(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)
(page 837) (Présidence de M. Liedts)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et quart. La séance est ouverte.
M. de Man d’Attenrode donne lecture du procès-verbal de la dernière séance, dont la rédaction est approuvée.
M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.
« Le sieur Fortan présente des observations sur l’utilité de l’emploi des troupes pour l’exécution des travaux publics. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Plusieurs négociants en toiles de Renaix demandent que le gouvernement ouvre des négociations avec la France pour obtenir le retrait de l’amendement de Lespaul. »
- Renvoi à la commission permanente d’industrie.
M. Eloy de Burdinne – Messieurs, c’est au nom de vingt et un signataires de la proposition qui vous a été soumise, sur la nécessité d’apporter des modifications à la loi sur l’entrée des céréales, du 31 juillet 1834, que je prends la parole pour la développer.
Désigné pour remplir cette tâche, j’ai besoin de votre indulgence et de votre attention ; je viens la réclamer, en vous promettant d’être très-laconique ; c’est pour éviter d’ennuyer mes honorables collègues qui ne partagent pas les convictions des vingt et un membres de la chambre signataires, de la proposition, que j’entre en matière. Mon préambule est court, et mes arguments en faveur de notre proposition ne seront pas longs. Je sais bien qu’il est admis en principe que, pour se rendre favorables à ses juges, il fait éviter de les ennuyer.
La loi du 31 juillet 1834 sur l’entrée et la sortie des céréales est vicieuse, d’abord en ce qu’elle donne le moyen de l’éluder et qu’au moyen d’un sacrifice de quelques mille francs, on peut frustrer l’Etat d’un revenu considérable, comme cela est arrivé en 1843.
Le commerce de grains a dépensé en septembre ou octobre de ladite année 10 à 12 mille francs pour soutenir le prix du froment au-dessus de 20 fr. pendant quinze jours, et alors il a introduit en franchise de droits, aux termes de la loi de 1834, environ 200 mille hectolitres de froment étranger qui sont venus concourir, sur nos marchés, avec nos produits similaires, et qui en ont fait réduire le prix d’environ 2 fr. par hectolitre, au détriment de l’industrie agricole et de l’Etat qui a perçu 600 mille francs de droit d’entrée, à raison de 3 fr. par hectolitre. Tel est le danger d’un droit fixe et permanent.
Si ce danger était le seul, je craindrais de trouver moins d’appui dans cette chambre, mais il en est un plus grand à mes yeux, résultat du système établi par la loi actuelle ; je vais vous le signaler.
Dans le cas où les récoltes des céréales viendraient à manquer, soit en France, soit en Angleterre, ne pourrait-il pas arriver que le commerce ne vienne faire usage du même moyen employé en 1843, mais en sens inverse, c’est-à-dire, qu’au moyen d’une dépense de 10 à 12,000 francs, il pourrait maintenir le prix du froment au-dessous de 24 francs, et pendant 15 jours exporter des quantités de grains qui seraient de nature à compromettre l’approvisionnement nécessaire aux besoins de nos populations, et qui en feraient porter le prix à un taux tel qu’il ne serait plus à la portée de la classe ouvrière ?
Vous connaissez comme moi, messieurs, qu’aux termes de la loi du 31 juillet 1834, lorsque le prix de l’hectolitre de froment est de 20 à 24 francs, il est libre à l’entrée et à la sortie.
L’auteur de la proposition de la loi de 1834 avait prévu ces écueils, il avait soumis un projet de loi d’après un système gradué ; mais la commission chargée d’examiner ce projet, dans la crainte de gêner le commerce, a cru devoir proposer le système vicieux qui nous régit et qui fut adopté. L’expérience a confirmé que le seul système convenable dans l’intérêt du consommateur, comme dans celui du producteur, est l’échelle graduée ; elle est indispensable.
Je ne comparerai pas la position agricole belge à celle de l’Angleterre ; mais les auteurs de la proposition que j’ai l’honneur de développer ont comparé la Belgique à la France, et sont convenus que l’agriculture belge doit être protégée à l’égal de l’agriculture française.
Le tarif que nous vous soumettons est le même, à peu de choses près, que celui qui est en vigueur en France, depuis 1832, et contre lequel aucune réclamation n’a surgi jusqu’à présent.
Ce système satisfait le producteur autant que le consommateur français ; profitons de l’expérience faite en France et nous satisferons les trois quarts de la nation belge tout en soignant l’intérêt du fabricant et du commerce intérieur.
S’il était vrai, comme quelques économistes le prétendent, que la Belgique ne produit pas les céréales nécessaires à sa consommation, en adoptant notre proposition, vous donnerez des garanties à nos cultivateurs, que l’étranger ne viendra plus aussi facilement concourir, sur nos marchés avec lui, et ce effet moral aura pour résultat une augmentation de produits tel que, sous peu, la Belgique produira infiniment plus qu’elle ne produit actuellement.
Les cultivateurs feront plus de dépenses pour améliorer le sol, et la terre peut être comparée à une vache à lait (pardonnez-moi la comparaison) qui donne à la proportion de la nourriture qu’on lui accorde. J’ajouterai qu’il existe en Belgique des bruyères immenses qui sont de nature à produit des céréales.
Si vous voulez encourager la culture de ces bruyères, donnez aux propriétaires la garantie que l’étranger ne pourra venir concourir, sur nos marchés, avec leurs produits similaires, alors ils n’hésiteront pas à employer les capitaux nécessaires pour rendre productives ces immenses landes.
Personne ne disconviendra que la loi de 1834 ne remplit pas le but que la législature s’est proposée en la votant ; son intention n’a pas été remplie.
D’ailleurs, cette loi n’est pas restée debout, elle a été démolie pièce par pièce, et si on ne la réédifie, je crains fort qu’elle ne vienne à s’écrouler comme vient de le faire le tunnel de Cumptich.
Je ferai remarquer que les cultivateurs patients ou résignés ont souffert de la loi sur les céréales de 1834 jusqu’à l’époque où ils ont reconnu l’abus qu’on pouvait en faire.
Ce ne fut que pendant l’année parlementaire de 1843 à 1844 que nos cultivateurs sont sortis de ce calme qui les caractérisent et qu’ils sont venus, par de nombreuses pétitions, réclamer pour eux la même protection dont leurs frères français jouissent depuis environ 14 ans.
Ne négligeons pas de faire droit à leurs justes réclamations, évitons d’exaspérer la partie la plus nombreuse de la nation, qui paye les treize seizièmes des impôts, et presque intégralement l’impôt du sang.
Je pourrais me borner aux considérations que je viens de vous soumettre ; elles suffiront, je l’espère, pour vous décider à prendre en considération la proposition qui vous est soumise.
Avant de terminer, je viens vous assurer que, si cette proposition est envoyée aux sections et qu’il y soit fait des modifications acceptables, elles ne seront pas repoussées par les 21 signataires dont j’ai l’honneur de faire partie.
Il me reste peu de mots à ajouter sur la nécessité d’augmenter le nombre de marchés régulateurs, ainsi que sur d’autres modifications proposées.
En augmentant le nombre des marchés, nous mettons une entrave aux opérations de la nature de celles pratiquées en 1843, tendantes à maintenir le prix des céréales pendant 15 jours au-dessus de 20 fr. ; en adoptant la proposition qui nous est envoyée par le sénat et présentée par l’honorable baron de Coppens, nous pourrions remédier en partie à l’abus fait aux dispositions de la loi de 1834.
J’ai une autre modification à justifier : nous n’avons pas cru convenable de maintenir la base du droit adoptée en 1834. On doit convenir que mille kilogrammes sont une quantité trop forte, qui ne peut que dissimuler la modique protection accordée à l’agriculture. Nous avons cru devoir adopter la base établie en France, soit l’hectolitre ; cette mesure servant de prix régulateur, il est plus rationnel de fixer le droit sur cette même quantité par hectolitre.
Nous avons adopté, pour base de l’impôt, le prix moyen des quatre années ou classes établies en France. (V ; le tarif comparé, page 300). Nous avons cru que ce serait simplifier le travail de la constatation du prix des céréales, lequel règle le droit d’entrée et de sortie.
Si en France on a cru devoir adopter le système des quatre classes, pour le motif que certains départements ne produisent pas les céréales nécessaires à la consommation, et, qu’arrivant de loin, elles sont vendues à des prix plus élevés que dans les départements où la production est supérieure aux besoins, on me fera remarquer qu’il en est de même en Belgique. C’est pour ce motif que nous avoir cru devoir prendre le prix moyen des quatre classes adoptées en France comme régulateur du droit à établir sur les céréales, tant à l’entrée qu’à la sortie. (V ; page 10.)
Enfin, je vous ferai remarquer :
1° Que nous soignons mieux les intérêts du consommateur que ceux du producteur, si on compare notre proposition à la loi qui régit la matière actuellement :
2° Que nous accordons un plus grande protection à la navigation au moyen des droits différentiels, qui, de 30 centimes par hectolitre, sont portés à 1 fr. 25 ;
3° Que notre système est bien plus de nature à maintenir à un taux normal, c’est-à-dire qu’au moyen de l’adoption de notre tarif, nous éviterons la diminution ou l’augmentation du prix des céréales sur une grande échelle ; et on est d’accord qu’il faut éviter des variations trop fortes dans le prix des céréales.
Notre proposition ne portera pas de fruits pour le moment, elle en portera de très-salutaires dans l’avenir, tant dans l’intérêt du producteur que dans celui du consommateur ; elle aura pour résultat d’augmenter la production des grains.
Je bornerai là mes observations à l’appui de la prise en considération de notre proposition qui, j’aime à le croire, satisfera toutes les opinions.
Quoi faisant, nous vous saurons infiniment gré de votre bienveillant accueil.
(page 838) M. Castiau – Il n’est pas dans les usages de la chambre, je le sais, de discuter longuement les demandes de prise en considération des propositions qui lui sont faites par ses membres. Ces demandes, d’habitude, passent ici sans discussion et presque sans examen ; c’est une sorte d’acte de déférence envers les honorables auteurs des propositions qui vous sont faites. Cependant, messieurs, je vous demanderai la permission de déroger à cette règle de courtoisie parlementaire, je vous demanderai la permission de combattre la pensée principale, la portée et les tendances de la proposition qui vous est soumise.
Je crois devoir combattre sa prise en considération, parce que cette proposition est inopportune, parce que sa prise en considération suffirait déjà pour agir d’une manière fâcheuse sur le prix des céréales et le prix du pain.
S’il ne s’était agi, dans cette proposition, que de la disposition tout accessoire dont l’honorable M. de Burdinne vient de parler en terminant, je ne m’opposerais certes pas à l’adoption de cette disposition. Je crois, comme lui, que le nombre des marchés régulateurs et la durée de l’épreuve légale doivent être augmentés pour prévenir les fraudes commerciales dont on vient de vous entretenir. Si donc la proposition n’avait pas eu d’autre but, les espérances que vient d’exprimer l’honorable membre se seraient réalisées ; sa proposition n’aurait pas rencontré d’opposition dans cette enceinte. Mais c’est là la disposition accessoire de la proposition, tellement accessoire que je ne la retrouve même pas dans l’impression qui a été confiée au Moniteur. Aussi, c’est à la disposition principale que je vais m’attacher désormais.
Le disposition principale, celle que je viens attaquer, c’est la pensée qui a présidé à la proposition ; malgré les voiles et les précautions oratoires dont on vient de l’environner, cette pensée se révèle suffisamment, c’est une pensée d’aggravation, et d’aggravation exorbitante, des droits qui existent sur les céréales ; c’est cette pensée imprudente, impolitique, désastreuse que je viens combattre avec toute l’énergie de mes convictions.
Je viens combattre la prise en considération qu’on veut solliciter de vous ; je viens la combattre d’abord parce que je regarde la proposition comme inopportune, et comme intempestive.
En effet, messieurs, nous sommes réunis depuis cinq mois, nous avons agité des questions de toute espèce, nous sommes arrivés au terme de nos travaux ; dans quelques semaines peut-être la session sera close ; et c’est au terme de nos travaux, à l’approche de la clôture de la session, qu’on vient jeter au milieu de vous une proposition d’une gravité effrayante, une proposition qui exigerait des mois, des années d’études, de préparation, de réflexions et de discussions !
Pourquoi donc cette proposition qui arrive ainsi, qui tombe subitement au milieu de nous comme une sorte d’aérolithe législatif ? Quels sont donc les motifs si pressants qui ont engagé l’honorable membre et ses 21 soutiens à jeter brusquement cette proposition au milieu de vous ? L’agriculture se plaignait-elle, a-t-elle fait entendre ses doléances ? L’honorable membre qui descend de la tribune vient de vous parler de réclamations qui vous ont été adressées par l’agriculture ; si j’ai bonne mémoire, ces réclamations étaient dirigées contre le projet de loi présenté par le gouvernement et qui avait pour but de modifier dans un sens plus libéral la loi de 1834. Tel était, si je ne me trompe, le but des réclamations dont on vient de vous entretenir, réclamations auxquelles il a été fait droit par le retrait du projet de loi. Ces réclamations étaient donc devenues sans objet, car elles ne demandaient par le bouleversement de la législation de 1834.
Je pense, au contraire, que la réclamation des agriculteurs avait uniquement pour but d’obtenir le maintien des principales dispositions de cette législation, qu’on trouvait suffisante. Pourquoi donc alors cette proposition ? c’est un effet sans cause ; disons-le : c’est tellement un effet sans cause, que ceux qui ne croient pas comme nous à la loyauté des honorables auteurs de la proposition, à leur désintéressement politique, veulent établir un certain rapprochement entre l’époque de la proposition et celle des élections prochaines ; ces incrédules, dont je ne partage pas l’opinion, je le répète, ne regardent pas la proposition comme sérieuse ; ils la considèrent comme une réclame à l’adresse de ces électeurs campagnards, qui commencent à échapper à certaines influences.
Voilà les observations qu’on hasarde déjà en dehors de cette chambre, observations qui prouvent combien la proposition est peu convenable. Mais laissons à l’écart ces considérations et ces inconvenances ; examinons donc la question du fond, celle de savoir s’il y a lieu de prendre en considération la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne.
M. Eloy de Burdinne – Et 20 de mes collègues.
M. Castiau – Au lieu de vous mettre à la tête, voulez-vous maintenant vous mettre à la remorque, à la queue des 21 signataires ? déclinez-vous, par hasard, la responsabilité de l’initiative ?
J’aurais compris la proposition de M. Eloy de Burdinne et de nos 20 collègues, si l’agriculture s’était trouvée dans une position exceptionnelle, si elle avait été en dehors du régime protecteur qui forme en ce moment le droit commun pour toutes nos industries. Mais telle n’est pas la position de l’agriculture. L’agriculture a eu ses jours de liberté, mais elle a eu aussi ses jours de protection. Elle a eu ses jours de liberté ; car pendant les trois premières années qui ont suivi la révolution, la liberté d’entrée existait pour les céréales étrangères, et cependant nous voyons que, sous l’empire de ce régime, le prix des céréales était plus élevé qu’il l’est en ce moment. Une circonstance comme celle qui se présente cette année, une récolte abondante a fait baisser les grains, on a profité de cette circonstance pour demander une protection, et cette protection on l’a obtenue.
Cette protection est aujourd’hui égale à celle qui existe pour la plupart des autres industries, elle est de 20 à 25 p.c., je pense, et quelquefois elle va jusqu’à la prohibition complète de l’entrée des céréales. Il faut donc être impartial et reconnaître que la position de l’agriculture est la même que celle des autres industries, qu’elle est protégée aussi fortement, plus fortement peut-être que plusieurs autres industries.
Il est tellement vrai que la protection accordée à l’agriculture est suffisante, que le gouvernement avait senti la nécessité de modifier quelque peu, et dans un sens libéral, les principales dispositions de la loi de 1834. Un projet de loi avait été présenté par le ministère ; ce projet avait pour effet de réduire les degrés de l’échelle proportionnelle de la loi du 31 juillet 1834, lorsque les prix s’élevaient de 16 à 20 francs ; le gouvernement, le premier, sentait donc la nécessité de modifier le caractère exorbitant de la loi de 1834.
Ce projet a été retiré. Quel est le motif de ce retrait ? je l’ignore, ; mais nous devons le dire, c’est encore là une de ces inconséquences ministérielles dont nous sommes chaque jour les témoins ; car, après avoir soulevé la question, pourquoi déserter le combat ? pourquoi donc le gouvernement a-t-il reculé devant son œuvre ? Serait-ce par hasard un acte de courtoisie, une sorte de galanterie ministérielle envers l’honorable M. Eloy de Burdinne et ses vingt collègues ?
Le gouvernement aurait-il retiré son projet pour faciliter à l’honorable M. Eloy de Burdinne et à ses soutiens les moyens de bouleverser la loi de 1834 dans le sens le plus illibéral, le plus fatal pour les consommateurs, et surtout pour les classes ouvrières ?
Ainsi, je le répète, le gouvernement reconnaissait l’exagération de quelques-unes des dispositions de la loi de 1834. il sentait lui-même la nécessité de modifier quelques-unes de ses dispositions, et c’est quand le gouvernement a pris cette initiative de réforme, devant laquelle il a reculé ensuite, qu’on vient demander d’aggraver d’une manière exorbitante les dispositions de la loi de 1834. Oui, messieurs, ce qu’on vient vous demander, c’est de doubler, c’est de tripler parfois les droits, si lourds dans certaines circonstances, établis par cette loi de 1834. Et pourquoi donc encore une fois cette proposition ? Quel est donc le motif d’urgence qui l’a dictée ? Pourquoi veut-on repousser les grains étrangers. Est-ce à cause d’arrivages considérables qui auraient lieu dans nos ports. Le pays est-il envahi , inondé par un débordement de blés étrangers ? Non, messieurs. Les arrivages sont nuls en ce moment ; pas un seul hectolitre de grains étrangers n’est livré aujourd’hui à la consommation. Ce n’est donc pas la crainte de l’invasion des grains étrangers qui a dicté la proposition de M. Eloy de Burdinne. C’est, il faut le reconnaître, l’abondance qui existe depuis deux ans et la dépréciation qu’elle a amenée dans les prix. Cette abondance de la récolte, dont tout le monde a profité, et qui a eu pour effet d’abaisser le prix des céréales et le prix du pain, est certes un fait heureux ; il faudrait s’en applaudir. Eh bien ! c’est le contraire qui arrive ; on vient faire le procès à la nature, à la fécondité du sol, à l’activité de nos cultivateurs. Ce qui devait être considéré comme un bienfait du ciel, on s’en empare pour amener les populations à maudire les années d’abondance et la réduction du prix des céréales ; on profite de cette circonstance pour établir des charges nouvelles, des charges permanentes qui pèseront surtout sur les classes les moins aisées de la population.
Je pourrais d’un mot, d’une seul mot, messieurs, repousser la prise en considération de cette proposition exorbitante ; il me suffirait d’invoquer le seul fait de l’insuffisance de notre agriculture pour faire face aux besoins de toute la population. L’honorable auteur de la proposition lui-même vient de faire à cet égard une sorte de concession ; jusqu’ici il avait prétendu, je pense, que la production des céréales suffisait à la consommation ; c’est sur cette prétention qu’il se basait, quand il est venu, en 1834, prononcer avec tant d’insistance son régime protecteur.
Tout à l’heure, à cette tribune, il exprimait sa pensée d’une manière catégorique ; il ne prétendait plus que la production indigène égalait la consommation. Il reconnaissait donc, indirectement, que, pour la substance alimentaire, par la force des choses, on était tributaire des nations étrangères. Ce fait, fût-il dénié, serait, du reste, établi à l’évidence, par les aveux du gouvernement. Rappelez-vous les paroles de M. le ministre de l'intérieur au sénat, dans une discussion récente. M. le ministre n’a-t-il pas déclaré que, pour combler le vide de la production indigène, il fallait tirer de l’étranger plus de 100 millions de kilogrammes de céréales, chaque année. Le signe d’adhésion, que me fait en ce moment M. le ministre, confirme de nouveau cette assertion, qui doit être désormais hors de doute.
Eh bien, s’il en est ainsi, le système de l’honorable M. Eloy de Burdinne, qui tend à établir des droits prohibitifs, et à repousser complètement les grains étrangers de nos frontières, ce système est jugé sans appel ; il est jugé, car il doit avoir pour effet de faire peser sur nos populations les privations et la misère ; il ira jusqu’à amener, dans un avenir plus ou moins prochain, un accroissement de mortalité dans les rangs de cette population. (Réclamations.)
Oh ! je le sais, ce n’est pas la pensée de l’honorable M. Eloy de Burdinne ; il recule lui-même, je le conçois, devant de telles conséquences. Malheureusement, il ne voit qu’une face de la question ; il est sous l’empire d’une sorte d’idée fixe ; dans sa préoccupation, il néglige de voir tous les intérêts qui sont en jeu dans cette question, et surtout l’intérêt des classes de la société qui ont besoin aussi de protection, parce qu’elles ont besoin de pain. C’est surtout dans l’intérêt de ces classes que je m’élève contre cette proposition. Tout en respectant les intentions de l’honorable M. Eloy de Burdinne, je dis que si cette proposition pouvait être appliquée dans toute sa rigueur et avec son exagération, si l’on arrivait à la prohibition des céréales étrangères qui est le beau idéal des auteurs de la proposition, on verrait peser la misère sur nos populations.
(page 839) Je le répète, la cherté du grain et du pain doit avoir pour effet inévitable d’augmenter la mortalité dans les rangs des classes nécessiteuses.
Pour dissimuler tout ce qu’avait d’exorbitant la proposition qu’il vous présente en ce moment, l’honorable M. Eloy de Burdinne vous citait tout à l’heure une autorité, l’exemple de la France. Il vous disait que le système qu’il s’agit d’importer dans ce pays, c’était, à peu de choses près, le système français. Cette assertion, messieurs, manque d’exactitude. Il n’y a en Belgique aucune assimilation possible entre le système qu’on vous présente et le système français. Il y a impossibilité d’établir en Belgique le système français, le système de zones ; le peu d’étendue de nos frontières s’y oppose. Si, d’un autre côté, en ce moment, le grain n’est pas plus cher en France qu’en Belgique, c’est par exception ; en général, on peut dire que le prix des grains en France est toujours plus élevé qu’en Belgique.
Du reste, la proposition qui vous est présentée est beaucoup plus rigoureuse, beaucoup plus exorbitante que le système français.
Je me charge de l’établir, si la proposition est prise en considération et soumise, dans cette enceinte, à un débat contradictoire et complet.
Je me borne donc maintenant à faire mes réserves sur ce point et à déclarer que le système des auteurs de la proposition est beaucoup plus rigoureux et plus exagéré que celui admis en France, où l’ensemble du système protecteur est poussé, du reste, pour toutes les industries, beaucoup plus loin qu’en Belgique.
Pour justifier cette brusque introduction qui bouleverse toute notre législation sur les céréales, on n’a pas craint d’invoquer « l’intérêt des consommateurs » ! On vient encore d’invoquer cette considération : L’intérêt des consommateurs !
M. Eloy de Burdinne – Je demande la parole.
M. Castiau – Il faudra, je pense, que l’honorable M. Eloy de Burdinne prenne la parole et qu’il la prenne plusieurs fois pour démontrer ce qui me paraît être le paradoxe, le plus audacieux qu’on ait jamais produit dans une assemblée délibérante.
En effet, que fait-on dans l’intérêt des consommateurs suivant les termes de la proposition qui vous est présentée ? Quand le froment est à 22, 23 ou 24 fr. l’hectolitre, on admet un droit de sortie de 2, 4 et 6 fr. Voilà la seule mesure établie dans l’intérêt des consommateurs.
Mais comme, grâce au ciel, le prix des céréales n’arrive que très-rarement à ce chiffre exorbitant, et que suivant les honorables adversaires, l’agriculture belge ne peut alors soutenir la concurrence avec l’agriculture étrangère, la sortie des céréales n’aurait pas lieu. Le prétendu droit protecteur ne sera donc jamais appliqué. L’avantage pour les consommateurs, cet avantage qu’on fait sonner si haut, sera donc un avantage purement négatif, et, qu’on me permettre de le dire, complètement dérisoire.
Mais ce qui, malheureusement n’est pas dérisoire, ce qui est sérieux, très-sérieux et très-réel, ce sont les charges nouvelles, les charges écrasantes que la proposition de M. Eloy de Burdinne fera retomber sur les consommateurs ; permettez-moi, messieurs, d’entrer à cet égard dans quelques détails. J’espère qu’ils seront de nature à faire repousser la prise en considération de la proposition, quand on aura vu à quel degré d’exagération arrivent les dispositions qui vous sont soumises en ce moment.
Et d’abord quelques explications préjudicielles :
Dans le système de la loi de 1834, le droit est calculé par 1,000 kil. Il a plu aux honorables auteurs de la proposition de changer ce mode de calculer et de le remplacer par l’hectolitre, sans doute pour mieux dissimuler l’importance et l’énormité des droits nouveaux qu’ils vous proposent. Je le regrette, car l’appréciation au poids est bien préférable à l’appréciation à la mesure. On a donc eu tort de remplacer l’unité de poids de 1,000 kilog. Par l’hectolitre, mesure presque toujours menteuse et fausse. Mais enfin, puisqu’on s’est prononcé pour l’hectolitre, il faut bien l’adopter pour base de mes calculs :
Si l’hectolitre de céréales représente en Belgique, en moyenne, un poids de 80 kilog., on aura pour les 1000 kilog. de poids, de l’unité adoptée par la loi de 1834, douze hectolitres et demi ; réduisons à 12 hectolitres pour éviter les fractions.
Aujourd’hui, messieurs, quand le froment est à 19 fr. l’hectolitre, le droit est de 37 fr. 50, et il y a 16 c. additionnels à ce droit. C’est donc, messieurs, approximativement, 3 fr. de droit par hectolitre. D’après la propsosition qui vous est soumise par l’honorable M. Eloy de Burdinne, le droit serait de 4 fr. 75, soit par 1000 kil. 57 fr. au lieu de 37 fr. 50.
Quand le grain est aujourd’hui à 20 fr. quel est l’état actuel des choses ? On considère ce prix comme un prix exorbitant pour le consommateur ; car, enfin, il faut bien penser aussi à la position de ceux qui ont à se nourrir presqu’entièrement de pain. Eh bien ! dans l’intérêt des consommateurs et de la tranquillité publique qui s’y lie, on a admis, dans ce cas, la libre entrée entre les céréales étrangères. Que vous demandent, dans ce cas, les honorables auteurs de la proposition ? Il n’est plus question de la libre entrée pour eux ; ils vous proposent un droit de 3 fr. 50 par hectolitre, c’est-à-dire, un droit de 39 fr. par 1000 kil.
Le froment est-il à 21 fr. dans le système actuel ? Nous avons à plus forte raison encore la libre entrée. Mais les honorables auteurs de la proposition ne veulent à aucun prix de cette entrée libre. Dans ce cas encore, ils établissent un droit de 2 fr. 25 à l’hectolitre, ou de 27 fr. par 1000 kilog. !
Enfin, lorsque le froment est à 22 francs, ils ne sont pas encore désarmés par l’exagération de ce prix ; ils n’en continuent pas moins à repousser la libre entrée ; il leur fait encore un droit protecteur. Ils réclament encore un droit de 25 fr. par hectolitre ou de 1 fr. 25 c. par 1000 kilog.
Voilà, messieurs, pour la progression ascendante.
Suivons maintenant l’échelle descendante, et pour ne pas ennuyer trop longtemps l’assemblée par des détails de chiffres, prenons le prix actuel du froment et voyons quelles seront les conséquences de la proposition présentée, si l’on adopte pour point de départ le prix actuel du froment, qui est de 16 fr. par hectolitre. Au prix de 16 fr., le droit actuel est de 37 fr. 50 c. par 1,000 kilog., soit 3 fr. par hectolitre. On propose une surtaxe de 1 fr. 50 c. par chaque franc de baisse au-dessous de 19 fr., cela fait donc, au prix de 16 fr., 4 fr. 50 par hectolitre. Ce droit nouveau ajouté au droit actuel de 3 fr. donne un droit de 7 fr. 50 c. par hectolitre, c’est-à-dire de 90 fr. par 1,000 kilo., au lieu de 37 fr. 50 c. !
Ce n’est pas tout, messieurs ; il faut encore joindre à ce droit exorbitant le droit tout nouveau inventé par les honorables auteurs de la proposition pour rattacher à leur cause les représentants du commerce maritime, s’il faut en croire l’aveu naïf qu’on vient de faire à cette tribune ; il faut joindre, dis-je, au droit que je viens d’indiquer, le droit différentiel que la proposition porte tout d’un coup de 30 c. à 1 fr. 25 c. Tous ces droits réunis ne s’élèveront pas à moins de 8 fr. 75 c. par hectolitre ; c’est-à-dire à plus de 50 p.c. du prix actuel du froment.
Poursuivons cet examen. Pour bien vous faire apprécier, messieurs, toute l’exagération de la proposition que nous discutons, il faut décomposer cette somme de 8 fr. 75 par hectolitre, pour savoir quel sera le montant de la charge nouvelle par kilog. de pain. On suppose qu’un hectolitre de grain pèse 80 kilog : si, comme il paraît naturel de le croire, un kilogramme de grain représente, après la mouture et le travail du boulanger, un pareil poids en pain, on arrive à cette conséquence, que le droit de 8 fr. 75 c. donnera une charge nouvelle de près de 10 p.c. par kil. de pain ! En admettant maintenant que la consommation s’élève en moyenne à ½ kilog. par jour et par tête ; le droit protecteur serait donc de 18 fr par habitant, ce qui ferait pour les 4 millions d’habitants de la Belgique, une charge de 72 millions de francs ! (Interruption.)
Ce chiffre, messieurs, doit vous paraître exorbitant, je le conçois. Et, en vérité, il m’épouvante tellement moi-même, par son énormité, que je serais tenté de douter de l’exactitude de mes calculs. Aussi je prie mes honorables contradicteurs de vouloir les vérifier. Mais s’ils sont exacts, si le chiffre de 72 millions épouvante mes honorables adversaires comme il m’épouvante moi-même, je crois pouvoir assez compter sur leur raison, sur leur justice et sur leur prudence, pour avoir la certitude qu’ils seront les premiers à reculer devant des exagérations qu’il suffit de signaler pour les réfuter.
Sur qui maintenant retombera cette charge si exorbitante, de 72 millions de francs, de 60 millions, de 50 millions, si vous le voulez ? Mais elle retombera principalement sur ceux qui ne se nourrissent que de pain, sur les classes ouvrières, dont le pain et la pomme de terre constituent toute la nourriture. Le seigle lui-même, le seigle, cette nourriture des dernières classes de la population, n’est pas exempt. Il payera 60 p.c. du droit établi sur le froment. Cette surcharge retombera donc, pour la plus grande partie, sur ceux dont nous devons ici défendre les droits et les intérêts avec d’autant plus d’énergie, avec d’autant plus de chaleur, qu’ils n’ont pas, eux, le privilège d’envoyer ici des représentants officiels et légaux.
On me dira peut-être que si cette surcharge retombe sur les classes ouvrières, elle aura en même temps pour effet d’entraîner une augmentation proportionnelle dans le taux des salaires. Mais, messieurs, quand il en serait ainsi, il faut avouer du moins que l’industrie belge serait atteinte au cœur, par les dispositions nouvelles, et placée dans l’impossibilité de pouvoir jamais soutenir avec l’industrie étrangère les luttes de la concurrence.
Malheureusement, cette augmentation des salaires, qui est préconisée par quelques économistes comme une certitude, est plus que problématique. Il ne faut pas espérer, quoi qu’il arrive, d’augmentation de salaire ; il est des causes irrésistibles, fatales, qui poussent chaque jour à la réduction des salaires ; c’est d’une part l’accroissement si rapide de la population ouvrière, de l’autre, la concurrence extrême que se font aujourd’hui toutes les industries, c’est enfin l’introduction des machines.
Toutes ces causes réunies font peser aujourd’hui sur les classes ouvrières, la nécessité d’un accroissement de travail avec une réduction dans les salaires ; Que la cherté du pain vienne s’y joindre, et, en vérité, je ne sais plus où s’arrêtera ce fléau du paupérisme dont on nous retraçait encore hier ici les déplorables ravages.
Aussi, messieurs, dans ce cas de cherté du grain et du pain, ce n’est pas le salaire qui augmente dans les pays industriels, c’est la population pauvre, c’est la population ouvrière qui diminue. Elle souffre de cruelles privations et elle meurt. Consultez les statistiques de la France et de l’Angleterre, surtout, vous y verrez que dans les années de cherté du grain, c’est-à-dire de misère, la mortalité des classes ouvrières prend un développement effrayant. Je n’avais donc pas tort de vous dire, messieurs, que cette question était une question de vie et de mort pour des populations entières.
Quelles seront donc les victimes des mesure qu’on nous propose aujourd’hui ? Ce seront d’abord les ouvriers des villes. Sur eux la charge retombera toute entière et sans compensation. Ils n’auront pas d’augmentation de salaire. Ils payeront leur nourriture plus cher, elle sera insuffisante pour soutenir leurs forces ; ils seront soumis à des privations de toute espèce. Ils n’auront d’autre perspective que la misère et ses souffrances, et tout cela pour procurer à d’autres des bénéfices dont nous aurons, dans un instant, à indiquer la destination.
Mais, du moins, les ouvriers de la campagne auront-ils à se féliciter de cette surcharge dont on veut grever les céréales ? Non, messieurs, car les causes qui, dans les villes, amènent l’abaissement successif des salaires, ces causes agissent également dans les campagnes. Là aussi il y a exubérance de population ; là aussi les bras et les populations se font concurrence ; eux aussi donc payeront leur pain plus cher, sans voir augmenter leur salaire d’un seul centime. Je sais qu’il est, dans quelques parties de nos (page 840) campagnes, des ouvriers qui ne sont pas payés en argent, mais en nature. C’est un mode de payement que je suis loin d’approuver et qui est loin de leur être avantageux ; car, comme la cherté du grain résulte principalement du mauvais état des récoltes, ils en souffrent aussi, et ils sont obligés de se contenter souvent, pour leur part, de ce qu’ils auraient reçu dans une année d’abondance et de baisse de prix.
Et les cultivateurs, dont on prétend surtout plaider la cause dans cette circonstance, pensez-vous, messieurs, qu’ils auront à se féliciter de l’adoption de la proposition ? Il y a, messieurs, deux catégories de cultivateurs : il y a d’abord les petits propriétaires, ceux qui cultivent pour eux-mêmes. Ceux-là exploitent une chétive parcelle de terre, pour leurs besoins, pour les besoins de leur famille. Ils ne vendent pas ; ils sont donc en dehors de la question ; peu leur importent, à eux, les droits protecteurs que vous voulez établir.
A côté de ces petits propriétaires qui cultivent pour eux et leur famille, vous trouvez les cultivateurs qui cultivent pour d’autres, et ceux-là sont obligés de subir jusqu’à un certain point la loi du propriétaire dont ils dépendent ; ils ne sont pas maîtres de fixer le prix de la rente de la terre et la valeur des baux. Si les céréales renchérissent par l’effet des dispositions qui nous sont proposées… (Interruption.) Je ne comprends rien à cette interruption. Si tel n’est pas le but de la proposition qui vous est soumise, ce serait alors une proposition sans but, sans cause, sans effet, une proposition qui ne serait pas sérieuse, une proposition absurde, qu’on me permette l’expression, et qui ne mériterait pas d’occuper la chambre pendant une seule minute.
Eh bien, messieurs, la proposition aura pour effet d’élever le prix des céréales. Momentanément, peut-être, les cultivateurs dont je viens de parler, en retireront quelque avantage, mais ce sera un avantage de quelques années, de quelques mois, peut-être. L’époque du renouvellement des baux arrivera, et alors le prix de la rente de la terre haussera précisément dans la proportion de l’augmentation du prix des céréales. Alors, l’avantage que l’on veut accorder à l’agriculture, se retournera contre elle, et le cultivateur n’en retirera d’autre fruit que de voir augmenter successivement la charge de son fermage à chaque renouvellement de bail. Et qui donc, enfin, jouira seul de tous les avantages de la proposition de M. Eloy de Burdinne. Qui ? Mais le propriétaire terrien : c’est lui qui dicte les conditions de bail ; c’est lui qui perçoit la rente de la terre, et, comme cette rente s’élèvera inévitablement à la suite des dispositions qui vous sont présentées, le produit de cet accroissement ira tout naturellement se joindre aux autres avantages de la propriété et de la richesse.
Ainsi, messieurs, ce qu’on vient demander aujourd’hui, c’est non pas la taxe des pauvres, mais, s’il m’est permis de le dire, c’est une taxe sur le consommateur, une taxe sur les classes ouvrières, une taxe sur les pauvres eux-mêmes, une taxe sur les pauvres dans l’intérêt de la richesse et de l’opulence ; cette taxe, aurez-vous le courage de la voter ?
Je sais bien que dans les années de calme et d’abondance cette taxe établie au profit de la propriété foncière sera payée, et payée sans murmure, sans résistance, sans colère, mais qui peut répondre des événements et de l’avenir ? Viennent les mauvais jours, vienne la disette, vienne la cherté des grains, que répondrez-vous alors à ceux qui viendront vous demander du pain ? Etes-vous bien sûrs que vous serez assez forts pour contenir la colère des masses affamées et pour l’empêcher de faire explosion ?
Qu’on ne s’y trompe pas ; ce n’est plus le temps, messieurs, où l’on répondait aux cris de la faim avec de la mitraille et des baïonnettes ; nous sommes aujourd’hui en présence d’autres besoins et d’autres hommes. Toutes les classes de la société commencent à avoir tout à la fois le sentiment de leurs droits et le sentiment de leur force, et il y a quelque danger à les mettre trop souvent, trop cruellement aux prises avec les épreuves de la misère et les fatales inspirations de la faim.
Ainsi, messieurs, qu’on ne s’y trompe pas, si j’insiste si longtemps, c’est parce que la proposition soulève de formidables questions. Eh bien, avant de prêter à cette tribune des questions semblables, je voudrais bien savoir si les honorables auteurs de la proposition en ont apprécié toute la portée, les conséquences et les dangers. Je voudrais bien savoir s’ils se sont environnés de tous les renseignements, de tous les documents nécessaires pour éclairer la solution de telles questions. Ces questions touchent à tous les intérêts et à toutes les classes de la société ; elles intéressent l’industrie comme l’agriculture, les fermiers comme les propriétaires, les ouvriers comme les chefs d’industrie. Sait-on bien quel sera le résultat de la mesure pour la masse d’intérêts, j’oserais presque dire pour la masse des passions qu’elle met en jeu ?
J’interpelle donc formellement l’honorable M. Eloy de Burdinne et ses vingt co-signataires ; je leur demande s’ils possèdent les renseignements nécessaires pour que nous traitions cette question en connaissance de cause et sans jeter dans la société une effrayante perturbation. Sinon, je demanderai l’ajournement de la proposition aussi longtemps que la chambre sera dans l’impossibilité d’apprécier la portée de son vote et la véritable situation de l’agriculture dans le pays.
Sans avoir la prétention de dresser la nomenclature de tous les éléments de cette vaste instruction, voici quelques-unes des questions que je soumets aux vingt et un auteurs de la proposition. Leur réponse me prouvera s’ils ont ou non étudié la grave mesure qu’ils soumettent à notre approbation. Je leur demanderai donc :
1° Quelle est la moyenne du produit annuel de la culture des céréales en Belgique ? Suffit-elle, ou non, aux besoins de toute la population ? C’est le point de départ de la discussion.
2° Quel est le chiffre moyen des importations et des exportations des céréales depuis l’année 1830 ?
3° Quel est, en Belgique, le nombre des propriétaires terriens ?
4° Quel est le nombre des propriétaires qui cultivent eux-mêmes leurs terres ? Quel est le nombre, l’étendue des parcelles qu’ils cultivent ?
5° Quel est le nombre de cultivateurs qui exploitent à titre de location, le nombre et l’étendue des parcelles qu’ils exploitent ? (Interruption.)
Que prouve cette interruption ? Elle prouve, je le crains bien, que l’on a jeté à cette tribune la proposition en discussion avec autant de légèreté que de précipitation. Je n’ai certes pas le droit d’adresser des reproches aux graves et honorables signataires de cette proposition. Mais s’ils ne peuvent nous fournir les renseignements que je réclame, il faudrait en conclure qu’avant de porter la question à la tribune, ils n’en auraient pas suffisamment apprécié l’importance et étudié les éléments. Les renseignements que je demande, ce sont des renseignements tout matériels et qui appartiennent à la statistique agricole la plus vulgaire. Si les honorables auteurs de la proposition ne peuvent les fournir, c’est, ils en conviendront, qu’ils avouent leur impuissance à résoudre le problème qu’ils ont posé.
Je continue donc, et je reprends la série des questions que je crois devoir poser :
6° Quel est le nombre exact des ouvriers employés aux travaux des champs pendant toute l’année ?
7° Quelle est la moyenne du salaire de ces ouvriers ? Le salaire a-t-il été augmenté ou réduit depuis la loi du 31 juillet 1834 ?
8° Quel est le nombre des ouvriers payés en argent ou en nature ?
9° Indiquer la moyenne du prix des terres avant et depuis la loi du 31 juillet 1834.
10° Indiquer la moyenne du taux des fermages avant et depuis la loi du 31 juillet 1834.
Tel est le résumé de quelques-unes des questions que je crois avoir le droit d’adresser aux honorables auteurs de la proposition, avant qu’elle soit prise en considération.
S’ils n’y répondent, et leur interruption me prouve qu’ils sont dans l’impossibilité de le faire, j’en conclurai qu’ils ne possèdent pas même les premiers éléments de la question qu’ils ont voulu résoudre, et qu’ils ignorent quelle est notre véritable situation agricole et quelle sera la portée des innovations qu’ils vous proposent. Dans ce cas, j’aurai le droit, ce me semble, sans être accusé d’être trop sévère, de leur reprocher l’extrême légèreté qui aurait présidé à la présentation de la proposition que nous discutons.
Si les honorables auteurs de la proposition n’ont pas examiné les questions que j’ai posées, la chambre, en présence d’aussi graves intérêts, n’agira pas avec la même légèreté et la même imprudence. Elle doit ordonner l’ajournement de cette proposition qui ne paraît avoir été l’objet d’aucune étude préalable. C’est à cette conclusion que j’arriverai, si, comme je le pressens, les honorables auteurs de la proposition nous laissent sans réponse.
Il ne me restera plus alors qu’à m’adresser au gouvernement et à la chambre pour faire procéder à l’instruction de cette vaste question agricole. Et si le gouvernement répudie encore cette fois l’initiative et laisse, comme toujours, flotter au hasard les rênes de l’administration, j’engagerai la chambre à s’en saisir et à faire pour l’agriculture ce qu’elle a fait pour l’industrie. Elle a institué une commission d’enquête industrielle ; je l’engagerai à établi une commission d’enquête agricole. Cette commission pourrait aussi visiter nos diverses provinces pour constater l’état et les besoins de notre agriculture ; elle réunirait tous les documents et toutes les observations propres à nous éclairer, et alors, du moins, nous aurions l’espoir de concilier les nombreux et puissants intérêts engagés dans cette discussion et de maintenir l’équilibre entre les prétention opposées qui sont aujourd’hui en présence.
Pour me résumer donc, et pour en finir, je dirai aussi : Protégeons l’agriculture ; protégeons-là en combattant surtout l’ignorance, la routine et les préjugés, en ouvrant des écoles pour elle, en l’initiant aux nouvelles méthodes et aux innovations utiles. Protégeons l’agriculture, mais protégeons aussi le travail d’industrie, protégeons les majorités, protégeons les classes ouvrières surtout, protégeons enfin l’ordre social lui-même, car si l’on n’y prend garde, messieurs, le mécontentement qui gronde sourdement au sein de toute la société européenne pourra bien finir par éclater sur nos têtes avec la violence et la rapidité de la foudre.
M. Osy – Messieurs, si nous étions au commencement d’une session et que nous eussions l’espoir de pouvoir nous occuper de cette grave question avant notre séparation, je ne combattrais pas la prise en considération de la proposition qui vous est soumise. Mais nous sommes à la fin de la session, et il est certain que nous ne pourrions aborder l’examen de cette question avant le mois de février ou de mars de l’année prochaine. Dès lors, messieurs, nous allons laisser le commerce, les consommateurs et les producteurs dans un état d’incertitude qui sera très-fâcheux.
Je viens donc combattre la proposition. Je voterai contre la prise en considération ; et je trouve la question tellement importante que je ferai insérer mon vote négatif au procès-verbal.
Messieurs, il n’est pas douteux que l’agriculture est l’industrie qui depuis 1830 a le plus prospéré en Belgique. Nous avons eu des années où le prix des grains était extrêmement élevé ; nous avons vu également les propriétés augmenter de valeur et tous les propriétaires s’empresser de faire des baux en conséquence. Aujourd’hui que nous avons eu deux années d’abondance, nous voyons fléchir les prix. Je suis persuadé que cette baisse provient de l’abondance de la récolte ; ce qui le prouve, messieurs, c’est qu’en 1843 et en 1844, l’importation des grains, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, n’a pas été considérable.
A la vérité, nous sommes dans un moment de crise. Ce qui en résultera, messieurs, c’est que les propriétaires seront obligés de baisser le taux de (page 841) leurs baux. Mais ils seront encore dans une position meilleure qu’avant 1830, je suis persuadé que les prix des baux qu’on devra renouveler seront plus élevés qu’avant cette époque. En effet, messieurs, depuis 1819, quand nous sommes rentrés dans un état normal, après les années fâcheuses de 1816 et 1817, où nous avons vu le froment de 31 à 34 fr., jusqu’en 1831, la moyenne des prix pour le froment n’a été que de 16 fr. 60 tandis que de 1832 jusqu’en 1844, cette moyenne a été de 18 fr. 50. Il n’y a donc pas de doute que le propriétaire a considérablement gagné.
Messieurs, ce que vous a dit l’honorable M. Castiau des petits propriétaires est très-exact. Nos petits propriétaires ont très-peu de grains à vendre ; c’est principalement pour leur consommation qu’ils cultivent. Nous ne devons donc prendre en considération que l’intérêt des grands propriétaires et celui des cultivateurs ; et, quant à ces derniers, je viens de le dire, ils devront nécessairement obtenir une réduction dans leurs baux.
Messieurs, l’honorable M. Eloy de Burdinne et ses honorables amis, auteurs de la proposition, vont beaucoup plus loin que ce qui existe en France.
En France, il y a quatre zones. Je ne m’occuperai que de celles qui sont limitrophes de la Belgique. Dans la zone qui comprend le département du Nord, celui du Pas-de-Calais et en général le Nord et l’Ouest de la France lorsque le froment est à 22 fr., il est libre à l’entrée ; car je ne calcule pas le droit de balance de 25 centimes. Par la proposition qui vous est soumise, au contraire, lorsque le froment serait de 22 à 23 fr., il payerait encore 1 fr ; 25 c. d’entrée, plus 1 fr. 25 c. par navire étranger, ce qui fait 2 fr. 50 c.
Dans les départements de l’Est, comme les Ardennes, la Meuse, l’entrée du froment est libre à 20 fr. ; la différence avec ce qu’on nous propose aujourd’hui serait donc de 3 fr. 25 c. par pavillon national et de 4 fr. 75 c. par pavillon étranger.
Vous voyez, messieurs, que la proposition diffère considérablement du système français, établi dans les zones du Nord, de l’Est et de l’Ouest qui touchent à la Belgique.
Messieurs, ce qui est plus grave, c’est le tarif que l’on nous propose pour les droits de sortie.
D’après la loi de 1834, lorsque le froment est à 20 fr., l’exportation est libre jusqu’au prix de 24 francs, et à 24 francs il y a prohibition. C’est là, messieurs, la disposition de la loi de 1834 qui me plait le plus, parce qu’en présence de notre situation géographique si heureuse, nous avons quatre mois pendant lesquels nous pouvons exporter pour l’Angleterre et la France, tandis que, pendant cette époque, la Baltique, qui est un grenier d’abondance, ne peut rien exporter. C’est là un grand avantage que nous procurons à nos producteurs, sans inconvénients pour les consommateurs, parce que les grains exportés sont promptement remplacés lorsque la navigation est ouverte ; tandis qu’avec les droits de sortie de 6 francs et de 4 francs que propose l’honorable M. Eloy de Burdinne, on frappe nos producteurs. Car, lorsque le froment sera de 23 à 24 francs, on devra payer 4 francs de sortie ; et en calculant les frais que l’on est obligé de faire à l’étranger, il en résultera que le producteur qui exportera, ne retirera que 19 à 20 francs de ses grains, lorsque les prix seront dans le pays de 23 à 24 francs.
Messieurs, j’ai toujours été d’opinion que la loi de 1834 devrait être révisée, et j’ai, l’année dernière, insisté fortement à cet égard. Nous nous occupions alors, en section centrale, du projet de loi que nous avait présenté le gouvernement. Quelques membres voulaient un droit fixe ou au moins un droit gradué assez modéré ; l’honorable M. Eloy de Burdinne, qui faisait partie de la section centrale, insistait vivement pour que l’on adoptât le système français. Aujourd’hui, messieurs, il paraît que ses idées sont bien plus avancées, car les propositions qu’il nous fait s’écartent beaucoup, comme je vous l’ai démontrée, du système français.
Messieurs, nous avons voté un projet de loi que nous avons prorogé cette année et qui fixe à 4 francs le droit d’entrée de l’orge ; ce droit de 4 francs, messieurs, établit un droit de 30 centimes par hectolitre. Que nous propose l’honorable M. Eloy de Burdinne ? c’est de frapper l’orge d’un droit de 4 fr. 62 c. par hectolitre, en admettant que l’hectolitre pèse 60 kilogrammes…
M. Eloy de Burdinne – Cela dépend des prix.
M. Osy – Je prends une moyenne. La moyenne pour l’avoine est dans la même proportion.
Messieurs, je suis persuadé que le projet de loi que l’on nous propose, porterait préjudice aux consommateurs, non-seulement en ce qui concerne l’orge, mais aussi en ce qui concerne le froment et le seigle, et qu’il en résultera un grand malaise dans le pays.
Quant au commerce, déjà la loi de 1834 laissant beaucoup d’incertitudes, il ne pouvait se livrer, qu’à des affaires de peu d’importance sur les grains. Si, au contraire, nous avions une loi établissant un droit fixe qui irait de 16 à 22 francs, ou au moins un droit bien gradué, le commerce saurait à quoi s’en tenir et vous auriez toujours en entrepôt des grains, pour les moments où il vous en manquerait, tandis que si la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne était acceptée, vous seriez obligés d’abandonner le commerce des grains. Dans les mauvais jours, vous seriez contraints d’aller courir dans tous les ports de l’étranger, et de payer des prix énormes, pour avoir de mauvais grains.
M. Cogels – Messieurs, je ne viens pas m’opposer à la prise en considération ; je n’entrerai pas non plus dans le fond de la question ; je crois que cela nous entraînerait trop loin, et cela ne pourrait avoir aucun résultat.
Que la proposition qui vous est faite, est exagérée, l’honorable M. Eloy de Burdinne le reconnaît lui-même ; et, en effet, il suffit de jeter un coup d’œil sur la proposition pour s’en convaincre ; je ne citerai ici que deux suppositions.
Voyons d’abord quelle est la position actuelle des froments : lorsque le prix s’élève au-dessus de 20 francs, l’entrée est libre. Or, d’après la proposition qui vous est soumise, lorsque le prix serait de 20 à 21 fr., il y aurait un droit d’entrée de 3 fr. 25 c. ce qui, majoré de 1 fr. 25 pour le pavillon étranger, ferait 4 fr. 50 c. Il y aurait donc un droit de 60 fr. par mille kilog. au lieu d’avoir une entrée libre. En, effet, les grains ne nous viendront pas par pavillon belge, car le pavillon belge ne peut aller hiverner dans la Baltique comme les navires qui appartiennent aux ports de cette mer, et nos navires ne vont guère à la Baltique.
Prenons maintenant le prix de 19 à 20 francs. Eh bien, à ce prix, le droit actuel est de 37 fr. 50 c. ; au taux de 4 fr. 75 c., majoré d’un franc 25 centimes pour le pavillon étranger, vous aurez un droit de 6 fr. par hectolitre, c’est-à-dire plus du double de celui qui existe aujourd’hui.
L’honorable M. Eloy de Burdinne s’est appuyé principalement sur la législation française ; il a établi une comparaison entre la Belgique et la France, et il a dit que le cultivateur belge avait droit à la même protection que le cultivateur français.
Quoique je n’admette pas l’égalité de protection qui serait due aux cultivateurs des deux pays, je demande, pour que la chambre s’éclaire convenablement sur la question, qu’on nous donne la législation française. Nous en avons un résumé incomplet dans les tarifs comparés qui nous ont été distribués ; je dis un résumé incomplet, car nous n’avons pas la distribution des différentes zones auxquelles les droits sont applicables. Nous devrions donc avoir la loi de 1831 et celle de 1832, qui régissent actuellement la France. Nous devrions avoir de plus des données exactes sur l’influence que ces lois ont exercées en France, c’est-à-dire des données statistiques sur les prix des mercuriales dans les différentes zones depuis 1831 jusqu’à l’époque actuelle. Il serait également utile d’avoir un extrait des statistiques françaises, et de connaître le chiffre des importations qui ont eu lieu en France pendant la même époque.
Quant à la Belgique, je crois qu’il serait difficile de se procurer tous les renseignements indiqués par l’honorable M. Castiau. On a tenté de faire une statistique agricole sous le gouvernement impérial ; on a dû renoncer à cette tentative, parce qu’il était impossible de savoir ce qui en était. On s’adressait aux communes ; et savez-vous comment on s’y prenait dans les communes pour rédiger la statistique agricole ? le maire de l’époque, car il n’y avait pas alors de bourgmestre, faire venir le secrétaire communal dans son cabinet, et là s’établissait le colloque suivant : « Voyons ; combien pourrions-nous avoir d’hectares de seigle ? – Autant. – Autant, oui, mais mettons autant. – Combien d’hectares de froment ? – Autant – Oui, mais mettons autant, et ainsi de suite. – Voyons maintenant si l’addition de ces chiffres représente bien le nombre d’hectares de la commune. Ce nombre est dépassé, eh bien nous rabattrons autant d’hectares de seigle, et autant d’hectares de froment. » La statistique agricole, ainsi préparée, était envoyée au préfet.
Je demande à quoi sert une statistique pareille, dressée de la même manière, pourrait nous conduire. Ce que nous devons voir, ce sont des données positives. Je demande qu’on nous communique également le relevé des importations depuis que la loi de 1834 est en vigueur, et d’y joindre les mercuriales des prix en Belgique, parce que nous pourrons alors comparer exactement la position de la Belgique avec celle de la France, et nous pourrons examiner laquelle des deux législations a été en réalité la plus favorable, d’abord aux propriétaires, pour le maintien des prix, et ensuite au développement de la culture ; car, ainsi que je l’ai dit dans une circonstance précédente, je crois que la culture en France, malgré toute la protection dont elle jouit, n’a pas atteint le degré de perfection auquel elle est parvenue en Belgique.
Il y a encore une autre donnée que nous devrions avoir, c’est le rapport exact de la population de la Belgique à l’étendue de la partie du territoire qui peut être mise en culture, et le même rapport pour la France. C’est d’après cela qu’il faut régler les encouragements à donner à l’agriculture ; car, il ne faut pas se le dissimuler, lorsque dans un pays il y a exubérance de population, que la population n’est plus en rapport avec l’étendue du territoire, il faut nécessairement, que cette population prenne une partie de sa subsistance à l’étranger.
Je demande que si la chambre prend la proposition en considération, nous soyons mis en possession de ces divers renseignements, avant l’examen en sections. C’est une question extrêmement grave qui se lie, pour ainsi dire, à l’existence du pays ; elle doit être examinée avec toute la maturité convenable. Et ici, je dois le dire, je partage complètement l’opinion de l’honorable M. Castiau ; la proposition nous a été faite avec une certaine légèreté, et ce qui le prouve, c’est que les honorables signataires de la proposition semblent reconnaître déjà eux-mêmes toute l’exagération de leur projet de loi.
M. de Haerne – Messieurs, on a accusé les auteurs de la proposition d’une certaine légèreté ; on n’a pas pu s’expliquer comment cette proposition a été lancée inopinément dans la chambre, comment elle y est tombée comme un espèce d’aérolithe législative.
Il me semble que la chose s’explique naturellement. On conçoit qu’à l’occasion de la discussion de l’article du budget de l’intérieur qui se rapporte à l’agriculture, on se soit préoccupé des intérêts agricoles, qu’on se soit demandé quel était le moyen de venir à son secours. Nous sommes donc d’accord sur ce point : les honorables MM. Castiau, Osy, Cogels avouent qu’il faut protéger l’agriculture. Les auteurs de la proposition n’ont pas eu d’autre but.
On vient nous dire : Votre proposition est exagéré, vous demandez la prohibition.
(page 842) Mais, messieurs, quand on fait une proposition à la chambre, on ne formule dans le projet que les questions de principe, on abandonne les détails à la discussion. Je dis, pour ma part, que l’intention qui m’a guidé en signant la proposition, a été d’accorder à l’agriculture une protection suffisante, comme on en doit à toutes les autres industries. Mais si dans le cours de la discussion on vient à nous démontrer qu’il y a exagération dans notre proposition, je serai le premier à me rallier à ceux qui proposeront des dispositions plus modérées.
On s’est fait ici l’écho de je ne sais quels bruits qui ont été répandus dans le public sur les intentions des signataires de la proposition ; on a été jusqu’à dire que le public nous soupçonnait d’avoir eu en vue les élections, en faisant cette proposition.
Je ne comprends rien, pour ma part, à une semblable supposition. Comment l’honorable membre auquel je réponds a-t-il pu se faire l’écho de bruits aussi étranges ? L’honorable M. Castiau, partant de la thèse qu’il vient de soutenir, à savoir que les cultivateurs eux-mêmes ne voudront pas de cette proposition, n’aurait-il pas pu répondre à ceux qui lui faisaient ces confidences : « que des suppositions semblables sont absurdes ; que les auteurs de la proposition, à moins de jouer un rôle de dupes, n’ont pas pu avoir pour but de captiver la confiance des électeurs des campagnes, puisque leur système est contraire aux intérêts des cultivateurs ? » Evidemment, d’après l’opinion de l’honorable membre, ce serait l’effet contraire qui en résulterait, et les signataires de la proposition s’aliéneraient les électeurs agricoles au lieu de se les attacher.
L’honorable M. Castiau nous adresse le reproche de légèreté ; ne sommes-nous pas en droit d’adresser ce reproche à l’honorable M. Castiau, qui se fait l’écho de bruits aussi ridicules ?
D’ailleurs, si nous nous respections assez peu pour faire de nos actes et de nos votes une espèce de trafic électoral, nous aurions d’autres influences à ménager que celles qui viennent de la campagne.
Je le répète, nous n’avons vu qu’une chose, c’est de protéger l’agriculture.
Pour ce qui regarde l’intérêt de l’industrie, je défends cet intérêt autant que personne ; je défends l’intérêt des ouvriers, l’intérêt de la classe ouvrière en général ; je le soutiens de toutes mes forces, en toute occasion. Mais les ouvriers des campagnes ne sont-ils rien ? Ne doit-on pas être convaincu, au contraire, qu’ils sont en majorité dans le pays ? Sans parler du salaire de ceux qui sont rétribués en nature, ce qui doit être pris en considération, de l’aveu de l’honorable député de Tournay lui-même, n’est-il pas évident que, lorsque vous protégez l’agriculture, vous mettez le fermier à même de payer mieux ses ouvriers ? Vous assurez un meilleur salaire à l’ouvrier agricole. Permettez-moi de vous dire ce qui se passe en ce moment dans nos campagnes ; les salaires sont au rabais, à cause de la gêne où se trouve le cultivateur.
L’existence de cette classe immense d’ouvriers, est devenue très-précaire, surtout dans quelques parties des Flandres, par suite de la réduction des salaires.
Voilà pourquoi je vous disais qu’il ne s’agissait pas seulement du cultivateur et du propriétaire, mais du grand nombre d’ouvriers attachés à la terre. C’est donc l’intérêt de la classe ouvrière que je veux protéger avant tout, l’intérêt du plus grand nombre des ouvriers.
J’ajouterai qu’en protégeant l’agriculture, vous protégerez l’ouvrier en général, l’ouvrier des villes aussi bien que celui des campagnes. Je n’entrerai pas dans de longs détails à cet égard ; je me permettrai de faire une seule observation. Dans un pays comme le nôtre, quel est le principal débouché de nos manufactures ? C’est le marché intérieur, car malheureusement il faut l’avouer, nous avons peu d’exportations.
Mais quels sont dans le pays les principaux consommateurs ? ceux qui prennent en masse les produits de nos fabriques. Ne les trouve-t-on pas à la campagne ? Si on réduit les campagnes à la misère, viendront-elles enlever les produits de nos fabriques ? Ne voit-on pas tous les jours que, dès qu’une crise s’annonce à la campagne, les industriels, les boutiquiers des villes sont en souffrance ? Dans un pays comme le nôtre, pour protéger les manufactures, il faut leur procurer un écoulement dans l’intérieur, et surtout à la campagne, où se trouve la masse de la population. Voilà comment j’entends protéger l’industrie, et par conséquent l’ouvrier qui vit de cette industrie.
Messieurs, toutes les industries se tiennent ; l’industrie agricole est inutilement liée à l’industrie manufacturière. Vous ne pouvez frapper l’une sans frapper l’autre, et en protégeant l’une vous protégez l’autre.
J’ai voulu assurer à l’agriculture, en Belgique, une protection semblable à celle qu’elle reçoit en France. Si la protection résultant de la proposition excède celle accordée à l’agriculture française, je suis prêt à me rallier à l’opinion de mes adversaires, et si l’on me démontre que cette protection est exagérée, ce que je ne crois pas, je serai encore prêt à faire des concessions.
Avant tout il faut de la régularité dans les prix des produits agricoles ; cette régularité, nous voulons l’obtenir au moyen de notre échelle. C’est à l’échelle graduée plus qu’aux chiffres que nous tenons. Les chiffres seront examinés dans la discussion de la proposition. A propos de la prise en considération on ne doit s’occuper que du système de l’échelle graduée que nous proposons pour établir une certaine stabilité dans les prix afin de faire disparaître les fluctuations continuelles auxquelles sont soumises les produits agricoles, fluctuations qui jettent de l’incertitude chez les cultivateurs et sont un obstacle aux améliorations qu’ils voudraient introduire dans l’agriculture. Si vous pouvez obtenir la stabilité des prix, si vous pouvez faire disparaître ce mouvement qui fait varier les prix de l’un extrême à l’autre, vous atteindrez le but que je viens d’avoir l’honneur de vous indiquer et qui consiste à donner au cultivateur la sécurité dont il a besoin pour se livrer à son exploitation. Messieurs, je pense qu’après l’adoption de votre proposition, les prix des céréales ne seront pas plus élevés qu’à présent en prenant la moyenne d’un certain nombre d’années ; mais ils seront plus fixes, et voilà le but qu’on doit chercher à atteindre.
S’il m’était démontré que, par suite de la proposition que nous vous avons soumise, les prix dussent s’élever, si les consommateurs en général devaient payer les céréales plus cher que maintenant, et prenant une moyenne d’un certain nombre d’années, je serais le premier à revenir de mon opinion et à me rallier à celle des honorables membres qui veulent un prix moyen tel que les intérêts des ouvriers, des consommateurs ne soient pas lésés. Voilà dans quel sens j’ai entendu la proposition.
Quant à l’urgence, je ne pense pas qu’elle soit telle qu’on ne puisse pas prendre, avant de discuter la proposition, tous les renseignements nécessaires, mais j’ai cru en même temps que cela ne nous empêcherait pas d’aborder cette question avant la clôture de la cette session. Je vous avoue que je ne m’attendais pas à une opposition aussi vive que celle qui semble s’annoncer. Quoi qu’il en soit, la suite nous fera voir si je me suis trompé à cet égard, et comme il ne s’agit aujourd’hui que de la prise en considération, il me semble que rien ne doit nous arrêter pour le moment.
M. de La Coste – Messieurs, en vous entretenant, dans une précédente session, des chemins vicinaux, je vous disais que la question qui est maintenant soulevée est une question grave, une question redoutable même par les intérêts qu’elle embrasse et qu’il importe de concilier. Je disais encore que, pour ma part, je voudrais que, dans une question semblable, nous eussions le gouvernement pour guide de nos travaux. Ces motifs, et la difficulté de me prononcer dès à présent sur un système nouveau et compliqué, d’en apprécier tout d’abord les résultats, m’ont empêché de joindre ma signature à celles des 21 membres qui ont appuyé la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne. Mais, messieurs, je pense que, dans ce moment, il ne s’agit pas d’examiner la question au fond, mais de voir si nous refuserons à 21 de nos collègues une marque de courtoisie ; si nous refuserons à un de principaux intérêts du pays, au premier intérêt du pays, une marque de sympathie. C’est ce que nous ferions, à mon avis, en nous opposant à la prise en considération. Quant à moi, je l’appuierai, en me réservant toute liberté d’appréciation relativement au plan qui nous est proposé. Tout d’abord, je me joindrai à l’honorable M. Osy pour combattre l’idée d’augmenter le droit d’entrée sur l’orge ; c’est une question qui a été discutée chaque année par la chambre ; je ne pense pas qu’elle change tout à coup d’avis à cet égard.
Je n’examinerai pas, je le répète, la question au fond, mais je trouve un motif de plus pour appuyer la prise en considération en ce que la loi de 1834 n’est pas entière, ayant été éludée et affaiblie. C’est une question à aborder, et à aborder avec calme et maturité que celle de savoir si, dans les circonstances présentes, cette loi éludée, affaiblie, atteint encore le but qu’on s’était proposé.
Je ne puis, du reste, sur plusieurs points, partager les opinions émises par l’honorable M. Castiau. Je ne puis du moins les admettre dans toute l’étendue qu’il leur donne. Il dit que l’agriculture est fort protégée, que la protection va jusqu’à 25 p.c., et quelquefois jusqu’à la prohibition ; mais il n’a point fait attention, ce me semble, que l’agriculture, sous un autre rapport, se trouve dans une position plus défavorable qu’aucune autre industrie, qu’elle est soumise à une entrave, à une cause de découragement auxquelles ne sont pas soumises les autres industries ; en effet, dans les moment où elle pourrait réaliser des bénéfices, et se payer des années de souffrance et de pertes, alors on lui dit : Vous n’exporterez pas. Il faut donc à cette prohibition de sortie une compensation. Il la faut même dans l’intérêt du consommateur ; sans cela, l’agriculteur, découragé, ne lui fournirait plus ses produits en quantité suffisante, et le livrerait à l’incertitude des arrivages de l’étranger.
Ceci est une grave difficulté, contre le système de droit fixe. J’ai quelquefois agité cette question avec des hommes intelligents et au fait des intérêts du commerce, et je leur ai fait cette objection, à laquelle je n’ai point reçu de solution. Cette objection ne tient pas à un système, mais à des faits. En Belgique, en cas de surabondance, on ne résistera pas aux plaintes de la classe agricole à l’image de sa détresse ; en cas de disette, on ne résistera pas aux plaintes des consommateurs. Nous avons là deux faits, deux termes extrêmes entre lesquels le législateur se trouve en quelque sorte emprisonné.
L’honorable M. Castiau a dit que la protection accordée à l’agriculture était exclusivement dans l’intérêt des grands propriétaires. Je pense, d’après ce que j’ai vu, d’après mon expérience et mon raisonnement, qu’il n’en est pas ainsi. J’ai la conviction que la prospérité dont l’agriculture a joui, a tourné également au profit de la classe laborieuse des campagnes dont une bonne partie est devenue propriétaire elle-même. Les grands propriétaires ne peuvent pas soutenir leur concurrence dans l’acquisition de parcelles de terres et je l’ai éprouvé souvent moi-même, excepté dans les cas où les bons rapports qui existaient entre les cultivateurs et moi, les engageaient à m’épargner volontairement cette concurrence. Quant à la question du salaire, elle ne doit pas être considérée d’un seul point de vue ; je crois qu’il y a eu augmentation pour certaines professions plus difficiles ; je citerai, d’après ma propre expérience, les élagueurs.
Mais il y a autre chose qu’il ne faut pas perdre de vie : c’est que peu importe le taux du salaire, quand on ne peut le gagner. Si les produits ne sont pas à un taux normal, le travail des campagnes diminue, on cultive (page 843) moins, les plus mauvais terrains sont abandonnés ; les médiocres son négligés ; les meilleurs mêmes sont l’objet de moins de soins ; on travaille moins bien le sol, on fume, on sarcle moins ; quand même les journées sont au même taux, il y a moins de journées gagnées.
Cela me paraît donc évident : que les salaires aient ou non varié, ce n’est point là le fait le plus important à connaître ; ce qui importe surtout, c’est de savoir si l’on gagne ces salaires.
Il faut encore considérer que nous ne vivons pas sous l’empire de la liberté de commerce et d’industrie. Nous cherchons à protéger les diverses industries ; nous attirons ainsi les capitaux, le travail vers ces industries. Si l’agriculture n’avait point de part à cette protection, le travail s’éloignerait des champs, et la misère des campagnes refluerait sur les villes.
Au surplus, je pense que les renseignements dont nous avons besoin devraient nous être fournis, non pas avant, mais après la prise en considération.
Si une enquête était nécessaire, elle devrait résulter de l’examen des sections et de celui de la section centrale ou de la délibération sur le fond. Ainsi, tout la discussion est, en général, prématurée. Il ne s’agit, en ce moment, comme je l’ai dit en commençant que de savoir si nous refuserons à nos collègues une marque de courtoisie que nous accordons toujours, et à l’agriculture un témoignage de sympathie que nous ne refuserions pas à la plus humble de nos industries.
M. le président – La parole est à M. de Garcia.
M. de Garcia – J’y renonce pour le moment.
M. de Muelenaere – Je pense, avec l’honorable préopinant, que le moment n’est pas venu d’entrer dans le fond de la question, ni d’anticiper sur la discussion qui doit avoir lieu.
La proposition qui vous est faite est légale, constitutionnelle. Elle constitue même l’exercice d’une prérogative parlementaire.
L’honorable préopinant, qui le premier dans cette séance a porté la parole, a fait ressortir la haute gravité de cette question. Sur ce point, je suis parfaitement d’accord avec lui. Mais c’est parce que la question est grave et d’une haute importance pour le pays, qu’il y a lieu de la prendre en considération. En effet, que signifie la prise en considération ? Dans nos usages parlementaires, la prise en considération ne constitue même pas un préjugé en faveur de la proposition ; elle ne dit autre chose, si ce n’est qu’il y a lieu à examiner, à délibérer. Dès lors sur une question comme celle qui vous est proposée, question dont l’honorable M. Castiau lui-même a fait ressortir la haute importance, il ne peut y avoir aucun doute. Nous devons être tous d’accord pour prendre la proposition en considération.
Je n’ajouterai que quelques mots à l’appui de cette opinion et en réponse aux observations qui ont été produites.
Tout le monde paraît d’accord qu’il y a quelque chose à faire, que la loi de 1834 doit être révisée, au moins dans quelques-unes de ses dispositions. Je pense que les honorables membres eux-mêmes qui jusqu’à présent ont combattu la proposition au fonds sont d’accord avec nous qu’il y a lieu de substituer le système d’échelle gradué au système établi par la loi de 1834.
Je pense que l’on sera facilement d’accord avec nous, quant aux changements à faire, que le nombre des marchés régulateurs est trop restreint, et que le délai de quinzaine n’est pas suffisant.
En effet, il résulte de ces dispositions qu’on a trouvé moyen d’éluder la loi de 1834, que la protection qu’on a voulu établir pour l’agriculture est devenue illusoire, précisément dans les circonstances où cette protection aurait dû être efficace.
Un honorable préopinant se prononce même contre la prise en considération et convient avec nous que l’agriculture était dans un état de crise. D’après cela, il devient d’autant plus urgent de s’occuper du projet de loi.
Quant à moi, j’ai l’espoir fondé que cette proposition sera discutée dans la session actuelle. Si je n’avais pas eu cet espoir, je n’aurais pas consenti à apposer ma signature au bas de cette proposition.
La plupart des observations qui ont été produites ont porté sur les chiffres mêmes qui ont été proposés. Je dois déclarer dès à présent à mes honorables collègues qu’il n’y a dans les chiffres rien de fatal, rien d’inflexible, que ces chiffres seront soumis à la discussion, et que nous sommes disposés à accepter les modifications dont la nécessité nous sera démontrée, parce que notre but a été surtout de substituer un autre système à celui de la loi de 1834, et d’accorder à l’agriculture, au travail national (car nous ne faisons aucune différence ; c’est une loi protectrice pour le travail comme pour l’agriculture), une protection plus efficace, plus réelle que celle qui a été accorée par cette loi.
Je crois que ces observations seront suffisantes pour expliquer la pensée qui a présidé à cette protection. C’est une pensée de protection en faveur de l’agriculture, en faveur du travail national.
La proposition sera discutée, et nous sommes disposés à admettre les modifications dont la nécessité nous sera démontrée, dans l’intérêt surtout des classes pauvres, des classes ouvrières.
M. de Theux propose, par motion d’ordre, que la parole soit accordée alternativement à un orateur pour et à un orateur contre la prise en considération.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je ne m’attendais pas à voir déroger à l’usage constamment suivi par la chambre.
Il est sans exemple qu’une prise en considération ait donné lieu à une discussion au fond (Interruption.) C’est bien le fond qu’on discute aujourd’hui.
Il me semble que nous devons nous entendre sur un seul point : c’est la marche à suivre pour l’instruction du projet.
Je crois qu’il serait impossible de recueillir les renseignements statistiques que l’honorable M. Castiau nous a énumérés. Je le regrette avec lui, mais il y a certains de ces renseignements que je regarde comme impossibles.
On a vainement tenté de savoir, par exemple, le nombre des propriétaires fonciers, surtout en distinguant s’ils sont grands propriétaires, ou non.
Ensuite, on a vainement, jusqu’à présent, cherché à connaître le nombre des cultivateurs, avec la distinction s’ils cultivent comme propriétaires ou comme fermiers.
Je le regrette, notre science statistique n’est pas encore arrivée là. Je sais bien que les éléments existent. Mais cela ne suffit pas. Il faudrait un travail immense qui n’a pas été entrepris jusqu’à présent.
Je crois cependant que la chambre a besoin de certains documents. Ce sont a peu près les documents que l’honorable M. Cogels vous a indiqués et dont quelques-uns avaient aussi été indiqués par l’honorable M. Castiau.
1° Tableau des mercuriales en Belgique depuis 1834 ;
2° Tableaux des mercuriales en France.
Le premier de ces tableaux, celui des mercuriales belges, existe au ministère de l’intérieur.
Le deuxième tableau, on pourrait le former en compulsant le Moniteur français. Ce travail serait très-long, surtout si l’on veut les mercuriales des quatre zones. Mais si vous ne prenez que deux zones, les troisième et quatrième, celles qui sont limitrophes, ce travail peut se faire en quelques jours.
On joindrait à ces documents, en troisième lieu, le texte de la législation française. On pourrait y ajouter aussi le texte complet de la législation du Zollverein et des Pays-Bas.
On a désiré avoir le même travail pour la France. Ce travail pourrait aussi vous être donné en très-peu de temps.
Enfin il y a un autre travail qui a été essayé plusieurs fois, mais qui n’inspire aucun créance : quelle est la production du pays ? Chaque année, au ministère de l’intérieur, on demande des renseignements aux gouverneurs ; on les réunit en tableau. L’année dernière, j’ai présenté ce tableau pour la récolte de 1843 ; mais ce tableau n’a inspiré aucune confiance. Néanmoins avec la réserve que je fais en ce moment, je suis encore prêt à remettre à la chambre un nouveau travail de ce genre.
Voilà les renseignements que l’on peut vous donner d’ici à peu de jours. On pourrait aussi, messieurs, consulter les chambres de commerce et les commissions d’agriculture, et je suis convaincu que ces corps répondront dans un très-bref délai.
J’ai vu, messieurs, avec plaisir, déclarer, par l’honorable membre chargé de développer la proposition, et par d’autres co-signataires de cette proposition, que l’on ne tenait pas aux chiffres. Je dirai, cependant, que tout la question est dans les chiffres. Il ne faut pas qu’on se fasse illusion...
M. de Garcia – On ne tient pas aux chiffres, si vous démontrez qu’ils sont trop hauts.
M. de Mérode – Vous allongez la discussion à plaisir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – On dit, messieurs, que j’allonge la discussion à plaisir. Je dis quelques mots, d’abord parce que je crois que c’est mon devoir ; et ensuite je serai assez court pour que je ne puisse mériter le reproche d’allonger la discussion.
Je vais dire, messieurs, sur quel point on est à peu près généralement d’accord, et où commence le désaccord.
J’ai déjà eu occasion de rappeler à la chambre que la législation de 1834, due également à l’initiative parlementaire, avait été considérée comme un succès pour les intérêts agricoles. Un revirement s’est opéré. Pendant un certain temps on avait pensé que cette législation serait un jour révisée mais dans un tout autre sens que celui dont il est question maintenant. J’avoue que je n’ai jamais eu cet espoir. J’ai pensé que si la législation de 1834 était soumis un jour à une révision, ce serait plutôt pour rectifier le système lui-même que pour le refaire complètement dans un sens que l’on appelle plus libéral.
La loi de 1834, messieurs, a été faite, non pas avec légèreté, je ne me servirai pas de ce mot, mais peut-être avec une certaine précipitation. Il en est résulté, messieurs, que cette législation renferme trois vices aujourd’hui bien constatés, et dont deux qui portent sur ce que j’appellerai la partie réglementaire de la loi auraient pu être évités avec une extrême facilité. Je demande pardon à la chambre si je lui énumère rapidement ces trois vices. On vous les a déjà indiqués en entrant dans beaucoup de détails ; je vais vous les présenter d’une manière très-succincte.
Le premier de ces vices, c’est que le nombre des marchés régulateurs est trop restreint. On a déclaré marchés régulateurs les neuf marchés des chefs-lieux de province, plus celui de Louvain. On propose aujourd’hui, au lieu de dix marchés, 20 marchés régulateurs. Il est évident que rien n’eût été plus facile que de dire dans la loi de 1834 qu’il y aurait 20 marchés régulateurs.
Le second vice, c’est que la fixation du tarif dépend de la très-courte période d’une quinzaine, de deux semaines. En Angleterre, il faut un mois. Rien n’eût été plus facile encore que de dire dans la loi de 1834 qu’il fallait un mois.
En bien, je dis qu’en prenant ces deux précautions en 1834, précautions qui ne portent que sur la partie réglementaire de la loi, nous aurions rendu (page 844) impossibles les manœuvres auxquelles on a eu recours en juin et juillet 1843.
C’est en sacrifiant 20,000 francs que l’on est parvenu alors à atteindre le prix de 20 francs, prix qui emporte liberté d’entrée. S’il y avait eu 20 marchés régulateurs, s’il avait fallu une période d’un mois, je crois qu’au lieu de dépenser 20,000 francs, on aurait dû dépenser 100,000 fr., et plus, pour arriver au même résultat.
Ce n’est pas tout, messieurs ; comme la tentative aurait dû être reproduite plusieurs fois, l’éveil aurait été donné à l’opinion publique et au gouvernement.
Le gouvernement, messieurs, n’est pas resté impassible devant ces tentatives ; il a examiné si l’on pouvait intenter une poursuite judiciaire, et il n’est pas parvenu à constater les faits. Les faits ont été trop fugitifs ; il a suffi que la tentative fût faite dans une très-courte période sur trois marchés (Interruption.) Il a suffi d’opérer sur les marchés d’Anvers, de Louvain et de Bruges. Dès lors on n’a pu découvrir les auteurs de cette manœuvre rapide, instantanée.
Enfin, le troisième vice, c’est celui qui concerne le tarif même. Le passage est trop brusque ; l’échelle n’est pas assez graduée. L’honorable M. Eloy de Burdinne vous a rappelé tout à l’heure que c’est malgré lui qu’on a adopté le tarif de 1834 ; il avait proposé un tarif gradué. Le principe même du tarif gradué a été mis aux voix et rejeté.
M’est-il permis, messieurs, de dire pourquoi on a rejeté le tarif gradué ? C’est précisément à cause des détails. On a parfaitement senti, en 1834, qu’en cherchant un tarif bien gradué, on s’engageait dans une question de détails excessivement difficile. Dès lors on a préféré admettre un tarif, qui ne présente que cinq échelons, permettez-moi l’expression. Car il est bien plus facile de s’entendre sur cinq échelons que sur dix et davantage. Au sénat on a exprimé le regret que le tarif ne fût pas gradué davantage ; néanmoins la loi a été adoptée.
Vous voyez donc que, quant aux deux derniers vices, ils portent sur les dispositions réglementaires et que rien ne serait plus facile que d’y remédier et même dans un très-court délai. Mais reste le troisième point : s’entendre sur un tarif nouveau mieux gradué. C’est là la grande difficulté ; c’est là la question de détails excessivement embarrassante. (Interruption).
On me dit, à côté de moi, qu’on peut s’arrêter à un droit fixe. Messieurs, en matière de législation, il faut vouloir le possible. Quant à moi je regarde une législation dans ce pays, reposant sur le droit fixe, comme absolument impossible. On aurait beau faire cette tentative, elle avorterait. Je crois qu’il faut chercher un tarif mieux gradué.
Messieurs, quelle était notre pensée en novembre 1843, lorsque nous avons saisi la chambre d’un projet nouveau ? C’était non-seulement de faire disparaître les deux premiers vices, mais d’avoir un tarif mieux gradué ; notre pensée, c’était la rectification de la loi de 1834. Et pourquoi, messieurs, le projet que nous avons présenté n’a-t-il pas reçu un accueil plus favorable ? C’est que nous nous sommes tenus aux bases de 1834...
M. Castiau – Vous les avez réduites.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Nous n’avons pas réduit ; nous nous sommes tenus aux bases de 1834, et je vais le prouver en très-peu de mots.
La législation de 1834 repose sur cette idée que le prix maximum est 19 francs...
M. Eloy de Burdinne – Le prix normal.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le prix normal, si vous voulez ; le mot n’y fait rien.
Quand vous excédez 19 fr., quand vous avez atteint 20 fr., il y a entrée des froments étrangers. Il faut évidemment en conclure que le froment indigène ayant dépassé 19 fr., a dépassé ce que vous appellerez le prix rémunérateur, le prix maximum, le prix normal, peu importe l’expression.
Eh bien, messieurs, nous avons maintenu les mêmes base dans notre projet. Nous avons supposé que, de même qu’en 1834, il fallait considérer le prix de 19 fr. comme le prix normal, rémunérateur, maximum, et qu’arrivé à 20 fr., il devait y avoir liberté pour le froment étranger. Nous sommes restés entièrement fidèles à la loi de 1834.
On n’est plus de cet avis aujourd’hui. On ne regarde plus le prix de 19 fr., et même de 20 fr. comme un prix rémunérateur, normal, suffisant. On voudrait avoir, comme prix rémunérateur, 21 ou 22 fr. ; et je suis convaincu que si nous avions adopté pour le projet présenté en 1834 le prix de 21 ou 22 francs comme prix rémunérateur on aurait fait un tout autre accueil à ce projet. Mais nous serions sortis complètement de la loi de 1834.
Nous avons donc eu le tort de supposer que l’on resterait conséquent avec les bases de 1834, et que, quant au froment, on se contenterait du prix rémunérateur de 19 fr.
Je pourrais dire à la chambre, messieurs, pourquoi on ne se contente plus du prix de 19 fr. Cette preuve résultera des mercuriales que je ferai imprimer ; c’est que, pendant quatre ans, les prix ont excédé 19 fr. Quatre ans, c’est une longue période, messieurs ; pendant quatre ans on fait beaucoup d’achats ; on renouvelle les baux et naturellement les acquisitions ont été faites ; les baux ont été conclus d’après ces bases nouvelles d’un prix excédant 19 fr. Dès lors on en est arrivé nécessairement à la base nouvelle qu’il fallait s’assurer un prix excédant 19 fr.
Je dis ceci, parce qu’il nous importe de justifier pourquoi on a pu proposer le projet de loi de 1843.
Une enquête a été faite et l’on n’a plus voulu s’en rapporter aux bases de 1834. On a voulu s’en tenir aux bases telles qu’elles résultaient des mercuriales des quatre dernières années.
Messieurs, je ferai donc en sorte de remettre à la chambre, dans le plus bref délai, les documents que j’ai indiqués, et j’espère que nous arriverons, non-seulement à faire disparaître les deux premiers vices de la législation de 1834, mais aussi à établir un tarif mieux gradué. Nous verrons s’il faut abandonner les bases de 1834, qui fixaient le prix rémunérateur à 19 fr. et s’il faut adapter un prix rémunérateur plus élevé.
Il est aussi exact de dire, messieurs, que le projet présenté par les honorables signataires n’est pas la loi française ; c’est une moyenne de la loi française.
La France est partagée en quatre zones. Le département du Nord est dans la troisième zone. L’idée pourrait venir très-naturellement de placer la Belgique dans cette même zone.
Eh bien, messieurs, ce serait un tarif tout autre que celui qui est proposé. Il serait moins élevé. On a pris la moyenne entre plusieurs classes du tarif français.
Je crois, messieurs, qu’on peut renvoyer le projet aux sections, car les documents dont j’ai parlé pourront être promptement imprimés. De plus, j’enverrai le projet aux chambres de commerce et aux commissions d’agriculture, en réclamant une prompte réponse.
M. de Mérode – Messieurs, nous sommes ensablés depuis un grand nombre de jours dans la discussion du budget de l’intérieur ; maintenant, nous allons abandonner ce budget indéfiniment, si nous abordons au fond la question de droits d’entrée à établir pour la protection convenable due à l’agriculture.
Je sais que des discours ont été prononcés sur le sujet considéré dans son essence même ; mais il y a eu des orateurs entendus de part et d’autre et, si l’honorable M. Castiau a parlé dans un sens, il y a eu réplique suffisante de M. de Haerne. J’entends au moins suffisante pour décider un vote concernant la simple prise en considération. Je propose donc que l’on se borne à l’objet qu’il s’agit de traiter aujourd’hui, c’est-à-dire la prise en considération et que l’on procède immédiatement au vote, afin de ne pas gaspiller un temps de session qui s’use avec rapidité et s’userait inutilement.
M. Eloy de Burdinne – Puisque la chambre paraît disposée à clore cette discussion, je ne dirai que quelques mots ; mais M. le ministre de l'intérieur aura mal compris les développements que j’ai donnés de la proposition ; car il m’a attribué des paroles que je n’ai pas prononcées, et je tiens à rétablir les faits. Voici, messieurs, ce que j’ai dit : « je déclare que si la proposition est renvoyée aux sections et si l’on y introduit des modifications acceptables, ces modifications ne seront pas repoussées par les 21 signataires dont j’ai l’honneur de faire partie. » Vous voyez, messieurs, qu’il n’y a pas un chiffre, il n’y a pas même un zéro.
Je dois encore répondre un mot à l’honorable M. Castiau pour ce que je pourrais appeler un fait personnel. Je ne serais pas long, je ne suivrais pas l’honorable membre dans tous ses développements, je me bornerai à repousser une accusation qu’il a adressée aux auteurs de la proposition. Il a dit qu’on pourrait nous supposer des intentions politiques lorsque nous provoquons la discussion de la question des céréales à la veille des élections...
M. le président – M. Castiau a dit seulement que c’étaient là des bruits qui circulaient en dehors de cette enceinte.
M. Eloy de Burdinne – Il a dit autre chose : il a dit que l’agriculture ne réclamait pas ces modifications à la loi de 1834. Mais notre honorable collègue ignore donc que, l’année dernière, il nous est arrivé des pétitions en masse, par lesquelles on demandait que cette loi fût modifiée ?
Si l’honorable membre avait consulté ces pétitions, il aurait vu que de tous les points de la Belgique on réclame la législation française.
Quant à la supposition que notre proposition aurait un but politique, qu’elle se rattacherait aux prochaines élections, je repousse de toutes mes forces cette supposition. Je dirai même à l’honorable M. Castiau que notre proposition est prête depuis deux ans. Ce n’est donc pas, comme le pense l’honorable membre, un brûlot que nous venons de lancer dans le pays à la veille des élections.
J’ajouterai, messieurs, que depuis quelques jours, il nous est encore arrivé des Flandres deux pétitions, par lesquelles on demande une augmentation de protection. Je dirai plus : si je m’étais attendu à l’observation à laquelle je réponds en ce moment, j’aurais apporté des lettres dont il résulte que partout on demande s’il n’est pas temps de pétitionner. J’ai répondu à ces lettres qu’il fallait attendre. Voilà ce qui est arrivé.
Soyez donc bien persuadés, messieurs, que nous n’avons ici en vue aucun intérêt politique. C’est l’intérêt général du pays que nous venons servir, c’est l’intérêt des classes ouvrières, et nous croyons mieux comprendre l’intérêt des classes ouvrières que l’honorable député de Tournay et que les honorables députés d’Anvers qui nous ont reproché de gêner le commerce en empêchant la sortie de grains.
Je sais gré à l’honorable M. Castiau d’être entré dans des développements si étendus ; nous examinerons ces développements dans le Moniteur, et, lorsque nous discuterons le fond de la question je me fais fort de réduire à zéro les arguments de l’honorable membre.
- La clôture est demandée.
M. Verhaegen – Je ne comprends pas que l’honorable comte de Mérode vienne provoquer la clôture d’une discussion aussi importante. Quant à moi j’appuierai de toutes les forces la prise en considération ; mais j’entends dire pour quels motifs je l’appuierai. Je ne sais pas si l’on a des raisons pour étrangler la discussion mais il me semble que de la manière dont la question se présente, il importe de ne pas clore.
M. Lesoinne – J’ai demandé la parole par les mêmes motifs que l’honorable M. Verhaegen, c’est-à-dire pour motiver mon vote, qui sera aussi favorable à la prise en considération.
(page 845) M. Meeus – Il me semble que c’est surtout lorsqu’il s’agit d’une proposition signée par 21 membres de la chambre, qu’on ne doit point se hâter de prononcer la clôture ; autrement la majorité pourrait se former en dehors de cette enceinte, et je ne sais plus ce qu’il resterait de liberté à la discussion. Je m’oppose donc, pour ma part, à la clôture parce que je désire, en motivant mon vote, adresser quelques interpellations au gouvernement pour éclaircir la question, question grave et qui, n’en doutez pas, messieurs, aura un grand retentissement dans le pays.
M. Rogier – Je désire aussi expliquer mon vote, et c’est pourquoi je combattrai la clôture, si toutefois on persiste à la demander. (Non, non.)
M. le président – Si l’on renonce à la demande de clôture, j’accorderai la parole à M. Rodenbach qui est le premier inscrit. M. de Theux avait demandé qu’on entendît alternativement un orateur pour et un orateur contre ; mais il n’y a plus personne qui s’oppose à la prise en considération, je ne puis donc pas suivre la marche indiquée par M. de Theux.
M. Rodenbach – Vous devez tous convenir, messieurs, qu’en ce moment le pays est menacé d’une crise agricole ; car vous savez que le prix du froment est descendu à 16 francs 50 c., et celui du seigle à 9 francs 50 c. par hectolitre. Je ne pense pas, comme plusieurs de mes collègues qui ont signé la proposition, qu’il n’y a point urgence ; je crois, au contraire, que nous devons nous occuper promptement de la question, car il n’est pas possible que les agriculteurs continuent à vendre leur grain à un prix aussi bas ; si l’état actuel des choses devait se prolonger, le pays en éprouverait le plus grand préjudice. M. le ministre de l'intérieur lui-même est convenu qu’il y a des vices dans la loi de 1834, et aucun membre de la chambre n’a encore soutenu le contraire. Il est donc indispensable que nous nous occupions promptement du projet qui pourra d’ailleurs être amélioré, soit que le gouvernement propose lui-même les améliorations, soit que ces améliorations résultent de l’examen en sections ou de la discussion publique, soit encore qu’elles nous soient suggérées par les comités agricoles qui pourront nous faire connaître leurs opinions. Ce qui est certain, c’est qu’il est urgent d’apporter des modifications à la législation actuelle.
L’honorable député de Tournay nous a demandé si nous voulions que les classes ouvrières dussent payer le pain trop cher. Je partage entièrement la sollicitude de l’honorable membre pour les classes ouvrières et pour l’industrie. Je ne veux pas non plus que le pain soit trop cher ; mis, je ferai remarquer à l’honorable député de Tournay qu’en France le froment se vend environ 17 francs, c’est-à-dire, quelque chose de plus qu’en Belgique ; que le seigle y est également un peu plus cher, et que cependant en France le pain est à meilleur marché qu’en Belgique. Cet argument ne prouve donc rien contre la proposition, car le système que nous proposons est à peu près celui qui existe en France, et là, je le répète, le pain est moins cher qu’en Belgique.
On a invoqué l’intérêt de l’industrie. Eh bien, messieurs, lorsque l’agriculture prospère, les immenses populations des campagnes viennent dans les grandes villes acheter les produits de nos différentes industries, et alors le commerce prospère, les manufactures prospèrent. Il faut qu’il y ait harmonie entre le prix de la main-d’œuvre et le prix des céréales. Qu’on ne perde pas de vue que chaque fois que les céréales sont à vil prix, il y a gêne dans le commerce, malaise général, tandis que les années de prospérité ont toujours été celles où le grain était à un prix raisonnable ; alors les ouvriers industriels avaient du travail et pouvaient se procurer tous les objets qui leur sont nécessaires, tandis que quand l’orge, le grain tombe à des prix trop bas, ils sont sans ouvrage et livrés à la misère. Il faut donc que le grain ne soit ni trop cher ni à trop bas prix ; il faut qu’il y ait un rapport convenable entre le prix des céréales et le prix de la main-d’œuvre. C’est ce qui existe en France où depuis plusieurs années les populations agricoles, les populations industrielles et les populations qui vivent du commerce ressentent tous les bienfaits de la législation sur les céréales.
Je le répète donc, messieurs, nous devons nous occuper dans un bref délai de la proposition. Il y a même une circonstance qui rend la chose encore plus urgente : nous venons d’avoir de fortes gelées ; il y a eu jusqu’à 9 et 10 degrés de froid ; eh bien, messieurs, beaucoup de froment a été gelé, notamment dans la Flandre occidentale. On a dû ressemer le froment, après la première gelée ; il est très-probable que dans quelque temps le grain haussera, par suite de ce temps brumeux. Avec la loi actuelle, le grain qui sera à l’entrepôt, entrera, et il fera alors un tort immense au cultivateur du pays. C’est par ce motif que nous devons nous occuper du projet de loi le plus promptement possible ; le principe de cette loi est bon, parce qu’une protection est nécessaire, et parce qu’il y a crise en ce moment. Personne ne peut le contester.
M. de Renesse – Je ne veux pas prolonger la discussion, puisqu’il ne se manifeste plus aucune opposition contre la prise en considération. Je ferai seulement observer à l’honorable M. Castiau que ce n’est nullement dans un intérêt électoral que nous avons cru devoir soumettre la proposition à la chambre ; que l’intérêt de l’agriculture, qui est souffrante, a été notre seul mobile en cette circonstance.
D’un autre côté, comme le gouvernement avait retiré sa proposition de 1843, et qu’on avait signalé des vices dans la législation de 1834, nous avons cru devoir saisir l’occasion de soumettre à la chambre un ensemble de dispositions qui pussent régir les céréales pendant de longues années.
M. Manilius – Je conçois l’impatience de la chambre. Je renonce pour le moment à la parole. Je suis d’ailleurs décidé à voter la prise en considération. Comme les observations que je désire présenter, se rattachent à la suite de la décision que la chambre ne tardera pas à prendre, je demande que M. le président m’inscrive dès à présent pour une motion d’ordre que je ferai après le vote.
M. de Theux – Messieurs, en demandant la parole, j’avais principalement en vue d’appuyer la prise en considération, qui avait été combattue par deux orateurs. Comme tous les orateurs qui se sont fait inscrire depuis sont disposés à voter cette prise en considération, je crois inutile d’insister sur ce point. En effet, il aurait été sans exemple dans cette chambre, qu’on n’eût pas pris en considération, et admis aux honneurs d’une discussion un projet de loi d’une haute importance, et signé par 21 membres de l’assemblée.
Messieurs, le but principal qu’on s’est proposé dans le nouveau projet de loi, est de corriger en quelque sorte les vices de la loi de 1834, par un système nouveau qui ne présente pas les mêmes inconvénients.
Il est à remarquer que la loi de 1834 a été combattue de plusieurs chefs ; d’abord, parce qu’elle gênait le commerce par le défense d’exportation et d’importation ; en second bien, parce que le tarif n’était pas convenablement gradué. Et, en effet, depuis l’existence de la loi de 1834, on a été obligé de recourir plusieurs fois à de lois spéciales ; ce qui mieux que tout autre raisonnement, prouve que la loi de 1834 est imparfaite ; dès lors nous avons cru qu’en adoptant le système de législation qui a été admis en France et qui ne présente pas ces inconvénients, nous pourrions remédier au mal qui a été signalé.
Notre but n’est pas d’amener un renchérissement exorbitant dans les denrées alimentaires ; loin de là : ainsi, contrairement au principe suivi à l’égard d’industries autres que l’industrie agricole, nous avons admis des droits très-considérables à l’exportation, lorsque les denrées alimentaires atteignent un prix élevé. Mais ce que nous voulons en même temps, c’est un encouragement raisonnable pour l’agriculture, de telle manière que le pays produise de plus en plus, et qu’il soit en état de se suffire à lui-même.
Voilà le peu de mots que j’avais à dire à l’appui de la proposition dont je suis l’un des signataires.
M. Verhaegen – Messieurs, j’appuie la prise en considération de la proposition.
S’il ne s’agissait que de donner une marque de courtoisie aux signataires de la proposition, j’avoue que j’hésiterais ; mais comme il s’agit de donner une marque de sympathie à l’agriculture, je n’hésite pas un instant.
Messieurs, ce que je crains, c’est qu’en agissant avec précipitation, nous ne rencontrions plus tard les mêmes inconvénients qu’offre aujourd’hui la loi de 1834. Cette loi, vous le savez, est due aussi à l’initiative de quelques membres de la chambre ; on la voulait tout de suite ; le ministère d’alors l’a combattue et a voté contre ; ce fut, si je ne me trompe, un autre ministère qui la sanctionna. Aujourd’hui, on est d’accord que la loi de 1834, faite avec précipitation doit être modifiée. Craignons, messieurs, de retomber dans les mêmes inconvénients, si nous ne nous entourons pas de tous les renseignements que la gravité de la question comporte.
Si nous nous en rapportons à certain bruit qui circule, nous touchons à la fin de la session ; la chambre ne siégerait que jusqu’au 15 mars. Or nous avons encore à achever le budget de l’intérieur ; nous avons ensuite à discuter le budget des travaux publics, le budget de la guerre, le projet d’organisation de l’armée, et d’autres projets également urgents ; c’est plus qu’il n’en faut pour arriver au 15 mars, et il est évident qu’on ne pourra plus s’occuper utilement de la proposition concernant les céréales. Aussi l’un des signataires, l’honorable M. de Haerne, tout en faisant ressortir l’importance de la proposition, a reconnu qu’elle n’était néanmoins pas tellement urgente, qu’il fallût négliger de s’entourer de tous les renseignements nécessaires, et je partage l’avis de cet honorable membre.
M. Rodenbach – C’est une opinion individuelle.
M. Verhaegen – Je me borne aussi à la présenter comme telle mais mon opinion individuelle s’accorde parfaitement avec l’opinion individuelle de M. l’abbé de Haerne.
Messieurs, la question qui nous occupe est de la plus haute importance : l’agriculture est la première de nos industries. Nous avons une valeur territoriale d’à peu près huit milliards ; et cet intérêt est assez grave sans doute pour fixer l’attention la plus sérieuse de la chambre. Tous, nous voulons sauvegarder les intérêts agricoles. Il y a une crise, dit-on ; eh bien, recherchons donc la cause de cette crise, et tâchons d’y porter un remède efficace.
La cause, selon les uns, consiste dans l’abandon des céréales qui a produit la baisse dans les prix ; selon d’autres, la baisse est due à la concurrence que nous font les pays du Nord dans des conditions trop inégales. Il peut y avoir quelque chose de vrai dans cette dernière assertion : en effet, les pays du Nord et surtout de la Baltique qui nous envoient du grain en assez grande quantité sont dans une position beaucoup plus favorable que la Belgique. Le sol y est d’une valeur très-minime, et la main-d’œuvre hors de toute proportion avec la nôtre ; d’après certains renseignements, les grains s’y vendraient à 8 ou 9 fr l’hectolitre, et les prix ne se seraient même élevés, il y a quelques années, qu’à 6 ou 7 francs ; or, si à ces prix on ajoute le droit d’entrée dans le pays qu’on peut calculer d’après la loi existante à 3 fr. l’hectolitre à peu près, plus 2 fr. pour le transport et la commission, on arrivera à un résultat de 13 à 14 fr. l’hectolitre, dans l’état actuel des choses, et de 11 à 12 francs dans d’autres circonstances. Voilà des faits qui rendraient la concurrence des pays du Nord réellement dangereuse.
Il serait nécessaire, messieurs, de recherche ce qu’est en réalité cette concurrence à conditions inégales et qui justement effraie les cultivateurs. Le gouvernement mieux que personne peut nous donner des renseignements, propres à contrôler ceux consignés dans certains documents, qui, j’en conviens, n’ont aucun caractère d’authenticité.
(page 846) Il faut donc indispensablement s’entourer de toutes les lumières que la solution de cette grave question exige. Il s’agit d’ailleurs aussi de ne pas perdre de vue les intérêts des consommateurs. L’on vous a parlé des populations des villes et des campagnes, et sur ce point encore on n’est pas d’accord. On dit qu’il y a un million d’habitants dans les villes, et trois millions dans les campagnes. Mais ces trois millions se composent-ils exclusivement de cultivateurs ? N’y a-t-il pas là, au contraire, une foule d’artisans, de travailleurs proprement dits, des plafonneurs, des maçons, des ouvriers de fabrique, etc., etc. ? C’est encore un renseignement que le gouvernement devrait bien nous fournir.
Après cela, pourquoi ne ferait-on pas pour l’agriculture ce qu’on a fait pour d’autres industries ? La chambre a donné naguère une marque de sympathie à diverses industries en souffrance en ouvrant une enquête parlementaire.
Pourquoi refuserait-elle cette satisfaction à nos cultivateurs ? Pourquoi, messieurs, ne nous mettrions-nous pas en rapport avec les habitants des campagnes ? Il est important qu’ils connaissent leurs « véritables amis ». Ne serait-il pas possible que certains cultivateurs ne fussent pas tout à fait de l’avis qu’on émet en leur nom ? Moi aussi je suis à la campagne une partie de l’année, j’y ai des relations et comme habitant et comme propriétaire ; mais, la main sur la conscience, je n’oserais pas me prononcer sur la question qui vient de surgir sans avoir pris de bons et complets renseignements.
Il y aura des cultivateurs, je n’en doute pas, qui nous diront : Si les grains montent à un prix trop élevé, les baux s’élèveront en proportion ; nous aimons mieux un état normal.
Messieurs, ne le dissimulons pas, il y a des propriétaires qui, au fur et à mesure que les grains augmentent, élèvent les prix des baux ; je connais des terres qui se louaient il y a quelques années 100 fr. l’hectare, qui se louent aujourd’hui 200 fr. C’est une exagération qui tourne en définitive, et contre le cultivateur et contre le propriétaire, car le propriétaire qui comprend son véritable intérêt, vit, pour me servir d’une expression triviale, tout en laissant vivre ses fermiers ; il n’exagère pas les prix et il n’est pas obligé alors de les baisser dans certaines circonstances.Ce qu’il importe, messieurs, dans l’espèce, c’est de connaître les intérêts des divers engagés dans la question, de ne pas marcher en aveugle comme on l’a fait en 1834.
Si nous ouvrons une enquête, nous entendrons les cultivateurs eux-mêmes qui viendront nous éclairer de leurs renseignements, et ils ne seront pas suspects, car ils sont les premier intéressés. Faisons pour les cultivatrices ce que nous avons fait pour les industriels ; écoutons leurs plaintes et leurs observations, ce ne sera alors qu’entourés de tous les renseignements, nous pourrons prendre les mesures que les circonstances exigeront.
C’est parce que je trouve l’enquête nécessaire que j’appuie la prise en considération.
M. Rogier – L’honorable préopinant a présenté en grande partie des observations que je me proposais de soumettre à la chambre. Il est bien entendu qu’en appuyant la prise en considération, nous conservons toute liberté quant à la proposition elle-même : la prise en considération n’étant qu’un acte de politesse envers des collègues, rien de plus. Nous aurons à examiner plus tard le fond de la proposition. Or, pour aborder utilement cet examen, la chambre a besoin de s’éclairer plus qu’elle ne l’a fait jusqu’ici. En 1834, j’ai protesté en tant que ministre, contre la précipitation avec laquelle on voulait résoudre, en l’absence de lumières suffisantes, l’immense question des céréales. La chambre n’en a pas tenu compte ; malgré l’opposition du gouvernement, une loi telle quelle fut adoptée. J’ai dit que cette loi ne valait rien, et qu’elle serait révisée, et les auteurs mêmes de cette loi improvisée reconnaissent aujourd’hui que j’avais raison ; car, en dépits des changements qu’elle a dû subir successivement, ce sont eux qui viennent en proposer la révision. Eh bien ! pour ne pas faire de nouveau du provisoire, il faut que la chambre s’entoure des lumières qui lui ont manqué en 1834.
Messieurs, le droit d’enquête n’a pas été inséré comme une vaine formule dans la Constitution. Il n’est pas sans doute d’un bon usage d’invoquer le droit d’enquête à tout propos, mais il serait aussi d’une mauvaise pratique de négliger le droit d’enquête quand on se trouve en présence de grandes questions. La question des céréales, la question agricole ne mériterait-elle pas, entre toutes, une enquête parlementaire, à défaut d’enquête gouvernementale. Si vous voulez, messieurs, donner des preuves de sympathie réelle aux campagnes, il faudrait venir à elles, non par des projets de loi improvisés dont vous ne pouvez apprécier la portée, mais en vous mettant en rapports directs avec elles. Les intérêts agricoles sont trop souvent, dit-on, tenus en-dehors de nos débats ; c’est l’influence du commerce et de l’industrie qui domine dans la chambre. Si cela était vrai, ce serait à la chambre à montrer qu’elle a pour les intérêts des campagnes autant de sympathie que pour les intérêts des cilles ; et, sous ce rapport, je ne comprendrais pas que ceux qui se posent comme les représentants exclusifs des campagnes, pussent se refuser à la demande d’une enquête agricole.
Une première question à poser serait celle de savoir si ce système du droit variable doit être préféré au droit fixe. Vous voyez comme cette seule question agite l’Angleterre. On y a d’abord procédé par le tarif échelonné. Le progrès de l’esprit public et les lumières successivement répandues sur cette question, ont amené le gouvernement tory à se rapprocher d’un autre système. Aujourd’hui l’Angleterre marche vers les droits fixes. Ce système existe en Allemagne, aux Etats-Unis. N’est-ce pas un point important à examiner que celui de savoir si les droits fixes au point de vue de la protection, ne seraient pas plus efficaces que les droits échelonnés ? Au point de vue fiscal, la question n’est pas douteuse, les rentrées du trésor sont certaines et peuvent être, en certains cas, abondantes.
Une masse d’intérêts sont engagés dans la question des céréales. Ce n’est pas seulement l’intérêt du commerce et de l’industrie manufacturière, ce n’est pas seulement l’intérêt de l’agriculteur, l’intérêt du propriétaire et l’intérêt du fermier, c’est encore l’intérêt des grandes industries agricoles. Les industries agricoles ont une immense importance dans le pays. Les distilleries et les brasseries devraient impérieusement être entendues dans des questions semblables. Pouvez-vous frapper ces industries si importantes dans leurs matières premières sans les consulter ? Les céréales consommées par ces industries s’élèvent à un chiffre énorme, et ce n’est certes pas indifférent pour elles d’en voir porter le prix à un taux égaré. Si vous voulez autre chose que procurer aux propriétaires la faculté d’élever leurs baux, si vous voulez être éclairés sur l’intérêt de tous les agriculteurs sans distinction d’intérêts, de tous ceux qui vivent à la campagne et de la campagne, il faut les entendre, il faut aller à eux.
Comment, messieurs, consultez-vous aujourd’hui les campagnes ? Par l’organe des chambres de commerce qu’on déclare incompétentes, si pas hostiles ; par les commissions provinciales d’agriculture. Mais qu’est-ce que les commissions d’agriculture ? Je ne veux pas faire ici d’allusion personnelle, désobligeante pour qui que ce soit, mais vous reconnaîtrez que les commissions sont, la plupart du temps, des corps essentiellement inertes, qu’aucune initiative n’est prise pas eux et que très-peu de lumières nous en viennent.
L’honorable M. Castiau, dont vous ne pouvez pas mettre en doute la sympathie pour les campagnes, car il est propriétaire foncier, il habite la campagne, il connaît les besoins des campagnards ; l’honorable M. Castiau a présenté une série de questions dignes de votre examen, dignes d’être éclaircies, sans la solution desquelles vous vous exposez à discuter, à voter en aveugles.
Messieurs, si vous voulez arriver à une loi qui soit acceptée, je ne dirai pas par tout le pays, mais même par toutes les campagnes, comme un bienfait, je répète que nous devons les entendre elles-mêmes. Y a-t-il quelque raison d’urgence qui s’y oppose ? Croit-on de bonne foi qu’on puisse dans la session actuelle arriver à discuter et à voter le projet présenté ? Nous avons encore le budget de l’intérieur, le budget des travaux publics, le budget de la guerre et l’organisation de l’armée ; des projets de loi spéciaux sur les travaux publics, le tunnel de Cumptich, les chemins de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, le chemin de fer du Luxembourg, celui de Jurbise, le canal latéral à la Meuse, car il y en a pour tout le monde ; si l’on veut aborder toutes ces questions, il est évident que cette année encore nous ne pourrons pas discuter la loi des céréales.
Je conçois que des membres aient voulu, avant la fin de la session, donner une marque de sympathie et de souvenir à l’agriculture ; mais je pense qu’ils ont assez fait pour cette année, et qu’ils ne peuvent espérer quelque chose au-delà.
Quel obstacle dès lors à faire une enquête sur l’état de l’agriculture, les causes de ses souffrances et les moyens d’y porter remède. Jamais un objet plus digne d’enquête ne se serait présenté à la chambre.
Je prédis qu’à moins de vouloir emporter cette question considérable de haute lutte, à moins d’étouffer les opinions divergentes et contraires, il sera impossible d’amener la discussion du projet de loi dont il s’agit à un résultat définitif dans le courant de cette session.
J’espère que la chambre ne verra pas dans ces paroles le désir d’ajourner indéfiniment la solution que tout le monde attend sur la question des céréales. Oui, je crois que tous les intérêts doivent vouloir une législation fixe et définitive sur cette importante question. Mais que la loi soit définitive, pour qu’elle ne soit plus sujette à toutes ces fluctuations qu’elle a subies depuis 1830 et 1834, il faut qu’elle ait été suffisamment mûrie ; il faut que tous les intérêts aient été entendus.
Je ne m’oppose pas à la prise en considération ; mais en adoptant la prise en considération, je vous laisse à juger, messieurs, s’il convient d’aborder la discussion du projet de loi, avant d’en faire l’objet d’une enquête, dirigée soit par le parlement, soit par le gouvernement, enquête qui embrasserait toutes les questions qui se rattachent à celle des céréales.
M. Lesoinne – Je crois devoir dire quelques mots pour justifier mon vote sur la prise en considération de la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne.
Je veux que cette question soit définitivement approfondie. Je suis convaincu qu’il résulterait d’une enquête que l’on ferait sur cet objet qu’on peut venir au secours de l’agriculture sans aggravation pour le consommateur.
Quant à l’enquête que l’honorable M. Castiau a proposé de faire faire par la chambre je ne m’expliquerai pas sur cet objet, mais je pense que le gouvernement serait mieux à même d’obtenir les renseignements et de faire cette enquête de manière impartiale.
L’honorable M. Castiau a posé au gouvernement plusieurs questions. Je ne sais s’il est à même de les résoudre ; mais au moins il pourrait fournir des renseignements utiles sur plusieurs questions.
Parmi les renseignements que fournira le gouvernement, je désirerais qu’il fournît un tableau du prix moyen des céréales dans les divers pays qui ont une législation différente. Il pourrait faire connaître le prix de la terre et les revenus de la terre dans ces différents pays. Je crois que cela nous mettrait à même de juger si ce système est fatal aux pays qui l’ont adopté.
La crise est venue par le bas prix des céréales, or il se trouve que les céréales en Angleterre et en France ne sont pas à un prix plus élevé qu’en Belgique. Je pense que la rente des terres est au moins aussi élevée ici qu’en France.
(page 847) Je prie donc le gouvernement d’étudier mûrement cette question et de nous fournir les renseignements qui nous mettront à même de la comprendre et de la résoudre.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’ai déjà dit à la chambre quels étaient les renseignements que je pourrais lui remettre dans un très-bref délai.
Quant aux autres, je ne sais s’il est au pouvoir du gouvernement de se les procurer.
L’honorable membre demande que le gouvernement procure à la chambre le prix des terres dans les différents pays voisins. Il n’y a pas de renseignement plus difficile à se procurer. Je ne sais même pas si c’est possible. (Interruption.)
On dit à côté de moi que le gouvernement doit connaître le prix des terres à l’étranger.
M. Osy – On demande le pris des marchés.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Je l’ai déjà promis. J’ai dit que je produirai les mercuriales françaises.
M. Osy – Il faudrait faire connaître les prix des marchés de la Baltique et de la mer Noire.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Ces prix sont encore difficiles à se procurer et ils varient beaucoup ; je ne sais si le commerce d’Anvers les possèdent en ce moment.
Nous examinerons : si d’autres renseignements peuvent être fournis, nous les procurerons à la chambre.
En 1834, on a discuté sans avoir aucun renseignement. Aujourd’hui, nous vous offrons une série de documents. J’ai relu toute la discussion de 1834. Je dois dire que presqu’aucun renseignement n’avait été fourni. On n’avait pas même pour le pays les détails statistiques que maintenant vous avez déjà en partie, et que je reproduirai en les complétant.
Que fera-t-on après la prise en considération ? Je crois qu’on pourrait renvoyer la proposition aux sections, sans rien préjuger de la marche ultérieure.
Je saisis cette occasion pour vous soumettre une observation que je voulais vous faire depuis longtemps.
Dans d’autres pays, la section ou commission centrale vient déclarer qu’il lui fait des pouvoirs spéciaux pour éclaircir telle ou telle question, la chambre les lui donne, elle l’autorise à faire des interrogatoires. Nous pouvons suivre la même marche.
Je remettrai à la chambre avant dix jours les documents que j’ai indiqués tout à l’heure. Je chercherai à m’en procurer d’autres.
Si l’on trouve ces documents insuffisants, si l’on trouve que la section centrale doit être investie de pouvoirs spéciaux, elle en fera la demande. Moyennant cette réserve, on peut passer outre après la prise en considération, et prononcer le renvoi aux sections.
M. Meeus – Je viens appuyer la prise en considération du projet qui vous est soumis. Mais si je l’appuie, c’est certainement, je le veux bien, par considération pour les 21 membres qui l’ont soumise.
Mais c’est principalement parce que je crois qu’il est temps que la législature s’occupe de la question de l’agriculture.
La loi de 1834, qui a été, comme on vous l’a fait observer, votée par la législature malgré le gouvernement, ne satisfait plus aux exigences de l’opinion qui s’est manifestée alors sur cette importante question.
D’un autre côté, les membres de cette chambre qui se sont opposés à la loi de 1834 ont pu et dû peut-être modifier leurs opinions, selon que les faits se sont montrés différents de ce qu’ils apparaissaient alors.
C’est sur ces précédents que j’appelle l’attention de M. le ministre de l'intérieur. Vous vous rappelez que, lors de la discussion de la loi de 1834, la pensée dominante alors dans cette chambre et dans le pays, c’était que la Belgique produisait plus de céréales qu’il n’en fallait pour sa consommation.
Cette pensée était tellement admise par tous les membres de cette chambre, qu’une argumentation que je me rappelle avoir fait valoir à cette époque, et qui s’appuyait principalement sur ces faits, a été combattue. Mais les faits n’ont pas été niés ; ils ont été admis même par l’honorable M. Eloy de Burdinne.
M. Eloy de Burdinne – Ma foi, s’il m’en souvient, il ne m’en souvient guère. (On rit.)
M. Meeus – J’ai sous les yeux le Moniteur qui me le dit d’une manière pertinente.
Aujourd’hui, il semble que la Belgique ne fournit plus les céréales nécessaires à sa propre consommation.
Voilà un point qu’il est nécessaire d’éclaircir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous ne l’éclaircirez jamais.
M. Meeus – Alors vous ne ferez jamais une bonne loi. Car c’est de ce point qu’il faut partir pour pouvoir établir la loi.
Mais pourquoi ne pourrait-on pas éclaircir ce point ?
Comment ! nous savons que dans les pays étrangers on suppute la consommation, par tête d’homme, en kilog. de froment, de seigle, d’orge, etc., que d’autre part on suppute le revenu agricole. Et dans un pays comme la Belgique, nous ne savons pas établir une statistique qui nous donne nos apaisements sur cette question ! C’est un point essentiel.
Veuillez vous rappeler que, sous l’empire, on croyait que la Belgique fournissait le tiers des céréales à la consommation de la France.
Sous le royaume des Pays-Bas, on admettait que la Belgique produisait plus du quart au-delà de sa consommation.
En 1834, ces bases étaient encore admises. Aujourd’hui, il semble que la Belgique ne suffit plus à sa propre consommation, que, malgré les lois protectrices faites en faveur de l’agriculture, la consommation a dépassé de beaucoup les progrès de l’agriculture.
Si je désire que le gouvernement éclaire la chambre sur cette question, je le désire également pour moi-même.
Malgré le vote que j’ai émis en 1834, je ne viens pas ici avec des idées préconçues, mais avec la ferme résolution d’aider l’agriculture. Pour cela il faut que je sache s’il est vrai, oui ou non, que l’agriculture fournit plus qu’il ne faut à la consommation, ou si elle reste en deçà. Pour moi, cette question est essentielle ! (Interruption.)
L’honorable comte de Mérode me dit : Cela ne fait rien. Pour moi, cela fait beaucoup, et mon opinion s’établira selon que ce fait me sera plus ou moins bien démontré.
Je demande donc au gouvernement de prendre tous les moyens qui seront en son pouvoir pour éclaircir ce fait capital. Je ne crains pas de le dire, c’est là le fait capital dans la discussion de cette question importante.
Il y a, messieurs, une seconde question qui a été posée par l’honorable M. Castiau, et sur laquelle j’insiste également, c’est celle de savoir quelles ont été, depuis 1830, nos importations et nos exportations ?
Pour moi, ces deux questions seront à la base de l’opinion que j’aurai à me former, sans m’attacher, je le déclare, à celle que j’ai émise en 1834. Car ce que j’ai dit en 1834 peut très-bien, en définitive, avoir pêché par des bases que je regardais comme exactes, et qui ne l’étaient pas, si aujourd’hui il est vrai que la Belgique ne produit pas assez pour sa consommation.
Je termine donc en demandant au gouvernement de porter la plus sérieuse attention sur cette question. Comme on l’a dit tout à l’heure, il est probable que la proposition qui nous est soumise ne pourra être discutée dans cette session.
Le gouvernement aura donc tout le temps d’éclairer l’opinion publique et celle de la législature sur ces faits, qui sont essentiels pour pouvoir asseoir une opinion consciencieuse.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Le tableau des importations et des exportations que demande l’honorable membre en second lieu, sera fourni à la chambre. Rien de plus facile que de faire ce travail.
Quant au premier travail, à savoir quelle est la production du pays eu égard à sa consommation, on a essayé plusieurs fois de le faire. Moi, entre autres, j’ai fait cet essai il y a un an, et j’ai fait une communication à la chambre. Je puis faire de nouveau la même communication, mais je doute que ce travail inspire beaucoup de confiance.
M. Meeus – J’ignore les moyens que M. le ministre de l'intérieur a employés pour se procurer les renseignements propres à éclaircir le fait que je viens d’indiquer ; mais je lui rappellerai que sous l’ancien gouvernement on avait commencé également à établir une statistique et qu’on obligeait chaque commune à donner, tous les ans, des renseignements exacts sur les quantités de froment, de seigle, d’orge et d’avoine qui avaient été récoltées.
Je sais, messieurs, combien il est facile d’errer dans de semblables renseignements ; mais je sais aussi que la statistique basée sur ces renseignements, qui serait comparée d’année en année, finirait probablement par amener une moyenne qui présenterait un résultat à peu près certain.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – On demande toujours des choses que l’on ne peut fournir qu’approximativement ; des renseignements que l’on peut établir ou compléter seulement par induction.
Qu’il me soit permis de dire que jusqu’à un certain point la population de la Belgique n’est pas encore constatée.
M. Castiau – En ce cas supprimez vos bureaux de statistique.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – On ne peut pas dire avec certitude que l’on connaît la population du pays, eu égard aux moyens que l’on a toujours employés jusqu’à présent. J’ai, par exemple, voulu constater, il y a dix-huit mois, la population de Bruxelles. Eh bien, on a adjoint aux agents de la communes des agents du gouvernement, et c’est ainsi que les uns ont contrôlé les autres rue par rue.
Pour avoir la population de la Belgique il faudrait de la même manière envoyer des agents du gouvernement central dans chaque commune, et procéder rue par rue dans chaque village. Voilà comment nous arriverons à avoir la population de la Belgique.
Comment s’est-on procuré la population du pays jusqu’à présent ? En s’en rapportant uniquement aux autorités locales. S’adresser à chaque bourgmestre pour obtenir l’indication du chiffre de la population, c’est déjà beaucoup demander. Obtiendrons-nous une réponse avec plus de facilité, quand nous demanderons à chaque bourgmestre de nous fournir le produit des terres ?
Je fournirai, messieurs, à la chambre le travail que j’ai annoncé. Mais il ne faudra accepter ce travail comme base de nos discussions qu’avec des réserves que je suis forcé d’indiquer.
M. le ministre des finances (M. Mercier) – L’agriculture, par son importance et par le nombre de bras qu’elle occupe, a droit à toute la sympathie, à toute la sollicitude du gouvernement. Pour ce motif, je partage l’opinion des honorables membres qui pensent que la chambre ne peut s’entourer de trop de renseignements, de trop de lumières, lorsqu’il s’agit d’un intérêt aussi élevé, aussi général.
Cependant, je n’attribuerai pas le même degré d’utilité que l’honorable comte Meeus, à la recherche qu’il a indiquée en premier lieu, parce que, comme il l’a reconnu lui-même, il est impossible de constater les faits d’une manière assez précise, pour pouvoir en tirer des conclusions efficaces. En (page 848) effet, messieurs, si une enquête est faite pour connaître la production du pays, il est évident qu’on ne parviendra à déterminer cette production que d’une manière approximative, qui pourra s’éloigner beaucoup de la vérité, quelque soin que l’on apporte dans cette opération.
Mais lorsque même que vous connaîtriez la production, saurez-vous quelle est la consommation du pays ? Comment pourrez-vous l’établir, si ce n’est encore approximativement ? On n’arrivera, selon toute probabilité, qu’à une appréciation vague et incertaine de ces deux faits : on sera donc exposé à rester très-éloigné de la vérité et à tomber dans de graves erreurs.
Mais, messieurs, je ferai remarquer que nous sommes en possession de données beaucoup plus exactes, beaucoup plus précises que celles que nous pourrions acquérir par une enquête sur la production et sur la consommation : c’est le tableau des importations et des exportations des céréales. Ces renseignements sont beaucoup plus précis que ceux que vous recueilleriez de l’enquête dont on a parlé.
J’ajouterai que la production des différentes espèces de grains varie d’une année à l’autre. Il suffit qu’une espèce vienne à augmenter de prix, par suite de circonstances quelconques, pour que, dans les années suivantes, elle soit cultivée sur une plus grande étendue de terrain.
Ainsi, messieurs, si vous faites une enquête pour connaître la consommation et la production du pays, vous pourrez arriver à des renseignements approximatifs, qui présenteront peut-être quelque intérêt, mais dans lesquels vous ne pourrez jamais trouver l’importance et l’utilité que doit avoir pour vous le tableau des importations et des exportations, tableau qui indique, pendant une longue série d’années, l’excédant ou l’insuffisance de la production de chaque nature de produit du sol, au moyen du chiffre des importations et des exportations.
M. Coghen – Messieurs, c’est avec regret que j’ai vu le gouvernement retirer le projet de loi qu’il nous avait soumis, pour régler la législation sur les céréales. Je dis que c’est avec regret, non pas que je voulusse adopter les bases admises dans ce projet, mais parce qu’au moins la chambre aurait eu une occasion de régler définitivement une matière aussi importante, matière mal réglée par la loi de 1834 et mutilée bien souvent par des lois qui nous en écartent.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Vous avez été rapporteur de la loi de 1834.
M. Coghen – J’ai voté contre.
Je remercie les honorables membres qui ont pris l’initiative. Le pays doit leur savoir gré d’avoir saisi la législature d’une question vitale pour la Belgique, d’une question qu’il est de notre devoir d’examiner aussi promptement que possible.
S’il s’agissait, messieurs, de voter la proposition qui vous est présentée, je dois le déclarer, je ne pourrais lui donner mon assentiment, parce qu’elle renferme des exagérations. Mais des amendements pourront y être introduits (et je suis certain que mes honorables collègues, auteurs de cette proposition, y consentiront) et amèneront cette conciliation qu’il faut entre les besoins de la protection pour l’agriculture et les propriétaires, protection qui ne peut être exagérée, parce qu’elle serait contraire à leurs intérêts même, et cette protection qui doit exister aussi pour les consommateurs, classe si intéressante et si nombreuse dans le pays.
Messieurs, en portant nos vues sur un objet d’une aussi haute importance, nous réglons un intérêt qui concerne au moins les sept huitièmes de la Belgique.
Messieurs, on a désiré une enquête. Je crois que le gouvernement, avant de présenter son projet de 1843, se sera entouré de toutes les lumières possibles, et aura fait toutes les informations qu’il est en son pouvoir d’obtenir. Les commissions d’agriculture ont dû être consultées ; les chambres de commerce l’ont été également. Leur demander de nouveau leur opinion, ce serait obliger ces corps à nous dire ce qu’ils nous ont déjà dit en 1843. Je me joindrai donc aux honorables collègues qui ont demandé la publication de tous les documents que le gouvernement pourra produire, parce qu’enfin, messieurs, ce n’est que sur des faits que nous pourrons baser une nouvelle loi, et que nous ne pouvons plus nous en tenir à des errements incertains.
Je prierai M. le ministre de l'intérieur et M. le ministre des finances de vouloir produire à la chambre tous les documents qu’ils pourront réunir, et de nous éclairer sur une question d’une aussi haute importance.
J’appuie, messieurs, la prise en considération de la proposition qui vous est présentée.
M. de Muelenaere – Messieurs, je persiste à croire que toute discussion sur le fond est entièrement anticipée. Cependant je demanderai la permission de présenter une seule observation à ce qui a été dit par un honorable préopinant.
Je pense, messieurs, qu’il ne faut pas calomnier la loi de 1834. Pour ma part, je me félicite d’avoir soutenu et d’avoir voté cette loi qui, je pense, à fait un bien réel à l’agriculture. Mais ces lois de douane, messieurs, ne sont pas des lois permanentes de leur nature ; ces lois doivent de temps en temps être soumises à une révision, surtout quand elles portent sur des objets essentiels, sur des objets nécessaires à la subsistance du peuple.
Dès lors, il ne faut pas s’étonner que le temps soit venu de réviser la loi de 1834.
Cette révision, messieurs, est devenus d’autant plus urgente, que l’expérience a démontré que, dans la pratique, la loi de 1834 avait donné lieu à des fraudes scandaleuses. Nous devons mettre à profit cette expérience. Nous devons faire disparaître ces moyens de fraude, et, en même temps, accorder à l’agriculture une protection plus réelle que celle dont elle jouit aujourd’hui.
M. de Theux – Messieurs, je dois répondre, en premier lieu, aux observations qu’on a faites en ce qui concerne l’Angleterre. Il m’a semblé que c’était jeter une espèce de défaveur sur le projet de loi qui vous est présenté que de s’emparer des débats que la question des céréales suscite en Angleterre, défaveur qui n’est méritée en aucune manière.
En Angleterre, en effet, il n’y a pas, comme dans la proposition qui vous est soumise, des droits de sortie qui protègent le consommateur.
En outre, en Angleterre, lorsque le prix a atteint 25 francs 37 cent., il y a encore 6 francs de droits à l’importation. Vous voyez donc, messieurs, qu’il y a une énorme différence entre la législation des céréales en Angleterre et celle qui nous est proposée.
Un autre motif pour lequel la question des céréales et si vivace en Angleterre, c’est que c’est là une question de privilège. En effet, en Angleterre, la grande partie des propriétés est amortie soit par le fidei commis, soit au profit des nombreuses corporations qui existent dans ce pays ; dès lors, la protection accordée en Angleterre aux céréales est en quelque sorte une protection accordée à une caste. Ici, messieurs, il en est autrement ; la propriété est essentiellement mobile et nous la voyons entre les mains de toutes les classes de la société ; c’est donc une loi commune, et non pas une loi exceptionnelle que vous avez à discuter.
Un honorable membre a dit qu’avant de faire une bonne loi sur les céréales, il fallait examiner la question de savoir si la Belgique produisait assez de céréales pour l’alimentation du peuple. Cette question, messieurs, n’est pas, à mon avis, la seule qui doive être traitée. D’abord, je pense qu’il y a une distinction à faire quant à la production. Dans les bonnes années, la production est suffisante, tandis que, les autres années, elle est insuffisante ; mais, dans les années où la production est insuffisante, il faut encore préserver le pays des importations exagérées ; et comment préserver le pays des importations exagérées, si ce n’est par des droits gradués d’après le prix des céréales.
La loi de 1834, a-t-on dit, était mauvaise. Pour moi, messieurs, je considère cette loi de 1834 comme un grand bienfait pour l’agriculture. Cependant je reconnais qu’elle est défectueuse, et il n’y a pas lieu de s’en étonner, car d’abord c’est la première loi sur les céréales qui ait été faite depuis la séparation de la Belgique d’avec la Hollande ; c’est ensuite une loi qui a été faite sans le concours du gouvernement, qui a, au contraire, combattu le projet. Il y a donc là deux causes d’imperfection, et dès lors il n’est pas étonnant que la loi renferme quelques défectuosités ; d’ailleurs, messieurs, c’est dans les lois de douanes que l’expérience révèle très-souvent des imperfections et fait presque toujours désirer des changements au bout de quelques années.
On a dit aussi qu’en France le prix des céréales n’est pas plus élevé qu’en Belgique. Eh bien, messieurs, si cette assertion est vraie, pourquoi s’effrayer du projet que nous avons présenté ? Si, après l’adoption du projet, le prix des céréales ne doit pas être plus élevé qu’il ne l’a été précédemment, il n’y a pas là de quoi effrayer une partie de la chambre. Mais, messieurs, en France on n’a pas eu besoin de recourir à des lois exceptionnelles, et puis le tarif français ne permet pas les manœuvres frauduleuses dont on a eu à se plaindre en Belgique dans ces derniers temps. Voilà les deux grands avantages que présente la législation française.
On a parlé d’une enquête. On a cité le précédent posé par la chambre lorsqu’il s’est agi de constater la situation des différentes industries du pays, d’examiner le système de commerce maritime, le système des droits différentiels. Mais, messieurs, il n’y a nulle comparaison entre la question des droits différentiels et la question du tarif des céréales, question infiniment plus simple. Je pense donc qu’il n’y a aucune espèce de nécessité d’engager la chambre dans la voie d’une enquête, dans cette circonstance. D’abord, c’est là une voie très-dispendieuse, nous en avons eu l’expérience dans l’enquête commerciale ; ensuite, une enquête entraînerait une très-grande perte de temps, et quand je parle d’une perte de temps, je n’entends pas qu’on mette de la précipitation dans l’examen de ce projet, j’entends qu’on l’examine avec toute la maturité qu’il mérite par son importance. M. le ministre de l'intérieur nous a annoncé la communication de différents documents ; si d’autres renseignements sont nécessaires, la section centrale pourra les réclamer.
D’après ces motifs, messieurs, je pense qu’il ne faut pas reculer devant la prise en considération, et qu’il n’y a pas lieu d’admettre une enquête parlementaire.
- La prise en considération est mise aux vois par appel nominal.
66 membres sont présents.
3 membres s’abstiennent.
63 membres adoptent.
En conséquence, la proposition est prise en considération.
On voté l’adoption : MM Dubus (aîné), Dubus (Albéric), Dubus (Bernard), Dumont, Dumortier, Duvivier, Eloy de Burdinne, Fallon, Fleussu, Huveners, Jadot, Kervyn, Lesoinne, Liedts, Lys, Maertens, Malou, Manilius, Mast de Vries, Meeus, Mercier, Morel-Danheel, Nothomb, Orts, Pirmez, Pirson, Rodenbach, Rogier, Scheyven, Simons, Smits, Thyrion, Troye, Van Cutsem, Vanden Eynde, Van Volxem, Verhaegen, Verwilghen, Wallaert, Cogels, Coghen, de Corswarem, de Florisone, de Garcia de la Vega, de Haerne, de La Coste, Delfosse, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, de Meester, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Prey, de Renesse, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, de Tornaco, Devaux.
MM. Osy, Castiau et de Foere se sont abstenus.
M. Osy – Je n’ai pas voté pour la prise en considération, parce que je trouve que le projet de loi serait onéreux même pour l’agriculture. Je n’ai pas voté contre la prise en considération parce que, comme je l’ai dit, il y (page 849) a quelque chose à faire pour la révision de la loi de 1834, et que l’on s’est engagé à vous fournir tous les renseignements nécessaires pour l’examen d’une pareille question.
M. Castiau – J’ai cru combattre la proposition aussi longtemps qu’elle présentait un caractère tel que la plupart de membres qui l’on signée, ont cru devoir reculer devant son extrême exagération. Mais puisque maintenant la proposition, quant à son exagération, semble désavouée par la plupart de ceux qui l’on signée, puisqu’elle ne semble plus aboutir qu’à une sorte de proposition d’enquête, à la recherche des moyens d’améliorer notre législation sur les céréales, je ne crois pas devoir repousser la proposition ainsi restreinte ; ce n’est plus maintenant qu’une preuve de sympathie pour l’agriculture : or, comme je partage cette sympathie, je n’ai pas cru devoir, dans de telles circonstances, persister dans mon opposition ; j’ai dû m’abstenir.
M. de Foere – Si la proposition avait eu pour objet les deux vices de la loi de 1834 qui ont été signalés par l’honorable ministre de l’intérieur, j’aurais voté pour la prise en considération. Mais il reste un troisième motif pour lequel la proposition a été présentée à la chambre. Ce motif domine tout le projet de loi. Les documents que nous possédions aujourd’hui sur cette grave question étaient pour moi suffisants pour émettre mon opinion et pour prononcer un vote positif ; mais d’autres documents ont été demandés ; il est possible que, lorsqu’ils seront produits, ils modifient mon opinion actuelle. Dans le doute, j’ai dû m’abstenir.
M. Eloy de Burdinne – Je dois déclarer à l’honorable M. Castiau que la proposition n’est pas du tout abandonnée par ceux qui l’ont présentée.
M. Castiau – J’ai dit quant à son exagération.
M. Eloy de Burdinne – Nous ne reconnaissons pas qu’il y ait de l’exagération dans notre proposition ; seulement nous avons dit que si des modifications acceptables sont proposées, nous nous y rallierons.
M. le président – Il reste à statuer sur le renvoi de la proposition.
Plusieurs membres – Aux sections.
Motion d’ordre
M. Manilius – La chambre et surtout M. le ministre de l'intérieur se rappelleront que dans le cours de la dernière session lorsque nous avons eu à examiner la grande question commerciale et industrielle, il s’est élevé dès le principe le point de savoir si l’on examinerait en même temps la question commerciale et maritime et la question industrielle. La chambre a décidé alors qu’elle examinerait séparément ces deux questions. Sur ce, M. le ministre de l'intérieur nous a promis de nous faire un rapport, en réponse à celui de MM. Desmaisières et Zoude sur la partie industrielle de l’enquête parlementaire.
Ce travail, au dire du ministre, devait être discuté, non pas il est vrai, immédiatement après le vote sur la partie commerciale, mais au moins dans le cours de la même session. Or, cette session est déjà loin de nous, et une nouvelle session est déjà bien avancée. Une loi importante vient d’être mise sur le tapis ; cette loi se rattache à la seconde partie de l’enquête. Je demande à M. le ministre de l'intérieur qu’il veuille nous mettre à même d’apprécier avec toute la maturité convenable la grave question qui nous est soumise. L’industrie manufacturière a le plus grand intérêt à connaître la position normale qu’on veut lui faire ; elle n’est en possession que d’arrêtés royaux qui doivent encore être convertis en lois ; dans une semblable situation, elle ne pourrait voir accueillir avec faveur une augmentation de droits sur les céréales.
Toutefois, j’observerai que notre voix n’a jamais fait défaut, quand il s’est agi de protéger l’industrie agricole ; mais dans l’occurrence, je réclame pour que l’ordre ne soit point interverti que l’on donne suite avant tout à la grande question de l’enquête dont la chambre a voté la disjonction.
Par ces considérations, j’ai l’honneur de proposer à la chambre d’ajourner dans les sections l’examen du projet de loi sur les céréales jusqu’après le vote, non pas du rapport de M. le ministre de l'intérieur, mais des projets de loi concernant les industries manufacturières pour lesquelles on a pris des arrêtés royaux.
M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – J’ai annoncé tout à l’heure que, dans très peu de temps, je présenterai une loi relative aux deux arrêtés que l’honorable préopinant a rappelés. La chambre aura dès lors l’occasion de discuter la question douanière.
Le gouvernement doit examiner une autre question, c’est celle de savoir s’il faut instituer des primes d’exportation. Nous ferons en sorte de faire connaître à la chambre, dans un bref délai, les résultats de cette instruction.
M. le président – M. Manilius propose de suspendre l’examen du projet de loi sur les céréales en sections, jusqu’après le vote du projet de loi dont il a parlé.
M. Malou – La chambre vient de décider que le projet de loi sur les céréales seraient renvoyé aux sections. Or, il est de jurisprudence dans la chambre que ce sont les présidents des sections qui y règlent l’ordre des travaux. Ainsi la proposition de l’honorable M. Manilius tend à faire revenir la chambre sur son vote.
M. le président – La chambre n’a pas encore pris de décision, quant au renvoi du projet de loi aux sections.
M. Osy – Je ne m’oppose pas à ce renvoi, mais je désire qu’on ne s’occupe en sections du projet de loi que lorsque nous serons en possession des renseignements promis par M. le ministre de l'intérieur.
M. Manilius – Si la chambre veut se borner pour le moment à examiner le projet de loi dans les sections, sans faire suivre immédiatement cet examen d’une discussion publique, je ne vois pas d’inconvénients à retirer ma motion. Mon intention n’est pas de nuire à la marche des affaires. Je m’aperçois que la chambre désire examiner cette question ; je me réserve de reproduire en temps utile mes observations sur l’ordre à suivre pour la discussion.
- La chambre, consultée, renvoie aux sections l’examen du projet de loi sur les céréales.
- La séance est levée à 4 heures et demie.