(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 905) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et ½.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Plusieurs habitants de Lodelinsart demandent la construction du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse proposé par le sieur Taylor. »
« Même demande des habitants de Gilly et de Marcinelle. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la matière.
« Le sieur Delys, Camille, ancien militaire, demande le payement de sa pension. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des propriétaires et directeurs de hauts-fourneaux demandent que le fer et la fonte soient substitués au bois, dans le parachèvement de l’entrepôt d’Anvers. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport de la commission des pétitions sur la pétition du sieur Marcellis.
M. Zoude, au nom de la commission des pétitions, présente le rapport sur la pétition de plusieurs habitants de Dinant, qui ont adressé à la chambre des observations contre le projet de construire un chemin de fer de Charleroy à la France.
La commission propose le renvoi au département des travaux publics, et le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur la matière.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Zoude présente le rapport sur la pétition des habitants de Saint-Gérard (canton de Fosse), qui demandent que les barrières établies sur la route de Ligny à Dénée, soient placées aux distances indiquées dans le cahier des charges de la concession de la route.
La commission propose le renvoi de la pétition au département des travaux publics, avec demande d’explications.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Dumont – Je demande que la chambre, conformément à l’ordre du jour qu’elle a fixé samedi dernier, suspende la discussion du projet de loi relatif au souterrain de Cumptich pour s’occuper du projet de loi concernant le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse. La société Richard, avec laquelle le gouvernement a conclu, se trouve dégagée le 1er du mois prochain. Il reste donc seulement quatre jours pour la discussion et le vote du projet, tant dans cette chambre qu’au sénat.
M. Lys – En tout cas, il est impossible que la loi relative au chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, soit votée pour la fin de février. Il n’y a donc pas lieu de suspendre la loi relative au souterrain de Cumptich ; si l’on ajournait cette loi, l’on reviendrait sur tout ce qui a été dit depuis deux jours.
- La proposition de M. Dumont n’est pas adoptée. En conséquence, l’ordre du jour continue.
M. Desmaisières – Messieurs, avant d’entrer dans le fonds de la question, je crois devoir dire quelques mots sur la proposition d’enquête.
Les ingénieurs, comme les entrepreneurs et les agents de l’administration qui ont pris part à l’exécution des travaux, tant dans le nouveau que dans l’ancien tunnel, doivent désirer que l’enquête soit parlementaire, parce qu’elle leur offre le meilleur moyen de repousser toutes les accusations qu’on peut faire peser sur eux. D’un autre côté, l’intérêt public commande aussi impérieusement que l’enquête présente toutes les garanties possibles de sévérité et d’impartialité, et, encore une fois, aucune enquête, autre qu’une enquête parlementaire, n’est susceptible d’offrir à un pareil degré ces garanties désirées.
(page 906) Aussi, je ne concevrais pas l’opposition qu’a faite M. le ministre des travaux publics à l’enquête parlementaire, si ce n’était la question de prérogative dont il me paraît cependant qu’on ne peut se refuser à tenir compte. Nous avons aussi dans les chambres une responsabilité, et cette responsabilité pourrait peut-être se trouver engagée, si nous allions intervenir dans l’action administrative, avant que le pouvoir exécutif eût épuisé cette action. Ce serait assumer sur nous la responsabilité des actes administratifs, qui auraient lieu après notre intervention.
Je crois dès lors que, pour tenir les divers pouvoirs dans la limite de l’action que leur donne la Constitution, il serait convenable que l’enquête soit d’abord administrative, sauf à devenir ensuite parlementaire, si nous trouvons que l’enquête administrative n’est pas satisfaisante.
Mais dans tous les cas, je voudrais que M. le ministre des travaux publics prît des engagements tels, qu’il donnât à la chambre toutes les sûretés possibles, pour que l’enquête soit faite de manière à pouvoir réellement atteindre les coupables, s’il y en a.
En ce qui concerne le projet de loi, tendant à obtenir un crédit de 300,000 francs, à l’effet de remplacer les tunnels de Cumptich par une tranche latérale à ciel ouvert, je crois qu’il serait imprudent pour la législature de décider elle-même cette question, surtout en ce moment, où elle ne peut le faire en connaissance de cause. Je ne puis donc pas donner mon assentiment au projet de loi tel qu’il a été présenté.
Veuillez remarquer, messieurs, qu’il s’agit de savoir si, par suite de l’éboulement qui a eu lieu dans l’ancien tunnel de Cumptich, il faut renoncer aux tunnels et les remplacer par une tranchée à ciel ouvert ; cette question est très-grave. Je dois faire observer à la chambre que les tranchées profondes, telles que celles qu’il s’agit de construire latéralement au tunnel de Cumptich présentent aussi des dangers, et donnent lieu, quelquefois, à des dépenses très-considérables.
Mais je me permettrai de reporter à cet égard, votre attention sur un passage du compte-rendu que j’ai eu l’honneur de vous présenter sur l’état du chemin de fer pendant l’exercice 1842.
Dans le mémoire historique de tous les travaux du chemin de fer de Gand à la frontière française et à Tournay, mémoire que j’ai fait imprimer à la suite de mon compte-rendu, on vous a fait connaître combien de difficultés ont présenté plusieurs tranchées sur cette ligne. Il y a, entre autres, la tranche de Marcke entre Courtray et Mouscron ; cette tranchée n’avait pas 15 à 20 mètres de profondeur comme la tranchée latérale projetée à Cumptich. ; elle n’avait que 6 mètres 59 centimètres de profondeur moyenne ; cependant il s’est trouvé qu’après quelques jours de pluies des éboulements considérables ont eu lieu et qu’il a fallu faire exécuter ensuite des travaux extrêmement coûteux pour maintenir la tranchée.
Ainsi, les tranchées profondes et qui sont établies dans des terrains extrêmement mauvais, peuvent présenter d’aussi graves dangers que les tunnels eux-mêmes.
Au tunnel de Braine-le-Comte, il a fallu, à cause de l’éboulement qui avait eu lieu dans la tranchée précédant le souterrain, se décider à prolonger ce souterrain de 50 mètres, afin de soustraire à tout danger la circulation sur cette partie du chemin de fer.
Je vous citerai maintenant un fait qui a eu lieu, il y a environ trois ans, sur le chemin de fer de Great-Western. Il y avait à une tranchée très-profonde où un éboulement s’est produit à un moment du passage d’un convoi, et il y a eu onze personnes tuées.
Les Anglais ont-ils pour cela renoncé à la tranchée, et l’ont-ils remplacée par de tunnels ? Non certainement ; ils ont conservé la tranchée, mais ils ont fait en sorte que la circulation ne pût plus être interrompue.
Tous ces faits doivent vous faire voir, messieurs, combien il serait imprudent de décider ici, sans l’avoir bien examinée, la question de savoir s’il faut maintenir les tunnels ou les remplacer par une tranchée à ciel ouvert, je n’entends pas me prononcer sur cette question, je veux seulement appeler l’attention de la chambre sur le danger qu’il y aurait à décider cette question sous l’impression de la terreur que l’événement de Cumptich a pu produire dans le public. Ces craintes, sans doute, doivent être prises en ligne de compte ; on doit respecter les frayeurs que peut faire concevoir au public le parcours du chemin de fer, parce que si le public ne parcourait pas le chemin de fer, il deviendrait inutile, et ne pourrait rien produire, et qu’ensuite il faut, avant tout, assurer la vie des voyageurs.
Mais, messieurs, permettez-moi de vous citer encore un fait qui vous prouvera qu’il n’est pas impossible de rassurer le public quand il a conçu de ces sortes de terreur. Vous vous rappelez que, quelque temps avant la mise en exploitation des plans inclinés, il y a eu, à raison des expériences qu’on a voulu faire avant de mettre cette section en exploitation, un événement aussi très-grave, et par suite de cet événement beaucoup de personnes n’ont pas osé, dans les premiers temps de l’exploitation se confier aux waggons sur les plans inclinés ; beaucoup de personnes descendaient ou montaient dans les voitures à Ans. Eh bien, avant l’exploitation, pendant quinze jours ou trois semaines, j’ai fait circuler du matin au soir et en y employant pour l’exercer, le personnel qui devait être chargé de ce service, des convois nombreux et composés d’un grand nombre de voitures. Indépendamment de ce que j’ai réussi à former ainsi un bon personnel, j’ai prouvé qu’il était possible d’exploiter les plans inclinés sans danger, quand on prenait des mesures convenables. Lors de l’ouverture de l’exploitation, je m’étais placé avec des ingénieurs des ponts et chaussées et les divers chefs du personnel de l’exploitation sur le premier convoi qui a descendu les plans inclinés.
Quinze jours à peine ont suffi pour que tout le monde osât se risquer sur cette partie de la route ; aujourd’hui il n’y a plus personne qui ait la moindre appréhension à cet égard. Vous voyez que la terreur peut être vaincue, quand on prend les mesures nécessaires pour rétablir la sécurité. Je le répète, c’est là une chose grave sous le rapport de la dépense et sous le rapport des dangers que peut offrir la circulation, que de décider tout de suite la question de savoir s’il faut remplacer les tunnels de Cumptich par une tranchée à ciel ouvert. Cette tranchée peut présenter de grands dangers pour la circulation. Il faut approfondit la question, l’envisager sous toutes ses faces avant de prendre une décision. C’est pourquoi, messieurs, si le ministre des travaux publics n’y voyait aucun inconvénient, je serais assez disposé à vous présenter un amendement conçu dans ces termes :
« Indépendamment du crédit de 17 millions ouvert par l’art. 2 de la loi du 29 septembre 1842, il est alloué au gouvernement une somme de 300,000 fr., à l’effet de rétablir la circulation, d’une manière sûre et permanente sur la section du chemin de fer de Louvain à Tirlemont.
« Il sera rendu compte aux chambres, avant le 31 décembre 1845, de l’emploi de ce nouveau crédit, ainsi que de l’enquête à laquelle il y a lieu de procéder sur les causes de l’événement survenu au tunnel de Cumptich. »
Je crois que, de cette manière, nous aurions toutes les garanties possibles. D’une part, nous imposerions au ministère l’obligation de procéder à une enquête et d’en rendre compte aux chambres dans un délai assez rapproché. D’autre part, nous abandonnerions au gouvernement toute la responsabilité du choix des moyens à employer pour rétablir la circulation de manière à ce qu’elle présente toute la sécurité possible pour la vie des voyageurs. Nous l’obligerions en outre également de rendre compte de l’emploi du nouveau crédit qui lui aurait été alloué, et ce avant le 31 décembre de cette année.
Avant de terminer, je dois donner quelques explications sur une observation faite par M. le ministre des travaux publics dans la séance d’hier. Je crois, messieurs, que, dans l’opinion de la chambre, en ce qui concerne la construction des tunnels de Cumptich, ce sont avant tout les ingénieurs qui sont en cause, et qu’on n’entend faire de ce chef aucun reproche aux ministres.
On doit reconnaître qu’ils ont, quant à eux, rempli leur devoir, ainsi qu’on l’a dit, quand ils ont autorisé l’exécution des travaux conçus et approuvés par les ingénieurs et par le conseil des ponts et chaussées. Pour ce qui me concerne, je dirai qu’il n’y a eu, sous mon ministère, à l’égard du nouveau tunnel de Cumptich, que des travaux d’essai. Mais j’ajouterai que si j’étais resté au ministère, j’aurais fait continuer les travaux comme mon honorable successeur, parce que les travaux d’essai avaient été, on ne peut plus satisfaisants. Voici comment on est venu à faire des travaux d’essais pour la construction de ce deuxième tunnel.
En 1841 et 1842 la circulation sur le chemin de fer de l’Est augmenta sensiblement. Par suite de la grande augmentation de circulation que devait en outre amener l’achèvement qu’on prévoyait, pour un temps assez prochain, des travaux des plans incliné et du chemin de fer de Liège, à la frontière prussienne, l’administration du chemin de fer en exploitation conçut des crainte sérieuses à raison de la multiplicité des convois et de la marche accélérée qu’il fallait leur imprimer sur la possibilité d’une rencontre de deux convois sous le tunnel ce qui eût été sans doute l’événement le plus désastreux qui pût se produire sur le chemin de fer. L’ingénieur ordinaire de la section de Louvain à Tirlemont fut chargé d’examiner la question de la seconde voie à établir à Cumptich.
Il présenta un projet pour construire un deuxième tunnel, en donnant au pied-droit intermédiaire, à former de l’un des pieds-droits de l’ancien tunnel qui n’avait que 40 centimètres, et du renforcement exigé pour soutenir la voûte du nouveau tunnel, une épaisseur de 1 mètre 10 centimètres. L’ingénieur en chef approuva ce projet, l’inspecteur divisionnaire crut devoir augmenter l’épaisseur de pieds-droits, il la porta un mètre 20 centimètres. Le conseil des ponts et chaussées crut devoir aller encore plus loin, il la porta à 1 mètre 50.
C’est sur cette proposition unanime du conseil des ponts et chaussées que les travaux d’essai ont été autorisés. Quand j’ai quitté le ministère, ces travaux d’essai se trouvaient à peu près achevés ; ils avaient été exécutés avec toutes les précautions voulues et présentaient un résultat qui fut reconnu très-satisfaisant. Aussi, je le répète encore, si j’étais resté au ministère, j’aurais continué les travaux. Ce qui prouve, d’ailleurs, que mon honorable successeur a bien fait de continuer, c’est qu’on est parvenu à faire 300 mètres de souterrain complet et en outre 370 mètres de voûte sans accident. Les parties faites ne présentent aucune espèce de danger, non plus que les parties latérales de l’ancien tunnel, qui touchent aux parties du nouveau tunnel entièrement faites.
M. de Foere – Après avoir mûrement réfléchi sur la proposition de l’honorable M. Verhaegen, je suis arrivé à la conclusion de l’accueillir avec faveur. J’aurai l’honneur de présenter à la chambre les motifs de cette résolution.
Depuis que les travaux publics du chemin de fer sont en exécution, j’ai demandé souvent des renseignements sur leur exécution ; d’autres m’ont été donnés spontanément.
Il résulte de ces renseignements, d’abord que l’exécution de ces travaux n’a pas été toujours la meilleure, que souvent elle n’a pas été dirigée de manière à atteindre toute la solidité, et en même temps toute l’économie désirables ; ensuite, il résulte de mes informations que souvent l’exécution de ces travaux n’a pas été convenablement surveillée.
Jusqu’à l’événement de Cumptich, ces renseignements étaient restés dans mon esprit, à l’état de conjectures probables ; mais l’éboulement du tunnel de ce nom est venu donner de l’appui à cette probabilité.
(page 907) Je crois qu’il est dans l’intérêt du pays qu’enfin des mesures sévères soient prises afin que l’exécution de nos travaux publics présente dorénavant plus de garantie et que l’administration emploie des moyens plus sûrs pour écarter tous les abus.
Le tunnel de Cumptich a-t-il été mal construit ? ou l’exécution a-t-elle été mal surveillée ? De quel côté est la culpabilité ? est-elle du côté de l’administration de ce temps, ou du côté du corps des ponts et chaussées, ou est-elle partagée par les deux autorités, l’une supérieure, l’autre inférieure ? Il est difficile de faire des réponses positives à ces questions, mais l’enquête pourra les éclaircir.
Dans mon opinion, une première faute capitale a été commise relativement à cette même partie du chemin de fer. Un seul tunnel avait été construit à Cumptich. Il ne fallait aux convois que cinq minutes pour le traverser. Je me suis souvent demandé quelle était la nécessité d’en construire un second, latéral au premier. Quand il ne fallait que cinq minutes pour passer le premier tunnel, les moyens d’éviter la coïncidence ou la concurrence des convois, n’étaient-ils pas très-faciles ? Assurément, beaucoup de membres de la chambre partageront cette opinion.
Cependant, ce second tunnel a entraîné le pays dans des dépenses énormes ; et dans une fraction de l’opinion publique et parlementaire, c’est ce second tunnel qui a causé l’éboulement du premier. Dans cette opinion les dépenses du second tunnel ne se sont donc pas bornées à celle de sa construction même.
Qui a provoqué ce second tunnel, qu’aucun besoin réel n’avait réclamé ? Le ministère de ce temps ou le corps des ingénieurs en chef ? ou bien, y a-t-il eu collusion ? L’enquête pourra encore éclaircir cette question.
La chambre ne peut être responsable, excepté dans le cas où elle aurait voté des fonds pour la construction du second tunnel, sans avoir réclamé du ministre des travaux publics les preuves qui établissaient suffisamment le besoin de cette deuxième voie latérale. Une chambre législative, un tel corps délibérant n’est pas compétent pour approfondir des questions relatives aux travaux publics. C’est à l’administration supérieure surtout que ce devoir incombe. Dans ces questions, le vote de la chambre est basé sur la confiance que les majorités placent dans les hommes qui sont au pouvoir. Le gouvernement aurait obtenu de la confiance des chambres plusieurs millions de plus pour la construction de nos chemins de fer ; or, dans le cas dont il s’agit, la confiance de la chambre a été trompée, si tant est, comme c’est, je crois, l’opinion presque générale, qu’aucun besoin réel ne réclamait le second tunnel latéral de Cumptich. Donc aussi, dans l’intérêt du trésor public, il faut songer sérieusement aux moyens d’engager le gouvernement et le corps des ingénieurs à mieux approfondir toutes les questions qui se rattachent aux travaux publics.
Une autre faute grave a été commise. Le ministère du temps, où les ingénieurs chargés du travail, où les uns et les autres ont conduit le chemin de fer de Gand à Bruges à travers un désert. Si le chemin de fer avait été fait de Gand à Deynze, où il a été conduit depuis sur la voie de Courtray, et que de Deynze il eût pris une direction vers Thielt, et de là, en le faisant bifurquer, vers Courtray d’un côté et vers Bruges de l’autre, le chemin de fer aurait servi les besoins d’une population de 70 mille âmes qui se trouve agglomérée au centre de la Flandre occidentale. C’est là aussi qu’il aurait rencontré un mouvement considérable d’industrie linière. Les matières premières, et surtout les fabricats destinés à l’exportation, auraient pu être transportés par le chemin de fer, ainsi que les négociants étrangers qui fréquentent hebdomadairement les grands marchés de toile établis au centre de la Flandre.
D’un autre côté, le port d’Ostende est, en quelque sorte, oblitéré sous le rapport du commerce des denrées coloniales. Il n’existe pas de voie commode, pour pénétrer, à partir de Bruges au centre de la Flandre jusqu’à Courtray, dans le Hainaut et vers les frontières de la France. Tous les avantages commerciaux sont, sous ce point de vue, abandonnés à Gand et à Anvers.
Puisque cette déplorable faute, aujourd’hui reconnue par tout le monde, appartient exclusivement au gouvernement et aux ingénieurs qui ont été chargés du tracé et de l’exécution de ce chemin de fer, j’espère que l’honorable ministre actuel des travaux publics accordera son secours puissant à la compagnie qui se présente pour réparer cette grave faute, en proposant à la chambre, soit un minimum d’intérêt, soit un subside suffisant pour couvrir les premiers frais d’établissement
Quant à l’autre question en discussion, à celle de savoir s’il convient d’ouvrir une tranchée à ciel ouvert, ou de continuer le percement de la deuxième galerie, et d’exécuter à la première les travaux de réparation et de consolidation, je dois me reconnaître incompétent pour me prononcer, avec connaissance de cause, à cet égard. Je crois, d’ailleurs, que cette question n’est pas suffisamment instruite devant la chambre. Je me verrai donc obligé d’émettre un vote d’abstention.
M. Savart-Martel – Messieurs, la chambre a le droit d’enquête ; et jamais peut-être il n’y eut de circonstance plus grave pour user de ce droit.
Il ne s’agit point ici seulement de sommes considérables dont on a grevé et dont on doit encore grever le trésor national, mais il s’agit aussi de la sûreté publique et de l’avenir de nos chemins de fer. Nous ne voulons aucune intimidation, mais on doit trembler quand on pense ce qui serait advenu si l’éboulement avait eu lieu pendant le passage des convois.
Si j’avais pu douter un instant qu’il convînt que l’enquête fût faite par la chambre, tout ce qu’a dit hier le ministère lèverait mes doutes, surtout quand je remarque sa déclaration donnée avant l’enquête, que la cause du sinistre est en dehors du fait de l’homme et que personne ne pouvait le prévoir.
Et d’ailleurs, le ministre, grand maître des travaux publics, sous la dépendant journalière de l’expérience de son état-major, serait-il bien en position d’avoir une enquête impartiale, malgré tous ses soins et sa bonne volonté ? Evidemment non. Je pense, moi, qu’il est libre au ministre de faire de son côté telle enquête, telle indagation, telles recherches que bon lui semble ; mais je ne conçois pas pourquoi le ministère tient si fortement à écarter la chambre. Malgré tout ce qui a été dit, aucun motif sérieux n’a été présenté pour qu’on nous réduise à l’inaction. C’est nous empêcher de contrôler les œuvres du gouvernement.
Il y a plus : l’autorité judiciaire, comme autorité répressive, a aussi son devoir d’enquête ; ni le ministère, ni la chambre ne sauraient l’empêcher ; car enfin un homme a été enseveli dans l’éboulement, et j’ai peine à croire que l’autorité locale puisse regarder cette mort comme une chose indifférente.
Je voterai donc pour l’enquête parlementaire.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, j’ai déclaré hier que mon intention n’avait pas été de faire peser sur la chambre une partie de la responsabilité qui incombe au gouvernement. J’ai annoncé aussi que si des modifications de rédaction étaient proposées au projet de manière à laisser au gouvernement une responsabilité plus entière encore que celle qu’il voulait accepter, j’étais loin de repousser de pareilles modifications de rédaction. Ainsi je ne fais aucune difficulté à accepter l’amendement proposé par l’honorable M. Desmaisières. L’honorable membre alloue au gouvernement la somme nécessaire pour l’exécution des travaux que le gouvernement a l’intention de faire exécuter, mais il laisse au gouvernement le soin de prendre cette décision tout administrative sous sa seule responsabilité, ne voulant pas engager la chambre dans un débat de tracés et de profils, question sur laquelle la chambre est peu compétente pour se prononcer.
J’accepte donc la rédaction proposée par l’honorable M. Desmaisières, conformément à ce que j’avais annoncé dans la séance d’hier.
Dans cet amendement, il est parlé d’un rapport que le ministre des travaux publics devrait présenter aux chambres à la suite de l’enquête qu’il a ordonnée. Je pense que l’honorable membre veut parler ici de l’enquête administrative que le gouvernement a commencée et telle qu’il veut la poursuivre. (M. Desmaisières fait un signe affirmatif.) Ainsi je ne fais aucune difficulté d’adhérer à l’amendement de l’honorable M. Desmaisières.
J’abord la question de l’enquête soulevée par l’honorable M. Verhaegen.
Personne, messieurs, n’a contesté l’utilité d’une enquête. J’ai même pris l’initiative de cette mesure et l’enquête que j’ai commencée sera dirigée avec tout le soin sévère qu’il est de l’intérêt de l’administration d’y apporter.
La question qui nous est soumise, messieurs, est celle-ci : Vaut-il mieux une enquête administrative ou une enquête parlementaire ? Sans doute, la chambre a le droit d’enquête, mais jusqu’ici elle n’a usé de ce droit et elle ne doit en user dans son propre intérêt que dans des circonstances très-graves et extraordinaires. Si, à chaque fait qui pourrait se produire dans l’ordre administratif et qui soulèverait certaines craintes dans le public, si à chaque fait semblable la chambre avait recours au droit extraordinaire d’enquête, ce droit lui-même se trouverait compromis par l’abus qu’on en ferait.
Messieurs, l’honorable M. de Theux vous a dit hier qu’une enquête parlementaire serait inutile, qu’elle n’aurait pas d’autre résultat pratique qu’une enquête dirigée par le gouvernement lui-même. D’ailleurs, je le répète, la chambre n’a, jusqu’ici, usé que très-rarement du droit extraordinaire d’enquête. La première fois qu’elle en a usé, c’était dans une circonstance excessivement grave ; c’était en 1831, à l’occasion des désastres du mois d’août, que la chambre crut convenable d’ordonner une enquête.
Eh bien, vous savez, messieurs, de quelles immenses difficultés cette enquête a été entourée. Ces difficultés ont été telles que jamais l’enquête n’a produit de résultat.
Je crains bien qu’une enquête parlementaire sur une question, non-seulement administrative mais toute spéciale, sur une question d’art, ne produise pas plus de résultat que l’enquête à laquelle je viens de faire allusion.
Plus tard la chambre a ordonné une enquête parlementaire sur la question commerciale ; mais messieurs, la différence est grande ; il s’agissait là d’interroger le pays sur ses besoins industriels et commerciaux. Cette enquête n’était pas administrative, elle était avant tout politique. La compétence de la chambre n’était pas douteuse. C’était une enquête industrielle, commerciale, politique, et non pas une enquête administrative d’un caractère tout spécial, une enquête sur une question d’art.
L’enquête administrative se fait, messieurs, par le pouvoir responsable, et voilà pourquoi elle est préférable à l’enquête parlementaire qui est faite par un pouvoir irresponsable.
N’est-il pas évident, messieurs, que des membres de la chambre, obligés en pleine session, d’assister au déblaiement du tunnel de Cumptich, d’étudier sur les lieux mêmes les causes de l’éboulement, de procéder à des interrogatoires divers ; n’est-il pas évident que ces membres de la chambre se trouveront dans une position bien moins bonne pour arriver au résultat désiré, que le pouvoir responsable, le gouvernement ?
Hier, messieurs, on s’est longuement étendu sur la question de compétence. L’honorable M. Verhaegen, auteur de la proposition, a reconnu que les membres de la chambre n’étaient pas par eux-mêmes compétents pour éclaircir une pareille question. Pou lever cette difficulté, il a dû supposer que la commission d’enquête parlementaire devait s’entourer des lumières d’hommes spéciaux et recourir par exemple au corps du génie militaire. Mais, messieurs, on doit donc demander au corps du génie militaire, (page 908) qui occupe le même rang hiérarchique que le corps des ponts et chaussées, on irait lui demander de juger le corps des ponts et chaussées en attendant peut-être que,dans une autre circonstance, on demande au corps des ponts et chaussées de juger le génie militaire. Mais, messieurs, ce serait introduire un élément de conflit et de division, ce serait une mesure complètement antihiérarchique.
Messieurs, pour interroger sur des questions de métier, sur des questions d’art il faut être initié à ces questions, il faut avoir des connaissances spéciales. L’interrogatoire est la chose qui présente le plus de difficultés, qui exige le plus de connaissances théoriques et pratiques ? Ainsi même avant de procéder aux interrogatoires, les membres de la chambre seront obligés de consulter les ingénieurs que l’on veut récuser.
Mais, messieurs, pour que la chambre fît usage de ce droit extraordinaire d’enquête, il faudrait que le fait dont il s’agit eût un caractère de gravité extraordinaire. Croit-on que, dans la construction d’ouvrages d’art, que dans la construction de tunnels, de pareils accidents ne soient jamais arrivés ? mais il a été construit bien peu de tunnels soit en Belgique , soit à l’étranger, sans qu’on ait eu à déplorer des accidents et des éboulements. Je ne citerai que quelques exemples que ma mémoire me rappelle.
Ainsi, sur le chemin de fer de Londres à Birmingham, on a fait, pour construction des tunnels, des essais réitérés ; des éboulements nombreux ont eu lieu. On a rencontré d’immenses difficultés, à tel point qu’il a fallu recourir à l’ingénieur Stephenson et lui accorder une indemnité pécuniaire extraordinaire pour l’engager à se mettre à la tête de l’exécution de ce tunnel.
Sur le chemin de fer de Carlisle il est arrivé précisément ce qui a eu lieu au tunnel de Cumptich. Là d’abord on avait construit un tunnel de petite dimension, et reconnaissant ce tunnel insuffisant, on en a construit un deuxième, accolé au premier. Ces ouvrages n’ont pas mieux résiste. Alors on a substitué à ce double souterrain une galerie à grande dimension, comme les tunnels de la Vesdre. Eh bien, un nouvel accident a eu lieu et à l’heure où je parle, si mes renseignements sont exacts, on doit recourir à de nouvelles réparations.
En Belgique, messieurs, la même chose est arrivée dans la construction du souterrain du canal de Charleroy ; on a rencontré de grandes difficultés. Il y a eu des accidents du genre de celui dont nous nous occupons, et jamais cependant on n’a songé à recourir au droit extraordinaire de la chambre, à une enquête parlementaire, toujours on s’en est reposé sur les soins et sur la responsabilité du gouvernement.
Je suppose maintenant que vous ayez les conditions de responsabilité, de loisir, de compétence, qui, selon moi vous manquent ; l’enquête parlementaire qu’on ordonnerait, serait sans sanction et complètement inopérante. En effet, cette enquête ne serait pas faite en vue de satisfaire une simple curiosité ; elle devrait avoir un but, celui indiqué par l’honorable auteur de la proposition, celui de s’assurer qu’il n’y a pas eu abus, négligence grave, prévarication, s’il n’y a pas des coupables à atteindre. Voilà le but de la proposition. Ces coupables, dans la supposition qu’ils existent et qu’on les rencontre, ce sera un ingénieur, ou un entrepreneur.
On ne peut faire remonter la responsabilité jusqu’aux chefs de corps, qui sont dans l’impossibilité de surveiller pied à pied de tels travaux.
Si la commission d’enquête constate qu’un ingénieur est coupable, que fera-t-elle ? S’adressera-t-elle au gouvernement pour exiger qu’il destitue cet ingénieur, ou qu’il le mette en disponibilité ? Car, à moins que l’enquête ne doive être complètement inutile, il faudra arriver à un résultat ; vous devrez donc vous immiscer dans un acte du pouvoir exécutif. Les ingénieurs sont justiciables du gouvernement et non des chambres. Le gouvernement qui aura fait sa contre-enquête restera libre de savoir s’il admet, ou s’il n’admet pas les conclusions de ce genre auxquelles on serait arrivé.
Mais, a dit l’honorable M. Verhaegen, il y aurait un recours en garantie pécuniaire contre l’ingénieur ou l’entrepreneur. Que ferait encore dans ce cas la commission d’enquête ? Je suppose que cette commission décide qu’il y a eu emploi de matériaux défectueux et qu’il y a une répétition pécuniaire à faire contre le coupable, s’il s’en trouve un. L’entrepreneur ou l’ingénieur inculpé en appellera de cette décision aux tribunaux, seuls juges en de telles questions. Les tribunaux appelleront une expertise contradictoire, une enquête judiciaire. Vous aurez donc une enquête judiciaire, contrôlant l’enquête parlementaire.
Qu’arrivera-t-il si l’enquête judiciaire arrive à un résultat opposé, si elle décide que l’ingénieur est absous, si l’expertise contradictoire établit que la qualité des matériaux est bonne, que la construction n’est pas défectueuse ? Vous tomberez alors dans un conflit d’attributions réellement étrange ; vous ferez jouer à la chambre un rôle sans dignité ; et tout cela, messieurs, parce que vous aurez ordonné une enquête purement administrative et que vous l’aurez confiée à un pouvoir qui n’est pas administratif, à un pouvoir politique.
Je conçois l’enquête dans les questions commerciales et industrielles. Ce sont des questions politiques qui rentrent dans le domaine de la chambre. Mais dans une question d’art, dans une question purement administrative, je ne conçois pas que la chambre usât de son droit d’enquête.
On a dit : mais le conseil des ponts et chaussées, auquel vous confieriez l’enquête, serait juge et partie. D’abord, le conseil des ponts et chaussées, transformé en conseil d’enquête, a été étranger à la construction du tunnel éboulé ; en second lieu, il ne jugerait sur rien ; il procéderait à un interrogatoire que le ministre aurait dicté ; c’est le gouvernement qui ferait l’enquête ; ce ne serait pas le conseil des ponts et chaussées. Le conseil interrogerait sur les questions d’art les constructeurs du premier et du deuxième tunnel, les entrepreneurs, tous ceux qui pourraient être en cause. Ce sont ces réponses contradictoires qui formeront le fond de l’enquête. Le conseil des ingénieurs recueillera des renseignements et donnera son avis. Ce sera le gouvernement, pouvoir responsable, qui jugera.
Ainsi dans l’enquête que le gouvernement dirigera, je l’ai déclaré hier à la chambre et je le répète, je ne m’opposerai pas à ce qu’on adjoigne aux ingénieurs qui feront l’enquête et qui sont, d’après moi, parfaitement compétents, des membres pris en dehors du corps lui-même.
Quels seront ces membres ? Il faut laisser ce point à l’appréciation du gouvernement.
Ensuite, en adoptant l’amendement de l’honorable M. Desmaisières, j’ai consenti à faire à la chambre un rapport résultant de l’enquête. L’honorable M. de la Coste l’a fait remarquer hier : lorsque la chambre sera saisie de ce rapport, elle sera juge de la question de savoir si l’enquête est complète ou si elle ne l’est pas. Si elle trouve qu’elle n’est pas assez complète, elle sera libre de statuer comme elle le voudra.
M. Verhaegen – Il ne faut pas se le dissimuler, nous sommes en présence de la question la plus grave, de l’occasion la plus opportune pour faire prévaloir le droit d’enquête, que les hommes ultra-gouvernementaux seuls contestent toujours avec acharnement.
C’est en me basant sur l’article 40 de la Constitution, que j’ai formulé ma proposition, et il ne me sera pas difficile d’établir que les circonstances sont assez graves pour que la chambre use d’une de ses plus importantes prérogatives.
Messieurs, qu’on ne se trompe pas sur mes intentions, je ne demande pas une commission d’enquête, à l’effet de déterminer ce qui sera fait par la suite, si on maintiendra les tunnels ou si on les remplacera par de tranchées à ciel ouvert ; je ne veux pas faire de l’administration, je laisse au gouvernement une entière liberté dans ses allures, sauf le contrôle de la chambre. Que le ministère reste responsable de ses actes, qu’il exécute les travaux qu’il croit nécessaires au bien-être du pays, je suis loin de lui refuser les allocations qu’il demande à cet effet, mais sans rien préjuger et en me réservant mon droit de blâme, s’il y a lieu.
Ainsi l’enquête que je demande ne doit pas avoir pour résultat de limiter le pouvoir de l’administration pour le futur, mais pour contrôler ses actes dans le passé. Ainsi je ne pense pas que l’honorable ministre des travaux publics ait bien compris la portée de ma proposition.
Messieurs, un tunnel a été fait à Cumptich ; nous n’avons jamais eu à nous prononcer sur l’opportunité ou l’inopportunité de cette construction ; mais aujourd’hui on vient nous dire qu’une tranchée a ciel ouvert aurait été très-praticable et que des frais énormes auraient pu être évités ; M. le ministre des travaux publics lui-même en a fait l’aveu ; dès lors notre mission commence, et elle ne se borne pas, veuillez le remarquer, à constater l’inutilité de la construction, mais elle consiste encore à rechercher la cause de l’éboulement. Si la chambre a le droit de contrôle, le fondement de ma proposition est incontestable.
S’il en était autrement, la conduite du pouvoir exécutif serait à l’abri de toute censure ; il serait défendu au parlement d’exercer la plus précieuse de ses prérogatives, celle écrite dans l’art. 40 de la Constitution.
Ainsi donc qu’on ne s’y trompe pas ; je ne fais la proposition d’une enquête parlementaire que pour constater la nature d’un fait accompli, pour rechercher la cause d’un accident et nullement pour entraver la marche de l’administration. Si mon discours d’hier pouvait laisser quelque doute à cet égard, je me hâterais de le faire disparaître en déclarant que, sans rien préjuger et sans me soumettre à aucune responsabilité, je suis prêt à voter les 300,00 francs tout en me réservant d’exercer plus tard le même contrôle que celui que je veux exercer aujourd’hui sur des faits accomplis.
Messieurs, ce n’est, certes, pas sérieusement que l’on vient vous dire qu’une enquête est INUTILE. Je comprends qu’elle serait inutile si elle était faite par ceux qui seraient à la fois juges et parties ; sans les garanties d’impartialité que je réclame, elle n’amènerait, je le conçois, aucun résultat. Aussi si on veut laisser à l’administration qui se présente à notre barre comme accusée le soin de diriger elle-même l’enquête, je la crois inutile, et j’aime tout autant qu’elle ne se fasse pas. Il serait inouï de faire constater des défauts de construction par ceux qui ont intérêt à les cacher.
M. le ministre nous a dit hier qu’il y avait quelque chose d’anormal à faire juger un corps par un autre corps. Messieurs, moi, je trouve qu’il y a quelque chose de très-anormal de faire juger un corps par ce corps lui-même et de, permettre que les ingénieurs civils soient juges et parties dans leur propre cause.
Ce que je demande, messieurs, c’est qu’une enquête sérieuse soit faite ; c’est que l’on puisse découvrir la vérité en mettant de côté les divers intérêts qui sont en présence.
Vous ne pourriez interroger, nous dit M. le ministre, que les ingénieurs, que les entrepreneurs, et le résultat ne peut être douteux pour personne ; ils démontreront qu’il n’y a de faute imputable à personne, si ce n’est peut-être à la chambre, qui a exigé trop de précipitation dans les travaux. Ainsi, au lieu de maintenir MM. les ingénieurs et les entrepreneurs à notre barre, nous serions appelés bientôt à la barre des entrepreneurs et des ingénieurs, et ces messieurs, juges de leur propre cause, nous rendraient, aux yeux du pays, responsables de l’éboulement que nous avons à déplorer.
Messieurs, si j’avais à diriger une enquête, je ne me bornerais pas à entendre comme témoins les entrepreneurs et les ingénieurs ; je les considérerais momentanément comme accusés, et je les interrogeraient comme tels, je ferais entendre d’autres témoins, et je vais vous dire quels seraient ces témoins : Si mes renseignements sont exacts, longtemps avant l’accident, (page 909) chaque fois qu’un convoi passait, quantité de briques se détachaient de la voûte et il fallait des ouvriers pour venir les ramasser, ce seraient ces ouvriers que j’entendrais d’abord, et probablement leurs dépositions me mettraient sur la trace d’autres faits que je constaterais ensuite, enfin je consulterais des architectes n’ayant aucun intérêt à la question, et je ferais faire une expertise sur la qualité des matériaux.
Si on veut se borner à entendre les ingénieurs et les entrepreneurs, et à mettre en présence des personnes qui toutes sont intéressées à démontrer qu’il n’y a faute de la part d’aucune d’elles, alors, je le conçois, l’enquête n’aura aucun résultat, et mieux vaudrait ne pas en faire ; ce seraient des frais en pure perte.
Mais, dit-on : laissez faire une enquête administrative par le gouvernement ; on vous la soumettra en temps et lieu, et si vous la trouvez incomplète, alors, mais alors seulement, vous ordonnerez une enquête administrative.
D’abord, messieurs, pourquoi la chambre subordonnerait-elle son droit d’enquête, écrit dans la Constitution au résultat d’une requête à faire par l’administration ? Pourquoi se mettrait-elle à la remorque de certains hauts fonctionnaires qu’on voudrait considérer comme souverains arbitres ?
Ensuite, n’ordonner une enquête parlementaire que si l’enquête administrative est reconnue incomplète, c’est rendre l’enquête parlementaire inutile et sans résultat possible ; en effet, si un temps plus ou moins long vient à s’écouler, les traces des causes de l’accident auront disparu, et toute recherche ultérieure sera sans objet.
Messieurs, il y a un fait très-important qui nous a été signalé hier par M. le ministre des travaux publics : c’est que les pieds-droits du tunnel n’ont que 46 centimètres d’épaisseur ; s’il en est ainsi, il ne faudra pas aller bien loin, pour rechercher la cause de l’accident et trouver les vrais coupables. Quoique je ne sois pas homme de l’art, le seul bon sens m’indique qu’une pareille construction ne présente pas les conditions de solidité requises par les premières règles de l’architecture.
M. le ministre des travaux publics prétend que l’enquête, inutile d’après lui, n’amènera d’ailleurs aucun résultat pratique. Supposez, dit-il, que l’enquête vienne à établir, que soit les ingénieurs, soit les entrepreneurs ont commis des fautes, quelle mesure prendra la chambre ? Que fera-t-elle, quant aux ingénieurs ? les destituera-t-elle ? que fera-t-elle, quant aux entrepreneurs ? ordonnera-t-elle contre eux des poursuites civiles ou correctionnelles
Ce n’est pas sérieusement qu’on nous fait cette objection : Quand la chambre contrôle les actes du pouvoir, au moyen d’une enquête, et quand les résultats lui sont connus, elle exprime un blâme s’il y a lieu, et le ministère qui, après tout, n’est que l’expression de la majorité, sait ce qui lui reste à faire à l’égard des fonctionnaires, objets du blâme.
Messieurs, il ne faut pas le perdre de vue, il ne s’agit pas seulement ici de l’intérêt du trésor ; il y a quelque chose de plus digne de fixer toute votre attention ; c’est que des malheureux ont été victimes de l’accident ; un ouvrier ayant une femme et plusieurs enfants a péri sous l’éboulement. Eh bien, il y a là un homicide par imprudence ou par impéritie, il y a faute ; si les constructions n’ont pas eu lieu, conformément aux règles de l’art, quelqu’un est nécessairement responsable, non seulement civilement, mais encore devant la justice répressive.
Et c’est vraiment un singulier contraste : quand, dans des circonstances extraordinaires, une petite maison, par exemple, vient à s’écrouler, et qu’un ouvrier est enseveli sous les décombres par suite du défaut de précautions prises par l’entrepreneur, vite le ministère public poursuit et fait condamner l’entrepreneur à des peines correctionnelles ; et ici, où il s’agit de travaux considérables abandonnés à la surveillance de fonctionnaires haut placés, exécutés par des entrepreneurs qui ont un cahier des charges pour règle de conduite, il n’y aura aucune poursuite aucune mesure même pour rechercher la cause d’un accident grave !
D’après le ministre des travaux publics, le gouvernement fera une enquête administrative bien bénigne, il entendra les personnes intéressées, et là se borneront toutes ses recherches, sauf à la chambre, si elle les trouve insuffisantes, à en ordonner d’autres, mais après coup, et lorsqu’il n’en sera plus temps.
Ce n’est pas ainsi, messieurs, que les choses doivent se passer ; il est de notre devoir, à nous représentants de la nation, de prendre l’initiative et de faire une enquête parlementaire. Notre devoir comme notre droit est écrit dans l’article 40 de la Constitution, et jamais la nécessité de l’exercer n’a été plus impérieuse.
Il n’y a pas, dit-on, de circonstances extraordinaires. Comment, messieurs, l’événement n’est pas un événement grave ? Aurait-il fallu, pour donner de la gravité à l’événement, que tous nos collègues de Liége, de Verviers, etc., fussent ensevelis sous le tunnel ? Mais la mort d’un homme est un événement assez grave sans doute pour qu’on daigne s’en occuper ; l’intérêt de nos chemins de fer d’ailleurs est assez important, pour qu’il ne soit pas négligé.
Il y a une dernière considération, par laquelle, je termine : c’est l’effet moral que j’attends de l’enquête. Cet effet moral, messieurs, sera immense. Que les ingénieurs et les entrepreneurs le sachent bien, la responsabilité en Belgique n’est pas un vain mot, elle est écrite dans nos lois civiles et nos lois répressives, ; qu’ils se rappellent que cette responsabilité dure dix ans. L’effet moral de l’enquête sera un frein pour les entrepreneurs avides de trop grandes bénéfices et pour les ingénieurs trop insouciants.
M. Desmet – Si je vote l’enquête demandée, je le ferai dans l’intérêt du chemin de fer même. Je le ferai pour rassurer le public et rétablir la confiance. Il y a un autre motif pour le voter et ici c’est dans l’intérêt de ceux qui ont construit le tunnel et des ingénieurs qui ont dirigé et surveillé les travaux. Messieurs, vous avez reçu le rapport qui a été distribué, je veux parler du rapport de M. le directeur de l’exploitation du chemin de fer ; eh bien, depuis que ce rapport a été imprimé et publié, il est un fait constant qu’il a fait un effet déplorable dans le public, on a dû supposer que la construction du tunnel a été extraordinairement mal exécutée. Voici ce que porte un passage de ce rapport, et que vous trouverez à la page 6 :
« Au delà de ces parties, les voûtes sont faites sur une longueur de 670 mètres, mais toutes les maçonneries de l’ancien tunnel présentent des soufflures telles qu’au fur et à mesure de l’avancement des travaux, il est reconnu nécessaire de les inspecter.
« Les maçonneries des pieds-droits de l’ancien tunnel se composent de deux rouleaux construits sans liaison.
« Par la pression des terres, ces rouleaux se sont séparés, et en sondant les murs, j’ai trouvé (dit positivement M. le directeur Masui) en grand nombre d’endroits que le mortier entre ces rouleaux était entièrement décomposé et tellement liquide, que loin de présenter la moindre adhérence, il ne pouvait que contribuer à détruire les maçonneries.
« C’est la pression du terrain contre cette maçonnerie non reliée qui a produit l’écroulement. »
Pesons ce que dit cet ingénieur ; il déclare que la chaux employée était tellement mauvaise qu’il l’a trouvée dans un état liquide et pas encore calcinée ; c’est, comme je le pense, qu’au lieu d’avoir fait usage de la bonne chaux de Tournay, de la chaux hydraulique, on aura employé de la mauvaise chaux qui ne résiste pas à l’eau et qui ne se calcine pas.
Il déclare aussi qu’au lieu d’avoir fait une maçonnerie qui fût solidement reliée, on n’aura pour ainsi dire que mis l’un sur l’autre des tas de briques, et je crois que l’ingénieur aurait pu ajouter qu’au lieu d’avoir employé la bonne brique de Boom on a maçonné avec des mauvaises briques du pays.
L’ingénieur ajoute à ses déclarations que c’est à cause de la mauvaise maçonnerie des pieds-droits du premier tunnel que l’écroulement a eu lieu.
Ces déclarations, messieurs, forment un commencement bien déterminé d’une enquête ; elles vous prouvent suffisamment combien la construction de la voûte du tunnel de Cumptich a été mal exécutée, et comme il est nécessaire qu’une enquête contradictoire soit faite.
Si vous n’obtenez pas de preuves suffisantes pour atteindre les coupables de cette mauvaise construction, du moins vous aurez un effet moral et le public verra avec grande satisfaction que la chambre s’intéresse à sa sécurité et qu’elle prend des moyens pour que désormais des accidents aussi déplorables n’arrivent plus.
Le cas est donc assez grave pour que nous fassions usage du pouvoir que nous accorde l’article 40 de la constitution ; je dirai même que jamais on ne rencontrera de circonstance où l’enquête soit plus utilement faite.
Mais la chambre n’est pas compétente pour faire des investigations sur la construction des travaux d’art, la chambre n’a pas dans son sein des spécialistes propres à prendre une connaissance entière de la bonne ou mauvaise construction de la voûte souterraine de Cumptich. Je ne sais si la chambre ne possède point des membres qui pourraient aussi bien en juger que beaucoup d’ingénieurs ; mais la question n’est pas là ; quand l’enquête sera ordonnée, la commission nommée prendra toutes les mesures qu’elle trouvera nécessaire pour que l’examen soit complet et que la vérité soit connue ; elle appellera près d’elle des ingénieurs, des hommes de l’art, et fera, en un mot, tout ce qu’elle trouvera nécessaire pour arriver à son but et obtenir une enquête complète ; on fera, dans cette occasion, comme l’on fait chaque fois qu’une enquête parlementaire est ordonnée.
D’ailleurs, M. le ministre des travaux publics n’a-t-il pas opéré dans le même sens quand, immédiatement après le malheureux événement de l’éboulement, il a fait une inspection ? Ne l’a-t-il pas faite accompagné de plusieurs personnes qui n’appartenaient pas au corps des ponts et chaussées, qui n’étaient ni architectes, ni ingénieurs ? N’a-t-il pas demandé avec lui des sénateurs, des commissaires de district, des négociants et autres personnes absolument étrangères au génie et à la construction des travaux d’art ?
Il me semble donc, messieurs, que nous pouvons voter cette enquête sans sortir des convenances, et, je ne doute pas que nous n’exercions un acte qui aura l’assentiment de tout le pays ; car il est de l’intérêt général que des investigations contradictoires aient lieu sur un accident aussi grave, car il est nécessaire que la défiance ne fasse pas de progrès, et que le public soit rassuré sur les dangers que l’on pourrait soupçonner encore exister.
Pour ce qui concerne la somme qui est demandé pour faire les réparations du tunnel, je la voterai avec empressement, et même une plus forte, si elle était nécessaire, pour rassurer le passage contre tout danger ; c’est pour la même raison que je désire que les travaux soient exécutés par régie ; l’objet est trop important et trop dangereux pour l’abandonner à l’entreprise.
- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close. La clôture porte : 1° sur l’article du projet de loi du gouvernement ; 2° sur la proposition d’instituer une commission d’enquête parlementaire, et 3° sur l’amendement de M. Desmaisières, amendement dont l’art. 1er tend à obliger le gouvernement à faire une enquête administrative.
M. Dumortier – Je demande la parole sur la position de la question.
L’honorable M. Desmaisières demande une enquête administrative. Il me paraît que cette proposition doit tomber d’elle-même. La chambre ne va (page 910) pas demander au gouvernement de faire une chose que la constitution autorise l’assemblée à faire elle-même. La chambre n’a pas de prière à adresser au gouvernement, elle n’a que des ordres à lui donner. (Dénégation.) C’est complètement exact, cela est très-constitutionnel, et c’est la doctrine inverse qui serait une véritable inconstitutionnalité.
Je dis donc que nous ne pouvons pas admettre une pareille proposition. Il faut voter d’abord la question de principe ; si on ordonnera une enquête parlementaire. Après cela, nous aurons à examiner le projet de loi. Etant inscrit pour parler dans la discussion dont il s’agit, je dois m’opposer à la clôture.
- La chambre, consultée, ferme la discussion.
M. le président – Deux amendements sont présentés.
M. Verhaegen a déposé la proposition suivante :
« J’ai l’honneur de proposer à la chambre de nommer, dans son sein, une commission d’enquête chargée de rechercher les causes de l’éboulement du tunnel de Cumptich. »
Je vais donner une nouvelle lecture de l’amendement de M. Desmaisières :
« Indépendamment du crédit de 17 millions ouvert par l’art. 2 de la loi du 29 septembre 1845 ; il est alloué au gouvernement une somme de 300,000 fr., à l’effet de rétablir la circulation, d’une manière sûre et permanente, sur la section du chemin de fer de Louvain à Tirlemont.
« Il sera rendu compte aux chambres, avant le 31 décembre 1845, de l’emploi de ce nouveau crédit, ainsi que de l’enquête à laquelle il y a lieu de procéder sur les causes de l’événement survenu au tunnel de Cumptich. »
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je me rallie à cet amendement.
L’honorable M.Desmaisières ne prie pas le gouvernement de faire une enquête, mais il demande un rapport sur l’enquête que le gouvernement a commencée.
M. Dumortier – Le gouvernement recule de plus en plus ; maintenant il abandonne l’enquête, il ne veut plus qu’avoir un rapport à faire ; c’est une raison de plus pour nous de voter l’enquête parlementaire.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne comprends pas l’observation de l’honorable M. Dumortier ; le gouvernement ne recule pas devant une enquête, il s’engage à présenter le rapport sur l’enquête qui aura été faite et sur l’emploi des fonds. La chambre ne fait pas de prière au gouvernement, elle exige qu’un rapport lui soit fait.
M. Desmaisières – Par mon amendement, j’ai voulu que la chambre imposât au gouvernement l’obligation de procéder à une enquête, car je dis « qu’il doit faire un rapport avant le 31 décembre 1845 sur l’enquête à laquelle il y a lieu de procéder. » Ainsi, je déclare qu’il y a lieu de procéder à une enquête. J’impose au gouvernement l’obligation de procéder à une enquête et de faire un rapport avant le 31 décembre 1845.
M. Verhaegen – Je pense que ma proposition doit avoir la priorité par plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle s’éloigne le plus de la proposition du gouvernement ; ensuite, parce que les membres qui veulent voter pour ma proposition, pourront encore, si elle ne réunit pas la majorité, voter pour celle de l’honorable M. Desmaisières, qui, étant complexe, sera susceptible de division. Je pense donc que M. le ministre ne s’opposera pas à ce que ma proposition ait la priorité.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Je ne m’oppose pas à ce qu’on vote d’abord sur la proposition de M. Verhaegen.
M. le président – Je vais mettre la proposition aux voix.
- Plusieurs membres demandent l’appel nominal ; il est procédé à cette opération.
En voici le résultat :
61 membres répondent à l’appel ;
39 membres disent oui ;
22 disent non ;
En conséquence, la proposition est adoptée.
Ont répondu non : MM Kervyn, Lejeune, Malou, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Scheyven, Thienpont, Van Cutsem, Zoude, Cogels, Dechamps, de Corswarem, de La Coste, de Sécus, Desmaisières, de Terbecq, de Theux, Fallon, Goblet, Henot et Liedts.
Ont répondu oui : MM Lesoinne, Lys, Mast de Vries, Meeus, Osy, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Savart, Sigart, Vanden Eynde, Van Volxem, Verhaegen, Verwilghen, Vilain XIIII, Brabant, Castiau, Coghen, David, de Baillet, de Chimay, de Foere, de Haerne, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meester, de Mérode, de Renesse, Desmet, de Tornaco, Donny, Dubus (aîné), Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Huveners et Jadot.
M. le président – M. Desmaisières persiste-t-il dans la première partie de son amendement ?
M. Desmaisières – Oui, M. le président.
M. le président – L’amendement se trouverait ainsi conçu :
« Indépendamment du crédit de 17 millions ouvert par l’art. 2 de la loi du 29 septembre 1845 ; il est alloué au gouvernement une somme de 300,000 fr., à l’effet de rétablir la circulation, d’une manière sûre et permanente, sur la section du chemin de fer de Louvain à Tirlemont. »
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Le gouvernement se rallie à cet amendement.
- L’amendement est mis aux voix et adopté.
Il remplacera l’article unique du projet.
M. le président – Le vote définitif, un amendement ayant été introduit, ne peut avoir lieu qu’après demain.
Plusieurs membres – On pourrait voter maintenant.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Le gouvernement s’est rallié à l’amendement ; il me semble qu’on pourrait passer immédiatement au vote, on gagnerait du temps.
M. le président – Quand un amendement improvisé a été introduit dans le cours d’une discussion, le vote définitif est remis au surlendemain, à moins que la chambre ne veuille procède d’urgence au vote définitif.
M. Rogier – Je demanderai si le vote immédiat serait motivé par l’urgence. D’après ce qui a été dit, il ne faut pas faire suivre au gouvernement une marche plus précipité, encore que celle qu’il a déjà eu le tort, selon moi, d’adopter. Je pense qu’il a été trop vite dans cette question, qu’il a trop agi sous l’impression de la frayeur publique. Quand il s’agit d’une dépense aussi considérable, la chambre ne doit pas se hâter de passer au vote. Je ne vois pas en quoi consiste l’urgence, les travaux utiles se font depuis l’accident, et continueront à s’exécuter. Le ministre peut être persuadé que la chambre, lui donnera les moyens de parer au dommage, mais elle laissera le gouvernement juge de la manière d’y porter remède. Je ne pense pas qu’en ajournant le vote à après-demain, la chambre fasse courir le moindre risque à l’administration.
M. le ministre n’a pas déposé les renseignements que je lui avais demandés et qu’il avait promis. Pense-t-il qu’il y ait urgence à voter immédiatement le crédit ? Ne peut-on pas réfléchir jusqu’à après-demain ? Si M. le ministre insistait, j’aurais beaucoup d’observations à présenter. Tout n’a pas été dit sur la question principale. La question d’enquête est décidée, on constatera les causes de l’événement, mais il s’agit d’y porter remède ; sous ce rapport, on ne doit rien précipiter, car du parti que l’on prendra il peut résulter une dépense de 500,000 fr. en plus ou en moins.
Je demande que l’on réfléchisse sur le fond de la proposition jusqu’après-demain.
M. de La Coste – Je ne prétends pas qu’il y ait un telle urgence dans l’affaire, que le vote définitif ne puisse être retardé de 24 heures ; mais je crois qu’il y a urgence à raison de la situation des travaux de la chambre. En effet, nous avons à discuter maintenant le projet de loi relatif au chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse et ensuite le budget des travaux publics. Si nous interrompons l’une ou l’autre de ces discussions par une discussion nouvelle sur une question qui a déjà été traitée à fond, cela nuira à la marche de nos travaux. C’est sous ce rapport surtout que je désire, si M. le ministre des travaux publics n’y voit pas d’objection, que la chambre déclare l’urgence.
M. Jadot – Les 300,000 fr. dont il s’agit ici sont imputés sur l’excédant disponible des 17 millions votés en 1842. Mais avant de les voter il faudrait connaître le montant de cet excédant. Sans cela on pourra dire qu’il est insuffisant, et venir demander un deuxième crédit.
A défaut de cette indication, je voterai contre la loi.
M. Dumont – On pourrait concilier ce que viennent de dire les honorables MM Rogier et de La Coste en mettant le deuxième vote à l’ordre du jour, après le vote du projet de loi relatif au chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse.
M. de La Coste – On répéterait alors tout ce qu’on a dit dans la première discussion. Mieux vaut s’occuper de l’affaire sans désemparer.
M. de Theux – La chambre a voté le chiffre que le gouvernement avait demandé. Sous ce rapport, il n’y a pas d’amendement.
Il reste à voir si quelqu’un veut reprendre la proposition du gouvernement, d’après laquelle une tranchée à ciel ouvert remplacerait le double tunnel, ou s’il ne convient pas de laisser au gouvernement les moyens d’exécution. Il n’y a que cela qui puisse être remis en discussion ; car le chiffre est définitivement voté.
M. Rogier – J’ai demandé à M. le ministre des travaux publics : quels motifs il invoque pour demander un vote d’urgence ; s’il avait de bonnes raisons à faire valoir, je n’insisterais pas ; car il s’agit d’un accident qui doit être réparé le plus tôt possible. Seulement je répéterai à la chambre qu’elle doit se tenir en garde contre un vote précipité : elle a voté 300,000 fr. ; mais suffiront-ils ? Nous n’avons à cet égard aucune assurance. J’avais demande un devis ; il avait été promis et ne nous a pas été donné. Nous n’avons aucune garantie que d’ici à trois mois on ne vienne pas demander encore 300,000 fr. Vous ne pouvez prodiguer ainsi les fonds du trésor sans vous être assurés de leur bon emploi.
Il y a deux systèmes en présence ; le système de la construction du tunnel définitif, système pour lequel se prononce le conseil des ponts et chaussées, et celui d’une tranchée à ciel ouvert proposé par le ministre.
Le premier point à éclaircir pour la chambre, c’est de savoir quel est le système qui entraîne le moins de dépense ; quels seront les frais d’établissement, les frais d’entretien. Nous sommes dans une complète ignorance à cet égard. Nous accordons 300,000 fr. ; mais avons-nous l’assurance que ce sera le premier et le dernier crédit à voter pour réparer, sans qu’il y ait de nouveaux dangers à craindre, l’accident causé par l’éboulement du tunnel. Nous n’avons à cet égard aucune lumière.
Il n’y a pas une telle urgence à voter la loi que nous ne puissions ajourner l’examen au point de vue de la dépense. Ce n’est pas parce que nous avons dépensé beaucoup d’argent pour le chemin de fer qu’il faut, sans examen, en dépenser encore beaucoup. Au contraire, plus nous avons de dépenses, plus nous devons être économes des sommes à dépenser, dans l’intérêt du trésor et dans l’intérêt du commerce, car si le chemin de fer occasionne des dépenses trop considérables, ce sont des réclamations sans fin contre le commerce, qui en use, et contre les tarifs trop modérés dont il jouit.
(page 911) Je pense que le second vote doit avoir lieu dans les termes du règlement.
M. Dumortier – Que l’on admette ou non l’urgence, il faudra bien que la discussion s’engage sur la question de savoir s’il faut conserver le tunnel ou y substituer une tranchée à ciel ouvert ; car jusqu’ici la discussion a roulé bien plus sur l’accident qui a mené le vote de la chambre que sur les travaux à faire pour l’avenir.
Quand viendra la discussion, mon intention est de me prononcer pour la suppression du tunnel et pour la tranchée à ciel ouvert. Je pense que c’est l’intention de la chambre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ainsi vous reprenez la proposition du gouvernement.
M. Dumortier – Oui, je crois qu’il conviendrait de déclarer l’urgence et de discuter maintenant. Le sénat qui est assemblé pourrait recevoir demain le projet de loi.
M. Jadot – Vous voulez voter d’urgence et vous n’avez pas les voies et moyens pour cette nouvelle dépense. Je voudrais savoir où M. le ministre des finances puisera les fonds nécessaires pour faire face à cette dépense.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Si j’insistais pour obtenir un vote d’urgence, je prolongerais le débat, car nous discuterions le fond comme l’a fait remarquer l’honorable M. Rogier. Je ne fais donc pas cette proposition afin d’épargner les moments de la chambre ; je consens à ce que le second vote ait lieu après la discussion du projet de loi relatif au chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse.
M. Verhaegen – La proposition que j’ai eu l’honneur de faire ayant été favorablement accueillie, je pense qu’il y a lieu de la compléter par la nomination de la commission d’enquête, car cela est indépendant du projet de loi ; je crois que la commission devrait se composer de sept membres ; si cependant on trouvait ce nombre trop grand, je me rallierais au nombre cinq.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Sept membres ; soit.
M. de Theux – Lorsque la chambre aura statué sur cette proposition, il faudra fixer un jour pour la nomination de la commission d’enquête.
M. de Mérode – Je ne vois pas la nécessité de composer la commission de sept membres ; cinq suffiraient : leur travail, j’en suis convaincu, serait meilleur. Pour moi, j’aimerais mieux être d’une commission de cinq que de sept membres.
M. Dumortier – A cinq membres, la majorité serait trop petite, et il suffirait de l’absence d’un membre pour entraver les travaux de la commission. La commission d’enquête commerciale et industrielle se composait de neuf membres ; sept suffiront dans ce cas, mais c’est le chiffre le plus bas que l’on puisse adopter.
M. Delfosse – Je pense, comme l’honorable préopinant, que la commission d’enquête doit être composée de sept membres.
J’ai une observation à soumettre à la chambre sur la composition de cette commission. Ceux de nos collègues qui sortent au mois de juin prochain, pourront-ils en faire partie ? Il serait possible que l’enquête ne fût pas terminée à l’époque de leur sortie ; dans ce cas l’enquête serait suspendue, si ceux d’entre eux qui feraient partie de la commission n’étaient pas réélus.
M. Dumortier – Je répondrai deux mots à l’honorable préopinant ; c’est que la mission d’un député continue jusqu’à ce qu’il soit remplacé. Ainsi l’on peut très bien nommé des membres sortants.
M. Delfosse – C’est moins une question de droit qu’une question de convenance que j’ai entendu soulever. Il me semble qu’il ne conviendrait pas que des membres de la chambre non réélus, continuassent à faire partie d’une commission d’enquête parlementaire.
Du reste mon intention n’est d’exclure aucun de mes honorables collègues, je reconnais que, parmi les membres sortants, il en est beaucoup qui seraient utiles dans la commission d’enquête.
- La chambre, consultée, décide que la commission d’enquête sera composée de sept membres.
M. le président – Quand la chambre désire-t-elle procéder à la nomination de la commission d’enquête ?
M. Lys – Je demande qu’il y soit procédé immédiatement. (Non ! non !)
Le motif qui me fait demander que l’on procède immédiatement à cette nomination, c’est qu’il n’est guère possible de commencer aujourd’hui la discussion de la grave question de l’Entre-Sambre-et-Meuse. Nous pourrions ainsi employer utilement le reste de la séance.
- La chambre, consultée, décide qu’elle fixera ultérieurement le jour de la nomination de la commission d’enquête.
M. de Baillet-Latour – Messieurs, je suis dans la nécessité de prononcer un de ces discours que l’on nomme discours de clocher ; j’en demande pardon à la chambre, mais elle comprendra que le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse devant traverser mon arrondissement, il m’est impossible de parler du chemin de fer sans parler de mon arrondissement.
Ce que je tiens à établir, c’est que si j’ai bien vivement sollicité des modifications au plan primitif, ce n’est pas du tout pour le vain plaisir de faire venir des locomotives à Philippeville et dans d’autres endroits, mais bien dans un intérêt industriel. Je le prouverai aisément.
Je le proclamerai, sans hésiter, la compagnie Richards a déjà fait beaucoup pour nous ; l’arrondissement de Philippeville n’oubliera jamais ce qu’il doit à cette compagnie et à la bienveillante influence de l’honorable ministre de travaux public. Par les rapports que j’ai pu avoir avec les chef de la compagnie Richards, j’ai acquis la certitude que leur intention est de ne se prononcer sur un tracé définitif, au-delà de Walcourt, que lorsqu’ils auront étudié toutes les questions industrielles et pris l’avis des hommes d’expérience. On ne peut leur demander plus.
Maintenant, messieurs, je vais vous donner quelques renseignements statistiques qui s’adressent surtout aux personnes qui ne croient pas encore à l’immense utilité du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse.
Le chemin de fer, dans sa ligne principale et dans ses embranchements, de Charleroy à la frontière, rencontrera 26 hauts-fourneaux au bois et 32 au coke, 26 forges, 6 laminoirs, 8 ateliers de construction de machines, 800 puits d’extraction de minerai, 8 machines à vapeur pour l’extraction de l’eau, et 200 carrières de marbre de plus de quinze variétés, la plupart non exploitées faute de moyens de communication.
Vous voyez messieurs, qu’il y a là de grandes richesses que le chemin de fer vivifiera, en diminuant les frais de transport et en abrégeant le trajet.
Permettez-moi, à présent, à moi député de Philippeville, de vous dire ce qu’est après tout, cet arrondissement presque inconnu à la Belgique, parce qu’il est relégué à l’extrême frontière.
Voici la part de l’arrondissement de Philippeville en richesses industrielles : L’arrondissement de Philippeville a 5 hauts-fourneaux au coke et 23 au bois, 22 forges, 657 puits de mines de fer et 7 machines pour l’extraction du minerai ; 11 mines de plomb, un laminoir, 6 ardoiseries, 54 carrières de marbre, 59 moulins dont deux à vapeur, et une scierie de marbre mûe par l’eau.
Un de nos établissements, celui de Couvin, contient un atelier de construction, une tréfilerie, une fabrique de câbles et de machines à vapeur, et fabrique de poteries de fer.
En ce qui concerne les marbres, nous avons du marbre malplaqué, qui a été jugé si beau qu’on l’a employé pour les hauts lambris du Louvre et les colonnes des salles. Cette carrière, qui appartient à la commune de Cherlemont, est louée, faute de moyens de communication, 126 fr.
Enfin l’arrondissement est assez riche en bois, pour fournir tout ce qui est nécessaire à la fabrication du fer ; maintenant, et depuis que notre industrie languit, nos bois restent sur pied ; nous payons d’énormes impôts, et au lieu de revenus les propriétaires ont des charges. Puisse le chemin de fer, en ravivant l’industrie, cicatriser une plaie qui saigne depuis bien longtemps !
Dans les différents tracés du chemin de fer projetés, les bois ont été négligés et si pareille chose était maintenue, nous aurions à craindre de voir le coke plus favorisé en moyens de transport, envahir le domaine de la forgerie au bois, et détruire cette belle industrie. Que deviendraient les propriétaires de bois ? Espérons que, dans sa volonté de faire tout ce qui peut servir à l’industrie, la compagnie pensera au bois et aux fourneaux au bois.
Vous reste-t-il des doutes, messieurs, sur l’incontestable utilité du chemin de fer ? Je vous ai énuméré toutes les richesses métallurgiques que le chemin de fer trouvera sur son passage ; je vous ai dit le nombre d’usines dont il emportera les produits et qu’il approvisionnera ; je vous ai montré la fortune d’une partie intéressante du pays doublée ; je vous ai fait connaître un arrondissement qui doit vous paraître une découverte nouvelle, et qui, lorsque les facilités du transport lui auront permis de tirer tout le parti possible de ses richesses souterraines, verra ses usines s’augmenter de moitié.
Ai-je besoin de vous dire maintenant que le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse sera une grande et belle chose : productive pour la compagnie et il doit en être ainsi. Comment nous accorderait-elle les modifications dont elle nous a déjà gratifiées et d’autres petites que nous lui demandons encore, si elle n’avait pas un bon bénéfice en perspective ? Productive aussi pour deux arrondissements qui méritent bien d’être comptés pour quelques chose en Belgique.
Vous voterez le projet de loi, messieurs, car nous sommes placés en ce moment en face de deux grandes fractions de la chambre : l’une est composée des représentants d’arrondissements qui veulent des chemins de fer et qui les demandent à grands cris. L’autre compte dans son sein les nombreux députés dont les arrondissements sont traversés par le chemin de fer de l’Etat.
A la première fraction nous dirons : Ce qui est juste pour nous, l’est pour vous. Nous voterons pour vous, votez pour nous.
A la seconde fraction, nous dirons : Depuis longtemps vous jouissez du chemin de fer, depuis longtemps nous soupirons après un chemin de fer. Ce chemin de fer dont vous jouissez, vous et vos commettants, et qui vous transporte en quelque sorte de votre chambre à coucher à la chambre des représentants, qui l’a payé ? Ce sont les contribuables ; nous sommes contribuables et nous avons payé notre contingent. N’y aurait-il pas iniquité condamnable de votre part, si vous ne nous accordiez pas immédiatement un chemin de fer qui ne demande rien ni à vous ni à vos commettants ?
Les premiers mots dits dans la discussion lorsqu’il a été question de mettre le projet à l’ordre du jour ont produit sur moi une singulière impression. L’honorable M. Brabant s’est presque fâché de ce qu’on entre dans la voie des concessions, et il a vu avec peine l’invasion de la Belgique par les Anglais.
Pour ma part je suis très-curieux de savoir ce qu’aurait dit M. Brabant si le gouvernement était venu présenter à la chambre un projet de loi portant allocation d’un crédit de 20 millions pour frais de construction d’un chemin de fer dont l’Entre-Sambre-et-Meuse a le plus grand besoin ? L’honorable M. Brabant aurait repoussé le projet de loi avec indignation : c’eût (page 912) été pourtant un excellent moyen de ne pas entrer dans la voie des concessions.
Quant à l’invasion anglaise, je dirai que l’argent n’a pas de patrie, et qu’on doit toujours accueillir favorablement ceux qui viennent en apporter dans le pays, faire travailler nos ouvriers et employer nos produits.
Je n’en dirai pas davantage ; j’attendrai la suite de la discussion.
M. le président – Je dois faire observer que le projet de loi se composant d’un seul article, la discussion générale et celle de l’article se confondent.
M. Brabant – Messieurs, il m’est impossible d’entrer aujourd’hui dans la discussion du fond. Pendant que le projet était en sections, j’ai continuellement été occupé à la section centrale qui examine le projet de loi sur l’organisation de l’armée, de manière qu’il m’a été impossible de faire une étude assez approfondie de la matière.
Mais je demande la parole contre l’observation qui vient de vous être faite par M. le président. Je ne crois pas que cette discussion puisse se réduire à celle d’un article. Il s’agit d’une commission qui stipule des droits pour la compagnie concessionnaire et des obligations vis-à-vis de tous ceux qui feront usage du chemin de fer. Je crois donc que c’est le cahier des charges qui est la loi, et que ce cahier des charges doit être discuté article par article.
Il est impossible d’en agir autrement, messieurs, nous ne nous sommes écartés de cette marche que lorsqu’il s’est agi de traités de puissance à puissance, où il fallait prendre ou laisser le tout.
Mais ici nous ne sommes pas certains qu’il n’y aurait pas des modifications importantes dans l’intérêt des industriels et des voyageurs, à introduire dans le cahier des charges. Je regarde donc comme essentiel de l’examiner article par article, parce que je dis que c’est vraiment la loi.
Messieurs, je ne veux pas me servir d’expressions peu parlementaires ; mais il me paraît qu’il n’y aurait pas de dignité dans le fait de la chambre si elle votait par un seul article sur une affaire aussi importante.
M. le président – M. Brabant propose de discuter le cahier des charges article par article. La discussion est ouverte sur cette proposition.
M. Cogels – Messieurs, je crois qu’il n’y aurait aucun inconvénient à discuter le cahier des charges, en ce sens que ce ne serait qu’un examen ; mais cela devrait se borner à un simple examen, pour juger du mérite de l’entreprise. Car discuter le cahier des charges comme on discuterait un projet de loi, c’est-à-dire adopter tel article et rejeter tel autre, ce serait annuler complètement les effets de la convention.
Je sais bien que les choses se sont pratiquées ainsi dans d’autres pays lorsqu’il s’agissait d’un travail semblable. Je crois même qu’en France, lorsqu’il s’est agi du chemin de fer d’Orléans, du chemin de fer du Havre, on a procédé de cette manière. Mais il y a une immense différence entre ces cas et celui qui nous occupe. Alors, messieurs, il s’agissait simplement de travaux qui devaient être mise en adjudication et pour lesquels différentes compagnies concurrentes pouvaient se présenter. Mais ici il y a un contrat. La seule question qui reste donc à examiner, c’est de savoir si ce contrat est avantageux, oui ou non. S’il est avantageux, en adoptant la loi, vous adoptez le contrat. Si ce contrat vous paraît désavantageux, il ne vous appartient pas d’y apporter des amendements, parce que le moindre amendement apporté au contrat dégage naturellement les contractants.
Ainsi donc, messieurs, je pense que si l’on examinait le cahier des charges, article par article, ce serait un simple examen, mais que ce ne serait pas une discussion, en ce sens que la chambre aurait la faculté d’adopter tel article et de rejeter tel autre.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) - Messieurs, comme vient de vous le dire, avec beaucoup de fondement, l’honorable M. Cogels, il ne s’agit pas ici d’autoriser le gouvernement à offrir une concession en adjudication publique, sous offre préalable d’une compagnie ; il s’agit d’approuver ou de désapprouver une convention, un contrat provisoire fait entre le gouvernement et une société.
Mais, messieurs, dans la discussion générale qui est ouverte, les membres de la chambre pourront certainement apprécier les articles du cahier des charges ; il sera libre à chacun d’entre vous de traiter de telle ou telle clause pour en montrer les avantages ou les inconvénients, et pour en déduire des motifs d’accepter ou de rejeter la loi. Il sera même libre aux membres de la chambre de présenter à la loi tels amendements qu’ils jugeront convenables, sauf à la chambre à apprécier, sous sa responsabilité, les conséquences de ces amendements relativement à la possibilité de résiliation de la part de la compagnie.
Ainsi, messieurs, il ne s’agit pas ici d’une concession, comme il s’en est présenté maintes fois en France, et à l’égard desquelles, il ne faut pas l’oublier, le gouvernement intervenait soit par des subsides, soit par des garanties d’intérêt, comme cela a eu lieu pour le chemin de fer d’Orléans ; il s’agit d’une convention faite loyalement avec une compagnie, convention qui n’entraîne pas le concours pécuniaire de l’Etat.
Je le répète, les membres de la chambre pourront traiter dans la discussion générale de toutes les clauses du cahier des charges. Mais le vote ne peut porter que sur l’article unique du projet, c’est-à-dire sur l’ensemble de la convention elle-même.
M. Malou – Je demanderai à faire une simple observation.
Si j’ai bien compris la motion de l’honorable M. Brabant, il s’agirait d’autoriser les membres de la chambre à discuter le cahier des charges.
Un membre – Cela va sans dire.
M. Malou – Permettez ; cela ne va pas sans dire, puisque le principe que je vais posé vient d’être contesté.
Lorsqu’il s’agit d’un traité, le contrat international est indivisible. Mais je ne pense pas qu’il doive en être de même d’un contrat privé. Nous pouvons fort bien, en discutant le cahier des charges, présenter un amendement qui deviendra, si la compagnie le veut, une clause résolutoire pour elle, mais qui pourra aussi être acceptée et améliorer le contrat.
Je crois que c’est dans ce sens que le droit de la chambre doit être maintenu et exercé quand il s’agit d’un contrat privé. C’est aussi dans ce sens que la proposition de l’honorable M. Brabant me paraît pouvoir être admise et appliquée.
M. Pirmez – Je ferai remarquer, messieurs, que l’on ne conteste nullement le droit de la chambre. Ce que l’on conteste, c’est l’opportunité d’en agir ainsi. Si vous apportez le moindre amendement au projet de loi, le résultat sera de dégager la compagnie. Voulez-vous vous mettre dans cette position ?
Vous aurez la liberté, après avoir discuté tous les articles du cahier des charges l’un après l’autre, d’adopter l’ensemble ou de le rejeter. Mais y a-t-il opportunité à discuter phrase par phrase, article par article, ce cahier des charges, et à émettre un vote sur chacun de ces articles ? Je ne vois pas quel serait l’avantage de cette manière de procéder.
Comme vient de le faire remarquer M. le ministre des travaux publics, il est libre à chacun des membres de discuter les avantages et les inconvénients du cahier des charges. Les opinions se formeront de l’ensemble de la discussion. Jusque-là vous réserverez vos votes. Mais que l’on considère qu’il suffit de modifier le moindre article du cahier des charges pour réduire à rien un travail si long et qui a demandé tant de temps.
Je crois donc, messieurs, que tout ce que nous pouvons faire, c’est de prendre la convention telle qu’est est, ou de la rejeter.
M. Brabant – Messieurs, on parle sans cesse de l’engagement de la compagnie anglo-belge, et de la faculté qu’elle aura de se déclarer dégagée si nous n’avons pas statué dans le délai fatal, très-court, qu’elle a obtenu de la complaisance de M. le ministre des travaux publics.
La première question serait de savoir s’il y a, aujourd’hui, engagement de la part de la compagnie anglo-belge. Eh bien, messieurs, il n’y a pas le moindre engagement de sa part.
On s’engage vis-à-vis d’une personne qui a intérêt à l’accomplissement de l’engagement qu’on contracte vis-à-vis d’elle. On s’engage vis-à-vis d’un tiers qui a intérêt à ce que la chose soit faite, et, dans ce cas, il faut que le tiers soit le mandataire de celui dans l’intérêt duquel il agit. Mais M. le ministre des travaux publics ne réunit pas ces qualités. La matière des concessions de chemins de fer est dans les attributions du pouvoir législatif. M. le ministre des travaux publics n’a pu engager la nation, et comme l’engagement est ici réciproque, la compagnie ne se trouve nullement engagée.
Messieurs, le chemin de fer dont il s’agit est réclamé de deux parts. Il est réclamé par les populations dont il doit traverser le territoire ; il est réclamé surtout avec beaucoup d’instance par ceux qui se portent concessionnaires.
De la part de ceux qui se portent concessionnaires, messieurs, il faut qu’il y ait un intérêt, et cet intérêt doit être bien grand puisqu’on est si pressé d’arriver à une solution favorable. Soyez persuadés, messieurs, que ce n’est pas un délai de huit jours, que ce n’est pas un délai d’un mois qui fera retirer le cautionnement consigné par la compagnie anglo-belge. D’après la convention du mois de juin, la compagnie pouvait se retirer, si au dernier jour de l’an 1844, elle n’avait pas obtenu la loi accordant la concession ; elle se déclarait en outre dégagée si à la même époque elle n’avait pas obtenu du gouvernement français l’autorisation de faire les travaux sur le territoire français. Eh bien, messieurs, aucune de ces conditions n’a été remplie, et la compagnie persiste toujours à demander la concession.
Messieurs, nous allons poser un grand acte d’administration nationale. C’est le premier acte que nous posons dans ce sens. Cet acte sera, pour ainsi dire, la loi fondamentale des concessions que je désire voir se multiplier. C’est pour cela, messieurs, que nous ne saurions y mettre trop de maturité.
Et, messieurs, quand la compagnie anglo-belge se retirerait, une première compagnie n’a-t-elle pas été déchue ? Cela n’a pas empêché qu’une deuxième se présentât, et si cette deuxième compagnie se retirait, soyez-en bien persuadés, si, comme je le crois, l’intérêt de cette entreprise est si grand qu’on le dit, une troisième compagnie ne tarderait pas à se présenter. D’ailleurs, si cet intérêt est aussi grand qu’on le dit, et, je le répète, je crois qu’il l’est, ce n’est pas un retard fort insignifiant, vu l’importance de la chose, qui engagera la compagnie à renoncer à la concession.
Messieurs, je n’ai lu que hier soir le rapport de la section centrale…
M. le président – Si vous parlez de remettre la discussion, c’est une autre question. Il ne s’agit, en ce moment, que de savoir si l’on discutera le cahier des charges article par article.
M. Brabant – Je suis pris un peu à l’improviste, et c’est ce qui fait que je donne peut-être trop d’étendue à ces considérations. J’accepte avec plaisir l’observation de M. le président, et je me borne à insister sur un point : c’est à la législature à accorder la concession, c’est à la législature à faire la loi aux concessionnaires, c’est à la législature surtout à veiller ce que le premier acte qu’elle posera dans ce sens soit un acte qui puisse servir de modèle à toutes les concessions futures.
Je demande dont que le cahier des charges soit examiné article par article, et je suis bien persuadé que si la compagnie anglo-belge se retire, il s’en formera une autre plus tard.
M. Cogels – Messieurs, je ne m’oppose pas à ce que tout le cahier (page 913) des charges soit examiné article par article ; je désire seulement faire comprendre à la chambre qu’il est impossible d’émettre un vote sur chaque article de ce cahier des charges, ainsi qu’on le fait pour les projets de loi. Je ne demande pas du tout que la chambre se prononce sur cette question très-grave, très-intéressante, avec la moindre précipitation ; au contraire, je demande qu’elle en fasse un examen approfondi, alors même que (et la chose est assez probable), cela devrait nous amener au-delà du délai qui a été fixé.
Quant à ce que l’honorable M. Brabant a dit de l’engagement pris par la compagnie, je ne saurais l’admettre. Certainement, si nous envisagions la question sous le point de vue du strict droit, si on devait la porter devant un tribunal, on pourrait dire peut-être que l’engagement n’est pas complet ; mais, à moins de supposer que la compagnie soit de mauvaise foi, ce que je ne permettrai pas, je ne pourrais jamais m’imaginer qu’elle veuille se prévaloir d’une qualité de M. le ministre des travaux publics, qu’elle a suffisamment connue, lorsque M. le ministre des travaux publics a contracté avec elle. Ce serait là évidemment de la mauvaise foi.
Mais si la compagnie se retirait parce que nous ne nous prononcerions que longtemps après le délai fixé, ou parce que nous aurions apporté au cahier des charges des modifications qui le rendissent extrêmement onéreux, alors il n’y aurait plus de sa part la moindre mauvaise foi. Elle userait d’un droit dont usera tout homme qui veille à ses intérêts.
Un autre point qu’il faut prendre en considération,, c’est ce qui est arrivé en France ; lorsque le chemin de fer d’Orléans a été mis en adjudication, il s’est trouvé une compagnie qui a cru d’abord pouvoir réunir les capitaux nécessaires ; malheureusement la loi a été votée la veille d’une crise financière : et qu’est-il arrivé ? C’est qu’après le premier versement, il est devenu impossible de compter sur les versements subséquents, et que le gouvernement français a été forcé de donner une garantie de minimum d’intérêt, qui n’avait pas été accordée par la première concession. Le gouvernement français a dû, par conséquent, accepter un contrat plus onéreux que le premier, sous peine de devoir renoncer à l’exécution d’un des travaux publics les plus productifs, et reconnus comme les plus utiles.
Je citerai un autre exemple : c’est celui du chemin de fer de Paris au Havre par les plateaux. Ce chemin de fer a été abandonné, le dépôt de garantie a été rendu, les actionnaires ont été dégagés. Une autre compagnie s’est formée ensuite, il est vrai, mais longtemps après, pour faire le chemin de fer par la vallée de la Seine.
Eh bien, messieurs, la compagnie du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse est maintenant assurée des capitaux ; elle ne peut pas cependant exiger les versements avant que le contrat ne soit parfait, avant qu’elle ne soit assurée de la concession ; or, s’il survenait un événement politique quelconque, une crise financière, les versements n’étant pas effectués, la compagnie serait forcée de renoncer à la concession, et le chemin de fer ne serait pas exécuté.
Voilà pourquoi je pense que sans mettre la moindre précipitation dans l’examen de la question, la chambre doit éviter aussi tout délai qui pourrait compromettre l’exécution des travaux. Ces travaux, je les regarde comme extrêmement utiles, quoique d’autres membres de la chambre puissent ne pas partager mon opinion à cet égard.
M. de La Coste – Messieurs, mon opinion préalable est extrêmement favorable au chemin de fer en discussion. Si j’ai demandé la parole, c’est à cause des observations de l’honorable M. Pirmez qui veut nous enfermer dans ce dilemme : « Acceptez ou refusez. » Je dois protester contre cette situation où l’on voudrait placer la chambre. Je pense, comme dit M. le ministre des travaux publics lui-même, que nous pouvons encore amender la loi.
Il se présente ici, messieurs, une question extrêmement grave. Elle ne s’applique pas seulement à cette concession-ci, mais à toutes celles qui surgissent en ce moment, et cette considération, qui disposera beaucoup d’entre nous en faveur du projet, doit nous mettre en garde contre notre propre entraînement.
Il s’agit d’approuver une concession à main ferme, une concession accordée sans concurrence. C’est une nouvelle phase du système des travaux publics dans laquelle nous entrons, et j’engage la chambre à bien examiner cette question, car le système qu’il s’agit d’établir, s’il n’est pas suffisamment mûri, peut amener des inconvénients irrémédiables et des abus d’une bien autre importance que ceux pour la recherche desquels on vient de proclamer la nécessité d’instituer une commission d’enquête.
M. Pirmez – Je veux seulement faire une très-courte réponse à l’honorable M. Brabant. Il a dit que si l’intérêt de ce chemin de fer était réel il ne manquerait jamais de concessionnaire ; pour appuyer cette observation, il a fait remarquer que déjà il s’était formé précédemment une compagnie qui avait demandé la concession du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, et qui a ensuite renoncé à cette concession. Eh bien, messieurs, cela prouve que des travaux de ce genre sont considérés aujourd’hui comme d’un intérêt réel, tandis que demain cet intérêt semble ne plus exister. Nous ne devons donc pas nous montrer si rigides en pareille matière, alors surtout que jusqu’à présent nous n’avons presque jamais rien fait en travaux publics sans puiser largement dans le trésor de l’Etat. Il se présente une occasion de construire un chemin de fer sans bourse délier. Eh bien examinez, discutez dans tous leurs détails les propositions qui nous sont faites, mais ne les accueillez pas d’avance avec une certaine défaveur, et surtout ne les faites pas retirer en retardant outre-mesure la décision que vous avez à prendre.
M. le ministre des travaux publics (M. Dechamps) – Messieurs, il ne faut pas vous exagérer l’importance du vote que vous avez à émettre. Avant 1842, le gouvernement eût été autorisé à concéder le chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, aux conditions du contrat actuel, sans l’intervention de la législature, puisque ce chemin de fer doit s’exécuter sans le concours pécuniaire de l’Etat. Avant 1842 j’aurais pu accorder cette concession comme je puis accorder la concession d’une route ou d’un canal. Pourquoi la chambre a-t-elle, en 1842, introduit dans la loi sur les péages, une disposition aux termes de laquelle le gouvernement ne peut concéder, sans l’intervention des chambres, un chemin de fer de plus de 10 kilomètres de longueur ? C’est parce que la chambre a cru que l’Etat étant lui-même entrepreneur des transports par le chemin de fer, la législature devait se réserver d’examiner si le chemin de fer dont la concession serait demandée, ne pourrait pas faire concurrence au chemin de fer de l’Etat, et nuire ainsi aux intérêts du trésor public.
Eh bien, messieurs, il s’agit non pas de susciter une concurrence au chemin de fer de l’Etat, mais de créer un utile affluent.
L’honorable M. Brabant nous a dit : « M. le ministre n’avait aucun mandat pour faire la convention, ; et par conséquent la compagnie, qui n’a qu’un engagement corrélatif, n’est pas liée. » Le ministre, messieurs, s’est engagé, sous l’approbation de la législature, mais la compagnie s’est engagée réellement vis-à-vis de l’Etat. Il faudrait, comme l’a dit M. Cogels, supposer à la compagnie de la mauvaise foi pour s’imaginer qu’elle voulût se soustraire à cet engagement formel et sacré, et rien n’autorise une telle supposition.
L’honorable M. Malou et après lui, M. de La Coste, ont fait observer que la chambre avait le droit d’amender la loi. Cela est évident. Jamais on n’a voulu contester ce droit à la chambre. Seulement la chambre aura à examiner la question de convenance, la question de savoir s’il est utile d’apporter à la loi une modification telle que la compagnie pût se déclarer dégagée vis-à-vis de l’Etat. Chacun des membres de la chambre aura à examiner s’il veut assumer cette responsabilité.
Messieurs, si la compagnie anglo-belge insiste relativement à la question d’urgence, la raison doit en être comprise par la chambre. Vous savez qu’il y a maintenant en Angleterre une grande abondance de capitaux pour les entreprises de chemins de fer. Les capitaux pour le chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse sont réunis depuis dix mois par la compagnie ; un cautionnement d’un million repose dans les caisses de l’Etat. La compagnie ne veut pas en suspendre indéfiniment l’emploi. Les concessionnaires veulent savoir si les capitaux pourront recevoir l’emploi qu’ils leur destinent en Belgique, ou bien s’ils devront les diriger vers un des nombreuses entreprises sur lesquelles le gouvernement anglais aura à statuer prochainement.
Voilà en quoi consiste la question d’urgence, et je ne vois pas pourquoi la chambre irait adopter un mode d’examen tout à fait inutile, et arriver par là au délai fatal fixé relativement à la compagnie, de manière à dégager celle-ci. L’intérêt du pays n’exige pas cela ; la concession est telle que le pays jouira d’un chemin de fer important sans charge pour le trésor. Dans la discussion générale, nous apprécierons les clauses du cahier des charges et les clauses de la convention elle-même ; mais le vote de la chambre ne peut s’appliquer qu’à l’article unique du projet de loi.
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, ayant fait partie de la section centrale, et étant le seul membre qui se soit abstenu, je crois devoir faire connaître les motifs qui ont dicté mon abstention.
Je me suis dit : De deux choses l’une : ou l’opération sera bonne, ou bien elle sera mauvaise. Quoique, pour ma part, je sois persuadé que les concessionnaires font une très-belle affaire, cependant il serait possible qu’ils fussent trompés dans leur attente. Or, pour n’avoir pas à craindre que, si l’opération ne répondait pas à l’attente des concessionnaires, ils ne pussent jamais forcer le gouvernement à reprendre la concession, j’avais soumis à la section centrale l’amendement suivant :
« Dans aucun cas, ni pour aucun motif, la société ne pourra forcer le gouvernement à reprendre cette concession. »
Si cette proposition avait été admise, j’aurais voté la concession. Comme le contraire est arrivé j’ai cru devoir m’abstenir.
M. Fallon – Il paraît qu’on est entièrement d’accord sur ce point, qu’il entre dans les attributions de la chambre de concéder, lorsqu’il s’agit de chemins de fer ; par conséquent, c’est incontestablement à la chambre à fixer les conditions de la concession. Le gouvernement vient proposer une condition à la sanction de la chambre : « Voilà, nous dit-il, à quelles conditions je vous propose de concéder. » Nous avons donc le droit d’examiner ces conditions et d’y proposer des amendements.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ce n’est pas là précisément la question, que l’honorable préopinant me permette de le lui dire ; la question telle qu’elle paraît avoir été posée par l’honorable M. Brabant est celle-ci : « Mettra-t-on aux voix et le cahier des charges et la convention, article par article ? » Je ne crois pas qu’il doive en être ainsi ; je crois que la chambre s’engagerait dans une discussion interminable.
Il y a une deuxième question : la chambre pourrait-elle approuver conditionnellement, c’est-à-dire ajourner à la disposition unique du projet de loi une série de conditions formant autant d’amendements. Je crois que la chambre a ce droit ; elle peut ajouter à la disposition unique du projet de loi une série de conditions, de clauses, de réserves, mais ce sera sous sa responsabilité. Si le ministère vient déclarer que les concessionnaires ne veulent pas de la concession à telle ou telle condition nouvelle que la chambre y mettrait, tout vient à tomber, et la concession sera devenue caduque par le fait de la chambre.
Je crois que nous sommes au fond d’accord. Il y aura donc discussion et sur le cahier des charges et sur la convention. Tout membre de la chambre (page 914) pourra proposer des conditions, clauses, réserves, modifications, à ajouter à l’article unique qui constitue le projet de loi ; mais le ministre combattra ces nouvelles conditions ; il démontrera à la chambre, que, ces concessions nouvelles venant à être approuvées, la concession devient impossible.
M. Fallon – Il paraît que tout se réduit maintenant à une question de forme. Il devient assez indifférent de mettre aux voix ou de ne pas mettre aux voix le cahier des charges article par article, du moment où chaque membre peut proposer, à l’article unique du projet de loi, tel amendement qu’il juge convenable à tel ou te article du cahier des charges.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Autre chose est de soumettre à la chambre deux ou trois paragraphes ou amendements, et autre chose de demander un vote direct sur 60 articles. C’est une question de forme très-importante, ne fût-ce que dans l’intérêt de la rapidité de nos discussions.
- La chambre, consultée, ferme la discussion sur cet incident.
M. Brabant déclare retirer sa proposition.
- La séance est levée à 5 heures moins le quart.