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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 1 février 1845

(Annales parlementaires de Belgique, session 1844-1845)

(page 669) (Présidence de M. Liedts)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à onze heures et demie. La séance est ouverte.

M. Scheyven donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse présente l’analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Turnhout présente des observations en faveur de la construction d’un canal de navigation destiné à mettre cette ville en communication avec le canal de la Campine. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d’examiner le projet de loi relatif à divers travaux publics, et, sur la proposition de M. A Dubus, insertion au Moniteur.


« Le sieur Richard transmet à la chambre un procès-verbal constatant que MM. Watson et compagnie de Leeds, qui figurent dans la liste de souscription, communiquée par le sieur Taylor, comme ayant demandé 500 actions du chemin de fer d’Entre-Sambre-et-Meuse, n’ont jamais souscrit et n’ont jamais eu l’intention de souscrire. »

M. Zoude – La pétition accompagne un acte notarié qui constate que la maison Watson n’a pas souscrit. Si cet acte était faux, il exposerait le notaire à la déportation. On a dit hier qu’un acte notarié relatait des faits calomnieux ; le notaire, dans ce cas, encourrait également la peine de la déportation.

Je demande l’insertion de la pièce au Moniteur.

M. Rodenbach – Je répéterai ce que j’ai dit plusieurs fois, c’est que ce sont deux sociétés en concurrence. Il est possible que toutes deux méritent la confiance. Il est positif que toutes deux ont offert de verser un cautionnement.

M. Zoude – La compagnie Mackenzie a versé le sien.

M. Rodenbach – Soit ; et la compagnie a offert de déposer dans le courant de février un cautionnement d’un demi-million.

Il y a concurrence entre deux sociétés. Le gouvernement doit écouter tous ceux qui se présentent pour faire le chemin de fer au meilleur compte possible. On peut attendre quelques jours, puisqu’il y a offre de verser un cautionnement. Nous verrons alors si la société est solide. On ne risque rien puisqu’on n’allouera pas les fonds avant le versement du cautionnement.

M. Delehaye – L’honorable M. Zoude vient de dire qu’il y a, dans le cas dont il s’agit, peine de déportation. L’insertion au Moniteur pourrait avoir ce résultat ; je m’y oppose donc ; car cette peine serait un peu trop forte dans l’ordre de nos idées.

D’ailleurs, pour un Watson qui n’a pas signé, il y en a 50 qui peuvent avoir signé.

M. Zoude – J’insiste pour l’insertion au Moniteur, parce qu’il est positif que la maison Watson, désignée dans la liste de souscription, n’a pas signé, et parce que les autres pièces ont été insérées au Moniteur.

- La chambre, consultée, décide que la pétition ne sera pas insérée au Moniteur.


« Les ouvriers de 25 fabriques de sucre indigène dans les provinces de Hainaut, de Brabant, de Limbourg et de la Flandre occidentale présentent des observations contre les pétitions des ouvriers d’Anvers et de Gand, qui ont pour objet la révision de la loi sur les sucres. »

M. de Renesse – Messieurs, j’ai été chargé de déposer sur le bureau de la chambre une pétition signée par 6,242 ouvriers employés à la fabrication du sucre de betteraves dans 25 fabriques, situées dans différentes provinces du royaume ; ils demandent que l’industrie toute nationale du sucre indigène ne soit pas sacrifiée aux exigences des raffineurs et aux obsessions des ouvriers des raffineries de sucre exotique ; ils croient avoir des droits incontestables à la sollicitude du gouvernement et des chambres.

Ils s’expriment ainsi dans un passage de leur pétition :

« Quoique nous soyons disséminés, nous n’en sommes pas moins nombreux ; notre besoin de travail n’en a pas moins le droit de vous toucher ; mais surtout notre cause est plus juste, car jamais nous n’avons demandé la ruine de personne, et même encore aujourd’hui, ce n’est pas le vœu que nous vous apportons. Nous comprenons la confraternité du travail et des besoins, nous ne vous demandons pas un pain arraché à d’autres travailleurs. »

Des ouvriers qui parlent avec autant de modération, lorsque d’autres semblent demander la ruine de l’industrie qui les fait vivre, méritent que leur demande soit accueillie avec faveur par la chambre. J’ai donc l’honneur de proposer à la chambre de vouloir ordonner l’impression de cette pétition (page 670) dans le Moniteur, et son renvoi à la commission d’industrie, avec demande d’un prompt rapport.

M. Manilius – Messieurs, je ne crois pas que ces pétitions doivent être insérées au Moniteur. Je pense que nous devons agir envers ces pétitions comme envers toutes les autres qui touchent à la question des sucres.

Je demanderai donc le renvoi pur et simple de ces pétitions à la commission d’industrie, qui est déjà saisie de plusieurs pétitions qui ne traitent pas exclusivement du sucre de betteraves ou du sucre de canne, mais qui traitent de l’un et de l’autre sucre ; car, messieurs, l’une et l’autre industrie sont d’accord sur la nécessité de réviser la loi.

Je saisis donc cette occasion pour réitérer à M. le ministre des finances ma recommandation de s’occuper le plus promptement possible de cette question. Et je répéterai ici, messieurs, ce que vous a dit dernièrement l’honorable M. Cogels : Si le gouvernement ne veut pas faire droit à nos réclamations, la commission d’industrie finira par présenter elle-même un projet de loi.

M. Rodenbach – Messieurs, je pense aussi qu’il n’est pas nécessaire d’insérer ces pétitions au Moniteur, d’autant plus qu’on me dit que déjà elles sont imprimées, et que nous pouvons nous borner à renvoyer l’énorme volume qui les renferme à la commission permanente d’industrie. Messieurs, la commission d’industrie est aussi saisie de requêtes de raffineurs de Gand qui travaillent le sucre exotique, et eux aussi demande la coexistence des deux industries. Je ne crois donc pas que l’on veuille détruire une industrie en faveur d’une autre, et je ne pense pas non plus que telle soit l’intention de la chambre.

D’ailleurs, messieurs, en France, les deux industries existent ; il est très-probable qu’elle peuvent exister aussi toutes deux en Belgique, et que nous ne sont pas forcés d’indemniser l’une d’elles par des millions.

M. de La Coste – Messieurs, j’appuie les observations de l’honorable M. Manilius, en ce que je demande que ces pétitions soient traitées absolument comme l’ont été celles qui avaient une tendance différente ou opposée. La commission d’industrie s’est acquittée de sa tâche à l’égard de celles-ci avec une entière impartialité, et il me paraît suffisant à tous les intérêts que l’on suive la même marche dans cette occasion que les précédentes.

J’ai un mot à répondre à une observation qui vous a été présentée déjà plusieurs fois par l’honorable M. Rodenbach.

Quant à moi, je n’ai point mission pour parler au nom des fabricants de sucre de betterave ; je ne désire rien d’autre, pour cette industrie, que l’application des principes généraux ; mais si je pouvais parler au nom de cet intérêt, je dirais : Donnez-lui le régime français entièrement, sincèrement, et il vous remerciera. Placez nos fabricants complètement dans les mêmes conditions que les fabricants français, et ils vous remercieront. Telle est du moins ma conviction.

Je ne sais, du reste, messieurs, s’il entre dans les attributions de la commission permanente d’industrie de nous présenter un projet de loi sur la matière, si elle a ce droit et si elle nous fait une proposition, nous l’examinerons avec calme et impartialité. Cependant, je me permets de douter que l’intention de la chambre ait été de lui déléguer cette mission.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, je n’entrerai pas dans le fond de la question, je ferai seulement remarquer qu’elle est extrêmement importante. Je n’approuve pas toutes les observations de l’honorable M. Manilius, mais je partage sous certains rapports, l’opinion de l’honorable M. Manilius ; je ne veux pas que l’on précipite la solution de cette question, je désire qu’elle soit examinée avec toute la maturité qu’elle réclame ; je ferai, quant à moi, tout ce qui sera en mon pouvoir pour rechercher les moyens de faire vivre les deux industries, et, si cela est impossible, j’examinerai ultérieurement la question de savoir si c’est au sucre exotique ou au sucre indigène qu’il faut donner la préférence. Pour le moment, j’appelle toute l’attention du gouvernement sur les intérêts du trésor. Il faut que le sucre rapporte tout ce qu’il est possible d’en tirer ; je voudrais même qu’on pût trouver dans cette matière éminemment imposable des ressources qui nous missent à même de dégrever le sel. Il est en quelque sorte odieux pour la Belgique de percevoir 4 millions sur le sel, objet de première nécessité par les classes malheureuses, tandis que le sucre, consommé par les classes aisées, ne rapporte que 3 millions et quelques centaines de mille francs.

M. le président – Je dois faire observer à l’orateur qu’il ne s’agit en ce moment que de la décision à prendre sur la pétition.

M. Eloy de Burdinne – Je voulais seulement recommander à M. le ministre des finances de ne pas sacrifier les intérêts du trésor, pour accorder des avantages à une industrie. Je ne veux pas qu’on vienne puiser dans le trésor de l’Etat trois ou quatre millions pour fournir le sucre à bon compte aux consommateurs étrangers.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – M. le président à prévenu l’intention que j’avais de faire observer qu’il ne s’agit pas en ce moment de discuter le système de législation qui devra être adopté. Je prie les honorables membres de ne pas douter de tout l’intérêt que le gouvernement porte à cette grave question. Elle sera examinée avec toute la célérité que permettent les nombreuses difficultés dont elle est entourée.

Quant à la pétition, je crois qu’il convient de la renvoyer à la commission d’industrie, comme on l’a fait pour les autres pétitions de la même nature.

M. Manilius – Je ne demande pas du tout que l’on fasse une loi qui ne soit pas le fruit d’un mûr examen, mais je demande qu’on s’occupe sérieusement de cet examen et qu’on fasse en sorte de ne pas retarder les secours jusqu’au moment de l’agonie et arriver trop tard. Il y a d’ailleurs des mesures provisoires à prendre. Il ne s’agit pas ici d’examiner maintenant si c’est le trésor, si ce sont les cultivateurs, si ce sont certaines usines qui éprouvent le plus grand préjudice par la suite de la loi existante ; une chose est certaine, c’est qu’il y a une foule immense d’ouvriers sans travail, et il est indispensable que le gouvernement y avise le plus promptement possible.

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Je ne sais pas si les observations de l’honorable préopinant s’adressent à moi ; mais le travail considérable que j’ai fait, témoigne suffisamment de mon désir sincère d’arriver à un résultat aussi prompt et aussi avantageux que possible.

M. Osy – J’ai eu également l’honneur de déposer sur le bureau une pétition des ouvriers d’Anvers ; de son côté l’honorable M. Delehaye a déposé une pétition des ouvriers de Gand. Ces pétitions n’ont pas été insérées au Moniteur ; on s’est borné à les renvoyer à la commission d’industrie, avec demande d’un prompt rapport. Je crois qu’il faut suivre la même marche pour la pétition dont il s’agit en ce moment.

M. de Renesse – Je n’insiste pas sur l’insertion au Moniteur, puisque les autres pétitions n’y ont pas été insérées. Il est cependant quelques pétitions, relatives au raffinage du sucre exotique, qui ont été publiées par la voie du Moniteur. L’importance de l’industrie du sucre de betteraves est assez grande pour qu’on prête quelque attention aux réclamations de cette industrie. Un honorable membre a dit tout à l’heure qu’il ne croyait pas qu’un si grand nombre de fabriques eussent réclamé ; pour répondre à cette observation, je n’aurai qu’à citer les noms des fabriques dont les ouvriers ont pétitionné. Voici quelles sont ces fabriques :

Russon, 295 signataires,

Nord de Boussu, 165,

Midi de Boussu, 178,

Bernissem, 263,

Beauffe, 476,

Chericq, 177,

Charleroy, 377,

Eessen, 328,

Hal, 101,

Heghem, 41,

Lembecq, 293,

Montreuil, 56,

Ordenge, 311,

Nimy, 135,

Peronne, 135,

Perulwelzienne, 527,

Perwez, 573,

Quiévrain, 274,

Thulin, 154,

Tirlemont, 359,

Idem, 134,

St-Trond, 296,

St-Vaast, 143,

Wamont, 255,

Fontaine-Valmont, 196.

Total : 6,242 signataires

J’insiste, messieurs, pour le renvoi à la commission d’industrie avec demande d’un prompt rapport.

M. d’Huart – Messieurs, il m’est fort indifférent que la pétition soit insérée au Moniteur ou qu’elle ne le soit pas ; dans tous les cas, on devra la renvoyer à la commission d’industrie, c’est là l’essentiel. Mais j’ai entendu dire par l’honorable M. Manilius qu’il était fort intéressant de savoir quel rôle jouait le trésor dans cette circonstance : ce sont là des expressions que je ne puis laisser passer sans réponse ; je crois, moi, que la question du trésor est ici la question la plus importante, la première question à examiner.

Je crois qu’il est très-intéressant que M. le ministre des finances ne presse nullement l’examen de la question, et qu’il suive la marche prudente et sage qu’il a adoptée, c’est-à-dire qu’il attende le résultat de l’enquête qu’il a entreprise. Vous savez, messieurs, qu’avant la loi actuelle, le sucre ne rapportait presque plus rien, l’impôt est resté une année au-dessous de 200,000 francs, tandis qu’en 1844, il a produit 3,660,000 fr. Après ce résultat, je comprends fort bien que les deux industries réclament, et que l’une d’elles surtout demande la réduction du droit à un chiffre insignifiant. Mais il s’agit ici d’un impôt de consommation sur une matière qu’on peut considérer comme de luxe, et dès lors il importe qu’avant tout les intérêts du trésor demeurent saufs dans les innovations que l’on provoque. Après cela, si l’on peut introduire dans la loi quelques modifications de nature à assurer la coexistence des deux industries rivales, je ne demande pas mieux, pour mon compte, que de les accueillir, tout en continuant d’exiger que le sucre rapporte une somme convenable au trésor. Voilà, selon moi, dans quel sens il faut examiner la question, et se garder de donner les mains à des mesures qui tendraient, par exemple, comme on l’a insinué dans une autre occasion, à réduire à 1/10 les 4/10 qui sont maintenant assurés au trésor sur les prise en charge.

Je crois, messieurs, qu’il faut laisser suivre à l’instruction de cette affaire la marche ordinaire. Si la commission d’industrie se croit suffisamment éclairée, qu’elle nous soumette un projet, nous l’examinerons ; mais je crois qu’il vaut beaucoup mieux laisser au gouvernement le soin de prendre, avec toute la maturité convenable, l’initiative d’une proposition aussi importante.

(page 671) M. Delehaye – Je ne puis passer sous silence les paroles que vient de prononcer l’honorable M. d’Huart. Je n’admettrai jamais que les intérêts du trésor puissent avoir le pas sur les intérêts du travail national ; je conçois que toutes les industries doivent contribuer aux charges de l’Etat dans une juste proportion ; mais je ne conçois pas qu’une assemblée législative sacrifie une industrie quelconque aux intérêts du trésor.

Comment, messieurs, vous êtes en présence de 20 ou 30,000 ouvriers, et vous direz qu’il faut d’abord consulter les intérêts du trésor ! Je dois protester de toutes mes forces contre une doctrine semblable. Certainement le sucre doit être imposé, mais il faut l’imposer de manière que l’impôt tombe à la charge des consommateurs et que le travail national n’en souffre pas.

M. Castiau – Ainsi que l’honorable M. Delehaye, je pense que s’il faut prendre en considération les intérêts du trésor, il ne faut pas oublier non plus les intérêts du travail national. S’il fallait sacrifier l’un de ces intérêts, je n’hésite pas à le dire, c’est l’intérêt du trésor qu’il faudrait sacrifier. On ne remplace pas le travail national, et l’on peut facilement combler le vide du trésor ; car parmi les combinaisons financières indiquées dans cette enceinte, et qu’on a refusé jusqu’ici de vouloir essayer, on en trouverait facilement qui feraient disparaître le déficit du trésor, sans écraser le travail et l’industrie.

J’ai demandé la parole, en entendant l’honorable M. d’Huart accuser les pétitionnaires de vouloir compromettre les intérêts du trésor, et provoquer le renversement de la loi de 1843. Tel n’est pas le caractère, tel n’est pas le but de la pétition qui vous est présentée. Sans doute, l’industrie du sucre indigène a été violement atteinte par la gravité de l’impôt dont on l’a frappée, et cependant elle s’est résignée et elle a subi en silence le sort pénible qu’on lui a fait. Ce sont les réclamations d’Anvers et de Gand qui, seules, l’ont engagée à intervenir. Les pétitionnaires ne demandent pas, ainsi que l’a supposé M. d’Huart, la révocation de la loi de 1843, ils se bornent à demander de n’être pas sacrifiés à l’industrie du sucre exotique.

M. d’Huart – Je n’ai entendu parler que des pétitions d’Anvers et de Gand.

M. Castiau – Dès lors, je n’ai plus à m’occuper ici de rétablir le caractère de la pétition qui me paraissait avoir été dénaturé.

Il ne me reste plus qu’à répondre à l’un de nos autres collègues de Gand, l’honorable M. Manilius

M. Manilius apporte dans cette question une chaleur que je suis loin de blâmer, quand je pense au sentiment qui l’inspire. M. Manilius veut agir à l’instant, il veut agir sans attendre l’action du gouvernement, et il annonce que la commission d’industrie prendra l’initiative et présentera un projet de loi sur cette importante matière.

Je conçois, je le répète l’empressement de M. Manilius : il a sous les yeux le tableau de la misère des ouvriers raffineurs de Gand et d’Anvers. Mais ne voit-il pas qu’en suivant ici des sympathies exclusives, en voulant soulager les uns, il écraserait les autres ? Nous comprenons ses efforts en faveur de la population ouvrière de Gand, mais nous avons aussi, nous, à défendre des milliers d’ouvriers contre la misère qui les menace.

Il y a donc ici deux grands intérêts à concilier. C’est cette conciliation que nous demandons. Voilà pourquoi je m’élève contre l’empressement et l’espèce de précipitation qu’on voudrait apporter dans cette occurrence.

La question est à l’étude, le gouvernement s’en occupe, une enquête est ouverte ; attendons-en le résultat. L’initiative de la commission d’industrie, cette initiative sans renseignements, sans enquête et sans documents, ne produirait aucun résultat. Le projet, arrivé dans cette enceinte, devrait nécessairement être renvoyé, pour l’instruction, à l’appréciation du gouvernement. Laissons donc les choses suivre leur cours naturel et gardons-nous de compromettre, par des mesures intempestives, le sort de l’une ou de l’autre des industries intéressées à cette grave question.

J’en reviens à la pétition. Nous ne voulons pas de privilège pour elle. Qu’on suive en sa faveur les règles adoptés pour les ouvriers raffineurs de Gand et d’Anvers ; qu’on la renvoie à la commission d’industrie et que cette commission, fidèle à ses précédents d’impartialité, nous en présente le rapport le plus promptement possible.

M. Manilius – Je ne me suis pas placé au point de vue exclusif des ouvriers de Gand et d’Anvers, je me suis placé au point de vue des intérêts des ouvriers en général, tant de ceux qui sont attachés aux raffineries que de ceux qui sont rattachés aux fabriques de sucre indigène ou qui se livrent à la culture de la betterave. Je pense donc que l’observation de l’honorable M. Castiau n’est pas fondée, au moins en ce qui me concerne. Non, je n’a pas mis d’empressement pour un intérêt exclusif, mais pour un intérêt général, au point de vue agricole et industriel.

Ainsi, je crois que l’observation de l’honorable M. Castiau n’était pas nécessaire.

Je me suis placé au point de vue de ces deux grands intérêts. J’étais, je pense, dans mon droit ; mais on s’est mépris sur ma pensée ? Je n’ai pas voulu une loi qui ne fut pas mûrie. J’ai voulu une loi bien mûrie. J’ai l’honneur de faire partie de la commission d’industrie. Nous n’avons pas l’habitude de jeter à la hâte des projets de loi dans la chambre. Quoique nous ayons le droit de présenter des projets de loi, quand cela nous arrive, ce n’est qu’après mûre réflexion, après un examen approfondi, et le plus souvent après avoir consulté le gouvernement.

Ainsi, je repousse ces accusations.

Je ferai observer à l’honorable M. d’Huart que je ne me suis pas placé au même point de vue que lui. Il s’est placé au point de vue financier, et moi au point de vue industriel. C’est au gouvernement qu’il appartient de concilier ces deux intérêts.

Ainsi, je crois que je suis resté dans le vrai et dans mon droit, et que les observations qui m’ont été faites n’étaient pas fondées.

Je crois que la chambre appréciera mes observations.

- La chambre, consultée, renvoie la pétition à la commission d’industrie, avec demande d’un prompt rapport.


« Par dépêche du 31 janvier, M. le ministre des finances transmet à la chambre les explications qu’elle a demandées sur la pétition de plusieurs marchands de café brûlé du district d’Eecloo. »

M. Lejeune – Plusieurs pétitions relatives à cet objet ont déjà été adressées à la chambre. Il n’y a pas longtemps que la commission d’industrie a fait rapport sur ces pétitions ; elles ont été renvoyées à MM. le ministres de l’intérieur et des finances. Je saisirai cette occasion pour demander si l’on peut espérer qu’il sera pris quelques mesures pour empêcher l’introduction de café brûlé par la frontière hollandaise.

M. d’Elhoungne – On se plaint sur la frontière belge-hollandaise de l’introduction de café hollandais torréfié, qui perd 25 p.c. de son poids.

Le droit perçu sur le café torréfié est le même que sur le café non torréfié. Ce qui fait une prime d’encouragement de 25 p.c. pour le commerce hollandais, au détriment des négociants en gros, qui achètent le café non torréfié sur le marché de Rotterdam. Il résulte de là que les marchands en détail, au lieu de s’approvisionner chez les marchands de gros en Belgique, s’approvisionnent en café torréfié chez les marchands hollandais. C’est là-dessus que porte la réclamation.

Je crois que le bon sens exige que, dans l’application du tarif, on tienne compte de la différence qui résulte de la torréfaction du café.

- Plusieurs membres demandent qu’il soit donné lecture de la dépêche de M. le ministre des finances.

M. de Renesse, secrétaire, donne lecture de cette dépêche ainsi conçue :

« A M. le président de la chambre des représentants.

Bruxelles, le 31 janvier 1845.

M. le président,

Par décision du 20 décembre dernier, la chambre m’a envoyé, avec demande d’explications, une pétition par laquelle plusieurs marchands de café de la commune d’Eecloo (Flandre orientale) se plaignent du tort que leur fait l’importation de café torréfié et de l’impossibilité où ils se trouvent de soutenir la concurrence hollandaise pour le débit de cette marchandise.

Longtemps avant d’avoir reçu cette réclamation, j’avais pris sur le fait qu’elle signale des renseignements dont il résulte que les importations de café brûlé ont été pour 1844 :

dans la province d’Anvers, de 3,74 kil.. ; dans la province de la Flandre orientale, 4,152 kil. ; dans la province de la Flandre occidentale, 8 kil. ; dans la province de Limbourg, 3,865 kil.

Total 13,759 kil.

Aucune importation de café brûle n’a été accusée pour les autres provinces.

En supposant que le café diminue du cinquième pour la torréfaction, les 13,759 kil. de café importé après cette présentation représenteraient :

en café non brûlé un poids de 17,199 kil.

à déduire, 13,759 kil.

Différence : 3,440 kil.

Le droit de 15 fr. 50 c. sur les 100 kil. sur cette quantité de 3,440 kil. s’élève en principal, à 493 fr. 20 c.

La chambre jugera, sans doute, avec moi qu’il n’existe pas ici de raisons suffisances pour provoquer, soit dans l’intérêt du trésor, soit dans celui du commerce indigène, une modification au tarif actuel, en ce qui concerne le café.

Toutefois, j’ai prescrit que l’on continuât de me fournir trimestriellement l’état des importations de café brûlé par les différents bureaux frontières, et si ces importations viennent à prendre assez de développement pour nécessiter une mesure exceptionnelle, le gouvernement s’empressera de saisir la chambre d’un projet de loi en conséquence.

Recevez, monsieur le président, les assurances de ma haute considération.

Le ministre des finances, MERCIER. »

M. le ministre des finances (M. Mercier) – Il résulte du rapport que vous venez d’entendre que l’importation de café torréfié s’est élevée, en 1844, à 13,759 k. Déjà il y a quelques mois cette importation nous avait été signalée par un honorable membre de cette chambre. Il supposait que les importations étaient beaucoup plus considérables ; il est résulté de l’enquête, qu’elles sont, au contraire, insignifiantes. Mais, comme le mal pourrait augmenter, j’ai fait suivre le mouvement de ces importations, dans l’intention de présenter un projet de loi, si elles venaient à prendre plus d’extension.

Vu le peu d’importance de celles qui ont lieu jusqu’ici, je n’ai pas cru devoir présenter un projet de loi ; il n’y a, en définitive qu’une différence de 493 fr., dans le produit des droits perçus sur la quantité introduite.

Si les importations augmentaient, nous n’hésiterions pas à introduire un projet de loi.

M. Lejeune – Au point de vue de l’intérêt général, il est certain qu’il s’agit ici de bien peu de chose. Si vous considérez les importations de café faites, en 1844, dans tout le pays, ce n’est absolument rien. Mais ce qu’on en doit pas perdre de vue, c’est que cette importation de 13,759 kil. de café torréfié se concentre sur une lieue de profondeur ; elle ne se répartit pas (page 672) dans tout le pays. Cette importation, quelque faible qu’elle paraisse, suffit pour ruiner plusieurs petits négociants. Si elle se répartissait sur tout le pays, il ne faudrait pas en parler.

Déjà, quand ces pétitions ont été présentées, j’ai fait observer que les localités frontières étaient soumises à la douane, aux droits de douane, à l’exercice de la douane ; qu’elles doivent supporter ce surcroît de charge, mais que dans tous les cas où l’on peut diminuer les charges résultant de cette position, on doit le faire ; ici il y a des motifs de le faire. Cela est rationnel, car vous faites une loi qui concerne l’agriculture, et vous laissez entrer le café qui ne paye que les ¾ des droits. La quantité n’est pas considérable.

Je ferai remarquer qu’en une seule année, à un seul bureau, l’importation a doublé. Par le bureau de Pont-de-Paille, à Maldegem, l’importation a été de 2,000 kil. en 1842, et de 4,000 kil. en 1843.

Vous comprenez que les négociants des localités frontières ont raison de se plaindre.

Il faut bien que le mal se soit fait sentir plus loin, puisqu’il y a des pétitions qui ne viennent pas seulement d’Eecloo, qui est sur la frontière, mais qu’il y en a qui émanent de plusieurs négociants de Gand.

Je recommande donc cette affaire à M. le ministre des finances.

M. Desmet – C’est ici la même question que pour le transit du bétail : on nous disait alors qu’il ne s’agissait que d’un petit nombre de têtes de bétail. Nous avons répondu qu’il était important de ne pas déplacer le marché. Ici, c’est la même chose. On veut déplacer le débit du café torréfié.

Messieurs, il faut que le tarif soit rationnel. On doit reconnaître qu’il contient une lacune qui n’a pas été prévue ; il est certain que le café torréfié, ayant beaucoup plus de valeur que le café brut, doit payer des droits plus élevés. Il en est de même pour d’autres articles : ainsi, pour les toiles blanchies, vous avez un autre tarif que pour les toiles écrues. Et cela est rationnel, les droits doivent être en proportion de la valeur de la marchandise.

Je prie donc M. le ministre des finances de nous présenter un projet de loi pour combler cette lacune, car il doit reconnaître que cette lacune existe. Je pense donc que le gouvernement ne peut avoir aucun motif de ne pas présenter le projet de loi qui remplirait cette lacune et je pense qu’il ne fait pas attendre jusqu’à ce que l’entrée du café brûlé de Zélande soit augmentée.

M. Rodenbach – J’espère, messieurs, que M. le ministre des finances prendra en considération les observations qui lui ont été faites.

Il est certain messieurs, que lorsque le consommateur qui habite la frontière peut se procurer, à une lieue de distance, le café à 20 ou 25 p.c. meilleur marché qu’en Belgique, il ne manque pas de le faire, et qu’ainsi les petits détaillants se trouvent ruinés par cette concurrence. Or, messieurs, il est du devoir du gouvernement de protéger les petits détaillants, qui sont, comme tous les autres, assujettis à la patente et à des impôts.

On dit que la quantité de café brûlé qui entre en Belgique n’est pas considérable. Messieurs, cette quantité est considérable lorsqu’elle se répartit sur un petit nombre de localités. Aussi voyez-vous à Maldegem, à Eecloo, les petits détaillants se plaindrez du tort considérable que leur fait cette concurrence. Des plaintes se font même entendre à Gand, à cet égard.

Je trouve donc que ce motif, qu’il entre peu de café torréfié en Belgique, n’est nullement rationnel, et que le gouvernement doit nous présenter un projet de loi pour faire cesser l’anomalie que présente notre tarif.

- Les renseignements fournis par M. le ministre des finances seront déposés au bureau des renseignements.


M. Delfosse demande un congé pour cause d’indisposition.

- Le congé est accordé.


M. le secrétaire donne lecture de la lettre suivante :

« Liége, le 31 janvier 1845.

« Monsieur le président,

« Le tirage au sort que vient d’effectuer la chambre des représentants pour l’élimination des membres du jury d’examen, m’ayant désigné comme membre sortant du jury pour les candidatures en médecine, et ma réélection pour cette année étant possible au terme de la nouvelle loi, je prends la liberté, M. le président, de vous informer que, par suite d’une maladie grave, que j’ai faire dernièrement et dont la convalescence n’est point encore achevée, il me serait impossible d’accepter cette mission.

« Je vous serait donc obligé, M. le président, de bien vouloir, le cas échéant, prévenir de cette circonstance MM. les représentants qui seraient d’intention de m’honorer encore de leur suffrage.

« Recevez, M. le président, l’assurance de mon profond respect.

« Chambre. Frankinet, docteur-médecin, professeur ordinaire à l’université de Liége. »

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, je ne pense pas qu’il soit dans l’intention de la chambre de siéger au-delà de deux heures. Il est peut-être convenable de nous entendre dès à présent sur le jour de notre prochaine séance.

Ordinairement la chambre prend, à cette époque, quelques jours de congé. (Interruption.) Je sais que quelquefois on a tenté de se refuser ce congé. Mais les membres qui sont restés à Bruxelles ne se sont pas trouvés en assez grand nombre pour qu’il y eût séance. Je crois donc qu’il vaut mieux franchement fixer notre prochain séance à jeudi.

- La chambre fixe sa prochaine séance à jeudi à une heure.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l'exercice 1845

Discussion générale

M. le président – Messieurs, un orateur s’est fait inscrire dans la discussion générale. La chambre avait réservé la question de savoir si, après la discussion politique, il y aurait une discussion générale sur le budget de l’intérieur.

On pourrait faire une autre proposition ; ce serait d’ouvrir une discussion générale sur chaque chapitre du budget ; M. Eloy de Burdinne pourrait vous présenter ses observations à l’occasion d’un de ces chapitres.

M. Eloy de Burdinne – Messieurs, lorsque j’ai pris la parole sur la question politique, j’ai demandé qu’il fût bien entendu qu’après la décision de cette question, il y aurait une discussion sur les intérêts matériels.

Jamais, messieurs, on n’a passé au vote sur les articles d’un budget sans qu’il y ait d’abord une discussion générale. Je ne crois donc pas que nous devions faire aujourd’hui une exception à nos antécédents. Je demande donc à la chambre de bien vouloir m’entendre.

- La chambre, consultée, décide qu’il y aura une discussion générale.

Cette discussion est ouverte.

M. Eloy de Burdinne – La question politique étant vidée, j’aime à croire que nous allons nous occuper des intérêts matériels.

C’est sur ce terrain que je désire voir rouler la discussion.

C’est des intérêts positifs que j’ai à vous entretenir, sans allusions directes aux personnes, ne voulant voir que les actes, et non les hommes, que je ne veux pas tuer : je préfère les voir à l’hôpital. Je ne crois pas que le mal doit ils sont affectés soit incurable ; en cela, je suis moins cruel que ceux qui veulent leur mort immédiate.

Je ne veux pas de combat à mort.

Messieurs, dans toutes les occasions où j’ai cru de mon devoir de rompre le silence, et d’appeler votre attention sur l’importance de l’industrie agricole, je ne crois pas avoir fait défaut.

Je ne le ferai pas encore aujourd’hui, à l’occasion de la discussion du budget de l’intérieur.

Ce département ayant dans ses attributions l’agriculture, je crois le moment opportun de vous entretenir des sacrifices qu’on exige d’elle, et du peu de protection qu’on lui accorde.

Pou se convaincre de cette dernière et triste vérité, il ne faut que comparer ce qui se fait en France, en Angleterre, je dirai même en Hollande à ce qui a lieu en Belgique. Ouvrez le tarif de douane de ces pays, vous y verrez qu’en Belgique, Etat essentiellement agricole, on accorde sur le froment, une protection de moins de trois francs par hectolitre, quand en France la protection est de plus de 9 francs par navire français, et de plus de 10 francs, quand l’importation est faite par navire étranger.

Avant d’en venir à la preuve de ce que j’avance, il est indispensable de vous faire remarquer qu’en France 76 kilogrammes représentent un hectolitre de froment, tandis qu’en Belgique l’hectolitre de la même céréale est considéré et calculé à 80 kilogrammes. Pour bien faire ressortir la différence de protection, nous établirons les droits d’entrée sur cent hectolitres, le droit étant perçu d’après cette mesure en France, tandis qu’en Belgique le droit est perçu par 1,000 kilogrammes.

7,600 kilogrammes représentant 100 hectolitres de froment, quand le prix est de 15 à 16 fr., il est perçu un droit d’entrée en France :

1° Par navire étranger, 1,075 fr. par 7,600 kilogrammes de froment importé ;

2° Et par navire français 923 fr.

soit par hectolitre, par navire étranger, 10 fr. 75 c., et par navire française 9 fr. 25 c.

Telle est la protection accordée en France à l’industrie agricole.

En France, 100 hectolitres de froment étant représentés par 7600 kil., voyons ce que cette quantité de froment paiera de droit d’entrée en Belgique, dans la même circonstance.

1,000 kilogrammes paient, par navire étranger, 37 fr. 50 de droit à l’entrée, et 7,600 kil. paient le modique droit, comparé à celui perçu en France, de 284 fr. 95 c.

De manière qu’en France la protection par 100 hect. est de 1,075, tandis qu’en Belgique, elle n’est que de 284,95. résultat : 790,05. Telle est la différence de protection, entre les deux pays, accordée à l’agriculture.

Cette différence est à l’avantage du cultivateur français sur le cultivateur belge de 790 fr 05 par 100 hectolitres de froment, ou plus de 7 fr. 90 c. par hectolitre, ce qui porte la protection par hectare qui a produit du froment, à raison de 18 hectolitres, à livrer au marché par le producteur à 142 fr. 20 c.

D’après cet état de choses, siérait-il aux défenseurs du commerce maritime de prétendre que l’agriculture belge est suffisamment protégée.

J’aime croire que, s’ils avaient consulté les tarifs de douanes, s’ils avaient fait les comparaisons auxquelles je me suis livré, ils se seraient abstenus de professer les hérésies contre lesquelles je me suis élevé dans une séance précédente.

En examinant attentivement les diverses législations sur la matière, ils auraient reconnu, comme moi, que la Belgique, où les droits d’entrée sur les céréales sont les plus modérés, est appelée à se voir encombrer des produits similaires venant de toutes les parties du globe où il y a du trop plein, et cela au détriment d’une industrie qui alimente le trésor à raison de treize seizièmes au détriment de l’industrie qui travaille pour le marché intérieur du commerce ; de la classe ouvrière ; en un mot, au détriment de neuf dixièmes de la population belge.

(page 673) Là ne se bornent pas les motifs qui me dirigent, il en est un autre bien plus important encore, et sur lequel j’appelle l’attention du gouvernement ainsi que la sollicitude de la législature.

Si mes renseignements sont exacts, on introduit en Belgique des grains avariés, même jusqu’à un certain point passés à un degré de putréfaction.

Ces grains avariés sont vendus à raison de 6 fr. l’hectolitre en entrepôt d’Anvers ; ayant payé le droit d’entrée de 3 fr., ils sont livrés à la consommation à raison de 9 fr., quand le bon grain est coté à Anvers même à 18 fr. Si ces faits sont exacts, comme je n’en doute pas, il faut que ces céréales vendus à moitié de la valeur, soient presque entièrement pourries, et que, livrées à la consommation pure ou mélangées, elles soient de nature à nuire à la santé de la classe pauvre particulièrement et, par suite, à engendrer des maladies graves, le typhus, entre autres, devenu si commun en Belgique.

Le gouvernement pourrait me répondre, et je m’attends à cette réplique : Le commerce est une puissance ; si je viens la contrarier, elle jettera les hauts cris, elle m’accablera de pétitions signées et surchargées de croix. Messieurs, ces croix, on les obtient à bon marché ; il suffit qu’elles soient apposées avec la déclaration que c’est la croix de Pierre ou de Jean pour ne savoir écrire. On pourrait les ajouter et les apposer sans discernement. Le commerce pourrait bien dire au gouvernement : Ne vous mêlez pas de nos affaires, notre métier est de gagner de l’argent, nous ne nous occupons que du résultat ; en vendant du grain avarié, nous gagnons ; il y a là à gagner. Nous prenons notre bien où nous le rencontrons.

C’est à nous, messieurs, d’examiner s’il n’est pas de notre devoir d’éviter au commerce de gagner de l’argent au détriment de la santé de nos populations, et sur ce point j’appelle et l’attention du gouvernement et l’attention de la législature.

J’ai rempli mon devoir en signalant l’introduction et la vente des grains avariés, c’est au gouvernement à remplir le sien en empêchant la vente d’une nourriture qui peut avoir les suites les plus déplorables. En s’abstenant, il assumerait sur lui la plus grande responsabilité.

Je reviens à la protection due à l’agriculture : je vous ai démontré que les droits d’entrée sur les céréales étaient trop bas comparativement aux droits établis en France, on doit en conclure que l’étranger viendra déverser son excédant plutôt en Belgique qu’ailleurs, là où les droits sont plus élevés, et que cette importation aura lieu plutôt les années d’abondance que les années de stérilité.

Ce vice de notre législation réduit les prix de nos produits agricoles à un taux tel que le cultivateur ne peut plus remplir ses engagements.

De là résultent la ruine de cette classe, l’appauvrissement du propriétaire cultivateur, une gêne chez les grands propriétaires, et que trois millions de notre population se trouvant dans l’impossibilité de faire de la dépense, le restant de la population étant sans ouvrage et sans débit, ou de son industrie, ou de son commerce, est réduit à la plus profonde misère.

En un mot, la ruine, je dirai même la gêne chez le cultivateur, est la ruine de la Belgique entière.

J’engage de nouveau MM. les économistes à bien méditer les réflexions que je viens de leur soumettre.

En même temps, je prie mes honorables collègues de ne pas les perdre de vue.

En Belgique on protège, bien ou mal, toutes les industries : le commerce, les beaux-arts, la musique enfin, tous reçoivent des subsides à charge de la propriété à raison de 13 seizièmes. La propriété ne reçoit presque rien ; je le prouverai arrivé au chap. XI.

Dans maintes occasions, j’ai avancé que la propriété payait en Belgique 13 seizième des impôts ; je vais vous démontrer l’exactitude de ce fait.

Au budget des voies et moyens, exercice de 1845, on voit figurer :

Art. 1er Foncier : 18,359,750 fr. à charge de la propriété intégralement

Art. 2. Personnel : 8,800,00, ici pour ¾ : 6,600,000

Art. 3. Patentes : 2,80,000 : rien

Art. 4. redevances sur les mines : mémoire.

Art. 5. Douanes : nous le transposons.

Art. 6. Droit de consommation sur les boissons distillées : 970,000 : ici pour ¾ : 727,000

Art. 7. Accises : 21,225,000 : ici pour /4 : 15,918,000

Art. 8 Enregistrement : 20,550,000 : pour 19/20 : 19,520,000

Total des impôts : 72,704,750.

Total payé par la propriété : 61,124,750.

Sur 72,704,750 fr. la propriété, tant directement qu’indirectement, payé 61,124,750, et l’industrie, le commerce et les rentiers payent 11,500,000 fr., moins de 13/16 des impôts payés en Belgique.

Quant au produit des douanes, cet impôt, au moins pour la plus grande partie, est payé par l’étranger. Si on conteste cette opinion et en admettant que la propriété en supporte les trois quarts vous aurez encore à peu près le même résultat, c’est-à-dire que vous reconnaîtrez que la propriété paye 13/16 des impôts en Belgique.

D’après ces considérations, on ne contestera pas à l’agriculture le droit d’obtenir une vraie protection et on reconnaîtra avec moi qu’en Belgique on ne fait rien pour elle, en comparaison de ce qui se fait en France. Avant de terminer je dois faire remarquer qu’aux impôts payés à l’Etat par la propriété, on doit ajouter les centimes additionnels perçus au profit des provinces, des communes, tant pour constructions de routes, de canaux, de chemins vicinaux, pour charges locales et nombre d’autres et que, taux moyen, ces centimes additionnels peuvent être évalués à 50%, toujours à charge de la propriété, ce qui augmente l’impôt foncier et personnel d’environ 10 millions. En présence de cette position est-on fondé à soutenir que la propriété est ménagée en Belgique ? peut-on dire qu’elle est bien traitée et que l’agriculture est assez protégée.

Pour soutenir de semblables erreurs, on doit faire violence à ses convictions, ou bien convenir qu’on est dans la plus grande ignorance des vrais intérêts de son pays.

Si en Belgique, il n’y avait, comme en Angleterre, que de grands propriétaires, je mettrais moins de feu dans la défense de la thèse que je soutiens.

Ne perdons pas de vue, messieurs, que sur un grand propriétaire, il y en a cent possédant de trois à cinquante hectares de propriété, et c’est particulièrement cette classe de la société qui m’intéresse au plus haut degré.

En résume, si en Belgique on néglige de protéger l’agriculture à l’égal de la France, il doit en résulter la ruine des trois quarts de la population, ce qui entraînera la décadence de notre industrie manufacturière, du commerce, de la classe ouvrière, et qui fera éprouver à l’Etat un déficit considérable sur ses revenus.

Qu’on ne perde pas de vue que le pain est infiniment plus cher pour la classe ouvrière, lorsqu’elle est sans ouvrage, que lorsqu’elle le paye à raison de 4 centimes de plus par kilogramme.

L’ouvrier qui, pour sa consommation en pain pendant un mois, paye 1 fr. 20 centimes de plus s’il a de l’ouvrage, le paye à meilleur marché que s’il le payait à raison de 5 centimes le kilogramme en moins, si, comme cela n’est pas douteux, il perdait seulement 4 journées par mois.

La différence est à son détriment à raison de près de 3 fr. soit 36 francs par an.

En d’autres termes, le froment à 15 fr. l’hectolitre, l’ouvrier gagnera sur son pain 1 fr. 20 c. ; à 20 fr., il gagnera 2 fr. 80 sur sa consommation de pain, et, pour que ce calcul soit exact, il faut que l’ouvrier ne perde que quatre journées par mois dans la première hypothèse, tandis qu’il est très probable que la majeure partie des ouvriers en perdront plus de dix ou qu’ils verront réduire le prix de la journée de main-d’œuvre.

Je suis heureux, messieurs, que le système que je soutiens soit autant, je dirai même plus, dans l’intérêt de la classe ouvrière que dans l’intérêt de la classe des agriculteurs et des propriétaires.

Je bornerai là mes observations, me réservant de prouver, lorsque nous serons arrivés au chapitre XI du budget qu nous discutons, la fausseté de l’intitulé (Encouragement à l’agriculture) ; j’espère vous démontrer que cette industrie est complètement étrangère au subside pétitionné, montant à 393,000 fr, et que cette dépense sera faite en partie en faveur d’autres industries sous des formes déguisées. En finissant, je ferai une dernière observation. Le revenu territorial en Belgique est de 170 millions et paye tant directement qu’indirectement en impôts 61,124,750 fr. soit plus de 36 p.c.

Le produit de l’industrie, des arts et du commerce est évalué en Belgique à un milliard 700 mille fr., d’après M. Blanqui aîné, et paye en impôt 11,580,000 fr. soit trois quart de son revenu, tandis que la propriété, paye, année commune, plus de 36%

La dépense que fait le gouvernement en faveur de l’agriculture est au plus de 200,000 fr., tandis que pour l’industrie, le commerce et les arts, la dépense est de plus de cinq millions représentant environ la moitié du montant des impôts payés par elle.

Je livre ces observations à vos méditations et j’engage le gouvernement à rechercher les moyens d’améliorer notre système financier.

Dans l’empire du Brésil, les douanes rapportent plus de 500 millions.

L’honorable M. de Naeyer conseille au gouvernement de donner un bon enseignement agricole. Sans doute, ce principe, je l’admets, mais avant d’encourager une industrie, il faut lui donner l’espoir de vendre avantageusement ses produits.

Pour y parvenir, nous devons apporter des modifications à notre système de douane.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, indépendamment des intérêts moraux, trois grands intérêts matériels, je pourrais dire les plus grands intérêts matériels, se rattachent au budget de l’intérieur : l’agriculture, le commerce et l’industrie. A chacun de ces intérêts correspond un chapitre de ce budget. La chambre est dans l’habitude d’ouvrir une discussion sur l’ensemble de chacun de ces chapitres. Nous devons donc nous attendre à voir passer en revue chacun de ces trois grands intérêts matériels. Je désire que chacune de ces questions soit largement examinée, et notamment la question agricole, à laquelle j’attache, comme l’honorable préopinant, la plus haute importante.

Quand nous serons arrivés au chapitre de l’agriculture, je me propose de donner des renseignements étendus à la chambre. D’abord, je citerai les lois qui ont été faites depuis 1830, en faveur des intérêts agricoles ; j’examinerai notamment l’esprit de la loi du 31 juillet 1834 sur les céréales, la portée qu’on a voulu donner à cette loi, les conséquences qu’elle a eues dans l’exécution.

J’examinerai, en second lieu, la question du rétablissement d’un fonds (page 674) d’agriculture ; je rendrai compte à la chambre d’une enquête administrative que le gouvernement a faite sur cette question.

En troisième lieu, j’appellerai votre attention sur la question de l’enseignement agricole et vétérinaire. Nous verrons quel sont les essais qui ont été faits en Belgique depuis 1830, jusqu’à quel point ces essais ont été imparfaits. J’indiquerai quelques vues pour l’avenir.

En quatrième lieu, je vous entretiendrai de la question du défrichement des parties encore incultes de notre territoire.

Enfin, en cinquième lieu, je rendrai compte des encouragements divers que l’agriculture a reçus directement et indirectement, encouragements sans doute fort incomplets. Je dira aussi ce que les provinces ont fait, en s’associant au gouvernement.

Vous voyez donc, messieurs, que nous désirons que la question agricole, notamment soit discutée aussi largement que possible. L’honorable préopinant s’est réservé lui-même de revenir sur cette question. Je ne l’en remercie pas moins d’avoir anticipé aujourd’hui sur la discussion, et nous examinerons avec soin les renseignements qu’il a déjà fournis à la chambre.

Nous pourrons aussi revenir sur l’une question qui a été soulevée par l’honorable préopinant, et à laquelle nous donnerons un caractère plus général : c’est celle de l’admission des céréales avariées sur les marchés belges. Vous savez, messieurs, que la loi générale du 26 août 1822 prévoit le cas de l’introduction des marchandises avariées ; elle autorise même le gouvernement à accorder des réductions de droits dans ces cas. D’ici au jour de la discussion, M. le ministre des finances et moi nous prendrons quelques renseignements sur l’exécution qu’a reçue cet article de la loi du 26 août 1822, sur les abus auxquels il a donné lieu, sur les inconvénients que cette disposition peut offrir, notamment en ce qui concerne la santé publique. Il y aura peut-être lieu d’examiner s’il ne faut pas changer cet article de la loi générale.

Je pense donc que, moyennant ces réserves, nous pourrions passer à la discussion des articles, si d’autres orateurs ne jugent pas à propos d’anticiper sur l’une ou l’autre question qui se rattachent au budget de l’intérieur.

M. Delehaye – Messieurs, je me propose également de prendre la parole quand nous en serons venus aux article du commerce et de l’industrie ; cependant il est bon que le gouvernement ne soit pas pris au dépourvu à l’égard de ces questions importantes. Je dirai donc dès à présent à M. le ministre de l'intérieur que, lorsque nous serons arrivés au chapitre du commerce, je suis dans l’intention de demander au gouvernement des renseignements sur la résolution qu’il a prise relativement à la répartition des 7 millions de café venant de la Hollande. Je ferai voir alors que dans la répartition qui a été faite par M. le ministre de l'intérieur, il a manqué aux règles les plus ordinaires de la justice distributive ; je ferai voir que l’esprit de la loi a été entièrement méconnu par le gouvernement.

Je n’en dirai pas davantage en ce moment sur ce point ; il me suffit d’avoir appelé l’attention de M. le ministre de l'intérieur sur cet objet, pour qu’il prépare tous les renseignements qu’il devra soumettre à la chambre, lors de la discussion du chapitre du commerce.

Cependant, j’ai encore à faire au gouvernement, en ce moment, d’autres interpellations qui se rattachent aussi au commerce. Je pense que M. le ministre de l'intérieur pourra fournir dès à présent des renseignements. Dans une séance précédente, j’ai demandé au gouvernement de nous faire connaître la résolution qu’il se proposait de prendre relativement aux réclamations qui lui ont été renvoyées depuis deux ans, et qui signalent les abus résultant de la loi concernant les ventes à l’encan. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur, s’il est dans l’intention de saisir la chambre d’un nouveau projet de loi. Lorsque j’ai soulevé cette question, il y a quelque temps, M. le ministre de l'intérieur m’a ajourné jusqu’à la discussion de son budget, et puisque nous sommes arrivés à cette discussion, je prie M. le ministre de remplir sa promesse.

Avant de terminer, qu’il me soit permis de donner un mot de réponse à l’honorable M. Eloy de Burdinne.

L’honorable membre a pris la défense des intérêts de l’agriculture, et il a très-bien fait ; nous nous associons de tout cœur à la sollicitude qu’il montre pour cette industrie, et l’honorable membre peut être persuadé que tous les députés des Flandres appuieront ses efforts, chaque fois qu’il vendra plaider la cause de l’agriculture dans cette enceinte. Mais il est étrange que l’honorable membre ait prétendu que la convention linière du 16 juillet a porté atteinte aux intérêts de l’industrie agricole.

Mais l’industrie agricole, je pense, n’a pas d’éléments de prospérité plus réels, plus efficaces que l’industrie linière ; l’industrie linière est bien plus une industrie agricole qu’une industrie proprement dit. L’industrie linière se rattache immédiatement à l’agriculture. Que l’honorable membre soit donc persuadé que la convention linière du 16 juillet, conclue avec la France, ne porte nullement atteinte à l’industrie agricole ; que rien n’est plus propre, au contraire, à favoriser l’industrie linière que cette convention. En effet, l’industrie linière vit surtout de l’agriculture ; sans l’industrie linière, l’agriculture ne pourrait pas se maintenir en Belgique. Ceux qui se livrent en Belgique à l’agriculture, ont des moments de repos, pendant lesquels ils doivent pouvoir suivre d’autres occupations ; et ces occupations, ils les trouvent dans l’industrie linière. Ainsi, tout ce qui a été fait pour l’industrie linière peut être revendiqué pour l’industrie agricole.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Messieurs, l’honorable préopinant a renouvelé l’interpellation qu’il m’a faite dans une séance précédente ; elle est relative au réclamations qui vous ont été adressées contre la loi concernant les ventes à l’encan.

Un nouveau projet de loi a été préparé ; cependant ce projet a encore besoin d’être examiné, et ce n’est que dans quelques jours que je pourrai dire si le gouvernement est à même de soumettre une proposition aux délibérations de la chambre. Je pourrai revenir sur cette question dans le cours de la discussion.

M. Eloy de Burdinne – Je dois un mot de réponse à l’honorable M. Delehaye. Cet honorable membre vient de dire que ce qu’on faisait pour l’industrie linière était fait pour l’agriculture, par la raison sûrement que c’est l’agriculture qui produit la matière première, et par le motif que les fileurs à la main sont en même temps agriculteurs. Eh bien, messieurs, si vous adoptiez ce principe, comme l’industrie drapière consomme les laines du pays, il faut dire que ce qu’on fait pour l’industrie drapière est fait pour l’agriculture. De cette manière, tout ce qu’on fait pour l’industrie sera fait pour l’agriculture. Autre chose : si vous voulez admettre le système de M. Delehaye, il faut dire que ce qu’on a fait en sacrifiant un million de ressources du trésor, a été fait pour deux provinces ; car, je vous le demande, la province de Namur, celle du Limbourg ou du Luxembourg, la province de Liége, la province de Brabant ou d’Anvers, ont-elles obtenu de grands avantages de la protection accordée à l’industrie linière ? Non ; cependant comme l’industrie du filage à la main est très-morale, je ne blâme pas les dépenses qu’on a faites, mais je vous demande si on peut les considérer comme faites dans l’intérêt de l’agriculture en général ? c’est dans l’intérêt des agriculteurs et en même temps des fileurs des deux provinces.

Et les demandes qu’on fait de prohiber le lin à la sortie ne doivent-elles par avoir pour résultat de faire un tort immense à l’agriculture ?

Je ne parle pas de nos localités où l’on ne produit pas le lin, je vous parle des Flandres et du Hainaut.

On a proposé d’imposer fortement sinon de prohiber le lin à la sortie…

M. Delehaye – Je n’ai jamais demandé cela.

M. Eloy de Burdinne – L’honorable M. Delehaye dit qu’il n’a pas parlé de cela. Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. Ce sont les hommes qui, comme vous, défendent l’industrie linière. Qu’en est-il résulté ? Un tort immense pour l’agriculture. Vous avez mis les Anglais dans la nécessité de chercher des lins ailleurs, de s’approvisionner ailleurs. Les Flandres et le Hainaut ont perdu un produit agricole immense, ce produit leur rapportait des millions. Voilà ce que c’est que de vouloir trop protéger une industrie.

M. Osy – Je dois quelques mots de réponse à l’honorable M. Eloy de Burdinne qui pense que les ports de mer font du tort à l’agriculture. Quand il s’est agi des 12 millions de kilog. à laisser entrer par la frontière de Limbourg pour l’arrondissement de Verviers, j’ai dit que l’arrondissement de Verviers pouvait très-bien tirer ses approvisionnements des marchés de Tirlemont et de Louvain, et que s’il en manquait, il valait mieux pour l’agriculture que l’introduction eût lieu par Anvers au droit de 37 fr. que par la frontière de terre au droit de 88 centimes.

Comme je vous l’ai déjà dit, nous avons discuté à plusieurs reprises, dans la section centrale, la loi des céréales. L’honorable M. Eloy de Burdinne doit se rappeler que nous sommes tombés d’accord sur un point : c’est que la loi de 1834 était surtout vicieuse sous le rapport de la formation des mercuriales et que ce vice a de très grandes conséquences.

En effet, les mercuriales sont si mal faites, qu’on a pu au moyen de certaines manoeuvres, faire montrer le prix à 20 fr. dans trois ou quatre marchés et faire entrer ainsi sans droit des quantités considérables de grains ; sans cette manœuvre, on aurait dû payer un droit, et l’agriculteur aurait conservé la protection que la loi lui accorde. J’engage le gouvernement à réviser cette partie de la loi.

L’honorable Eloy de Burdinne a parlé de grains avariés qu’on mélangeait avec les grains du pays, au risque de compromettre la santé publique ; c’est ce que je n’ai pas dit. J’ai dit qu’on recevait de la mer Noire des grains de qualité inférieure qu’on mélangeait avec des grains de qualité supérieure ; quand il y a des grains avariés, on en fait un autre usage, on les emploie à la nourriture des bestiaux, mais on ne les mélange pas pour la (page 675) nourriture des hommes. J’ai dit à M. Eloy de Burdinne que les bons grains étaient cotés à Anvers 9 florins de Brabant, tandis que ceux de qualité inférieure sont cotés 6 florins, et non pas 6 francs, car les prix courants des grains à Anvers sont en florins de Brabant. Le gouvernement, en prescrivant de ne se servir que des poids, mesures et monnaies reconnus par la loi, a autorisé le commerce d’Anvers à conserver les anciens poids, mesures et monnaies pour quelques articles. Voilà pourquoi les grains se vendent en florins courants de Brabant. Je prie l’honorable membre de revoir mon discours, il y trouvera que les grains de Dantzig sont portés à 9 florins, et les grains de la mer Noire à 6 florins. C’est une grande différence déjà, mais beaucoup moindre que celle signalée par M. Eloy de Burdinne qui vous parlait d’un prix de 6 fr.

Comme M. le ministre de l'intérieur a promis de faire une enquête sur les marchandises avariées, je le prie de prendre des renseignements sur la différence qui existe entre les grains de la mer Noire et les nôtres. Ils sont de moindre qualité, mais ils ne sont pas avariés. Le gouvernement verra que les grains avariés ne vont pas à la consommation des hommes, mais à celle des bestiaux. Il y a un Anglais qui les achète pour cet usage. Les grains de moindre qualité ne sont pas malsains, mais ils ont moins de valeur, et on les mêle avec ceux du pays. Ce sont les fournisseurs de l’armée qui les achètent. Il y a deux ans, j’ai fait des observations à cet égard à M. le ministre de la guerre. J’ai dit que dans les adjudications de la boulangerie, il fallait prendre pour base le poids, parce qu’à l’hectolitre on lui donnerait des grains inférieurs, tandis qu’au poids il en aurait de bonne qualité. A Anvers, on vend par hectolitre de 80 kilog. On combine le poids avec la mesure pour éviter le mélange. Vous voyez que M. Eloy ne soit que la moitié de ce qui se fait à Anvers.

M. Eloy de Burdinne – Je serais heureux si j’en connaissais le quart.

M. Osy – L’année dernière, nous avons consacré, en section centrale, une séance de sept heures. J’ai dit tout ce qui se faisait à Anvers. On doit me rendre cette justice que j’ai parlé avec franchise. C’est moi qui ai donné des renseignements à l’honorable membre, mais sa mémoire lui a fait défaut, il ne s’est rappelé qu’une partie de ce que j’ai dit.

L’honorable membre a dit encore que la convention avec la France avait coûté un million au trésor. Mais une partie de ce million retourne à l’agriculture. Depuis trois ans, nos exportations de lins bruts diminuent considérablement. L’Angleterre ne nous achète presque plus de lin. Les députés des Flandres doivent le savoir. A Anvers, nous qui faisons les exportations, nous voyons comme elles diminuent. Nous devons tâcher alors d’augmenter nos exportations de toiles et de fils. Plus nous pourrons exporter de toiles et de fils, plus l’agriculture en tirera profit. Pourquoi exportons-nous moins de lin brut ? C’est qu’en Russie, on a fait de grands progrès quant à la culture et à la préparation des lins. Il y a des établissements industriels à Gand qui ont fait venir des lins de Russie pour les filer à la mécanique. En Irlande aussi la culture du lin a fait de grands progrès. Voilà pourquoi : les exportations de lin brut diminuent, nous ne devons donc rien négliger pour augmenter nos exportations de toiles et de fils.

M. Rodenbach – L’honorable préopinant se trompe, quand il dit que les grains avariés ne sont employés qu’à la nourriture des bestiaux ; car il est à ma connaissance qu’on en a envoyé, mélangés à d’autres grains, dans la Flandre occidentale. J’en citerai une preuve : à Roulers, on a donné du pain avarié, qui était vraiment gâté, et qui avait été confectionné avec des grains étrangers. C’est au point que le conseil de régence d’alors a fait venir les boulangers qui employaient ce mauvais grain, et leur a adressé des reproches. Il a rejeté, avec indignation, ce pain qui pouvait empoisonner les pauvres.

L’honorable M. Osy est donc dans l’erreur sur l’emploi qu’on fait des grains avariés.

Je pense que le gouvernement fera bien de faire réviser le loi de 1822, en ce qui concerne l’introduction des marchandises avariées ; car on introduit non-seulement des blés, mais des riz et des cafés avariés, qui nuisent à la santé publique. Mais cette révision est surtout nécessaire pour les céréales. L’honorable député d’Anvers a dit que c’était au bétail qu’on donnait les grains avariés. L’avidité du grain fait vendre, messieurs, bien d’autres choses avariées. C’est au gouvernement à prendre des mesures en faveur de la salubrité publique. Il est constant, je le répète, qu’il se vend beaucoup de mauvais grains en Belgique, et que ces grains sont employés probablement en grande partie par la basse classe, qui n’a pas les moyens d’acheter de bon pain.

On a dit aussi que les Flandres étaient particulièrement favorisées, que par la convention linière avec la France, on avait fait le sacrifice d’un revenu d’un million en leur faveur. Mais on oublie, messieurs, la part immense que les Flandres supportent dans les impôts. On ne doit pas oublier qu’elles supportent au delà du tiers de toutes les contributions ; elles paient peut-être 36 à 40 millions au trésor.

On commet d’ailleurs une erreur lorsqu’on dit que la convention linière a été faite exclusivement dans l’intérêt des Flandres. On sait que depuis quelques années d’autres provinces cultivent le lin et augmentent même, chaque année, cette culture ; je citerai la province de Hainaut, la province d’Anvers ; tandis que dans les Flandres, au contraire, on sème beaucoup moins de lin.

On a encore commis une erreur lorsqu’on a représenté l’industrie linière comme étant dans une situation favorable. Messieurs, il a été un temps où on exportait des toiles en France pour une valeur de 37 millions de fr. Aujourd’hui cette exportation se réduit à 10 ou 12 millions.

M. de Haerne – A 17 millions.

M. Rodenbach – Je crois que maintenant elle ne s’élève plus à cette somme.

L’industrie linière, messieurs, a besoin d’une protection efficace, et si vous n’aviez pas fait votre traité avec la France, vous verriez combien la misère serait considérable. Ce traité a été éminemment utile au pays.

Je n’en dirai pas davantage en ce moment. Lorsque nous en serons au chapitre de l’agriculture, je vous prouverai, messieurs, la nécessité de modifier notre tarif des céréales. Il nous est arrivé depuis quelques jours plusieurs pétitions des Flandres pour réclamer cette modification.

On sait que les baux sont excessivement élevés, tandis que, d’autre part, il y a crise dans le prix des céréales. Le froment ne se vend plus que 15 à 16 fr. l’hectolitre ; le seigle ne vaut plus que 9 fr. et quelques centimes. Le cultivateur peut-il se contenter d’un pareil produit, alors surtout qu’il doit payer en impôts le sixième du revenu de ses terres, et en outre les abonnements qui dans les campagnes sont considérables ?

Aussi, messieurs, si la crise actuelle durait pendant deux ou trois ans, vous verriez votre richesse territoriale diminuer considérablement.

Je crois donc que nous devons examiner si notre tarif ne doit pas être promptement augmenté. Quant à moi, je suis d’avis que cela est nécessaire.

M. de Naeyer – Je dois dire quelques mots pour appuyer de toutes mes forces les observations si juste qui vous ont été présentées par l’honorable M. Delehaye, pour démontrer la grande importance de notre industrie linière et sa connexité intime avec l’agriculture ; c’est là, messieurs, une industrie essentiellement agricole dont les intérêts se confondent complètement avec ceux de l’agriculture ; et la preuve de ce que j’avance, je la trouve dans les développements mêmes de notre agriculture, dans les Flandres. En effet, pourquoi la culture des terres a-t-elle pris une si grande extension dans les provinces flamandes ? Pourquoi les terrains incultes y sont-ils si rares ? mais c’est évidemment parce que l’industrie linière nous a permis de nourrir une population plus nombreuse que partout ailleurs, proportionnellement à l’étendue de notre territoire : ceux qui ont visité les provinces flamandes savent tous qu’il y a là beaucoup de terres légères, sablonneuses et ingrates de leur nature, et cependant ces terres ont été rendues fécondes et se couvrent, chaque année, de belles moissons, grâce à cette population morale, active et laborieuse, qu’il nous serait impossible de conserver si elle ne trouvait dans l’industrie linière un complément de travail. Voilà une considération très importante qui parait avoir échappé à l’attention de l’honorable M. Eloy de Burdinne ; ce zélé défenseur des intérêts agricoles a bien voulu admettre l’influence que l’industrie linière peut exercer sur la prospérité de l’agriculture, et il en donne deux raisons très fondées, mais il a oublié une troisième raison, la plus importante de toutes, et que je prendrai la liberté de lui suggérer.

L’industrie linière est utile à l’agriculture, nous dit l’honorable membre, parce qu’elle emploie dans la fabrication une matière première qui est le produit de notre sol ; c’est vrai. Cette industrie est encore utile à l’agriculture, parce qu’elle lui procure un grand nombre de consommateurs ; cela est également vrai ; et l’honorable membre fait encore remarquer, avec la même justesse, que ces deux causes d’utilité, en ce qui concerne les intérêts agricoles, s’appliquent aussi à l’industrie drapière ; mais l’honorable membre a oublié de dire que l’industrie linière diffère de l’industrie drapière sous un troisième rapport, en ce que la première est répandue dans les communes rurales, et que, non-seulement, elle procure aux produits agricoles un débouché très-important, mais lui fournir encore une grande force productive, savoir, les bras des fileuses et des tisserands, qui sont employés en hiver dans la fabrication des fils et des toiles, et que l’on trouve aussi moyen d’utiliser en été pour les soins et les travaux que réclame la bonne culture des terres. Cette troisième considération n’existe pas à l’égard de l’industrie drapière.

Du reste, dans ma manière de voir, presque toutes les industries peuvent venir en aide aux développements de l’agriculture, de même que l’agriculture intéresse toutes les industries, et c’est là une vérité consolante, car l’antagonisme entre les différentes branches des richesses publiques, serait, sans doute une chose bien fâcheuse.

M. de Haerne – Messieurs, je dois appuyer les observations qui vous ont été faites par l’honorable M. Delehaye et par quelques autres membres en réponse à ce qui vous a été dit par l’honorable M. Eloy de Burdinne. Je suis aussi d’avis que l’industrie linière est le grand soutien de l’agriculture. Lorsqu’on parle d’agriculture, il ne faut pas isoler une province des autres ; il fat prendre l’agriculture en général, ; et lorsqu’on favorise l’agriculture dans quelques provinces, on la favorise dans tout le pays.

Messieurs, l’industrie linière n’intéresse pas seulement les Flandres, elle intéresse aussi le Hainaut, elle intéresse aussi la province d’Anvers, et intéresse aussi en partie le Brabant. C’est donc un intérêt assez important pour qu’on puisse dire que c’est un intérêt réellement belge.

L’honorable M. Eloy de Burdinne n’a pas bien compris l’honorable M. Delehaye ; il nous a dit qu’on pouvait en dire autant de l’industrie drapière. Il n’en est rien, messieurs : les ouvriers employés à l’industrie drapière ne sont pas répandus dans les campagnes comme les ouvriers attachés à l’industrie linière.

Messieurs, je dois encore répondre quelques mots à l’honorable M. Eloy de Burdinne, qui s’est fiat l’écho d’autre personnes que j’ai souvent entendues parler en dehors de cette enceinte. Il vous a dit que, dans le temps, on avait demandé la prohibition de la sortie du lin. Messieurs, je ne crois pas que jamais quelqu’un ait demandé la prohibition. Soyons exacts ; n’exagérons pas. Qu’a-t-on demandé ? On a demandé un droit sur les lins les plus fins, sur les lins les plus chers, et cela à partir d’un certain prix. Les uns (page 676) demandaient que ce droit fût de 10 p.c., d’autres de 6 p.c., et je crois même qu’on se serait contenté d’un droit de 5 p.c..

Eh bien, messieurs, d’après les propositions qui étaient faites par ceux qui défendaient l’industrie linière, savez-vous à quoi se réduirait maintenant le droit sur le lin ? Il se réduirait à zéro parce que les prix ne sont pas assez élevés.

M. Eloy de Burdinne – Pourquoi les Anglais ne viennent-ils plus acheter vos lins ?

M. de Haerne – Je répondrai que cela ne peut être attribué à la demande qui avait été faite, non pas de prohiber la sortie du lin, mais de le frapper d’un droit de 5 à 6 p.c. Comment voulez-vous que les Anglais eussent été, pour un pareil motif, s’approvisionner de lin ailleurs et s’exposer à des frais de transport qui doivent aller à 10 à 12 p.c., et cela sans savoir de quel droit ils auraient été frappés en Belgique ? Vous croyez donc que les Anglais n’entendent plus rien aux affaires ? Ne savez-vous pas qu’ils sont les premiers spéculateurs du monde ?

Telle n’est pas la raison, messieurs, qui les a éloignés de notre marché. Voulez-vous connaître les motifs pour lesquels ils ne nous prennent plus autant de lin ? Il y en a plusieurs.

D’abord je vous dirai que quand les Anglais ont commencé à acheter nos lins, il ne les connaissaient pas bien ; ils les achetaient tous, les fins comme les communs. Voilà pourquoi ils nous en prenaient en très-grande quantité. Mais ils ont reconnu que tous ces lins n’étaient pas de même qualité, et qu’il y avait certaines de ces qualités dont ils pouvaient s’approvisionner ailleurs. Mais quant à nos lins fins, ils leur sont nécessaires, et je pourrais en fournir la preuve. J’ai été en Angleterre ; j’ai parlé, à Leeds et à Manchester, à des fabricants, et tous m’ont dit que nos lins fins leur étaient indispensables.

Il y a encore un autre motif, messieurs, c’est que les Anglais ont introduit dans la fabrication certains procédés au moyen desquels ils emploient des lins communs et même des étoupes, et les font passer pour des lins fins. Ils trompent le consommateur ; mais, pourvu qu’ils vendent, cela leur est égal.

Messieurs, j’ajouterai encore une considération pour vous faire voir qu’en défendant l’industrie linière, nous défendons l’agriculture, et que telle a toujours été l’opinion de nos agriculteurs.

Quand des pétitions vous sont arrivées pour demander des droits sur les lins, savez-vous par qui elles étaient signées ? Par des agriculteurs ? Je pourrais citer de ces pétitions qui étaient signées par 3 ou 400 propriétaires agriculteurs. C’était donc bien l’intérêt de l’agriculture qu’on défendait en demandant une protection pour l’industrie linière. Et cela est évident pour tout le monde. Aussi allez dans les communes, où le travail n’a pas été organisé au moyen des subsides du gouvernement, subsides qu’on a aussi critiqués ; ces communes sont désolées par le paupérisme.

Et n’est-ce pas une charge accablante pour les cultivateurs, messieurs, que d’avoir tous les jours à leurs portes des bandes de deux à trois cents ouvriers qui viennent leur demander du pain ? Eh bien ! au moyen des mesures de protection qui ont été prises pour l’industrie linière, vous avez aussi favorisé l’agriculture. Ainsi, dans la Flandre occidentale, dans les environs de Courtray, dans les communes de notre district où l’on a organisé des comités de travail, où l’on a introduit, en même temps, au moyen des subsides, des perfectionnements pour le tissage, on a réellement fait des merveilles ; je pourrais même citer des villages où l’on est parvenu à extirper la mendicité.

J’ajouterai encore qu’il y a des villages où, au lieu d’employer les subsides du gouvernement à fonds perdu, on les a économisés, et ces économies, pour certaines communes, s’élèvent à 2,000 fr.

Voilà, messieurs, ce qu’on opère en venant au secours de l’industrie linière ; voilà les avantages qui en résultent, et vous voyez que l’agriculture se ressent considérablement de ces avantages.

- La discussion générale est close.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1. Traitement du ministre : fr. 1,000 »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitement des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 137,000 »

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – Il y a quelques articles sur lesquels je ne suis pas d’accord avec la section centrale. Il suffit pour le moment que je déclare que je ne suis par d’accord avec elle sur les neuf premiers chapitres.

Je retire provisoirement la proposition que j’avais faite à l’article 3, me réservant toutefois de créer, au moins temporairement, des commissions de ce genre, sans qu’une dépense soit nécessaire ou en prélevant la dépense sur l’un ou l’autre article ordinaire du budget.

M. Osy – Nous devons faire à cet article les mêmes réserves que dans les autres budgets, et engager le gouvernement à fixer le traitement des employés, soit en présentant des projets de loi, soit en prenant des arrêtés. Je demande si c’est l’intention du gouvernement.

M. le ministre de l’intérieur (M. Nothomb) – C’est une question que le gouvernement examine.

- L’art. 2 est mis aux voix et adopté.

La séance est levée à 2 heures.