(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 447) M. de Villegas procède à l'appel nominal à une heure.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.
M. de Villegas présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.
« Les sieurs Van Waddengen et Remes, pêcheurs de crevettes, demandent à pouvoir introduire, en franchise de droits, le poisson qu'ils prennent en pêchant des crevettes. »
- Renvoi à la commission d'industrie.
« Plusieurs habitants de la ville de Bouillon demandent la réforme postale basée sur la taxe uniforme de dix centimes. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Plusieurs marchands de bois et maîtres charpentiers établis dans l'arrondissement de Courtray, demandent que les planches, poutres et poutrelles ne puissent être vendues publiquement, par adjudication, que par quantités d'une même espèce, d'une valeur de cent francs au moins. »
- Renvoi à la section centrale, chargée d'examiner le projet de loi sur les ventes publiques en détail de marchandises neuves.
M. Delehaye. - Messieurs, vous venez d'entendre l'analyse d'une pétition concernant le projet de loi relatif aux ventes à l'encan. Pendant la session dernière, M. le ministre de l'intérieur, dans les attributions duquel se trouvaient alors les affaires commerciales, avait saisi la chambre d'un projet de loi relatif à ces ventes. Il l'avait fait à la suite d'un renvoi d'une pétition qui nous avait été adressée par le commerce de Bruxelles et de Gand.
Je demanderai d'abord à M. le ministre des affaires étrangères, dans les attributions duquel se trouvent maintenant les affaires commerciales, s'il maintient le projet de loi de son prédécesseur, et, dans le cas affirmatif, je prierai M. le président de bien vouloir convoquer la section qui n'a pas encore nommé son rapporteur. Toutes les autres sections ont nommé les leurs ; j'en suis un. Il est nécessaire que la chambre se prononce le plus tôt possible sur cette question.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je puis annoncer que je maintiens le projet de loi présente par mon prédécesseur, et je m'associe à la motion de l'honorable membre ; je désire que les rapporteurs soient nommés le plus tôt possible.
M. Delehaye. - Dans ce cas, je prie le bureau de convoquer la section qui n'a pas encore nommé son rapporteur, pour que la section centrale puisse s'occuper promptement de l'examen du projet, qui est réclamé depuis plusieurs années.
M. le président. - La section sera convoquée. Toutefois, aux termes du règlement, la section centrale pourrait déjà se réunir, quoiqu'une section n'ait pas nommé son rapporteur.
M. Delehaye. - Puisqu'il en est ainsi, je prierai le bureau de convoquer la section centrale.
M. le président. - Elle sera convoquée aussitôt que l'examen des budgets sera terminé en section centrale.
M. le président. - Messieurs, dans les sessions précédentes, la chambre a renvoyé aux sections plusieurs projets de loi pour lesquels elles n'ont pas nommé de rapporteur. Je demanderai l'autorisation de renvoyer ces divers projets à l'examen des sections de janvier. Sans cela il faudrait convoquer les sections de 1844 et de 1845, et le travail des sections de cette année serait désorganisé. Si personne ne s'oppose à cette proposition, je prierai MM. les présidents des sections de janvier de se réunir demain au bureau du président pour régler l'ordre des travaux. Ils seront convoqués à cet effet.
M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée, de Beyne, le 21 avril 1844, le sieur Rensonnet réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une indemnité du chef des pertes qu'il a essuyées comme fermier de la barrière de Battice. »
Le pétitionnaire s'adresse de nouveau à la chambre pour lui exposer qu'il s'est rendu adjudicataire de la barrière de Battice pour un terme de trois ans, alors que les travaux à exécuter au chemin de fer de la Vesdre étaient si nombreux, que l'opinion générale du pays était, qu'on ne pourrait les terminer avant le terme de cinq ans ; cependant ils furent poussés avec tant d'activité que le chemin fut livré à la circulation après deux ans et que la route de Battice fut entièrement abandonnée.
(page 448) Sur la première réclamation qu'il adressa pour obtenir une indemnité, M. le ministre des travaux publics, comme le dit le pétitionnaire, reconnut, en séance publique, la légitimité de sa réclamation et annonça à la chambre qu'il demanderait un crédit pour satisfaire aux diverses demandes de même nature qui lui paraîtraient fondées. Mais il n'y eut pas de demande de crédit et par suite aucune indemnité accordée, et le pétitionnaire, fut contraint à payer le fermage de la troisième année de son bail, montant à 19,100 francs, lorsque sa barrière était devenue entièrement improductive. |
Votre commission croit devoir rappeler à M. le ministre le quasi-engagement qu'il a pris envers la chambre ; c'est pourquoi elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département des travaux publics.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition sans date, le sieur Joly,, casernier à la caserne du Faucon, à Anvers, dont la condamnation au payement du droit de consommation sur les boissons distillées a été annulée, demande la restitution de l'amende qu'il a encourue du chef de cette condamnation. »
Le pétitionnaire a l'honneur d'exposer à la chambre qu'il a été porté erronément au rôle de patentes, pourquoi il a payé une contribution de 15 fr. et une amende de 28 fr. 50 c.
Sur sa réclamation, le ministre des finances, reconnaissant l'erreur, lui a délivré une ordonnance de remboursement de 15 fr., montant de la contribution qu'il avait payée ; mais il n'a pas répondu à sa demande de remboursement de l'amende ; cependant, comme le dit le pétitionnaire, où il n'y a pas de contravention il n'y a pas lieu à amende.
Votre commission estime que la demande du pétitionnaire est fondée, c'est pourquoi elle a l'honneur de vous en proposer le renvoi au département des finances.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition de Bruxelles, le 8 juin 1845, le sieur Braive réclame l'intervention de la chambre pour qu'il soit donné suite à sa demande tendant à être réintégré dans son grade de major d'infanterie. »
Le major Braive, privé de son grade par suite d'un jugement, fut réintégré par arrêté royal ; mais n'ayant pas été rétabli dans le cadre de l'armée, il s'est adressé à la chambre en 1844, qui. sur un rapport de la commission en date du 29 mars même année, en ordonna le renvoi au département de la guerre avec demande d'explication.
Cette explication n'ayant pas été donnée, votre commission a l'honneur de vous présenter les mêmes conclusions que vous aviez adoptés antérieurement, c'est-à-dire le renvoi au département de la guerre avec demande d'explication. »
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée d'Arlon, le 12 mars 1844, le conseil communal d'Arlon demande le maintien de la loi du 6 juin 1839. »
Par le traité avec le Zollverein, il a été fait droit à la demande du conseil communal d'Arlon.
En effet, l'article 20 porte que la loi du 6 juin 1839, concernant les relations commerciales de la Belgique avec le grand-duché de Luxembourg, est maintenu.
Dès lors, votre commission vous propose le dépôt de cette pétition au bureau des renseignements.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur. -« Par pétition datée de Hamerenne, le 31 décembre 1843, les habitants du hameau de Hamerenne, dépendant de la commune de Rochefort, demandent qu'une loi les autorise à partager des biens communaux non boisés. »
« Par pétition non datée, les sieurs Mignet et Lallemand demandent le partage de terrains incultes appartenant à la commune de Bovigny. »
Le défrichement des bruyères est certainement chose fort désirable.
Mais le partage général et immédiat, est-il bien le moyen le plus convenable pour opérer le défrichement ? Votre commission hésite à le croire. D'abord par un partage général le parcours du bétail venant à cesser, le pauvre, qui n'a rien à donner à l'étable, devra se défaire de son bétail.
Le particulier un peu aisé, mais qui n'a pas une étendue de terre suffisante pour le faire pâturer ou qui n'a pas encore de produits en telle quantité qu'il puisse le nourrir à l'étable, devra aussi en réduire le nombre, il en résultera, dans l’un et l'autre de ces cas, une diminution d'engrais ; dès lors le partage général, au lieu d'être utile, aura arrêté les progrès de l'agriculture.
Votre commission, qui aurait été favorable au partage par parcelle, croit devoir s'opposer au partage général demandé par les pétitionnaires.
Toutefois comme cette question mérite un examen plus approfondi, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition au département de l'intérieur.
- Ces concluions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 9 mai 1844, les sieurs Stache, Grosjean et Deut réclament l'intervention de la chambre pour que le gouvernement donne suite à leur demande relative à la suppression de lignes télégraphiques entre les villes du royaume. »
Les pétitionnaires vous exposent que, dans une pétition qu'ils ont adressée en 1845 et qui fut envoyée au département de l'intérieur sans qu'il y ait été donné suite, ils ont appelé l'attention de la chambre sur les dangers des lignes télégraphiques entre les diverses villes et particulièrement entre celles où il y a une bourse de commerce, ca qui a donné lieu, disent-ils, à des spéculations immorales à Bruxelles, à la suite desquelles les uns se sont scandaleusement enrichis aux dépens d'autres qui, victimes de la manœuvre, ont subi une ruine complète.
Ils ont signalé en outre les dangers de ces lignes entre les mains des particuliers, dans des moments de troubles et pour ces divers motifs ils en ont demandé la suppression.
A l'appui de leur demande, ils invoquent l'exemple de la France où le gouvernement seul a le droit d'autoriser des établissements télégraphiques.
Votre commission, messieurs, croit devoir appuyer cette pétition dont elle a l'honneur de vous proposer de nouveau le renvoi au département de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Sysseele, le 12 juin. 1844, le sieur Verstraete Lycke demande une modification au § 16 de l'article 32 de la loi du 27 juin 1842, sur les distilleries »
Le pétitionnaire réclame contre la rédaction de l'article 32 de la loi du 27 juin 1842, sur les distilleries, et se fonde sur ce que cette rédaction est obscure à tel point qu'elle peut exposer le distillateur de bonne foi à des vexations qui ont été loin de l'intention du législateur.
Un simple changement d'expression garantirait, dit-il, le trésor contre la fraude, en même temps que le distillateur ne serait plus exposé à des poursuites pénibles et toujours odieuses.
Votre commission vous propose le renvoi de cette pétition au département des finances.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruges, le 24 mai 1844, quelques distillateurs à Bruges présentent des observations contre la pétition des distillateurs agricoles, tendant à ;ce qu'il soit pris des mesures pour empêcher l'exagération des droits d'octroi dont les produits de leur industrie se trouvent frappés à l'entrée des villes. »
Les pétitionnaires réclament contre l'exagération des octrois municipaux, dont l'élévation ne leur permet plus la vente de leurs produits dans les villes.
Le gouvernement ayant pris l'engagement de soumettre bientôt à la législature un projet de loi sur cette, matière, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi aux départements de l'intérieur et des finances.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur. - « Les sieurs Matthys et Keslens, distillateurs à Termonde, demandent la suppression du privilège de 15 p. c. sur le droit d'accise, dont jouissent les distillateurs des campagnes. »
« Quatre distillateurs agricoles des communes de Corbeek-Loo. et Herent, se plaignent du retrait de la déduction accordée par l'articles 5 de la loi sur les distilleries, et en demandent la restitution. »
Des distillateurs demandent la suppression de la remise de 15 p. c. accordée aux distilleries agricoles, et d'autres se plaignent de ce que le ministre des finances aurait arbitrairement enlevé le privilège à des distillateurs qui prétendent y avoir droit.
La. demande de suppression de la remise est consignée dans la pétition n° 1065, dont votre commission vous propose le renvoi pur et simple au département des finances.
Quant à la pétition n°1140 dans laquelle on se plaint de la privation arbitraire de ce privilège, votre commission vous propose le renvoi avec demande d'explication.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude, rapporteur. - « Le sieur Van Caneghem réclame l'intervention de la chambre pour obtenir la rétrocession d'une partie des terrains qu'il a dû céder à l'administration des chemins de fer, »
Le pétitionnaire a réclamé du département des travaux publics des lisières de terrain dont il avait été exproprié pour le service du chemin de fer de Gand…
Où ? Ce chemin ayant été terminé avant que cette partie de terrain fût mise à la disposition du gouvernement, il en réclame la remise, se fondant sur l'article 22 de la loi du 17 avril 1835, qui porte que si les terrains acquis pour travaux d'utilité publique ne recevaient pas cette destination, les anciens propriétaires pourraient réclamer la remise desdits terrains contre payement de l'indemnité reçue, soit d'un prix à fixer par le tribunal de la situation.
M. le ministre a répondu que la conservation de cette portion de terrain était nécessaire pour y déposer des matériaux, lors des réparations qu'on exécute annuellement.
Il a paru à votre commission que le ministre devait rester seul juge de l'utilité dont cette portion de terrain pourrait être au chemin de fer. Cependant elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à son département, pour y donner suite s'il y a lieu.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée de Saint-Hubert, le 5 novembre 1845, le sieur Fortuner, pharmacien à Saint-Hubert, renouvelle sa demande tendant à ce que la chambre s'occupe d'une loi d'organisation médicale. »
Le sieur Fortuner, pharmacien, demeurant à Si-Hubert, s'est adressé à la chambre, par pétition du 20 octobre 1844, pour que la chambre veuille s'occuper, pendant cette session, de l'organisation du service médical, déjà réclamée, depuis plusieurs années, par tous les pharmaciens du royaume ; cette loi d'organisation médicale devrait avoir pour but :
« 1° La répression du charlatanisme et de l'empirisme par les peines les plus sévères ;
« 2° Qu'il soit assigné un certain rayon à chique pharmacien de petite ville, et que dans ce ressort il soit défendu aux médecins et chirurgiens de préparer les médicaments à leurs patients ;
« 3° Que le nombre de pharmaciens soit limité pour chaque ville ;
« 4° Qu'il soit désigné un médecin par canton, par le gouvernement, (page 449) pour réprimer les abus et l'exercice illégal qui peuvent encore avoir lieu dans les différentes branches de la médecine et de la pharmacie. Le pétitionnaire expose que, dans la province de Luxembourg, le charlatanisme et l'empirisme sont arrivés à leur plus haut degré ; dans cet état de choses, il est aujourd'hui impossible aux pharmaciens patentés de faire honneur à leurs affaires.
La commission des pétitions, en appuyant les réclamations des pharmaciens, qui, depuis plusieurs années, ne cessent de demander une loi d'organisation médicale, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur, ainsi que de la nouvelle requête du sieur Fortuner, ayant le même but, et qui a été adressée à la chambre, sous la date du 5 novembre 1844.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Le sieur Brenier, docteur en médecine à Mons, s'est adressé à la chambre par pétition datée du 7 novembre 1844 ; il demande la création de bibliothèques médicales provinciales. On a souvent demandé, dit-il, s'il n'y avait pas moyen de faire cesser l'individualisme médical, de permettre à tous les médecins de suivre la marche progressive de la science ; la création de bibliothèques médicales provinciales permettrait d'atteindre ce but.
La formation de bibliothèques médicales provinciales n'occasionnerait que des frais peu considérables ; les administrations communales s'empresseraient, bien certainement, de fournir un local et un ameublement convenable ; les ouvrages de médecine que renferment les bibliothèques des chefs-lieux de provinces, formeraient le noyau de bibliothèques médicales ; le gouvernement ferait sans doute de nombreux envois à ces établissements ; les auteurs y déposeraient un exemplaire de leurs ouvrages ; un subside peu élevé serait accordé par le gouvernement ou par les administrations provinciales ; on trouverait, peut-être, des médecins assez dévoués à la science pour remplir gratuitement les fonctions de bibliothécaires.
La commission des pétitions à l’honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur, en recommandant à son attention toute particulière la demande de M. le docteur Brenier.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles du 11 décembre 1844, le sieur Nicolas Pigières s'adresse à la chambre pour obtenir le renvoi de Charles Lignan, détenu au dépôt de mendicité à Reckheim (Limbourg). Le séjour prolongé de ce jeune homme au dépôt, devient une espèce de séquestration, d'autant plus que le pétitionnaire s'est adressé personnellement, et a employé plusieurs hommes d'affaires, pour obtenir l'élargissement du sieur Charles Lignan.
Il s'adresse en conséquence à la chambre, pour qu'elle daigne intervenir dans cette affaire, et que la précieuse liberté individuelle, en Belgique, ne soit point un vain mot. Il expose les faits suivants :
« Charles Lignan, jeune homme, très instruit et issu d'une honnête famille, s'étant livré, il y a quelques années, au libertinage, sa mère obtint qu'il fût placé au dépôt de mendicité, et en cela elle avait un but louable, car ses intentions étaient de lui infliger une correction.
« Voilà plus de 5 1/2 années que Ch. Lignan mange le pain de la réclusion, sa mère étant décédée depuis le 11 mai 1845 ; cependant on continue à le tenir au dépôt, comme s'il y avait un jugement contre lui.
« Le pétitionnaire prétend que c'est l'intrigue et les odieuses machinations d'un frère unique de ce jeune homme, qui sont cause qu'il soit encore privé de la liberté ; à la mort de la veuve Lignan, sous le prétexte que Charles Lignan serait à même de dissiper sa part des biens, son frère a voulu s'en emparer ; mais heureusement d'honnêtes gens s'y sont opposés, et ce qui revenait à ce jeune homme a été déposé chez un notaire à Bruxelles ; d'après le pétitionnaire, le sieur Charles Lignan, depuis qu'il se trouve au dépôt, a tenu une conduite régulière ; le leçon très dure qu'il a reçue depuis cinq ans et demi, l'a entièrement changé. Il espère que la chambre n'hésitera pas à le faire remettre en liberté. »
Le pétitionnaire se considère comme le bienfaiteur du sieur Charles Lignan, il l'a toujours affectionné comme l'un de ses enfants, il répond de lui, et de sa conduite future.
Si les faits allégués par le sieur Nicolas Pigières sont exacts ; si, par suite d'intrigues et de machinations du frère de Charles Lignan, ce jeune homme est retenu au dépôt de Reckheim, sans un jugement à sa charge, la commission des pétitions croit, qu'il y a lieu de renvoyer la requête du sieur Pigières à M. le ministre de la justice, pour demander des explications sur cette détention arbitraire.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Le sieur Joseph Seulen, pharmacien à Florenville, s'adresse à la chambre par pétition datée de Florenville, le 15 décembre 1844, et lui expose l'état d'oppression dans lequel se trouve actuellement la pharmacie de la province de Luxembourg. »
Déjà depuis plusieurs années, la réorganisation du service médical a été reconnue nécessaire et urgente ; l'Académie royale a été occupée à composer le projet d'une nouvelle loi, en conformité des progrès de la science ; malheureusement la chambre n'a pas eu le loisir de convertir ce projet en loi.
La position du pharmacien des petites villes est devenue des plus précaire et même vexatoire. La loi l'oblige de s'entretenir dans un certain état d'ordre et d'approvisionnement, et d'un autre côté le médecin de l'endroit a le droit de débiter les médicaments.
Le pétitionnaire a recours aux sentiments d'équité de la chambre, et espère, qu'elle s'occupera le plus tôt possible d'une loi tendant à régler le service médicale.
La commission des pétitions croit devoir appeler l'attention de la chambre et de M. le ministre de l'intérieur, sur la nécessite de faire droit aux justes réclamations des pharmaciens du royaume ; elle a, on conséquence, l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur, dans les attributions duquel se trouve la direction supérieure du service médical.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée de Liège le 1er juillet 1845, un grand nombre de pharmaciens, membres de la société de pharmacie de la province de Liège, viennent prier la chambre de vouloir s'occuper, avant la clôture de la session, de la révision des lois qui régissent aujourd'hui la pharmacie. »
Déjà, de différents points de la Belgique sont parties des demande semblables pour demander cette révision ; certes, c'est là une preuve que tous les pharmaciens belges communaux désirent ardemment, appellent de tous leurs vœux, la réforme des lois pharmaceutiques en vigueur dans notre pays ; cette réforme doit relever la pharmacie de l'état de décadence et de discrédit où on la voit languir.
M. le ministre de l'intérieur, d'après le dire des pétitionnaires, doit avoir promis, à différentes reprises, la révision de la loi, et avait chargé l'Académie de médecine de lui soumettre un projet de loi sur les différentes branches de l'art de guérir ; mais, malheureusement on n'y met pas l'activité que réclame un objet aussi important.
Les pétitionnaires présentent, en outre, de longues considérations pour démontrer la nécessité de s'occuper plus activement de la réforme de la loi qui régit les différentes branches de l'art de guérir, et prient la chambre de vouloir s'en occuper dans le courant de la session actuelle.
La commission des pétitions, en appuyant les considérations émises par les pétitionnaires, espère, que le gouvernement s'empressera de faire droit aux justes réclamations des pharmaciens ; elle a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette requête à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - Par pétition du 16 janvier 1845, le sieur Joseph Them, serrurier à Altert (Luxembourg), réclame l'intervention de la chambre, pour qu'il soit donné suite aux plaintes qu'il a adressées au ministre de la justice. D'après sa requête, le pétitionnaire fut, sur de faux témoignages déposés en justice par des voisins, avec lesquels il vivait en mésintelligence, par jalousie de métier, condamné le 22 novembre 1836, par le tribunal d'Arlon, à un an d'emprisonnement sous la prévention d'avoir frauduleusement soustrait une épingle en or. Bien que ces faux témoignages eussent par après été dénoncés et connus de la justice, il prétend que des instructions imparfaites et insuffisantes ont eu lieu sur cette affaire, et que l'on n'a donné aucune suite à sa demande ; il s'est donc adressé par requête au Roi, et ensuite, plusieurs fois, à M. le ministre de la justice, pour obtenir justice, Sur sa dernière pétition, en date du 24 mars 1844, il lui aurait été répondu, que ces diverses plaintes étant du ressort exclusif des tribunaux, le gouvernement ne pouvait prendre à cet égard aucune disposition. Le pétitionnaire, s'étant vainement adressé au gouvernement et ayant en vain invoqué les dispositions de l'instruction criminelle régissant la police judiciaire qui, à son égard, restent en défaut, et ne pouvant obtenir justice, croit devoir s'adresser à la représentation nationale, pour qu'elle daigne faire droit à sa réclamation et faire redresser les griefs dont il a à se plaindre.
La commission des pétitions n'a pu s'assurer si les faits allégués par le sieur Them sont exacts aucune preuve n'étant fournie à leur appui ; d'ailleurs, si le pétitionnaire croyait que le jugement qui le condamnait à un an de prison, n'était pas fondé, il aurait dû, dans le délai utile, se pourvoir en appel et après en cassation, si le premier jugement avait été confirmé. La chambre ni le gouvernement ne pouvant intervenir pour faire réformer un jugement qui a force de chose jugée, la commission des pétitions croit en conséquence devoir vous proposer l'ordre du jour sur cette réclamation.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée de Courtray, le 26 janvier 1845, quelques parents, voisins et amis du sieur Edouard Filleul, détenu à Courtray, demandent sa mise en liberté. »
Par pétition datée de Courtray, du 26 janvier 4845, quelques parents voisins et amis du sieur Edouard Filleul, demandent la mise en liberté de cet individu, détenu à Courtray, pour dettes ; ils exposent avec respect qu'ils voient avec douleur la captivité à vie de cet infortuné ; ils implorent qu'il soit fait une enquête sur les paroles inconsidérées et mensongères d'un substitut de Courtray ; ils affirment que le sieur Filleul a toujours été un honnête homme, qu'il n'a jamais été condamné antérieurement, et pour prouver cette assertion, les pétitionnaires ont joint à la requête une déclaration d'un commissaire de police de la ville de Courtray, constatant qu'aucune plainte ne lui est parvenue à charge du sieur Edouard Filleul.
Le sieur Filleul étant détenu à la prison de Courtray, par suite d'un jugement, qui le condamne à l'emprisonnement pour dettes, la chambre ni le gouvernement ne peuvent intervenir pour faire élargir cet individu, il faut qu'il se soumette au jugement, et tâche de trouver les moyens de s'acquitter envers ses créanciers. La commission des pétitions a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour sur cette pétition.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition sans date, le sieur Meurant se plaint de ce que deux de ses frères et un beau-frère ont été arrêtés en violation de la loi. »
Le sieur Edouard Meurant, demeurant chaussée d'Etlerbeek, n°107, s'adresse à la chambre et expose que deux de ses frères et l'un de ses beaux-frères, furent pour la première fois, traduits en police correctionnelle, au tribunal de Charleroy, et y ont été acquittés sur déposition de vingt (page 450) témoins, produits par le procureur du roi, les accusés n'ayant pas eu besoin d'en faire entendre à décharge ; mais le procureur du roi près le tribunal de Mons ayant appelé de ce jugement d'acquittement, les deux frères et le beau-frère du pétitionnaire y furent condamnés, sans que les témoins aient été assignés.
D'après le sieur Meurant, le procureur du roi à Mons sollicitait ardemment la condamnation des prévenus ; il avait eu le temps de prendre ses mesures, puisque, depuis le premier jugement, il s'était déjà écoulé près de deux mois, quand il en a appelé : il était certain du succès, le président ayant commencé par dire aux prévenus, lorsqu’ils ont voulu exposer leurs moyens de défense, que le tribunal savait tout cela ; il a refusé de recevoir leurs conclusions motivées, quand ils ont essayé de les déposer ; lorsqu'après leur étrange condamnation, ils ont déclaré se pourvoir en cassation, le président leur aurait répondu, que cela ne le regardait pas ; ensuite, lorsqu'ils se sont présentés au greffe, le greffier refusa de recevoir leur demande de se pourvoir en cassation.
Le pétitionnaire prétend, en outre, que ses deux frères et son beau-frère ont été arrêtés à l'instant, après leur sortie du tribunal, sans qu'aucun titre d'arrestation leur ait été signifié.
Le sieur Meurant, à l'appui de sa pétition, ne fournit aucune preuve qui puisse faire supposer que ses frères et son beau-frère n'auraient pas été légalement condamnés ; si le procureur du roi de Mons a cru qu'ils avaient été indûment acquittés par le tribunal de Charleroy, il était de son devoir d'en appeler, et s'il a obtenu contre eux un jugement de condamnation en appel, il a nécessairement dû faire exécuter le jugement contre eux. La commission des pétitions a donc l'honneur de vous proposer l'ordre du jour sur cette pétition.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 9 décembre 1844, le sieur Galliot, ancien soldat, déchu de la qualité de Belge pour avoir pris du service à l'étranger, demande à être relevé de cette déchéance. »
Par pétition, datée de Bruxelles, du 9 décembre 1844, le sieur Jean-Léopold Galliot expose qu'il est né à Steene, province de la Flandre occidentale ; qu'en 1828, il s'est engagé comme volontaire au service des Pays-Bas, et a été incorporé au régiment de hussards n_8 ; que le 17 septembre 1829, il est parti pour Batavia, où il a passé au régiment de hussards n°7 ; qu'après son temps de service expiré, se trouvant seul et sans appui sur des rives lointaines, il a contracté, le 27 juillet 1836, un nouvel engagement de service pour 6 ans, ne connaissant qu'imparfaitement les événements politiques survenus dans sa patrie depuis 1830.
Après l'expiration de sou dernier engagement militaire au service des Pays-Bas, il a été renvoyé dans son pays natal, après avoir obtenu son congé définitif, daté du 12 avril 1842.
Que longtemps après son retour en Belgique, il fut admis à Gand, comme remplaçant, et désigné pour le régiment des guides ; arrivé au corps et se croyant en règle, il se permit de porter la médaille en bronze pour service fidèle, obtenue à Batavia, par brevet du 11 mars 1835 ; mais d'après les observations qu'on lui fit, qu'il ne pouvait porter cette médaille qu'après en avoir obtenu une autorisation royale, il fil sa demande, et elle lui fut accordée, par arrêté du 2 septembre 1843.
Il croyait donc avoir satisfait à tout ce que le devoir et l'honneur pouvaient exiger de lui et se trouver en sûreté sous les drapeaux de sa patrie, lorsque, tout à coup, il fut renvoyé dans ses foyers ; ce ne fut qu'a son retour à Steene, qu'il apprit par l'administration communale, « que le nommé Galliot, au temps de son admission par le conseil de milice, avait perdu sa qualité de Belge aux termes de l'article 21 du code civil, et comme ayant, au 21 juin 1835, contracté un engagement de six ans au service des Inde Néerlandaises. »
C'est pour être relevé de la perte de la qualité de Belge, que le pétitionnaire s'adresse à la chambre ; il pense que l'on a été trop sévère à son égard, parce que éloigné de sa mère patrie, il ne connaissait pas positivement les événements survenus en Belgique, lorsqu'il contracta en 1835 un nouvel engagement.
D'après les dispositions de l'article 21 du code civil, le sieur Galliot ayant pris du service militaire chez l'étranger, sans autorisation préalable du Roi, a perdu sa qualité de Belge ; il faut donc, pour récupérer sa nationalité, qu'il s'adresse au Roi, et en outre qu'il remplisse les conditions imposées à l'étranger pour devenir citoyen ; votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice, pour informer le pétitionnaire des formalités qu'il a à remplir pour obtenir sa qualité de Belge, perdue par son service militaire à l'étranger.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée de Frameries, le 31 décembre 1844, le sieur Louis-Félix Marguier, qui a demandé la naturalisation ordinaire, prie la chambre de l'exempter du droit d'enregistrement. »
Le sieur Louis-Félix Marguier, employé à l'établissement des charbonnages de l'Agrappe sous Frameries, s'était adressé a la chambre, par requête en date du 5 novembre 1840, pour obtenir la naturalisation ordinaire ; sa demande a été prise en considération, à la séance du 28 février 1845, et ensuite transmise au sénat.
Par l'application de la disposition de l'article premier de la loi du 15 février 1844, qui fixe un droit d'enregistrement pour l'obtention de la naturalisation ordinaire, il se trouverait frappé d'un droit de 500 fr. ; s'étant adressé à la chambre, longtemps avant la présentation du projet de loi précité, il croit pouvoir invoquer la justice de la chambre, pour obtenir la remise du droit d'enregistrement, lorsque la naturalisation lui serait accordée.
Il invoque en sa faveur, qu'il est né en France, d'une mère belge ; que depuis 1819, il a été domicilié en Belgique ; qu'il y a épousé une femme belge, dont il a eu plusieurs enfants, et qu’il a exercé plusieurs fonctions dans l'armée.
Votre commission des pétitions a l'honneur d'observer à la chambre, que la loi du 15 février 1844, fixant un droit d'enregistrement, n'exempte du payement des 500 fr., que les décorés de la croix de fer, ceux qui ont pris part aux combats de la révolution, et les militaires actuellement en service ; elle aurait pu, en conséquence, vous proposer l'ordre du jour sur cette pétition ; cependant, le pétitionnaire s'étant déjà adressé à la chambre en 1840, pour obtenir la naturalisation ordinaire, et comme d'ailleurs ce n'est pas par son fait que sa demande n'a pu être prise en considération, avant le 15 février 1844, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette requête à M. le ministre de la justice, pour le cas où, le gouvernement proposant des modifications à la loi des naturalisations, il puisse examiner s'il n'y aurait pas lieu d'exempter du payement du droit d'enregistrement, les demandeurs en naturalisation peu fortunés, qui auraient adressé leurs demandes avani la présentation du projet de loi du 15 février 1844.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée d'Ostende, le 30 janvier 1845, le sieur Richard Brewer, négociant-commissionnaire à Ostende, qui a obtenu la naturalisation ordinaire, demande exemption du droit d'enregistrement. »
Le sieur Richard Brewer, négociant-commissionnaire à Ostende, né à Londres, s'était adressé à la chambre, déjà deux années avant la présentation de la loi du 15 février 1844, pour obtenir la naturalisation ordinaire ; mais, par une fatalité, qu'il ne peut expliquer, qui n'est pas de sa faute, et indépendante de sa volonté, la requête ne s'est trouvée à l'ordre du jour, et n'a été prise en considération par la chambre que le 1er février 1844, et au sénat que le 2 avril de la même année ; il croit pouvoir invoquer l'équité de. la chambre, pour obtenir la remise du droit d'enregistrement auquel il se trouve assujetti.
Il habite la Belgique depuis 1820 ; en 1832, il a épousé une femme belge, dont il a plusieurs enfants, et a quitté son pays natal, pour se fixer définitivement en Belgique.
La pétition est datée d'Ostende, du 30 janvier 1845 ; le sieur Richard Brewer se trouvait, alors, encore dans le délai utile de l'article 4 de la loi du 15 février 1844, qui accorda 3 mois, pour acquitter le droit d'enregistrement ; le projet de loi, lui conférant la naturalisation, ayant été voté au sénat le 15 décembre 1844 ; mais, depuis, s'il n'a pas payé ce droit dans le terme désigné, il y a déchéance de la naturalisation qui lui avait été accordée.
La commission des pétitions, considérant que le sieur Brewer s'est adressé à la chambre deux ans avant la présentation du projet de loi du 15 février 1844, que sa demande n'a pu être prise en considération, par les deux chambres, dans le délai utile, croit devoir vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition d'Arlon, en date du 26 mars 1845, le sieur Rothermel, pharmacien à Arlon, demande exemption du droit d'enregistrement du pour la naturalisation ordinaire qui lui a été conférée le 31 décembre 1844.»
Le sieur François-Joseph Rothermel, pharmacien à Arlon, s'est adressé à la chambre au commencement de 1842, pour obtenir la naturalisation ordinaire, qui lui a été accordée en 1844 ; le pétitionnaire étant père d'une nombreuse famille, et n'ayant que son état pour pourvoir à son existence, se trouverait pour son commerce dans une gêne sensible, s'il était obligé à payer le droit d'enregistrement de 500 francs ; il vient, en conséquence, solliciter la chambre de vouloir lui accorder la remise de la somme fixée pour l'enregistrement de l'acte de naturalisation.
Le sieur Rothermel s'étant adressé à la chambre pour obtenir la naturalisation longtemps avant la présentation du projet de loi du 15 février 1844, votre commission des pétitions a l'honneur de vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée de Liège, le 25 avril 1845, le sieur Maximilien Nieprzecki, dessinateur à la manufacture d'armes de l'Etat, à Liège, demande exemption du droit d'enregistrement de l'acte de naturalisation ordinaire qui lui a été accordée par la loi du 5 avril. »
Le sieur Maximilien Nieprzecki, lieutenant d'artillerie de l'ex-armée polonaise, actuellement dessinateur à la manufacture d'armes de l'Etat à Liège, sollicite de la chambre la faveur d'être exempté du droit d'enregistrement de l'acte de naturalisation ordinaire, qui lui a été accordée par disposition législative du 5 avril dernier.
Il base sa demande sur les titres suivants :
1° Comme employé, depuis l'année 1835, dans un établissement du gouvernement ;
2° Comme ayant sollicité son indigénat au commencement de 1843, par conséquent, longtemps avant la promulgation de la loi qui établit le droit d'enregistrement, et, enfin, sur l'impossibilité de disposer d'une somme de 500 fr., somme énorme en raison des appointements affectés à ses fonctions.
La commission des pétitions a l'honneur de proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée de Maeseyck, le 18 avril 1845, le sieur Etienne Goubau, brigadier garde champêtre à Maeseyck, demande exemption du droit d'enregistrement pour l'acte de naturalisation ordinaire qui lui a élé accordée. »
(page 451) Le sieur Etienne Goubau, brigadier garde champêtre, à Maeseyck, vient demander à la chambre de vouloir lui faire remise du droit de 500 fr., qu'il doit payer, pour l'enregistrement de l'acte de la naturalisation ordinaire qui lui a été accordée en mars 1845 ; il expose qu'il exerce les fonctions de garde champêtre depuis 1812, que l'exiguïté de ses ressource ne lui permet pas de pouvoir acquitter ce droit d'enregistrement, et qu'il s'est adressé le 9 janvier 1843 pour obtenir cette naturalisation, par conséquent assez longtemps avant la promulgation de la loi du 15 février 1844.
La commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cetle pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée de Furnes, le 15 novembre 1845, le sieur Dubreucq, secrétaire au parquet du tribunal de première instance de Furnes, prie la chambre d'améliorer la position des secrétaires de parquet. »
« Par pétition datée de Furnes, du 15 novembre 1845,le sieur Edouard-François Dubreucq, secrétaire au parquet du tribunal de Furnes, prie la chambre de vouloir améliorer la position des secrétaires de parquet, et de les assimiler aux commis-greffiers. »
Il est incontestable, dit le pétitionnaire, que les occupations des secrétaires de parquet sont pour le moins aussi fortes que celles des commis-greffiers, et qu'elles n'exigent pas moins d'intelligence et d'instruction. Ce n'est pas avec un traitement annuel de 400 francs, qu'il peut pourvoir à son entretien et à celui de sa famille ; cette minime somme n'est nullement en rapport avec la besogne dont il est chargé.
Déjà, lors de la discussion du projet de loi sur les traitements des membres de l'ordre judiciaire, il a été constaté que la position des secrétaires de parquet méritait d'être améliorée ; aussi M. le ministre de la justice a observé alors qu'il examinerait les réclamations de ces employés et qu'il porterait à son budget le crédit nécessaire pour leur assurer un sort plus convenable. Voire commission des pétitions a, en conséquence, l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Renesse, rapporteur. - « Par pétition datée d'Audenarde, le 21 novembre 1845, le sieur Frédéric Van Temsche, secrétaire au parquet du tribunal de première instance à Audenarde, demande une augmentation de traitement pour les secrétaires de parquet. »
Le sieur Frédéric Van Temsche, secrétaire au parquet du tribunal à Audenarde, expose, par pétition datée du 21 septembre 1845, que depuis dix ans, il remplit ce poste, à la satisfaction du chef du parquet, moyennant le médiocre traitement de 600 francs ; que cette somme est insuffisante pour subvenir aux besoins de la vie, et aucunement en rapport avec la forte besogne dont il est chargé, par suite du surcroît des causes correctionnelles, de la formation des tableaux statistiques, etc. ; que, par la loi du 20 mai dernier, les traitements des membres de l'ordre judiciaire ont été augmentés, sans que l'on ait eu égard à la position des secrétaires de parquet.
La commission des pétitions, considérant que la demande des secrétaires de parquet, pour obtenir une amélioration de position est fondée, que leur traitement n'est nullement en rapport avec les travaux dont ils sont chargés, ce qui, d'ailleurs, a été reconnu lors de la discussion du projet de loi sur les traitements des membres de l'ordre judiciaire, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. le président. - La discussion générale est ouverte. La parole est à M. Sigart.
M. Sigart. - Je pense qu'il est convenable d'examiner à cette tribune s'il est utile à la Belgique d'avoir des colonies, et en cas d'affirmative, quelle espèce de colonie peut lui être avantageuse. Je ne connais aucune occasion plus favorable que celle qui nous est offerte par le budget de la marine.
Je n'aurai pas à m'occuper de Guatemala. Je crois que l'on peut considérer la colonie comme morte, et je pense bien que le gouvernement ne fait plus que chercher les moyens de l'enterrer honorablement. Mais la pensée qui a conçu rétablissement de Santo Thomas vit toujours. On prétend que plus d'un projet s'examine dans le ministère. Je ne sais si c'est l'Abyssinie que nous devons conquérir, ou si c'est quelqu'autre pays ; mais j'ai quelques raisons de croire que le projet de M. Blondeel n'est pas absolument repoussé par le gouvernement.
Je vais examiner rapidement les colonies aux points de vue agricole, pénal, commercial et politique.
Les colonies agricoles peuvent être établies dans divers climats. Les hautes latitudes sont les seules où la culture soit impossible : dans les lieux désolés qui avoisinent le cercle polaire, on ne peut placer que des établissements pour la pêche ou le commerce des pelleteries. Je ne crois pas devoir vous en entretenir.
Dans le voisinage de l'équateur, au contraire, la végétation se déploie avec un luxe admirable. Malheureusement les Européens ne peuvent habiter sans danger ces contrées si belles ; ils ne peuvent résister au climat qu'en prenant des précautions nombreuses, parmi lesquelles ils doivent placer au premier rang (comme je l'ai démontré dans une autre circonstance) celle de s'interdire la culture de la terre ; ils ont donc besoin, pour faire prospérer une colonie agricole, d'employer des nègres esclaves. Si l'esclavage ne vous répugnait pas tant, messieurs, vous pourriez trouver des terres dont vous auriez la souveraineté absolue, des terres plus grandes que l'Europe, des terres de la plus admirable fécondité et que nulle puissance ne veut occuper ; la moitié équinoxiale de la Nouvelle-Hollande, toute la Nouvelle-Guinée et les grandes îles de la Nouvelle-Bretagne, de la Nouvelle-Irlande, de la Nouvelle Calédonie ; mais l'esclavage est quelque chose de si odieux que nul, je pense, n'oserait ici proposer de l'établir.
Si l'on veut cultiver par les blancs, il faut fuir ces terres à végétation splendide, mais à température meurtrière, il faut remonter à de plus hautes latitudes et chercher des climats analogues au nôtre. Malheureusement les meilleures places sont prises. En Amérique tout est occupé ; il ne reste plus que la Patagonie qui n'est pas fort tentante. La seule partie importante du globe qui reste à occuper est la côte occidentale de la Nouvelle-Hollande depuis le 30ème degré jusqu'au détroit de Bass. Je ne crois pas que l'on aurait à se débattre avec les nations qui en ont pris possession. La cérémonie de prise de possession en plantant un drapeau me semble assez vaine, à moins qu'on ne veuille la fortifier par le canon. Je ne crois pas qu'on en viendrait là ; je ne vois donc pas là de grande difficulté ; mais je vois une difficulté économique devant laquelle il faut reculer. Il ne suffit pas en effet de savoir s'il est possible de cultiver en certains lieux du blé ou de l'orge, il faut savoir à quel prix. Ce n'est rien faire que de faire vivre des hommes quand c'est au dépens d'autres hommes. Si l'on ne peut soutenir là-bas de colonie que par le secours du trésor public, on n'a rien gagné. On ferait tout aussi bien subsister cette colonie en Belgique en lui abandonnant ici ce qu'elle coûterait là. Faite là ou ici, serait-ce une bonne opération ? Ce serait le pendant de la taxe des pauvres d'Angleterre et de la mendicité aux portes des couvents du moyen âge.
Or, ce que coûterait une colonie à établir dans l'Australie serait immense : frais de transport des colons et de tout ce qui leur est nécessaire, bâtisses, défrichements, routes, tout cela coûterait bien plus que cela ne pourrait jamais rapporter. L'histoire coloniale de l'Angleterre est là pour nous servir de leçon !
C'est surtout dans son établissement pénal de la Nouvelle-Galles du Sud que les sommes dépensées par l'Angleterre sont effrayantes ; et cependant c'est une colonie analogue, quoique sur une plus petite échelle, que nous pourrions établir avec le plus de profit. Par profit, j'entends le profit moral résultant de l'éloignement d'hommes flétris par la loi, qui, à l'expiration de leur peine, ne peuvent plus trouver place dans une société ennemie, et qui doivent retourner au crime. Car, pour un profit pécuniaire, il n'y faut pas penser : la somme à dépenser serait considérable, le revenu à peu près nul. Nous verrons tout à l'heure que l'Angleterre trouve dans le développement de sa marine des compensations qui n'en seraient pas pour nous ; mais enfin, il y a lieu de peser si l'avantage que j'ai indiqué vaut le prix dont il faudrait le payer !
Passons aux établissements commerciaux.
Lorsqu'on veut fonder des établissements commerciaux, il faut presque toujours recourir aux armes. Pour défendre les moins importants on doit au moins bâtir un fort. Veut-on faire la traite de la gomme, de l'ivoire ? Je crois qu'il est encore possible de trouver une place passable pour un fort à établir sur la côte d'Afrique. Je pense que la Nouvelle-Guinée pourrait aussi offrir des endroits convenables pour certains échanges. C'est une entreprise à la portée de nos forces ; elle avorterait ou réussirait selon l'intelligence de ceux qui en choisiraient l'emplacement et en soigneraient la direction. Mais je n'aurai pas de peine à faire croire qu'un ou plusieurs établissements de ce genre n'exerceraient qu'une influence inaperçue sur la prospérité du pays !
Sont-ce des établissements comme ceux de l'Inde que l'on convoite ? Alors trouvez une nation à exploiter. Mais elle vous repoussera, il faudra la conquérir. Je ne dirai pas que la conquête est un brigandage, je passerais pour un niais. Des gens même qui dénonceraient au procureur du roi celui qui leur volerait quelques francs, se moqueraient de moi si je m'opposais à ce qu'on volât une nation à leur profit : je n'en dirai donc rien, sinon que pour conquérir il faut être fort. La difficulté n'est pas de vaincre, d'envahir : nul doute qu'un bataillon belge ne mette en déroule 20,000 Abyssins par exemple ; la difficulté est de se maintenir, la difficulté est de résister aux maladies, la difficulté est de se procurer des vivres, etc. La France n'a pas trop de 80 mille hommes depuis quinze ans pour comprimer l'Algérie, et ce n'est que grâce au voisinage qu'elle a pu y réussir à demi ; cette puissance n'ignore pas qu'à la première guerre européenne elle devra retirer ses trouves et perdre sa conquête, tout le monde sait qu'elle n'a pu garder Madagascar.
(page 452) Mais quels avantages les nations maritimes ont-elles retirés de leurs colonies ? Ces avantages sont surtout politiques : voici quelques exemples.
La France trouve en Algérie une école pour ses soldats ; l'armée française s'y aguerrit, et si elle devait se mesurer avec quelqu'autre armée sur un champ de bataille européen, toutes choses égales d'ailleurs, les chances seraient pour elle. L'avantage d'exercer ses soldats coûte au gouvernement francs des sommes immenses et des torrents de sang. Mais un gouvernement n'y regarde guère : l'argent et les hommes, c'est la nation qui les fournit.
L'Angleterre possède des colonies dans la Méditerranée, le long des côtes d’Afrique, dans les deux Amériques, dans l’Indoustan et jusqu'à la Nouvelle-Hollande ; des colonies dont la population est bien autrement considérable que celle de la mère patrie. Je puis vous garantir que la plupart de ces colonies, si pas toutes, sont onéreuses. Mais l'Angleterre, dans l'intérêt de sa sécurité comme dans celui de sa puissance, ne peut pas tolérer de rivalité maritime ; elle a fait la guerre à la France chaque fois que la France a voulu développer sa marine. La manière la plus sûre d'allumer la guerre avec l'Angleterre serait encore pour la France de construire de nombreux vaisseaux. L'Angleterre a besoin de la domination des mers, il faut donc qu'elle ait plus de vaisseaux de guerre que ses voisins. Pour cela il lui faut de nombreux vaisseaux marchands, pépinière où elle recrute sa marine militaire. Alors, avec cette marine militaire, elle va en Chine ou ailleurs ouvrir des ports pour pouvoir augmenter ses vaisseaux marchands. De cette manière se forme un cercle qui constitue la puissance anglaise.
En résumé, la Belgique ne peut songer qu'à une colonie pénale ou à quelques forts pour trafiquer. Elle ne doit pas se nourrir d'illusions économiques, elle ne doit avoir ni les prétentions militaires de la France, ni les prétentions navales de l'Angleterre. Mais elle peut se consoler, quoique renfermée dans un étroit espace, elle peut très bien être heureuse et prospère., et si son gouvernement est bon, c'est-à-dire, s'il se fait sentir le moins possible, elle pourra encore faire envie à plus d'une nation puissante.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Je ne sais si c'est comme ministre de la marine que je dois répondre à l'honorable préopinant, ou si c'est comme ministre des colonies. (On rit.) Je pourrais décliner cette discussion ; car je ne pense pas que ce soit à l'aide de notre marine, et je le regrette, que le gouvernement pourrait prétendre à conquérir des colonies considérables, comme l'Angleterre a conquis l'Inde.
Cette question, qui a son côté sérieux cependant, aurait dû être discutée lors de la discussion du chapitre « Commerce » au budget des affaires étrangères.
M. Sigart. - Mais alors je n'avais pu parler que de colonies commerciales.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Du reste, la chambre n'attend pas de moi que je traite une question qui ne devrait l'être que d'une manière approfondie ; c'est la question des petites colonisations, la question de savoir si la Belgique doit ou non favoriser des tentatives, des essais qui seraient faits pour établir, non pas des colonies, mais des comptoirs commerciaux avec possession d'une certaine étendue de territoire, sur quelques points spéciaux.
Cette question fort grave a été agitée ailleurs qu'en Belgique ; je ne me permettrai pas de la résoudre.
L'honorable préopinant, en citant un projet relatif à l'Abyssinie, a semblé reprocher au gouvernement de ne l'avoir pas repoussé. Le gouvernement ne doit rien repousser, il doit examiner, et c'est ce qu'il a fait en cette occasion.
J'ajouterai que l'Angleterre n'a pas dédaigné de recourir à ce moyen. L'Angleterre possède un assez grand nombre de petites colonisations qui ont servi à développer son mouvement commercial.
Dans beaucoup de discussions, on a réclamé l’établissement de comptoirs commerciaux dans les pays lointains. La question est de savoir si, dans 'certaines occasions, la cession de certaines parties de territoire, pour créer non des colonies, mais des comptoirs, ne donne pas à ceux-ci des bases plus durables. C'est une question que je ne veux pas examiner, et que je veux moins encore résoudre en ce moment.
- La discussion générale est close.
La chambre passe au vote sur les articles qui sont successivement adoptés sans discussion dans les termes suivants :
« Art. 1er. Personnel : fr. 6,050. »
« Art. 2. Matériel : fr. 3,500. »
« Art. 1er. Personnel : fr. 297,471. »
« Art. 2. Vivres : fr. 148,000. »
« Art. 3. Entretien, chauffage et éclairage : fr. 62,320. »
« Article unique. Magasin de la marine : fr. 11,200. »
« Article unique. Pilotage : fr. 350,520. »
« Article unique. Etablissement d'un feu flottant dans la passe de Wielingen : fr. 35,000. »
« Article unique. Service des bateaux à vapeur de l'Escaut : fr. 48,758. »
« Article unique. Police maritime : fr. 32,800. »
« Article unique. Service des bateaux à vapeur entre Ostende et Douvres : fr. 116,608. »
« Article unique. Secours maritimes (sauvetage) : fr. 16,500. »
« Art. 1er. Pensions civiles : fr. 14,050. »
« Art. 2. Dotation de la caisse des secours et de prévoyance en faveur de marins naviguant sous pavillon belge : fr. 10,000. »
La chambre passe au texte du budget ainsi conçu.
« Article unique. Le budget du département de la marine, pour l'exercice 1846, est fixé à la somme de 1,152,777 fr., conformément au tableau ci-annexé. »
Cet article est mis aux voix et adopté.
Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du budget de la marine, qui est adopté à l'unanimité des 57 membres présents.
Ce sont : MM. Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Goblet, Huveners, Jonet, Kervyn, Lange, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Loos, Lys, Manilius, Mast de Vries, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Sigart, Simons, Thyrion, Troye, Van den Eynde, Vandensteen, Verwilghen, Vilain XIIII, Zoude, Biebuyck, Brabant, Cans, Clep, d'Anethan, de Bailler, de Bonne, de Breyne, de Brouckere, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Foere, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, de Man d'Attenrode, de Meester, de Renesse, de Roo, de Saegher, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Villegas, d'Hoffschmidt, d'Huart, Dubus aîné.
M. Vanden Eynde. - Je dépose une pétition de plusieurs habitants de l'arrondissement de Nivelles qui demandent qu'il soit inséré dans la loi sur la chasse, une disposition qui permette aux propriétaires et aux cultivateurs de détruire les lapins qui ravagent les récoltes.
- La chambre, sur la proposition de M. le président, ordonne le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la chasse.
M. le président. - La parole est à M. Jonet sur l'ensemble du projet de loi.
M. Jonet. - La chasse, pour être bien appréciée, doit être considérée sous trois points de vue divers.
1° Elle est un moyen d'acquérir des choses qui n'appartiennent à personne ;
2° Elle est un objet de plaisir et d'agrément ;
Et 3° elle est un moyen de conserver les fruits et les récoltes de nos champs.
Les Romains ne voyaient dans la chasse qu'un moyen d'acquérir ; aussi leurs lois décident-elles que, par le droit des gens, les bêtes fauves, les oiseaux, les poissons et tous les autres animaux qui naissent dans la mer, au ciel et sur la terre appartiennent à celui qui les prend (primo occupanti).
Elles ne font aucune différence entre celui qui prend des bêtes fauves ou des oiseaux dans son fonds, et celui qui les prend dans le fonds d'autrui. Seulement elles accordent des dommages et intérêts à ceux dont les récoltes ont été dévastées ; et elles permettent en outre aux propriétaires de défendre l'entrée de leurs fonds à ceux qu'ils prévoient vouloir y venir chasser. (§12 titre Ier aux Institutes, sur la manière d'acquérir la propriété.)
Au moyen âge, dans l'heureux temps de la féodalité, les idées changèrent. La chasse était bien encore un moyen d'acquérir, mais ce moyen d'acquérir n'appartenant qu'aux riches, qu'aux seigneurs. Malheur aux vilains qui se permettaient d'abattre une pièce de gibier ! Plus d'un paya de sa vie la liberté grande qu'ils prenaient quelquefois de tuer une perdrix, un lièvre ou un lapin, même dans leurs propriétés.
C'était le bon temps des privilèges ; c'était le bon temps du plaisir, non pour les manants, mais pour les riches et les puissants seulement.
En 1789-1790, les choses changèrent de nouveau ; l'assemblée constituante, plus sage et plus juste que les législateurs anciens, vit dans la chasse les trois choses que nous avons indiquées en commençant, savoir : Moyen d'acquérir ; objet de plaisir et d'agrément ; et moyen de conserver les fruits et les récoltes, que les chasseurs, pas plus que les braconniers, n'ont pas l'habitude de respecter.
En conséquence, elle donna à tous ceux qui avaient un terrain sur lequel ils pouvaient exercer ce droit ou ce plaisir, la faculté de chasser, en temps non prohibé ; et pour la conservation des récoltes, elle déclara, par l'article 15 de son décret des 28 et 30 avril 1790 « qu'il est libre, en tout temps, aux propriétaires ou possesseurs, et même aux fermiers, de détruire le gibier dans ses récoltes non closes, en se servant de filets et autres engins qui ne puissent point nuire aux fruits de la terre, comme aussi de repousser avec des armes à feu les bêtes fauves qui se répandraient dans lesdites récoltes. »
Cette législation me paraît fondée en principe comme en raison, et je (page 453) m'étonne vivement qu'en 1846, on veuille l'abroger, pour se rapprocher, autant qu'on le peut, des règles barbares du moyen âge.
C'est cependant ce qu'on nous demande par le projet qui nous est soumis. Car si nous l'adoptons sans modification, non seulement nous interdirons à nos cultivateurs, propriétaires ou fermiers, de détruire le gibier qui mange leurs récoltes, mais même nous leur infligerons une peine correctionnelle de 100 francs d'amende, quand, pour écarter de leurs champs ces animaux dévastateurs, ils se permettront de faire usage de filets, de bricoles ou d'engins.
La haine contre ces instruments est même telle, que l'on punit de la même peine, tout homme chassant ou non, cultivateur ou non, qui se trouvera porteur, hors de son domicile, et partout même, dans les villes, rues et places publiques, d'un ou plusieurs de ces objets si effrayants pour la classe fortunée et privilégiée de la société, qui veut avoir des bêtes à poursuivre et à tuer, mais qui veut aussi les faire nourrir par la classe infime et laborieuse du corps social.
Ces mesures seront-elles admises par la législature belge ? Seront-elles accueillies au XIXème siècle ?
J'aime à croire que non. Bien éclairée, la législature les repoussera comme des rêves, des utopies, indignes de sa sollicitude.
Mais, dit-on, il faut du gibier, et la loi doit protéger sa conservation et sa propagation (exposé des motifs).
Il faut du gibier ? Je n'en vois pas trop la nécessité ; et si réellement il en faut à nos Lucullus, eh bien, que ces hommes fassent en sorte que l'éducation des lièvres, des cerfs et des daims ne se fasse pas aux dépens des pauvres laboureurs qui en mangent peu, s'ils en mangent jamais.
Voilà sur quoi doit porter la sollicitude du législateur. Voilà ce que nos grands et nos riches devraient sentir, sans que l'on fut obligé de le leur rappeler.
Et qu'on ne dise pas que le gibier ne cause aucun tort aux fermiers ; car pour ne parler que des lièvres, je vous citerai une pétition que j'ai eu l'honneur de déposer sur votre bureau, le 21 avril dernier, laquelle est conçue comme suit :
« Villers-la-Ville, le 15 avril.
« Messieurs,
» En présence du projet de loi sur la chasse que vous a soumis M. le ministre de l'intérieur, projet qui tend encore à augmenter le nombre d'animaux malfaisants qui déjà ravagent nos campagnes, nous cultivateurs à Villers-la-Ville, ne pouvons différer plus longtemps de vous exposer le tort immense que cette fourmilière d'animaux dévastateurs fait à nos récoltes, tant par la nourriture, que par les millions de traces qu'ils font dans nos moissons ; ce tort dans toutes nos récoltes s'élève au moins au triple de la contribution foncière que nous payons à l'Etat ; mais dans le froment il devient incalculable. Il est inutile d'en semer, il n'en vient plus dans nos environs.
« Enfin, vous comprendrez mieux combien nous sommes vexés, en apprenant qu'il n'est pas rare de faire lever 7 à 8 lièvres sur un hectare de terrain. D'après des faits aussi graves, qui compromettent notre fortune, nous vous supplions, messieurs, de refuser votre sanction à un projet de loi qui sera désastreux pour l'agriculture en général, et qui sacrifie les petits propriétaires au caprice de quelques grands propriétaires.
« Daignez, messieurs, agréer les sentiments respectueux de vos très-humbles serviteurs, etc.
« N.-N. Descamp, L. Devroye, G.-F. Devroye, Carpart, B.-C. Jacob, Henri Meunier, Martin Lefevre, J.-B. Lorette, M. Rochelle, L.-J. Malfere, Michel Lonneu.
« Le bourgmestre de Villers-la-Ville déclare qu'aucun des dénommés ci-dessus n'est braconnier.
« Signé, Charlier. »
Si mon témoignage peut être de quelque poids, je dirai que me trouvant dans la localité dont je viens de parler, quelques jours après l'ouverture de la chasse et entendant toute la journée des coups de fusil, je dis à un cultivateur : Mais vous avez donc bien des lièvres dans ce pays ! Oh ! me répondit-il, nous en avons tant que nous donnerions beaucoup d'argent pour en être débarrassés. Nous avons ici un grand propriétaire qui conserve sa chasse avec le plus grand soin et qui loue les terres voisines pour y avoir le droit de chasse ; j'ai une pièce de quarante bonniers, le droit de chasse m'est payé 60 francs ; je donnerais le double à un homme qui voudrait se charger de tuer le gibier sur ma propriété.
Un autre fermier a dit sérieusement : Je donnerais volontiers six cents francs à celui qui voudrait empêcher les lièvres de M. un tel de dévaster mes récoltes, qui voudrait se charger de les tuer sur mes terres, car je suis entouré de propriétés qui lui appartiennent. Un autre a surenchéri, il a dit : J'en donne de bon cœur 1,600. J'atteste que cela m'a été dit sérieusement. Il s'agissait d'une ferme de 150 à 200 bonniers.
C'est un fait reconnu que les lièvres font aux cultivateurs des torts considérables. J'ai demandé en quoi consistaient ces dommages. On m'a répondu que pour tracer des chemins quand le blé commence à pousser, les lièvres coupaient la tige au pied, ce qui l'empêchait de produire. Supposez une pièce de froment de 40 ou 50 bonniers, infestée de lièvres et de lapins et autre gibier, vous pourrez juger du dommage que pourra éprouver le fermier. Il est certain que tous ces gibiers font un tort considérable au cultivateur ; si déjà le lièvre seul en fait autant que je viens de vous le faire voir, que sera-ce quand il y aura des daims, des chevreuils, des cerfs ? D'après votre projet, le fermier ne pourra plus les détruire, et quand il verra ces animaux manger ses récoltes, il devra les laisser faire, car s'il voulait les en empêcher, il serait puni, en vertu de la nouvelle loi.
Dans cet état de chose, je demande qu'on maintienne l'article 14 de la loi du 28-30 août 1799, qui permet au propriétaire et au fermier de détruire le gibier dans ses récoltes. Si cette proposition est adoptée je voterai pour l'adoption de la loi moyennant quelques autres modifications. Elle aura du reste pour conséquence de faire disparaître une disposition proposée par le gouvernement et la section centrale ; je ne veux pas qu'on punisse celui qui ne fait que défendre sa propriété, le fruit de son travail. Si, on ne rétablit pas cette disposition de la loi de 1790 dans ce projet qui nous est soumis, je voterai contre.
M. de Bonne. - Bien que j'admette les corrections que l'honorable préopinant propose de faire à la loi qui vous est soumise, si on n'en introduit pas d'autres, je voterai contre son adoption. Ce projet de loi contient des dispositions qu'il me paraît impossible d'accueillir. Ainsi le projet de loi défend de détruire le gibier qui vient manger les récoltes, les fruits de la culture du paysan. C'est là une disposition qui me paraît révoltante ; car la loi de 1790 qu'a citée l'honorable préopinant permet au cultivateur de repousser le gibier qui vient détruire ses fruits. La disposition que je trouve la plus exorbitante, c'est celle qui porte que dans chaque province ou partie de province il est défendu d'exposer en vente, de vendre, d'acheter, de transporter ou de colporter du gibier pendant le temps où la chasse n'y est pas permise.
Ainsi non seulement on punit celui qui aura mis des lacets, pris du gibier,, et l'aura exposé en vente, mais moi, acheteur au marché, je serai puni pour avoir acheté le gibier qu'on m'aura présenté ; cette disposition porte une pénalité de 16 à 100 francs.
Je trouve ensuite un article 8 qui prononce une pénalité d'emprisonnement de six jours à deux mois contre tout condamné qui, dans un délai de trois mois n'aurait pas satisfait tant aux amendes qu'aux indemnités prononcées à sa charge.
Cet article est applicable à toutes les dispositions du projet, aussi bien à ceux qui auront pris ou vendu du gibier qu'à celui qui en aura acheté.
Si donc, indépendamment des amendements proposés par l'honorable M. Jonet, cette loi ne subissait de profondes modifications, je la repousserai de mon vote.
M. Castiau. - Messieurs, le projet qui vous est présenté, n'est pas l'œuvre de l'administration actuelle, et je l'en félicite, sous la réserve toutefois que l'administration actuelle abandonnera à leur malheureux sort les principales dispositions de ce projet de loi. Ce projet est l'œuvre de l'ancienne administration. C'est l'un des derniers projets qui aient été présentés à la chambre par l'ancien ministre de l'intérieur. C’est donc, en quelque sorte, son testament politique. Je crois devoir vous rappeler, messieurs, l'origine de ce projet, malgré l'absence de son auteur pour en apprécier la pensée, le but et les tendances.
Ce projet n'était en définitive que la conséquence des idées réactionnaires que l'ancien ministre de l'intérieur avait mission de venir représenter au banc ministériel. La réaction, il l'avait tentée et réalisée en faveur du principe monarchique d'abord, en violant nos principales libertés et nos institutions communales ; il fallut y joindre la réaction dans l'intérêt des exigences aristocratiques, et c'est alors qu'est apparu le projet qui nous est soumis.
Aussi, pour en apprécier toute la portée, il faut rapprocher ce projet de la fameuse circulaire de 1842 sur les ports d'armes. Cette circulaire tout imprégnée d'aristocratie avait pour but, vous le savez, de déshériter du droit de port d'armes tous les citoyens pour en réserver le privilège aux grandes fortunes. Pour en jouir, il fallait être propriétaire de cent hectares de terre ou cessionnaire des droits du propriétaire. Cette disposition avait, au moins, le mérite de la franchise, il faut en convenir : Je ne puis donc assez vous engager à vous la rappeler dans le cours de la discussion qui vient de s'ouvrir.
Ce projet malencontreux, je le dirai franchement, je le croyais enterré, et pour jamais, avec l'ancienne administration. Il paraît qu'il a fait comme le phénix, qu'il est ressuscité de ses cendres, et il nous apparaît aujourd'hui dans tout l'éclat de sa pureté primitive ; car on en a conservé le texte,, l'esprit et les plus exorbitantes dispositions.
On ne s'est pas contenté de le ressusciter, ce projet de loi réactionnaire, on lui a fait encore l'accueil le plus empressé, un accueil tel, qu'on pourrait croire qu'il s'agit d'une loi de salut public.
Ainsi, ce projet, l'un des derniers présentés à la fin de la dernière session, a eu le pas sur une foule d'autres mesures bien autrement urgentes et impérieuses ; après avoir mis un incroyable empressement pour l'examen et la discussion en sections, on a cédé ici à un véritable entraînement, quand il s'est agi de l'introduire dans la chambre et de le mettre à l'ordre du jour ; l'annonce seule de ce projet a mis en émoi une partie de l'assemblée, et la discussion immédiate a été décidée avec une sorte d'enthousiasme. Pour lui obtenir ce tour de faveur, on s'est empressé d'ajourner les projets les plus graves et les plus importants dont la chambre est saisie depuis plusieurs années déjà. La réforme si urgente elle-même de notre milice n'a été mise à l’ordre du jour qu'à la condition de céder le pas à la loi sur la chasse.
Quelles conséquences, et quelles inductions tirer de cet empressement ? Je n’ai certes n'ai pas le droit d'accuser les intentions de la majorité ; je ne veux rien dire de désobligeant pour elle, je craindrais que mon langage ne prît un caractère de personnalité et ne tombât sous l'application du règlement ; mais ce que je ne puis dire dans cette assemblée, d'autres le diront, en dehors de cette enceinte. Ils diront que ceux qui ont déployé cette ferveur de zèle, pourraient bien être personnellement intéressés à la question, et qu’en hâtant la discussion de la loi, ils ont fait passer leurs plaisirs avant leurs devoirs.
(page 454) Après ce préambule, j'arrive à l'examen du projet de loi dont je viens combattre et le principe et les principales dispositions.
Nous avons une loi sur la chasse ; c'est la loi de 1790 ; cette loi était assez rigoureuse. Elle était suffisante ; elle n'était pas tombée en désuétude ; on l'exécutait avec sévérité. Pourquoi donc une loi nouvelle ? Pourquoi surtout une loi qui dénature et fausse la législation de 1790 ?
L'honorable M. Jonet vient de vous rappeler, avec toute l'autorité de sa vieille expérience judiciaire, le véritable caractère de la loi de 1790. C'était uniquement une loi de protection pour l'agriculture et pour la propriété.
Il ne s'agissait pas alors des agréments de la chasse et des plaisirs de l'aristocratie et de l'opulence. Ce n'était pas à la veille de la terrible conflagration qui devait remuer toute la société, qu'on s'occupait beaucoup de renforcer les privilèges de l'opulence.
C'était donc, je le répète, une loi dans l'intérêt de la propriété, dans l'intérêt de l'agriculture. C'était une loi pour empêcher les dévastations de la propriété et des récoltes ; ces dévastations, on vous en a fait tout à l'heure un tableau qui n'est pas exagéré, et vous voyez, d'après ce tableau, que les dévastations commises par les chasseurs sont plus désastreuses encore, aujourd'hui même, que toutes les dévastations commises par le braconnage.
Est-ce là ce dont il s'agit aujourd'hui ? Est-ce une loi protectrice de la propriété et de l'agriculture qu'on vient vous demander ? Non, messieurs, c'est une loi pour favoriser uniquement la passion et les plaisirs de la chasse ; c'est une véritable loi d'aristocratie. On veut aujourd'hui favoriser la propagation du gibier et les plaisirs des hommes de loisir qui se livrent aux distractions de la chasse. Si le nombre des chasseurs est assez considérable aujourd'hui encore, il ne tardera pas à décroître ; quand le système aura porté tous ses fruits, la chasse ne sera plus que le monopole de quelques heureux privilégiés.
Messieurs, je vous le demande, est-il bien juste de s'occuper ainsi toujours et exclusivement d'une seule classe de la société, des privilégiés, et des plaisirs de cette classe ?
L'opulence n'a-t-elle pas déjà assez de privilèges, assez d'avantages, assez de distractions, assez de droits, assez de monopoles de toute espèce ? Faut-il les augmenter encore ? Est-il prudent, je vous le demande, est-il bien prudent, alors surtout que les masses, que les classes les plus nombreuses succombent à la peine, demandent vainement au travail des moyens d'existence, alors que, dans ce moment de crise, elles encombrent vos prisons et vos dépôts, est-il bien prudent de choisir un tel moment pour proclamer des lois de monopole, des lois de privilège, des lois de plaisir pour la classe supérieure ? Ne pensez-vous pas que ce contraste par trop choquant entre tous les privilèges de l'opulence et de l'oisiveté, d'un côté, et toutes les misères du travail, de la pauvreté de l'autre, ne finisse par frapper les esprits, par exalter les têtes et par provoquer quelque chose de plus grave qu'une simple révolution politique ?
C'est cette crainte surtout qui me fait repousser le projet de loi sur la chasse. Je le repousserai encore parce qu'elle viole tous les principes, parce qu'elle viole tous les droits, jusqu'aux droits de la liberté du domicile, de la liberté individuelle.
Ainsi elle viole d'abord le droit de propriété, car elle défend, ainsi qu'on vous l'a dit, de chasser sur sa propriété, de détruire même quelques-uns des animaux les plus nuisibles sur sa propriété. L'agriculteur, le propriétaire, se trouvant en présence des dispositions qui sont soumises à votre examen, seront désarmés et condamnés à laisser ravager leurs propriétés, sans pouvoir se défendre. C'est de l'ancien régime tout pur.
Atteinte à la propriété encore dans l'article 4 de la loi. En effet, dans cet article, il est défendu de faire usage de filets et de lacets même sur sa propriété. Ainsi on vient interdire au propriétaire jusqu'à cette jouissance tout à fait inoffensive de mettre des filets sur sa propriété ! Ce plaisir innocent n'a pas même trouvé grâce devant les exigences des monopoleurs futurs de la chasse.
Atteinte encore au droit de propriété dans l'article 5. Défense formelle au propriétaire du gibier de le vendre et de le transporter, alors même qu'il n'y aurait pas eu un fait de chasse prohibée, alors même que ce gibier aurait été élevé par le propriétaire dans son enclos ou son parc.
Quant aux intérêts agricoles, on vous a démontré déjà combien ils étaient lésés par les dispositions de la loi que vous discutez. Je ne puis sur ce point que me référer aux observations de l'honorable M. Jonet. Les intérêts agricoles exigent la destruction du gibier ; il serait à désirer pour ces intérêts que le gibier disparût et la chasse avec le gibier. Car la chasse, même aux époques déterminées par la loi, est encore fatale aux récoltes tardives, et les localités où se trouvent des chasses réservées sont impitoyablement ravagées pendant une partie de l'année par le gibier qui s'y réfugie.
Quel sera, messieurs, le résultat des mesures que vous allez adopter ? Evidemment, elles favoriseront outre mesure la multiplication du gibier. Il en résultera des dommages cent fois plus grands pour l'agriculture et le mécontentement le plus vif dans les classes agricoles.
A tous ces inconvénients, j'ajouterai, messieurs, que les dispositions qui vous sont présentées, violent toutes les idées de droit pénal et tous les principes en matière de délit et de criminalité. Il n'y a évidemment de criminalité et il ne peut y avoir de pénalité légitime que là où il y a atteinte aux droits d'autrui. Eh bien, messieurs, on considère comme délit, et on punit comme des délits, les actes les plus inoffensifs, des actes qui ne peuvent porter aucune espèce de préjudice à qui que ce soit.
Ainsi on considère comme un délit l'usage de filets sur sa propriété. Le simple transport d'une pièce de gibier, le transport d'une perdrix sera également considéré comme un délit ; comme si la sécurité publique pouvait être menacée par un acte de cette gravité. Il y a plus : le simple fait d'être porteur de filets, d'être porteur d'un misérable lacet, fait inoffensif, fait légitime, s'il en fut jamais, sera considéré et puni comme un délit véritable. On ne recherche pas même quelle est l'intention du prévenu et s'il avait ou non l'intention de s'en servir pour violer la loi. C'est en un mot le renversement des notions les plus élémentaires en matière pénale.
Mais, messieurs, on ne s'est pas contenté de violer la propriété, de violer les intérêts agricoles, de violer les principes de la criminalité ; on a voulu aller plus loin et arriver à une violation qui, je l'espère, rencontrera, elle, une opposition énergique dans l'assemblée.
Cette violation, c'est la violation toujours odieuse du domicile. Nous voyons, en effet, apparaître dans les dispositions qui vous sont présentées, la droit de recherche, et le droit de recherche peut être poussé jusque dans l'intérieur du domicile.
Messieurs, vous avez déjà été saisis de l'examen de la question du droit de recherche et de visite domiciliaire ; vous l'avez été dans une occasion bien autrement grave, alors qu'il s'agissait de l'intérêt de l'industrie, et vous avez frappé ce droit d'une énergique et puissante réprobation.
Cependant la cause du droit de recherche dans cette occurrence avait été défendue avec chaleur ; on réclamait le droit, au nom de l'industrie nationale, du travail national et pour réprimer la fraude. Ce privilège que vous avez eu le courage de refuser aux exigences de nos principales industries irez-vous maintenant l'établir dans l'intérêt des plaisirs et des distractions de l'opulence ?
J'espère, messieurs, qu'ici la chambre restera fidèle à ses précédents, et qu'elle saura flétrir des prétentions odieuses par leur exagération.
On a senti le besoin de modifier cet odieux privilège du la violation du domicile dans l'intérêt de la chasse, je le sais. Comme s'il était dit qu'une loi de monopole et de privilège doit être marquée à chaque pas de ce cachet flétrissant du privilège, on a voulu également, dans cette circonstance, établir des distinctions et des exceptions. On n'a pas admis d'une manière générale les visites domiciliaires, on les a admises seulement pour certaines classes de la société et pour certaines industries, pour les maîtres d'hôtel et les marchands de comestibles. Mais je voudrais bien savoir pourquoi cette exception ? Je voudrais bien savoir si le magasin d'un marchand de comestible n'est pas, après tout, aussi respectable que tous les domiciles du monde ? Et ce n'est pas seulement au magasin que se bornera la visite, elle s'étendra à toute la maison, à toutes les parties et aux parties même les plus secrètes du domicile. Rien ne sera sacré pour ces odieuses inquisitions confiées au zèle souvent brutal des derniers agents de la police.
La personne elle-même, messieurs, ne sera pas toujours a l'abri de ces odieuses recherches. Ne pourra-t-on pas toujours supposer que le citoyen le plus inoffensif est porteur, soit d'une pièce de gibier, soit d'un filet ou de lacets ? Et il suffira de ce simple soupçon pour arrêter et fouiller tous ceux que la police rencontrera sur son chemin. Les ignobles visites corporelles que j'ai eu déjà l'occasion de flétrir en matière de douane, elles pourront maintenant s'étendre à toute la population. On ne l'osera pas d'abord, je le sais, car l'irritation publique ferait prompte justice de tels excès ! Mais si vous voulez l'exécution de votre loi il faudra bien que vous arriviez à tolérer, à imposer ces attentats odieux contre la personne et la liberté !
Voilà, messieurs, les dernières conséquences, les conséquences logiques, mais aussi les conséquences monstrueuses qui découlent des principales dispositions qu'on soumet aujourd'hui à votre sanction.
Un mot maintenant sur les pénalités. Ici encore, comme toujours, vous voyez également apparaître les privilèges, les distinctions : pénalité pour le riche, pénalité pour le pauvre ; c'est le droit commun, je le sais mais ce n'en est pas moins une injustice. Ainsi, quand il s'agira d'infractions à la loi commises par MM. les chasseurs et des individus de la classe riche, il y aura 50 francs d'amende. Mais s'agira-t-il d'un malheureux qui se trouvera dans l'impossibilité de payer cette somme de 50 fr. ? Il y aura emprisonnement, et emprisonnement qui pourra s’élever à deux mois.
Comment, messieurs, entend-on justifier toutes ces énormités ? Que vous dit-on ? C'est au nom de la morale que l'on vient réclamer la violation de tous les droits de la propriété, de l'agriculture, du domicile, de la personne et de la liberté.
MM. les partisans du monopole de la chasse se transforment tout à coup en professeurs de morale ; à voir ce beau zèle pour la morale, il faudrait vraiment leur décerner bientôt les honneurs de la béatification !
Ils font donc le procès au braconnage au nom de morale. Les braconniers sont les boucs émissaires que l'on charge de toutes les iniquités. Le braconnage est quelque chose d'antisocial et de monstrueux. Le braconnage conduit à l'oisiveté, il conduit au vice, il conduit au crime !...
Eh bien, messieurs, si cela est vrai, il faut reconnaître que la chasse elle-même n'est pas toujours exempte des reproches que l'on pourrait adresser au braconnage. Elle aussi pousse a l'oisiveté et elle prend aussi tous les caractères d'une passion fatale. Le chasseur n'est que trop souvent livré aux mêmes entraînements que les braconniers. J'irai même plus loin et je dirai que la ligne de démarcation entre la chasse et le braconnage est difficile et presque impossible à établir ; la chasse est inséparable du braconnage, et s'il m'était permis de faire appel à la loyauté de la nombreuse légion de chasseurs que renferme cette assemblée, je leur demanderais, en conscience, s'il en est parmi eux un seul qui n'ait jamais violé la loi et fait acte de braconnage ? Que celui d'entre eux qui est innocent de tels faits, jette la première pierre au pauvre braconnier. Je consens à le lui abandonner sans le défendre davantage.
De la logique donc, messieurs, et surtout de l'impartialité. Si vous voulez étouffer le braconnage au nom de la morale, il faut aussi prohiber (page 455) la chasse, comme il faut prohiber tout ce qui peut irriter toutes les passions humaines. La chasse en est l’une des plus violentes, et comme toutes les passions, elle traîne souvent à sa suite de déplorables excès.
Laissons donc tout le puritanisme moral et surtout ne cherchons pas l'impossible ! Pensez-vous sérieusement étouffer le braconnage par les dispositions si sévères qui sont maintenant soumises à votre examen ? Mais au lieu d'extirper le braconnage, vous allez lui donner une nouvelle excitation, vous allez lui donner une excitation plus violente que jamais, l'excitation de la cupidité.
Votre loi fera renchérir le prix du gibier ; c'est évident. Il faudra, en effet indemniser le braconnier des dangers qu'il va courir. La cherté du gibier ajoutera encore à toutes les tentations du braconnage. Les braconniers vont donc devenir plus nombreux et plus ardents que jamais.
Ainsi la loi que vous prétendez diriger contre le braconnage, ne fera que l'augmenter. Voire loi provoquera elle-même à sa violation. C'est du reste ce que l'expérience a constaté : En France aussi on a fait une loi semblable à celle que vous projetez ; cette loi a été exécutée avec rigueur ; toute la police du royaume est appelée à y prêter la main forte. Eh bien ! messieurs, pensez-vous que cette loi ait eu pour effet d'empêcher le braconnage et la vente du gibier ? Non, vraiment ; tous les jours cette loi reçoit les démentis les plus société poussent les reçoit chaque jour par milliers. Toutes les classes de la violents et elle à sa violation et elles en sont toutes complices.
On a dit, messieurs, que la plus terrible des révoltes était la révolte des estomacs ; il paraît que sur ce point les estomacs aristocratiques sont aussi intraitables que les estomacs prolétaires ; la gastronomie a été aussi pressante que la faim ; elle s'est révoltée contre la loi, et à l'heure qu'il est on peut dire qu'elle a succombé sous les coups de la coalition réunie du braconnage et des exigences des tables aristocratiques.
Tel sera infailliblement aussi le sort réservé à votre loi. On ne la publiera aujourd'hui que pour la violer le lendemain, et peut-être ceux qui l'auront votée avec le plus d'ardeur seront les premiers à se rendre les complices de la violation de ses dispositions.
Cette loi, qu'on me permette de le dire, ne sera qu'un chiffon de papier, qui bientôt sera déchiré en mille pièces et par mille mains.
Ne pensez-vous pas, messieurs, qu'il y ait quelque inconvénient à venir ainsi jeter dans le pays une loi qui provoque elle-même la désobéissance à ses dispositions ? Vous convient-il de faire des lois pour les laisser ensuite tomber dans la déconsidération et le mépris ?
Pensez-y bien, pensez-y très sérieusement ; ne jouez pas, je vous prie, avec les mesures législatives. La société n'est plus rattachée aujourd'hui que par le lien de la légalité, et le jour où ce lien sera brisé et où la légalité aura perdu son dernier prestige ; ce jour-là, je ne sais pas, en vérité, ce qui adviendra, et ce qui pourra empêcher notre société de tomber dans la plus complète des dissolutions et la plus inextricable des anarchies !
Je m'arrête, messieurs, et quoi bon, en effet, continuer cette discussion ? Le résultat n'en est-il pas connu d'avance ? A voir l'empressement avec lequel on a discuté le projet de loi dans les sections et l'entraînement plus grand encore avec lequel on en a pressé la discussion, il est facile de prévoir qu'il sera adopté de confiance par la majorité.
Je n'ai pris la parole que pour protester, au nom des principes libéraux et des idées d'égalité, contre une loi de monopole, de privilège et d'aristocratie.
Votez-la donc, vous ses partisans ; renforcez-en encore les dispositions et jouissez de votre triomphe. Ce triomphe aura aussi ses entraînements ; bientôt les pensées qu'on n'ose avouer se feront jour ; des prétentions et des exigences nouvelles apparaîtront ; on exigera l'exécution rigoureuse de la circulaire aristocratique de 1842 ; la grande propriété seule aura le monopole de la chasse et nous serons lancés en pleine voie de réactions.
Marchez courageusement dans cette voie. Entassez privilèges sur privilèges ; oubliez les leçons de l'expérience et les enseignements de l'histoire. Nous n'avons peur, sachez-le bien, ni de vos triomphes, ni de vos réactions. Nous nous confions dans la puissance de la raison publique et des intérêts démocratiques et nous nous rappelons avec bonheur qu'il a suffi d'une nuit, d'une seule nuit, de la grande, de l'immortelle nuit du 4 août 1789, pour renverser et balayer un immense échafaudage d'abus et de privilèges bien autrement puissants que les misérables privilèges qu'on veut relever aujourd'hui, car ils avaient pour eux la consécration des siècles.
M. d'Huart, ministre d’Etat. - Messieurs, il semblerait, à entendre l'honorable préopinant, que nous allons rétablir les privilèges, que la majorité de la chambre est coalisée en quelque sorte pour rétablir les privilèges. Faisons d'abord justice de cet appel à la minorité contre la majorité ; je crois qu'il ne s'agit ici ni de la minorité, ni de la majorité habituelle, car il est probable que vous trouverez dans ce qu'on a l’habitude d'appeler la minorité, beaucoup des membres disposés à adopter la loi dont vous êtes saisis.
Examinons comment la loi a été introduite dans la chambre. Cette loi a été réclamée vivement par les corps électifs provinciaux, par les députations provinciales. Elle a été réclamée vivement encore par de nombreuses pétitions, étayées de faits tels qu'il était impossible de ne pas y faire droit. La loi n'est donc pas tombée inopinément ici pour satisfaire les désirs ou les caprices d'une caste, mais elle a été soumise à la chambre, parce qu'il était temps de remédier aux abus graves qui s'introduisaient sous l'empire de la législation actuelle. Il a été reconnu, et les statistiques en font foi, que le braconnage se développe d'une manière effrayante en Belgique et que chaque année le nombre des contraventions augmente dans une proportion extrêmement sensible. Il fallait donc mettre un terme aux abus du braconnage, et quant à moi je ne partage nullement les sympathies exprimées par l'honorable préopinant à l'égard des braconniers. Pour moi, les braconniers sont généralement des malheureux qui se disposent par cet exercice au crime. C'est ce qui a été suffisamment constaté dans la mémorable discussion qui a eu lieu en France à l'occasion de la loi récente sur la même matière.
Et pensez-vous, messieurs, que les chambres françaises soient disposées à revenir au moyen âge, à rétablir le régime des privilèges ? Quant à moi, je n'en crois rien ; je crois que les chambres françaises sont très éclairées, qu'elles sont composées d'honorables citoyens qui représentent parfaitement la grande nation française ; je ne crois pas du tout que dans les chambres françaises, il y ait personne qui cherche à rétablir les anciens privilèges. Eh bien, messieurs, la loi française est plus forte pour la répression du braconnage, elle est trois fois plus forte que la loi qui vous est soumise par le gouvernement, et à laquelle il vous sera du reste présenté quelques amendements qui la rendront, j'espère, acceptable pour beaucoup de membres. Ces amendements feront cesser quelques appréhensions que je ne regarde pas comme absolument fondées, mais qui enfin sont légitimées, sur les vexations auxquelles l'exécution de la loi pourrait donner lieu.
Je dis donc, messieurs, que la loi dont vous êtes saisis n'a pas cette espèce de caractère draconien qu'a voulu lui donner l'honorable préopinant. Il s'agit uniquement d'empêcher la destruction complète du gibier, chose désirable dans l'intérêt du pays, et de protéger la propriété, non pas seulement la propriété de ceux qui possèdent beaucoup, mais la propriété de tous ; car, messieurs, remarquez-le bien, les petits propriétaires comme les grands trouveront les mêmes avantages dans la loi. En effet, celui qui ne chassera pas sur sa propriété pourra louer sa chasse à un prix convenable ; et je pourrais citer des établissements particuliers, des hospices, des communes, dont les revenus augmenteront considérablement si la chasse n'est plus livrée au pillage comme elle l'est aujourd'hui.
L'honorable M. Castiau a cru découvrir encore une prédilection que le gouvernement et les partisans de la loi auraient pour les riches au détriment des pauvres, en ce que les riches pourraient payer l'amende de 50 fr. comminée par la loi, tandis que les pauvres seraient condamnés à la prison ; mais, messieurs, si vous voulez qu'une loi quelconque ait une sanction, il est inévitable qu'il en soit ainsi. Voyez toutes les lois de police, toutes les lois de répression, quelles qu'elles soient, vous y trouverez toujours de semblables dispositions : si celui qui a commis le délit ou la contravention ne peut pas payer l'amende, il est puni corporellement ; sans cela toute répression serait impossible.
J'ai remarqué une contradiction dans le discours de l'honorable préopinant. Il craint la trop grande quantité de gibier, il craint que le gibier, trop abondant, ne dévaste les campagnes, et d’un autre côté, il craint le renchérissement du gibier qui va exciter le braconnier à se livrer avec plus d’ardeur encore à son ancien métier ; mais il est évident que s'il y a une grande quantité de gibier, le gibier se vendra à plus bas prix, le gibier coûtera moins, il est impossible qu’il en soit autrement. S'il y a réellement tant de gibier que vous craigniez que les campagnes en soient dévastées, il ne peut y avoir renchérissement du prix, et par conséquent la provocation au délit ne peut exister. Ces deux choses me paraissent contradictoires.
La loi française, a dit l'honorable M. Castiau, n'est pas exécutée ; l'honorable membre est dans une erreur complète, je crois que le braconnage a entièrement cessé en France.
Si l'on pouvait s'enquérir de la réalité de ce fait auprès des autorités françaises, je suis sûr qu'elles le confirmeraient ;du moins les journaux français nous ont appris à plusieurs reprises, que toute espèce de contravention à la loi est efficacement réprimée.
Je crois, messieurs, qu'il est inutile de présenter d'autres considérations générales sur la loi. M. le ministre de l'intérieur qui avait demandé la parole en même temps que moi, va vous indiquer les modifications qu'il propose d'introduire dans le projet de loi.
Si ces modifications étaient de nature à satisfaire l'honorable M. Castiau, je m'en féliciterais beaucoup.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je ne prévoyais pas, lorsque la chambre a mis à l'ordre du jour le projet de loi sur la chasse, que des accusations aussi graves d'antilibéralisme seraient dirigées contre le cabinet...
M. Castiau. - Pardon, ces accusations s'adressaient à celui qui a présenté le projet de loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je suis, pour la défense du projet de loi sur la chasse, dans une position tout à la fois singulièrement avantageuse et défavorable. D'abord, je ne suis pas chasseur, c'est pour la défense de la loi un avantage ; je n'y mettrai ni passion pour le gibier, ni haine trop vive contre le braconnier, ni intérêt personnel, ni intérêt de parti. Voilà l’avantage de ma position. L'inconvénient, c'est qu'étranger aux plaisirs de la chasse, je n'ai pas, pour examiner les détails du projet de loi, cette foule de connaissances spéciales qu'on acquiert seulement le fusil sur le dos, et lorsqu'on est soi-même chasseur et peut-être même quelque peu braconnier. Il résulte de cette position que j'examinerai le projet de loi avec une parfaite impartialité, sine ira et studio, s'il est permis de citer Tacite à l'occasion de lièvres et de perdrix.
Déjà mon honorable collègue M. d'Huart a relevé une observation que l'honorable M. Castiau a présentée. Il a fait comprendre à la chambre que le projet de loi n'est pas entaché de ce vice d'origine que l'honorable député de Tournay a signalé avec tant d'éloquence et de chaleur.
(page 456) L'honorable membre a considère la présentation du projet de loi comme le testament politique de mon prédécesseur, comme le dernier anneau de cette chaîne, à l'aide de laquelle le pays devait être enveloppé dans un réseau de privilèges et de monopoles.
Messieurs, permettez-moi, non pas de prendre ici la défense de mon prédécesseur, mais de rétablir les faits. La loi en discussion, loin d'être la conséquence d'un système de politique réactionnaire, a l'origine la plus humble et la moins aristocratique.
Des pétitions avaient été adressées a la chambre par un grand nombre de cultivateurs ; la chambre en ayant ordonné le renvoi au département de l'intérieur, mon prédécesseur se livra à l'étude de la question, et fit un appel aux lumières de toutes les députations permanentes et des gouverneurs. J'ai relu toutes les pièces, et j'ai remarqué que les cultivateurs se sont plaints les premiers des excès du braconnage, et que ce sont eux aussi qui ont suggéré l'idée des premières mesures propres à réprimer ce délit.
Le projet de loi n'a pas non plus été mis à l’ordre du jour avec ce prétendu empressement dont a parlé l'honorable préopinant. Il y avait du moins si peu d’empressement de ma part à faire discuter ce projet, que sa mise à l'ordre du jour m'a pris, je dois le dire, tout à fait à l'improviste, et que j'aurais désiré voir retarder cette discussion, pour me mettre mieux au courant de la matière. Mais la chambre n'ignore pas pourquoi le projet de loi sur la chasse a été mis à l'ordre du jour ; la chambre se rappelle la triste circonstance qui a forcé en quelque sorte le gouvernement de faire disparaître momentanément plusieurs projets de loi de l'ordre du jour, et de les faire remplacer par d'autres.
Ainsi, je prie l'honorable membre de croire que l'origine du projet de loi n'est pas aristocratique, qu'il ne tend à rétablir en Belgique ni le moyen âge, ni les privilèges ; que notre prétendu empressement n'a pas sa source dans la prédilection que nous éprouvions pour les principes réprouvés par l'honorable membre, mais qu'il est la conséquence naturelle de la marche que la chambre à imprimée à ses travaux ; et qu'enfin, pour ma part, j'aurais voulu voir retarder la discussion, pour pouvoir devenir, du moins en théorie, un peu plus chasseur que je ne le suis maintenant.
Mais, je me rallie en partie au projet de la section centrale. Je vais indiquer successivement les modifications que le gouvernement a l'intention de proposer aux diverses dispositions de la loi. Je pense que ces modifications sont de nature à faire disparaître les objections qui ont été faites contre les divers articles du projet de loi.
A l'article 1er, le gouvernement propose la suppression des paragraphes 2 et 5 du projet de la section centrale.
A l'article 2, nous proposons quelques changements de rédaction ; ainsi, aux mots : « sans son consentement, » on substituerait ceux-ci : « sans le consentement du propriétaire » ; nous proposons également de supprimer la partie de l’article en vertu de laquelle des amendes seraient payées aux communes.
M. Castiau. - Le premier de ces amendements est un amendement d'un académicien.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je ne fais pas de distinction entre les amendements, je les indique à la chambre, à mesure qu'ils se présentent devant moi, dans l'ordre des articles ; j'avoue, du reste, que dans cette discussion, je ne répudie pas ma qualité d'académicien, utile même pour la discussion de la théorie, théorie que j'ai basée cependant sur la lecture des nombreuses pièces qui ont été adressées au gouvernement.
J'en reviens, messieurs, à l'article 2. Le gouvernement propose de substituer le chiffre de 50 fr. à celui de 30 fr., proposé par la section centrale, comme indemnité en faveur du propriétaire ou du locataire de la chasse.
Pour ne pas encourir de nouveau le reproche de présenter des amendements d'académicien, je m'abstiens d'indiquer à la chambre les changements que nous proposons à l'article 3.
Le paragraphe 2 de l'article 4 est ainsi conçu :
« Sera puni de la même amende (de l'amende de 100 fr.) celui qui sera trouvé hors de son domicile, muni ou porteur desdits filets, lacets, bricoles et autres engins. »
Le gouvernement propose de remplacer cette disposition par celle-ci : « Sera puni de la même amende celui qui sera trouvé, hors voies et chemins, sur terrain d'autrui, et sans en avoir le droit... (le reste comme ci-dessus.)
Des membres. - Très bien !
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Le paragraphe 3 de l'article 5 est ainsi conçu :
« Le gibier sera saisi et mis immédiatement à la disposition de l'administration communale du lieu où la contravention aura été constatée. »
Le gouvernement propose ce changement-ci : au lieu de : « à la disposition de l'administration communale, » il demande qu'on mette : « à la disposition de l'hospice ou du bureau de bienfaisance, par le juge de paix du canton ou par le bourgmestre si la saisie a été faite dans une commune autre que le chef-lieu. »
Le paragraphe 3 du même article porte ce qui suit :
« La recherche du gibier ne pourra être faite que chez les marchands de comestibles et dans les auberges ou autres lieux ouverts au public. »
Le gouvernement a pensé, après mûre réflexion, que l'application de cet article pouvait entraîner de graves inconvénients. En conséquence, il en propose la suppression.
Un grand nombre de membres. - Très bien !
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Au paragraphe 4, nous proposons la suppression des mots : « Au profit de la commune où le délit aura été constaté. » Cette suppression est la conséquence d'un amendement introduit dans un autre article.
A l'article 6, le gouvernement demande qu'on ajoute la disposition qui faisait l'objet de l'article 4 du projet de loi primitif. Cette disposition est ainsi conçue :
« Les amendes seront portées au double dans les cas où l'un des délits prévus aux articles ci-dessus aura été commis après le coucher et avant le lever du soleil, ou bien par des employés de douane, gardes champêtres ou forestiers et gardes particuliers. »
Les articles 7, 8, 9 et 10, textuellement empruntés à la loi de 1790, nous ont aussi paru susceptibles d'améliorations, surtout susceptibles d'être mis plus en harmonie avec notre législation. En conséquence, mon collègue le ministre de la justice aura l'honneur de vous lire les amendements proposés par le gouvernement.
M. le ministre de la justice (M. d’Anethan). - Voici les amendements que le gouvernement propose pour remplacer les articles dont vient de parler M. le ministre de l'intérieur.
L'article 9 du projet de la section centrale portait :
« Art. 9. Les père et mère répondront des délits de leurs enfants mineurs, non mariés et domiciliés avec eux, en ce qui concerne les amendes, indemnités et frais, sans pouvoir néanmoins être contraints par corps. »
Le gouvernement propose de substituer la disposition suivante :
« Art. 9. Le père, la mère, le tuteur, les maîtres et commettants, sont civilement responsables des délits de chasse commis par leurs enfants mineurs non mariés, pupilles demeurant avec eux, domestiques ou préposés, sauf tout recours de droit.
« Cette responsabilité sera réglée conformément à l'article 1384 du Code civil, et ne s'appliquera qu'aux dommages-intérêts et frais, sans pouvoir, toutefois, donner lieu à la contrainte par corps. «
C'est le même principe, mais il y a une modification importante, l'article 9 de la section centrale étendait la responsabilité jusqu'aux amendes ; il en serait résulté que celui qui n'aurait pas commis le délit aurait pu être condamné à une peine et même à une peine d'emprisonnement.
L'article 10 portait :
« Art. 10. Si les délinquants sont déguisés ou masqués, ou s'ils n'ont aucun domicile connu dans le royaume, ils seront arrêtés sur-le-champ, et mis à la disposition du procureur du roi. »
Comme on ne peut mettre à la disposition du procureur du Roi que ceux qui peuvent encourir la peine de l'emprisonnement, nous proposons de remplacer l'art. 10 par la disposition suivante :
« Art. 10. Si les délinquants sont déguisés ou masqués, ou s'ils n'ont pas de domicile connu, ils seront conduits devant le bourgmestre ou le juge de paix, lequel s'assurera de leur individualité.
L'article 11 portait:
« Art. 11. Les employés assermentés des octrois municipaux pourront constater, à l'entrée des communes, les délits prévus par la présente loi. Leurs procès-verbaux feront foi jusqu'à preuve contraire.
L'article 11 du projet de la section centrale abrogeait les dispositions de la loi de 1790, on ne pouvait donc plus faire dresser de procès-verbal pour délit de chasse par les gardes champêtres, et dès lors il était nécessaire d'introduire une disposition à cet égard ; nous proposons, en conséquence, de rédiger comme suit l'article 11 :
« Art. 11. Les délits prévus par la présente loi seront prouvés, soit par procès-verbaux ou rapports, soit par témoins, à défaut de rapports et procès-verbaux, ou à leur appui. »
« Art. 12 (nouveau). Les procès-verbaux des bourgmestres et échevins, commissaires de police, officier, maréchal des logis ou brigadier de gendarmerie, gendarmes, gardes forestiers, gardes champêtres ou gardes assermentés des particuliers, feront foi jusqu'à preuve contraire. »
« Art. 13 (nouveau). Les procès-verbaux des employés des douanes et des octrois feront également foi, jusqu'à preuve contraire, lorsque, dans les limites de leurs attributions respectives, ces agents rechercheront et constateront les délits prévus par le paragraphe premier de l'article 5. »
« Art. 14 (nouveau). Dans les 24 heures du délit, les procès-verbaux seront, à peine de nullité, affirmés par les rédacteurs devant le juge de paix ou l'un de ses suppléants ou devant le bourgmestre ou échevin, soit de la commune de leur résidence, soit de celle où le délit aura été commis.
Ce sont les anciennes dispositions de la loi de 1790 avec quelques légères modifications.
A l'article 12, qui devient l'article 15, nous proposons de substituer aux mots « locataire de la chasse, » ceux-ci : « ayant droit » ; on peut être, en effet, non seulement locataire, mais même cessionnaire, du droit de chasse.
Les articles 13,14 et 15 deviennent les articles 17, 18 et 19.
M. le président. - Ces amendements seront imprimés et distribués.
M. Verhaegen. - Par suite des amendements qui viennent d'être proposés par le gouvernement, le projet est beaucoup amélioré, et j'ai lieu de croire que dans la discussion qui va s'ouvrir il ne sera question du droit de chasse que comme une dépendance du droit de propriété, et principalement au point de vue de la conservation des fruits de la terre. C'est en partant de cette base que nous examinerons les différents articles du projet.
On reproche tout d'abord au projet de créer un privilège : mais si je comprends bien le système du gouvernement, le petit propriétaire pourra chasser tout aussi bien que le grand propriétaire. Je crois qu'il est bien entendu que la trop fameuse circulaire de M. Nothomb, qui interdit le (page 457) droit de chasse à celui qui ne possédait pas 100 bonniers est à jamais mise de côté ; car s'il en était autrement, je ne donnerais dans aucun cas mon assentiment à la loi.
Je me hâte de le dire, la circulaire à laquelle je viens de faire allusion ne peut pas recevoir l'approbation de M. le ministre de l'intérieur, et dès lors, il lui sera facile de dissiper mes craintes. La chambre, d'ailleurs, ne paraît pas disposée à restreindre le droit de propriété en faisant une distinction entre les grands et les petits propriétaires.
Messieurs, je ne m'occuperai pas pour le moment des articles du projet, je ne dirai qu'un mot sur une disposition qui se trouvait dans le projet primitif du gouvernement et que la section centrale n'a pas reproduite ; c'est celle qui prononce une amende double contre les gardes champêtres, douaniers, gendarmes, gardes forestiers, etc., convaincus d'un délit de chasse. M. le ministre vient de reproduire cette disposition par un amendement, et je l'en félicite ; mais je voudrais faire un pas de plus, et me rapprocher ainsi de certaines idées émises par mon honorable ami M. Castiau, en prononçant aussi des peines contre les employés supérieurs forestiers, et même en leur défendant de chasser dans les bois et forêts dont la surveillance leur est confiée. Je n'aime, moi, aucune aristocratie, pas plus l'aristocratie administrative, que l'aristocratie financière, que l'aristocratie nobiliaire ; et je ne sais pas pourquoi on restreindrait la disposition prohibitive aux simples gardes, alors qu'il y a des raisons au moins tout aussi fortes pour l'étendre aux chefs-gardes, aux gardes-généraux et aux employés supérieurs ; je crois même qu'il faut défendre aux agents supérieurs de chasser dans les bois et forêts dont la surveillance leur est confiée, en tout temps, et en toute circonstance.
Voici, messieurs, la disposition qui devrait prendre place à la suite de l’article 6 du projet de la section centrale et que je propose comme amendement :
« Il est défendu en tout temps et en toute circonstance, aux gardes, chefs-gardes, gardes-généraux, inspecteurs et autres employés supérieurs, de chasser dans les bois et forêts dont la surveillance leur est confiée et dépendant du domaine de l'Etat ou des communes.
« L'infraction à cette défense sera punie d'une amende de 100 à 500 fr. sans préjudice aux mesures administratives, s'il y a lieu. »
Les motifs de cette disposition sont faciles à saisir : ceux qui sont chargés de surveiller les bois et forêts de l'Etat ou des communes doivent se borner à l'exercice de leurs fonctions et ce pour que, dégagés de tout intérêt personnel, ils puissent offrir au public des gages d'impartialité. Il ne faut pas que des agents supérieurs de l'administration puissent s'ériger en souverains maîtres et jouer le rôle de seigneurs-fonciers en prenant comme traqueurs et porteurs de carnassières les simples gardes dont l'intérêt du domaine public exige souvent la présence ailleurs. Il ne faut pas surtout que n'étant l'objet d'autre contrôle que de leur volonté, ils puissent s'arroger le droit de chasser en temps prohibé même en société d'amis non pourvus de port d'armes. C'est un très mauvais exemple que les braconniers ne manquent pas d'invoquer comme moyen de justification.
Messieurs, il est temps de mettre un terme à ces abus ; je viens de vous démontrer que le droit de surveillance est illusoire si vous laissez le droit de chasse aux agents forestiers. J'ajouterai qu'en le leur interdisant, vous ferez pour l'Etat ce qu'on a fait déjà pour les communes et bureaux de bienfaisance ; vous rendrez possible la location de la chasse dans les forêts nationales, car si des avis contraires à cette location ont été donnés au gouvernement, c'est que ceux qui étaient appelés à les donner étaient personnellement intéressés dans la question.
Il y a plus, messieurs, et voyez jusqu'où peut aller la passion pour la chasse. Il y avait dans certaines forêts des droits d'usage très anciens consistant à faire paître les bestiaux et à couper l'herbe, en prenant, toutefois, certaines précautions dans l'intérêt de la foresterie et moyennant une rétribution au profit de l'Etat. Eh bien, ces anciens usages ont été abolis dans l'intérêt de ceux qui, voulant empêcher qu'on ne dérange les lièvres au moyen de la faucille ou autrement, ont eu pour but exclusif d'en propager la race, au grand détriment des petits cultivateurs qui, n'ayant d'autre ressource que les bois et forêts pour nourrir leurs bestiaux, ont dû les vendre à vil prix et sont exposés aujourd'hui à une ruine certaine. Si la chasse avait été interdite aux agents de l'administration, ces usages anciens auraient probablement été respectés. Les pauvres paysans y auraient gagné et le gouvernement aurait pu compter sur une ressource de 50 à 60,000 fr. qu'il ne touchera pas aujourd'hui.
- La séance est levée à quatre heures et demie.