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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 27 février 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 925) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Guirsch demande qu’il soit fait remise aux habitants de cette commune des contributions des années 1839 à 1844. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Plancenoit demande que cette commune continue à faire partie du deuxième canton de Nivelles et que le chef-lieu de ce canton soit transféré à Braine-Lalleud. »

- Renvoi à la commission chargé d’examiner le projet de loi sur la circonscription cantonale.


« Les négociants et marchands de foulards établis dans divers villes demandent que le droit de 10 fr. par kilogramme, dont sont frappés ces tissus par l’arrêté du 13 octobre, soit réduit à 5 fr. »

- Renvoi à la commission permanente d’industrie.


« Les distillateurs de Hasselt demandent la construction du chemin de fer de St-Trond à Hasselt. »

- Renvoi au ministre des travaux publics.


Par message en date du 24 février, le sénat transmet à la chambre une copie de la liste des membres du jury d’examen qu’il a nommés dans la séance de ce jour.

- Pris pour notification.

Composition des bureaux de section

M. le secrétaire fait connaître la composition des sections de février :

Section 1. Président : de Theux ; vice-président : d’Huart ; secrétaire : van Cutsem ; rapporteurs de pétitions : de Garcia

Section 2. Président : Dumortier ; vice-président : Verhaegen ; secrétaire : de Mérode ; rapporteurs de pétitions : Lesoinne

Section 3. Président : Duvivier ; vice-président : Vanden Eynde ; secrétaire : de Villegas ; rapporteurs de pétitions : Mast de Vries

Section 4. Président : E. de Burdinne ; vice-président : Delfosse ; secrétaire : de Corswarem ; rapporteurs de pétitions : Huveners

Section 5. Président : Dubus (aîné) ; vice-président : Scheyven ; secrétaire : de Meester ; rapporteurs de pétitions : Zoude

Section 6. Président : Savart ; vice-président : Simons ; secrétaire : Lange ; rapporteurs de pétitions : de Saegher.


Il est fait hommage à la chambre par M. Bruno (aîné), d’un exemplaire du 3e volume du Code administratif de Belgique.

- Dépôt à la bibliothèque.


M. Lange, retenu chez lui pour affaires, demande un congé de quelques jours.

Ce congé est accordé.

Décès d'un membre de la chambre

Il est donné lecture de la lettre suivante :

« M. le président,

« C’est avec la plus profonde douleur que j’ai l’honneur de vous faire part, ainsi qu’à MM. les membres de la chambre des représentants, qu’il a plu à Dieu d’appeler près de lui, ce matin, à trois heures et demie, mon bien-aimé époux M. de Florisone de Siam, votre collègue.

« Agréez, M. le président, l’assurance de la haute considération et du profond respect avec lesquels j’ai l’honneur d’être,

« Votre très humble et affligée servante,

« E. de Florisone, née Mazeman de Conthove.

« Bruxelles, 27 février 1845. »

M. le président – Mme de Florisone nous annonce la mort de son mari.

Si l’assemblée vient bien m’y autoriser, je m’empresserai d’écrire à Mme de Florisone pour lui exprimer la part que nous prenons à sa douleur et les regrets que nous éprouvons de la perte de notre honorable collègue. (Appuyé ! appuyé !)

Il est dans les habitudes de la chambre de nommer une députation de onze membres, non compris le président, pour assister à la cérémonie de l’enterrement. Si aucune autre proposition n’est faite, nous tirerons au sort cette députation.

Le sort désigne : MM Verhaegen, Rogier, Osy, Lys, de Meer de Moorsel, de Naeyer, Dumortier, Dedecker, d’Hoffschmidt, Huveners et de Theux.

MM. les questeurs s’informeront du jour et de l’heure de la cérémonie, et s’occuperont des honneurs funèbres.

Commission d’enquête chargée de rechercher les causes de l’éboulement du tunnel de Cumptich

Nomination des membres

Voici le résultat du scrutin :

Nombre de votants, 58.

Majorité absolue, 30.

M. Brabant obtient 48 suffrages, M. Vanden Eynde 40 suffrages, M. Lesoinne 7 suffrages, M. Delfosse 35 suffrages, M. Verhaegen 32 suffrages et M. Dumortier 32 suffrages.

Ces six membres ayant obtenu la majorité absolue, sont proclamés membres de la commission d’enquête.

Les membres qui ont obtenu le plus de voix après eux sont ;

M. Osy qui a obtenu 27 suffrages ; M. de Man d’Attenrode 27 suffrages ; M. Pirmez 27 suffrages ; M. David, 26 suffrages, M. de Naeyer, 25 suffrages et M. Mast de Vries 24 suffrages.

Il est procédé à un second scrutin pour la nomination du septième membre. En voici le résultat :

Nombre de votants, 63.

Majorité absolue : 32 suffrages.

M. de Man d’Attenrode obtient 40 suffrages ; M. David 12 suffrages, M. Osy 5 suffrages ; M. de Naeyer, 4 suffrages ; M. Mast de Vries, 1 suffrage et M. Pirmez 1 suffrage.

En conséquence, M. de Man d’Attenrode est proclamé membre de la commission d’enquête

- M. Vilain XIIII remplace M. d’Hoffschmidt au fauteuil.

Projet de loi qui autorise la concession du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse et de ses embranchements

Discussion générale

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, parmi les amendements présentés, les uns ne peuvent ne concerner que des questions de forme, n’avoir pour but que de corriger une rédaction qui pourrait présenter un sens douteux ou de coordonner tel article de la convention avec telle clause du cahier des charges qui avait été rédigé avant que la convention n’eût été admise.

Mais d’autres amendements, messieurs, peuvent avoir pour objet des clauses réellement résolutoires, qui, si elles étaient adoptées, entraîneraient ou pourraient entraîner la renonciation par la compagnie à la convention qui a été adoptée entre elle et le gouvernement.

Ce dernier genre d’amendements je ne puis l’admettre.

Ainsi, l’amendement proposé par l’honorable M. David, et qui concerne l’une des bases de la convention, c’est-à-dire la question des péages, ne doit pas être admis par la chambre, parce qu’il s’agit là d’une clause réellement résolutoire, et j’ai démontré hier qu’au point de vue de l’intérêt industriel, il n’y avait aucun motif pour admettre cet amendement.

Messieurs, l’honorable M. Brabant a proposé un amendement ainsi conçu : « Le tracé pourra être modifié dans ses points de raccordements avec le chemin de fer de l’Etat. » Le but principal de cet amendement, et l’honorable M. Brabant l’a fait connaître, c’était d’autoriser le gouvernement à admettre, de concert avec la compagnie, par un tracé modifié, par exemple, celui proposé par le capitaine de génie Roland, et de le substituer au tracé primitif.

Messieurs, je pense que cet amendement n’est pas seulement inutile, mais qu’il donne au gouvernement moins de pouvoir que ne lui en donne le cahier des charges. En effet, à l’art. 1er du cahier des charges on lit ce qui suit :

« Le tracé principal a son point de départ sur le chemin de fer de l’Etat de Bruxelles à Namur, à proximité de la station de Marchiennes-au-Pont. Une branche de raccordement le rattache à la station de Charleroy.

Ainsi, messieurs, le tronc principal devra prendre son point de départ près de la station de Marchiennes-au-Pont. Le gouvernement tient à cette clause, car le chemin de fer considéré comme voie internationale, destiné à nous rattacher au chemin de fer français, ainsi que je l’ai expliqué dans la séance d’hier, le chemin de fer ; dis-je, envisagé comme international, doit nécessairement former le prolongement direct du chemin de fer de l’Etat. Or, s’il ne se rattachait pas à la station de Marchienne-au-Pont, il y (page 926) aurait un détour très défectueux pour la station de Charleroy, pour rencontrer le chemin de fer près de Jamioul. Ainsi, messieurs, lorsque nous envisageons la question sous le point de vue international, le tracé admis doit être conservé.

Mais à l’art. premier on a ajouté la clause suivante :

« Une branche de raccordement se rattache à la station de Charleroy. »

Ainsi, la compagnie est obligée d’exécuter le tracé direct sur Marchiennes-au-Pont, mais de plus elle est tenue de construire un chemin de fer de raccordement pour rattacher le tracé principal à la station de Charleroy. Le but que se propose l’honorable M. Brabant, de rendre possible l’exécution du nouveau tracé du capitaine Roland, ce but est donc atteint par le cahier des charges lui-même.

D’après l’amendement de M. Brabant, le gouvernement eût eu la faculté de substituer un tracé à l’autre, de commun accord avec la compagnie ; tandis que, d’après le cahier des charges, la compagnie est obligée de construire l’une et l’autre branches. Ainsi tous les intérêts sont mieux sauvegardés par la rédaction du cahier des charges que par la rédaction du nouvel amendement.

Du reste, messieurs, par l’article 5, le ministre des travaux publics est autorisé à apporter aux propositions et projets dont il s’agit, telle modifications qu’il trouvera nécessaires et utiles, pour reproduire autant que possible les conditions qui ont servi de base au projet n°7 ; les concessionnaires devront s’y conformer, et dans le cours de l’exécution, ils ne pourront s’écarter des projets approuvés par lui, que moyennant son autorisation expresse et formelle.

A la vérité, messieurs, cette branche de raccordement n’a pas été indiquée au pointillé sur la carte, et c’est probablement ce qui a induit quelques membres en erreur ; mais la carte ne fait pas loi ; ce qui fait loi, c’est le cahier des charges ; or, le cahier des charges est formel à cet égard.

L’amendement de l’honorable M. Brabant me paraît donc d’une part inutile, et de l’autre, il renferme certains dangers.

Messieurs, hier la discussion a porté principalement sur l’art. 7 de la convention du 1er février 1845. on a fait plusieurs objections contre la rédaction de cet article. Je me suis mis en rapport avec le fondé de pouvoirs de la compagnie qui a consenti à une modification de rédaction qui écartera les objections faites par l’honorable M. Lys et par l’honorable M. Cogels.

L’honorable M. Cogels nous a demandé si les concessions qui seraient accordées plus tard pour des embranchements, auraient également une durée de 90 ans, ou bien si la durée de la concession des embranchements devait expirer en même temps que la durée de la concession du tracé principal. Déjà hier, messieurs, je me suis expliqué à cet égard et l’interprétation que j’ai donnée à l’art. 7 a reçu le plein et entier assentiment du délégué de l compagnie.

D’un autre côté, l’honorable M. Lys, et après lui, l’honorable M. David ont supposé que, d’après la rédaction de l’art. 7, il était interdit au gouvernement de mettre ces nouvelles concessions en adjudication publique. C’était là une erreur : nulle part, dans l’art. 7, cette interdiction n’était formulée ; le gouvernement restait libre d’accorder ces concessions, soit par adjudication publique, soit de telle autre manière qu’il jugerait convenir. Mais, messieurs, comme le dernier alinéa de l’art. 7 avait semblé présenter un sens douteux, aux yeux de quelques honorables membres, je propose une modification qui est acceptée aussi par la compagnie et qui rend la rédaction de l’art. 7 parfaitement claire. La disposition serait ainsi conçue :

« La compagnie aura la préférence pour l’exécution de ces embranchements et communications, qui seront, le cas échéant, l’objet de concessions nouvelles dont la durée n’excédera pas la durée de la concession primitive. »

Je supprime les mots « octroyé par arrêté royal et d’après les bases de la concession primitive. »

Ainsi, lorsqu’il s’agira de construire un chemin de fer s’embranchant sur le chemin de fer principal d’Entre-Sambre-et-Meuse, si le chemin de fer a plus de 10 kilom., il faudra une loi. S’il a moins de 10 kilom., le gouvernement est autorisé par la loi des péages à la concéder. Mais alors, l’adjudication publique est de rigueur. Si l’on obtient par l’adjudication publique ou par la loi, des péages plus modérés, ou une réduction sur la durée de la concession, la compagnie Richards ne pourra user de son droit de préférence qu’en consentant au rabais obtenu, ou aux conditions meilleurs résultant de la loi.

C’est ainsi que cette clause avait été entendue par la compagnie et par le gouvernement. Seulement la rédaction pouvait présenter un sens douteux.

Des objections ont été faites aussi relativement aux articles 39, 40 et 41 du cahier des charges.

L’amendement présenté par l’honorable M. Malou concerne l’art. 39 ; je m’y suis rallié ; il ôte toute ambiguïté au sens que pouvait avoir l’article du cahier des charges.

Les art. 40 et 41 présentent effectivement une rédaction qui exige d’être modifiée. Quelques paragraphes de ces articles reproduisent les clauses de l’art. 50 dont il est exclusivement parlé dans l’art. 7 de la convention du 1er février. Ces paragraphes doivent être supprimés.

D’un autre côté, les industriels de Charleroy m’ont demandé s’il était bien établi que la circulation du matériel du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse sera autorisé sur le chemin de fer de l’Etat, pour parvenir aux usines, sans qu’on puisse exiger le transbordement. Il va sans dire que l’intérêt de l’Etat est de ne pas entraver l’exploitation sur un railway affluent de son propre chemin de fer. Il arrivera pour ce chemin de fer ce qui est arrivé pour le chemin de fer rhénan, il y aura une convention avec la compagnie pour admettre la circulation du matériel sur les lignes respectives. Il ne peut y avoir aucun doute à cet égard. J’ai modifié les articles 40 et 41 du cahier des charges, de manière à donner aux industriels de Charleroy toutes les garanties qui ont pu paraître leur manquer.

Ainsi, l’art. 40 serait ainsi conçu :

« Art. 40. Il sera également permis, à qui que ce soit, d’établir des embranchements aboutissant au chemin de fer et à ses embranchements, et qui ne soient pas de nature à faire l’objet d’une concession par voie de péages. »

Ainsi, le droit de préférence (c’était l’objection principale contre cet article) ne pourra concerner les petits embranchements que les usines feraient construire pour se rattacher au chemin de fer, lorsque ces embranchements ne seront pas de nature à être concédés par voie de péages, soit que le terrain appartienne à la société qui construira l’embranchement, soit qu’elle obtienne à l’amiable le passage sur le terrain d’autrui.

Ainsi, je retranche de l’art. 40 cette phrase : « Le gouvernement se réserve expressément le droit d’accorder de nouvelles concessions de chemin de fer, s’embranchant sur le chemin ici concédé, en prolongement de ce même chemin, » parce qu’elle est reproduite à l’art. 50.

L’art. 41 serait ainsi conçu :

« Art. 41. Les concessionnaires du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse ne pourront, en aucun temps, mettre obstacle à ses embranchements, ni à ceux qui seraient établis en vertu de l’art. 50 et pour lesquels les concessionnaires n’auraient pas usé du droit de préférence que leur attribue l’art. 7 de la convention du 1er février. L’établissement de ces embranchements ne pourra motiver, de leur part, aucune demande d’indemnité, pourvu qu’il n’en résulte aucun obstacle à la circulation ni aucuns frais particuliers tombant à leur charge. »

C’est la reproduction, à peu de choses près, de l’article primitif ; j’ajoute ce qui suit :

« Les concessionnaires s’engagent à n’apporter aucune entrave à la libre exploitation de ces embranchements et à adopter à leur égard des mesures analogues à celles qui seront consacrées par les conventions à intervenir pour régler les conditions de la circulation du matériel de l’Etat et de la compagnie sur les lignes respectives. »

Ainsi, d’après le cahier des charges primitif, ces obstacles ne pouvaient être apportés pour l’exécution des embranchements. Ici ils ne pourront être apportés pour l’exploitation même. C’est une garantie nouvelle.

L’honorable M. Malou me demandait hier quel sens avait l’art. 59 ainsi conçu :

« Art. 59. Les droits d’enregistrement seront fixes, et s’élèveront à 1 fr. 70 c. en principal. »

Il a demandé sur ce droit d’enregistrement ne concernait que l’acte même de concession ou tous les actes qui pourraient être passé pendant toute la durée de la concession. Cette clause est insérée dans tous les cahiers des charges. Jamais l’interprétation de cette clause n’a varié ; il ne s’agit que de l’enregistrement de l’acte de concession ; car vous savez que pour les emprises, l’enregistrement est gratuit, parce que, d’après la loi sur la matière, ces acquisitions sont faites au nom de l’Etat.

M. Lys – L’honorable M. Malou a proposé hier un amendement qui justifie les observations que j’avais présentées sur l’art. 39. Il propose la suppression du deuxième paragraphe de cet article. Il résulte de là que l’on ne pourra jamais exproprier un particulier au profit d’un autre particulier, et que le gouvernement est renvoyé à l’exécution des lois sur la matière. On sait que le gouvernement, lorsqu’il s’agit d’expropriations pour cause d’utilité publique, est le seul juge qui statue définitivement qu’il y a lieu à expropriation pur cause d’utilité publique.

Je crois que l’on peut supprimer non-seulement le deuxième paragraphe de l’art. 39, comme le propose l’honorable M. Malou, mais encore le premier paragraphe de cet article, ainsi conçu :

« Art. 39. Il sera loisible à qui que ce soit, d’établir le long du chemin de fer et de ses embranchements, et sur un point à son choix, des magasins ou abordages, avec des machines, engins ou attirails propres à faciliter le chargement et le déchargement des wagons, à condition d’établir en dehors du chemin de fer une ou plusieurs voies latérales, afin que les waggons en chargeant ou déchargeant, ne puissent ni entraver ni empêcher la libre circulation sur le chemin de fer ou les embranchements. »

Eh bien, messieurs, c’est un avantage qu’on veut donner à des particuliers ; mais si les particuliers ne sont pas d’accord avec les concessionnaires, jamais il ne pourront établir ces sortes de magasins, parce qu’il dépendra des concessionnaires d’établir là ou de ne pas y établir de halte. Il me semble donc que l’art. 39 est tout à fait inutile.

Messieurs, le gouvernement n’a rien répondu jusqu’ici à l’objection qu’on a faite, en ce qui concerne les indemnités. Je crois qu’il y a lieu à l’application des arrêtés cités par M. le ministre lui-même.

M. le ministre vous a cité les art. 23 et 24 d’un arrête du 29 novembre 1836 ; voici ces articles.

« Art. 23. Le demandeur évincé sera remboursé par l’adjudicataire de tous les frais d’enquête et autres relatifs à l’instruction prévue au présent règlement.

« Art. 24. Lorsqu’il sera l’auteur du projet, il aura, en outre, et de ce chef, droit à une indemnité à charge de l’adjudicataire. »

L’art. 26 détermine comment il y a lieu à cette indemnité :

« Art. 26. L’indemnité, dont il est fait mention à l’article 24, sera établie en raison des sommes et du temps consacrés aux travaux préparatoires et du mérite de conception du projet ; elle sera réglée par notre ministre de l’intérieur, sur l’avis du conseil des ponts et chaussées ou de la commission (page 927) d’ingénieurs qui aura rédigé le cahier des charges ; une clause spéciale du cahier des charges en déterminera le montant. »

Or là, il s’agit d’adjudication publique. Il faut encore, lorsqu’il y a lieu à l’indemnité, qu’une clause du cahier des charges en détermine le montant. Or, dans le cahier des charges, qui est fait avec les concessionnaires, rien de tout cela n’est établi. Je crois donc que, d’après les explications de M. le ministre des travaux publics, et du rapport qui a été soumis à la chambre, il écherra au profit de certaines personnes, un droit à des indemnités, et que ces indemnités seront à charge de l’Etat. Je ne pense pas qu’il faille établir une indemnité à la charge de l’Etat, dans une circonstance où nous concédons pour 90 ans un chemin d’une grande importance.

M. le ministre des travaux publics vient de nous lire une nouvelle rédaction de l’art. 7 et même de l’art. 40 ; il m’a été impossible d’apprécier cette rédaction à une nouvelle lecture. Il faut que cet amendement soit imprimé et qu’on puisse l’examiner.

M. le ministre des travaux publics semble croire que cette nouvelle rédaction a peu d’importance. Je ne suis pas du tout de cet avis. En effet, le léger changement dont on parle est tout en faveur de la compagnie concessionnaire ; d’après les conditions, je dis que vous ne rencontrerez plus personne qui veuille enchérir ; ce sera une adjudication de pure forme ; M. le ministre des travaux publics, par son explication, détruit tout ce qu’offre d’avantageux à l’Etat une adjudication publique ; je veux parler de la concurrence : qui, en effet, voudra enchérir sur l’adjudication publique, lorsqu’on saura que, derrière soi, se trouve la compagnie qui, lorsqu’elle le jugera convenable, pourra venir prendre l’adjudication publique déclarée à votre profit ? Que diriez-vous d’un individu qui veut vendre sa maison devant notaire par voie d’adjudication et qui met la condition que celui qui sera adjudicataire ne le restera que si telle personne ne veut pas prendre le lot ? J’assure d’avance qu’aucun amateur ne se présentera pour enchérir sur une pareille vente.

Je pense qu’il y a lieu de remettre à demain l’examen de la nouvelle rédaction présentée par M. le ministre des travaux publics. D’après les explications de M. le ministre, si je les ai bien saisies, les concessionnaires deviennent maîtres absolus de tout ce qui se fera en voie ferrée pendant 90 ans dans l’Entre-Sambre-et-Meuse ; ils ont le droit de prendre tous les marchés qui se feront dans ce pays. Voilà ce qui résulte des explications de M. le ministre, si j’ai bien compris la portée des amendements aux articles 7 et 40.

M. Pirson – Messieurs, quoique le projet du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse ne présente pas le caractère d’intérêt général, cependant, comme il ne sera pas sans utilité pour plusieurs localités, mon intention n’est pas de le combattre.

De même que tous les honorables membres qui ont pris la parole dans cette discussion, je suis grand partisan des chemins de fer, et je me plais à proclamer leur évidente utilité. Je reconnais, avec M. le ministre des travaux publics, que cette admirable invention, en facilitant les relations commerciales et industrielles des peuples, a puissamment contribué à augmenter leur bien-être, à favoriser le développement de leur prospérité et de leurs richesses ; et, en ce qui nous concerne, nous ne pouvons que rendre grâce à notre honorable collègue, M. Rogier, qui ; le premier, en a fait une si heureuse application en Belgique. Cet acte si important de l’administration de l’honorable M. Rogier, en même temps qu’il lui fait le plus grand honneur, lui a acquis pour toujours des droits à la reconnaissance publique.

Le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse doit également avoir pour résultat incontestable d’assurer à la province du Hainaut une voie de communication qui donnera plus d’activité à son commerce et plus de facilité à son industrie et à son agriculture.

A ce point de vue, je ne puis m’opposer à la ratification de la convention passée entre le gouvernement et la société Richards et comp., depuis que la clause de la garantie par l’Etat d’un minimum d’intérêt en a été retirée.

Mais, messieurs, s’il est évident que l’exécution de cette convention sera une cause de prospérité, de richesse et de progrès pour certaines localités, dans d’autres elle aura malheureusement pour conséquence inévitable un énorme déplacement d’intérêts et la ruine peut-être de plusieurs industries importantes, si le gouvernement, d’accord avec les chambres, ne prend des mesures propres à éviter un pareil désastre.

En effet, l’établissement du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse sera très-préjudiciable à plusieurs établissements : tels qu’aux hauts-fourneaux au coke, aux hauts-fourneaux au charbon de bois, aux fonderies, fenderies, laminoirs et autres usines à fer, aux houillères et aux carrières qui sont situés dans la vallée de la Meuse.

Le batelage de la Meuse qui, dans les trois provinces de Namur, de Liège et du Limbourg, emploie plus de 5,000 ouvriers, plus de 800 chevaux, et dont le matériel représente un capital qui va au-delà de 16 millions de francs, se trouvera en partie anéanti par l’exécution de ce projet.

Cependant, messieurs, toutes ces industries ont des droits égaux à notre sollicitude, et à celle du gouvernement, et en présence du préjudice que leur fera éprouver l’établissement du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, notre devoir est de rechercher les moyens les plus sûrs de concilier les grands intérêts qu’elles embrassent.

Cette question, messieurs, mérite toute l’attention de la chambre, car l’intérêt général se résume par la somme des intérêts de localités, et l’Etat doit son appui indistinctement à toutes les industries, sans favoriser les unes au détriment des autres.

Pour atténuer dans les provinces de Namur, de Liège et du Limbourg le tort que leur occasionnera le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, le seul remède qui me paraît praticable, messieurs, c’est l’emploi de moyens plus efficaces d’amélioration du régime de la Meuse, afin de procurer, par cette voie, une diminution dans les frais de transport.

Dans son exposé des motifs, M. le ministre des travaux publics a dit que l’ économie des transports est le premier élément de la fabrication, que pour la métallurgie, elle est une question d’existence ; que, dans cette économie, le travail du fer est désormais impossible, et que nos usines ne pourront tenir devant la concurrence étrangère.

Eh bien, si cette condition est vraie pour la fabrication du Hainaut, elle est vraie aussi pour la fabrication de la vallée de la Meuse. Il faut qu’en toute raison, on puisse naviguer à pleine charge sur la Meuse, et la chose est possible. En France, où les travaux d’amélioration présentaient de bien plus grandes difficultés, on est parvenu à diminuer le temps et les frais de navigation, et à faire disparaître les dangers et les inconvénients auxquels celle-ci était exposée. Rien ne s’oppose à ce que les mêmes moyens soient employés en Belgique. Mais pour obtenir le même résultat, il est indispensable d’adopter enfin un plan général d’amélioration, et de ne plus continuer à procéder par des essais qui, quoique si dispendieux, n’ont produit jusqu’ici que des effets peu utiles, pour ne pas dire nuls. J’appelle sur ce point toute l’attention de M. le ministre des travaux publics. C’est un question majeure pour les industries métallurgiques et charbonnières de trois provinces ; c’est aussi une question vitale pou leur industrie batelière.

Si, messieurs, comme je le présume, vous donnez votre assentiment au projet de loi qui vous est présenté, il y a urgence absolue de perfectionner sans retard la navigation de la Meuse.

Cette navigation est trop importante pour l’abandonner et en mettant à exécution les travaux d’amélioration qu’elle réclame, il lui sera possible de soutenir en partie la concurrence qui lui sera faite par la voie ferrée.

Dans le rapport de M. l’inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées, je remarque un passage qui donne la mesure de l’importance de cette navigation et de l’urgence qu’il y a de commencer les travaux d’amélioration.

Je vous demanderai la permission de vous lire ce passage, il n’est pas long. Voici comment s’exprime M. l’inspecteur divisionnaire :

« Il est impossible d’admettre, avec MM. Magis et Sopwith, que l’établissement du chemin de fer de Marchienne à Vireux doive donner pour résultat de fermer le marché de la Meuse française aux houilles du pays de Liége.

« Protecteur impartial de toutes les industries, le gouvernement, d’accord avec les chambres, devra, l’on ne saurait douter, apporter à la Meuse, pendant les quatre années d’exécution du chemin de fer, les grandes améliorations qu’elle réclame entre Liège et la frontière française et qui, jointes à de faibles péages et aux qualités spéciales du charbon de cette province, lui permettront de venir soutenir la concurrence à Vireux, avec celui qui y arrivera du bassin de Charleroy par la voie ferrée.

« La quantité de houille qui est entrée en France, par la Meuse, pour la consommation des usines et de la population d’une partie des départements des Ardennes, de la Meuse et de la Marne, s’est continuellement accrue, depuis 1831. De 57,000 tonneaux qu’elle comportait en 1839, l’exportation s’est élevée, en 1843, à 88,000 tonneaux (Annexes E et F.) L’augmentation a donc été de 31,000 tonneaux.

« La consommation de ce précieux combustible, employé à tant d’usages divers qui se multiplient chaque jour davantage, ne peut que continuer à augmenter, dans une progression rapide, par suite de la diminution de prix résultant, pour les transports, de l’amélioration successive du système des communications.

« Nous supposerons, toutefois, que du 1er janvier 1844 à la fin de 1848, terme présumé des quatre années de durée des travaux du railway, l’exportation par la Meuse ne s’accroîtra, en 5 ans, que de 31,000 tonneaux, ainsi que cela a eu lieu, pendant les 4 années antérieures de 1839 à 1843. Elle serait ainsi, en 1848, de 88,000 + 31,000 = 119,000, soit 120,000 tonneaux, chiffre modéré que nous proposerons d’admettre, à partir de 1849, première année d’exploitation du chemin de fer, et qui réduit à moitié, à cause du partage des transports avec la Meuse, donnerait, pour celui-ci, un mouvement de 60,000 tonneaux de houille, parcourant la ligne entière de Marchiennes à Vireux. »

Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, vous voyez combien est importante la navigation de la Meuse, puisque, d’après le rapport de M. l’inspecteur de Moor, pour un seul article, la houille, en 1843, on a importé en France 88,000 tonneaux, et que, par suite de l’augmentation progressive de ce combustible, on est fondé à croire qu’en 1849 l’importation sera à 120 mille tonneaux pour la Meuse, si on la débarrasse des entraves qui nuisent au transport.

Dans une annexe au rapport, annexe qui est une lettre de l’ingénieur des mines des départements des Ardennes et de la Meuse, je remarque encore pour un autre article, la fonte, que la quantité de fonte belge importée, s’est élevée en 1842, à 1,043 tonneaux, que cette quantité est en voie d’augmentation, et ne peut que croître, surtout si les fabricants belges, à raison de meilleures conditions dans le transport, peuvent apporter une réduction dans le prix de revient.

Ces faits, messieurs, vous paraîtront sans doute assez concluants pour vous convaincre de la nécessité d’entreprendre sans retard les travaux d’amélioration de la Meuse sur des bases plus larges

Les industries métallurgique, charbonnière et batelière ne sont pas les seules qui concernent la navigation de la Muse. Les riverains, pour leurs échanges réciproques et leurs approvisionnement de même que beaucoup (page 928) d’autres industries sont également intéressées à l’amélioration de ce fleuve.

Le bassin de la Meuse renferme encore : des usines à zinc, des fours à chaux, des carrières où l’on débite la pierre de taille, des pavés, de la castine et des moellons ; des verreries, des cristalleries, des tanneries, des corroieries, des moulins à vapeur, des fabriques de faïence, de porcelaine et de poterie, des fabriques d’alun, et des fonderies de plomb.

Je n’ai pas besoin de dire que toutes ces industries réclament aussi l’amélioration du régime de la Meuse.

Certainement, messieurs, vous ne pouvez vouloir la ruine du batelage de la Meuse, qui procure des moyens d’existence à de si nombreuses familles, et qui représente un capital considérable. Vous ne pouvez vouloir non plus sacrifier les établissements industriels du bassin de la Meuse aux établissements similaires du bassin de la Sambre, et enlever ainsi aux premiers, sans concurrence possible, des marchés dont ils étaient en possession.

Je le répète donc, si vous donnez votre adhésion à la concession du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, le perfectionnement de la navigation de la Meuse est devenu d’une indispensable nécessité. Il serait tout aussi contraire à la prospérité générale d’admettre qu’on doive négliger nos voies fluviales pour les chemins de fer, qu’admettre qu’on doive sacrifier les chemins de fer aux voies navigables.

Ce sont des voies de communication différentes, ayant chacune leur utilité, leur destination spéciale, et tout deux sont appelées à rendre les plus grands services à l’industrie, au commerce et à l’agriculture.

Messieurs, lorsqu’il s’agit d’intérêts aussi nombreux et aussi importants que ceux que je viens de signaler, le bien public commande d’agir avec une grande prudence.

L’on doit procéder avec une sage mesure, et éviter les mesures extrêmes. Il ne faut pas perdre de vue que, dans la vallée de la Meuse, qui, sur notre territoire, comprend une étendue d’environ 30 lieues, il y a une sorte de droit acquis pour les grands intérêts qui s’y sont concentrés dans l’état de chose actuel, et que l’établissement du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse leur fera un tort notable, surtout en ce qui concerne la navigation. Il est donc du devoir de la législature de prévenir le froissement de tous ces grands intérêts, et il serait dangereux pour l’Etat de les bouleverser. Le remède à apporter, je l’ai indiqué, j’espère qu’on l’appliquera. D’ailleurs, je vous prierai de remarquer qu’il n’est pas de dépenses plus utiles que celles qui ont pour objet des travaux d’utilité publique, et qu’en consacrant des sommes à l’amélioration des voies fluviales, c’est enrichir le pays, le jour venant où les travaux exécutés accroissent les ressources du trésor.

Confiant dans votre concours et convaincu, messieurs, que vous ne voudrez pas qu’une cause de prospérité pour une province, devienne l’occasion de la ruine du batelage et de plusieurs industries importantes de trois autres provinces, je voterai l’adoption du projet de loi, si M. le ministre des travaux publics me donne l’assurance de faire terminer, dans la limite prescrite pour l’exécution du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, les travaux d’amélioration que réclame la navigation de la Meuse.

M. Dumortier – Dans cette discussion, messieurs, on s’est beaucoup occupé de questions de détail, on a à peine touché la question principale ; car, à l’exception de l’honorable M. David, je ne vois pas qu’on s’en soit sérieusement occupé. L’honorable membre, avec beaucoup de raison, a soulevé la question des péages. Faut-il que la société à qui on va concéder le chemin de fer possède, pendant les 90 ans de la concession, un tarif de péages tel que celui que nous avons, ou ne le faut-il pas ? Voilà une des principales questions dont nous devons nous occuper aujourd’hui. Pour résoudre cette question, il suffit de faire une bien simple observation.

Qui oserait dire aujourd’hui, en 1845, quels seront dans 50 ou 90 ans les chemins de fer ? qui peut dire quels seront les perfectionnement que l’industrie apportera à ce système de communications aujourd’hui si nouveau ? On veut aujourd’hui accorder une concession de 90 ans avec des péages qui reposent sur les données actuelles ; qui vous dit que dans 20 ou 30 ans seulement on n’apporterait pas des améliorations telles, que des tarifs qui paraissent aujourd’hui modérés seront alors des péages très-onéreux. C’est là, pour moi, la grande question de la convention qui nous occupe.

En Angleterre, pour obvier à cet inconvénient, on a adopté un moyen : toutes les fois qu’on accorde une concession, indépendamment de la faculté d’exploiter, le bill autorise toute autre société à faire l’exploitation, moyennant une certaine redevance à la société concessionnaire. Par là, si un perfectionnement est introduit dans le mode d’exploitation des chemins de fer, la société concessionnaire doit l’appliquer, car, si elle ne le faisait pas, une autre société pourrait venir exploiter en concurrence avec elle sur son propre chemin. C’est là une mesure très-sage. Nous ne voyons rien de semblable dans le traité qui nous occupe.

Dès lors, je me pose cette question : Est-il sage, est-il prudent d’abandonner à une société étrangère, qui, dans certaines circonstances politiques ou commerciales, peut avoir intérêt à grever de péages onéreux les produits de nos industries, les produits de nos bassins de minerai et de houille ? Est-il prudent de lui abandonner, pendant 90 ans, ce magnifique bassin de minerai d’Entre-Sambre-et-Meuse, à des conditions peut-être déjà onéreuses aujourd’hui, et qui seront certainement exorbitantes dans 40 ans ? Vous accordez des péages plus élevés que ceux des tarifs des chemins de fer de l’Etat. L’honorable M. David l’a établi hier, à mon avis…

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – J’ai démontré que l’honorable M. David s’était trompé.

M. Dumortier – Mettons, si vous voulez, que le tarif est égal, inférieur même à celui de l’Etat, cela m’importe peu, vous accordez ce monopole pendant 90 ans. Qui dit que, dans quelques années, par suite des perfectionnements qu’on pourra apporter à la locomotion, ces péages ne seront pas exagérés ? car, quoi qu’il arrive, on maintiendra les péages élevés, bien que la compagnie puisse les abaisser ; mais les concessionnaires seraient mal avisés de vouloir les réduire, car n’envisageant que leur bénéfice, ils ne chercheront pas à exploiter davantage en abaissant les prix ; en effet, une exploitation restreinte avec des tarifs élevés présente plus davantage qu’une exploitation étendue avec des tarifs très-bas ; plus on augmente l’exploitation en réduisant les tarifs, plus on augmente les chances de pertes de celui qui exploite. De sorte que peut-être dans 20 ans on trouvera que le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse a un tarif trop élevé. Je ne vois aucune stipulation qui garantisse l’avenir de notre bassin de minerai par excellence.

J’ai une autre observation à présenter qui se rattache à celle-là : c’est relativement à la suppression de la clause de rachat. Par le premier traité une clause de rachat était stipulée ; cette clause avait cet avantage que dans l’hypothèse où ce chemin de fer deviendrait onéreux à la chose publique, le gouvernement pouvait en opérer le rachat et le réunir au chemin de fer de l’Etat.

Il y avait donc, par le moyen du rachat, un remède à apporter au mal que je viens d’avoir l’honneur de vous signaler. Mais ici encore la stipulation du rachat a disparu, de manière que pendant 90 ans il faudra subir le tarif actuel, alors qu’aucun de vous n’oserait dire que ce sera dans vingt ans, dans cinquante ans, l’exploitation des chemins de fer.

Je voudrais, messieurs, avoir une explication sur ce point, qui est à mes yeux le point culminant de la discussion qui nous occupe. Il ne s’agit pas ici de quelques objets de détails, il s’agit de la question dans ses entrailles. Il faut nécessairement que les minerais qui alimentent nos magnifiques usines puissent arriver aux hauts-fourneaux par les moyens les plus économiques et aux prix les plus économiques. Il faut, si des perfectionnements sont introduits en Angleterre dans les exploitations minières, que de pareils perfectionnements puissent s’établir dans nos exploitations. Il faut que nos fontes industrielles, qui pourront avoir intérêt à obtenir ces améliorations, aient une garantie et que si les intérêts de la compagnie concessionnaire s’opposaient à ce qu’elle les obtînt, le gouvernement puisse, soit au moyen d’une concurrence, soit au moyen du rachat, faire rentrer nos établissements dans des conditions analogues à celles dans lesquelles se trouveraient les établissements les plus favorisés de la Grande-Bretagne. Or, je ne vois rien dans la convention qui me fasse espérer qu’il en sera ainsi.

C’est cependant là, messieurs, la question radicale dans le traité ; car ce n’est pas ici une mesure pour le présent, c’est surtout une mesure d’avenir dont nous nous occupons, et c’est comme telle que nous devons l’envisager.

Je désire que M. le ministre des travaux publics me donne à cet égard des apaisements. Je ne veux pas, autant pour lui que pour moi, que dans quelques années on vienne nous dire : Vous avez voté, dans un empressement irréfléchi, un projet infiniment regrettable qui nous met dans l’impossibilité de lutter avec l’étranger.

M. Dumont, rapporteur – Messieurs, dans la séance d’hier, l’honorable M. Lys a reproché à la section centrale de mal apprécier le droit de pétition, et il l’a accusée de déni de justice ; la chambre me permettra quelques mots de réponse à cette inculpation.

Deux pétitions adressées à la chambre pour demander des modifications à la convention et au tracé du plan fixé par la convention, ont été renvoyées à la section centrale. Elle s’en est occupé dans sa séance du 21 et du 22 février. La section centrale, avec toutes les sections à l’unanimité, ayant reconnu l’immense utilité de ce chemin de fer, elle a dû se demander, vu la position que lui faisait l’art. 8 du 1er février, et l’époque où nous étions arrivés, si elle devait sacrifier la certitude de voir enfin s’exécuter un chemin de fer tant désiré par tous les intérêts industriels et agricoles, au désir d’amener des améliorations dans les stipulations avec la compagnie, et dans le cahier des charges, soit dans l’intérêt public, soit dans l’intérêt particulier. Elle a pensé qu’elle ne devrait le proposer à la chambre que pour un intérêt d’une importance majeure. Respectant, autant que l’intérêt public le permet, l’intérêt particulier et le droit de pétition, elle a pensé, quant à la pétition de M. Puissant, que le gouvernement ne serait pas dépourvu de moyens d’amener les changements réclamés par l’utilité et la justice. N’avait-elle pas à craindre, d’ailleurs, que la chambre ne se crût pas bien compétente pour juger d’une question de tracé ?

C’eût été, messieurs, agir contre les intentions de l’honorable M. Puissant, qui sait sacrifier son intérêt à l’intérêt public, que de faire de sa pétition une cause possible de retard ou d’abandon de l’exécution du railway. Je suis autorisé à vous déclarer, en son nom, que ce qu’il désire avant tout, c’est l’adoption du projet en discussion et la prompte exécution du chemin de fer.

Quant à la réclamation de M. Splingard, la section centrale a pensé que, quelque fondée qu’elle puisse être, elle ne devait pas non plus prévaloir sur l’utilité générale, et devait d’autant moins compromettre l’exécution du railway que, s’il était dépossédé de ses titres à l’obtention de la concession, il lui serait accordé une indemnité.

Sur qui pèsera cette indemnité, a demandé M. Lys ? Je désire que le gouvernement (page 929) s’explique à cet égard. Je crois, pour moi qu’elle doit peser sur celui qui obtiendra la concession de son projet. M. Splingard nous apprend que cette indemnité a été fixée dans son cahier des charges à 50,000 fr. à payer par celui qui l’évincerait. Si donc l’art. 7 de la convention du 1er février, ce qui est douteux pour moi, car j’ignore s’il tombe dans la catégorie des embranchements et chemins accessoires, lui est jugé applicable, et s’il est dépossédé par suite de cette disposition, pourquoi la société Richards serait-elle exemptée de se soumettre à cette clause ordinaire ? Je ne pense pas qu’elle puisse invoque l’art. 7 de la convention du 1er févier pour se soustraire au droit commun. Il ne s’agit, dans cet article, que d’une préférence relative à des concessions octroyées par arrêté royal et d’après les bases de la concession primitive, hormis la préférence sans autre privilège. Or, on l’a dit hier et on n’a pas été contredit, ces mots ne peuvent empêcher le gouvernement d’insérer dans le cahier des charges, telles stipulations qu’il lui plaira, pourvu qu’elles ne s’écartent pas des bases de la concession primitive ; si on avait voulu proscrire toute condition, qui ne se trouverait pas dans le cahier des charges de cette concession primitive, il eût fallu nécessairement une stipulation plus explicite. Les termes de l’art. 7 ne pouvaient atteindre ce but.

Je crois devoir faire remarquer encore à la chambre que, s’il est évincé par la société Richards, le tarif des péages de cette société sera de 1/17 plus bas que le sien : Richards, 0,085 ; Splingard, 0,09 ; et qu’ainsi il sera dans le cas prévu par l’art. 22 de l’arrêté du 29 novembre 1836, qui prescrit l’éviction moyennant un rabais de 5 p.c. ou 1/20. Il est vrai qu’il n’y aura pas eu d’adjudication, mais cette circonstance ne peut équitablement lui être opposée ; car il y aura les mêmes motifs d’équité et de justice, de lui paye l’indemnité que dans le cas d’une adjudication.

La diminution des revenus de la Sambre a été objectée aussi par les honorables préopinants, MM. Lys et Brabant, déjà l’honorable ministre des travaux publics y a répondu.

Mais je pense qu’il a été dans l’erreur lorsqu’il a dit qu’actuellement le transport, sur la Sambre basse, des charbons du bassin de Charleroy, en destination de la France par la Meuse, donnait un péage de 10,000 fr. pour 5,000 tonneaux. Cela serait vrai si ces charbons parcouraient la Sambre sur la distance de Charleroy à Namur, mais il n’en est pas ainsi. Ces charbons s’exploitent en dessous de Charleroy et pour ainsi dire sur tout le cours de cette rivière comprise entre Châtelet et Namur ; et je pense qu’on approcherait bien plus de la vérité en supposant que le parcours moyen est de cinq lieues ; la perte doit donc être réduite de moitié, c’est-à-dire de 5,000 fr. au lieu de 10,000 fr. Ce chiffre est bien éloigné de celui que M. Brabant croyait possible, 2 à 300 mille fr.

Cette légère perte sera, selon moi, compensée, indépendamment de l’accroissement du produit sur le railway de l’Etat. Si la Sambre perd le transport des charbons expédiés vers Charleville, elle gagnera, d’autre part, le transport de minerais de Fraire et Morialmé destinés à la forgerie de la Meuse, en dessous de Namur et de Liége.

Cela est affirmé par M. l’ingénieur Magis, qui établit par des calculs que le transport par cette voie présentera sur la voie qu’ils suivent actuellement une économie de 1,88 par tonneau ; ainsi, le railway ne sera pas seulement un affluent très-utile au chemin de fer, mais il le sera également pour la Sambre qui en recevra des marbres, des ardoises et beaucoup d’autres objets pour remonter ou descendre la Sambre.

On a dit que l’art. 7 donnait le monopole des chemins de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse à la compagnie Richards. Je ferai d’abord observer qu’il ne concerne pas tous les chemins qu’il pourrait être utile d’établir dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, mais seulement les embranchements et lignes accessoires dans la ligne de Marchiennes à Vireux et Couvin.

Mais cette disposition est-elle un obstacle à la création des chemins utiles à établir dans l’Entre-Sambre-et-Meuse ? Je pense, pour moi, qu’elle aura un effet contraire, et qu’elle en assure l’exécution ; car cette société possédant de grands capitaux, sera toujours à même d’exécuter ce qui se présentera d’utile et donnera suite à tous les projets conçus par des auteurs qui n’auraient pas les ressources pécuniaires suffisantes pour les réaliser. Ainsi, ce que nous avons vu pour le chemin de fer en question ne se représentera plus : c’est-à-dire qu’une voie évidemment utile ne restera plus à l’état de projet pendant dix années. Mais, pour que cette disposition soit avantageuse, il faut qu’elle ne soit pas un moyen pour la société d’empêcher les embranchements et communications accessoires ; le gouvernement doit mettre la société hors d’état de nuire aux concessionnaires des embranchements, en rendant, par exemple, communes aux concessionnaires des embranchements, les stipulations qui interviendront nécessairement entre lui et la compagnie Richards, par rapport au railway de l’Etat ; et surtout éviter la nécessité du transbordement, au point de jonction, pour les marchandises qui parcourront les deux lignes.

Je puis vous assurer, messieurs, que les industriels du bassin de Charleroy et de l’Entre-Sambre-et-Meuse ne blâment pas cette disposition de l’article 7, et je pense que, comme il s’agit ici principalement de leurs intérêts, il nous est permis de nous reposer un peu sur leur avis. Ils n’élèvent non plus aucune objection contre aucune des conditions de la convention et du cahier des charges. Sans doute, messieurs, s’il était en votre pouvoir d’améliorer ces conditions dans l’intérêt de l’industrie, tout en maintenant la certitude de l’exécution du railway, ils considéreraient la chose comme un bienfait. Mais ils ne vous demandent aucune modification qui puisse exposer au moindre danger la prompte exécution de cette ligne, qu’ils appellent de tous leurs vœux. Aussi, une crainte qui les agite vivement, c’est que la chambre n’admette un amendement qui offre un motif ou même un prétexte à la société de se délier ou d’exiger des conditions plus avantageuses pour elle, et conséquemment pour l’industrie. Saisir une occasion qu’ils ont cherchée inutilement pendant sept ans, et qui peut-être ne se représenterait plus de longtemps, voilà, messieurs, ce que, par l’organe des députés de Charleroy et de Philippeville, ils vous demande avec instance.

L’honorable M. Brabant vous a présenté un amendement en faveur du projet de M. le capitaine Roland. J’ai pris connaissance de ce projet, et je le considère d’une utilité telle que j’ai presque la certitude qu’il recevra son exécution, comme embranchement au tronc principal. Mais l’amendement présenté ayant pour objet d’amener la substitution de la ligne projetée par cet officier à la ligne du projet arrêté et convenu entre le gouvernement et la société Richards entre Jamioul et Marchienne, je crois devoir m’y opposer.

1° L’amendement est une entrave ; la lutte qui va s’élever devant la commission d’enquête, la députation du conseil provincial, devant le gouvernement, retardera d’une année l’exécution de la partie la plus urgente, celle qui doit rapprocher les usines du minerai et du charbon. Il allumera une guerre civile dans la localité ;

2° Il porte préjudice à l’intérêt général, il ne peut être utile qu’à la société Richards et à un intérêt de rivalité industrielle.

Quel est l’état des choses sans cet amendement ? Quel sera-t-il, si vous adoptez l’amendement. Sans l’amendement, il y aura une ligne de Jamioul à Marchiennes ; la loi impose à la société l’obligation de la construire . Il y aura une ligne de Jamioul à Couillet, c’est-à-dire, que le projet du capitaine Roland se réalisera ; certainement il sera d’une utilité incontestable ; les capitaux nécessaires sont peu considérables pour qu’il faille aller les chercher hors du pays ; il offrira de beaux bénéfices aux concessionnaires ; pas de doute que la concession n’en soit demandée, et la société Richards ne pourra empêcher l’auteur d’exécuter qu’en exécutant elle-même. Les intérêts métallurgiques de l’Ouest et de l’Est dont vous a parlé M. le comte Meeus seront donc indubitablement satisfaits.

Ceux de l’Ouest ne sont pas aussi peu importants que l’honorable comte de Meeus vous l’a dit hier : il y a 6 hauts-fourneaux, 2 laminoirs, 2 forges ; voilà pour la forgerie, qui a intérêt à ce que deux lignes existent.

Les charbonnages de l’est du bassin sont très-considérables, sans doute, mais ceux de l’Ouest ne le sont pas moins ; ils s’étendent, sans solution de continuité, jusqu’au-delà de Mariemont, à 3 ou 4 lieues de Marchiennes et jusqu’à Gosselies, dans la direction du chemin de fer de Braine-le-Comte. Il est donc extrêmement désirable que les deux lignes s’exécutent ; et elles s’exécuteront, si la chambre rejette l’amendement de M. Brabant.

Si vous l’adoptez, qu’arrivera-t-il ? Il sera fait choix de l’une des deux lignes ; celle du capitaine Roland devant coûter beaucoup moins sera préférée par la compagnie ; elle unira ses efforts à ceux d’une société puissance , la société de Commerce de Bruxelles, sous le patronage de laquelle sont les usines de l’Est, qui ne laissera pas échapper l’occasion de placer ses rivaux de l’Ouest dans une mauvaise position pour l’arrivage de ses minerais, et elle atteindrait le but en obtenant la suppression de la section de Jamioul à Marchiennes. Le gouvernement aura-t-il la force, l’énergie nécessaires pour résister à d’aussi grandes influences, la société Richards et la société de Commerce, la Société Générale qui a le haut patronage ? Il est permis d’en douter. Il est donc évident, messieurs, qu’en adoptant l’amendement de l’honorable M. Brabant, vous allez allumer la guerre civile dans le centre industriel de Charleroy, et que vous lui enlever la certitude de toucher au railway de l’Entre-Sambre-et-Meuse, à l’Est et à l’Ouest, par deux lignes différentes : celle du capitaine Roland, et celle du projet des ingénieurs de l’Etat.

Un honorable préopinant, en appuyant l’amendement dans la séance d’hier, m’avait paru exprimer aussi le désir que les deux lignes fussent exécutées. Je n’ai pas compris qu’après s’être ainsi énoncé, il ait lui-même opposé une objection au maintien de cette ligne de l’Ouest. Je veux parler de l’inconvénient qu’il a attribué à cette ligne, de passer hors de la portée du canon de la place de Charleroy. Je n’ai pas la plus petite connaissance en stratégie, je n’essayerai donc pas de répondre à l’objection de l’honorable député. Mais je pense que nous pouvons nous en rapporter, à cet égard, au gouvernement, qui sans doute n’a pas approuvé le plan du railway en 1838 et 1844, sans consulter le génie militaire.

Messieurs, vous ne voudrez certainement pas, en adoptant l’amendement, exposer la partie ouest du bassin de Charleroy à se voir exproprier de sa ligne, lorsqu’un embranchement est assuré aux petites villes de Florennes et de Philippeville. En lui conservant cette ligne, vous ne nuirez pas à la partie de l’Est, qui aura certainement celle du capitaine Roland, voire même celle de M. Splingard, qui arrive dans la vallée de la Sambre, près des établissements de Châtelineau, et qui, à mon avis, s’exécutera, soit par l’auteur, soit par la compagnie Richards.

M. Lys (pour un fait personnel) – L’honorable M. Dumont vient de dire que j’ai accusé la section centrale d’un déni de justice. Il n’en est rien. Car ce dont j’ai accusé la section centrale, j’ai commencé par m’en accuser moi-même. Voici les expressions dont je me suis servi :

« Le peu de jour qu’on nous a laissés pour l’examen de la convention est la première cause qui nous a fait abandonner tout examen des droits des tiers, et en effet, c’est ce qu’a fait la section centrale elle-même, à l’occasion de la réclamation de notre ancien collègue M. Puissant. »

Et j’ai ajouté :

« N’est-ce pas là une espèce de déni de justice ? »

J’en attribuais nécessairement la faute au gouvernement, à cause du délai stipulé.

M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne reviendrai pas, à propos de l’art. 7, sur la question de préférence en elle-même. Hier j’ai (page 930) indiqué à la chambre les motifs généraux qui ont présidé à la rédaction de cet article, en vertu duquel la société concessionnaire possédera un droit de préférence pour les chemins de fer accessoires du chemin de fer de Sambre-et-Meuse.

L’honorable M. Dumont vient de revenir sur cette question, et de démontrer que cette différence ne constitue pas un monopole, que loin d’être un obstacle à l’exécution de ces embranchements si utiles, elle en favorise la création, en éloignant les obstacles que des sociétés peu sérieuses pourraient opposer à l’établissement de ces embranchements si utiles, elle en favorise la création, en éloignant les obstacle que des sociétés peu sérieuses pourraient opposer à l’établissement de ces embranchements.

L’honorable M. Lys s’est surtout préoccupé d’un point : de la question de l’indemnité due aux auteurs des projets ; il a cru que les droits des tiers étaient compromis par cet article 7. Les tiers, c’est-à-dire les auteurs d’un projet, n’ont aucun autre droit, avant que la concession ne soit accordée, que ceux résultant de l’arrêté royal du 29 novembre 1836.

L’honorable M. Lys prétend que l’art. 7 de la convention du 1er février dispense la compagnie Richards des conditions en indemnité stipulées de cet arrêté de 1836. L’honorable M. Lys a mal compris le sens des articles 24 et 26 de cet arrêté. L’art. 24 est ainsi conçu :

« Art. 24. Lorsqu’il (le demandeur évincé) sera l’auteur du projet, il aura, en outre, de ce chef, droit à une indemnité à charge de l’adjudicataire. »

L’art. 26 porte :

« Art. 26. L’indemnité dont il est fait mention à l’art. 24 sera établie, en raison des sommes et du temps consacrés aux travaux préparatoires et du mérite de conception du projet ; elle sera réglée par notre ministre de l’intérieur (ministre des travaux publics) sur l’avis du conseil des ponts et chaussées ou de la commission d’ingénieurs qui aura rédigé le cahier des charges ; une clause spéciale du cahier des charges en déterminera le montant. »

De quel cahier des charges s’agit-il dans cet article 26 ? mais évidemment du cahier des charges qu’il s’agira de rédiger lorsque le gouvernement voudra décréter, ou mettre en adjudication publique une de ces communications nouvelles dont il est question dans la convention.

Eh bien, dans la rédaction du cahier des charges, le gouvernement, usant du droit que lui confère l’arrêté royal de 1836, aura soin de stipuler, par une clause spéciale, la somme formant l’indemnité à laquelle aura droit l’auteur du projet qui pourrait être évincé.

J’ai été étonné, messieurs, que l’honorable M. Lys n’ait pas donné son assentiment à la modification de rédaction que j’ai proposée à l’art. 7 de la convention que lui et l’honorable M. David avaient présentées dans la séance d’hier. Ainsi, ces honorables membres avaient cru que les mots : « d’après les bases de la concession primitive » interdisaient au gouvernement de recourir à l’adjudication publique, et dès lors, disait M. David avec beaucoup de raison, l’industrie de l’Entre-Sambre-et-Meuse ne pourrait pas, à l’avenir, jouir des rabais possibles, soit sur la durée des concessions, soit sur les péages à établir. J’ai démontré que ces honorables membres avaient mal compris le sens des mots que je viens de citer. Néanmoins, pour qu’aucune équivoque ne fût possible, j’ai supprimé ces mots et j’ajoute : « dont la durée n’excédera pas la durée de la concession primitive », afin de tenir compte de l’observation faite par l’honorable M. Cogels.

Ainsi, messieurs, lorsque le chemin de fer aura plus de 10 kilomètres, il faudra une loi , lorsqu’il aura moins de 10 kilomètres, il pourra être concédé par une ordonnance royale, mais alors l’adjudication est de rigueur, c’est-à-dire que l’arrêté de 1836 conserve toute sa force.

L’honorable M. Dumortier a trouvé qu’il y avait un grave inconvénient à stipuler dans le cahier des charges un maximum de droit de péages acquis pendant 90 ans à la compagnie. Mais il est impossible, messieurs, d’éviter cet inconvénient, si c’en est un, dans tous les cahiers des charges relatifs à des concessions faites à des compagnies. En France, en Angleterre et ailleurs, partout, on fixe un maximum ; il est impossible de ne pas introduire une semblable clause dans le cahier des charges. Il faut bien que la compagnie sache quel est le péage sur lequel elle peut compter et calculer ses produits, et ce péage doit nécessairement être fixé pour toute la durée de la concession.

L’honorable M. Dumortier a cité l’Angleterre. Mais en Angleterre les concessions sont perpétuelles, et le maximum des tarifs est fixé dans le cahier des charges pour toute la durée de cette concession perpétuelle. Or, on sait que généralement en Angleterre les tarifs sont doubles, triples, quadruples même des tarifs de l’Etat en Belgique, et des tarifs de la concession qu’il s’agit maintenant d’accorder.

L’honorable M. Dumortier nous a dit : « Mais en Angleterre il y a une clause favorable à l’industrie, une clause qui empêche un monopole d’exploitation, c’est la faculté accordée aux sociétés et aux particuliers, de passer sur les chemins de fer, avec leur matériel, à un prix fixé par l’acte de concession ». Messieurs, l’honorable membre a perdu de vue un paragraphe de l’art. 26 du cahier des charges, qui admet la faculté pour les expéditeurs de faire parcourir à leur matériel la voie de la compagnie.

La différence entre ce qui est stipulé ici, et ce qui existe en Angleterre, c’est qu’ici ce parcours est autorisé gratuitement sans péage particulier sur le chemin de fer de la compagnie, tandis qu’en Angleterre, les compagnies exigent, de ce chef, un péage particulier.

Il y a plus, messieurs, c’est que la modification à l’art. 41, que j’ai proposée tout à l’heure, répond complètement au scrupule de l’honorable M. Dumortier. Je vais relire cet amendement :

« Les concessionnaires s’engagent à n’apporter aucune entrave à la libre exploitation de ces embranchements, et à adopter, à leur égard, des mesures analogues à celles qui seront consacrées par les conventions à intervenir pour régler… »

Or, messieurs, la compagnie a un intérêt puissant à obtenir de l’Etat une convention qui lui permette de passer avec son matériel, avec ses convois sur le chemin de fer de l’Etat, aux conditions les plus avantageuses, pour atteindre les usines de la Meuse, Marchienne et Charleroy.

Eh bien, il est dit dans la nouvelle rédaction de l’art. 41 du cahier des charges, que la compagnie s’engage à adopter, à l’égard des convois étrangers à la compagnie qui circuleraient sur son chemin de fer, des mesures analogues à celles qui seront stipulées par la convention dont je viens de parler.

L’Etat aura donc le pouvoir de régler touts les conditions du passage sur le chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, puisqu’il règlera les conditions du passage sur son chemin par le matériel de la compagnie.

Reste, messieurs, l’objection relative au rachat. En général, le gouvernement n’introduit des clauses de rachat que lorsqu’il y a concours pécuniaire de l’Etat. Lorsqu’il n’y a aucun concours de l’Etat, lorsque le trésor n’intervient pour rien, la clause de rachat n’a plus le même objet. Ainsi, en Angleterre, les conditions de rachat n’existent pas dans les concessions.

Ainsi en Belgique, messieurs, pour la plupart des concessions qui ont été accordées sans le concours de l’Etat, la clause du rachat n’existe pas dans les actes de concessions. Pour la concession du chemin de fer de St-Ghislain, pour la concession si importante du chemin de fer de Gand à Anvers par le pays de Waes, pour les concessions des embranchements du canal de Charleroy et du canal de Jemappe à Alost, la clause du rachat n’a pas été insérée dans les contrats, parce que le concours du trésor public n’était pas demandé.

- M. Liedts remplace M. Vilain XIIII au fauteuil.

M. Meeus – Je demande la parole pour un fait personnel.

M. le président – Il n’y a rien qui vous soit personnel dans ce qui a été dit.

M. Meeus – L’honorable M. Dumont a voulu me mettre en contradiction avec moi-même. Il me paraît que c’est bien là un fait personnel.

Du reste, je vous prie de m’inscrire. Je répondrai quand mon tour de parole sera venu.

M. David – Messieurs, l’honorable ministre des travaux publics persiste à dire que les prix fixés par la société Richards sont plus bas que ceux de l’Etat. Je crois avoir assez examiné les tarifs qui sont relatifs au parcours de la crête d’Entre-Sambre-et-Meuse pour pouvoir vous donner l’assurance du contraire.

D’abord, messieurs, pour bien apprécier les prix proposés par la société Richards, il faut faire la fusion des prix qui sont établis pour les différents points du parcours de la crête soit en montant soit en descendant. D’ailleurs, messieurs, si les tarifs admis par l’Etat sont plus élevés, pourquoi la société Richards repousserait-elle mon amendement ? Je ne ferais que lui rendre le marché meilleur. Mais je crois que la société Richards est trop bonne appréciatrice, pour ne pas avoir compris que réellement, et lorsque les calculs sont établis avec une parfaite connaissance de cause, ses tarifs dépassent ceux de l’Etat.

Messieurs, la société Richards a la faculté d’abaisser son tarif, mais son refus d’admettre ceux de l’Etat me porte à supposer qu’elle a l’arrière-pensée de maintenir son tarif élevé aussi longtemps qu’elle le pourra, et il est probable qu’elle le pourra longtemps.

Déjà hier, messieurs, je me suis servi d’une comparaison qui doit vous avoir frappés et que j’ai puisée dans le rapport qui vous est soumis depuis peu de temps par la société Borguet. J’ai lu attentivement la lettre qui a été écrite par M. Borguet à M. le ministre des travaux publics ; il m’est impossible, messieurs, de résister à l’envie de vous citer ses propositions et de les mettre en regard de celles qui sont faites par la société Richards.

M. Borguet vous dit : « Si nous avons porté à notre tarif des prix approximativement égaux à ceux de l’Etat, ce n’est que par déférence. Mais nous avons toujours pensé que, pour tenir la concurrence avec les transports par la Meuse des matières pondéreuses, telles que houille, minerais de fer, pierres brutes, moellons, bois à brûler, bois en bûche, nous serons obligés de réduire nos prix, et dans nos prévisions, du reste probables, nous n’avons calculé ces marchandises qu’à 8 centimes par tonne et par kilomètre, soit 40 centimes par tonne et par lieu, sauf à réduire encore ces prix dans certains cas, afin d’être utiles à l’industrie locale. Nous n’hésitons pas, M. le ministre, à déclarer ici que dès à présent nous consentons à établir notre tarif à 8 centimes par tonne et par kilomètre pour les transports : 1° des houilles, minerais de fer, etc. »

Messieurs, lorsque je mets en regard de cette lettre le tarif du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, je dois avouer que j’éprouve la crainte de voir un jour rejeter les propositions, par exemple, qui nous seraient faites par M. Borguet d’entreprendre au prix qu’il propose le transport des marchandises le long de la Meuse. En effet, messieurs, si demain on mettait en discussion le projet du chemin de fer de Liége à Namur, ne pouvons-nous pas supposer que le Hainaut viendrait nous dire : Mais vous allez accorder à la province de Liége des avantages immenses sur notre fonds houiller, vous allez lui permettre de reconquérir un marché qui deviendra meilleur que le nôtre ? Le Hainaut ne considérerait-il pas ce projet comme pouvant porter atteinte à ses intérêts et ne dirait-il pas : Il fait que vous adoptiez aussi le système Richards ; il faut que vous admettiez ses prix élevés ; sans cela notre industrie est compromise

C’est là, messieurs, le raisonnement que le Hainaut ne manquera pas de faire. C’est ce qui m’effraye dans l’antécédent que vous allez poser. Je désire (page 931) qu’il soit consigné que dans cette discussion j’ai émis cette pensée : c’est ce que je crois qu’un jour les conditions que nous allons voter aujourd’hui ne soient invoquées pour nous tenir dans certaines limites, et ne nous permettent pas de suivre l’essor des inventions et des améliorations. Lorsque nous viendrons vous demander le chemin de fer de Namur aux conditions de M. Borguet, vous vous repentirez d’avoir accordé une concession sur laquelle il sera si difficile, si pas impossible, de revenir. Le Hainaut reconnaîtra alors qu’il s’est enchaîné.

Dans quelques années, comme vous l’a fort bien dit l’honorable M. Dumortier, et comme je l’avais dit hier, les moyens de locomotion auront fait d’immenses progrès. Et, notez-le bien, en présence de ces progrès, devant lesquels on ne peut rester stationnaire, vous n’avez pas même le moyen du rachat ; car les conditions auxquelles pourrait se faire le rachat et que je viens d’entendre citer par M. le ministre des travaux publics, me paraissent tellement difficiles à obtenir, que jamais il ne pourra y avoir de rivalité entre le chemin de fer qui aura préexisté, et un chemin de fer qui viendrait s’établir en concurrence dans l’Entre-Sambre-et-Meuse.

Je crains donc, messieurs, que l’on ne déplore longtemps les prix élevés qui vont être fixés par suite de la concession qu’il s’agit d’accorder. Ce sera une bien longue agonie que celle de 90 ans, alors qu’il n’y aura pas moyen de détruire le contrat dont on sera, je pense, bien plus tôt fatigué qu’on ne le croit aujourd’hui.

M. le ministre nous a dit, messieurs, que l’adoption de mon amendement pourrait donner à la compagnie le droit d’annuler le contrat. Je ne partage pas cette opinion ; l’affaire de l’Entre-Sambre-et-Meuse est trop belle pour que la société la refuse même à mes conditions, et qui sont plus avantageuses que celles du cahier des charges, s’il est vrai, comme l’a dit M. le ministre, que les prix de la société sont plus bas que ceux du chemin de fer de l’Etat.

Je n’éprouve donc sous ce rapport, aucune inquiétude, mais l’inquiétude que j’éprouve et que je voudrais éviter, c’est d’enchaîner l’avenir de la métallurgie belge, c’est de l’enchaîner pour 90 ans.

Messieurs, l’affaire de l’Entre-Sambre-et-Meuse a eu un si grand retentissement, que dans le cas même où la société se retirerait, on ne manquerait pas de trouver dans le pays un grand nombre de capitalistes disposés à concourir à cette entreprise. Je pense que, dans ce cas, une adjudication publique ne manquerait pas d’amener un résultat complètement satisfaisant.

Si j’osais, messieurs, hasarder cette observation, je dirais que l’Etat devrait se charger lui-même du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Jamais peut-être il ne se présentera une affaire aussi belle, et c’est la seule qu’on donne à l’étranger ! C’est, messieurs, une triste initiative, et je désire bien vivement que nous nous arrêtions dans cette voie. Je désire bien vivement que si plus tard de nouvelles concessions de chemins de fer sont accordées, elles le soient surtout à des Belges.

Je l’ai dit hier, messieurs, malgré le pressant besoin de nombreuses voies de communications qu’éprouve la province de Liége, je n’accepterais pas ces voies de communications à des conditions semblables ; car, ainsi que je l’ai déjà répété trop souvent peut-être, je craindrais de lier l’avenir ; C’est une idée que je n’ai pas eu le bonheur de faire partager à la chambre. Je m’en suis aperçu hier à la froideur avec laquelle mon amendement a été accueilli. Du reste, je remercie ici l’honorable M. Dumortier, qui, avec son imagination ordinaire, a bien voulu élargir l’idée que j’ai hasardée en présentant cet amendement.

Je vous avoue, messieurs, que la manière dont cet amendement a été accueilli par la chambre m’a singulièrement découragé. Je reconnais même qu’il ne lui reste aucun espoir de succès en présence de l’impatience de l’Entre-Sambre-et-Meuse, qui attend le vote de son chemin de fer réellement comme son Messie. Je ne me repends pas cependant d’avoir présenté cet amendement parce que je crois qu’il aura un jour son importance. Il l’aura j’en suis sûr, dans un court avenir, et surtout lorsque la province de Liége aura aussi quelques voies de communications ou concessions à demander.

(page 935) M. de Chimay – Messieurs, le rapporteur de la section centrale et M. le ministre des travaux publics se sont chargés de justifier amplement l’impartialité de mon vote. En effet, les premiers résultats du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse seront d’anéantir les dernières et faibles traces de la forgerie au bois, de porter, en quelque sorte, le dernier coup à cette industrie. Il est peut être vrai de dire que c’est anticiper seulement sur la solution irrémédiable d’une question jugée ; mais, sous d’autres rapports encore, l’importation à vil prix du combustible minéral au milieu de nos forêts, déjà si dépréciées, et composées en grande partie de bois exclusivement propre à faire du charbon, n’a pas besoin de commentaires. Dieu veuille seulement que les avantages futurs, et je les crois très-réels, offerts par le chemin de fer, sous le point de vue des intérêts généraux et de nos relations internationales avec la France, ne se fassent pas trop longtemps attendre ! car, je ne crains pas de le dire, messieurs, la position des grands propriétaires de bois devient chaque jour plus précaire. Il est possible que les uns, favorisés par la nature du sol, trouvent des moyens lents et coûteux de salut dans le défrichement ; mais les autres, se verront peut-être un jour dans l’impossibilité de suffire à la lourde part qui leur incombe aujourd’hui dans les charges publiques. Si du reste je m’arrête un instant sur ce tableau sombre, sans doute, mais malheureusement trop vrai, ce n’est que pour mieux faire ressortir l’importance que j’attache à l’exécution du projet sous le rapport de l’intérêt général, et mon désintéressent personnel quant au vote approbatif que je compte émettre.

Pour moi, messieurs, je ne puis partager les répugnances que semble soulever chez certaines personnes l’invasion prétendue de la Belgique par les capitaux anglais. Je trouve, au contraire, que la compagnie Richards rend un éclatant hommage à la nationalité, un important service à l’avenir commercial et industriel du pays. Songez, messieurs, qu’il ne se passe guère de jours sans que la presse, sans que nos fabricants ne fassent entendre des cris d’alarme et de détresse. Eh bien, il s’est trouvé en Angleterre, cette grande maîtresse en industrie, des gens rompus aux chances bonnes et mauvaises des affaires, qui ont su reconnaître vos immenses ressources, votre immense richesse industrielle, au milieu de vos embarras momentanés. Ces gens ont foi dans l’avenir belge, et ils le proclament ; il font plus : ils le prouvent en confiant leur fortune à cet avenir. J’ai déjà eu occasion de le dire dans cette enceinte, l’un de nos plus grands défauts en Belgique, c’est la méfiance de nous-mêmes. Je suis heureux, pour mon compte, de l’encouragement que semble nous donner la compagnie Richards, et son concours n’eût-il d’autre mérite, qu’elle aurait encore, à mes yeux, bien mérité du pays.

Je voterai pour le projet de concession tel qu’il nous est soumis, avec la réserve formulée par mon honorable ami, M. Malou, et sanctionnée aujourd’hui par le ministre des travaux publics.

(page 931) M. Fallon – Messieurs, ce qui ressort de plus clair de la discussion à laquelle nous nous livrons, c’est que le bassin houiller et métallurgique de Charleroy recueillera d’immenses avantages de la concession du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, et qu’en conséquence cette concession sera profitable au pays.

Je ferais donc, quant à moi, bon marché des sacrifices directs ou indirects que cette concession imposera au trésor, et je donnerai volontiers mon suffrage au projet de loi, si la chambre accepte, dans la juste répartition de ces sacrifices, les conditions que commande l’équité d’accord avec les intérêts généraux du pays.

Il est un point de vue sous lequel la question n’a encore été envisagée que par l’honorable M. Pirson, c’est au point de vue du préjudice que la concession occasionnera à d’autres localités.

Lorsque, pour cause d’utilité publique, un préjudice est causé, l’équité veut une compensation, elle le veut surtout lorsque la compensation est de nature à profiter aux intérêts généraux.

C’est un principe, dont je viens réclamer l’application à la province de Namur.

Il est évident, pour tout le monde, que l’ouverture du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse sera funeste au bassin de la Meuse dans la province de Namur.

Déjà le district de Charleroy a porté le coup de mort à la forgerie de la Meuse ; elle s’alimentait au bois, la fonte au coke l’a paralysée.

Je ne demande aucune indemnité, comme compensation de ce chef, parce que le préjudice causé à la forgerie de la Meuse, n’est pas le fait d’une mesure administrative, mais bien l’effet du progrès de l’industrie.

Je n’en parle que comme considération de nature à déterminer la chambre à m’écouter avec bienveillance dans la réclamation que je viens de lui soumettre.

Aujourd’hui, c’est par le fait de la législature, c’est par le concours de l’Etat, c’est par mesure d’administration, que les nombreuses populations riveraines de la Meuse, sur un parcours considérable, à travers la province de Namur depuis Liége jusqu’à la frontière française, vont se trouver ruinées dans l’industrie qui met en mouvement la navigation de cette rivière, l’une des plus belles voies navigables du pays.

L’équité commanderait déjà de venir au secours de ces populations, si l’intérêt général ne nous en faisait pas un devoir.

La chambre a reconnu qu’il est de l’intérêt du pays, non-seulement de conserver et d’entretenir la Meuse, mais de faire exécuter les travaux nécessaires pour la rendre navigable en toute saison.

Chaque année la législature porte au budget une allocation à cette fin, et déjà les travaux entrepris et exécutés ont répondu à ce que l’on en attendait.

L’ouverture du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse n’empêchera pas, je le sais, la continuation de cette allocation annuelle jusqu’à l’achèvement du système de barrage et de halage, et je m’en serais contenté, parce que l’on aurait pu arriver ainsi au but que l’on voulait atteindre, lentement à la vérité, mais du moins sans froisser aucun intérêt, sans porter la perturbation dans aucune industrie.

Cette combinaison n’est plus praticable aujourd’hui, et si l’on ne veut pas tuer tout à fait l’industrie de la navigation de la Meuse, il n’est plus possible de temporiser ; il faut se hâter de la mettre en position de soutenir la fatale concurrence à laquelle elle va se trouver exposée lors de l’achèvement du chemin de fer dont ils s’agit.

On ne peut pas se le dissimuler : lorsque ce chemin de fer sera ouvert à la circulation, une multitude de matières pondéreuses qui alimentaient la navigation de la Meuse lui sera enlevée, tels que le vin, les écorces, les mines, les céréales, les bois, la houille et surtout les ardoises de Fumay qui viendront ainsi, dans le cœur du pays, faire une rude concurrence aux ardoisières du Luxembourg.

Sur la houille seule, l’ingénieur Magis a constaté que le transport qui se fait actuellement par la Meuse vers la France sera, par le chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, de 70,000,000 kil.

Le moyen de préparer l’industrie de la navigation de la Meuse à soutenir cette redoutable concurrence, c’est la diminution du fret, c’est la réduction du prix des transports ; c’est, en conséquence, l’amélioration de la voie navigable.

Cette rivière a été suffisamment étudiée. L’expérience a déjà justifié que le système adopté de passes et de barrages fera atteindre le but que l’on se propose ; il ne s’agit plus que de compléter son exécution.

Or, maintenant, c’est cette exécution qu’il faut hâter, si l’on veut satisfaire à ce que l’équité commande en faveur des nombreuses populations riveraines de la Meuse.

Pour cela faire, ce n’est, dans la réalité, aucun sacrifice nouveau que je réclame à la charge du trésor.

Je demande que l’on pourvoie en une seule fois à ce que l’on s’est engagé de faire successivement pendant un temps plus ou moins long. Je demande qu’on accorde immédiatement à la Meuse le chiffre total des allocations partielles qu’on s’était engagé de porter chaque année au budget jusqu’à l’achèvement du système d’amélioration.

L’adoption de cette combinaison n’est donc pas, en réalité, une aggravation de charge pour le pays.

Le système d’indemnité que je réclame n’a donc pour résultat qu’une dépense dont la nécessité, dans l’intérêt général, se trouve déjà sanctionnée en principe.

(page 932) Lorsque le gouvernement s’est décidé à proposer aux chambres la concession du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, il a bien senti qu’il fallait entrer dans un système d’indemnité applicable là où l’intérêt général pouvait en profiter.

C’est ainsi que, par le même projet de loi, il a proposé, en faveur de la province de Liége, un canal de navigation latéral à la Meuse, de Liége au canal de Maestricht à Bois-le-Duc, canal qui, ainsi qu’on l’annonce déjà, n’est pas destiné à s’arrêter à Liége, mais à se prolonger en amont de cette ville jusqu’à Chokier.

C’est ainsi qu’il a proposé, en faveur du district de Turnhout, un canal de navigation destiné à mettre la ville de Turnhout en communication avec le canal de la Campine.

C’est ainsi que, par une seconde faveur au Hainaut il propose la concession du chemin de fer de Tournay à Jurbise, et la concession d’un autre chemin de fer en faveur de la province de Limbourg.

Au milieu de tout cela, et sans égard au préjudice que doit nécessairement causer au bassin de la Meuse, dans la province de Namur, l’ouverture du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, cette province est, comme toujours, complètement oubliée.

Je suis loin de trouver mauvais ce que l’on se propose de faire en faveur de la province de liége ; je l’approuve, au contraire puisque cette faveur a pour but l’amélioration de la Meuse dans sa partie inférieure.

Mais c’est précisément parce qu’à l’occasion du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse on pourvoit à ce qu’il fallait faire pour l’amélioration de la Meuse dans sa partie inférieure, qu’il ne fallait pas oublier la partie supérieure.

Je demande donc que l’on fasse, pour la partie supérieure, ce que l’on se propose de faire pour la partie inférieure.

Je pourrais demander, en conséquence, qu’on allouât pour les travaux de son amélioration le même chiffre que celui que l’on propose pour l’ouverture du canal latéral à la Meuse dans la province de Liége.

Je ferai preuve de modération en ne demandant que la moitié

Je pense avoir démontré suffisamment le fondement de cette proposition.

Quant à sa recevabilité, par voie d’amendement au projet de loi en discussion, je la crois incontestable.

Voter la concession du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, et voter en même temps le chiffre nécessaire pour mettre la voie navigable de la Meuse en position de soutenir la concurrence que ce chemin va ouvrir, sont choses évidemment connexes.

Pou moi, ce sont même des choses indivisibles, au point que je devrais refuser mon suffrage au projet de loi, si l’amendement que je vais proposer n’était pas admis.

M. le président – Voici l’amendement que propose M. Fallon, et qui formerait un article additionnel.

« Il est ouvert au département des travaux publics un crédit de 1,750,000 francs pour être employé aux travaux d’amélioration de la Meuse, dans la traverse de la province de Namur, jusqu’à la frontière française. »

« Cette dépense sera provisoirement couverte au moyen d’une émission de bons du trésor qui se fera au fur et à mesure de payements à effectuer pour les travaux qui seront exécutés. »

- L’amendement est appuyé.

M. le président – La parole est à M. Pirmez.

Des membres – Aux voix ! aux voix !

M. Pirmez – Messieurs, je n’ai qu’un mot à dire, c’est sur l’amendement de M. Brabant. Il me semble que, d’après les déclarations formelles de M. le ministre des travaux publics, cet amendement est non seulement inutile, mais contraire au but que son auteur veut atteindre.

Il a été présenté à l’occasion d’un conflit sur l’exécution de deux directions à prendre en partant de Jamioul, pour rejoindre le chemin de fer de l’Etat. L’auteur de l’amendement veut donner au ministre le pouvoir de décréter l’une « ou » l’autre, et M. le ministre a démontré que le contrat obligeait la compagnie à prendre l’une « et » l’autre de ces directions. En un mot, que l’une aboutirait à Marchiennes et l’autre à Charleroy.

- La clôture est demandée par plus de dix membres.

M. Lys (contre la clôture) – Il est impossible de clore aujourd’hui la discussion sur une question aussi grave. M. le ministre des travaux publics est venu au commencement de la séance proposer des amendements qui bouleversent tout le système de l’art. 7.

- Personne ne demande plus la parole pour ou contre la clôture, elle est mise aux voix et prononcée.

Vote de l'article unique

M. le président –Voici la nouvelle rédaction proposée par M. le ministre des travaux publics :

« Article unique. Le gouvernement est autorisé, sous les réserves indiquées ci-après, à accorder à la compagnie Richards la concession du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse et des ses embranchements, d’après les bases posées dans les conventions des 26 juin 1844 et 1er févier 1845, entre le ministre des travaux publics et cette compagnie. »

« 1° Art. 40 (nouveau) du cahier des charges : Il sera également permis, à qui que ce soit, d’établir des embranchements aboutissant au chemin de fer et à ses embranchements et qui ne soient pas de nature à faire l’objet d’une concession par voie de péage. »

« 2° Art. 41 du cahier des charges : Les concessionnaires du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse ne pourront, en aucun temps, mettre obstacle à ses embranchements, ni à ceux qui seraient établis en vertu de l’art. 50 et pour lesquels les concessionnaires n’auraient pas usé du droit de préférence que leur attribue l’art. 7 de la convention du 1er février. L’établissement de ces embranchements ne pourra motiver, de leur part, aucune demande d’indemnité, pourvu qu’il n’en résulte aucun obstacle à la circulation ni aucuns frais particuliers tombant à leur charge. »

« Les concessionnaires s’engagent à n’apporter aucune entrave à la libre exploitation de ces embranchements et à adopter à leur égard des mesures analogues à celles qui seront consacrées par les conventions à intervenir pour régler les conditions de la circulation du matériel de l’Etat et de la compagnie sur les lignes respectives. »

Une nouvelle modification a été proposée par M. David dans la séance du 26 avril ; elle est ainsi conçue :

« Pour indemniser les concessionnaires des dépenses et travaux qu’ils s’engagent à faire par le présent cahier des charges et sous la condition expresse qu’ils rempliront exactement toutes leurs obligations, le gouvernement leur concède pendant un terme de 90 ans, à dater de la mise en exploitation du chemin de fer et de ses embranchements sur toute leur longueur, l’autorisation d’y percevoir, comme maximum, les mêmes droits que ceux perçus sur les chemins de fer de l’Etat qui y seront en vigueur au moment de l’approbation d la convention.

« Les conditions de transport sur le chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, seront également les mêmes que celles adoptées sur le chemin de fer de l’Etat.

Le gouvernement ne se rallie pas à cette modification. S’il n’y a pas d’autres propositions, je commencerai pas mettre cet amendement aux voix. Nous passerons ensuite, le cas échéant, aux amendements proposés respectivement par MM Fallon, Malou et Brabant.

M. David – Je retire mon amendement.

M. le président – Je mets aux voix l’amendement de M. Brabant, amendement ainsi conçu :

« Le tracé pourra être modifié dans ses points de raccordement avec le chemin de fer de l’Etat. »

- Cet amendement n’est pas adopté.

L’amendement de Malou, destiné à former le n°3 de l’article unique, est mis aux voix et adopté. Cet amendement auquel le gouvernement s’est rallié est conçu en ces termes :

« 3° Le 2e § de l’art. 39 du cahier des charges est supprimé. »

L’article unique du projet de loi, avec cette modification et les modifications proposées par le gouvernement lui-même, est mis aux voix et adopté.

L’article additionnel, proposé par M. Fallon (voir ci-dessus) est mis aux voix et n’est pas adopté.

Vote sur l'ensemble du projet

La chambre, consultée, décide qu’elle passera d’urgence à l’appel nominal pour le vote sur l’ensemble de la loi.

53 membres ont répondu à l’appel nominal.

49 ont répondu oui.

2 ont répondu non

2 (MM. David est Lys) se sont abstenus.

En conséquence, le projet de loi est adopté. Il sera transmis au sénat

Ont répondu non : MM. Brabant et Fallon.

Ont répondu oui : MM Castiau, Cogels, Coghen, de Baillet, Dechamps, de Chimay, de Corswarem, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Renesse, Desmaisières, Desmet, de Terbecq, de Theux, de Villegas, d’Hoffschmidt, Donny, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fleussu, Henot, Kervyn, Lejeune, Lesoinne, Liedts, Malou, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Osy, Pirmez, Savart, Sigart, Thienpont, Vanden Eynde, Verhaegen, Verwilghen et Zoude.

M. le président – Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à énoncer les motifs de leur abstention.

M. David – Je me suis abstenu parce que je n’ai pas voulu voter contre une mesure qui tend à développer l’industrie et les richesses du pays ; d’un autre côté je n’ai pas voulu donner mon adhésion au projet de loi, parce que, ainsi que je l’ai signalé à plusieurs reprises dans la discussion, je crois que nous posons un précédent dangereux pour toutes les concessions qu’on pourra demander.

M. Lys – Je me suis abstenu (erratum, p. 941) par les mêmes motifs que mon honorable collègue, M. David, et, en outre, parce qu’on ne nous a pas laissé le temps d’examiner les amendements présentés à cette séance par M. le ministre des travaux publics.

- La séance est levée à 4 heures ¾.