(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 255) M. Huveners fait l'appel nominal à midi un quart. Entre l'appel et le réappel il est procédé au tirage au sort des sections de décembre.
M. Albéric Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.
M. Huveners présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Nicolas Henri-Romain Noël, né à Sissonne (France), demande la naturalisation. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Joestens, ancien employé des douanes et des accises, réclame l'intervention de la chambre pour rentrer dans la jouissance de sa pension de retraite, telle qu'elle a été fixée par décision du 17 mai 1833. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Libert demande l'exécution du jugement du tribunal de Mons qui a condamné le gouvernement à lui payer le prix de cinq chênes vendus pour la construction du chemin de fer de l'Etat. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le budget des travaux publics.
« Plusieurs négociants à Charleroy demandent la révision de la législation des faillites et des sursis.
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, le gouvernement a déposé, il y a un an et demi, je pense, un projet de loi ayant pour but de modifier plusieurs articles du code pénal militaire. Ce projet de loi a une grande importance, car il intéresse la moralité et l'honneur de l'armée. Il intéresse la moralité de l'armée, parce que son adoption empêchera qu'un grand nombre de soldats ne soient envoyés dans les prisons ; il intéresse aussi le trésor public parce qu'il diminuera nos dépenses. Les sections ont composé une section centrale. Cette section centrale s'est réunie à diverses reprises, et son travail est assez avancé ; elle a même nommé un rapporteur. Ce rapporteur est l'honorable M. Malou, qui depuis a été nommé ministre des finances. Je ne pense pas, messieurs, que l'honorable M. Malou, à cause de sa position nouvelle, puisse continuer à être chargé du rapport dont il s'agit. Je demanderai donc que la chambre décide qu'il y a lieu de compléter cette section centrale.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Messieurs, lorsque j'ai été nommé ministre des finances, j'avais déjà commencé le travail relatif à la loi dont l'honorable membre vient de parler. J'ai renvoyé alors toutes les pièces à mon collègue M. le ministre de la justice, et je dois me concerter avec lui pour terminer l'avant-projet que la section centrale m'avait chargé de rédiger. L'honorable M. Devaux voudra bien se rappeler que de toutes les discussions qui ont eu lieu dans la section centrale, il est résulté cette conséquence qu'il était nécessaire de préparer un travail complet avant que cette section pût poursuivre ses travaux. Je m'entendrai sous peu de jours avec mon collègue pour terminer ce travail préparatoire, et alors il pourra être remis au nom du gouvernement, à la section centrale, qui croira sans doute nécessaire de nommer un nouveau rapporteur, car il me serait, en effet, impossible de me charger du rapport.
M. de Garcia. - Je crois devoir appuyer les observations faites par M. le ministre des finances. Le projet dont il s'agit a été considéré par toutes les sections comme incomplet, comme n'atteignant pas son but. Je me félicite donc de la promesse que vient de nous faire M. le ministre, de s'entendre avec son collègue de la justice, pour présenter un projet, ou au moins des modifications au projet primitif, qui soient de nature à atteindre plus sûrement et d'une manière plus complète, le but qu'on se propose dans la révision du code pénal militaire.
M. de Man d’Attenrode. - Je ne conteste pas au gouvernement le droit de modifier ses propositions concernant le projet de loi en question. M. le ministre des finances, à cause de son ancienne position de membre de la section centrale, est à même d'y introduire des améliorations.
Mais je désirerais savoir, si ces modifications auront le caractère d'une proposition nouvelle, et seront, comme telles, déposées sur le bureau de cette chambre ; s'il en résultera un projet de loi nouveau ; ou bien si les dispositions que l'on se propose de modifier, seront tout simplement envoyées à la section centrale.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Elles seront remises à la section centrale.
M. de Man d’Attenrode. - Alors il me semble que rien ne s'oppose à ce que la chambre complète la section centrale, comme je l'ai proposé ; et je renouvelle en conséquence la motion que je viens de faire.
M. le ministre des finances (M. Malou). - J'ai cru donner suite aux intentions de la section centrale en me concertant avec mon collègue M. le ministre de la justice pour la rédaction de l'avant-projet qu'elle m'avait chargé de préparer. Lorsque ce projet sera terminé, il sera remis à la section centrale.
- La chambre décide successivement que la section centrale sera complétée et qu'elle le sera par le bureau.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, avant de donner à la chambre une analyse fidèle des opinions émises par les différentes universités auxquelles le gouvernement s'est adressé, j'ai pensé qu'il était utile, pour que la chambre connût les motifs sur lesquels se basaient les élèves, qui à plusieurs reprises se sont adressés à la législature, pour demander la prorogation de l'exécution de la loi, j'ai pensé, dis-je, qu'il était utile de résumer aussi en quelques mots et les demandes qu'ils avaient adressées et les motifs sur lesquels leur demande était basée.
Le 2 février 1837, les étudiants en droit de l'université de Liège, se fondant sur ce que l'ouverture des cours avait été retardée de plus de trois mois, par suite de la réorganisation des universités en l'année académique 1835-1856, ont demandé que les dispositions transitoires de l'article 68 de la loi du 27 septembre 1835 fussent prorogées pour six mois, l'intervalle d'une session à l'autre.
Les autorités des universités consultées donnèrent l'avis suivant : « Il convenait que le délai de deux ans accordé par l'article 68 du lu loi fût prorogé purement et simplement pour la session de Pâques 1838. »
Le 27 mars de la même année, les candidats en médecine de l'université libre de Bruxelles, ainsi que les candidats en droit de la même université firent la même demande en s'appuyant sur les mêmes motifs.
Le jury d'examen pour le doctorat en droit, consulté par le gouvernement, répondit par l'organe de son président, M. Raikem, et de son secrétaire M. Ernst :
« L'on ne peut dire avec raison, avec justice, que les deux années d'exécution seront complètes à la deuxième session de 1837, qui a lieu au mois d'août, et qu'il y a lieu par suite, un terme moyen étant impossible, de reconnaître que le bénéfice de l'article 68 pourra encore être utilement invoqué à la première session de 1838. »
Le 29 avril 1837, un projet de loi fut présenté aux chambres dans ce sens et sanctionne le 27 mai suivant. Toutefois le terme de six mois, proposé par le gouvernement, avait été étendu à une année entière, sur la proposition de M. Raikem, président de la chambre.
Deuxième prorogation.
Au mois de mai 1838 et au mois de novembre de la même année, des étudiants des universités de Bruxelles, de Gand et de Louvain, s'adressèrent aux chambres pour obtenir une seconde prolongation du régime transitoire.
Ils se fondaient cette fois, non plus sur un droit acquis, puisque tous les candidats dont le diplôme portait une date antérieure à septembre 1835 étaient alors faits docteurs. Mais ils invoquaient en leur faveur cette circonstance que, selon eux, les cours des universités étaient donnés, en grande partie, conformément au programme de 1816 ; ils ajoutaient que les matières exigées pour l'examen par la nouvelle loi sont trop nombreuses.
Le 7 décembre 1838, M. Zoude lit à la chambre un rapport dans lequel il conclut en faveur des pétitionnaires et proposa le renvoi des pétitions au ministre de l'intérieur.
Quelques jours après, M. de Theux, ministre de l'intérieur, fit à la chambre un rapport raisonné, dans lequel il démontra le peu de fondement de la réclamation des étudiants et conclut au rejet.
Ce rapport résume la question autant qu'elle peut l'être, en ce qui concerne le doctorat en droit.
Messieurs, ce rapport dans sa concise simplicité, présente la question d'une manière si claire et si lumineuse que j'eusse pu me borner à en donner lecture à la chambre pour étayer l'opinion que je vais avoir l'honneur d'exprimer.
L'honorable ministre de l'intérieur s'exprimait de la manière suivante, en examinant les questions soulevées par les élèves, c'est-à-dire celle entre autres de la trop grande multiplicité des cours :
« La réclamation des élèves en droit n'a donc réellement qu'un but : celui d'obtenir la faveur d'être dispensés de l'examen sur ces quatre branches.
« Serait-ce qu'elles sont inutiles aux légistes ?
« Serait-ce que les élèves n'ont pas été mis à même de suivre les cours qui les concernent ?
« L'utilité de ces cours est incontestable : non seulement vous les avez mis dans la loi, mais, de l'avis des personnes les plus compétentes sur la matière, j'ai dû les conserver dans le nouveau projet.
« Quant à la deuxième question, elle est résolue par l'inspection des programmes des deux universités de l'Etat.
« Pendant les deux dernières années académiques, tous les cours prescrits pour les examens ont été portés aux programmes, il a été pourvu aux chaires qui en font l'objet, et si quelques cours n'ont pas été donnés, c'est que les élèves, par des motifs dont ils se sont faits seuls les juges ne se sont point présentés pour les fréquenter.
(page 256) « Au surplus, le projet de loi que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre fait de toutes ces matières du doctorat, l'objet de deux examens, ce qui permettra aux élèves de mieux s'y préparer.
« La prolongation de dispositions transitoires donne lieu à des abus ; elle exerce une influence funeste sur l'enseignement : les élèves, dans le désir de profiter du délai qu'on leur accorde, se hâtent d'arriver à la fin de leurs études, et s'exposent ainsi à de fâcheux échecs.
« La dernière session du jury pour le doctorat en droit a montré combien certains étudiants ont nui à leurs études pour avoir voulu profiler des dispositions transitoires, dont l'effet a été étendu à une troisième année par la loi du 27 mai 1837.
« Il serait imprudent de perpétuer cet état de choses par une trop grande condescendance.
« D'ailleurs les élèves qui ont négligé de suivre les cours dont ils espéraient être dispensés par une nouvelle disposition législative, ont encore le temps nécessaire pour se préparer à l'examen qu'ils auront à subir sur ces matières.
« J'ai la confiance, messieurs, que, partageant mon opinion sur cette question, vous ne verrez dans cet incident qu'une raison de plus pour hâter l'examen et le vote du projet de loi que j'ai eu l'honneur de vous présenter.»
C'est ainsi, messieurs, que s'exprimait en session de 1838-1839 l'honorable M. de Theux, alors ministre de l'intérieur.
Troisième prorogation.
Le 18 janvier 1839, M. Henri de Brouckere développa une proposition tendant à proroger d'une année encore les dispositions transitoires de l'article 68, concernant tous les doctorats, indistinctement. Cette proposition fut accueillie par la chambre.
L'on s'appuyait surtout, cette fois, sur cette considération que, depuis le mois de décembre 1838, les chambres se trouvaient saisies d'un projet de révision de la loi de 1835 ; que ce projet partageait l'examen de docteur en droit en deux examens, ce qui devait le rendre plus facile pour les élèves : la proposition de M. de Brouckere fut adoptée et devint la loi du 29 mars 1839.
La quatrième prorogation passa sous l'influence des préoccupations politiques du moment, au milieu de la crise ministérielle, et fut prononcée par la loi du 27 mars 1840.
Il en fut à peu près de même les années suivantes à l'occasion de la cinquième prorogation par la loi du 6 mars 1841 ; de la sixième, par la loi du 27 février 1842 ; et de la septième, par la loi du 10 février 1843.
Ces quatre dernières prorogations passèrent, en outre, à la faveur d'une autre disposition provisoire que l'on renouvela d'année en année, et l'on comprit chaque fois dans une même loi le mode de nomination du jury et le renouvellement des dispositions transitoires de l'article 68.
Huitième prorogation.
Enfin en 1844, la section centrale introduisit dans son projet relatif au mode de nomination du jury, un article 2, prorogeant jusqu'à la fin de la 2ème session de 1844 les dispositions transitoires de l'article 68.
Pendant la discussion, M. Delfosse vint demander, au nom des étudiants, une prorogation de trois ans, c'est-à-dire jusqu'à la fin de la session de 1846 ; deux années de plus que n'en proposait la section centrale.
Cette proposition, combattue par M. le ministre de l'intérieur, fut amendée par son auteur, lequel consentit à ce que la prorogation se bornât à l'année 1845.
Il fut bien entendu que c'était la dernière fois.
Ainsi pour ces huit prorogations, d'abord un motif d'équité ; l'on reconnaît la première fois que les étudiants ont un droit acquis à une prorogation de trois mois ; on la propose de six, et la chambre, pour n'y plus revenir, adopte le terme d'une année.
La deuxième fois : l'on se fonde sur ce que les cours nouveaux ne sont pas encore organisés dans les universités. Nouvelle prorogation d'un an.
La troisième fois : l'on n'a plus de droit à faire valoir : on invoque la discussion prochaine d'un projet de révision de la loi de 1835.
Les quatrième, cinquième, sixième et septième fois : la prorogation a été décidée par la législature, en vue de l'impossibilité où l'on se trouve de consacre rie temps nécessaire à la discussion.
Enfin la huitième fois : la prorogation n'est pas plus motivée ; on l'adopte seulement parce que l'on est certain que pendant quatre années l'on n'aura plus à s'occuper des questions se rattachant à la loi de 1835.
En 1845, de nouvelles pétitions ont été adressées aux chambres par les étudiants.
Dès que le gouvernement en a eu connaissance, il a demandé l'avis des quatre universités du royaume.
Louvain, 27 novembre. - La faculté de droit est d'avis qu'il faut maintenir en principe comme matières de l'examen du doctorat en droit tous les cours exiges par la loi du 27 septembre 1835.
Reconnaissant toutefois qu'il est à peu près impossible d'obtenir les résultats que l'on désire, en exigeant, comme le prescrit la loi, que l'aspirant au grade de docteur réponde sur toutes les branches en un seul examen, la faculté demande que l'examen soit scindé en deux.
Bruxelles, 4 décembre. - La faculté de droit est d'avis que la loi du 27 septembre 1835 peut et doit être exécutée. Si cette exécution présente des difficultés que quelques-uns regardent comme insurmontables, c'est que les universités et le jury se sont écartés visiblement de l'esprit de la loi, tant pour l'organisation de l'enseignement que pour la manière de procéder aux examens.
La division réclamée dans l'examen de docteur pourrait être obtenue avec avantage sans qu'il soit besoin d'apporter à la loi aucun changement ; il suffirait pour cela que le gouvernement proscrivit aux jurys une marche plus rationnelle.
La loi dit que les examens se font par écrit et oralement (article 52).
Mais elle n'interdit point un partage des matières de l'examen l'épreuve écrite et l'épreuve orale.
Il est, en effet, dans tout examen, telle matière qui serait mieux traitée par écrit, telle autre verbalement. Or le temps ne manque souvent au jury que parce qu'il se croit obligé d'interroger sur toutes les branches à l'examen écrit et d'interroger sur toutes les mêmes branches à l'examen oral.
Liège, 8 décembre. - La faculté de droit pense que la loi du 27 septembre 1835 ne peut être exécutée tant que les matières rapportées au paragraphe 2 de l'articl 51 seront comprises dans un seul et même examen. Elle propose de créer deux examens de docteur et entre dans de grands développements sur le moyen d'exécuter cette division.
Université de Gand, 11 décembre. - La faculté de droit pense que la loi du 27 septembre 1835 n'est pas exécutable ; que les matières sont trop nombreuses pour que l'on puisse exiger des élèves des études sérieuses ; qu'il est impossible que le jury puisse interroger sérieusement sur toutes les matières, eu égard à la durée de l'examen. Elle appuie le maintien des dispositions transitoires.
Les facultés de philosophie et lettres ont aussi été consultées. Celles des universités de Louvain, de Liège et de Gand ont donné leur avis. En voici le résumé.
Louvain. - La faculté de philosophie donne l'avis suivant :
Si le gouvernement a l'intention de faire modifier plus tard la loi du 27 septembre 1835, en ce qui concerne l'examen de docteur en philosophie, il faudrait maintenir les dispositions transitoires ; si, au contraire, le gouvernement veut s'en tenir à la loi telle qu'elle est, la faculté ne désapprouve pas sa mise à exécution dès 1846.
Liège. - La faculté de philosophie a unanimement exprimé le vœu que le provisoire vienne enfin à cesser.
Gand. - La faculté de philosophie est d'avis que les difficultés signalées par la faculté de droit n'existent pas au même degré pour le doctorat en philosophie ; elle se prononce pour le maintien des dispositions transitoires, si l'intention du gouvernement est de proposer sous peu des modifications à la loi du haut enseignement.
En faisant parvenir au gouvernement l'avis des facultés, M. le recteur de l'université de Louvain accompagne cet envoi de l'avis suivant :
« Si, dans l'intérêt des éludes, vous vous décidiez contre le maintien de la disposition transitoire contenue dans la loi du 27 mai 1837, ne pourriez-vous pas, M. le ministre, adoucir un peu les dispositions de votre circulaire du 26 octobre- dernier, en adressant au jury une instruction par laquelle il serait engagé à traiter avec indulgence les récipiendaires dans l'examen sur les matières nouvelles pendant les deux sessions de 1846. Il me semble qu'on pourrait concilier ainsi et l'intérêt des études et l'intérêt des récipiendaires. »
Vous voyez que, dans l'expression de cette opinion, M. le recteur de l'université de Louvain reconnaît que l'intérêt des études exige le maintien des dispositions de la loi de 1835, et qu'il propose un moyen fort sage de concilier l'intérêt des élèves avec le respect dû à la loi et le respect dû à la loi dans l'intérêt même des hautes études.
En résumé, bien que l'avis de quelques facultés semble, au premier abord, favorable au maintien des dispositions transitoires, en les étudiant avec attention l'on est amené à reconnaître que celles qui regardent le maintien du provisoire comme nécessaire partent de cette idée que la loi elle-même de 1835 est provisoire, et que des modifications vont prochainement y être apportées. Ces facultés semblent aussi croire que les difficultés qu'elles signalent dans l'exécution de la loi sont insurmontables sans un changement à la loi. Enfin toutes paraissent d'accord pour reconnaître que si le jury avait assez de temps pour faire subir à chaque récipiendaire une épreuve sérieuse sur chacune des matières de l'examen, les inconvénients qu'on reproche à la multiplicité de ces matières disparaîtraient ou du moins seraient beaucoup diminués.
Remarquons encore que personne ne conteste l'utilité, la nécessité même, des matières prescrites par la loi de 1835, et que depuis dix ans on supprime en réalité ces matières de notre haut enseignement.
L'on trouve d'ailleurs dans les avis des facultés la démonstration, par les arguments les plus plausibles, de l'utilité des matières d'enseignement dent les étudiants demandent à être dispensés.
Qu’y a-t-il à faire dans cette occurrence ?
Exécuter la loi.
L'exécuter dans son esprit.
Partager, dans tous les examens, les matières entre l'épreuve orale et l'épreuve écrite.
Le gouvernement, en déclarant à la législature son intention de faire exécuter la loi, s'empresse de lui donner l'assurance qu'il prendra toutes les mesures nécessaires, d’une part, pour adoucir la transition aux élèves qui passeront leurs examens en 1846 ; d'autre part, pour que le jury d'examen distribue les matières entre l'épreuve orale et l'épreuve écrite de telle manière que l'examen soit également sérieux et efficace sur toutes les branches.
M. Dumortier. - Messieurs, il y a deux manières d'envisager l'intérêt des études ; il y a deux manières d'envisager les modifications demandées à la loi relative au jury d'examen et aux universités.
Les deux manières d'envisager la loi relative aux universités, les voici :
Suivant les rapports des universités de Louvain et de Bruxelles, dont (page 257) M. le ministre vient de nous donner l'analyse, la loi est exécutable, mais il faut créer deux examens au lieu d'un.
Suivant les élèves, la loi est inexécutable, et il faut réduire les matières d'examen. Ce sont là deux manières opposées d'envisager cette question.
Quant à ce qui est des études, il y a également deux manières d'envisager la question. Dans l'intérêt des professeurs, il s'agit de faire venir le plus d'élèves possible dans les cours. Dans l'intérêt de la science, il s'agit, non pas de former, à vingt-cinq ans, des têtes encyclopédiques, et par cela même superficielles, mais de fortes spécialités.
Quant à moi, messieurs, je partage l'opinion que la manière d'opérer, dans l'intérêt des éludes, ce n'est pas de former des têtes encyclopédiques à l'âge de 20 ou 25 ans, mais que c'est de former de fortes spécialités. Je partage, on outre, l'opinion qu'en matière d'instruction, il faut, non pas que les élèves soient faits pour les professeurs, mais les professeurs pour les élèves ; c'est-à-dire qu'il m'importe assez peu de savoir si les professeurs auront un peu plus ou un peu moins d'élèves, mais que je veux avant tout que les élèves qui s'adonnent aux études universitaires acquièrent en intensité ce que d'autres voudraient qu'ils eussent en étendue.
Sans doute, messieurs, l’intelligence humaine peut acquérir de nombreuses connaissances ; l'homme qui veut s'adonner au travail peut acquérir même une véritable force dans des parties bien différentes Mais, à mes yeux, c'est à une seule et unique condition : c'est qu'il étudie successivement les parties qu'il veut connaître, tandis qu'en étudiant cumulativement toutes ces parties, on n'arrive à rien autre chose qu'à un véritable chaos, qu'à l'absence d'une fixité et d'une véritable profondeur dans l'intelligence de celui qui s'y adonne.
En réalité, envisageons les faits qui se sont passés depuis le jury d'examen, et comparons-les avec les faits qui ont eu lieu sous le gouvernement précèdent ; nous serons frappés d'une différence très grande entre les deux situations. Sans doute, les jeunes gens qui, depuis la révolution, ont passé leurs examens, d'une manière brillante, devant le jury, ont dû faire preuve d'une grande intelligence pour obtenir un grade élevé. Cependant, il y a un fait qu'on ne peut pas méconnaître, c'est que depuis l'époque où les élèves sont tenus de répondre sur tant de matières différentes, nous n'avons plus vu des jeunes gens, quelque heureusement doués qu'ils fussent d'ailleurs, doter le pays de ces œuvres scientifiques et littéraires que nous avons vues si fréquemment être produites par les élèves des anciennes universités.
Il y a ici quelque chose de très frappant. Avant la révolution, les jeunes gens qui. fréquentaient les universités, arrivaient à la fin de leurs études, en publiant des travaux, et la plupart ont continué à produire des œuvres très remarquables ; tandis que, d'un autre côté, les jeunes gens, même les plus capables, les plus intelligents, qui ont dû s'astreindre au système d'étude suivi depuis dix ans en Belgique, n'ont encore rien fourni pour la gloire littéraire du pays : ce n'est pas leur faute, c'est la faute du système qu'on a adopté en Belgique.
Déjà, lorsqu'on a fait la loi de 1835, j'ai professé hautement cette manière de voir ; j'ai déclaré qu'on arriverait à un faux résultat, si on voulait forcer ainsi les jeunes intelligences. Je disais alors : « Comment ! vous prêchez en toutes choses la division du travail, et vous voulez l'accumulation des travaux de l'intelligence ! C'est contre toute espèce de principe. Vous voulez accumuler tous les travaux de l'intelligence dans une jeune tête de 22 ans, mais c'est véritablement marcher à l'absurde ! »
Les choses en sont arrivées à ce point que si aujourd'hui les élèves qui se trouvent devant la table du jury, pouvaient renverser les rôles, s'ils pouvaient prendre la place des interrogateurs, il n'y a aucun de ceux-ci qui pût passer un examen devant les élèves. Je défie tout professeur quelconque de l'université, s'il était interrogé, de répondre à toutes les questions que le programme actuel des examens embrasse. Un pareil état de choses est éminemment déplorable pour le progrès des études, et je dis que les réclamations des élèves des universités méritent d'être prises en haute considération par la chambre.
Je le répète, messieurs, il n'y a pas un homme de science qui puisse répondre sur toutes les matières d'examen, telles qu'elles sont fixées aujourd'hui. Ainsi, par exemple, pour arriver au doctorat en sciences mathématiques, l'élève est astreint à répondre, non seulement sur le calcul différentiel et intégral, mais encore sur la mécanique céleste. Chacun sait que lorsqu'on posait à Laplace, l'auteur de la mécanique céleste, une question de mécanique céleste, il devait recourir à son propre ouvrage, pour la résoudre. Et pourquoi ? C'est que l'intelligence humaine peut bien s'abstraire pendant un certain temps, pour arriver à certaines déductions de haute portée mais cette abstraction ne peut pas durer toujours. Et vous voulez que les élèves soient préparés à répondre sur toutes les questions possibles en pareille matière ! Avouons-le, c'est une amère dérision ; c'est pis, c'est un malheur véritable pour les fortes études, puisque l'élève, au lieu d'approfondir les parties essentielles de la science à laquelle il se destine, ne peut que connaître des faits isolés.
Il en est de même pour les sciences naturelles. Le cercle des questions sur lesquelles l'élève est appelé à répondre est tellement vaste que l'homme le plus savant du monde est incapable de satisfaire à de semblables exigences.
Et ce que je dis pour les matières que je connais, existe, j'en suis convaincu, dans les matières sur lesquelles les autres jurys d'examen interrogent. Ainsi, par exemple, pour le droit, on exige que l'élève réponde sur le droit coutumier.
Tous ceux qui se sont occupés de l'histoire du moyen Age savent les difficultés que s'attachent à l'étude du droit coutumier. Comment voulez-vous que des élèves répondent sur une matière aussi compliquée, lorsque quelques professeurs la possèdent à peine, et font l'aveu que le droit coutumier est un véritable dédale dans lequel on manque encore aujourd'hui du fil conducteur ?
Et c'est sur des objets aussi difficiles qu'on examine les élèves ! Rappelons-nous donc les faits qui nous sont connus à tous. Nous savons tous que des jeunes gens sont tombés dangereusement malades la veille de leur examen, tant ils avaient surexcité leur intelligence, pour satisfaire aux exigences du programme ! La loi n'est donc pas seulement contraire aux fortes études, elle est inhumaine.
Et qu'on ne vienne pas nous dire que, sous l'empire des dispositions transitoires dont les élèves demandent le maintien, les études, en général, se sont affaiblies en Belgique. Il n'en est rien, messieurs ; il ne me serait pas difficile d'administrer la preuve de celle assertion. Je pourrais nommer ici des étrangers qui ont passé leur doctorat, d'une manière distinguée, dans une faculté quelconque, soit en France, soit en Allemagne, et qui, en Belgique, ont eu toutes les peines du monde pour subir l'examen devant le jury. Plusieurs même ont reculé devant la difficulté, et surtout devant la diversité des questions. Tant il est vrai que le programme des matières, réduit aux limites de la loi du 27 mai 1837, est encore plus vaste que celui auquel on est assujetti dans toute autre université étrangère.
Messieurs, il y a deux moyens d'amener l'avancement des sciences, c'est de former des hommes universels, ou de créer des spécialités. Pour mon compte, je suis convaincu que le but que l'on doit se proposer dans les études, afin de les rendre fécondes et productives, c'est de former, avant tout, des spécialités, et de laisser ensuite à l'avenir le soin de faire des hommes universels, s'il y a des hommes qui veulent s'adonner plus tard à l'élude d'une foule de sciences. Mais il est impossible qu'arrivé à l'âge de 22 ou 23 ans, un jeune homme puisse répondre, d'une manière approfondie, à toutes les questions qu'on peut lui faire sur des matières aussi variées.
Messieurs, je viens de vous démontrer que l'intérêt des études n'est pas engagé dans la question. L'intérêt des études, au point de vue des professeurs, c'est d'amener un personnel nombreux à leur auditoire ; je conviens ; que cela leur est très favorable et surtout très agréable. Mais l'intérêt bien entendu des études, c'est qu'on enseigne dans le pays toutes les sciences possibles ; que, dans les universités, vous ayez une chaire pour chaque science, afin que chaque élève puisse suivre l'étude spéciale vers laquelle il se sent entraîné, et qu'on ne l'interroge pas sur des matières tout à fait inutiles, ou peu utiles.
Aujourd'hui, par exemple, pour devenir docteur dans telle faculté, vous devez être interrogé sur la statistique. Mais qu'est-ce que la statistique ? Est-ce une science bien fixée ? Savez-vous ce qu'est pour moi la statistique ? C'est l'art de grouper les chiffres de manière à démontrer ce qu'on se propose. Voilà ce qu'est la statistique et rien autre chose. Et comment voulez-vous interroger les élèves sur cette prétendue science ?
Messieurs, avec le système adopté, on doit renoncer à former des hommes d'une science profonde. Quoi que vous fassiez, vous devez arriver, en matière des études universitaires, à l'un de ces deux résultats, ou gagner en intensité ce que vous perdez en étendue, ou gagner en étendue ce que vous perdez en intensité. Tous les hommes qui ont réussi dans l'étude de différentes sciences, ne se sont jamais occupés simultanément de ces sciences, mais ils s'y sont adonnés successivement ; ce n'est qu'à ce prix qu'il est possible d'acquérir des connaissances variées et approfondies à la fois.
M. le ministre de l'intérieur vient de dire que, lorsque la chambre a adopté la proposition de l'honorable M. Delfosse au mois de mars 1844, il a été entendu que la prorogation des dispositions transitoires aurait lieu pour la dernière fois ; M. le ministre a ajouté qu'il y a eu, à cet égard, unanimité dans la chambre.
Je proteste contre la pensée qu'on prête à la législature. L'opinion de l'honorable député de Liège est son opinion particulière ; mais jamais il n'y a eu unanimité sur cette question ; jamais il n'a été décidé que le renouvellement des dispositions transitoires aurait lieu pour la dernière fois. Au contraire, beaucoup de membres de cette chambre se sont convaincus de plus en plus qu'il fallait rendre ces dispositions définitives ; ils sont même arrivés à cette conséquence, que ces dispositions sont encore trop dures pour les élèves ; qu'il valait beaucoup mieux examiner ceux-ci d'une manière plus approfondie, sur un nombre moindres de matière, en rapport avec la profession à laquelle ils se destinent, que de les examiner fort légèrement sur un programme plus vaste et plus étendu.
Messieurs, selon moi, il est indispensable de réviser le programme des divers examens. Nous avons été beaucoup trop loin en 1835. Mieux instruits par l'exemple, nous devons aujourd'hui à la jeunesse de revenir sur cette partie de la loi du 27 septembre 1835. Que la chambre soit bien convaincue de ceci : on ne sortira jamais de la difficulté que par une bonne révision des matières.
J'appuie donc de toutes mes forces la pétition des élèves des universités ; et s'il n'y est pas fait droit, quelques-uns de mes honorables collègues et moi, nous sommes décidés à proposer une modification à la loi du 27 septembre 1835, en ce qui concerne les matières de divers examens.
M. Zoude. - Pour ajouter quelque développement au rapport que j'ai eu l'honneur de faire, je dirai que les études ont fait jusqu'ici, en Belgique, des hommes réputés par la profondeur de leurs connaissances dans les sciences comme dans les arts.
Nous en avons des preuves nombreuses en médecine comme en jurisprudence.
(page 258) Le barreau est doté d'avocats célèbres, la magistrature est réputée par les lumières de ceux qui la composent comme par l'équité de leur jugement.
Cependant, ces hommes si distingués n'ont pris été soumis à ces divers cours que l'on veut rendre obligatoires.
Souvenons-nous que le mieux est souvent l'ennemi du bien.
Je répéterai ce que j'ai déjà eu occasion de dire, et ce qui est, pour moi, d'un puissant argument, c'est qu'en 1838, lors du premier rapport que j'ai eu l'honneur de présenter à la chambre sur la matière, deux hommes éminents, qui étaient alors nos collègues et qui tous deux avaient été examinateurs, ces estimables et savants collègues nous disaient sans hésitation que, s'ils étaient eux-mêmes sur les bancs pour être interrogés sur toutes ces matières, ils éprouveraient beaucoup d'embarras pour répondre. Depuis, on nous a dit, et l'honorable M. Dumortier vient de nous en donner la preuve, c'est qu'il n'est pas un examinateur dont les connaissances soient assez variées pour pouvoir interroger sur toutes ces matières.
Le gouvernement lui-même disait, en 1838, que l'expérience avait appris qu'il était utile d'apporter des modifications à la loi de 1835, afin d'assurer mieux le succès des hautes études qui contribuent essentiellement à l'honneur comme à la prospérité du pays ; il importe, disait-il, d'arrêter le découragement de jeunes gens qui les porte à entrer dans d'autres carrières.
L'université de Liège disait, en 1837, que l'on était d'accord que les matières prescrites par la nouvelle loi étaient trop nombreuses.
Le jury d'examen de Gand disait aussi, alors, qu'il était urgent de réduire les matières d'examen, que rien n'était plus funeste que de transformer en encyclopédie vivante de jeunes étudiants, que c'était leur inspirer des prétendons déplacées, en ne leur donnant qu'un savoir superficiel et purement verbal.
La multiplicité de matières, disait encore un autre jury d'examen, constitue un inconvénient qu'il faut faire disparaître dans l'intérêt des bonnes éludes, dans l'intérêt surtout des étudiants qu'on force à s'occuper simultanément de trop de choses à la fois.
Enfin, messieurs, si la question est d'une solution assez difficile, ce dont il me semble qu'on doit convenir, accordons un délai pour qu'on puisse l'examiner plus à fond et rassurer au moins les élèves contre la crainte qui les domine, et qui est trop générale pour ne pas avoir de fondement.
J'insiste pour qu'accueil soit fait à la demande des élèves des universités.
M. Delehaye. - Messieurs, sans partager toutes les opinions émises par l'honorable M. Dumortier, je suis aussi de l'avis de ceux qui pensent que les examens qu'on fait subir aux élèves sont déjà hérissés d'assez de difficultés pour ne pas les augmenter encore.
Toutefois, en présence des conclusions de la commission, je pense que cet objet n'est pas encore à l'ordre du jour ; la commission a proposé le renvoi à M. le ministre de l'intérieur pour provoquer des modifications à la loi qui nous régit. Son rapport ne laisse pas le moindre doute, il vous a dit ce qu'il serait. D'après le rapport de la commission, la demande des pétitionnaires serait fondée et il y aurait lieu de modifier la loi.
M. le ministre de l'intérieur vient de dire que, dans son opinion, il n'est pas nécessaire de modifier la loi, qu'il suffit d'engager les jurys à user d'indulgence. Au moyen de cette explication, je pense que l'ordre du jour est épuisé et que le discours de l'honorable M. Dumortier viendra à propos quand il fera une proposition positive à la chambre. L'honorable M. Dumortier nous a dit, il y a un instant, qu'il prierait quelques-uns de ses amis de se joindre à lui pour faire une proposition. Quand il la fera, je déclare que je me joindrai à lui avec empressement. Mais quant à présent, nous n'avons plus à délibérer, tout est terminé.
La commission a demandé le renvoi au ministre de l'intérieur. M. le ministre est allé au-devant de ce renvoi ; il vous a fait connaître son opinion et ce qu'il se proposait de faire. Si vous n'êtes pas satisfaits des mesures que le gouvernement veut prendre, c'est à vous de faire usage de votre droit d'initiative. En attendant, je demande qu'on s'en tienne aux explications du gouvernement, et afin qu'on puisse s'éclairer sur ce qu'on pourra juger devoir faire plus tard, je demanderai l'impression du rapport fait sur cet objet.
Un membre. - Ce sera imprimé au Moniteur.
M. Delehaye. - Chacun pourra examiner les pièces, étudier la question, et par là nous serons mieux à même de faire une proposition ; quand elle sera faite, je l'appuierai.
M. de Theux. - J'avais demandé la parole pour m'exprimer en peu de mots sur le fond de la question. Mais d'après les observations de l'honorable M. Delehaye, je crois inutile de prolonger la discussion. Je suis disposé à voter le renvoi pur et simple à M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je demande l'ordre du jour.
M. de Theux. - Le renvoi sans conclusion n'implique aucune conséquence.
M. le président. - Je ferai observer qu'on a prononcé le renvoi des pétitions avec demande d'explications et fixé la discussion du rapport à la séance de ce jour.
M. de Theux. - On me dit qu'il faut savoir si la chambre accepte les explications données par M. le ministre de l'intérieur. Evidemment la chambre les accepte tant qu'elle ne prend pas l’initiative de présenter un projet de loi.
Je dirai cependant quelques mots sur la question. Il est évident, comme je l'ai dit en 1838, que c'est une situation fâcheuse que celle dans laquelle on doit d'année en année proroger des dispositions transitoires, parce que les élèves, craignant qu'elles ne soient pas maintenues, se hâtent de terminer leurs éludes. Il est donc essentiel qu'une mesure définitive intervienne.
Je considérerais comme une décision l'attention de la chambre ; si elle ne prend pas l'initiative d'un projet de loi, c'est qu'elle se rallie à l'opinion émise par M. le ministre de l'intérieur. Si quelque membre, au contraire, fait une proposition, je demanderai la mise à l'ordre du jour le plus tôt possible, afin qu'il y ait une décision prompte, que la chambre accepte ou rejette le projet, parce que cet état transitoire est intolérable,.
En 1838, j'avais été pénétré de la difficulté pour les élèves de passer les examens du doctorat tels qu'ils sont prescrits par la loi, vu l'expérience qui a été faite ; c'est pour ce motif que j'avais proposé une meilleure division des matières et un examen de plus. En 1835, le projet de loi avait introduit deux examens pour le doctorat en droit ; mais dans la discussion on les a réduits à un seul.
On avait pensé, et l'on avait exprimé ce vœu dans la discussion, que le jury ferait une distinction entre les matières essentielles, celles que tous les jurisconsultes doivent connaître, c'est-à-dire ceux qui veulent suivre le barreau ou entrer dans la carrière de la magistrature, et les matières accessoires qui sont moins directement du ressort de la jurisprudence, ou celles qu'on peut plus facilement apprendre quand on a terminé ses études ; qu'une réponse complète sur ces matières qui ne sont pas du ressort de la jurisprudence ou d'une application immédiate, serait moins nécessaire, et que son défaut ne serait pas suffisant pour amener le rejet du récipiendaire ; seulement elle entrerait en considération pour les mentions plus ou moins honorables dans l'examen. Si les choses s'étaient passées ainsi, il eût été possible de maintenir la loi de 1835 telle qu'elle a été faite.
Aujourd'hui, il resterait peut-être encore un moyen, ce serait si M. le ministre de l'intérieur pouvait faire pour les autres matières d'examen ce qui a été fait quant aux pandectes et au droit civil approfondi. Il a été reconnu qu'il est impossible de donner un enseignement complet des pandectes et du droit civil approfondi dans les deux années pendant lesquelles les élèves se livrent à ces éludes.
Alors le jury s'est entendu et l'on a déterminé annuellement quelles seraient les parties des pandectes et du droit civil approfondi sur lesquelles l'examen porterait. Les universités se sont mises d'accord pour enseigner les mêmes parties des pandectes et du droit civil approfondi. Cette partie de la difficulté de l'examen a disparu ; dans les premières années, elle paraissait insurmontable. J'ai moi-même indiqué le moyen adopté par le jury d'examen. Il s'agirait de donner un complément à cette mesure. Si la loi de 1835 n'est pas modifiée, il pourrait se faire que le jury prît des mesures analogues sur les autres matières sur lesquelles l'examen doit porter, qu'il fît un programme d'examen, les professeurs feraient un programme d'enseignement ; et les élèves ne pourraient pas être surpris par des interrogations sur les parties qu'ils n'auraient pas été à même d'étudier.
Je me bornerai à ces observations que je fais pour le cas où la chambre ne prendrait pas l'initiative de modifier la loi de 1835, quant aux matières d'examen. Si donc la loi est maintenue, M. le ministre pourra se concerter avec les jurys d'examen pour introduire en quelque sorte un programme d'examen.
J'ai cependant encore une observation à rencontrer. M. le ministre a dit qu'on pourrait engager les jurys d'examen à diviser les matières entre l'examen écrit et l'examen oral. Cette division n'est pas possible d'une manière absolue. L'examen oral est surtout institué pour compléter l'examen écrit, en ce sens que si un élève a mal répondu dans l'examen écrit on puisse avoir égard aux réponses faites dans l'examen oral, et s'assurer si le manque d'une réponse adéquate provient du défaut d'instruction ou de toute autre cause. De même quand le récipiendaire a répondu dans l'examen écrit, il importe de savoir s'il ne répond pas de mémoire, s'il a une connaissance réelle des matières et s'il ne répond pas comme un enfant qui a appris sa leçon.
Je ne pense pas qu'on puisse interroger les élèves sur certaines matières oralement et sur certaines autres par écrit ; les mêmes matières doivent être comprises dans les deux examens, pour que le jury puisse se faire une opinion de l'étendue de l'instruction de l'élève.
M. de Brouckere. - Je pense, comme l'a dit l’honorable M. Delehaye, que l'ordre du jour est épuise. On a demandé le renvoi des pétitions des élèves des universités à M. le ministre de l'intérieur, afin d'obtenir des explications. M. le ministre vient de donner des explications catégoriques ; il les a fait suivre d'une conclusion formelle ; il vous a exprimé son opinion qu'il n'y a pas lieu dans la circonstance actuelle de modifier la loi de 1835. Tous les discours qui seraient prononcés maintenant n'auraient aucun résultat, ils ne pourraient ni changer ni modifier l'opinion du ministre pour le moment actuel.
Si des membres ont l'intention d'user de leur droit d'initiative, de présenter un projet de loi, nous devons attendre qu'il soit présenté ; quand il le sera, on reconnaîtra qu'il est urgent de le discuter dans le plus bref délai possible. Mais prolonger la discussion maintenant, c'est la prolonger en pure perte, parce qu'il est impossible qu'elle aboutisse à une résolution quelle qu'elle soit. La seule résolution qu'on puisse prendre, c'est le dépôt au bureau des renseignements, en attendant qu'une proposition soit faite, si on juge à propos d'en faire une. Un nouveau renvoi serait inutile, il ne pourrait aboutir à rien.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, la chambre a renvoyé les pétitions au ministre du l'intérieur et lui a demandé des explications. Ces explications devaient-elles être suivies d'une conclusion, oui ou non ? Pouvait-on se borner purement et simplement à exposer les raisons qui déterminaient le gouvernement à demander l'exécution de la loi, puis ensuite après l'énoncé de cette opinion, à déposer purement et simplement les pétitions au bureau des renseignements et à ne point conclure ?
Messieurs, vous êtes ici en présence de l'opinion émise par les hommes pratiques, par les professeurs des quatre universités.
Ces universités ont reconnu que si les matières que l'on enseigne offrent, par leur multiplicité, quelque obstacle aux élèves, il y avait cependant, dans la pratique, un moyen simple et facile d'arriver à une conclusion qui, d'une part, adoucirait la transition pour les élèves et qui, d'autre part, maintiendrait l'exécution de la loi. C'est à l'opinion de ces hommes pratiques que le gouvernement s'est rallié. En conséquence, messieurs, je ne pense point que le gouvernement puisse laisser ni les universités, ni les élèves dans l'incertitude où les laisserait le simple dépôt au bureau des renseignements. Il faut que le gouvernement sache si la conviction qu'il s'est faite, conviction fondée sur l'examen approfondi des opinions des professeurs, sera partagée par la chambre, c'est-à-dire, en d'autres termes, si la loi de 1835 sera exécutée ou bien si vous déciderez hic et nunc qu'une loi nouvelle vous sera présentée et que l'enseignement supérieur sera de nouveau soumis à vos délibérations.
A cette occasion, l'honorable député de Tournay, entrant dans des considérations scientifiques de l'ordre le plus élevé, a demandé si l'intention du gouvernement, ou l'intention du pays, ou l'intention des parents était de former des têtes encyclopédiques ou si, au contraire, il ne fallait pas diriger les éludes vers les spécialités. Mais, messieurs, c'est précisément une spécialité que nous examinons, c'est la question de l'étude du droit ; et nous demandons si le droit administratif, l'histoire du droit coutumier, le droit commercial font partie de l'étude du droit en général. N'est-ce pas là une question toute spéciale ? Qu'est-ce donc que l'honorable préopinant entend par des spécialités ? Entend-il qu'on soit docteur en procédure civile ou docteur en droit commercial purement et simplement ? Oh ! c'est alors que les études seraient tout à fait incomplètes ; c'est alors que vous verriez les fâcheux résultats dont on se plaint dans d'autres pays. Si c'est ainsi que vous entendez les spécialités, vous morcelez véritablement l’enseignement ; vous amoindrissez, vous rétrécissez l'esprit des élèves.
De quoi s'agit-il, messieurs, dans le haut enseignement ? Il ne s'agit pas de pénétrer dans les détails de la science ; ce sont les sommités qu'il faut enseigner, ce sont les principes fondamentaux de la science qu'il importe de présenter à l'esprit des élèves.
A cette occasion, l’honorable préopinant s'est trouvé encore dans une étrange contradiction avec lui-même : d'une part il fait l'éloge le plus brillant des anciennes universités, et d'autre part, comparant le résultat des études anciennes avec les études actuelles, il reconnaît que les études actuelles sont bien supérieures aux études anciennes. Messieurs, nous sommes à peu près tous docteurs des anciennes universités ; soyons justes, et reconnaissons que les examens qui se faisaient alors, que les doctorats qui s'accordaient, que les thèses qui se défendaient, ne témoignaient nullement d'un enseignement sérieux et solide ; à nos propres yeux mêmes on jouait une véritable comédie. Comparez cet état de choses, messieurs, aux études qui se font depuis la conquête de noire indépendance, depuis que nous avons senti le besoin d'imprimer aux études une haute direction ; comparez ce que font les jeunes gens aujourd'hui avec ce que nous avons fait nous-mêmes pour devenir docteurs, et reconnaissez, quoiqu'il doive en coûter quelque chose à notre amour-propre, que les jeunes gens sortis de nos universités sont bien supérieurs à ce que nous étions alors. L'honorable préopinant l'a reconnu en quelque sorte lui-même, puisqu'en examinant le programme des cours auxquels sont soumis les élèves belges, il a avoué que ceux qui avaient subi des examens à l'étranger et y avaient reçu le doctorat, eussent été fort embarrassés de se soumettre aux épreuves que l'on exige en Belgique. Que résulte-t-il de cet aveu, si ce n'est que les études ont fait plus de progrès dans notre pays qu'à l'étranger ? Je voudrais que la Belgique conservât cette supériorité, et que nos universités occupassent le rang le plus élevé parmi les institutions de ce genre en Europe. Je voudrais qu'aucun étranger ne fût a même de dire : J’obtiens un diplôme ici avec plus de facilité qu'en tout autre pays. Multipliez au contraire les difficultés, messieurs ; on ne fait bien que ce qui est difficile. Je l'ai déjà dit. Pardonnez-moi de le répéter. Habituez la jeunesse à de hautes et sévères études, habituez-la à voir dans un diplôme non pas le côté utile, le côté mercantile, le métier, si je puis le dire ainsi ; mais le côté noble, pur, scientifique ; et vous formerez ainsi des hommes propres à tout et de grands citoyens.
Or, c'est précisément, messieurs, sous un gouvernement représentatif, dans un pays où les citoyens sont appelés à appliquer leur intelligence à toutes les questions, que vous devez multiplier les études au lieu d'en rétrécir le cercle.
Quoi ! Nous jouissons d'institutions qui nous appellent à délibérer sur les questions les plus élevées : nous pouvons être appelés à nous occuper de tout ce qui intéresse la société humaine ; et vous voudriez rabaisser les éludes, et rétrécir au lieu d'en étendre la sphère ! Messieurs, le premier intérêt de la société est de posséder dans son sein des hommes qui, ayant fait de fortes études, étendent les connaissances qu'ils ont acquises à tous les grands intérêts, et ne se renferment point dans d'étroites vues de professions.
L'honorable membre vous dit qu'il y a peu de professeurs qui, changeant de place, ne fussent fort embarrassés de répondre aux questions qu'ils posent eux-mêmes aux élevés. Messieurs, c'est là un argument que font valoir tous les jeunes gens. C'est une petite satisfaction d’amour-propre qu'ils se donnent à eux-mêmes. Il est bien reconnu partout, non seulement dans les universités, mais même dans cette enceinte, qu'il est plus facile de questionner que de répondre. Je pense que l'honorable membre sera lui-même convaincu de cette vérité. Pour moi, je sens tous les jours combien est plus aisé le rôle des honorables membres de cette assemblée qui interpellent un ministre, que celui du ministre qui doit leur répondre.
Mais, messieurs, si les élèves se donnent cette petite satisfaction d'amour-propre, nous devons cependant reconnaître que les universités du royaume sont composées d'hommes qui connaissent leur mission et qui, dans les examens, ne dirigent pas l'esprit sur les détails et les subtilités de la science pour se donner le plaisir d'embarrasser l'élève, mais qu'ils le portent d'ordinaire sur les principes généraux de la science. Si, messieurs, dans la pratique on s'écartait de ces règles indispensables à tout bon examen, je pense que le gouvernement pourrait et devrait, dans ses rapports avec les jurys d'examen, rappeler à leur souvenir quels sont les principes qui doivent présider à l'accomplissement de leur devoir.
L'honorable membre, passant des généralités aux détails, vous a dit aussi qu'il était incroyable que l'on exigeât d'un élève l'étude du droit coutumier, de ce droit né au moyen âge, et inapplicable à l'étal actuel de notre société.
D'abord, messieurs, notre droit coutumier ne date pas de si loin ; et ce n'est pas jusqu'au moyen âge qu'on nous oblige de remonter. J'ajouterai que lorsque j'avais l'honneur d'appartenir au barreau, mon expérience personnelle m'a démontré qu'il était peu de questions, surtout dans certaines provinces et dans les provinces les plus riches, pour la solution desquelles l'élude profonde de noire droit coutumier ne fût nécessaire. J'en appelle à tous les jurisconsultes de cette assemblée.
Messieurs, je crois, malgré tous les développements dans lesquels je viens d'entrer pour répondre à l'honorable préopinant, que nous discutons une question dont la chambre n'est pas saisie.
J'ai eu l'honneur de dire à la chambre qu'elle n'avait à décider qu'une question fort simple ; la voici : la loi de 1835 sera-t-elle révisée, ou bien sera-t-elle exécutée ?
Les quatre universités du pays ayant été consultées sur l'exécution de la loi, ont suggéré au gouvernement un moyen pratique de maintenir l'exécution de la loi, tout en adoucissant et en facilitant son exécution.
Le gouvernement a reconnu la possibilité de parvenir à ce résultat. En conséquence il n'a pas considéré la révision de la loi de 1835 comme nécessaire et je demande que tout en déposant les pétitions des élèves des universités au bureau des renseignements, on n'en décide pas moins que la loi de 1835 sera exécutée, mais exécutée avec ces adoucissements pratiques, ces moyens de transition suggérés par les hommes qui, en appréciant les difficultés, ont en même temps présenté les mesures propres à les surmonter.
M. le président. - La parole est à M. de Garcia.
M. de Garcia. - D'après ce que vient de dire M. le ministre, je considère la discussion comme épuisée. Je me réserve, si l'on présente un projet, de présenter mes observations.
M. Fleussu. - Messieurs, je ferai observer que nous sommes en présence de deux conclusions...
Un membre. - M. le ministre s'est rallié à la proposition du dépôt au bureau des renseignements.
M. Fleussu. - Je ne sais si M. le ministre peut se rallier à cette proposition.
La commission des pétitions avait proposé le renvoi des pétitions de MM. les élèves des universités à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explications. Ces conclusions ont été adoptées. Je crois dès lors que tout est épuisé sur ces pétitions, puisque le renvoi a eu lieu et que M. le ministre de l'intérieur a fourni le rapport demandé.
Pouvons-nous encore demander maintenant le dépôt au bureau des renseignements ? Ce sont des conclusions qui viennent un peu tard et dont je ne vois pas trop l’utilité.
J'aurai cependant, messieurs, une observation à faire sur les explications de M. le ministre.
D'après ces explications, il semblerait que les professeurs des quatre universités sont d'accord pour le maintien de la loi de 1835. Cependant, messieurs, autant que j'ai pu saisir les explications données à la tribune, il me semble qu'aucune des universités n'a demandé le maintien de la loi sans réserve. Toutes ont fait des réserves.
C'est ainsi que l'université de Louvain a dit qu'on pouvait maintenir la loi, mais qu'elle désespérait de voir les élèves venir aux examens munis de toutes les connaissances que l'on veut en exiger. Les matières qui n'ont pas été enseignées jusqu'à présent seront apprises par les élèves d'une manière très superficielle et il est probable qu'ils ne satisferont pas à toutes les demandes qui leur seront proposées.
L'université de Bruxelles aussi demande le maintien de la loi, mais il semble que c'est à cause du mérite de ses professeurs qu'elle demande ce maintien, puisqu'elle dit que c'est par l'ordre, par la méthode qui est employée dans l'enseignement et dans l'examen que l'on peut parvenir à voir les jeunes gens répondre, d'une manière satisfaisante, à tant de matières différentes. Voilà encore une réserve.
Les universités de l'Etat ont fait d'autres réserves. Elles ont demandé qu'il y eût plusieurs examens sur des matières si multipliées.
Il est donc vrai de dire, messieurs, qu'aucune des universités n'a demandé le maintien pur et simple de la loi de 1835.
M. le ministre de l'intérieur nous a dit que, conformément à l'avis de ces universités le gouvernement est d'opinion d’exécuter la loi, sauf à ménager une espace de transition dans l'examen pour les matières non enseignées jusqu'à présent.
Je crois, messieurs, que le gouvernement fait bien d'exiger l'accomplissement d'une loi tant que cette loi existe. C'est son droit, je dirai même (page 260) c'est son devoir. Mais je demanderai si nous pouvons bien nous en rapporter entièrement au gouvernement sur la manière dont il entend exécuter la loi. Ne devons-nous pas craindre, dans ce cas, que très souvent ce sera la volonté du gouvernement et non la volonté de la loi, c'est-à-dire la volonté de la législature qui sera exécutée ? Car par la manière dont il interpréterait la loi, le gouvernement pourrait la modifier entièrement, et alors ce ne serait plus votre volonté, mais la sienne qui réglerait l'instruction publique en Belgique. Je suis assez d'avis, en général, de fortifier l'action du gouvernement en matière d'instruction. J'en ai donné la preuve, et je ne rétracte aucun de mes principes à cet égard. Mais, vous, messieurs de la majorité, qui avez toujours été très jaloux de vos prérogatives en cette matière, je vous demanderai si vous voulez laisser la volonté du ministère se substituer à la volonté de la loi ?
M. le ministre de l'intérieur nous a dit que la trop grande quantité des matières enseignées n'était critiquée par personne. Messieurs, quant à moi, j'en conteste l'utilité. Je crois remarquer que la loi ordonne l'enseignement de bien des branches qui peuvent être utiles, parce que plus on a de connaissances, et plus on en retire de fruits, mais qui surchargent la mémoire des élèves et leur demandent un temps beaucoup trop considérable.
On vous a parlé de l'histoire du droit coutumier. Eh bien, je dis qu'enseigner maintenant le droit coutumier à des élèves, demander qu'ils emploient une partie de leur temps à l'étude de cette histoire, c'est les distraire d'études beaucoup plus sérieuses et plus utiles.
Savez-vous, messieurs, que le droit coutumier est tout aussi difficile à apprendre que les pandectes ? Savez-vous que chaque localité du pays, pour ainsi dire, avait son droit coutumier ? Dans le ressort de la cour de Liège, par exemple, vous avez les coutumes de Liège, vous avez les coutumes de Namur, les coutumes du Luxembourg avec son cortège de droits féodaux ; vous avez les coutumes de Stavelot, les coutumes du duché de Limbourg et les coutumes du comté de Looz, Je ne vous parle que du ressort de la ville de Liège, parce que c'est celui que je connais le mieux.
Enseignez donc l'histoire de tous ces droits coutumiers à des jeunes gens et dites-moi l'utilité qu'ils en retireront !
La connaissance des coutumes était utile il y a vingt ans, messieurs, parce que vous aviez les questions de prescriptions à examiner. Vous aviez aussi les mariages contractes sous l'empire des coutumes ; mais la plupart de ces mariages sont rompus aujourd'hui. Aussi arrivera-t-il souvent, messieurs, qu'un jeune homme qui aura consacré un temps considérable à l'étude du droit coutumier, aura à en faire tout au plus une fois, l'application. J'admets même en fait que l'élève qui termine aujourd'hui ses études ou qui les terminera dans deux ans, n'aura jamais à faire usage de ses connaissances sur ce point.
Ensuite, messieurs, quand vous aurez enseigné aux jeunes gens le droit coutumier, vous devrez leur enseigner bien autre chose ; vous devrez leur enseigner les localités où les droits coutumiers s'appliquaient. Car, vous savez ce qui en était autrefois. Dans le- pays de Liège, par exemple, à peine trouvez-vous un ou deux villages contigus, soumis à la même juridiction. Chacun avait sa loi particulière.
Quoi ! Vous aurez enseigné tout cela aux élèves, messieurs, quel fruit en retireront-ils ?
Pour les questions transitoires, c'est encore à peu près la même chose. Elles reçoivent très rarement leur application dans ce moment, parce qu'on a fait retour à un droit plus conforme à nos mœurs, au droit romain.
Messieurs, je vous parlais tout à l'heure du droit coutumier. Il est vrai de dire qu'il est un droit coutumier dont l'étude serait peut-être nécessaire, c'est celui qui a servi de base au code civil ; mais c'est le droit coutumier français, particulièrement les coutumes de Paris et d’Orléans, et pas le nôtre.
Pour la candidature en philosophie et lettres, que doivent subir les jeunes gens qui se destinent au barreau, on exige encore l'étude de beaucoup de choses qui ne sont pas en rapport avec la carrière à laquelle ils se destinent.
Je vous demanderai pourquoi vous voulez que celui qui se destine à l'étude du droit, connaisse les mathématiques, l'algèbre, la géométrie, la trigonométrie, la physique. Quel rapport y a-t-il entre l'étude du droit et celle de la physique ?
On dit : Les mathématiques rectifient le jugement. Remarquez, messieurs, que je voudrais, si la chose était possible, qu'un jeune homme put acquérir toutes les connaissances que la loi requiert. Sans doute, il ne s'en trouverait que mieux, même pour l'exercice de son état. Mais je demande où est la possibilité qu'un jeune homme puisse caser à la fois tant de connaissances dans sa tête.
Dernièrement, messieurs, j'ai pris des renseignements près d'un de mes parents qui étudie à l'université de Liège. Il est en philosophie. Je lui demandai combien il lui fallait d'heures pour entendre les leçons des cours qu'il doit suivre. Il m'apprit qu'il lui fallait six heures par jour. S'il ne fait qu'assister aux leçons, et s'il ne les recueille pas quand il est rentré chez lui, c'est comme s'il ne faisait rien ; il lui faut à peu près un temps égal pour recueillir et résumer les leçons. Voilà donc un jeune homme occupé douze heures par jour. Je demande, messieurs, comment la santé d'un élève qui tient à accomplir ses devoirs, peut suffire à une besogne aussi dure.
Je crois donc, messieurs, qu'il serait sage de réviser la loi de 1835. Tant qu'elle est en vigueur, je demande son application, parce que laisser une loi sans exécution, ce serait agir contrairement à la Constitution. Mais je demande que nous revoyions cette matière ; elle est grave, et digne de toute notre attention.
Puisque j'ai traité cette question, messieurs, je me permettrai de vous signaler encore un autre mal que je crois avoir aperçu : c'est que, pour entrer dans les universités, on n'exige des jeunes gens ni conditions d'âge, ni conditions d'études préparatoires. Qu’arrive-t-il ? C'est que des parents, pressés de voir leurs enfants en possession d'un état, et croyant gagner beaucoup en gagnant une année ou deux, les font passer des bancs du collège aux bancs de l'université sans qu'ils aient terminé leurs humanités, sans que leur intelligence soit assez développée et sans qu'ils aient acquis des connaissances propres à les faire profiter des études universitaires. Savez-vous ce qui en résulte, messieurs ? C'est que les professeurs des universités, voyant le peu de connaissances de ces jeunes gens, sont obligés de faire descendre les cours à la faiblesse de leurs élèves, alors que les élèves devraient être à la hauteur des cours universitaires. Je crois, messieurs, qu'il faudrait remédier à ce mal. Peut-être est-ce celui qui entraîne tous les autres après lui.
M. de La Coste. - Messieurs, le motif qui m'avait fait demander la parole a, si j'ai bien entendu M. le ministre de l'intérieur, perdu de sa force. Je crois avoir compris que M. le ministre ne s'opposait plus au dépôt des pétitions au bureau des renseignements et n'insistait pas sur l'ordre du jour.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - J'avais pensé, messieurs, que, d'après l'opinion de quelques membres, les pétitions pouvaient être déposées sur le bureau à litre de renseignements, et que c'eut été en quelque sorte manquer de déférence envers la chambre que de ne point accepter cette proposition.
Mais, en agissant ainsi, est-ce que je renonçais aux conclusions de mon rapport ? Pourrait-on en conclure que je ne demandais pas à la chambre de se prononcer sur la question de savoir si la loi doit être exécutée ou non. En aucune façon ; et si le dépôt au bureau des renseignements devait avoir cette portée, je vous déclare que je conclurais de nouveau purement et simplement à ce que la chambre passât à l'ordre du jour.
M. de La Coste. - Messieurs, je crois qu'il importe, et cette explication ne sera pas inutile, peut-être, à M. le ministre de l'intérieur lui-même, de rappeler ce qui s'est passé lors de la proposition de l'honorable M. Delfosse. Il semblerait, d'après ce qui a été dit à ce sujet, qu'il existerait, de la part même de la chambre, une sorte de fin de non-recevoir qui trancherait la question. Mais voici ce qui a eu lieu, et je suis persuadé que tous ceux de mes collègues qui étaient présents alors, se rappelleront comme moi ces circonstances.
C'était à la fin d'une discussion très vive et très fatigante ; la chambre était pour ainsi dire épuisée. Elle était très agitée ; il y avait des conversations particulières sur tous les bancs, et il était presque impossible que l'assemblée manifestât l'unanimité que M. le ministre de l'intérieur a cru voir dans la résolution qui a été prise. A travers ces conversations particulières, on a, s'il m'est permis de le dire, jeté à l'honorable M. Delfosse le conseil de modifier sa proposition, afin d'en finir ; et c'est ainsi que l'on en est venu à une décision.
Quoi qu'il en soit, M. le ministre de l'intérieur déclare qu'il doit résulter pour lui de notre délibération actuelle, que la chambre veut que la loi soit exécutée. Nul doute, messieurs, comme l'a dit l'honorable M. Fleussu, que la chambre ne peut vouloir autre chose. M. le ministre n'a plus qu'à exécuter la loi, du moment que lui-même ni personne ne fait une proposition pour la modifier. Mais, messieurs, j'ai craint un moment, d'après la manière dont M. le ministre de l'intérieur posait la question, qu'il ne désirât amener la chambre à formuler pour ainsi dire implicitement une résolution, non pas sur la question de savoir si la loi sera exécutée aussi longtemps qu'elle existera, mais sur la question même que l’honorable M. Dumortier annonce qu'il soumettra à vos discussions.
Telle ne peut être l'intention de M. le ministre ; mais, si l'ordre du jour avait dû avoir cette tendance, j'aurais cru devoir m'y opposer.
M. le ministre se fonde sur les avis des corps savants dont il nous a donné l'analyse. Lui-même n'a pas eu beaucoup de temps pour étudier ces, avis et, de notre côté, nous n'en avons pas eu du tout, pour ainsi dire. Pour les méditer, pour former notre opinion d'après eux, il faudrait plus qu'une simple analyse, il faudrait les connaître en entier, il faudrait, je pense, comme l'a déjà demandé l'honorable comte de Theux, que ces avis fussent imprimés. Alors nous nous formerions une opinion pour le cas éventuel d'une proposition qui serait faite, soit par l'honorable M. Dumortier, soit par tout autre membre.
Ainsi donc, messieurs, l'incertitude qui pourrait exister chez les étudiants n'en subsistera pas moins, dans ce sens que la chambre se réserve son opinion pour le moment où pourra venir la discussion annoncée.
Messieurs, je pense que la question de la multiplicité des objets d'étude ne se présenterait peut-être pas, ou se présenterait du moins sous un tout autre aspect, si les diplômes avaient réellement la valeur qu' à mes yeux ils devraient avoir.
En effet, où conduisent maintenant ces diplômes ? Dans la faculté de droit, ils ouvrent l'entrée du barreau, de la carrière judiciaire ; mais pour toutes les autres carrières ils sont quelquefois un obstacle plutôt qu'un titre.
De deux jeunes gens qui se destinent à la carrière administrative, ou qui désirent parcourir l'honorable carrière des bureaux d'administration générale, celui qui n'aura pas étudié dans les universités sera dans les meilleures conditions d'avancement. Entré fort jeune peut-être dans une administration, il aura employé utilement pour son avancement cinq ou six années de sa vie, que l'autre aura consacrées à acquérir des connaissances très utiles, mais qu'il aura perdues pour l'ancienneté de service. Je crois donc qu'il faudrait faire des études universitaires un titre à l'entrée (page 261) dans la carrière administrative, à l'avancement dans les bureaux, en un mot, dans toutes les parties du service public pour lesquelles elles sont une excellente préparation, mais aujourd'hui plus nuisibles qu'utiles pour celui qui s'y soumet. C’est alors qu'on comprendrait tout le prix des connaissances variées et qu'on se sentirait encouragé à les acquérir.
Au surplus, M. le ministre ayant déclaré qu'il ne s'opposait point au dépôt au bureau des renseignements, je bornerai là mes observations.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, je serais fâché d'avoir affirmé à la chambre un fait qui ne fût pas conforme à la vérité, et la représentation fidèle de ce qui s'est passé dans votre sein. Mais j'ai sous les yeux le texte même des discussions qui ont eu lieu lors de la dernière demande de prorogation. Cette demande avait été faite par l'honorable M. Delfosse ; et pour décider l'assemblée à y donner son assentiment, il déclara, de la manière la plus formelle, que son intention n'était pas que cette prorogation fût accordée ultérieurement. Il s'exprima de la manière suivante : « Comme la prorogation que nous allons voter sera la dernière, il n'y a pas le moindre inconvénient à la voter pour deux ans. »
Un membre. - C'est une opinion individuelle.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Ce n'est point une opinion individuelle. C'est l'auteur d'une proposition qui, pour la faire adopter par la chambre, déclare que c'est la dernière fois qu'elle aura à la voter. La chambre est saisie de la proposition en ces termes, et c'est sur les termes même de la proposition faite par M. Delfosse que la chambre a procédé au vote.
On nous a dit, messieurs, que les universités n'étaient point favorables à l'exécution de la loi, et qu'il y avait divergence d'opinion entre elles. J'ai cru, au contraire, faire ressortir d'une manière la plus évidente que, si les quatre universités reconnaissaient certaines difficultés à l'exécution de la loi, elles avaient en même temps suggéré des moyens pratiques pour atteindre ce but, sans que les élèves eussent à s'en plaindre. Ce sont ces moyens que le gouvernement compte adopter. Le gouvernement a entendu que la loi fût exécutée ; il n'entend point, en exprimant cette opinion, lier la chambre et la priver de son initiative ; mais aussi longtemps que cette loi existe, le gouvernement croit qu'il est de son devoir, et en même temps de la dignité de la chambre de ne point continuer d'année en année à en suspendre l'exécution. Cependant, cette exécution peut s'effectuer de manière à diminuer momentanément ce qu'elle peut avoir de sévère pour quelques élèves. Or, on vous suggère un moyen d'exécution fort simple, et non pas, comme l'a dit l'honorable député de Liège, dans le but de dominer la loi, de l'interpréter arbitrairement, de la pétrir, en quelque sorte, de nos propres mains, pour la rendre plus conforme à nos principes, à nos vues ; mais dans le but d'aplanir les difficultés dans les termes et avec les restrictions mêmes qui vous ont été communiqués. N'oubliez pas que nous reproduisons en quelque sorte textuellement les opinions des hommes pratiques intéresses à la même exécution de la loi, et intéressés encore à adoucir la transition, à diminuer les inconvénients qui ne sont que temporaires. Ce n'est pas là dominer arbitrairement l'exécution de la loi, et s'il s'agissait d'être revêtu de ce pouvoir exorbitant, je vous avoue, messieurs, que je n'accepterais pas cette responsabilité, et que je n'accepte pas cette position de maître souverain de la loi.
M. Dumortier. - Une chose, messieurs, m'a frappé dans les observations de M. le ministre ; c'est qu'il s'est singulièrement trompé sur la portée du vote émis par la chambre, lorsqu'elle a voté la dernière prorogation. M. le ministre s'appuie sur les paroles prononcées par l'honorable M. Delfosse ; mais ces paroles ne sont que l'opinion de l'honorable M. Delfosse, et pourquoi voudrait-on que ce fût celle de la chambre tout entière ? J'ai voté de grand cœur la proposition de M. Delfosse, mais en me réservant bien de reproduire mon opinion chaque fois que l'occasion s'en présenterait. Beaucoup de membres de la chambre ont voté avec cette réserve, et je suis convaincu que c'est la majorité. Certainement personne n'a entendu se lier pour l'avenir et enchaîner d'avance son opinion.
Quant au fond de la question, messieurs, sur quoi s'appuie M. le ministre de l'intérieur ? Il s'appuie sur les rapports des quatre universités, des deux universités libres et des deux universités de l'Etat. Eh bien, messieurs, les quatre universités sont d'accord sur un point, c'est que la loi est inexécutable. Deux d'entre elles (ce sont les universités libres) demandent qu'il y ait deux examens, au lieu d'un, pour le droit ; les deux autres, au contraire, paraissent appeler plutôt des modifications dans l'intérêt des élèves ; et ce qui me paraît fort significatif, c'est que ce sont précisément les universités de l'Etat qui réclament ces modifications.
Que dit en effet l'université de Liège ? Elle dit que la loi ne peut être exécutée avec un seul examen. Que dit l'université de Gand ? Elle dit que la loi est inexécutable, que les matières sont trop nombreuses et puis elle appuie le maintien des dispositions transitoires. Il est donc inexact de venir dire à la chambre que les quatre universités sont d'accord pour maintenir ce qui existe. Aucune des universités ne veut le maintien de ce qui existe ; les quatre universités sont d'accord pour reconnaître que la loi est inexécutable. Seulement deux d'entre elles se bornent à demander qu'il y ait deux examens au lieu d'un, et ce sont les deux universités libres, tandis que des deux universités de l'Etat, l'une appelle des modifications à la loi et l'autre demande positivement le maintien de la mesure provisoire.
Il y a plus, messieurs, à côté des avis des quatre universités, il faut placer ceux des jurys d'examen. Tout à l'heure l'honorable M. Zoude vous l'a rappelé, après quelques années d'exécution de la loi, plusieurs de nos honorables collègues, qui faisaient partie du jury d'examen, nous firent connaître que ce jury trouvait les matières trop nombreuses, et le ministre de l'intérieur de cette époque (je crois que c'était l’honorable M. de Theux demanda l'avis de tous les jurys d'examen sur la loi. Eh bien, messieurs tous les jurys d'examen, à l'unanimité, demandèrent la révision des matières d'examen, et déclarèrent qu'elles étaient trop nombreuses, que la loi était inexécutable. Voilà, messieurs, une circonstance bien grave et qui, ce me semble, ne devrait pas être perdue pour M. le ministre de l'intérieur. Qu'il relise les avis des jurys d'examen, qui se trouvent imprimés dans les documents parlementaires, et il verra que tous ont demandé la simplification des matières d'examen.
N'est-ce donc rien qu'une pareille déclaration ; et M. le ministre viendra-t-il dire aussi que les jurys d'examen voulaient l'amoindrissement des études ? Ce ne sera jamais à moi, messieurs, qu'on pourra adresser un pareil reproche. Je crois avoir prouvé, en toute circonstance, que je veux le développement des études, mais je ne veux pas que l'on exige de jeunes gens de 25 ans, plus de connaissances que n'en peut posséder un homme de 40 ans. Je veux que, dans l'enseignement universitaire, on enseigne aux élèves les principes de la science, et qu'on leur fasse approfondir l’étude de ces principes ; mais je ne veux pas qu’on leur fasse étudier une foule de questions, comme on le fait aujourd'hui. Il est impossible que l'homme acquière cumulativement une connaissance parfaite d'une foule de matières.
Mais, dit-on, il ne s'agit que d'une seule matière, le droit. Comment, messieurs, le droit n'est qu'une seule matière. Mais le droit comprend un nombre immense de matières. On veut, par exemple, que les élèves connaissent le droit coutumier ; mais, comme l'honorable M. Fleussu l'a déjà fait comprendre à la chambre, la vie d'un homme ne suffirait pas pour acquérir une connaissance parfaite de toutes les coutumes de la Belgique. Dans le seul district de Tournay, nous avions les coutumes de la cité, les coutumes des seize communes, les coutumes du Hainaut. Et vous voulez que les élèves connaissent toutes les coutumes de la Belgique ! Mais c'est vouloir qu'un jeune homme de 25 ans ait les connaissances que possèdent à peiner les jurisconsultes les plus distingués.
Et notre droit administratif. Qu'est-ce qu'un jeune homme qui se destine à la carrière du barreau, a besoin d'étudier le droit administratif ? Sans doute, il est à désirer qu'il le connaisse un jour aussi bien que le droit coutumier, mais laissez donc quelque chose à l'avenir. Ne dites pas aux jeunes gens : Lorsque vous aurez achevé vos études, vous aurez fini avec l'instruction ! Et c'est ce qu'on leur dit aujourd'hui. Mais n'avez-vous donc plus les années de stage qui sont prescrites par la loi ? Ne faut-il plus que ces années-là soient employées aussi à acquérir de nouvelles connaissances ?
Non, messieurs, je ne veux pas amoindrir les études ; mais je prétends qu'on les amoindrît en voulant former des têtes encyclopédiques. Je soutiens que, pour relever les études, il faut s'attacher à former des spécialités et de fortes spécialités, qu'il ne faut pas inspirer aux jeunes gens l'idée que tout est fini lorsqu'ils sortent de l'université. Je soutiens qu'il faut laisser quelque chose aux études futures. Je dis que ce système de vouloir tout apprendre aux jeunes gens est un système fatal ; les plus capables, les mieux organises, les plus aptes au travail ne peuvent y résister, il en résulte de deux choses l'une : ou que l'élève voit ses facultés s'épuiser, s'affaiblir, ou qu'il se dégoûte des études ; et l'une et l'autre de ces conséquences est également funeste à son avenir.
Ce que j'entrevois mieux dans toute cette question, messieurs, c'est l'intérêt des professeurs. Mais à mes yeux cet intérêt n'est rien en présence de l'intérêt des études, et je rends hommage aux professeurs des deux universités qui ont su placer en première ligne l'intérêt des élèves.
En résumé, messieurs, une chose est claire, c'est que tout le monde reconnaît la nécessité d'une modification, c'est que tout le monde reconnaît que la loi est inexécutable.
Toul le monde est d'accord sur ce point, aussi bien les universités que les jurys d'examen. Les deux universités libres demandent un double examen, mais ce double examen ne peut être établi que par la loi. Les jurys d'examen, au contraire, ainsi que l'université de Gand et (je dois le croire) aussi l'université de Liège demandent la révision des matières. A mes yeux, c'est là ce que nous devons faire, la nécessité m'en semble impérieuse ; mais en attendant que cette révision soit opérée, il faut ou une nouvelle prorogation des dispositions provisoires que nous avons votées, ou bien l'établissement d'un double examen.
Il faut l’intervention de la loi et non pas l'intervention du gouvernement dans un pareil état de choses. Si le gouvernement ne présente pas de loi, l'élève aura toujours en perspective un seul et unique examen, portant sur toutes les matières ; or, c'est là une chose inexécutable, aux yeux du jury, ainsi que des universités. Le gouvernement doit donc nécessairement présenter une loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Je déclare que le gouvernement n'a pas l'intention de présenter une loi.
M. Dumortier. - M. le ministre s'est pourtant appuyé sur l'avis de la faculté de droit de l'université de Louvain. Or, cette faculté est d'avis qu'il faut maintenir tous les cours, mais que la loi est inexécutable, s'il n'y a pas deux examens. Pour prescrire deux examens, il faut une loi.
La faculté de droit de l'université de Bruxelles demande le partage des matières en deux examens...
M. Verhaegen. - C'est une erreur. Je demande la parole.
M. Dumortier. - Le jury ne peut de lui-même faire deux examens ; si le jury divisait l'examen en deux, il se ferait législateur, et ce n'est plus nous qui ferions la loi, comme le disait l'honorable M. Fleussu, nous rentrerions dans le régime de l'arbitraire. Ainsi, dans toutes les hypothèses, il faut nécessairement une loi, et puisque M. le ministre de l'intérieur déclare (page 262) qu'il n'en présentera pas, j'attendrai la discussion de son budget, pour proposer moi-même une modification à la loi de 1835.
M. de Theux. - Messieurs, je répondrai d'abord à l'honorable M. Dumortier.
Il n'est entré dans la pensée d'aucun membre ni d'aucune université que le gouvernement ou le jury pourraient de leur propre autorité, introduire deux examens. Cela a été si peu la pensée du gouvernement qu'en 1838, voulant faciliter les examens, j'ai présenté un projet de loi, ayant pour objet de modifier la loi du 27 septembre 1835 en ce sens, qu'il y aurait un examen de plus ; et j'ai remarqué que trois universités paraissent aujourd'hui se rallier à l'opinion que j'avais en 1838.
Du reste, messieurs, je ne veux rien préjuger à l'égard de la discussion qui pourra avoir lieu ultérieurement.
L'honorable M. Fleussu a cru aussi que nous voulions donner trop d'autorité à M. le ministre de l'intérieur, en l'invitant à donner des instructions au jury. L'honorable membre a très mal compris notre pensée. Nous avons dit que nous engagions M. le ministre de l'intérieur à prier le jury d'examiner s'il n'y aurait pas lieu d'apporter, pour cette année, quelque tempérament dans l'examen sur les nouvelles matières, ou s'il n'y aurait pas lieu, d'introduire en quelque sorte un programme d'examen, pour que l'enseignement fût à peu près le même dans les quatre universités, et que conséquemment les élèves pussent se préparer, sans excéder leurs forces, à subir les examens.
Telle a été notre pensée. Nous ne voulons donc déférer aucune autorité à M. le ministre de l'intérieur. M. le ministre prend simplement l'initiative d'une bonne pensée qu'il communique au jury ; et les membres du jury, juges absolus, aux termes de la loi, tant pour le mode d'interrogation que pour l'admission des aspirants, adopteront tel parti qu'ils jugeront convenable sur la communication que M. le ministre de l'intérieur voudra leur faire...
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - C'est cela.
M. de Theux. - L'honorable M. Fleussu a fait encore allusion à ce qui s'est passé, lors de la discussion de la loi relative à la nomination du jury. Mais, messieurs, nous ne sommes nullement en contradiction avec l'opinion que nous avons émise alors. Nous pensons, au contraire, que la manière dont le jury est constitué aux termes de la loi lui donne ce caractère d'indépendance que l'on exige, et nous garantit qu'il ne se laisserait pas imposer arbitrairement la loi. Le jury n'est pas une commission qui reçoit des ordres ; le jury est en quelque sorte un tribunal qui décide le mode d'interrogation des récipiendaires, et qui prononce en dernier ressort sur leur admission.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, l'honorable préopinant a si nettement expliqué la pensée du gouvernement, qu'il me semble inutile de prolonger les débats, et d'entrer à cet égard dans de nouvelles explications. (Aux voix ! Aux voix !)
- Plus de dix membres demandent la clôture.
M. Verhaegen (contre la clôture). - J'avais demandé la parole, pour répondre quelques mots à un honorable préopinant. On nous a fait dire beaucoup de choses qui n'ont pas été dites. On a voulu vous présenter un épouvantail. Il ne s'agit pas ici du droit coutumier, il s'agit de l'histoire du droit coutumier ; ce n'est pas la même chose ; tout comme l'histoire du droit romain est autre chose que le droit romain. On fait peur par là aux élèves.
- La discussion est close.
M. de Brouckere n'insistant pas sur sa proposition tendant à ce que les pétitions soient déposées au bureau des renseignements, rien n'est plus à l'ordre du jour.
La chambre décide qu'elle se réunira lundi en séance publique à deux heures.
- La séance est levée à 3 heures.