(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 1471) M. Huveners procède à l’appel nominal à midi et quart.
M. de Man d’Attenrode lit le procès-verbal de la séance précédente dont la rédaction est approuvée.
M. Huveners présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Jean Reicke, capitaine de navire à Anvers, né à Konigsberg (Prusse) demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Plusieurs cultivateurs de Hamme-Mille prient la chambre de modifier la législation sur les céréales. »
« Même demande de plusieurs cultivateurs d’Auvelais, Nettine, Opprebais, Orp-le-Grand. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner les propositions relatives aux céréales.
« Le conseil communal de Bergilers demande l’adoption de la proposition de loi sur les céréales signée par 21 députés. »
« Même demande des conseils communaux de Aelst, Herck-la-Ville. »
- Même renvoi.
« Plusieurs propriétaires de carrières, de fours à chaux, de mines de houille, etc. présentent des observations en faveur du projet du chambre de Liége à Namur ».
M. Lesoinne – Je demande le renvoi de cette pétition à la commission chargée d’examiner le projet de loi relatif à ce chemin de fer.
- Cette proposition est adoptée.
« Plusieurs médecins vétérinaires établis dans la Flandre orientale demandent que tous les artistes vétérinaires diplômés puissent exercer les droits que l’arrêté royal du 19 avril 1841 réserve aux artistes vétérinaires du gouvernement. »
Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Chainaye et consorts prient la chambre de décider que le contrat passé avec la société Mackenzie, pour l’exécution des chemins de fer de Tournai à Jurbise et de St-Trond à Hasselt, sera soumis à une adjudication publique. »
M. de Theux – Je demanderai la lecture de cette pétition.
M. Huveners fait cette lecture.
- Cette pétition sera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
M. de Baillet demande un congé de huit jours.
- Ce congé est accordé.
M. de Garcia informe la chambre qu’une indisposition l’empêche d’assister à la séance.
- Pris pour information.
M. Malou – J’ai l’honneur de vous présenter le rapport de la section centrale qui a été chargée d’examiner les diverses propositions relatives aux céréales.
M. Osy – Je demanderai que M. le rapporteur veuille bien donner lecture des conclusions de la section centrale.
M. Malou – Les conclusions de la section centrale se résument dans un projet fort simple dont j’aurai l’honneur de donner lecture à la chambre :
« Léopold, etc.
« Article unique. Par dérogation à la loi du 31 juillet 1834 (Bulletin officiel, n°626), le droit d’entrée sur le froment est fixé :
« Lorsque le prix de l’hectolitre est :
de 22 fr. 1 c. à 24 fr., en principal, à 3 fr. par 1,000 kil.
de 20 fr. 1 c. à 22 fr, en principal, à 12 fr. 50 c. »
« Sont ajoutés aux marchés régulateurs : les marchés d’Alost, Eecloo, Furnes, Huy, Lokeren, Malines, Roulers, St-Nicolas, Tirlemont, Tongres, Tournay et Ypres.
« Lorsque les droits établis, par le présent article, seront appliqués au froment, le gouvernement pourra déclarer le seigle libre à l’entrée. »
- Le rapport sera imprimé et distribué.
La chambre met ce projet à la suite de ceux qui se trouvent déjà à l’ordre du jour.
M. de Man d’Attenrode – Le projet de loi que nous discutons se rattache si intimement à la discussion de la loi du 26 mai 1837, que chercher à nous en rappeler quelques parties, c’est nous éclairer ; c’est éclairer la discussion de 1845.
En effet, la loi en discussion est le contre-coup de la loi de 1837.
Le gouvernement présenta en 1837, un projet de loi tendant à compléter le système décrété le 1er mai 1834.
Ce système était la construction par l’Etat de quelques lignes d’un intérêt international ; ce système présentait une grande pensée d’intérêt public.
Le gouvernement proposa donc à la législature la construction d’une ligne de Gand vers Lille, en y ajoutant ces mots : avec embranchement sur Tournay ; cette concession de sa part est l’origine de tous ces travaux d’intérêt secondaire et de clocher, qui absorbent nos finances, et vers lesquels nous sommes entraînés malgré nous, et c’est une concession que je ne puis assez regretter.
Ce projet de loi fut renvoyé à une commission, dont mon honorable ami M. Dumortier fut le rapporteur.
Cette commission ne trouvant pas, je suppose, cette rédaction assez explicite pour assurer un chemin de fer à Tournay par le trésor public, modifia cette rédaction de la manière suivante, rédaction qui devint l’article 1er de la loi du 26 mai 1837 :
« Il sera établi, aux frais de l’Etat, un chemin de fer de Gand à la frontière de France et à Tournay par Courtray. »
L’adoption de cet article a entièrement modifié le système de 1834. En 1834, la législature adopta avec peine, avec hésitation, le système aux frais de l’Etat de quelques grandes lignes d’intérêt général.
En 1837, la législature adopta en deux séances par des dispositions vagues, tout un système de chemins de fer provinciaux aux frais de l’Etat, et ce fut, selon moi, un vrai pillage, je dis le mot sans hésiter.
L’honorable M. Devaux en témoigna sa surprise en ces termes.
Voici comment il s’exprimait :
« Je viens de voter pour l’art. 1er, je voterai contre l’article 2, il me paraît s’être opéré un grand changement dans l’esprit de la chambre, dont je me félicite à beaucoup d’égards, quand je me rappelle la lutte pénible que nous avons soutenue pour l’adoption de la loi du 22 mai 1834. Mais il me semble qu’après avoir montré si peu de facilité, tant de timidité, lors de l’adoption du premier projet on ait quelque tendance à passer à un extrême contraire et qu’aujourd’hui en fait de chemins de fer, on soit disposé à adopter sans renseignements, sans lumières ni appréciation d’aucune espèce, et presque sans discussion, je ne dirai pas tout ce que propose le gouvernement, mais toutes les propositions qu’il plaira à des membres isolés de soumettre à la chambre, etc. »
Je fais cette citation, car elle sera utile, pour combattre le système de concession pour la ligne de Tournay à Jurbise.
Mais la commission voulut encore des garanties de succès plus assurées pour obtenir la construction de la ligne jusqu’à Tournay.
La commission introduisit un art. 2 ainsi conçu :
« la ville de Namur et les provinces de Limbourg et de Luxembourg seront également rattachées par un chemin de fer construit aux frais de l’Etat, au système décrété par la loi du 1er mai 1834. »
Il y avait là une véritable coalition d’intérêts.
L’honorable M. Devaux, après avoir signalé le danger d’user aussi légèrement de l’initiative parlementaire, après avoir dit qu’il ne pensait pas que la chambre pouvait décréter à l’aventure des chemins de fer en aveugle, par des dispositions vagues, dont il était difficile d’apprécier le sens, disait, et il le disait avec raison :
« C’est un appât offert aux députés des provinces dont il s’agit, pour les faire voter en faveur de la loi, etc. »
Un honorable député du Hainaut s’était chargé de justifier ces paroles ; voici comment il s’exprimait pour faire passer un amendement, qu’il avait déposé avec quelques collègues :
« Comme je l’ai dit, tout en défendant la cause du Hainaut, nous défendons un principe, que chacun de vous peut avoir à invoquer à son tour, que pourront surtout avoir à invoquer les députés du Limbourg, de Namur et de Luxembourg, auxquels on promet des embranchements… Que les députés de ces provinces nous prêtent leur concours, plus tard nous leur prêterons le nôtre, si jamais l’exécution des embranchements, qu’on leur offre, venait à éprouver des entraves ; ce que je propose par l’amendement, qui vous est soumis, c’est une sorte d’assurance mutuelle entre nous. Prêtons-nous un appui mutuel, chacun de nous s’en trouvera bien. » (On rit.)
(page 1472) (erratum, p. 1481) L’honorable M. Verdussen fit sentir aussi le danger du système dans lequel on entrait ; mais dans une situation semblable, le succès était assuré aux propositions de la commission, et l’art. 2 qui faisait prévaloir un système nouveau, qui lançait le pays dans des dépenses immenses, incalculables, fut adopté par un simple assis et levé.
Maintenant il nous reste au moins à nous opposer à ce qu’on n’étende pas outre mesure les résultats du vote de 1837, et à ce que nous tirions parti des observations qui ont été faites dans la discussion, à cette époque.
L’honorable M. de Theux nous a dit hier, pour appuyer les clauses onéreuses de la concession du chemin de fer du Limbourg qu’il y a promesse, engagement pris par la législature. Je pense que l’honorable député de Hasselt n’est pas fondé à s’exprimer ainsi.
La discussion qui a eu lieu de 20 mai prouve le contraire. Voici comment s’exprimait encore l’honorable député de Bruges. Il s’agissait de l’art. 3, qui concerne les moyens mis à la disposition du gouvernement pour l’exécution de la loi :
« M. Devaux. Je voudrais avoir une explication sur cet article, je désirerais savoir à combien on évalue la dépense qu’on autorise le gouvernement à faire dans les provinces de Namur, du Limbourg et du Luxembourg. Vous remarquerez que l’art. 2 ouvre un crédit pour pourvoir à cette dépense, un crédit sans limite ; car il n’y a pas de chiffre. Je voudrais savoir s’il y a quelqu’un qui peut me dire, ne fût-ce qu’à dix millions près, la dépense qu’on autorise le gouvernement à faire.
« J’ai entendu avancer qu’il ne s’agissait que d’un chemin de 3 lieues dans le Limbourg ; mais d’après la disposition adoptée, le gouvernement peut en faire autant qu’il le juge convenable ; car qu’est-ce qui rattache le Limbourg au chemin de fer ? Il peut adjuger les travaux et venir vous demander d’en faire les fonds, et vous devez les faire. Je voudrais qu’on modifiât les dispositions de cet article ; la manière dont il est rédigé me paraît très-vicieuse.
« M. le ministre des travaux publics : Messieurs, le gouvernement ne fera que ce qui est possible et raisonnable. J’ai déjà eu l’honneur de dire que d’après les études qui ont été faites, la section de Tirlemont à Namur coûtera environ six millions, et l’embranchement sur St.-Trond, un million ; ce qui fait une somme de sept millions poui les provinces de Namur et du Limbourg. »
Un des considérants de l’arrêté du 28 août 1838, pris en exécution de la loi de 1837, prouve à l’évidence que nous avons satisfait à tous nos engagements envers le Limbourg ; c’est un arrêté pris par l’honorable M. Nothomb, alors ministre des travaux publics, voici ce passage :
« Considérant que cette dernière disposition (l’art. 2 de la loi) a reçu son exécution en ce qui concerne le Limbourg, par la mise en adjudication du chemin de Landen à St-Trond, etc. »
Aucun des députés du Limbourg que je sache n’est venu réclamer contre ces considérants ; aucun d’eux n’est venu réclamer lors de l’interpellation de l’honorable M. Devaux et de la réponse de M. le ministre des travaux publics. Je suis donc fondé à dire que nous avons satisfait à tous nos engagements à l’égard du Limbourg, en construisant le chemin de fer de St-Trond.
Si, messieurs, une compagnie voulait se charger de la concession du chemin de fer de Landen à Hasselt, je n’y verrais aucune espèce d’inconvénients pourvu qu’on ne vienne rien demander au trésor. Mais que nous demande-t-on ? On nous demande de céder une ligne de Landen à St-Trond qu’on évalue à un million et qui probablement a coûté environ 1,500,000 fr. et je consentirais à ce sacrifice ? Mais on nous demande encore un sacrifice de 200,00 fr. et en outre de nous charger de tous les frais d’exploitation, pour le matériel, le personnel, le chauffage, etc. Et tout cela pourquoi ? Pour conduire le chemin de fer vers une ville peu importante, vers Hasselt qui compte 15,000 âmes. On dit derrière moi que cette ville n’en compte que 7,000. Et qu’y a-t-il derrière cette ville de 7,000 âmes ? D’immenses prairies incultes. Est-ce donc pour amener dans le pays des bruyères et des perches de sapin qu’on veut construire ce chemin de fer ? Si au moins il était de nature à fertiliser cette contrée, peut-être lui serais-je favorable, car il n’est pas de sacrifices que je ne consentais à faire pour amener le défrichement de nos terres incultes ; mais ce n’est pas avec un chemin de fer que vous y parviendrez.
Un chemin de fer est une voie qui, d’après les économistes qui s’en sont occupés, doit, pour prospérer, aboutir à des centres de population, à de grands centres de production. Or, le chemin de fer du Limbourg ne conduit ni à un grand centre de population, ni à un grand centre de production.
Messieurs, je bornerai là mes observations quant à la ligne de St-Trond à Hasselt et je dirai quelques mots de celui de Jurbise ; cette question se rattache à la première, puisqu’il n’y a qu’un projet de loi.
M. le président – Je ferai remarquer à l’orateur que la chambre a décidé que chaque question ferait l’objet d’une discussion séparée.
M. de Man d’Attenrode – (erratum, p. 1481) Il eût été plus simple de me permettre d’achever ; mais, puisque l’ordre de la discussion l’exige, je m’arrêterai et je prierai M. le président de m’inscrire sur la question du railway de Tournay à Jurbise.
M. Simons – J’ai promis, dans la séance d’hier, que je répondrais aux chiffres que mes honorables adversaires ont opposés à ceux que j’avais eu l’honneur de vous présenter, pour démontrer à l’assemblée combien le contrat, conclu avec la société Mackenzie, grève le trésor, et pour faire ressortir, en même temps, les avantages considérables qui en résulteront pour les concessionnaires.
Je tiens d’autant plus à remplir cette promesse, que je vous avais présenté mes calculs comme basés sur des chiffres officiels, fournis par le gouvernement lui-même, ans les comptes rendus des opérations concernant les chemins de fer de l’Etat.
Je dois d’abord franchement reconnaître que, quant aux sources où ces honorables membres ont puisé leurs chiffres, elles ne sont pas moins respectables que celles qui ont servi à établir mes calculs. Je leur dois la justice de déclarer que, dans leurs citations, ils se sont rigoureusement attachés aux données fournies par les documents officiels du gouvernement.
Mais, s’il en est ainsi, d’où peut provenir la différence énorme que présentent en résultat les deux calculs mis en regard l’un de l’autre ?
D’après moi, la perte que le trésor a essuyée en 1843, sur les frais d’exploitation de la section de Landen à St-Trond, a été de 34 mille francs : (pour 1844, la perte a été un peu plus forte) ; et d’après mon honorable ami M. de Corwarem, cette perte ne se serait montée qu’à 12,372 fr. 85 centimes.
Cette différence provient uniquement de ce que je me suis tenu strictement sur le terrain des réalités, et que mon honorable ami s’est laissé entraîné dans la région des fictions.
En effet, messieurs, d’abord en ce qui concerne les dépenses d’exploitation, vous savez que l’administration des chemins de fer a soin d’en constater exactement le montant, pour chaque exercice, et pour chacune des sections du réseau en particulier.
Le tableau récapitulatif, qui nous est fourni à ce sujet, présente donc, d’une manière exacte, le montant réel et effectif de la dépense à laquelle l’exploitation de chaque section a donné lieu.
Eh bien, c’est ce tableau que j’ai consulté, et que je prends la liberté de mettre sous os yeux. (Il se trouve à la page 242 du n°426 des documents de la chambre de cette session.)
J’y trouve que la dépense totale d’exploitation de la section de Landen à St-Trond, s’est bien effectivement montée, pour 1843, à la somme de 90,240 francs.
C’est ce chiffre que j’ai indiqué hier. J’ai donc raison de dire que je me suis strictement tenu sur le terrain de la réalité.
Mon honorable ami, au contraire, ainsi que M. le ministre des travaux publics, reculant devant l’énormité de cette dépense pour une section qui na rapporté que 56 mille francs, ont cru plus expédient de s’attacher à des chiffres de pure spéculation, à une fiction statistique.
Après avoir constaté la dépense réelle de chaque section, et après avoir établi de cette manière le chiffre total de la dépense d’exploitation pendant un exercice entier, l’on compare cette dépense gloable 1° avec le nombre de lieues de railway exploitées ; 2° avec le nombre de lieues de parcours pendant l’exercice, afin de constater une moyenne par lieue de railway et par lieue de parcours.
Eh bien, messieurs, mes honorables adversaires ont adopté cette moyenne, ce chiffre fictif, qui pour 1844 a été de 11 francs 60 centimes par lieue de parcours. De là vient qu’ils ne portent pas en compte pour dépenses d’exploitation pour le même exercice que 50,808 francs, au lieu d’y porter celui de 90,240 francs que j’ai indiqué et qui est réellement celui auquel cette dépenses s’est élevée pour la section de Landen à Saint-Trond.
A moins donc que la fiction, en fait de calcul, ne doive prévaloir sur la réalité, le chiffre que j’ai établi pour la dépense d’exploitation reste intact. Les objections de mes honorables adversaires n’y ont porté aucune atteinte.
Abordons maintenant le chapitre des recettes.
Pour grossir le montant des recettes effectives, ils ont eu recours à un autre moyen. Cette nouvelle invention est vraiment un tour de force en fait de finances. Ils ont essayé de battre monnaie sans matière première. Malheureusement leur nouvelle monnaie n’a pas cours légal dans les caisses publiques, car en définitive ce n’est que du papier-monnaie sans valeur aucune.
Ils reconnaissent avec moi que la section n’a produit en 1843, en recettes effectives, que la somme de 55,931 fr. 44 c., soit fr. 56,000.
Mais, disent-ils, si cette section n’existait pas il est certain qu’aucun voyageur ne pourrait se rendre par cette voie de communication à Landen. Ceci est d’une évidence irrésistible ; je ne conteste pas cette prémisse.
Et si au moyen de cet embranchement les voyageurs et les marchandises ne pouvaient pas prendre à Landen la voie ferrée de l’Etat, celle-ci perdrait tout le bénéfice des péages que ces transports procurent aux sections de Landen à Ans, et de Landen à Tirlemont de l’autre côté.
Ceci n’est pas si clair. Mais soit encore. Et partant, ajoute-t-on ma petite section de deux lieues, je revendique, comme ma propriété exclusive et incontestable, tout le produit net des voyageurs, marchandises et autres objets, pas seulement ceux qui vous arriveront par mon canal, mais aussi ceux que vous me procurerez à moi en retour, et ce pour tout le parcours de Landen à Ans qui présente un développement de six lieues et demie à peu près, et de Landen à Tirlemont, qui présente une distance de près de trois lieues.
Par ce petit tour de passe-passe, on augmente d’un seul bond le chiffre du produit, sous la dénomination de recettes indirectes, de la somme de 46,975 fr. 77 c. C’est ainsi qu’en enlevant à deux grandes sections une forte partie de leurs revenus et en diminuant notablement la dépense effective d’exploitation de l’embranchement, on élève notablement un échafaudage qui n’a aucune base solide et qui doit crouler devant le simple exposé des faits. Si tous les embranchements traitaient de la même manière l’artère principal, le tronc serait bientôt totalement absorbé par l’action parasite des affluents, qui sont appelés à l’alimenter.
Tout ce que j’ai voulu prouver pour le moment, c’est que mes chiffres (page 1473) sont restés debout et ont résisté à toutes les attaques qui ont été dirigées contre les résultats déplorables que j’ai eu l’honneur de vous signaler.
Je pense qu’il ne peut plus vous rester le moindre doute à cet égard. Je finirai donc par là mes réflexions.
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, mon intention n’était nullement de prendre la parole dans cette discussion mais ayant entendu, dans la séance d’hier, un orateur engager la chambre à provoquer du gouvernement la construction, aux frais de l’Etat, du chemin de fer dont on nous demande la concession, j’ai cru, messieurs, devoir rompre le silence, et présenter quelques observations au moins pour motiver mon vote.
Messieurs, lorsqu’il se présentera des concessionnaires pour construire des routes ferrées sans que le gouvernement garantisse aucun intérêt, et sans qu’il se charge de l’exploitation ; à la condition aussi que les lignes dont la concession sera demandée ne puissent pas nuire aux chemins de fer construits et exploités par l’Etat à ces conditions j’appuierai les propositions qui nous seront faites relativement à de semblables demandes en concessions. C’est ainsi que j’ai voté en faveur du projet de loi relatif au chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Ici, messieurs, ce serait le gouvernement qui exploiterait ; or, toutes les opérations faites par le gouvernement le sont à grands frais ; le gouvernement dépensera, pour exploiter, 50 p.c. lorsqu’une société exploitera moyennant 30 p.c. Je crois que nous avons été assez loin dans cette voie, et qu’il est temps de nous arrêter. C’est assez vous dire, messieurs, que je serai forcé de voter contre le projet en discussion, à moins qu’on n’y apporte des modifications.
Messieurs, les observations qui ont été présentées en réponse aux discussion de l’honorable. M. Simons, n’ont nullement détruit, à mes yeux la valeur des chiffres que nous a soumis l’honorable membre. Ces chiffres me semblent avoir conservé toute leur force.
On nous a dit que le chemin de fer de Landen à St-Trond ne rapporte rien et que, par conséquent, on peut, sans inconvénient, en faire cadeau à la société qui veut le prolonger jusqu’à Hasselt. Je crois, messieurs, que c’est un peu la faute du gouvernement si ce chemin de fer ne couvre pas, au moins, ses frais d’exploitation et ses frais d’entretien. Pour que ce chemin de fer puisse rapporter, il faut lui donner des affluents ; c’est ce qu’avait fort bien compris l’honorable M. Nothomb lorsque, se trouvant à la tête du département des travaux publics, il décréta un chemin empierré de Hannut à Landen. La construction de ce chemin eût donné plus de vie au chemin de fer de St-Trond ; toutes les populations, à partir de Namur, se seraient rendues à Landen lorsqu’elles avaient besoin d’aller à St-Trond ou au-delà. Mais voilà 4 ans que ce chemin est décrété, et jusqu’à présent on n’a pas encore mis la main à l’œuvre. Il y a quelques jours, on nous a fait un rapport sur de nombreuses pétitions qui réclament la construction du chemin dont il s’agit. Les conclusions de ce rapport étaient le renvoi à M. le ministre des travaux publics. J’appuie de toutes mes forces la demande des pétitionnaires. Ce chemin est aussi dans l’intérêt des habitants des campagnes, j’en conviens, mais il est aussi dans l’intérêt de l’industrie et du commerce ; il est aussi dans l’intérêt du gouvernement, puisqu’il doit nécessairement donner plus de vie au chemin de fer de St-Trond. Quant à l’intérêt des campagnes, je sais qu’on attend longtemps avant d’y satisfaire ; si le commerce et l’industrie étaient ici les premiers intéressés, oh ! alors, il y aurait urgence ; lorsqu’il s’agit du commerce et de l’industrie, une dépense de 3, 4 ou 5 millions n’est rien ; mais quand il s’agit de l’intérêt des campagnes, une somme de 100 ou de 150,000 fr. est comptée mille fois avant qu’on se décide à l’employer. Eh bien ! messieurs, je le répète, la route que je réclame est dans l’intérêt du commerce et de l’industrie, aussi bien que dans l’intérêt de l’agriculture ; elle est aussi dans l’intérêt de l’Etat. Je demanderai donc à M. le ministre des travaux publics si son intention est d’exécuter cette route qui a été décrétée, il y a quatre ans, par un de ses prédécesseurs.
M. de Theux – Messieurs, si nous avons invoqué la promesse faite à la province de Limbourg, nous ne l’avons pas invoquée comme considération unique ; nous avons soutenu et nous soutenons encore que, abstraction faite de toute obligation morale de la part du gouvernement, de venir en aide à la province de Limbourg, la convention que M. le ministre des travaux publics a faite avec la compagnie Mackenzie procurera par elle-même des bénéfices très-notables à l’Etat et que ce serait porter un grand préjudice au trésor que de rejeter cette convention. Mais, messieurs, je commencerai par répondre quelques mots au discours de l’honorable député de Louvain en ce qui concerne les promesses faites à la province de Limbourg. Je sais parfaitement bien, messieurs, que ces promesses ne sont point telles qu’il y ait obligation légale de la part de l’Etat ; s’il existait une obligation légale, nous n’aurions pas à voter une loi, le gouvernement n’aurait qu’à exécuter la loi constatant cette obligation ; mais telle n’est pas la position de la question : ce qui est certain, c’est que dans la discussion qui a eu lieu, le gouvernement a formellement annoncé l’intention de prolonger le chemin de fer vers le centre du Limbourg, si ce prolongement pouvait se faire sans nuire notablement aux intérêts du trésor. Ce sont là les paroles dont s’est servi le ministre des travaux publics dans la discussion de la loi du 26 mai 1837.
Qua-t-on fait jusqu’à présent ? La section de Landen à St-Trond ne parcourt le territoire du Limbourg que sur une distance d’une lieue. Je le demande de bonne foi, est-ce là rattacher la province du Limbourg au railway de l’Etat ? Assurément, non.
Par une loi subséquente, deux millions ont été concédés à la province de Luxembourg pour racheter la promesse qui était consignée dans la loi de 1837, de rattacher également la province de Luxembourg au railway de l’Etat. On a dépensé jusqu’à présent, dans le Limbourg, 1,400,000 fr. Le gouvernement, déduction faite du subside de la ville de Hasselt, accordera 128,800 fr. ; de telle manière, qu’en exécutant le railway jusqu’à Hasselt, l’Etat n’a pas fait pour la province du Limbourg une dépense égale à la somme de 2 millions qui a été accordée à la province de Luxembourg pour acquitter l’Etat de la promesse consignée dans la loi de 1839.
M. Zoude – Le Luxembourg a une autre étendue que le Limbourg.
M. de Theux – L’étendue du territoire n’est pas la seule considération à prendre. Il faut avoir égard à la population et à la richesse de la province. Or, si l’on fait attention à l’importance des deux provinces, il est évident que le Limbourg a une importance matérielle de beaucoup supérieure à celle du Luxembourg. Les contributions de la province du Limbourg, tant directes qu’indirectes, dépassent de beaucoup les contributions de la province du Luxembourg. Je dis donc que, si l’on a accordé 2 millions à l’une de ces provinces, on peut bien accorder 1,600,000 fr. à l’autre.
Depuis la loi de 1837, messieurs, il est intervenu un fait nouveau, c’est l’exécution du traité de 1831. Par suite de l’exécution de ce traité, la province de Limbourg, qui déjà avait été dépossédée du commerce vers l’Allemagne, par suite du chemin de fer d’Anvers à Liége, a encore été dépossédée de son commerce avec la Hollande. C’est un motif de plus pour l’Etat de lui venir en aide pour lui restituer une partie de sa prospérité.
La ville de Hasselt, à entendre l’honorable député de Louvain, n’est qu’une misérable bicoque indigne de l’attention de la chambre. Mais à coup sûr elle n’est pas indigne de l’attention de M. le ministre des finances ; car M. le ministre des finances y perçoit 500,000 fr. de contributions indirectes tous les ans, et cela n’est pas à mépriser. Cette année, lors de la discussion du budget des voies et moyens, cette misérable province du Limbourg a encore été grevée de 300,000 fr. de plus de contribution foncière.
Quand il s’agit d’impôt, la province du Limbourg n’est pas à mépriser ; mais quand il est question de lui accorder quelque chose, oh ! ce n’est plus qu’une vile bruyère. Messieurs, j’ai trop de confiance dans les sentiments de justice de la chambre pour croire qu’elle partage l’opinion de l’honorable député de Louvain.
Je disais, messieurs, que la convention faite par M. le ministre des travaux publics avec la compagnie Mackenzie, telle qu’elle est modifiée par la section centrale, est par elle-même, et abstraction faite des considérations que je viens de présenter, et qui cependant sont très-puissantes, tellement avantageuse que ce serait nuire grandement aux intérêts du trésor que de rejeter cette convention.
Pour établir ce fait, messieurs, j’ai à traiter trois questions : les bénéfices énormes accordés à la compagnie, le préjudice que le gouvernement éprouvera par l’exploitation du chemin de fer, et les bénéfices que, pour moi, je prouverai clairs comme le jour.
En ce qui concerne les bénéfices de la compagnie, il résulte, messieurs, des discours que M. le ministre des travaux publics, qui a indiqué le véritable chiffre des dépenses, il en résulte que ces bénéfices pourraient être évalués à 9 p.c., s’il était constant qu’aucune concurrence ne sera faite au railway du Limbourg. Mais d’abord il faut déduire de ces 9 p.c. l’amortissement du capital que la compagnie consacrera à l’exécution de l’embranchement, car à l’expiration de la concession, elle devra laisser cet embranchement à l’Etat sans indemnité, et ses produits cesseront d’eux-mêmes. D’un autre côté, il est à prévoir que tôt ou tard le canal de la Campine sera prolongé de la Pierre-Bleue à Hasselt. S’il en est ainsi, le transport du charbon vers Hasselt, par le chemin de fer, diminuera notablement.
Je sais, messieurs, que par suite de l’exécution de ce canal et d’autres travaux analogues, la province du Limbourg acquerra un nouveau degré de prospérité et qu’alors aussi la circulation augmentera sur le chemin de fer ; mais, messieurs, lorsque la province de Limbourg sera arrivée à ce degré de prospérité, le gouvernement approchera de l’époque où il pourra racheter la campine aux termes du contrat.
On a aussi parlé incidemment des bénéfices énormes que la compagnie ferait sur le chemin de fer de Jurbise ; mais, messieurs, d’après les calculs présentés par M. Desart il pourrait arriver que par suite de l’établissement de plusieurs voies concurrentes, les bénéfices directs se réduisissent à 4 p.c., tandis que le gouvernement aurait des bénéfices indirects très-considérables sur cette voie. Au surplus la section centrale autorise simplement le gouvernement à concéder les deux voies à des conditions qu’elle détermine, mais elle n’empêche en aucune manière le gouvernement d’obtenir de meilleures conditions, si les deux compagnies qui se trouvent aujourd’hui en concurrence veulent accorder un rabais ou si même il se présente une autre compagnie qui consente à offrir des conditions plus avantageuses.
Seulement, messieurs, je crois qu’il y aurait imprudence d’obliger par la loi, le gouvernement à adjuger la concession par concurrence, parce que si cette obligation était stipulée dans la loi, les compagnies pourraient s’entendre entre elles et alors la position du gouvernement serait moins bonne qu’elle ne l’est aujourd’hui. Je crois que, dans l’intérêt du trésor, il vaut mieux que le gouvernement reste libre. Dans tous les cas, le gouvernement doit pouvoir se réserver le choix de la compagnie concessionnaire pour qu’il ne soit pas obligé de donner l’entreprise à une compagnie qui peut-être aurait des intentions moins sérieuses que celles de la compagnie avec laquelle le gouvernement a traité.
Voilà, messieurs, ce que j’avais à dire sur les bénéfices énormes prétendument abandonnés aux concessionnaires. Je ferai remarquer, en outre, en ce qui concerne la section du Limbourg, que l’honorable M. Simons a puisé ses calculs tantôt dans le rapport de M. Groetaers, tantôt dans le rapport (page 1474) de M. Desart, c’est ce qui m’empêche de suivre mot pour mot ces calculs, car il en résulterait une confusion inextricable dans la discussion publique.
M. Desart a traité la question du chemin de fer du Limbourg d’une manière très-incidente, et en mettant cette ligne au troisième rang des bonnes lignes construites par l’Etat. M. Desart a pris pour base de ses calculs les produits indirects de la section de St-Trond à Landen. Mais ces produits indirects, le gouvernement les conserve en tout état de cause ; il ne les abandonne, en aucune manière, à la compagnie.
Il est certain que si l’on avait seulement égard aux produits directes, l’embranchement de St-Trond à Landen serait onéreux ; ceci est incontestable ; M. le ministre des travaux publics l’a établi de la manière la plus péremptoire.
L’honorable M. Simons disait hier : « le gouvernement, en prenant à lui l’obligation d’exploiter la ligne du Limbourg, assume une charge énorme ; il sera constitué tous les ans en grande perte.
Il n’en est rien ; les frais d’exploitation, calculés par M. l’ingénieur Groetaers à 14 francs par lieue, devraient s’élever à 194,000 fr. pour la section entre Landen et Hasselt. Mais d’après le dernier compte-rendu de la situation du chemin de fer, les frais d’exploitation sont réduits à 11 fr. par lieue, il en résulte, messieurs, que la dépense de l’exploitation de la ligne entière se réduit à 150,000 fr.
En second lieu, M. Groetaers suppose que la station des locomotives restera à St-Trond ; nos locomotives feraient alors inutilement , sans remorquer de train, une fois par jour le parcours de St-Trond à Hasselt, et de Hasselt à St-Trond en retour, et M. l’ingénieur augmente de ce chef la dépense d’exploitation de 6 lieues et un quart par jour ; mais en plaçant la station des locomotives à Hasselt, il en résultera une économie qui réduira les frais d’exploitation à 125,000 fr.
La part du gouvernement dans les produits directes de la section de Landen à Hasselt, étant de 50 p.c., s’élève à 150,000 fr., d’après le calcul des produits de l’année 1844. D’un autre côté, le gouvernement n’ayant à dépenser que 125,000 fr. pour l’exploitation, il lui reste un bénéfice net de 25,000 fr. sur les produits directs seulement.
Si à ces produits directs, vous ajoutez encore, comme l’a fait M. Desart, les produits indirects, vous avez encore 125,000 fr., savoir : 46,000 pour la section de Landen à St-Trond, et 78,000 fr. pour la section de St-Trond à Hasselt.
On conteste l’adjonction des bénéfices indirects. Mais, messieurs, ces bénéfices, pour être indirects, n’en constituent pas moins un revenu du trésor, et c’est là l’essentiel. Rejetez la convention qui a été faite par le gouvernement, et vous n’aurez pas les apports de la ville de Hasselt, ni du centre de la province. Il y a telle station où les produits indirects sont presque insignifiants, mais dans les circonstances actuelles ces produits indirects sont extrêmement considérables.
En résume, le gouvernement aura doté la province du Limbourg d’un chemin de fer : il aura pu réaliser toutes les promesses qui ont été faites, soit lors de la discussion de la loi de 1837, soit lors de la discussion du traité de paix, et il sera parvenu à ce résultat sans danger pour le trésor public ; bien au contraire. La convention faite avec la compagnie Mackenzie lui laisse sur l’exploitation un bénéfice direct de 25,000 fr. En outre, à l’expiration de la concession, le gouvernement jouira encore des 50 p.c. abandonnés à la compagnie.
Une autre circonstance importante, c’est que le gouvernement se réservant l’exploitation de la ligne, l’entretien du matériel et de la route, il a l’assurance qu’à l’expiration de la concession, le matériel et la route seront dans le meilleur état possible, et qu’il n’y aura pas de contestation possible, qu’il n(y aura pas de procès avec les concessionnaires.
Je pense que ces considérations sont plus que suffisantes pour déterminer la chambre à adopter la convention qui est soumise à son vote.
M. de Man d’Attenrode – Messieurs, d’après le langage que vient de tenir l’honorable M. de Theux, j’aurais traité de la ville de Hasselt de bicoque. Je tiens à constater que je n’ai rien dit de semblable. Je respecte également toutes les communes du royaume ; je considère les localités de 5,000 habitants, comme celles de 100,000 ; je ne règle pas ma considération d’après l’importance de la population.
Mais, messieurs, une question d’intérêt général est ici en jeu, et il m’est impossible de faire pour une ville de 5,000 habitants ce que je ne ferais pas pour une ville de 100,000 âmes. Je soutiens ici uniquement une question d’intérêt public, et mon intention n’a nullement été de prononcer des paroles qui pussent blesser le moins du monde la ville de Hasselt.
L’honorable député auquel je réponds, vous a dit que l’on n’estimait le Limbourg que pour ses produits, et qu’on ne voulait rien faire pour cette province ; que son contingent actuel dans l’impôt foncier excédait de 200,000 fr. ce qu’elle payait auparavant.
Mais il n’est pas inutile de faire connaître la cause de cette augmentation du chiffre de l’impôt foncier dans le Limbourg. Cette province n’était pas cadastrée comme les autres ; elle ne l’est que depuis assez peu de temps ; et c’est après que le cadastre a égalisé l’assiette des contributions, que cette opération a augmenté le revenu de la province de 200,000 fr. Loin donc que le Limbourg puisse invoquer le fait de cette augmentation comme un titre en sa faveur, on pourrait le rétorquer comme un argument contre la province, et dire que le Limbourg a joui pendant longtemps d’un véritable privilège, d’un réduction d’impôt de 200,000 fr., ce qui, en 10 ans, fait une somme de 2 millions.
Je ne vois donc pas que le Limbourg ait tant à se plaindre de sa position comme partie intégrante du royaume de Belgique Sous le gouvernement des Pays-Bas, a-t-on fait, par exemple, pour la Meuse, ce que l’ordre des choses actuel a fait pour cette rivière ? Nous avons pris à notre charge une rivière capricieuse qui détruit ses bords et dont l’entretien coûte des sommes considérables. Je ne vois donc pas, je le répète, que le Limbourg ait tant à se plaindre du pays dont il fait partie.
Oh ! s’il s’agissait de défricher les bruyères de cette province, je voterais de grand cœur tout ce qui serait nécessaire pour rendre ce désert à l’agriculture. J’ai traversé l’année dernière pour la première fois cette triste contrée dont je ne me faisais pas d’idée. Au lieu de jeter notre population surabondante sur des rives étrangères peu hospitalières, il vaudrait mille fois mieux les employer à défricher cette partie de notre propre ol. S’il était question de transplanter dans le Limbourg nos malheureux tisserands des Flandres qui meurent de faim, je m’empresserais de voter tous les fonds nécessaires pour leur donner une première mise, pour leur fournir le moyen de fertiliser ce pays. Je l’ai dit, et je le soutiens encore, ce n’est pas avec des chemins de fer qu’on fertilise des bruyères.
M. Dumortier – Messieurs, j’ai demandé la parole lorsque j’ai entendu l’honorable préopinant, dans le premier discours qu’il a prononcé, représenter la section centrale de 1837 chargée de l’examen du projet de loi des chemins de fer, et dont j’avais l’honneur d’être rapporteur ; représenter, dis-je, cette section centrale sous des couleurs tant soit peu odieuses (Oh !), au moins pénibles pour nous.
Suivant l’honorable préopinant, le trésor public aurait été livré au pillage par la section centrale ; il y aurait eu une véritable coalition d’intérêts…
M. de Man d’Attenrode – C’est vrai.
M. Dumortier – C’est justement ce que nous allons voir.
Suivant l’honorable membre, il y aurait donc eu une véritable coalition d’intérêts, on aurait voulu mettre le trésor public au pillage.
Ayant, depuis 1830, défendu constamment le trésor public, même contre les amis politiques, lorsque je croyais qu’on voulait porter atteinte à ses intérêts, je dois prendre la parole pour protester contre cette allégation, et protester non seulement en mon nom, mais encore au nom de ceux qui ont pris part au vote, dans un sens contraire à l’opinion de l’honorable M. de Man. Oui, il y a eu en 1837 une véritable coalition d’intérêts. Mais qu’était-ce que cette coalition ? C’était la coalition de ceux qui, étant dotés de chemins de fer dont la construction avait été fort onéreuse pour l’Etat, voulaient empêcher les provinces qui ne jouissaient pas encore de cet avantage, d’avoir une part dans l’exécution de ce grand travail public.
Rien n’était plus juste cependant que de donner à chaque province une part contributive, une part proportionnelle dans l’exécution des lignes du chemin de fer. Eh bien, comme les choses se sont-elles passées ? Par la loi de 1834, la province de Luxembourg, la province de Namur, la province du Limbourg, et en quelque sorte le Hainaut n’avaient obtenu rien du tout, ou n’avaient obtenu rien de précis. L’étendue du Hainaut, sa richesse, sa population, la part norme qu’elle verse dans les caisses du trésor public méritaient certainement bien que cette province figurât pour une part convenable dans les dépenses que l’on faisait. Etait-il rationnel que des provinces entières, ainsi négligées, ne pussent pas obtenir à leur tout quelqu’embranchement du chemin de fer ? La législature a pensé qu’après avoir voté, par la loi de 1834, un chemin de fer d’Ostende à Verviers, et un chemin de fer d’Anvers à Bruxelles, puis un embranchement pour e Hainaut ; la législature a pensé qu’il était juste d’accorder à la province de Namur, au Limbourg, ainsi qu’au Luxembourg sur une portion du territoire duquel on croyait pouvoir amener un chemin de fer, de leur accorder, dis-je, ce qui avait été accordé aux autres provinces.
Je sais bien qu’à cette époque les honorables députés des contrées qui étaient dotées d’un chemin de fer, se sont fortement opposés à ce que d’autres localités obtinssent, à leur tour, ec que les premières localités avaient obtenu.
C’était à rendre justice à la manière du lion. La chambre n’a pas partagé cet avis. L’honorable député de Louvain avait un chemin de fer pour son district de Louvain, il trouvait que la Belgique n’avait pas besoin d’en avoir davantage. De même, l’honorable M. Verdussen qu’il a cité, qui avait son chemin de fer d’Anvers à Cologne, trouvait que la Belgique en avait assez comme cela et qu’il était inutile d’en faire un par le Hainaut.
M. Smits – Les autres députés d’Anvers ont voté pour le chemin de fer du Hainaut.
M. Dumortier – Je suis donc étonné qu’on vienne présenter la loi de 1837 comme une loi de coalition pour mettre le trésor public au pillage.
Loin de là, on a voulu parfaire en 1837 ce qu’on avait commencé en 1835, ce qu’on a fait alors ne ressemble en rien à un pillage. On a donné à la Flandre occidentale un embranchement vers Courtray et à Tournay un petit embranchement d’une lieue et demie dans la province du Hainaut. On a donné un chemin de fer à la province de Namur, ainsi qu’à la province du Limbourg. On en avait également promis un à la province de Luxembourg. Vous savez que, depuis, cette promesse fut transformée en une allocation de plusieurs millions pour construction de plusieurs routes dans cette province, les députés du Luxembourg l’ayant ainsi préféré. Je demande si cette conduite n’est pas empreinte de la plus grande loyauté.
L’honorable membre se plaint de ce qu’on a fait un embranchement sur Tournay. Messieurs, en vertu des pouvoirs que la loi lui conférait, le gouvernement pouvait et devait même diriger la ligne vers la France directement par Tournay. Car lors du vote de la loi de 1834, il avait été stipulé (page 1475) que si le chemin de fer de France était dirigé sur Lille, le chemin de fer belge passerait par Tournay. La France est restée longtemps avant de se décider à faire des chemins de fer ; dans l’incertitude, le gouvernement a porté sa route vers Mons. C’est un fait consommé dont personne ne se plaint, pas même les députés de Tournay. Cependant, je le répète, le gouvernement aurait pu faire la route par Tournay ; il le pouvait, aux termes de la loi, sans que personne eût à s’en plaindre.
Il me reste, messieurs, à dire un mot sur la question du chemin de fer de Landen à Hasselt. L’honorable député de Tongres a présenté cette concession sous des couleurs excessivement sombres. D’après l’honorable membre, aux convictions duquel j’aime à rendre hommage, cette route devait rapporter, dès aujourd’hui, 12 p.c. aux concessionnaires. S’il en était ainsi, je ne donnerais pas mon assentiment à ce projet ; personne, dans cette enceinte, ne lui donnerait son vote. Mais examiner le rapport de l’ingénieur Dessart, en vous verrez qu’il n’y a qu’une seule ligne en Belgique qui rapporte 10 p.c., c’est celle de Bruxelles à Anvers. Maintenant je vous le demande, tombe-t-il sous le sens de croire qu’il y aura entre Landen et Hasselt un mouvement proportionnel de voyageurs comparable à celui qu’il y a entre Bruxelles et Anvers ? Cette simple observation peut vous faire juger de la valeur des calculs de cette société léonine dont on a parlé. Quand bien même ces calculs seraient exacts, je dis qu’ils pêchent par leur base, et une seule observation va le démontrer. M. l’ingénieur Groetaers prétend que les 16 kilomètres et demi de St-Trond à Hasselt ne coûteront que 1,470,000 francs tandis que la section construite par le gouvernement de Landen à St-Trond, qui se trouve dans des circonstances analogues, a coûté 1,662,000 francs. Or, cette section n’a que dix kilomètres ; et l’on vient vous dire que l’on fera 16 ½ kilomètres pour 1,470,000 fr. ce simple rapprochement vous prouve combien tous les calculs présentés pêchent par leur base.
Quand bien même les calculs de l’honorable M. Simons seraient exacts, ils manquent par la base ; ceux présentés par l’ingénieur Groetaers étant manifestement erronés. Si les dix kilomètres de Landen à St-Trond ont coûté 1,662 mille francs, les 16 ½ kilomètres de Saint-Trond à Hasselt devront coûter 2,800,000 fr. Car ce sont les mêmes conditions, les mêmes terrains, on traverse la Campine d’un côté comme de l’autre. Il y a des terrains de grand prix vers Hasselt comme aux environs de Saint-Trond ; il y a des terrains aussi chers d’un côté que de l’autre… J’entends même dire auprès de moi que ce sont tous terrains cultivés et non des bruyères que le chemin doit traverser. Supposez même une réduction de 800,000 fr., la route devra toujours coûter deux millions, et alors que deviennent les calculs ?
Mais, dira-t-on, les calculs sont d’un ingénieur. Mais, messieurs, serait-ce dont la première fois que la chambre serait induite en erreur par les ingénieurs ? Eh, messieurs, sommes-nous nés d’hier ? N’avons-nous pas l’expérience de ce qui s’est passé depuis 1834 ? La construction des chemins de fer devait être une spéculation excellente ; on devait les faire pour rien, le trésor devait faire d’énormes bénéfices ! Nous avons vu ce qui s’est passé. La parole des ingénieurs n’est pas pour nous parole d’Evangile ; nous en subissons la trop dure expérience. Si cela avait besoin d’être démontré ; ce serait facile, j’en ai les preuves en main.
Les calculs de l’honorable M. Simons peuvent donc être exacts, mais les bases de ses calculs ne le sont pas. Il est impossible que la route soit construite au prix indiqué par l’ingénieur Groetaers. Remarquez encore, messieurs, qu’on a depuis élevé le poids des rails en le portant de 20 à 24 kilogrammes. D’un autre côté, vous savez que le prix des fers est augmenté. Qui ignore, de plus, que la condition imposée d’employer des billes en chêne entraîne un grand surcroît de dépense. Le chêne se trouve maintenant très-cher. Au mois de mars dernier, on a fait de grandes acquisitions de chênes pour faire des billes.
Vous le voyez, tous les calculs qu’on vous a présentés pèchent par leur base.
Depuis plusieurs années, le chemin de fer de Landen à St-Trond est livré à la circulation. Tous les ans, on s’est levé pour demander que le gouvernement se débarrasse de ce chemin onéreux. En effet, vous savez que le gouvernement perdait cent francs par jour sur l’exploitation seule. Maintenant, il trouve un moyen de vous en débarrasser sans perte, même avec un bénéfice. Voilà tout à coup que cette mauvaise opération est devenue une excellente affaire rapportant 15 p.c. On dit que c’est un contrat léonin. Mais, me dit-on, on donne 200 mille francs. Cela est vrai, mais depuis un an, on cherchait, sans le trouver, quelques concessionnaire qui voulût se charger de la route à cette condition ; personne ne se présentait, on exigeait des conditions plus dures encore ; et voilà que le jour où on trouve un concessionnaire, l’opération est devenue superflue, les conditions auxquelles on la concède sont onéreuses ! ‘il en est ainsi, comment se fait-il que l’intérêt privé, qui calcule si bien, ait refusé pendant plus d’un an les conditions qu’il a fini par accepter ?
Messieurs, il est impossible de prévoir ce que l’avenir réserve. Il est possible que plus tard le chemin de fer de Landen à Hasselt rapporte 12 p.c. les chemins de fer pourront même en rapporter 25 ; c’est là un mouvement ascensionnel impossible à prévoir. Nous ne faisons pas les lois d’après les prévisions, mais d’après les faits existants. D’après ces faits, le chemin de Landen est une charge pour l’Etat, et cesse de l’être par la proposition qui vous est faite. Je ne pense pas qu’on doive s’arrêter à des craintes qui reposent sur des faits dont l’exactitude peut être contestée.
M. de Man d’Attenrode – Je dois quelques mots de réponse à l’honorable M. Dumortier. Il m’a reproché, en commençant, d’avoir voulu donner un caractère odieux au travail de la commission, dont il a été le rapporteur.
Je n’ai pas eu cette intention, je respecte trop mes collègues pour me permettre quelque chose de semblable. J’approuve, au contraire, le zèle que met l’honorable membre à défendre les intérêts de l’arrondissement qui l’a envoyé dans cette enceinte, mais je crois avoir le droit de soutenir des opinions contraires à la sienne, quand il me paraît aller trop loin, quand son ardeur à défendre des intérêts qui connaît plus particulièrement me semble compromettre les intérêts généraux du pays.
Mais lorsqu’un collègue vient contrarier l’honorable membre dans les efforts qu’il fait dans l’intérêt de son arrondissement, il crie à l’injustice, à l’égoïsme ; je trouve cela fort étrange. C’est ainsi qu’il m’a dit : Louvain a son chemin de fer ; vous ne voulez pas que d’autres localités jouissent du même avantage. Si Louvain a un chemin de fer de fer, ce n’est pas pour Louvain qu’on l’a fait, mais c’est le hasard qui a fait que cette ville s’est trouvée dans le tracé de la route ; c’est à sa position qu’elle le doit, et, certes, Louvain n’a pas à s’applaudir des effets du chemin de fer pour son commerce et sa prospérité. Le chemin de fer passe à Louvain, je le répète, parce que Louvain s’est trouvé dans la direction d’Anvers vers Cologne. Si la route vers paris avait été construite par Tournay, j’en aurais été charmé, bien loin de le trouver mauvais.
Chaque fois que l’honorable membre parle du Hainaut, il le représente comme une province abandonnée, maltraitée. Elle a déjà trois chemins de fer ; celui vers Paris, par Mons ; celui de Tournay vers Courtray, et un autre vers la province de Namur ; ce n’est pas encore assez, il lui en faudrait un quatrième, de Tournay à Jurbise.
L’honorable M. Dumortier a axé la loi de 1834 d’onéreuse ; serait-ce, par hasard, pour la rendre moins onéreuse qu’il a tant contribué à grossir les propositions du gouvernement qui ont servi de base à la loi de 1837 ?
Mais la loi de 1834 ne favorisait pas la ville de Tournay, et celle de 1837 lui a offert des compensations qui ne suffisant pas encore aujourd’hui à ce qu’il paraît. Il m’a été impossible de ne pas relever ces paroles, c’est une argumentation que je ne puis admettre.
M. Dumortier (pour un fait personnel) – Je n’ai qu’un mot à répondre L’honorable préopinant vient de vous dire que je trouve la loi de 1834 onéreuse. C’est très-simple ; depuis plusieurs années nous payons le déficit résultant de cette loi ; il suffit d’ouvrir les budgets pour s’en assurer.
L’honorable préopinant trouve que si on a donné un chemin de fer à Louvain, c’est parce que Louvain se trouvait sur le passage du chemin de fer. Mais je vous rappellerai que les honorables députés de Louvain étaient tellement peu de cette opinion, qu’ils voulaient que le chemin de fer s’arrêtât à Louvain.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – L’honorable M. de Man a rappelé l’opposition qu’il avait faite à la loi de 1837, qui a établi des lignes de chemin de fer. Messieurs, je ne partage pas du tout l’opinion de l’honorable membre relativement à cette loi. La loi de 1837 avait pour base une pensée de haute politique intérieure. De même que la loi de 1834 avait pour but principal les relations internationales à créer entre la Belgique, l’Allemagne et la France, la loi de 1837 avait pour pensée fondamentale de rattacher chacune de nos provinces à la capitale, à un centre commun.
Ainsi, messieurs, bien loin de déverser le blâme sur la pensée qui a présidé à la loi de 1837, je crois, au contraire, qu’on doit se féliciter de ce que cette loi a été admise par la législature.
Je comprends peu, messieurs, les conclusions auxquelles est arrivé l’honorable M. de Man, qui s’est constitué l’adversaire des chemins de fer qui maintes fois a fait retentir cette enceinte de ses plaintes relativement aux mécomptes dont nous avions été victimes, au dépenses imprévues que le chemin de fer avait créées. Selon lui, le trésor public aurait été livré au pillage par la loi de 1837. je croyais, aujourd’hui que le gouvernement vous présente la construction de chemins de fer sans charge pour le trésor public que l’honorable membre allait se réjouir. Mais d’un autre côté, l’honorable membre ne veut pas de la construction des chemins de fer par l’Etat, et lorsqu’on lui présente la construction par les compagnies, il la repousse avec autant d’énergie qu’il en a mis à refuser la construction par l’Etat. Mais alors, c’est que l’honorable M. de Man ne veut pas des chemins de fer, même quand ils ne coûtent rien à l’Etat.
Cependant, messieurs, il est impossible de déclarer que lorsqu’un chemin de fer ne coûte rien à l’Etat, il n’est pas un bienfait, et pour nos lignes dont il vient accroître les revenus, et pour les relations commerciales, industrielles et agricoles qu’il doit établir.
L’honorable M. de Man a dit, il est vrai, que par rapport au chemin de fer de Hasselt, il croyait que la convention constituait une charge pour le trésor public. Il vous a dit que les calculs que j’avais présentés hier et qui arrivaient à la même conclusion que ceux présentés par l’honorable M. de Corswarem et par l’honorable M. de Theux, ne l’avaient pas convaincu. Je regrette beaucoup que l’honorable membre ainsi que l’honorable M. Eloy de Burdinne ne nous aient pas fait connaître en quoi les calculs que j’avais présentés, étaient inexacts, j’aurais pu leur répondre ; mais comme ils n’ont avancé aucun chiffre, je ne puis apprécier pourquoi mes calculs ne leur ont pas paru reposer sur des bases exacts.
L’honorable membre. Eloy de Burdinne a conseillé au gouvernement, pour augmenter les revenus de nos chemins de fer, de créer des affluents, et je partage complètement l’opinion de l’honorable membre. Mais les divers projets qui vous sont présentés, ont pour but, ont pour effet de créer des affluents nombreux au chemin de fer, et d’accroître ainsi ses revenus.
L’honorable membre ne veut comprendre comme affluents que les routes pavées, et incidemment, il a renouvelé les observations qu’il avait faites sur la nécessité de décréter la route de Hannut à Landen. Mais, messieurs, la route de Hannut à Landen, qui a été décrétée, n’aura de résultats heureux que par le prolongement du chemin de fer de Landen à Hasselt. Les céréales du (page 1476) pays de Namur prendront la route de Hannut à Landen, et de là, pourront parvenir à Hasselt, où se fait une grande consommation de céréales, par le chemin de fer.
Ainsi l’honorable membre me demande une route ; il la regarde comme utile, comme affluent, et en même temps, il repousse un chemin de fer qui en fait le complément nécessaire. J’ai peine à m’expliquer la contradiction dans laquelle est tombé l’honorable membre.
L’honorable M. Simons est convenu que les bases des calculs présentés par l’honorable M. de Corswarem, et par moi dans la séance d’hier étaient en général exactes, mais que l’appréciation de ces calculs n’était pas faite de la même manière par lui et par nous.
Messieurs, j’ai signalé hier, l’honorable comte de Theux vient de vous le faire remarquer, les erreurs dans lesquelles l’honorable M. Simons était tombé, en prenant pour base de ses calculs le rapport de M. l’ingénieur Groetaers, qui avait pris lui-même pour base des siens le compte-rendu de 1843, au lieu du compte-rendu de 1844.
Mais l’observation principale qu’a faite l’honorable M. Simons, c’est que dans nos calculs nous avions compté les revenus indirects que devait produire sur notre propre ligne la construction du chemin de fer de St-Trond à Hasselt. Il a appelé ces calculs-là de petits manèges. Messieurs, le produit du transport de voyageurs et de marchandises que donnera la ligne de St-Trond à Hasselt sur le railway de l’Etat, est tout aussi positif que celui qui sera réalisé sur la ligne même qu’il s’agit d’exécuter.
Pour bien apprécier s’il avait fait un contrat onéreux, l’Etat a dû se demander : Que me coûtera en dépenses d’exploitation et en intérêts des capitaux engagés, la nouvelle ligne qu’il s’agit d’exécuter et quels sont les produits que cette ligne me donnera ? Eh bien ! dans ces produits figurent ces revenus indirects qui ne sont pas de petits manèges, mais un produit réel en numéraire.
L’honorable M. Dumortier vous l’a dit tout à l’heure, et ce fait a produit sur l’assemblée l’effet qu’il devait produire : lorsqu’on parle de tous ces revenus, de tous ces bénéfices exagérés, on oublie que lorsqu’on divise le chemin de fer de l’Etat en sections séparées, on arrive aux résultats suivants pour l’année 1843. Pour la section de Bruxelles à Anvers, rattachant la capitale qui a un mouvement d’attraction énorme pour nos chemins de fer, à notre métropole commerciale, la balance des recettes et des dépenses d’exploitation a produit un bénéfice de 10 pour cent. Or, il n’y a aucune ligne dans le pays qui se trouve dans des conditions que l’on puisse comparer à celles où est placée la section de Bruxelles à Anvers.
En mettant de côté, messieurs, cette ligne exceptionnelle, toutes les autres lignes ne donnent qu’un bénéfice de moins de trois pour cent. La ligne de Liége à la frontière, l’une des plus importantes, a rapporté en 1843 5,66 pour cent ; celle de Bruxelles à Quiévrain 2,40 pour cent, et les autres lignes 2,30 pour cent, 2,22 pour cent, et jusqu’à 1,44 pour cent. Dès lors, messieurs, comment est-il possible de croire que la petite ligne de Saint-Trond à Hasselt puisse produire des bénéfices aussi énormes que ceux que l’on a indiqués ? L’allégation de l’honorable M. Simons me paraît tout à fait insoutenable.
Messieurs, le gouvernement vous a présenté un système par lequel il reste maître de l’exploitation, sans être livré à l’imprévu et aux mécomptes de la construction. Lorsque le gouvernement construit lui-même ; mais son but n’est pas la construction ; son but, c’est l’exploitation. Or, messieurs, par le système qui est présenté, le gouvernement obtient son but principal qui est l’exploitation, sans devoir subir les mécomptes auxquels nous sommes habitués. La construction, c’est le moyen, l’exploitation, c’est le but, et ce but, nous le conservons.
La question, messieurs, était de savoir si l’Etat était remboursé de ses frais d’exploitation sur les deux lignes de Tournay à Jurbise, et de Hasselt à Saint-trond combinées, avec les 50 p.c. sur les recettes, qui lui appartiennent comme à la compagnie. J’ai démontré hier que, sur la ligne du Limbourg, les frais d’exploitation étaient de 256,940 fr. ; que les recettes annuelles étaient de 278,127 fr. ; que l’Etat faisait donc un bénéfice de 15,000 fr., au lieu de la perte annuelle de 12,000 fr., que le tronçon de Landen à Saint-Trond lui causait.
Ainsi, messieurs, en résumé, et comme vous l’a dit l’honorable comte de Theux, le système de 1837 sera complété. Vous aurez rattaché le chef-lieu du Limbourg au centre de vos chemins de fer et cela sans charge pour le trésor public. Quant au sacrifice de 12,000 fr. qui incombe à l’Etat à cause de l’exploitation onéreuse du tronçon de Landen à St-Trond, l’Etat ne le fera plus. Vous aurez créé un affluent au chemin de fer, et les revenus indirects évalués par M. l’ingénieur Groetaers à 125,000 fr., resteront au profit du trésor public. Je ne comprends donc pas de motifs sérieux qui puissent engager la chambre à ne pas admettre la proposition qui lui est soumise.
M. Mast de Vries – Messieurs, avant de vous parler des chemins de fer, je répondrai à l’observation que vient de faire M. le ministre des travaux publics sur les calculs de M. Simons, quant aux produits de la ligne de Landen à Hasselt. M. le ministre vous a dit qu’il ne pouvait concevoir ces calculs. Ce n’est cependant pas difficile. Si le gouvernement accorde à la société concessionnaire le chemin de fer qui existe aujourd’hui jusqu’à St-Trond, il est évident que la société n’aura à faire que la partie de St-Trond à Hasselt, et qu’elle profitera des bénéfices qui se feront sur toute la ligne. La compagnie n’aura à construire que la section de St-Trond à Hasselt qui ne coûtera que 14 à 15 cent mille fr., et elle recevra un subside de 200,000 fr. ; les bénéfices s’élèveront donc à 10 p.c.
Je veux, messieurs, que le chemin de fer de Jurbise se fasse ; mais je ferai tout ce qui dépendra de moi pour qu’il soit construit par le gouvernement. Je crois que l’entreprise est extrêmement lucrative, que c’est la meilleure que l’on puisse faire on a parlé du chemin de fer d’Anvers à Bruxelles ; eh bien, je crois que la ligne de Jurbise, dans les conditions où elle se trouve aujourd’hui avec le chemin de fer de la Flandre occidentale que nous allons concéder, je crois que la ligne de Jurbise sera beaucoup meilleure encore que la ligne d’Anvers. Elle est tellement bonne qu’on nous demande de la mettre en adjudication publique. Quant à moi, je m’opposerai également à l’adjudication publique. C’est une voie qui doit être exécutée par le gouvernement.
J’ai entendu dire plusieurs fois, messieurs, et notamment par l’honorable comte de Theux, que le chemin de fer de Saint-Trond rapportait des intérêts ; aujourd’hui il ne rapporte plus rien. A son tour l’honorable M. Dumortier, lorsqu’il demandait le chemin de fer de Jurbise, a dit à différentes reprises que cette ligne rapporterait 8 ou 9 p.c. et que le gouvernement devait la faire. La chambre a reculé alors et elle a eu tort. Eh bien, messieurs, aujourd’hui que cette ligne se trouve dans de meilleures conditions que jamais, aujourd’hui on veut la céder ! Ne pouvant pas dissimuler entièrement les bénéfices qu’il s’agit d’abandonner, on dit : Voyez les charges qui vont peser sur la société ; il faut qu’elle amortisse son capital.
Eh bien, messieurs, c’est une lourde charge que d’amortir son capital en 90 années ! Mais 90 ans pour amortir un capital, c’est une éternité ; cela ne fait pas ¼ p.c. par année.
S’agit-il maintenant d’engager le gouvernement à exploiter la ligne, alors on dit : Mais l’exploitation ne coûte que 11 fr. par lieue ; on oublie que l’on prend ce chiffre de 11 fr. sur une section qui, à ce qu’on dit d’un autre côté, ne rapporte rien. Je soutiens, messieurs, que ce n’est pas sur 11 fr. mais que c’est sur un chiffre beaucoup plus élevé qu’il faut calculer. Ensuite, lorsque le gouvernement exploitera, s’il arrive un malheur, s’il y a des pensions à accorder, et il y en aura là comme partout ailleurs, c’est encore une charge qui pèsera sur l’Etat.
Messieurs, je m’oppose à la concession de ces chemins de fer je m’y oppose parce qu’il y a trois principes que je ne puis admettre. Le premier de ces principes, c’est le subside de 200,000 fr. qui s’agit d’accorder à la compagnie. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics s’il sera disposé à accorder également des subsides aux autres localités qui demanderont des chemins de fer ? Le gouvernement n’a jamais voulu entre dans cette voie, et je suis à même, messieurs, de vous en donner la preuve. La localité que j’ai l’honneur d’administrer, la ville de Lierre, devait être reliée au chemin de fer de Bruxelles à Anvers ; l’embranchement de Lierre était compris dans le projet de l’honorable M. Rogier ; les fonds nécessaires pour le construire ont été votés…
M. Rogier – C’est très exact
M. Mast de Vries – Eh bien, messieurs, cet embranchement n’a pas été fait. Voyant que le gouvernement tardait à mettre la main à l’œuvre, la ville de Lierre a réclamé et, comme ses réclamations n’obtenaient pas de résultat, elle a demandé à faire l’embranchement à ses frais. Je pourrais produire une lettre par laquelle le ministre des travaux publics d’alors disait que cette section était comprise dans le tracé du gouvernement et qu’elle devait être faite par le gouvernement ; qu’il ne faudrait pas, dès lors, en accorder la concession. Plus tard, nous avons renouvelé nos instances et jamais nous n’avons rien obtenu. Je dois vous dire, à la vérité, que nous sollicitions un subside de 20,000 fr. mais puisque l’on veut maintenant entrer dans la voie des subsides, je demanderai à M. le ministre des travaux publics si lorsqu’on aura accordé 200,000 fr. à la société dont il s’agit en ce moment, il aura encore des motifs pour refuser de légers subsides à d’autres localités. Puisqu’on veut faire des chemins de fer pour tout le monde, il doit y en avoir pour les petits comme pour les grands, et ce serait peut-être une fort bonne chose que de commencer à faire, pour les petites localités, des chemins de fer à tractions de chevaux. Jusqu’à ce moment nous nous trouvons dans la même position que les autres et si l’on accorde des subsides pour le chemin de fer de St-Trond à Hasselt, nous en demanderons également.
L’autre principe, messieurs, que je ne puis admettre, c’est l’abandon de la route. Mais ce qui me répugne surtout, c’est, comme l’honorable M. Simons l’a si bien dit hier, de voir le gouvernement se constituer le valet de la compagnie ; c’est nous qui devrons opérer les recettes pour la société et tous les mois nous devrons lui dire : Voilà votre agent. Le gouvernement sera l’agent comptable de la société concessionnaire. C’est, messieurs, ce que je ne puis admettre.
Messieurs, la spéculation de la compagnie concessionnaire était excellente, lorsque la concession a été demandée ; mais depuis lors cette spéculation s’est améliorée extraordinairement par suite de la demande en concession du chemin de la Flandre occidentale. Et remarquez, messieurs, que le bénéfice que ce nouveau chemin va procurer à la société, sera pris en entier sur nos voies navigables.
Vous avez un canal qui rapporte beaucoup aujourd’hui, vous en avez plusieurs dans la Flandre occidentale ; les revenus de ces canaux vont être enlevés par le chemin de fer qu’il s’agit de construire et c’est la compagnie dont nous nous occupons en ce moment qui en profitera. C’est la seule conclusion que je veux tirer de cette observation, car je ne m’oppose nullement au chemin de fer de la Flandre occidentale.
Ces motifs, messieurs, me détermineront à voter contre la concession des chemins de fer de Jurbise et de Hasselt et à appuyer toute proposition qui tendrait à faire construire ces chemins de fer par le gouvernement.
M. de Theux – Messieurs, on a cherché à me mettre en contradiction avec moi-même en ce que j’ai dit en d’autres occasions des revenus du chemin de fer du Limbourg ; mais vous vous rappellerez qu’alors j’ai combiné les produits indirects t les produits directs ; j’ai suivi alors la même marche que M. l’ingénieur Desart. Puisqu’on parle de contradiction, j’en signalerai une à votre attention. D’une part, on dit que le chemin de fer du (page 1477) Limbourg va procurer des bénéfices énormissimes à la compagnie concessionnaire ; d’un autre côté, on dit que l’entreprise serait onéreuse pour l’Etat. Mais si l’opération est avantageuse pour la compagnie, qu’on vote la construction aux frais de l’Etat. Nous sommes ici dans cette alternative : ceux qui combattent la convention comme trop avantageuse aux concessionnaires doivent voter les fonds nécessaires pour que le chemin de fer soit construit par le gouvernement. Nous verrons, messieurs, si ce sera là le résultat des objections que l’on présente, mais c’est là qu’on doit en venir si l’on veut être conséquent.
M. de Corswarem – (Ce discours n’a point été recueilli ; l’orateur a parlé sur des notes et l’on a pensé que le discours était écrit. L’honorable membre a répondu aux différentes arguments avancés par MM. de Man d’Attenrode, Simons et Mast de Vries).
M. Osy – Messieurs, je commencerai par déclarer que j’ai vu avec plaisir les compagnies étrangères s’adresser au pays pour obtenir la concession de chemins de fer. J’appuierai ces demandes chaque fois qu’il s’agira de projets qui ne seront pas désavantageux au grand réseau de l’Etat.
On nous propose, messieurs, de concéder une voie ferrée de St-Trond à Hasselt et d’abandonner aux concessionnaires la voie actuelle de Landen à St-Trond en leur donnant, en outre, un subside de 200,000 fr. J’ai écouté avec beaucoup d’attention les explications des honorables députés du Limbourg qui sont loin d’être d’accord entre eux ; j’ai également écouté les réponses qui ont été faites par le gouvernement. Je prendrai pour base de mes calculs les chiffres de l’honorable M. de Corswarem qui sont les plus favorables au projet en discussion.
L’honorable M. de Corswarem a dit hier que les recettes du chemin de fer actuel se montent à 103,000 fr. Je calcule que la nouvelle route, quoique plus longue, que les concessionnaires devront faire de St-Trond à Hasselt, donnera la même recette, de manière que la recette de toute la route, depuis Landen jusqu’à Hasselt, sera de 206,000 fr. D’après le cahier des charges, on donne aux concessionnaires la moitié, c’est-à-dire 50 p.c. ; il ont donc à recevoir la moitié de la recette brute, et cela sans courir la moindre chance.
Les ingénieurs du gouvernement disent que la nouvelle route coûtera 1,470,000 fr. Je conviens que cela n’est pas exact ; j’augmente le chiffre de 200,000 fr., et j’estime que la route coûtera aux concessionnaires 1,670,000 fr., mais comme ils reçoivent un subside de 200 mille francs, leur déboursé ne sera que de 1,470,000 fr. D’après les chiffres de M. de Corswarem, ils touchent une recette de 103 mille francs ; ces messieurs toucheront donc un intérêt de 7 ½ p.c.
Aujourd’hui, le gouvernement dépense, pour frais d’exploitation, 50,800 francs ; je calcule que la route de St-Trond à Hasselt coûtera un peu plus, de manière que l’exploitation donnera lieu à une dépense de 120 mille francs ; le gouvernement, ne conservant de la recette que 103 mille francs, perdra 17 mille francs au lieu de 12 mille francs, somme qu’il perd aujourd’hui, de sorte que sa position sera plus mauvaise qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Je vois, messieurs, qu’il s’agit ici d’une opération usuraire, que nous levons de l’argent à un taux exorbitant. Je reconnais qu’on a promis un chemin de fer au Limbourg, je crois que cette promesse n’est pas remplie par la construction d’une lieue de chemin de fer sur le territoire de cette province, que ce chemin de fer doit être poussé jusqu’au chef-lieu ; mais je pense que la construction doit être faite pour le compte de l’Etat, et si le gouvernement nous faisait une proposition dans ce sens, mon vote lui serait acquis, mais jamais je ne donnerai mon assentiment à une opération où on lève de l’argent à 7 ½ p.c.
Je conviens que dans la situation où nous sommes, après avoir exporté tant de numéraire pour la dette hollandaise, nous devons cherché à avoir des concessionnaires étrangers pour les chemins de fer. Mais il ne faut pas non plus exagérer cette situation. Si je suis bien informé, les 10 millions qu’on devait consolider ont été faits à l’étranger ; on en a pris à la bourse de Paris, et même en Hollande. Ainsi, l’argent des étrangers entre dans le pays par nos emprunts.
Je donnerai mon assentiment à la construction de tous les chemins de fer qui ne doivent pas nuire au grand réseau du chemin de fer de l’Etat. Je ne parlerai pas du chemin de fer de Jurbise, mais lorsque nous serons arrivés là, on verra que les concessionnaires sur cette ligne font un bénéfice tel que, certainement, il n’est pas nécessaire de leur donner un si grand bénéfice sur la route du Limbourg. S’il y a division dans le vote, je voterai contre le chemin de fer du Limbourg ; et si le gouvernement nous propose de faire la route au compte de l’Etat, je donnerai mon assentiment à cette proposition.
M. Eloy de Burdinne – Je prierai M. le ministre des travaux publics de vouloir bien me donner une réponse un peu plus catégorique au sujet du chemin empierré de Hannut à Landen. Je demande comment il se fait que cette route ne se construit pas.
- La discussion sur le chemin de fer de St-Trond à Hasselt est fermée. La discussion s’ouvre sur le chemin de fer de Tournay à Jurbise.
M. Duvivier – Je prie M. le ministre des travaux publics de vouloir bien donner les explications qui lui ont été demandées sur un requête du conseil communal de Soignies, tendant à ce que le chemin de fer du Midi à Soignies, et non à Jurbise.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – J’ai examiné attentivement cette pétition, et le gouvernement croit devoir persister dans le tracé tel qu’il a été indiqué dans les études faites par les ingénieurs de l’Etat, et tel que la compagnie l’a accepté. La chambre pourra se convaincre, à la lecture du travail de M. l’ingénieur Desart, que la plupart des avantages que cet ingénieur attribue à la ligne de Tournay à Jurbise, sont calculés dans l’hypothèse de la jonction opérée à Jurbise et non à Soignies.
(page 1478) M. Rogier – Messieurs, si la chambre, si le gouvernement devaient céder à des sentiments de satisfaction et d’amour-propre, l’occasion serait belle de manifester ici de pareils sentiments. Il y a dix ans, la Belgique devint presque la risée de l’Europe, quand elle se proposa d’établir des chemins de fer ; ceux d’entre nous qui pensaient alors que la Belgique avait assez de force pour se mettre à la tête de cette belle entreprise étaient qualifiés d’utopistes ; aujourd’hui l’utopie a fait le tour de l’Europe. Tous les gouvernements, tous les pays du Continent sont devenus les imitateurs des utopistes belges. Il y a aujourd’hui un entraînement tel, une telle fureur pour cette utopie que ceux mêmes qui, dans le principe, s’en proclamaient les promoteurs, s’en trouvent en quelque sorte effrayés, et qu’ils viennent se poser comme une borne contre ce qu’un pareil élan pourrait avoir d’irréfléchi dans son principe, et de dangereux peut-être dans ses résultats.
Messieurs, la situation est nouvelle, et mérite toute l’attention de la chambre. Loin de presser les résolutions, je l’engage à réfléchir mûrement aux actes qu’elle va poser. Divers motifs la poussent vivement à précipiter son vote, je ne les rechercherai pas tous, je ne les indiquerai pas tous ; mais, je vous conjure, au nom du pays, ne vous laissez pas aller trop facilement à ces entraînements.
On s’écrie, pour stimuler les chambres, et on le fait, je veut le reconnaître, dans des intentions droites, on s’écrie : « Quelle magnifique perspective ! vous allez, en couvrant le pays de chemins de fer, donner du travail à de nombreux ouvriers ! »
Voilà le premier motif, il doit nous toucher tous ; c’est celui-là que j’aborde.
Oui, nous allons donner du travail à nos ouvriers ; mais en donnant du travail, il faut encore y procéder avec précaution, avec mesure ; il ne faut pas que l’ouvrier, pendant les 2, 3 ou 4 ans que dureront les travaux, reçoive tout à coup un salaire élevé, et puis qu’au bout des quatre années, il se retrouve sans salaire et sans travail. Ne serait-il pas préférable d’assurer (page 1479) à l’ouvrier, pendant 15 à 20 ans, un travail continu, avec un salaire modéré, que de le livrer à une fougue de travail qui viendrait à lui manquer brusquement au bout de quelques années ?
L’industrie qu’il s’agit surtout de protéger par le chemin de fer, l’industrie du fer n’est pas en ce moment dans un état de souffrance, loi de là : elle n’a jamais eu tant à faire qu’aujourd’hui ; elle est encombrée de demandes : je fais à cet égard un appel aux hommes pratiques, je leur demanderai si les établissements métallurgiques ne sont pas dans un état prospère, si plusieurs n’ont pas refusé des commandes, si la plupart n’en sont pas pourvus pour plusieurs années.
Aussi, sans dissimuler l’importance des propositions qui nous sont faites pour les établissements métallurgiques, je dirai que, pour ces établissements comme pour les ouvriers, j’aimerais mieux leur assurer un travail continu pendant vingt ans, que de les accabler de travail pendant quatre ans, pousser peut-être à de nouveaux excès déplorables, et renouveler des crises dont nous avons pendant plusieurs années ressenti les fâcheux effets.
L’empressement des localités à solliciter des chemins de fer est aussi pour beaucoup de membres un puissant motif de détermination. Il est vrai que les localités privées de chemins de fer réclament ardemment cette faveur ; on ne peut s’en passer. Ce chemin de fer si désastreux, si immoral aux yeux de quelques-uns, cette invention moderne qui excitait d’abord tant de répugnance, tout le monde en veut. Il y a un engouement général. Chaque député est sommé sous des peines très-sévères, sous peine de destitution, de provoquer, de voter des chemins de fer. Au milieu de toutes ces exigences d’intérêt local, qu’arrive-t-il ? Le gouvernement qui devrait être le gardien de la chose publique, de l’unité administrative et politique, qui devrait au besoin, mettre un frein à tous ces appétits locaux, vient les exciter à plaisir ; et par un système que je ne puis qualifier que de manège indigne de lui, il cherche à coaliser ces intérêts, à les rendre solidaires l’un de l’autre : Il dit à Hasselt : « Vous aurez un chemin de fer, si vous en accordez un à Tournay. » Il dit à Tournay : « Vous aurez un chemin de fer si vous en accordez un à Landen. »
Ainsi de suite.
De cette façon, on fait envisager à chaque député chaque chemin de fer, non d’après les vrais besoins du pays, non d’après son utilité réelle, mais comme un acte de complaisance envers telle localité, qui reconnaîtra à son tour ce service par une complaisance réciproque.
Si tous les chemins de fer sont bons en eux-mêmes, si leur utilité est réelle pour le pays, s’il n’y a pas au fond de cela quelque chose de plus bas encore que l’intérêt local, le gouvernement devait se présenter hardiment avec un système complet, le proposer, le faire triompher au nom de l’intérêt public ; cela eût été plus digne, je le répète, qu’un appel à la coalition des intérêts locaux.
Les capitaux anglais sont pressés ; ils vont tout d’un coup nous manquer si nous n’acceptons pas aveuglément les projets ; c’est un autre motif mis en avant pour obtenir un vote d’urgence. Les capitalistes anglais sont pressés de nous enrichir ; il ne faudrait pas les rebuter je n’ai certes pas une telle pensée. Mais je demanderai d’abord si c’est de bonne foi qu’on se figure que les capitaux anglais vont venir généreusement se verser dans le pays, dans le seul but de faire les affaires de la Belgique. Les capitaux anglais ne viennent dans le pays que pour y fructifier ; ils n’y viennent qu’à la condition ou avec l’espoir d’y produire des revenus.
Ces revenus, produits par les capitaux, sortiront chaque année de la Belgique. Si les capitaux employés à la construction du chemin de fer de Tournay à Jurbise rapportent, par exemple, 12 p.c., ne sera-ce pas là une superbe spéculation ? La Belgique versera chaque année dans les caisses des spéculateurs anglais 12 p.c. ; chaque année, il sortira de la Belgique trois fois l’intérêt du capital engagé.
En fixant à 12 p.c. le revenu du chemin de fer de Jurbise, je suis plus modéré, je pense, que l’honorable M. Dumortier, qui a si souvent démontré l’excellence de cette section, et je ne crois pas aller au-delà de M. le ministre des travaux publics, qui a fort bien démontré hier que ce chemin de fer serait une fort belle opération.
M. Dumortier – Pourquoi n’avez-vous pas consenti à cette belle opération ?
M. Rogier – Je vous prie de me dire quand j’y ai été opposé. J’y ai toujours donné, en principe, mon appui et mon adhésion.
Je ne repousse pas les capitaux étrangers. Loin de moi une pareille étroitesse de vues je suis enchanté que ces capitaux étrangers nous arrivent. Je demande seulement que nous ne les acceptions pas sans examen ni contrôle. Je ne voudrais pas qu’avec la stupide idée (permettez-moi l’expression) de tromper les Anglais, d’entraîner ces bons Anglais dans un piège, la Belgique devînt, au contraire, la victime des spéculateurs anglais. J’entends quelquefois dire dans cette enceinte : La bonne affaire ! Les Anglais vont nous apporter leurs capitaux : ils ne pourront pas continuer l’entreprise. Mais ce sera autant de gagné. (On rit.)
Oui, on fait ce raisonnement de la meilleure foi du monde ; on se figure que les Anglais n’y voient pas clair, qu’ils vont nous faire cadeau de leurs capitaux, sans s’inquiéter du résultat. Mais une fois en possession d’une concession séculaire, les capitalistes ne sortiront pas du pays aussi facilement qu’il y seront entrés. Eux ou leurs représentants savent la valeur de ce qu’ils tiennent. Ils connaissent l’histoire des concessions ; ils n’ignorent pas, et on leur apprendra, au besoin, l’histoire des concessions en Belgique ; comment des concessionnaires ont trouvé moyen de faire la loi au pays ; comment d’autres, après avoir assailli le gouvernement de réclamations de tout genre, l’ont traîné de tribunaux en tribunaux ; comment une de nos plus belles rivières, l’Ourthe, s’est trouvée enchaînée sous leurs lois.
Pour être juste, il faudrait diviser les capitalistes anglais en deux catégories. On a cité, l’autre jour, qui voient dans les chemins de fer une affaire sérieuse, et qui veulent en poursuivre sérieusement l’exploitation. Pour ceux-là, toute l’estime leur est acquise. Si, en effet, il y a en Angleterre des capitalistes sérieux qui veulent loyalement employer leurs capitaux à nous doter de quelques chemins de fer, d’une bonne exploitation, avec un tarif modéré, le tout sous le contrôle sévère du gouvernement, j’accepte cette intervention ; je leur en sait bon gré, et je les verrais même avec plaisir l’objet de récompenses honorifiques.
Mais il y a une autre catégories de capitalistes anglais la chambre ne le perdra pas de vue, cette catégorie est celle des agioteurs celle-là, soyez persuadés qu’elle ne dort pas à cette heure ; elle est très-active en Angleterre, et, si je suis bien informé, très-active en Belgique. Quelles sont les opérations de cette espèce de capitalistes ? Mon Dieu ! c’est bien simple : on annonce qu’un chemin de fer va être mis en adjudication, que le gouvernement y a donné son adhésion, que les sections l’ont accepté. En Angleterre, on croit que, quand le gouvernement a donné son adhésion à un contrat, c’est comme si les chambres l’avaient adopté, parce qu’en Angleterre on est habitué à voir les chambres et le gouvernement marcher d’accord. Tout de suite on émet des titres ; on fait un versement de 2 £ ; ces 2 £ montent à 6 et même à 8 £, 4 ou 6 £ gagnées sur un versement de 2 £, n’est-ce pas une opération magnifique ? Celui qui a fait le premier versement ne s’en inquiète plus ; son opération, à lui, est terminée ; que lui importent les suites ?
L’honorable M. Coghen me dit qu’il reste responsable ; mais il conserve sans doute son recours contre le cessionnaire de l’action ? (Dénégations de membres) Du reste, je suis peu familiarisé avec ce genre d’opérations. Mais voici ce qui est parfaitement clair : c’est qu’un versement est fait pour l’exécution de chemins de fer qui , loin d’exister, sont encore en discussion, qui courent le risque d’être rejetés, et que les actions de ces chemins de fer sont cotées à la bourse de Londres avec un agio considérable. Ce genre d’agiotage n’est pas inconnu en Angleterre. Cet engouement des capitaux pour les travaux publics n’y est pas nouveau. En 1825, voici ce que publiait une revue très-estimée, le Quarterly-Review. Il s’agissait alors de canalisations :
« La manie de la canalisation était devenue telle, qu’en peu d’années le pays fut sillonné, dans tous les sens, par des canaux, et qu’on en ouvrit jusque dans des districts où il n’y avait rien ou presque rien à transporter… Peu importe sur quelle base certains projets reposent : il n’est pas même nécessaire qu’ils en aient aucune : la seule chose dont aient besoin ceux qui les ont conçus, c’est d’avoir un agent rusé, qui se charge de leur procurer un chairman d’un rang et d’une condition honorable, si cela est possible ; une douzaine de directeurs dont les noms aient quelque notoriété ; un banquier, ce qui est très-facile, et un civil engineer, qui, comme les médecins et certains avocats, soit disposé à se charger de tous les cas désespérés, parce que, comme eux, il est toujours sûr d’en retirer quelque avantage particulier. Lorsque les rôles sont distribués, on lève le rideau, et l’on admet la foule qui se précipite dans la nouvelle entreprise pour y faire jouer son argent. Les promoteurs de l’entreprise cèdent successivement leurs actions, dont il sont toujours les plus forts détenteurs, les négocient avec bénéfice à la bourse, quelque absurde que soit d’ailleurs l’entreprise, se hâtent de s’en défaire, et remplissent ainsi leur objet. »
Voilà l’agiotage pris sur le fait ; voilà comme on opérait en 1825. les choses se passent-elles autrement, en 1845 ? Je voudrais en douter. Nous avons vu le moment d’engouement. Voilà la suite : « Bientôt l’affaire commence à languir : le prix des actions fléchit et les derniers acquéreurs se tirent d’embarras comme ils peuvent en vendant à perte. »
Voilà ce qui est arrivé en Angleterre. De pareils résultats peuvent être très-réjouissants pour certaines personnes qui ne les verraient pas même avec déplaisir se produire en Belgique. Pour moi, c’est peut-être simplicité grande de ma part, mais je ne saurais voir avec satisfaction, fût-ce des rentiers anglais, devenir victimes d’un jeu que j’appellerai peu honnête.
S’il ne devait pas en résulter des inconvénients pour le pays même, alors je pourrais fermer les yeux sur ce qui se passe au-delà du détroit. En définitive je n’ai pas à m’occuper de la manière dont les capitalistes ou rentiers anglais veulent placer leur argent. Mais si les intérêts de mon pays peuvent avoir à en souffrir, et que la responsabilité morale du gouvernement s’y trouve engagée, j’ai bien le droit d’élever la voix pour signaler les dangers.
Il y a peu de jours, on ne savait, dans cette chambre, ce que c’était que l’agiotage. Pour l’expliquer il aurait fallu, paraît-il, recourir au dictionnaire de l’Académie. M. le ministre des travaux publics ne le comprenait pas bien lui-même.
J’ai trouvé depuis lors des explications très-claires à ce sujet. Elles appartiennent à l’un des nombreux rapports de M. le ministre. Dans ce rapport, M. le ministre soutenait que, hors de la garantie des capitaux par l’Etat, il n’y avait pas de salut pour les concessions. Ce système de garantie, auquel il semblait beaucoup tenir, ce système qui aurait eu pour résultat, disait-on, d’empêcher l’agiotage, M. le ministre l’a abandonné à la première apparence d’une opposition dans cette enceinte. Mais voyons ce qui est dit de l’agiotage.
« Avant la crise des sociétés industrielles, dit l’honorable M. Dechamps dans son rapport du 10 septembre 1844, l’actionnaire s’en remettait aux devis et aux prospectus des fondateurs, et prêtait à leurs seuls noms. Trop de déceptions ont tenu lieu de ces promesses brillantes… L’agiotage n’est qu’une folle appréciation d’un inconnu… C’est à ce moment seulement où la valeur réelle de l’entreprise est connue de tous, parce qu’elle est achevée (page 1480) et qu’elle est en exploitation, que la garantie commence son cours, et que les actions peuvent faire leur apparition officielle à la bourse, pour se fixer dans les caisses du rentier, sans passer par les mains des agioteurs, auxquels elles ne pourront servir de pâture. »
Eh bien, M. le ministre, qu’est devenu ce grand soin que vous preniez pour prémunir le pays contre les agioteurs ? Le voilà aujourd’hui abandonné, sous vos yeux, à l’agiotage le plus effréné. Il y a autre chose encore que des intérêts matériels engagés dans la question. Si les entreprises pour lesquelles des capitaux se présentent, ne réussissent pas, le gouvernement belge comme le parlement belge y auront donné les mains, pourront-ils échapper à la responsabilité morale du désastre ?
Il ne faut pas repousser les capitaux anglais. Je suis de cette opinion ; le gouvernement ne pouvait tout faire ; j’admets pour certaines lignes ce mode de concession, à la condition que l’entreprise soit sérieuse, qu’elle réponde à des besoins réels, qu’elle se concilie avec l’intérêt public. Partisan de l’intervention du gouvernement dans les grands intérêts du pays, je dis qu’il doit aussi laisser aux intérêts privés toute liberté compatible avec l’ordre, et favoriser l’essor collectif ou privé des individus loin de moi l’idée de vouloir absorber toutes les forces vitales d’une nation dans les mains du gouvernement.
Mais quelle est la situation du gouvernement en Belgique, vis-à-vis des chemins de fer ? La construction des lignes principales, leur exploitation par l’Etat est entrée dans la politique du gouvernement ; ce n’est plus un question administrative ; c’est une question politique. C’est à ce point de vue qu’elle est envisagée en Angleterre. Faut-il abandonner cette politique ? Faut-il y faire au moins une large brèche ? Voilà la question qui nous agite. Abandonner à des concessionnaires le chemin de fer de Jurbise à Tournay, c’est renoncer au système.
Le système nouveau qu’on propose, le voici : la société particulière construit ; l’Etat exploite. On concevrait le principe contraire qui existe en d’autres pays : l’Etat construit, l’intérêt particulier exploite. C’est le renverse de ce principe qu’on nous demande. L’Etat exploite ; mais à quelles conditions ? A la condition de faire rouler les locomotives nationales, avec les employés de l’Etat, pour compte de propriétaires étrangers, et à la condition de ne pas recueillir de bénéfices sur ces routes !
Avec de pareilles opérations, je le conçois, on aura bientôt dégoûté la Belgique et les pays voisins qui voudraient l’imiter, du système de l’intervention de l’Etat dans les travaux publics.
Et sur quelle route propose-t-on un pareil système ? Sur une route qu’on nous a maintes fois présentée comme une véritable mine d’or pour le pays, la route de Tournay à Jurbise.
Je relisais hier la brochure qu’a publiée dans le temps l’honorable M. Dumortier en faveur de cette ligne et j’admirais les brillants résultats qui lui sont assurés. L’honorable M. Dumortier voudrait-il maintenant amoindrir l’importance de cette ligne ? Craindrait-il que s’il demeure prouvé que cette ligne serait une des meilleures du royaume, la chambre, au lieu de l’abandonner à l’intérêt privé, ne le fasse entrer dans le réseau général ?
M. Dumortier – Vous me prêtez des opinions que je n’ai pas énoncées.
M. Rogier – L’honorable membre me répondra. Je n’invoque d’ailleurs son opinion que subsidiairement. Suivant le rapport de l’ingénieur, rapport très-remarquable et bien étudié, la route de Tournay à Jurbise apportera au minimum 11 ½ p.c.
M. Dumortier et M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - 4 p.c.
M. Dubus (aîné) – 18 p.c.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – 17 p.c. de produit indirect et 4 p.c. de produit direct.
M. le président – On pourra répondre à l’orateur ; mais on ne doit pas l’interrompre.
M. Rogier – On peut différer quant au maximum des produits, mais les conclusions du mémoire portent (page 25) 11 ½ p.c. au minimum.
Eh bien, messieurs, si le chemin de fer de Jurbise doit produire un tel intérêt, ce sera une de plus belles lignes de tout le réseau. Au mémoire du même ingénieur (page 243), je trouve le tableau des revenus de chaque ligne par rapport au capital d’établissement. De Bruxelles à Malines, il est de 7 93 p.c. ; puis viennent tout à coup des lignes qui ne rapportent que 2 ½ p.c.
C’est au moyen du revenu considérable de la ligne d’Anvers à Bruxelles que l’on couvre une partie des déficits des autres lignes.
A ce point de vue n’a-t-il pas été d’une sage politique de ne pas céder à des entreprises particulières la ligne de Bruxelles à Anvers. La concession de cette route avait été demandé ; en 1833, le gouvernement s’y est très-énergiquement opposé. En retenant dans le domaine public cette route productive, il a pu venir au secours de celles qui le sont moins. Dans les mains des concessionnaires, le bénéfice de cette route n’aurait profité qu’à eux seuls. Il y a entre les lignes de chemins de fer de l’Etat une véritable solidarité : si l’un rapporte peu et l’autre beaucoup, il s’établit entre elles une sorte de compensation.
C’est pour venir en aide aux lignes pauvres qu’il faut ménager les lignes productives. Sous ce rapport, nul doute que la ligne de Tournay à Jurbise ne soit très avantageuse pour le pays. Il existe aussi une autre solidarité entre le railway de l’Etat et les routes et barrières. Si le chemin de fer reste à l’Etat, ce qu’il perd sur les route en pierres parallèles, il le retrouve sur le railway. Mais si le railway est dans les mains des particuliers et qu’il supprime le produit des barrières de l’Etat, il en résulte une perte nette pour le trésor. Les voyageurs de Tournay et d’une partie de la Flandre se rendant à Bruxelles viendront par Jurbise ; si le gouvernement conserve la route, ce qu’il ne trouvera plus sur la ligne des Flandres, il le retrouvera sur la ligne de Jurbise ; si la route est concédée à des particuliers, ces particuliers en profiteront au préjudice de l’Etat.
Le railway de Jurbise deviendra une des principales sections d’une nouvelle grande route nationale au midi de la Belgique. Par sa continuation vers Namur et Liége, vous avez au midi de la Belgique l’équivalent de la ligne du Nord, et vous faites à cette dernière une grande concurrence pour le transit vers l’Allemagne. Je sais fort bien que M. le ministre des travaux publics dans un de ses rapports, cherche à démontrer que le transit des voyageurs de la France vers l’Allemagne es insignifiant. Mais il ne s’agit pas de savoir ce qu’il est aujourd’hui. Les gouvernements ne vivent pas un jour ; ils doivent compter sur l’avenir. Il faut prévoir ce que peut devenir ce transit, quand tous les chemins de fer seront achevés en Allemagne, et que le goût ou le besoin des voyages se seront de plus en plus répandus. Ce chemin, on ne peut le nier, sera l’une des grandes routes de l’Allemagne vers la France, de Berlin à Paris. Si on dit que cela est insignifiant, c’est qu’on cherche à atténuer les ressources de cette communication pour pouvoir la concéder. Je suis persuadé que si on avait demandé l’exécution de la route par l’Etat, on n’aurait pas été à court d’arguments pour établir l’importance du transit de l’Allemagne par la Belgique vers la France ; aujourd’hui on fait le contraire, on le réduit à zéro.
Il ne s’agit pas seulement ici du préjudice porté au trésor. Mais ces localités qui désirent avec tant d’ardeur l’exécution du chemin de fer par concession, savent-elles bien ce quelles font ? Là où le gouvernement est maître du chemin de fer, il écoute et concilie les besoins divers ; il administre paternellement ; il équilibre les intérêts ; il règle, par des tarifs modérés, les transports qui jouent un si grand rôle dans les intérêts commerciaux, agricoles et industriels. Supposer les tarifs immobilisés dans les mains d’entrepreneurs particuliers, tous ces avantages cessent, et plusieurs générations peuvent avoir à souffrir des suites d’un pareil abandon. Comprenons bien le système qui a prévalu jusqu’aujourd’hui. Le gouvernement est libre de modifier, d’abaisser les tarifs avec l’approbation des chambres, conformément aux besoins de tous. Les sociétés, au contraire, maîtresses des tarifs, ne les modifient que dans leur intérêt propre ; si elles consentent à les abaisser, elles font payer chèrement leurs sacrifices. Qu’eussiez-vous fait si nos canaux étaient demeurés dans les mains des concessionnaires ? Depuis 1830, nous avons constamment abaissé les péages pour favoriser plusieurs de nos grandes industries. Si les canaux étaient restés dans les mains des concessionnaires, ces réductions eussent été impossibles ou le pays aurait dû les acheter fort cher. Le gouvernement peut baisser les péages sur les canaux et le railway en favorisant, en équilibrant tous les intérêts, de manière que le Hainaut ne fasse pas une guerre trop forte à Liége, de manière que Liége ne fasse pas une trop rude concurrence. Il n’obéit pas à un intérêt aveugle comme le feraient des concessionnaires. Je demande pardon à la chambre de la tenir si longtemps, mais la question est très-importante.
Je viens de parler des transports des grands produits de l’industrie. Mais qu’adviendra-t-il, pour les localités traversés par des routes concédées, du transport des petits produits, des articles dits de diligence ? je prie M. le ministre de vouloir répondre à ceci. Aujourd’hui il existe sur le railway de l’Etat, pour les marchandises de diligence, une taxe uniforme. Au-dessous de 5 kilogrammes, le port est de 60 centimes, quel que soit le parcours d’Ostende à Liége, comme de Bruxelles à St-Trond ; si le chemin de fer construit par l’Etat s’étendait de Tournay à Jurbise, de St-Trond à Hasselt, ce serait toujours 60 centimes, le prix ne changeant pas ; mais si vous venez placer des routes particulières entre les chemins de l’Etat, chaque fois que le colis transporté rencontrera une de ces routes, il subira une taxe nouvelle. Suivons, dans l’hypothèse des concessions accordées, un colis de Hasselt à Huy. Il payera à la société Mackenzie, sur la route de Hasselt, 60 centimes ; arrivé à Landen il payerai à l’Etat 60 centimes jusqu’à Liége, et de Liège à Huy il rencontre le chemin de je ne sais plus quelle société qui lui demandera encore 60 centimes. Voilà trois fois 60 centimes parce qu’il rencontre trois intérêts différents. On objecte que le colis prendra une autre voie. Mais le pourra-t-il, quand les autres moyens de transport seront supprimés, comme il est arrivé en Angleterre ? Les sociétés anglaises, pour détruire les messageries qui leur font concurrence, baissent les tarifs pendant un certain temps, le service concurrent croule, aussitôt le tarif du chemin de fer se relève. Une pareille lutte à force inégale ne pouvant se renouveler et se soutenir longtemps, les chemins de fer deviennent dominateurs ; voyageurs et marchandises passet inévitablement par les mains des sociétés.
Je demande si M. le ministre a pris des mesures pour maintenir une taxe conforme sur toutes les lignes, quel que soit le parcours.
Je lui demanderai aussi quelles sont les précautions prises pour empêcher les services en concurrence de tomber sous les manœuvres des sociétés concessionnaires. Je demanderai enfin ce qu’il a fait pour protéger la navigation sur la Meuse de Namur à Liége contre l’exploitation rivale du railway.
Le gouvernement, répétons-le, administre paternellement. Il y regardera à deux fois avant de ravir brusquement à un grand nombre de familles leurs moyens d’existence : un gouvernement ne viendra pas renverser du jour au lendemain violemment, sans compensation, le batelage d’une de nos grandes rivières. Si vous concédez le chemin de fer de Liége à Namur, qu’arrivera-t-il ? C’est que les sociétés n’auront nul souci de votre batelage, qu’elles ne demanderont pas mieux que de le supprimer, parce qu’elles n’ont qu’un (page 1481) but, un seul, c’est de gagner de l’argent, c’est de faire fructifier leurs opérations.
Voilà pourquoi, messieurs, en me résumant je déclare que je ne pourra consentir au système qui nous est proposé pour le chemin de fer de Jurbise à Tournay, parce que je le regarde comme très-onéreux pour l’Etat, parce que je considère ce railway, avec son prolongement sur Namur et Liége, comme une grande route nationale, qui doit, suivant moi, rester dans les mains du pays.
Quant aux autres lignes, je les examinerai à mesure qu’elles se présenteront. Car je ne suis pas absolu dans mes opinions. Si l’on me démontre que telle ou telle ligne concédée peut se concilier avec l’intérêt général, qu’elle n’engendrera pas de graves inconvénients pour le railway national, je lui donnerai mon adhésion. Car, je le répète, je ne suis pas un adversaire absolu des concessions. Je crois même qu’elles peuvent être utiles jusqu’à un certain point au gouvernement, que les chemins de fer des particuliers peuvent servir en quelque sorte de contrôleur, de moniteur pour le chemin de fer de l’Etat, notamment dans les mesures économiques.
(page 1477) M. Dubus (aîné) –Messieurs, lorsqu’un grand nombre de demandes de concessions ont été adressées au gouvernement qui a saisi la chambre de divers projets de loi tendant à les accorder, l’opinion qui s’était principalement fait jour a premier abord, c’était qu’il fallait se réjouir de ce grand nombre de travaux publics qui allaient être exécutés sur tous les points de la Belgique, qui allaient occuper tous nos ouvriers, de ces capitaux considérables qui allaient être versés dans la circulation et causer une véritable prospérité dans toutes les parties du pays.
Il paraît, messieurs, qu’il faut revenir de cette opinion. Ces travaux, ce n’est pas un avantage, c’est un danger. Ces capitaux du dehors qui viennent se répandre dans la Belgique, c’est n’est pas non plus un avantage, c’est encore un danger, et un danger bien plus grand. Il y a même une sorte de stupidité à se réjouir de l’arrivée de tous ces capitaux étrangers.
M. Rogier – Je n’ai pas dit cela ; je prie l’honorable M. Dubus de ne pas dénaturer mes paroles ; j’ai dit qu’il ne fallait pas se réjouir du piège que l’on tendait ou que l’on croyait tendre aux capitalistes.
M. Dubus (aîné) – Vous appelez cela un piège. Je ne vois pas en quoi consiste le piège. Si c’et là un piège, il est tout à fait à découvert ; y sera pris celui qui voudra s’y faire prendre.
Je suis étonné, messieurs, de ce langage. Car à une autre époque on ne craignait pas de faire exécuter beaucoup de travaux dans la Belgique. Soutenions-nous que nous avons exécuté pour 150 millions de travaux de chemins de fer seulement, sans comprendre les autres travaux qui ont été entrepris dans le pays. Est-ce que l’on s’est trouvé mal, au point de vue signalé par l’honorable membre, de l’exécution de tous ces travaux publics ? Est-ce que c’est de là qu’est résultée une crise pour la classe ouvrière ? Est-ce que ç’a été un mal que tout cet argent répandu dans la circulation ? En aucune façon, messieurs. Ce a quoi on a trouvé à redire, c’est qu’il ait fallu emprunter ces 150 millions, tandis que les capitaux nécessaires aux travaux dont il s’agit aujourd’hui, vous n’avez pas à les emprunter, ce sont des sociétés particulières qui les fournissent et font exécuter ces travaux.
Mais l’autre danger, c’est l’agiotage.
Cet agiotage, en quoi est-il à craindre, pour qui est-il à craindre ? C’est ce qu’il faudrait rechercher. Car il me paraît qu’on a suffisamment sauvegardé les intérêts belges au moyen des stipulations qui sont insérées dans les lois que nous avons à voter. Non-seulement les concessionnaires sont obligés de déposer un cautionnement considérable, qui établit d’avance que c’est une entreprise sérieuse qu’ils font ; mais encore les titres ou les actions de ces sociétés ne peuvent être cotées à la bourse d’Anvers ou à la bourse de Bruxelles, qu’après entier achèvement des chemins de fer. Je vous demande, messieurs, comment l’agiotage serait possible en présence de pareilles conditions ?
Mais, dit-on, cet agiotage s’exerce à la bourse de Londres. Messieurs, à coup sûr, nous n’avons pas la police de la bourse de Londres, nous n’avons pas à nous inquiéter de ce qui s’y fait, et si de fausses spéculations ont lieu à cette bourse, ce ne sont pas les Belges, vraisemblablement, qui en seront victimes.
C’est donc là, messieurs, un danger tout à fait imaginaire.
Arrivant au projet lui-même, l’honorable membre ne peut consentir, à aucune condition, à une concession qui livrerait à une société particulière un chemin de fer qui est la mine d’or de la Belgique. Un autre honorable membre l’a appelé le chemin de fer le plus productif qui soit en Belgique.
L’honorable préopinant s’est appuyé du rapport très-bien fait, je le reconnais, très-étudié de M. l’ingénieur Desart, selon lequel ce chemin de fer rapporterait 11 p.c.
Messieurs, j’avais interrompu pour dire que c’était 17 à 18 p.c., et en effet voici les conclusions du rapport :
« Nous avons prouvé par des évaluations faites de la manière la plus consciencieuse possible, évaluations dont l’exactitude n’est contestable qu’en ce sens que nous aurions outré le chiffre réel des dépenses et réduit, en dessous de la cote qui leur est assignable, les recettes présumées ; nous avons prouvé, dis-je, que le minimum des produits nets qu’on est en position d’attendre du capital à appliquer à l’établissement de cette voie de jonction, dépassera 17 p.c. »
C’est donc mieux que les 11 p.c. dont parlait tout à l’heure l’honorable membre.
Eh bien, oui, messieurs, j’admets ces 18 p.c. mais si la concession est faite de manière que de ces 18 p.c. l’Etat en conserve les deux tiers au moins et n’abandonne le surplus aux concessionnaires, serait-il vrai de dire que c’est une convention onéreuse que l’on fait ? L’Etat, qui ne ferait aucun sacrifice que celui du matériel évalué à 626,000 fr. obtiendrait plus des deux tiers des produits, et la société concessionnaire, qui viendrait dépenser 8 millions, n’obtiendrait que l’autre tiers. Voilà quels seraient les résultats de la concession.
Ce chemin de fer rapportera 18 p.c. selon M. l’ingénieur Desart ; mais c’est en cumulant les produits directs et les produits indirects. Or l’Etat conserve à lui tous les produits indirects et il partage avec les concessionnaires dans les produits directs ; et ainsi s’évanouit tout ce qu’on vous a dit pour prétendre que ce serait la convention la plus onéreuse qu’il fût possible de faire quant à l’intérêt du trésor.
Aux pages 80 et suivantes de son rapport, M. l’ingénieur Desart fait la balance des recettes et des dépenses pour l’ensemble des transports nouveaux (page 1478). Il établit trois hypothèses : celle de l’exécution du canal de Jemappes à Alost ; c’est celle qui serait la plus défavorable aux produits du chemin de fer. Dans cette hypothèse les produits directs et indirects donneraient, suivant lui, un bénéfice net de 17-21 p.c. L’autre hypothèse est celle où l’on n’exécuterait ni le canal de Jemappes ni la canalisation de la Dendre. Dans ce cas le bénéfice net serait de 18-85 p.c La troisième hypothèse est celle de la non-exécution du canal de Jemappes mais bien de la canalisation avec écluses à sas, de la Dendre, depuis Ath jusqu’Alost. Dans cette troisième hypothèse, le bénéfice serait de 18-79 p.c.
Mais ensuite le même ingénieur établit le bénéfice net résultant des produits directs de la route, les seuls dans lesquels les concessionnaires viennent prendre part. Ce bénéfice ne s’élève plus alors qu’à 4 24 p.c. dans la première hypothèse, qu’à 4 90 p.c. dans la seconde et qu’à 6-13 p.c. dans la troisième. Ce sont donc, dans chacune des hypothèses, des bénéfices tellement restreints, qu’il est évident que la société concessionnaire ferait une mauvaise affaire, si elle n’en réalise pas de plus considérables.
Messieurs, il y a des rectifications à faire dans les calculs de M. l’ingénieur Desart. Les frais d’exploitation sont établis à un taux plus élevé que la moitié de la recette. Or, il revient aux concessionnaires 80 p.c. de la recette. D’un autre côté, le coût de l’établissement de la route, qui est estimé, par M. l’ingénieur Desart, à 5,680,000 francs, non compris le matériel d’exploitation, soit subir une double augmentation, la première par suite du renchérissement du fer, qui a été calculé à 40 p.c. de moins que le prix actuel ; la seconde, par suite de l’obligation que le projet de la section centrale impose aux concessionnaires, d’établir la double voie. Du chef de l’augmentation du prix du fer, il faut ajouter à l’estimation 40 p.c. sur 800,000 francs, c’est-à-dire 320,00 francs. Quant à la construction de la double voie, d’après les renseignements que m’a fournis M. le ministre des travaux publics et qui se trouvent en harmonie avec les pièces communiquées à la chambre, de ce chef, il y aura une augmentation de dépense d’environ 2 millions. Le capital de construction s’élèverait donc à 8 millions.
D’un autre côté, je ne sais si nous pouvons adopter une autre hypothèse que celle qui est présentée par M. l’ingénieur Desart comme la moins favorable aux produits du chemin de fer de Jurbise ; je veux parler de celle où l’on viendrait à construire le canal de Jemappes à Alost car il m’est revenu, messieurs, que ce anal qui n’avait, à ce qu’il paraît, aucune chance d’être exécuté, qui est concédé depuis longtemps sans que l’on ait pu trouver des capitalistes pour fournir les capitaux nécessaires ; il m’es revenu que par une stipulation secrète, l’exécution de ce canal aurait été imposée à la société concessionnaire du chemin de fer de la Dendre, de sorte que le bénéfice à faire par cette société leur serait abandonné comme subside nécessaire à la construction du canal dont il s’agit. Si donc la chambre adopte le projet de loi, dont elle est saisie à cet égard, il faudra considérer comme réalisée l’hypothèse que je viens d’indiquer, et qui, je le répète, est la moins favorable aux produits du chemin de fer de Jurbise.
Eh bien, messieurs, dans cette hypothèse, les produits directs de la route s’élèveraient à 644,000 fr., mais attendu que la construction de la deuxième voie est obligatoire, il n’y aurait à déduire de cette sommes, pour frais d’exploitation et d’entretien, que 40 p.c. Il resterait donc aux concessionnaires 386,400 fr., ce qui, sur un capital de 8 millions, représente 4 83/100 p.c.
Ainsi, messieurs, si les produits doivent réellement se borner à la somme que je viens d’indiquer, et si la dépense de construction atteint le chiffre de huit millions, l’entreprise sera loin d’être avantageuse pour les concessionnaires. Elle leur serait au contraire onéreuse, puisqu’ils n’auraient pas 5 p.c. de leurs capitaux.
Mais je crois, et j’espère que les bénéfices de la compagnie seront plus considérables ; je crois et j’espère que l’intérêt privé étant plus vigilant, plus soigneux, plus sévère que les fonctionnaires de l’Etat, la construction se fera avec plus d’économies. Mais il faut convenir, messieurs, que s’il en est ainsi, les bénéfices faits par la société seront le résultat de son travail, de son industrie, et que ce seront des bénéfices que le gouvernement ne pourrait pas réaliser.
Un honorable membre a fait valoir un changement dans les circonstances, qui, suivant lui, doit augmenter considérablement les produits du chemin de fer de Jurbise ; on vient de proposer un chemin de fer d’Ypres sur Courtrai, qui serait un affluent très-avantageux pour le chemin de fer de l’Etat et par suite pour le chemin de fer de Jurbise. J’admets, messieurs, qu’il résulte de là une augmentation de produits, mais ce ne sera pas seulement pour le chemin de fer de Jurbise, ce sera d’abord pour le chemin de fer de Tournay, c’est-à-dire pour une ligne de l’Etat, et au-delà du chemin de fer de Jurbise, ce sera une autre ligne de l’Etat qui profitera de l’augmentation de produits à résulter de cet affluent. Cet avantage, les concessionnaires le partageront donc avec l’Etat, et l’Etat y participera pour les deux tiers. Du reste, si l’on exécute le canal de Bossuyt à Courtray, les avantages de l’affluent dont je viens de parler pour le chemin de fer seront beaucoup moindre qu’on ne l’a supposé.
L’honorable membre qui avait fait cette observation a trouvé que, lorsqu’on aura construit l’affluent dont je viens de parler, le chemin de fer de Jurbise fera concurrence à une voie navigable de l’Etat et enlèvera une partie des produits de cette voie navigable. Mais, messieurs, si l’honorable membre est d’avis de refuser son assentiment à la concession de toute voie qui pourrait faire concurrence à une voie de l’Etat, je lui recommande la concession du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et_Meuse, à la condition qu’on exécute la canal de Jemappes à Alost, car s’il est voie navigable qui fera concurrence tout à la fois et aux voies navigables et aux voies ferrées de l’Etat, c’est bien certainement celle-là. Cependant il m’a paru que l’honorable membre était favorable à cette concession. Quant à moi je pense que la chambre, en pareille matière, doit être conséquente et n’avoir qu’un poids et une mesure, et que si elle repoussait la concession du chemin de fer de Jurbise, elle ne pourrait pas consentir à la concession du chemin de fer de la Dendre.
Ceci, messieurs, me donne l’occasion de vous faire remarquer que s’il y a des circonstances qui améliorent la situation des concessionnaires, il y en a d’autres qui leur sont défavorables. J’ai déjà parlé du renchérissement du prix des fers ; je viens de vous parler du canal de Jemappes. Si ce canal s’exécute, à coup sûr les charbons du couchant de Mons ne seront plus amenés vers Ath par le chemin de fer ; il y aura donc encore de ce chef une diminution dans les produits de la route dont il s’agit d’accorder la concession.
Il y a plus, messieurs, dans les discussions antérieures nous avons fait valoir comme devant concourir à former la somme des produits du chemin de fer de Tournay à Jurbise, le besoin que l’on a à Tournay des charbons maigres du centre du Hainaut.
Nous sommes obligés d’aller chercher cette qualité en charbons en France et nous disions qu’au moyen du chemin de fer de Tournay à Jurbise, qui se relie à la voie de Mons à Bruxelles et à celle de Braine-le-Comte à Charleroy, nous pourrions tirer ce charbon du centre du Hainaut ; eh bien, voici qu’on propose la concession d’un chemin de fer de Mons à Manage, précisément pour amener le charbon dont il s’agit au rivage du canal de l’Etat. Ainsi, messieurs, si la concession de ce chemin de fer de Mons à Manage, est accordée, c’est encore une source de produits qui échappera au chemin de fer de Jurbise. Vous voyez donc, messieurs, que si, sous u rapport, les produits de ce chemin de fer doivent augmenter, sous d’autres rapports ils doivent diminuer.
En résultat, messieurs, les produits du chemin de fer de Tournay à Jurbise seront considérables, mais les bénéfices des concessionnaires seront modérés ; les produits seront considérables si vous réunissez les produits indirects aux produits directs, mais les produits indirects sont de beaucoup les plus élevés et ceux-là, l’Etat les conserve sans partage.
Je ne sais, messieurs, si je dois relever ce qui a été dit par un honorable membre, qu’il n’est pas convenable que le gouvernement fît la recette pour une compagnie et fût en quelque sorte le valet des concessionnaires. Mais, messieurs, le gouvernement, comme un particulier, peut devoir ; lorsqu’il doit, il paye et il n’est en cela le valet de personne. Lorsque le gouvernement emprunte, à la suite des capitaux il faut bien qu’il paye l’intérêt, est-ce qu’il est pour cela le valet des prêteurs ? Je dois dire que cette considération, sur laquelle on a appuyé, me paraît véritablement puérile.
Je crois avoir répondu suffisamment aux observations qui ont été faites.
Des membres- A demain !
D’autres membres - Aux voix ! La clôture de la discussion générale… (Non ! non !)
M. de Theux – La discussion est engagée depuis trois jours ; si demain on se réunissait à onze heures, on pourrait arriver au vote avant la fin de la séance.
M. Rodenbach – Il n’est pas possible de se réunir demain à onze heures en séance publique ; il y a des sections centrales qui sont occupées de l’examen de projets de loi relatifs à d’autres chemins de fer.
- La chambre consultée décide qu’elle se réunira demain en séance publique à l’heure fixée par le règlement.