s'est faite de cette manière.

C'est aussi ainsi que procédera le juge en Belgique. Si donc dans le grand-duché de Luxembourg, la tenderie aux grives est une chasse constante, habituelle, subordonnée à certaines règles connues, appréciées de tout le monde, il est évident que le juge, dans le grand-duché de Luxembourg, distinguera fort bien si le lacet qu'on a voulu employer est le lacet employé ordinairement ou si c'est un lacet de destruction, un lacet que n'emploie pas le chasseur légitime. Je pense que tous ces faits doivent être laissés à l'appréciation des juges et que la jurisprudence fixera, et fixera bientôt la question, dont le législateur lui-même ne doit pas se saisir.

M. Vanden Eynde. - Tout à l'heure, quand M. le ministre de l'intérieur faisait l'application de l'exemple présenté par l'honorable M. Dumont, j'ai dit que l'application de cet exemple à l'interprétation qu'il avait donnée des articles 4 et 5 combinés de la loi, ne convenait pas à l'esprit de ces articles.

Voici comment j'apprécie le sens qu'il faut attribuer aux articles 4 et S combinés. Je ferai usage de l'exemple fourni par l'honorable M. Dumont. Il est défendu, d'après l'article 4, de porter et de placer des lacets propres à prendre l'un des gibiers énumérés dans l'article 5. Or, les lacets destinés à prendre des bécasses, sont des lacets propres à prendre des perdreaux ; de sorte que lorsqu'on aurait transporté par voies et chemins des lacets propres à prendre des perdreaux et qu'on aurait placé ces lacets dans des endroits où on peut prendre ce gibier, on commettrait une contravention par ce fait même ; et en cela l'application de M. le ministre n'est pas exacte.

M. Eloy de Burdinne. - J'avais demandé la parole pour présenter les mêmes considérations que l'honorable préopinant.

(page 403) Messieurs, dans les Ardennes où il y a beaucoup de bécasses, elles ne se prennent pas dans les bois, mais près des chemins, dans les bruyères, et là on prend autant de perdreaux que de bécasses. Dès lors je vous demande dans quelle position se trouvera le juge qui devra qualifier le lacet ; le qualifiera-t-il de lacet ayant servi à prendre les bécasses, ou de lacet ayant servi à prendre les perdreaux ?

Messieurs, on a prétendu aussi que l'époque de la chasse aux bécasses n'était pas la même que celle de la chasse aux perdreaux. Mais la chasse à la bécasse commence à la fin de septembre et finit au mois d'avril ; or c'est bien là aussi l'époque de la chasse aux perdreaux.

Je sais, messieurs, qu'il est difficile de faire une loi qui ne soit pas sujette à des interprétations ; je sais aussi qu'il faut laisser sur ce point beaucoup au juge ; mais je crois que si vous autorisez la chasse à la bécasse au moyen des lacets, vous autoriserez aussi la chasse au perdreau au moyen des filets. Je ferai d'ailleurs remarquer que dans une grande partie du pays nous avons des boqueteaux où viennent se reposer les bécasses au passage ; or, en mettant dans ces boqueteaux des lacets pour prendre des bécasses, on détruira immanquablement beaucoup de perdreaux, il serait même très facile à un propriétaire de détruire une chasse au détriment de ses voisins et des autres propriétaires de la commune ; en plantant quelques boqueteaux, il pourrait enlever tous les perdreaux des environs. Cependant je crois que l'intention du législateur n'a pas été de permettre plus au propriétaire qu'au braconnier de détruire le gibier.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Il me semble, messieurs, qu'à l'aide d'une légère modification à l'article 4, l'appréciation que pourrait faire le juge serait singulièrement facilitée, que l'arbitraire serait beaucoup moins large, et que l'application de la loi se ferait ainsi plus facilement. Au lieu de dire : « Il est interdit en tout temps, sous peine d'une amende de 100 fr., de faire usage de filets, lacets, bricoles et de tous autres engins propres à prendre, etc., » je propose de dire : « et de tous autres engins destinés à prendre. » L'appréciation intentionnelle sera ainsi beaucoup plus facile pour le juge.

M. le ministre des travaux publics (M. d’Hoffschmidt). - Je dois, messieurs, combattre l'amendement proposé d'abord par M. Orban et repris ensuite par M. Vandensteen. Pour parer à l'inconvénient de la prise de perdreaux avec des lacets destinés à prendre des bécasses, il faudrait supprimer une chasse des plus agréables, qui se fait dans les provinces de Namur et de Luxembourg au moyen de lacets. Cette chasse est non seulement agréable, mais elle présente plusieurs avantages réels et notamment ceux-ci : c'est d'abord que la bécasse, comme l'a fait observer M. Orban, est un gibier de passage ; c'est ensuite que la chasse à la bécasse ne porte jamais aucun préjudice à la propriété. Eh bien, messieurs, l'amendement aurait pour résultat de supprimer cette chasse, et dès lors je crois que nous devons bien nous garder de l'adopter.

D'ailleurs, messieurs, plus nous introduirons d'amendements dans l'article en discussion, plus nous en rendrons l'application difficile. Comme l'a fort bien dit M. le ministre de l'intérieur, l'intention est pour beaucoup dans les délits de chasse. Le but principal de la loi, c'est la répression du braconnage. Ainsi non seulement le juge, mais le garde lui-même examinera quel est l'individu porteur du lacet. Si c'est un individu paisible, si ce n'est pas un braconnier, le garde n'ira pas immédiatement dresser procès-verbal ou faire des recherches. Je crois donc que l'on n'a rien à redouter quant à l'application de l'article tel qu'il est rédigé. Comme le disait fort bien un honorable préopinant, toute loi présente d'abord des difficultés d'exécution ; c'est la jurisprudence, ensuite, qui vient faire disparaître ces difficultés.

En France, si je ne me trompe, la même disposition que celle qui vous est proposée se trouve dans la loi ; cependant l'on peut y prendre au moyen de lacets et des grives et des bécasses. Eh bien, cette disposition n'a pas présenté jusqu'à présent les difficultés que l'on redoute.

Ainsi, messieurs, je crois que ce qu'il y a de plus sage, c'est de laisser l'article tel qu'il est rédigé. Si l'on voulait y introduire des modifications, on ferait peut-être naître des difficultés que maintenant il nous est impossible de prévoir.

M. Vandensteen. - Je ne conteste pas que l'on ne prenne beaucoup de bécasses dans la province de Luxembourg ; c'est ce qui explique pourquoi M. le ministre des travaux publics, et M. Orban, députés du Luxembourg défendent cette chasse, mais je ferai remarquer à la chambre que nous ne faisons pas une loi uniquement dans l'intérêt de la province du Luxembourg, nous faisons une loi pour tout le pays. Or, cette tenderie, si elle est permise, fera le plus grand tort à la véritable chasse, c'est-à-dire à celle des perdreaux. M. le ministre de l'intérieur nous dit que le juge appréciera l'intention de celui qui aura été trouvé porteur du lacet dont il est question : mais j'aurai l'honneur de lui faire observer que les lacets dont on veut permettre l'usage sont précisément ceux qui servent à prendre les perdreaux et les faisans, gibiers qui sont compris dans l'article 5 ; et que la loi ne défendant pas de prendre des bécasses avec des lacets, le juge ne pourra pas condamner l'individu, qui aura été trouvé porteur d'un semblable lacet, car il sera en droit de dire que son intention n'était pas de prendre des perdreaux, qu'il ne voulait prendre que des bécasses. Je ne vois pas qu'il soit possible de sortir de cette difficulté, à moins qu'on n'inscrive sur les lacets que l'intention de celui qui les a mis n'est pas de prendre des perdreaux, mais bien des bécasses.

M. Vanden Eynde. - Je suis persuadé, messieurs, que si M. le ministre de l'intérieur avait consulté son honorable collègue de la justice, il n'aurait pas proposé son amendement. Je lui demanderai, en effet, par quel moyen il constatera l'intention de l'individu qui aura été trouvé porteur d'un lacet propre à prendre des bécasses et des perdreaux ? Devant les tribunaux correctionnels et devant les cours d'assises, l'intention de l'accusé est déduite du fait même et des circonstances du fait, mais on ne demande pas à l'accusé quelle a été son intention ; vous concevez, en effet, messieurs, qu'il s'expliquerait toujours dans le sens qui lui serait le plus favorable.

Je pense que l'amendement de M. le ministre, si on l'examine dans l'application qu'il doit recevoir, ne peut pas être accepté, car il n'y aurait pas moyen de condamner un seul individu qui aurait été trouvé porteur d'un lacet propre à prendre des perdreaux. L'adoption de cet amendement serait l'anéantissement de l'article 4.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Il est vrai, messieurs, que mon honorable collègue, le ministre de l'intérieur, ne m'a pas consulté sur la substitution du mot « destinés » au mot « propres » ; mais je déclare que j'y adhère pleinement, et les raisons qu'a fait valoir l'honorable M. Vanden Eynde ne sont pas de nature à me faire changer d'opinion. M. le ministre de l'intérieur a proposé le changement dont il s'agit pour bien faire voir qu'il fallait s'attacher au caractère, à la destination spéciale de l'objet employé ou seulement porté par le contrevenant. Un lacet, un filet, peut être propre à prendre certain gibier sans être spécialement destiné à la chasse, à la prise de ce gibier. Un lacet, destiné à la bécasse, par exemple, pourra peut-être servir à prendre un perdreau ; il est donc propre à prendre ce dernier oiseau, mais n'est pas destiné à le prendre. La substitution proposée par mon collègue est donc parfaitement justifiée.

Il ne s'agira donc pas de rechercher l'intention de l'individu qui aura été trouvé porteur de tel ou tel lacet et de juger si cette intention était de prendre des bécasses ou de prendre des perdreaux ; il s'agit d'examiner si, d'après la nature même de l'objet saisi, cet objet doit être considéré comme destiné à prendre plutôt des bécasses que des perdreaux, et cet examen ne paraît pas difficile. Le juge consultera les usages locaux, les époques, les localités, et il pourra de cette manière décider quelle est la destination du lacet, filet ou autre engin, qui aura été saisi.

- La clôture est demandée et prononcée.

La chambre adopte d'abord l'amendement de M. de Breyne tendant à insérer dans le premier paragraphe les mots : « de chasser en dehors des bois et forêts, depuis le coucher jusqu'au lever du soleil. »

La substitution du mot « destinés » au mot « propres » est ensuite mise aux voix et adoptée.

Le premier paragraphe de la rédaction proposée par le gouvernement, est ensuite adopté avec ces amendements.

La chambre adopte l'amendement de M. de Tornaco tendant à supprimer dans le deuxième paragraphe les mots : « et sans en avoir le droit. »

Le deuxième paragraphe, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Le troisième paragraphe est adopté tel qu'il a été proposé par le gouvernement.

M. le président. - Il reste à mettre aux voix la disposition additionnelle qui a été proposée à l'article 4 par M. Orban, qui a été retirée par son auteur et qui a été reprise par M. Vandensteen.

- On demande l'appel nominal, il est procédé à cette opération.

51 membres prennent part au vote.

2 se sont abstenus (MM. de Foere et Cans).

13 répondent oui.

38 répondent non.

En conséquence la disposition additionnelle n'est pas adoptée.

Ont répondu oui : MM. Anspach, de Baillet, de Man d'Attenrode, de Meer de Moorsel, de Mérode, de Sécus, de Tornaco, Eloy de Burdinne, Goblet, Savart, Vanden Eynde, Van Cutsem et Vilain XIIII.

Ont répondu non : MM. Biebuyck, Castiau, Clep, d'Anethan, de Bonne, de Corswarem, Dedecker, de Haerne, de la Coste, de Meester, de Saegher, de Smet, de Theux, de Villegas, d'Hoffschmidt, Donny, Dumont, Fleussu, Henot, Huveners, Jonet, Lange, Lejeune, Lesoinne, Lys, Orban, Orts, Osy, Pirson, Rodenbach, Sigart, Simons, Thienpont, Thyrion, Van Cutsem, Verhaegen, Verwilghen, Wallaert et Liedts.

Les deux membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. de Foere. - La discussion sur l'amendement a présenté beaucoup de confusion, et je ne suis pas assez instruit sur la matière pour en juger par moi-même et pour émettre un vote.

M. Cans. - Je me suis abstenu, parce que je n'ai pas assisté à la discussion de l'amendement sur lequel il vient d'être voté.

M. le président. - Voici l'amendement de M. Clep, dont j'ai donné lecture au commencement de la séance :

« Il est également interdit, en tout temps, de chasser, de quelque manière que ce soit, en temps de neige, les différentes espèces de gibier mentionnées dans l'article 5 ci-après.

« Le procès-verbal de contravention devra faire mention, et en outre être appuyé d'une attestation de la régence du lieu, déclarant que la neige était assez épaisse pour faciliter la recherche ou la destruction du gibier susmentionné.

« Toute contravention de cette nature sera punie d'une amende de cent francs. »

M. Clep. - Messieurs, mon amendement n'aura besoin que très peu de développement.

Chacun sait que c'est durant le temps de la neige que se fait la plus (page 494) grande et la plus active destruction du gibier ; mais chacun de nous devra lire convaincu aussi, je pense, que malgré la bonne volonté du gouvernement d'interdire la chasse en temps de neige, cette défense sera le plus souvent inefficace, et en effet, messieurs, dans nos provinces d'une grande étendue territoriale, il arrivera souvent que la neige sera assez épaisse pour faciliter et détruire le gibier sur une partie de la province, tandis que sur une autre partie de la même province la neige ne sera pas suffisante, ou même qu'il n'y aura pas de neige du tout. Des cas semblables seront même très communs, le gouvernement devra informer, et il arrivera souvent que la neige sera déjà disparue quand arrivera la défense du gouvernement.

L'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter, remédie à tous les inconvénients. Lorsque dans un district ou même sur une ou plusieurs communes la neige sera assez épaisse pour faciliter la recherche ou la destruction du gibier, la chasse y sera interdite, et afin qu'il n'y ait aucun abus ni vexation possible à cet égard ou le moins que possible, le procès-verbal de contravention devra être appuyé d'une attestation de l'autorité communale du lieu où la contravention aura été commise.

- L'amendement est appuyé.

M. Savart-Martel, rapporteur. - Si ma mémoire est fidèle, une proposition identique a été discutée dans le sein de la section centrale, et nous avons reconnu que, dans la pratique, cela n'était guère exécutable. L'amendement de l'honorable M. Clep a un côté favorable ; il est admissible en théorie ; mais en pratique, c'est impossible. Dans le cas prévu par l'amendement, qui déclarera que c'était alors vraiment un temps de neige ? Ne voyons-nous pas quelquefois qu'il neige à Bruxelles, et qu'à Schaerbeek il ne neige pas ? Cette déclaration ne peut pas plus être faite par ceux qui dresseront le procès-verbal que par les tribunaux.

M. Clep. - Messieurs, l'on répond que mon amendement a l'inconvénient de laisser à l'administration locale du lieu où la contravention aura été commise toute la liberté de paralyser l'action du garde champêtre. Mais c'est précisément ce que je désire, car il est à supposer partout que les administrations communales agiront d'après leurs devoirs, et par conséquent elles pourront empêcher les poursuites lorsqu'elles seront convaincues que le garde champêtre aura verbalisé par un zèle outré de ses devoirs.

Mais encore, dans la supposition que cette mesure serait sujette à de rares inconvénients, elle sera efficace contre la destruction du gibier et infiniment plus efficace que l'action du gouvernement pour interdire la chasse en temps de neige.

M. Desmet. - La saison des neiges coïncide ordinairement avec celle de la chasse. La loi française contient une disposition qui est la même, c'est-à-dire qu'on ne peut chasser quand il y a de la neige sur le sol. En France, cet objet est laissé aux soins des préfets. On pourrait aussi le laisser chez nous aux autorités locales.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, cette question a déjà été soulevée, lorsqu'on a examiné les principes de la loi dans la discussion générale. J'ai eu alors l'honneur de dire que si la neige tombait d'une manière assez abondante, pour exposer le gibier à l'action du braconnage, le gouvernement qui a la faculté de déterminer les époques de l'ouverture et de la fermeture de la chasse, userait de ses droits, dans l'intérêt de la conservation du gibier et de la prévention du braconnage.

- L'amendement est mis aux voix et n’est pas adopté.

Article 5

« Art. 5. Dans chaque province ou partie de province, il est défendu d'exposer en vente, de vendre, d'acheter, de transporter ou de colporter, pendant le temps où la chasse n'y est point permise, et à compter du huitième jour après la clôture de la chasse, des faisans, perdrix, cailles, râles, coqs de bruyère, gelinottes, lièvres, chevreuils, cerfs et daims.

« Le gibier sera saisi et mis immédiatement à la disposition de l'administration communale du lieu où la contravention aura été constatée.

« La recherche du gibier ne pourra être faite que chez les marchands de comestibles, et dans les auberges ou autres lieux ouverts au public.

« Chaque infraction aux dispositions du présent article sera punie d'une amende de fr. 16 à 100, aussi au profit de la commune où le délit aura été constaté. »

Le gouvernement propose d'abord la suppression du paragraphe 3 relatif à la recherche du gibier.

Il propose ensuite de rédiger les trois autres paragraphes de la manière suivante :

« Art. 5. Dans chaque province ou partie de province, il est défendu d'exposer en vente, de vendre, d'acheter, de transporter ou de colporter pendant le temps où la chasse n'y est point permise, et à compter du troisième jour après la clôture de la chasse, des faisans, perdrix, cailles, coqs de bruyère, gelinottes, lièvres, chevreuils, cerfs ou daims,

« Le gibier sera saisi et mis immédiatement à la disposition de l'hospice ou du bureau de bienfaisance, par le juge de paix du canton ou par le bourgmestre, si la saisie a été faite dans une commune autre que celle du chef-lieu.

« Chaque infraction aux dispositions du présent article sera punie d'une amende de 16 à 100 fr. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, il s'élève à l'occasion du premier paragraphe de l’article5, une difficulté pour le mot « râles. » Plusieurs honorables membres avaient demandé le remplacement du mot que nous avons biffé de la loi. Pour concilier toutes les opinions, je proposerai de mettre les « râles de campagne et de genêts, » afin d'éviter l'inconvénient qui résulterait de la chasse des râles d'eau, qui sont plus communs dans le pays que les râles de genêts et de campagne.

M. le président. - J'ai oublié de mentionner tout à l'heure un amendement de M. de Villegas, amendement qui consiste à comprendre les bécassines et les jacquets dans l’énumération du premier paragraphe de l’article 5.

M. Fleussu. - Je remarque que dans l'article il n'est pas fait mention du sanglier. Je suppose que c'est à dessein, parce qu'il peut être détruit en tout temps comme animal nuisible.

Cette disposition offrira une singulière anomalie. Il va arriver, par exemple, car la chasse s'ouvre à des époques différentes dans les provinces de Namur, de Liége et de Limbourg, il y a ordinairement dix à quinze jours de différence pour l'ouverture de la chasse entre la rive droite et la rive gauche de la Meuse ; il va arriver, la chasse étant toujours ouverte sur la rive gauche avant de l'être sur la rive droite, que le gibier, tué sur cette partie du territoire, pourra être introduit dans les principales villes, à Liège, etc. et ne pourra pas passer par les localités situées sur la rive droite ; il va arriver que dans la même commune, on pourra manger du gibier dans une partie et on ne le pourra pas dans l'autre. Il arrivera que les cuisinières, ne connaissant pas la loi sur la chasse, pourront acheter un lièvre au marché pour l'emporter de l'autre côté de la Meuse ; elles se trouveront en contravention et exposeront leur maître à 100 fr. d'amende.

Plusieurs voix. - C'est vrai !

M. Fleussu. - Pour éviter cette bizarrerie, ne vaudrait-il pas mieux autoriser toutes les localités assises sur la Meuse dans les provinces de Namur, de Liège et de Limbourg, à jouir du l'avantage de pouvoir manger du gibier, quand la chasse est ouverte sur l'une ou l'autre rive. Ou ne donnera pas par là les moyens de frauder la loi, mais on évitera le grave inconvénient d'exposer des maîtres à des peines pour le fait de domestiques qui ne connaissent pas la loi sur la chasse. A. Liège il n'y a qu'un marché, il est situé sur la rive gauche ; c'est sur cette rive que la chasse s'ouvre d'abord. Les cuisinières verront du gibier étalé sur le marché 15 jours avant de pouvoir en faire manger à leur maître dans la même commune. Le fractionnement en matière de chasse présente les mêmes inconvénients que le fractionnement en matière politique ; je n'ai pas voulu du fractionnement des communes en matière politique, je n'en veux pas davantage dans cette circonstance ; je voudrais qu'une commune tout entière pût jouir en même temps de l'agrément de manger du gibier ; cela ne peut être contraire ni à l'intérêt de la conservation du gibier ni au respect à la loi.

M. le président. - Il y a encore à cet article un amendement présenté par M. de Breyne qui consiste à ajouter le vanneau à l’énumération.

M. Desmet. - Nous mangeons dans le pays deux espèces de gibier, le gibier tué dans le pays et le gibier qui vient de l'étranger. Je demanderai si l'interdiction dont il s'agit dans l'article qui nous occupe s'applique aussi au gibier venant de l'étranger. Nous en recevons de l'Allemagne, de l'Angleterre, de la France, de la Bohême. Le gibier paye 2 p. c. de droit d'entrée ; allez-vous en interdire l'importation dans certains temps ?

Je ferai remarquer, en outre, qu'il y a du gibier sauvage et du gibier domestique ; chez nous, le faisan est plus domestique que sauvage ; allez-vous empêcher de transporter les faisans qu'on peut avoir dans la basse-cour ? Va-t-on fouiller les voitures publiques, les diligences, pour savoir si elles ne contiennent pas du gibier ? Si, près de chez moi, je rencontre un braconnier et que je lui achète du gibier, est-ce que je serai condamné ?

Plusieurs voix. - Certainement !

M. le président. - M. Cans propose de permettre la circulation du gibier venant de l'étranger en temps de chasse prohibée, lorsqu'il est accompagné de documents de douane constatant son origine.

M. Cans. - Je pense que le transport du gibier ne peut pas être interdit d'une manière absolue. Je comprends qu'on interdise le transport du gibier tiré dans le pays, pour empêcher le braconnage. Mais on peut faire venir du gibier de l'étranger quand la chasse est prohibée dans le pays. Il est facile de constater par un document de douane que le gibier vient de l'étranger ; on peut même faire attacher des plombs aux pattes ou au bec du gibier pour pouvoir toujours en constater l'origine. On pourrait même le soumettre à l'acquit à caution.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Le but du législateur a été d'empêcher le braconnage et de conserver le gibier. Qui veut la fin doit vouloir les moyens. Il serait impossible de permettre le transport du gibier étranger, quand vous interdisez le transport du gibier indigène. Ce serait, la destruction de la loi, ce serait ouvrir le champ au braconnage, ce serait anéantir toutes les mesures de précaution proposées par la loi.

L'honorable membre présente comme un fait important qui mérite de fixer l'attention du législateur, l’importation du gibier étranger. J'ai fait dresser le tableau des importations de gibier d'année en année ; eh bien, le gibier qui nous vient non de Bohême, comme l'a dit un honorable membre, mais de la Prusse, du grand-duché de Luxembourg, des Pays-Bas, d’Angleterre, de France, s'élève a une moyenne de 30 à 32 mille francs, sur lesquels on perçoit un droit de 2 1/2 p. c, c'est-à-dire 754 francs. Je demande si pour la perception de ce droit de 754 fr. vous voulez introduire dans la loi une disposition qui annulerait toutes les mesures de précaution que vous avez prises et qui faciliterait de nouveau toutes les fraudes imaginables. Je pense qu'après ces explications l'honorable membre retirera son amendement.

M. Savart-Martel. - La section centrale s'est occupée de l'article soumis en ce moment a vos délibérations. Il faut en convenir, cet article ne saurait guère être amendé sans nuire à tout l'ensemble de la loi, M. le ministre de l'intérieur vous l'a clairement démontré.

On voit un grand inconvénient à ce que dans telle localité on pourra colporter du gibier, tandis que dans une commune voisine ou ne le pourra pas. Cet inconvénient avait frappé la section centrale. Nous avons cru qu'en (page 495) déclarant que la chasse serait fermée le même jour partout, nous faisions disparaître cet inconvénient, de sorte que l'anomalie signalée par l'honorable M. Fleussu disparaîtrait si au second vote vous reveniez à l'article premier de la section centrale, qui veut que la chasse soit fermée le même jour dans toutes les localités. Sinon nous subirions un inconvénient dont nous ne pourrions pas nous dépêtrer.

On nous a dit que cela ne se présentait guère qu'à Liège ; mais d'autres localités peuvent se trouver dans le même cas. En effet, ne peut-il pas arriver que la chasse ne soit pas fermée le même jour dans la Flandre que dans le Hainaut ? Eh bien ! il n'y aurait que l'Escaut à traverser pour pouvoir faire ce qui serait défendu de l'autre côté du fleuve. Si on ne ferme pas la chasse partout en même temps, on laissera la porte ouverte à la fraude. Cette observation pourra être prise en considération au second vote et vous déterminer à revenir sur l'article premier que vous avez adopté. Quant à celui-ci, pour mon compte, je maintiens qu'on ne peut sans danger y apporter aucune modification.

M. de Corswarem. - Messieurs, je trouve que l'article 5 n'est pas en rapport avec l'article 8 de la section centrale. Cet article consacre une jurisprudence qui défend de désarmer le chasseur. Lorsqu'on trouve un braconnier en contravention, on ne lui prend pas son fusil parce qu'on le suppose décidé à se défendre et que souvent, si on voulait le désarmer, il en résulterait des conséquences très graves. A l'article 5 on dit : le gibier sera saisi et mis immédiatement à la disposition du bureau de bienfaisance. L'article suppose que l'homme qui ne laissera pas prendre son fusil, laissera saisir le gibier dont il est porteur. Voilà une véritable anomalie ; je désirerais avoir une explication à cet égard, car je ne comprends pas comment celui qu'on suppose ne pas laisser saisir son fusil, laisserait saisir son gibier.

Je dois dire que tous les articles de cette loi sont tellement embrouillés, que si elle est avantageuse pour les chasseurs, elle le sera davantage encore pour les avocats.

M. Rodenbach. - Ce sera en effet un dédale inextricable. Voilà cinq ou six jours que nous nous occupons de cette loi ; elle coûtera bien de l'argent au pays ! Nous devrions un peu plus nous hâter d'en finir ; cette loi n’est pas digne d'occuper aussi longtemps les moments de la législature ; nous avons des provinces entières dans la misère qui attendent de nous autre chose que de pareilles lois.

L'article qui nous occupe aura pour effet de détruire une industrie, le commerce de comestibles, les voitures publiques, toutes les diligences seront fouillées par les employés et les agents de l'administration pour voir si elles ne contiennent pas de gibier ; on saisira tout pâté au gibier étranger, les terrines de Nérac, les pâtés de Chartres, d'Angoulême et du Périgord, et on fera des procès ! Il n'y aura plus de commerce de comestibles possible.

Je vous le demande, voulez-vous qu'il en soit de votre loi comme de la loi française ? Vous savez combien elle a été persiflée à cause des vexations et des tracasseries ridicules auxquelles elle a donné lieu. Si nous continuons encore longtemps, la nôtre sera plus ridiculement tracassière encore.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je regrette que l'honorable préopinant méconnaisse complétement le caractère de la loi, sa moralité et son importance. Elle touche à tous les intérêts : c'est une loi d'ordre public, une loi de moralité, une loi destinée à interdire un grand nombre de délits, délits qui se sont élevés jusqu'à un nombre de 4,000 ainsi que j'ai eu l'honneur de le dire à la chambre. Celle loi de si peu d'importance aux yeux de l'honorable préopinant et qu'il considère comme entachée de ridicule a occupé en France les hommes de l'intelligence la plus élevée, les jurisconsultes les plus remarquables. C'est une loi qui, de tout temps, a fait l'objet de la sollicitude du législateur. Si la chambre belge a consacré à l'examen de cette loi le temps qu'elle a jugé nécessaire, c'est qu'elle est d'intérêt public, c'est que le temps de la chambre ne pouvait pas être plus utilement employé.

M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - L'honorable M. de Corswarem trouve qu'il y a une anomalie entre l'article en discussion et la disposition de l'article 8 conforme à la loi de 1790 qui défend de désarmer le chasseur, tandis que d'après l'article 5, il serait permis de saisir le gibier, dont un individu serait porteur en temps prohibé.

La loi de 1790 a établi une exception aux principes généraux, qui veulent que tous les objets prohibés ou ayant servi à commettre un délit soient saisis et confisqués.

Cette exception se justifie facilement, le désarmement d'un chasseur peut présenter de graves dangers qui n'existent pas quand il s'agit de la saisie du gibier. Le législateur a craint qu'un chasseur n'opposât de la résistance, lorsqu'un garde voudrait lui prendre son arme, et n'en fît usage contre l'officier public. On n'a pas à craindre cette résistance et par suite ce danger à l'occasion de la saisie d'un perdreau !

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'ajouterai à ces réflexions très justes qu'il y a dans le pays une espèce de sentiment qui porte l'homme à commettre un crime plutôt que de se laisser enlever son arme : l'on considère comme une espèce de déshonneur de se laisser désarmer, et de grands crimes se commettraient dans ces rixes que l'on a raison d'éviter.

M. Savart-Martel, rapporteur. - Je renonce à la parole ; je voulais présenter les observations qui viennent d'être faites.

M. Rodenbach. - Je persiste à croire ce que j'ai avancé. Nous avons une loi. Il suffisait d'empêcher la vente du gibier, lorsque la chasse est fermée. Mais non : on a voulu protéger les plaisirs du chasseur, les plaisirs d'une classe de la société. On a été trop loin. Je dois le répéter : cette loi a été un thème à plaisanteries continuelles ; M. le ministre a dit que c'était un sujet grave ; mais au banc ministériel on a fait des plaisanteries, on a fait de l'esprit sur cette loi. A l'occasion des bécasses, on a voulu faire de l'esprit.

Lorsque la moitié du pays est dans la misère, au lieu de gaspiller dans une discussion de plusieurs jours une somme de dix mille francs, on aurait mieux fait de l'affecter à acheter des pommes de terre pour les malheureux qui meurent de faim. Dans ce moment de misère publique, les plaisanteries sont déplacées dans l'assemblée des représentants de la nation ; car, bien qu'on le nie, pendant toute cette séance on n'a fait que des plaisanteries ; on n'a parlé que de bécasses et de petits oiseaux :on n'a fait, je le répète, que des plaisanteries qui doivent affecter péniblement le pays. C'est une insulte au pays.

M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - La chambre me rendra, je l'espère, la justice de reconnaître que c'est toujours avec une extrême gravité que je discute devant elle les questions qui lui sont soumises.

Que si, dans la discussion, quelques observations des honorables membres ont pu prêter au trait, je ne sache pas qu'il soit interdit ni par le règlement, ni par l'usage d'avoir de temps en temps de l'esprit. Je ne veux pas rester placé à cet égard, comme ministre de l'intérieur, dans des conditions exceptionnelles.

Si d'honorables membres ont dans la discussion pu se livrer à quelques plaisanteries tout en laissant le débat général empreint d'un gravité nécessaire, puisqu'il s'agit d'une loi importante, je ne pense pas qu'il me soit interdit, comme ministre, de suivre un peu cet exemple, et d'avoir une ou deux fois cet esprit que les honorables membres de cette chambre ont eu souvent.

L'honorable membre méconnaît le caractère véritable de la loi. Ce n'est pas une plaisanterie que nous faisons ; c'est une chose fort sérieuse, fort utile. Cette utilité a été reconnue dans tous les temps par tous les législateurs, que si, dans les circonstances actuelles, en présence des faits constatés, de la nécessité de réviser cette loi, sous laquelle des délits restent impunis, par suite du vague de sa rédaction, le législateur s'abstenait de faite cette révision ; que résulterait-il de cette indifférence ? Que les intérêts les plus graves, je ne dis pas ceux de la chasse, de la conservation du gibier (ce sont des intérêts secondaires), mais ceux de l'agriculture, qui sont plus exposés que le gibier par le braconnage, seraient perdus de vue par la législature.

M. de Mérode. — Je suis fort étonné qu'au milieu de la discussion d'une loi on vienne censurer cette discussion. C'est avant la discussion qu'il fallait dire tout cela. Si c'est pour abréger nos débats, on n'y réussira guère par des observations pareilles ; on les empêtrerait plutôt. Cette loi a été mise en discussion, parce qu'elle est très utile à l'agriculture.

Je connais des agriculteurs qui confient leur chasse à des propriétaires pour empêcher qu'on ne ravage leurs récoltes, lorsque la chasse est ouverte.

Y a-t-il lieu de censurer la discussion parce qu'à propos de bécasses, de grives, de lapins, on a fait quelques plaisanteries ? Je ne le pense pas. On n'est pas obligé de garder ici un sérieux imperturbable.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.