(Annales parlementaires de Belgique, session 1845-1846)
(Présidence de M. Liedts.)
(page 75) M. de Villegas procède à l'appel nominal à une heure un quart. La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.
M. de Villegas fait connaître l'analyse des pièces suivantes.
« Message de M. le ministre de l'intérieur, accompagnant l'envoi de 96 exemplaires des procès-verbaux des séances des conseils provinciaux pendant la session de 1845. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« Lettre de M. Heuschling, accompagnant l'envoi de son ouvrage intitulé : Bibliographie historique de l'Allemagne, dont il fait hommage à la chambre. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le président. - La chambre reprend la discussion dc projet d'adresse au Roi.
La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Messieurs, hier à la fin de la séance, l'honorable M. Rogier et moi, nous nous rendîmes ensemble chez la personne à laquelle on avait fait allusion dans la discussion.
Après un long entretien, l'honorable M. Rogier, cette personne et moi, nous sommes tombés unanimement d'accord pour clore cet incident, et afin de n'avoir plus à y revenir, de rédiger et de lire à la chambre la note suivante :
« J'ai eu hier soir une explication avec M. Rogier, en présence d'une personne à laquelle il a été fait allusion à la fin de la séance d'hier. Il résulte de cette explication que la personne dont il s'agit n'a été chargée de faire à M. Rogier aucune ouverture relative à la composition du cabinet, qu'il a eu avec elle une conversation le 26 juillet au soir, que cette conversation était purement officieuse, que M. Rogier ne s'est pas opposé à ce qu'il en fût rendu compte au Roi. Du reste, quant aux circonstances auxquelles j'ai fait allusion pour motiver mon entrée aux affaires, nous nous en référons l'un et l'autre aux notes lues par M. Rogier à la chambre, et qui ont été insérées au Moniteur. »
M. Osy. - Je n'ai demandé la parole que pour motiver mon vote, et qu'on ne se méprenne pas si j'étais obligé de voter contre l'adresse.
En 1841, lors de ma rentrée à la chambre, j'étais décidé à soutenir le cabinet de M. Nothomb qui venait de se former, dans l'espoir de voir le pays se calmer, après la chute violente du ministère de 1840. Je désirais ce calme pour voir le pays définitivement se constituer et pour pouvoir nous occuper efficacement des réformes commerciales et fermer toutes les plaies de la révolution.
Je votai donc avec confiance l’adresse, mais je ne tardai pas à voir que j'avais accordé ma confiance trop légèrement et que le ministère de 1841, au lieu d'être juste et impartial envers les deux partis de la chambre, s'éloignait du but d'amener une fusion et l'union ; il nous découvrit son véritable caractère lors de la présentation du projet de loi pour nommer les bourgmestres en dehors du conseil. Au lieu de s'arrêter là, il se laissa entraîner sans résistance par la majorité de la chambre dans d'autres changements à nos lois organiques, et je suis persuadé que sans l'opposition on aurait été beaucoup plus loin ; le tableau de nos travaux arriérés prouve qu'on voulait profiter du moment pour faire des changements tout à fait au profit d'une seule opinion. Le ministère donna à cette occasion le triste spectacle que nous avons eu sous les yeux et qui nous a forcés pendant quatre ans de le combattre et de le surveiller tous les moments.
Ayant alors la conviction que le ministère de 1841 n'avait pas de politique, mais que pour se soutenir et rester aux affaires quand même, il se courberait toujours aux volontés de la majorité, je déclarai publiquement que j'étais forcé de m'allier à l'opposition, très décidé à combattre à outrance un ministère fatal au pays, qui finirait par jeter un brandon de discorde dans le pays et rendre les partis plus désunis que jamais.
Cette politique tortueuse a été malheureusement suivie pendant quatre ans, non seulement pour les intérêts moraux du pays, mais également pour les intérêts matériels, et vous savez comment la loi des droits différentiels (page 76) a été faite, contre la conviction du ministère et en changeant de principe du jour au lendemain, et cela pour donner satisfaction à la droite. On voulait faire une loi pour le commerce et on a fini par en faire une contre le commerce, et qui dans votre métropole commerciale donne journellement lieu aux plus graves plaintes et aux plus vives réclamations. J'ai prévu tout ce qui est arrivé, et craignant que la politique tortueuse et sans conviction continuerait, je me suis vu forcé de vous poser la question de confiance vers la fin de notre dernière session ; il est vrai que numériquement le ministère a eu la majorité, mais l'indifférence et la tiédeur de la droite auraient dû ouvrir les yeux au pouvoir.
Vous avez entendu ce que vous a dit M. le ministre des affaires étrangères de la position qu'avait prise la droite, et les paroles de l'honorable M. Dedecker d'hier sont également une grande leçon pour la droite, et prouvent qu'on ne peut plus gouverner quand on a contre soi les votes de l'opposition et l'indifférence de la majorité. Les élections du 10 juin ont mis fin à cette mauvaise situation du pays et ont finalement ouvert les yeux au chef du ministère, et nous avons aujourd'hui les aveux des anciens ministres, qui font partie du nouveau cabinet, que la position prise par la droite n'était plus tenable, et qu'il était temps de changer de système.
Donc, si lors de ma proposition de confiance, je n'ai pas eu pour moi la majorité, les élections du 10 juin et les paroles de M. le ministre des affaires étrangères me prouvent que j'ai rendu un immense service au pays en posant nettement ma proposition de confiance.
Deux de nos honorables collègues d'Anvers, qui ont avec talent et persévérance soutenu l'ancien cabinet dans les lois réactionnaires, dans le fameux vote des cafés, et qui se sont déclarés les amis de M. Nothomb, ont été sacrifiés ; ils n'ont plus été réélus et ont eu au-delà de 500 voix de moins que les nouveaux élus, que le commerce vient d'envoyer à la chambre. C'est donc l'approbation de notre conduite parlementaire, et cela nous donne des forces pour suivre avec persistance, dévouement, mais sans ambition aucune, la même voie de franchise, mais aussi de défiance ; et comme, en 1841, j'avais promis ce que malheureusement les ministères Nothomb ne m'ont pas permis de tenir, je ne veux pas aujourd'hui me trouver dans la même fausse position. Le commerce belge a trop à réclamer contre les mauvaises lois décrétées depuis 1841, pour qu'il me soit impossible d'accorder d'avance ma confiance au nouveau cabinet. Je suis donc obligé de voter contre l'amendement du ministère et de m'en tenir à la proposition de votre commission tout en faisant les vœux les plus sincères, de pouvoir sous peu vous accorder ma confiance. Je serai toujours indépendant, |mais aussi je serai toujours juste.
Les quatre dernières sessions me forcent de jouer le rôle d'observateur et de rester en expectative, mais de ne pas me lier d'avance, et je dirai avec l'honorable M. de Brouckere : Je ne veux pas promettre ce que je ne pourrai peut-être pas tenir.
J'ai voté dans le temps la nomination des bourgmestres en dehors du conseil, dans le seul but de fortifier le pouvoir et pour ne pas lui voir imposer la loi, persuadé, comme on nous le promettait si solennellement, qu'on en ferait l'usage le plus discret.
Malheureusement les promesses n'ont été que des paroles et on a bien vite dépassé le but de notre confiance ; cette loi a fait plus de mal au pouvoir que le mal partiel et très partiel qui existait, et je suis aujourd'hui à demander avec instance le changement de cette loi ou du moins les plus sûres garanties contre le renouvellement de ses abus, ainsi que le retrait de toutes les autres brèches faites, sans mon concours, aux lois organiques et que j'ai fortement combattues, ainsi que celles à l'occasion des fraudes électorales.
Pour le jury d'examen, je désire que le mode actuel soit abandonné, et j'espère que, pour l'instruction moyenne, le gouvernement nous prouvera qu'il ne veut pas être exclusif, mais donner satisfaction à toutes les opinions.
L'adresse nous promet des changements si vivement réclamés, par Gand et Anvers, à la loi des sucres ; mais la rédaction de celle phrase dans le discours du Trône, est loin de nous satisfaire et m'oblige de rester dans la plus grande réserve jusqu'à ce que nous connaissions la loi. Je désire qu'elle nous soit promptement présentée, pour pouvoir l'examiner avec attention et sortir de notre juste défiance. La dernière loi votée est un grand grief de l'industrie et du commerce, et l'amendement introduit par un de nos honorables collègues qui se trouve aujourd'hui sur le banc ministériel, et qui a été accepté en 1843 si légèrement par le ministère, vous prouve que la loi ne satisfait pas au trésor ; déjà la recette de 3,500,000 fr. sur laquelle on comptait, se trouve réduite à 2,700,000 fr., et nous pouvons prouver que l'année prochaine la réduction sera de 2,500,000 fr.
On a donc mécontenté cette industrie importante, et votre but de trouver de grandes ressources pour le trésor a été également déçu.
La loi différentielle a été viciée par deux propositions contraires à tout principe.
Nous voulons favoriser les arrivages directs des pays de production, mais par un revirement si habituel à l'ancien cabinet, on a été accorder sans aucune réciprocité un avantage immense à la Hollande.
Ainsi, la Hollande ayant vu ce que peuvent les menaces sur nous, a fait un tarif qui nous est tout à fait défavorable, taudis que, par des stipulations par traité de commerce avec la France, on accorde à la France de grands avantages qu'on refuse à la Belgique.
J'avais prévu, ainsi que tout le commerce anversois, que nous suivions encore cette mauvaise politique, de tout accorder sans réciprocité ; l'honorable M. Rogier et moi sommes les seuls qui n'avons pas voulu voter cette étrange faveur. Les circonstances nous ont tellement donné raison, que le gouvernement n'a pas osé continuer l'exception au-delà du 31 décembre prochain ; et j'espère que, s'il n'y a pas d'inconvénient, on nous fera communication des négociations avec la Hollande. Je ne parlerai plus des vins qui nous pouvons recevoir de la Hollande avec la réduction de 1/4 p. c. des droits d'octroi et qu'on n'a pas accordé par arrêté royal, par un arrêté ministériel motivé, mais par une simple lettre de M. le ministre des finances.
Je dis que je n'en parlerai plus, parce que j'espère que si le traité avec la France se renouvelle, on aura bien soin de stipuler que, sous le mot de frontières de terre, il est entendu que ce ne sont que les frontières de la France.
Un autre grand grief contre la loi des droits différentiels, c'est que les arrivages des pays de production qui ont dû toucher pour ordre dans un port de la Manche, ne sont plus reçus qu'aux droits des entrepôts d'Europe.
Cette malheureuse stipulation que j'ai tant combattue à la grande approbation du commerce, a déjà fait détourner de nos ports, au grand avantage de nos rivaux commerciaux, une masse considérable de cargaisons, et a ainsi diminué les aliments que nous pouvions apporter pour établir un grand marché à Anvers et y attirer le commerce allemand. Aujourd'hui, Cologne ne nous ayant plus pour concurrents, peut acheter avec avantage ces cargaisons, et au lieu de les avoir dans nos entrepôts et de pouvoir les vendre aux consommateurs de la Belgique ou de l'étranger, on les transporte directement du navire sur nos waggons, sans laisser aucun bénéfice à la Belgique.
Cette malheureuse mesure est tout à l'avantage de l'étranger et à notre détriment, car si l'étranger achète ces cargaisons sous voile, nous devons restreindre toutes nos affaires. J'engage avec instance M. le ministre des affaires étrangères d'examiner cette question avec la plus grande attention et de fournir le plus tôt possible des documents officiels pour vous démontrer que cette loi des droits différentiels n'a pas augmenté d'un seul navire notre flotte marchande et a détourné de nous une masse considérable d'affaires.
Les pièces du procès sous les yeux, on vous prouvera, messieurs, que nous devons revenir sur la partie de la loi qui n'a produit aucun bien et a grandi l'étranger à nos dépens. Je pourrais citer beaucoup de cas où les fâcheuses stipulations des relâches et de la faveur accordé à la Hollande ont détournée de nos ports les plus belles affaires, et nos navires qui vont aux Indes hollandaises ne peuvent pas nous en rapporter les produits, par les faveurs accordées à la mère-patrie.
Il est donc temps de faire une réforme radicale à cette partie de la loi ; et comment accorder aveuglément ma confiance au ministère, sans connaître les vues de M. le ministre des finances qui, même dans l'exécution de la loi, se montre plus rigoureux que l'ancien ministère, et nonobstant les réclamations les plus vives du commerce et sans égard aux observations de ceux qui ont été appelés à confection des arrêtés d'exécution pour la loi du 21 juillet 1844, prend des décisions tout à fait contraires au but qu'on s'était proposé, et à nous accorder même ce que nous avons obtenu, quoique d'une manière très incomplète, par la loi. - M. Nothomb, en accordant, dans des cas donnés, les relâches, s'était servi d'un mot très élastique, le mot « pourront » au lieu de « seront. » Aujourd'hui on veut l'expliquer par une faculté qu’aurait le gouvernement pour nous ravir le peu de faveur qu'on a voulu positivement nous accorder. Les explications et interprétations me font craindre que M. le ministre des finances ne nous refuse la réforme demandée.
Je crains aussi que M. le ministre des affaires étrangères ne soit pas favorable à nos justes réclamations, parce qu'il a pris une vive part comme ministre à la loi qui devait être favorable au commerce et qui a été faite contre le commerce.
Je suis persuadé que M. le ministre de l'intérieur, qui, par ses relations en Angleterre, a pu juger des effets de celle loi, partagera ma manière de voir, mais sera-t-il assez fort pour convertir ses collègues ?
Je ne m'expliquerai pas sur le but de la formation d'une société de commerce ; mais je puis d'avance dire qu'il ne faut pas compter sur des chances de succès, si on ne veut pas changer efficacement la loi des sucres, qui fait presque le fond de tous les retours à recevoir des colonies, pour les exportations de nos produits industriels. Il faut travailler à faire une loi qui vous permette une importation d'au moins 30 millions de kilog. et une exportation de 15 millions. Aujourd'hui, par la loi désastreuse de 1843, nos exportations sont tombées à cinq millions et les mises en consommation dans la même proportion. Vous voyez, messieurs, que j'ai assez de griefs pour nos intérêts matériels, pour ne pas accorder aveuglément ma confiance au ministère, mais je désire que, dans le cours de nos débats, tant pour nos intérêts matériels que moraux, je puisse aller plus loin que la majorité, et qu'au lieu de confiance, je pourrai avoir de la reconnaissance.
En attendant, une sage réserve m'est imposé, ne voulant plus, comme en 1844, être obligé de manquer à la promesse faite au pouvoir.
Avant de finir, je dois un mot de réponse à l'honorable M. de Mérode. Il nous a dit hier qu'il n'avait rien retranché des paroles prononcées à la tribune, mais ce que le Moniteur contient est déjà beaucoup trop.
Si, dans la majorité, il se trouve des libéraux, il peut être persuadé que dans la minorité il se trouve aussi d'excellents catholiques et des personnes charitables qui pourvoiront, dans cette année calamiteuse, aux besoins de nos frères souffrants.
La différence entre nous est, que nous ne voulons pas faire intervenir, dans nos discussions, dans nos élections, dans les lois à faire, ce qui doit rester en dehors et que nous voulons agir dans les intérêts de tous et non dans un intérêt exclusif.
Qu'il nous dispense donc de nous considérer comme des rationalistes ou des éclectiques ; si nous différons d'opinions, nous ne sommes pas moins (page 77) conservateurs que lui et nous voulons peut-être plus que lui le maintien de la Constitution et toutes ses conséquences.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Je remercie l'honorable préopinant d'avoir fait apercevoir, dans la question qui s'agite devant vous, une face nouvelle, très digne de l'attention du pays.
Sans doute, les questions que l'honorable préopinant vient de soulever font partie de la politique et d'une politique très sérieuse ; plus tard, je l'espère, elles occuperont la chambre et l'occuperont utilement.
En ce moment, je me borne à remercier l'honorable préopinant d'avoir appelé l'attention de la chambre sur ces questions. Mais je ne crois pas devoir entrer dans un examen détaillé de chacune d'elles.
Ainsi, pour ne parler que de deux points, la loi des droits différentiels, qui a été votée l'année dernière, est remise en question par l'honorable membre, à cause de deux décisions que vous avez prises, et surtout, remarquez bien ceci, parce que cette loi n'a pas encore créé en Belgique une grande, une immense manne marchande. Mais en affaires commerciales, comme en affaires politiques, ayons la patience des hommes d'Etat. Ne croyons pas qu'une loi, comme celle des droits différentiels, puisse, du jour au lendemain, produire les fruits qu'en attendent ceux qui l'ont votée.
La question de la relâche à Cowes a fait, de ma part, l'objet d'un examen très attentif. Après cet examen, j'ai cru qu'il était impossible d'admettre comme provenances directes certains navires qu'on voulait faire admettre comme tels.
De nouvelles discussions ont eu lieu, après la décision qui avait été prise, je me suis prêté à faire réunir une commission qui examine de nouveau dans son ensemble, dans ses détails, la difficulté qui avait été soulevée.
Cette commission a commencé ses travaux ; les intérêts dont l'honorable membre s'est fait l'organe y sont largement représentés. Lorsqu'elle aura terminé ses travaux, j'examinerai encore la question. S'il m'est prouvé que je m'étais trompé sur ce point, je serai le premier à le reconnaître.
Mais, je le répète, j'ai cru que si j'avais admis ces navires comme provenances directes, j'aurais, par un acte administratif, détruit toute la force, toute l'action de la loi que vous avez votée.
Quant à la question des sucres, la chambre m'excusera si je ne me livre pas à l'examen détaillé des divers systèmes. Le paragraphe du discours du Trône, et le paragraphe du projet de la commission d'adresse supposent que la coexistence des deux industries, avec une amélioration dans l'état actuel des choses, sera maintenue et que le troisième intérêt, celui du trésor, engagé dans cette question ne sera pas sacrifié.
Quant aux détails, aux moyens, il serait prématuré, j'allais presque dire, il serait impossible de les discuter en ce moment.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - L'honorable M. Osy nous a dit tout à l'heure qu'il avait accordé sa confiance au ministère de l'honorable M. Nothomb, en 1841. Je croyais qu'il allait annoncer qu'il tiendrait une conduite analogue à l'égard du ministère actuel. Mais l'honorable membre, sans vouloir donner à son vote aucun caractère de défiance vis-à-vis du cabinet, n'acceptera pas le paragraphe additionnel que nous avons proposé. Est-ce à cause de la formation du ministère ? Est-ce à cause d'actes que nous aurions posés ? Non ; il vient de le dire, c'est à cause des actes qu'ont posés les ministères de 1841 et de 1843. Il nous refuse sa confiance, parce que, selon lui, il a été trompé dans ses espérances, en 1841.
Nous avons eu l'occasion de le déclarer plus d'une fois, et je regrette qu'on paraisse se complaire dans cette équivoque ; le ministère ne vous demande pas une confiance anticipée pour des actes qu'il n'a pas posés. Il serait absurde d'avoir une telle exigence. Mais ce qu'il demande, c'est un appui moral que tout ministère a demandé et a presque toujours obtenu depuis 1830.
L'honorable M.Osy a rappelé des faits concernant les deux ministères de 1841 et 1843. Je ne veux pas revenir sur ces débats épuisés. J'ai eu l'occasion plus d'une fois de dire ma pensée tout entière à cet égard. M. Nothomb n'a pas besoin d'une nouvelle défense, que l'avenir se chargera de présenter.
Je ne m'attacherai à répondre qu'à un seul fait, celui de la loi des droits différentiels.
J'ai été étonné d'entendre l'honorable membre vous dire que le ministère précédent avait soutenu la loi des droits différentiels pour donner une satisfaction à la droite.
Mais, il vous en souvient à tous, messieurs, l'exception relative aux sept millions de kilogrammes de café, a été réclamée par les députés de Liège ; et je ne pense pas qu'on puisse comprendre MM. Delfosse et Tornaco parmi les membres de la droite.
Relativement à la question de la relâche à Cowes, mon honorable collègue, M. le ministre des finances, vient de vous dire qu'il n'avait pas pu appliquer la loi autrement qu'il ne l'a fait. Mais en présence des réclamations du commerce d'Anvers, comme ministre ayant le commerce dans mes attributions, malgré l'opinion que j'ai défendue dans cette chambre, je me suis empressé de nommer une commission où le commerce d'Anvers a pour représentants deux de ses notabilités commerciales. J'ai soumis de nouveau à un examen approfondi la question de la relâche à Cowes. Si cette commission, éclairant le gouvernement, prouvait au ministère qu'on s'est trompé en 1844, je ne ferais nulle difficulté de revenir sur l'opinion que j'ai défendue.
Mais jusqu'à ce que l'examen de cette question soit complet, le ministère doit faire exécuter la loi, telle qu'elle a été votée. La discussion dans la séance d'hier s'est trop prolongée pour me permettre d'ajouter aux observations déjà si complètes que mon honorable collègue M. le ministre de l'intérieur avait faites en réponse au discours de l'honorable M. Devaux, ne m'avait pas permis, dis-je, d'ajouter quelques réflexions que ce discours m'avait suggérées.
La chambre me permettra de revenir sur ce discours, l'un des plus remarquables certainement qui ont été prononcés dans cette discussion solennelle.,
Quand on interroge M. le ministre de l'intérieur (a dit l'honorable M. Devaux) sur ce qu'il était en 1845, il nous répond, en nous disant ce qu'il était en 1830.
Lorsqu'on demande au ministère, a-t-il ajouté, de définir les partis nouveaux, il répond en définissant les partis anciens.
L'honorable M. Devaux a prétendu que la politique de transaction, de conciliation a été inaugurée pour la première fois par M. Nothomb, en 1841. Il a soutenu que la lutte catholique et libérale ne datait que de cette époque, comme lutte organisée.
C'est là, selon moi, une profonde erreur.
L'honorable membre a oublié tout ce qui s'est passé avant 1840 ; il a reproché au gouvernement de nier les partis nouveaux ; je pourrais lui faire le reproche de méconnaître les partis anciens.
L'honorable M. Devaux ne veut assigner de date à la formation définitive de l'opinion libérale en Belgique que celle où lui-même il s'est placé à la tête de cette opinion, que, pendant dix ans, il avait combattue. Cette thèse peut être commode pour justifier la position que M. Devaux a prise depuis quatre ans, mais elle n'est pas juste.
La lutte catholique-libérale existait, messieurs, vive en 1830, plus vive qu'elle ne l'est aujourd'hui. En 1830, pendant les discussions solennelles du congrès, une minorité libérale existait forte de 60 voix. Cette minorité libérale, par ses principaux organes, avait déjà déclaré, en 1830, que l'union catholique-libérale qui avait pu être nécessaire pour dissoudre le royaume des Pays-Bas, n'était plus nécessaire pour fonder la Belgique nouvelle.
Ces mots ont été prononcés alors à cette tribune.
Cette minorité libérale, permettez-moi de vous le rappeler, ne voulait pas de notre Constitution telle qu'elle est aujourd'hui écrite. Elle ne voulait ni de la liberté des cultes, ni de la liberté religieuse, ni de la liberté d'enseignement, ni de la liberté d'association, telles que ces libertés sont définies dans notre charte fondamentale. Cette minorité voulait, et elle le déclarait par l'organe de M. de Facqz, que l'Etat primât l'Eglise. Elle repoussait la séparation entre l'Eglise et l'Etat. Elle ne voulait pas de la liberté de l'enseignement par peur de ce qu'on appelait déjà alors les empiétements du clergé. Elle combattait la liberté d'association par peur des associations religieuses.
Messieurs, pendant cette lutte si vive non pas sur des questions accessoires comme aujourd'hui, mais sur des questions fondamentales et qu'on avait crues insolubles, où se trouvait l'honorable M. Devaux ? Il était associé à l'opinion catholique avec quelques-uns de ses amis ; il lui était associé pour combattre cette minorité libérale du congrès dont les doctrines et les tendances n'étaient pas les siennes.
Messieurs, je ne faisais pas partie du congrès, mais je me souviens de l'impression qu'a produite alors une scène que vous me permettrez de rappeler, parce qu'elle est glorieuse, une scène qui avait frappé tous les esprits.
Le jour même où les échos de cette tribune retentissaient encore de paroles de protestations contre les libertés fondamentales sur lesquelles notre Constitution repose, la discussion fut ouverte sur la liberté de la presse. On vit monter à cette tribune les membres du clergé qui faisaient partie du congrès, pour défendre l'amendement que l'honorable M. Devaux avait présenté, et qui tendait à donner une signification plus large à la liberté de la presse que celle que présentait la rédaction admise par le comité de la Constitution. On a vu M. l'abbé Verduyn, M. l'abbé Desmet, M. l'abbé de Haerne, notre collègue aujourd'hui, soutenir, avec la majorité, franchement, la liberté de la presse la plus étendue. Un membre de cette fraction libérale du congrès, en voyant la conduite tenue par le clergé dans le congrès, s'est écrié : « Les catholiques sont fidèles envers nous, eh bien, soyons donc fidèles envers eux. »
Messieurs, la minorité libérale du congrès a soutenu cette lutte avec tant d'énergie, avec tant de persistance, que lorsque la majorité du congrès s'est prononcée pour la liberté des cultes, pour la liberté des associations, pour la liberté de l'enseignement telle qu'elle existe, telle que nous avons juré de l'observer, cette minorité est venue demander que son vote négatif fût inséré dans les procès-verbaux du congrès, comme protestation permanente contre ces libertés écrites dans notre Constitution et dont elle ne voulait pas. (Mouvement.)
Permettez-moi, messieurs, un rapprochement. Certainement, je n'irai pas jusqu'à dire que le parti de la minorité libérale du congrès est encore vivant, certainement ce parti n'est pas au moins représente dans cette enceinte, puisque chacun de nous a juré fidélité à la Constitution ; mais le rapprochement que je vais faire, fait naître plus d'un enseignement : lorsqu'on examine à fond, sérieusement les griefs actuels d'une fraction de l'opinion libérale contre le clergé on est forcé de reconnaître que ces griefs se résument dans l'usage que le clergé fait de nos franchises constitutionnelles.
La liberté d'enseignement ? Eh bien, messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur vous le rappelait hier, on a beaucoup parlé de ce qu'on nomme les empiétements, les envahissements du clergé, en fait d'instruction publique ; mais qu'entend-on par là ? Reproche-t-on aux catholiques de vouloir proposer des lois pour restreindre cette liberté au détriment de l'opinion (page 78) libérale ? Veut-on dire que les écoles primaires, les collèges et l'université, créés par le dévouement des catholiques, réclament le concours du trésor public ? Non, messieurs, ce qu'on appelle les empiétements du clergé n'est, au fond, que l'usage môme de la liberté d'instruction.
La liberté des associations ? N'est-ce pas un grief de cette fraction de l'opinion libérale contre l'opinion catholique, que le nombre des associations religieuses qui se sont élevées depuis 1830 ? Ce grief ne veut-il pas dire :
« Nous voulons bien que la liberté d'association soit écrite dans la Constitution, mais à une condition, c'est que vous n'en usiez pas.»
La liberté de la presse ? Messieurs, cette liberté on la veut large, complète, sans limites pour la presse libérale, mais lorsqu'un évêque s'avise d'écrire, on lui en fait un reproche. Les ouvrages et les mandements des évêques excitent, dit-on, l'opinion publique contre eux : ils devraient renoncer à cet usage de la liberté de la presse ; et à cette condition, on ne trouve pas mauvais qu'elle reste écrite pour eux dans la Constitution.
La liberté électorale ? Pendant bien des années un grief de l'opinion libérale n'a-l il pas été ce qu'on appelait : « Le clergé électoral. » Je n'examine pas s'il est de l'intérêt du clergé de se mêler aux luttes civiles, c'est une question d'appréciation pour lui ; mais je dis que dans la bouche des hommes appartenant à l'opinion libérale, ce reproche ne peut avoir d'autre sens que celui-ci : « La liberté électorale est écrite dans la Charte, mais c'est à la condition que vous n'en usiez pas. »
Nier l'usage même des libertés constitutionnelles, n'est-ce pas arriver au même résultat que celui que voulait atteindre la minorité du congrès en retranchant ces articles de la Constitution ? Si une telle doctrine parvenait à prévaloir, la protestation insérée dans les procès-verbaux du congrès serait, en effet, devenue permanente.
Ainsi, messieurs, en 1830, pendant notre première période politique, la lutte catholique-libérale existait, mais l'honorable M. Devaux et ses amis se trouvaient à côté de l'opinion catholique modérée pour repousser ce que j'appelle les exagérations de l'opinion libérale à cette époque.
Messieurs, depuis lors, en 1834, lorsque l'honorable M. Lebeau était aux affaires, cette lutte a l-elle cessé ? Mais l'honorable M. Lebeau a défini son programme en deux mots, qui ont souvent retenti à cette tribune ; il a dit, en 1854 : « Je plante ma bannière au centre. » De quel centre entendait-il parler ? Etait-ce le milieu entre la majorité et la minorité, constituées sur la question diplomatique, sur les questions d'organisation intérieure ? Evidemment non, il n'a pas planté sa bannière entre la majorité et l'opposition ; il l'a plantée dans la majorité pour résoudre ces questions, mais lorsqu'il disait qu'il plaçait sa bannière au centre, il entendait ce milieu établi entre les exagérations des deux partis.
Messieurs, a-t-on oublié que le ministère de Theux a été poursuivi pendant sept années comme un ministère catholique, comme un ministère rétrograde, comme un ministère réactionnaire ?
Ne lui a-t-on pas appliqué aussi toutes les épithètes que l'on prodiguait à l'honorable M. Lebeau, en 1834, et que l'on a reproduites depuis contre le ministère Nothomb, en 1842 ?
Ainsi, messieurs, en 1830, la lutte catholique libérale existait comme aujourd'hui, et si, dans cette enceinte, elle était moins vive, elle l'était peut-être davantage au dehors.
Eh bien, messieurs, en 1837, pendant le ministère de Theux, où était l'honorable M. Devaux=, Il était dans la majorité, dans la majorité mixte qui a appuyé le ministère de Theux pendant sept années. Il est vrai, messieurs, qu'avec peu de reconnaissance et de justice, après avoir appuyé ce ministère pendant si longtemps, l'honorable M. Devaux le qualifia plus tard de parenthèse vide. (Interruption.)
En 1837, si je ne me trompe, une grande manifestation libérale eut lieu, une fraction de l'opinion libérale écrivit alors sur son drapeau les mots de : « réforme électorale » qui est encore aujourd'hui le premier article de son programme futur. Alors un pétitionnement s'est étendu à toutes les villes du royaume. Cette manifestation de l'opinion libérale était éclatante.
Eh bien, messieurs, où se trouvait alors l'honorable M. Devaux ? Il se trouvait à côte de ceux qui combattaient la réforme électorale.
L'honorable M. Devaux s'est donc trompé en disant que cette lutte organisée n'avait pas existé sérieuse avant 1840 ; que la politique des ministères de conciliation avait été inventée en 1841. Mais, messieurs, il est une chose plus vraie, c'est que la politique des ministères homogènes a été inaugurée par M. Devaux en 1840. Cette politique a été inventée en 1840, et en présence de quels faits, messieurs ? En présence de celle ancienne majorité dans les deux chambres, forte, nombreuse, ancienne, composée d'éléments mixtes, alors qu'aucun fait, que rien au monde n'indiquait la nécessité de changer de système. Voilà, messieurs, dans quelles circonstances l'honorable M. Devaux a inauguré la politique des ministères homogènes.
L'honorable M. Devaux a pensé, en 1840, que les vieux partis devaient être dissous, qu'il fallait constituer des partis nouveaux. Il l'a voulu sans réfléchir qu'il n'y avait pas de chambres pour ce système, sans réfléchir que, pour établir ce système, il fallait procéder par dissolutions et j'ajoute par dissolutions successives.
En effet, il doit être évident pour ceux qui connaissent les éléments dont les chambres sont composées, les éléments du corps électoral lui-même, il doit être évident que si, à l'aide d'une dissolution, l'on aurait peut-être obtenu dans cette chambre une majorité numérique, il y avait des difficultés insurmontables, une impossibilité d'obtenir une pareille majorité dans le sénat. Là était, messieurs, le danger de cette situation, que l'on n'avait pas prévu.
C'était donc inévitablement par des dissolutions qu'on voulait en 1841, qu'on devait vouloir réaliser ce système homogène qu'on défend aujourd'hui. On aurait dû livrer le pays à des luttes ardentes, passionnées, et c'est probablement dans ces luttes que l'honorable M. Devaux voulait retremper l'opinion catholique qu'il déclare aujourd'hui épuisée et qu'il veut conserver forte dans l'avenir !
L'honorable membre a pensé en 1840 que les questions diplomatiques étant résolues, il ne restait plus comme aliment à l'activité politique que de faire reposer le fond même de la politique intérieure du pays sur la division entre les catholiques et les libéraux.
L'honorable membre n'a pas vu, selon moi, qu'après 1839, alors que l'existence de la Belgique avait reçu sa consécration européenne dans la conférence de Londres, tout n'était pas fait pour notre jeune nationalité ; qu'une nouvelle période s'ouvrait devant nous, période que j'appellerai politique et dans laquelle le gouvernement doit tâcher d'asseoir notre neutralité sur de nombreuses alliances commerciales, qui sont les seules alliances politiques à notre époque, période qui sera entourée de bien d'autres difficultés encore que la première.
Messieurs, il était nécessaire que l'union entre nous se maintînt pour nous permettre de résoudre ces grandes difficultés de l'avenir que l'honorable membre, selon moi, n'a pas assez prévues. Il a cru qu'il pouvait nous être permis de nous diviser sur des questions abstraites et sans objet, d'organiser ces luttes catholiques-libérales, lorsqu'aucun fait assez puissant ne légitimait de pareilles luttes. L'honorable M. Devaux a cru que notre avenir était assez assuré, que notre nationalité était assez vieille et assez forte pour nous permettre de retourner à 1825, de reprendre nos luttes de 1825, qui ont retardé de cinq années l'avènement de notre émancipation politique. L'honorable membre veut nous faire retourner à Vonck et à Vandernoot, aux divisions qui ont fait échouer notre première révolution brabançonne, après une attente de trois siècles.
Un membre. - Vous faites de l'histoire.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - On a fait de l'histoire, et je me permets d'en faire à mon tour. A cette époque, il y avait aussi un homme d'un grand talent, d'une grande énergie de caractère, Vonck, que j'ai nommé tout à l'heure. Il avait aussi aidé puissamment à fonder notre première révolution nationale. Il a cru, lui aussi, que cette révolution avait des racines assez profondes, que son avenir était assez garanti pour que les Belges pussent s'entre-déchirer dans de stériles querelles intestines, pour que la division entre les progressistes et les statistes, les libéraux et les catholiques de cette époque ne dût pas compromettre les destinées de notre révolution brabançonne.
Il n'avait pas entendu les sourdes rumeurs de la grande révolution française qui, à cette époque, était aussi un flot qui montait. La révolution française a trouvé les Belges divisés, affaiblis ; elle a passé sur notre révolution qu'elle a détruite, et la Belgique a perdu le nom qu'elle avait retrouvé.
L'honorable M. Devaux nous a dit : Le flot monte ; les exigences de l'opinion libérale de 1845 vont plus loin que les exigences de l'opinion libérale de 1841 ; ces exigences seront plus étendues encore en 1847. Ce flot monte, a-t-il dit ; il a semblé ajouter que déjà il était impuissant pour l'arrêter.
La cause, il l'a recherchée. La cause, il croit l'avoir trouvée dans la faiblesse du gouvernement, dans cette prétention de l'opinion catholique, de participer au gouvernement des affaires du pays. Il a cru qu'il fallait constituer ce qu'il a appelé un ministère homogène ayant assez de force, assez de pouvoir, assez de moralité, pour diriger le mouvement qui s'opère et pour le modérer.
Messieurs, la cause, selon moi, est ailleurs. En 1839 l'opposition était affaiblie ; le flot ne montait pas ; il baissait. L'opposition était affaiblie par la retraite de celui qu'on avait nommé son chef, par la retraite de l'honorable M. Gendebien. L'honorable M. Gendebien, et je crois pouvoir le dire sans froisser ici aucun amour-propre, n'avait pas laissé dans l'opposition de successeur en 1839. Eh bien, messieurs, la succession de M. Gendebien a été recueillie en 1840 par l'honorable M. Devaux. Un danger en est résulté pour le pays. Certainement, messieurs, lorsque des hommes éminents d'une ancienne majorité sont jetés tout à coup dans l'opposition, l'équilibre entre les partis est rompu et un danger est créé pour le pays. La fraction libérale modérée, gouvernementale, qui avait été habituée à les suivre, a pu s'égarera leur suite dans l'opposition.
Messieurs, ce danger est réel et il pèse encore sur la situation, je ne fais nullement difficulté d'en contenir.
Messieurs, si dans un pays voisin, si en France, les hommes considérables qui se trouvent places à la tête de l'ancienne majorité de quinze ans, étaient jetés tout à coup par la fatalité des événements dans l'opposition, sans doute la monarchie de 1830 courrait un grave péril. Si ces hommes s'appuyaient d'un côté sur le parti de la Gazette de France dont on a parlé hier, d'un autre côté sur le parti démocratique du National ; si ces hommes, dans le but de renverser un ministère, allaient réveiller les partis éteints, formaient une coalition composée des éléments de toutes les oppositions, évidemment, messieurs, le flot monterait aussi ; ces hommes posséderaient un immense pouvoir pour détruire. Mais lorsque effrayés eux-mêmes des progrès de cet incendie qu'ils auraient allumé, ils se tourneraient du côté du gouvernement pour lui attribuer ces ravages, le gouvernement n'aurait-il pas le droit de lui répondre : La cause, c'est vous ?
M. Delehaye. - Messieurs, je ne vous dissimulerai pas qu'à l'avènement de l'honorable M. Van de Weyer au pouvoir, je m'étais bercé de quelques illusions. Les antécédents de cet honorable ministre, son caractère de loyauté, sa franchise que personne, jusqu'au commencement de nos débats, n'avait à mettre en doute, me faisaient espérer, messieurs, que, fidèle aux (page 79) promesses qu'il avait faites pendant la session extraordinaire, il aurait fait connaître en quoi son administration différerait de l'administration de son prédécesseur.
J'avais pensé, messieurs, qu'il nous aurait déclaré que, voulant éviter cette mauvaise ornière dans laquelle s'était tenue si longtemps l'administration ancienne, il était venu au pouvoir pour faire droit aux réclamations de l'opinion qu'il prétend représenter.
Messieurs, cet espoir a été déçu. Je le regrette d'autant plus, que l'honorable M. Van de Weyer, en nous revenant de Londres tel que chacun de nous l'avait connu avant son élévation au pouvoir, nous avait fait entrevoir le moment où nos justes réclamations trouveraient enfin un puissant appui au sein du ministère.
Mais, messieurs, telle est la triste fatalité qui poursuit l'honorable M. Van de Weyer, qu'alors qu'avant-hier un de mes amis, l'honorable M. Delfosse, lui donnait deux mois pour mendier les suffrages de la droite, hier déjà, dans un discours qui a duré une heure et demie, nous l'avons entendu pendant une heure entière faire l'éloge de cette partie de la chambre, et n'avoir pour la gauche que des paroles de fiel, des insinuations peu bienveillantes, des accusations graves contre le parti auquel il appartient.
M. le président. - Je n'ai pas entendu d'insinuations malveillantes.
M. Delehaye. - Vous n'avez pas entendu d'insinuations malveillantes. Mais, M. le président, permettez-moi de vous dire que lorsqu'on s'empare d'un lambeau de conversation pour prétendre qu'un de nos amis voulait une modification à la loi fondamentale, c'était bien là une insinuation tout au moins peu bienveillante.
M. d’Elhoungne. - C'était un malentendu.
M. Delehaye. - C'était un malentendu ; mais il ne fallait pas se hâter de l'interpréter contre un des représentants de l'opinion que M. le ministre de l'intérieur prétend être venu soutenir.
Pendant quatre séances consécutives, un homme considérable de notre parti, que nous sommes heureux et fiers de posséder parmi nous, n'a-t-il pas été l'objet d'une accusation très grave de la part de M. le ministre de l'intérieur.
M. le président. - Il a été entendu que cet incident était terminé.
M. Delehaye. - Je sais que c'est un point délicat ; mais j'en veux tirer un argument. Ce n'était pas le cinquième jour qu'on devait venir rectifier les faits.
M. le ministre de l’intérieur (M. Van de Weyer). - Vous recommencez la discussion.
M. Delehaye. - Je ne recommence pas la discussion. Si l'on ne m'avait pas interrompu, j'aurais déjà fini.
Je sais que M. le ministre de l'intérieur n'y a mis aucune intention malveillante ; je sais qu'il a été induit en erreur, et qu'il a été, malgré lui, involontairement, l'instrument d'une influence hostile contre un de nos honorables collègues.
M. le président. - Je rappelle de nouveau que cet incident est terminé.
M. Delehaye. - Je veux seulement rappeler que cette insinuation a été faite avec beaucoup de légèreté, et qu'il y a lieu de regretter que la réparation qui a été faite, ne l'ait pas été plus tôt.
Messieurs, il est toujours honorable de revenir d'une erreur, la loyauté exige qu'on en revienne ; mais quand on parle au nom du gouvernement, il ne faudrait pas du moins qu'on prolongeât l'erreur, comme le gouvernement l'a laissée se prolonger dans le cas actuel.
J'arrive à la partie matérielle de l'adresse.
Le gouvernement s'est proposé, dans cette adresse, d'une part, de nous faire connaître ses vues politiques, d'autre part, de nous expliquer ses vues industrielles et commerciales.
Je regrette de devoir le dire : si sous le rapport politique, il n'a satisfait à aucune de nos exigences, il en est de même sous le rapport industriel et commercial.
D'abord, le ministère nous a parlé, dans le discours du Trône, de, nos relations avec les puissances étrangères. Il nous a dit qu'une convention a clé conclue avec les Etats-Unis. Je suis extrêmement étonné qu'ayant jugé convenable de faire mention de ce traité dans le discours du Trône, il n'ait pas encore déposé la convention sur le bureau. Comment ! on a une bonne nouvelle à nous annoncer, et cette bonne nouvelle, on se contente de l'indiquer, sans nous fournir les preuves du fait. Je savais fort bien que la convention avec les Etats-Unis ne serait pas déposée sur le bureau, parce que cette convention ne diffère pas beaucoup d'une convention que vous avez déjà été appelés à ratifier, et à laquelle vous avez refusé votre adhésion parce qu'elle contenait une stipulation que vous retrouverez dans la convention actuelle. En effet, dans la nouvelle convention, on maintient les provenances d'entrepôt ; comment dès lors cette nouvelle : convention pourrait-elle nous être plus favorable que la première ? Je voudrais que : M. le ministre des affaires étrangères déposât la convention sur le bureau, ou que du moins il nous en fît connaître succinctement le contenu.
Il est vrai qu'après nous avoir révélé le fait d'une convention avec les Etats-Unis, on nous annonce que nous sommes admis en Chine sur le pied des nations les plus favorisées !
Si le ministère était pénétré de nos véritables intérêts, s'il connaissait bien les exigences du pays, il n'eût pas cru que la circonstance de notre admission en Chine sur le pied des nations les plus favorisées valut la peine d'être mentionnée dans le discours du Trône ; car quels avantages pouvons-nous trouver pour notre industrie en Chine ?
Le ministère ne sait-il donc pas que la prospérité industrielle dont nous jouissons depuis un an, est précisément due au défaut de concurrence de la part de l'Angleterre ; c'est parce que l'Angleterre a trouvé des avantages plus considérables, plus certains en Chine, qu'elle a abandonné le marché d'Allemagne, et même celui de la Belgique. Quand l'Angleterre venait vous faire concurrence sur votre propre marché, notre industrie était souffrante ; elle a repris un peu d'essor depuis que l'Angleterre s'est abattue sur la Chine. Mais comment veut-on que l'industrie belge trouve un débouché dans cette contrée, alors que les marchés sont encombrés de produits anglais ?
D'autres conventions, nous dit-on, sont en train de se négocier avec les pays voisins.
Ici, je l'avoue, j'aurais été heureux d'apprendre quelque chose de positif. Où en sont nos négociations avec la France et avec la Hollande ? Notre industrie linière, qu'on dit être encore dans un état de souffrance, était sans doute intéressée à obtenir quelques renseignements sur l'état de nos négociations avec la France, eh bien, on a gardé sur ce point, un silence complet. Or, s'il faut en croire des journaux qui paraissent être bien informés, nous serions à la veille de voir se rompre les négociations avec la France. Je sais bien que le ministère dira que nos négociations sont pendantes ; mais si elles sont rompues, le gouvernement pourrait sans imprudence nous apprendre s'il a l'espoir d'en voir bientôt la reprise, de nous dire quelles sont les exigences d'un pays voisin.
A cet égard, on ne nous dit exactement rien. Je me plais à le reconnaître, ce n'est pas à M. le ministre des affaires étrangères actuel que nous devons notre position fâcheuse à l'égard de la France. Nous avons malheureusement froissé l'amour-propre de la France ; nous n'avons jamais bien compris l'étendue de nos obligations envers elle ; nous ne nous sommes pas rendu compte des concessions réelles que nous avait faites la France. ; nous avons cru qu'elles étaient plus étendues qu'elles ne l'étaient en réalité ; nous avons constamment crié à la déloyauté de la France ; mais, je l'ai dit et je le répète, il n’y a pas eu déloyauté de la part de la France ; en ce qui concernait l’amendement Delespaul, l’emploi des toiles française dans la confection des habits militaires, il n’y a eu que les mesures prises à l’égard des types qui fussent contraires à la convention ; et à cet égard, je pense qu'il y a entente parfaite entre les deux gouvernements.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point, parce que ce terrain est dangereux et que, dans l'état où sont les choses, il peut être imprudent d'entrer dans de plus longs développements. Je me bornerai à ajouter que, dans mon opinion, le gouvernement compromettrait singulièrement sa popularité aux yeux du pays, s'il ne parvenait à conserver à l'industrie linière le débouché qu'elle possède actuellement et auquel, elle attacha la plus haute importance. Toutefois, il ne faut pas se le dissimuler, quelle que soit la convention que nous fassions avec nos voisins du Midi, elle n'aura aucune durée : un gouvernement prudent travaillerait dès aujourd'hui à obtenir un jour une mesure plus large, la suppression des douanes.
Nos hommes d'Etat, pour montrer leurs sympathies pour les intérêts commerciaux et industriels, ont parlé de la loi des sucres. Je serais fort curieux de savoir comment le ministère espère parvenir à concilier les intérêts de l'industrie exotique avec ceux de l'industrie indigène et du trésor. Je ne rentrerai pas aujourd'hui dans l'examen de cette question, je m'en suis suffisamment occupé lors de la discussion de la loi de 1843 ; ici je me bornerai à dire que je doute beaucoup que.M. le ministre des finances et M. le ministre d'Etat qui a pris une part très large à la législation de 1843, parviennent à trouver le moyen de maintenir les deux industries, et de sauvegarder les intérêts du trésor.
Sans doute, messieurs, il y a moyen de sauvegarder ce dernier intérêt,, et nous l'avons indiqué. Il faut prendre l'industrie de la betterave dans les conditions dans lesquelles elle se présente devant vous. Si vous n'avez pas recours au système des indemnités, il vous sera de toute impossibilité de maintenir voire industrie si importante des sucres, et de satisfaire aux exigences non moins importantes du trésor public.
Je sais bien que le sucre est une matière essentiellement imposable, qu'il doit produire une partie des ressources dont le trésor a besoin ; mais je dis que c'est un leurre qu'on vous offre, lorsqu'on prétend avoir trouvé le moyen de concilier l'intérêt des deux industries coexistantes avec celui du trésor public.
On a parlé, il y a un instant, de la loi des droits différentiels. Pour ma part, je suis fort heureux d'avoir voté contre cette loi ; nous ne sommes pas très éloignés de l'époque où un grand nombre de membres de cette chambre qui ont donné leur assentiment à la loi des droits différentiels, la jugeront tout autrement qu'ils ne la jugeaient alors. Cette loi n'avait qu'un but, but avoué par le principal champion des droits différentiels, l'honorable M. de Foere ; ce but était de créer une marine marchande en Belgique, au moyen de mesures protectrices.
Il fallait donc pour cela accorder une faveur à notre pavillon. Or, le gouvernement a-t-il atteint ce but par la lui telle qu’elle a été votée ? D'après lui, la loi ne doit servir qu'à conclure avec les pays étrangers des conventions qui assimilent le pavillon de ces nations au pavillon belge. Donc le but primitif, le seul but qu'on avait en vue, vient à manquer complétement, par cela seul que le pavillon étranger jouit des mêmes faveurs que le pavillon national ; donc la loi des droits différentiels est impuissante, à réaliser les effets qu'on en attendait.
Dans la pensée de l'auteur du système des droits différentiels, un des principaux produits qui devaient venir en aide à l'exécution de la loi des droits différentiels, c'étaient les sucres. Qu'est devenu le commerce du sucre, alors que la plupart de nos raffineries chôment depuis longtemps ?
(page 80) Il y avait un autre article qui devait donner de l'aliment à la navigation nationale ; c'était le café ; qu'avez-vous fait de cette denrée ? La loi des droits différentiels a autorisé l'importation, en exemption des droits, d'une partie notable de la consommation du café dans le pays.
Je sais bien qu'on me dira que cette exception a été introduite dans la loi en faveur de Liège... (Interruption.) Qu'on ne se méprenne pas sur la portée de mes observations, moi-même j'aurais voté l'exception, si elle s'était bornée à la consommation de la province de Liège, et je serais disposé à la maintenir.
Mais, messieurs, Liège ne figure dans la répartition des sept millions que pour une très faible fraction. C'est pour cela même qu'on pouvait, sans inconvénient, introduire une exception en faveur de la Meuse, sans aller jusqu'à exempter des droits sept millions de kilogrammes de café. Je bornerai là mes observations, me réservant d'y revenir lors de la discussion des articles ; je finirai en vous disant que je pense que l'espoir que notre opinion avait mis dans l'avènement de M. le ministre de l'intérieur, sera déçu ; je pense que l'honorable M. Van de Weyer, malgré lui, à son insu peut-être, sera poussé, je ne dirai pas à faire sa cour à nos adversaires, mais à vanter leur patriotisme ; qu'il sera poussé, d'un autre côté, à attaquer, au moins par des expressions peu bienveillantes, l'opinion qu'il prétendait représenter en venant au pouvoir.
J'ajouterai que sous le rapport des intérêts matériels, l'administration actuelle n'a pas suffisamment abandonné ses antécédents, pour que le pays puisse en attendre ces améliorations sans lesquelles notre commerce ni notre industrie ne pourraient maintenir l'activité que l'on remarque aujourd'hui. Que le gouvernement ne perde pas de vue ceci. Si aujourd'hui quelques-unes de nos industries sont dans une situation satisfaisante, cette circonstance favorable est entièrement indépendante de lui. Cette prospérité, je l'ai dit, est le résultat de l'absence de la concurrence anglaise sur les marchés de l'Allemagne et sur notre marché. Que, par un événement quelconque, l'Angleterre vienne à être exclue de la Chine, la prospérité actuelle de quelques-unes de nos branches d'industrie disparaîtra immédiatement.
Ainsi, que le gouvernement ne se repose pas sur la foi de cette prospérité conditionnelle, qu'il songe à l'avenir ; qu'il prenne toutes les mesures propres à empêcher que la concurrence anglaise, si elle reparaît, ne vienne de nouveau paralyser les efforts de nos industriels.
Un mot encore. Je ne puis donner mon approbation à l'amendement que le gouvernement propose ; je voterai contre cet amendement ; mais ce vote ne me sera dicté par aucun sentiment personnellement hostile aux membres du cabinet ; il en est parmi eux qui jouissent de toute mou estime et qui ont toutes mes sympathies ; mais la réunion de ces hommes qui ne semblent s'être fait aucune concession réciproque, me donne la certitude que nous n'aurons que la continuation de l'ancienne administration. C'est la continuation du ministère Nothomb, avec toutes ses erreurs, avec tous ses préjugés n'ayant rien appris depuis les élections du 10 juin, ayant conservé toutes ses rancunes à l'égard de quelques-uns, et ses faveurs à l'égard des autres.
M. le président. - La parole est à M. de Tornaco.
M. de Tornaco. - Est-ce qu'il n'y a plus d'orateurs inscrits pour la proposition ?
M. Delehaye. - Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères s'il ne dépose pas la convention avec les Etats-Unis.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Dechamps). - Cette convention sera déposée un de ces jours sur le bureau de la chambre ; je ne l'ai pas fait jusqu'ici pour ne pas interrompre la discussion solennelle qui nous occupe.
M. le président. - La parole est à M. de Villegas.
M. de Villegas. - Quoique peu habitué à me mêler aux discussions politiques, je crois qu'il est de mon devoir de donner à la chambre quelques explications franches sur le vote que je compte émettre à la suite de ce débat grave et solennel.
C'est sur le principe même de la formation du ministère, qu'on demande un vote de confiance.
Je suis de ceux qui pensent que, dans la situation actuelle des choses, une combinaison mixte peut encore être essayée, en tenant compte de la force des partis et de l'opinion publique. Malgré le doute que j'ai du succès d'une transaction franche et loyale, je suis disposé à accueillir avec bienveillance l'avènement aux affaires de quelques hommes recommandables par leurs antécédents et leurs capacités et à ne pas mettre un obstacle à l'examen des mesures que le gouvernement nous proposera, en vue de la conciliation des partis. J'entends donner ainsi un gage de la modération qui n a cessé de m'animer dans l'expression de mes convictions politiques.
Cette bienveillance n'est que purement expectante, c'est-à-dire que je ne prends aucun engagement pour l'avenir. Si je m'aperçois que les allures ou les tendances du gouvernement révèlent une résistance au mouvement régulier et au développement progressif de l'opinion à laquelle j'appartiens, un défaut de franchise, ou bien une déplorable partialité, ma ligne de conduite parlementaire ne sera pas douteuse.
A ce prix, je suis disposé à offrir un concours provisoire au gouvernement, et non une adhésion anticipée et complète ; voilà ma profession de foi franche, loyale et exempte de toute influence. Tant pis pour ceux qui ne croient pas à la sincérité de cette déclaration.
Puisque j'ai la parole, j'adresserai quelques questions au cabinet.
Dans le discours du Trône, il est dit que le gouvernement ne néglige aucun moyen d'atténuer les effets du malaise dont l'industrie linière souffre encore.
Je désire savoir quels sont ces moyens que le gouvernement a eus en vue. Si les dispositions peu bienveillantes d'un Etat voisin continuent à notre égard, il est bon que le pays connaisse les mesures que le pouvoir emploiera pour parer au désastre qui nous menace. Je demande au ministère, si, pour sauver l'industrie linière, il ne faut pas accorder une prime à l'exportation de nos toiles ? Je n'entrerai pas aujourd'hui dans l'examen de cette question. La discussion des budgets nous fournira plus d'une occasion pour la développer II suffit de l'avoir indiquée ici.
Le même discours dit encore : « Si l'un des produits les plus précieux pour la nourriture des classes pauvres a été en grande partie détruit, les résolutions que vous avez adoptées, pendant votre session extraordinaire, ont amené déjà d'heureux résultats. » Je demande à connaître ces résultats. Quant à moi, je n'en vois aucun. La cherté des grains et des autres denrées alimentaires augmente tous les jours, et dans quelques localités la misère est à son comble.
Qu'à cette occasion, il me soit permis du recommander à la vive sollicitude du gouvernement, le district que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte.
La décadence de l'industrie linière ne pèse nulle part d'une manière aussi pénible que sur le district d'Audenarde. Le fléau du paupérisme y sévit d'une manière effrayante. Le gouvernement entend-il accorder des secours à certaines communes nécessiteuses que l'autorité administrative a dû lui signaler ? Ces communes ont fait des sacrifices extraordinaires, et leurs ressources sont épuisées. Ces secours leur permettraient, par l'encouragement de travaux utiles, de pourvoir aux besoins des classes ouvrières. En un mot, je désire connaître l'emploi que le gouvernement compte faire des deux millions que nous avons votés.
Ces demandes sont relatives au programme ministériel. Il faut donc que le gouvernement y réponde catégoriquement, s'il veut obtenir l'assurance de mon concours.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Bien que les observations présentées en dernier lieu se rattachent à certains paragraphes de l'adresse, je crois devoir donner dès à présent quelques explications très sommaires.
Plusieurs voix. - Attendez la discussion des paragraphes.
M. le ministre des finances (M. Malou). - Pour répondre au désir de la chambre, j'ajournerai mes explications.
M. de Tornaco. - Messieurs, l'honorable membre qui a pris la parole avant moi a eu l'avantage de faire entrer la discussion dans une phase nouvelle : je ne puis avoir un bonheur semblable. Je suis obligé ne rentrer dans une phase qui sera peut-être moins agréable au ministère et qui est aussi fort désavantageuse pour moi, car je dois me placer sur un terrain déjà battu.
Je serai court, parce que ma tâche est des plus faciles ; je veux me borner à motiver mon vote sur la question de confiance. Comme elle a été posée d'une manière claire et précise, je ne crois pas pouvoir me dispenser de faire connaître les raisons qui dicteront ma réponse.
Messieurs, on a fait tout à l'heure de l'histoire, on en a fait beaucoup dans le cours de ce débat ; qu'il me soit permis à mon tour d'en faire aussi quelque peu. Je rappellerai quelle fut la politique du cabinet précédent, politique que plusieurs paraissent avoir déjà oubliée. L'existence du ministère précédent peut être divisée en deux périodes distinctes : dans la première, le cabinet entreprit de braver ouvertement l'opinion publique ; il proposa ou fit adopter des lois antipathiques à la nation, lois tellement mauvaises, qu'elles rencontrent à peine aujourd'hui des défenseurs, et qu'elles trouveraient même des adversaires parmi ceux qui les ont volées.
Dans cette première période, on n'invoquait pas les souvenirs du congrès, on n'était pas non plus aussi modeste, aussi modéré, aussi conciliant que l'on se montre à présent. Alors le ministère parlait dans cette enceinte de restitutions à faire au pouvoir, au préjudice des franchises communales. Alors on disait ou l'on écrivait qu'il fallait combattre et vaincre les libéraux en masse. Les électeurs, en 1845, protestèrent énergiquement contre cette politique téméraire, et la majorité qui l'avait appuyée, paya sa complaisance de la perte de quelques-uns de ses membres les plus marquants.
Dans la seconde période, le ministère averti par la rude leçon qu'il venait de recevoir, continua sans doute de se moquer de l'opinion publique, mais il le fit avec discrétion, avec circonspection. Ainsi tandis qu'il gouvernait au profil exclusif de certains intérêts, les paroles de modération, d'impartialité, de conciliation étaient toujours sur ses lèvres. Il vécut en abusant des mots pendant deux années, appuyé sur une majorité chancelante, jusqu'à ce qu'enfin à bout de finesses, de ruses, d'expédients, de concessions, de capitulations et d'humilité, il arriva au 10 juin où, pour prix de sa politique dissimulée, il reçut un coup de massue qui lui fit perdre la tête.
Messieurs, chacune des deux périodes que je viens de caractériser en peu de mots a amené dans cette chambre des hommes nouveaux ; ce sont ceux de 1843 et ceux de 1845. La plupart ont accepté pour mission de s'opposer de tout leur pouvoir à la continuation d'une politique tantôt téméraire tantôt dissimulée et que la nation a dans toute occasion condamnée. Nul doute que leur mission ne soit beaucoup plus élevée, beaucoup plus étendue ; mais je crois pouvoir dire que le premier de leurs devoirs est tel que je viens de l'indiquer. C'est du moins ainsi que je comprends ma position ; je n'exprime que mon opinion, je n'ai pas le droit d'en exprimer d'autre.
Eh bien, qu'ai-je à faire en présence du ministère actuel ? Je dois rechercher (page 81) quelle est sa politique ; je dois rechercher s'il existe une ligne de démarcation entre cette politique et celle du cabinet précèdent. Si de mon examen il ne résulte point, dans mon esprit, une différence marquée entre ces deux politiques, je dois lui refuser toute marque de confiance.
Messieurs, le ministère actuel a posé trop peu d'actes pour qu'ils pussent servir à l'appréciation de sa politique. Cependant il en est déjà plusieurs qui ne font pas trop bien présager de sa marche future. Je citerai notamment quelques changements qui ont eu lieu dans les postes diplomatiques, une candidature si cavalièrement aventurée, et enfin tous ces doutes, toutes ces hésitations, ces tergiversations, ces refus obstinés de répondre aux demandes les plus légitimes.
Le ministère a beaucoup trop parlé de franchise pour que je puisse y croire ; la franchise ne se dit pas, elle se prouve. Il est un ministre qui a employé un singulier moyen de prouver sa franchise ; il a commencé par se poser comme libéral ; il est venu ensuite faire des insinuations ; je me sers du mot qu'on a déjà employé, il est venu faire des insinuations dignes d'un ennemi déclaré des libéraux. Je n'en citerai qu'une, l'autre a déjà été relevée. Le ministre auquel je fais allusion a laissé entendre que les électeurs de la capitale sont dirigés par une sorte de camarilla.
M. le ministre aurait dû penser que, s'il existe une camarilla, c'est ailleurs qu'il faut la chercher.
M. le président. - On n'a pas fait d'insinuation contre des membres de la chambre.
M. de Tornaco. - C'étaient des insinuations contre tous les libéraux.
M. le président. - Quand on se place au point de vue des partis, on ne ménage les expressions d'aucun côté de la chambre.
M. de Tornaco. - Je n'adresse aucun reproche à M. le président.
M. le président. - Le président manquerait à son devoir s'il n'arrêtait pas l'orateur qui se laisserait aller à des insinuations envers un ou plusieurs de ses collègues.
M. de Tornaco. - J'ai dit que ce ministre avait fait des insinuations contre les libéraux dont il dit partager l'opinion. Je conclus de là qu'il n'a pas été très généreux dans ses preuves de franchise.
Quoi qu'il on soit, je passerai assez facilement sur ces divers points. Pour les paroles, je ferai la part de la discussion ; pour les actes, je ferai la part de l'empressement de MM. les ministres qui avaient tant de choses à sauver.
En l'absence d'actes suffisants qui puissent servir de base à l'appréciation de la politique du cabinet, je dois entrer dans l'examen de sa formation même.
Je vois aux bancs des ministres plusieurs membres qui n'ont pas fait partie de l'administration précédente. Il y en a deux dont le caractère m'est connu personnellement. Il en est un troisième, auquel j'ai déjà fait allusion et qui passe pour un homme de cœur. C'est beaucoup pour moi. Je désire qu'il conserve cette réputation, en se montrant juste à l'égard de l'opinion à laquelle il appartient. Je n'hésite point à le dire, ils me rassureraient à certains égards, je compterais volontiers sur leur impartialité. Mais malheureusement ils font partie d'une combinaison que je ne crois pas en rapport avec les besoins du pays ; ils se sont en outre associés à des hommes entièrement compromis.
On a beaucoup parlé de ministère mixte ou de conciliation ; je veux en dire aussi quelques mots.
En principe, je suis entièrement opposé aux ministères mixtes ; ces combinaisons exigent des sacrifices, des concessions qui répugnent aux convictions sincères et puissantes. Les hommes qui entrent dans de pareils cabinets ne peuvent y entrer qu'en se dépouillant d'une partie de leurs opinions. Ces cabinets mixtes ont de plus un autre inconvénient, c'est que les ministres qui s'y trouvent n'ayant pas les mêmes pensées se trouvent en état de suspicion l'un à l'égard de l'autre.
Ils sont privés de cette confiance mutuelle et de cette unité de vues qui contribuent si puissamment à la force et à l'activité d'une administration.
La condition sine qua non, la condition absolue de la franchise, de la fermeté et de la dignité du pouvoir, c'est à mes yeux l'homogénéité. Non pas cette homogénéité dont on a parlé tant de fois, qui n'existe que sur des actes isolés, mais l'homogénéité sur des principes généraux de politique.
Ce n'est pas que je sois opposé aux ministères mixtes d'une manière absolue. Je crois qu'il est des circonstances où les ministères mixtes sont une nécessité. Un grand danger, des difficultés extraordinaires à surmonter, peuvent commander l'existence des cabinets mixtes. En règle générale, le ministère doit être homogène ; le ministère mixte est une exception que des circonstances impérieuses peuvent seules légitimer. De ces circonstances, je n'en vois aucune autour de nous.
Aucun danger, soit extérieur, soit intérieur, ne menace notre pays. On a parlé d'un danger, on a parlé du mouvement des esprits ; mais ce danger ne peut être réel que si le mouvement des esprits se trouvait comprimé d'une manière trop forte et trop prolongée.
Je sais qu'il est fort difficile pour un gouvernement de reconnaître d'une manière opportune et précise, le point d'appui qui lui convienne. Cependant sa tâche est singulièrement allégée sous le régime où nous vivons.
La presse, les discussions parlementaires, les élections souvent renouvelées, doivent l'instruire suffisamment des besoins de la situation. Je ne crains donc aucun danger, je ne vois rien qui nous oblige à imposer silence à nos opinions, à immoler nos convictions ; rien ne prouve la nécessité de suspendre une lutte consciencieuse ou pacifique entre des opinions loyales.
Au contraire, les circonstances semblent favoriser cette lutte ; la paix dont nous jouissons, nous convie à une discussion d'où doivent après tous jaillir encore et la lumière et le progrès.
Le mouvement des esprits dont on a tant parlé et dont M. le ministre des affaires étrangères veut faire honneur à l'honorable M. Gendebien et à l'honorable M. Devaux, ce mouvement a commencé il y a des siècles, et continuera encore après nous. Les difficultés de notre situation extérieure l'avaient arrêté quelque temps. Aussi, remarquez-le bien, s'il vous plaît, il a reparu aussitôt que la question extérieure a été définitivement résolue, aussitôt que tout danger eut cessé.
Messieurs, je suis opposé au ministère, comme ministère mixte ; mais j'ai encore d'autres raisons qui m'empêchent de lui accorder une marque de confiance.
A côté des membres du cabinet auxquels j'ai fait allusion tout à l'heure, j'en vois d'autres qui ont fut partie du ministère précédent. Je ne puis croire que la venue inespérée d'un sauveur de la Couronne ait métamorphosé ces messieurs. Ce qu'ils furent, ils le seront encore ; ceux qui n'ont pas tenu leurs promesses précédentes, ne tiendront pas davantage leurs promesses d'avenir. Si ces messieurs ne sont pas changés, ils n’ont sans doute aucun droit à notre confiance ; si, au contraire, ils sont changés, ils n'ont droit à la confiance de personne ; car, ainsi qu'ils seraient changés aujourd'hui, ils pourraient bien changer demain ; il n'y a que les hommes dont la conduite est peu variable qui méritent la confiance publique.
En vain le ministère vient-il vous parler de son homogénéité ; en vain nous déclare-t-il que tous ses membres sont d'accord sur tous les projets qu'il vous soumettra, je ne puis y croire tant que je verrai dans sou sein, des membres du dernier cabinet. Celui-là tenait le même langage, il parlait aussi de son homogénéité ; il disait que tous ses membres étaient d'accord sur tous les points, et lorsqu'il s'agissait de soutenir quelque projet, chaque ministre, permettez-moi cette expression, lâchait pied et faisait sa retraite suivant les exigences de sa stratégie.
Le ministère n'ayant l'appui sympathique d'aucune des fractions de la chambre, ne satisfaisant la conscience d'aucune d'elles, sera réduit aux moyens employés par son devancier. Nous aurons la continuation pure et simple de la politique du cabinet précédent. Nous aurons le ministère de M. Nothomb en son absence. Comment donc lui donnerais-je ma confiance ? Puisque rien n'est changé, moi donc je devrais changer ; je devrais renier mon origine de 1843, méconnaître ce mouvement des esprits auquel je dois de siéger dans cette enceinte ? Ce que je pensais et disais hier, je devrais le contredire aujourd'hui ? Non, non, messieurs, un sacrifice comme celui-là n'est pas chose facile pour moi ; je laisse à d'autres le triste courage de mettre leurs opinions à leurs pieds ou aux pieds d'autrui.
M. de Garcia. - J'aurais désiré me dispenser de prendre part à cette discussion ; mais la conduite que j'ai tenue dans le parlement, la tournure de la discussion elle-même me font un devoir de m'expliquer sur la grave question qui s'agite dans cette enceinte.
Depuis 1839, j'ai l'honneur de siéger dans cette assemblée. Depuis lors, à chaque session, une discussion politique s'est engagée entre ce qu'on est convenu d'appeler le parti catholique et le parti libéral. Ces discussions se sont même présentées à différentes reprises dans la même session. Jusqu'à ce jour deux motifs puissants m'ont déterminé à ne pas y prendre part. Le premier, c'est qu'il existe dans cette assemblée des hommes éminents beaucoup plus capables que moi d'éclairer de pareils débats.
Le deuxième, c'est qu'il me répugnait de traîner en longueur des discussions qui, au grand détriment du pays, nous ont fait perdre un temps précieux que nous aurions pu employer à l'examen de questions qui se rattachent plus réellement aux véritables intérêts de la nation.
Que signifie la qualification de libéral et celle de catholique ? Voilà tout le problème. Pour s'entendre sur les choses, il faut nécessairement et préalablement s'entendre sur les mots. Dans le sens académique, oui, messieurs, dans le sens académique, le mol libéral n'exprime pas l'idée d'anti-catholique, et j'ai la conviction intime qu'un grand nombre des hommes qui se proclament libéraux partagent ma manière de voir.
Cette appréciation des choses est partagée, j'en ai la conviction, non seulement au point de vue grammatical, mais au point de vue politique.
Sous ce double rapport, le catholicisme doit-il être considère comme exclusif du libéralisme ? Voilà la deuxième face de la question, à laquelle je n'hésite pas à répondre : Non, messieurs, le catholicisme n'a ni cette pensée ni cette tendance, et, je le déclare, si telle pouvait être sa prétention, je la combattrais comme envahissante. Au nom de la franchise et de la loyauté, posons nettement les questions, et tout naturellement nous tomberons d'accord, nous nous unirons sincèrement ou nous nous mettrons en état d'hostilité. Je ne crains nullement cette dernière position, qui, quand elle sera franchement dessinée, unira les vrais libéraux et les vrais catholiques.
En passant, messieurs, qu'il me soit permis de remercier M. le ministre de l'intérieur de l'hommage et de la justice qu'il a accordés à l'opinion catholique. Cet hommage est d'autant plus précieux, que je le considère comme celui d'un vrai libéral et qu'il vient en aide à la doctrine que je viens de déduire.
Les catholiques, a-t-il dit, ont puissamment concouru à la conquête de nos institutions libérales, et je compte sur eux pour l'adoption de nouvelles mesures libérales, qui pourraient être jugées utiles.
Que le ministre en soit convaincu, cet appui ne lui manquera pas.
L'opinion catholique n'est hostile ni aux progrès ni aux lumières. Elle ne veut qu'une chose, c'est que les convictions religieuses d'un citoyen ne (page 82) soient ni asservies ni compromises, et en cela il ne veut que l'exécution sincère de nos institutions constitutionnelles. Au vrai, dans le véritable sens du mot, surtout dans le sens politique : Quel est celui qui peut avoir la prétention d'être vraiment libéral ? Incontestablement c'est celui qui veut le jeu le plus complet de nos institutions. A ce point de vue, je me place au premier rang du camp libéral.
Pour attaquer l'opinion catholique, on a indiqué le souvenir de quelques-unes de nos lois antérieures. Les arguments qu'on a cherché à tirer de cet examen ne me paraissent ni heureux ni exacts. On a parlé de la loi sur les droits différentiels. Je le demande : qu'y a-t-il de catholique dans une loi semblable, à laquelle, au surplus, je n'ai pas donné mon assentiment ?
On aurait dû parler de la loi des pensions des ministres ; cette loi libérale des deniers du peuple, j'ai voté son rejet.
On a fait allusion encore à d'autres lois qui ont reçu mon assentiment ; et ces lois, il faut en convenir, avaient une physionomie constitutionnelle et libérale. Je veux parler de la loi sur la nomination des bourgmestres en dehors du conseil, de la loi sur l'instruction primaire et de la loi du jury d'examen.
Qu'il me soit permis de rappeler, en peu de mots, les motifs qui ont déterminé mon vote.
J'ai la conviction intime que la nomination des chefs d'administration appartient au Roi. J'ai également la conviction intime que cette nomination, déférée à la Couronne, ne portait aucune atteinte aux franchises communales, pas plus que la nomination libre des gouverneurs par le Roi ne porte préjudice aux prérogatives provinciales.
A ce point de vue, je n'ai qu'un regret, c'est qu'on ait donné la préférence à un système bâtard sur un système régulier, qui dans d'autres temps avait été défendu par les membres les plus influents de la gauche.
Il est une autre loi, c'est la loi sur l'instruction primaire. Eh bien, cette loi a été votée par l'assemblée entière, moins trois voix. Je respecte ces votes ; je suis sûr qu'ils reposent sur la conviction ; mais au moins qu'on ne dise pas que la loi est l'œuvre du parti catholique ; qu'on ne dise pas que le ministère a fait cette loi en mendiant des votes sans conviction ; c'est injurier l'immense majorité, la presque unanimité de cette chambre qui a voté la loi.
Et la loi du jury d'examen ! Ici encore la question se présentait comme constitutionnelle et libérale. Quant à moi, je suis convaincu qu'en présence des dispositions de la Constitution, la chambre pouvait, sans porter atteinte à la prérogative royale, conserver la nomination des membres du jury d'examen. A ce point de vue, beaucoup de libéraux, comme beaucoup de catholiques, partagent mon opinion.
Passons à l'examen du côté libéral de cette loi. Franchement, messieurs, le libéralisme se trouve-t-il dans les prétentions d'une partie de la gauche, qui voulait conférer la nomination du jury d'examen au Roi, ou dans les prétentions de la droite et du centre qui voulaient conserver cette prérogative à la souveraineté nationale ?
D'abord, observons que deux membres influents de la gauche, MM. Castiau et Delehaye, ne partagent pas l'opinion de leurs amis politiques ; chacun de nous se rappelle encore les théories qu'ils présentaient alors et qui sont dignes d'examen.
Au surplus, quelque système qu'on adopte à ce sujet dans l'avenir, je suis convaincu que le moins libéral est celui qui conférerait cette nomination au gouvernement.
Je ne considérerais pas, sans doute, comme une inconstitutionnalité que la chambre conférât cette nomination au gouvernement. J'avais même communiqué à quelques amis que je ne voyais pas d'inconvénient à cette mesure et que je pouvais y donner mon assentiment.
Après la discussion de la loi, je changeai d'opinion, et cette circonstance me valut le reproche d'être mobile.
Fort de mes convictions, ce reproche ne me toucha aucunement.
Lorsque de toutes parts et dans cette enceinte et en dehors, l'on nous dit que les libéraux doivent arriver en majorité à la représentation nationale, qu'eussiez-vous dit si l'on avait dépouillé la chambre du droit qu'elle avait exercé jusque-là ? A juste titre, messieurs, vous nous eussiez traités de couards ou tout au moins vous nous auriez taxés de peu de loyauté. Pour moi, messieurs, quelles que soient les majorités qui arrivent ici, je n'ai pas cru devoir ôter à la chambre une prérogative que nous exerçons depuis que nos institutions constitutionnelles sont en jeu. La souveraineté repose dans la nation ; l'opinion, a-t-on dit avec vérité, est la reine du monde ; parlant de ce principe que je considère comme incontestable, j'ai cru et je continue à croire que la représentation nationale doit conserver son droit, qui constitue la seule surveillance de l'enseignement libre et indépendant établi dans notre pays.
La conservation de cette prérogative me paraît en outre résulter de l'ensemble de nos institutions.
L'enseignement est libre et indépendant en Belgique ; le pouvoir judiciaire est aussi constitué dans l'Etat comme un corps libre cl politiquement indépendant. Et qu'arrive-t-il lorsqu'il s'agit de pourvoir aux fonctions un peu élevées de la magistrature ? La Couronne est vinculée, et son droit ne peut tomber que sur des présentations qui lui sont faites par des corps, qui directement ou indirectement sont le produit des collèges électoraux, et dès lors de l'opinion publique.
La similitude de l'indépendance de l'ordre judiciaire et du droit d'enseignement est à nos yeux un nouveau motif pour ne pas donner d'une manière absolue au gouvernement la nomination des fonctionnaires qui sont appelés à agir dans l'administration de la justice ou dans l'instruction.
En conservant donc à la représentation nationale la nomination des jurys d'examen, j'ai la conviction intime que j'ai fait preuve de libéralisme.
Le catholicisme a souvent été présent ; dans cette assemblée et en dehors comme hostile aux progrès, aux lumières, aux libertés publiques Quant à moi, messieurs, je ne puis admettre ces assertions.
Sans doute il est dans l'histoire des pages qui prouvent que le clergé n'est pas toujours resté pur. De grandes fautes, des crimes peut-être lui sont imputables. Mais, messieurs, il faut faire la part des époques et du gouvernement, et ces grandes fautes, il faut le reconnaître, doivent être attribuées à des hommes et nullement à la doctrine.
Soyez-en convaincus, les catholiques belges qui ont accepté franchement nos libertés constitutionnelles, ne veulent ni les dragonnades, ni les St-Barthelémy, ni les révocations d'édits de Nantes, ni les auto-da-fé ; ils veulent la liberté, ils veulent la tolérance la plus complète des opinions religieuses et philosophiques, et si l'histoire contient quelques tristes souvenirs sur le clergé, la même histoire contient aussi les pages les plus brillantes et les plus glorieuses en faveur de la doctrine catholique. Ouvrez-la, méditez-la sincèrement, vous y verrez que la civilisation actuelle est due au christianisme.
Pour vous citer un ouvrage qui est dans les mains de tous les jurisconsultes et qui certainement n'est pas suspect, je vous parlerai de Troplong, jurisconsulte français des plus distingués ; lisez son ouvrage profond et érudit intitulé : « De l'influence du christianisme sur les lois civiles, » et vous y trouverez un témoignage éclatant de ce que je viens d'avancer. Vous y verrez que le christianisme a concouru puissamment à donner et à perfectionner le système des lois dont jouit le monde. Il est un publiciste qui a aussi rendu justice au christianisme, je veux parler de Benjamin Constant, dont l'opinion, sans doute, ne vous sera pas plus suspecte.
Savez-vous, messieurs, ce que cet homme d'Etat disait du catholicisme et comment il définissait cette doctrine ? Il la qualifiait de civilisateur universel. Regardez après cela le catholicisme comme anti-libéral, si vous le voulez ; quant à moi je ne partagerai jamais cette manière de voir. Je ne regarde pas les libéraux comme anti-catholiques, mais qu'ils veuillent bien ne pas me considérer comme anti-libéral, et je n'aurai aucune répugnance à marcher et à vivre avec eux, soit dans la vie publique, soit dans la vie privée.
Je dois un mot de réponse à une assertion faite dans le cours de cette discussion, et que j'ai entendu avec peine. Le ministère actuel, a-t-on dit, devra, comme le ministère précédent, mendier des voix pour vivre et pour se constituer une majorité. Cette assertion est une véritable accusation contre la conduite de quelques membres du parlement. Supposer que le ministère ait mendié des voix pour vivre, c'est nécessairement supposer que des membres de cette assemblée sont capables de faire l'aumône de leurs suffrages. Quant à moi, messieurs, je proteste contre une telle supposition, que je puis à juste titre taxer de calomnie. Les membres de cette assemblée qui ont voté avec la majorité ont, autant que certains membres de l'opposition, la conviction de leur devoir, et ils savent le remplir en conscience dans les vrais intérêts du pays.
Nous sommes, il faut le dire, aussi libres et aussi indépendants que ceux qui nous accusent.
Nous voulons sincèrement l'exécution de tous nos droits constitutionnels et de toutes les libertés, et s'il pouvait se faire qu'un jour elles fussent menacées, de quelque côté de cette chambre que vint l'attaque, je les défendrai avec courage.
Liberté de la presse, liberté d'enseignement, liberté des cultes, et toutes les autres entrent dans mon programme.
Que le ministère garde fidèlement la position politique intérieure qu'il nous a posée. D'un côté, qu'il sache dominer les exigences des partis, que les opinions restent libres et que nulle ne soit asservie ni dominée par l'autre. Que les emplois publics soient donnés aux plus capables et aux plus dignes.
Je terminerai en déclarant que, pour moi, je ne veux ni drapeau catholique ni drapeau libéral ; le seul drapeau que je reconnaisse et que je veuille suivre est le drapeau national qui flotte devant nos yeux, autour duquel se groupent les vrais intérêts du pays et toutes nos libertés constitutionnelles.
M. le président. - La parole est à M. Delfosse.
M. Delfosse. - Je céderai mon tour de parole à M. Dolez et je prendrai le sien.
M. Dolez. - Je remercie mon honorable collègue.
Messieurs, au point où en est arrivé ce long et important débat, la chambre ne peut pas attendre de moi que j'y apporte des considérations nouvelles. Un motif plus modeste me porte à réclamer quelques moments de votre bienveillante attention. J'ai cru que c'était pour moi un impérieux devoir de faire connaître à la chambre quelle serait la nature de mon vote, quels en seraient les motifs et quelle en serait la signification et la portée.
Que la chambre me permette de lui rappeler quelques paroles que j'avais l'honneur de lui adresser, il y a bientôt deux ans. C'était, messieurs, à l'occasion de la loi sur les fraudes électorales. Je vous disais alors :
« Dans quelle situation le ministère a-t-il trouvé le pays ? Au moment où le cabinet précèdent succomba, devant une opposition que j'ai qualifiée, le pays était calme, le pays était uni. Il n'y avait d'irritation que dans quelques têtes qui grandissaient à plaisir cette irritation, pour amener la chute d'un ministère qui ne leur plaisait pas.
« Aujourd'hui, que voyons-nous ? De toutes parts le pays est agité par les pensées politiques ; partout des comités politiques se forment, partout s'agite l'esprit d'ordinaire si calme de nos populations.
« Je demande si cet état de choses n'est pas un mal sérieux et profond (page 83) Quant à moi, je crois que c'en est un, et il m'est impossible de ne pas en faire un reproche au ministère qui l'a fait naître, et par son avènement au pouvoir et par la marche qu'il y a suivie.
« Le ministère précédent avait atteint un résultat qui me paraissait de nature à exercer sur l'avenir du pays la plus heureuse influence : il avait rendu l'opinion libérale éminemment gouvernementale.
« C'était un résultat heureux à mes yeux, parce qu'il devait faire grandir, dans les idées gouvernementales, les générations nouvelles, qui apportent chaque année à l'opinion libérale un invincible accroissement.
« Aujourd'hui, au contraire, l'opinion libérale est hostile au ministère.
« Cet état de choses, messieurs, ne peut pas continuer à régner sur le pays sans de graves dangers pour son avenir politique. »
Messieurs, ce que j'avais l'honneur de dire alors s'est-il réalisé ? Les dangers que j'entrevoyais sont-ils, en partie déjà, accomplis ? Je laisse à votre prudence le soin de répondre à ces questions. Quant à moi, il m'est impossible de croire que le pays ne soit dans une situation qui ne manque pas de gravité, bien que je n'entende pas cependant en exagérer l'importance. Si, messieurs, je reconnais la gravité de ces circonstances, je désire vivement que la prudence de cette chambre, que la réunion de nos efforts parviennent à éviter qu'il n'en résulte un jour des conséquences qui seraient fatales pour tous. Je dis fatales pour tous, et l'opinion à laquelle j'appartiens me permettra d'étendre mes appréhensions jusqu'à elle.
Je pense en effet, messieurs, qu'il n'est point sans danger qu'une grande opinion politique, qui se recrute chaque jour de la partie la plus vive des générations nouvelles, se maintienne trop longtemps dans l'opposition.
Chaque situation a pour les partis, comme pour les hommes qui les composent, des écueils et des dangers contre lesquels ils doivent soigneusement se prémunir. Dans l'opposition, ce qu'il faut craindre surtout, c'est de se laisser entraîner au-delà du but légitime que l'on est en droit d'atteindre ; c'est de s'habituer à considérer le pouvoir comme un adversaire nécessaire qu'il faille fatalement combattre. Dans l'opposition, le devoir des partis, comme celui des hommes qui les dirigent, est de regarder parfois en arrière, afin de constater l'espace déjà parcouru, et de pouvoir reconnaître ainsi qu'il est temps de ne pas aller plus loin.
Pour moi, messieurs, je remplis ce devoir pour moi-même, et, dès ce moment, je crois reconnaître qu'il est temps que le gouvernement se place, vis-à-vis de l'opinion à laquelle j'appartiens, dans des conditions qui permettent à cette opinion de s'arrêter dans la carrière que, depuis près de cinq ans, elle a forcément parcourue.
Messieurs, il est certes douteux que l'opinion libérale eût dès aujourd'hui la majorité numérique au sein de cette chambre, mais il est impossible de méconnaître les immenses progrès qu'elle a réalisés, dans ces dernières années, et qu'elle soit appelée à en accomplir de nouveaux encore. Il est dans la fatalité des partis comme dans celle des nations elles-mêmes, de suivre une marche ascendante jusqu'au moment qu'une grande faute vienne les précipiter dans une marche opposée, qui doit être à son tour parcourue tout entière. L'opinion libérale fournit chez nous sa marche ascendante, nul de nous ne peut contester la vérité de cette situation.
Sans doute, des digues, des entraves pourraient lui être opposées ; mais sa marche, rendue peut-être moins régulière par d'inutiles obstacles, n'en reprendrait pas moins bientôt son cours.
Pour quiconque veut y réfléchir, sans préoccupation, en acceptant franchement l'invincible signification des faits, il est évident que le libéralisme avance vers l'occupation du pouvoir, et que bientôt elle sera définitivement atteinte.
Pour moi, qui ai cette conviction ; pour moi, qui crois de toute la force de mes convictions que cette opinion est appelée à remplir noblement cette mission, mon vœu le plus ardent, le plus cher, comme ami de mon pays, comme dévoué à ses intérêts, à son avenir, c'est que le libéralisme n'entre au pouvoir que dans des conditions de modération et de prudence, telles que nous-mêmes ne devions pas un jour regretter ses succès. C'est pour cela, messieurs, que je désire ardemment qu'il n'entre point au pouvoir en vainqueur et comme en pays conquis ; car, messieurs, l'histoire de tous les temps est là pour nous dire que la victoire a parfois des enivrements dangereux pour les vainqueurs eux-mêmes.
C'est, messieurs, sous ces impressions que j'ai apprécié la composition du cabinet. Cette composition est-elle de nature à faire arriver le pouvoir entre les mains de l'opinion libérale par les voies régulières, par les voies conciliatrices, par les voies modérées ? Voilà, messieurs, à mes yeux, toute la question. Je dois dire tout d'abord, que dès sa naissance j'ai cru que la composition du cabinet n'était pas ce qu'il eût été juste et désirable qu'elle fui pour répondre aux besoins de la situation qui avait amené la dissolution du cabinet précédent.
J'estime, messieurs, les hommes qui siègent au banc ministériel ; j'ai, avec plusieurs d'entre eux, des relations amies, des relations qui me sont chères, et si je n'écoutais que ces considérations j'aurais dû, de prime abord, applaudir à leur avènement au pouvoir.
Mais quelle était la situation dans laquelle le cabinet a pris naissance ? Une longue opposition nous avait séparés du pouvoir, qui nous avait trop longtemps méconnus. Une manifestation électorale des plus imposâmes venait de motiver la dissolution du cabinet. Que fallait-il pour agir sur l'opinion publique ? Il fallait s'efforcer de lui donner, avant tout, l'apaisement des noms, afin d'agir immédiatement sur elle, d'une manière à laquelle elle ne put pas se méprendre, il est naturel que quand l'apaisement des noms a fait défaut à une opinion, elle se montre plus exigeante, en ce qui concerne l'apaisement des choses.
Je dis que la formation du cabinet n'a pas donné à l'opinion libérale l'apaisement des noms ; cela mérite une explication complète de ma part.
Sans doute, le cabinet renferme des noms que l'opinion libérale honore à juste titre. Mais ce qu'il eût fallu faire, avant tout, c'était de tenir compte dans sa formation, de la minorité des sessions dernières, minorité vers laquelle on reconnaissait qu'il était indispensable de se tourner, en présence de la manifestation électorale qui s'était produite dans le pays. Le cabinet renferme donc un vice grave et sérieux par cela même qu'on n'y compte aucun membre de la minorité.
Je n'entrerai pas dans une discussion inutile, à mon sens, sur la convenance des cabinets homogènes ou des cabinets mixtes ! Je crois qu'aucune théorie absolue ne peut être défendue en cette matière. Tout dépend de circonstances. Tel cabinet sera parfaitement approprié aux besoins du moment, quand ses éléments seront homogènes ; tel autre, dans un autre temps, vaudra mieux, quand il sera composé d'éléments mixtes. Je crois, pour mon compte, qu'un cabinet mixte ou de transaction n'était point en-dehors des nécessités du moment.
Je le crois, parce que je désire que l'opinion libérale accomplisse ses progrès par les voies les plus régulières, les plus simples de notre organisation constitutionnelle ; parce que je désire, en un mot, que la majorité qui, quoi qu'on fasse, appartiendra bientôt à l'opinion libérale, ce soit par les élections ordinaires et sans la dissolution des chambres.
Il était difficile, à mes yeux, qu'un cabinet exclusivement libéral, se présentât devant les chambres, telles qu'elles sont composées, et je le répète, j'aurais vu avec regret une dissolution parlementaire, surtout dans la situation d'esprit où se trouvait le pays. Mais, messieurs, dans tout cabinet mixte, et ici je me permets de faire un appel à vos souvenirs ; dans tout cabinet mixte, il doit y avoir une influence politique prédominante. Un cabinet mixte dans lequel les éléments se balanceraient parfaitement, serait, sous le rapport politique, réduit par la force nécessaire des choses, à la plus complète, à la plus désespérante impuissance.
On a cité comme exemple d'un cabinet mixte, celui qu'a présidé l'honorable M. de Theux. Eh bien, malgré la présence de libéraux d'une valeur très grande dans ce cabinet, n'est-il pas vrai que ce cabinet a toujours subi la prédominance de l'honorable M. de Theux, qui lui imprimait et son nom et sa signification politique ?
Aujourd'hui, si j'ai bien compris la formation du cabinet, la prédominance politique doit appartenir à l'honorable M. Van de Weyer. Cette situation est nettement marquée par les circonstances qui ont fait naître le ministère. Si telle est effectivement la pensée du cabinet, je pourrais espérer de voir réaliser le vœu que j'émettais tout à l'heure, de voir l'opinion libérale s'établir au pouvoir dans des conditions rassurantes pour tous et qui lui permettraient de concilier à ses doctrines une grande partie de ceux-là même qui considèrent ses doctrines comme des dangers. Je crois, en un mot, qu'à cette condition, les destinées de l'opinion libérale pourraient s'accomplir sous la direction du cabinet actuel.
L'honorable M. Van de Weyer n'appartient pas aux chambres, cela est vrai ; aucuns lui en ont fait un reproche. Je reconnais qu'en général il ne convient pas de prendre des ministres en dehors des chambres, mais je ne puis pas admettre des principes absolus à cet égard. Et permettez-moi, messieurs, de rappeler ici à vos souvenirs qu'un homme qui a laissé parmi vous les souvenirs les plus honorables, un homme dont, dans ces circonstances mêmes, nous devons regretter l'absence, l'honorable M. Leclercq avait, lui aussi, été appelé, en dehors des chambres, à siéger dans les conseils de la Couronne, ce qui ne l'empêcha pas de conquérir bientôt parmi nous la plus haute influence, grâce à la noblesse de son caractère, à la modération et à la fixité de ses opinions politiques.
Je n'ai pas l'honneur de connaître intimement l'honorable M. Van de Weyer, mais je lui dois cet hommage, que tous ses anciens amis croient à la fixité de ses principes, comme à la franchise de son caractère. Ce matin même, un homme qui a longtemps siège parmi nous, dont le souvenir est loin d'être effacé, et dont le libéralisme ne sera contesté par personne ; l'honorable M. Gendebien enfin me disait qu'il considérait son ancien collègue du gouvernement provisoire comme un des hommes sur lesquels l'opinion libérale pouvait avec confiance faire reposer ses plus chères et ses plus légitimes espérances.
Je ne puis croire d'ailleurs que M. le ministre de l'intérieur soit venu d'outre-mer, comme on l'a dit, pour renier tous ses antécédents et combattre une opinion à laquelle l'attache toute sa vie politique. J'aime, messieurs, à rappeler à mes collègues de ces bancs, comme j'aime à me rappeler à moi-même, qu'en une autre occasion M. Van de Weyer a passé le détroit pour nous donner un témoignage significatif de sa sympathie.
Il y a quatre ans, nous avions défendu, dans cette enceinte, un ministère injustement attaqué et dans lequel notre opinion elle-même avait été mise en cause. Ce ministère, malgré les efforts que nous avions faits pour le soutenir, malgré la majorité qu'il avait obtenue dans cette chambre, avait été forcé de se retirer. Eh bien, à cette époque, l'honorable M. Van de Weyer revint également en Belgique, et il y revint pour donner aux ministres qui venaient de tomber, un témoignage de sympathie, que lui, haut fonctionnaire de l'Etat, n'accorda pas à leurs successeurs.
Je livre ce fait au souvenir de mes collègues comme étant un titre de confiance pour le véritable chef de cabinet.
Il est pour l’honorable M. Van de Weyer et pour ses collègues qui, pénétrés de la situation du pays me paraissent accepter pour lui la qualification de chef de cabinet que je donne au ministre de l'intérieur, il est pour eux un vrai danger. Je ne dois pas le taire.
L’opposition z éprouvé, dans ces dernières années, tant de déceptions ; (page 84) les appels à la modération, à la conciliation qui lui avaient été adressés, ont été pour elle tant de fois des pièges qu'il est bien légitime qu'elle soit devenue défiante. Eh bien, cette défiance, vous en avez entendu partir l'expression des bancs sur lesquels je siège ; tandis que, sur les bancs opposés, des témoignages d'approbation accueillirent les paroles ministérielles.
J'aime à croire que le chef du cabinet saura trouver en lui-même et dans la fixité de ses principes assez de force pour résister à la séduisante approbation des uns et aux pensées d'éloignement que pourrait inspirer la défiance des autres. Qu'il se pénètre bien que si, par quelque motif que ce fût, il venait à abandonner les principes de toute sa vie, il se perdrait sans retour et devrait regretter à jamais son retour à la direction intérieure des affaires de son pays.
J'ai la ferme conviction qu'en gouvernant avec moralité, avec honneur, il est permis à un ministre libéral de rester fidèle à ses principes, sans qu'une autre opinion puisse se croire menacée. Le libéralisme que nous professons est ami de l'ordre, de la modération ; il est conservateur des droits de tous. Il proclame son respect pour toutes les libertés que la Constitution a consacrées ; mais il les aime d'un égal amour ; mais il n'admet pas que l'une d'elles puisse être, pour qui que ce soit, un moyen de déraciner les autres. Notre libéralisme respecte toutes les opinions consciencieuses, car, sans tolérance, il n'est pas de véritable liberté.
Me résumant en quelques mots, je dis donc, messieurs, que si la composition du cabinet n'a point été ce qu'il eût été désirable qu'elle fût, la présence de M. Van de Weyer donne pourtant à l'opinion libérale le droit de ne point désespérer de trouver dans le cabinet le respect auquel cette opinion a droit pour ses principes, mais qu'il faut, à cette fin, qu'il n'oublie pas un seul instant les besoins de l'opinion publique.
Maintenant, messieurs, que vous connaissez ma pensée sur le cabinet, permettez-moi de vous dire quel sera mon vote.
Comme membre de la commission d'adresse, j'ai concouru à l'adoption, je dirai plus, à la rédaction du paragraphe dont le gouvernement demande la modification. Si ce paragraphe avait dû comporter la pensée d'un blâme, la commission ne l'eût point adopté, et je n'hésiterais point à le modifier aujourd'hui.
Mais j'ai vu dans cette rédaction l'expression véritable d'un principe. J'ai déclaré tout à l'heure que je ne blâmais pas le caractère mixte du cabinet ; mais un tel cabinet a, par sa nature même, une position qui lui est propre. L'influence respective des noms s'y neutralise en quelque sorte, et ce n'est par suite que par leurs actes qu'il est permis de les apprécier, de reconnaître si, nous mandataires du pays, pouvons les investir de notre confiance. Je ne puis donc, par cette considération seule, adopter la rédaction proposée par le gouvernement, pour laquelle les explications que je viens de donner à la chambre attestent que je n'avais d'ailleurs aucune répugnance.
Je dis donc au ministère : La confiance que vous me demandez, je suis disposé à vous l'accorder ; j'espère que votre politique sera telle qu'il me soit permis d'applaudir à votre existence et à votre marche ; mais en présence des éléments divers qui vous constituent, je dois attendre vos actes. Ma réserve n'est pas un blâme ; mes paroles doivent lui donner un tout autre caractère.
Je ne voterai pas la rédaction du gouvernement, mais, si la chambre l'introduit dans l'adresse, celle-ci n'en obtiendra pas moins mon approbation et mon vote.
En terminant, je résume ma position en deux mots : J'attends et j'espère !
M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture.
M. Verhaegen. - Je la demande aussi.
M. Dumortier. - Comme membre de la commission d'adresse, j'aurais besoin de faire connaître les motifs qui me font persister à voter pour la rédaction que la commission a admise ; je demande à être entendu.
M. Verhaegen. - Je me suis fait inscrire immédiatement en entendant le discours de M. Dedecker dans lequel j'ai vu une philippique contre l'opinion libérale qui était la répétition de celle que vous avez entendue l'année dernière. J'y ai répondu alors, je demande la permission d'y répondre encore cette année.
- La clôture est mise aux voix.
Elle n'est pas prononcée.
M. de Renesse. - Je demande la parole.
M. de Haerne. - Messieurs, j'ai hésité longtemps avant de me décider à prendre la parole. Je craignais, d'un côté, d'abuser des moments précieux de la chambre, et la demande de clôture qui vient de vous être faite, doit me faire croire que mon opinion est celle d'une fraction de la chambre. Mais d'un autre côté, messieurs, je désirais aussi m'expliquer sur des principes qui ont été avancés dans cette solennelle discussion et répondre, d'après une espèce d’invitation qui m'a été faite à cet égard, par mes amis, à un appel fait aux membres de la droite par le ministère, et en particulier par M. le ministre de l'intérieur.
Messieurs, dans ces débats, deux opinions ont été constamment en présence. D'une part, l'opinion qui soutient que l'intérêt de la conservation de nos institutions, de notre Constitution, est l'union entre les libéraux et les catholiques conclue dès 18-28, et, d'autre part, l'opinion qui repousse cette union. A ces deux opinions corrélatives se rattachent l'opinion qui défend l'existence d'un ministère mixte ou composé de personnes appartenant à des opinions différentes et l'opinion qui voudrait un ministère homogène, comme on l'appelle, ou composé de membres de la même opinion soit libérale, soit catholique.
Messieurs, on a déjà à plusieurs reprises débattu ces questions, mais les paroles qui, il y a quelques instants, ont retenti dans cette enceinte, m'ont enfin déterminé h prendre la parole. En combattant l'opinion de l'union, on vient de nous jeter un reproche qui ôterait à l'opinion catholique le droit de parler d'union, celui d'avoir émis l'idée qu'il fallait vaincre les libéraux en masse. Ces paroles, je dois l'avouer, m'ont péniblement affecté. Comment ! parce qu'il s'est trouvé un écrivain catholique (car c'en était un) pour exprimer de semblables pensées, il faudrait en rendre responsable toute la droite ! Toute la droite a protesté contre ces paroles, et je crois que je ne suis pas le premier à énoncer cette protestation.
L'union fut fondée dans le but d'établir une ligne de séparation entre la société civile et la société religieuse qui doivent rester indépendantes l'une de l'autre, tout en laissant l'arène ouverte à toutes les opinions qui, pour assurer leur triomphe, ne peuvent recourir qu'à l'arme de la libre discussion.
Mais, messieurs, quand il s'agit de se prononcer sur l'union, sur cet esprit de conciliation qui animait les membres du congrès en grande majorité, sur cet esprit d'union qui a précédé la révolution et dont il s'agit de faire l'application aux circonstances présentes, que dit-on, qu'allègue-t-on contre ce système dans le camp opposé ? On ne dit pas d'une manière générale qu'il faut renoncer à tout jamais à l'union, à un ministère mixte, mais on dit que dans certaines circonstances, ce système serait nécessaire, quand il s'agirait, par exemple, de conjurer un danger imminent.
L'honorable M. de Tornaco lui-même vient de prononcer ces paroles que nous avions déjà recueillies de la bouche de l'honorable M. Rogier. Alors, d'après ces honorables membres, il faudrait recourir à l'union ; alors l'union serait bonne, nécessaire ; on l'invoquerait comme la sauvegarde du pays ; alors il faudrait aussi recourir à un ministère mixte Eh bien ! ces circonstances peuvent se présenter bientôt, personne ne peut savoir ce que l’avenir nous prépare, car dans la situation actuelle de l'Europe, nous ne pouvons pas répondre de la tranquillité du pays à moins qu'on ne réponde de la tranquillité des pays qui nous entourent, par suite surtout des systèmes extravagants du communisme, de radicalisme qui se manifestent dans tous les pays et qui flattent tant les passions populaires. Si une réaction a lieu dans ce sens et qu'une révolution s'ensuive, échapperons-nous au tourbillon révolutionnaire ? Ne voudra-t-on pas alors recourir à cette union ? Ne la proclamera-t-on pas nécessaire ? Elle serait nécessaire de l'aveu de ces honorables membres qui la repoussent aujourd'hui. Mais peut-on enrégimenter les opinions comme des soldats ? Non ; une fois la rupture prononcée, on aurait la plus grande peine à recomposer cette union. Il faudrait des années, et peut-être n'y réussirait-on jamais. Par cela seul qu'on admet la nécessité de ministères mixtes et de l'union dans certaines circonstances, il faut l'admettre en principe ; quand je dis en principe, je m'éloigne de l'opinion de l'honorable préopinant qui a parlé immédiatement avant moi. Il ne repousse pas les ministères mixtes d'une manière absolue, mais il a dit qu'on ne pouvait les admettre en thèse générale, en principe, et qu'il faudrait consulter a cet égard les circonstances. Cet honorable membre ne dit pas assez, selon moi. Il est vrai, et je suis de son avis à cet égard, que si par suite des circonstances un ministère homogène exclusivement libéral s'était constitué, il ne faudrait pas toujours systématiquement le renverser avant d'avoir eu le temps d'examiner ses actes pour le juger.
Voilà mon opinion ; et pour vous en donner une application immédiate, je dirai que c'est le cas qui s'est présente en 1840. Ici, il s'agit d'un fait ; le fait existe, la question est de savoir s'il faut le détruire.
Il ne faut pas, selon moi, le détruire en toute circonstance. Mais ceci est l'exception et non la règle. Quand on entend émettre des opinions exclusives, quand on entend avancer d'une manière générale et systématique que l'union est une théorie à laquelle il faut renoncer, qui cette opinion a fait son temps, c'est alors qu'on doit s'élever contre ces tendances, contre ces principes qui deviennent dangereux pour l'existence même du pays. C'est alors qu'on doit et qu'on ne saurait assez proclamer la règle à suivre pour la formation d'un cabinet, règle qui est basée sur l'union. Vous le savez, messieurs, c'est au nom du principe de l'union que j'avais toujours professe, que je suis rentré dans cette enceinte ; et j'ai saisi la première occasion pour faire connaître mon opinion à cet égard. Quoique je n'aie pas rencontré alors beaucoup d'écho et que je n'aie pas obtenu l'assentiment de tous les membres de la gauche, j'ai obtenu l'approbation de quelques-uns et je dois à la justice de dire que, parmi ceux qui m'ont fait cet honneur, j'ai rencontré l'honorable M. Rogier.
A mes yeux, cet honorable membre a des sentiments d'union ; je ne dis pas que ces sentiments sont complétement d'accord avec les miens ; je l'ai cru dans le temps, mais d'après les discussions auxquelles nous venons d'assister, je vois que, pour l'application, sur certains points il n'est pas tout à fait d’accord avec moi ; cependant, nous nous approchons beaucoup plus qu'on ne semble le penser.
Messieurs, je conçois que dans le temps il pût exister une division entre les catholiques et les libéraux ; je conçois qu'avant la révolution française on vit s'établir en France, d'un cote un camp libéral, de l'autre un camp catholique ; cela n'était pas étonnant, parce qu'à cette époque la religion catholique étant la religion de l'Etat ; les catholiques avaient attaché leur existence à l'existence même au Trône, et le Trône étant emporté, ils ont été emportés avec le Trône.
Je dis qu'à cette époque la distinction en catholiques et libéraux n'était pas étonnante, n'avait rien de surprenant. Mais la situation est-elle la même, depuis que la révolution a brisé les chaînes qui attachaient le clergé au char de l'Etat ? Non, elle est complétement changée. Si cette situation est (page 85) changée en France, si elle n'y existe plus, elle existe encore moins en Belgique et dans plusieurs autres pays de l'Europe. Les catholiques dans ces pays, comme en Angleterre, en Hollande et même en Allemagne, sont les plus libéraux, ce sont eux qui réclament toutes les libertés publiques. Pourrions-nous faire exception ? Faut-il que le soupçon plane toujours sur nos têtes ? Ne sommes-nous pas partisans de la liberté ? N'avons-nous pas demandé toutes les libertés ? Sans doute ; et jamais nous ne reculerons lorsqu'il s'agira d'en défendre le maintien et le développement. Mais quant aux abus qu'on reproche aux catholiques, abus qui, évidemment, sont bien possibles, car enfin l'erreur est le partage de tout le monde, de tous les corps constitués comme des individus ; mais quand on parle d'empiétements, d'abus, n'y a-t-il pas souvent confusion d'idées ? C'est l'usage de la liberté qu'on critique, comme on l'a déjà dit dans cette discussion.
Par exemple, pour la liberté d'enseignement, c'est presque toujours l'usage qu'on en fait qui a été l'objet de critiques. C'est ainsi qu'à mon grand étonnement, j'ai entendu émettre cette opinion qu'il n'y aurait presque plus d'établissements indépendants dans l'instruction primaire et même dans l'instruction moyenne. Mais qu'entend-on par établissements indépendants ?
M. Verhaegen. - Indépendants du clergé.
M. de Haerne. - Mais alors je vous demanderai si cette autre liberté que vous chérissez et que nous chérissons autant que vous : la liberté de la presse, ne devrait pas aussi être soutenue par le pouvoir. Si vous voulez restreindre l'intervention du clergé en matière d'instruction dans l'intérêt de l'enseignement gouvernemental, c'est parce que vous craignez des abus de la part du clergé dans les institutions que vous considérez comme dépendant de lui.
Il faut être conséquent avec vous-mêmes ; il faut proscrire ces abus lorsqu'ils se présentent dans l'usage d'une autre liberté, dans l'usage de la liberté de la presse ; il faut alors créer des Moniteurs, non seulement dans la capitale, mais encore dans toutes les petites villes. C'est ainsi que vous aurez des journaux que vous appellerez sans doute indépendants, parce qu'ils ne dépendront pas de ceux qui abusent de la liberté de la presse.
Quand je parle ainsi, ce n'est pas que je veuille m'opposer au développement, à la prospérité des établissements du gouvernement en matière d'instruction lorsque ces établissements ne sont pas animés d'un esprit irréligieux comme on en rencontre souvent dans un pays voisin. Loin de ma pensée d'émettre une telle opinion ! Je crois ces institutions utiles. Je crois même que si elles venaient à tomber, il serait à désirer qu'elles se relevassent. Je crois qu'en cette matière, comme en général en matière de liberté, la rivalité, la concurrence est le meilleur moyen de succès. Les maisons religieuses communiquent l'esprit religieux à celles du gouvernement, et celles-ci donnent un plus grand essor aux premières. Mais je ne veux pas que pour fortifier les institutions du gouvernement, on agisse contre les institutions libres, ni qu'on vienne faire planer des soupçons contre ceux qui défendent la liberté religieuse comme les libertés civiles et politiques, qui les mettent toutes sur la même ligne.
C'est ainsi que nous nous montrons partisans de la liberté ; nous ne nous divisons plus en catholiques et en libéraux il n'y a plus pour nous qu'un terrain, celui de la liberté, où nous donnons la main aux rationalistes les plus avancés.
On a dit que les catholiques ont entre les mains presque tous les collèges, toutes les écoles ; il n'en est rien. Si les catholiques tâchent d'obtenir en matière d'instruction une influence salutaire, c'est pour faire fleurir, à côté des sciences, la religion et les bonnes mœurs ; leurs vues ne vont pas au-delà.
Je mets en fait que plus de la moitié de nos collèges sont entièrement indépendants, sauf l'enseignement religieux, de l'action du clergé. Quant aux institutions indépendantes du clergé, je crois que mon honorable adversaire, qui vient de m'interrompre, reconnaîtra cependant qu'il faut que l'instruction religieuse y soit donnée. Mais souvent il y a confusion d'idées à cet égard. On ne veut pas bannir, dit-on, l'enseignement de la religion des établissements d'instruction, et cependant, par cela seul que la religion y est enseignée, on crie à l'usurpation, à l'empiétement du clergé. Il y a ici contradiction, confusion d'idées.
Dans nos campagnes, par exemple, il n'est presque pas un village où il n'y ait au moins une institution entièrement indépendante du clergé qui n'exclut cependant pas l'instruction religieuse, et par conséquent l'action du clergé. Faut-il dire que ces écoles sont au pouvoir du clergé ? Evidemment non.
On a insinué dans cette discussion, et ces insinuations ont sans doute frappé vos oreilles comme les miennes, que le clergé recourt à des intrigues, à des influences sourdes pour tâcher de faire prospérer les écoles qui lui appartiennent. Mais il y a un autre motif de la prospérité de ces écoles. Souvent les parents donnent la préférence, je ne dirai pas aux institutions du clergé, mais aux institutions où l'instruction religieuse et morale est bien donnée. La raison en est que parmi les libéraux, même parmi les rationalistes, comme parmi les catholiques il y a une infinité de personnes qui apprécient les conséquences dangereuses d'une institution irréligieuse et immorale. Ici je ferai un appel à l'honorable membre qui m'a interrompu. Je lui demanderai s'il n'est pas dans ce cas, si la manière dont il a agi en certaines circonstances ne prouve pas qu'il reconnaît que l'instruction religieuse est bonne et nécessaire.
M. Verhaegen. - Je ne dis pas non.
M. de Haerne. - N'est-ce pas par ce motif que l'honorable membre donnerait la préférence à ces institutions et qu'il l'a donnée en effet ? Dira-t-on que l'honorable membre est sous l'influence des catholiques, du clergé ou du fantôme du jésuitisme ? Personne ne le croirait. Cependant ce sont des reproches qu'il adresserait peut-être à ceux qui seraient dans le même cas que celui où il s'est trouvé.
Après cela, qu'il me soit permis de dire un mot de la question ministérielle qui se rattache au projet d'adresse. Je serai trop bref, et je dirai d'abord que je comprends la circonspection qui m'est imposée par les circonstances, quant à la principale industrie du pays. Je dois demander cependant au ministère si son intention est de ne pas protéger l'industrie linière avec plus de force, plus d'énergie qu'on ne l'a fait précédemment, soit par rapport à nos relations avec l'étranger, soit dans le pays même. Il faut reconnaître que nous avons été trop mous à l'égard de l'étranger, trop faciles à lui faire des concessions, dupes des concessions que nous lui avons faites ; il faut reconnaître enfin que l'étranger s'est joué de nous.
Loin de moi de rompre avec la France. Je reconnais que des relations historiques, des relations d'intérêt nous attachent étroitement à cette puissance ; mais je crois que s'il faut lâcher de maintenir l'union commerciale avec ce pays, il faut agir avec lapins grande fermeté pour ne pas retomber dans l'erreur dont nous avons déjà été victimes à plusieurs reprises.
Quant au traité que nous avons conclu avec les Etats-Unis, je désire qu'il soit aussi favorable qu'on l'a annoncé. Cependant, j'ai des doutes ; je suspends tout jugement jusqu'à ce que le traité ait été produit. S'il est en harmonie avec le système des droits différentiels, alors, comme j'ai concouru à l'établissement de ce système, je ne pourrais m'empêcher de voter pour ce traité.
Quant au fait de la conclusion de ce traité, je déclare que c'est un fait heureux, car plus nous étendons nos relations avec les pays étrangers, plus nous avons l'espoir d'améliorer les relations que nous avons déjà avec certaines puissances.
Au sujet de la loi des droits différentiels, il a été dit par un honorable député d'Anvers un mot auquel, d'après la part que j'ai prise à la discussion de cette loi, je ne puis me dispenser de répondre. D'après cet honorable membre, cette loi serait une concession faite à la droite. Je vous demande si cela est admissible. Si, dans le cours de la discussion, l'honorable M. Nothomb, ministre de l'intérieur, a changé d'opinion, a proposé des modifications, on ne peut dire que ce soit par égard pour la droite. Pour le prouver, il me suffira de rappeler que si jamais j'ai eu sujet d'être mécontent pour ma part de l'honorable M. Nothomb, c'a été dans la discussion de la loi des droits différentiels.
M. Delehaye. - Cela est bien vrai.
M. de Haerne. - Ainsi l'on aurait fait des concessions d'un côté, tandis que de l'autre on ne ménageait nullement les membres qui avaient pris la part la plus active à la discussion de cette loi. On ne peut admettre cette supposition.
Quant à la question des sept millions de kilogrammes de café, c'est une simple concession que nous avons faite en faveur de Liège. Je dirai à l'honorable membre que, pour ma part, je n'étais nullement partisan de cette exception ; mais c'est par esprit de conciliation, c'est en faveur, comme je l'ai dit alors, de l'intérêt de Liège et de quelques autres localités, que j'ai cru devoir renoncer à mon opinion à cet égard. Si, dans l'avenir, d'autres modifications devaient être introduites dans le système, et qu'on m'en prouvai l'utilité, je serais toujours disposé à faire des concessions à cet égard.
J'ai dit.
- La chambre fixe la séance de demain, à dix heures.
La séance est levée à 4 heures et demie.