(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 1257) (Présidence de M. d’Hoffschmidt, vice-président)
M. de Man d’Attenrode procède à l’appel nominal à une heure et demie, et lit le procès-verbal de la séance précédente, dont la rédaction est adoptée.
Il présente ensuite l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« La veuve du lieutenant-colonel Guelton demande une augmentation de pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions
« Le conseil communal de Sugny demande que 350,000 kilog. de grains, pour six mois de l’année courante, puissent être importés dans cette commune, moyennant le quart du droit d’entrée. »
- Renvoi à la commission permanente d’industrie.
« Plusieurs cultivateurs de houblon des communes de Hekelgem, Liedekerke et Teralphene, district de Bruxelles, représentant 926 ménages, présentent des observations en faveur de la proposition de loi sur l’entrée du houblon. »
- Renvoi à la commission d’industrie.
« Plusieurs brasseurs établis dans diverses communes de la Flandre orientale présentent des observations contre la proposition de loi sur l’entrée du houblon. »
- Même renvoi.
« Le sieur Schuermans, ancien magistrat de Bruxelles, prie la chambre de s’occuper du projet de loi sur la mise à la pension des fonctionnaires publics destitués à la suite des événements de la révolution, et présente des observations contre la proposition de la section centrale. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Les sieurs Bouvy, Hambrouck et autres, délégués des entrepreneurs de messageries, présentent des observations contre la disposition du projet de loi sur les moyens de transport en dehors des chemins de fer qui consacre le principe de l’exploitation, par l’Etat, de services pour le transport des voyageurs, des dépêches et des marchandises. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.
« Plusieurs brasseurs de diverses communes de la Flandre orientale demandent le rejet de la partie de la proposition de loi sur les céréales, relative à l’orge. »
« Même demande des brasseurs établis à St-Trond. »
M. Rodenbach – Messieurs, lorsque 21 membres de la chambre ont fait une proposition de loi, tendant à augmenter la protection sur les céréales, alors il y avait crise, les grains étaient à vil prix. Ces membres étaient donc parfaitement fondés à demander protection pour cette branche d’industrie, la plus importante du pays. Depuis lors, la question a plus ou moins changé, car il y a augmentation dans le prix des céréales. Je dois m’élever, messieurs, contre les attaques dont les signataires de la proposition ont été l’objet depuis quelques temps ; des réunions ont été tenues, des discours ont été prononcés ; les auteurs de la proposition ont été représentés comme voulant affamer le pays. Je le demande, messieurs : y a-t-il un seul membre de la chambre qui voulût affamer le pays, qui voulût donner son assentiment à une loi de famine ? N’est-il pas souverainement injuste de dresser de semblables accusations contre des membres qui ont demandé une légère protection pour les céréales, alors que les prix étaient avilis ?
Plusieurs des signataires de la proposition ont déclaré eux-mêmes que la question a complètement changé ; ils ont déclaré aussi qu’ils ne veulent pas majorer les droits. L’opinion des auteurs de la proposition a donc été défigurée dans les réunions dont j’ai parlé et qui ont paru faire sensation dans le pays. C’est pour ce motif, messieurs, que j’ai cru devoir donner les explications que je viens de présenter.
Du reste, messieurs, il nous arrivera d’autres pétitions. Je crois qu’il y en a déjà 25 sur le bureau ; et si le prix des céréales ne s’était pas relevé, je crois qu’il vous en serait arrivé plus de deux mille, car il y aurait eu réellement crise dans l’agriculture. Je ne m’opposerai pas au renvoi des diverses pétitions à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi : mais, je le répète, j’ai cru devoir donner ces explications parce que l’esprit de parti a organisé un pétitionnement dans lequel on s’est élevé d’une manière fort injuste contre une opinion très-respectable. Les auteurs de la proposition ne veulent pas plus que les membres de l’opposition que le pays mange le pain cher ; ils ont, au contraire, à cœur que le peuple belge ne paye point le pain trop cher. Je dis que ce n’est qu’une espèce d’esprit de parti qui a pu défigurer à ce point les intentions des signataires de la proposition.
M. Manilius – Je crois, messieurs, qu’il s’agit en ce moment de la pétition de différents brasseurs qui demandent que l’on examine promptement la question et qui désirent surtout qu’on élague de la proposition ce qui est relatif à l’orge. Je pense qu’il faut adresser, à l’égard de cette pétition la même marche qui a été suivie pour les autres.
Je ne répondrai pas à la partie du discours de M. Rodenbach qui tend à justifier la proposition des 21 membres. Cela viendra dans la suite des débats et lorsque nous examinerons la question dans les sections mais je me permettrai de faire une interpellation à M. le ministre. Lorsque nous avons été saisis, non pas de la proposition des 21 membres, mais du projet du sénat, alors on était excessivement pressé, alors M. le ministre voulait qu’on se mît immédiatement à l’œuvre ; il voulait que les sections abordassent à l’instant même l’examen du projet, que le rapport fut le lundi, qu’on discutât le mardi et qu’on votât le mercredi. C’étaient les paroles de M. le ministre. Eh bien, je lui demande aujourd’hui, si, après la déclaration que l’honorable M. Rodenbach vient de faire, si en présence des mercuriales que M. le ministre doit publier lui-même, et d’après lesquelles le prix de 20 fr. sera bientôt atteint, si nous ne sommes plus dans la même situation où nous étions, il y a trois semaines ?
M. le ministre ne doit-il pas témoigner le même empressement ? Ne doit-il pas se joindre à moi pour demander qu’on examine promptement cette question dans les sections ? L’examen de cette question ne peut être retardé. Alors que nos malles étaient faites, nous avons retardé cet examen et nous avons eu raison. Mais aujourd’hui il y a nécessité absolue pour le commerce, l’industrie et l’agriculture, de connaître dans quelle situation ils vont se trouver car cette loi nous pèse sur la tête. Que M. le ministre se joigne donc à nous pour appuyer ma demande formelle d’examen en sections. Je me sers des mêmes termes que M. le ministre. Il y a trois semaines qu’il demandait l’examen immédiat. Je le demande aujourd’hui, comme lui le demandait quand nous étions prêts à partir. Je le demande aussitôt que nous avons repris nos travaux.
Quant à la pétition, je demande que l’on suive pour elle la même voix que pour les autres pétitions relatives aux céréales.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je crois, avec l’honorable membre, qu’il faudra que l’on examine en section les différentes lois relatives aux céréales.
M. Rodenbach – Personne ne s’y oppose.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je le pense. Nous sommes donc d’accord.
Je saisis cette occasion de rappeler à la chambre qu’elle a témoigné le désir que les chambres de commerce et les commissions d’agriculture fussent consultées sur toutes les propositions. Je les ai consultées. J’ai reçu un grand nombre de réponses. J’aurai reçu, je l’espère, les autres sous peu de jours, et je pourrai communiquer à la chambre, l’instruction faite depuis sa séparation.
M. Delehaye – J’ai été surpris de voir l’honorable M. Rodenbach qui a attaché son nom à tous les événements de la révolution, attaquer d’une manière violente le droit des pétitionnaires. Il s’est étonné de ce que la proposition dont il est l’un des signataires, ait donné lieu à un aussi grand nombre de pétitions. Je connais beaucoup de pétitionnaires qui sont des personnes fort honorables. Beaucoup de conseils communaux ont également signé des pétitions. On a donc eu tort d’attribuer ce pétitionnement à l’esprit de parti ; plus de tort encore de l’attribuer à un esprit d’hostilité. Il est dû, au contraire, à un esprit de bienveillance pour la classe ouvrière, sentiment bien légitime, quand cette classe se ressent si vivement de la souffrance de l’industrie. L’honorable M. Rodenbach ne peut le blâmer, lui qui a souvent fait entendre la voix de l’humanité, qui a réclamé des subsides pour l’industrie souffrante.
On peut ne pas applaudir aux pétitions qui ont été adressées à la chambre. Mais on ne peut contester le droit des pétitionnaires ; on doit reconnaître que le pétitionnement était même pour eux un devoir impérieux.
Je voudrais que l’on respectât le droit de pétition, qui a été naguère invoqué par l’honorable M. Rodenbach et par d’autres honorables membre du congrès.
Avant la révolution, le droit de pétition a été attaqué avec beaucoup de légèreté. Il ne s’agissait pas alors de se défendre contre la famine. Aujourd’hui il s’agit d’une chose plus importante. Il s’agit d’écarter du peuple une loi qui tendrait à aggraver sa position, sinon à affamer, du moins à renchérir singulièrement le pain.
M. le président – Il y a encore plusieurs orateurs inscrits. Mais je ferai remarquer qu’il ne s’agit que du renvoi de la pétition. (L’ordre du jour ! l’ordre du jour !).
M. Rodenbach – L’orateur précédent m’a nommé plusieurs fois ; je demande la parole pour un fait personnel.
L’honorable préopinant vous a dit que j’ai été un grand partisan du pétitionnement. Il est très-vrai, et je m’en fais gloire. Certes, j’ai été un des plus grands partisans du pétitionnement lorsqu’il s’agissait du redressement des griefs ; je suis un des premiers qui y aient pris part et j’ai fait signer mes concitoyens. Roulers, on doit se le rappeler, a été l’avant-garde pour le pétitionnement contre les actes d’un gouvernement injuste.
Messieurs, je dirai à l’honorable préopinant que je ne demande pas une augmentation du prix du pain. Nous en avons une preuve irrécusable : c’est qu’en France le pain est à meilleur marché qu’en Belgique.
Je dirai encore à l’honorable membre que je prends autant à cœur que lui la position des ouvriers des Flandres. Mais je lui ferai remarquer que dans la capitale d’une des Flandres, dans la ville de Gand, existe encore l’odieux droit de mouture dont, dans notre pétitionnement, nous avons demandé l’abolition. Puisque l’on veut que le pain soit à bon marché, je crois que les autorités, et notamment les députés, devraient faire tout leur possible pour extirper les mesures qui nuisent au bon marché du pain.
- La discussion est close.
Le renvoi de la pétition à la section centrale qui sera chargée d’examiner la proposition de loi sur les céréales est ordonné.
(page 1258) M. Manilius – M. le président, j’ai demandé la mise à l’ordre du jour dans les sections de la proposition de loi sur les céréales.
Un membre – C’est l’affaire du président.
M. Manilius – C’est l’affaire du président. Mais ce n’était pas non plus l’affaire de M. le ministre, il y a trois semaines. Il est arrivé très-souvent dans cette enceinte qu’on l’on ait demandé la mise d’un projet à l’ordre du jour des sections. J’use de ce droit, comme M. le ministre en a usé, et je l’engage à s’unir à moi pour demander un examen immédiat.
M. Osy – Il y a trois semaines, le gouvernement était très-pressé de nous faire discuter la loi sur les céréales. Vous vous rappellerez que Monsieur le ministre de l'intérieur a voulu nous retenir pendant la semaine sainte pour examiner et voter cette loi en deux jours.
Depuis lors le gouvernement ne parle plus de cette proposition. Cependant nous devons savoir s’il désire que nous nous occupions du projet du sénat ou de la proposition des 21 membres. Il est urgent qu’il nous fasse connaître son opinion. La session ne peut se passer sans qu’une décision soit prise sur ces deux propositions.
Nous ne pouvons pas siéger toute l’année. Le pays doit savoir quelle est l’intention du gouvernement à ce sujet. Je demanderai donc à Monsieur le ministre de l'intérieur de bien vouloir s’expliquer sur ce point.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant vient seulement d’entrer dans la salle. J’ai fait connaître mon opinion tout à l’heure. J’ai rappelé que les deux propositions avaient été renvoyées aux sections ; j’ai dit que je désirais que les sections se réunissent le plus tôt possible pour examiner les propositions. J’ai ajouté que l’instruction administrative que j’ai ouverte était très avancée ; que j’avais déjà reçu les avis de plusieurs chambres de commerce et de plusieurs commissions d’agriculture. Ces réponses pourront être déposées, dès demain, sur le bureau. L’honorable membre voit donc que je suis aussi empressé que lui-même de voir poursuivre l’examen de cette question.
M. Desmet – Comme il est désirable que dans une question aussi délicate, aussi importante, nous soyons nantis de tous les avis des chambres de commerce, je demande que l’examen de la proposition dans les sections soit fixé à demain en huit.
M. Delehaye – Réellement, je ne comprends plus la manière dont nous marchons. Il y a trois semaines, nous étions munis de tous les documents nécessaires, et l’on demandait la mise immédiate à l’ordre du jour de la question : M. le ministre de l’intérieur voulait que l’on s’occupât du projet dans les sections sans désemparer, et que le rapport fût fait dans le plus bref délai. Et maintenant que plus de trois semaines se sont écoulées depuis, on semble reculer devant l’examen de la proposition. Oui, messieurs, chose étrange, les auteurs de la proposition semblent reculer devant l’examen de leur œuvre. Deux considérations majeures doivent engager la chambre à se livrer promptement à l’examen de la question. La première considération est l’intérêt du commerce, qui exige impérieusement que la question reçoive une solution ; le second motif, le motif principal, c’est l’intérêt des classes pauvres. Tout milite donc pour que cet objet soit mis immédiatement à l’ordre du jour.
Il y a quatre semaines, la chose était de la dernière urgence, aux yeux de ceux qui veulent ajourner aujourd’hui. Maintenant que l’affaire est en règle, il n’y a plus de nécessité. Ce revirement est le résultat de nombreuses pétitions qui ont été envoyées à la chambre ; incontestablement si ce pétitionnement n’avait pas eu lieu, la question aurait été mise à l’ordre du jour…
M. Eloy de Burdinne – Je demande la parole.
M. Delehaye – L’honorable M. Eloy de Burdinne demande la parole. Que l’honorable membre se rassure ; s’il y a un membre qui ait eu le courage de son opinion dans cette circonstance, c’est l’honorable membre. Je suis heureux de rendre hommage à sa franchise. Je suis loin de partager l’opinion de mon honorable collègue, mais je dois reconnaître la loyauté avec laquelle il continue à défendre ses convictions. J’aurais voulu que cet exemple eût trouvé des imitateurs. Je désire que l’honorable M. Eloy de Burdinne ne s’oppose pas à ce que l’examen de la proposition de loi ait lieu immédiatement.
M. Desmet – C’est dans l’intérêt même de l’examen de la proposition que j’ai demandé que l’on fixât à mardi en huit la mise à l’ordre du jour dans les sections. Nous serons alors nantis de tous les avis des chambres de commerce.
On nous a fait le reproche d’avoir signé la proposition de loi. Quoique j’ai signé cette proposition peut-on trouver mauvais que je consente, le cas échéant, à des modifications ? Rappelez-vous la proposition qui a été faite pour l’industrie cotonnière. Vingt-quatre d’entre nous avaient signé la proposition, qui a été modifiée dans toutes ses parties, et nous avons voté pour elle.
M. Eloy de Burdinne – Je suis fortement de l’opinion de ceux qui veulent que la question soit examinée dans le délai le plus rapproché. Je ne recule pas devant la discussion. Je n’entrerai pas maintenant dans le fonds de la question ; mais je puis affirmer que la proposition des 21 est cent fois plus dans l’intérêt des consommateurs que dans celui des producteurs. En temps utile, je me ferai fort de le démontrer par des faits irrécusables. Il n’est jamais entré dans la pensée ni dans les sentiments des signataires de la propositions de vouloir affamer, comme on le prétend, les classes ouvrières. Nous prouverons que nous avons eu surtout en vue de mettre un terme aux combinaisons de ceux qui font des spéculations sur la nourriture de la classe malheureuse.
M. de Garcia – Messieurs, j’ai très-peu de mots à dire. Je suis du nombre des 21 signataires de la proposition sur les céréales. L’honorable M. Delehaye a bien voulu faire l’éloge du courage de l’honorable M. Eloy de Burdinne. Je m’associe à cet éloge ; mais l’honorable membre n’a pas traité avec autant de courtoisie les autres signataires de la proposition ; il a déclaré qu’ils n’avaient pas le courage de soutenir leur opinion. Je ne veux pas anticiper sur la discussion ; mais quand le moment sera venu, l’honorable M. Delehaye nous rencontrera ; nous lui ferons connaître les motifs qui nous ont dirigé. Il me reste à répondre à une autre accusation non moins injurieuse. On nous a reproché de vouloir affamer le peuple ; nous n’aurons aucune peine à démontrer que nous ne méritons nullement ce grave reproche ; nous prouverons qu’une protection efficace accordée aux céréales est destinée à donner de l’ouvrage et partant du pain aux classes ouvrières.
M. Desmet – Si l’on se croit assez éclairé pour examiner maintenant la proposition dans les sections, je retire ma motion d’ordre.
M. Donny – Je reprends la motion d’ordre pour mon compte. Il y a dans la chambre les 21 signataires qui ont su ce qu’ils faisaient, et il faut croire qu’ils connaissent la portée de leur proposition ; il y a aussi le gouvernement qui a pressé l’examen de la proposition dans les sections ; il doit également connaître la portée de la proposition. Mais en dehors du gouvernement et des 21 signataires, il y a des membres dont l’opinion n’est pas parfaite, qui ont besoin de s’éclairer, avant de se rendre dans les sections. Je demande donc qu’on ajourné à mardi en huit l’examen de la question dans les sections ; d’ici là, toutes les pièces nous auront été distribuées.
M. de La Coste – Je désire que la question soit examinée le plus tôt possible. Mais je crois qu’il y a des observations très-importantes dans ceux des avis des chambres de commerce qui sont déjà parvenus au gouvernement. Je sais, entre autres, que l’avis de la chambre de commerce de Louvain renferme des considérations très-importantes. Je prie M. le ministre de vouloir bien nous dire quand ces avis pourraient être imprimés.
M. Rogier – Messieurs, en diverses circonstances, j’ai demandé qu’on renvoyât aux chambres de commerce des propositions de loi relatives au tarif, avant de se livrer à leur examen dans cette enceinte. Très-souvent, ces demandes ont été repoussées par plusieurs de nos honorables collègues qui aujourd’hui invoquent les lumières des chambres de commerce. Je ne veux cependant pas récriminer contre eux ; je suis même charmé de voir à cet égard ces honorables membres ne plus dédaigner cette voie d’information.
Mais, dans cette circonstance, je me demande comment les signataires de la proposition dite des 21 auraient pu associer leurs noms à une proposition d’une si grande portée, en l’absence des lumières dont on semble avoir besoin aujourd’hui. Sans doute, leur position était faite, avant de saisir la chambre d’un projet de cette importance ; car on n’aventure pas son nom dans de pareilles propositions sans avoir une conviction bien arrêtée ; j’ai donc peine à m’expliquer comment aujourd’hui ils veulent recourir aux lumières des chambres de commerce, alors qu’ils ont cru pouvoir s’en passer, lorsqu’ils ont signé la proposition.
Mais il y a autre chose que la proposition des 21 ; il y a un projet de loi émané d’un des grands corps de l’Etat. Le sénat vous a envoyé une proposition de loi, il y a trois semaines. Vous lui devez d’examiner cette proposition. Le sénat n’a pas eu recours aux lumières des chambres de commerce ; et, en s’associant au projet du sénat, le gouvernement n’a pas proposé non plus d’y recourir. Je pense même que le gouvernement a répondu, dans une autre circonstance, à propos de cette question, que les chambres de commerce avaient été tant de fois consultées qu’il n’y avait plus lieu de s’adresser à elles.
L’opinion du sénat est quelque chose. Lorsque le sénat use de son initiative, à bon droit ou sans droit (ceci est une question réservée), lorsqu’il vous renvoie une proposition de loi, vous devez l’examiner sous peine de manquer à cette autre branche du pouvoir législatif.
Ainsi, sans repousser ici l’opinion des chambres de commerce et des commissions d’agriculture, je dis que l’examen en sections doit être abordé sans retard, l’instruction administrative pouvant se continuer, s’il y a lieu, parallèlement à l’instruction parlementaire.
Mais si l’on voulait s’éclairer pleinement sur cette question, il faudrait aller plus loin ; il faudrait, comme nous l’avions proposé, et nous n’avons pas encore renoncé à cette idée ; il faudrait pousser les investigations de la chambre dans des directions nouvelles ; il faudrait s’enquérir auprès des campagnes elles-mêmes ; entendre les grands et les petits propriétaires, les fermiers, les industries qui emploient les céréales, les brasseries, les distilleries ; entendre enfin tous les intérêts engagés dans cette grande question, qu’on verra de nouveau si imprudemment et légèrement peut-être soulevée dans cette enceinte. Voilà de quelle manière nous comprendrions aujourd’hui une enquête. Quant aux avis des chambres de commerce, nous les connaissons de reste, et ceux qui les invoquent aujourd’hui me paraissent, permettez-moi de le dire, vouloir plutôt ajourner qu’éclairer l’examen de la question.
Or, a-t-on eu raison ou tort de soulever cette question ? Je ne veux pas examiner ce point ; mais la question une fois soulevée, il faut en poursuivre l’examen, il faut qu’elle aboutisse à un résultat, il faut que le pays sache à quoi s’en tenir.
Ces propositions de loi improvisées, ces perturbations qu’on jette à chaque instant dans l’économie politique du pays, il faut y mettre un terme. Il faut que le commerçant, pour ses opérations, que le fermier pour le renouvellement de ses baux, que l’industriel pour le règlement du salaire de ses ouvriers, soit fixé sur cette question. Y aura-t-il augmentation prochaine dans le prix des céréales ? Voilà la question soulevée, il faut bien qu’elle soit résolue. Je demande donc le renvoi le plus tôt possible à l’examen des sections. Je suis étonné que le gouvernement ait renoncé à l’opinion qu’il avait il y a trois semaines quant à l’urgence. Depuis lors, les circonstances sont-elles changées ? Nullement. La question des céréales remue profondément le pays. (page 1259) Vous craignez le pétitionnement (Non ! non !). N’est-on pas venu se plaindre de l’agitation que cette proposition avait soulevé dans le pays. Si vous voulez modérer et régulariser ce grand mouvement, il importe que la législature examine le plus tôt possible la proposition. Nous insistons donc pour qu’elle soit mise au plus tôt à l’ordre du jour des sections, nous réservant de demander une enquête complète sur la question, si nous le croyons nécessaire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant a eu tort de supposer que le gouvernement renonçait à l’intention de voir discuter promptement les propositions relatives aux céréales ; j’ai demandé au contraire, avec tous les orateurs qui ont pris la parole, que l’examen eût lieu le plus tôt possible. Le renvoi aux sections a été ordonné ; il n’y a plus qu’à mettre la proposition à l’ordre du jour dans les sections. Jusqu’à présent on confiait ce soin à M. le président qui réunissait les présidents des sections, et réglait avec eux les travaux des sections. Voilà la marche qu’on a suivie jusqu’à présent. On pourrait donc se borner à prier M. le président de réunir les présidents des sections pour s’entendre sur la mise à l’ordre du jour des propositions relatives aux céréales dont le renvoi est ordonné.
Je ne fais aucune proposition, le renvoi aux sections étant ordonnée, c’est à la chambre de voir si elle veut aller plus loin, ordonner elle-même la mise à l’ordre du jour dans les sections. Je ne demande pas mieux que de voir procéder prochainement à cet examen. Il ne s’agit plus de renvoyer le projet aux commissions d’agriculture, aux chambres de commerce ; la chose est faire. Demain je déposerai les réponses qui me sont et me seront parvenues.
Une voix – Quand seront-elles imprimées ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne puis dire quand ces pièces seront imprimées. Je les déposerai sur le bureau ; elles seront imprimées par les soins de la chambre.
M. Dumortier – Il me paraît qu’on peut examiner dans les sections la proposition dont il s’agit, sans attendre les avis des chambres de commerce qu’on demande, car ces avis, nous savons ce qu’ils seront. Les chambres de commerce n’ont à examiner les questions qu’au point de vue commercial et non au point de vue de l’agriculture. On pourrait, se plaçant à leur point de vue, dire que plus les céréales seront à bon marché, plus on pourra abaisser les journées d’ouvriers. Il serait facile de répondre à ces arguments. Nous savons donc ce que répondrons les chambres de commerce, mais il sera facile, d’un autre côté, de démontrer que leur opinion sur ce point est erronée. Nous pouvons donc examiner la question. On a présenté la proposition des 21 membres comme jetant la perturbation dans le pays et devant en entraîner la ruine. On l’a plus durement qualifiée encore, on l’a appelée une proposition de famine !
Je ne vois pas qu’en France l’industrie soit en souffrance, que la famine y règne ; cependant le projet que nous avons présenté est celui qui régit la France, où l’industrie est tellement prospère que nos industriels ne font qu’un vœu, celui de voir l’industrie aussi prospère en Belgique qu’en France. C’est à tort qu’on a qualifié cette proposition d’une manière aussi dure. Quand nous l’examinerons, il nous sera facile de démontrer, qu’en augmentant les droits sur les grains étrangers, la proposition sera favorable aux fabriques, au travail des ouvriers ; et je pense qu’il y a urgence de l’examiner dans les sections. La chambre ne paraît pas devoir être réunie pour longtemps. Attendre huit ou dix jours, comme le propose un honorable député de Louvain, pour procéder à cet examen, serait renvoyer le projet à la session prochaine. C’est à vous de voir si vous voulez ou non examiner cette question dans cette session. Si vous voulez la renvoyer à la session prochaine, il est inutile de l’examiner dans dix jours dans les sections. Si au contraire, vous voulez la discuter dans la session actuelle, il faut au plus tôt la mettre à l’ordre du jour des sections. Comme je pense qu’il est urgent de résoudre cette question, j’appuiera la proposition de la mettre à l’ordre du jour des sections pour demain.
M. de La Coste – L’honorable M. Dumortier s’est trompé quand il a dit qu’un député de Louvain avait demandé la remise à dix jours…
M. Dumortier – J’ai voulu dire l’honorable député d’Ostende.
M. de La Coste – Car j’ai demandé que l’examen ait lieu le plus prochainement possible, pourvu que nous ayons les avis des chambres de commerce déjà parvenus à M. le ministre.
M. Manilius – J’avais proposé de mettre la question des céréales à l’ordre du jour des sections pour demain ; mais, d’après les observations qui ont été faites, je pense qu’il vaut mieux la fixer à jeudi. Il y a d’autant plus d’urgence de s’occuper de cet objet, que le projet qui nous a été renvoyé par le sénat agite de plus en plus le pays. Avant les vacances, le gouvernement nous disait : les grains sont déjà à 17 fr., bientôt, ils atteindront 20 fr., et on approvisionnera le pays pour deux ans. Aujourd’hui, les grains sont à 18 fr. ; le gouvernement devrait donc être plus pressé de faire adopter la mesure qu’il ne l’était il y a trois semaines. J’entends dire derrière moi que les grains vont baisser.
Attendez la mercuriale prochaine, vous verrez qu’elle sera plus élevée que la dernière. Jusqu’ici, toutes les mercuriales ont présenté des augmentations successives. Vous devez examiner au moins la proposition du sénat. Pour celle des 21 membres, vous pourrez mettre moins de promptitude à l’examiner ; mais quant à celle du sénat, il y a urgence de s’en occuper suivant l’avis du gouvernement, avis que je partage.
D’après toutes ces considérations, je demande qu’on mettre ce projet à l’ordre du jour des sections pour jeudi prochain.
- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.
La parole est continuée à M. le secrétaire
« Le conseil communal de Huy demande le rejet de la loi sur les céréales. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi sur les céréales.
« Plusieurs propriétaires et cultivateurs de Casteau, Thieusies, Quevy-le-Petit, Thoricourt, Warchin, Havinnes, Beclers, Pottes, Escanaffles, Pipaix, Thieulain, Braffe, Willaupuis, Lignette, Baugnies, Wasmes, Hennuyères, Ronquière, Ecaussines d’Enghien, Horrues, Ecausinnes-Lalaing, Soignies, Naasrt, Mall, Huse, Membruggen et les membres des administrations communales de ces trois dernières localités, de celle de S’Heeren-Elderen et le conseil communal de St-Trond se prononcent en faveur de la proposition de loi sur les céréales. »
« Les membres des administrations communales de Béry, Hems et Rixingen présentent des observations dans le même sens et prient la chambre d’adopter le projet de loi transmis par le sénat, si elle ne pouvait s’occuper dans la session actuelle de la proposition de loi des vingt et un députés. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet et la proposition de loi sur les céréales.
« Plusieurs propriétaires à Tournay présentent des considérations sur la nécessité de régler par une nouvelle loi le mode et l’exécution du droit de chasse. »
- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi sur la chasse.
« Par message en date du 4 avril, le sénat informe la chambre qu’il a adopté, dans se séance du même jour, le budget du département des travaux publics, pour l’exercice de 1845. »
- Pris pour notification.
« M. de Renesse informe la chambre qu’une indisposition l’empêchera d’assister à la séance. »
- Pris pour information.
M. le secrétaire donne lecture de l’arrêté royal nommant MM. le colonel Claisse et le lieutenant-colonel du génie Beuckers commissaires du Roi pour soutenir la discussion du projet d’organisation de l’armée devant la chambre des représentants et le sénat.
MM. Claisse et Beuckers vont prendre place auprès de M. le ministre de la guerre.
M. Donny – Messieurs, dans la dernière séance, j’ai eu l’honneur, au nom de la commission de vérifications des pouvoirs, de vous faire connaître qu’elle avait trouvé régulières les opérations électorales d’Ypres, que M. Donation Biebuyck avait été élu représentant et que cette élection n’avait été l’objet d’aucune réclamation. J’ai eu l’honneur d’ajouter que le dossier ne contenait aucune pièce constatant que l’élu réunissait les conditions d’éligibilité exigées par la loi. Depuis, la commission ayant été mise en possession de pièces constatant que M. Donatien Biebuyck réunit les conditions d’éligibilité, elle a l’honneur de vous proposer son admission comme représentant.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
En conséquence M. Donatien Biebuyck est proclamé membre de la chambre des représentants et admis à prêter le serment prescrit par la Constitution.
Acte lui est donné de sa prestation de serment.
M. le président – M. le ministre se rallie-t-il aux propositions de la section centrale ?
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – Je ne me rallie pas aux propositions de la section centrale. Je prie M. le président de vouloir bien mettre en discussion le projet du gouvernement.
M. Castiau – (pour une motion d'ordre). Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, à une de vos dernières séances, avant les vacances qui viennent de se terminer, un honorable membre avait soulevé une question préjudicielle dont l’examen doit évidemment dominer la discussion de la question militaire soumise en ce moment à vos délibérations. Cet honorable membre avait interpellé formellement le ministère sur le point de savoir s’il entendait faire un rapport sur une question qui domine la question d’organisation de l’armée, sur la question des forteresses, et l’exécution de la convention de 1831, relative à la démolition de nos principales forteresses. Je croyais que le gouvernement avait pris l’engagement de déférer à ce désir ; j’espérais qu’il aurait mis à profit le temps que lui laissaient les vacances, pour préparer un rapport sur cette grave question qui avait été l’objet des premières méditations de la section centrale, et dont le projet de loi d’organisation militaire n’était que le corollaire.
Il paraît cependant, messieurs, que le ministère n’en a rien fait. Je lui demanderai, en effet, s’il a maintenant en portefeuille le rapport qui lui a été demandé, et si son intention est de le déposer sur le bureau. Dois-je prendre le silence de MM. les ministres comme un refus de déposer ce rapport ? Alors, messieurs, je me verrais obligé de vous présenter une motion formelle, puisque le ministère, dans cette circonstance, ne paraît pas se soucier des droits de la chambre, puisqu’il ne vient pas lui fournir les documents nécessaires pour traiter avec conscience et intelligence la question de l’organisation de l’armée. Oui, messieurs, en l’absence d’un rapport sur la question de la démolition des forteresses, il y a impossibilité compléter pour (page 1260) la chambre de résoudre d’une manière définitive le grave problème qui lui est soumis aujourd’hui.
Dans ce cas-là, messieurs, malgré tout l’empressement avec lequel on attend et on appelle la discussion de l’organisation militaire, je suis obligé de proposer l’ajournement de la question, jusqu’à ce que le gouvernement ait satisfait à son premier devoir, en nous faisant discuter la convention de 1831, ou, du moins, en nous faisant connaître son opinion sur les éventualités de la démolition de nos principales forteresses. Cette question est évidemment ici une question préjudicielle ; elle doit nécessairement être résolue avant celle qu’on veut faire discuter aujourd’hui. Elle domine toute la question de l’organisation militaire et de la défense du pays. Elle la domine parce que nous ne pouvons connaître quel doit être le chiffre de l’armée, quels doivent être les rapports des différentes armées et la force des différents corps qui composeront l’armée, sans savoir quel sera le nombre des forteresses que nous aurons à défendre.
Vous comprenez, messieurs, que quoique la convention de 1831 ne soit relative qu’à 5 forteresses, si elle est exécutée, la démolition de ces 5 forteresses réagira infailliblement sur toute l’organisation militaire du pays. Lorsqu’on vient nous demander une organisation militaire forte et puissante pour maintenir notre nationalité, c’est évidemment pour la défense du territoire ; et le premier moyen de défense du territoire, ce sont nos forteresses.
C’est donc là, messieurs, le début de la question ; c’est par là qu’il faut entamer notre organisation militaire ; car si un jour le ministère venait vous proposer la démolition de nos forteresses et si vous donniez votre assentiment à une telle mesure, dès ce moment que devient cette organisation militaire que nous aurions élevée à grands frais ? Le jour où la chambre reconnaîtrait l’obligation de démolir nos forteresses, ce jour-là, nous serions bien près de devoir décréter la réduction et peut-être la suppression graduelle de la plus forte partie de notre armée. Sa principale, son unique mission peut-être, n’est-ce pas la garde et la défense de nos forteresses ? Avant de savoir si vous devez donner aux différents corps qui la composent, vous devez connaître quel sera le rôle de cette armée, vous devez savoir si la Belgique peut ou non se constituer comme puissance militaire. La démolition de nos forteresses, si elle avait lieu, entraînerait donc la déchéance militaire, en quelque sorte, de la Belgique. Il en résulterait que ce serait bien sous la seule protection des traités que serait placée son existence.
Il faut donc que le gouvernement se prononce et se prononce dès à présent sur cette question préjudicielle. Les retards du gouvernement sont déjà injustifiables, il faut le dire, car le gouvernement aurait dû prendre l’initiative, et il aurait dû prendre l’initiative depuis longtemps. Il aurait dû prendre l’initiative, d’abord par un sentiment de loyauté envers les puissances qui ont signé avec lui cette convention et qui ont dû compter sur son exécution. Cette convention a été formellement ratifiée par le gouvernement belge. Dès lors n’y a-t-il pas eu de sa part, envers les puissances, la signature du traité, l’engagement d’en hâter l’exécution et d’en soumettre la légitimité et la convenance à l’appréciation des chambres ? C’est donc un manque de foi envers les gouvernements qui ont pris part à cette convention de la laisser ainsi tomber pendant quinze ans dans l’oubli et dans une véritable désuétude.
J’ajouterai, messieurs, qu’il y a dans la conduite du gouvernement, inconvenance envers la chambre, envers le pays ; car enfin il y a un traité qui remonte à 15 années, ce traité est revêtu de l’assentiment du gouvernement, ce traité touche à la défense du territoire, à l’indépendance du pays, il touche à la question de savoir si la Belgique pourra exister comme puissance militaire ; eh bien ! ce traité n’est pas encore soumis, après 15 années d’attente, à la ratification de la chambre. Sans doute, le gouvernement était juge de la question d’opportunité, quant à la présentation de ce traité, mais puisque la chambre aborde la question de l’organisation militaire, puisque surtout le ministère insiste pour régler définitivement cette organisation, c’est que le gouvernement juge lui-même le moment opportun pour examiner toutes les questions qui se rattachent à l’indépendance du pays et à son organisation définitive.
Et si le ministère persiste dans son étrange, son inexplicable refus de nous éclairer sur les questions qui priment notre organisation militaire, la chambre, je l’espère, saura maintenir aussi son droit et sa prérogative. Si le ministère est libre de présenter ou non à notre examen la convention de 1931, la chambre, elle, est parfaitement libre d’ajourner l’examen du projet de loi relatif à l’organisation de l’armée. Que la responsabilité du retard retombe sur la tête de ceux qui l’auront provoqué par leur défaut de franchise et leur mépris pour les prérogatives du pouvoir parlementaire !
Je formule donc, en terminant, ma proposition : si le ministère ne veut pas présenter maintenant au moins un rapport sur la question de l’exécution de la convention de 1831, je demande l’ajournement indéfini de la discussion de la loi sur l’organisation de l’armée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet d’Alviella) – Messieurs, le gouvernement n’a pas jugé qu’il fût utile de faire en ce moment un rapport sur la question que vient de soulever l’honorable préopinant. Quand le gouvernement le croira opportun, il soumettra à la chambre la convention du 14 décembre 1831, accompagnée de telle proposition qui sera jugée conforme aux intérêts de l’Etat. Jusque-là le moment n’est pas venu de nous occuper de cet acte qui n’est pas soumis à la chambre et qui ne doit d’ailleurs recevoir d’exécution que lorsqu’il aura été approuvé par la représentation nationale.
Quant aux rapports qui existeraient entre les stipulations de cet acte et l’organisation de l’armée sur le pied de paix, M. le ministre de la guerre prouvera dans le cours de la discussion que ces rapports ne sont pas de nature à exercer une influence bien grande sur les propositions du gouvernement.
J’ai donc l’honneur de vous proposer, messieurs, de passer à l’ordre du jour sans compliquer la question qui vous est soumise.
M. Castiau – Messieurs, je ne sais trop si l’on peut considérer comme une réponse, les quelques mots, parfaitement insignifiants, que vient de prononcer M. le ministre. J’avais détruit d’avance, il me semble, la seule objection qu’il m’oppose.
Il vient de dire que le moment n’est pas venu d’examiner la question que j’ai soulevée. J’en appelle à la conscience de la chambre et je lui demande si un moment plus opportun peut se présenter pour examiner la question de savoir si nous conserverons ou non nos forteresses, qu’au moment où nous discutons la question de la défense militaire du pays. Mais la base de cette défense du pays, ce sont les forteresses qui protègent son territoire. La question de la conservation des forteresses domine donc toute la question de l’organisation militaire du pays. Je suppose que quand vous réclamez une armée de 80,000 hommes, ce n’est pas apparemment pour garder et défendre des remparts démantelés et des portes ouvertes. On a ajouté que M. le ministre de guerre prouvera qu’il existe peu de rapports entre la question de l’organisation militaire et la question de la conservation des forteresses ; je comprends que M. le ministre ait laissé le soin de cette démonstration à son collègue ; mais je doute qu’il soit plus heureux que lui. Nier le rapport qui existe entre la défense du territoire et l’organisation de l’armée, entre nos place fortes et la disposition des corps chargés de la défense du pays, c’est nier l’évidence et je serai curieux de savoir comment M. le ministre de la guerre s’acquittera en cette circonstance, de la mission que lui réserve son collègue des affaires étrangères.
A part MM. les ministres, qui sont pressés par les embarras de leur position, qui pourrait en douter ? La question des forteresses, c’est la question de la défense du territoire. Ne devons-nous pas savoir si nous conserverons les forteresses avant de nous occuper de notre organisation militaire ? Les forteresses ne constituent-elles pas toute notre organisation militaire en quelque sorte ? La Belgique, dans les prévisions d’un conflit armé, doit-elle se préoccuper d’autre chose que d’organiser la défense de son sol ? Et notre principal moyen de défense, ne sont-ce pas nos forteresses ? Nous n’en avons pas d’autres, en réalité. Quand vous aurez réorganisé votre armée, si plus tard vous devez démolir les forteresses, et ouvrir notre territoire de toutes parts à l’invasion, à quoi donc nous servira notre puissante organisation militaire. Tout votre système de défense ne sera-t-il pas bouleversé ?
Il est évident qu’en suivant la voie dans laquelle veut nous entraîner le ministère, vous commencerez par où vous devriez terminer.
Suivez donc l’ordre logique des faits et des questions. La question des forteresses avant tout. Car de cette question dépend celle de savoir si la Belgique avec sa neutralité peut aspirer à devenir une puissance militaire et conserver les moyens de défense dont elle est en possession. Il est donc impossible, je ne puis assez le répéter, il est matériellement impossible que la chambre puisse examiner consciencieusement, et d’une manière utile et intelligente la question d’organisation militaire, si elle n’est pas fixée sur la question des forteresses.
Indépendamment de ces considérations de raison, de logique et de prudence, il en est d’autres de convenance, de loyauté, non-seulement vis-à-vis du pays, mais encore vis-à-vis de l’Europe, qui faisaient, ainsi que je l’ai dit une loi au gouvernement de résoudre enfin cette question trop longtemps ajournée. Quand un traité a été fait par le gouvernement, n’y a-t-il pas engagement d’honneur, engagement moral vis-à-vis des pays avec lesquels il traite, de soumettre immédiatement à la ratification des chambres la convention acceptée, si elle est de nature, comme celle de 1831, à réclamer l’adhésion du pouvoir législatif ?
Il y a d’autant plus d’urgence de s’occuper aujourd’hui enfin de cette question des forteresses, que le temps se charge de résoudre cette question que le ministère ne veut pas même nous permettre d’examiner. Pendant que les ministres sont immobiles et impassible à leur banc, le temps marche et il marche rapidement ; il se charge, lui, de l’exécution du traité, et se charge de la démolition de nos forteresses. Abandonnées et négligées, les plus importantes constructions tombent en ruine.
Que l’on reste dans cette situation pendant un demi-siècle ou pendant un siècle, et l’on sera à chercher la place où existaient les principaux travaux de fortification ; et l’on aura désarmé le pays et éludé la nécessité de l’intervention de la chambre pour résoudre cette grave question de la défense du territoire.
Quoi de plus urgent donc puisque la question se résout tous les jours, puisque les ruines des forteresses nous disent assez que si l’on attendait quelque temps encore, l’exécution de la convention de 1831 sera définitive et irrévocable, sans même qu’on ait pris la peine de la soumettre à l’examen des chambres.
Tout en respectant donc la prérogative du gouvernement, qui reste juge en principe du moment où il convient d’examiner les traités, je réclame pour la chambre le droit d’examiner, en temps utile, la convention de 1831. Le meilleur moyen de maintenir cette prérogative, c’est de ne s’occuper que de la question d’organisation de l’armée qu’après avoir résolu la question de droit public qui domine tout notre système militaire.
Je persiste dans ma proposition. Je demande l’ajournement du projet de loi d’organisation de l’armée aussi longtemps que le gouvernement ne se sera pas exécuté et n’aura pas soumis à la chambre, sinon l’examen de la (page 1261) convention de 1831, du moins un rapport sur la situation actuelle de cette grave question.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable membre prétend qu’il laisse le gouvernement libre.
Voyez cependant quelle position il veut lui faire. Il vous propose de surseoir à la discussion de la loi sur l’organisation de l’armée, si le gouvernement ne saisit pas la chambre d’une proposition concernant la démolition des forteresses. C’est ôter toute liberté et, par suite, toute responsabilité au gouvernement. Il faut que toute liberté reste au gouvernement, pour que la responsabilité continue à peser sur lui.
Il ne peut s’agir de soulever ici une question douteuse de prérogative. En effet, il suffit de lire l’art. 68 de la Constitution, pour savoir quelle position spéciale est faite au gouvernement, quant aux question de politique extérieure. C’est une question internationale, qu’on veut soulever malgré le gouvernement.
Nous engageons la chambre à ne pas entrer dans cette voie, que je n’hésite pas à qualifier d’imprudente.
M. Delehaye – ce langage est usé.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Ce langage n’est pas usé.
Le gouvernement a des devoirs à remplir. C’est pour cela qu’il a des droits. Il déclare que le moment de saisir la chambre de cette question n’est pas venu. C’est le gouvernement qui doit rester juge de l’opportunité.
Si on le contraignait à saisir la chambre d’une proposition, en prononçant le sursis sur un projet de loi, évidemment on ôterait toute liberté, toute responsabilité au gouvernement. La responsabilité retomberait sur la chambre. C’est ce que la chambre ne doit pas accepter.
M. Castiau – C’est à elle d’en juger.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Pour qu’elle pût en juger, il faudrait qu’elle connût toutes les circonstances qui se rattachent à cette question. Ces circonstances sont inconnues de la chambre. Il est impossible qu’elle les connaisse.
M. de Tornaco – Elle devrait les connaître.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il peut y avoir des cas où il y aurait imprudence à faire des communications à la chambre.
L’honorable membre raisonne comme s’il s’agissait de démolir toutes nos forteresses. C’est une singulière exagération.
M. Castiau – Ce sont les principales.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) - Nous demandons que les prérogatives de chacun soient respectées. Les chambres ont cru depuis quinze ans qu’il fallait garder le silence sur cette question, laisser le gouvernement juge. Nous demandons que la chambre persiste dans cette conduite très-prudence, qui ont gardé toutes les assemblées qui nous ont précédés.
M. Castiau – En attendant, les forteresses se détruisent elles-mêmes tous les jours.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est encore une exagération. Il y a une place que nous connaissons tous et qui n’a jamais été complètement achevée.
Nous demandons formellement l’ordre du jour. La chambre agira sagement ; elle préviendra des complications en prononçant cet ordre du jour. Elle restera en même temps conséquente avec elle-même.
M. de Mérode – Je trouve que la réponse que M. le ministre des affaires étrangères n’est pas du tout insignifiante ; il est impossible de décider d’avance s’il est bon ou mauvais de démolir les forteresses.
D’ailleurs, elles ne doivent pas être toutes démolies, plusieurs resterons debout. On en construit même une neuve actuellement, celle de Diest.
L’empereur Joseph avait fait démolir les places fortes. La France républicaine a trouvé peut-être dans cette circonstance une facilité pour envahir la Belgique.
En 1830, les places fortes n’étaient, au contraire, qu’une facilité pour la France de juillet si elle eût voulu s’emparer de toute la ligne frontière.
La question de l’armée ne dépend pas des places fortes ; elle dépend beaucoup des ressources financières du pays, et n’eussions-nous aucune place forte, il serait à propos de conserver une armée qui agirait avec tels ou tels alliés selon l’occasion.
Les puissances qui élevèrent tant de murailles sur notre limite méridionale, ne se doutaient pas du résultat de leurs travaux que venait inspecter le duc de Wellington. Les événements de 1830 dérangèrent toutes leurs combinaisons. Il nous est donc bien difficile d’en former nous-mêmes, que l’avenir justifiera.
M. Dumortier – Messieurs, après ce qui s’est dit dans les derniers jours qui ont précédé notre ajournement, je m’attendais à voir le gouvernement venir vous présenter un rapport sur la question des forteresses. Vous vous rappellerez en effet, messieurs, ce qui s’est passé. Lorsque j’ai eu l’honneur de soulever cette question devant vous, Monsieur le ministre de l'intérieur, répondant à mon interpellation, vous a déclaré qu’à l’ouverture de la discussion sur l’organisation de l’armée, le gouvernement ferait un rapport sur la question des forteresses, et peut-être, a-t-il ajouté, ce rapport conclura en disant que nous n’avons rien à conclure ? Vous vous rappellerez, messieurs, ces expressions.
Voilà ce qu’on disait lorsqu’il s’agissait de mettre la question de l’armée à l’ordre du jour. A la suite d’une déclaration aussi formelle, j’étais donc en droit de m’attendre à voir le gouvernement venir présenter aujourd’hui un rapport sur cette importante question ; question qui, quoi qu’on en dise, prime complètement celle de l’organisation de l’armée.
Aujourd’hui, que vous dit le cabinet ? que vient de dire Monsieur le ministre de l'intérieur ? Le moment, dit-il, n’est pas venu de discuter la question. Le gouvernement se réserve la question d’examiner la question d’opportunité. Comment, le moment n’est pas venu d’examiner cette question ? Vous vous réservez de décider sur l’opportunité ? Mais commencez par vous mettre en harmonie avec vous-même. Vous avez déclaré que vous feriez un rapport lors de cette discussion. Vous avez donc été fort inconséquent, vous avez été éminemment imprudent, puisqu’on a parlé d’imprudence, lorsque vous avez promis ce rapport.
Ce n’est pas tout, messieurs ; depuis l’origine de cette session, Monsieur le ministre de l'intérieur n’a cessé de se glorifier de vouloir terminer la question militaire. Trois questions, vous a-t-il dit, étaient en présence, vous aviez la question commerciale, nous l’avons résolue ; vous aviez la question intérieure, nous l’avons résolue ; vous avez la question militaire, nous aurons le courage de l’aborder et nous la résoudrons. Cependant, messieurs, vous arrivez aujourd’hui à l’examen de la question militaire : il s’agit de se prononcer sur ce qu’il y a de plus délicat dans cette question, et le gouvernement recule. Est-ce là être conséquent avec soi-même ? Je ne sais ce que fera la chambre ; mais il sera toujours démontré que le gouvernement a reculé devant la difficulté qu’il avait soulevée en présentant le projet de loi d’organisation de l'armée. Car il ne devait pas ignorer qu’en présentant cette loi, il soulevait la question de la démolition des forteresses. Et pourquoi ? Parce que l’organisation de l'armée doit se faire d’après le système militaire que le gouvernement veut adopter. Si vous adoptez le système de défense en campagne, il vous faut une armée pour tenir la campagne. Si vous adopter un système de défense dans les forteresses, il nous faut une armée organisée pour garder les forteresses. Dans ce dernier cas, vous n’aurez pas besoin d’autant de cavalerie, d’autant d’artillerie légère ; mais il vous faut de la grosse artillerie, il vous faut plus d’infanterie pour défendre vos murailles. Si au contraire vous voulez tenir la campagne, il vous faut une cavalerie plus forte et vous n’avez pas besoin d’autant d’artillerie de siège ; vous n’avez surtout pas besoin de payer annuellement des sommes considérables pour entretenir des forteresses que vous devez démolir.
Vous le voyez donc, la question des forteresses prime tout à fait celle de l’organisation de l'armée ; et c’est avec raison que l’honorable M. Castiau vous a dit, que si le gouvernement ne vous en présentait pas une solution satisfaisante, il fallait ajourner la discussion du projet à l’ordre du jour.
On vient de vous dire que la motion de l’honorable M. Castiau est imprudente ! Comment ! vous appellerez cette motion imprudente ! Il est possible qu’elle le soit pour la conservation de vos portefeuilles ; mais elle ne l’est pas pour le pays, qui doit savoir à quoi s’en tenir. Un traité a été passé avec les grandes puissances ; ce traité a été communiqué officiellement à la chambre, en 1831 ; il en a souvent été question dans nos débats ; et on viendra nous dire que demander l’opinion du gouvernement sur ce traité, c’est commettre un acte d’imprudence ! Mais je crois que, s’il y a imprudence quelque part, c’est dans la conduite du gouvernement qui ne veut pas prendre de résolution.
Messieurs, et ici je ne partage pas l’opinion d’autres orateurs, je me suis toujours montré partisan de la démolition des forteresses. Je regarde cette mesure comme excellente au point de vue national. Je sais qu’en pareille matière les opinions peuvent être différentes ; mais j’appellerai à l’appui de mon opinion tous les précédents historiques. Rappelez-vous tous les enseignements de l’histoire et vous verrez que toujours ce sont les forteresses qui font la ruine du pays.
En effet, messieurs, nous pouvons nous trouvés exposés à être en guerre avec trois nations qui nous environnent : la Hollande, l’Allemagne, la France. Du côté de l’Allemagne, nous n’avons guère de forteresses ; ce sont les frontières naturelles des Ardennes qui nous préservent. Du côté de la Hollande, une invasion n’est pas fort à craindre, parce que nous pouvons toujours mettre sur pied une armée aussi considérable et même plus considérable que la Hollande. Mais du côté de la puissance qui nous avoisine au midi, la question est tout autre. Nous ne pourrions mettre sur pied qu’une armée comparativement infiniment moindre. Or, dans un pareil état de choses, supposons une invasion de ce côté, pouvons-nous diviser notre armée de telle manière qu’une partie doive garder les forteresses et l’autre tenir la campagne ? Cependant si vos forteresses ne sont pas bien gardées, qu’arrivera-t-il ? C’est que la puissance envahissante s’en emparera : qu’elle en restera en possession, et avec elles, du pays.
Messieurs, il ne faut pas remonter si haut pour avoir un exemple ; rappelez-vous ce qui s’est passé en 1830. N’est-il pas vrai de dire que c’est la possession par l’ennemi des forteresses de Maestricht et de Luxembourg qui a entraîné la perte de ces magnifiques provinces que nous regrettons de nous avoir vu arracher par la Hollande ? Eh bien, chose pareille arriverait en cas de guerre avec une puissance contre laquelle vous ne serez pas assez forts pour défendre vos forteresses. Je dis donc qu’il est de notre intérêt de les démolir et d’empêcher ainsi cette puissance de se loger militairement dans le pays.
Vous le voyez, messieurs, l’opinion que je professe est dictée par un sentiment profondément national.
Messieurs, on vous parle de la responsabilité ; si la chambre forçait le gouvernement, il y aurait responsabilité pour elle. Mais je vous demande, quelle responsabilité peut-il y avoir pour la chambre de demander au gouvernement de présenter ses conclusions sur un traité qui est signé depuis quinze ans ?
Depuis quinze ans, répond, Monsieur le ministre de l'intérieur, la chambre a gardé le silence sur ce traité, et il serait imprudent de le rompre aujourd’hui. Mais pourquoi, depuis quinze ans, la chambre a-t-elle gardé le silence ? Vous le savez tous ; c’est que, jusqu’en 1839, nous nous trouvions dans un état d’hostilité vis-à-vis de la Hollande, qui ne nous permettait pas de résoudre cette question. Aussi alors on a toujours ajourné l’examen de la question jusqu’après le traité à intervenir avec la Hollande. C’est ce que doivent se rappeler les membres qui siègent dans cette enceinte depuis la révolution. Chaque fois que la question a été soulevée, le gouvernement a toujours répondu qu’elle ne pouvait être traitée que lorsqu’on aura fait une paix définitive avec la Hollande.
Eh bien, messieurs, voici cinq ans que cette paix est faite, et depuis lors j’ai appelé à différentes reprises l’attention du gouvernement sur la question. Il est donc nécessaire d’en venir enfin à une solution ; le gouvernement accepte-t-il ou n’accepte-t-il pas le traité de 1831 ? Le gouvernement a-t-il l’intention d’en proposer la ratification à la chambre ?
Voilà ce que nous devons demander au gouvernement, et nous n’avons pas seulement le droit de le savoir, mais c’est un devoir pour nous et un devoir impérieux d’exiger une réponse à cet égard.
Encore une fois nous ne pouvons point entamer la discussion de l’organisation de l'armée avant de savoir si notre armée sera destinée à garder les places fortes ou à tenir la campagne.
Nous n’avons point une armée assez forte pour pouvoir remplir ces deux services à la fois ; c’est à peine si notre armée est assez nombreuse pour être à même de défendre nos forteresses. Nous ne pouvons donc pas espérer de la diviser de telle manière qu’elle puisse, d’une part, garder les places fortes et de l’autre couvrir la capitale. Or, vous savons tous, messieurs, que dans les guerres modernes, c’est vers la capitale qu’on se dirige. Lorsque la capitale tombe, tout le pays tombe en même temps.
Il faut donc, messieurs, que nous sachions positivement ce que veut le gouvernement ; veut-il une armée en campagne ou veut-il une armée pour défendre les places fortes, qu’il nous le dise franchement et qu’il nous propose d’organiser l’armée en conséquence. S’il refusait de s’expliquer à cet égard, ce serait vouloir que la chambre vote en aveugle, et c’est ce que la chambre ne peut pas faire.
Si donc une responsabilité pèse ici sur quelqu’un, cette responsabilité pèse exclusivement sur le gouvernement.
Messieurs, le gouvernement demande l’ordre du jour, mais l’ordre du jour sur quoi ? Sur la question d’ajournement ?
Un membre – Sur la question des forteresses.
M. Dumortier – Il est une question qui prime celle-là, c’est la question d’ajournement. Pour mon compte, je demande qu’on vote d’abord sur la motion d’ajournement qui, aux termes du règlement doit avoir la priorité. Si le gouvernement persiste à ne point faire le rapport qu’il nous a promis il y a quinze jours, je demande que la chambre décide qu’elle n’examinera la question de l’organisation de l'armée que lorsque le gouvernement saura ce qu’il aura à faire quant à la démolition des forteresses.
En prenant cette décision, nous ne forcerons pas la main au gouvernement : l’armée est organisée ; elle marche ; laissons les choses dans la situation où elles se trouvent jusqu’à ce que le gouvernement se soit expliqué sur le traité de 1831. Le gouvernement peut être juge de l’opportunité. Eh bien ! qu’il soit juge de l’opportunité de la question des forteresses ; mais quant à voter l’organisation de l'armée, sans savoir si les forteresses seront maintenues, ce serait, je le répète, voter en aveugle, et c’est ce qu’on ne peut pas demander à la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Voici, messieurs, ce que je disais dans la séance du 15 mars :
« Le gouvernement examinera quelles sont les explications qu’il aura à donner. La conclusion du gouvernement sera peut-être qu’il n’a pas pour le moment de conclusion à prendre ». Je demande s’il y a dans ces paroles une promesse de faire un rapport à la chambre ! On vous a annoncé, messieurs, des explications ; ces explications, on les a données. Le gouvernement s’est bien gardé de promettre un rapport à la chambre sur une question de cette gravité, ou de lui annoncer une proposition ; l’une et l’autre aurait présenté les mêmes dangers. Il y a, messieurs, dans cette question, autre chose qu’une question militaire. On trouve l’opportunité dans le rapprochement qu’il faudrait faire, il faudrait examiner d’autres positions, d’autres circonstances, qui sont en dehors de cette chambre, en dehors même du pays, et c’est ce que nous ne pouvons pas faire ici. Lorsque le ministère vient déclarer sur une question de politique extérieure que le moment n’est pas venu de saisir la chambre d’une proposition, le parlement ne fait jamais violence au ministère.
M. Dumortier – Nous ne voulons pas vous faire violence.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous voulez faire violence au gouvernement ; vous voulez le forcer à saisir dès à présent la chambre d’une proposition ou d’un rapport. Il ne peut pas accepter cette responsabilité. Du reste, messieurs, ce n’est pas la première fois que la chambre est saisie de la question militaire. Elle l’a été successivement par plusieurs budgets et jamais on n’a opposé cette espèce de fin de non-recevoir qu’on veut opposer aujourd’hui.
M. Castiau – Vous demandez une organisation définitive.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Cette organisation a été demandée par la chambre elle-même en exécution d’un article de la Constitution ; c’est par suite de cette réclamation qu’elle a été saisie du projet.
Il ne faut pas, messieurs, qu’on assimile cette question à toute autre question dont les chambres peuvent être saisies. C’est une question de politique extérieure, je ne puis assez le répéter, c’est une de ces questions pour lesquelles la Constitution a sagement fait une position spéciale à notre gouvernement. Il ne s’agit pas ici de manquer de courage, de n’oser risquer quelque chose, il s’agit de faire ce qui convient aux intérêts du pays. Nous vous déclarons que les intérêts du pays prescrivent au gouvernement cette réserve, et nous la garderons.
M. d’Huart – Messieurs, si je partageais l’opinion de l’honorable M. Dumortier, qu’il est conforme aux intérêts du pays de démolir au plus vite nos forteresses, j’appuierais la motion qu’on vient de faire, car je crois, qu’en définitive, la discussion de la question soulevée pourrait nous amener peut-être plus promptement que nous ne le pensons la démolition de nos forteresses. Mais, comme je professe une opinion tout à fait contraire à celle de l’honorable M. Dumortier, comme je sens quelque chose en moi qui me dit que le pays se trouverait blessé par la démolition, comme je sais que cette question touche à la dignité nationale, je ne veux pas d’une manière quelconque hâter l’exécution du traité ont on a parlé. Je désire, messieurs, que ce traité reste inexécuté pendant 15 ans encore, pendant 50 ans, toujours même, s’il est possible ; ce retard sera mon vœu le plus ardent. Je désire que la question reste dans l’état où elle est, où on l’a laissée si heureusement depuis 15 ans.
Ainsi, messieurs, ne partageant pas l’opinion de l’honorable M. Dumortier à cet égard, je ne donnerai la main à aucune espèce de discussion qui pourrait conduire à la démolition des forteresses. Il y aurait là une très-grande responsabilité et, pour ma part, comme membre de la chambre, je ne voudrais point accepter cette responsabilité. C’est au gouvernement, c’est au pouvoir exécutif à apprécier les circonstances ; c’est à lui à nous soumettre la question lorsqu’il le jugera convenable.
S’il était vrai, comme le dit l’honorable M. Castiau, que le point de savoir si les forteresses seront démolies doit dominer l’organisation de l'armée, alors je conviendrais qu’il faudrait examiner le point de savoir s’il faut que le traité s’exécute, soit maintenant soit dans un temps déterminé ; mais la question n’est pas là. Comme on l’a dit, il ne s’agit que de cinq forteresses ; et le maintien ou la démolition de cinq forteresses, dans l’opinion du gouvernement, ne peut influencer en rien l’organisation de l'armée. M. le ministre de la guerre est prêt à donner à cet égard des explications, si on le désire ; M. le ministre des affaires étrangères l’a dit. Dès lors, pourquoi voulez-vous entraîner une discussion qui peut avoir le résultat que j’ai indiqué tout à l’heure ?
Cette question, messieurs, ne concerne pas seulement la Belgique, c’est une question internationale que je crois prudent de ne pas soulever et dont je ne veux pas provoquer la solution en ce moment.
On a dit, messieurs, que le traité de 1831 est fait, qu’il faut l’exécuter. Mais pourquoi exécuterions-nous le traité de 1831, pourquoi chercherions-nous à en amener l’exécution ? Je n’y vois aucun avantage et j’y verrais de grands inconvénients. Si la prudence ne me commandait pas de m’arrêter, je pourrais indiquer bien des considérations pour démontrer que nous avons intérêt à ne pas nous occuper de la question en ce moment.
J’appuierai donc de mon vote l’ordre du jour qui est demandé. Je pense qu’il n’y a pas lieu, en ce moment, de nous occuper de la question des forteresses et qu’il convient d’examiner le projet de loi sur l’organisation de l’armée, abstraction faite de l’existence ou de la non existence des cinq forteresses dont il s’agit.
M. Delehaye – Je ne veux point me prononcer en ce moment sur la nécessité de démolir ou de conserver nos forteresses. Je déclare que je n’ai pas suffisamment examiné la question pour savoir s’il est utile ou s’il est juste de démolir les forteresses. Mais ce qui m’importe avant tout c’est la question de savoir si cinq forteresses de plus ou de moins exerceront, oui ou non, une influence sur l’organisation de l'armée. Je demanderai à M. le ministre de la guerre s’il oserait dire formellement, qu’il est indifférent pour l’organisation de l'armée qu’il y ait cinq forteresses de plus ou de moins. Incontestablement aucun militaire n’oserait soutenir une pareille opinion. Evidemment cette question domine toute l’organisation de l'armée. Il est certain que si toutes les forteresses sont maintenues, il faudra des régiments d’artillerie de plus. Quoique la question me soit étrangère, j’ose cependant dire, qu’il est impossible que la solution de cette question n’exerce pas une influence sur l’organisation de l’armée. Je demande donc que M. le ministre de la guerre se prononce formellement sur ce point.
Monsieur le ministre de l'intérieur a rappelé ce qui se passe en Angleterre. C’est bien mal à propos qu’il a choisi l’exemple de ce pays. Est-ce en Angleterre que l’on verrait ce qui s’est passé ici, il y a quelques semaines ? Une question de confiance a été posée, et comment se sont exprimés ceux qui ont voté pour le gouvernement ? Ils ont déclaré ouvertement que le gouvernement n’avait pas leur confiance.
Sir Robert Peel a la confiance des hommes qui l’appuient ; ici personne n’a confiance au ministère. Il faut une ambition démesurée pour vouloir encore, après l’expression unanime de manque de confiance, rester ministre. Véritablement je ne comprends pas que Monsieur le ministre de l'intérieur ose citer le grand exemple de sir Robert Peel. Certainement s’il a quelque chose de commun avec sir Robert Peel, ce n’est pas la dignité. Le ministre anglais se serait retiré devant l’opinion que la majorité a exprimé à votre égard, et vous, malgré tant de défiance, vous êtes demeuré au pouvoir.
M. Nothomb nous recommande la prudence, c’est le thème usé qu’il invoque dans un moment de gêne, on est imprudent à signaler les fautes du gouvernement, on ne l’est pas quand on attaque les puissances étrangères. Quant, tout récemment encore, quelques membres de la chambre ont attaqué la France, quand on a dit que la France manquait à ses engagements, quand on l’accusait de déloyauté, oh ! alors il n’y avait pas d’imprudence (page 1263), alors le gouvernement a laissé dire. Mais ce n’était plus la même chose quand nous sommes venus soutenir la France. Lorsque, dans la discussion relative au traité conclu avec le Zollverein, il s’est agi de la question des voies fluviales, on a déclaré qu’il y avait imprudence à traiter cette question en séance publique, et alors on a demandé le comité secret. Eh bien ! que nos ministres demandent encore aujourd’hui le comité secret ; personne de nous ne se refusera à entendre leurs explications ; nous serons heureux d’apprendre les raisons qui les engagent à ne pas nous saisir de cette convention. Je ne comprendrais pas que la chambre qui est appelée à organiser l’armée, n’exigeât point du gouvernement qu’il s’explique sur la question de savoir s’il entend ou non maintenir nos forteresses.
Faites-y attention, messieurs ; si, avant d’avoir vidé la question préjudicielle, vous admettez purement et simplement le projet d’organisation dont vous êtes saisis, il n’y aura plus de discussion ultérieure possible ; vous en serez réduits à voter chaque année une somme globale en rapport avec les propositions que vous aurez adoptées. Vous vous lierez donc définitivement les mains.
Il faut donc, messieurs, que le gouvernement s’explique ; que M. le ministre de la guerre nous dise si, dans son opinion, le maintien ou la démolition des forteresses est sans action sur la fixation du personnel de notre armée ; qu’il nous assure qu’il importe peu que nous conservions cinq forteresses en plus, qu’il ne faut pas pour cela modifier les propositions qui nous sont faites.
Messieurs, si vous pesiez bien les paroles de Monsieur le ministre de l'intérieur, vous acquerriez la certitude que le gouvernement n’a pas le courage de s’énoncer sur la portée d’une convention signée par le ministre des affaires étrangères ! Il veut laisser au temps le soin d’exécuter la convention. Comme l’a dit l’honorable M. Castiau, les forteresses tombent en ruine. Ainsi, le gouvernement se repose sur le temps du soin d’une œuvre à laquelle l’oblige une convention approuvée et signée par lui.
J’avais également à faire une motion d’ordre. J’attendrai, avant de la soumettre à la chambre, que celle dont nous nous occupons maintenant soit épuisée.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – L’on soutient que la force de l’armée et sa formation dépendent de la question de démolition des forteresses, et que l’on ne peut songer à une organisation définitive tant que cette question n’aura pas été résolue.
Je ne puis partager cet avis, et je soutiens que l’organisation, telle qu’elle a été proposée, doit répondre à toutes les éventualités.
Nous ne pouvons admettre qu’en cas de démolitions des forteresses, l’armée puisse être réduite du nombre de troupes destinées à y tenir garnison.
Remarquons d’abord que la force de l’armée doit être telle qu’elle puisse répondre à toutes les éventualités ; elle doit donc être calculée de manière à pouvoir suffire au cas le plus défavorable ; et parce que vous croirez avoir réduit les garnisons sur une frontière, il ne faut pas en conclure que cette frontière indiquera à l’avenir le maximum de garnisons ; il n’en serait pas ainsi, messieurs, et dès lors la réduction que vous attribuez au chiffre des garnisons sera bien moins considérable.
Il est un principe généralement reconnu que, lorsque des troupes sont abritées par des fortifications, leur force se multiplie et qu’il faut que l’ennemi soit en nombre supérieur pour les attaquer ou même les bloquer.
Il en résulte que si l’on met en rase campagne les troupes d’une partie de nos garnisons, elles ne pourront pas contribuer à la défense du pays avec la même efficacité. Il en résulte que pour que nos moyens de défenses conservent la même force, il faut que l’armée en campagne soit augmentée d’un nombre de soldats au moins aussi considérable que celui des corps dégagés des places fortes. Il n’y a donc pas là de diminution possible sur le chiffre de l’armée.
D’ailleurs, de ce que plusieurs de nos points stratégiques ne se trouveront plus fortifiés, faut-il en conclure que l’armée ne devra plus se retrancher nulle part ? Ne faudra-il pas, au contraire, se disposer immédiatement à se retrancher sur d’autres points stratégiques importants, dont la possession peut exercer la plus grande influence sur les suites de la guerre ? Et à l’appui de ce que nous disons ici, nous n’avons pas besoin de chercher les exemples loin de nous.
Quel fut le premier soin du duc de Wellington en 1815 ? Ne fut-ce pas de renforcer par des ouvrages de campagne les points qu’il avait jugés les plus importants ? Quel fut notre souci à la fin de 1831, si ce n’est de garnir de retranchements les points qui semblaient les plus menacés ? Les ouvrages élevés à Hasselt, Diest, Lierre, sur les bords de l’Escaut et dans les Flandres, ne sont-ils pas là pour témoigner du besoin de suppléer au vide laissé par les fortifications permanentes ; et de ce que de pareils ouvrages offrent moins de consistance que les forteresses, pourrait-on en conclure qu’il faudrait moins d’hommes pour les défendre ?
Je dis plus : là et en rase campagne, l’on peut moins compter sur les troupes qui, de leur nature, sont moins exercées au métier de la guerre, et notre garde civique qui pourra être très-utile dans les forteresses, ne pourrait rendre les mêmes services dans les positions dont nous venons de parler.
On voit encore par là qu’une diminution dans le nombre de nos forteresses ne peut entraîner une diminution dans le chiffre de l’armée permanente.
Mais, dit-on, en admettant que le chiffre de l’armée doive rester le même, il résultera tout au moins de la démolition des forteresses, un changement dans la répartition des diverses armes.
Je dis vous prouver, messieurs, que notre organisation se prête aussi à cette éventualité.
Le gouvernement a dû depuis longtemps se préoccuper de l’emploi qu’il aurait à faire de ses forces dans telle ou telle circonstance donnée, et il résulte de toutes les combinaisons qu’il a dû faire à cet égard, et que l’intérêt public interdit de détailler ici, il en résulte, dis-je, non-seulement l’emploi du complet de nos 80,000 hommes, mais aussi celui du bon nombre de bataillons de garde civique. Le chiffre de ces derniers peut seul être considéré comme variable et dépendant entièrement des circonstances.
Quant à l’emploi des 80,000 hommes, sans entrer à cet égard dans des explications que tout gouvernement prudent doit s’interdire, je puis vous dire qu’une partie peut être exclusivement destinée à la défense des forteresses et qu’une autre partie, la plus importante, doit être propre à remplir tous les services ; tels que les opérations en campagne, la défense de l’intérieur du pays contre une agression soit du dehors, soit du dedans, les renforts à fournir à certaines forteresses, etc.
Dans certains cas, cette partie de l’armée que j’appellerai l’armée en campagne, pourra n’être que de 40,000 hommes ; mais, dans d’autres, elle devra se monter à 50,000 hommes.
Voici, messieurs, comment par notre organisation, nous pourrons dans telle circonstance différente, augmenter le chiffre des autres corps.
Quoique le projet de loi ne porte pas sur les cadres du pied de paix, nous n’avons pas moins dû songer à une organisation complète, et pour cela, établir un pied de paix et un pied de guerre pour tous les corps et parties de corps. Or, vous verrez, MM., par les annexes au projet de loi, que le pied de guerre de la partie encadrée ne comporte que 75 à 76,000 hommes ; il nous reste donc 4 à 5,000 hommes dont la destination peut être remise au moment de la guerre. Or, comme notre cavalerie et notre artillerie de campagne ont été calculées de manière à exiger la création supplémentaire de quelques escadrons et de quelques batteries de réserve, à un chiffre intermédiaire inférieur même pour correspondre au chiffre moyen des deux limites de 40 à 50,000 h. que nous avons indiquées plus haut, il s’ensuit que si l’armée en campagne doit être de 50,000 hommes, nous prendrons sur la partie disponible de 4 à 5,000 hommes un plus grand nombre de ces escadrons et de ces batteries de campagne de réserve. Si, au contraire, l’armée en campagne ne doit être que de 40,000 hommes ou environ, les 4 à 5,000 hommes restant seront répartis de préférence entre l’infanterie et les batteries de siège.
La démolition des forteresses est l’un des cas dans lesquels il faudrait porter au maximum l’armée en campagne, et comme nous venons de le voir, ces cas sont prévus par notre projet. Rien ne doit donc nous empêcher, messieurs, de vider aujourd’hui cette question d’organisation dont la solution est attendue depuis si longtemps par l’armée.
M. Dumortier – Messieurs, l’organisation qu’on nous propose est la consécration de l’organisation de l'armée, telle qu’elle existait lors de notre réunion avec la Hollande. Or, dans cette organisation, toutes les troupes étaient destinées à tenir la campagne, parce que nous n’avions aucune forteresse à garder du côté de la Hollande. Aujourd’hui, d’après ce que vient de dire M. le ministre de la guerre, le gouvernement est assez intentionné de conserver les forteresses.
Mais voyez combien son système pèche par la base. « Nous pouvons, dit-il, mettre 80,000 hommes sous les armes. » Eh bien, l’organisation est telle que nous ne pouvons tenir que 40,000 hommes en campagne. Sans doute, vous ne maintiendrez dans les forteresses ni artillerie légère, ni cavalerie ; vous y mettrez de l’infanterie et de l’artillerie de siège ; vous aurez de la cavalerie, vous aurez de l’artillerie légère, mais vous n’aurez pas d’artillerie de campagne. Voilà où vous arriverez avec ce système d’organisation ; vous n’aurez pas d’infanterie pour tenir la campagne. L’infanterie, on l’a trop négligée depuis 15 ans : on a tout fait pour la cavalerie et l’artillerie.
Les explications que vient de donner M. le ministre de la guerre prouvent donc, de plus en plus, la nécessité d’examiner préalablement la question des forteresses.
Mais, dit encore M. le ministre de la guerre, l’armée ne peut être réduite, quel que soit le système que vous adoptiez ; la force armée restera toujours la même.
Mais, messieurs, nous n’avons pas à discuter une loi sur le contingent de l’armée ; la loi que nous sommes appelés à examiner, est la loi d’organisation de l'armée. Il faut donc, avant de voter une pareille loi, savoir s’il faut donner plus de force, soit à l’infanterie, soit à la cavalerie ou à l’artillerie. Il faut donc d’abord trancher la question des forteresses.
Ces forteresses, dit-on, ne sont qu’au nombre de cinq. Mais ces cinq forteresses constituent l’ensemble du système militaire de la Belgique du côté des puissances qui peuvent être agressives dans une hypothèse donnée. Ainsi, qu’il y ait cinq forteresses, c’est peut de chose en apparence, mais c’est beaucoup en réalité, puisque le système tout entier gît dans l’existence des cinq forteresses.
Dans mon premier discours, j’ai eu l’honneur d’exprimer une opinion sur les forteresses. L’honorable M. d’Huart a cru voir dans cette question une question de dignité nationale. A nos yeux la question n’intéresse pas le moins du monde la dignité nationale. J’ai certes donné assez de preuves de mon désir ardent de maintenir cette dignité dans tout son intégrité, pour ne pas parler aujourd’hui dans un sens qui y porterait atteinte. Mais savez-vous dans quel cas la dignité nationale serait mise en jeu ? C’est lorsqu’on viendrait nous forcer à démolir les forteresses. Aujourd’hui nous délibérons sans être pressés par aucune puissance ; nous délibérons spontanément, nous examinons ce qu’il y a de plus avantageux à faire dans l’intérêt du pays. A chacun son opinion. Mais, je le répète, la dignité nationale n’est pas intéressée ici, parce que nous agissons, en ce moment, en dehors de l’influence d’une puissance quelconque. Mais si nous laissons marcher les événements, alors le jour viendra peut-être où l’on nous dire ;
(page 1264) « Vous démolirez les forteresses » et alors si nous obtempérions à cette sommation, nous porterions une véritable atteinte à la dignité nationale.
Mais aujourd’hui nous sommes libres, nous délibérons dans l’intérêt du pays, sans être contraints par personne. Nous avons à examiner si le système d’organisation qui était en vigueur pendant l’existence du royaume des Pays-Bas, alors que la force armée de la Belgique pouvait être réduite à la moitié de ce qu’elle est aujourd’hui ; si ce système, dis-je, convient encore dans l’état des choses. Ce n’est donc pas une question de dignité nationale, mais bien une question de sécurité nationale, qui se rattache au débat actuel.
C’est, dit Monsieur le ministre de l'intérieur, une question internationale, et il faut laisser le gouvernement libre.
Messieurs, le gouvernement était libre de faire ou de ne pas faire le traité ; mais il a fait signé et ratifié le traité.
Le gouvernement a donc posé un acte auquel deux des ministres actuels ont concouru, l’un comme agent diplomatique, l’autre comme secrétaire général du département des affaires étrangères. On dira que le gouvernement doit être libre dans ses rapports avec les gouvernements étrangers. Mais vous l’étiez quand vous avez posé cet acte ; il est votre fait ; vous ne pouvez pas venir dire que vous devez être libre, quand vous avez lié le pays par un acte que vous avez posé. Ainsi ces arguments sont dépourvus de solidité. Il reste constant que nous avons à examiner une question qui intéresse la dignité nationale et qui domine l’organisation de l’armée.
Quoi qu’en dise M. le ministre de la guerre, avec une armée de 80 mille hommes, il n’est pas indifférent que 40 mille soient employés à garder les fortifications et 40 mille à tenir la campagne.
Aussi longtemps que nous ne saurons pas si la moitié de l’armée sera employée à garder les forteresses et l’autre moitié à tenir la campagne ou si nous aurons une armée destinée à garder des forteresses ou à tenir la campagne, nous ne pouvons pas nous occuper de l’organisation de cette armée. Nous ne pouvons pas émettre un vote consciencieux sans savoir auquel de ces systèmes on veut donner la préférence. Un vote émis sans être fixé sur ce point serait un vote sans connaissance de cause. La chambre ne peut pas émettre un vote semblable. Je me prononce donc pour l’ajournement. Nous avons d’ailleurs d’autres travaux urgents. Nous avons les projets de loi sur les céréales, sur les chemins de fer et d’autres projets de loi dont les rapports sont faits. Quand le gouvernement voudra avoir une loi d’organisation de l'armée, il fera un rapport sur les forteresses et on s’en occupera tout de suite.
M. de Garcia – Messieurs, l’on ne peut se dissimuler l’importance de la question soulevée par l’honorable M. Castiau et soutenue par l’honorable M. Dumortier. Cette question est complexe ; elle tient à une prérogative du gouvernement, que, quant à moi, je respecterai toujours. Cependant l’on ne peut méconnaître que la décision de cette question doit avoir une grande influence sur l’organisation de l'armée appelée à défendre le territoire national. Pour combattre cette objection l’on dit qu’il ne s’agit que de cinq forteresses, mais le pays n’en ayant que 20 à 21, ce nombre correspond au quart des forteresses que nous possédons, et dès lors ce doit d’une influence assez notable sur une organisation militaire. C’est une chose plus importante qu’on semble vouloir prétendre à la vérité, car, le ministre de la guerre a dit que, dans son intention, il espérait que la garde civique pourrait être employée à la défense des forteresses. Quant à moi je le désire également, parce que je voudrais qu’au jour du danger l’armée pût tenir la campagne et défendre le gouvernement ; de l’existence de celui-ci peut dépendre entièrement le salut de la patrie. Il faut donc, dans tous les cas, que celui ci soit à couvert et mis à l’abri de l’insulte de l’ennemi par un corps d’armée éprouvé.
On a dit qu’on organisait l’armée de manière à pourvoir à tout, soit qu’on garde ou qu’on ne garde pas les frontières. Je conçois difficilement une organisation bien appropriée à ces deux hypothèses différentes. Je ne puis concevoir que le même matériel de guerre soit approprié aux deux hypothèses. N’avez-vous pas un exemple dans ce qui se passe en France. On y a construit une seule forteresse, celle de Paris ; ne voyez-vous pas les millions que le gouvernement demande pour établir ce système militaire, pour le matériel seul nécessaire à la défense de ces forts ? Cet exemple vous met à même d’apprécier la différence qui doit résulter dans l’organisation de la défense militaire du pays dans les deux hypothèses différentes où l’on se trouve renfermé. Néanmoins, j’aurai regret de différer l’organisation de l’armée, dans l’intérêt du pays comme dans celui de l’armée. Je pense qu’il est urgent de s’en occuper immédiatement. Je sais que l’honorable M. Dumortier veut un gouvernement qui serait à la discrétion du gouvernement lui-même, qu’une fois les éclaircissements demandés sur certains points obtenus, il consentirait à s’occuper de l’organisation de l’armée ; cependant, j’aurais de la peine à adopter cette proposition, parce que je pense que tout retard apportée à l’organisation de l'armée serait funeste au pays.
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – L’honorable préopinant vient d’invoquer l’exemple de la France ; je vais m’en emparer à mon tour, de cet exemple, pour démontrer que la démolition des forteresses n’aurait pas d’influence sur l’organisation de l'armée. En effet, la France vient de construire autour de Paris autant de bastions que nous en comptons dans la Belgique entière ; cependant le ministère n’a proposé aucun changement d’organisation par suite de la construction de ces fortifications. La France a construit des forts autour de Lyon, et a nouvellement fortifié, ou projeté de fortifier plusieurs places, notamment Soissons, Laon, Lafère et presque tous les ports de mer. Le ministère a fait des propositions aux chambres pour augmenter l’armement, mais non pour changer l’organisation de l'armée.
Outre cet exemple, je puis encore citer celui de la confédération germanique, dont l’armée a été organisée en 1821. Depuis lors elle a construit des forteresses, et cependant elle n’a pas songé à modifier son organisation de 1821.
Je crois donc que ces exemples viennent à l’appui des arguments que j’ai présentés.
J’ai déjà prouvé que, dans toutes les circonstances, nous devons avoir une armée en campagne ; que cette armée, d’après nos calculs, ne peut être moindre de 40,00 hommes, et que son maximum peut être compté à 50 mille hommes ; ce qui restera sera la partie destinée à former la garnison des forteresses. Cette partie sera composée de 30 mille hommes dans un cas, de 40 mille dans un autre. Ces garnisons seront complétées, selon les circonstances, par 20 à 30 mille hommes de garde civique.
Un membre – Et l’infanterie ?
M. le ministre de la guerre (M. Du Pont) – L’infanterie sera répartie dans l’armée en campagne d’après les règles généralement adoptées ; elle formera les trois quarts de cette armée ; ensuite dans les différentes combinaisons l’infanterie, l’artillerie, le génie et une portion de la cavalerie seront réparties dans les différentes garnisons, également d’après des principes fixes et d’après les études qui ont été faites pour la défense de chacune des forteresses.
Voilà comment les troupes seront réparties.
Je pense avoir établi que, dans certains cas, l’armée en campagne devra être plus forte que dans d’autres. Selon les circonstances, il faudra tantôt un plus fort, tantôt un moindre supplément de garde civique. C’est là la partie variable.
Je viens de dire que, dans le projet d’organisation, nous avons également un chiffre variable ; dans l’armée permanente, nous avons 5 mille hommes qui n’ont pas de destination fixée à l’avance, sur lesquels nous prendrons plus de cavalerie et plus d’artillerie de campagne, si nous devons avoir une plus forte partie de l’armée en campagne. Si, au contraire, nous n’avons besoin que du minimum de l’armée en campagne, nous augmenterons l’infanterie et l’artillerie de siège et nous n’aurons que peu d’escadrons et de batteries de réserve à former au moment de la guerre.
Le cas de démolition des forteresses est l’un de ceux où il faudra porter l’armée en campagne à 50,000 hommes ; l’organisation projetée pourvoit donc aussi à cette éventualité.
M. Verhaegen – Mon opinion sur l’organisation de l'armée est ce qu’elle a toujours été ; c’est-à-dire que je désire une organisation de l'armée forte et immédiate. Mais c’est dans l’intérêt même de cette opinion que j’engage le ministre à répondre d’une manière satisfaisante à l’interpellation qui lui a été faite par l’un de mes honorables amis, car je suis intimement convaincu que c’est des explications qu’il donnera que dépend le sort du projet. On peut ne pas être de la même opinion sur le point de savoir s’il faut ou non s’expliquer sur ce point dans le moment actuel ; aussi je ne traiterai pas cette question. Mais ce qui est indispensable, d’après moi, c’est qu’on nous dise d’une manière plus catégorique et plus nette qu’on ne l’a fait jusqu’à présent, si la question des forteresses, qu’on les démolisse ou qu’on ne les démolisse pas, est ou non indépendante ; si, dans les deux hypothèses, l’organisation de l’armée, telle qu’on la propose, doit rester la même. M. le ministre des affaires étrangères a annoncé que la démonstration de l’affirmative serait faite d’une manière mathématique. Je vous avoue, messieurs, que les explications qui ont été données ne m’ont pas convaincu ; je ne sais si, étranger à l’art militaire, je ne suis pas à même de comprendre les détails dans lesquels est entrée M. le ministre ; je ne sais si mes honorables collègues ont compris plus que moi. Tout ce que je puis dire, c’est que jusqu’à présent, je ne suis pas convaincu, et que je désire, dans l’intérêt de l’armée, qu’on puisse me convaincre.
J’ai entendu des affirmations, mais non des démonstrations. En réitérant mes interpellations, je m’adresse au cabinet tout entier, aux commissaires du gouvernement, à l’inspecteur général des fortifications, n’importe à qui, et ces interpellations, je les réitère dans l’intérêt même du projet que je me propose de soutenir de mon vote.
Je m’adresse, comme vous l’entendez, au cabinet tout en entier ; et vous en comprendrez la raison.
Avant de donner mon appui au projet de gouvernement, je désire savoir si le gouvernement ne nous réserve pas la même mystification qu’en 1843. Je désire savoir si M. le ministre de guerre peut aujourd’hui compter sur l’appui de ses collègues ; en d’autres termes, si nous n’avons pas à craindre qu’après trois semaines de discussions, le général du Pont ne soit sacrifié comme naguère a été sacrifié le général de Liem.
Ainsi, ce n’est pas à M. le ministre de la guerre, mais au cabinet tout entier, que s’adresse mon interpellation, et, en même temps, je demande à tous les ministres présents s’ils se rendent solidaires de leur collègue de la guerre.
M. Beuckers, commissaire du Roi – L’insistance que met l’honorable préopinant dans sa demande d’explications, me porte à croire que les explications qui ont été fournies n’ont pas été assez bien comprises.
Je ne me dissimule pas, du reste, l’importance de la question qu’a soulevée l’honorable M. Castiau ; car de toutes les complications qui peuvent venir embarrasser la discussion de la loi qui vous est soumise, la question de l’exécution du traité du 14 décembre 1831, concernant la démolition des forteresses, est sans contredit la plus dangereuse pour le résultat de nos débats.
S’il était vrai, comme quelques membres l’ont prétendu, que la solution (page 1265) de la question de forteresses dût nécessairement précéder celle de l’organisation de l'armée, vous vous trouveriez arrêtés devant un dilemme insoluble, devant une position à laquelle je ne verrai pas d’issue. Ou bien, Monsieur le ministre de l'intérieur l’a déclaré, le gouvernement serait en demeure de précipiter la solution d’une question qu’il désire n’aborder qu’avec réserve, de décider sous l’influence d’une préoccupation une affaire à l’égard de laquelle il doit conserver une entière liberté, ou bien l’importance de cette seconde considération ne me paraît pas avoir été suffisamment appréciée, ou bien l’organisation de l’armée serait indéfiniment ajournée. Ainsi se perpétuerait dans l’armée cet état d’incertitude, dans lequel elle se trouve depuis trop longtemps, ainsi se continuerait cette action dissolvante du provisoire, qui, il ne faut pas vous le dissimuler, finirait par tuer moralement l’armée.
Heureusement, la solution préalable de la question des forteresses n’est pas indispensable, et cette circonstance heureuse tient à une particularité toute accidentelle de notre situation militaire.
Les éléments essentiels de l’organisation de l'armée, ceux qui ont servi de base à la rédaction du projet de loi qui vous a été soumis, la fixation de l’effectif et de la proportion des armées ont dû être calculés dans la prévision d’un cas de guerre déterminé. On a dû faire plusieurs hypothèses sur les attaques possibles, et, pour ne pas être pris au dépourvu, choisir entre tous les cas probables, le plus exigeant.
Or, il se fait que le cas de guerre qui peut être aussi qualifié est celui d’une attaque par la frontière du nord.
L’armée organisée dans cette hypothèse suffit et au delà dans des cas d’une exigence moindre, tel que le serait celui d’un attaque du côté de la frontière du midi. Or, la frontière du midi est seule intéressée dans la question des forteresses. Ainsi cette question se trouve naturellement éliminée.
Je le répète, messieurs, on doit se féliciter de ce résultat, car la question, telle que l’honorable M. Castiau la présente, prend une forme réellement alarmante pour l’armée ; car voici le raisonnement de cet honorable membre : lorsqu’il sera question d’exécuter le traité, il ne vous restera plus qu’à licencier l’armée. Or, d’après lui encore, le gouvernement est, dès aujourd’hui lié à l’exécution du traité. La question que cet honorable membre a soulevée ne tiendrait donc ni plus ni moins qu’au licenciement de l’armée. Sous cette forme, elle ne peut évidemment pas être posée.
Pour rendre plus complète la démonstration du fait que j’ai attaqué plus haut, il me faudrait entrer dans des détails ; mais ce serait là anticiper sur la discussion, et je pense que l’inconvénient des discussions anticipées doit déjà se faire sentir
M. de Mérode renonce à la parole.
M. de Garcia – J’avais cité un exemple pour démontrer que, dans l’organisation d’une armée, il faut nécessairement apprécier l’état des forteresses. M. le ministre de la guerre a cru devoir s’en emparer pour soutenir les considérations qu’il nous a présentées. Cet exemple, dit-il, prouve que, pour l’organisation d’une armée, il n’est pas nécessaire d’apprécier la circonstance des forteresses, puisqu’en France l’érection des forts de Paris n’a dû amener aucun changement dans son organisation militaire.
Ceci n’est rien moins qu’exact, et nul de nous n’ignore la demande de plusieurs millions faite par le gouvernement français pour parvenir à compléter le matériel de guerre nécessaire à ce nouveau système de défense. A la vérité, l’organisation du personnel de l’armée n’a subi aucune modification ; mais cela se conçoit parfaitement en France où une armée nombreuse peut toujours se trouver à la disposition du gouvernement, soit pour tenir la campagne soit pour occuper les places fortes. Une autre considération, c’est que la forteresse de Paris doit, dans des cas données, recevoir les débris d’une armée. Je reste convaincu, dès lors, que l’argument fait par M. le ministre de la guerre est sans fondement pour soutenir sa thèse actuelle.
Si quelques-unes de nos forteresses doivent être démolies, il serait utile qu’on le sût, ce serait en pure perte que l’on ferait des dépenses pour leur armement, et approprier leur état de défense.
M. d’Huart – Nos forteresses sont armées.
M. de Garcia – Je suis convaincu du contraire, et si demain la Belgique avait une guerre à soutenir, je suis certain qu’il faudrait faire une dépense immense et de plusieurs millions pour compléter uniquement le matériel de guerre.
Je n’admets donc pas que l’armement soit complet. Mais avec le matériel qui se trouve disséminé dans nos différentes places, si la démolition des forteresses reprises dans le traité de 1831 était reconnue, vous pourriez peut-être, sans nouvelles dépenses, compléter l’armement de celles qui resteraient. Alors vous ferez une économie évidente sans nuire au personnel de l’armée. C’est le but que je désire atteindre à l’occasion de cette démolition.
L’honorable M. d’Huart a parlé de dignité nationale, de circonstances qui seraient blessantes pour le pays. C’est même à propos de ces observations que j’ai demandé la parole.
Je conviens que si aujourd’hui quelque puissance étrangère venait à nous imposer la démolition des forteresses, ce serait contraire à la dignité du pays. Quant à moi, je n’y consentirais pas. Mais comme l’a fait observer l’honorable M. Dumortier, lorsqu’une nation, ne consultant que son intérêt, prend spontanément une résolution pareille, je crois qu’on ne blesse en aucune manière la dignité nationale. Il est évident qu’il y a une différence énorme entre un mouvement spontané et une obligation imposée.
Prenez-y garde, le traité est un contrat synallagmatique : en le laissant subsister, sans l’exécuter, nous nous exposons à un affront ; nous exposons la dignité nationale à être blessée, et peut-être dans un moment où vainement on voudrait s’y opposer.
Je voudrais donc que la question fût résolue aujourd’hui.
Mais, d’un côté, voulant respecter la prérogative du gouvernement, et, d’un autre, ne pas différer une organisation qui me paraît urgente dans l’intérêt du pays, je ne pourrai voter en faveur de la proposition de M. Castiau.
M. d’Huart – Je concevrais les observations de l’honorable M. de Garcia, s’il n’y avait pas de traité, si ce n’était pas en vue de ce traité qu’on démolit les forteresses, si c’était réellement un acte spontané. Mais cet acte ne serait pas plus spontané maintenant que plus tard. C’est à cause du traité du 14 décembre 1831 qu’on veut démolir les forteresses. Aussi la question de la dignité nationale reste dans ce cas comme dans l’autre.
Qui vous dit qu’il ne s’écoulera pas un grand nombre d’années avant qu’on demande la mise à exécution de ce traité ? Depuis 15 ans, on n’en parle pas. Nous ne portons ombrage à personne. Personne n’a le droit de demander la démolition de nos forteresses, après les avoir laissées debout 15 ans après la conclusion du traité. Il serait déraisonnable de le demander. La Belgique a une position politique telle, l’ordre règne tellement chez elle qu’aucune puissance n’a de motifs pour demander la démolition de nos forteresses.
Dans une telle situation, le plus sage est d’attendre. Quant à moi, je suis décidé à attendre, à admettre la proposition du gouvernement, qui tend à considérer l’hypothèse la plus probable, ; le maintien de la situation qui dure depuis 15 ans.
M. Malou – Si je partageais l’opinion de l’honorable M. Dumortier, qu’il est de l’intérêt du pays de démolir les forteresses reprises dans la convention de 1831, je m’empresserais de voter pour la proposition de l’honorable M. ; Castiau. Je voterai contre cette proposition, parce que je suis intimement convaincu qu’il est de l’intérêt non-seulement de la dignité du pays, mais de sa défense, de son existence, de conserver les forteresses établies sur la ligne du midi. C’est parce que j’ai cette conviction, que je voterai contre la proposition de l’honorable M. Castiau.
Je désire qu’on parvienne, dans des circonstances meilleures, à éviter ce malheureux reste de nos malheurs diplomatiques.
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire, je ne crois même pas qu’il soit possible de discuter publiquement cette question des forteresses. Déjà, j’ai regret à le dire, beaucoup de choses ont été dites qu’il eût été plus avantageux pour le pays que l’on tût à l’Europe.
Je rappellerai seulement que la section centrale, dont j’avais l’honneur de faire partie, n’a pas négligé cette question. Cette question a été dans son sein l’objet d’une attention sérieuse, et d’une discussion à la suite de laquelle elle s’est rangée à l’opinion du gouvernement qui est la disjonction des forteresses du projet de loi d’organisation de l'armée.
M. Devaux – Je n’aime pas, surtout dans les questions internationales, à faire prendre à la chambre la place du gouvernement. J’avoue cependant que j’ai un grand regret que le gouvernement n’ait pas cru pouvoir fixer la chambre sur la question importante du nombre de nos forteresses dans la discussion dont nous nous occupons.
Je crois que la loi de l’organisation des cadres de l’armée se ressentira de l’influence de cette indécision.
Je regrette que le gouvernement n’ait pas cru devoir nous instruire de l’état de cette question. Il me semble que nous aurions pu savoir, par exemple, si l’on insiste sur l’exécution de la convention de 1831 ou si elle est abandonnée.
Le gouvernement aurait pu nous exposer aussi les raisons pour et contre la démolition des forteresses. Car, il y a des raisons pour et contre. Lorsque le général Goblet a conclu la convention de 1831 à Londres, certainement il n’a pu céder à des raisons d’intérêt étranger ; il a eu des raisons belges pour signer la convention. Il serait extrêmement utile de les reconnaître.
Je regrette, messieurs, que le gouvernement n’ait pas cru pouvoir résoudre définitivement toute cette question dans un moment peut-être moins dangereux que ne le sera peut-être l’époque où, de nécessité, on sera amené à la trancher, dans un moment où l’Europe est en paix, où l’Angleterre et la France désirent se maintenir dans une entente cordiale, comme on dit. On ne peut se dissimuler qu’il pourra survenir des circonstances bien moins opportunes.
Messieurs, l’incertitude pèsera sur toute la discussion. Il y aura dans cette chambre deux opinions. Les uns désireront la démolition des forteresses ; ils regarderont l’armée comme trop forte, parce qu’ils croiront son organisation connue dans l’hypothèse contraire. D’autres voudront la conservation des forteresses ; ceux-là croiront l’armée trop faible peut-être pour défendre toutes nos places fortes ; ils n’auront pas foi dans l’efficacité de l’organisation militaire proposée. Il en résultera qu’ils n’accorderont pas à la question de l’armée l’intérêt qu’elle doit avoir ; que les sacrifices pécuniaires qu’on réclame ne paraîtront pas justifiés par leur utilité.
Je l’avoue, vouloir résoudre la question dans une double hypothèse, comme cela paraît être la prétention du ministère, d’après les discours que nous venons d’entendre, cela me paraît très-difficile, et surtout exiger, non pas dans le cours de la discussion, mais auparavant, dès aujourd’hui, à l’heure même, des explications beaucoup plus convaincantes que celles qu’on vient de nous donner. M. Le commissaire du Roi est allé un peu plus loin que M. le ministre de la guerre, mais il n’a donné que des affirmations. Il nous a dit : Notre armée suffit contre la Hollande.
M. Beuckers, commissaire du Roi – Contre la frontière du nord.
M. Devaux – Contre la frontière du nord ; à plus forte raison, ajoute-t-on (page 1266), elle suffit contre la frontière de France. Il est possible que cette assertion suffise pour des hommes qui ont fait de l’art militaire une étude spéciale ; mais je prie messieurs les militaires qui défendent le projet, de considérer qu’il est ici très-peu d’hommes qui aient des connaissances spéciales dans cette question, qu’il faut un peu, si je puis le dire, nous mettre les points sur les i. Je les prie donc de se donner la peine de nous démontrer, ce qui, je l’avoue, me paraît assez difficile, ce qui, peut-être, paraîtra même difficile à beaucoup de militaires, que la question de la force de l’armée est indépendante de la démolition des forteresses ; que la démolition ou le maintien de telle forteresse, par exemple, qui exige 15 à 20,000 hommes pour sa défense, est sans influence sur le chiffre auquel il faut élever l’effectif de l’armée en temps de guerre et les cadres en temps de paix. J’avoue que cela me paraît très-difficile à démontrer ; si on le peut, tant mieux, mais je voudrais qu’on le fît.
Je voudrais, quant à moi, n’avoir pas d’incertitude, et être bien certain que le chiffre, jugé nécessaire dans une hypothèse, le sera encore dans l’autre. Il se pourrait même que, sous l’influence des préoccupations de sa position, le gouvernement qui, dans toutes les questions, cherche à capituler ; qui n’a jamais défendu, dans cette chambre, comme il le devait, l’intérêt militaire ; qui s’est endormi constamment ; qui n’a pas mis à profit les intervalles des discussions du budget de la guerre pour éclairer le pays ; le gouvernement qui a toujours attendu la discussion du budget de la guerre pour parler de l’armée ; qui est venu nous proposer un projet de loi avec un exposé qui pourrait être suffisant pour l’organisation d’un tribunal civil, mais qui ne suffit pas pour faire apprécier cette immense question ; qui, au lieu de donner des lumières à foison, de mettre cette question de notre organisation militaire au concours dans l’armée et parmi les militaires instruits de l’étranger, a semblé craindre qu’on s’en occupât au dehors de ses bureaux ; il se pourrait, dis-je, que le gouvernement, en voulant transiger et satisfaire à deux hypothèses à la fois, fût arrivé à une solution qui ne convînt à aucune. Il pourrait se faire que les cadres de 80,000 hommes fussent ou trop forts dans le cadre de l’exécution du traité de 1831, ou trop faibles dans le cas du maintien de toutes nos places fortes, ou l’un et l’autre à la fois.
Il faudrait donc poser des bases certaines, dire quelles sont les exigences, les constater nettement, et ne pas se retrancher dans des allégations vagues, dans des affirmations.
Il est très-fâcheux, dans une pareille discussion, de manquer de point de départ, de ne pas savoir si l’armée sera organisée dans l’hypothèse du maintien et de la défense des forteresses actuelles, ou dans l’hypothèse d’un autre système de fortifications. Car si l’on en venait à résoudre la démolition des forteresses, alors surgirait une autre question ; il y aurait à examiner s’il n’y a pas d’autres travaux à faire pour compléter notre système de défense.
Toutes ces questions devraient être résolues.
Ainsi, je le confesse, d’un côté je ne voudrais pas déplacer la responsabilité, je voudrais la laisser au gouvernement dans les questions internationales ; d’un autre côté je crois que ce que nous allons faire, dans cette fausse position, ne sera que du provisoire ; je crains que nous ne résolvions rien quant à l’organisation définitive de l’armée, qu’en d’autres termes ce qui sortira de nos discussions ne sera pas beaucoup plus stable qu’un simple budget de la guerre, et que la solution définitive ne soit réellement ajournée à l’époque où la question des forteresses sera tranchée.
Tout à l’heure, on a dit, que la démolition des forteresses se fera non par l’exécution du traité, mais par le temps ; qu’elles tomberont en ruine. C’est une manière très-dangereuse de résoudre la question. Car en attendant qu’elles soient complètement démolies, si une guerre s’élevait, il faudrait bien les défendre. Et si on n’a pas calculé sur cette défense, si on est trop faible pour les défendre, leur maintien est très-dangereux ; mieux eût valu les démolir. D’un autre côté elles sont démolies ainsi, par le fait, par inaction, sans examen raisonné ce sera peut-être à tort, et alors que peut-être nous pouvions les sauver.
Messieurs, j’engage donc fortement le gouvernement à nous démontrer qu’il faut partir de l’hypothèse de la démolition ou de celle du maintien des places fortes, ou bien, s’il le peut, à nous prouver clairement que, dans les deux cas, la patrie peut être en sécurité et que son système suffit aux deux hypothèses.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je regrette, a dit l’honorable préopinant, de ne pas être fixé sur la question des forteresses, soit dans l’un, soit dans l’autre sens. Ce regret est aussi partagé par le gouvernement. La question des forteresses est une question de politique extérieure que nous a léguée la révolution de 1830. Il ne dépend pas, messieurs, d’un ministère quelconque d’enlever à cette question son caractère. Il n’a pas dépendu du ministère actuel de la lui enlever.
Cette question se présente avec toutes les chances de complications extérieures qui l’on accompagnée depuis son premier jour. Nous ne pouvons pas, messieurs, en dire davantage. Nous croyons même que, dans aucun cas, le gouvernement ne pourrait entrer dans de grands détails sur cette question.
Nous regrettons donc, comme l’honorable membre, d’être jusqu’à un certain point dans l’incertitude ; c’est à la force des choses qu’il faut s’en prendre ; mais nous devons, d’un autre côté, nous féliciter de ce que l’organisation militaire soit possible, abstraction faite de la question de la démolition de certaines forteresses. Nous irons même plus loin. Nous dirons à ceux qui regardent l’existence des forteresses, au nombre où elle sont aujourd’hui, comme formant la base unique de l’organisation de l’armée, de partir du fait du maintien de toutes les forteresses.
On vous a expliqué tout à l’heure que c’est cependant une erreur de croire que l’existence de toutes les forteresses, à quelque point du territoire où elles se trouvent, soient la base unique de l’organisation de l’armée en Belgique.
Nous abordons, messieurs, une question toute nouvelle, qui sort malheureusement de nos études habituelles. Je le dis non-seulement pour les membres de cette chambre, mais même pour les membres du ministère. L’honorable membre nous reproche de ne pas connaître tous les détails de l’organisation militaire. Messieurs, j’avoue que je me trouve jusqu’à un certain point dans le même embarras que la chambre, bien que des sources de renseignements me soient ouvertes qui ne sont pas ouvertes à tous les membres de la chambre. Mais je dois ici m’en remettre au ministre de la guerre pour beaucoup de détails.
Ceux qui veulent davantage, ceux qui veulent que les démonstrations pour les questions de l’armée leur soient acquises, comme elles le sont dans toutes les questions de droit, par exemple, ceux-là, je n’hésite pas à le dire, demandent l’impossible.
Je partage donc en partie les regrets que vous a exprimés l’honorable préopinant. Mais je le prie de vouloir bien se rappeler celles des circonstances qu’il peut connaître et qui se rattachent à cette délicate question.
Il n’a pas dépendu de nous de donner à la chambre plus de certitude que nous n’en avons nous-mêmes. C’est une question de politique extérieure, et je dirai même de politique extérieure présentant un caractère tout particulier.
On propose l’ajournement et on dit : le gouvernement fera cesser cet ajournement quand il le jugera convenable. Non, messieurs, c’est là une erreur, et M. le commissaire du Roi vous l’a très-bien indiqué par le dilemme qu’il vous a posé. Il ne dépendrait pas du gouvernement de faire cesser l’ajournement. Il ne pourrait le faire cesser qu’en faisant naître peut-être certains dangers qu’il veut éviter au pays. En un mot, messieurs, cette question touche à nos relations extérieures, et nous prions la chambre de ne pas poser un acte quelconque qui puisse compliquer ces relations. Il est malheureux, messieurs, qu’il y ait des questions de ce genre. Mais ces questions existent. Quand elles se présentent, il faut bien les accepter ; ou même ; si vous voulez, les subir avec tous leurs embarras.
Nous déclarons donc à la chambre que nous nous opposons à l’ajournement ; nous ajoutons qu’on ne doit pas se bercer à l’idée qu’en prononçant l’ajournement, on ne renverrait pas par là même la fixation du sort de l’armée à un temps indéfini. L’ajournement serait par la nature des choses un ajournement sans terme connu. Il n’est pas donné à votre gouvernement, dans les circonstances actuelles, de faire cesser les causes de l’ajournement que vous auriez prononcé.
M. le lieutenant-colonel Beuckers, commissaire du Roi – L’honorable M. Devaux a mis le département de la guerre en demeure de fournir, dès à présent, une démonstration complète de la vérité de l’assertion dont je me suis fait l’organe. Je tiens, messieurs, à faire remarquer qu’on ne peut administrer cette démonstration qu’en entrant dans tous les détails du projet qui vous est soumis. Je vous ai dit, messieurs, que la supposition d’une attaque sur une partie de nos frontières était le cas le plus exigeant ; pour démontrer qu’il en est réellement ainsi, il faudrait comparer les divers cas d’attaques que l’on pourrait supposer, et entrer, dès lors, dans l’exercice du chiffre de l’effectif de la proportion des cadres. Il faudrait aller plus loin encore ; comme, dans certaines hypothèses, l’armée pourrait avoir besoin d’être réunie dans un délai plus court que dans d’autres, il faudrait aller jusqu’à examiner les dispositions à prendre pour faire passer l’armée du pied de paix au pied de guerre. Je demande si ce n’est pas là toute la loi.
Si donc une démonstration aussi complète que l’honorable membre le désire n’est pas administrée, c’est que, dans la nature des choses, cette démonstration n’est pas possible sans qu’on épuise tout le débat.
J’au cru remarquer, messieurs, que la désignation que j’ai faite d’une de nos frontières, a donné lieu à une interprétation fausse. Quand j’ai parlé de la frontière du nord, j’aurais dû dire du nord-est, et je n’entends par là désigner aucune puissance qui pourrait nous attaquer ; je désigne seulement la frontière avec les conditions défensives qui lui sont propres.
Il me reste une explication à fournir sur l’état de nos forteresses. On croit que les forteresses dont il s’agit se démolissent d’elles-mêmes ; je puis, à raison de la position que j’occupe dans l’administration, donner à cet égard des apaisements complets à la chambre ; les forteresses sont toutes construites depuis 1815 ; elles sont entièrement neuves ; elles n’éprouvent que les dégradations qui arrivent à toutes les forteresses du monde. Je n’hésite pas à dire qu’il n’existe peut-être pas en Europe une forteresse, quelle qu’elle soit, à moins qu’elle ne vienne immédiatement d’être construite, qui se trouve dans un état meilleur que la plus mauvaises de nos forteresses.
Un membre – Celle de Mons.
M. le lieutenant-colonel Beuckers – Celle de Mons est comprise ; je puis à cet égard donner à la chambre une certitude pleine et entière. Il y a à Mons ce qui se présente ailleurs ; il y a entre autres une innocente crevasse qui a le malheur d’être apparente, mais qui n’a aucune gravité. Il n’existe ni à Mons ni ailleurs rien d’alarmant dans l’état des fortifications.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je répondrai à l’interpellation faite toute à l’heure par l’honorable M. Verhaegen, en donnant à la chambre l’assurance que tous les membres du cabinet sont parfaitement d’accord avec M. le ministre de la guerre sur toutes les parties de l’organisation de l'armée et sur la marche de la discussion.
Un membre – Vous êtes solidaires ?
M. le ministre des finances (M. Mercier) – Certainement.
M. Pirson – Quelques honorables membres ont prétendu que l’exécution du traité du 14 décembre 1831 devait avoir une grande influence sur l’organisation de l’armée ; je ne partage pas cette opinion. Dans aucun pays la composition en différentes armes n’a jamais été, ni ne peut être déterminée, par des considérations rigoureusement absolues. Cela ne peut avoir lieu, messieurs, parce qu’il est impossible de prévoir toutes les éventualités que peut présenter l’attaque ou la défense.
Répondant à l’honorable M. Verhaegen, je lui ferai remarquer qu’il n’est aucun militaire qui puisse dire : il faut mathématiquement autant d’infanterie, autant d’artillerie, autant de cavalerie. Les experts militaires posent bien un minimum et un maximum basés sur l’expérience des guerres, mais outre ce minimum et ce maximum, quel est le chiffre à adopter ? Personne ne peut le fixer d’une manière absolue. Ce chiffre dépendant d’une foule de circonstances différentes, impossibles à prévoir, doit être celui qui paraîtra devoir satisfaire au plus grand nombre d’éventualités, mais, je le répète, il ne peut être déterminé d’une manière absolue, ni on ne peut prouver mathématiquement que celui adopté soit le meilleur.
En tous cas, il n’y a guère que pour la force de la cavalerie et l’espèce d’artillerie qu’on puisse être plus ou moins fondé à soutenir qu’il doive y avoir une modification suivant qu’on embrasse le système du maintien de toutes les forteresses ou le système de la démolition de quelques-unes d’entre elles. En ce qui concerne la cavalerie, s’il faut adopter le système du maintien de toutes les forteresses, c’est alors qu’il en faudra le moins. Eh bien, dans cette hypothèse, supposons que nous n’eussions en campagne qu’un corps d’armée de 45,000 hommes, le rapport de la cavalerie à l’infanterie sera de 1/16. Evidemment cette proportion n’est pas trop élevée, car les auteurs militaires s’accordent à dire que le rapport de la cavalerie à l’infanterie peut-être de 1/4 ou 1/8 et qu’il doit varier d’après la constitution topologique du pays. Or, vous ne l’ignorez pas, messieurs, il n’y a pas de pays plus ouvert et moins défendu par des barrières naturelles que la Belgique.
Ce rapport de 1/16 de l’infanterie pour notre cavalerie me paraît un terme moyen, qui peut satisfaire à la fois aux deux suppositions, soit du maintien de toutes les forteresses, soit de la suppression de quelques-unes d’entre elles.
En ce qui concerne l’artillerie, si l’on maintient toutes les places fortes, il faudra plus d’artillerie de siège ; si l’on adopte le système de la démolition de quelques-unes d’entre elles, il faudra plus d’artillerie de campagne. Messieurs, je vous le ferai encore remarquer, les troupes de l’artillerie sont indistinctement dressées au service des bouches à feu de siège, et au service des bouches à feu de campagne, et les batteries de campagne ne diffèrent guère des batteries de siège que lorsqu’on les mobilise, en leur donnant des conducteurs et des chevaux.
En France, il n’y a même plus de batteries de siège, et tous les régiments ne sont composés que de batteries montées et de batteries à cheval. D’après notre organisation actuelle, nos batteries de campagne n’ayant sur le pied de guerre qu’un très-petit nombre de chevaux, si la guerre éclatait, on pourrait avec la même facilité, sans qu’il en coûte plus au pays, soit en employer un certain nombre à la défense des places fortes, soit les mobiliser toutes, si le corps d’armée destiné à tenir la campagne était assez nombreux pour l’exiger.
Il me paraît donc, messieurs, que nous pouvons passer à la discussion du projet de loi sur l‘organisation de l’armée ; car, je le répète, je ne crois pas que l’exécution du traité dont on a parlé (et elle doit avoir lieu) soit appelée à modifier beaucoup l’organisation de l’armée telle qu’elle se trouve constituée actuellement et que la section centrale vous propose de l’adopter. Je m’oppose en conséquence à la motion d’ajournement. Il est indispensable, messieurs, autant dans l’intérêt du pays que dans celui de l’armée, qui mérite toute notre bienveillance et qui attend avec une légitime impatience qu’il soit statué sur son sort, qu’une loi soit faite dans cette section. Le sénat partage cette opinion qu’il a manifestée à plusieurs reprises. La question militaire ne peut toujours rester pendante, les inquiétudes qu’elle fait naître démoralisent l’armée et ne peuvent être que funestes au pays. Je demande donc formellement que l’on passe à la discussion de la loi sur l’organisation de l’armée et j’espère qu’une loi conciliant à la fois les intérêts du pays et ceux de l’armée obtiendra enfin une majorité que j’appelle de tous mes voeux.
- La proposition de M. Castiau est mise aux voix ; elle n’est pas adoptée.
La séance est levée à 4 heures et demie.