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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 17 février 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 825)(Présidence de M. Vilain XIIII, vice-président)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure et demie. La séance est ouverte.

M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la séance de samedi, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’analyse des pétitions suivantes

« Les membres de l’administration communale d’Otrange, demandent la construction du chemin de fer d’Ans à Liége par Tongres. »

- Renvoi à M. le ministre des travaux publics.


« Le sieur Morhet, milicien de l’année 1841, ayant fourni un remplacement qu’il ignorait ne pouvoir s’engager, demande qu’il ne soit pas donné suite à l’ordre de l’arrêter comme réfractaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Stas, blessé de septembre, décoré de la croix de fer, prie la chambre de statuer sur sa pension. »

- Même renvoi.


« Plusieurs blessés de septembre prient la chambre de statuer sur leur pétition, tendant à ce qu’une pension de cent francs soit accordée à tous les décorés de la croix de Fer qui se trouvent dans une position peu aisée, et qu’on accorde cette décoration aux blessés qui n’ont pas été compris dans le travail de la commission des récompenses. »

- Sur la proposition de M. Rodenbach, dépôt sur le bureau pendant la discussion de l’article du budget de l’intérieur relatif à la dotation de la Légion d’honneur et de la croix de Fer, et de la proposition de M. Dumortier, concernant cet article.


« Les distillateurs de Hasselt présentent des observations sur l’indemnité qu’il convient d’accorder aux propriétaires de bestiaux abattus pour cause de maladies contagieuses. »

- Sur la proposition de M. Corswarem, renvoi à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport.


« Les brasseurs de l’arrondissement de Turnhout présentent des observations contre les propositions de la commission d’industrie, qui ont pour objet de soumettre le houblon étranger au droit d’entrée de 20 francs par 100 kilog. »

- Renvoi à la commission d’industrie.


« Le sieur Hobbelynckx, ancien greffier de la justice de paix du canton de Nazareth, révoqué de ses fonctions en 1830, demande une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les médecins de l’arrondissement d’Eeccloo demandent l’abolition de l’impôt patente auquel sont assujettis ceux qui exercent l’art de guérir. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi sur les patentes.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l'exercice 1845

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVIII. Industrie

Discussion générale et article premier

La chambre est parvenue au chapitre XVIII : Industrie ; la discussion est ouverte sur l’ensemble de ce chapitre.

M. Kervyn – Messieurs, le chapitre XVIII contient, comme les années précédentes, une somme de 150,000 fr. pour encourager l’industrie linière. C’est sur cette partie du chapitre XVIII que je veux dire quelques mots.

Quoique je n’appartienne pas à l’un ou l’autre de ces associations qui se sont constituées les organes de l’industrie linière, je me permettrai cependant de vous soumettre, sur ce grave objet, quelques réflexions puisées dans mes relations avec les habitants des campagnes qui s’adonnent à la fabrication des toiles.

De ces quelques réflexions, je conclurai d’abord qu’au moyen du subside qui figure au budget, la fabrication actuelle peut se maintenir encore et échapper à une transformation trop brusque et trop douloureuse ; et, en second lieu, j’en conclurai que, quand bien même l’ancienne méthode de fabriquer serait condamnée à périr instantanément, ce subside devrait être encore accordé, non à titre d’aumône ou de secours, mais afin de conserver à la campagne, la culture et la préparation du lin.

Si j’entre dans des détails qui peuvent paraître oiseux, j’espère que la chambre les acceptera en faveur de la gravité de la question.

L’industrie ancienne succombe sous deux causes : la première est la substitution de la mécanique au rouet ; la seconde est l’organisation défectueuse de cette industrie.

Tout le monde connaît le premier de ces faits ; on peut le déplorer en raison de la perturbation qui en est résultée pour une multitude d’existences ; on peut s’en applaudir comme favorisant la production, et, par conséquent, la richesse générale. Quoi qu’il en soit, cette concurrence nouvelle et redoutable s’introduit partout et fait des progrès immenses.

Le second fait est, en général, moins bien connu ; on n’a pas sondé les défauts organiques de notre ancienne fabrication. C’est cependant à ce vice d’organisation qu’il faut surtout attribuer notre décadence ; c’est à le corriger qu’on doit s’appliquer ; et si l’on peut réussir, la lutte devient possible.

Messieurs, l’organisation de l’industrie linière est chez nous ce qu’elle était il y a trois siècles. Aucune des transformations au moyen desquelles les autres industries ont grandi n’a eu prise sur elle. Elle n’a pas subi la tendance de l’industrie moderne qui, d’un côté, a adopté la division du travail afin de faire mieux et à plus bas prix, et qui, d’un autre côté, centralise et concentre les opérations diverses au moyen d’une direction unique, c’est-à-dire d’un fabricant qui possède des capitaux et des connaissances industrielles.

Nous en sommes encore à la petite fabrication dans laquelle toutes ou presque toutes les opérations d’une industrie compliquée passent par la même main : nous en sommes au travail isolé où la fabrique est une chaumière, tandis que dans les autres industries, ce n’est pas seulement le travail isolé qui a succombé, mais encore les établissements médiocres qui ont été absorbés par des rivaux travaillant sur une plus grande échelle.

Nous n’avons pas la division du travail. En effet, le tisserand est quelquefois cultivateur de lin et presque toujours il le récolte, l’apprête, le file et le tisse. Il cumule presque toutes les opérations qui entrent dans la fabrication de la toile.

On ne doit pas perdre de vue que là où la division du travail existe on est bien près d’atteindre la perfection. Nous en avons un exemple dans l’industrie linière elle-même. Où le lin est-il le mieux roui ? Où est-il le mieux teillé et sérancé ? Dans les pays de Waes et de Courtray, où ces opérations constituent une industrie spéciale.

Malheureusement cette manière de procéder est loin d’être générale. Le contraire existe : les opérations diverses, au lieu d’être divisées, sont concentrées dans la même main, au grand détriment de la production.

Il n’y a cependant aucune de ces diverses manipulations qui ne soit susceptible d’être perfectionnée dans l’une ou l’autre partie du pays. Mais un obstacle invincible se rencontre dans l’isolement du tisserand voué à la routine parce qu’il n’a ni éducation industrielle, ni capitaux.

Sa détresse l’empêche de faire des expériences qui demandent du temps (p. 826) et de l’argent, ou à se procurer des outils perfectionnés, qui lui permettraient de travailler plus vite et à meilleur compte.

Comme démonstration, examinons ce qui se passe dans la fabrication actuelle : de cette revue, il résultera, jusqu’à l’évidence, que l’industrie linière ancienne a besoin d’un patronage qui corrige autant que possible les vice de son organisation. Ce patronage doit résider dans des comités qui, répandus à la campagne et subsidiés par le gouvernement, puissent donner partout le signal du progrès.

La première et la plus importante des opérations que le lin subit et les rouissage.

On sait que deux contrées du pays ont porté l’art de rouir au dernier degré de perfection, tout en procédant d’une manière différente ; le pays de Courtray et le pays de Waes peuvent servir de modèle pour les deux méthodes.

Le rouissage est d’une telle importance que le lin acheté hors du pays de Waes et traité dans cette contrée, acquiert souvent une valeur double de celle qu’il aurait eue sur les lieux qui l’avaient vu naître.

Partout ailleurs les procédés sont imparfaits et il n’en peut être autrement : le tisserand n’a pas le choix des eaux qu’il emploiera. Il achète son lin sur pied, le met dans un rouloir tel que, selon l’usage, le fermier doit lui livrer. S’il y a plusieurs acheteurs chez un fermier, les mêmes eaux sont employées successivement au détriment de la qualité du lin.

Après le rouissage, il s’agit de le battre, de le broyer et de le teiller.

Les instruments séculaires sont toujours en usage, instruments défectueux que nos tisserands sont hors d’état de remplacer par des instruments nouveaux dont ils ne soupçonnent pas même l’existence. Ceci est tellement vrai qu’il existe à Gand un établissement considérable qui s’occupe spécialement du teillage du lin. C’est encore là une manipulation qui pourrait échapper aux ouvriers de la campagne, si l’influence intelligente des comités n’était pas là pour la leur conserver.

Le sérançage n’a pas fait de moindres progrès qui sont restés inconnus à nos campagnards. Je ne parle pas des sérans mécaniques qu nous sont venus de l’Angleterre et qui fonctionnent dans nos grandes filatures.

On sérance encore à la main dans la Grande-Bretagne ; mais ces sérans sont gradués et à pointes d’acier ; ils fonctionnent beaucoup mieux que les nôtres et devraient être absolument introduits dans nos campagnes.

Après la préparation du lin, vient la fabrication du fil et de la toile.

Croirait-on qu’il fût possible de généraliser dans notre ancienne industrie linière, le dévidage métrique, ou les temples perfectionnés, ou les métiers à la navette volante, si le patronage des comités industriels était écarté.

Pourrait-on améliorer les lames ou peignes dont les défauts sont généralement connus et réprouvés par le commerce ?

Quant à ce dernier point, tout changement serait rendu impossible par la nature même des choses. Il n’existe ordinairement qu’un fabricant de peignes par village, qui loue ces outils au tisserand ; son intérêt s’oppose à ce qu’il mette au rebut ce qu’il a en magasin, ce qui forme son capital, ce qui est l’objet de son trafic, pour entreprendre gratuitement des améliorations coûteuses.

Il résulte de tout ceci, messieurs, qu’il y a partout des progrès à faire, progrès qui seraient à jamais impossibles, si nos tisserands étaient abandonnés à eux-mêmes.

Une chose a droit à nous étonner : c’est qu’avec des moyens de production aussi imparfaits, sans éducation industrielle, sans capitaux, ils soient parvenus à soutenir la lutte aussi longtemps.

Mais si la difficulté de faire des progrès est constatée, notre ancienne industrie linière subit d’autres désavantages qui sont inhérents à sa constitution, et que je me permettrai de signaler en peu de mots.

L’emploi judicieux et économique de la matière première est de la plus haute importance dans la fabrication.

Aussi, l’industrie nouvelle fait du lin un triage exact et rigoureux. Elle a porté la perfection en ce point, jusqu’à couper les tiges du lin, afin d’utiliser les parties les plus fines pour le filage des numéros les plus élevés.

Le lin diffère de qualité d’une année à l’autre, de commune à commune, d’un champ à un champ voisin.

Notre tisserand ne peut avoir égard à ces différences ; il achète sa matière première sur pied, et quelles qu’en soient la finesse et la qualité, il fabrique généralement l’espèce de toile qu’il est habitué de fabriquer.

Cette routine forcée lui est surtout funeste dans le placement de ses produits ; il ne connaît que très-imparfaitement le goût des consommateurs ; il est étranger aux artifices de l’apprêt, du ployage et de l’ornementation des pièces ; il est mal renseigné quant à l’espèce de marchandise dont la demande va surgir en pays étranger ; il est hors d’état de changer brusquement sa fabrication pour l’approprier aux besoins, et il continue ainsi à confectionner, pendant six mois, pendant un an peut-être, une espèce de toile qui n’est pas demandée.

Ajoutez à cela les frais que supporte le tisserand qui expose lui-même sa toile au marché : frais de transport, frais de place, frais de mesurage, perte d’au moins une journée de travail par pièce de toile ; ce qui, réuni, emporte encore un cinquième de son modique salaire.

Tous les inconvénients de la fabrication isolée étaient peu sensibles autrefois, lorsque nous avions des marchés privilégiés et presque exclusifs, comme la France et l’Espagne. Mais de nos jours, époque de lutte et de concurrence, nous devons chercher des débouchés nouveaux : il faut donc que nous entrions en lice à armes égales, et pour que l’ancienne fabrication conserve une place dans le monde industriel, il faut qu’elle se rapproche, quant à l’organisation du travail, le plus possible de sa rivale.

Agir autrement, ce serait fermer les yeux à la lumière, ce serait courir à une mort anticipée.

Instituer partout des comités industriels, c’est remplacer jusqu’à un certain point les entrepreneurs d’industrie qui nous manquent ; c’est centraliser jusqu’à un certain point notre fabrication abandonnée à la routine et à l’isolement ; c’est répandre les procédés nouveaux ; c’est départir les bons conseils, les bonnes méthodes, les découvertes utiles ; c’est, en un mot, détruire en grande partie les causes de décadence que j’ai signalées.

Surtout que ces comités subsidiés par le gouvernement, n’oublient pas que leur mission n’est pas une mission de charité. Restreindre la mendicité en procurant du travail, est sans doute un résultat louable ; mais il nous faut plus que cela ; l’instruction industrielle doit être leur but ; leur ambition doit être de rendre à nos provinces leur ancienne prospérité.

J’ai dit, en commençant, messieurs, que lors même que le filage au rouet devrait disparaître subitement, il faudrait encore encourager l’institution des comités industriels.

En effet, la préparation du lin est une branche importante du travail national, c’est une source de richesse et de main-d’œuvre pour la campagne.

Malheureusement il n’y a que peu de contrées en Belgique où l’on travaille le lin avec toute la perfection désirable ; il y a donc beaucoup de progrès à faire, des connaissances disséminées à grouper. Si on négligeait cette partie de la question après la perte du filage, les campagnes perdraient la manipulation qui consiste à teiller et à sérancer le lin, manipulation qui se centraliserait dans les grands ateliers des villes.

Ce fait existe déjà. S’il devenait général, je vous le demande, qu’adviendrait-il de la culture du lin elle-même ? Les ouvriers de la campagne se réfugieraient de plus en plus dans les villes, et la culture du lin, si fructueuse pour la Belgique, recevrait un coup funeste par l’absence des bras qu’elle emploie en si grand nombre.

Je termine par cette réflexion que je recommande à tous ceux qui s’intéressent à l’industrie linière.

Je voterai le subside demandé au budget.

M. Rodenbach – L’honorable député de Gand ne conteste pas le chiffre proposé pour encouragements de l’industrie, notamment de l’industrie linière. Mais il accuse cette industrie d’être tout à fait stationnaire. (Dénégations de la part de M. Kervyn.)

Je répondrai à l’honorable membre que, dans certaines provinces, dans certains districts, cette industrie est peut-être stationnaire ; il est possible que, dans la localité dont il a parlé, on repousse les nouvelles inventions ; mais il y a des provinces et notamment la Flandre occidentale, où l’on n’est aucunement ennemi du progrès. Ainsi, dans l’arrondissement de Courtray et dans celui de Roulers, et j’en appelle aux trois représentants de cet arrondissement et même à un député de Roulers, on a recours à tous les moyens perfectionnés. Ainsi nous avons les temples et la navette volante perfectionnée, de métiers perfectionnés nous venant soit de l’étranger, soit du pays. Je vous demande si c’est là rester stationnaires.

Messieurs, à Roulers, où existe le centre d’une fabrication de toiles, l’autorité locale a voté des sommes considérables pour l’érection d’un bâtiment devant servir à un atelier modèle. Le gouvernement a envoyé à cet établissement des métiers perfectionnés à l’étranger, des métiers à la Jacquart, et de métiers modèles fabriqués dans notre pays. Car nous ne devons pas toujours recourir à l’étranger pour avoir de bons instruments de travail ; nous avons en Belgique des constructeurs qui en font d’excellents. Cet atelier modèle, messieurs, est en pleine activité.

Le comité industriel de Rumbeeke, près de Roulers, a aussi établi un atelier et demande au gouvernement des métiers perfectionnés. Il en est de même dans plusieurs autres communes. Vous voyez donc que nous ne restons pas stationnaires, et que l’honorable préopinant est dans l’erreur lorsqu’il dit que nous sommes aussi arriérés qu’il y a trois cents ans.

Messieurs, il est une opinion que j’ai déjà exprimée dans cette enceinte. Nous avons en Belgique la matière première ; nous avons le lin et d’excellent lin. Je crois qu’il faut que les deux industries puissent marcher, et que les négociants, les voyageurs, lorsqu’ils se présentent à l’étranger, doivent pouvoir fournir aux consommateurs aussi bien les toiles fabriquées à la mécanique, que celles fabriquées au moyen de métiers à la main et qui, quoi qu’on en dise, seront toujours préférées par certains consommateurs, parce qu’elles présentent plus de solidité. Mais je sais que l’on ne doit pas non plus négliger le filage à la mécanique : déjà, en effet, les fabricants de Gand placent en France et dans notre pays beaucoup de produits de cette industrie.

Messieurs, on a prétendu que si nous ne faisions pas usage du fil mécanique dans la fabrication de nos toiles, nous perdrions tout à fait le débouché de la France. Je ne suis pas de cette opinion. Je crois que bien des années se passeront avant que nous ne perdions ce débouché, aussi bien pour les toiles mécaniques que pour les toiles tissées à la main, parce qu’en Belgique, nous avons la main-d’œuvre à bon marché , et que nous avons les meilleurs tisserands de l’Europe ; et, avec les meilleurs tisserands de l’Europe et la main-d’œuvre à bon marché, nous pouvons soutenir la concurrence.

Messieurs, l’honorable préopinant a dit aussi que les comités industriels avaient, pour ainsi dire, fait tort à la mécanique ; il en a en quelque sorte demandé la suppression. Je crois, messieurs, que, loin de supprimer ces comités, il faut les encourager autant que possible. Ce sont ces comités industriels qui ont provoqué l’établissement d’ateliers modèles dont j’ai parlé. A Rumbeeke, c’est aussi un comité industriel qui demande des métiers perfectionnés.

Messieurs, je le répète, il est possible que, dans la Flandre orientale, on soit resté stationnaire, mais dans l’arrondissement de Roulers et dans l’arrondissement (page 827) de Courtray, on a fait des progrès immenses. Les comités industriels, dont je viens de parler, ne se contentent pas de donner du lin à filer, mais en outre des jeunes gens sans fortune sont appelés dans cet atelier modèle où on leur apprend à tisser toute espèce de toile, aussi bien des toiles à la main que des toiles faites avec du fil à la mécanique. On admet ici que les deux industries peuvent exister simultanément, et c’est ainsi qu’on doit agir ; sans cela, l’Angleterre avec ses toiles à la mécanique nous écrasera sur tous les marchés de l’Europe et même au-delà des mers, tandis que nous, qui avons la matière première et la main-d’œuvre à bon marché, nous devons pouvoir soutenir la concurrence contre l’Angleterre et contre l’Allemagne.

M. de Haerne – J’ai pris la parole, messieurs, pour demander des explications sur quelques points qui se rapportent à l’industrie et dont il a déjà été question dans cette enceinte. Cependant, je désire présenter auparavant quelques observations sur ce qui vient d’être dit par les honorables MM. Kervyn et Rodenbach. Je crois que l’honorable député de Roulers n’a pas bien saisi la pensée de M. Kervyn. Je pense que l’honorable M. Kervyn n’a pas voulu dire que l’industrie linière fût stationnaire, en général, mais qu’il a voulu dire seulement que l’industrie linière est stationnaire dans certaines localités, ici sous tel rapport, là sous tel autre rapport, et qu’à cet égard, l’institution des comités industriels peut rendre les plus grands services.

Je crois que c’est là la pensée de M. Kervyn, et pour confirmer ce qu’il a dit, je citerai un fait relatif à l’arrondissement de Roulers ; je me rapporte à des papiers déposés sur le bureau et qui concernent la question dont nous nous occupons. Dans les pièces émanant de la commission permanente de Bruges, j’ai trouvé une lettre où il est dit qu’il est fâcheux qu’on ait dû supprimer à Roulers le comité industriel qui était institué pour l’ancienne industrie du filage à la main, et qu’on l’a remplacé par un atelier de tissage. Je rends hommage aux efforts faits par les autorités de Roulers, que je connais parfaitement, et dont je puis apprécier le zèle. Certes, elles ne sont pas en reste d’efforts pour l’industrie linière.

Je regrette, cependant, qu’elles aient cru devoir renoncer à l’institution du comité de filage ; et, s’il était possible, je voudrais qu’elles profitassent des observations faites par M. Kervyn, pour compléter les mesures nécessaires à l’ancienne industrie linière ; car, je crois que ce serait une chose très-utile d’ajouter un comité de filage à l’atelier de tissage qui existe déjà. Nous ne devons pas nous le dissimuler, l’institution des comités se rapporte spécialement à l’ancienne industrie linière. Cette institution peut être envisagée sous un double rapport : d’abord, sous le rapport de l’amélioration et du développement de l’ancienne industrie linière, et ensuite, sous le rapport philanthropique, sous le rapport de l’extirpation de la mendicité, du paupérisme.

Sous ce dernier rapport, les comités industriels rendent les plus grands services au pays. Si l’on envisage la question sous le rapport de l’extirpation de la mendicité, du paupérisme, c’est une question de la plus haute importance, c’est une question sociale, une de ces questions dont on s’occupe non-seulement en Belgique, mais en France, en Angleterre, en Allemagne, et je puis dire dans toute l’Europe ; dans tous les pays industriels cette question est à l’ordre du jour. C’est précisément à cause des besoins qui se font sentir, à cause des nécessités impérieuses où l’on se trouve, que des opinions extravagantes ont surgi en France et en Angleterre sur l’organisation du travail.

C’est l’extrême détresse des classes ouvrières qui a donné naissance à toutes ces écoles nouvelles qui se rapportent plus ou moins au communisme, et qui, sous prétexte d’organiser le travail, désorganisent la société. Eh bien, si vous ne voulez pas qu’on organise le travail contre vous, je le dis avec conviction, organisez-le vous-mêmes. Je le répète donc, c’est une question sociale, c’est une question d’où dépend peut-être dans un avenir plus ou moins éloigné, la tranquillité, l’existence même du pays ; car, messieurs, si les opinions extravagantes auxquelles je viens de faire allusion ne les montrent pas menaçantes pour le moment, ne nous faites pas illusion sur ce qui pourrait arriver en temps de trouble.

Rappelez-vous ce qui s’est passé à Lyon, il n’y a pas bien longtemps. Au nom de quels principes, la populace s’est-elle soulevée ? C’était au nom du saint-simonisme. Eh bien, demain, au nom du fouriérisme, après-demain au nom du communisme. C’est dans les temps de désordre que de pareilles opinions deviennent populaires, car le peuple, qui ne comprend pas toujours ce que c’est que la liberté, comprend toujours la nécessité d’avoir du pain. Je dis que, sous ce point de vue, la question est immense et que la chambre ne peut y prêter trop d’attention.

J’ai donc lieu de m’étonner que le gouvernement ait cru pouvoir diminuer le subside accordé l’année dernière en faveur de l’industrie linière. Je reviendrai sur ce point, et j’examinerai ce subside sous le rapport industriel.

Qu’il me suffise, pour le moment, de vous avoir démontré la nécessité de maintenir le chiffre de l’année précédente pour ce qui concerne le côté moral et politique de la question. La moindre diminution pourrait servir de prétexte aux perturbateurs pour agiter la classe ouvrière. Le maintien de ce chiffre me paraît si impérieusement réclamé par les circonstances, que je ne balancerais pas à en faire une condition de mon vote sur le budget.

J’arrive à l’objet pour lequel j’avais principalement demandé la parole. Vous vous rappelez, messieurs, qu’il y a quelque temps nous avons renvoyé à la commission d’industrie des pétitions sur lesquelles nous avons demandé qu’il nous fût fait un rapport avant la discussion du chapitre XVIII, dont nous nous occupons en ce moment. Une de ces pétitions était relative à l’industrie des soies à coudre ; l’autre se rapportait au retrait de l’amendement de Lespaul. La commission d’industrie n’a pas encore fait son rapport ; mais comme ce sont des objets dont nous nous sommes occupés plus d’une fois dans cette enceinte et qui concernent d’ailleurs l’article en discussion, je crois pouvoir demander à M. le ministre de l'intérieur quelques explications sur ces pétitions.

D’abord je dirai quel est le but de la première pétition. Elle est adressée à la chambre par des fabricants de soie à coudre d’Anvers et de Courtray. Les pétitionnaires signalent la concurrence toujours croissante qu’il ont à subir de la part de l’Allemagne, et surtout de la Suisse. Vous savez, messieurs, que le bon marché de la main-d’œuvre dans ces pays, et la facilité avec laquelle ils peuvent se procurer la matière première, suffisent pour les mettre à même de nous faire une concurrence très-rude, concurrence que notre industrie ne peut pas continuer à soutenir si elle n’est pas protégée, et protégée efficacement. C’est déjà la deuxième fois que cette industrie s’adresse à la chambre. Sa première pétition qu’elle vous a fait parvenir avait aussi été renvoyée à la commission d’industrie, qui a fait un rapport assez favorable. Elle a dit que, dans le temps, le gouvernement avait promis une protection de 5 p.c. ou de 5 fr. par kilog. Dans la dernière pétition, les signataires font valoir des raisons pour obtenir une protection plus efficace ; ils disent que la concurrence est devenue beaucoup plus considérable. Ils demandent une protection de 6 p.c. sur la soie écrue, et une protection un peu plus forte, de 8 pour cent, par exemple, sur les soies décreusées ou teintes. Ils demandent, en outre, un minimum de 50 kilogrammes, pour l’importation des soies à trame et organsins, afin d’empêcher que les étrangers ne vendent cette soie en détail ; car si on laisse introduire dans le pays par petites quantités les soies trames et organsins, comme la chose a lieu en ce moment, la concurrence étrangère doit s’emparer non-seulement du marché en gros, mais aussi du marché de détail ; ce qui serait extrêmement préjudiciable à l’industrie nationale.

Je désirerais savoir de M. le ministre de l'intérieur quelle est l’intention du gouvernement sur ce point ; je désirerais savoir si le gouvernement, d’accord avec lui-même, d’accord avec la promesse qu’il a faite, d’accorder à cette industrie une protection suffisante, est maintenant d’intention d’accomplir cette promesse le plus tôt possible. Il y a réellement péril en la demeure ; les pétitionnaires déclarent que si l’on ne vient pas à leur secours dans le plus bref délai, ils devront restreindre leur fabrication et renvoyer un grand nombre de leurs ouvriers. Cette question se rattache aussi à celle qui a été discutée précédemment par quelques honorables préopinants, à la question du paupérisme qui désole les Flandres, question dont j’ai également dit un mot. En effet, messieurs, l’industrie dont il s’agit existe aussi dans les Flandres, je dirai même qu’elle y a été perfectionnée. Les Lyonnais même ont admiré les améliorations introduites dans cette industrie par un habile industriel de Courtray.

Cette industrie, comme celle des articles de Roubaix, qu’on doit à l’érection de l’établissement de M. Deny, à Courtray, comme d’autres encore qu’on introduit en Flandres, cette industrie vient aussi au secours des classes nécessiteuses. Elle emploie un grand nombre de fileuses qui vivaient autrefois de la filature du lin et qui maintenant, à cause de la crise, ne peuvent plus se livrer à cette occupation. C’est là une considération, messieurs, qui doit nous faire attacher le plus grand intérêt à cette industrie.

Le deuxième point sur lequel je désire avoir une explication du gouvernement, c’est aussi une demande contenue dans des pétitions qui ont été adressées dernièrement à la chambre. Il y avait une pétition de Thielt, une de Wynghene et de différents autres endroits. Ces pétitions sont relatives à l’amendement de Lespaul, que vous connaissez tous et dont j’ai eu plusieurs fois l’honneur de vous entretenir. Les pétitionnaires font voir, messieurs, que cet amendement est très-préjudiciable au commerce des toiles, et surtout de celles qui se fabriquent dans les environs de Thielt. Je vous citerai un seul exemple pour prouver combien la disposition adoptée sur la proposition de M. Lespaul devient prohibitive.

Quand la toile a 8 fils à la loupe (1/4 de pouce) elle paye 36 fr. les 100 kilog. ; mais lorsqu’elle a de 9 à 12 fils, elle paye 65 fr. par 100 kilog. ; voilà le tarif français. Eh bien, l’amendement de Lespaul dit que si la loupe présente une fraction de fil excédant le nombre fixé par le tarif, cette fraction de fil devra être comptée comme un fil entier, de manière que si, outre les huit fils, on voit sous la loupe un quart, un huitième de fil, vous êtes rangé dans la classe supérieure ; au lieu de payer 36 p.c., vous payez 65 p.c.

Il suffit de ce fait pour vous faire comprendre les effets fâcheux, déplorables, de l’amendement de Lespaul, qui a fait tant de bruit à si juste titre.

C’est contrairement aux stipulations du tarif que cet amendement a été introduit ; c’est contrairement aux concessions faites par la Belgique à la France, concessions pour lesquelles nous avons obtenu des concessions réciproques de la France mais la France, par l’amendement de Lespaul a annulé en grande partie les faveurs qu’elle nous avait accordées. C’est une injustice dont il faut revenir.

Si je suis bien informé, et je crois l’être, lorsque dans les Flandres on élevait des réclamations contre cet amendement, le gouvernement s’est adressé pour obtenir le retrait de l’amendement de Lespaul au gouvernement français qui a répondu qu’il était très-difficile de faire revenir les chambres françaises d’une disposition qui avait force de loi, mais que, dans l’exécution, il y aurait des facilités et que cet amendement passerait inaperçu. Mais il n’en est pas ainsi l’amendement de Lespaul est exécuté avec la dernière rigueur ; il équivaut à un droit de 25% en moyenne. C’est un véritable droit prohibitif.

S’il était possible d’obtenir le retrait pur et simple de l’amendement de Lespaul, je puis vous assurer que le commerce le référerait beaucoup à une disposition équivalente.

(page 828) Lorsque j’ai appuyé la pétition des fabricants de Thielt, j’ai déjà parlé de cette opinion que l’on pouvait revenir indirectement de cet amendement, en autorisant une réduction équivalente sur les droits étables par le tarif. Il en résulterait que la réduction porterait sur toutes les toiles, tandis que si l’amendement de Lespaul était retiré, la réduction porterait spécialement sur les catégories de toiles, de huit à neuf fils, dont on exporte une grande quantité en France.

Je ferai une autre observation : c’est que l’amendement de Lespaul frappe surtout l’ancienne industrie linière. Il serait donc désirable qu’il pût être retiré tel qu’il est.

Si cependant il ne pouvait en être ainsi, si l’on faisait valoir des difficultés d’administration, la difficulté résultant de ce que cette disposition a force de loi, le gouvernement devrait insister sur la nécessité d’une réduction équivalente.

Je vais plus loin : je dis que nous avons un droit fondé à une réduction ; car ce n’est pas là la seule infraction que la France se soit permise aux règlements en matière de douanes, quant aux toiles.

Vous savez ce que la France a fait par ordonnance, relativement aux brabantés écrues, dites « blondines ». Le premier point concernait surtout le marché de Thielt. Quant au deuxième, je défends le marché de Gand. Les blondines sont un article de ce marché. La France, par une interprétation abusive des dispositions douanières sur la matière, a doublé le droit sur les blondines. Voici par suite de quel raisonnement. Les droits sont doubles sur les toiles blanches ou demi-blanches. Mais il est bien entendu que c’est en ce sens que les toiles doivent avoir subi un véritable blanchiment ou demi-blanchiment.

La France a dit : Que ce soit la toile ou le fil qui ait été blanchi, il faut que le droit soit doublé, du moment où il y a eu blanchiment. Or, les fils des blondines ont subi non pas un blanchiment, mais un apprêt par la vapeur du souffre, une fumigation au soufre.

Le gouvernement français prétend que cette opération constitue un blanchiment. Lors donc que la toile serait d’une certaine blancheur qu’elle devrait au rouissage, on pourrait dire qu’elle est demi-blanche, et qu’elle doit payer le double droit. Cela est arrivé à une maison de Courtray. Une toile, qui n’était pas de la blondine, qui n’avait pas subi la préparation par la vapeur du soufre, mais qui était faite d’un lin roui dans la Lys, dont les eaux limpides produisent une grande blancheur, a été saisie comme demi-blanche, comme devant payer le double droit. On a réclamé ; à la fin le gouvernement français est revenu de ses prétentions sur ce point, parce que la douane n’avait pas reçu d’instructions formelles à cet égard. Mais il n’en a pas été de même pour les blondines. Or, je prétends que le cas est identique, qu’il n’y a pas plus de raison pour soumettre à un double droit les blondines que les toiles qui doivent au rouissage une certaine blancheur.

Quant aux fournitures pour l’armée, j’ai insisté sur ce point. J’ai été combattu par plusieurs honorables collègues, qui ont dit que la France était dans son droit. Je n’examinerai pas la question de droit en elle-même ; mais je ferai remarquer que le commerce belge était, de temps immémorial, dans l’usage de livrer des toiles pour l’armée française, que nous avions conservé cette habitude quand la convention du 16 juillet a été conclue. Nous devions croire que cette faveur nous serait conservée. Si la France était dans son droit, comme on le prétend, nous avons le droit de faire remarquer que nous avons souffert par cette mesure un véritable préjudice, qui doit être pris en considération, lorsqu’il s’agit de concessions réciproques.

Je crois que c’est là le véritable état de la question. Et que devient le prétendu droit, en présence de ces considérations ?

Il y a d’autres difficultés que la France nous suscite ; car ce sont des tracasseries, des vexations continuelles. Ainsi, pour les fils de mulquinerie, on en a saisi les bureaux de douane de Lille et de Blanc-Misseron, parce qu’ils n’étaient pas ourdis en trame ; cela, d’après une ordonnance qui était perdue de vue depuis longtemps ; à tel point qu’à la douane on ne la connaissait pas. C’est par suite de révélations des négociants de Lille, qu’on a fait des observations au conseil supérieur des douanes, qui a décidé qu’il fallait faire payer un droit à peu près double sur ces fils de mulquinerie, qui n’étaient pas ourdi en trame. Plus tard, on en a saisi qui étaient ourdis en trame, sous prétexte qu’ils ne l’étaient pas. Cependant la douane n’était pas dans son droit ; il serait trop long de l’expliquer. Mais ce qui prouve que le droit était de notre côté, c’est que les négociants belges avaient gagné leur procès à Lille.

L’administration des douanes a fait appel. Elles les aurait traînés en cassation, ce qui n’est pas très-agréable : les négociants se sont donc décidés à transiger ; cela vous donne une idée des difficultés qu’on nous suscite en France.

L’amendement de Lespaul, la mesure prise relativement aux blondines, et celle relative à la fourniture de l’armée et quelques autres difficultés secondaires que nous avons à subir pour l’introduction de nos marchandises voilà les atteintes portées par la France à nos relations commerciales. Nous avons le droit de réclamer à la France qu’elle revienne du statu quo, qui est évidemment entaché d’injustice à notre égard. Le statu quo est réellement exorbitant, puisqu’il en résulte des droits qui s’élèvent parfois au-delà de 36 p.c. et en moyenne à 25 p..c., ce qui est un droit prohibitif.

Je me permettrai une autre observation : vous avez connaissance de l’arrêté du 13 octobre. D’après cet arrêté, vous savez, messieurs, que nous avons fait des concessions à la France, pour ce qui regarde les cotons imprimés, et quelques autres articles. Nous avons fait en sa faveur une exception pour une année, et dans l’intervalle il est bien certain que l’on saura à quoi le gouvernement français veut s’en tenir en ce qui concerne l’exportation de nos produits liniers.

Messieurs, je crois que l’on doit exiger de la France beaucoup plus qu’elle ne nous a accordé par la convention du 16 juillet nous sommes dans notre droit. Pour parvenir à obtenir davantage, messieurs, nous avons une arme bien puissante dans l’arrêté du 13 octobre.

Je dirai aussi que, sous d’autres rapports, notre position est quelque peu améliorée. Car si la France retirait la convention du 16 juillet, elle ne se trouverait plus dans la position où elle était avant la conclusion de notre traité avec le Zollverein. En effet, messieurs, avant la conclusion de ce traité, la France n’entrait pas sur notre marché en concurrence à des conditions d’infériorité avec l’Allemagne pour les vins et les soieries ; mais aujourd’hui par suite de la réduction du quart des droits accordé à l’Allemagne sur les vins et les soieries, la France, en cas de retrait de la convention du 16 juillet, rencontrerait une concurrence redoutable. Certainement la France ne s’y exposera pas, et il me paraît clair que cela nous rend plus forts qu’auparavant vis-à-vis de ce pays.

Je dis, messieurs, que notre position est améliorée. Nous avons d’abord le bon droit pour nous, à cause de toutes les difficultés que la France nous a suscitées, des vexations réelles et flagrantes qu’elle s’est permise à notre égard. En second lieu, notre position s’est améliorée par suite de notre traité avec l’Allemagne, et enfin nous avons l’arrêté du 13 octobre.

Messieurs, je crois qu’en présence de ces faits nous pouvons traiter avec la plus grande faveur. Nous devons faire valoir nos droits. Si le gouvernement, messieurs, ne tâche pas de faire revenir la France des conditions qu’elles nous a faites en améliorant le statu quo, je crois qu’on ne peut répondre de l’avenir des Flandres, de l’avenir de l’industrie linière.

Certes, messieurs, il y a dans cette industrie une grande vitalité, parce qu’elle tient aux mœurs, aux habitudes du pays ; elle tient pour ainsi dire à la racine de la nationalité. Mais tout s’use avec le temps, et quand on est courbé pendant des années sous une crise aussi accablante, aussi épouvantable que celle que subissent nos laborieuses, nos courageuses populations, je dis qu’à la fin on succombe de lassitude. On se décourage, et du découragement vous savez que tout peu s’ensuivre.

Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur qu’il nous dise quelle est l’opinion du gouvernement relativement à l’article des soies et relativement à la question que j’ai posée sur l’industrie linière.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, le gouvernement désire aussi vivement que l’honorable membre que la convention du 16 juillet soit maintenue. Il désire même qu’elle soit améliorée. Cependant il ne faut pas qu’on se fasse illusion sur ce dernier point. Les réclamations relativement à la manière de compter les fils (c’est ce qu’on appelle l’amendement Lespaul), relativement à la manière d’apprécier les nuances (c’est la question des blondines), enfin relativement aux fournitures de l’armée française, ces réclamations sont très-anciennes. Les deux premières ont occupé le gouvernement même avant qu’il y eût exécution de la part du gouvernement français. Le député du département du Nord, M. de Lespaul, avait à peine annoncé son amendement, que déjà le ministère belge d’alors, c’était en 1840, a fait les plus vives réclamations.

Néanmoins, cet amendement a été adopté et fait partie de la loi du 6 mai 1841.

De même, pour la manière d’apprécier, le gouvernement a constamment et vainement réclamé.

Pour la fourniture de l’armée, nous savons que le gouvernement a répondu ; il a répondu qu’il n’avait pas changé le statu quo ; que l’armée française, d’après les cahiers des charges, ne recevait que des toiles de France ; mais que, pour éviter la fraude, on a exigé qu’il y eût une raie en coton ; ce qui emporte une prohibition à l’entrée.

Néanmoins, le gouvernement renouvellera toutes ses réclamations, comme il l’a constamment fait, lorsqu’une occasion favorable s’est présentée. C’est tout ce que je puis promettre à l’honorable membre.

L’honorable préopinant a beaucoup insisté sur un point : c’est que la France n’aurait pas eu le droit de changer le statu quo établi de part et d’autre, quant à la France, par les lois du 2 et du 3 juillet 1836, et quand à la Belgique, par la loi du 3 avril 1838, c’est-à-dire qu’il a soulevé de nouveau cette question ci :

Lorsque la Belgique a replacé la France dans le droit commun, en révoquant par la loi du 3 avril 1838, l’arrêté de l’ancien gouvernement de 1822, est-ce qu’à cette époque il y a eu engagement de la part de la France, de ne pas changer les lois du 2 et du 3 juillet 1836 ? La France nie cet engagement ; elle a déclaré qu’elle est restée complètement libre. J’ai déjà plusieurs fois fait cette déclaration, et je dois la réitérer, pour faire apprécier la position du gouvernement belge, dont les réclamations deviennent de cette manière très-difficiles, et pour faire apprécier aussi la position du gouvernement français, qui n’entend pas être accusé de déloyauté. La France nous dit : « Vous n’avez pas de traité à invoquer ; dès lors je suis restée complètement libre ; si l’on m’a replacée dans le droit commun, c’est que j’avais le droit d’être replacée dans le droit commun. » Vous voyez donc que la position (page 829) de la Belgique n’est pas aussi forte que le suppose l’honorable préopinant. (Interruption.)

L’honorable membre a répété, à plusieurs reprises, que la Belgique était dans son droit, en exigeant qu’elle fût replacée dans le statu quo où l’on se trouvait, lorsque la loi belge du 3 avril 1838, eu égard aux concessions faites par la France, a replacé la France dans le droit commun. Malheureusement, le gouvernement français n’admet pas ce point de départ ; je suis forcé de le déclarer de nouveau.

Si nous avions eu le droit d’être replacé dans le droit commun, nous aurions eu le droit de réclamer gratis de la France ce que nous avons été forcé d’acheter par la convention du 16 juillet. Si je fais ces observations, ce n’est pas pour insinuer que le gouvernement belge renoncera à faire des réclamations ; car il renouvellera ses réclamations ; mais c’est pour faire connaître exactement la position de la Belgique.

L’honorable membre insiste pour que les droits sur la soie à coudre soient élevés. Il suppose que cette question n’intéresse que nos relations avec la Suisse. C’est une erreur : qu’il jette un coup d’œil sur la page 77 de la statistique commerciale de 1843, et il verra que cette question intéresse aussi nos relations avec la France. En effet, tandis que la Suisse nous envoie de la soie à coudre et à broder pour 14,575 fr. et la Prusse pour 24,915 fr., la France en envoie pour 481,626 fr.

L’honorable membre me dispensera de démontrer combien cette question est délicate dans ce moment-ci. Il est évident que nous ne pouvons pas demander une concession à la France, et au même instant aggraver le tarif belge sur un article français. L’honorable membre doit donc approuver la réserve que nous gardons, au moins quant à présent.

L’année dernière, à peu près à la même époque, j’ai donné des explications extrêmement étendues sur les mesures prises jusque-là ou projetées dans les provinces où l’industrie linière a son siège principal. Depuis on a donné suite, avec une grande et louable activité, à toutes les mesures projetées ; j’ai communiqué des détails nombreux à la section centrale ; j’ai déposé des rapports sur le bureau ; je me propose même de résumer ces rapports et de les publier.

Je dirai seulement aujourd’hui que, dans la Flandre occidentale, on a organisé 72 comités locaux, et 51 dans la Flandre orientale ; on a également augmenté les sommes portées aux budgets provinciaux. Nous devons nous féliciter de ces mesures, où l’on peut voir, jusqu’à un certain point, une espèce d’organisation du travail ; l’honorable M. de Haerne vous a dit avec raison que c’est grâce à cette intervention de l’autorité publique que les agitateurs sont jusqu’à présent restés sans influence sur les populations. (Marques d’assentiment.)

M. Desmet – Messieurs, je me rallie aux observations de l’honorable M. de Haerne, en ce qui concerne les vexations douanières dont nous sommes l’objet, surtout de la part de la France.

Il n’est que trop vrai que l’amendement de Lespaul, la sévérité, ou pour mieux dire, la chicane de la douane française, par rapport aux nuances des toiles belges qu’elle fait passer pour des toiles blanches, tandis qu’elles sont parfaitement écrues, et la mesure prise par le département de la guerre de France, sont dirigés contre notre commerce de toiles. Je ne dirai que quelques mots sur ces vexations contre le commerce belge ; elles ont été suffisamment développées par l’honorable M. de Haerne.

Quand on lit la convention du 16 juillet, conclue avec la France, on croit réellement que c’est un privilège fait à la Belgique au détriment d’autres nations rivales de la Belgique pour le commerce des toiles ; mais il n’en est rien ; par suite de l’amendement de Lespaul, toutes les toiles de demi-fil, au lieu de payer 36 francs, payent 65 fr. les 100 kilogrammes. Le droit revient, en définitive, à 30 ou 40 p.c. ce sont surtout ces toiles dont la France a besoin : cette espèce de huit fils au quart de pouce, les six quarts qui se fabriquent particulièrement aux environs d’Audenarde, et qui sont toutes au fil à la main. Qu’arrive-t-il ? Il arrive que les toiles anglaises faites avec du lin filé à la mécanique, dont l’égalité mécanique donne la faculté de ne placer justement que huit fils dans les bornes du compte-fils, il arrive que dans ce cas la convention du 16 juillet n’est pas si favorable à la Belgique. J’attirerai donc l’attention du gouvernement sur la nécessité de réclamer auprès du gouvernement français le retrait de l’amendement de Lespaul, chaque fois qu’une occasion opportune s’en présentera, et comme la France a eu réellement d’importants avantages pour ses vins et ses soieries, il est très juste qu’elle exécute loyalement, de son côté, la convention de juillet, comme nous le faisons du nôtre.

Je dirai maintenant quelques mots sur le subside qu’on demande pour organiser le travail. Messieurs, ce subside a une grande portée non-seulement en faveur du travail linier proprement dit, mais en faveur du travail en général.

C’est d’après moi, un moyen d’atteindre en Belgique un grand but, celui d’extirper la mendicité. Je dis que l’on peut détruire chez nous cette lèpre des sociétés modernes, en faisant un emploi judicieux de ce subside, en faisant exécuter strictement les lois et en ayant une bonne police.

Je suis fâché que le ministre de la justice ne soit pas ici ; cet important objet concerne son département, et je serais curieux de connaître ses intentions.

Messieurs, on ne vous demande que du travail : les pauvres ouvriers ont droit de vous le demander ; vous devez et vous pouvez le leur donner. Le temps viendra, peut-être, où on vous demandera du pain sans travail. Que ferez-vous alors ? Je n’ose y penser sans frémir. Aujourd’hui, on se borne à vous demander du travail : hâtez-vous de le donner, vous en avez le moyen ; je ne peux pas assez vous le demander, et j’espère, pour l’amour de la paix, que je serai écouté.

Quelle est la cause qui produit le manque de travail ? La première cause est la concurrence des produits étrangers sur notre marché ; c’est le peu de protection que nous avons continuellement donné à notre marché intérieur, que nous avons laissé envahir par les produits étrangers.

La seconde cause consiste dans l’introduction des mécaniques, au détriment du travail des bras. Une chose qui mérite d’être sérieusement méditée, c’est que, plus la population augmente, plus aussi le nombre de mécaniques devient considérable. C’est un fait incontestable. Je n’examine pas si l’industrie a perdu ou gagné à ces mécaniques, mais le fait est que le travail des pauvres y a perdu, et que l’indigence en souffre.

Quelle est la cause de la décadence de l’industrie linière, qui était jadis à une si grande hauteur dans les Flandres ? C’est que cette industrie a perdu l’objet le plus important de son travail, qui est le filage à la main ; l’étranger, jaloux de la prospérité de notre fabrication et de notre commerce des toiles, a été fort satisfait quand il a vu la Belgique aveuglément se laisser prendre dans le piège du filage mécanique.

On a dit tout à l’heure à mes côtés que l’ancienne industrie linière est restée stationnaire ; mais il n’en est pas ainsi ; on ne sait point ce qui se passe ni ce qui se fait dans cette industrie ; il n’y a pas un point de cette industrie qui n’ait été atteint des progrès et des perfectionnements ; depuis la préparation de la terre où on sème le lin jusqu’à l’apprêt de la toile, tout a passé au burin de l’amélioration. Je ne citerai qu’une seule amélioration ; ce serait fatiguer la chambre que d’énumérer toutes celles qui ont eu lieu depuis quelques années ; mais elle est importante, et les Anglais les Westphaliens et les Silésiens ont été bien loin de cette intéressante invention. C’est le perfectionnement qui a été donné à l’ancien métier à tisser, par le tisserand Pareit. Ce modeste paysan, qui habite une commune rurale aux environs de Courtray, a tellement amélioré le métier qu’on peut faire usage de la navette volante, accélérer de beaucoup le tissage, et cependant fabriquer une toile très-solide ; il a ajouté à ce perfectionnement l’usage du peigne métallique, et de la manière qu’il en fait usage, les tisserands ne rencontrent plus l’inconvénient de la flexibilité du jonc dont les anciens peignes sont confectionnés, sans cependant couper ou détériorer la chaîne.

On a dit que nos ouvriers dans le lin sont stationnaires pour le teillage ; mais l’honorable membre, auquel je réponds, ignore probablement que les mécaniques à teiller sont connues depuis longtemps et qu’on les a abandonné surtout pour le teillage des lins fins, et cela par la raison que ce teillage au rouet enlevait trop de bonne fillasse, tandis que le bon teillage ne doit ôter que les particules de paille, et aussi que le teillage à la mécanique brisait les filaments de la filasse. Les connaisseurs et les apprêteurs de lin prennent tellement attention au bon teillage et à ce que la filasse ne soit pas brisée, que, dans la partie du pays de Waes, où on produit les lins les plus fins, comme à Zele, à Waesmunster, à Hamme, etc., ce sont les femmes qu’on emploie de préférence pour le teillage de ces lins fins, les hommes ayant le coup de teillage trop fort et détériorant plus la filasse.

Je reviens à mon objet, que je considère comme le plus important : c’est l’extirpation de la mendicité, c’est le travail, c’est le secours de l’indigence.

Messieurs, voyez combien le paupérisme fait de progrès. En 1839, il y avait, d’après la statistique officielle, 586 mille individus secourus par les bureaux de bienfaisance ; en 1842, ce nombre s’élevait à 700 mille. Ces progrès vous démontrent combien il est urgent de prendre des mesures pour tâcher d’extirper le paupérisme. Je n’ai parlé que des pauvres connus qui reçoivent des secours des bureaux de bienfaisance. Mais combien y en a-t-il qui ne se font pas connaître ? Si on tenait compte de ceux-là, on pourrait dire que le quart ou le tiers de la population est tombé dans le paupérisme.

Je me serais gardé de citer ce fait et de faire connaître cet état déplorable au public ; mais je ne crains pas de le faire, puisqu’il y a moyen d’y porter remède.

Oui, il y a des moyens nombreux d’extirper cette lèpre. On en est convaincu quand on considère ce qui est fait, je parle seulement des deux Flandres, par le clergé ; il ne s’occupe pas seulement d’entretenir la religion et la morale de l’humanité ; mais aussi d’augmenter son bien être physique en procurant du travail aux pauvres qui en manquent. Aujourd’hui, le clergé, dans une quantité de paroisses des deux Flandres, tâche de procurer du travail aux ouvriers pauvres. Je ne parle pas de l’industrie linière, car la concurrence anglaise, allemande et française a enlevé à la Belgique le monopole dont elle a joui longtemps, quant à cette industrie ; il faut donc qu’elle emploie l’activité de ses populations dans d’autres industries. On fait maintenant dans les Flandres des gants aussi bien qu’à Paris, et des applications de dentelles aussi bien qu’à Bruxelles.

On a entrepris tout espèce d’industrie pour donner du travail à ces ouvriers, auxquelles on veut donner du paix. Si le clergé peut faire autant sans subside, il est évident qu’avec un subside, on pourrait extirper la mendicité…

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – On le fait ; on donne des subsides !

M. Desmet – Que faut-il pour extirper la mendicité ? Qu’on puisse travailler. Bien souvent le travail manque. Au moyen de subsides du gouvernement, de la province et de la commune, réunis aux revenus des bureaux de bienfaisance et de souscriptions particulières, on pourrait assurer du travail à tout le monde et extirper la mendicité, ce qui rendra la Belgique l’objet de l’admiration du monde entier.

Allez dans quelques villages de la Flandre occidentale, vous en trouverez entre autres un dont le bourgmestre siège parmi nous, celui de Rumbeke, où il n’y a pas de mendiants ; tout le monde est aidé. L’honorable M. Rodenbach pourrait l’attester : dans cette commune de 6 mille âmes on (page 830) ne voit pas un pauvre, tandis que dans les environs d’Audenarde, on voit les pauvres par millier chaque jour se présenter chez les fermiers en mendiant ; et les fermiers sont obligés de donner à chacun un cents ou un tranche de pain, ce qui est très onéreux pour eux.

Je crois que les lois sont suffisantes pour réprimer la mendicité. Vous avez d’abord le Code pénal qui vous donne les moyens d’empêcher les pauvres de mendier hors de leur commune. Quand vous en serez arrivés là, la mendicité sera extirpée. Voilà l’avantage qu’il y a à empêcher de mendier hors de sa commune : c’est que l’on sait à qui l’on donne, tandis qu’on ne le sait pas quand le mendiant vient d’une commune étrangère. Je plains les villages qui sont à proximité des villes ; car, dans le temps de la moisson, les ouvriers des villes viennent marauder, piller les champs de pommes de terre. Jusqu’à présent, on n’a pris aucune mesure pour réprimer ce maraudage. Pour la chasse, c’est différent, la gendarmerie à cheval court à travers champs pour poursuivre un pauvre braconnier qui ne fait aucun dégât. Mais on ne fait pas attention à ceux qui viennent marauder, piller et détruire les champs des pauvres cultivateurs.

Je répète, en terminant, que les lois sont suffisantes pour réprimer la mendicité , la circonscrire dans la commune ; mais il faut en même temps appliquer une ancienne loi de vendémiaire an II, qui a pour objet de donner de l’ouvrage à ceux qui n’en ont pas ; car pour extirper la mendicité il faut donner de l’ouvrage aux pauvres.

Je finis en engageant fortement le gouvernement non-seulement à ne pas tarder à songer à prendre les mesures contre la mendicité, mais en même temps à suivre les vœux de la loi du 24 vendémiaire an II, où le gouvernement français a parfaitement jugé la mendicité, et a été convaincu que, pour pouvoir l’extirper et prendre un remède efficace à ce grand mal de la société, il fallait absolument procurer du travail à la classe pauvre : tout est dans le travail : qu’on le donne ! – J’ai dit.

M. Osy – A la session dernière, M. le ministre de l'intérieur avait proposé un projet de loi ayant pour objet de sanctionner l’arrêté de 1842 relatif à l’industrie lainière, aux tulles. Le président de la section centrale ne nous a pas convoquées, parce qu’il a appris que le gouvernement devait faire des modifications au projet présenté. Je désire que le gouvernement fasse connaître ses intentions, parce que les industriels ont besoin de savoir à quoi s’en tenir. Je prierai M. le ministre de nous dire s’il compte retirer le projet dont nous sommes saisis et en présence un autre ; et s’il se propose de faire convertir en loi l’arrêté pris le 13 octobre dernier, en vertu de la loi de 1822.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Dans quelques jours, le gouvernement présentera un projet de loi tendant à régulariser la position, tant en ce qui concerne l’arrêté du 14 juillet qu’en ce qui concerne celui du 13 octobre dernier. Le projet est prêt. Quant aux tulles, le gouvernement maintiendra les propositions telles qu’elles résultent de l’arrêté du 13 octobre. Quant aux tapis de poil de vache, le gouvernement croit devoir maintenir la réduction qu’il a proposée. A chambre en sera juge…

M. Osy – Je demande si la section centrale peut s’occuper du projet de loi dont elle est saisie.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’arrêté du 14 juillet est enchevêtré dans l’arrêté nouveau du 13 octobre 1844 ; de sorte qu’il est indispensable que le nouveau projet soit présenté. Il le sera dans peu de jours. La chambre décidera alors si le nouveau projet doit être renvoyé aux sections ou bien à la section centrale, déjà constituée.

M. Van Cutsem – Je ne croyais pas prendre la parole pour le moment, parce que je ne pouvais que répéter ce que mon honorable collègue et ami, M. de Haerne, vous a dit en faveur de l’industrie linière ; mais l’honorable M. Desmet ayant avancé que l’on mendiait impunément, qu’on poursuivait seulement les braconniers et les malfaiteurs de toute espèce, sans intenter aucune action répressive contre les mendiants, je n’ai pu laisser passer cette assertion, sans la combattre, parce qu’elle inculpait directement les différents officiers du parquet du pays, en les accusant de ne pas remplir les devoirs imposés à leurs fonctions. Je vous dirai donc, messieurs, que l’assertion de l’honorable M. Desmet est inexacte ; que, s’il avait songé un seul moment à l’état dans lequel se trouvent nos dépôts de mendicité, qui ne peuvent plus contenir les individus condamnés pour avoir mendié, il n’aurait pas reproché à la justice répressive de ne pas sévir contre cette espèce de délit.

Je tenais, messieurs, à vous faire cette observation, et puisque j’ai la parole, je demanderai à M. le ministre de l'intérieur, qui ne porte cette année que 180,000 fr. à son budget pour encouragements à l’industrie, si la réduction de 30,000 fr. sera opérée sur le crédit de 150,00 fr. voté au budget de 1844 pour l’industrie linière ? S’il en était ainsi, je me verrais obligé de proposer une majoration à ce chiffre du budget ; en effet, je ne pourrais admettre que l’on retranchât quelque chose d’une somme qui a mis nos ouvriers à même de s’occuper jusqu’aujourd’hui d’une industrie qui pendant nombre d’années leur a donné les moyens de pourvoir à leurs besoins et à ceux de leur famille ; je ne pourrais pas admettre une réduction qui nuirait à cette industrie, qui occupe tant de bras dans deux de nos plus belles provinces, alors surtout qu’on vient nous demander des millions pour des travaux à exécuter dans d’autres provinces que les Flandres qui, sur treize ou quatorze millions qu’on réclame, ne paraissent devoir obtenir que 235,000 francs.

Quand on a conçu l’idée d’enlever aux Flandres une partie du subside accordé à leur industrie linière, on a sans doute perdu de vue que l’agriculture, dont on commence à s’occuper dans cette enceinte, n’a pas plus puissant auxiliaire que cette industrie, que cette industrie a permis la division de la propriété en occupant pendant six mois de l’année les bras à l’agriculture, et pendant six autres mois à la filature et au tissage du fil de lin. Si ce fait n’avait pas été perdu de vue, on aurait senti qu’en conservant à l’industrie linière le subside réclamé pour elle, on favorisait aussi l’agriculture.

J’attendrai la réponse de M. le ministre de l'intérieur, me réservant de proposer un amendement qui puisse rendre aux Flandres le subside qu’elles se sont vu allouer au budget de 1844.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Si d’autres provinces réclament des chemins de fer, c’est qu’elles n’en ont pas et que les Flandres en ont. Elles ont joui à cet égard de la priorité.

Nous n’avons pas pensé que cette allocation dût être considérée comme permanente. L’année dernière, vous vous le rappellerez, la chambre elle-même a augmenté considérablement l’allocation qui jusque-là avait été portée au budget. Cette année, nous avons demandé une allocation semblable, mais en la réduisant toutefois de 30 mille fr. par la raison que les frais de premier établissement sont fait dans un grand nombre de localités. Nous avons pensé qu’avec 180 mille fr ? on pourrait face aux subsides.

La réduction frappe donc le chiffre entier.

M. Desmet – L’arrondissement de Courtray est très-heureux si le maraudage y est poursuivi et puni, car nous n’avons pas cet avantage aux environs de Bruxelles, où j’ai ma campagne ; car les ouvriers de Bruxelles viennent piller, marauder dans les champs de pommes de terre ; je n’ai jamais vu un gendarme s’occuper d’eux. Mais, pour la chasse, c’est différent : j’ai vu des gendarmes à cheval poursuivre un braconnier à travers des champs d’avoine et de pommes de terre. C’est sans doute dans l’intérêt de l’agriculture que ces gendarmes couraient ainsi dans les champs. Il faut pourtant qu’on fasse en sorte d’empêcher le maraudage. Si cela se fait dans l’arrondissement de Courtray, nous n’avons pas cet avantage dans nos environs.

M. Rodenbach – L’honorable député de Gand a expliqué son opinion sur les comités industriels, et je vois, par ces explications, que nous nous rapprochons.

J’ai également demandé la parole, parce que l’honorable député d’Audenarde a invoqué mon témoignage comme bourgmestre d’une commune de six mille âmes où la mendicité n’existe pas. Je dois dire que le fait est vrai ; mais ce n’est pas à moi qu’il faut l’attribuer ; c’est, grâce aux bureaux de bienfaisance et à notre ex-collègue M. Angillis, qui en était bourgmestre, et au clergé. C’est à cette triple action qu’on doit réellement l’extirpation de la mendicité dans la commune de Rumbeeke.

Je vais dire en peu de mots comment on est parvenu à empêcher la mendicité dans la commune de Rumbeeke.

Il y a dans la commune 16 sections. Chaque section a un chef qui perçoit mensuellement des dons volontaires. Hebdomadairement on fait une distribution de pain. Par ces mesures, par l’établissement de comités, en donnant du lin aux fileuses et en faisant tisser dans les ateliers, on est parvenu à empêcher la mendicité dans la commune. Mais ce n’est pas sans de grands efforts. Aussi la police fait tout ce qu’elle peut pour renvoyer les mendiants qui viennent des autres communes. Je le répète, ces résultats sont dus à la charité publique et à d’immenses efforts.

M. de Muelenaere – Je demanderai la permission d’ajouter une seule observation à celles présentées par l’honorable M. de Haerne.

J’apprends avec plaisir que le gouvernement se propose de renouveler les réclamations auprès de la France, sur les atteintes portées à notre commerce de toiles. Je crois que le gouvernement doit persister à demander le retrait de l’amendement de Lespaul. Mais il ne faut pas perdre de vue que cet amendement a été adopté par les chambres françaises, qu’il faut partie de la loi du 6 mai 1841. Dès lors, pour qu’il soit retiré, il faut le concours des trois branches du pouvoir législatif. Une pareille négociation est longue et difficile. Je ne pense pas que le gouvernement réussisse dans cette négociation, sans de grandes difficultés.

Ce qu’on pourrait obtenir immédiatement, ce serait une application moins sévère que celle qui a lieu en ce moment ; car il est de notoriété publique que chaque jour l’amendement de Lespaul est appliqué avec plus de sévérité aux négociants belges.

On vous a parlé de la question des blondines ; elle se présente sous un jour beaucoup plus avantageux. Là il ne s’agit pas d’un amendement adopté par le pouvoir législatif ; il ne s’agit pas d’une disposition nouvelle, mais d’une interprétation nouvelle donnée à une loi ancienne. Cette interprétation, il faut bien le reconnaître, a porté une atteinte mortelle à l’industrie de cette espèce de toile, et au statu quo dont jouissait la Belgique. Dès lors il dépend du gouvernement de revenir de cette interprétation. C’est parce que cette mesure est exclusivement dans les attributions du gouvernement français, que les efforts du gouvernement belge doivent porter principalement sur ce point : d’une part, interprétation plus saine des dispositions de la loi relative aux nuances ; d’autre part, atténuation de la rigueur avec laquelle on applique l’amendement de Lespaul.

Toutefois, je le répète, je crois que le gouvernement doit persister à demander le retrait pur et simple de cet amendement.

J’ai remarqué aussi que le chiffre proposé au budget semblait réduit indirectement de 30,000 francs. Si cette réduction devait porter sur le subside réparti entre les provinces pour l’industrie linière, je crois qu’on aurait choisi une époque assez malheureuse pour faire cette réduction.

Depuis quelque temps on a fait de grandes améliorations, de grands progrès. Ce n’est pas quand les effets de ces progrès commencent à se faire sentir, qu’on devrait diminuer la protection accordée jusqu’à présent à l’industrie linière.

(page 831) Toutefois, si le subside, tel qu’il a été réparti jusqu’à présent entre les diverses provinces, était maintenu, je n’insisterais pas pour qu’on maintînt les 30,000 fr. votés précédemment pour les écoles-manufactures. C’est des explications que donnera M. le ministre de l'intérieur, que dépendra mon vote.

Je regretterais beaucoup que l’on diminuât le subside accordé, en 1844, aux différentes provinces. Ces subsides sont entièrement absorbés ; on a beaucoup de peine à faire face, avec ce subside, à des besoins extrêmement urgents. Il serait regrettable que le subside accordé en 1845 ne fût pas au moins égal au subside accordé en 1844.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’honorable préopinant pense qu’il faut faire une distinction dans les chances de réussite vis-à-vis du gouvernement français, entre ce que l’on appelle l’amendement de Lespaul et la question des blondines. L’amendement de Lespaul (l’honorable membre l’a répété), forme une des dispositions de la loi du 6 mai 1841. Il a supposé que la manière d’apprécier les nuances était seulement une interprétation donnée par le gouvernement français. Ici sa mémoire l’a mal servi. Il est vrai, c’est l’ordonnance du 24 septembre 1840 qui, pour la première fois, a décidé de quelle manière on apprécierait les nuances. Malheureusement cette ordonnance a été confirmée par la même loi du 6 mai 1841, qui porte : « ne seront admis comme écrus que les toiles et lins qui n’auront reçu aucun degré de blanchiment, soit avant, soit après le tissage, et qui conserveront la couleur prononcée de l’écru. »

Ainsi, pour modifier l’une et l’autre disposition, il faut l’intervention législative.

J’ai reconnu qu’il y avait une réduction de 30,000 francs ; mais on pourra accorder les subsides nécessaires parce que certains frais de premier établissement ne sont plus à faire.

C’est en partant de là, que j’ai pensé que la réduction de 30,000 francs était possible, tout en permettant au gouvernement d’intervenir.

Veuillez remarquer la progression de ce chiffre. En 1843, il était de 85,000 francs. Vous l’avez porté à 180,000 fr., mais en déclarant que c’était un subside extraordinaire.

Au lieu de 180,00 fr., le gouvernement demande 150,000 fr. S’il est reconnu que le chiffre est insuffisant, il y aura lieu de demander un crédit supplémentaire . Mais je ne le crois pas.

M. de Haerne – Je croyais, comme les honorables préopinants, que le chiffre de 30,000 fr. qui avait été alloué l’année dernière pour les écoles-manufactures ne devait pas être porté sous le litt. B., qui concerne spécialement l’industrie linière ; J’en ai fait la remarque à plusieurs honorables collègues avant l’ouverture de la séance.

Je croyais que le chiffre de 150 ;000 fr. alloué l’année dernière à l’industrie linière, devait être maintenu, comme j’ai eu l’honneur de le dire en prenant la première fois la parole ; je crois même que ce chiffre est insuffisant. Si nous pouvions obtenir un chiffre plus élevé, nous pourrions l’utiliser, nous pourrions en tirer le meilleur parti.

Si une réduction était possible sur les écoles-manufactures, on ne pourrait en faire une sur la somme destinée à l’industrie linière.

M. le ministre de l'intérieur vient de dire qu’une réduction était possible, pour l’industrie linière, parce que les frais de premier établissement sont faits ; Mais en quoi consistent ces frais ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’envoi d’ustensiles.

M. de Haerne – Ce ne sont pas là des frais de premier établissement. Les frais de premier établissement sont les dépenses que l’on fait pour la création d’ateliers. Mais ces ateliers existaient. Pour les approprier à leur destination, il n’a pas fallu faire des frais, il a fallu monter des métiers qui sont à la disposition des tisserands.

Voilà ce que nous avons fait dans l’arrondissement de Courtray. Il y a un atelier, qui est à la campagne, mais qu’il n’en est pas moins utile à tout le pays. Il n’est pas destiné à la localité seulement ; il embrasse toutes les provinces. A cet égard, je pourrais invoquer le témoignage de plusieurs honorables membres appartenant à d’autres provinces, des honorables MM Osy et Zoude, qui pourraient affirmer que les tisserands d’Anvers et du Luxembourg on été envoyés dans l’arrondissement de Courtray pour y recevoir l’instruction nécessaire. (Marques d’assentiment de la part de MM. Osy et Zoude.)

Ceci fait voir, soit dit en passant, que nous travaillons pour tout le pays, et que tout le pays doit s’intéresser à nos travaux.

Nous n’avons pas fait 1 fr. de dépense pour monter les ateliers. Toute la dépense a consisté en ustensiles pour le filage, le numérotage et pour la fabrication de la toile, de même que pour l’érection des magasins de lin et de fil. Ainsi il n’y a pas de frais de premier établissement.

Si vous entendez par frais de premier établissement les dépenses d’ustensiles, je dis que ces frais augmentent à mesure qu’on voit les bons résultats des moyens qui ont été employés. Tous les jours, il y a de nouvelles demandes. Nous sommes débordés, depuis que nous avons obtenu un succès éclatant qui a eu du retentissement dans le pays. Nous avons établi 250 métiers à la Pareit dans le seul arrondissement de Courtray : tous sont en activité, et les tisserands qui les emploient nous avouent qu’ils peuvent gagner la vie. Voilà des faits qui parlent assez haut !

Ainsi, il n’y a pas lieu de réduire le chiffre pour l’industrie linière. Il faudrait, au contraire, le majorer, si l’état de nos finances le permettait.

J’admettrais une réduction pour les écoles manufactures, si on la croit possible. Voici pourquoi : vous savez que, parmi les écoles manufactures, il y en a beaucoup pour l’industrie dentellière. Je crois que le gouvernement ne recevra plus autant que par le passé de demandes de particuliers ou des communes, pour obtenir la création de ces écoles. En voici la raison : c’est que, malheureusement, la dentelle, surtout la dentelle commune, n’est plus demandée autant qu’il y a quelques années. Il y a une baisse. Comme c’est dans ces écoles qu’on fait la dentelle commune, on regrette d’en avoir tant établi.

Cependant, je crois que des fonds seront nécessaires pour établir des écoles dans quelques communes qui en ont conçu le projet, et dans quelques autres pour soutenir celles qui ont été établies.

D’un autre côté, je dis que, comme l’année dernière, un fonds spécial est encore nécessaire de ce chef, parce que je crois qu’on peut introduite dans la fabrication de la dentelle de grandes améliorations. Je crois, messieurs, que tel doit être dorénavant le but principal du gouvernement en érigeant des écoles-manufacures pour les dentelles ; il doit avoir beaucoup plus en vue de perfectionner la fabrication que de l’étendre. Je crois que cette fabrication est assez étendue, que peut-être même elle l’est trop, surtout à la campagne, et que c’est de la grande quantité de produits que provient en partie la décadence partielle qu’on éprouve depuis quelque temps.

Il faut donc perfectionner, ce qui serait possible, au moyen de primes.

Ces perfectionnements peuvent être obtenus de plus d’une manière, par exemple par de bonnes institutrices ; mais il faut consulter les personnes pratiques à cet égard. Je traiterai seulement un point. Dans le temps, le gouvernement a adressé aux administrations communales, dans les endroits où existent des écoles-manufactures de ce genre, certaines questions relatives aux améliorations possibles dans cette fabrication, et parmi ces questions on trouvait celle-ci, si je me le rappelle bien : Y aurait-il moyen de réintroduire le fil de lin dans la fabrication de la dentelle ?

Je ne sais, messieurs, de quelle manière il a été répondu à cette question, mais elle est très-grave et elle pourrait peut-être recevoir une solution durable. Et ceci, messieurs, aurait une grande portée pour le pays ; car non-seulement vous perfectionneriez par là l’industrie dentellière, mais vous donneriez un nouvel essor à l’industrie linière elle-même. Car ce fil qui de lin se ferait dans le pays, et nous avons des fileuses assez habiles pour fabriquer le fil de mulquinerie dont nous aurions besoin pour la dentelle.

Je dis, messieurs, qu’il est de la plus grande importance de perfectionner l’industrie dentellière, et voici pour quelles raisons. Vous savez que dans ce moment une quantité de dentelles se fabriquent avec le fil de coton. Je ne veux pas dire que toutes les dentelles se fabriquent avec ce fil de coton. S’il en était ainsi, cela pourrait nous fait tort à l’étranger.

Savez-vous, messieurs, ce qui a résulté de l’emploi du coton pour la dentelle ? C’est qu’au bout de quelques mois, la dentelle ainsi fabriquée n’a plus de fraîcheur, qu’elle jaunit et qu’elle perd en grande partie de sa valeur. Si, par un malheur qui peut arriver, et dont nous sommes menacés l’un ou l’autre jour, nos produits étaient délaissés pendant un an ou même pendant six mois, les dentelles fabriquées perdraient la moitié de leur valeur, et il en résulterait une crise épouvantable. Tout le commerce de la dentelle serait ruiné.

C’est un point sur lequel j’appelle l’attention de la chambre. Il est important d’introduire tous les perfectionnements possibles dans la fabrication de la dentelle.

S’il était possible, messieurs, d’introduire généralement le fin de lin dans la fabrication de la dentelle, on rendrait un immense service au pays ; je crois que l’on pourrais atteindre ce but au moyen des écoles manufactures. Il est certain que si la chose est probable, c’est par là qu’on devrait commencer. Telle est l’opinion de toutes les personnes compétentes que j’ai consultées sur ce point.

Vous voyez donc, messieurs, qu’il ne peut s’agir d’abandonner les écoles-manufactures et de confondre le crédit accordé l’année dernière pour ces écoles, avec celui qui figure au littéra B pour l’industrie linière. Je crois qu’il faut conserver un chiffre spécial pour les écoles-manufactures. Si l’on veut absolument une réduction, je ne m’opposerai pas cependant formellement à ce qu’on réduise légèrement le chiffre ; peut-être pourrait-on le réduire de 30,000 à 20,000 fr. Il va sans dire que je préfère trente mille à vingt mille ; mon intention est de connaître l’opinion de la chambre et de faire voir que si elle veut réduire le chiffre de l’an dernier, cette réduction ne peut, en aucun cas, tomber sur l’industrie linière. Mais si, après avoir accordé pendant plus d’une année, pour la dentelle, une somme de 30,000 fr., vous la supprimez de suite entièrement ; si vous retranchiez immédiatement ce subside, vous occasionneriez une grande perturbation et beaucoup de désappointement ; car, dans beaucoup d’endroits, d’après les précédents de la chambre et du gouvernement, on a compté sur la continuation du subside spécial pour l’érection ou le soutien d’écoles-manufactures.

Je proposerai donc, par amendement, de rétablir un chiffre spécial pour les écoles-manufactures, et de le fixer à 30,000 fr.

J’espère que la chambre adoptera ce chiffre, d’après les considérations que j’ai eu l’honneur de lui présenter, et que, si elle veut le réduire, la réduction ne sera pas importante ; car, en réalité, elle ne peut pas l’être.

Messieurs, je vous présenterai encore quelques observations qui vous prouveront qu’il est impossible de réduire le subside que vous avez accordé l’année précédente en faveur de l’industrie linière.

Je ne parlerai pas de l’effet moral qui résulterait d’une réduction quelconque ; vous pouvez le comprendre. Je vous dirai que nous n’avons fait que commencer à résoudre la grande question du jour : celle de l’organisation du travail.

Nous avons sans doute fait un grand pas en faveur de l’industrie linière au moyen des subsides qui on été accordés par le gouvernement. Nous avons produit un bien immense, et j’ai la conviction que les établissements que nous avons érigés ont servi de modèle à des établissements semblables (page 832) dans d’autres pays. En Allemagne, on aussi érigé des comités pour l’industrie linière et on les a érigés à l’instar de ceux de la Belgique. C’est un fait, messieurs, que je tiens de personnes compétentes, de personnes qui résident sur les lieux

Cependant, messieurs, je dis que tout n’a pas été fait pour l’industrie linière, et qu’il y a encore beaucoup d’améliorations à introduire dans le travail de nos comités. Si vous me le permettez, je vous traduirai un passage d’une brochure imprimée à Berlin et qui concerne cette belle industrie.

Vous verrez avec quelle attention, avec quelle sollicitude, les gouvernements allemands s’occupent de cette grande question, qui est tout aussi grave pour eux que l’est pour nous.

Je trouve dans cette brochure une série de mesures propres à diminuer la crise qu’éprouve l’industrie linière allemande.

D’abord il y est question de l’érection d’écoles de filage, et c’est là la première mesure nécessaire. En Belgique on a érigé quelques écoles de filage ; il y a même des écoles-modèles ; mais je crois qu’à cet égard nous ne sommes qu’au début de cette carrière, nous avons seulement commencé. Ceci vous prouve que le subside, loin d’être trop élevé, est insuffisant.

On parle, en second lieu, dans cette brochure, de l’estampillage ; et remarquez, messieurs, que la mesure de l’estampillage pour les bonnes toiles est déjà introduite en Bavière.

Messieurs, quand je parle d’estampille, je ne veux pas soutenir qu’il faut une estampille d’office apposée par le gouvernement. Telle n’est pas ma pensée. Je sais toutes les difficultés qui se rattachent à cette question. Mais je voudrais une estampille facultative, qui serait apposée par les comités. Si, messieurs, le gouvernement voulait, par quelques instructions, venir au secours des comités, s’il voulait stimuler les autorités communales, je suis persuadé que cette estampille serait introduite, et elle serait accueillie avec acclamations.

Cette estampille, messieurs, serait propre à faire voir la bonne qualité de la toile et surtout à établir la distinction entre les toiles fabriquées avec le fil mécanique et les toiles fabriquées avec le fil à la main. Telle est aussi le but qu’on se propose en Allemagne, où l’on reconnaît, comme en Belgique en France, en Espagne, et en Angleterre même, toute la supériorité de la toile en fil à la main.

Dans cette brochure on donne des règles en ce qui concerne le blanchiment des toiles, que l’on détériore singulièrement, par l’emploi du chlore et d’autres procédés chimiques.

Jusqu’ici, messieurs, nous n’avons pas exporté de grande quantité de toiles au-delà des mers. Cependant, j’ai vu avec plaisir que nos exportations dans l’île de Cuba commençaient à prendre une certaine extension ; elles se sont élevées, à ce que je crois, à 600,000 fr. en 1843. Cette exportation est déjà assez considérable, messieurs ; et elle vous fait voir que nous pourrions trouver d’excellents débouchés pour nos toiles dans les pays transatlantiques. En ce qui concerne l’île de Cuba, je crois que s’il était possible de négocier un traité de commerce avec l’Espagne, un traité qui nous accordât un avantage sur l’Angleterre, nous pourrions exporter nos toiles non-seulement dans ce pays, mais aussi dans ses colonies, et nous pourrions trouver là un débouché immense. J’en dirais autant des Etats-Unis et du Brésil, avec lesquels nous avons des chances à contracter, si nos affaires sont bien conduites.

Pardonnez-moi, messieurs, cette digression à laquelle j’ai été conduit par un passage de la brochure dont je viens de vous parler, passage qui fait voir que les débouchés transatlantiques sont très-importants pour l’Allemagne, en ce qui concerne l’exportation de ses toiles.

Messieurs, je me suis permis de vous citer quelques passages de cette brochure, pour vous faire voir que ce n’est pas seulement en Belgique qu’on songé sérieusement à remonter l’ancienne industrie linière, à la mettre à même de lutter contre les capitaux engagés dans l’industrie mécanique, en organisant ce travail par des comités ; ce n’est pas seulement en Belgique, dis-je, qu’on s’occupe de cette question, mais dans d’autres pays aussi, et notamment en Allemagne, où l’on envisage cette question comme très-grave et comme se rattachant à l’existence même de la classe ouvrière.

Messieurs, je voudrais aussi qu’il y eût des inspecteurs pour mettre de l’ensemble dans les comités. Il est vrai qu’aujourd’hui les comités sont astreints à des correspondances et à des comptes qu’ils rendent aux députations permanentes. Mais cela ne suffit pas.

Vous n’ignorez pas qu’à la campagne et même dans quelques villes, on ne fait rien par les écritures ; le choses doivent s’y traiter verbalement ; c’est pour cela que je pense qu’un inspecteur, par province, pourrait rendre les plus grands services. Ces inspecteurs se rendraient dans les diverses localités, prendraient des informations sur les opérations des comités, rédigeraient des rapports qu’ils adresseraient à l’autorité compétente, puis se rendraient dans les autres endroits pour donner communication de ces rapports, pour y faire voir les améliorations qu’on a réalisées ailleurs. C’est ainsi que le bien partiel qui se fait dans tel ou tel endroit pourrait se généraliser et que chaque comité spécial pourrait profiter des observations, des expériences faites par les autres comités.

Ainsi, je vous dirai qu’il y a des comités qui ont fait un usage si admirable des subsides qui leur ont été confiés par le gouvernement, qu’ils n’en ont pas fait comme on dit, usage à fonds perdu, mais qu’ils les ont placés comme capitaux, de manière qu’ils restent encore en possessions de toutes les sommes qui leur ont été allouées par le gouvernement depuis quelques années. Il est vrai que ces comités sont en petit nombre.

Mais je vous prie de bien remarquer que si la chose est possible en quelques endroits, elle peut devenir possible dans d’autres endroits. J’appelle l’attention de la chambre sur ce point. Puisqu’on veut pouvoir se débarrasser un jour de subside, ce serait là un moyen d’atteindre ce but au bout de quelques années, car enfin, si au moyen d’instructions données aux comités on parvenait à les mettre à même de réaliser un capital, dans quelques années, ils n’auraient plus besoin de demander des subsides ; ils pourraient continuer leurs opérations, a moyen du capital qu’ils auraient acquis.

Je crois que le gouvernement pourrait faire encore beaucoup de bien en stimulant les comités et les autorités communales, en leur faisant comprendre toute l’utilité d’un fonds spécial alloué, soit par les bureaux de bienfaisance, soit par les communes. Certainement les communes font des sacrifices, mais elles pourraient quelquefois en faire davantage, et si le gouvernement intervenait, je crois, qu’elles montreraient beaucoup plus d’empressement, et que les comités pourraient travailler avec des fonds beaucoup plus considérables. Il faudrait aussi, je pense, répartir le subside d’après le concours des provinces et des communes.

Vous voyez, messieurs, qu’il y a beaucoup à faire encore, sous le rapport du développement des opérations des comités, avant qu’ils répondent tous également à leur but, et qu’il ne peut pas être question, de réduire de quoi que ce soit le chiffre alloué précédemment : ce chiffre, je le répète, devrait bien plutôt être augmenté. Je n’insisterai pas pour obtenir une augmentation, mais les observations que j’ai présentées démontrent, je pense, la nécessité de maintenir la somme votée l’année dernière.

Il me reste un mot à répondre à M. le ministre de l'intérieur, relativement à nos relations avec la France. M. le ministre nous a dit, messieurs, que j’avais semblé admettre que les lois votées en France en 1836, et en Belgique en 1838, formaient une espèce de traité entre les deux pays. Telle n’a pas été ma pensée ; je sais fort bien qu’il n’y a d’autre traité entre la Belgique et la France, que la convention du 16 juillet ; mais j’ai voté les lois dont je viens de parler, pour faire voir quelles sont les concessions faite par nous à la France et pour faire voir en même temps que la France, de son côté, a retiré successivement les avantages qu’elle nous avait accordés. Il s’agit, messieurs, d’une question d’équité ; mais je sais très-bien que, pour appuyer nos réclamations, nous avons les armes que j’ai signalées : l’arrêté du 13 octobre. Il est également vrai que la France n’est pas, à cet égard, dans les mêmes conditions où elle était avant le traité du 1er septembre, et que nos droits ayant été évidemment lésés, nous devons les faire rétablir.

C’est ainsi, messieurs, qu’en joignant les débouchés à la bonne organisation du travail, nous pourrons espérer de voir revivre cette belle et grande industrie linière, qui a fait jadis la prospérité et la gloire de la Belgique, et qui, malgré l’état de décadence où elle se trouve réduite, est encore la première industrie du pays.

M. de Roo – D’après ce que M. le ministre de l'intérieur a répondu à l’honorable M. de Haerne, il semblerait qu’il y ait peu de chances de voir améliorer la convention du 16 juillet, si même cette convention est maintenue. Cependant, les Flandres nourrissent le même espoir d’obtenir des améliorations à cette convention.

Comme vient de le dire l’honorable préopinant, nous donnons beaucoup à la France, pour recevoir très-peu de chose. Ce que la France nous accorde d’une main, elle nous le retire de l’autre, et si elle va ainsi d’amendement en amendement, d’interprétation et interprétation, bientôt il ne restera plus rien de la convention du 16 juillet.

Avec le droit que payent nos toiles, et qui s’élève à 26 p.c., il est impossible, messieurs, qu’elles puissent soutenir la concurrence des toiles étrangères et surtout de celles de France sur le marché français. Si la convention du 16 juillet reste ce qu’elle est, et, si les céréales et le lin continuent à se vendre aux prix actuels, alors ces industries pourront peut-être gagner de quoi se procurer le strict nécessaire ; mais si, comme la chose est probable, le prix du lin augmente l’année prochaine, elles seront réduites à la misère. Je dis qu’il est probable que le prix du lin augmente ; en effet, messieurs, il arrive peu de grains de la Baltique, et elle est fort chère ; on en sèmera donc très-peu ; d’un autre côté, la fraude s’y mettra, on vendra beaucoup de graines de lin de mauvaise qualité ; il en résultera que la récolte sera tout à fait défavorable.

Je crois, messieurs, que le seul moyen de prévenir des désastres, c’est d’accorder un fort subside et non pas de réduire de 30,000 fr. comme on paraît vouloir le faire, celui qui a été accordé l’année dernière. Je crois qu’il faudrait bien plutôt porter à 200,000 fr., le subside accordé à l’industrie linière. Ce serait le seul moyen de prévenir les fâcheux résultats du paupérisme et de la fainéantise forcée.

Je ne prolongerai pas davantage cette discussion qui a déjà été assez longue. Je terminerai pas une seule observation. On se plaint généralement de ce que les subsides du gouvernement n’arrivent pas en temps utile dans les communes où les comités existent. Cela paralyse l’action des comités ; ils ne peuvent employer les fonds au moment où cet emploi serait le plus utile ; ils ne peuvent pas acheter du lin lorsque les prix ou les qualités sont les plus favorables, et il en résulte que les meilleurs lins sont souvent emportés par l’étranger. Je ne veux pas dire que les subsides que nous accordons sont suffisants pour couvrir les dépenses des comités ; mais à ces subsides viennent se joindre ceux des communes, des provinces et des particuliers, et c’est ainsi que la somme donnée par le gouvernement se trouve quadruplée, quintuplée. C’est au moyen de tous ces subsides réunis que les comités parviennent (page 833) à acheter ce qui est nécessaire pour donner du travail à la population.

D’un autre côté, les subsides du gouvernement sont destinés à améliorer les métiers, et sous ce rapport encore, il est indispensable, qu’ils soient mis le plus tôt possible à la disposition des comités car lorsqu’un artisan s’est procuré un métier défectueux, il est difficile qu’il le remplace plus tard, lorsque son ouvrage est commencé, au moyen même des encouragements qui lui sont offerts ; il faut donc que ces encouragements puissent lui être donnés au moment même où il se trouve dans la nécessité de faire l’acquisition d’un métier, et avant d’entamer son ouvrage.

Je demande donc à M. le ministre de l'intérieur qu’il veuille bien, aussitôt que le subside sera voté, en ordonner la distribution au communes et aux comités auxquels il est destiné, s’il veut que le subside atteigne son but.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est une erreur de supposer que les gouvernement distribue lui-même les subsides entre les différentes communes. Une somme totale est mise à la disposition des députations, qui distribuent cette somme avec les subsides des provinces. Je veillerai à ce que, cette année, les sommes dont il s’agit, soient mises à la disposition des deux Flandres, immédiatement après le vote du budget.

M. le président – Voici un amendement déposé par MM. de Haerne et Van Cutsem.

« Nous avons l’honneur de proposer de remplacer le chiffre de 180,000 francs porté à l’article 1er du chapitre XVIII, par celui de 210,000 francs sur lesquels 150,000 francs seront pris pour encourager l’industrie linière. »

M. de Muelenaere – Messieurs, vous savez tous que les toiles blanchies sont frappées d’un droit beaucoup plus élevé que les toiles écrues ; dès lors il fallait prendre des dispositions pour empêcher la fraude. Une ordonnance du 24 septembre 1840 avait arrêté quelques dispositions relatives aux nuances des toiles écrues. Ainsi que l’a fait observer tout à l’heure M. le ministre de l'intérieur, cette ordonnance du 24 septembre 1840 a donné lieu à une disposition qui a été insérée dans la loi du 6 mai 1841. Voici ce que porte cette disposition : « Ne seront admis comme écrus que les toiles et les linges qui n’ont reçu aucun degré de blanchiment soit avant soit après le tissage. » Il ne reste pas moins vrai que la surtaxe imposée aux blondines est uniquement la suite de l’interprétation erronée de la loi.

En effet, la disposition que je viens de citer a été dictée par le désir de favoriser l’industrie du blanchiment. Le texte de la disposition le prouve à l’évidence. Eh bien, messieurs, les blondines n’ont reçu aucune espèce de blanchiment ni avant ni après le tissage ; la couleur jaunâtre des blondines provient, si je ne me trompe, ou de la nature du lin ou d’un mode particulier de rouissage. Or, il est évident que le rouissage ne peut pas être considéré comme un blanchiment ; s’il pouvait être considéré comme un blanchiment, il n’y aurait plus de toiles écrues. Vous savez tous, messieurs, qu’il est impossible de faire emploi du lin sans qu’il ait subi préalablement le rouissage. Dès lors, le rouissage ne peut jamais être considéré comme un moyen direct ou indirect de blanchiment ; c’est une opération préliminaire sans laquelle le lin ne saurait être employé.

Il est donc vrai que c’est par suite d’une fausse interprétation de la loi, que les blondines sont frappées de cette surtaxe, et dès lors il me semble que nos réclamations relativement à cet objet ont plus de chances d’être promptement admises. Je recommande donc ce point à l’attention particulière du gouvernement, pare que réellement cette mesure me semble injuste, et qu’elle porte un très-grand préjudice à notre commerce de toile.

M. de Naeyer – Messieurs, j’ai appuyé l’amendement de l’honorable M. de Haerne, cependant je ne voudrais pas l’adopter en ce sens qu’il y aurait réduction du crédit accordé aux écoles-manufactures. L’année dernière, le crédit affecté aux écoles-manufactures était de 30,00 francs. Si j’ai bien compris le libellé de l’amendement de l’honorable M. de Haerne, il en résulterait que le crédit ne serait plus que de 20,000 fr. Je ne pourrais me rallier à cette réduction. Les écoles dont il s’agit sont éminemment utiles, elles rendent les plus grands services ; elles ont donc pour objet d’enseigner le travail aux enfants de la classe pauvre, de leur apprendre à se suffire à eux-mêmes sans être à la charge de la société. Je considère donc ces sortes d’institutions comme un des moyens les plus puissants et les plus efficaces pour arrêter les progrès, et arriver même à l’extirpation du paupérisme ; elles ont pour résultat d’attaquer le mal à sa source, car si l’on veut travailler sérieusement à anéantir la mendicité, il faut empêcher surtout que les enfants n’apprennent à mendier ; une fois qu’ils auront contracté cette funeste habitude, le mal sera presque toujours sans remède ; ils resteront mendiants pendant toute la vie, et les efforts qu’on pourra faire plus tard pour en faire des citoyens laborieux et utiles à la société, seront presque toujours vains et illusoires.

Un autre avantage, qui résulte des écoles-manufactures, c’est que ces écoles popularisent l’instruction dans les campagnes. On parvient avec la plus grande difficulté, dans les campagnes, à déterminer les pauvres à envoyer leurs enfants à l’école primaire proprement dite ; mais toutes les résistances disparaissent lorsqu’il s’agit d’écoles-manufactures, parce qu’elles offrent l’appât d’un gain, l’espoir d’obtenir un salaire, une rémunération du travail qui y est enseigné. Or, dans ces sortes d’établissements on s’attache, en outre, à inculquer aux enfants les notions élémentaires de l’instruction primaire, de manière que les écoles-manufactures ne servent pas seulement à préserver les enfants pauvres de la mendicité, mais encore à extirper l’ignorance, cette autre source malheureusement trop féconde d’immoralité.

L’honorable M. de Haerne pense que les besoins de ces écoles ne sont plus aussi grands, parce que les dentelles qu’on y fabrique, se vendraient aujourd’hui plus difficilement.

Je ferai remarquer à l’honorable préopinant que les écoles dentellières que je connais, sont dans une voie de prospérité, et qu’elles ne rencontrent pas de difficultés pour le placement de leurs produits. D’ailleurs, les écoles-manufactures, dont il convient d’encourager la création et le développement, ne sont pas seulement destinées à la favorisation de dentelles, on s’y occupe encore de la fabrication de gants et d’autres ouvrages manuels.

Si je suis bien informé, M. le ministre de l'intérieur a fait prendre des renseignements sur toutes les petites industries qui pourraient être introduites dans nos écoles-manufactures, et il paraît qu’on peut ranger dans ce nombre la fabrication de chapeaux de paille qu’on a commencé à exploiter avec succès dans le Luxembourg, si je ne me trompe pas. Je pense que cette idée de M. le ministre de l'intérieur est très-heureuse. J’espère qu’il en poursuivra l’exécution avec zèle et activité : elle pourra produire les meilleurs résultats.

Toutes ces considérations me déterminent à croire qu’il est impossible de réduire le crédit alloué l’année dernière pour les écoles-manufactures ; j’espère, et j’ai même la conviction que les demandes de subsides, loin de diminuer, iront en augmentant. Ainsi, dans l’arrondissement d’Alost, que je connais plus particulièrement, il n’existe encore qu’un petit nombre d’établissements de ce genre. Je suis certain qu’il y a encore beaucoup d’autres projets qu’on cherchera à mettre à exécution ; j’espère que l’exemple du bien sera contagieux. Il y a quelques institutions qui ont été érigées depuis peu de temps, par des prêtres charitables, et qui sont très-convenablement organisées et dirigées. Les avantages considérables qui en résultent, encourageront d’autres personnes à doter d’autres communes du même bienfait, et il serait vraiment à regretter que le gouvernement ne fût pas à même de seconder efficacement ces projets inspirés par le plus beau et le plus pur dévouement, et dont l’exécution doit contribuer puissamment à soulager les souffrances de la classe indigente.

En résumé, je voterai pour l’amendement de l’honorable M. de Haerne, à condition toutefois que le libellé soit modifié de manière que la somme affectée aux écoles-manufactures ne subisse aucune réduction.

M. Desmaisières – Messieurs, avec l’honorable M. Desmet, mon collègue et mon co-fondateur de l’association pour l’encouragement de l’ancienne industrie linière, j’ai toujours pensé, et je pense encore, que cette industrie s’est toujours maintenue dans la voie du progrès. Cela est tellement vrai que ses produits ont toujours été placés au-dessus de ceux de l’industrie linière de toutes les autres nations. Mais je crois aussi, avec l’honorable M. Kervyn, que les honorables MM. Desmet et Rodenbach me paraissent avoir mal compris ; je crois, dis-je, que l’ancienne industrie linière doit aujourd’hui non-seulement continuer, mais encore redoubler de zèle et d’activité dans la voie du perfectionnement et du progrès.

Aussi longtemps que l’ancienne industrie linière est restée seule, les Flandres ont tenu entre leurs mains, en quelque sorte, le sceptre de cette belle et grande industrie ; et pourquoi ? Parce que, pour la pratiquer avec succès, il fallait une population aussi morale, aussi industrieuse, aussi assidue au travail que nos populations flamandes. Mais il n’en est pas de même de la nouvelle industrie linière ; c’est là une industrie de grande fabrique, qui s’exerce principalement dans les villes, et c’est pourquoi l’ancienne industrie linière, si elle ne veut pas se voir ravir le travail des campagnes, au profit des villes, doit nécessairement continuer à marcher dans la voie du progrès et du perfectionnement. Elle doit, tout en conservant à ses produits les bonnes qualités qui leur sont propres, chercher à en obtenir d’autres, telle que l’égalité des fils que l’industrie mécanique réussit à donner aux tissus qu’elle produit.

Sans doute, les toiles de l’ancienne industrie linière sont, en somme, aujourd’hui encore tellement préférées, à raison de leur solidité et de leur bon marché, relativement à leur solidité, qu’en Amérique on donne 5 fr. pour les toiles belges faites avec du fil filé à la main, tandis qu’on paye seulement 3 fr. pour les toiles anglaises de même espèce faites avec du fil filé à la mécanique.

Je l’ai toujours dit, et notamment dans le rapport que j’ai eu l’honneur de faire à la chambre en 1834 sur l’industrie linière, l’ancienne industrie n’est pas heureusement destinée à périr, quoique la nouvelle soit, elle aussi, destinée à acquérir une très-grande prospérité. Les produits des deux industries différent par leur qualité et s’adressent aussi à des consommateurs différents ; dès lors, les deux industries peuvent vivre ensemble ; cela est prouvé aujourd’hui par les faits.

S’il est vrai que l’ancienne industrie linière, pour reconquérir une grande partie de son ancienne prospérité, a besoin de se tenir constamment dans la voie du progrès et du perfectionnement, vous devez avouez, messieurs, que le moment n’est pas venu encore de diminuer les subsides que la législation a cru devoir accorder à cette industrie, qui, il ne faut pas l’oublier, a toujours été considérée comme la première de toutes nos industries nationales.

Je désirerai donc que le gouvernement se ralliât à la proposition de l’honorable M. de Haerne, avec le sous-amendement de l’honorable M. de Naeyer. Il est vrai que M. le ministre de l'intérieur nous a dit que, le cas échéant, il se proposait de demander un crédit supplémentaire ;, si le subside de 150,000 fr., réduit à 120,00 fr., quand on en déduit 30,000 francs pour les écoles-manufactures, venait à être reconnu insuffisant. Mais un crédit supplémentaire est une chose précaire. D’ailleurs, la session ne peut pas durer très-longtemps et il pourrait très-bien se faire que le crédit supplémentaire ne pût être voté qu’à une époque où il ne pourrait plus produire les effets que l’on est en droit d’en attendre aujourd’hui.

M. le ministre de l'intérieur vous a dit que le crédit accordé pour la première fois en 1844 devait être diminué pour 1845, parce qu’il n’y avait plus à (page 834) pourvoir à autant de dépenses de premier établissement pour les comités industriels. Mais je dois faire remarquer, en ce qui concerne la Flandre orientale, que c’est seulement à partir du 25 mars 1844, qu’on a pu songer à l’établissement de ces comtés industriels. C’est même là ce qui explique pourquoi il n’y a eu, pendant l’année 1844, que 51 comités industriels organisés dans la Flandre orientale, tandis qu’il y en a eu 72 dans la Flandre occidentale. Pour cette dernière province, l’arrêté royal d’approbation du règlement proposé par le conseil provincial est daté, je crois, du mois d’août 1843, au lieu que l’arrêté instituant le comité central de la Flandre orientale, comité qui est chargé d’organiser les comités industriels, a été signé seulement sous la date du 25 mars 1844..

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est exact.

M. Desmaisières – Aussi, sous ce rapport, la Flandre orientale se trouve en arrière de la Flandre occidentale.

Messieurs, nous avons dans la Flandre orientale plusieurs comités organisés, en vertu du nouveau règlement, et qui déjà sont en pleine activité. Ces comités ont déjà produit les meilleurs résultats. Nous en avons d’autres qui ont succédé aux comités institués par l’association de l’industrie linière et qui, dès lors, ont pu produire plus tôt de bons effets à l’égard de la mendicité. Je pourrais citer plusieurs communes, et entre autres celles d’Aeltre, où l’on a réussi, avec tant de bonheur, qu’à l’heure qu’il est il ne s’y trouve plus un seul mendiant.

Vous voyez donc de quelle utilité est le subside dont il s’agit en ce moment. Ce ne sont pas des aumônes, c’est du travail que vous donnez, que vous substituez à l’aumône ; vous parviendrez ainsi à faire disparaître de nos contrées, la mendicité, le paupérisme, cette lèpre de nos sociétés modernes.

Je crois donc devoir appuyer de toutes mes forces la majoration de crédit qui vous est demandée.

M. de Garcia – Messieurs, autant que qui que ce soit, j’appuierai toujours les mesures qui peuvent donner du travail à la classe ouvrière ; je dois déclarer pourtant que celle qui fait l’objet du chapitre XVIII du budget de l’intérieur n’a jamais eu mes sympathies : à mes yeux, une industrie qui ne vit que de l’argent qu’on lui donne ne peut être considérée comme une industrie destinée à prospérer, comme une industrie utile et de nature à enrichir une nation. Toutefois, si au moyen de ce subside on parvient à conserver l’industrie linière, je serai charmé de m’être trompé, et je me féliciterai d’avoir voté ce subside, pourvu qu’il ne devienne point permanent et qu’il aille décroissant jusqu’à sa réduction absolue. La marche qu’on semble vouloir donner aujourd’hui à cette mesure va diamétralement dans un sens opposé à mes désirs.

Aujourd’hui ce subside de 150 mille francs, proposé par le gouvernement pour secours spécial à cette industrie, ne paraît pas suffisant. On demande qu’il soit augmenté d’une somme de 30 mille francs, en d’autres termes, on demande le rétablissement de la somme allouée l’année dernière. Voilà l’amendement bien connu. Quant à moi, je le disais en débutant, un subside de cette nature n’a jamais eu mes sympathies : l’on a commencé à entrer dans cette voie par 10 mille francs, puis par 100 mille, puis par 180 mille, et voilà qu’on veut faire une dépense normale d’une dépense extraordinaire ; Quoiqu’en principe, je considère un système semblable comme très-dangereux et très-mauvais, puisqu’on y est entré, je pense qu’on doit être juste, et dès lors on doit venir également au secours de toutes les industries en souffrance, au secours de toutes les clases ouvrières qui manquent de travail.

Je demanderai à mes honorables collègues des Flandres, ce sont les seuls qui aient parlé dans cette discussion, s’ils pensent que l’industrie linière soit la seule qui souffre, s’ils pensent qu’il n’y a de mendiants, de pauvres et de gens sans travail que dans les provinces des Flandres. Ils seront justes, j’ose l’espérer, et ils n’hésiteront pas à répondre que d’autres industries souffrantes dans le pays. S’ils en doutaient, je pourrais leur en citer bon nombre.

Si donc on veut être juste, il faut change le libellé du subside pétitionné, et le remplacer par le libellé général : « Subside à toutes les industries en souffrance ». Ce n’est pas seulement à l’industrie linière que vous devez porter secours. Nous avons, dans la province de Namur, plusieurs industries qui sont dans une décadence complète. La forgerie au bois doit figurer en première ligne dans cette catégorie.

Comme on le prétend pour le filage à la main, renversé par le filage à la mécanique, je pourrais soutenir que le fer forgé au bois est d’une qualité supérieure à celui forgé au charbon de terre. Dans l’industrie métallurgique, dans l’industrie linière, ce sont les procédés nouveaux qui ont tué l’ancienne industrie. Au nom de l’humanité, je pourrais, comme mes collègues des Flandres, demander qu’on vienne au secours de l’industrie métallurgique au bois, au secours de ces établissements déserts aujourd’hui, au secours des nombreux ouvriers qui en tiraient des moyens d’existence et qui sont maintenant sans travail. Appliquez donc les principes que vous réclamez avec justice ; faites-en une règle commune pour tout le pays, et dès lors qu’on change le libellé du budget, et qu’on dise : « Subside pour venir au secours des industries souffrantes du pays. »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Avec 10 mille fr, vous irez loin !

M. de Garcia – M. le ministre dit qu’avec ce système je vais loin. On a posé la planche. On est entré dans ce système, vous devez le subir ou y mettre fin. Au surplus, examinons les raisons que font valoir ceux qui veulent augmenter le chiffre pétitionné par le gouvernement. Ils vous disent que ce crédit doit être majoré, parce que les besoins vont toujours en augmentant. Mais, messieurs, pouvez-vous croire qu’en augmentant les subsides, les prétentions n’augmenteront pas ? C’est supposer ce qui n’est pas dans l’ordre des choses. Si même vous attendez qu’on dise : A (trou dans le document originel) vous attendrez en vain. Toujours on demandera davantage.

Le progrès a été reconnu exister dans l’industrie linière. L’honorable M. de Muelenaere a dit : « Avec les secours que vous lui avez accordés, cette industrie est dans une voie progressive ; » dès lors, le but qu’on se proposait primitivement est atteint, et dans cet état l’on devrait laisser marcher cette industrie comme toutes les autres, par ses propres forces. Qu’est-ce qu’une industrie qui ne peut marcher qu’avec des subsides ? C’est une industrie impuissante.

Je ne me proposais pas de prendre la parole sur cette question, mais en présence des tendances qu’on a manifestées, je n’ai pas pu m’empêcher de combattre des prétentions qui me paraissent injustes et funestes aux vrais intérêts du pays.

Sans doute on peut faire disparaître ce qu’il y a d’injuste dans la mesure, en changeant le libellé, comme je le propose, et en appelant toutes les industrie souffrantes à prendre part au subside. J’ai signalé l’industrie métallurgique comme se trouvant dans ce cas ; je puis en citer une autre qui est dans une décadence complète, je veux parler de l’industrie des faïences de la province de Namur. Par suite de la loi de 1839, en faveur du Luxembourg, loi maintenue malheureusement par le traité avec le Zollverein, les faïences du Luxembourg nous font une concurrence qui ruine nos établissements. Ne le perdez pas de vue, messieurs : c’est pour procurer des avantages au pays par des conventions internationales, que vous avez sacrifié ces intérêts, et c’est un nouveau et puissant motif d’appeler cette industrie à venir prendre part au subside qui est réclamé.

Au reste, messieurs, si je consens encore à voter le subside pétitionné par le gouvernement, je désire qu’il reçoive la destination que j’ai indiquée. Je rejetterai toute augmentation, et si la chambre la votait, ce serait pour moi un motif suffisant pour voter contre le budget.

M. de Haerne – J’ai été mal compris par l’honorable M. de Naeyer ; quand j’ai parlé d’une réduction possible sur l’allocation pour les écoles-manufactures, j’ai parlé conditionnellement ; j’ai dit que si une réduction devait être faite, elle pourrait porter plus facilement sur la somme destinée à ces écoles que sur celle destinée à l’industrie linière ; mais que mon intention n’était pas de la proposer, ce qui prouve que je n’avais pas été compris par l’honorable membre, c’est que, dans mon amendement, je propose le chiffre de l’année dernière.

J’ai un mot à répondre à une allégation de M. de Garcia : il vous a dit que si le chiffre du gouvernement était augmenté, il voterait contre le budget ; eh bien, pour moi, si l’allocation accordée l’année dernière était diminuée, j’aurais autant de motifs pour voter contre le budget, et je le ferais. L’honorable membre doit comprendre que les industries dont on parle ne sont pas à comparer à l’industrie linière, qui compte autant de centaines de mille ouvriers qu’il y en a de milliers à Seraing pour lequel on a cependant voté un million. Si l’on diminuait le chiffre alloué l’année dernière à l’industrie linière, l’effet moral qui en résulterait pourrait offrir un grand danger ; et cela seul, outre les considérations que j’ai fait valoir, me suffirait pour rejeter le budget.

M. de Foere – L’honorable M. de Gracia a établi une comparaison entre la forgerie au bois et l’industrie linière. La première est tombée en décadence, dit-il, dans la province de Namur ; de là, il conclut que, si la chambre accorde un subside à l’industrie linière, il est juste qu’elle en vote un en faveur de la forgerie au bois, ou bien, pour exprimer son opinion d’une manière plus exacte, il s’oppose au subside demandé pour le soutien de l’industrie linière, parce qu’il faudrait en accorder à d’autres industries, et notamment à la forgerie au bois, qui sont en décadence.

Messieurs, l’honorable membre n’a pas remarqué que ces deux industries ne se trouvent pas dans les mêmes conditions. En premier lieu, la forgerie au bois est en pleine décadence, et l’industrie linière ne se trouve pas dans cette situation. En second lieu, la forgerie au bois ne peut pas se soutenir en présence de la forgerie au coke. C’est une opinion généralement reçue. Il serait donc inutile de lui voter des subsides. Telle n’est pas la situation de l’industrie linière.

Il est vrai que depuis longtemps elle soutient une lutte difficile ; mais elle s’est maintenue, et cette lutte même prouve que c’est une industrie viable. En effet, plus elle a eu des difficultés à surmonter pendant de longues années, plus elle a justifié des conditions d’existence. Or, c’est à raison des nombreuses résistances qu’elle doit combattre, que le subside est demandé pour son soutient.

Depuis dix ans, des membres de cette chambre, appartenant surtout aux districts de Liége et de Verviers, ont cru que l’ancienne industrie linière ne pouvait se maintenir ; en conséquence, ils ont donné aux provinces des Flandres l’avis de l’abandonner et de la remplacer par la nouvelle. Les Flandres ont été plus prévoyantes. Tout en créant l’industrie à la mécanique, elles ont maintenu l’ancienne industrie linière ; les faits ont prouvé que la prudence avait dirigé leur opinion. En effet, sur presque tous les marchés des Flandres ce sont les toiles, confectionnées selon les anciens procédés, que l’étranger est venu nous demander exclusivement. Ces faits, bien constatés, prouvent que nous aurions commis une faute immense, si nous avions abandonné l’ancienne industrie. Cet abandon aurait été fait au grand détriment du pays et au profit de la France, où cette même industrie est en progrès.

Afin que la chambre comprenne toute l’importance qui se rattache au maintien de cette industrie, et le vote qu’elle est sur le point d’émettre, je lui présenterai, en peu de mots, une statistique d’un seul marché des Flandres, celui de Thielt. Chaque semaine, il se vend sur ce marché, en moyenne, (page 835) mille toiles. En portant chaque pièce au prix moyen de fr. 60, ce marché réalise une valeur de fr. 60,000 par semaine et de fr. 3,120,000 par an. La partie de cette somme qui représente la main-d’œuvre est répartie entre les classes ouvrières de la ville de Thielt et du grand nombre de communes populeuses qui l’environnent. L’autre partie du produit qui représente la matière première appartient à l’industrie agricole.

Ces chiffres prouvent combien cette vieille et importante industrie mérite d’être secourue dans la lutte qu’elle soutient avec courage et avec succès. Elle mérite d’autant plus l’intelligente bienveillance de la chambre qu’elle se trouve aujourd’hui dans une situation meilleure par deux causes, dont l’une est due à ses propres efforts. Le lin est moins cher, parce que l’étranger ne vient plus nous l’enlever, comme autrefois, dans des quantités aussi considérables. Le prix de la matière première est en rapport avec celui de la toile. Ensuite, la famille, composée de tisserands et de fileuses, confectionne aujourd’hui trois toiles ou cinq dans le même espace de temps pendant lequel elle n’en produisait autrefois que deux ou quatre. C’est là un grand progrès d’activité industrielle. C’est cette même activité qui a imprimé un grand progrès à la main-d’oeuvre en Angleterre. Elle est due aux besoins qui est toujours, pour la laborieuse et intelligente classe ouvrière, le meilleur maître et le plus grand stimulant.

C’est cette activité, ce progrès dans le travail qu’il importe de soutenir et d’encourager dans le pays. C’est une des raisons pour lesquelles il convient de maintenir le subside qui a été voté l’année précédente.

Pour atteindre ce précieux résultat, je voudrais qu’une partie du subside fût appliqué aux familles ouvrières qui font preuve de cette activité industrieuse. Ce sont, en même temps, les familles qui se distinguent par l’ordre et la moralité. Cette récompense soutiendrait leur courage et stimulerait les retardataires pour entrer dans la même voie.

Je dois aussi engager le gouvernement à tâcher d’obtenir de la France de meilleures conditions pour notre industrie linière ; mais je doute que ce résultat soit possible d’une manière directe par les moyens qui ont été assignés. Je pense qu’il sera difficile d’obtenir le retrait des dispositions légales relativement à l’amendement de Lespaul, aux blondines et à la fourniture de l’armée française. Outre les obstacles qui s’opposent à ce retrait, la France est dominée, comme nous, par l’instinct de sa propre conservation industrielle.

L’honorable M. de Haerne a proposé des moyens indirects. Dans mon opinion, c’est une grave imprudence. C’est mettre d’avance entre les mains de nos nombreux et puissants adversaires industriels, que nous avons en France, des armes pour nous combattre et pour faire échouer les efforts du gouvernement.

Lorsqu’un pays est en voie de négociations avec un autre, il n’est pas prudent d’en publier d’avance les moyens. Une politique sage et adroite conseille de suggérer au gouvernement des avis privés.

De mon côté, je pourrais peut-être donner au gouvernement des conseils propres à conduire cette importante négociation à des résultats heureux ; mais je me garderai bien de les donner à la tribune publique. D’un autre côté, je crains que la question n’ait été gâtée dès le principe. Nous avons concédé à la France nos matières premières, les besoins indispensables de son industrie tandis qu’elle refuse nos fabricats à des conditions équitables et qu’elle-même elle nous envoie ses objets manufacturés. La France profite, par des relations aussi inégales, 65 p.c. C’est là un marché de dupes. D’ailleurs, la France serait venue nous enlever une grande partie de ces matières sans que, de notre côté, nous dussions lui offrir des compensations. La preuve en est dans le besoin de ces matières que l’industrie française éprouve ; car, si elle ne l’éprouvait pas, elle ne les prendrait pas chez nous, même avec des compensations. La France a donc servi chez elle un double intérêt et elle réclamera le statu quo dans les négociations à ouvrir.

Il est d’autres moyens de protéger l’industrie linière ; ils sont communs à toutes les industries du pays.

L’application de ces moyens dépend de nous-mêmes. En premier lieu, il ne faut pas augmenter continuellement les impôts. Il faudrait, au contraire, tâcher de les diminuer par tous les moyens en notre pouvoir. En deuxième lieu, il importe de ne pas augmenter inconsidérément, par des dispositions législatives inopportunes, le prix des céréales, qui sont le premier besoin de la vie de la classe ouvrière ; ce prix doit rester facilement accessible à la classe ouvrière, sans que, d’un autre côté, nous nuisions à l’intérêt agricole. Les ouvriers industriels forment, dans tous les pays qui ne sont pas exclusivement agricoles, les cinq huitièmes de la population. Un prix moyen et équitable des céréales est une condition d’existence pour la plupart des industries.

Je ne comprends pas certains orateurs qui, d’un côté, voudraient soutenir certaines industries au moyen de subsides et qui, de l’autre, proposent une législation qui aurait pour résultat l’augmentation du prix des céréales ; je crois qu’il y a une grande contradiction dans les moyens d’atteindre le résultat. C’est détruire d’une main ce qu’ils voudraient édifier de l’autre.

Quant à l’application du subside aux écoles-manufactures, je pense qu’elle n’a point été très-judicieusement faite. On s’est servi d’une grande partie de ce subside pour établir dans les campagnes des écoles d’industrie dentellière. Il en est résulté que la production a été trop forte. Dans toutes les industries, quand la production n’est pas au niveau de la vente, le prix en est avili. Il eut été plus sage de maintenir cette précieuse industrie dans les localités où elle s’exerçait depuis longtemps.

Il en a été de même de la qualité des produits. Elle a été considérablement détériorée.

Je désire que dorénavant l’application de ce subside soit faite avec plus de discernement, de manière que l’industrie dentellière, qui était déjà assez considérable, n’en souffre pas des suites pernicieuses ni pour la qualité, ni pour la valeur de ses produits.

M. Verhaegen – Quelle est l’opinion du gouvernement ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Mon opinion est qu’on peut dépenser 210,000 fr. et même davantage.

M. Verhaegen – Ainsi vous vous ralliez à l’augmentation proposée ?

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’année dernière on a alloué 210,000 fr. J’ai cru que 180,000 fr. pouvaient suffire au budget de cette année. On conteste cette assertion ; on propose le rétablissement de l’ancien chiffre. Si la majorité le rétablit, que voulez-vous que fasse le gouvernement ?

Je voudrais bien savoir quelle autre position le gouvernement pourrait prendre en pareil cas.

Nous avons dit par quels motifs nous pensons que le chiffre devrait être réduit. La chambre décidera.

M. Verhaegen – Avant de voter, il faut que nous sachions quelle est l’opinion du gouvernement ; le gouvernement a proposé une réduction sur le chiffre de l’an dernier ; sans doute, il a eu des raisons plausibles pour en agir ainsi et la section centrale a partagé son avis.

Cependant on propose en ce moment, par amendement, de rétablir le chiffre ; je demande donc à M. le ministre de l'intérieur s’il accepte l’amendement ou s’il le combat. Il vient de nous dire qu’il ne voit pas d’inconvénient à accorder ou à ne pas accorder l’augmentation demandée, et qu’il s’en rapportera à l’opinion de la majorité.

Quant à moi, je ne suis pas d’avis de me mettre à la remorque de la majorité, car je suis dans l’habitude de n’émettre un vote qu’en pleine connaissance de cause. M. Nothomb peut être l’esclave de la majorité, mais moi, je veux conserver mon libre arbitre, dussé-je toujours faire partie de la minorité !

Le ministère maintient-il son premier système, ou se rallie-t-il à la majorité proposée ? qu’il nous le dise ! Il ne le sais pas. Peut-être alors ferons-nous bien de nous abstenir ; car, à défaut de renseignements, nous pourrions nous tromper.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je dois me féliciter de ce que l’honorable préopinant réclame avec tant de vivacité une direction du gouvernement.

J’ai donné des explications, à plusieurs reprises, au commencement de la séance. J’ai dit qu’il y avait une réduction de 30,000 fr., mais que, certains frais d’établissement étant faits, le gouvernement espérait, malgré cette réduction, maintenir des subsides suffisants à répartir entre les différentes provinces.

Je maintiens les raisons que j’ai données à l’appui du chiffre de 180,000 fr. Qu’arrivera-t-il si l’ancien chiffre est rétabli ? Il arrivera ce qui est arrivé, il y a plusieurs jours, au sujet du crédit pour les chemins vicinaux. L’honorable préopinant n’a pas eu alors les mêmes scrupules ; car il a voté le chiffre de 300,000 fr., sans demander une direction au gouvernement. (On rit.)

M. Maertens, rapporteur – C’est une erreur de croire que la section centrale a proposé une réduction sur le chiffre alloué l’année dernière pour l’industrie linière. L’an dernier, M. le ministre de l'intérieur avait exprimé le désir que le chiffre pour les écoles-manufactures fût porté au chapitre : « Instruction primaire. » En examinant le budget de 1845 nous avons trouvé au chapitre de l’industrie deux chiffres, les mêmes que l’an dernier pour les litt. A et B. J’ai donc cru que les 30,000 francs pour les écoles-manufactures étaient rétablis au chapitre : « Instruction primaire. » Je me proposais même, lorsque nous serions parvenus à ce chapitre, de le demander. S’il n’y avait pas figuré, j’aurais proposé de l’y placer. J’avais cru qu’il n’y avait, dans tout cela, qu’une transposition de chiffres. En effet, cet article se compose de deux littera. Je pensais que M. le ministre de l'intérieur avait reporté au chapitre « Instruction primaire » le chiffre du litt. C voté l’an dernier, pour les écoles manufactures. M. le ministre nous a dit, aujourd’hui, qu’il n’en est pas ainsi ; il a déclaré que son intention était de faire une réduction de 30,000 francs sur le chiffre alloué, l’an dernier, pour l’industrie en général.

Je viens combattre cette proposition ; je suis de l’avis de mes honorables collègues qui pensent qu’il est indispensable de rétablir le chiffre voté l’année dernière.

On se rappelle que ce chiffre n’a pas été voté d’emblée et sans examen, mais après deux jours de discussion approfondie. Alors, le ministre s’est rallié au chiffre de 210,000 fr. pour encouragements à l’industrie. Quel motif y aurait-il donc de le réduire aujourd’hui ? L’industrie linière a-t-elle moins de droits à nos sympathies que l’an passé ?

On se rappellera aussi dans quelle circonstance nous avons jugé nécessaire de voter ce chiffre. C’était, en quelque sorte, un vote politique. Des agitateurs parcouraient nos campagnes, cherchaient à tromper la classe ouvrière, à provoquer des désordres. Ce chiffre voté, la tranquillité a été rétablie. Vous devez vous féliciter des heureux résultats de ce vote. Avant ce vote, vos bureaux étaient encombrés de pétitions en faveur de l’industrie linière ; les plaintes étaient incessantes ; ces plaintes, depuis lors, ont disparu en grande partie. Encouragés par ce vote, des philanthropes, des hommes de toutes les classes ont fait tous leurs efforts pour maintenir cette antique industrie si nécessaire à nos Flandres, si nécessaire pour la moralité de nos Flandres.

Il suffiraient que le crédit disparût ou fût diminué, pour que les agitateurs reparussent dans les campagnes, cherchassent à provoquer, de nouveau, des (page 836) désordres en disant aux tisserands : Le gouvernement vous abandonne, les chambres vous abandonnent ; vous devez chercher à vous faire justice vous-mêmes.

Voilà le caractère moral de ce chiffre.

J’appuie donc de toutes mes forces l’amendement de MM Van Cutsem et de Haerne.

M. Verhaegen – En demandant à M. le ministre de l'intérieur, quelles raisons l’avaient engagé à proposer une diminution de 30,000 fr., je suis resté dans les formes et dans les usages parlementaires.

Lorsque le gouvernement propose une réduction de 30,000 francs, je dois supposer qu’il a été guidé par de bonnes raisons. Lorsque, d’autre part, d’honorable collègues demandent le rétablissement de l’ancien chiffre, j’examine les motifs qu’ils font valoir à l’appui de cette demande, et ces motifs, je dois alors les mettre en rapport avec ceux qu’apporte le gouvernement pour proposer une réduction ; il faut donc que le gouvernement me fasse connaître ces motifs, et c’est ce que je demande à M. Nothomb.

M. le ministre, en me répondant, a cru faire de l’esprit. Mais je ne lui demande pas de l’esprit. Je lui demande tout simplement de l’administration, du gouvernement.

Je suppose qu’après avoir entendu les raisons que vient de développer l’honorable M. Maertens à l’appui de son système, M. le ministre nous dira enfin s’il l’appuie ou s’il le combat.

M. le ministre de l'intérieur me fait un reproche d’avoir voté 300,000 fr. pour les chemins vicinaux. Mais, en vérité, qu’est-ce que cela a de commun avec l’objet en discussion ? Le ministre n’avait proposé pour les chemins vicinaux que le chiffre de 100,000 fr. mais il s’est rallié ensuite à celui de 200,000 fr. proposé par la section centrale ; enfin, M. Dumortier, ; par amendement, a proposé trois cent mille francs ; j’ai appuyé et voté cet amendement ; j’avais même voté celui de 500,000 fr. présenté par M. Eloy de Burdinne ; mon avis était qu’il y avait nécessité de donner cette marque de sympathie à l’agriculture, et mon avis a toujours été le même ; je rappellerai à mes honorables collègues, qui se montrent aujourd’hui si chauds partisans de l’agriculture, qu’en 1841 j’ai voté le chiffre de 100,000 fr. pour les chemins, et qu’eux, qui, il y a quelques jours, voulaient 300,000 et même 500,000 francs, combattaient alors ce chiffre « avec opiniâtreté » ; mais les temps étaient bien différents ; le ministère de 1841 n’avait pas leur sympathie et dès lors l’agriculture ne pouvait pas compter sur leur appui.

Messieurs, puisqu’on est à faire des observations, je m’en permettrai une seule. J’ai voté 500,000 francs pour les chemins vicinaux. La majorité n’a pas adopté cette proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne. J’ai voté les 300,000 fr. que la chambre a adoptés. Mais il fut une époque où l’on proposait 100,000 fr. que j’ai votés aussi, et ceux qui ont voté cette année, un chiffre beaucoup plus élevé, ne voulaient pas alors de ces 100,000 fr. ; ils trouvaient que c’était trop. Je ne voudrais pas faire intervenir des noms propres dans ce débat ; je me borne à dire que les plus chauds partisans de la proposition adoptée la semaine dernière, étaient alors opposés à l’allocation d’un subside de 100,000 fr. Je demande, messieurs, si après cela, c’est à moi que l’on doit adresser un reproche de contradiction.

M. Van Cutsem – M. le président, nous consentons à retrancher la seconde partie de mon amendement, c’est-à-dire à le réduire à la proposition du rétablissement du chiffre de 210,000 fr., tout en conservant le libellé de l’année dernière.

M. de Naeyer – Le libellé de l’année dernière ne peut être adopté, parce que le crédit de 30,000 fr. pour les écoles-manufactures était porté au chapitre de l’instruction publique. (Non ! non !)

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – L’année dernière, j’avais proposé le transfert de ce chiffre au chapitre de l’instruction publique ; cette proposition n’a pas été adoptée.

C’est ce qui a trompé l’honorable rapporteur. Il a cru que je proposais encore un transfert, tandis que c’était une réduction. J’ai dit les motifs qui m’avaient fait proposer cette réduction.

M. Maertens, rapporteur – Je propose de rétablir dans le budget le libellé de l’année dernière : « Encouragements à l’industrie », et de conserver dans les développements le libellé en trois littera qui avait aussi été admis l’année dernière : 30,000 francs pour les écoles-manufactures, 150,000 francs pour l’industrie linière, 30,000 francs pour achats de machines, etc.

- Le chiffre de 210,000 francs, proposé par MM. de Haerne et van Cutsem est mis aux voix et adopté.

Articles 2 et 3

« Art. 2. Musée de l’industrie nationale : fr. 40,000. »

Adopté.


« Art. 3. Primes et encouragements aux arts mécaniques et à l’industrie, aux termes de la loi du 25 janvier 1817, n°6, sur les fonds provenant des droits de brevets ; publications de brevets, frais d’administration (personnel et matériel) : fr. 33,000 »

- Adopté

- La séance est levée à 4 heures ¾.

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