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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 26 avril 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 1481) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et demi.

La séance est ouverte

M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Grandville demande l’adoption de la proposition de loi sur les céréales, signée par 21 représentants. »

« Un grand nombre d’habitants des communes de Theux et de Pepinster demandent le rejet des propositions de loi sur les céréales. »

« Plusieurs cultivateurs de houblon de la commune d’Esschene se prononcent en faveur de la proposition de loi sur l’entrée des houblons. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi.


« Les délégués des sociétés charbonnières du Bois-des-Vallées, de Carrières et de Pieton demandent que ces charbonnages soient rattachés au chemin de fer projeté de Manage à Mons. »

- Renvoi à la commission chargée d’examiner le projet de loi concernant ce chemin de fer.


« Les sieurs Portmans, Goyens et de Hertoghe, fermiers de barrières, demandent qu’il leur soit accordé une indemnité du chef des pertes qu’ils ont subies par suite de l’établissement du chemin de fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Maximilien Nieprzecki, dessinateur à la manufacture d’armes de l’Etat à Liége, demande exception du droit d’enregistrement de l’acte de naturalisation ordinaire qui lui a été accordée par la loi du 3 avril. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Dépêche de M. le ministre des travaux publics, accompagnant l’envoi de 100 exemplaires de la carte annexée au travail de M. l’inspecteur Vifquain, sur les voies navigables en Belgique, carte où sont indiqués les tracés des divers chemins de fer. »

M. Lys se plaint de ce que la lettre du sieur Chainaye n’a pas été insérée au Moniteur.

M. Huveners – Elle le sera dans le numéro de demain.

Motion d'ordre

Projet de canal latéral à la Meuse

M. David – Plusieurs personnes intéressées à la construction du canal latéral, m’ont assuré que l’annexe n°79 des documents de la chambre, concernant ledit canal, contient des erreurs graves sur l’évaluation des péages, en ce qui concerne le parcours projeté. On y trouve, à la page 125 (rapport de M. l’ingénieur Kummer), que le péage se compte, savoir :

Sur 62,500 tommes, à fr. 0-60, pour les 5 lieues, fr. 37,500

Et pour le retour du bateau à vide, il a compté pour moitié charge, 62,500 tonnes à 30c, fr. 18,750.

On prétend que les 60 centimes portés comme péage par M. Kummer et les 30 centimes pour retour à vide seraient des chiffres erronés, parce qu’à l’exportation on pourrait encore en déduire 75 p.c.

Il est de la plus haute importance que M. le ministre s’explique, à cet égard, avant la discussion, autrement cette discussion porterait à faux.

On prétend encore que les chiffres du tonnage, annoncés par M. l’ingénieur Kummer, à la page 20 de son rapport, sont inexacts ; que le tonnage de 135,000 tonnes d’exportation par la Meuse, en 1844, vers Venloo, n’aurait été que d’environ moitié.

Voilà des faits sur lesquels on doit être fixé avant la discussion.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – C’est la question du fond pour le canal latéral à la Meuse. Lorsque nous arriverons à cette discussion, la chambre portera son examen sur les chiffres afin de savoir si le canal est utile, ou s’il ne l’est pas. Je donnerai dans la discussion les explications que demande l’honorable membre.

M. David – Il est impossible de discuter avant de savoir si le ministre adopte les chiffres présentés comme exacts.

Projet de loi autorisant la concession des chemins de fer de Tournay à Jurbise et de St-Trond à Hasselt

Discussion générale

M. le président – La discussion générale continue. La parole est à M. Cogels.

M. Cogels – D’après les discours que vous avez entendus dans les précédentes séances, je pourrais me dispenser de prendre la parole ; car une partie des arguments qui m’engagent à m’opposer à la concession des chemins de fer de Jurbise et de Hasselt, ont déjà été développés. J’aurai cependant quelques considérations nouvelles à y ajouter.

Je ne m’oppose pas du tout à la construction du chemin de fer de Jurbise ni à la continuation de la section de Landen à Saint-Trond. Mais il m’est impossible de donner mon adhésion au nouveau principe que l’on vient d’introduire dans notre système de concession, un principe où selon moi tous les rôles sont intervertis.

En effet, je comprends que l’Etat, propriétaire de grandes lignes dont il a intérêt à pouvoir toujours disposer, ne livre l’exploitation à l’industrie particulière par des baux plus ou moins longs. Mais je ne puis comprendre que l’Etat abandonne la propriété des nouvelles lignes du chemin de fer. (Je dis la propriété, parce qu’une concession de 90 ans, avec faculté de rachat dans 50 ans seulement est bien un abandon de propriété, au moins pour la génération actuelle). Je ne comprends pas, dis-je, qu’il abandonne la propriété à ceux qui se chargent d’exploiter, c’est-à-dire que le propriétaire devienne fermier et qu’il rende compte à son fermier.

Il y a plus : on vous a fait voir combien, dans cette transaction, le gouvernement se réserve toutes les mauvaises chances et abandonne les bonnes. En effet, d’après la nouvelle rédaction adoptée pour l’art. 7, le gouvernement ne prélèvera que 40 p.c. sur les recettes brutes, et il abandonnera 60 p.c. aux concessionnaires, aussitôt que la double voie sera achevée. Or, déjà elle est décrétée. Ainsi c’est sur 40 et 60 p.c. que nous devons établir nos calculs ; si donc les frais d’exploitation s’élèvent à plus de 40 p.c. (et nous devons compter sur 40 p.c., je crois pouvoir le prouver à l’évidence tout à l’heure), plus le mouvement sera grand plus le sacrifice sera considérable pour l’Etat. Si au contraire les recettes sont peu considérables, le gouvernement se trouvera dans une position encore plus fâcheuse ; car il fera les plus grands sacrifices, et ne retirera rien. Il est vrai que la situation de la compagnie concessionnaire sera très-favorable ; recevant 60 p.c. sur les recettes brutes, les concessionnaires recouvreront dans un intervalle plus ou moins éloigné les capitaux qu’ils auront déboursés.

Il faut considérer qu’il y a dans les produits des chemins de fer comme dans tous les produits des moments de grande prospérité, de calme, de crise. Dans les moments de grande prospérité, il n’aura rien. Dans les moments de crise où l’exploitation particulière, abandonnée aux concessionnaires mêmes, leur occasionnerait des pertes, la compagnie concessionnaire aura encore un certain revenu.

On nous dit que les frais d’exploitation ne doivent pas s’élever à 60 p.c., pas même à 40 p.c je en sais sur quoi sont basés ces calculs ; car la moyenne des frais d’exploitation est de plus de 50 p.c. mais je vous citerai des lignes qui sont extrêmement productives, qui donnent de beaux dividendes à leurs actionnaires, et qui cependant ont des frais d’exploitation plus considérables. J’ai sous les yeux le dernier compte-rendu des chemins de fer en France. J’y trouve les résultats suivants :

Saint-Germain (1) Recettes : 1,028,000 francs ; frais : 601,500 francs ;

Versailles (rive droite) Recettes : 1,212,000 francs ; frais : 721,000 francs ;

Orléans Recettes : 6,770,000 francs ; frais : 2,847,800 francs ;

D’Andrezieux à Roanne Recettes : 717,500 francs ; frais : 525,000 francs ;

De Strasbourg à Bâle Recettes : 2,486,800 francs ; frais : 2,146,750 francs ;

(1) Sur cette ligne, il y a un très-grand mouvement des départs à toutes les heures ; par conséquent, les locomotives ne consomment jamais inutilement.

Vous voyez que, sur tous ces chemins de fer, les frais d’exploitation sont de 60 p.c. au moins, sauf sur celui d’Orléans, où ils ne sont que de 40 p.c. Mais c’est une ligne tout à fait privilégiée, parce qu’elle est la ligne principale et pour ainsi dire unique, de Paris vers l’intérieur et le midi de la France, il n’en est aucune qui puisse lui être comparée.

(page 1482) Noter que la recette que j’indique est la recette réelle d’exploitation, déduction faite des intérêts et des frais d’amortissement. J’ignore si cette déduction est faite pour le chemin de fer de Strasbourg à Bâle ; mais en la faisant (le capital emprunté étant de 11 millions), il reste encore plus de 60 p.c. de frais d’exploitation.

Voyez maintenant quelle aurait été la position du gouvernement, s’il avait appliqué ce nouveau système à un chemin de fer comme celui de Versailles, qui a de grands produits, mais qui rapporte peu, parce qu’il coûte très-cher. Je ne parle que du mouvement.

Si l’on avait fait le même marché pour le chemin de Versailles, que serait-il arrivé ? Si le gouvernement avait abandonné 60 p.c. de la recette, et s’il en avait pris 40 pour les frais, au lieu d’avoir un bénéfice, il aurait perdu 20 p.c. sur la totalité des recettes.

Le chemin de fer de saint-Germain produit de très-beau résultats ; car il donne au-delà de 10 p.c. à ses actionnaires, malgré les emprunts considérables qui ont été faits et la somme qui est affectée à l’amortissement. Eh bien, il est certain que si le gouvernement avait abandonné 60 p.c. sur la recette brute du chemin de fer de St-Germain, il n’aurait reçu que 400 et quelques mille francs, et il aurait eu 600,000 fr. de frais d’exploitation ; il aurait donc perdu 200,000 fr., tandis qu’à présent la société gagne 400,000 francs.

Mais, messieurs, il est une autre considération.

Le chemin de fer de Tournay à Jurbise est un complément essentiel du grand réseau des chemins de fer de l’Etat. Faut-il établir une petite section de 48 kilomètres qui soit placée sous un autre régime ? Voilà un dilemme dont on ne peut pas sortir : ou bien l’opération est bonne, et en ce cas-là le gouvernement doit la prendre à lui entièrement ; il doit construire et exploiter aux frais de l’Etat. Ou bien l’opération est mauvaise, et si l’opération est mauvaise, la construction de la section est inutile ; car si elle est improductive, elle est inutile, et alors il ne faut pas la faire du tout.

A la fin de son discours d’hier, un honorable membre a jeté une espèce de ridicule sur un argument qu’avait fait valoir un honorable député de Tongres, en ce qui concerne la position dans laquelle le gouvernement se mettait vis-à-vis des concessionnaires. Il a dit : Mais lorsqu’on a une dette, naturellement on la paye. Est-ce que le gouvernement, en payant, par exemple, la dette de l’Etat, se met dans une position humiliante vis-à-vis des créanciers ?

Messieurs, il y a ici une énorme différence. Le gouvernement ne doit pas rendre compte aux créanciers de l’Etat ; il leur paye leurs coupons, et les créanciers n’ont pas à lui demander comment il les paye ; ceux-ci n’ont aucune contrôle à exercer sur lui. Dans le cas actuel, au contraire, le gouvernement se place sous le contrôle des concessionnaires. Je suppose que les concessionnaires auront assez de confiance dans le gouvernement pour croire à sa probité, pour croire qu’il lui rendra un compte fidèle. Mais dans le cas où le gouvernement serait négligent, où il n’exercerait pas lui-même sur ses subordonnés une surveillance suffisante, les concessionnaires auraient droit de venir établir un contrôle et de dire au gouvernement : Nous sommes certains que vous nous rendez un compte fidèle, mais nous voulons voir si on vous rend un compte fidèle. Car nous devons avoir 60 p.c. de la recette, et nous ne voulons pas qu’il en soit détourné la moindre part tant à votre préjudice qu’au nôtre.

C’est là, messieurs, une position où le gouvernement ne doit se mettre. Comme je l’ai dit, les rôles sont complètement intervertis. C’est comme si un propriétaire exploitait pour compte de son fermier et rendait compte à celui-ci.

D’après ces considérations, messieurs, il m’est impossible de donner mon assentiment au projet qui vous est présenté. Si l’on veut demander les crédits nécessaires pour la construction aux frais de l’Etat, des lignes de Tournay à Jurbise et de St-Trond à Hasselt, je les accorderai aussi volontiers que j’ai accordé le crédit de 8 millions demandé pour le complément de nos grandes lignes, de leur matériel et des stations.

M. Dumortier – Messieurs, dans la question qui est maintenant soumise à nos délibérations, il y a deux choses à envisager : le principe ou pour mieux dire, le système dans lequel on veut entrer, et en second lieu, les conditions de ce système.

Le principe que l’on nous propose est-il, comme l’a dit l’honorable préopinant, un principe subversif, ou, comme on l’a prétendu hier, les rôles sont-ils intervertis ? Voilà, messieurs, ce que je ne puis croire. Je pense au contraire que le principe qui domine dans le projet en discussion est, comme principe bien entendu, le plus avantageux que l’on puisse admettre en fait de construction et d’exploitation de chemins de fer.

On nous dit : Les rôles sont intervertis, l’Etat devrait construire les chemins de fer et les particuliers devraient les exploiter. On assimile ainsi les chemins de fer aux anaux et aux routes pavées.

Messieurs, pour raisonner de la sorte, il faut nécessairement mettre entièrement de côté tout ce qui a lieu, tout ce qui se passe dans l’exploitation des chemins de fer. L’exploitation des chemins de fer n’a aucune similitude, n’a aucun rapport avec l’exploitation des canaux et des routes pavées. Quand un canal est ouvert, quand une route pavée est créée, chacun peut venir, au moyen de la libre concurrence, naviguer sur le canal, circuler sur la route pavée. En est-il de même, messieurs, en matière de chemins de fer ? Non, c’est tout à fait différent. Ici il y a nécessairement monopole pour celui qui a l’exploitation.

Dans un pareil état de choses, vous comprenez combien il est important que le gouvernement, que le parlement, que le pays tout entier aient un mot à dire dans ce monopole. Car alors la législature peut intervenir pour empêcher qu’un monopole d’exploitation ne devienne un fait ruineux pour l’industrie et pour la circulation sur les chemins de fer.

Qu’importe d’ailleurs, messieurs, qui a construit un chemin de fer ? On veut que les chemins de fer soient construits par l’Etat. Mais quand un chemin de fer, quand un canal est construit par l’Etat, est-ce, en définitive, l’Etat, est-ce le gouvernement, le ministre qui le font eux-mêmes ? Dire qu’un chemin de fer est construit par l’Etat, cela ne signifie rien autre chose, sinon que ce chemin de fer est construit avec les deniers de l’Etat. Mais dans un cas comme dans l’autre, il y a des entrepreneurs, et que ces entrepreneurs soient payés par des concessionnaires ou par l’Etat, c’est identiquement la même chose. La seule différence qu’il y a, c’est que, d’un côté, le trésor public emprunte les fonds nécessaires, s’endette, crée des découverts, tandis que dans l’autre, ce sont des particuliers qui construisent à leurs risques et périls, qui mettent leurs fonds dans l’opération. Si elle réussit, tant mieux pour eux ; si elle ne réussit pas, tant pis pour eux ; mais au moins l’Etat est indemnisé de toute espèce de dépenses.

Il est donc manifestement démontré que le système qui est proposé, est le meilleur en fait de constructions de chemins de fer. Cela est tellement exact, messieurs, que si nous avions pu admettre ce système depuis 1834, nous aurions les mêmes lignes, nous aurions les mêmes garanties d’exploitation, et nous n’aurions pas dû emprunter 200 millions qui grèvent notre dette publique.

Messieurs, quels sont les faits les plus importants à envisager de l’exportation des chemins de fer au point de vue général ? C’est principalement le fait de la tarification et le fait de la police des chemins de fer. J’entends par ce mot police tout ce qui se rapporte à la sécurité des voyageurs, à l’impossibilité d’un monopole onéreux pour le commerce. Ces garanties de police, vous les trouvez certainement bien mieux dans le gouvernement que dans les particuliers.

Comme l’honorable M. Rogier vous l’a dit, messieurs, lorsque des sociétés exploitent les chemins de fer, il peut se passer, et il se passe très-fréquemment des abus qui gênent singulièrement ceux qui veulent user des chemins de fer. Mais cela devient impossible quand c’est le gouvernement qui exploite. Aussi la compagnie a-t-elle accepté cela comme une concession, car elle aurait certainement beaucoup plus d’avantage à exploiter elle-même.

Ainsi, messieurs, quand c’est le gouvernement qui exploite, les abus sont impossibles, parce que la législature est toujours là pour les réprimer ; si un abus avait lieu pour un moment, l’instant après il serait réprimé par la législature. Au contraire, quand c’est une société qui exploite, on se trouve à chaque instant exposé à avoir des embarras extrêmement nuisibles aux personnes qui font usage du chemin de fer. La vérité est donc que ce qui importe à l’Etat n’est nullement de faire le chemin de fer par lui-même, de s’endette pour faire le chemin de fer ; mais ce qui importe à l’Etat, c’est d’avoir la main haute et sur le monopole, et sur la tarification, et sur la police ; en un mot, sur tout ce qui intéresse les voyageurs.

Eh bien, messieurs, le système actuel présente précisément ce double avantage que nous n’aurons pas l’embarras de créer des emprunts, que nous ne devons pas de nouveau grever l’avenir, et que d’un autre côté nous aurons l’exploitation par l’Etat, avec toutes les garanties qui en résultent. Ah ! s’il s’était agi de confier à une société particulière l’exploitation du chemin de fer de Jurbise, qui n’est qu’un anneau de la grande chaîne des chemins de fer, alors, messieurs, je n’aurais pas hésité à déclarer, comme je l’ai dit si souvent, qu’une semblable route ne pouvait pas être abandonnée à des particuliers ; mais encore une fois, il ne s’agit que de la construction, et il est fort peu important que ce soit l’Etat ou une société qui exploite. Après tout, lorsque la construction se fait pour compte de l’Etat, l’Etat n’est en définitive, que le bailleur de fonds, et il n’y a aucune espèce d’avantage à ce que ce l’Etat soit bailleur de fonds plutôt que tout autre.

C’est donc une grave erreur que de dire que les rôles sont intervertis ; ce n’est point du tout le gouvernement qui se met sous la dépendance des particuliers ; ce sont au contraire les particuliers qui se mettent dans la dépendance du gouvernement, puisque c’est le gouvernement qui exploite, qui a la main haute sur tout ce qui intéresse les voyageurs.

Je viens de démontrer, messieurs, que le système proposé est le plus avantageux, parce que l’Etat ne doit point être grevé d’une nouvelle dette, et que, d’un autre côté, le gouvernement conserve la direction suprême du chemin de fer, que la tarification reste à l’Etat, que l’exploitation reste à l’Etat je ne m’étendrai pas davantage sur ce point, car nous approchons de la fin de la session, et la chambre a encore beaucoup de lois à voter. Je passe donc à l’examen des considérations qui nous sont soumises.

L’honorable préopinant croit que dans la convention qu’il vous a présentée le gouvernement se réserve les mauvaises chances et qu’il abandonne les bonnes. Cette observation porte sur la répartition des péages. Eh bien, messieurs, voyons si l’assertion de l’honorable député d’Anvers est fondée. Quels sont en Belgique les frais d’exploitation ? Les frais d’exploitation s’élèvent à 50 p.c. mais veuillez, messieurs, examiner le compte-rendu de l’exploitation du chemin de fer pendant l’exercice 1844, compte-rendu qui vous a été présenté par le gouvernement le 10 février dernier ; vous verrez dans ce document que les 50 p.c. que coûte l’exploitation du chemin de fer se subdivisent de la manière suivante :

Locomotion et entretien du matériel, 25 p.c.

Entretien de la route et des stations 12 ½ p.c.

Administration générale 12 ½ p.c.

Ainsi, messieurs, 25 p.c. de la recette brute suffiront pour couvrir toutes les dépenses de locomotion. Quant aux frais d’entretien de la route et des stations qui s’élèvent à 12 ½ p.c., il faut remarquer que vous exigez la construction de la double voie et que la plupart des routes dont l’entretien coûte 12 ½ p.c. n’ont encore qu’une seule voie ; or, l’entretien d’une ligne (page 1483) à voie simple coûte deux fois autant que l’entretien d’une ligne à double voie. En effet, messieurs, si une section du chemin de fer est parcourue par 20 convois, et s’il n’y a qu’une seule voie, évidemment les rails useront deux fois plus que s’il y avait une double voie, car alors chacune des deux voies ne serait parcourue que par 10 convois. Ainsi, messieurs, ces frais d’entretien doivent nécessairement être moindres sur la ligne de Jurbise que sur les autres lignes.

Restent donc les frais d’administration générale, l’état-major général ; mais faut-il par hasard que cet état-major soit payé par la société concessionnaire qui n’en a nul besoin ? Elle se contenterait d’avoir un seul ingénieur et un sous-ingénieur. L’industrie privée ne procède pas avec luxe comme le gouvernement.

Bous voyez donc, messieurs, qu’il n’y a rien d’exagéré dans les chiffres présentés par la section centrale. D’ailleurs, il faut remarquer, comme l’a déjà fait observer tout à l’heure un honorable préopinant, que les 50 p.c. auxquels on évalue les frais d’exploitation sont susceptibles de se réduire notablement ; l’exploitation des chemins de fer anglais ne coûte que 35 à 40 p.c. et l’honorable membre vient de dire lui-même qu’en France les routes bien exploitées ne coûtent pour l’exploitation que 40 p.c.

M. Cogels – Je dis les routes privilégiées.

M. Dumortier – Certainement, messieurs, sur le chemin de fer de Tournay à Jurbise les frais d’exploitation seront excessivement faibles. Lorsqu’un convoi arrive à Courtray le matin à 9 heures, par exemple, la locomotive brûle son coke inutilement, les gardes-convois restent toute la journée dans l’inaction ; lorsque le chemin de fer de Jurbise sera fait, ces convois continueront à marcher ; ils iront, soit jusqu’à Mons, soit jusqu’à Bruxelles. Il y aurait donc beaucoup plus d’économies sur ce chemin de fer que sur aucun autre. D’un autre côté, l’Etat ferait le bénéfice de tous les revenus indirects, que l’honorable M. Dubus a démontré hier être infiniment plus considérables que les revenus directs.

Au reste, mon honorable ami, M. de Theux, et moi, nous allons proposer des modifications qui, je crois, simplifieront complètement la discussion.

On a beaucoup parlé du subside de 200,000 fr. que donnerait l’Etat à la compagnie concessionnaire. Mon honorable ami, M. de Theux, et moi, en proposerons la suppression, sauf le subside de 72,000 fr. donné par la ville de Hasselt.

Quant aux frais d’exploitation, mon intention est de proposer un amendement portant que pendant les huit premières années, l’Etat fera, à la compagnie concessionnaire, une réduction sur ces frais qui, les années suivantes, seront élevés jusqu’au 50 p.c., ce qui est le taux normal. Cela me paraît souverainement juste ; car, dans les premières années, les frais de construction de la route seront à peine couverts. Voilà dix ans que notre chemin de fer existe, et nous ne couvrons pas encore nos fais d’exploitation.

L’honorable M. Cogels pose ce dilemme qu’il regarde comme invincible : ou l’opération est bonne, et le gouvernement doit la faire ; ou elle est mauvaise, et dans ce cas elle est inutile. C’est un dilemme que vous pouvez adapter à toutes les concessions, à toutes les industries privées. Ainsi, pour les houillères, ou l’exploitation est bonne et le gouvernement doit la faire, ou elle est mauvaise, et dans ce cas il est inutile d’exploiter les houillères. Pour les diligences, ou l’entreprise en bonne et le gouvernement doit l’exploiter, ou elle est mauvaise, et dans ce cas, il n’y a pas besoin d’avoir des diligences.

Avec des arguments invincibles comme celui-là, on arrive à cette conclusion que le gouvernement doit tout faire et le pays rien.

Pour moi, je ne désire pas que la société concessionnaire fasse de mauvaises affaires. Je désire que toutes les sociétés de ce genre fassent de bonnes affaires. Je ne suis pas de ceux qui pensent que le gouvernement doit monopoliser tout le pays. Je désire que nous laissions beaucoup de choses à l’industrie privée. Si les capitaux étrangers qui seraient affectés à la construction de nos chemins de fer font des bénéfices, faut-il s’en plaindre ? non, certainement. Tant mieux ; car alléchés par ce bénéfice, les capitalistes doteront la Belgique d’un grand nombre de chemins de fer.

Pensez-vous que le chemin de fer doive en rester à la création de 1834 et de 1837 ? On a parlé de progrès. Mais ce serait un véritable temps d’arrêt en Belgique. D’autre part si tous les chemins de fer maintenant en projet, en Belgique, doivent être exécutés aux frais de l’Etat, vous aurez 101 millions d’emprunts à contracter. C’est effrayant.

On dit aussi que la société interviendra dans les comptes de l’Etat. C’est absolument le contraire de ce qui se trouve dans le contrat. C’est le gouvernement qui arrête les comptes ; la société les prend comme ils sont arrêtés ; elle n’aura pas à intervenir dans les comptes de l’Etat. Il y aura des bases communes pour les objets qui le nécessiteront. Il y aura un décompte comme pour les ports de lettre, comme dans nos relations avec l’Allemagne. La société concessionnaire n’aura pas plus à intervenir dans les comptes de l’Etat que l’Etat n’intervient dans les comptes de la société rhénane, et que la société rhénane n’intervient dans les comptes de l’Etat belge.

Mais, dit-on, laissez faire le chemin de fer par l’Etat. Comme député de Tournay, il m’est complètement indifférent de voir notre chemin de fer exécuté par l’Etat ou par les particuliers. Cependant, si nous rejetons la concession proposée, ne nous exposons-nous pas à voir rejeter également l’exécution par l’Etat. Cela nous serait infiniment préjudiciable. C’est à quoi je ne veux pas m’exposer.

Le gouvernement a présenté un système qui ne grève pas le trésor public. Je crois que tous les partisans des économies, tous ceux qui ne veulent pas augmenter les charges du trésor, le préféreront. C’est ce qui me détermine à y donner mon assentiment.

Je remarque d’ailleurs que ceux qui préconise maintenant l’exécution par l’Etat sont précisément ceux qui ont voté contre ce chemin de fer ; je me défie donc un peu de ce cadeau, timeo Danaos et dona ferentes. (On rit.)

J’ai démontré que le système du gouvernement est le meilleur. Je n’entrerai pas dans plus de détails. Je crois que le fond de la discussion est le système. Dès que le système est bon, nous devons l’adopter.

On nous renvoie à l’exécution par l’Etat. Mais dans la situation de la Belgique, beaucoup de personnes reculent devant ce système qui entraînerait de nouveaux emprunts.

Je demande que l’on adopte le projet du gouvernement, sauf les modifications dont la discussion pourra démontrer l’utilité.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – La plupart des orateurs ont considéré le projet de loi qui vous est soumis dans l’alternative de la construction des deux chemins de fer par l’Etat ou par une compagnie ; je me fais un devoir de déclarer franchement à la chambre que, pour le gouvernement, cette alternative n’existe pas, que nous considérerions comme un rejet de la loi la modification qui aurait pour objet de faire construire les chemins de fer, dont il s’agit, aux frais de l’Etat. Veuillez vous rappelez, messieurs, qu’il y a peu de temps, nous avons fait de grandes opérations financières, que nous avons émis un emprunt considérable qui n’est pas entièrement classé ; que tout récemment les chambres ont voté une grande partie de la dépense de 12 millions 500 mille francs, proposée pour compléter nos voies actuelles et pour la construction d’un canal latéral à la Meuse ; un million vient d’être affecté encore à un service de paquebots entre Ostende et l’Angleterre ; nous ne pouvons, messieurs, nous laisser entraîner continuellement à contracter de nouveaux emprunts sans de graves dangers. Si l’on adoptait le système préconisé par quelques honorables membres pour les lignes dont il s’agit en ce moment, rien ne prouve que l’on ne voudrait pas suivre la même voie à l’égard des autres lignes qui seraient reconnues présenter autant d’utilité et autant d’avantages.

Il y a d’ailleurs une autre considération très-importante que je dois soumettre à la sérieuse attention de la chambre. A mon avis, messieurs, il y aurait de l’imprudence à faire consister en péages une trop grande partie du revenu de l’Etat au moyen d’un accroissement de la dette publique ; les produits de cette nature sont très-éventuels ; ils sont soumis à une foule d’influences et d’accidents qu’on ne peut prévoir ; dans certaines circonstances, ils peuvent s’atténuer d’une manière considérable et même s’évanouir complètement. C’est surtout dans les moments difficiles, dans les moments où le gouvernement aura besoin de toutes ses ressources, que celles-là viendront à nous manquer.

Cependant l’Etat n’en sera pas moins tenu d’acquitter l’intérêt des capitaux qu’il aura levés pour la construction des chemins de fer. Chacun comprendra les conséquences politiques que peut amener une telle situation.

Du reste, messieurs, pour mon compte, j’applaudis à la pensée qui a prévalu lorsqu’il a été décidé que les grandes voies internationales existantes, seraient construites et surtout exploitées par l’Etat ; mais il m’est permis de croire qu’on irait beaucoup trop loin, en adoptant exclusivement ce système, c’est-à-dire en l’appliquant à toutes les voies ferrées dont il conviendra de doter le pays.

En terminant ces courtes observations, je répéterai que nous ne pouvons accepter une modification dans le sens que je viens d’indiquer et qu’un amendement de cette nature serait considéré par le gouvernement comme un rejet du projet de loi qui fait l’objet de vos délibérations.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – L’honorable M. Rogier, dans la séance d’hier, a traité la question à un point de vue général. Le discours qu’il a prononcé concerne bien plutôt l’ensemble de tous les projets présentés, que les chemins de fer de Jurbise et de Hasselt, qui font l’objet spécial de cette discussion. La chambre me permettra de le suivre sur le terrain où il s’est placé ; je crois que nous gagnerons ainsi du temps, parce que cette discussion servira pour tous les projets que le chambre doit encore examiner.

L’honorable M. Rogier s’est étonné de se trouvé lui, le promoteur des chemins de fer en Belgique, placé comme une borne pour mettre un obstacle à l’élan irréfléchi, imprudent auquel le gouvernement et le pays paraisse vouloir céder. Cet élan, je l’appelle un mouvement heureux de reprise dans les affaires, après la crise qui depuis 10 ans a frappé l’industrie et les capitaux. Mais je me suis étonné plus que l’honorable membre de lui voir prendre la position qu’il a acceptée dans la séance d’hier. Car il s’est trouvé placé à côté de tous ceux qui avaient été les adversaires du chemin de fer, depuis 1834 ; il s’est trouvé d’accord non-seulement sur le vote à émettre, mais dans ses motifs d’opposition, avec tous ceux qui depuis 1834 ont voté contre le budget des travaux publics comme une protestation permanente contre les chemins de fer.

Les considérations générales qu’a développées l’honorable membre sont hostiles à l’ensemble des projets présentés. Il les a entourées de certaines réserves ; mais je les considère comme des précautions oratoires destinées à ôter à sa thèse ce qu’elle aurait de trop absolu. En définitive, l’honorable membre nous a parlé du danger de ces chemins de fer pour la classe ouvrière, de leur inutilité pour l’industrie, de leurs dangers au point de vue de l’agiotage, de leurs dangers au point de vue du trésor public.

Les classes ouvrières !... Mais, messieurs, lorsque, il y a peu de mois, nous étudiions la situation commerciale de la Belgique, on faisait de ces classes ouvrières un tableau qui nous les représentait comme étant abîmées dans une misère presque irrémédiable ; on reprochait au gouvernement d’être impuissant pour guérir un pareil mal. Aujourd’hui, que reproche-t-on au gouvernement ? On lui reproche d’avoir trouvé un remède trop prompt et trop efficace. De quoi s’est plaint hier l’honorable M. Rogier ?

Il a craint qu’on ne donnât trop d’aisance à la classe ouvrière pendant la durée des travaux, et de la voir le lendemain se trouver dans une position plus désespérée que celle de la veille. Donc, ce que je redoute actuellement, c’est de donner, pendant les cinq ou six années de la durée de ces travaux, trop de bien-être à la classe ouvrière, c’est de guérir d’une manière trop (page 1484) prompte la plaie qui nous alarmait, il y a quelques mois. Comme si durant ces cinq ou six ans, tous les bras en Belgique allaient être occupés à ces travaux, comme si après ces cinq ou six ans, il n’y aurait plus de ressources à offrir à la classe ouvrière !

Inutilité pour l’industrie… Mais il y a quelques semaines à peine, lorsque nous discutions le traité avec le Zollverein, on désespérait de l’industrie ; on peignait l’industrie métallurgique, l’industrie houilleresse sous les plus sombres couleurs. Aujourd’hui, on nous dit : « Mais de quoi vous préoccupez-vous ? Mais l’industrie métallurgique est prospère ; elle est prospère depuis hier ; elle n’a plus besoin de l’aide du gouvernement. Ce travail que vous voulez donner à l’industrie, elle ne vous le demande pas. »

Messieurs, il est impossible de tomber dans une plus grande exagération.

Dangers, au point de vue de l’agiotage… Déjà nous avons discuté cette question. J’ai déclaré à la chambre que le gouvernement avait le devoir, devoir qu’il a rempli, de s’assurer, par tous les renseignements possibles, que ces compagnies étaient sérieuses ; que le but de ces compagnies n’était pas la spéculation, mais l’entreprise elle-même.

Je partage l’opinion de l’honorable M. Rogier ; en ce qui concerne l’agiotage, il m’a rappelé un passage d’un rapport que j’ai présenté à la chambre et dans lequel je flétrissais l’agiotage ; j’attitrais l’attention du gouvernement sur les précautions à prendre pour que l’agiotage ne pût plus se reproduire. Je n’ai nullement abandonné cette opinion. Mais ne dirait-on pas que le gouvernement et les membres qui ont donné leur appui au projet, ont pris en main la défense de l’agiotage ?

La question est celle-ci : Quelles sont les précautions qu’il faut prendre pour éviter ces dangers ? Ces précautions, je les ai fait connaître à la chambre. Je désirerais que nos honorables contradicteurs nous indiquassent en quoi ces précautions ne sont pas complètes, et quelles autres précautions il faut prendre. Voilà la question à son point de vue pratique.

Messieurs, l’agiotage dont on parle et qu’on exagère, a lieu non pas en Belgique, mais aux bourses de Londres et de Paris. Eh bien, en Angleterre le gouvernement et le parlement devraient se préoccuper plus que nous encore de ces dangers de la spéculation ; et cependant nous voyons qu’il y a encore à l’heure qu’il est, 80 demandes en concession de chemins de fer pendantes devant le parlement ; le comité des chemins de fer du parlement anglais présente presque chaque semaine un projet de concession au parlement qui le vote presque sans discussion.

En France, on s’est préoccupé, et avec raison, des dangers de l’agiotage ; la proposition de M. Daru, qui a été discutée à la chambre des pairs, avait pour but de l’éviter. Or, les précautions que le gouvernement belge a prises et qui sont consignées dans les conventions et dans les cahiers des charges, sont au fond celles qu’on voudrait faire adopter par la chambre des pairs de France ; eh bien, la chambre des pairs n’a pas accepté la proposition de M. Daru, elle a cru que, pour éviter des abus possibles, il ne fallait pas mettre un obstacle invincible à la composition des compagnies. Ainsi, en France où l’agiotage existe, où l’on s’en est préoccupé, on a reculé devant le danger qu’il y aurait à prendre des précautions exagérées. Ces précautions, je le répète, on les a prises dans des limites prudentes, là où l’agiotage ne se manifeste pas.

L’honorable M. Rogier me permettra de relever quelques erreurs de fait dans lesquelles il est tombé hier.

L’honorable membre a supposé que les compagnies voulaient obtenir tout d’abord du gouvernement ou une signature ou une convention quelconque, à l’aide de laquelle on pouvait former une société de spéculation, et verser le cautionnement sur les premiers versements opérés.

Effectivement, des propositions semblables ont été faites, je les ai constamment repoussées. La première condition que le gouvernement belge a mise à toute négociation, c’était le versement d’un cautionnement préalable à toute négociation, à toute signature quelconque, précisément afin d’éviter le mal qu’a signalé l’honorable M. Rogier. Un cautionnement préalable étant versé, il est certain que les compagnies sont sérieuses, puisqu’elles doivent puiser les fonds de ce cautionnement, non pas dans la bourse de preneurs d’actions, mais dans la bourse même des chefs de l’entreprise.

M. Cogels – Je demande la parole.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – La second erreur dans laquelle est tombé hier l’honorable M. Rogier, c’est de croire que la responsabilité personnelle, solidaire des capitalistes qui se sont engagés par leur signature, passait pour ainsi dire de mains en mains avec les actions au porteur. C’est là encore une erreur qu’il est important de relever.

Ce qui nous importait, et cette clause n’existait pas dans les anciens cahiers des charges, ce qui nous importait, c’était de rendre les capitalistes qui ont signé au contrat, qui se sont engagés personnellement, de les rendre constamment responsables pendant toute la durée de la concession. Or, ces capitalistes sont à la tête de maisons considérables de Londres ; je vous ai fait connaître l’article du cahier des charges qui stipule formellement cette garantie ; cette garantie est telle qu’il est impossible d’attribuer un caractère peu sérieux à ces entreprises.

Vous connaissez, messieurs, les autres précautions : cautionnement considérable avant la signature du contrat ; en second lieu, versement de plus d’un dixième avant le commencement de l’exécution des travaux ; en troisième lieu, réalisation du tiers du capital avant aucune émission d’actions en Belgique ; en quatrième lieu, interdiction de coter les actions aux bourses de la Belgique.

Danger pour le trésor public… Je comprends, messieurs, que lorsqu’il s’agissait d’établir nos chemins de fer à l’aide d’une dépense de 100 à 150 millions tombant à charge du trésor public, je comprends que certains esprits se soient préoccupés des intérêts du trésor public ; je comprends qu’alors cette considération financière ait pu exercer quelque influence sur le vote qu’il s’agissait d’émettre. Mais aujourd’hui qu’il est question de construction par des compagnies, sans le concours de l’Etat, je ne sais trop où l’on voit le danger pour le trésor public ?

L’honorable membre me permettra de lui rappeler combien de fois, depuis 1834, il s’est efforcé de faire comprendre à la chambre que le caractère dominant des chemins de fer, c’est l’utilité industrielle, c’est l’intérêt politique qui s’y rattache ; que le but principal des chemins de fer, ce sont les relations à créer, ce sont les populations à desservir ; que la considération grave, à la vérité, du trésor public, n’était qu’accessoire. C’est la thèse que l’honorable M. Rogier a développée depuis 1834, et aujourd’hui c’est cette seule considération qui le préoccupe.

L’honorable membre s’est inquiété hier de la concurrence que ces chemins de fer ferait au batelage de la Meuse et aux messageries. Mais les adversaires de l’honorable M. Rogier, ainsi que ceux qui partagent ses idées, et je me fais l’honneur d’être au nombre de ces derniers, les adversaires de l’honorable M. Rogier ont combattu précisément la création de notre grande ligne des chemins de fer par les mêmes craintes ; c’était au nom des canaux, des routes, dont les produits devaient diminuer, disait-on ; c’était au nom des hôteliers, des aubergistes, des rouliers qu’on se posait les ennemis des chemins de fer. Je n’ai jamais partagé l’opinion de ceux qui trouvaient ces arguments valables ; mais je ne les trouve pas plus valables en 1845, qu’ils n’étaient valables en 1834 et en 1837.

Car enfin on arriverait ainsi à conclure qu’en dehors de la grande ligne décrétée en 1834, qu’en dehors même du mode d’exploitation par l’Etat, le pays est fatalement condamné à ne rien faire. Ce serait là, comme l’a dit l’honorable M. Dumortier, établir un temps d’arrêt, une halte en Belgique dans les travaux publics.

Je l’ai dit, je suis partisan de l’action directe de l’Etat dans l’exécution des travaux publics, mais en une certaine mesure ; je crois qu’on a bien fait en 1834 et n 1837 d’adopter le mode qui est suivi aujourd’hui. Il y a quelques jours, que je défendais ce système contre l’honorable M. Pirson qui avait fait quelque impression sur la chambre, en exagérant peut-être l’utilité de l’action des compagnies, de l’intérêt privé dans ces entreprises. Aujourd’hui, je me trouve amené à combattre l’honorable M. Rogier qui, en un sens contraire, s’est posé sur un terrain trop absolu, selon moi.

Je regarde l’œuvre de 1834 et de 1837 comme étant bien près d’être complète. Le rôle de l’Etat, pour les chemins de fer, consiste maintenant à achever son organisation intérieure. Mais en dehors de nos grandes lignes, il y a des veines de cette grande artère, il y a des embranchements qui doivent relier nos lignes entre elles, qui doivent rattacher nos centres de production à nos marchés de consommation ; il y a surtout à établir encore des chemins de fer industriels par lesquels on a commencé en Angleterre et par lesquels nous finissons en Belgique.

La question est donc celle-ci : L’Etat doit-il tout faire ? l’Etat peut-il tout faire ? L’honorable ministre des finances vient de vous le déclarer, il y a ici une question qui prime toutes les autres : c’est la situation financière du pays.

Messieurs, depuis 1842 on n’a cessé de proclamer dans cette enceinte qu’il fallait se préoccuper avant tout de l’équilibre financier à rétablir et à maintenir quand il sera rétabli. Mais la construction par l’Etat créerait une rente de capital à desservir. Cette rente, où la trouver ? Quel impôt nouveau pouvez-vous établir ?

On a dit à satiété qu’il fallait clore les emprunts, qu’il fallait arrêter cette addition de millions à millions pour la construction des chemins de fer.

Si l’Etat ne peut pas tout faire, vous devez admettre le concours des capitaux de l’industrie privée ; sans cela on arriverait à déclarer qu’il vaut mieux refuser les capitaux qui se présentent plutôt que de construire des travaux publics par concession ?

L’Allemagne n’en a pas d’autres, l’Angleterre n’en veut pas d’autres. On ne repousse pas, dit-on, les compagnies, mais on veut savoir à quelles conditions on les accepte. L’honorable M. Rogier a dit : J’accepte l’intervention des compagnies, mais je veux savoir à quelles conditions. Mais, messieurs, il y a un an on regardait comme une impossibilité, on ne prévoyait pas le cas de la construction de travaux publics par des compagnies sans le concours de l’Etat, sauf en Angleterre.

Les économistes, les gouvernements étaient préoccupés de la question de savoir quel était le meilleur mode de concours de l’Etat pour aider à la formation des compagnies. Les uns se prononçaient pour une garantie de minimum d’intérêt, d’autres pour des subsides, d’autres pour des prêts, d’autres pour des prises d’actions. L’Allemagne consentait à garantir l’intérêt d’un milliard de francs ; en France, par la loi de 1842, le gouvernement consentait à faire la dépense des trois cinquièmes des frais d’établissement des lignes, qu’il accordait comme subsides aux compagnies dans le seul but d’arriver à leur formation.

Le projet de M. Teste offrait donc comme subsides aux compagnies les trois cinquièmes des frais d’établissement de toutes les lignes ferrées. Je sais que depuis on a renoncé à ce système par les mêmes raisons qui l’ont fait repousser en Belgique.

En 1842, on ne songeait pas à la construction des chemins de fer par l’industrie privée sans l’aide de l’Etat. Aujourd’hui, on dit : examinons à quelles conditions il faut accorder des concessions à ces compagnies, quand elles se chargent de construire à leurs risques et périls, sans le concours (page 1485) direct ou indirect de l’Etat et qu’on impose à ces compagnies toutes les conditions que je viens d’indiquer, qu’on exige d’abord le versement d’un cautionnement triple, quadruple de celui qu’on demandait précédemment, puis un deuxième versement, quand on leur imposait des tarifs plus modérés, plus bas que les tarifs de l’Etat, notamment pour le transport des marchandises pondéreuses. Les tarifs de l’Etat sont les plus modérés qui existent et le gouvernement a obtenu des compagnies des tarifs plus modérés encore que les tarifs belges qui ont été fixés, non au point de vue de la fiscalité, mais de l’intérêt public.

Ces conditions de constructions, aux risques et périls des compagnies, sans le concours du trésor, avec tarif modéré, ne suffisent pas ; on regrette que l’Etat ne fasse pas les bénéfices qu’on attribue aux compagnies. Voilà, au fond, le seul argument présenté comme objection.

Eh bien, il y a peu de temps, vos entreprises du chemin de fer de l’Etat étaient, au yeux de plusieurs, le gouffre dans lequel le trésor public allait s’engloutir ; c’était la source des emprunts, la cause des déficits, de la ruine de la Belgique ; et les mêmes membres qui ont tant de fois fait retentir de leurs plaintes le palais où nous siégeons, appellent les concessions qu’il s’agit d’accorder, des mines d’or !

Quand le gouvernement est venu présenter comme un résultat heureux de l’exploitation, l’intérêt de 3 à 4 p.c., obtenu en 1843 et 1844, quand je faisais entrevoir l’espérance de voir le chemin de fer couvrir l’intérêt entier du capital engagé, on accueillait mes paroles par un sourire d’incrédulité.

L’honorable M. Rogier et moi, nous rappelions que les routes et les canaux ne produisaient pas un pour cent des capitaux employés à leur construction, et nous disons qu’il ne fallait pas être si exigeants à l’égard des routes appelées chemins de fer.

Les considérations d’intérêt politique, d’intérêt public, d’intérêt industriel, d’intérêt de civilisation, toutes ces considérations s’évanouissent : il ne s’agit plus que des intérêts du trésor. Je le demande franchement, si le gouvernement avait proposé la construction par l’Etat du chemin de fer de Tournay à Jurbise et de quelques autres grandes lignes qu’il est de l’intérêt du pays de voir construire, comment aurait-on accueilli cette proposition ? Si on l’avait accompagnée de tous les calculs, de toutes les prévisions de produits présentés par les adversaires de la concession, on nous aurait rappelé tous les mécomptes dans lesquels les ingénieurs, nous dit-on, nous ont induits depuis dix ans ; on aurait qualifié ces calculs de fabuleux, de rêves, et on nous aurait demandé si nous trouvions dans le passé quelque garantie de leur réalisation.

Aujourd’hui, les ingénieurs sont trop modestes dans les prévisions des produits des chemins de fer, aux yeux de nos adversaires. L’ingénieur Desart n’a évalué les produits directs du chemin de Tournay à Jurbise qu’à 4 ou 5 p.c. On les élève à 12 p.c., à un intérêt usuraire. Si l’Etat avait présenté le projet pour le construire à ses frais, on aurait trouvé exorbitant le produit qu’on trouve aujourd’hui au-dessous de la réalité.

Posons nettement la question.

Quand le gouvernement présente une concession ordinaire, pure et simple où les concessionnaires construisent et exploitent sans le concours de l’Etat, cela ne donne lieu à aucune discussion. L’idée d’une concession, c’est que le gouvernement se soustrait à toutes les charges, mais il renonce à tous les bénéfices éventuels. Pour la ligne de Tournay à Jurbise, c’est une concession pure et simple avec cette distinction, qu’en vue de l’intérêt public, de la sécurité, de l’unité administrative, l’Etat s’est réservé l’exploitation du chemin.

La question à examiner, c’est une question ordinaire de concession avec un avantage de plus pour l’Etat. Vous ne devez donc pas exiger plus de bénéfice sur une concession du chemin de fer de Tournay à Jurbise, que sur celle du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse ; l’Etat, pour se soustraire aux charges, a renoncé aux bénéfices éventuels ; la question de bénéfice n’était donc pas en cause, celle à examiner est de savoir si, par le partage des recettes, le gouvernement est couvet des frais d’exploitation. Au fond, c’est la seule question à discuter.

J’ai déjà eu l’honneur de le dire, l’exploitation est le but, la construction est le moyen. Quand on construit, ce n’est pas pour le plaisir de construire : le but de la construction, c’est l’exploitation. Vous n’aurez pas l’imprévu de la construction. Aujourd’hui cet imprévu est plus considérable par suite de la hausse du prix des bois et des fers ; il en sera de même de la main-d’œuvre . ces mécomptes, vous devez les prévoir dans l’avenir bien plus que dans le passé. L’Etat est débarrassé des mécomptes ordinaires de la construction, et il aura l’avantage d’exploiter lui-même.

On est tombé dans une singulière contradiction. D’un côté on craint l’agiotage, on craint que l’entreprise ne soit pas sérieuse et que la compagnie n’abandonne les travaux quand la spéculation aura eu son cours ; d’un autre côté, on veut que l’Etat se réserve les bénéfices usuraires qu’on attribue à cette entreprise peu sérieuse, peu étudiée. Si cette entreprise a la spéculation pour but, pouvez-vous espérer ces bénéfices usuraires auxquels vous croyez ?

Au fond, c’est un prêt qu’on vous fait, et les intérêts de cet emprunt sont perçus sur les bénéfices éventuels de l’entreprise. Voilà la question réduite à sa plus simple expression les intérêts de l’emprunt que vous faites ne sont pas pris sur le trésor, mais sur les bénéfices éventuels de l’entreprise. Lors de la conclusion de nos emprunts, si la maison Rothschild ou autres étaient venu nous dire : Je me contente de prélever les intérêts sur les bénéfices éventuels de l’entreprise, il n’y eût eu qu’une acclamation dans la chambre pour accueillir une semblable proposition.

Voici comment se résume l’opération financière de l’entreprise : les produits directs et indirects s’élèveront au minimum, d’après M. Desart, à 17 p.c. du capital d’établissement. Les produits indirects, ceux que l’Etat conserve, y figurent pour 12 p.c., et les bénéfices directs de la ligne prise isolément, à 5 p.c. qui sont partagés entre le gouvernement et la compagnie, de sorte que dans l’opération financière totale le gouvernement aura 14 ½ p.c. et la compagnie 2 ½ p.c.

Je présenterai mes calculs sous un autre point de vue, parce que je tiens à les bien faire comprendre à la chambre. Tout est là.

Les bénéfices directs et indirects sont évalués à 1,500,000 fr. par M. l’ingénieur Desart. Les bénéfices de la ligne isolée sont évalués à 600,000 fr., c’est-à-dire que les produits indirects sont comptés pour 3/5 et les produits spéciaux à la ligne pour 2/5 à partager entre l’Etat et la compagnie. Ainsi, dans l’opération considérée dans son ensemble, l’Etat aura 3/5 de tous les bénéfices que produira la ligne nouvelle et la compagnie aura 1/5. Et l’on soutiendra que c’est là un contrat onéreux à l’Etat !

L’Etat recevra 50 p.c. des recettes pour l’exploitation.

Eh bien ! en Angleterre, le coût de l’exploitation est évalué de 35 à 40 p.c. des recettes brutes. En France, l’honorable M. Cogels vous l’a fait connaître, les chemins de fer qui sont le mieux exploités ne coûtent que 40 p.c.

M. Cogels – Il y en a un.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Il y en a deux, celui d’Orléans et celui de Rouen.

En Belgique, ces frais ont diminué d’année en année, et nous sommes parvenus, en 1844, à 50 p.c. Or, il est évident que nous avons des économies à faire, des améliorations à apporter, et que les frais d’exploitation baisseront encore dans une forte proportion.

Quant à la ligne de Tournay à Jurbise, M. l’ingénieur Desart calcule que les frais d’exploitation s’élèveront à 40,000 fr. par lieue exploitée. Selon moi, ce calcul est exagéré, parce que les convois venant de Mouscron, qui s’arrêtent maintenant à Tournay, n’auront qu’un prolongement de parcours à faire ; et, par conséquent, il y aura peu de frais de locomotion en plus. Le personnel ne devra pas non plus être sensiblement augmenté. Sur une ligne de jonction, les frais d’exploitation sont évidemment au-dessous de la moyenne. Cela me paraît incontestable.

Or, la recette moyenne par lieue parcourue a été, en 1844, de plus de 100,000 fr. Si les prévisions de quelques honorables membres se réalisaient la ligne de Tournay à Jurbise devrait produire des recettes plus élevées. Mais j’admets, messieurs, que cette ligne n’atteindra pas la moyenne des recettes brutes de tous nos chemins de fer. Supposez que ses recettes, au lieu d’être de plus de 100,000 fr., ne s’élèveront qu’à 85,000 fr. Comme les frais d’exploitation au maximum, selon moi, ne s’élèveront qu’à 40,000 francs par lieue exploitée, le gouvernement sera indemnisé de ces frais d’après le principe qui forme la base du contrat.

Veuillez remarquez que je ne compte pour rien les revenus indirects qui cependant sont aussi positifs que les revenus directs. Il est évident que nous devons en tenir compte, et alors ce n’est pas l’équivalent de ses dépenses que l’Etat recevra, mais un bénéfice réel.

Ainsi, messieurs, les revenus les plus considérables et les plus positifs restent assurés à l’Etat, les inconvénients et les mécomptes de la construction seront évités et les avantages de l’unité d’exploitation conservés.

Ce système, messieurs, je le regarde comme bon à tous les points de vue. Sans doute si la situation du trésor public le permettait, je préférerais la construction par l’Etat. Cependant, messieurs, la compagnie ne m’a pas présenté ce système adopté ; elle m’a demandé d’abord de lui concéder cette ligne comme d’autres l’ont été, en lui laissant l’exploitation. C’est le gouvernement qui, dans l’intérêt du chemin de fer a cru devoir chercher le moyen d’amener la construction de cette voie sans la laisser à la charge du trésor, tout en se réservant son exploitation. Ce problème, messieurs, on ne pouvait le résoudre autrement qu’il ne l’a été.

L’honorable M. Rogier m’a fait quelques objections de détails que je me permettrai d’aborder.

D’abord il a cru qu’il y aurait perte pour le trésor sur les voyageurs de la ligne de l’Ouest se dirigeant vers la ligne du Midi, parce que ces voyageurs ne passeraient plus par la voie détournée de Courtray, de Gand et de Malines.

Messieurs, je ne crois pas qu’il soit dans l’intention de l’honorable membre de regarder comme une idée progressive de forcer les voyageurs à faire cet immense détour. D’ailleurs, les voyageurs ne le font pas, et il est bon de ne pas oublier ce fait. Actuellement, les transports de la ligne du Midi vers la ligne de l’Ouest ou de la ligne de l’Ouest vers la ligne du Midi, n’existent pas.

D’après les calculs de M. l’ingénieur Desart, qui ont été minutieusement établis, la recette des transports de la ligne du Midi vers la ligne de l’Ouest, est de 6,000 fr., et celle des transports de la ligne de l’Ouest à la ligne du midi est aussi évaluée à 6,000 fr. ; ainsi, l’Etat perçoit 12,000 fr. sur les transports opérés entre ces deux lignes ; c’est-à-dire que ces transports sont nuls, qu’ils n’existent pas ; et cela par une raison très-simple, c’est que le mouvement des grands transports se fait à de petites distances et non à de grandes distances. D’un autre côté, d’après les calculs de M. l’ingénieur Desart, l’exécution du chemin de fer de Tournay à Jurbise produira en revenus nouveaux sur les lignes de l’Etat, 900,000 fr. Ainsi, je suppose que nous perdions ces 12,000 fr. ; nous trouverons une compensation, je pense, (page 1486) dans les 900,000 francs que cette ligne produira par sa réaction sur les lignes anciennes.

L’autre objection qui consiste à croire que les voyageurs de Calais pourraient prendre les lignes nouvelles, au lieu de se diriger par Ostende et par la ligne de l’Est vers l’Allemagne, a été déjà détruite. Ainsi qu’on l’a fait connaître, il y a par les lignes nouvelles cent kilomètres de plus que par la ligne d’Ostende à Liége, et ne l’oubliez pas, les voyageurs devraient subir six changements de convoi et le passage de deux lignes de douane, tandis que par la ligne ancienne d’Ostende vers l’Allemagne, il n’y a qu’une douane et qu’un seul changement de convoi à essuyer.

Ainsi, messieurs, cette objection ne repose réellement sur aucune espèce de fondement.

Une objection plus sérieuse a été faite par l’honorable M. Rogier. Il a dit : Mais les tarifs accordés à la compagnie et qui sont modérés à l’heure qu’il est, ces tarifs vont se trouver immobilisés dans ses mains et il est à supposer que la compagnie ne consentira pas à ce qu’ils soient abaissés. Messieurs, l’honorable membre comprendra immédiatement que, par suite du système adopté, la compagnie a intérêt à ce que les tarifs soient abaissés, car un abaissement de tarifs amène toujours une augmentation de transports ; il est vrai que cette augmentation de transports entraîne une augmentation de dépenses d’exploitation, mais ici ces dépenses sont à la charge du gouvernement. Dans un système où la compagnie ne fait que recevoir et où toutes les dépenses sont supportées par l’Etat, la compagnie a intérêt à l’abaissement des tarifs ; c’est l’Etat, au contraire, qui a intérêt à ne pas favoriser cet abaissement.

L’honorable membre a parlé des petits paquets qui payent maintenant 60 centimes quelle que soit la distance ; il a supposé un petit paquet partant de Hasselt payant 60 centimes sur la ligne de Hasselt à Landen, 60 centimes sur la ligne de l’Etat, 60 centimes sur une autre ligne concédée. Messieurs, je pourrais répondre que cela ne changerait rien à l’état actuel des choses, car ce petit paquet doit être actuellement transporté de l’une de nos stations à sa destination, à des prix plus considérables, perçus par les entrepreneurs de messageries ; je pourrais dire, en second lieu, que si le prix de 60 centimes est trop élevé, ce prix n’est qu’un maximum et qu’il sera de l’intérêt de la compagnie de le diminuer ; mais j’ai une autre observation à faire, c’est que je n’ai pas compris le cahier des charges comme l’interprète l’honorable M. Rogier ; c’est l’Etat qui exploite les lignes de Jurbise et de Hasselt : eh bien, un petit paquet partant de Hasselt et destiné à Bruxelles, par exemple, ne doit, selon moi, payer que 60 centimes pour tout le parcours, et l’Etat devra tenir compte à la compagnie d’une partie de ces 60 centimes, équivalente à l’étendue de la ligne concédée que le petit paquet aura parcouru. Je crois, messieurs, que le cahier des charges ne peut pas être interprété d’une autre manière.

Du reste, messieurs, le transport des petits paquets de 5 kilogrammes et au-dessous ne s’est élevé qu’à un nombre de 227,4809 colis et le produit en a été de 136,000 francs pour tout le pays.

Messieurs, je finirai par une considération générale, et je réclame encore quelques moments de l’attention que la chambre veut bien me prêter. L’honorable M. Rogier a semblé croire que ces projets on les avait jetés en avant, sans études, sans examens, sans qu’aucune pensée eût présidé à leur conception. Certainement, messieurs, lorsqu’une compagnie se présente, l’Etat ne peut pas établir une combinaison comme il ferait s’il s’agissait d’établir lui-même l’ensemble de ces projets : d’abord par l’exécution de ces diverses lignes vous obtiendriez un résultat que je regarde comme bien important et qui est si vivement désiré, c’est l’agrandissement de notre marché intérieur.

Il est clair que, par l’exécution de ces voies perfectionnées, vous allez agrandir vos débouchés à l’intérieur dans une proportion beaucoup plus considérable qu’on ne se l’imagine. Pour n’en citer qu’un exemple, la Flandre occidentale n’use maintenant, pour ainsi dire, pas de houille, la houille est presque inconnue dans cette province, au moins pour les populations rurales qui ne font usage que de la tourbe pour chauffage ; eh bien, n’est-il pas évident qu, lorsque les lignes des Flandres et celle de Tournay seront construites, nos centres houillers trouveront là un marché nouveau, et extrêmement important, et que les consommateurs, à leur tour, en recueilleront un grand avantage ? Cet exemple, je pourrais l’étendre à une foule d’autres produits et à d’autres parties du pays.

Sous le point de vue des débouchés extérieurs, j’aime à le déclarer, messieurs, une pensée mûrie a présidé à la conception des divers projets.

Ainsi, messieurs, si la chambre vote le projet relatif au canal de la Meuse, si le canal de Jemappes à Alost reçoit, comme je l’espère, une exécution prochaine, il est évident que vous aurez ouvert le marché de la Hollande au bassin de Liège comme au bassin de Mons, mieux que ne le ferait une réduction de droits de douanes. Je ne crois pas qu’il fût possible d’obtenir par un traité de commerce une réduction de droits équivalente à la réduction des prix de transport qui résultera de la construction du canal latéral à la Meuse et du canal de Jemappes à l’Escaut.

Le chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, est destiné à donner un débouché à un autre centre industriel également important, à Charleroy, il lui ouvrira le marché de trois départements français limitrophes, mais qui ne nous étaient pas accessibles. Dans la discussion de ce projet, j’ai démontré que son exécution amènerait sur les fontes et la houille une réduction plus considérable que celle que nous espérons obtenir d’un arrangement commercial avec la France.

Le chemin de fer de Mons à Manage a une destination analogue ; il fera participer le bassin du centre aux débouchés que possède le bassin de Jemappes.

Eh bien, je dis que c’est là une combinaison intelligente. Je regarde les résultats industriels que nous obtiendrons au moyen de ces chemins de fer, comme étant l’équivalent d’un traité de commerce avec la France et avec la Hollande.

M. Desmet – Messieurs, comme j’ai eu l’honneur de le dire dans une précédente séance, j’accepterai les projets de concession parce que c’est un moyen de donner du travail aux ouvriers ; ce motif est pour moi déterminant parce que le manque de travail et le paupérisme sont aujourd’hui portés à un degré déplorable et méritent de fixer toute notre attention. Au commencement de l’hiver, il y avait un grand nombre de pauvres, mais aucun excès ne se commettait ; il n’y avait ni maraudage, ni délits, ni crimes d’aucune espèce ; mais, depuis quelques temps, il n’en est malheureusement plus ainsi ; en trois semaines, il a été commis trois assassinats en Flandre, et les coupables ont été poussés à ces crimes par la misère, par le manque de pain. J’appelle l’attention de M. le ministre de la justice sur ces faits, et je ne puis pas assez lui dire qu’il est temps d’y songer. On doit arrêter le vagabondage ; mais aussi on doit soigner l’existence des indigents !

Ainsi, messieurs, j’adopterai les projets de concession pour procurer du travail aux pauvres.

Messieurs, on objecte que ce travail ne sera pas de longue durée ; que c’est un travail cumulé, et qu’ensuite il n’y en aura plus. C’est là, messieurs, ce que je ne puis croire. Quand nous aurons donné pour six ans d’ouvrage à nos ouvriers, il est à espérer que nous serons, après ces six années, sortis de la crise qu’a amenée la concurrence de l’étranger sur nos marchés. Il est à espérer que nous aurons modifié nos tarifs de manière à remplacer les produits étrangers par ceux de l’industrie nationale. C’est parce que cette lèpre de la concurrence étrangère pèse encore sur le pays, qu’il faut tâcher de trouver du travail pour nos ouvriers dans les travaux publics.

Messieurs, il m’est assez indifférent d’où nous vient l’argent ; qu’il nous vienne d’outre-mer, de l’Allemagne, de la Hollande, de la Belgique, peu m’importe ! Je ne fais qu’une seule distinction, c’est de savoir s’il vient de la poche des particuliers ou du trésor public. Quand il vient de la poche des particuliers, c’est une dépense volontaire et qui profite à l’ouvrier. Mais quand il vient du trésor, c’est une dépense forcée que vous faites faire au contribuable, souvent malgré lui et parfois au détriment de ses intérêts.

C’est là déjà un avantage important que l’on retirera des constructions par voie de concession. Si l’on avait eu le bon esprit d’adopter ce système quand on a fait les premières lignes du chemin de fer, on en aurait eu autant qu’à présent, et l’on n’aurait pas si fortement grossi la dette publique.

Messieurs, en parlant contre le projet en discussion, on vous a parlé de l’agiotage. Personne n’approuve l’agiotage ; mais, messieurs, on en fait partout. Qu’est-ce qui a donné naissance à l’agiotage, c’est le commerce des huiles. Il n’est donc pas nécessaire que l’on accorde des concessions de péages pour qu’il y ait agiotage ; il y en aura toujours, on en fait même avec les propriétés immeubles, etc., etc.

Messieurs, je serai favorable au projet ; et pourtant j’ai souvent voté contre les demandes de fonds qui nous étaient faites pour construction de chemins de fer. Mais quand j’ai parlé contre les chemins de fer, ce que j’ai combattu, c’est le système vicieux de la construction par l’Etat et aux frais de l’Etat. Mais aujourd’hui qu’il y a progrès dans les idées, que nous entrons dans une nouvelle voie, que l’on consent enfin à remplacer le travail par l’Etat, par le travail des particuliers, je donnerai de grand cœur mon assentiment à ce nouveau système et je ne doute pas qu’en peu d’années le pays s’en trouvera très-bien, et beaucoup mieux qu’avec le système actuel.

Messieurs, un autre motif qui me fera voter pour les chemins de fer dont on nous propose d’approuver la concession, c’est que partout on veut remplacer les routes pavées par les voies ferrées. Il faut que chacun ait sa part dans les chemins de fer, que certaines contrées privilégiées n’en aient pas le monopole.

J’arrive maintenant aux chemins de fer dont il est question dans le projet en discussion. Je voterai le projet de loi qui concerne les sections de Jurbise à Tournay et de St-Trond à Hasselt.

Messieurs, une grande faute a été commise dans notre système de chemins de fer. Cette faute, que les Anglais critiquent avec raison, c’est que les tracés ne vont pas en ligne droite, c’est qu’ils forment de nombreux détours avant d’arriver au lieu où ils doivent aboutir ; de sorte que les voyageurs ne profitent pas de l’avantage de la vitesse que procure la vapeur.

Ce grand vice, messieurs, il faut le corriger, si l’on veut réellement donner à nos chemins de fer tous les avantages qu’on est en droit d’en attendre.

Messieurs, la première correction qu’on nous propose, c’est la construction de la ligne de Tournay à Jurbise, qui est une espèce de diagonale que l’on tire dans le polygone de nos chemins de fer et qui raccourcira beaucoup certains parcours.

Si la ligne diagonale de Jurbise à Tournay devait exister dans le polygone sans autre coupure, je crois qu’au lieu de corriger le système vous tomberiez dans un plus grand mal ; vous augmenterez ou au moins vous déplacerez le monopole ; cette ligne favorise extraordinairement Tournay, et cela au grand détriment des Flandres et du Brabant et de la capitale même ; veuillez jeter un coup d’œil sur la carte, vous en aurez une pleine conviction. – Et ce n’est pas moi seul qui vous le dis, c’est aussi le savant ingénieur, auteur des remarquables mémoires sur le projet du chemin de fer de Tournay à Jurbise ; à la page 20 de ce mémoire se trouve un tableau par lequel (page 1487) vous verrez combien la contrée où se trouvera le chemin de Jurbise gagnera pour le passage – vous y voyez que ceux de Lille et du département du Nord, au lieu de passer, comme ils le font aujourd’hui par la Flandre, par Courtray et Gand, entreront à Mouscron pour arriver à Namur. Charleroy, Mons, sur la ligne d’Entre-Sambre-et-Meuse et même à Bruxelles et passeront par le chemin de fer de Jurbise ; et cela par la bonne raison qu’il y a une économie de distance de plusieurs kilomètres. – Ce sera de même pour Courtray et même pour Deynze, quand de ces endroits on voudra se rendre vers Mons, Charleroy, l’Entre-Sambre-et-Meuse et vers Valenciennes – on prendra le chemin de Jurbise et on ne négligera non-seulement Gand et une grande partie de la Flandre orientale, mais aussi Bruxelles, ce centre obligatoire, perdra tout ce passage.

Ce déplacement de passage doit certainement inquiéter plusieurs membres de cette chambre et les contrées qui en feront la perte, mais un point capital sera encore la perte que fera nécessairement Ostende, si la coupure de Jurbise à Tournay devait rester seule dans le polygone de chemins de fer ; la traversée de Calais à Douvres est plus courte que celle de Calais à Ostende ; joignez-y le projet du chemin de fer de Calais à Lille et la coupure de Jurbise, ne devrons-nous pas craindre que le débarquement à Ostende perdra infiniment.

Il y a donc nécessité absolue, et personne dans cette chambre ne peut le mettre en doute qu’une autre coupure doit nécessairement être faite dans le polygone, et qu’il faut la faire à la traverse la plus profitable pour la capitale et pour les contrées qui vont perdre par le projet de Jurbise. Si donc je vote la loi qui approuve la concession de la construction de ce chemin, j’espère bien que, pendant la session actuelle, tous les autres projets dont la section centrale est nantie, seront discutés et votés, et que dans cette session le principe sera consacré et assuré qu’une ligne directe sera tracée de Gand à Bruxelles. C’est à cette condition que j’émettra un vote approbatif pour le projet présent.

Messieurs, j’ai deux mots à dire sur le système que l’on a suivi pour couvrir la dépense de construction des voies dont il s’agit.

Il y a, messieurs, quatre moyens d’exécuter des travaux publics ; il y a d’abord la construction directe par l’Etat ; en second lieu, la construction par simple concession ; en troisième lieu, la construction avec la garantie d’un minimum d’intérêt ; et en quatrième lieu, la construction au moyen du partage des produits bruts, comme dans le cas actuel.

Messieurs, selon moi, la construction au moyen du partage des produits bruts est peut-être la plus onéreuse pour l’Etat.

Je ne vois pas, quant à moi, qu’il y ait grande nécessité de laisser exploiter l’Etat ; je crois qu’on peut laisser exploiter les particuliers, et qu’il aurait avantage à ce système.

L’honorable M. Simons vous a fait voir, dans une séance précédente, combien était onéreux le système qui vous était proposé ; il vous a communiqué des calculs dont on n’a pas, selon moi, démontré l’inexactitude. Je vais m’occuper de calculs qui concernent le chemin de Jurbise. Vous y verrez, de même que pour Hasselt, que le système est bien profitable pour les constructions.

Je vais avoir l’honneur de vous présenter le compte du constructeur et celui de l’Etat ; vous verrez, par ces deux comptes que, si l’Etat ne fait pas de pertes réelles à cause des profits que j’appellerai généraux, ceux qu’il fera sur la totalité du réseau des chemins de fer, que cependant le constructeur en fera de très-grandes.

Je prends le chiffre de l’ingénieur, auteur du projet.

Compte du constructeur,

Capital du coût du chemin, 5,680,000

Intérêt du capital à 4 p.c., 227,200

Produit minimum du chemin, 644,000


La moitié qui revient au constructeur, 332,000

A déduire l’intérêt ci-dessus, 227,200


Reste en bénéfice, 94,800

Compte de l’Etat qui exploite

Exploitation, entretien, etc., 391,220

Intérêt d’un capital nécessaire pour l’établissement du matériel d’exploitation qui s’élève, d’après le devis de l’ingénieur, à 620,000 fr., 24,800


Total, 416,020

La moitié du produit brut, 322,000


Déficit, 94,020

Si l’Etat construisait par lui-même le chemin et contractait un emprunt, il devrait compter un intérêt au moins de 5 p.c.

Le capital total des devis de construction et matériel d’exploitation s’élève à 6,300,000

Intérêt à 5 p.c., 315,000

Exploitation, entretien, etc., 391,220


Total, 706,220

Produit brut, 644,000


Déficit, 62 ,220

Si l’on devait envisager uniquement les produits du chemin de fer de Jurbise, vous trouveriez, par ces deux calculs que je viens de présenter, que l’Etat ferait annuellement une perte de 31,000 fr.

Mais, comme l’a très-bien observé l’ingénieur Desart, il ne faut pas établir seulement le calcul sur le chemin de fer de Jurbise ; il faut y voir aussi les profits que fera tout le réseau des chemins de fer ; et en adoptant le chiffre de l’évaluation faite par le même ingénieur, que je ne pourra critiquer, n’ayant pas de notions suffisantes sur le mobile des recettes du chemin de fer, nous devons reconnaître que le trésor aura de grandes avantages par le nouveau chemin.

Cet ingénieur évalue l’augmentation totale des recettes, à fr. 1,499,000

En déduisant de cette somme le produit particulier de Jurbise qui est évalué à 644,000, il restera un bénéfice de 855,000

Et comme nous avons vu que l’Etat faisait une perte annuelle sur l’exploitation du chemin de Jurbise de 94,020 fr., il resterait toujours un bénéfice pour l’Etat de 761,000 fr.

Quoique ce bénéfice existe, il ne reste pas moins vrai que le constructeur aura un très-bel intérêt du capital qu’il aura placé dans la construction et veuillez prendre attention, messieurs, que c’est sur le minimum du produit que j’ai établi le calcul, et il est indubitable que ce produit doit augmenter. Je dirai même que, d’après ma manière de voir, je trouve que le chiffre du produit particulier du chemin de fer de Jurbise, tel qu’il est évalué par l’ingénieur, est trop bas, et que celui de l’augmentation sur la généralité des recettes est pris trop haut. Je peux donc dire que le système du partage des produits bruts est très-profitable aux constructeurs, et même outre-mesure, et je pense que désormais l’Etat n’en fera plus usage. Cependant, quoique je désapprouve fortement la manière dont la construction de ce chemin va se faire, ce ne sera pas pour moi un motif pour ne pas voter le projet ; je le voterai, parce que le pays aura le travail que ce chemin va procurer, et que je crois fort que, si on devait demander à la représentation nationale les sommes dont on aurait besoin pour la construction, ne les obtiendrait pas, et que les travaux n’auraient pas lieu.

Mais, messieurs, si je vote pour les chemins de fer de Jurbise et de Hasselt, je pense que nous pourrons discuter et voter aussi les autres chemins ; sans cela nous serions tout à fait lésés.

Quant au chemin de fer de Hasselt, je conçois l’opposition qui a été faite par quelques honorables députés du Limbourg contre le tracé qui a prévalu. Quant à moi, je puis très-bien appuyer ce tracé ; cependant je crois qu’il eût été avantageux de conduire cette ligne vers Waremme et d’y joindre deux embranchements sur Tongres et St-Trond ; de cette manière toutes les parties du Limbourg auraient obtenu satisfaction. Ce qu’on ne peut pas contester, c’est le grand intérêt de Hasselt à être relié le plus directement possible à Liége. C’est surtout à Liége et dans la province du Luxembourg que se vendent les produits de ses distilleries ; c’est de Liége également qu’elle tire le combustible dont elle a besoin.

Mais, messieurs, quelle est la véritable cause du peu de produits du chemin de fer de Hasselt ? c’est que ce chemin de fer est une impasse. Il y aurait deux moyens de corriger ce vice capital ; l’un de ces moyens serait de conduire le chemin de fer de Hasselt sur Anvers par Diest et Lierre ; l’autre moyen serait de le prolonger vers Düsseldorf. Je crois qu’un jour viendra où l’on continuera tous ces chemins de fer impasses qui ne peuvent manquer d’être onéreux. Si l’on veut qu’un chemin de fer soit productif il faut qu’il relie entre eux des centres importants de production et de consommation. J’ai dans la conviction que tôt ou tard on sentira la nécessité de conduire le chemin de fer du Limbourg sur Anvers ou vers Düsseldorf.

M. de Man d’Attenrode –Messieurs, les paroles que M. le ministre des travaux publics a prononcées dans la séance d’hier en s’adressant à moi, exigent une réponse ; je ne puis les passer sous silence.

M. le ministre s’est étonné de ce qu’ayant insisté souvent pour que l’on mît un terme à la construction de nouveaux chemins de fer par l’Etat, je n’accueillais pas avec bonheur, avec empressement, les offres des compagnies. Si c’est là l’impression que produit ma conduite dans cette discussion, il est nécessaire que j’explique la pensée qui me domine, car on m’accuse d’être en contradiction avec moi-même, et l’argument qu’on doit en tirer, est tout naturellement, que je suis l’adversaire quand même des communications par la vapeur.

Permettez-moi, messieurs, de vous démontrer qu’il n’y a aucune inconséquence dans ma conduite.

Je suis le partisan de la construction et de l’exploitation par l’Etat des lignes de grandes communications, des lignes de premiers rangs ; je persiste à soutenir que le système de la loi du 1er mai 1834, que j’ai eu l’honneur de voter, et je reste conséquent avec moi-même.Mais quant aux lignes aboutissantes au grand système de communication qui sont pour moi de deuxième rang, et d’un intérêt secondaire, mon opinion reste ce qu’elle a toujours été ; elle consiste à les laisser construire et exploiter par l’industrie privée, et voilà pourquoi je me suis permis de regretter le système adopté en 1837.

J’ai demandé, il est vrai, à plusieurs reprises dans l’intérêt du trésor public que l’Etat ne construisît plus de chemins de fer.

Mais c’est encore en vue de ce même intérêt, que mon devoir me défend de consentir à livrer à des compagnies des lignes, qui feraient concurrence au chemin de fer de l’Etat.

C’est toujours dans l’intérêt de nos finances, que je ne puis consentir à ce que l’Etat fasse des sacrifices pour aider des compagnies à faire des chemins (page 1488) de fer dans des contrées dont la population et la production ne peuvent faire prospérer une entreprise semblable.

Maintenant je suppose que M. le ministre des travaux publics établisse que le système de 1834, que le système des grandes lignes de l’Etat est incomplet, est-ce à dire qu’il me serait défendu d’appuyer sans être taxé de contradiction, la construction de ce travail par l’Etat ? Je ne le pense pas.

Si j’étais moins soucieux des intérêts de l’Etat, si l’entraînement qu’inspirent les compagnies ne dominait, ma conduite serait tout autre, je voterais indifféremment toutes les concessions ; je livrerais aux compagnies des lambeaux d’une grande ligne qu’il est question d’établir, au Nord de la France, vers Tournay, Namur et Liége ; je livrerais aux compagnies une ligne directe de Bruxelles à Gand par Alost.

C’est là un engouement que je ne partage pas, et je vous avoue que je me défie du gouvernement pour la construction de ces chemins de fer ; je ne le crois pas de force à résister aux obsessions qui le dominent ; car que voyons-nous ? Qu’il s’élève une voix dans cette chambre, poussée ordinairement par un intérêt de localité, et de localité peu importante, pour demander un chemin de fer, et de suite les ingénieurs sont chargés de l’étudier à nos frais, et le rapport en sera imprimé aux frais de la chambre.

Les ingénieurs de leur côté, dont l’existence se lie aux travaux, étudient des tracés, je crois même sans qu’on les leur demande ; et puis ils chargent quelque intérêt communal ou autre de faire prévaloir leur travail. Tout mon désir est donc de voir le gouvernement prendre une haute position, une position d’indépendance, de ne le voir préoccupé que des grands intérêts du pays. Que l’on me démontre que la grande ligne que l’on veut établir, en faisant les sections de Tournay à Jurbise, de Mons à Manage, et de Namur à Liége, ne fera pas concurrence à la grande ligne de l’Etat, et je n’hésiterai pas à l’abandonner à la libre concurrence. Les calculs des ponts et chaussées ont peu d’influence sur moi ; je partage à cet égard l’impression qu’ils font sur la chambre des députés de France ; mais ce qui arrêté mon opinion, c’est le relevé du tracé sur la carte ; voilà ce qui fait impression sur moi. Ce témoignage ne peut être récuser.

La ligne partant du département du Nord vers Liége, dont je viens de parler, et dont fait partie la section de Tournay à Jurbise, avait été pressentie dès 1837 par le ministre des travaux publics. Voici comment l’honorable M. Nothomb s’exprimait avec cette haute intelligence qui fait pressentir le futur autant que cela est donné à l’espèce humaine. M. le ministre des travaux publics, dans le but d’établir qu’il était des limites au système des concessions, s’exprimait ainsi dans la séance du 20 mai 1837.

« Il y a encore, messieurs, beaucoup d’autres limites résultant implicitement de la loi de 1834. je suppose, par exemple, un chemin de fer de Gand vers la frontière de la France achevé, ainsi que l’embranchement du Hainaut ; l’embranchement des Flandres touche à Tournay ; je suppose que l’embranchement du Hainaut touche à Soignies ; je suppose encore que dans cet état de choses un demandeur en concession demande un chemin de fer de Tournay par Ath sur Soignies ; eh bien, MM., si le gouvernement l’accordait, ce chemin de fer lui enlèverait le transit des voyageurs venant de France : arrivés à Douai, ils se rendraient à Bruxelles, non pas en passant, soit par Mons, soit par Gand et malines, mais en passant par la route la plus courte, la route du concessionnaire de Tournay à Soignies. Ceux qui connaissent les localités seront, comme moi, frappés des dangers qui résulteraient pour le chemin de fer de l’Etat de l’existence d’un chemin concédé de Tournay par Ath et Soignies. »

« Voici, messieurs, encore un autre cas : je suppose des chemins de fer concédés de Tournay à Mons, de Mons à Charleroy, de Charleroy à Namur, de Namur à Liége. Je suppose que quatre sociétés soient concessionnaires, et elles se présenteront ; ces quatre sociétés, en se réunissant, peuvent détourner à leur profit le transit de la France et de l’Allemagne ; les voyageurs et les marchandises venant de l’Allemagne ne feraient plus un détour pour se rendre en France par Malines et par Gand ; mais arrivés à Liége, s’y rendraient, directement par les quatre sections concédées que je viens d’indiquer, et réciproquement.

«Vous voyez donc, messieurs, que la loi de 1834 a mis tacitement des restrictions au système des concessions ; les concessions sont aujourd’hui limitées d’abord quant à la direction des routes, ensuite quant aux péages à y percevoir. » Mais, messieurs, ces paroles ne sont-elles pas la condamnation du système de M. le ministre des travaux publics de 1845 ?

Il a cru cependant pouvoir venir engager sa responsabilité au point de non proposer de livrer à une compagnie une ligne d’une haute importance, qui fera concurrence au railway de l’Etat, et que l’honorable M. Nothomb comprenait dans le système de la loi de 1834, dont on ne pouvait abandonner la concession à aucun prix. Car, remarquez-le, messieurs, les prévisions de M. le ministre des travaux publics de 1837 sont réalisées à présent.

Une compagnie se présente pour établir la section de Tournay à Jurbise ; une autre compagnie propose de construire la section de Mons à Manage ; une troisième compagnie demande la concession de la section de Namur à Liége.

L’honorable M. Dumortier était aussi de cet avis en 1837 ; voici ce que dit son rapport au nom de la commission concernant le projet de loi de 1837.

« Entre temps, il importe que le gouvernement n’accorde que des concessions partielles, qui réunies ne puissent pas porter atteinte au système de grandes communications exécuté aux frais de l’Etat. »

Je me borne à faire remarquer que l’honorable membre a changé d’opinion depuis lors.

Je dis donc, d’après l’opinion des honorables MM. Nothomb et Dumortier en 1837, que, s’il y a nécessité à ce que la ligne de Tournay à Jurbise soit construite, il faut qu’elle le soit pas l’Etat.

Si cette urgence m’est prouvée, je voterai immédiatement l’emprunt nécessaire ; qu’on me prouve cette nécessité.

Au reste messieurs, savez-vous quel est le motif le plus sérieux qu’allègue le rapport des ponts et chaussées ? C’est qu’il est nécessaire de mettre la ligne du midi en rapport avec celle du Nord ; parce qu’il y a solution de continuité entre les stations du Nord et du midi à Bruxelles.

Eh bien, je crois aussi qu’il est nécessaire de faire disparaître cette solution de continuité.

Si mes souvenirs me servent bien, je me rappelle que cette question a fait l’objet d’une discussion dans cette enceinte.

L’intérêt bruxellois se prononça alors en faveur de la solution de continuité ; je crois que la majorité, sans exprimer son opinion par un vote, a opiné contre la solution de continuité et ce qui le prouve, c’est que le gouvernement résolut cette question par l’art. 4 de l’arrêté du 28 août 1838, contre la solution de continuité, en voici le texte :

« Art. 4. il sera, près de Bruxelles, établi une jonction entre les chemins du Nord, aboutissant à la station de l’Allée-Verte, et les chemins de fer du midi aboutissant à celle des Bogards. »

Mais cet article n’a réalisé que le chemin de fer que nous voyons établi sur les boulevards de Bruxelles, et qui, par parenthèse, compromet gravement la sécurité publique, la sécurité des passants ; car vous avez pu voir combien les boulevards de Bruxelles ont été tracés sur une échelle étroite dans cette situation.

Cette route a laissé subsister la solution de continuité pour les voyageurs, elle ne l’a fait disparaître que pour les marchandises.

Il me semble que c’est là une singulière exécution donnée à l’art. 4. Voici ce qui est arrivé ; on a satisfait au vœu de la législature pour la forme, on n’y a pas satisfait pour le fond.

Et l’on se base à présent sur cette non-exécution de l’arrêté de 1838 pour nous faire voter un railway qui sera en concurrence avec la ligne de l’Etat, et qui enlèvera à Bruxelles les avantages qu’elle s’était promis de la solution de continuité ; car les voyageurs qui se rendront d’Angleterre et du nord de la France en Allemagne, prendront la route de Lille à Tournay, Jurbise, Namur, Liége, etc., comme l’honorable M. Nothomb l’a fort bien prouvé en 1837.

Je dis donc que la ligne de Tournay à Jurbise, combinée avec les lignes qu’on nous propose de concéder, ne peut s’exécuter qu’aux frais de l’Etat.

Mon vote sera donc conséquent avec mes paroles ; et je termine en déclarant, que je ne voterai de chemins de fer aux frais de l’Etat qu’à moins de motifs de grande urgence, que je ne voterai pas de subsides pour des chemins de fer à construire par les compagnies, et que je ne livrerai à des compagnies que les lignes qui ne peuvent faire aucun tort au railway de l’Etat.

M. Castiau – Messieurs, c’est le remarquable discours prononcé, dans la séance d’hier, par l’honorable M. Rogier, qui m’engage à prendre la parole. Ce discours, je viens le combattre. J’en viens combattre toute la partie théorique d’une manière absolue et radicale. Il y a, sur ce point, entre les opinions de l’honorable membre et les miennes, un dissentiment profond, inconciliable.

Je le regrette vivement je le regrette parce que je sens qu’involontairement je vais toucher à l’un des plus glorieux souvenirs de la carrière administrative de l’honorable membre. Et, il le sait, j’ai autant de sympathie pour son noble caractère que d’admiration pour son beau talent. Mais les sympathies doivent ici céder le pas aux convictions. A chacun son devoir et ses opinions. Qu’il me laisse donc l’attaquer avec une indépendance trop brusque, peut-être, par moments. C’est par la franchise et l’énergie même de mes attaques que j’entends lui prouver aujourd’hui la haute estime que je professe pour lui, pour son caractère et pour les services qu’il a rendus au pays.

Avant d’entrer dans l’accomplissement de cette pénible mission, je suis heureux de me rencontrer sur un point, du moins, avec mon honorable adversaire : sa répugnance pour l’agiotage et la juste réprobation dont il l’a frappée. L’agiotage, c’est la passion, la fureur du jeu appliquée à l’industrie. Rien de mieux que de chercher à l’extirper de nos mœurs. Malheureusement c’est la maladie du siècle, et je doute fort que l’influence d’un parlement puisse la faire disparaître. Soyons justes cette fois : reconnaissons que le gouvernement a pris les plus grandes précautions pour empêcher le débordement sur notre pays de tous les excès de l’agiotage. Si ces précautions ne suffisent pas pour rassurer l’honorable membre, qu’il nous propose de nouvelles garanties contre cette lèpre de l’industrialisme ; nous les adopterons de confiance.

Tâchons, avant tout, que le gouvernement et le pays ne soient pas victimes de combinaisons hasardées et des spéculations parfois peu loyales de l’intérêt privé. A cet égard, le projet que nous discutons et ceux qu’on nous annonce, laissent, il faut en convenir, quelque chose à désirer. Ce sont des conventions passées dans l’ombre, arrêtées mystérieusement dans le cabinet d’un ministre et qui suppriment la seule garantie de la bonté, de la loyauté des concessions, l’adjudication. Pas un mot relatif à la publicité, au concours, à l’appel de tous les capitaux et de tous les intérêts. C’est là une inexplicable lacune. Aussi, je le dis hautement, si quelqu’un ici offre de la combler et d’exiger, dans l’intérêt du pays et du gouvernement, la mise en adjudication de toutes les concessions proposés, j’adhère de tout cœur à la proposition et de promets de l’appuyer.

Il me reste maintenant à remplir la partie la plus pénible de la tâche que (page 1489) j’ai entreprise, la réfutation du discours de l’honorable M. Rogier dans tout ce qu’il a de relatif au principe de l’intervention de l’Etat dans les questions d’intérêts matériels et de travaux publics et à l’apologie de cette intervention.

L’orateur a pris la question de haut. Il a reporté notre pensée aux souvenirs de 1834 et à l’inauguration des chemins de fer dans ce pays. A cette époque, nous a-t-il dit, l’établissement des chemins de fer sur le continent semblait une utopie. Les plus ardents promoteurs de cette mesure passaient pour des utopistes. Aujourd’hui l’industrie belge a fait le tour de l’Europe.

Messieurs, je n’entends en rien rabaisser à ses yeux, à ceux de la chambre et du pays, l’honneur de la vigoureuse initiative qu’a prise en 1834 l’honorable orateur. Si nous lui devons l’établissement plus rapide des chemins de fer dans ce pays, c’est un bienfait auquel je ne puis me refuser d’applaudir, malgré ma répugnance pour l’intervention gouvernementale. Cependant, ne craignons pas de le dire : la création du chemin de fer, même en 1834, ne pouvait être considérée comme une utopie dans ce pays. C’est une tentative qui déjà avait été réalisée, et sur la plus vaste échelle, dans des pays étrangers. A cette époque, l’Amérique comptait déjà 2,000 lieues peut-être de voies ferrées, et l’Angleterre de 6 à 700 lieues. On pouvait donc se prévaloir de l’appui de l’expérience et de l’autorité des faits. C’était une entreprise jugée déjà par les précédents des autres peuples et qui n’avaient en rien le caractère d’une décevante utopie.

M. Rogier – Je n’ai entendu parler, je prie de le remarquer, que des chemins de fer sur le continent.

M. Castiau – Soit. Mais pourquoi donc ne pas comprendre les Etats-Unis parmi les pays dignes de nous servir de modèles en cette occurrence ? Est-ce que la vieille Europe, qui a eu la prétention de civiliser ces contrées, dédaignerait d’aller y demander à son tour les leçons de toute nature que cette terre de la liberté et de la démocratie offre aujourd’hui au monde ?

Quoi qu’il en soit, les temps sont bien changés depuis 1834. Si, à cette époque, l’honorable orateur, se présentant avec son vaste réseau de chemins de fer, a pu passer pour un utopiste, personne ne sera plus tenté de lui adresser ce reproche en 1845. l’utopiste de 1834 est devenu, en 1845, un conservateur et un conservateur intraitable. L’homme du mouvement est devenu l’homme de la résistance. Le représentant du progrès s’est transformé en représentant du statu quo, presque de l’immobilité.

Et, chose fâcheuse pour une intelligence d’élite comme la sienne, la transformation a été si complète qu’il ne craint pas d’aller exhumer dans la poussière, où il les avait renversés, les principaux arguments de ses adversaires contre la grande innovation dont il était le chaleureux défenseur.

C’est ainsi, messieurs, que vous l’avez entendu, dans la séance d’hier, soulever les préventions populaires contre le développement et le complément de notre réseau de chemins de fer, s’épouvanter de l’impulsion donnée au travail national, énumérer tous les intérêts qui auraient à souffrir de l’innovation projetée, plaider enfin la cause des canaux et des routes, du batelage et des barrières contre les nouvelles voies de communication.

Eh bien, messieurs, tous ces arguments, ce sont précisément ceux qu’on opposait en 1837 à l’honorable membre pour décourager et ruiner son projet. Alors aussi on retraçait, sous de sombres couleurs, les résultats de l’entreprise. On énumérait avec complaisance tous les intérêts, toutes les localités, toutes les industries qui auraient à en souffrir. Il semblait enfin qu’on n’eût d’autre perspective que de jeter notre railway sur des monceaux de ruines.

Qu’a fait l’honorable membre ? A-t-il reculé devant ce soulèvement universel de tous les préjugés routiniers ? Non, il s’est avancé courageusement ; il a passé outre, parce qu’il avait foi dans son œuvre. Et il a eu raison, parce que la loi de l’intérêt général devant ici l’emporter sur tous les froissements individuels que la mesure pouvait produire. Il savait que l’enfantement du bien coûte toujours quelques souffrances et qu’après tout toutes les classes de la société, même celles qui auraient eu momentanément à souffrir de l’innovation, finiraient par en recueillir les bienfaits et par en apprécier les avantages.

M. Rogier – Je demande pardon à l’honorable orateur de l’interrompre ; qu’il me permettre de donner un mot d’explication.

M. Castiau – Volontiers.

M. Rogier – M. le ministre des travaux publics n’a pas répondu d’une manière sérieuse à mes observations, il a cherché à me mettre en contradiction avec moi-même. C’est une lutte dans laquelle il me serait facile, je pense, de triompher de M. le ministre des travaux publics ; je ne le suivrai pas sur ce terrain. M. le ministre des travaux publics me reproche d’avoir recours aujourd’hui aux arguments que faisaient valoir en 1834 les adversaires du chemin de fer. Ai-je besoin de repousser ce reproche ? J’ai parlé de l’influence que les chemins de fer, dont il s’agit, pouvaient exercer sur les routes et sur les canaux en abolissant les droits de barrières et de péages. Mais il fallait se placer à mon point de vue ; j’ai dit que lorsque l’Etat exécute lui-même le chemin de fer, cette suppression de péages sur les canaux et les rivières est compensée par les produits du chemin de fer que l’Etat exploite, tandis que lorsque le railway est exécuté par une compagnie particulière, ces effets désastreux sur les routes et les canaux étaient une perte réelle pour le trésor public, parce qu’il n’y avait pas de compensation. Voilà dans quel sens je me suis expliqué, voilà pourquoi j’avais demandé quels étaient les produits des barrières perçus sur les routes parallèles aux chemins de fer à concéder. Certainement, si la route de Jurbise était faite par l’Etat, je ne voudrais pas invoquer contre cette suppression l’abolition du produit des barrières, parce que l’Etat trouverait une compensation à cette suppression dans les produits de la nouvelle voie de communication faite et exploitée par lui.

M. Castiau – J’accepte avec empressement la rectification qui vient d’être présentée par l’honorable M. Rogier. Il me coûtait, en effet, de le mettre en contradiction avec lui-même ; il m’en coûtait de le ranger parmi les adversaires des innovations utiles ; il m’en coûtait d’avoir à lui reprocher que les arguments qu’il invoquait aujourd’hui étaient précisément ceux que les adversaires du chemin de fer avaient invoqués en 1834 contre son projet et ses efforts. Cependant, la satisfaction que j’éprouve n’est pas complète ; il résulte des explications mêmes que l’honorable membre vient de donner qu’aujourd’hui il rapetisse cette immense question du chemin de fer ; il la rapetisse, en n’en faisant plus qu’une question de misérable intérêt matériel, une question d’argent. Il n’est plus frappé que d’une chose en ce moment ; il est frappé des pertes momentanées qui pourront résulter pour le trésor public de tous ces grands travaux que l’activité privée réclame en ce moment. Cette question de chemins de fer n’est donc plus pour lui cette grande question de civilisation, de progrès intellectuel et de libéralisme dont il plaçait les avantages, en 1834, bien au-dessus de toutes les considérations d’intérêt matériel !

Restituons, il en est temps, à cette question toute son importance et toute la grandeur.

Aujourd’hui, comme en 1834, c’est avant tout un intérêt de civilisation et de fusion des populations qui domine la question d’intérêts matériels. C’est à ce point de vue que se plaçait en 1834 l’honorable orateur répondant à ses adversaires. Comment donc déserte-t-il aujourd’hui cette position élevée pour se réfugier derrière d’étroits calculs d’intérêt privé ?

Et pourquoi l’honorable M. Rogier en est-il réduit à nier la moralité de l’œuvre de 1834, et à se retourner contre le progrès pour en arrêter l’élan ?

C’est que, pour le malheur de sa position, l’honorable M. Rogier est condamné à se poser dans cette circonstance le champion d’un principe suranné. L’honorable membre a traité de doctrine vieillie la doctrine que nous venons représenter et défendre dans cette enceinte, la liberté du travail et de la concurrence des intérêts ; mais qu’il me permette de lui dire que s’il y a un principe vieux au monde, qui date de l’enfance des société, un principe qui a gouverné les peuples asservis, c’est le principe qu’il vient soutenir devant cette chambre ; c’est le principe des gouvernements paternels ; c’est le principe qu’il faut retenir les peuples dans un état de minorité éternelle et confier leur tutelle matérielle et morale au bon plaisir des gouvernements.

Voici l’admirable principe qu’on vient préconiser ici comme le principe du progrès, comme l’oracle de l’avenir.

Le principe que nous défendons, nous, en soutenant le système de l’appel à l’activité individuelle, c’est le principe de liberté, c’est le principe de l’émancipation du travail et de l’émancipation de la pensée. Nous ne voulons d’autre monopole, nous repoussons le monopole du gouvernement, tant dans l’ordre matériel que dans l’ordre moral ou intellectuel ; nous voulons la liberté, l’émancipation du travail, le concours de toutes les forces vives du pays, et c’est pour cela que nous défendons, en cette circonstance, le principe nouveau que nous voyons poindre enfin dans la sphère des intérêts matériels.

C’est un principe d’émancipation pour les individus ; c’est en même temps une mesure d’intérêt général pour l’Etat. Avec le système des concessions, tout est avantage et bénéfice pour lui.

On vient de vous parler de l’aliénation de voies nouvelles et de la perte qui en résulterait pour l’Etat ; Mais cette aliénation, elle n’est que temporaire. Avec l’adjudication vous pourrez encore en réduire la durée. Et à l’expiration de la concession, tous les travaux, tous les avantages, tous les bénéfices reviennent gratuitement à l’Etat et viennent accroître le domaine public. L’Etat hérite d’une opulente propriété sans avoir déboursé un centime. Connaissez-vous, messieurs, je vous le demande, une combinaison plus favorable ?

Puisqu’on a attaqué ici, et d’une manière passablement absolue, le principe de concession, on me permettra d’user de représailles et d’attaquer, à mon tour, le principe de l’intervention gouvernementale en matière de travaux publics, d’en faire ressortir tous les inconvénients, les abus et les dangers. J’en fais l’aveu, sans détour, si je me prononce aujourd’hui pour le principe de concession, c’est que j’ai l’espoir que ce principe finira par resserrer, par étouffer et par extirper le principe qu’on lui oppose.

Déjà, messieurs, le principe du monopole gouvernemental a reçu, dans cette enceinte, une rude atteinte à la suite du discours qu’a prononcé récemment l’honorable M. Pirmez. Ce discours a fait une profonde impression sur vos esprits, parce qu’il a prouvé que toutes ces questions de centralisation gouvernementale, d’intervention gouvernementale au sein des intérêts privés, touchaient à des questions de moralité publique. L’honorable M. Pirmez nous a fait toucher du doigt en quelque sorte les intérêts de corruption et de démoralisation qui se cachaient honteusement derrière ce système. Il vous a dit que ce système, c’était la corruption organisée, et organisée à tous les degrés de l’échelle administrative. Il a ajouté avec raison que ce déplorable système fausserait et souillerait les mœurs nationales, qu’il aurait pour effet de faire des citoyens belges un peuple de valets, de solliciteurs et de mendiants, et que les antichambres de MM. les ministres deviendraient en quelque sorte les succursales des bureaux de bienfaisance et des dépôts de mendicité.

Ces observations si judicieuses, si morales, si vraies, de l’honorable M. Pirmez, sont restées debout. Personne n’a cherché à les réfuter. Mais ce que (page 1490) l’honorable membre n’a pas dit, ce qu’il aurait dû ajouter, c’est que non-seulement le système de l’intervention gouvernementale et de la centralisation administrative a pour effet de traîner à sa suite tout le long cortège d’acte de démoralisation et de corruption, mais c’est qu’il porte encore le cachet de la plus révoltante iniquité. Car, votre monopole gouvernemental, comme l’exercez-vous ? Comment le soutenez-vous ? Est-ce que nos ministres possèdent par hasard la pierre philosophale ? Est-ce qu’il leur suffit de frapper la terre du pied pour en faire jaillir des millions ? Eh non ; loin que vos ministres aient le pouvoir de faire apparaître par enchantements des monceaux d’or, on m’annonce que, pendant une courte absence que je viens de faire, M. le ministre des finances est venu vous confier ses tribulations et pleurer sur le déficit inévitable vers lequel nous marchons à grands pas, s’il l’on continuait à faire retomber de nouvelles dépenses à la charge du trésor public. Sérieusement, pourrait-il suffire aux cent millions de travaux que l’industrie privée nous offre en ce moment ?

Le monopole gouvernemental ne peut se soutenir et opérer qu’avec l’argent des contribuables et de lourdes contributions. Et ces contributions accablantes, vous devez les prendre en grande partie, sur les classes ouvrières, et même sur les classes pauvres que vos taxes indirectes frappent sans pitié. Voilà donc les classes que vous dépouillez pour fournir au gouvernement le moyen d’élever des travaux dont elles ne sont pas appelées à profiter.

C’est ainsi que, avec le monopole de l’Etat, l’on sacrifie les intérêts de la majorité aux intérêts d’une minorité et de quelques localités privilégiées.

Mais l’intervention gouvernementale, en matière de travaux publics, n’a-t-elle pas été jugée et condamnée cent fois en théorie, comme elle l’a été en fait ? En théorie… et en effet n’est-il pas démontré à l’évidence qu’une sorte de fatalité pèse sur les gouvernements qui s’occupent de travaux publics, que le gouvernement est le plus malheureux, le plus déplorable, les plus inexpérimenté de tous les travailleurs ; que le monopole gouvernemental entraîne enfin à sa suite une interminable série de déceptions, d’erreurs et de mécomptes qui chaque jour se renouvellent ?

Et pourquoi ? parce que le gouvernement, c’est une sorte de fiction qu’on respecte assez peu, parce que la chose publique, ce n’est la chose de personne. Le gouvernement ne peut tout faire par lui-même, l’œil du maître manque partout.

Quel que soit d’ailleurs le zèle, le dévouement des agents du gouvernement, ils ne pourront jamais porter à la chose publique l’intérêt, l’activité, l’ordre, l’économie, le zèle enfin de l’intérêt privé ; c’est donc une loi fatale, une loi écrite dans la force des choses et les instincts du cœur humain qui condamne le gouvernement a être perpétuellement malheureux dans toutes ses entreprises et à se voir constamment vaincu par les ressources de l’intérêt privé. L’expérience est, sur ce point, d’accord avec la théorie. Si je ne craignais d’abuser des moments de la chambre, il me serait facile de dérouler ici une foule de faits pour prouver l’incapacité à peu près absolue du gouvernement en matière de travaux publics. Il me suffirait de vous citer l’exemple de la France, cette terre classique de la centralisation administrative. Qu’a produit, dans ce pays, cette monstrueuse centralisation, encore renforcée par les traditions du régime impérial ? Elle a placé la France, au point de vue des intérêts matériels et des travaux publics, à la queue de tous les autres peuples ; elle a étouffé toute spontanéité au sein des populations. Elle a entrepris cent travaux qu’elle n’a pu terminer ; elle a enfin succombé à la tâche, laissant les canaux inachevés, les monuments en ruine et les routes bouleversées.

Enfin elle s’est résignée et elle a avoué elle-même son impuissance. Oui le gouvernement français lui-même, ce gouvernement si amoureux de la centralisation, est venu lui-même en proclamer la déchéance du haut de la tribune nationale. Pour doter la France de chemins de fer, il a dû faire appel à l’activité de l’intérêt privé et à toutes les ressources de l’association. Sans cet appel tardif, la France eût attendu pendant un siècle encore peut-être les nouvelles voies de communication.

Et si nous voulons quitter la France et rentrer en Belgique, n’y trouvons-nous pas aussi des faits nombreux qui prouvent combien le gouvernement est malheureux dans ses entreprises ? Ne pourrais-je pas, à mon tour, invoquer, contre son intervention, la question même du chemin de fer ? Toutes les espérances qu’il avait réveillées se sont-elles donc réalisées ? N’est-il pas temps d’avouer et de reconnaître que depuis dix ans nous avons, au contraire, marché de déception en déception ? les devis de nos ingénieurs ont-ils toujours été bien exacts ? la dépense projetée n’a-t-elle pas été parfois quadruplée et décuplée ? Après tant d’efforts et de sacrifices, ne sommes-nous pas à la veille, peut-être de devoir démolir tous ces gigantesques travaux d’art qui étaient, pour nos ingénieurs, un objet d’orgueil ? Quant aux frais d’exploitation, n’a-t-on pas dû reconnaître au commencement de cette séance, qu’ils étaient en moyenne, plus élevé dans ce pays que dans la plupart des entreprises françaises ?

On me répondra peut-être que des sociétés particulières ont aussi donné l’exemple de fautes semblables à celles que je reproche au gouvernement. Sans doute, mais ces fautes et ces bévues, du moins, ne frappent pas le pays et ne retombent pas sur les contribuables. Ceux qui en souffrent, en souffrent volontairement. Qu’on établisse, du reste, en matière de société anonyme une responsabilité qu’il n’existe pas maintenant, qu’on applique rigoureusement enfin cette responsabilité aux ingénieurs pour leurs devis et pour leurs travaux, et les actionnaires des sociétés n’auront plus à craindre les déceptions dont ils n’ont que trop souvent à souffrir.

Messieurs, si j’attaque si vivement et si longuement le principe de l’intervention gouvernementale dans les intérêts matériels, c’est surtout parce que ce principe a pour effet inévitable d’étouffer toute espèce de concurrence et toute espèce d’émulation. Il n’y a a plus de rivalité possible avec le principe du monopole du gouvernement. Il travaille, lui, avec l’argent des contribuables : comment lutter contre lui ? Ce principe, c’est donc le principe de l’immobilité ; ce principe, c’est un principe de stérilité et de mort. Les peuples étouffent sous le poids de cette écrasante tutelle. Je ne puis assez le répéter, partout où le principe de l’intervention gouvernemental domine, le développement du progrès matériel est venu se briser contre des difficultés insolubles en quelque sorte.

Pour le prouver, tout à l’heure, je citais l’exemple de la France, je disais les résultats de la centralisation administrative qui pèse sur le pays.

Opposons maintenant au tableau des misères de la France soumise trop longtemps au régime du monopole gouvernemental, opposons le tableau des bienfaits qui suivent l’intervention individuel et la liberté du travail. Consultons et l’Angleterre et les Etats-Unis, ces deux pays de la décentralisation administrative. Comment en Amérique sont-ils arrivés à couvrir leur territoire de trois cent mille lieues de chemins de fer et de deux mille lieues de canaux ? Comment sont-ils parvenus à élever des travaux d’art tellement prodigieux qu’ils dépassent tout ce que l’imagination peut concevoir ? Comment tant de difficultés ont-elles été surmontées ?

Est-ce en tendant les bras, en suppliant vers le gouvernement central ? est-ce en faisant retentir de leurs prières et de leurs sollicitations les antichambres des ministres ? non, c’est en travaillant eux-mêmes ; c’est en appliquant le principe créateur : Aide-toi et le ciel t’aidera. C’est en s’adressant tout à la fois à la puissance de la liberté et aux immenses ressources de l’association.

C’est encore là le secret de l’immense développement des travaux publics en Angleterre.

A la vérité, l’honorable M. Rogier a prétendu qu’une réaction se manifestait en Angleterre, en ce moment, contre le principe des concessions, qu’on voulait en revenir au principe opposé, qu’on voulait mettre en avant le principe du rachat des chemins de fer par l’Etat. Qu’il y ait des partisans de la centralisation au sein du ministère tory, c’est possible. On assure cependant que ceux qui, aujourd’hui, poussent surtout au rachat des chemins de fer, ce sont les propriétaires de ces mêmes chemins.

Ceux dont les affaires sont embarrassées, qui n’ont pas pu réaliser les bénéfices sur lesquels ils comptaient, trouveraient bon que l’Etat fît des sacrifices pour leur venir en aide. Cela se conçoit ; il se partageraient volontiers le bénéfice de la sotte spéculation qu’ils proposent au gouvernement.

En attendant, l’Angleterre persiste à s’avancer dans la voie où elle a trouvé la puissance et la grandeur. Chaque jour encore le parlement accorde de nouvelles concessions pour les chemins de fer, et personne ne pense à venir en réclamer le monopole en faveur du gouvernement.

Et cependant les concessions en Angleterre sont bien autrement onéreuses à l’Etat, que celles qu’on vous propose ici. En Angleterre, les concessions ne sont pas temporaires ; elles sont indéfinies, permanentes, perpétuelles, si je ne me trompe. On n’aliène pas comme chez nous et en France pour un temps déterminé, pour 90, 60, 50 et même pour 27 ans, comme il y en a des exemples en France. En Angleterre, c’est à perpétuité, pour l’éternité en quelques sorte qu’on aliène ce qu’on peut considérer comme le domaine public et qu’on enchaîne le pays, les populations. C’est le système de liberté ; mais avec ses abus, ses exagérations et sa licence. Ici, au contraire, nous pouvons le limiter, le régler, l’organiser enfin, ce système de manière à en recueillir tous les avantages et à en écarter tous les inconvénients.

L’honorable M. Rogier en citant dernièrement l’Angleterre, pour démontrer les inconvénients des concessions, énumérait les abus et les vexations dont offrait l’exemple des sociétés concessionnaires ; il vous disait que les dernières classes de la société étaient exploitées avec la dernière cruauté par la rapacité de l’intérêt privé. Je crois à ces allégations. Je crois aussi à la rapacité et aux persécutions de l’intérêt privé. Eh bien, c’est pour lutter contre la tyrannie de l’intérêt privé qu’il faut imposer aux concessionnaires toutes les garanties d’ordre et d’intérêt public.

Si l’exploitation, en Angleterre, donne lieu à des abus et à des vexations sans nombre, c’est parce que les octrois de concessions ne renferment aucune garantie ; c’est parce que tout y est laissé à l’arbitraire ; c’est enfin parce que les tarifs sans fixité manquent de limites légales.

Nous sommes aujourd’hui en présence de ce principe de concession, profitons de l’exemple de l’Angleterre et des fautes qu’elle a pu commettre. Introduisons dans nos cahiers des charges des garanties protectrices des droits individuels et des intérêts publics. Mais gardons-nous d’argumenter d’abus faciles à faire disparaître, pour calomnier et pour repousser le principe d’activité et de progrès dont on nous demande aujourd’hui l’application.

Si je combats avec tant de développements, malgré la fatigue de la chambre après quatre jours de discussions, le monopole gouvernemental, c’est qu’il ne s’était pas orné seulement aux chemins de fer. Depuis 1834, ce principe avait fait des progrès immenses

En 1834, on s’était contenté de poser le principe pour les chemins de fer ; le gouvernement ne s’en est pas contenté, et il avait rêvé l’extinction illimitée de ce monopole. C’est ainsi qu’il est venu vous demander le monopole de la navigation à vapeur ; c’est ainsi encore qu’il était venu vous demander le monopole de toutes les messageries et de tous les moyens de transport. Où donc se seraient arrêtées ces exigences chaque jour croissantes ? Après avoir monopolisé l’industrie si importante des transports, il (page 1491) aurait réclamé le monopole industriel et le monopole commercial, et, de conquêtes en conquêtes, notre gouvernement représentatif aurait parfaitement ressemblée aux gouvernements de l’Orient et au gouvernement de l’Egypte.

Et comme tout se touche en fait de liberté de principe et de logique, le monopole serait inévitablement sorti de la sphère des intérêts matériels pour envahir le domaine des intérêts moraux et intellectuels. Comment aurait-on résisté à ces nouvelles exigences ?

Si vous admettez le principe que le gouvernement est seul capable de régir les intérêts matériels, vous devez admettre aussi qu’il est seul capable de régir les intelligences, les consciences et les volontés. On viendrait donc vous demander de lui livrer nos droits et nos libertés, la liberté d’association, la liberté de l’enseignement, la liberté de presse, toutes les libertés, tous nos droits enfin. Nous serions ainsi dégradés de notre qualité d’hommes libres ; ne serions plus que de misérables esclaves rampant servilement sous le fouet du pouvoir et de ses agents. Mais quel serait donc alors le rôle du gouvernement ? nous demandait l’honorable M. Rogier à l’une de nos dernières séances. Il faut bien qu’il ait quelque chose à faire. Vous ne voulez pas le réduire au rôle de gendarme ou de percepteur d’impôts ; ce rôle est peu populaire, il n’est pas de nature à l’environner de cette sympathie publique qui doit le protéger. C’est par ses bienfaits qu’il doit se révéler aux populations. Oui, je comprends, la mission des gouvernements devrait être une mission de protection, de sollicitude et de progrès ; ils devraient être la personnification de la plus haute intelligence publique ; la place des gouvernements devrait être à la tête des peuples, à la tête du mouvement social, du progrès et de la civilisation. Mais est-ce là le rôle qu’ont rempli les gouvernements jusqu’à ce jour ? Je m’adresse à la conscience de l’honorable membre et je le lui demande : Connaissez-vous des gouvernements qui se soient sacrifiés aux intérêts publics, qui aient marché à la tête de la civilisation ; qui aient voulu l’émancipation des peuples ? Consultez l’histoire de tous les temps, vous y verrez que le rôle constant des gouvernements a été d’étouffer toutes les pensées d’émancipation et de progrès, et d’oublier leurs devoirs de protecteurs pour devenir les oppresseurs des peuples. L’histoire de l’humanité, c’est l’histoire de la lutte des peuples contre les gouvernements ; c’est l’histoire de l’oppression des peuples par les gouvernements et des révoltes des peuples contre les gouvernements ! Et nos institutions constitutionnelles, que sont-elles elles-mêmes, si ce n’est un manifeste de défiance publique contre le gouvernement, contre le pouvoir, ses abus et ses excès ?

Je le sais, messieurs, on s’en repose maintenant sur ces institutions ; on pense qu’il n’y a plus rien à faire et qu’aujourd’hui le pouvoir, impuissant à faire le mal, n’a plus que la faculté de faire le bien. Touchante fiction, mais qui malheureusement est bien loin de la réalité ! Le pouvoir, dans les gouvernements constitutionnels, a perdu sans doute le despotisme brutal de la force, mais il peut encore ressaisir toute son influence l’aide de la corruption. Et quand le gouvernement constitutionnel est faussé par la corruption, c’est le plus mauvais de tous les gouvernements ; il est plus dangereux que le despotisme lui-même, car le despotisme, lui, a parfois sa responsabilité et il vient parfois, dans sa violence, se briser contre la révolte des peuples. On ose souvent, avec l’appui menteur des formes constitutionnelles, ce qu’on n’oserait certes pas dans un gouvernement absolu.

Je l’avoue, cependant, cette longue lutte entre les gouvernements et les peuples, cet antagonisme qui existe encore aujourd’hui, ce n’est pas l’état normal des peuples et des gouvernements.

Je le reconnais avec l’honorable M. Rogier, c’est une position forcée, fâcheuse, déplorable. Elle aura un terme, je l’espère. Un jour viendra où les peuples auront foi dans leurs gouvernements, et où les gouvernements auront la sympathie des peuples. Alors l’harmonie remplacera l’antagonisme, et peuples et gouvernements marcheront ensemble à l’accomplissement de leurs destinées communes. Mais ce n’est qu’un espoir, un rêve d’avenir peut-être.

Je doute, je désespère de sa réalisation quand je vois comment nous sommes gouvernés aujourd’hui, et quels sont, en ce moment, les représentants et les dépositaires des devoirs du gouvernement envers le peuple et le pays.

Si je pousse trop loin ma défiance envers le gouvernement, si je crains tout à la fois sa domination et sa faiblesse, si je ne veux pas même admettre son intervention dans des questions d’intérêt matériel, si je n’ai enfin aucune confiance en lui, mon excuse est au banc ministériel.

Abaissez les yeux sur ce banc, messieurs, et dites-moi si vous ne partagez pas mes soupçons, mes défiances et les craintes.

M. le président – Il ne faut pas adresser de personnalités.

M. Castiau – J’en suis fâché. Je n’aime ni les personnalités, ni les questions de personnes. J’abandonne les questions de personnes pour en revenir à la question de principe. En terminant, comme en commençant, j’invoque contre le monopole gouvernemental les droits de la liberté et l’émancipation du travail. J’en appelle à la liberté et à l’association. C’est à ces deux idées, à ces deux puissances que nous devons tous les progrès, toutes les merveilles qui, depuis cinquante ans, étonnent l’Europe ; c’est la liberté et l’association qui ont changé le monde matériel, comme elles ont changé le monde politique. Elles achèveront leur œuvre et elles présideront encore à l’accomplissement des destinées de l’avenir, comme elles ont laborieusement présidé à l’œuvre incomplète de l’émancipation du passé.

Des hauteurs de la théorie je me hâte d’en venir, en terminant, à l’examen du projet qui nous est soumis et dont je n’ai plus le temps de discuter les détails. Mon vote lui sera favorable, comme il sera favorable à toutes les applications justes et sages du principe des concessions. Seulement je regrette de ne pas trouver ici et dans les projets qui succéderont à celui que nous discutons, la garantie qui est la seule sauvegarde de ce principe, la garantie de l’adjudication. Adjudication, publicité et concurrence, telles sont les irrésistibles conséquences du principe de la liberté du travail qu’on veut enfin inaugurer dans ce pays. J’appuierai donc, ainsi que je l’ai annoncé, de ma parole et de mon vote toute proposition qui aurait pour effet de les réaliser.

(page 1537)t M. d'Elhoungne – Messieurs, j’éprouve un véritable embarras à prendre la parole après l’habile orateur qui vient de se rasseoir. Sans doute la chambre n’attend pas de moi que je suive cet honorable membre dans la discussion brillante à laquelle il s’est livré ; cette tâche serait au-dessus de mes forces.mais ne partageant en aucun point l’opinion qu’il a si chaleureusement défendue, je lui dois une courte réponse que je puiserai dans l’expérience des faits.

Lorsque la Belgique s’est lancée hardiment dans la construction de son système de chemins de fer, elle suivait l’exemple des Etats-Unis et surtout de l’Angleterre. Mais plus prévoyante, plus prudente que ces grandes nations, la Belgique a su se soustraire au monopole oppressif des compagnies concessionnaires, ce monopole contre lequel se débattent, à cette heure, dans toute la Grande-Bretagne, les intérêts sacrifiés du commerce, de l’industrie, de l’agriculture, et j’ajouterai de l’humanité et du progrès.

L’honorable préopinant semble avoir oublié, dans son remarquable discours, une considération qui domine toute la discussion : c‘est que tout chemin de fer est nécessairement un monopole, car aucun autre moyen de transport ne peut soutenir la concurrence contre lui, ni par conséquent exister et se maintenir à coté de lui.

Dès lors, si vous remettez les chemins de fer entre les mains du gouvernement, c’est un monopole qui s’exerce dans l’intérêt général ; qui s’exerce sous les yeux et sous le contrôle vigilant des chambres ; qui se développe entouré des garanties de notre Constitution si démocratique. Au contraire, en livrant les chemins de fer aux compagnies concessionnaires, vous leur abandonnez un monopole sans limites, sans frein, sans contrôle ; un monopole qui n’a d’autre règle que l’intérêt privé des compagnies elles-mêmes.

On avait cru, en Angleterre, que l’intérêt des compagnies se confondait avec l’intérêt général. C’était une erreur, on l’a reconnu trop tard. Loin de se confondre, l’intérêt des concessionnaires et l’intérêt général sont en opposition, en hostilité permanente. Pour les concessionnaires, en effet, l’affaire est d’autant meilleure qu’ils transportent le moins de voyageurs possible au plus haut prix possible ; tandis que, pour le public, l’affaire est d’autant meilleure qu’on transporte le plus de voyageurs possible au plus bas prix possible.

Deux enquêtes solennelles, ordonnées par le parlement anglais, ont placé cette proposition au-dessus de toute controverse. La commission d’enquête était composée des hommes les plus éminents de la chambre des communes ; sir Robert Peel, lui-même, en faisait partie. Cette commission a recueilli des faits nombreux, décisifs, qui tous démontrent combien le monopole des compagnies concessionnaires est affligeant pour l’humanité, alarmant pour les grands intérêts nationaux, onéreux pour tout le pays. Lorsque vous parcourez ces volumineuses enquêtes, vous êtes frappés des inconvénients, des abus, des vexations de tout genre qui naissent du monopole des sociétés anglaises, principalement pour cette classe de voyageurs qui est la plus digne d’intérêt, parce qu’elle est la plus pauvre, et que l’honorable préopinant protège incessamment dans cette enceinte de son éloquence et de ses sympathies. C’est à ce point, messieurs, qu’on pourrait dire que l’histoire des chemins de fer anglais est le martyrologe des voyageurs pauvres.

Il n’est d’ailleurs pas de ruses et de mauvais procédés que les compagnies anglaises n’aient mis en œuvre pour opprimer l’ouvrier et le prolétaire, et pour le priver des bienfaits du nouveau système de communication. Et cette conduite est d’autant plus déplorable que les autres moyens de transport ayant succombé sous la concurrence irrésistible des chemins de fer, l’ouvrier et le prolétaire se trouvaient dans des conditions bien plus défavorables qu’avant la construction des railways.

L’honorable préopinant a donc tort de s’appuyer sur ce qui se passe en Angleterre pour en faire un grief contre l’homme d’Etat qui est parvenu, en 1834, à faire prévaloir le principe de l’intervention du gouvernement dans la construction de nos chemins de fer. Il reste vrai de dire que, par cette initiative hardie, il a rendu à la Belgique un immense et un glorieux service !

Après cette digression, à laquelle l’honorable préopinant m’a forcé, en quelque sorte, je passe l’examen de deux projets des chemins de fer qui sont en ce moment soumis à la chambre. Partisan en thèse générale de la construction et de l’exploitation des chemins de fer par l’Etat, je ne vois aucun motif de changer de système à l’égard, ni du chemin de fer de Hasselt, ni du chemin de fer de Jurbise. Tous les raisonnements à l’aide desquels on cherche à prouver que leur exécution par des compagnies serait plus avantageuse pour l’Etat, démontrent encore mieux qu’il serait plus avantageux pour l’Etat d’achever lui-même ces lignes qui sont le complément nécessaire et qui sont une partie intégrante de notre réseau de chemins de fer. Mon observation est vraie pour la ligne de Hasselt, elle est plus vraie encore pour la ligne de Jurbise, car celle-ci est évidemment la ligne la mieux étudiée jusque dans ses moindres détails ; celui qui se trouve la plus favorablement placée ; celle qui exercera sur le réseau des chemins de fer de l’Etat la plus forte réaction, et sur laquelle réciproquement réagira avec le plus d’énergie ce réseau des chemins de fer de l’Etat lui-même. C’est donc à l’Etat de construire cette ligne de Jurbise.

Quant au prolongement sur Hasselt, peut-on hésiter à le faire exécuter par l’Etat, alors que ce tronçon de chemin de fer doit compléter le railway national du côté du Limbourg ? Pourrait-on se soustraire à l’engagement que la législature à contracté, et contester sérieusement la construction d’une ligne de quelques kilomètres qui reliera la capitale d’une de nos provinces à tous les points du pays que notre chemin de fer sillonne ? Je n’hésite pas à réponde que l’Etat doit construire ce chemin de fer.

Je ne me laisse pas influencer, messieurs, par l’étrange déclaration que M. le ministre des finances est venu faire tout à l’heure dans cette enceinte. Cette déclaration est singulièrement irréfléchie. Comment ! s’il était démontré que la construction des chemins de fer de Jurbise et Hasselt par l’Etat est avantageuse, la Belgique en serait réduite à ce point, son crédit serait tombé si bas, qu’elle ne pourrait trouver à emprunter, à des conditions favorables, les huit ou dix millions qu’il faudrait pour cela ! Vous avez donc oublié, M. le ministre des finances, le séduisant tableau que vous nous avez fait de notre situation financière ! Ou serait-ce lorsque nos finances sont parvenues à leur période la plus brillante que le crédit de l’Etat aurait baissé en raison même de sa prospérité financière ! Mais permettez-moi de le dire, cela serait absurde, cela répugnerait à la saine raison et à tous les principes.

Cependant, parce que je préfère voir exécuter par l’Etat les chemins de fer de Jurbise à Hasselt, est-ce à dire que je repousserai systématiquement les concessions ? Non, messieurs ; ces deux chemins de fer sont utiles, sont nécessaires. Par cela même que je constate combien ils seraient productifs pour l’Etat, je reconnais aussi leur utilité, leur nécessité. Or si j’aime mieux les voir construire par l’Etat que par une compagnie, j’aime mieux également les voir construire par une compagnie que pas du tout. Seulement il nous reste à examiner si nous pouvons accepter l’intervention des compagnies aux conditions qu’on nous propose.

Le mode de concession auquel M. le ministre des travaux publics s’est arrêté pour les lignes de Jurbise et de Hasselt est vicieux sans doute, mais il l’est moins qu’un système de concession absolue.

Il est vicieux en ce qu’il subordonne, pour une partie considérable de nos chemins de fer, l’intérêt général à l’intérêt privé ; en ce qu’il détruit l’unité du grand réseau et mettra obstacle, dans un avenir peut-être prochain, au maintien de l’égalité entre toutes les parties du pays que notre chemin de fer sillonne. Il est vicieux en ce qu’il immobilise, comme tout système de concession, les bases du tarif. Et je ne puis admettre sur ce point la réponse de M. le ministre des travaux publics qui a dit : « L’abaissement des tarifs amène l’augmentation des produits bruts en même temps que des frais d’exploitation ; or, ceux-ci étant à la charge de l’Etat, les sociétés concessionnaires auront intérêt à pousser elles-mêmes à l’abaissement des tarifs. » Je pense qu’il y a là erreur, mais dans la limite de certaines hypothèses dont la réalisation est facile à prévoir.

Il peut se faire, en effet, qu’un baissement de tarifs, tout en augmentant le transport d’hommes et de choses sur une ligne, amène aussi (ne fût-ce que momentanément) une diminution de la recette brute. Or, une société ne consentira jamais à une diminution, même momentanée, de la recette, dût le niveau se rétablir bientôt ; parce qu’il en résulterait à l’instant même une baisse de ses actions. Ajoutez à cela les embarras, les complications, les dangers que toute concession crée pour l’avenir, et il faudra reconnaître que l’opinion qui repousse les concessions se justifie aisément.

Mais, je le répète, si le mode de concession qu’on nous propose présente encore de graves inconvénients, il est exempt au moins du plus grave inconvénient de tous : l’exploitation par une société. En Angleterre les plus grands abus sont venus de là. L’honorable préopinant a attaché une importance exagérée au caractère de perpétuité des concessions anglaises. Il importe peu qu’une concession dure un siècle, comme on nous le propose, ou plusieurs siècles comme en Angleterre, l’expérience démontre que la cause du mal n’est pas là : elle est toute entière dans le caractère absolu de la construction et de l’exploitation. Ainsi si l’on nous présentait ce système absolu, dont les vices ont éveillé l’attention et les craintes du parlement britannique, je le repousserais énergiquement. Je le repousserais surtout, messieurs, pour les lignes de Jurbise et de Hasselt, sur lesquelles il viendrait briser l’unité du système d’exploitation.

La combinaison du projet qui nous est soumis, je le reconnais volontiers, maintient l’unité du système d’exploitation et n’engendre pas les mêmes abus qu’une concession absolue. Sous ce rapport, l’intérêt général n’est pas sacrifié. A ce point de vue je puis, comme pis-aller, accepter le projet. Cependant, je ne me dissimule pas son véritable caractère. Ce n’est, au fond qu’un emprunt déguisé, et un emprunt onéreux.

M. le ministre des travaux publics a essayé d’établir le contraire. Si l’on vous avait présenté, a-t-il dit, les capitaux nécessaires à la construction de (page 1538) vos chemins de fer, à la condition de ne prélever les intérêts que sur les bénéfices, tout le monde y eût applaudi. Sans doute, messieurs ; mais M. le ministre des travaux publics perd de vue deux considérations importantes : La première, c’est qu’il ne s’agit pas ici de la construction d’un chemin de fer isolé, construit tout seul au milieu d’un pays où il ne se relie à aucun autre ; mais il s’agit d’intercaler en quelque sorte, dans notre réseau de chemins de fer une ligne qui s’y relie par les deux bouts. Or cette ligne profitant de la réaction que toutes les autres branches du réseau exerceront sur elle, offre des chances de bénéfices bien autrement assurés ; la seconde considération que M. le ministre des travaux publics a paru oublier, c’est le sacrifice énorme que la concession de notre railway eût entraîné au point de vue de l’intérêt général. Le gouvernement, en effet, n’aurait pas eu, dans cette hypothèse, la haute mains sur les tarifs ; nous n’aurions pas pu recueillir les bienfaits de ces dix années d’expérience ; nous serions tombés, comme l’Angleterre, dans une complication inextricable d’abus.

Car, il ne faut pas croire, messieurs, qu’en Angleterre on ait agi sans prévoyance aucune, sans précaution. On avait cru en Angleterre comme nous le croyons aujourd’hui, avoir stipulé toutes les garanties désirables. On avait déterminé le maximum des tarifs, maximum qu’on croyait excellent.

On avait même été plus loin que nous dans les cahiers de charge, en essayant de sauver le principe de la concurrence.

Dans ce but, on avait accordé à tout citoyen anglais, et à toute société, le droit de se servir de la ligne concédée, d’y faire circuler des locomotives et des convois. Eh bien ! toutes ces précautions ont été inutiles. Les tarifs qu’on croyait modérés se trouvent aujourd’hui exorbitants ; les garanties qu’on avait exigées dans l’intérêt général se trouvent être illusoires ; la concurrence que l’on se flattait d’avoir ménagée n’existe pas, ne peut pas exister !

Je ne sais, messieurs, si nous discuterons le cahier des charges, article par article. Mais l’objet de cette discussion me paraît assez important pour que nous suivions cette marche. Nous allons faire le premier pas dans une voie toute nouvelle, adopter un système dont on ne peut, à première vue, calculer les graves et nombreuses conséquences. Quoi qu’il en soit, je me permettrai de soumettre dès à présent à la chambre quelques observations de détail.

Et d’abord, messieurs, vous aurez remarqué que le projet de la section centrale prescrivant la construction immédiate de la seconde voie sur la ligne de Jurbise, c’est 40 p.c. de la recette brute, et rien de plus, que l’Etat percevra pour les frais d’exploitation et d’entretien. Or, le rapport de la section centrale, qui est l’œuvre d’un ancien ministre des travaux publics, nous apprend que la moyenne des frais d’exploitation et d’entretien sur les chemins de fer de l’Etat s’élève à 51 2/3 p.c. Ainsi le projet constitue tout d’abord le gouvernement en perte.

Cependant nous ne sommes pas en peine, ce me semble, de trouver des sociétés pour la ligne de Jurbise. Les sociétés, au contraire, se disputent la préférence. Nous n’avons donc pas à subir les conditions d’une société pour consentir ainsi à nous constituer en perte ; c’est à nous de dicter nos conditions et à le faire les plus avantageuses possibles. Je ne consentirai donc pas à ce que la part de l’Etat dans les recettes soit réduite à 40 p.c. Je voudrais même qu’on ne fît la concession qu’à la société qui se montrerait la plus modérée dans ses prétentions et abandonnerait à l’Etat la part la plus forte dans les recettes. Une adjudication publique atteindrait assurément ce but.

Il y a aussi, selon moi, quelques lacunes dans le cahier des charges. Ainsi, on ne prévoit pas les relations forcées qui existeront peut-être entre le chemin de fer et d’autres chemins de fer également concédés. Qu’arrivera-t-il lorsque le chemin de fer dont il s’agit se trouvera en relation avec un autre chemin de fer concédé ? Qui est-ce qui sera l’arbitre des difficultés qui peuvent surgir entre les deux sociétés ? par exemple, pour le chemin de la Dendre, en supposant qu’il ne soit pas exploité par l’Etat, est-ce que tous les waggons qui viendront du chemin de fer de Jurbise devront rompre charge sur le chemin de fer de la Dendre et réciproquement ?

Cet inconvénient, je le signale à l’attention de la chambre et de M. le ministre, parce que ces croisements de chemins de fer concédés, ces rapports forcés entre eux ont fait naître en Angleterre les plus grandes difficultés et quelquefois les plus grands dangers pour les voyageurs.

Il y a une autre hypothèse qui n’est pas prévue par le cahier des charges ; c’est l’hypothèse où l’Etat cesserait d’exploiter lui-même le chemin de fer. Si l’Etat trouvait qu’il lui est plus avantageux de mettre en adjudication pour un terme très-court les chemins de fer qu’il exploite, qu’arriverait-il du chemin de fer de Jurbise ? Est-ce que l’Etat aurait également le droit de mettre en adjudication l’exploitation de cette voie ? Il me semble qu’il faudrait une clause dans le contrat pour prévoir cette hypothèse, parce que nous ne savons pas si pendant 90 ans le gouvernement continuera à exploiter. Il se pourrait que, par une combinaison d’adjudication bien étudiée, bien limitée, on pût enlever cette exploitation à l’Etat pour la donner à des sociétés, sous la haute direction de l’Etat.

Enfin, messieurs, j’ai déjà signalé l’inconvénient de maintenir le maximum de tarif dans la concession, parce qu’il pourrait se faire que l’intérêt de la société ne fût pas d’accord avec les vues du gouvernement. Ne serait-il pas possible, par exemple, de stipuler que lorsque le gouvernement aurait fait l’expérience, pendant un temps déterminé, d’un tarif réduit, qui n’aurait amené aucune diminution de recette, la société concessionnaire serait forcée d’admettre la même réduction sur la ligne de Jurbise ?

Messieurs, j’ai toujours eu peur, je l’avoue, des conflits qui peuvent s’élever entre le gouvernement et les sociétés sur les tarifs, parce qu’en Angleterre de nombreuses contestations se sont élevées sur ce point entre les sociétés et que des procès interminables s’en sont suivis.

Aujourd’hui, que les sociétés se présentent en foule pour obtenir des concessions, aujourd’hui qu’il y a une espèce de fièvre de la part des capitalistes, nous devons en profiter pour faire nos stipulations aussi strictes et aussi en règle que possible. Déjà vous avez pu remarquer que quant au chemin de fer de Hasselt, il y avait une amélioration dans les conditions de la concession. Si j’ai bien compris l’honorable membre, la société se désisterait du subside de 200,000 francs qu’elle demande. Cette première concession obtenue par l’effet de nos débats publics, vous prouve ce qu’un système d’adjudication pourrait produire, et je pense que ce sera un motif pour la chambre d’introduire dans la loi l’obligation pour le ministre de n’accorder la concession qu’à la société qui présentera les conditions les plus favorables.

Dans les limites que je viens de poser, messieurs, je terminerai en déclarant : que si la construction aux frais de l’Etat est proposée, je la voterai de grand cœur ; que si, au contraire, les chemins de fer de Jurbise et de Hasselt doivent être construits par voie de concession sous peine de rester à l’état de projets, je préférerai en voter, quoiqu’à regret, la concession ; mais dans ce cas je fais mes réserves pour qu’on introduise dans le cahier des charges toutes les améliorations possibles et notamment celles sur lesquelles j’ai eu l’honneur d’appeler l’attention de la chambre.

(page 1491) M. le ministre des finances (M. Mercier) – Messieurs, l’honorable préopinant a attaché un sens infiniment trop absolu à la déclaration que j’ai faite tout à l’heure. Il est impossible qu’il ait été dans ma pensée de présenter le crédit public comme étant tellement affaibli, qu’il nous fût impossible de conclure un emprunt de 8 millions ; je ne crois pas que mes paroles aient pu donner lieu à une semblable interprétation. L’honorablet M. d'Elhoungne n’a pas fait attention aux différentes raisons que j’ai alléguées, ou du moins, il les a passés sous silence. Il ne s’agit pas seulement de 8 millions à couvrir pour un nouvel emprunt ; hier nous votions un million pour des bateaux à vapeur ; quelques jours auparavant nous votions une forte partie des 12,500,000 fr. demandés pour l’achèvement des chemins de fer. Maintenant on veut ajouter encore 8 millions à ces dépenses et à la dette flottante existant antérieurement ; d’autres propositions sont faites à la chambre, des orateurs peuvent aussi soutenir avec autant de fondement que les travaux qu’elles concernent doivent être exécutés aux frais de l’Etat, et nous nous trouverions ainsi en présence d’un emprunt, non de huit, mais peut-être de 120 millions.

D’ailleurs, messieurs, je n’hésite pas à le déclarer, nous devons des égards aux porteurs des titres de nos emprunts. Il faut que l’on sache que nous ménageons leurs intérêts si, pour d’autres circonstances qui peuvent se présenter, nous voulons conserver leur confiance.

Je ne reproduirai pas, messieurs, les autres considérations dans lesquelles je suis entré. Sans prétendre aucunement qu’à l’avenir l’Etat ne doive plus se charger directement des travaux publics, je suis d’avis qu’il est prudent, dans la circonstance actuelle, d’agir avec réserve ; j’ajouterai qu’il n’a pas été démontré que les revenus des chemins de fer dont on s’occupe en ce moment doivent être tellement considérables qu’il y aurait grand avantage pour l’Etat à construire à ses frais.

M. le président – La parole est à M. Rodenbach.

M. Rodenbach – J’y renonce. Nous avons entendu aujourd’hui des discours très-remarquables pour et contre. Je crois que nous pourrions passer à la discussion des articles.

M. le président – La parole est à M. de La Coste.

M. de La Coste – Messieurs, si j’avais ici à proposer une simple théorie, je dirais que, dans ma pensée, le libre exercice de toutes nos facultés est le droit commun, que la liberté n’a pas besoin de se justifier et que l’autorité doit prouver sa mission. Mais, messieurs, nous ne sommes pas sous l’empire des théories ; nous sommes sous l’empire des faits, sous la loi des précédents. Nous avons des précédents dans les deux systèmes, et je ne pense pas que ce soit un mal. Nous avons un précédent très-considérable pour l’intervention de l’Etat, et personne ne cherche à le détruire. Nous avons posé dans cette session même un précédent en faveur des concessions, et je pense qu’il y aurait inconséquence à nous mettre en opposition avec ce précédent, à le condamner par un vote subséquent.

Il me semble, messieurs, qu’en résultat nous serons placés dans une position plus avantageuse que les nations qui auraient adopté exclusivement l’un ou l’autre de ces principes. Nous serons dans une situation plus avantageuse que les nations qui n’ont que des concessions ; nous serons dans une situation plus avantageuse que les nations qui n’auraient que l’intervention de l’Etat.

Je crois et l’espère, que les deux systèmes mis en présence se contrôleront en grande partie l’un par l’autre les inconvénients qui sont inséparables de tout système quelconque.

Messieurs, il a été posé un grand fait, lorsque dans ce pays on a adopté l’établissement et l’exploitation des chemins de fer par l’Etat. Ce fait est glorieux pour la nation, et l’honneur en rejaillit sur des personnes qui sont dans cette enceinte. Mais, messieurs, ce grand système d’exploitation par l’Etat, tout comme le système d’exploitation par l’Etat des voitures publiques en Prusse, que souvent on cite avec éloge, n’aurait peut-être jamais eu lieu, si l’industrie privée n’avait pris les devants dans d’autres pays soit sous l’empire d’une liberté complète, soit sous l’empire du système des concessions et n’avait servi d’exemple. Et en second lieu, messieurs, sans aller aussi loin que l’honorable député qui a défendu dans cette séance le système du ministère, un peu plus peut-être que le ministère ne l’aurait voulu, disons cependant que même en ce qui concerne cette application de la vapeur qui a maintenant des résultats si étonnants, les gouvernements ont dédaigné, ont repoussé les premiers essais, mais qu’il a fallu un sol plus libre et par là plus fécond, pour que ce germe se développât, pour que cette précieuse découverte produisît ses prodiges.

Messieurs, il faut le dire encore, ce n’est pas uniquement à la grande pensée qui a dirigé le gouvernement que l’on a dû le système d’exécution par l’Etat. Il s’y est associé un peu d’illusion. Lorsqu’on a vu les produits considérables du premier chemin de fer qui a été exécuté, on a cru que tous les chemins de fer offriraient les mêmes produits, on s’est prononcé avec une espèce d’enthousiasme pour l’exécution par l’Etat comme devant enrichir celui-ci. Si l’on ne s’était pas bercé d’un tel espoir, peut-être que cette grande pensée n’aurait pas trouvé l’appui qu’elle a obtenu. Or, vous savez si l’espoir qu’on s’était fait s’est réalisé.

(page 1492) Sous ce rapport, messieurs, je pense que la résistance de monsieur le ministre des finances n’est pas sans motifs. Considérez donc, messieurs, qu’à la première crise, qu’à la seule crainte d’une guerre, les produits de nos péages diminueront peut-être considérablement, et cela dans un moment où probablement nous aurions besoin d’accroître nos ressources. Ainsi n’augmentons pas de plus en plus ce danger réel ; recourons à la voie des concessions puisqu’elle nous est ouverte.

Messieurs, de ce que nous recourons à ce mode, il résultera peut-être des inconvénients ; on fera peut-être abus des concessions que nous accordons ; on en fera abus comme on vous l’a dit hier pour l’agiotage. Mais, messieurs, ne fait-on pas aussi abus des autres moyens que nous pourrions employer ? Ne fait-on pas abus des emprunts ? N’agiote-t-on pas à la bourse sur les emprunts ? Et n’est-ce pas peut-être un motif qui hors de cette enceinte, fait repousser les concessions parce qu’on aperçoit déjà les bénéfices qu’il y aurait à faire sur les emprunts qui pourraient remplacer ces concessions ?

Messieurs, ces abus, il n’est pas en notre pouvoir de les éviter. Ils ne se passent pas chez nous, ne sont pas la conséquence nécessaire de notre fait, ils n’en sont pas inséparables.

Les motifs allégués subsidiairement par l’honorablet M. d'Elhoungne en faveur des concessions demandées, ont certainement beaucoup de poids. Cependant je viens signaler ici un inconvénient qui me paraît être attaché au mode spécial qui est ici proposé, inconvénient contre lequel je voudrais que le gouvernement se prémunît.

Je crains que le gouvernement se trouvant en contact avec la société sera le moins fort ; je crains que la société exercera une action puissante ; que n’ayant aucun intérêt à modérer la dépense, elle exercera cette action pour se faire attribuer le plus de matériel possible, pour multiplier les convois.

Messieurs, ce n’est pas là une fin de non-recevoir, ce n’est qu’une observation ; et partant des idées que j’ai déjà énoncées, je serai favorable à la proposition du ministère, s’il dissipe tous les scrupules que je pourrais avoir sur le marché qu’il va faire. Ces scrupules seraient entièrement dissipés, si l’on pouvait avoir recours, avec espoir de succès, au moyen de la concurrence proposé par l’honorablet M. d'Elhoungne.

Si cela ne se peut plus, cherchons au moins, messieurs, à ne pas faire un marché de dupes. Comment pourrions-nous faire un marché de dupes ? De deux manières : d’abord en faisant un contrat qui nous plaçât dans une position désavantageuse, en nous chargeant à trop bas prix d’une exploitation qui nous coûterait plus cher, et alors, remarquez-le bien, les avantages qu’au point de vue financier on trouve dans le système de concession, ces avantages disparaîtraient : l’Etat aurait à supporter des frais exagérés d’exploitation dans le moment même où, comme je l’ai dit tout à l’heure, nos chemins de fer pourraient donner lieu à des embarras financiers. Nous pourrions encore, messieurs, faire un marché de dupes même sans faire une mauvaise affaire si nous nous dessaisissions trop légèrement d’avantages que nous pouvons nous réserver Je ne veux pas moi qu’on soit trop rigoureux pour la société, je serais charmé qu’elle fît une bonne affaire, mais il y a un milieu à garder : si nous lui concédons ce que nous ne pouvons retenir à notre avantage sans être trop exigeants, nous sommes généreux aux dépens de la nation.

Messieurs, je veux dès à présent vous soumettre les calculs qui me font craindre que, si nous adoptons le cahier des charges tel qu’il est rédigé, nous irons plus loin qu’il ne faut aller ; je veux vous soumettre ces calculs pour qu’on ait le temps d’y réfléchir, pour que le ministère ait encore le temps de prendre ses mesures et enfin pour que l’on soit préparé à un amendement qui pourra être présenté si mes objections ne sont pas résolues, si je trouve de l’écho dans cette assemblée.

D’abord, messieurs, je dois revenir transitoirement au chemin de fer de Hasselt. L’honorablet M. d'Elhoungne a fait un raisonnement qui avait déjà été présenté par différents orateurs, sous une autre forme ; il a dit : « Mais si l’affaire est bonne pour la société, elle doit être bonne pour le gouvernement. » Point du tout, messieurs, c’est que nous la rendons bonne pour la société, en nous chargeant de l’exploitation à un prix trop faible et en donnant d’avance à la société une partie du capital. La réponse qui a été faite à cet argument, par M. le ministre, ne m’a point paru fondée, et je pense qu’en effet, pour la ligne d’Hasselt, nous ne faisons pas une très-bonne affaire, mais je pense aussi que nous n’en faisons pas une très-mauvaise, puisque le déficit n’est pas grand ; toutefois, je voudrais au moins que nous trouvassions une compensation dans l’affaire de Jurbise ; or je pense que c’est le contraire qui a lieu.

L’honorable M. Simons a dit qu’on faisait une espèce de papier-monnaie avec les recettes indirectes et que ce papier-monnaie n’avait point cours. Je pense que l’honorable M. Simons a été trop loin, je pense que les recettes indirectes existent bien réellement, mais je crains qu’on ne les exagère et qu’on ne les mette pas en présence des pertes indirectes qui ne sont pas moins réelles. Si on pousse trop loin ce système des recettes indirectes, qui n’est pas autre chose que l’action d’une ligne sur une autre, on arrivera à doubler, à tripler les revenus, parce qu’on attribuera à chaque ligne ce qui appartient aux lignes voisines et réciproquement, parce que d’ailleurs on paraît supposer que, sans les sections voisines, il n’y aurait aucune autre affluent, il n’arriverait aucun voyageur ni aucune marchandise, ce qui n’est point exact.

Je disais tout à l’heure qu’il fallait opposer aux recettes indirectes, les recettes que d’un autre côté l’on perd indirectement, les recettes des routes parallèles, les revenus des barrières ; il faut y ajouter l’éventualité des époques de crises qui seraient si redoutables pour les produits des chemins de fer général. A ces époques-là, nous continuerions à faire les frais de l’exploitation, et dès lors il faut faire entrer cette éventualité en ligne de compte, en regard de l’éventualité des recettes indirectes. Je pense donc qu’on ne peut guère faire entrer des recettes indirectes dans des calculs positifs.

Eh bien, messieurs, en parlant des chiffres présentés par l’honorable M. Dubus, je trouve que notre position n’est pas assez assurée, et que celle de la société est trop belle. Il faut bien remarquer que M. Dubus raisonne dans la supposition la plus défavorable aux concessionnaires, et si je ne me trompe M. le ministre des travaux publics pense que dans cette supposition, les revenus ont été évalués trop bas. Or, messieurs, dans la supposition que M. Dubus a prise pour base, la recette brute est portée à 644,000 fr., de ces 644,000 fr. l’Etat reçoit 40 p.c., soit 257,600 fr. Je déduis l’intérêt du matériel ayant une valeur de 627,000 fr., ce qui, à 4 ½ p.c., fait 18,170 fr. Il reste environ 230,000 fr. qui forment la part de l’Etat.

Eh bien, messieurs, les frais d’exploitation, en les évaluant très-bas, c’est-à-dire à 40,000 fr. par lieue, s’élèvent à 385,000 fr. L’Etat est donc en déficit de 155,000 fr., et si je prends les calculs de M. l’ingénieur, qui porte les frais d’exploitation à 415,000 fr., le déficit de l’Etat sera de 185,000 fr.

On espère, messieurs, que les frais d’exploitation décroîtront progressivement. Mais est-on bien sûr de ne pas avoir atteint la limite ? Ne peut-il pas y avoir des revirements ? La hausse du combustible, par exemple ? N’y a-t-il pas déjà une hausse sur le prix du fer, qui peut influer sur la construction des locomotives ainsi que sur le renouvellement des rails ?

Voilà donc, messieurs, la position de l’Etat. Je voudrais la voir meilleure, surtout en la combinant avec celle qu’il a prise dans l’autre concession.

Maintenant quelle est la position des concessionnaires dans la supposition la plus défavorable ? Je prends encore cela dans le discours de l’honorable député de Turnhout. En ayant égard à la hausse du prix du fer, à la double voie, il porte les frais de construction à 8 millions sur lesquels la société percevrait, dans la supposition la moins favorable, 4 83/100 p.c.

L’honorable membre a placé, à côté de ce calcul, la supposition et l’espoir que la société, par des économies, obtiendrait des résultats meilleurs, en sorte que ces 4 83/100 p.c. sont bien un minimum d’intérêt ; je dis que ce minimum forme une très-belle affaire.

Quel est donc le motif, nous a-t-on dit, de la venue des capitaux étrangers en Belgique ? Mais c’est qu’on a à peine 3 p.c. en Angleterre, et voilà 5 p.c. environ parfaitement assurés, et, à côté de cela, d’admirables chances de bénéfice.

En effet, messieurs, on l’a déjà dit, ce chemin de fer vient s’intercaler dans notre réseau en pleine activité, et dans un moment où les routes françaises vont venir déboucher sur les nôtres.

Je n’examine cette question sous l’empire d’aucune préoccupation quelconque, je suis favorable au système des concessions, je suis favorable au projet, je n’ai aucune arrière-pensée quelconque ; je me rangerai de l’opinion qui me sera démontrée la plus juste ; mais pour le moment je n’admettrai le projet que si l’on raye de l’art. 7 la clause qui réduit à 40 p.c. la retenue au profit de l’Etat. Si on la fixait à 50 p.c., je crois que je pourrais alors adhérer à la proposition, sauf cependant la responsabilité qui pèsera toujours sur M. le ministre des travaux publics, qui doit chercher à obtenir les conditions les plus avantageuses pour l’Etat.

Des membres – A lundi.

M. le président annonce que le bureau a remplacé M. de Baillet-Latour par M. Lesoinne, dans la section centrale chargée d’examiner, comme commission spéciale, les projets de loi de concession de chemins de fer.

- La séance est levée à heures et demie.